1 John 4
SIXIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CES PAROLES : « PAR LA NOUS CONNAISSONS QUE NOUS SOMMES ENFANTS DE LA VÉRITÉ », JUSQU’À CES AUTRES : « ET C’EST L’ANTÉCHRIST DONT VOUS AVEZ ENTENDU DIRE, ETC. » (Chap 3, 19-24 ; 4, 1-3.)
LA FOI ET LES OEUVRES.
Le commencement de la charité consiste à donner son superflu ; puis la parole de Dieu et l’espérance de la vie éternelle lui servent d’aliment et l’aident à arriver à sa perfection. Elle seule donne du prix à nos œuvres de miséricorde, et, si elle est sincère, elle nous ouvre le cœur de Dieu et le dispose à nous accorder tout ce que nous lui demandons, pourvu que nous le demandions dans l’ordre du salut. En effet, soit qu’il obtempère, soit qu’il résiste à nos désirs, des lors que nous désirons avant tout nous sauver, il nous exauce toujours, tandis qu’en cédant aux instances des pécheurs, il ne les exauce nullement par rapport au salut. Ce qui décide Dieu à nous exaucer, c’est notre foi en Jésus-Christ et notre amour pour nos frères : ces deux vertus l’amènent à demeurer en nous. Mais comment savons-nous s’il demeure en nous ? L’esprit de Dieu nous l’apprend, quand, au témoignage de notre conscience, nous savons que nous avons la foi en Jésus-Christ, et que notre foi se traduit en couvres de charité. 1. Si vous vous en souvenez, mes frères, nous avons, hier, terminé notre discours par cette pensée que vous avez sans doute conservée et que vous conserverez dans votre cœur, parce que nous vous l’avons communiquée en finissant : « Mes petits enfants, n’aimons pas seulement de parole ni de langue, mais par les œuvres et en vérité ». L’Apôtre continue ainsi : « Par là, nous savons que nous sommes enfants de la vérité, et, en présence de Dieu, nous sentons nos cœurs persuadés. Si notre cœur nous condamne, Dieu est plus grand que notre cœur, et il connaît tout ». Il avait dit : « N’aimons pas seulement de parole et de langue, mais par les œuvres et en vérité ». Nous voulons savoir à quelle couvre, à quelle vérité on reconnaît celui qui aime Dieu ou celui qui aime son prochain. Jean avait dit plus haut jusqu’où doit aller la charité pour être parfaite ; le Sauveur l’avait lui-même déclaré dans l’Évangile : « Personne ne peut témoigner un plus grand amour, qu’en donnant sa vie pour ses amis a ». Et l’Apôtreavait, à son tour, ajouté ceci : « Comme il a donné lui-même sa vie pour nous, ainsi devons-nous donner la nôtre pour nos frères ». Voilà, évidemment, la charité parfaite ; il est absolument impossible d’en trouver de plus grande. Mais comme elle ne se trouve point parfaite en tous, celui qui ne la possède pas dans toute sa perfection ne doit nullement se désoler, pourvu qu’elle ait déjà pris naissance en lui, et qu’elle soit, par conséquent, susceptible d’arriver à son comble. Car si elle s’y trouve déjà, il faut la nourrir et la conduire à la perfection qui lui est propre en lui donnant des aliments choisis et spéciaux. Nous avons cherché à découvrir le point initial de la charité, à savoir où elle commence, et, aussitôt, nous avons trouvé dans l’épître de Jean ces paroles : « Un homme qui a les biens de ce monde, et qui, voyant son frère dans la détresse, lui ferme son cœur et ses entrailles, comment aurait-il en soi l’amour de Dieu b ? » Mes frères, cette charité commence donc à exister, lorsqu’on donne de son superflu aux malheureuxplongés dans le besoin, et qu’on délivre le prochain des épreuves du temps, en leur faisant part des biens temporels qu’on possède en abondance. Voilà où commence la charité. Après qu’elle aura ainsi pris naissance en toi, donne-lui pour aliment la parole de Dieu et l’espérance de la vie future, et tu arriveras à ce degré de perfection que tu seras prêt à donner ta vie pour tes frères. 2. Il en est qui ont d’autres espérances, qui n’aiment pas leurs frères, et qui, pourtant, font beaucoup d’œuvres pareilles ; retournons au témoignage de la conscience. Comment prouver que ceux qui n’aiment pas leurs frères, agissent souvent de la sorte ? Combien, parmi les hérétiques et les schismatiques, se donnent le nom de martyrs ! A leurs propres yeux, ils donnent leur vie pour leurs frères. Mais s’ils donnaient leur vie pour leurs frères, est-ce qu’ils feraient schisme avec la fraternité universelle ? Évidemment, non. De même que des gens font des largesses, distribuent de l’argent en quantité, uniquement par ostentation, et ne cherchent en cela que les louanges des hommes, que la considération du peuple, considération bouffie, exposée à toutes les chances de vicissitudes du temps ! Puisque telle est leur conduite, comment reconnaître la charité fraternelle ? L’Apôtre veut nous la faire distinguer ; aussi nous donne-t-il un avertissement : « N’aimons pas seulement de parole et de langue, mais par les œuvres et en vérité ». Nous voulons savoir par quelle œuvre, en quelle vérité. Peut-il y avoir une œuvre plus certaine que celle de donner aux pauvres ? Beaucoup le font par jactance, et non par charité. Peut-il y avoir d’œuvre plus grande que celle de mourir pour ses frères ? C’est ce que plusieurs voudraient encore avoir la réputation de faire, par désir de se faire un nom, et non point par sentiment intime de charité. Pour aimer nos frères ; il ne nous reste rien à faire qu’à nous retirer en présence de Dieu, dans ce sanctuaire où notre œil seul pénètre, où nous sentons notre cœur persuadé, où nous nous interrogeons nous-mêmes pour savoir si l’amour du prochain est le mobile de nos actions ; alors, il reçoit le témoignage de cet œil qui scrute les profondeurs de son âme où nul homme ne saurait porter ses regards. Aussi, parce qu’il était prêta mourir pour ses frères, et qu’il disait : « Je me sacrifierai moi-même pour vos âmes c », parce que Dieu lisait en son cœur ce que ne pouvaient y lire les hommes auxquels il adressait la parole, l’apôtre Paul leur disait : « Je me mets fort peu en peine d’être jugé par vous ou devant le tribunal de l’homme d ». Le même Apôtre prouve, en un autre endroit, que d’habitude les œuvres de miséricorde sont le résultat de la vanité, au lieu d’être l’effet d’une charité solide. Parlant, en effet, de cette charité fraternelle pour la faire connaître, il s’exprime ainsi : « Quand je distribuerais tous mes biens aux pauvres, et que je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai point la charité, tout cela ne me sert de rien e». Peut-on faire tout cela sans avoir la charité ? Sûrement, oui. Car ceux qui n’ont pas la charité, ont scindé l’unité. Cherchez parmi eux, et vous en verrez beaucoup donner beaucoup aux pauvres ; vous en verrez beaucoup disposés à mourir, puisque, la persécution ayant pris fin, ils se précipitent eux-mêmes dans les abîmes ; il est sûr que, pour tout cela, la charité ne les inspire nullement. Revenons-en donc à la conscience, dont l’Apôtre parle en ces termes : « Ce qui fait notre gloire, c’est le témoignage de notre conscience f ». Retournons à notre conscience, au sujet de laquelle le même Apôtre a dit : « Que chacun examine bien ses propres actions, et, alors seulement, il aura de quoi se glorifier en lui-même, et non dans un autre g ». Que chacun de-nous examine donc ses propres actions, afin devoir si elles émanent de la vraie charité, si elles proviennent de la racine tout aimante de l’arbre des bonnes œuvres. « Que chacun », dit Jean, « examine ses propres actions, et, alors seulement, il aura de quoi se glorifier en lui-même, et non dans un autre » ; quand il recevra un bon témoignage, non de la part des étrangers, mais de sa propre conscience. 3. Voici ce qu’il nous rappelle ici. « Nous connaissons que nous sommes enfants de la vérité », quand nous aimons, non-seulement de parole et de langue, mais par le œuvres et en vérité ; « et, en présence de Dieu, nous sentons nos cœurs persuadés ». Qu’est-ce à dire : « En présence de Dieu ? » Où s’étendent ses regards. C’est pourquoi le Sauveur dit lui-même dans l’Évangile :« Prenez garde de faire vos bonnes œuvres devant les hommes, afin qu’ils vous voient ; autrement, vous n’aurez pas de récompense de votre Père qui est dans les cieux ». Et que signifient ces mots : « Que votre main gauche ignore ce que fait votre main droite h », sinon que la main droite est le symbole d’une conscience pure, et que la gauche est celui de la convoitise mondaine ? Plusieurs se distinguent par un grand nombre d’actions éclatantes ; la convoitise mondaine est le mobile de leur conduite ; c’est la main gauche, et non leur main droite qui agit. La main droite doit agir sans que la gauche le sache, car, lorsque la charité nous porte à faire du bien, il ne faut pas que la cupidité du siècle vienne s’y mêler. Comment le savons-nous ? Tu es en présence de Dieu ; interroge ta conscience ; vois ce que tu as fait, examine tes intentions secrètes As-tu voulu travailler au salut de ton âme, ou attirer les louanges creuses des hommes ? Scrute ton cœur. Car on ne peut juger celui dont on ne peut scruter les pensées. Si nous sentons en nous un cœur persuadé, ayons-le tel en présence de Dieu. « Si notre cœur nous condamne », c’est-à-dire nous accuse intérieurement d’agir avec des intentions autres que celles que nous devons avoir, « Dieu est plus grand que notre cœur, et il « connaît tout ». Aux yeux de l’homme, tu dérobes tes pensées ; si tu le peux, dérobe les aux yeux de Dieu. Comment en ôter la connaissance à ce Dieu, à qui un pécheur, confus et sincère, disait autrefois« Où irai-je devant votre Esprit ? Où fuirai-je devant votre face ? » Il cherchait où fuir pour éviter le jugement de Dieu, et il ne trouvait pas de place. En effet, où Dieu n’est-il pas ? « Si je monte dans les cieux, vous y êtes ; si je descends aux enfers, je vous y trouve i ». Où iras-tu ? Où fuiras-tu ? Veux-tu écouter un conseil ? Tu veux l’éviter ? Jette-toi dans ses bras. Jette-toi dans ses bras ; et, pour cela, avoue tes fautes, ne cherche pas à te dérober à ses regards ; car, tu ne peux t’y soustraire, mais tu peux faire l’aveu de tes péchés. Dis-lui : « Vous êtes mon refuge j », et nourris en toi la charité, qui, seule, conduit à la vie. Que ta conscience te rende ce témoignage, parce qu’elle est la voix de Dieu. Et puisqu’elle vient de Dieu, n’aie point lavolonté de l’étaler sous les regards des hommes ; car leurs louanges sont aussi incapables de t’élever au ciel, que leurs critiques de te jeter dans la boue. Que celui-là y lise, qui couronne tes mérites ; prends pour témoin celui qui te jugera et te donnera la récompense. « Dieu est plus grand que notre cœur, et il connaît tout ». 4. « Mes bien-aimés, si notre cœur ne nous condamne pas, nous pouvons nous approcher de Dieu avec confiance ». Qu’est-ce à dire : « Si notre cœur ne nous condamne pas ? » S’il nous dit, en toute vérité, que nous aimons, et qu’en nous se trouve une charité vraie, non pas feinte, mais sincère, désireuse du salut de nos frères, étrangère à toute pensée de lucre, ne demandant au prochain rien autre chose que son salut, « nous pouvons nous approcher de Dieu avec confiance ; et tout ce que nous demanderons, nous le recevrons de lui, parce que nous gardons ses commandements ». C’est pourquoi nous devons scruter notre cœur, non en présence des hommes, mais sous le regard de Dieu qui en connaît les pensées. « Nous pouvons donc nous approcher de Dieu avec confiance, et tout ce que nous demanderons, nous le recevrons de lui, parce que nous gardons, ses commandements ». Quels sont ses commandements ? Faut-il donc le redire toujours ? « Je vous donne un commandement nouveau, c’est que vous vous aimiez les uns les autres k ». C’est de la charité que parle Jésus ; c’est elle qu’il nous recommande. Quand on a la charité fraternelle, et qu’on l’a devant Dieu, dans le cœur où pénètrent ses regards ; quand on interroge sérieusement son cœur, et qu’après mûr examen il ne répond qu’une chose, à savoir que la vraie racine de la charité s’y trouve, on peut approcher de Dieu en toute confiance, et tout ce qu’on lui demandera, on le recevra, parce qu’on garde ses commandements. 5. Une difficulté se présente ici : Celui-ci ou celui-là, toi ou. moi, nous demanderons quelque chose au Seigneur notre Dieu ; si je ne reçois rien, chacun d’entre vous n’aura-t-il pas une belle occasion de dire de moi : Il n’a pas la charité ? Il est facile d’en dire autant de tout homme de notre temps ; qu’on pense ce qu’on voudra de ses semblables, ladifficulté est plus grande que jamais, s’il est question de personnages qui étaient certainement des saints, lorsqu’ils écrivaient, et qui, sans aucun doute, sont maintenant avec Dieu. Qui a la charité, si Paul ne l’avait pas ; lui qui disait : « O Corinthiens, ma bouche s’ouvre et mon cœur se dilate vers vous ; vous n’êtes point à l’étroit dans mon cœur l » ; lui qui disait encore : « Je me sacrifierai pour vos âmes m » ; lui en qui la grâce était si abondante, que tous y apercevaient l’existence de la charité ? Nous voyons cependant qu’il a demandé et n’a pas reçu. Que disons-nous, mes frères ? C’est une difficulté : dirigez vos pensées vers Dieu, c’est même une très grande difficulté. Quand il s’est agi du péché, à propos de ces paroles : « Celui qui est né de Dieu ne pèche pas n », nous avons trouvé que ce péché consistait à violer la loi de la charité, et que cela a été formellement marqué au même endroit ; comme nous l’avons fait alors, nous cherchons aujourd’hui à savoir ce qu’a voulu dire l’Apôtre. Si tu ne fais attention qu’aux paroles, elles semblent n’offrir aucune obscurité ; mais si tu veux en faire l’application, il est difficile d’en pénétrer le sens. Y a-t-il rien de plus clair que ce passage : « Et tout ce que nous demanderons, nous le recevrons de lui, parce que nous gardons ses commandements, et que nous faisons tout ce qui lui est agréable ? Tout ce que nous demanderons », dit l’Apôtre, « nous le recevrons de lui ». Jean nous donne là un grand sujet d’embarras, comme ailleurs il nous en aurait donné un, s’il avait parlé de toute espèce de péché ; mais nous avons tourné la difficulté, en disant qu’il avait parlé d’un péché bien déterminé, et non du péché en général, d’un péché particulier que ne commet pas celui qui est né de Dieu ; de plus, nous avons trouvé que ce péché particulier est la violation de la loi de la charité. Nous en avons un exemple positif dans l’Évangile, car le Sauveur a dit : « Si je n’étais pas venu, ils n’auraient pas de péché o ». Eh quoi ! de ces paroles devons-nous conclure que les Juifs, au milieu desquels il était venu, étaient innocents, et que, s’il n’était point venu, ils n’auraient pas été coupables ? La présence du médecin aurait-elle donc fait le malade ; n’aurait-elle pas fait disparaître la fièvre ? Quel homme, même en démence, oserait soutenir pareille chose ? Le Sauveur n’est venu que pour soigner et guérir les malades. Pourquoi donc a-t-il dit : « Si je n’étais point venu, ils n’auraient pas de péché ? » Ah ! c’est qu’il voulait évidemment nous parler d’un péché particulier. Les Juifs, selon sa pensée, n’auraient pas un certain péché. Quel péché ? Celui de ne pas croire en lui, de le méconnaître lorsqu’il se trouvait au milieu d’eux. De même qu’en cet endroit Jésus a parlé de péché, sans qu’on soit, pour cela, obligé de penser qu’il faisait allusion à toute espèce de péché, et non à un péché particulier ; ainsi en est-il du texte de Jean : il n’y est pas question de tout péché, et, par conséquent, aucune contradiction ne se trouve entre lui et le suivant : « Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous séduisons, et la vérité n’est pas en nous p ». Il s’agit d’un péché déterminé, qui est la violation de la loi de la charité. Dans le cas présent, l’embarras est plus grand : Quand nous demandons, dit l’Apôtre, si notre cœur ne nous accuse pas, si, devant Dieu, il nous rend le témoignage que le véritable se trouve en nous, « n’importe ce que nous lui demandions, nous le recevrons de lui ». 6. Je l’ai déjà dit à votre charité : que personne ne fasse attention à nous ; car, que sommes-nous ? Qu’êtes-vous vous-mêmes ? Quoi, sinon l’Église de Dieu, qui est connue de tous ? Et si cela nous convient, nous sommes en elle ; et nous tous, qui, par la charité, nous trouvons dans son sein, nous y demeurerons toujours, si nous voulons faire preuve de l’amour qui nous anime. Cependant, que pourrions-nous penser de mal à l’égard de l’apôtre Paul ? N’aimait-il pas ses frères ? Sa conscience ne lui en rendait-elle pas intérieurement témoignage en présence de Dieu ? Est-ce que ne se trouvait pas en Paul cette racine de la charité, d’où provenaient, comme de bons fruits, toutes ses œuvres ? Où est l’homme assez fou pour tenir un pareil langage ? Où donc pouvons-nous reconnaître que cet Apôtre a demandé, sans néanmoins obtenir ? « De peur que la grandeur de mes révélations ne me donne de l’orgueil, un aiguillon a été mis dans ma chair, instrument de Satan, comme pourme donner des soufflets ; c’est pourquoi j’ai prié le Seigneur de l’éloigner de moi. Il m’a répondu : Ma grâce te suffit, car la force se perfectionne dans la faiblesse q ». Voilà bien la preuve qu’il n’a pas été exaucé, et qu’on n’a pas éloigné de lui l’ange de Satan. Mais pourquoi ? Parce que cela ne lui était pas utile. Par rapport au salut, la prière de Paul a donc été exaucée, quoiqu’elle ne l’ait pas été relativement à son désir. Que votre charité remarque en cela un grand mystère ; nous vous le recommandons, afin qu’au milieu de vos tentations, vous n’en perdiez point le souvenir. Par rapport au salut, les prières des saints sont exaucées en tout ; toujours elles sont écoutees favorablement, quand il est question du salut éternel : ils souhaitent y parvenir ; aussi, relativement à lui, voient-ils toujours leurs vœux exaucés. 7. Mais, remarquons-le bien, Dieu a différentes manières d’exaucer : pour les uns, il les exauce en ce qui concerne leur salut, sans obtempérer à leurs désirs ; quant aux autres, il se conforme à leurs volontés, sans avoir égard au salut de leur âme. Faites-y attention. Voici l’exemple d’un homme dont Dieu a négligé les désirs pour assurer son salut. Écoute l’apôtre Paul, car Dieu lui a montré qu’il l’exauçait dans la vue de son salut : « Ma grâce te suffit, car la force se perfectionne dans la faiblesse ». Tu as prié, tu as crié, tu as crié trois fois ; j’ai entendu tes cris dès le premier moment où ils sont montés vers moi ; je n’ai pas détourné mes oreilles ; je sais ce que je ferai ; tu voudrais voir s’éloigner de toi le médicament qui te tourmente ; je connais le mal dont tu souffres. Dieu l’a donc écoute en ce qui intéressait son salut, sans condescendre à ses vœux. Quels sont ceux aux volontés desquels Dieu se conforme, sans avoir égard à leur salut ? Il est facile, je pense, de trouver un méchant, un impie, dont Dieu favorise les désirs et néglige le salut. Si je te cite l’exemple d’un pareil homme, tu me diras sans doute : Tu me le désignes comme pécheur, parce qu’il a été juste ; s’il n’était pas juste, Dieu ne l’exaucerait pas. Je vais t’en citer un, sur la méchanceté et l’impiété duquel personne n’élève de doutes. Le diable a demandé Job, et il l’a obtenu r. Dans cette épître elle-même n’avez-vous pas lu que celui qui commet le péchéest né du diable s ? Non pas qu’il ait été créé par le diable, mais parce qu’il l’imite. N’est-il pas encore écrit de lui : « Il ne s’est pas tenu dans la vérité t ? » N’est-il pas cet antique serpent qui, par l’intermédiaire de la femme, a glissé le poison dans le cœur du premier homme u ? Ce fut lui qui conserva à Job sa femme, afin d’en faire pour ce malheureux, non pas un sujet de consolation, mais un instrument de tentation v. Le diable a lui-même demandé ce saint homme pour l’éprouver, et il l’a obtenu. L’Apôtre a conjuré le Seigneur d’éloigner de lui cet aiguillon de la chair, et sa demande a été repoussée ; et, néanmoins, l’Apôtre a été plus exaucé que le diable. En effet, quoique ses désirs n’aient pas abouti, Paul a été exaucé relativement au salut de son âme ; le diable l’a été dans ses volontés, mais pour sa damnation. Job lui a été abandonné pour être tenté, afin que, son épreuve finie, le démon fût tourmenté à son tour. Ceci, mes frères, se voit non-seulement dans les livres de l’Ancien Testament, mais encore dans l’Évangile. Au moment où il les chassait du corps d’un homme, les démons demandèrent au Sauveur la permission de se retirer dans un troupeau de porcs. Est-ce que le Sauveur ne pouvait pas leur dire qu’il leur défendait même d’aller là ? S’il n’y avait pas consenti, il est sûr qu’ils ne se seraient pas révoltés contre le roi du ciel et de la terre. Par une évidente et mystérieuse grâce, par une disposition toute particulière de sa providence, il les laissa donc se jeter dans un troupeau de porcs w, afin de montrer que le diable règne en maître sur ceux qui se conduisent à la manière des pourceaux. Maintenant, les démons ont-ils été exaucés ? L’Apôtre ne l’a-t-il pas été ? Ou plutôt, ne devons-nous pas dire ce qui est plus conforme à la vérité, à savoir qu’en réalité l’Apôtre a été exaucé, et que les démons ne l’ont pas été ? Leur volonté a été faite, mais l’innocence de Paul a été perfectionnée. 8. D’après cela, nous devons comprendre que si Dieu refuse d’obtempérer à nos désirs, il nous ménage le salut. Qu’adviendra-t-il si tu demandes une chose qui te serait nuisible, et que le médecin sache combien elle peut t’être nuisible ? Il est sûr qu’il reste sourd à tes demandes. Demande-lui, parexemple, de l’eau froide ; quand elle doit être inoffensive, il te la donne ; mais il te la refuse, si elle est capable de te nuire ; dès lors qu’il ne cède pas à tes instances, peut-on dire qu’il ne t’écoute pas, ou plutôt, ne faut-il pas dire qu’il t’écoute pour te guérir ? Mes frères, que la charité soit en vous ; qu’elle soit en vous, et soyez tranquilles ; quand vous demandez sans recevoir, Dieu vous exauce, mais vous l’ignorez. Plusieurs ont été livrés entre leurs propres mains pour leur malheur ; c’est d’eux que l’Apôtre dit : « Dieu les a abandonnés aux désirs de leur cœur x ». Un homme a demandé une fortune considérable ; il l’a obtenue pour son malheur. Lorsqu’il ne la possédait pas, il éprouvait peu de craintes ; depuis qu’il en jouit, il est devenu la proie de plus fort que lui. N’a-t-il pas été exaucé pour son malheur, celui qui a désiré du bien temporel ? Quand il était pauvre, personne ne pensait à lui ; aujourd’hui les voleurs lui tendent des piéges pour le dépouiller. Apprenez à prier Dieu ; confiez-vous à lui comme à votre médecin ; qu’il fasse comme il l’entend. À toi de déclarer ton mal ; à lui d’y appliquer le remède. Aie seulement soin de conserver la charité. Car il veut trancher dans le vif, il veut brûler ; tu cries et tu ne peux l’empêcher de couper, de brûler, de faire mal ; il sait, lui, jusqu’où va la plaie. Tu veux qu’il retire vite la main ; pour lui, il sonde la blessure. dans toute sa profondeur. Il repousse tes prières, mais il écoute l’intérêt de ta santé. Soyez donc assurés, mes frères, de la vérité de ce que dit l’Apôtre : « Nous ne savons ce que nous devons demander dans la prière ; mais l’Esprit demande lui-même pour nous, par des gémissements inénarrables, parce que lui-même interpelle pour les saints y ». Qu’est-ce à dire : « L’Esprit lui-même interpelle pour les saints », sinon la charité elle-même que l’Esprit a déposée dans ton cœur ? Voilà, en effet, pourquoi le même Apôtre dit ailleurs : « La charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné z». La charité elle-même gémit ; elle prie : Celui qui nous l’a donnée, ne sait point fermer l’oreille à ses cris. Sois tranquille ; que ta charité prie. il y a là des oreilles pour l’écouter ; ce sont celles de Dieu ; ce que tu désires, il ne le fait pas, mais il fait ce qui t’estutile. Donc, « tout ce que nous demanderons, nous le recevrons de lui ». Je l’ai déjà dit : si tu comprends ces paroles dans le sens du salut, elles n’offrent pas la moindre difficulté. Si tu les entends dans un autre sens, tu y trouves une difficulté, et une grande, et, en conséquence, tu accuses à tort l’apôtre Paul : « N’importe ce que nous demandions, nous le recevrons de lui, parce que nous gardons ses commandements et que nous faisons, en sa présence, ce qui lui plaît ». « En sa présence », au fond du cœur où plongent ses regards. 9. Et quels sont ces commandements ? « Or », dit Jean, « le commandement qu’il nous a donné est de croire au nom de son Fils « Jésus-Christ, et de nous aimer les uns les a autres ». Vous voyez que tel est son commandement ; vous voyez que quiconque le viole, commet un péché dont reste innocent celui qui est né de Dieu. « Comme il nous l’a prescrit », de nous aimer les uns les autres. « Et celui qui garde les commandements de Dieu » ; vous voyez qu’il ne nous ordonne rien autre chose que de nous aimer mutuellement. N’est-il pas évident que la présence du Saint-Esprit dans une âme a pour effet d’y établir l’amour et la charité ? Ce que dit l’apôtre Paul n’est-il pas hors de doute : « La charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint, qui nous a été donné ? » Parlant de la charité, il disait qu’en présence de Dieu, nous devons interroger notre cœur. « S’il ne nous rend pas un mauvais témoignage », c’est-à-dire, si tout ce que nous faisons de bien, nous le faisons par amour de nos frères. Ajoutons à cela, qu’en parlant aussi du commandement de Dieu, il s’exprime ainsi : « Or, le commandement qu’il nous a donné est de croire en son Fils Jésus-Christ, et de nous aimer les uns les autres. Et, quiconque observe le commandement de Dieu, demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui ; et c’est par l’Esprit qu’il nous a donné que nous connaissons qu’il demeure en nous ». Car si tu reconnais que tu as la charité, c’est que tu as l’Esprit de Dieu pour le comprendre ; or, c’est une chose singulièrement nécessaire à savoir. 10. Dans les premiers temps, l’Esprit-Saint descendait sur les fidèles ; ils parlaient, selon que l’Esprit leur donnait de le faire, un langage qu’ils n’avaient jamais appris à parler. C’était un signe approprié au temps ; il était, en effet, nécessaire que le Saint-Esprit se manifestât dans toutes les langues, puisque l’Évangile de Dieu devait être annoncé dans toutes les langues et dans toutes les contrées de l’univers. Ce signe a eu lieu, puis il a cessé d’être. Maintenant, quand on impose les mains à des hommes pour leur communiquer le Saint-Esprit, est-ce qu’on attend d’eux qu’ils parlent toutes les langues ? Ou bien encore, lorsque nous avons imposé les mains à ces petits enfants, chacun de vous a-t-il attendu pour voir s’ils parleraient toutes les langues, et, voyant qu’ils ne les parlaient pas, s’est-il trouvé assez mal disposé pour dire : Ces enfants n’ont pas reçu l’Esprit-Saint ; car, s’ils l’avaient reçu, ils parleraient toutes les langues, comme cela se faisait autrefois ? Si donc le miracle des langues n’atteste plus aujourd’hui la présence du Saint-Esprit, comment et à quel signe peut-on reconnaître qu’on l’a reçue ? Il faut interroger son cœur ; si l’on aime le prochain, c’est la preuve qu’on a en soi l’Esprit de Dieu. Qu’on s’examine, qu’on s’éprouve en présence du Seigneur ; que l’on voie si l’on a en soi l’amour de la paix et de l’union, l’amour de l’Église répandue par toute la terre. On doit être attentif à ne pas aimer seulement le frère que l’on a devant soi, car il en est beaucoup d’autres que nous ne voyons pas, et avec lesquels nous sommes liés dans l’unité de l’Esprit. Est-ce chose étonnante s’ils ne sont pas avec nous ? Nous formons tous un seul corps, qui a son unique tête dans le ciel. Mes frères, nos yeux ne se voient pas, ils semblent ne pas se connaître, mais sont-ils étrangers l’un à l’autre ? Non, car faisant partie du même corps, ils sont unis ensemble. Remarquez bien, en effet, comme l’union, qui existe entre eux, les familiarise l’un avec l’autre. Quand tous les deux sont ouverts, il est impossible à l’œil droit de se porter sur un objet, sans que l’œil gauche s’y porte en même temps. Dirige, si tu le peux, la vue de l’un d’un côté quelconque, sans y diriger aussi la vue de l’autre. Ils remuent ensemble ; ensemble ils se fixent dans la même direction ; l’endroit qu’ils occupent n’est pas le même ; leur action est une. Dès lors que tous ceux qui aiment Dieu avec toi, ont la même volonté que toi, tu n’as pas à t’inquiéter de ce que, corporellement, ils ne se trouvent pas dans le même endroit ; car vous avez, les uns et les autres, fixé les regards de votre 'cœur sur la lumière de la vérité. Si donc tu veux savoir si tu as reçu l’Esprit, interroge ton cœur, de peur qu’ayant reçu le sacrement, tu n’en aies pas intérieurement la grâce. Interroge ton cœur, et si la charité fraternelle y est, sois tranquille. La charité ne peut s’y trouver sans l’Esprit-Saint ; car Paul dit hautement. « La charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit, qui nous a été donné ». 11. « Mes bien-aimés, ne croyez pas à tout esprit ». Car Jean avait déjà dit : « C’est par l’Esprit qu’il nous a donné que nous connaissons qu’il demeure en nous ». Faites bien attention à ce qui nous fait reconnaître cet Esprit : « Mes bien-aimés, ne croyez pas à tout Esprit, mais éprouvez si les esprits sont de Dieu ». Quel est celui qui éprouve les esprits ? Difficile question à résoudre, mes frères. Il est bon que Jean lui-même nous le dise, afin que nous le sachions. Il nous le dira, ne vous épouvantez pas ; mais, avant tout, voyez, faites attention. Le texte lui-même nous explique ce qui donne à d’orgueilleux hérétiques le prétexte de nous calomnier. Remarquez, voyez ce que dit l’Apôtre : « Mes bien-aimés, ne croyez pas à tout esprit, mais éprouvez si les esprits sont de Dieu ». Dans l’Évangile, l’Esprit-Saint est désigné sous l’emblème de l’eau ; car le Sauveur a crié et dit : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive. Celui qui croit en moi, des fleuves d’eau vive couleront de son sein ». L’Évangéliste a fait connaître pourquoi Jésus parlait ainsi, car il a ajouté : « Il disait cela, à cause de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui ». Pour quel motif le Sauveur n’a-t-il point baptisé un grand nombre de personnes ? Mais que dit Jean ? « Mais le Saint-Esprit n’était pas encore donné, parce que Jésus n’était pas encore glorifié aa ». Ils avaient donc reçu le baptême, mais non encore le Saint-Esprit, que le Sauveur envoya du haut du ciel, le jour de la Pentecôte ; pour le recevoir, il fallait préalablement que Jésus fût glorifié. Néanmoins, avant d’être glorifié, avant d’envoyer son Esprit, il engageait les hommes à se montrer dignes de recevoirl'eau, dont il disait : « Celui qui a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive ; celui qui croit en moi, des fleuves d’eau a vive couleront de son sein ». Qu’est-ce à dire : « Des fleuves d’eau vive ? » Qu’est-ce que cette eau ? Que personne ne m’interroge ; consulte l’Évangile. « Il disait cela à cause de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui ». Autre chose est donc l’eau du sacrement, autre chose l’eau qui est l’emblème de l’Esprit de Dieu ; l’eau du sacrement est visible, on ne voit pas celle qui figure l’Esprit. L’eau, en lavant le corps, est le signe de ce qui se passe dans l’âme ; par cet Esprit, l’âme est purifiée et nourrie. C’est cet Esprit que ne peuvent posséder ni les hérétiques, ni ceux qui se séparent de l’Église. Et ceux-là n’ont pas non plus cet Esprit, qui se séparent de l’Église secrètement par le péché, et qui, intérieurement, sont aussi légers que de la paille, et ne sont pas du froment. Cet Esprit, le Sauveur l’a représenté sous l’emblème de l’eau ; nous, avons lu ceci dans l’épître de Jean : « Ne croyez pas à tout esprit » ; et à cela reviennent encore ces paroles de Salomon : « Abstiens-toi de l’eau de l’étranger ». Qu’est-ce que l’eau ? L’esprit. L’eau est-elle toujours l’emblème de l’esprit ? Pas toujours. En certains endroits de l’Écriture, elle signifie l’esprit ; en d’autres, le baptême ; en ceux-ci, les nations ; en ceux-là, la prudence. Il est dit quelque part : « La prudence est une source de vie pour celui qui la possède ab ». En différents passages de l’Écriture, le mot eau a donc des sens divers. Ici, cependant, et sous ce vocable, vous avez reconnu l’Esprit-Saint ; non pas d’après notre interprétation, mais d’après le témoignage de l’Évangile ; car il y est dit : « Mais il parlait ainsi, à cause de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui ». Puisque le mot eau signifie Esprit-Saint, et que cette épître nous dit : « Ne croyez pas à tout esprit, mais éprouvez si les esprits sont de Dieu », nous devons le comprendre, c’est en ce sens qu’il est écrit : « Abstiens-toi de l’eau de l’étranger, ne bois pas à une source étrangère ac ». Qu’est-ce à dire : « Ne bois pas à une source étrangère ? » Ne crois pas à un esprit étranger. 12. Reste donc à savoir comment on éprouve si l’esprit est de Dieu. Jean nous en a indiquéle signe ; mais ce signe est peut-être difficile à saisir ; examinons cependant. Il nous faut revenir à la charité ; c’est elle qui nous instruit, parce qu’elle est cette onction. Toutefois, que dit ici l’Apôtre ? « Eprouvez si les esprits sont de Dieu ; car il est venu beaucoup de faux prophètes dans le monde ». Voilà bien désignés tous les hérétiques et tous les schismatiques. Comment donc est-ce que j’éprouve l’Esprit ? Jean continue : « Voici comment on reconnaît l’Esprit de Dieu ». Prêtez l’oreille de votre cœur. Nous nous tourmentions et nous disions : Qui le connaît ? qui le discerne ? L’Apôtre va nous dire son signe distinctif : « Voici comment on reconnaît l’Esprit de Dieu. Tout-esprit qui confesse que Jésus-Christ est venu dans la chair, est de Dieu ; et tout esprit qui divise Jésus-Christ, n’est point de Dieu, et c’est là l’antéchrist dont vous avez ouï dire qu’il doit venir, et il est déjà dans le monde ». Nous dressons les oreilles comme si nous allions apprendre à discerner les esprits ; et nous entendons de telles choses, que le discernement est, pour nous, encore aussi difficile. En effet, que dit Jean ? « Tout esprit qui confesse que Jésus-Christ est venu dans la chair, est de Dieu ». L’esprit qui se trouve chez les hérétiques, est donc de Dieu, puisqu’ils confessent que Jésus-Christ est venu dans la chair ? Peut-être, à ces paroles, se lèvent-ils déjà contre nous, et disent-ils Vous, vous n’avez pas l’Esprit de Dieu ; mais nous, nous confessons que Jésus-Christ est venu dans la chair, et Jean a déclaré que l’Esprit de Dieu n’habite pas en ceux qui refusent de confesser que Jésus-Christ est venu dans la chair. Questionne les Ariens ; ils confessent que Jésus-Christ est venu dans la chair ; interroge les Eunoméens : ils confessent que Jésus-Christ est venu dans la chair ; les Macédoniens : ils confessent que Jésus-Christ est venu dans la chair ; les Cataphryges : ils confessent que Jésus-Christ est venu dans la chair ; les Novatiens : ils confessent que Jésus-Christ est venu dans la chair. Tous les hérétiques ont-ils donc l’Esprit de Dieu ? Il n’y a donc pas de faux prophètes ? Il n’y a donc, de leur part, ni déception, ni séduction ? Certainement ils sont des antéchrists ceux qui sont sortis du milieu de nous sans être, néanmoins, des nôtres. 13. Que faire donc ? Comment discerner les esprits ? Attention ! Marchons tous de cœur, et frappons. La charité même veille, parce que c’est elle qui doit frapper, c’est elle qui doit ouvrir. Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, vous comprendrez dans un instant. Vous savez qu’il a été dit précédemment : « Celui qui nie que Jésus-Christ soit venu dans la chair, est un antéchrist ad ». Sur ce texte, nous avons cherché à savoir qui est-ce qui le nie, et nous nous sommes aperçu que ce n’est ni nous ni les hérétiques précités, mais nous avons vu que certains le sont par leur conduite ▼▼Traité 3, 2, 7-9
; et, à l’appui, nous avons cité ces paroles de l’Apôtre : « Ils font profession de connaître Dieu, « mais ils le nient par leurs œuvres af ». Cherchons donc de même maintenant à savoir comment on nie Dieu, sinon de parole, au moins par les œuvres. Quel est l’esprit qui n’est pas de Dieu ? « Celui qui nie que Jésus-Christ soit venu dans la chair ». Et quel est l’esprit qui est de Dieu ? « Celui qui confesse que Jésus-Christ est venu dans la chair ». Quel est celui qui confesse que Jésus-Christ est venu dans la chair ? Voilà, mes frères, le moment venu d’examiner les œuvres, sans tenir compte des paroles. Voyons pourquoi le Christ est venu dans la chair, et nous saurons qui sont ceux qui nient qu’il y soit venu. Si tu ne fais attention qu’à la profession de foi, tu le remarqueras, beaucoup d’hérétiques confessent que Jésus-Christ est venu dans la chair ; mais la vérité les condamne. Car pourquoi le Christ est-il venu dans la chair ? N’était-il pas Dieu ? N’est-ce pas de lui qu’il est écrit : « Au commencement était le Verbe, « et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était a Dieu ag ? » N’était-ce pas lui qui nourrissait les anges ? N’est-ce pas lui qui les nourrit ? N’est-il pas vents du ciel sans le quitter ? N’y est-il pas remonté, sans pour cela nous abandonner ? Pourquoi donc est-il venu dans la chair ? Parce qu’il fallait nous faire entrevoir l’espérance de ressusciter. Il était Dieu, et il s’est incarné ; comme Dieu, il ne pouvait mourir ; en tarit qu’homme, il en était susceptible ; il s’est donc fait homme, afin de mourir pour nous. Mais comment est il mort pour nous ? « Personne ne peut témoigner un plus grand amour qu’en mourant pour ses amis ah ». C’est donc par charité qu’il s’estfait homme. D’où il suit que quiconque n’a pas la charité, nie que le Christ soit venu dans la chair. Adresse maintenant cette question à n’importe quel hérétique : Le Christ est-il venu dans la chair ? – Oui, je le crois, je le confesse.— Bien mieux, tu le nies.— Comment cela ? Est-ce que tu ne m’entends point parler ? – Non. Tu le nies, et je t’en donne la preuve. Oui, tu le confesses de bouche, mais tu le nies de cœur, tes paroles en sont un aveu, tes actes un démenti.— Comment est-ce que je le nie par mes œuvres ? – Parce que le Christ s’est incarné afin de mourir pour nous, et il est mort pour nous, parce qu’il nous a montré beaucoup de charité. « Personne ne peut témoigner un plus grand amour que de mourir pour ses amis ». Tu n’as pas la charité, parce que, pour t’élever, tu scindes l’unité. De là, comprenez quel est l’esprit de Dieu. Frappez, touchez ces vases d’argile pour voir s’ils ne craquent pas, s’ils ne donnent pas un son faux ; voyez si leur son est net, si la charité se trouve en eux. Tu te sépares violemment de l’union avec le monde entier, tu divises l’Église par des schismes, tu mets en lambeaux le corps du Christ 1 s’est fait homme pour nous réunir tous, et toi, tu cries pour nous diviser. C’est donc l’Esprit de Dieu qui dit que Jésus-Christ est venu dans la chair, qui le dit, non de bouche, mais d’effet ; qui le dit, non pas en faisant du bruit, mais en l’aimant. Mais cet esprit n’est pas de Dieu, qui nie que Jésus-Christ soit venu dans la chair ; qui le nie, lui aussi, non de bouche, mais par sa conduite, non par parole, mais d’effet. Ce qui nous aide à discerner nos frères est donc nettement indiqué. Beaucoup le sont réellement, parce qu’ils le sont du fond du cœur ; mais personne ne l’est extérieurement, à moins que l’extérieur ne soit pas trompeur. 14. Remarquez bien que Jean en revient aux œuvres : « Et tout esprit qui divise le Christ et nie qu’il soit venu dans la chair, n’est pas de Dieu ». Diviser par les œuvres, s’entend. Que te montre l’Apôtre ? Celui qui nie, puisqu’il dit : « Il divise ». Le Christ était venu établir l’union, et toi, tu viens semer la division. Tu veux disloquer les membres du Christ. Comment ? Tu ne nies pas que le Christ soit venu dans la chair, et tu brises l’Église de Dieu que le Christ avait faite une ? Tu marches donc à l’encontre du Christ ; tu es, par conséquent, un antéchrist. Au dedans ou au-dehors, peu importe ; tu n’en es pas moins un antéchrist ; un antéchrist caché, si tu l’es intérieurement ; un antéchrist déclaré, si tu l’es au-dehors ; voilà toute la différence. Tu brises le Christ et tu nies qu’il soit venu dans la chair ; tu n’es pas de Dieu. C’est pourquoi le Sauveur dit dans l’Évangile : « Celui qui détruira l’un de ces moindres commandements et qui instruira ainsi les hommes, sera le dernier dans le royaume des cieux ». Qu’est-ce à dire : Est détruit ? Qu’est-ce à dire : Est enseigné ? Est détruit par les œuvres ; est enseigné comme de bouche. « Vous qui prêchez qu’il ne faut pas dérober, vous dérobez ai ». Celui qui dérobe détruit le précepte par sa conduite, et il semble ainsi recommander le vol. « Il sera le dernier dans le royaume des cieux », c’est-à-dire dans l’Église du temps. De cet homme il a été dit : « Faites ce qu’ils vous disent ; mais ce qu’ilsfont, ne le faites pas aj. Mais celui qui fera et « enseignera sera appelé grand dans le royaume des cieux ak ». Il oppose ici le mot« fera » au mot « détruira » qu’il a dit plus haut ; en d’autres termes : Celui qui fera et qui enseignera de la même façon. Par conséquent, celui qui ne fait pas, détruit. Que nous enseigne-t-il, sinon à examiner les actes et à ne pas nous fier aux paroles ? L’obscurité des choses nous force à parler beaucoup, car notre principal but est de mettre à la portée de nos frères, même les plus arriérés, ce que le Sauveur a bien voulu nous révéler ; en effet, ils ont tous été rachetés au prix du sang du Christ. Je crains même que cette Epître ne soit pas, comme je l’avais promis, complètement expliquée ces jours-ci ; mais, s’il plaît à Dieu, il vaudra mieux ne pas terminer tout à fait que surcharger vos cœurs d’une nourriture trop abondante. SERMON CLXXXII. DE LA CROYANCE A L’INCARNATION al.
ANALYSE. – Dans ce discours et dans le discours suivant, qui n’est que comme une seconde partie de celui-ci, saint Augustin veut faire comprendre la vérité de cette assertion de saint Jean l’évangéliste, que tout esprit, croyant véritablement à l’Incarnation, vient de Dieu, et qu’il n’y a pour venir de Dieu que ceux qui y croient de cette sorte. Après avoir rapporté le texte et en avoir établi le sens ; donc, conclut-il, les Manichéens ne viennent pas de Dieu, puisqu’ils nient ouvertement l’incarnation du, Christ. En vain s’appuient-ils sur le texte même de saint Jean pour essayer de prouver la réalité des deux natures opposées qu’ils présentent comme les principes de toutes choses. Il est évident que d’après l’Apôtre c’est l’erreur môme et non l’homme qui ne vient pas de Dieu ; ce qui démontre en même temps que la nature humaine n’est pas une partie de Dieu, puisque Dieu ne saurait se tromper. Or, non-seulement l’homme se trompe, mais il pèche encore très-souvent par faiblesse. L’orateur termine en annonçant qu’il continuera dans le discours suivant le développement du même sujet. 1. Pendant qu’on lisait l’apôtre saint Jean, nous avons entendu l’Esprit-Saint nous dire par sa bouche : « Mes bien-aimés, gardez-vous de croire à tout esprit, mais éprouvez les esprits pour savoir s’ils viennent de Dieu ». Je répète, car il est nécessaire de répéter et d’imprimer fortement, avec la grâce de Dieu, ce texte dans vos esprits : « Mes bien-aimés, gardez-vous d’ajouter foi à tout esprit, mais éprouvez les esprits pour savoir s’ils viennent de Dieu ; parce que beaucoup de faux prophètes se sont élevés dans le monde ». Le Saint-Esprit nous défend donc de croire à tout esprit ; de plus, il fait connaître le motif de cette défense. Quel est ce motif ? « C’est que beaucoup de faux prophètes se sont élevés dans le monde ». D’où il suit que mépriser cette défense et avoir confiance en tout esprit, c’est se jeter nécessairement dans les bras des faux prophètes, et, ce qui est pire, outrager les prophètes de vérité. 2. Une fois sur la réserve, à cause de cette défense, ne va-t-on pas me dire : J’entends, je n’oublierai pas, je veux obéir, car ni moi non plus je ne veux pas me briser contre les faux prophètes ? Eh ! qui voudrait être dupe du mensonge ? Or, le faux prophète est un prophète de mensonge. Voici un homme religieux ; il ne veut pas tromper. Voici un impie et un sacrilège ; il veut bien tromper, mais il ne veut pas être trompé. Il s’ensuit que si les bons ne veulent pas tromper, ni les bons ni les méchants ne veulent être déçus. Qui donc veut être séduit par les faux prophètes ? Je connais le conseil que l’on me donne ; mais ce n’est mais que malgré soi qu’on se laisse abuser par un faux prophète. J’ai entendu cette défense de Jean, ou plutôt du Seigneur s’exprimant par sa bouche : « Gardez-vous de croire à tout esprit ». J’y acquiesce, je veux m’y conformer. Il ajoute : « Mais éprouvez les esprits, pour savoir s’ils viennent de Dieu » ; Comment les éprouver ? Je désirerais le faire ; mais ne puis-je me tromper ? Et pourtant, si je n’éprouve pas les esprits qui viennent de Dieu, je me jetterai inévitablement dans ceux qui ne viennent pas de lui, et conséquemment je serai dupe des faux prophètes. Que faire donc ? Que considérer ? Oh ! si non content de nous avoir dit : « Gardez-vous de croire tout esprit, mais éprouvez quels esprits viennent ! de Dieu », saint Jean nous daignait indiquer encore à quels signes on les reconnaît ! – Eh bien ! ne t’inquiète pas, écoute. « Voici comment se distingue l’Esprit de Dieu », dit-il. Que voulais-tu savoir ? Le moyen d’éprouver que les esprits viennent de Dieu. Or, « voici comment se distingue l’Esprit de Dieu », dit encore saint Jean, saint Jean et non pas moi, et c’est ce qui suit immédiatement dans le passage que j’explique. En effet, après nom avoir avertis d’être sur nos gardes et de ne pas ajouter foi à tout esprit, mais d’éprouver quels esprits viennent de Dieu, attendu que beaucoup de faux prophètes sont entrés dam le monde, il remarqua aussitôt quel désir s’éveillait en nous ; et prévenant ce désir, fixant le regard sur notre pensée silencieuse, il ajouta, et Dieu soit béni de nous avoir daigné donner par lui encore cet enseignement : « Voici comment on distingue l’Esprit de Dieu ». Courage, écoutez ; écoutez, saisissez, distinguez bien ; attachez-vous à la vérité, résistez à ce qui est faux. « Voici comment se reconnaît l’Esprit de Dieu ». Comment, de grâce ? C’est ce que j’ambitionne d’apprendre : « Tout esprit qui confesse que Jésus-Christ est venu dans la chair, est de Dieu ; et tout esprit qui nie que Jésus-Christ se soit incarné, n’est pas de Dieu am ». Par conséquent, mes bien-aimés, repoussez dès maintenant loin de vous tout raisonneur, tout prédicateur, tout écrivain et tout calomniateur qui nie l’Incarnation de Jésus-Christ. Par conséquent aussi, éloignez les Manichéens de vos demeures, de vos oreilles et de vos cœurs ; car les Manichéens nient hautement cette Incarnation du Christ ; d’où il suit que leurs esprits ne viennent pas de Dieu. 3. Je vois ici par où le loup cherche à pénétrer ; je le vois et je vais montrer de toutes mes forces combien il faut s’en détourner. J’ai dit, ou plutôt j’ai rappelé ces paroles de l’Apôtre : « Tout esprit qui nie l’Incarnation de Jésus-Christ, ne vient pas de Dieu ». Or les Manichéens incidentent sur ce passage et s’écrient : Puisque l’esprit qui nie l’Incarnation de Jésus-Christ ne vient pas de Dieu, d’où vient-il ? Oui, d’où vient-il, s’il ne vient pas de Dieu ? Dès qu’il existe, ne vient-il pas sûrement d’ailleurs ? Mais, dès qu’il ne vient pas de Dieu et qu’il vient d’ailleurs, ne vois-tu pas ici l’existence des deux natures ? Voilà bien le loup ; tendons des rêts pour nous préserver, poursuivons-le, saisissons-le, puis l’égorgeons. Oui, égorgeons-le, mort à l’erreur ; mais aussi salut à l’homme. Ces seuls mots que je viens de prononcer : Saisissons-le et l’égorgeons ; mort à l’erreur et salut à l’homme, tranchent la question. Mais rappelez-vous ce que j’ai avancé ; car si vous oubliez la question, vous ne comprendriez pas la réponse. « Tout esprit qui nie l’Incarnation de Jésus-Christ ne vient pas de Dieu ». D’où vient-il donc, s’écrie aussitôt le Manichéen ? S’il ne vient pas de Dieu, il vient d’ailleurs ; et s’il vient d’ailleurs, voilà mes deux natures. – Retenez bien cette objection et reportez vos esprits sur ces mots : Saisissons et égorgeons, mort à l’erreur et salut à l’homme. L’erreur ne vient pas de Dieu, mais de Dieu vient l’homme. Encore les paroles qui renferment la question : « Tout esprit qui nie l’Incarnation de Jésus-Christ ne vient pas de Dieu ». J’ajoute : « Par lui tout a été fait an. – Que tout esprit loue le Seigneur ao ». Mais si tout esprit ne vient pas de Dieu, comment l’esprit qui ne vient pas de lui est-il appelé à louer le Seigneur ? Oui, que tout esprit loue le Seigneur. Je vois ici deux choses, je vois un malade ; guérissons le mal et sauvons la nature. Le mal n’est pas la nature, il en est l’ennemi. Supprime le mal qui te fait languir, restera la nature qui te portera à bénir. N’est-ce pas contre le mal et non contre la nature que se déclare la médecine ? « Tout esprit qui nie l’Incarnation de Jésus-Christ ne vient pas de Dieu ». C’est en tant qu’il nie cette Incarnation, qu’il ne vient pas de Dieu, attendu que ce n’est pas de Dieu que vient cette erreur. Pourquoi, mes frères, notre régénération ? Pourquoi une seconde naissance, si la première était parfaite ? Cette seconde naissance est destinée à réparer la nature corrompue, à relever la nature tombée, à réformer et à embellir la nature dégradée et défigurée. Car au seul Créateur, Père, Fils et Saint-Esprit ; à cette unité en trois personnes, à cette Trinité en une seule nature, à cette seule nature immuable et invariable, qui ne peut ni défaillir ni progresser, il appartient et de ne pas tomber pour s’amoindrir, et de ne pas s’élever pour s’agrandir, car elle est seule parfaite, seule éternelle et seule immuable sous tous rapports. Quant à la créature, toute bonne qu’elle soit, à quelle distance elle est du Créateur ! Vouloir égaler la créature au Créateur, c’est chercher à s’unir à l’ange apostat. 4. Que l’âme sache donc ce qu’elle est ; elle n’est pas Dieu. En se croyant Dieu elle outrage Dieu, et au lieu d’être sauvée par lui, elle est par lui condamnée. En condamnant les âmes perverses, Dieu ne se condamne pas ; or, il se condamnerait, si l’âme était Dieu. Ah ! mes frères, honorons notre Dieu. Nous lui crions : « Délivrez-nous du mal ap ». Un souffle tentateur vient-il te troubler durant la prière et te dire : Pourquoi crier « délivrez-nous du mal ? » Ne prétends-tu point que le mal ne subsiste pas ? – Réponds-lui : C’est moi qui suis mal, et si Dieu me délivre du mal, je serai bon, de mauvais que je suis. Ah ! qu’il me délivre de moi, pour que je ne me jette pas en toi. Quant au Manichéen, dis-lui : Si Dieu me délivre de moi, je ne m’abandonnerai pas à toi. En effet, si Dieu me délivre de moi, qui suis mauvais, je serai bon ; si je suis bon, je serai sage ; si je suis sage, je ne m’égarerai pas ; et si je ne m’égare pas, je ne pourrai être séduit par toi. Oui, que Dieu me délivre de moi, pour que je ne me livre pas à toi. Le mal en moi serait de m’égarer et de te croire ; car mon âme est remplie d’illusions aq. Pour moi donc je ne suis pas lumière ; lumière, je ne m’égarerais pas. C’est ce qui prouve que je ne suis pas une portion de la divinité. En effet, la nature de Dieu, la substance même de Dieu ne saurait tomber dans l’erreur. Or j’y tombe, moi ; tu l’avoues toi-même, puisque avec la prétention d’être sage tu travailles à me sauver de l’erreur. Mais tomberais-je dans l’erreur, si j’étais de la nature de Dieu ? Rougis et rends-lui gloire. Je soutiens même qu’aujourd’hui encore tu es dans de profondes erreurs, et tu avoues, toi, avoir été dans l’égarement. C’était donc la nature de Dieu qui s’était égarée ? la nature de Dieu qui se plongeait dans la débauche ? la nature de Dieu qui se livrait à l’adultère ? la nature de Dieu qui commettait des abominations ? la nature de Dieu qui marchait en aveugle ? la nature de Dieu qui se précipitait dans toutes sortes de forfaits et d’impuretés ? Rougis et rends gloire à Dieu. 5. Tu ne saurais être ta propre lumière, non, non. « Il existait une lumière véritable ». C’est par rapport à Jean qu’il est écrit : « Il existait une vraie lumière ». – Mais Jean n’était-il pas lumière aussi ? « Il était un flambeau ardent et luisant », a dit de lui le Seigneur ar. – Mais un flambeau n’est-il pas une lumière ? Sans doute, mais il est parlé ici de « la lumière véritable ». On peut allumer un flambeau, on peut aussi l’éteindre. Quant à la lumière véritable, on peut y allumer, mais on ne saurait l’éteindre. « Celui-là donc était la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde as ». Ainsi nous avons besoin d’être éclairés et nous ne sommes pas la lumière. Réveille-toi donc et crie avec moi ; « C’est Seigneur qui m’éclaire at ». Et maintenant, diras-tu encore qu’il n’y a pas des choses mauvaises ? Il y en a, mais et sont susceptibles de changement ; et une fois changées elles sont bonnes, attendu que mal est en elles un défaut et non pas leur nature. Que signifie : « Délivrez-nous du mal ? » Ne pourrions-nous pas, ne pouvons-nous dire encore : Délivrez-nous des ténèbres ? De quel ténèbres ? De nous-mêmes, s’il y reste encore quelques traces d’erreurs, et jusqu’à ce que nous ne soyons plus que lumière, ne ressentant plus rien d’opposé à la charité, d’opposé à la vérité, rien qui soit sujet à la faiblesse, rien qui fléchisse sous le poids de la mortalité. Ah ! quelle transformation totale, lorsque corps corruptible sera revêtu d’incorruptibilité, lorsque ce corps mortel se revêtira d’immortalité ! « Alors s’accomplira cette parole de l’Écriture : La mort est anéantie dans sa victoire. O mort, où est ton ardeur au combat ? O mort, où est ton aiguillon ? Cet aiguillon de la mort est le péché au ». Où donc alors sera le mal ? 6. Quels sont maintenant les maux de l’humanité ? L’ignorance et la faiblesse. Car ou on ne sait ce qu’on fait, et l’erreur fait pécher, ou on sait ce qu’on doit faire, et on est vaincu par la faiblesse. D’où il suit que tous les maux de l’humanité consistent dans l’ignorance et la faiblesse. Pour combattre l’ignorance, écrie-toi : « Le Seigneur est ma lumière » ; et pour combattre la faiblesse : « Il est aussi mon salut av ». Aie la foi, travaille à devenir bon, et tu le seras, si mauvais que tu sois aujourd’hui. Point de scission ; c’est ta nature qu’il faut guérir et non diviser. Veux-tu savoir ce que tu es ? Ténèbres. Pourquoi ténèbres ? Eh ! mon ami, se peut-il rien de plus ténébreux qu’un homme qui prétend que Dieu est corruptible ? Crois donc, reconnais que le Christ est venu s’incarner ; qu’il a pris ce qu’il n’était pas, sans rien perdre de ce qu’il était ; qu’il a élevé l’homme jusqu’à lui, sans confondre sa nature avec la nature de l’homme. Reconnais cela, et de pervers tu deviendras bon ; de ténèbres, lumière. Est-ce une assertion fausse, et n’y a-t-il pas de quoi te convaincre ? Tu reconnais l’autorité de l’Apôtre moins toutefois que tu ne manques de sincérité Tu lis donc l’Apôtre ; de plus tu es trompé, tu trompes aussi. Comment es-tu trompé ? En t’égarant pour ton malheur. Crois-tu ensuite et dissipes-tu cette erreur ? l’Apôtre te dira : « Autrefois vous étiez ténèbres, vous êtes maintenant lumière ». Lumière, dit-il, mais « dans le Seigneur aw ». Réduit à toi, tu es donc ténèbres, et lumière avec le Seigneur. Incapable de t’éclairer toi-même, tu t’éclaires en approchant de lui, comme tu redeviens ténèbres en le quittant ; n’étant pas ta lumière, tu la reçois d’ailleurs. « Approchez-vous de lui, et soyez éclairés ax ». 7. Je le vois, mes bien-aimés, ce passage de saint Jean m’a retenu bien longtemps sur une même idée ; je sais aussi que je ne dois ni trop vous fatiguer ni vous donner outre mesure ; il faut également tenir compte de notre propre faiblesse ; car il y a dans ces paroles de saint Jean de nouvelles et immenses profondeurs. En attendant, repoussez ceux qui nient l’Incarnation du Christ, car il est sûr qu’ils ne viennent pas de Dieu. Ils n’en viennent pas, considérés comme égarés, comme pécheurs et comme blasphémateurs ; qu’ils guérissent et ils viendront de lui, car ils en viennent au point de vue de leur nature ; et quoi que j’aie dit sur ce sujet, soyez attentifs à l’enseignement des Écritures, n’ajoutez pas foi à ceux qui nient l’Incarnation du Christ. Tu me feras sans doute cette objection Quoi ! on vient de Dieu quand on reconnaît l’Incarnation du Christ ? Écoutons alors et les Donatistes qui la reconnaissent, et les Ariens qui la confessent également ; écoutons aussi soit les Eunomiens, soit les Photiniens qui professent cette croyance. Si tous les esprits qui admettent publiquement l’Incarnation viennent de Dieu, combien il y a pour l’admettre d’hérésies menteuses, séductrices, insensées ! – A cela que répondre ? Comment résoudre cette difficulté ? Quelle qu’en doive être la solution, elle ne peut se donner aujourd’hui. Je vous la dois, et exigez-la ; mais en même temps implorez le secours de Dieu et pour vous et pour moi. Tournons-nous avec un cœur pur, etc.SERMON CLXXXIII. DE LA CROYANCE A L’INCARNATION ay.
ANALYSE. – Nous l’avons dit, ce discours n’est que la suite et comme la seconde partie du précédent. Les Manichéens ne ment pas de Dieu, puisqu’ils n’admettent pas l’Incarnation du Christ. Mais dans quel sens saint Jean dit-il encore que tous si qui l’admettent viennent de Dieu ? Doit-on regarder comme venant de Dieu les Ariens, les Eunomiens, les Sabelliens, les Photiniens ? Doit-on regarder aussi comme animés de son esprit les Pélagiens, les Donatistes et en général tous les hérétiques tous les mauvais catholiques ? Assurément non, car ils professent, au moins en pratique, une idée fausse de Jésus-Christ : les Ariens, en ne reconnaissant pas sa génération éternelle ; les Eunomiens, en n’admettant pas même sa ressemblance avec le père ; les Sabelliens, en le confondant avec lui ; les Photiniens, en ne voyant en lui qu’un homme ; les Donatistes, en croyant qu’il est pas l’Époux de l’Église universelle ; les Pélagiens, en ne voulant pas qu’il ait pris une chair semblable à notre chair de péché. Ainsi en est-il de toutes les hérésies, si nous voulions les examiner en détail. Mais tout en confessant de bouche la vérité de l’Incarnation, les mauvais catholiques la renient par leurs œuvres. C’est à Dieu qu’il faut demander la grâce de conformer sa à sa croyance. 1. L’attente où je vois votre charité, exige que je paie ma dette. Vous vous souvenez, en suis sûr, de ce que je vous ai promis, avec aide du Seigneur, à propos de la dernière dure de saint Jean. Aussi en entendant le lecteur, vous m’avez senti, je n’en doute pas, obligé de m’acquitter. Le précédent discours prenant une longue étendue, nous avons ajourné l’importante question de savoir dans quel sens on doit entendre ces paroles d’une épître du bienheureux Jean, non pas de saint Jean-Baptiste, mais de saint Jean l’Évangéliste : « Tout esprit qui confesse l’Incarnation de Jésus-Christ, vient de Dieu ». Combien d’hérésies ne voyons-nous pas confesser cette Incarnation, sans que nous puissions admettre, toutefois, qu’elles viennent de Dieu ! Le Manichéen nie l’Incarnation ; mais il ne faut travailler ni beaucoup ni longtemps pour vous persuader que cette erreur n’a point Dieu pour auteur. Or, l’Arien, l’Eunomien, le Sabellien et le Photinien confessent l’Incarnation. Pourquoi chercher ici des témoins pour les confondre ? Qui pourrait compter toutes ces espèces de contagion ? Arrêtons-nous toutefois à ce qui est plus connu. Beaucoup en effet ignorent les hérésies que je viens de citer, et cette ignorance est préférable. Ce que nous savons tous, c’est que les Donatistes aussi confessent l’Incarnation ; loin de nous pourtant la pensée que cette erreur vienne de Dieu ! Pour parler même d’hérétiques plus récents, les Pélagiens admettent l’Incarnation également ; sûrement néanmoins, ce n’est pas Dieu qui leur enseigne l’erreur. 2. Appliquons-nous donc avec soin ; mes bien-aimés ; et comme nous ne révoquons point en doute la vérité de cette assertion « Tout esprit qui confesse l’Incarnation de Jésus-Christ vient de Dieu », prouvons à tous ces hérétiques que réellement ils ne la confessent pas. Si nous admettions avec eux qu’ils la confessent, ce serait avouer qu’ils viennent de Dieu. Et comment alors pourrions-nous vous détourner, vous éloigner de leurs erreurs et vous protéger contre leurs assauts avec le bouclier de la vérité ? Daigne le Seigneur nous accorder le secours que sollicite pour nous votre attente, et nous leur, montrerons qu’ils ne confessent véritablement pas l’Incarnation du Christ. 3. L’Arien entend parler et il parle à son tour du Fils de la Vierge Marie. Ne confesse-t-il pas ainsi l’Incarnation ? – Non. – Comment le prouver ? – Très-facilement, si le Seigneur répand sa lumière dans vos esprits. En effet, que cherchons-nous, si l’Arien confesse l’Incarnation du Christ ? Mais comment peut-il confesser l’Incarnation du Christ, puisqu’il nie le Christ ? Qu’est-ce que le Christ. Adressons-nous au bienheureux Pierre. Vous venez d’entendre ce qu’on a lu dans l’Évangile. Notre-Seigneur Jésus-Christ demandait ce que les hommes pensaient de lui, Fils de l’homme ; ses disciples rapportèrent quelles étaient leurs différentes manières de voir : « Les uns, dirent-ils, croient que vous êtes Jean-Baptiste, d’autres Élie, d’autres encore Jérémie ou l’un des prophètes ». Avec ces idées on ne voyait et on ne voit encore dans Jésus-Christ que l’humanité. Mais ne voir dans Jésus-Christ que son humanité, c’est ne le pas connaître ; car il n’est pas vrai de dire que Jésus-Christ ne soit qu’un homme. « Pour vous, demanda alors le Sauveur, qui dites-vous que je suis ? » Et parlant au nom de tous, parce que tous ont la même foi : « Vous êtes, répondit Pierre, le Christ, le Fils du Dieu vivant az ». 4. Voilà pour former une profession de foi vraie, une profession de foi entière. Joins a que le Christ a dit de lui à ce que Pierre dit du Christ. Qu’est-ce que le Christ a dit de lui-même ? Il a demandé ce que les hommes pensaient de lui, « Fils de l’homme ». Et Pierre ? « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Unis ces deux idées, et voilà le Christ incarné. Le Christ a dit de lui ce qui est plus humble, et Pierre a dit du Christ ce qui est plus glorieux. L’humilité a rendu témoignage à la vérité, et la vérité à l’humilité en d’autres termes, l’humilité de l’homme la vérité de Dieu, et la vérité de Dieu à l’humilité de l’homme. « Qui pense-t-on que je suis, moi, Fils de l’homme ? » J’exprime ici ce que je me suis fait pour vous ; à toi nous dire, Pierre, quel est Celui qui vous faits. Ainsi donc confesser l’Incarnation de Jésus-Christ, c’est confesser l’Incarnation du Fils de Dieu. Dis-nous, maintenant, ô Arien, si tu mets réellement cette Incarnation. Il l’admet, s’il confesse que le Christ est le Fils de Dieu mais s’il nie que le Christ soit le Fils de Dieu il ne connaît pas le Christ, il nomme l’un pour l’autre, il parle d’un autre que de lui. Qu’est-ce en effet que le Fils de Dieu ? Nous nous demandions tout à l’heure : Qu’est-ce que le Christ ? Et on nous répondait : C’est le Fils de Dieu. Demandons-nous maintenant : Qu’est-ce que le Fils de Dieu ? Le voici : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ; il était Dieu dès le commencement. – Au commencement était le Verbe ». Mais toi, Arien, que dis-tu ? « Au commencement, lisons-nous dans la Genèse, Dieu a fait le ciel et la terre ba » ; et toi tu dis au contraire : Au commencement Dieu a fait le Verbe ; car tu prétends que le Verbe a été fait, qu’il est une créature, et tu dis ainsi que Dieu l’a fait au commencement, tandis que selon l’Évangéliste il était. Et c’est parce qu’il était que Dieu a fait au commencement le ciel et la terre. « Tout a été fait par lui bb » ; et tu dis, toi, qu’il a été fait. S’il l’avait été, il ne serait pas le Fils de Dieu. 5. Car il s’agit ici d’un Fils par nature et non d’un fils par grâce ; d’un Fils unique, d’un Fils unique engendré et non pas adopté. Le Fils qu’il nous faut est un Fils vrai, un Fils « qui étant de la nature de Dieu », comme s’exprime l’Apôtre, que je nomme ici à cause des moins instruits, et pour qu’ils ne m’attribuent passes paroles, « qui étant donc, dit saint Paul, de la nature de Dieu, ne crut point usurper en s’égalant à Dieu ». Cette égalité n’était pas une usurpation, c’était sa nature même ; il l’avait de toute éternité, éternel avec son Père, égal, absolument égal à lui. « Mais il s’est anéanti » ; c’est publier son incarnation. « Il s’est anéanti ». Comment ? Est-ce en quittant ce qu’il était et en prenant ce qu’il n’était pas ? Continuons à écouter l’Apôtre : « Il s’est anéanti en prenant une nature d’esclave bc ». Ainsi donc s’est-il anéanti, en prenant une nature d’esclave et non pas en laissant sa nature de Dieu. Il s’est uni l’une sans se dépouiller de l’autre : voilà comment il faut confesser l’Incarnation ; d’où il suit que l’Arien ne la confesse pas. En effet, en ne croyant pas le Fils égal au Père, il ne le croit pas Fils. En ne croyant pas qu’il est Fils, il ne croit pas non plus qu’il est le Christ. Or, en ne croyant pas au Christ, comment croire à l’Incarnation du Christ ? 6. Ainsi en est-il de l’Eunomien, son pareil, son associé et qui a peu de différences avec lui. Les Ariens, dit-on, admettaient au moins que le Fils est semblable au Père ; ils ne le disaient point égal à lui, mais semblable ; tandis que l’Eunomien ne veut même pas de cette similitude. N’est-ce pas aussi nier le Christ ? Effectivement, si le Christ, si le vrai Fils de Dieu est à la fois égal et semblable à son Père, n’est-ce pas le nier que de prétendre qu’il n’a ni cette égalité ni cette similitude ? N’est-ce pas aussi nier par là même son incarnation ? Je demande : Le Christ s’est-il incarné ? – Oui, répond l’Eunomien. – Nous serions portés à croire qu’il a la foi. Je poursuis. – Quel est le Christ qui s’est incarné ? Est-il égal ou inégal au Père ? – 2 est inégal. – Ainsi c’est un être inégal au Père qui selon toi s’est incarné. Donc ce n’est pas le Christ, puisque le Christ est égal au Père. 7. Voici le Sabellien. Le Fils, dit-il, n’est pas distinct du Père ; c’est là qu’il fait une large ouverture à la foi pour répandre au loin le poison de sa doctrine. Le Fils, selon lui, n’est pas différent du Père. Dieu, comme il le veut, est tantôt Père et tantôt Fils. Mais ce n’est pas là le Christ, et tu t’égares si tu crois à l’incarnation d’un tel Christ ; ou plutôt tu ne crois pas à l’Incarnation du Christ, puisque cet être n’est pas le Christ. 8. Et toi, Photin, que dis-tu ? – Que le Christ n’est pas Dieu et qu’il est simplement un homme. – Ainsi tu admets en lui la nature humaine et non la nature divine. Pourtant le Christ, dans sa nature divine, est égal à Dieu, tandis que sa nature humaine le rend semblable à nous. Toi donc aussi, tu nies l’Incarnation du Christ. 9. Que pensent les Donatistes ? Il en est parmi eux qui admettent avec nous que le Fils est égal au Père et de même nature que lui ; d’autres reconnaissent l’identité de nature et rejettent l’égalité. Pourquoi argumenter contre ces derniers ? En rejetant l’égalité ils nient la filiation ; en niant la filiation ils nient le Christ. Mais dès qu’ils nient le Christ, comment croient-ils à l’Incarnation du Christ ? 10. Il faut raisonner davantage contre ceux qui confessent avec nous que le Fils est égal au Père, qu’il a la même nature et la même éternité, tout en restant Donatistes. Disons-leur donc : Vous confessez de bouche, mais vous niez par vos actes. On peut en effet nier par ses actes, et toute négation ne consiste pas en paroles, il est des négations par effets. Adressons-nous à l’Apôtre : « Tout est pur, dit-il, pour ceux qui sont purs ; mais pour les impurs et les infidèles rien, n’est pur ; leur esprit et leur conscience sont souillés. Ils publient qu’ils connaissent Dieu, et ils le nient par leurs œuvres bd ». Qu’est-ce que le nier par ses œuvres ? C’est se livrer à l’orgueil et établir des divisions ; c’est mettre sa gloire, non pas en Dieu, mais dans un homme. N’est-ce pas aussi nier le Christ, puisque le Christ aime l’unité ? Disons plus clairement encore comment les Donatistes nient le Christ. Pour nous, le Christ est celui dont saint Jean-Baptiste disait : « L’E« poux est celui à qui appartient l’épouse be ». Sainte union ! noces heureuses ! Le Christ même est l’Epoux, l’Église est l’épouse. Or, c’est l’Epoux qui nous fait connaître l’épouse. Ah ! que cet Epoux nous dise donc quelle est son épouse ; qu’il nous l’apprenne pour nous empêcher de nous égarer et de troubler la solennité sainte où il nous a conviés ; qu’il nous instruise, en nous enseignant d’abord lui-même qu’il est véritablement l’Epoux. 11. Après sa résurrection il disait à ses disciples : « Ne saviez-vous pas qu’il fallait que fût accompli tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les Prophètes et dans les Psaumes ? Alors, poursuit l’Évangéliste, il leur ouvrit l’esprit, pour leur faire comprendre les Écritures ; et il leur dit : « C’est ainsi que devait souffrir le Christ et ressusciter, le troisième jour, d’entre les morts ». Voilà quel est l’Epoux confessé par Pierre ; c’est le Fils même du Dieu vivant qui était destiné à souffrir ainsi et à ressusciter le troisième jour. Or, cet événement était accompli ; les disciples en étaient témoins ; ils voyaient le Chef divin, mais où était son corps ? Le Christ est ce Chef qui a souffert et qui est ressuscité le troisième jour ; et c’est de l’Église qu’il est le Chef ; d’où il suit que l’Église est son corps. Encore une fois, les disciples voyaient le Chef, mais non pas le corps. Dites-leur, ô Chef sacré, où est votre corps, qu’ils ne voient pas. Parlez, Seigneur Jésus, parlez, ô saint Époux, parlez-nous de votre corps, de votre épouse, de votre bien-aimée, de votre colombe, de celle à qui vous avez donné pour dot votre propre sang ; dites : « Il fallait que « le Christ souffrit et ressuscitât d’entre les a morts, le troisième jour ». Voilà pour l’Epoux. Parlez maintenant de l’épouse, écrivez sur les tablettes, dans l’acte de mariage. – Voici donc pour l’Epouse : « Et qu’on prêchât » ; c’est ce qui suit ces mots : « Il fallait que le Christ souffrît, qu’il ressuscitât d’entre les morts, et qu’on prêchât en son nom la pénitence et la rémission des péchés au milieu de toutes les nations ». Ou te cacher ? « Au milieu de toutes les nations, à commencer par Jérusalem bf ». Ce qui a été fait. Si nous lisons cette promesse, nous la voyons accomplie. Voilà à quelle lumière je marche. D’où fais-tu venir les ténèbres où tu te plonges ? Ainsi le Christ a pour épouse cette Église que l’on prêche au milieu de toutes les nations, qui se multiplie et qui s’étend jusqu’aux extrémités de la terre, à partir de Jérusalem : c’est bien de cette Église que le Christ est l’Époux. Mais toi, que prétends-tu ? Quelle est selon toi l’épouse du Christ ? La faction de Donat ? Non, non, non, non, homme, le Christ n’est pas l’Époux de cette faction ; ou plutôt, non, méchant, il n’est pas son Époux. Nous voici près du contrat, lisons-le et point de disputes. Diras-tu encore que le Christ est l’Époux de la faction de Donat ? Je lis l’acte de mariage et je constate au contraire que le Christ a pour épouse l’Église répandue par tout l’univers. Or, dire de lui ce qu’il n’est pas, c’est nier son incarnation. 12. Des hérésies que j’ai rappelées dans le peu de temps que j’ai à vous donner, reste le Pélagianisme ; car il est beaucoup d’autres hérésies encore, et j’ai dit moi-même : Qui pourrait nombrer ces sortes de contagion ? Que disent donc les Pélagiens ? Écoutez : Ils semblent d’abord admettre l’Incarnation ; mais en y regardant de près on voit qu’ils rejettent. En effet le Christ a pris une chair qui n’était pas une chair de péché, mais qui en avait la ressemblance. – Voici les termes mêmes de l’Apôtre : « Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à la chair de péché bg ». Il ne l’a pas envoyé dans une espèce de chair, dans une chair qui n’en était pas une ; mais « dans une chair semblable à la chair de péché » ; chair réelle, mais qui n’était pas une chair de péché. Or Pélage ne veut-il pas que la chair de tous les enfants sont tout à fait semblable à la chair du Christ ? Il n’en est rien, mes bien-aimés. Pourquoi mettre si fort en relief que le Christ n’avait qu’une chair semblable à la chair de péché, si toute autre chair n’était pas une chair de péché ? Qu’importe de dire que le Christ s’est incarné, quand on ne fait de lui, sous le rapport de la chair, qu’un enfant comme tous les autres ? Je te dirai donc ce que j’ai dit au Donatiste : Ce n’est pas lui. Ne vois-je pas les entrailles mêmes de l’Église notre mère rendre témoignage à la vérité ? Les mères ne courent-elles pas, leurs petits enfants dans les bras, les offrir au Sauveur pour qu’il les sauve, et non à Pélage pour qu’il les perde ? Qu’on le baptise et qu’il soit sauvé, s’écrie toute mère pieuse en apportant à la hâte son cher petit. – Qu’il soit sauvé ? réplique Pélage : il n’y a rien à sauver en lui, il n’y a en lui aucun vice, il n’a rien puisé de condamnable en puisant la vie. – S’il est vraiment égal au Christ, pourquoi recourir au Christ ? Écoute-moi donc : L’Époux, le Fils de Dieu incarné est le Sauveur des grands et des petits, des hommes mûrs et des enfants ; voilà quel est le Christ. Tu prétends au contraire qu’il est le Sauveur des grands seulement et non pas des petits ; tel n’est pas le Christ. Or, si ce n’est pas lui, il est évident que tu nies son incarnation. 13. Nous constaterions, en étudiant chaque hérésie, que toutes sont contraires à l’Incarnation ; oui, tous les hérétiques nient l’Incarnation du Christ. Pourquoi vous étonner que les païens la nient, que les Juifs la nient, que les Manichéens la nient ouvertement ? J’ose même dire à votre charité que tous les mauvais catholiques, tout en la confessant de bouche, la nient par leurs œuvres. De grâce donc, ne comptez pas sur la foi seule. Joignez à la vraie foi une vie sainte ; confessez l’Incarnation du Christ par la justice de vos Couvres aussi bien que par la vérité de vos paroles. La confession de bouche accompagnée de la négation des œuvres est une foi de mauvais catholiques qui ressemble beaucoup à la toi des démons. Écoutez-moi, mes bien-aimés, écoutez-moi, de peur que ma sueur ne dépose contre vous : Ah ! écoutez-moi. L’apôtre saint Jacques parlait de la foi et des bonnes œuvres pour condamner des esprits qui croyaient la foi suffisante, sans vouloir y joindre la pratique des vertus. Or, il s’exprimait ainsi : « Tu crois qu’il n’y a qu’un Dieu ; les démons le croient aussi, et ils tremblent bh ». De ce que les démons croient et tremblent, faut-il conclure qu’ils seront tirés du feu éternel ? Vous venez d’entendre dans l’Évangile cette réponse de Pierre : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Lisez encore, et vous verrez que les démons ont dit aussi : « Nous savons que vous êtes le Fils de Dieu ». Pierre cependant est applaudi, et le démon repoussé. Les paroles sont les mêmes, mais les œuvres sont diverses. D’où vient la différence de ces deux confessions ? De ce que l’une est inspirée par un amour louable et l’autre par une crainte condamnable. Car ce n’est pas l’amour qui faisait dire aux démons : « Vous êtes le Fils de Dieu » ; c’est la peur et non l’amour. Aussi s’écriaient-ils, tout en le proclamant : « Qu’y a-t-il entre nous et vous bi ? » tandis que Pierre lui répétait : « Je vous accompagne même à la mort bj ». 14. Cependant, mes frères, comment Pierre lui-même pouvait-il lui dire avec amour « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant ? » D’où lui venait cet amour ? Uniquement de lui-même ? Nullement. Le même passage de l’Évangile nous fait connaître et ce qui en lui venait de Dieu et ce qui venait de son propre fonds. Tout y est ; lis, tu n’as pas besoin de mes explications. Je rappelle le texte sacré. « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant », dit Pierre. « Tu es heureux, Simon, fils de Jonas », reprend le Seigneur. Pourquoi ? Est-ce de toi que te vient ce bonheur ? Nullement. « C’est parce que ni la chair ni le sang ne t’ont révélé cela » ; car tu es chair et sang ; « mais mon Père qui est dans les cieux ». Et le Sauveur ajoute beaucoup d’autres choses qu’il serait trop long de rapporter. Un peu après cependant, après ces éloges donnés à la foi de Pierre qu’il a montrée comme une pierre mystérieuse, le Seigneur commença à apprendre à ses disciples qu’il lui fallait aller à Jérusalem, y souffrir beaucoup, y être réprouvé par les anciens, par les scribes, par les prêtres, être mis à mort et ressusciter le troisième jour. Inspiré alors par lui-même, Pierre trembla, l’idée de la mort du Christ lui fit horreur ; pauvre malade qui reculait devant le remède : « Non, non, Seigneur, s’écria-t-il, ayez pitié de vous-même et que cela ne vous arrive point ». Oublies-tu donc : « J’ai le pouvoir de donner ma vie, et j’ai le pouvoir de la reprendre bk ? » Oublies-tu cela, Pierre ? Oublies-tu encore : « Nul n’a un amour plus grand que de donner sa vie pour ses amis bl ? » Tu n’y penses pas. Cet oubli venait de lui-même ; sa peur, l’horreur qu’il éprouvait, la frayeur de la mort, tout cela venait de Pierre ou plutôt de Simon et non pas de Pierre. Aussi : « Arrière, Satan, dit alors le Seigneur. – Tu es bienheureux, Simon, fils de Jonas. « Arrière, Satan. – Tu es bienheureux, Simon, fils de Jonas » : voilà qui vient de Dieu. « Arrière, Satan » ; d’où cela vient-il ? Rappelez-vous d’où vient son bonheur. Je l’ai déjà dit, « c’est que tu n’as été instruit ni par la chair ni par le sang, mais par mon Père qui est aux cieux ». Pourquoi est-il Satan ? apprenons-le du Seigneur même : « C’est que tu ne goûtes pas ce qui est de Dieu, mais ce qui est des hommes, lui dit-il ». 15. Espérez donc au Seigneur, et à la vraie foi joignez les bonnes œuvres. Confessez l’incarnation du Christ par la pureté de votre croyance et par la sainteté de votre vie ; si vous avez reçu de lui cette double grâce, attachez-vous-y, et espérez-en par lui l’accroissement et la consommation. Maudit soit, est-il écrit en effet, quiconque met sa confiance dans l’homme ; et pour celui qui se glorifie il est bon de se glorifier dans le Seigneur bm. Tournons-nous avec un cœur pur, etc. Haut du documentSEPTIÈME TRAITÉ.
DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES : « MES PETITS ENFANTS, VOUS ÊTES DE DIEU », JUSQU’À CES AUTRES : « NUL HOMME N’A JAMAIS VU DIEU ». (Chap 4, 4-12.)
DIEU EST AMOUR.
Les antéchrists, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas la foi soutenue par les œuvres de la charité, ne connaissent pas Dieu ; au lieu de l’écouter, ils prêtent l’oreille aux leçons d’un monde égoïste et vindicatif. Pour nous qui croyons et aimons, nous savons que Jésus-Christ vient de Dieu, que Dieu est amour, et que nous devons le payer de retour en aimant nos frères ; nous ne voyons pas Dieu, mais encore une fois il est amour ; son amour pour nous s’est montré par le don de son Fils ; notre amour doit aussi se manifester par les œuvres, et inspirer toute notre conduite pour lui donner du prix. 1. Pour tous les fidèles qui soupirent après la céleste patrie, le monde est ce qu’était le désert pour le peuplé d’Israël. Ils n’étaient pas encore arrivés au pays de leurs pères, ils voulaient y entrer ; mais sous la conduite de Dieu, ils ne pouvaient se tromper de chemin ; les ordres de l’Éternel leur servaient de guide. Quarante années durant, ils firent des marches et des contre-marches, s’arrêtèrent très peu le long de leur chemin ; tous le savent. Leur marche était sans cesse retardée, non que Dieu les abandonnât, mais parce qu’il les éprouvait. Ce que Dieu nous promet est d’une ineffable douceur ; cela est bon, nous dit l’Écriture, et vous nous avez entendus bien des fois vous rappeler « que l’œil de l’homme ne l’a point vu, que son oreille ne l’a pas entendu, que son cœur ne l’a jamais compris bn ». Les maux du temps nous éprouvent ; nous puisons notre instruction dans les peines de la vie présente. Mais, si dans ce désert vous ne voulez point mourir de soif, désaltérez-vous à la source de la charité. Cette source, Dieu a voulu la placer ici-bas, afin que nous ne tombions pas de défaut dans le cours de notre voyage ; nous y puiserons plus abondamment encore lorsque nous serons parvenus à entrer dans la patrie. On vous a tout à l’heure donné lecture de l’Évangile ; relativement aux paroles qui terminaient cette leçon, je vous demanderai : De quoi avez-vous entendu parler, si ce n’est de la charité ? En effet, nous avons fait un pacte avec Dieu dans la prière, c’est de pardonner au prochain les torts qu’il peut avoir à notre égard, si nous voulons que le Seigneur nous pardonne à nous-mêmes nos offenses envers lui bo. Qui est-ce qui nous les pardonne ? La charité seule. Ôte la charité du cœur humain, il n’y a plus en lui que haine ; il ne sait point pardonner. Que la charité s’y trouve, elle pardonne en toute sécurité, parce qu’elle ne sait pas se tenir à l’étroit. Cette Épître elle-même, que nous avons entrepris de vous expliquer, voyez si, d’un bout à l’autre, elle vous recommande autre chose que la charité, oui, la charité toute seule ? Il ne faut pas craindre de la faire détester en parlant souvent d’elle ; car qu’aimerait-on si l’amour venait à être haï ? Cette charité qui nous porte à aimer ardemment tout le reste, combien on doit la chérir elle-même ? C’est donc une chose qui ne doit jamais s’éloigner ni de notre cœur, ni de notre bouche. 2. « Mes petits enfants, vous êtes de Dieu, et vous l’avez vaincu » ; qui, sinon l’antéchrist ? Car l’Apôtre avait dit auparavant : « Quiconque divise Jésus-Christ et nie qu’il soit venu dans la chair, n’est pas de Dieu bp ». Si vous vous en souvenez, nous vous avons fait voir que tous ceux-là nient que Jésus-Christ soit venu dans la chair, qui violent le précepte de la charité ; c’est, en effet, par charité, et non par nécessité, que Jésus s’est fait homme. Ainsi nous donne-t-il l’exemple de la charité qu’il nous recommande lui-même dans l’Évangile : « Personne ne peut témoigner un plus grand amour qu’en donnant sa vie pour ses amis bq ». Mais comment le Fils de Dieu aurait-il pu donner sa vie pour nous, s’il ne s’était préalablement revêtu d’un corps capable de mourir ? Quoi qu’on puisse dire, si l’on viole le précepte de la charité, on nie donc, par sa conduite, que le Christ soit venu dans la chair ; et à cette condition, n’importe où l’on se trouve, n’importe où l’on soit entré, on est un antéchrist. Mais que dit l’Apôtre aux citoyens de ce pays qui est notre patrie et vers lequel se dirigent nos aspirations ? « Vous l’avez vaincu » : Et pourquoi l’ont-ils vaincu ? « Parce que Celui qui est en vous est plus grand que celui qui est dans le monde ». Jean veut les empêcher d’attribuer la victoire à leurs propres forces, et d’être eux-mêmes vaincus par l’enflure de l’orgueil ; car le démon se rend vainqueur de tous ceux qu’il rend orgueilleux ; il veut leur faire conserver l’humilité ; pour cela, quel langage leur tient-il ? « Vous l’avez vaincu ». À ces mots : « Vous l’avez vaincu », on redresse, on relève la tête, on prétend à des louanges. Ne te fais pas si grand à tes yeux ; vois qui est-ce qui a vaincu en toi. Pourquoi as-tu remporté la victoire ? « Parce que Celui qui est en vous est plus grand que celui qui est dans le monde ». Sois humble ; porte ton maître, sois la monture de ton cavalier ; il est bon pour toi qu’il te guide et te conduise. Car si tu ne l’as point pour cavalier, tu peux lever la tête, tu peux marcher ; néanmoins, malheur à toi ; sans conducteur, abandonné à toi-même, tu te serviras de ta liberté pour te jeter au milieu de bêtes féroces qui te dévoreront. 3. « Ils sont du monde ». Qui ceux-là ? Les antéchrists. Vous savez qui sont ceux qui sont antéchrists ; si vous ne l’êtes pas vous-mêmes, vous les connaissez ; quiconque l’est, ne les connaît pas. « Ils sont du monde, c’est pourquoi ils parlent le langage du monde, et le monde les écoute ». Qui sont ceux qui parlent le langage du monde ? Remarquez-le : ce sont les ennemis de la charité. Vous avez entendu le Seigneur vous dire : « Si vous remettez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous remettra aussi vos péchés. Mais si vous ne remettez point aux hommes leurs fautes, votre Père céleste ne vous remettra point non plus vos péchés br ». Tel est le verdict de la vérité ; et si ce n’est point là le langage de la vérité, donnes-en la preuve. Si tu es chrétien et que tu croies au Christ, rappelle-toi qu’il a dit : « Je suis la vérité bs ». Cette parole est vraie, elle est à l’abri de toute attaque. Écoute maintenant les hommes qui parlent le langage du monde : et tu ne te vengeras pas ? et celui-là pourra se vanter qu’il a ainsi agi à ton égard ? Ah, que plutôt il sente qu’il a affaire à un homme ! Tous les jours, on entend parler de la sorte ; ils parlent le langage du monde ceux qui tiennent de pareils discours ; et le monde les écoute. Il n’y a pour s’exprimer ainsi que ceux qui aiment le monde, et de tous ceux qui les écoutent aucun ne déteste le monde ; et celui qui aime le monde, qui néglige l’exercice de la charité, celui-là, vous le savez pour l’avoir entendu dire, nie que Jésus-Christ soit venu dans la chair. Pendant sa vie mortelle, le Sauveur a-t-il agi à la manière du monde ? A-t-il cherché à se venger de ceux qui le souffletaient ? Pendant qu’il était attaché à la croix, n’a-t-il pas dit au contraire : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font bt ? » Puisque, ayant le pouvoir de se venger, il ne s’est pas même laissé aller à des menaces, pourquoi en faire toi-même ? Pourquoi te mettre hors d’haleine ? N’es-tu pas sous la dépendance d’autrui ? Le Christ est mort quand il l’a voulu, et sans proférer une seule menace ; pour toi, tu ne sais quand tu mourras, et tu en profères ? 4. « Mais nous, nous sommes de Dieu ». Voyons pourquoi ; voyez si c’est pour un autre motif que celui de la charité ? « Mais nous, nous sommes de Dieu. Celui qui connaît Dieu, nous écoute ; celui qui n’est pas de Dieu, ne nous écoute point. C’est à cela que nous reconnaissons l’esprit de vérité et l’esprit d’erreur ». Car celui qui nous écoute, a l’esprit de vérité ; et celui qui ne nous écoute pas, a l’esprit d’erreur. Voyez ce que l’Apôtre nous recommande ; écoutons-le de préférence, puisqu’il nous parle en esprit de vérité, comme à des hommes qui ne sont ni des antéchrists, ni des amateurs du monde, ni le monde lui-même, si nous sommes nés de Dieu. « Mes bien-aimés », ajoute-t-il. Voyez ce qui précède : « Mais nous, nous sommes de Dieu. Celui qui connaît Dieu, nous écoute ; celui qui n’est pas de Dieu, ne nous écoute point ». Par là il nous rend attentifs ; puisque celui qui est de Dieu, écoute, tandis que celui qui n’en est pas, n’écoute point ; et voilà le moyen de distinguer l’esprit de vérité de l’esprit d’erreur. Voyons quel avis il va nous donner ; voyons en quoi nous devons l’écouter. « Mes bien-aimés, aimons-nous les uns les autres ». Pourquoi ? Parce que c’est un homme qui nous le recommande ? « Car l’amour vient de Dieu ». Beau titre de recommandation en faveur de l’amour ! « Il vient de Dieu ». Jean va aller plus loin ; écoutons-le attentivement. Tout à l’heure il a dit : « L’amour vient de Dieu » ; il ajoute : « Tout homme qui aime est de Dieu, et il connaît Dieu. Celui qui n’aime pas ne connaît pas Dieu ». Pourquoi ? « Parce que Dieu est amour ». Que pouvait-il dire de plus, mes frères ? Quand même nous ne trouverions aucun mot d’éloge à l’endroit de la charité, dans aucune des pages de cette Épître, quand même les autres Écritures resteraient complètement muettes à cet égard, quand même ce passage serait unique en ce sens, nous devrions l’écouter comme venant de l’Esprit de Dieu : « Parce que Dieu est amour ». Nous ne devrions rien chercher de plus. 5. Remarquez maintenant qu’agir contre la charité, c’est agir contre Dieu. Que personne ne dise : C’est un homme que j’offense, lorsque je n’aime pas mon frère : (attention !) il est facile de pécher contre un homme, sans pécher contre Dieu. – Comment, tu ne pèches pas contre Dieu, quand tu pèches contre la charité ? « Dieu est amour ». Est-ce nous qui le disons ? Ah ! si nous tenions nous-mêmes ce langage, quelqu’un d’entre vous pourrait se scandaliser et dire : Qu’a-t-il dit ? Qu’a-t-il voulu dire par ces mots : « Dieu est amour ? » Dieu nous a communiqué l’amour, Dieu nous a fait don de l’amour. « L’amour vient de Dieu : Dieu est amour ». Mes frères, vous avez entre les mains des Écritures divines ; cette épître est canonique ; on la lit chez tous les peuples ; on la conserve, parce qu’elle s’appuie sur l’autorité de l’univers ; elle a fondé le monde chrétien, l’Esprit-Saint vous y parle et vous dit : « Dieu est amour ». Si tu l’oses, déclare-toi contre Dieu, et n’aime pas ton frère. 6. Mais pourquoi l’Apôtre disait-il tout à l’heure : « L’amour vient de Dieu », et dit-il maintenant : « Dieu est amour ? » Le voici. Dieu est Père, Fils et Saint-Esprit : le Fils est Dieu de Dieu ; le Saint-Esprit est Dieu de Dieu, et ces trois sont un seul Dieu, et non trois dieux. Si le Fils est Dieu, si le Saint-Esprit est Dieu, si, enfin, celui-là aime en qui demeure le Saint-Esprit, l’amour est donc Dieu, mais Dieu parce qu’il est de Dieu. Tu lis, dans l’Épître de saint Jean, ces deux passages : « L’amour est de Dieu », et « l’amour est Dieu ». Du Père seul, l’Écriture n’a jamais dit qu’il est de Dieu. Lors donc que tu lis : « Est de Dieu », tu dois l’entendre du Fils ou de l’Esprit-Saint. Et quand l’Apôtre nous dit : « La charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné bu », nous devons comprendre que dans l’amour se trouve l’Esprit-Saint ; c’est cet Esprit-Saint que les méchants ne peuvent recevoir ; il est cette source dont nous parle l’Écriture : « Que la source de tes eaux appartienne à toi seul, et qu’aucun étranger ne la partage avec toi bv ». Car tous ceux qui n’aiment pas Dieu sont des étrangers, des antéchrists ; et quoiqu’ils fréquentent les basiliques, on ne saurait les ranger au nombre des enfants de Dieu ; à eux n’appartient pas cette source de vie. Un méchant peut être baptisé, il peut même avoir le don de prophétie. Nous voyons que le roi Saül prophétisait ; il persécutait le saint homme David, et, à ce moment-là même, il fut rempli de l’esprit de prophétie, et il commença à prophétiser bw. Un méchant peut aussi recevoir le sacrement du corps et du sang du Seigneur, car c’est de telles gens qu’il est dit : « Celui a qui boit et qui mange indignement, boit et mange sa condamnation bx». Il peut encore porter le nom du Christ ; c’est-à-dire, s’appeler chrétien ; c’est d’eux qu’il est écrit : « Ils profanaient le nom de leur Dieu by ». Quant à tous ces sacrements, un méchant même peut les avoir ; mais quant à la charité, il ne l’a pas ; c’est chose impossible pour lui. Elle est donc un don personnel ; c’est une source propre à chaque particulier. L’Esprit de Dieu vous exhorte à vous y désaltérer ; l’Esprit de Dieu vous engage à l’y puiser lui-même. 7. « Dieu a fait paraître son amour pour nous ». Voilà pour nous un motif d’aimer Dieu. Pourrions-nous l’aimer, s’il ne nous avait aimés le premier ? Si nous étions lents à l’aimer les premiers, soyons, du moins, empressés à le payer de retour. Il a été le premier à nous aimer ; et nous ne l’aimons pas de même. Il nous a aimés, quoique pécheurs, mais pour nous délivrer de nos fautes ; il nous a aimés, quoique pécheurs, mais il ne nous a pas réunis pour nous donner occasion de pécher. Il nous a aimés, bien que nous fussions malades ; mais s’il nous a visités, c’était afin de nous guérir. « Dieu est donc amour. Dieu a fait paraître son amour pour nous, en envoyant son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui ». Le Sauveur a dit lui-même : « Personne ne peut donner une plus grande preuve d’amour que de sacrifier sa vie pour ses amis ». Et la preuve que le Christ nous a aimés, c’est qu’il est mort pour nous. Comment le Père nous a-t-il témoigné son affection ? En envoyant son Fils unique mourir pour nous ; aussi, Paul nous dit-il : « S’il n’a pas épargné son propre Fils, et s’il l’a livré à la mort pour nous tous, que ne nous donnera-t-il pas après nous l’avoir donné bz ? » Le Père a livré le Christ ; Judas l’a aussi livré ; n’ont-ils pas, en quelque sorte, agi l’un comme l’autre ? Judas a été un traître ; s’ensuit-il que Dieu le Père en ait été un ? Non, dis-tu. « Il n’a pas épargné son propre Fils, mais il l’a livré pour nous tous ». Ces paroles ne sont pas de moi, elles sont de l’Apôtre. Non-seulement le Père a livré son Fils, mais il s’est lui-même livré. Le même Apôtre dit encore : « Il m’a aimé et s’est livré pour moi ca ». Puisque le Père a livré son Fils, et que le Fils s’est livré lui-même, qu’a fait Judas ? La tradition du Christ a été le fait du Père, comme elle a été le fait du Fils, et aussi celui de Judas : de la part de tous trois, acte unique ; mais quelle différence entre le Père qui livre son Fils, et le Fils qui se livre lui-même, et le disciple Judas qui livre son maître ? Le Père et le Fils ont agi par charité ; Judas s’est conduit en traître. Vous le voyez ; il ne suffit pas devoir ce que fait un homme, il importe surtout de savoir quelles sont ses intentions et sa volonté. Nous voyons concourir au même acte, d’un côté, Dieu le Père, de l’autre, Judas : nous bénissons Dieu le Père ; nous maudissons Judas. Pourquoi bénir le Père et maudire Judas ? Nous bénissons la charité, nous maudissons l’iniquité. Le Christ a été livré ; quel immense avantage, en a retiré le monde ? En livrant son Maître, Judas a-t-il songé à coopérer à ce bienfait ? Dieu s’est proposé de nous sauver en nous donnant de quoi nous racheter ; Judas a voulu s’approprier la somme d’argent pour laquelle il a vendu le Christ : Le Fils a eu en vue le prix qu’il a donné pour nous, et Judas a en vue le prix qu’il a retiré de son forfait. La différence d’intention a fait la différence d’action. L’acte était un ; mais si nous pesons la diversité des intentions qui l’ont produit, nous l’aimerons sous un rapport, et, sous l’autre, nous le condamnerons : nous le glorifierons sous un point de vue ; sous l’autre, nous le détesterons. Tant vaut la charité ! Remarquez-le, elle seule établit une différence entre les actions humaines ; elle seule les distingue les unes des autres. 8. Ce que nous venons de dire s’applique à des actions de même nature. S’il s’agit d’actions de nature différente, nous reconnaîtrons, par exemple, que la charité rend un homme sévère, et que l’iniquité en rend un autre flatteur. Un père frappe son enfant, un corrupteur l’approuve. À ne considérer que les coups et les flatteries, où est celui qui ne recherchera pas les caresses et n’évitera pas les coups ? Mais considère les personnes et, tu le verras, les coups sont l’effet de la charité, et les flatteries celui de l’iniquité. Faites bien attention à ceci : les actions humaines se discernent les unes des autres par le principe de la charité. Beaucoup peuvent se faire, qui aient les apparences de la bonté et qui, néanmoins, ne soient pas le fruit de la charité. Les épines mêmes ne fleurissent-elles pas ? Certains actes, au contraire, semblent durs et cruels, qui se font, par motif de charité, pour le règlement des mœurs. Une fois pour toutes, on t’impose un précepte facile : Aime, et fais ce que tu voudras. Soit que tu gardes le silence, garde-le par amour ; soit que tu cries, élève la voix par amour ; soit que tu corriges autrui, corrige-le par amour ; soit que tu uses d’indulgence, sois indulgent par amour ; aie dans le cœur la racine de l’amour, et de cette racine il ne pourra rien sortir que de bon. 9. « En cela consiste l’amour. Dieu a fait paraître son amour pour nous, en envoyant son Fils unique dans le mondé, afin que nous vivions par lui. Et voilà en quoi consiste cet amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés le premier ». Nous ne l’avons pas aimé les premiers, mais il nous a aimés, afin que nous l’aimions. « Et il a envoyé son Fils comme apaiseur pour nos péchés ». Apaiseur, sacrificateur. Il a offert une victime de propitiation pour nos péchés. Où a-t-il trouvé une hostie ? Où a-t-il trouvé la victime sans tache qu’il voulait offrir ? N’en trouvant pas d’autre, il s’est offert lui-même. « Mes bien-aimés, si Dieu nous a aimés de cette sorte, nous devons aussi nous aimer les uns les autres. « Pierre », dit le Sauveur, « m’aimes-tu ? » – Et il répondit : « Je vous aime ». – « Pais mes brebis cb ». 10. « Nul homme n’a jamais vu Dieu ». Dieu est invisible : c’est avec le cœur, et non avec les yeux, qu’il faut chercher à le découvrir. Mais de même que, quand nous voulons considérer le soleil, nous nous lavons les yeux du corps à l’aide desquels il nous est possible de voir sa lumière ; ainsi devons-nous purifier l’œil qui peut nous faire apercevoir Dieu, lorsque nous voulons le contempler. Écoute l’Évangile : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu cc». Que personne, toutefois, ne cherche à se faire une idée de Dieu, d’après la concupiscence des yeux ; car alors on se représenterait une forme immense, ou on projetterait dans l’espace les dimensions d’une incommensurable étendue, on les étendrait autant que possible, dans l’espace des champs, comme s’étendent les rayons de ce soleil que nous voyons au-dessus de nous ; ou l’on se figurerait avoir sous les yeux un vieillard à l’air vénérable. N’imagine rien de tout cela : Si tu veux voir Dieu, il y a une chose à laquelle tu es à même de penser : « L’amour est Dieu ». Quelle figure a l’amour ? Quelle forme ? Quelle taille ? Quels pieds ? Quelles mains ? Personne ne peut le dire : Il a pourtant des pieds, puisqu’ils conduisent à l’Église ; il a des mains, puisqu’elles donnent aux pauvres ; il a des yeux, puisqu’ils savent découvrir le nécessiteux. « Bienheureux », dit le Prophète, « celui qui veille sur le pauvre et l’indigent cd ». Il a des oreilles ; le Seigneur en parle ainsi : « Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende ce ». Il n’a pas de membres qui occupent des places différentes ; mais l’homme qui a la charité, voit tout en même temps avec les yeux de son âme. Habite en elle, elle habitera en toi ; demeure en elle, elle demeurera en toi. Eh quoi ! mes frères, peut-on aimer ce qu’on ne voit pas ? Alors, pourquoi vous redresser, élever la voix, battre des mains, quand on. prononce devant vous l’éloge de la charité ? Que vous ai-je montré ? Ai-je étalé devant vous quelque peinture ? Ai-je fait briller à vos yeux l’or et l’argent ? Ai-je tiré d’un trésor des pierres précieuses ? Qu’ai-je fait paraître de semblable en votre présence ? Les traits de mon visage se sont-ils altérés pendant que je vous parlais ? J’ai un corps ; je suis le même qu’au moment où je suis venu ici ; vous êtes ce que vous étiez, lorsque vous êtes entrés ; je fais l’éloge de la charité, vous élevez la voix. Certainement, vous ne voyez rien ; mais ce qui vous plaît lorsque vous applaudissez, puisse-t-i1 vous plaire toujours, afin que vous le conserviez dans votre cœur ! Car, mes frères, remarquez bien ce que je vous dis : autant que le Seigneur me le permets, je vous engage à vous procurer un inappréciable trésor. Si l’on vous montrait un vase ciselé, doré, artistement travaillé, si bien fait qu’il attire à lui les regards de votre corps, et toutes les puissances de votre âme, et vous fasse admirer le talent de l’ouvrier, le poids de l’argent, l’éclat du métal, chacun de vous ne s’écrierait-il pas : Oh, si j’avais ce vase ! Et vous parleriez inutilement, puisqu’il ne vous appartiendrait pas. Ou, si quelqu’un voulait l’avoir, il imaginerait le moyen de l’enlever de la maison étrangère où il se trouverait. Je vous fais l’éloge de la charité : si elle vous convient, ayez-la, possédez-la ; pas n’est besoin que vous la dérobiez à un autre, ou que vous pensiez à l’acheter ; elle est à votre disposition, et pour rien. Mettez la. main dessus ; saisissez-la ; rien de plus doux qu’elle. Et si vous la trouvez telle quand on vous en parle, que sera-ce quand vous la posséderez ? 11. S’il en est parmi vous, mes frères, pour vouloir conserver la charité, ils doivent avant tout ne pas la croire méprisable ou paresseuse ; il ne faudrait pas non plus s’imaginer que sa conservation est le résultat, non pas d’un peu de douceur, ou, plutôt, de la douceur, mais du relâchement ou de la négligence. Ne va pas t’imaginer que tu aimes ton serviteur, parce que tu ne le frappes jamais ; ou ton ;. fils, parce que tu lui ménages les sévérités. de, la discipline ; ou ton voisin, parce que tu ne le reprends point. Ce n’est pas là de la charité, c’est de la mollesse. La, charité doit être ardente à corriger, à ramener au bien ; mais si les mœurs d’autrui sont régulières, qu’on s’en réjouisse ; si elles sont dépravées, qu’on les redresse. Dans un homme, aime l’homme, et déteste l’erreur ; car l’homme est l’œuvre de Dieu, tandis que l’erreur est le fait de l’homme, Aime ce : que Dieu a fait, mais n’aime pas ce que fait l’homme. Aimer l’œuvre de Dieu, c’est l’élever ; la chérir, c’est la rendre meilleure ; et lors même que tu sévis, tu agis uniquement par le désir de corriger ; aussi la charité s’est-elle manifestée sous la forme de la colombe, qui est descendue sur le Sauveur cf. C’est sous cette forme de colombe que le Saint-Esprit est descendu pour répandre la charité dans nos âmes. Pourquoi cela ? La colombe n’a pas de fiel ; cependant, elle emploie son bec et ses ailes à défendre son nid ; et si elle fait du mal, elle le fait sans amertume. Ainsi agit un père ; car il corrige ; son fils, il le corrige pour le ramener au bien. Comme je l’ai dit : le corrupteur veut vendre sa victime, et il met de l’amertume dans ses caresses : un père veut rendre meilleur, et il, châtie sans y mettre aucun fiel. Soyez tels pour tous. Voyez, mes frères, la grandeur de cet enseignement, la beauté de cette doctrine l Chacun a des enfants, ou désire. en avoir ; ou, si on a résolu, sans retour, de n’en point avoir selon la chair, on souhaite au moins d’en avoir selon l’esprit ; alors, où est le père qui ne corrige pas ses enfants ? Où est l’enfant qui n’est pas châtié par son père cg ? Celui-ci, pourtant, semble faire du mal ; c’est l’amour, c’est la charité.qui, punit ; elle punit, pour ainsi dire, sans amertume, à la manière d’une colombe, et non comme un corbeau. À cette occasion, mes frères, il me vient à l’esprit de vous dire que ces violateurs du précepte de la charité ont fait schisme ; comme ils détestent la charité, de même ils haïssent la colombe. Mais la colombe les condamne. Elle descend du ciel ; les nuées s’ouvrent ; elle se repose sur la tête du Sauveur. Pourquoi cela ? Afin, qu’on entende : « C’est, lui qui baptise ch ». Arrière, voleurs ; arrière, envahisseurs du patrimoine du Christ. Vous avez osé planter vos titres de dominations dans vos propriétés, partout où vous prétendez dominer. Le Christ connaît ses titres ; il réclame son bien ; il ne détruit pas d’inscriptions ; il entre, et, par là même, il possède. Ainsi, chez celui qui vient à la catholique on n’efface pas le baptême, pour ne pas effacer le titre du Maître. Mais que se passe-t-il dans la catholique ? On reconnaît une inscription ; le propriétaire entre sous l’égide de ses propres titres, là même où le voleur entrait à l’aide des titres d’autrui.NEUVIÈME TRAITÉ.
DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES : « L’AMOUR DE DIEU EST PARFAIT EN NOUS », JUSQU’À CES AUTRES : « ET C’EST DE DIEU MÊME QUE NOUS AVONS REÇU CE COMMANDEMENT : QUE CELUI QUI AIME DIEU, AIME AUSSI SON FRÈRE ». (Chap 4, 17-21.)
LA CONFIANCE AU JUGEMENT.
Nous avons une preuve de l’existence de la charité en nous dans la confiance que nous inspire le jugement. Si, au lieu de le craindre comme font ceux qui commencent à être parfaits, nous désirons le voir venir, c’est que nous sommes, comme Dieu, charitables, même envers nos ennemis ; c’est que nous avons en nous la charité parfaite. Cette charité doit y être précédée parla crainte ; mais quand elle y est une fois établie, la crainte disparaît, et notre justice devient elle-même parfaite. À côté de cette crainte imparfaite par où commence la charité parfaite, se trouve une crainte pure qui demeure même avec cette charité ; elle consiste à redouter d’être séparé de Dieu : elle s’inspire donc du véritable amour divin. Celui que domine la crainte imparfaite, doit se souvenir incessamment de la présence de Dieu, et il ne péchera plus ; l’autre vit saintement et il a confiance de ne pas être délaissé par le Seigneur : il a confiance dans le jugement. Pour en être là, aimons Dieu, nous lui devons la réciprocité : aimons aussi nos semblables, car l’amour de Dieu et celui du prochain sont inséparables. 1. Votre charité s’en souvient, il nous reste à traiter et à vous expliquer, aussi bien que Dieu noua en fera la grâce, la dernière partie de l’Épître de l’apôtre Jean ; nous n’oublions point notre dette, et vous ne devez pas vous-mêmes oublier de nous en demander le paiement. La charité, que cette Épître nous recommande par-dessus tout et presque exclusivement, nous porte à remplir, avec la plus scrupuleuse fidélité, nos engagements, et fait de vous les plus bienveillants des créanciers. Je vous donne le nom de créanciers bienveillants, parce que, où ne se trouve pas la charité, il n’y en a que de durs ; mais où elle se rencontre, celui-là même qui exige le paiement d’une dette le fait avec douceur ; et pour celui qui est forcé de remplir ses engagements, lors même qu’il lui faut s’imposer quelque peine, la charité rend cette peine si légère qu’elle en devient presque nulle. Prenons un exemple parmi les êtres vivants privés de parole et de raison, animés des sentiments d’une charité, non pas spirituelle, mais purement charnelle et naturelle ; leurs petits n’exigent-ils pas, mais avec une vive amitié, le lait des mères ? Quoiqu’ils se jettent brusquement sur ses mamelles pour les sucer, la mère aime mieux les voir ainsi, que les voir ne pas téter et ne pas exiger d’elle ce que leur doit son affection. Nous voyons souvent des génisses déjà grandes frapper à coups de tête la mamelle et soulever, en quelque sorte par là, le corps de leur mère, sans néanmoins en recevoir de coups de pieds qui les éloigne ; et même, quand le veau n’est point là pour sucer son lait, elle l’appelle par ses mugissements. Par conséquent, si nous avons en nous cette charité spirituelle dont parle l’Apôtre quand il dit : « Je me suis rendu petit parmi vous, comme une nourrice pleine de tendresse pour ses enfants ci », nous aimons à vous voir exiger de nous l’acquit de nos dettes. Nous n’aimons point ceux qui se montrent lents à le faire, car nous avons peur de ceux qui manquent de zèle. Nous avons dû interrompre la suite du texte de cette Épître, en raison de leçons importantes qu’il nous a fallu y intercaler à cause de certains jours de tête, leçons dont nous nous sommes borné à vous donner la lecture sans vous en donner l’explication. Reprenons donc aujourd’hui l’ordre interrompu, et que votre sainteté écoute avec attention ce qui nous reste à lui dire. Je ne sais s’il est possible de nous recommander la charité en des termes plus élevés que ceux-ci : « Dieu est amour ». Éloge bref, mais admirable ! Éloge en peu de mots, mais plein de magnificence dans les idées qu’il éveille ! Que c’est bientôt dit : « Dieu est amour ! » Oui, c’est court ; un mot, voilà tout ; mais pèse ce mot, combien il dit de choses ! « Dieu est amour ; et celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu en lui cj ». Que Dieu soit pour toi une maison, sois une maison pour Dieu ; demeure en Dieu, et que Dieu demeure en toi. Dieu demeure en toi pour te contenir ; tu demeures en Dieu pour ne pas tomber ; car ainsi parle de la charité l’apôtre Paul : « La charité ne tombe pas ck ». Comment tomber lorsqu’on se tient en Dieu ? 2. « L’amour de Dieu est parfait en nous, en ce que nous avons confiance pour le jour du jugement, parce que nous sommes en ce monde, comme il y est lui-même ». L’Apôtre indique, pour chacun, le moyen de s’éprouver soi-même, de savoir dans quelle proportion la charité a augmenté en lui, ou plutôt, quels progrès il a faits dans la charité. Si la charité est Dieu, Dieu n’augmente ni ne diminue ; la charité n’est donc censée augmenter en toi que parce que tu fais en elle des progrès. Cherche alors à savoir combien tu as profité en fait de charité ; écoute ce que te dira ton cœur, et tu auras la mesure de ton avancement dans cette vertu. Jean a promis de nous indiquer la manière de connaître Dieu, et il a dit : « L’amour de Dieu est parfait en nous, en ce » ; cherche en quoi ? « que nous avons confiance pour le jour du jugement ». Quiconque a confiance pour le jour du jugement, la charité est parfaite en lui. Qu’est-ce qu’avoir confiance pour le jour du jugement ? C’est ne pas craindre de le voir venir. Il est des hommes qui n’y croient pas ; ceux-là ne peuvent avoir confiance pour un jour qu’ils ne croient point devoir venir. Laissons de côté cette sorte de personnes. Que Dieu les ressuscite pour qu’ils vivent ; pour nous, avons-nous à parler d’hommes morts ? Ils ne croient pas au jour du jugement à venir ; ils ne craignent ni ne désirent ce à quoi ils ne croient point. Quelqu’un commence à croire au jour du jugement ; dès lors qu’il commence à y croire, il commence à le craindre. Mais parce qu’il craint encore, il n’a pas encore confiance pour le jour du jugement ; la charité n’est pas encore parfaite en lui. Néanmoins, y a-t-il lieu de désespérer. De ce que tu vois le commencement, est-ce pour toi un motif de désespérer de la fin ? Quel commencement aperçois-je, me diras-tu ? La crainte. Écoute l’Écriture : « La crainte du « Seigneur est le commencement de la sagesse cl ». Cet homme a donc commencé à craindre le jour du jugement : que cette crainte lui serve à se corriger, qu’il se montre vigilant à l’égard de ses ennemis, c’est-à-dire de ses péchés ; qu’il commence à revivre de la vie intérieure et à mortifier ses membres terrestres, selon ces paroles de l’Apôtre : « Faites mourir les membres de l’homme terrestre qui est en vous ». Il donne aux passions désordonnées de l’âme le nom de membres de l’homme terrestre ; car, pour expliquer sa pensée, il ajoute « L’avarice, l’impureté cm », et tous les autres vices dont il fait ensuite mention. Autant celui qui commence à craindre le jour du jugement mortifie ses membres terrestres, autant ses membres célestes grandissent et se fortifient : ces membres célestes ne sont autres que toutes les bonnes œuvres. Dès lors que les membres célestes se font voir, le chrétien commence à désirer ce qu’il craignait. Il craignait de voir le Christ venir et trouver un impie à condamner ; il désire maintenant que le Christ vienne, parce qu’il trouvera un homme pieux à récompenser. Et dès l’instant qu’avec une âme chaste, désireuse de recevoir les baisers de son époux, il souhaite la venue du Christ, il renonce à l’adultère ; la foi, l’espérance et la charité, le rendent intérieurement vierge. Il a désormais confiance dans le jour du jugement, et il ne se déclare point contre lui-même, quand il prie et qu’il dit : « Que votre règne arrive cn ». Car celui qui redoute la venue du royaume de Dieu, craint d’être exaucé. Mais celui qui prie avec la confiance qu’inspire la charité, souhaite le voir venir. Quelqu’un parlait de ce désir quand il disait dans un psaume : « Et vous, Seigneur, jusques à quand ? Tournez-vous vers moi, Seigneur, et sauvez mon âme co ». Il gémissait de voir son existence se prolonger. Il y a des hommes qui se soumettent à mourir, il en est d’autres, et ceux-là sont parfaits, qui se soumettent à vivre. Qu’ai-je dit ? Celui qui désire voir son existence d’ici-bas se prolonger encore, supporte avec soumission la nécessité de mourir, quand l’heure en est venue pour lui ; il lutte contre lui-même, afin de suivre la volonté de Dieu, et, dans son cœur, il aime mieux se conformer au bon vouloir de Dieu qu’à ses propres aspirations : du désir qu’il éprouve de vivre encore, naît avec la mort une lutte à laquelle il apporte de la patience et du courage, afin de mourir sans regrets. Pour celui qui, suivant la parole de l’Apôtre, désire « être dégagé des liens du corps, pour se trouver avec Jésus-Christ », il ne supporte pas avec soumission la nécessité de mourir ; mais il se soumet sans murmure à la nécessité de vivre, et il quitte ce monde avec bonheur. Vois l’Apôtre ; il vivait patiemment, c’est-à-dire, il n’aimait pas cette vie terrestre, mais il la supportait sans se plaindre. « J’éprouve », disait-il, « un ardent désir d’être dégagé des liens du corps, et d’être avec Jésus-Christ, ce qui est sans comparaison le meilleur ; mais il est nécessaire pour vous que je demeure en cette vie cp ». Donc, mes frères, mettez-vous à l’œuvre, luttez au dedans de vous-mêmes, pour que vous désiriez ce jour du jugement. Commencer à désirer ce jour, c’est le seul moyen de prouver qu’on a la charité parfaite. Celui-là le désire, qui a confiance en lui ; et celui-là a confiance en lui, dont la conscience ne tremble point, parce qu’elle s’appuie sur une charité parfaite et sincère. 3. « Son amour est parfait en nous, en ce que nous avons confiance pour le jour du jugement ». Pourquoi aurons-nous confiance ? « Parce que nous sommes dans ce monde comme il y est ». Tu connais maintenant le motif de ta confiance : « Parce que nous sommes dans le monde comme il y a est lui-même ». L’Apôtre ne semble-t-il pas avoir dit une chose impossible ? En effet, l’homme peut-il être comme Dieu ? Je vous l’ai déjà dit : le mot a comme » n’est pas toujours employé pour signifier égalité, il exprime aussi parfois une certaine ressemblance. Ne dis-tu pas : Cette image a des oreilles comme j’en ai moi-même ? Ces oreilles sont-elles, néanmoins, identiquement les mêmes ? Cependant tu emploies à leur égard le mot « comme ». Puisque nous avons été créés à l’image de Dieu, pourquoi ne sommes nous pas comme Dieu ? C’est que nous ne lui sommes pas égaux, mais que nous avons, avec lui, une certaine ressemblance. D’où nous vient donc notre confiance pour le jour du jugement ? « De ce que nous sommes en « ce monde, comme il y est lui-même ». Nous devons rapporter ces paroles à la charité, et les entendre en ce sens. Le Sauveur dit dans l’Évangile : « Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense en aurez-vous ? Les publicains n’agissent-ils pas ainsi ? » Que veut-il donc de nous ? « Et moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent ». S’il nous commande d’aimer nos ennemis, quel modèle de charité nous présente-t-il ? Dieu lui-même, car il ajoute : « Afin que vous soyez les enfants de votre Père, qui est dans les cieux ». Comment Dieu nous donne-t-il l’exemple de la charité ? Il aime ses ennemis, « puisqu’il fait « lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et les injustes cq ». Puis donc que Dieu nous invite à être assez parfaits pour aimer nos ennemis, comme il a lui-même aimé les siens, notre confiance, pour le jour du jugement, vient « de ce que nous sommes en ce monde, « comme il y est lui-même ». Comme il manifeste son amour à l’égard de ses ennemis, en faisant lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et les injustes ; ainsi, et parce que nous ne pouvons leur distribuer les rayons du soleil et la pluie, nous versons pour eux des larmes, lorsque nous prions en leur faveur. 4. Voyez maintenant ce que l’Apôtre dit de la confiance, dont nous avons parlé. Comment savoir si notre charité est parfaite ? « La crainte ne se trouve point dans l’amour ». Aussi, que dire de celui qui a commencé à craindre le jour du jugement ? S’il avait la charité parfaite il ne craindrait pas ; car la charité parfaite rendant parfaite sa justice, il n’aurait aucun motif de crainte, il aurait même un motif de désirer la fin de l’iniquité et la venue du royaume de Dieu. Donc, « la crainte ne se trouve pas dans la charité ». Mais de quelle charité s’agit-il ? Ce n’est point de la charité commencée. De laquelle, alors ? « Mais », dit Jean, « l’amour parfait chasse la crainte », commencez donc par la crainte ; car « la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse ». La crainte prépare, en quelque sorte, la place à la charité, et quand la charité commence à habiter en nos cœurs, elle en chasse la crainte, qui lui avait préparé là une place. La crainte y diminue à mesure que la charité y augmente, et plus profondément y pénètre celle-ci, plus celle-là s’en éloigne ; moindre est la charité, plus grande est la crainte ; plus grande est la charité, moindre est la crainte. S’il n’y a pas de crainte en nous, la charité ne peut y entrer. Quand on coud un vêtement, nous voyons que le fil pénètre dans l’étoffe au moyen de l’aiguille ; celle-ci entre d’abord, mais tant qu’elle ne sort pas, le fil n’entre pas. Ainsi en est-il de la crainte d’abord elle se rend maîtresse de l’âme, mais elle n’y reste pas indéfiniment ; car si elle y a pénétré, c’était afin d’y introduire la charité. La sécurité une fois établie en nous, quelle joie devient notre partage, soit pour la vie présente, soit pour la vie à venir ? Dans cette vie, qui serait à même de nous devenir nuisible, si la charité remplit notre cœur ? Voyez comme la charité fait tressaillir l’Apôtre d’aise et de joie : « Qui nous séparera », dit-il, « de l’amour de Jésus-Christ ? L’affliction ? les angoisses ? la persécution ? la faim ? la nudité ? les périls ? le glaive cr ? » Pierre dit aussi : « Qui sera capable de vous nuire, si vous ne songez qu’à faire du bien cs ? La crainte ne se trouve point dans l’amour, mais l’amour parfait chasse la crainte, car la crainte est accompagnée de peine ». Une conscience pécheresse tourmente le cœur : la justification n’a pas encore eu lieu, il y a encore là quelque chose qui chatouille et qui pique. Aussi, que dit le Psalmiste au sujet de la perfection de la justice ? « Vous avez changé ma tristesse en joie ; vous avez déchiré mon cilice et m’avez ceint d’allégresse, afin que ma gloire chante vos louanges, et que je ne sois point piqué ct ». Qu’est-ce à dire : « Afin que le ne sois point piqué ? » Afin qu’il n’y ait rien pour aiguillonner ma conscience. La crainte t’aiguillonne ? n’aie pas peur ; voilà que pénètre en toi la charité qui cicatrise les plaies faites par la crainte. La crainte de Dieu blesse l’âme de la manière dont l’instrument tranchant du médecin blesse le corps : cet instrument enlève les chairs putréfiées, et, néanmoins il semble élargir la plaie. Quand ces chairs étaient encore adhérentes au corps, la plaie était moins grande, mais elle était dangereuse ; le médecin y applique le fer, et la douleur que ressentait précédemment le malade s’accroît au moment où l’homme de l’art tranche dans les chairs : il souffre plus lorsqu’on le soigne que quand on le laissait seul avec son mal ; mais si l’application duremède lui cause des douleurs plus vives, c’est afin que toute douleur disparaisse pour toujours, lorsqu’il sera revenu à la santé. Que ton cœur soit donc en proie à la crainte, afin que la crainte y amène la charité ; qu’à l’instrument du médecin succède la cicatrice. Le médecin est si adroit, qu’après ses opérations il ne reste pas trace de cicatrice ; seulement, il faut te mettre docilement entre ses mains. Car si tu n’éprouves aucun sentiment de crainte, tu ne pourras pas être justifié. C’est une sentence édictée par l’Écriture : « Car celui qui est sans crainte, ne pourra parvenir à la justice cu ». Il est donc indispensable que la crainte pénètre d’abord dans le cœur, pour qu’ensuite la charité y pénètre à son tour. La crainte est le remède, la charité est la santé. « Celui qui craint n’est point parfait dans l’amour ». Pourquoi ? « Parce que la crainte est accompagnée de peine », de la même manière que le médecin ne peut trancher dans le corps humain sans lui causer de douleur. 5. Il y a une autre sentence qui semblerait opposée à celle-ci, si l’on n’en saisissait pas bien le sens : le psalmiste dit, en effet, dans un certain endroit : « La crainte du Seigneur est sainte, elle subsiste éternellement cv ». Il nous parle d’une crainte éternelle, mais sainte. Or, s’il nous fait voir une crainte sans fin, ses paroles ne sont-elles pas en contradiction avec ce passage de l’épître de Jean : « La crainte ne se trouve pas dans la charité, mais la charité parfaite chasse la crainte ? » Examinons bien le sens de ces deux sentences divines. Quoiqu’il y ait deux livres, deux oracles, deux paroles, un seul et même Esprit les a inspirés. Jean a dit une chose, David a dit l’autre ; mais n’allez pas vous imaginer qu’ils aient parlé sous l’inspiration de deux esprits différents. Si deux flûtes peuvent s’enfler, sous le souffle d’une même bouche, le même esprit serait-il incapable d’agir à la fois sur deux cœurs, de faire remuer deux langues ? Si deux flûtes, gonflées par le même esprit, c’est-à-dire par le même souffle, sont ensemble en consonance, deux langues, animées par l’Esprit de Dieu, peuvent-elles se trouver en dissonance ? Il y a donc entre les deux passages précités consonance et accord ; seulement il faut les bien comprendre. L’Esprit de Dieu a, inspiré. et animé deux cœurs, deux bouches, deux langues ; l’une de ces langues nous a dit : « La crainte ne se trouve point dans la charité, mais la charité parfaite chasse la crainte » ; l’autre s’est exprimée ainsi : « La crainte du Seigneur est sainte, elle demeure pendant les siècles des siècles ». Qu’est-ce que cela ? Le Prophète et l’Apôtre seraient-ils en désaccord ? Non : secoue tes oreilles, écoute la mélodie. Le premier ajoute, non sans raison, le mot « saint » ; le second ne l’ajoute pas. Pourquoi ? C’est qu’il y a une crainte à laquelle on donne le nom de sainte, et il yen a une autre qu’on n’appelle pas ainsi. Discernons bien l’une de l’autre ces deux sortes de crainte, et nous verrons que les deux flûtes sont en accord parfait. Comment comprendre cette consonance ? comment faire ce discernement ? Que votre charité me prête son attention. Il est des hommes qui craignent Dieu, parce qu’ils ont peur d’être précipités dans la géhenne, de brûler avec le diable dans les flammes éternelles. Voilà l’espèce de crainte qui amène à sa suite la charité ; mais elle n’entre dans le cœur que pour en sortir bientôt. Si, en effet, tu en es encore à craindre Dieu à cause des châtiments qu’il inflige, tu n’aimes pas encore celui que tu redoutes de la sorte. Tu ne désires pas les biens de l’éternité ; tu en crains les maux. Mais parce que ces malheurs te remplissent d’effroi, tu te corriges, tu commences à désirer le bonheur éternel ; et, quand tu commences à désirer le bonheur éternel, une crainte toute pure se trouve en toi. En quoi consiste la crainte pure ? A aimer les biens éternels. Attention 1 Autre chose est de craindre que Dieu te jette dans le feu de l’enfer avec le diable ; autre chose de craindre qu’il s’éloigne de toi. La crainte, en vertu de laquelle tu redoutes que Dieu te jette dans le feu de l’enfer avec le diable, n’est pas encore pure ; car, loin de procéder de l’amour divin, elle a sa source dans l’appréhension du châtiment ; mais parce que tu crains Dieu, que le souvenir de sa présence ne t’abandonne pas ; et alors ton cœur s’attachera à lui, et tu désireras jouir de lui. 6. Pour te faire bien saisir la différence qui se trouve entre la crainte que chasse la charité parfaite, et la crainte pure qui demeure éternellement, je ne saurais employer une comparaison plus juste que celle-ci : Supposé deux femmes mariées. L’une veut commettre l’adultère, se repaître de honteuses jouissances, mais elle craint d’être condamnée par son époux. Elle craint son époux, mais elle le craint parce qu’elle aime encore le mal ; loin d’être agréable à une telle personne, la présence de son – mari lui est importune ; et si, par hasard, elle vit criminellement, elle redoute de le voir revenir. Tels sont ceux qui craignent de voir venir le jour du jugement. L’autre aime son mari ; elle lui réserve de chastes baisers ; elle ne se souille d’aucune des abominations de l’adultère ; elle souhaite voir son époux à côté d’elle. Comment distinguer la crainte de la première de ces deux femmes, d’avec la crainte de la seconde ? Toutes deux éprouvent le sentiment de la crainte. Interroge-les, elles te font une réponse presque identique. Adresse à l’une d’elles cette question : Crains-tu ton époux ? Elle te répond : Oui, je le crains. Fais à l’autre la même question : Crains-tu ton mari ? Elle te fera la même réponse : Oui, je le crains. Mêmes paroles, mais dispositions intérieures bien différentes ! Demande-leur maintenant Pourquoi craindre ton époux.? La première répond : Je crains de le voir venir ; et l’autre : Je crains de le voir s’éloigner. Celle-là dit J’ai peur d’être condamnée ; et celle-ci : J’ai peur d’être délaissée. Suppose pareille chose dans le cœur des chrétiens, et tu y rencontres soit la crainte que chasse la charité parfaite, soit la crainte pure qui demeure éternellement. 7. Parlons donc d’abord de ceux qui craignent Dieu, comme la femme qui trouve son plaisir dans le mal, craint son mari ; elle redoute de se voir condamnée par lui. Adressons-nous donc d’abord à cette sorte de personnes. O âme, qui appréhendes Dieu dans la crainte de le voir te condamner, de la même manière qu’une femme attirée intérieurement au crime, redoute son mari et les reproches qu’il lui adresserait, puisses-tu te déplaire comme te déplaît cette malheureuse femme ! Si tu as une épouse, désires-tu qu’elle appréhende ta présence et tes réprimandes ? Désires-tu la voir portée au crime par ses passions, mais retenue dans le respect de son devoir, non par la haine du mal, mais par la crainte gênante du châtiment ? Montre-toi à l’égard de Dieu comme tu voudrais que ta femme se montrât vis-à-vis de toi, si tu en as une, ou si tu n’en as point, mais que tu désires en avoir une. Que disons-nous, mes frères ? Cette femme, qui craint son mari et qui en appréhende les reproches, ne commet peut-être pas l’adultère, dans la crainte de voir son crime parvenir à la connaissance de son mari, et lui enlever à elle-même cette vie temporelle ; néanmoins, son époux est capable de se laisser tromper, car il est homme, et de la même nature que la femme qui est capable de le tromper. Elle craint son mari, aux regards duquel elle peut ne pas se trouver exposée, et toi, tu ne crains pas toujours la présence de l’époux de ton âme qui veille sans cesse sur toi ? « Les yeux du Seigneur sont ouverts sur ceux qui font le mal cw ». L’absence de son mari comble les désirs de cette femme ; elle serait peut-être heureuse d’en profiter pour commettre l’adultère, et pourtant elle se dit : Je ne le commettrai pas : sans doute, mon mari est absent, mais il est presque impossible qu’il ne parvienne point, de manière ou d’autre, à connaître ma faute. Elle se retient donc, dans la crainte que celui-ci ne découvre son inconduite, quoique à la rigueur il puisse l’ignorer toujours, quoiqu’elle puisse le tromper, quoiqu’il puisse encore la croire vertueuse malgré ses écarts, et chaste en dépit de son adultère ; et toi, tu ne crains pas les regards de celui que personne ne peut induire en erreur ? tu ne crains pas la présence de celui dont tu ne peux t’éloigner ? Prie Dieu de jeter les peux sur toi, et de les détourner de tes fautes. « Détournez votre face de mes péchés ». Mais comment mériteras-tu que le Seigneur détourne ses regards et ne voie pas tes fautes ? C’est en ne détournant pas tes yeux de tes péchés. Car, le Prophète a dit dans un psaume : « Je reconnais mon iniquité, et mon crime est toujours devant moi cx ». Reconnais tes fautes, et alors Dieu te les pardonnera. 8. Nous avons adressé la parole à l’âme encore remplie de la crainte qui ne demeure pas éternellement, mais que chasse la charité parfaite : parlons maintenant à celle qui nourrit en elle-même une crainte pure, une crainte destinée – à demeurer toujours. Pensons-nous rencontrer une telle âme, à qui nous puissions parler ? A ton avis, s’en trouve-t-il une dans cette assemblée ? dans cette basilique ? sur cette terre ? Il est impossible qu’il n’y en ait pas, mais elle se dérobe à nos regards : c’est l’hiver, et la sève se cache àl'intérieur de la plante, dans la racine même. Peut-être nos paroles vont-elles jusqu’à ses oreilles. Mais n’importe où se trouve cette âme, je voudrais la rencontrer, et alors je la prierais, non pas de prêter l’oreille à mes paroles, mais de me faire entendre sa voix. Elle m’instruirait bien plus qu’elle ne s’instruirait elle-même à mon école. Une âme sainte, enflammée, désireuse du règne de Dieu, ce n’est pas moi qui lui parle, c’est Dieu en personne ; il la console, il l’aide à vivre patiemment sur la terre, en lui parlant ainsi Tu veux que je vienne, et je sais que telle est ta volonté ; je sais qui tu es ; tu peux attendre en toute sécurité mon avènement ; tu souffres, je ne l’ignore pas non plus, attends et souffre encore, me voici, j’arriverai incessamment. Mais à celui qui aime, le retard est pénible ; semblable à un lis qui croît au milieu des épines, cette âme chante et soupire ; écoute-la ; voici ses paroles : « Je chanterai votre louange, et je connaîtrai les voies de l’innocence, quand vous viendrez à moi cy ». Mais, dans cette voie de l’innocence, elle est, avec raison, à l’abri de la crainte ; car « la charité parfaite chasse la crainte ». Et quand elle s’approche de son Dieu, elle craint, mais elle est plus tranquille. Qu’appréhende-t-elle ? Elle se tiendra sur ses gardes, elle se mettra à l’abri de ses passions, elle s’efforcera de ne plus pécher, non pour n’être pas jetée au feu éternel, mais pour n’être point abandonnée de Dieu. Et alors, qu’y aura-t-il en elle ? Une crainte pure, qui demeure éternellement. Nous avons entendu deux flûtes parfaitement d’accord entre elles : l’une parle de la crainte, l’autre aussi ; mais quand celle-là parle de la crainte en vertu de laquelle on redoute d’être condamné, celle-ci nous parle de là crainte d’une âme qui tremble de se voir abandonnée. La première est, chassée parla charité, la seconde demeure éternellement. 9. « Aimons Dieu, puisqu’il nous a aimés a le premier ». Car comment l’aimer, s’il ne nous avait aimés le premier ? En l’aimant, nous sommes devenus ses amis ; mais pendant que nous étions ses ennemis, il nous a aimés afin que nous devinssions ses amis. Il nous a aimés le premier, et c’est de lui que nous avons reçu la grâce de l’aimer. Nous ne l’aimions pas encore ; l’amour que nous avons pour lui, nous embellit à ses yeux. Que fait unhomme difforme et laid de figure, s’il aime une belle femme ; ou bien, que fait une femme difforme, laide et noire, si elle aime un bel homme ? Son affection pour lui serait-elle capable de la rendre belle ? L’amitié que cet homme ressentira pour une belle femme, aura-t-elle le privilège de le rendre agréable à la vue ? Il aime une femme charmante, et quand il se regarde au miroir, il rougit de montrer son visage à sa belle, à celle qui possède son cœur. Que fera-t-il pour devenir beau ? Attendra-t-il que la beauté lui vienne ? Mais pendant qu’il attendra, viendra la vieillesse, qui ajoutera encore à sa laideur. Il n’est donc pas question de faire une chose ou l’autre, de donner à cet homme tel ou tel avis ; il n’a qu’un parti à prendre : s’arrêter et ne pas être assez hardi pour aimer une personne si différente de lui-même ; ou bien si, par hasard, il l’aime trop et qu’il veuille l’épouser, il doit rechercher en elle, non la beauté du corps, mais la pureté des mœurs. Mais, mes frères, le péché souille notre âme ; en aimant Dieu, elle recouvre sa beauté première. Quel amour rend pure l’âme qui en est remplie ? Pour Dieu, il est toujours beau, jamais difforme, jamais sujet à changer. Lui, qui est toujours beau, il nous a aimés le premier ! Et, en quel état nous trouvions-nous quand il nous a aimés, sinon dans un état de souillure et de difformité ? Évidemment, ce n’était point pour nous y laisser, mais pour nous en tirer, et, de difformes que nous étions, nous rendre beaux. Et comment nous revêtirons-nous de beauté ?, En aimant celui qui est toujours beau. Autant l’amour de Dieu grandit en toi, autant s’y manifeste la beauté ; car la charité est la beauté de l’âme. « Aimons Dieu, parce qu’il nous a aimés le premier ». Écoute l’apôtre Paul : « Dieu a fait paraître son amour envers nous, puisque, quand nous étions encore pécheurs, Jésus-Christ est mort pour nous cz ». Il était juste, et nous, injustes ; il était pur, et nous, souillés. Où trouvons-nous la preuve que Jésus était pur ? « Vous surpassez en beauté les plus beaux des enfants des hommes ; la grâce est répandue sur vos lèvres da ». D’où vient cette beauté ? Voyez encore d’où elle lui vient : « Il surpasse en beauté les plus beaux des enfants des hommes », parce qu’ « au commencement était le Verbe, et »que « le Verbe était en Dieu, et que le Verbe était Dieu db ». Mais comme il s’est fait homme, il s’est, en quelque sorte, revêtu de ta malpropreté, c’est-à-dire, il a pris ta nature mortelle, afin de se placer à ton niveau, de devenir ton égal et de te porter à aimer la beauté intérieure. Nous avons trouvé la preuve de cette beauté qui distinguait Jésus du reste des enfants des hommes. Où trouvons-nous celle de son état de souillure et de difformité ? Qui nous fait connaître qu’il a aussi été difforme ? Interroge Isaïe : « Nous l’avons vu, et il n’avait ni éclat ni beauté dc ». Voilà deux flûtes qui semblent être en discordance ; mais c’est le même Esprit qui les remplit de son souffle. L’une dit, par l’organe du Psalmiste : « Il surpasse en beauté les plus beaux des enfants des hommes » ; l’autre dit, par la bouche d’Isaïe : « Nous l’avons vu, et il n’avait ni éclat ni beauté ». C’est le même Esprit qui a rempli de son souffle ces deux flûtes ; elles ne sont point en discordance. Ne détourne pas tes oreilles, applique ton intelligence. Interrogeons l’apôtre Paul ; il nous expliquera comment ces deux flûtes sont en accord parfait. Ecoutons : « Il surpasse en beauté les enfants des hommes, lui qui, ayant la nature de Dieu, n’a point cru que ce fût de sa part une usurpation de s’égaler à Dieu ». Voilà pour ce passage : « Il surpasse en beauté les enfants des hommes ». Ecoutons encore : « Nous l’avons vu, et il n’avait ni éclat ni beauté : il s’est humilié lui-même en prenant la forme d’esclave, en se rendant semblable aux hommes, et en se faisant reconnaître comme homme par tout ce qui a paru de lui dd ». « Il n’avait ni beauté ni éclat », afin de te donner éclat et beauté. Quel éclat ? Quelle beauté ? La dilection de la charité, afin que tu courres en aimant, et que tu aimes en courant. Tu es déjà beau, mais ne t’arrête pas, dans la crainte de perdre ce que tu as reçu ; dirige ta course vers celui qui t’a fait beau. Sois donc beau pour qu’il t’aime à son tour. Reporte vers lui toutes les puissances de ton âme, cours à sa rencontre, empresse-toi pour recevoir ses embrassements, crains de t’éloigner de lui ; une crainte pure, et qui demeure éternellement, puisse-t-elle habiter en toi ! « Aimons Dieu, parce qu’il nous a aimés le premier ». 10. « Si quelqu’un dit : J’aime Dieu ». Quel Dieu ? Pourquoi l’aimons-nous ? « Parce qu’il a nous a aimés le premier », et qu’il nous a fait la grâce de l’aimer. Il a aimé des hommes impies pour les rendre pieux, des hommes injustes pour les justifier, des hommes malades, afin de les guérir. « Aimons-le » donc, « puisqu’il nous a aimés le premier ». Interroge un chacun ; qu’on te dise si l’on aime Dieu ; on crie, on confesse : « Je l’aime », il le sait. Il y a un autre moyen de le savoir. a Si quelqu’un dit : J’aime Dieu, et qu’il « haïsse son frère, c’est un menteur ». Comment prouver que c’est un menteur ? écoute : « Comment, en effet, celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ? » Eh quoi ! aime-t-on Dieu par cela même qu’on aime son frère ? Il est nécessaire d’aimer Dieu, comme aussi la charité elle-même. Peut-on aimer son frère, sans aimer en même temps la charité ? Il faut aimer la charité. Eh quoi ! aime-t-on Dieu, par cela même qu’on aime la charité ? Évidemment, oui. En aimant la charité, on aime Dieu. Aurais-tu déjà oublié ce que tu as dit il n’y a qu’un instant : « Dieu est amour de ? » Puisque Dieu est charité, quiconque aime la charité, aime Dieu par là même. Aime donc ton frère, et sois tranquille. Tu ne peux dire : J’aime mon frère, mais je n’aime pas Dieu. De même que tu mens, si tu dis : J’aime Dieu, quand tu n’aimes pas ton frère ; de même tu te trompes en disant : J’aime mon frère, si tu penses ne pas aimer Dieu. Pour aimer ton frère, il est indispensable pour toi d’aimer la charité elle-même ; or, « Dieu est charité » ; il faut donc que quiconque aime son frère, aime aussi Dieu. Si tu n’aimes pas ton frère que tu vois, comment pourrais-tu aimer Dieu que tu ne vois pas ? Pourquoi ne voit-on pas Dieu ? C’est qu’on n’a pas la charité. On ne voit pas Dieu, parce qu’on n’a pas la charité ; on n’a pas la charité, parce qu’on n’aime pas son frère : par conséquent, on ne voit pas Dieu, parce qu’on n’a pas la charité. Car, si l’on a la charité, on voit Dieu, puisque « Dieu est charité ». La charité éclaircit de plus en plus la vue de l’âme, et lui permet de contempler cette immuable substance dont la présence fera ses délices, quand elle en jouira éternellement avec les anges ; mais qu’ellese hâte maintenant, afin de pouvoir se réjouir bientôt dans la patrie. Qu’elle ne donne point ses affections à ce lieu d’exil, qu’elle n’aime point le chemin où elle marche ; que tout lui soit insupportable, à l’exception de celui qui l’appelle, jusqu’au moment où nous entrerons en possession de lui, et où nous lui dirons ce que disait autrefois le Psalmiste « Vous retranchez tous ceux qui vous deviennent infidèles ». Et qui sont ceux qui deviennent infidèles à Dieu ? Ceux qui s’éloignent de lui et qui aiment le monde. Qu’en est-il de toi ? Le Prophète continue, en disant : « Pour moi, mon bien est d’approcher du Seigneur df ». M’attacher gratuitement à Dieu, voilà tout mon bien. Si tu demandes au Prophète : Pourquoi t’attacher à Dieu ? et qu’il te réponde : Afin de recevoir quelques dons, ne lui diras-tu pas : Que te donnerait-il ? Il est le créateur du ciel et de la terre ; quel don t’accordera-t-il ? Il t’appartient lui-même ; trouve mieux, il te le donnera. 11. « Car, celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ? Et c’est de Dieu même que nous avons reçu ce commandement : « Que celui qui aime Dieu, aime aussi son frère ». Tu disais avec emphase : « J’aime Dieu », et tu détestes ton frère ! Homicide, comment peux-tu aimer Dieu ? N’as-tu pas entendu ces paroles précitées dans l’épître de Jean : « Quiconque hait son frère, est un homicide ? – Je n’aime pas mon frère, mais j’aime Dieu de tout mon cœur.— Si tu détestes ton frère, tu n’aimes pas du tout Dieu. Je le prouve par un autre passage du même livre. Jean lui-même a dit : « Dieu nous a donné un commandement, c’est de nous aimer les uns les autres dg ». Peux-tu dire que tu aimes Dieu, dès lors que tu foules aux pieds son commandement ? Quel est l’homme qui tiendrait ce langage : J’aime l’empereur, mais j’abhorre ses lois ? L’empereur reconnaît qu’on l’aime, lorsqu’on observe ses lois dans toutes les provinces de son empire. Quelle est la loi du souverain Maître ? « Je vous donne un commandement « nouveau, c’est que vous vous aimiez les uns les autres dh ». Tu dis que tu aimes le Christ ; observe donc son commandement, chéris ton frère. Mais si tu ne le chéris pas, comment peux-tu aimer le Christ, puisque tu méprises son précepte ? Mes frères, je ne me lasse point de vous parler de la charité au nom du Sauveur. Autant vous éprouvez le désir de la posséder, autant j’ai lieu de penser qu’elle grandit en vous et qu’elle en fait sortir la crainte, afin de n’y laisser qu’une crainte pure qui demeure éternellement. Supportons le monde, les tribulations, le scandale des tentations ; ne nous éloignons pas du chemin droit, attachons-nous à l’unité de l’Église, au Christ, à la charité ; ne nous séparons, ni des membres de son épouse, ni de la foi, afin que nous puissions nous glorifier en sa présence ; ainsi resterons-nous en lui pleins de tranquillité, maintenant par la foi, plus tard en le voyant tel qu’il est, comme nous en avons reçu la précieuse promesse dans le don de l’Esprit-Saint.
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