‏ 1 John 3

QUATRIÈME TRAITÉ.

DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES : « ET ELLE EST LA VÉRITÉ ET NON LE MENSONGE », JUSQU’À CES AUTRES : « ET LE FILS DE DIEU EST VENU DANS LE MONDE POUR DÉTRUIRE LES ŒUVRES DU DÉMON ». (Chap 2, 27-29 ; 3, 4-8.)

LA FOI, SOURCE DE JUSTICE.

Nous n’avons ni vu ni touché Notre-Seigneur ; mais ceux qui l’ont touché de leurs mains et vu de leurs yeux nous ont dit ce qu’il est, et, l’onction de l’Esprit-Saint aidant, nous avons cru ; et notre foi nous inspirant l’espérance des biens éternels, nous nous efforçons d’accomplir le bien, et, par là, nous devenons enfants de Dieu, parfaits comme Jésus-Christ le juste est parfait, tandis que les méchants restent enfants du démon.

1. Vous vous en souvenez, mes frères, la leçon d’hier s’est terminée à cette pensée, que vous n’avez besoin d’être instruits par personne ; car l’onction divine vous enseigne tout. Voici donc, et je suis sûr que vous ne l’avez pas oublié, voici comment nous avons développé devant vous cette pensée : Nous nous adressons à vous extérieurement ; nos paroles frappent vos oreilles ; et, en cela, nous ressemblons à des ouvriers qui donnent à un arbre la culture extérieure, mais qui ne peuvent ni lui donner l’accroissement, ni faire venir aucun fruit ; c’est en vain que se font entendre à vous nos discours, si Celui qui vous a créés, rachetés et appelés, qui habite en vos âmes par la foi et par son Esprit, ne vous parle intérieurement. La preuve de ceci ? Beaucoup entendent ce qu’on leur dit, mais tous n’en sont pas touchés ; il n’y a, pour s’y rendre, que ceux à qui Dieu parle intérieurement. Pour entendre sa voix, il nous faut lui laisser une place dans notre cœur ; et pour lui donner une place dans notre cœur, il n’en faut point donner au démon. Car le diable veut établir sa demeure dans le cœur de l’homme, pour lui dire intérieurement tout ce qui peut l’entraîner au mal. Mais que dit le Seigneur Jésus ? « Le Prince de ce monde a été mis dehors a ». De quel endroit a-t-il été chassé ? Du ciel ? De la terre ? De l’univers ? Non, mais du cœur des fidèles. Chassons de notre âme l’usurpateur ; que le Rédempteur y habite ; ce Rédempteur : l’est autre que celui qui nous a créés. au-dehors, le démon nous attaque, mais il ne peut triompher de Celui à qui nous appartenons ; il nous attaque en nous suggérant toutes sortes de tentations, mais à ces épreuves résiste victorieusement celui qui entend au dedans de lui-même la voix de Dieu, et les enseignements de cette onction dont nous vous avons parlé.

2. « Et », dit l’Apôtre, « elle est la vérité », cette onction ; en d’autres termes, cet esprit de Dieu, qui instruit les hommes, ne peut mentir. « Et non le mensonge : demeurez dans ce qu’elle vous a enseigné. Et maintenant, mes petits enfants, demeurez en lui, afin que, lorsqu’il viendra à paraître, nous soyons pleins de confiance et qu’il ne nous confonde pas au jour de son avènement ». Remarquez-le, mes frères ; nous croyons en Jésus que nous ne voyons pas : il nous a été annoncé par des hommes qui l’ont vu, qui l’ont touché de leurs mains, qui ont entendu les paroles tombées de ses lèvres, qui, enfin, ont reçu de lui la mission de les faire accepter à leurs semblables, mission qu’ils n’auraient jamais eu la hardiesse d’accomplir de leur chef. Où ont-ils été envoyés ? Vous l’avez appris par la lecture de l’Évangile : « Allez dans tout l’univers prêcher l’Évangile à toutes les créatures b ». Les Apôtres ont donc été envoyés partout : des miracles et des prodiges sont venus confirmer leurs paroles et disposer les cœurs à les croire ; car ils disaient ce qu’ils avaient vu. Nous croyons donc en Jésus, que nous n’avons pas vu, et nous attendons son second avènement. Quiconque l’attend dans le sentiment de la foi, se réjouira au moment de sa venue ; mais pour ceux qui ne croient pas en lui, ils seront accablés de confusion, lorsqu’apparaîtra ce qu’ils ne voient pas aujourd’hui ; et leur confusion ne durera pas qu’un jour, elle ne passera pas, comme passe d’habitude la confusion de ceux qu’on surprend en délit, et à qui on reproche leur faute. Elle les forcera à se rendre, tout honteux, à la gauche pour entendre cet arrêt : « Allez au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges c ». Demeurons donc dans ses paroles, afin qu’il ne nous confonde pas au jour de son avènement. Car il dit dans l’Évangile à ceux qui avaient cru en lui : « Si vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples ». Et comme s’ils disaient : Quel profit en retirerons-nous ? il ajouta : « Et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira d ». Aujourd’hui, notre salut n’est qu’en espérance, il n’est pas encore réalisé ; car nous ne sommes point encore entrés en possession de ce qu’il nous a promis : nous l’attendons dans l’avenir. Mais celui qui nous a donné sa parole est fidèle à ses promesses, il ne te trompera pas : seulement, il ne faut pas perdre courage, attends donc avec confiance l’exécution de ses engagements. En effet, la vérité ne sait pas être trompeuse. Pour toi, ne sois pas menteur, parlant d’une manière et agissant de l’autre. Aie toujours la foi, et Dieu n’oubliera pas ses promesses. Si tu perds la foi, c’est toi qui te trompes, ce n’est pas celui qui t’a engagé sa parole.

3. « Si vous savez qu’il est juste, sachez que tout homme qui vit de la justice, est né de lui ». Aujourd’hui, notre justice vient de la foi. La justice parfaite ne se trouve que dans les anges, et, si on les compare à Dieu, à peine se trouve-t-elle en eux. Si, néanmoins, les âmes et les esprits que Dieu a créés peuvent être doués de quelque justice, elle se voit dans les anges saints, justes, bons, que nulle chute n’a séparés de Dieu, qu’aucun sentiment d’orgueil n’entraîne dans l’abîme, mais qui continuent toujours à contempler le Verbe éternel, et trouvent leur bonheur uniquement en celui qui les a créés. En eux se rencontre la justice parfaite : en nous elle puise son principe dans la foi par l’opération de l’Esprit. Lorsqu’on lisait le psaume, vous avez entendu ces paroles : « Commencez à louer Dieu par la confession e ». « Commencez », dit le Psalmiste : la source de notre justice, c’est l’aveu de nos fautes. Tu as commencé à ne pas défendre ton péché : tu as, par là même, commencé à devenir juste ; ta justice arrivera à sa perfection, quand tu ne ressentiras plus aucun attrait à commettre l’iniquité, quand la mort sera absorbée pour faire place à la victoire f, quand la concupiscence ne viendra plus te délecter, quand il n’y aura plus en toi de lutte contre la chair et le sang, quand tu remporteras la couronne de la gloire et que tu triompheras de l’ennemi : alors, tu seras en possession de la justice parfaite. Maintenant, nous luttons encore ; puisque nous luttons, nous sommes dans l’arène ; nous portons des coups, on nous en porte : reste à savoir qui sera vainqueur. Celui-là remportera la victoire, qui, pour frapper, attend sa force, non de lui-même, mais de la toute-puissance de Dieu. Le diable seul lutte avec nous ; pour nous, si nous sommes avec Dieu, nous triomphons du diable ; mais si tu es seul pour lutter avec lui, il te vaincra. C’est un ennemi exercé ; que de palmes il a remportées ! Voyez où il nous a jetés : pour nous faire naître sujets à la mort, il a fait sortir du paradis nos premiers parents eux-mêmes. Que faire donc, puisqu’il est si habile à combattre ? Invoquer l’assistance du Tout-Puissant contre cet esprit malin. Puisse habiter en toi Celui qu’on ne peut vaincre, et tu triompheras en toute sécurité de celui qui triomphe d’habitude. Mais de qui triomphe-t-il ? De ceux en qui Dieu n’habite pas. Car, sachez-le, mes frères, dans le paradis où il avait été placé, Adam a méprisé les ordres de Dieu ; il a relevé la tête comme s’il voulait ne dépendre que de lui-même et ne pas se soumettre à la volonté de l’Eternel ; aussi a-t-il été privé de ses espérances immortelles, de sa bienheureuse destinée g. Un homme, déjà exercé au combat, mais condamné à la mort par sa naissance, étendu sur un fumier, en proie à la pourriture et aux vers, a triomphé du diable ; celui-ci a vaincu Adam, mais Adam l’a vaincu en la personne de Job ; car Job était du nombre de ses descendants ; vaincu au paradis, notre premier père a donc été vainqueur sur le fumier. Au paradis, il avait prêté l’oreille aux sollicitations pressantes d’une femme que le démon avait déjà séduite ; sur le fumier, il dit à Eve : « Tu as parlé comme une femme insensée h ». Là, il prêta l’oreille ; ici, il fit une réponse : au séjour de la joie, il écouta ; au comble de l’épreuve, il remporta la victoire. Aussi, mes frères, voyez ce qui suit dans cette Epître ; elle nous y recommande vivement de triompher du démon, mais avec des forces qui ne soient pas les nôtres. « Si vous savez qu’il est juste, sachez que tout homme qui vit selon la justice est né de lui » ; de Dieu, du Christ. En disant : « Est né de lui », il nous donne un encouragement. Dès lors que nous sommes nés de lui, nous sommes donc parfaits.

4. écoutez ceci : « Voilà quel amour le Père a eu pour nous, puisque nous sommes appelés enfants de Dieu, et que nous le sommes en effet ». À ceux qui portent un nom sans être effectivement ce qu’il signifie, de quelle utilité peut être ce nom, si la réalité ne s’y trouve pas ? Combien de gens s’appellent médecins, qui n’ont pas appris l’art de guérir ! Combien s’appellent gardiens, qui dorment toute la nuit ? Ainsi, beaucoup portent le nom de chrétiens, qui sont loin de l’être en réalité ; car ils ne sont ce que désigne leur nom, ni dans leur conduite, ni dans leurs mœurs, ni en fait de foi, d’espérance et de charité. Mais que venez-vous d’entendre, mes frères ? « Voilà quel a amour le Père a eu pour nous, puisque nous sommes appelés enfants de Dieu, et que nous le sommes en effet. C’est pourquoi le monde ne nous connaît point, parce qu’il ne connaît point Dieu et qu’il ne nous connaît pas nous-mêmes ». Le monde entier est tout à la fois chrétien et impie, car, par tout le inonde, il y a des impies et des gens de religion, mais ceux-ci ne sont pas connus de ceux-là. Comment pensons-nous que les méchants ne connaissent pas les bons ? C’est qu’ils insultent ceux qui mènent une conduite vertueuse. Faites-y attention, et remarquez qu’il y en a peut-être parmi vous. Si, parmi vous, il en est pour vivre chrétiennement, qui méprisent les choses de ce monde, qui ne veuillent ni aller au spectacle, ni s’enivrer pour ainsi dire solennellement, ni, ce qui est plus grave encore, profaner les saints jours par un libertinage appuyé d’exemples venus de haut, s’il en est pour ne pas vouloir agir ainsi, comme ils seront insultés par tous ceux qui se rendent coupables de toutes ces prévarications ! Si de tels hommes étaient connus, les insulterait-on ? Pourquoi ne sont-ils pas connus ? C’est que le monde ne les connaît pas. Qui est le monde ? Ceux qui l’habitent ; comme les habitants d’une maison portent le nom de maison. Je vous ai souvent expliqué ceci, et pour ne point vous ennuyer, je ne veux pas y revenir. Comme vous attachez à ce nom de monde un sens défavorable, ne l’appliquez qu’à ceux qui l’aiment ; il était juste de leur donner le nom de monde, puisqu’ainsi s’appelle ce qu’ils habitent et (lue. toutes leurs affections les y tiennent fixés. Le monde ne nous a pas connus, parce qu’il n’a pas connu Dieu. Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même s’y est montré : c’était Dieu incarné et caché sous les dehors de l’infirmité humaine. Pourquoi ne l’a-t-on point connu ? Parce qu’il blâmait tous les vices des hommes. Comme ils aimaient les plaisirs que procure le péché, ils méconnaissaient Dieu ; comme ils écoutaient volontiers les suggestions de la fièvre, ils insultaient leur médecin.

5. Qu’en est-il de nous ? Déjà nous sommes nés de lui ; mais parce que nous avons l’espérance : « Mes bien-aimés », dit l’Apôtre, « nous sommes maintenant les enfants de Dieu ». Déjà maintenant ? Si nous sommes déjà les enfants de Dieu, qu’attendons-nous donc ? « Mais ce que nous serons un jour n’apparaît pas encore ». Serons-nous autre chose que les enfants de Dieu ? écoutez ce qui suit : « Nous savons que, quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est ». Que votre charité comprenne, il s’agit d’une merveilleuse chose : « Nous savons que, quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est ». Remarquez bien déjà ce que veut dire ce mot : « Est » ; vous en savez la signification. Ce qu’on appelle « est » (non-seulement on l’appelle ainsi, mais il est réellement tel) n’est sujet à aucun changement ; il demeure toujours, ne connaît aucune vicissitude, ne se corrompt en aucune de ses parties ; il ne s’améliore en rien, parce qu’il est parfait ; il ne se détériore pas, car il est éternel. Qu’est-ce donc que cela ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu i ». Qu’est-ce encore que cela ? « Lui qui, ayant la nature de Dieu, n’a point cru que ce fût pour lui une usurpation de s’égaler à Dieu j ». Les méchants ne peuvent voir le Christ sous cet aspect, c’est-à-dire comme ayant la nature de Dieu, comme Verbe de Dieu, comme Fils unique du Père, comme égal au Père ; mais en tant qu’il est le Verbe fait chair, les méchants eux-mêmes pourront le voir, car c’est en cette qualité qu’il viendra juger, comme il est déjà venu ainsi pour être jugé. Homme par l’apparence, mais Dieu en réalité ; car « maudit l’homme qui se confie dans l’homme k ». Il est venu comme homme pour être jugé ; il viendra comme homme pour exercer le jugement. Et si on ne le voyait pas alors, pourquoi ce passage de l’Écriture : « Ils verront quel est Celui qu’ils ont percé l ? » C’est des impies qu’il est dit qu’ils verront et qu’ils seront confus. Comment les méchants pourraient-ils ne pas le voir, quand il placera les uns à sa droite et les autres à sa gauche ? A ceux qui se trouveront à la droite, il dira : « Venez, bénis de mon Père, entrez en possession de son royaume ». Et à ceux qui se trouveront à la gauche, il dira : « Allez au feu éternel m ». Ils le verront, mais dans sa forme d’esclave ; comme Dieu, ils ne le verront pas. Pourquoi ? Parce qu’ils sont méchants, et que le Sauveur lui-même a dit : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu n ». Nous aurons donc, mes frères, le privilège de contempler quelque chose, de voir ce que l’œil de l’homme n’a point vu, ce que son oreille n’a jamais entendu, ce que son cœur n’a jamais compris o. Nous aurons une vision, nous contemplerons une beauté qui surpasse toutes les beautés de la terre, la beauté de l’or et de l’argent, la beauté des forêts et des campagnes, la beauté de la mer et des airs, la beauté du soleil et de la lune, la beauté des étoiles et celle des esprits angéliques, une beauté supérieure à toutes les autres, car toutes les autres lui empruntent leur éclat et leurs charmes.

6. Que serons-nous donc quand nous contemplerons cette admirable beauté ? Que nous est-il promis ? « Nous lui serons semblables parce que nous le verrons tel qu’il est ».L’Apôtre a parlé comme il a pu ; c’est à notre cœur d’imaginer le reste. Qu’est-ce que Jean lui-même a dit pour nous donner une idée de Celui qui est ? Que pouvons-nous dire à notre tour à des hommes si éloignés d’égaler ses mérites ? Revenons donc à l’onction divine ; revenons à cette onction qui nous instruit intérieurement de ce que notre langue ne saurait exprimer ; et puisque maintenant vous ne pouvez voir, sachez du moins désirer de le faire. La vie tout entière d’un bon chrétien n’est qu’un saint désir continuel. Sans doute, ce que tu désires tu ne le vois pas ; désire-le néanmoins, et par là tu te rendras capable d’être entièrement satisfait, lorsque viendra le moment de le voir. Lorsque tu veux remplir un contenant quelconque, et que tu sais grandes les dimensions de l’objet qu’on te donnera, tu élargis le sac ou l’outre ou tout autre contenant ; tu connais la grosseur de l’objet qui doit y entrer, tu vois que le contenant est petit ; aussi l’élargis-tu pour le rendre plus apte à recevoir son contenu ; ainsi Dieu, en différant de se donner à toi, dilate tes désirs ; en les dilatant, il élargit ton esprit ; en l’élargissant, il te rend plus capable de le posséder. Désirons donc, mes frères, puisque nous devons être rassasiés. Voyez comme Paul dilate son cœur, afin d’être à même d’y recevoir ce que Dieu doit lui donner. Voici ses paroles : « Non que j’aie a déjà reçu ou que je sois arrivé à la perfection, mes frères, je ne pense pas avoir déjà saisi le prix ». Que faites-vous donc en cette vie, si vous n’avez pas encore saisi le prix ? « Mais tout ce que je sais, c’est qu’oubliant ce « qui est derrière moi, et que m’étendant vers ce qui est devant moi, je souhaite ardemment saisir la palme à laquelle Dieu m’appelle du haut des cieux p ». À l’entendre, il s’est étendu, il a fait tous ses efforts de volonté possible pour saisir le prix. Il se sentait trop petit pour prendre ce que l’œil de l’homme n’a point vu, ce que son oreille n’a point entendu, ce que son cœur n’a jamais compris. Notre vie d’ici-bas consiste donc à donner à notre âme les élans de continuels désirs. Autant nous sommes travaillés par le désir du ciel, autant notre cœur se débarrasse des désirs terrestres et se détache du monde. Nous avons déjà dit parfois : Vide ce que tu dois remplir. Vide le mal qui se trouve en toncœur, puisque le bien doit le remplir. Par exemple, Dieu veut te remplir de miel ; si tu es plein de vinaigre, où le mettras-tu ? Il faut d’abord débarrasser le vase de ce qu’il contient, puis le purifier, et, pour cela, se remuer, se fatiguer s’il le faut ; ainsi deviendra-t-il propre au nouvel usage. Que nous prononcions des malédictions, que nous parlions d’or, que nous parlions de vin, quoi que nous disions de ce qu’on ne peut dire, quoi que nous voulions dire, nous en revenons toujours à prononcer le nom de Dieu ; et parce que nous prononçons le nom de Dieu, que disons-nous ? Ces deux syllabes désignent-elles tout ce que nous attendons ? Tout ce que nous avons pu nommer est au-dessous de Dieu ; étendons-nous vers lui, afin que quand il viendra, il nous rassasie. « Nous lui serons », en effet, « semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est ».

7. « Et qui a cette espérance en lui ». Vous le voyez ; d’après Jean nous ne sommes qu’à l’état d’espérance. Comme l’apôtre Paul est bien d’accord avec son collègue ! « Nous ne sommes sauvés qu’en espérance : or, l’espérance qui verrait, ne serait plus de l’espérance ; car comment espérer ce qu’on voit déjà ? Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par la patience q ». La patience elle-même excite les désirs. Sois inébranlable, car Dieu est immuable. Continue à marcher, tu atteindras le but ; le but vers lequel tu diriges tes pas ne changera pas de place. Voyez : « Et quiconque a cette espérance se purifie comme Dieu lui-même est pur ». Remarquez-le Jean ne nous ôte pas notre libre arbitre, puisqu’il dit : « Il se purifie ». Qui est-ce qui nous purifie, si ce n’est Dieu ? Mais Dieu ne te purifie pas malgré toi. Donc, par cela même que tu joins ta volonté à celle de Dieu, tu te purifies toi-même. Tu te purifies, par un effet, non de ton pouvoir, mais de la puissance de celui qui est venu pour habiter en toi. Néanmoins, comme il y a ici un effet de ta propre volonté, tu as une part dans l’œuvre de ta sanctification. Et cette part consiste pour toi à dire comme le Psalmiste : Secourez-moi, ne m’abandonnez pas r ». Dès lors que tu dis : « Secourez-moi », c’est que tu agis ; car si tu ne fais rien, comment peut-il venir à ton secours.

8. « Quiconque se rend coupable de péché, et commet l’iniquité ». Que personne ne dise : Autre chose est le péché, autre chose l’iniquité. Que personne ne dise : Je suis un pécheur, mais je ne suis pas un homme inique : « Car tout homme qui se rend coupable de péché et commet l’iniquité ». « Le péché est l’iniquité ». Que dire de nos péchés et de nos iniquités ? écoute les paroles de l’Apôtre : « Vous savez que Dieu s’est rendu visible pour se charger de nos péchés, et le a péché n’est point en lui ». Celui en qui-le péché ne se trouve pas est venu se charger de nos péchés. Si le péché se trouvait en lui, au lieu de se charger de celui des autres, il devrait être déchargé de ses propres fautes. « Quiconque demeure en lui ne pèche pas ». Autant on demeure en lui, autant on est éloigné du péché. « Et quiconque pèche, ne l’a point vu et ne le connaît pas ». Voici une grande difficulté : « Quiconque pèche, ne l’a point vu et ne le connaît pas ». En cela, rien d’étonnant. Nous ne l’avons pas vu, mais nous le verrons ; nous ne le connaissons pas, mais nous le connaîtrons ; nous croyons en celui que nous ne connaissons pas. Peut-être le connaissons-nous par la foi, tandis que nous ne le connaissons point de vue ? Mais nous l’avons vu et nous le connaissons de croyance ; car si la foi ne nous le fait pas voir, comment peut-on dire que nous sommes éclairés ? Il y a une illumination qui vient de la foi, et une autre qui vient de la vue réelle. Maintenant, pendant le cours de notre pèlerinage, c’est la foi qui dirige notre marche, et non la claire vue de Dieu s. Notre justice a donc pour principe la foi, mais non pas la réelle vue de l’éternel. Elle sera parfaite, lorsque nous contemplerons Dieu à découvert. Pour le moment, n’abandonnons pas cette justice, qui est le résultat de la foi ; « car le juste vit de la foi t », suivant cette parole de l’Apôtre : « Quiconque demeure en lui ne pèche pas ». En effet, « tout homme qui pèche ne l’a pas vu et ne le connaît point ». Celui-là ne croit pas, qui commet le péché ; mais s’il croit, il ne pèche pas, autant, du moins, que cela dépend de sa foi.

9. « Mes petits enfants, que personne ne vous séduise. Celui qui fait les œuvres de la justice est juste, comme Jésus-Christ est juste ». De ce qu’on nous a dit que « noussommes justes comme Jésus-Christeest juste », avons-nous le droit de penser que nous sommes égaux à Dieu ? Vous devez connaître le sens du mot « comme », car l’Apôtre a déjà dit précédemment : « Il se rend pur, comme Jésus-Christ lui-même est pur ». Notre pureté, notre justice serait-elle donc égale et pareille à la pureté, à la justice de Dieu ? Qui oserait parler ainsi ? « Comme » ne veut pas toujours établir une égalité parfaite. Je suppose qu’après avoir vu cette immense basilique, un architecte veuille en faire une plus petite, proportion gardée néanmoins dans les dimensions, et que, par exemple, celle-ci ayant une longueur double de sa largeur, il fasse la sienne du double plus longue que large, il semble avoir construit une Église comme celle-ci. Mais la plus grande a, je suppose encore, cent coudées, tandis que la plus petite en a seulement trente : la seconde est comme la première, et cependant elle ne lui est pas égale. Vous le voyez donc : on n’emploie pas toujours le mot a comme u dans le sens de la parité et de l’égalité. Remarquez, par exemple, quelle différence il y a entre la figure d’un homme et son image reproduite dans un miroir : dans l’image, dans le corps, même figure ; mais l’image n’est qu’une imitation, le corps est une réalité. Que disons-nous ? Là comme ici on aperçoit des yeux ; si l’on voit ici des oreilles, on en voit aussi là. Très-différentes sont les choses, mais le mot « comme » est employé dans le sens de similitude. Nous avons donc une ressemblance avec Dieu, mais elle n’est pas la même que la ressemblance du Fils avec le Père, dont il est l’égal ; si, pourtant, dans la faible proportion de notre nature, nous n’étions pas comme lui, on ne pourrait, sous aucun rapport, nous dire semblables à lui. Il nous rend donc purs, comme lui-même est pur ; mais il l’est éternellement, et nous, nous le sommes sous l’empire de la foi. Nous sommes justes comme lui-même est juste ; mais s’il l’est, c’est dans l’immuable perpétuité de son être, tandis que nous le sommes en croyant en Celui que nous ne voyons pas, afin de le contempler un jour. Et lorsque notre justice sera parvenue au comble de la perfection, quand nous serons les égaux des anges, notre justice ne sera pas encore égale à celle de Dieu. Combien donc est-elle maintenant loin de l’égaler, puisqu’alors même on ne pourra établir entre elles de parité ?

10. « Celui qui commet le péché est enfant du démon, parce que le démon pécha dès le commencement. Il est enfant du démon ». Jean veut dire, vous le savez : il imite le démon. En effet, le démon n’a ni fait, ni engendré, ni créé personne ; mais quiconque l’imite, reçoit en quelque sorte la vie de lui ; il devient son fils, non parce qu’il naît réellement de lui, mais parce qu’il l’imite. Comment es-tu fils d’Abraham ? Est-ce qu’Abraham t’a engendré ? De la même manière que les Juifs, fils d’Abraham, mais non héritiers de sa foi, sont devenus les enfants du démon. Ils étaient ses descendants selon la chair, mais ils n’ont pas imité sa foi. Si les enfants d’Abraham ont été déshérités pour ne pas avoir imité leur père ; par une raison tout opposée, tu deviendras son fils, quoiqu’il ne t’ait pas engendré, et ainsi tu mériteras ce beau titre, parce que tu marcheras sur ses traces. Si, au contraire, tu imites le diable qui, par orgueil et impiété, s’est déclaré contre Dieu, tu deviendras son fils, non qu’il t’ait créé ou mis au monde, mais parce que tu suivras son exemple.

11. « Le Fils de Dieu est venu dans le monde ». Voilà donc, mes frères, que tous les pécheurs, en tant que pécheurs, sont devenus enfants du diable. C’est Dieu qui a créé Adam, mais du moment que celui-ci a cédé aux suggestions du démon, il en est devenu le fils, et tous ceux qu’il a mis au monde, il les a engendrés pareils à lui. En naissant, nous avons apporté avec nous la concupiscence ; et avant de contracter nous-mêmes des dettes personnelles, nous sortons de cette source empoisonnée. En effet, si nous venons au monde exempts de toute faute, pourquoi se hâter de porter au baptême les petits enfants, afin de les dégager des chaînes du démon ? En nous donc, remarquez-le, mes frères, en nous deux naissances, l’une en Adam, l’autre dans le Christ. Ce sont deux hommes, mais l’un d’eux est un homme-homme, l’autre un homme-Dieu ; l’homme-homme nous fait pécheurs, l’Homme-Dieu nous rend justes. Par notre naissance en Adam, nous avons été précipités dans la mort ; par notre naissance dans le Christ, nous avons été élevés à la vie ; la première des deux nous entraîne dans le péché, la seconde nous en délivre. Car le Christ-Homme est venu pour détruire les péchés des hommes : « Le Fils de Dieu est venu dans le monde pour détruire les œuvres du démon ».

12. Pour ne point fatiguer votre charité, je recommande ce qui reste à son attention ; car la difficulté dont la solution nous occupe, roule sur ce que nous nous disons pécheurs. Si, en effet, quelqu’un se dit sans péché, il est un menteur. Nous trouvons dans cette même épître de Jean : « Si nous disons que nous « sommes sans péché, nous nous séduisons « nous-mêmes ». Vous devez vous souvenir de ce passage déjà cité : « Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité ne se « trouve pas en nous u ». Plus loin, tu lis encore ces passages : « Quiconque est né de Dieu, ne commet point de péché. Celui qui commet le péché, ne l’a point vu et ne le connaît pas. Celui qui fait l’iniquité, est enfant du diable ». Le péché ne vient pas de Dieu. L’Apôtre nous fournit à nouveau un sujet de crainte. D’une part, comment sommes-nous enfants de Dieu, et de l’autre, comment avouons-nous que nous sommes pécheurs ? Dirons-nous que nous ne sommes point nés de Dieu ? Alors, quel effet ces sacrements produisent-ils dans les peuls enfants ? Qu’a dit Jean ? « Celui qui est né de Dieu ne pèche pas ». Le même a dit encore : « Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité ne se trouve point en nous ». Question importante et difficile à traiter ! J’aurais voulu appeler toute l’attention de votre charité sur la solution à donner à cette difficulté. Demain, nous traiterons ce sujet au nom du Seigneur, et selon qu’il nous inspirera.

CINQUIÈME TRAITÉ.

DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES : « QUICONQUE EST NÉ DE DIEU NE COMMET POINT LE PÉCHÉ », JUSQU’À CES AUTRES : « N’AIMONS NI DE PAROLE NI DE LANGUE, MAIS PAR LES ŒUVRES ET EN VÉRITÉ ». (Chap 3, 9-18.)

LA CHARITÉ, VERTU DES ENFANTS DE DIEU.

Nous sommes enfants de Dieu : l’enfant de Dieu ne pèche pas, et pourtant quiconque se dit sans péché est un menteur. Comment concilier ces deux vérités ? C’est que le péché dont il s’agit n’est autre que la violation du commandement de la charité, et qu’on ne le commet pas quand on est enfant de Dieu et que la pratique de la charité efface les autres fautes. Or, Jésus-Christ nous a enseigné cette vertu par ses paroles et ses exemples ; les saints en ont été des modèles ; le baptême en a déposé le germe en nous ; c’est comme un moyen de voir Dieu sur la terre, puisqu’on aime le prochain qui est son image. Quiconque aime son prochain a la vie en lui, et quiconque déteste son frère est déjà mort, car il est condamné à mort par Dieu en qualité d’homicide. Pratiquons donc, s’il le faut, jusqu’à la mort, cette vertu la plus précieuse de toutes et sans laquelle les autres ne sont rien.

1. Je vous en conjure, écoutez attentivement, car la question que nous avons à traiter n’est pas de mince importance ; si j’en juge d’après le soin que vous avez mis hier à m’écouter, j’ai tout lieu de le croire, vous êtes venus aujourd’hui avec un désir encore plus vif de saisir mes paroles. Il s’agit, en effet, de résoudre une grande difficulté, à savoir comment, l’Apôtre dit-il dans cette épître « Quiconque est né de Dieu ne pèche pas », tandis que, plus haut, et dans la même épître, il a dit : « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est point en nous v ». Que fera celui qui se trouve serré entre ces deux passages tirés de la même épître ? S’il avoué qu’il est pécheur, il craint de s’entendre dire : Tu n’es donc pas né de Dieu, puisqu’il est écrit : « Quiconque est né de Dieu ne pèche point ». Si, au contraire, il dit qu’il est juste et qu’il n’a pas de péché, il se sentblessé, d’un autre côté, par ces paroles de la même épître : « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est point en nous ». Placé entre ces deux extrémités, l’homme ne sait ni ce qu’il doit dire, ni l’aveu ou la déclaration qu’il peut faire. Affirmer qu’on est sans péché, c’est dangereux, et c’est non-seulement dangereux, mais encore mensonger. « Nous nous séduisons nous-mêmes », dit Jean, « et la vérité n’est point en nous, si a nous disons que nous n’avons pas de péché ». Ah, si seulement tu n’en avais pas et que tu pusses le dire ! Car tu dirais vrai, et à déclarer la vérité, tu ne craindrais pas d’être souillé de la moindre apparence de péché. Mais si tu tiens un pareil langage, tu fais mal, parce que tu dis un mensonge. « La vérité », dit l’Apôtre, « n’est pas en nous, si nous disons que nous sommes sans péché ». Il ne dit pas : Nous avons été, afin de ne pas sembler faire allusion à la vie passée. Car cet homme a eu des péchés ; mais du moment qu’il est devenu enfant de Dieu, il a commencé à ne plus en avoir. Les choses étant ainsi, nulle difficulté ne nous embarrasserait. Car nous dirions : Nous avons été pécheurs, mais aujourd’hui nous sommes justifiés. nous avons eu des péchés ; aujourd’hui, nous n’en avons plus. Mais ce n’est pas de la sorte qu’il s’exprime : que dit-il donc ? « Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous séduisons, et la vérité n’est pas en nous ». Quelques moments après il ajoute : « Quiconque est né de Dieu, ne pèche point ». Jean lui-même n’était-il pas né de Dieu ? Si Jean, de qui vous avez entendu dire qu’il reposa sur la poitrine du Sauveur, n’est pas né de Dieu, quelqu’un osera-t-il espérer avoir obtenu la faveur de la régénération, refusée à l’Apôtre qui, pourtant, a mérité de reposer sur le cœur de Jésus ? Celui que le Seigneur aimait par-dessus tous les autres w, aurait-il été seul à ne pas recevoir du Christ la vie de l’Esprit ?

2. Examinez maintenant ces paroles : je vous recommande encore notre embarras, afin que, en raison de votre attention, qui est, pour vous et pour nous, une véritable prière, Dieu dilate nos esprits et nous permette de sortir de cette difficulté : ainsi, personne ne trouvera une occasion de perte dans la paroledu Tout-Puissant, qui a été prêchée et écrite uniquement pour nous guérir et nous sauver. « Tout homme qui fait le péché et commet l’iniquité ». Ici, ne fais aucune distinction : « Le péché, c’est l’iniquité ». Ne dis pas : Je suis un pécheur, mais je ne suis pas un homme inique : « Le péché, c’est l’iniquité ». Vous savez que Dieu s’est « rendu visible pour se charger de nos péchés, et le péché n’est point en lui ». Quel avantage retirons-nous de ce qu’il est venu sans péché ? « Quiconque ne pèche point demeure en lui, et quiconque pèche, ne l’a point vu et ne le connaît pas. Mes petits enfants, que personne ne vous séduise. Celui qui fait les « œuvres de justice, est juste comme Jésus-Christ est juste ». Nous l’avons déjà dit : le mot « comme » s’emploie d’habitude, non dans le sens de l’égalité, mais dans celui d’une certaine ressemblance. « Celui qui commet le péché est enfant du démon, parce que le démon pèche dès le commencement ». Nous avons ajouté que le démon n’a créé ni engendré personne, mais que ses imitateurs semblent tenir de lui la vie. « Le Fils de Dieu « est venu dans le monde pour détruire les « œuvres du démon x ». C’est donc pour détruire le péché qu’est venu Celui qui est sans péché. L’Apôtre continue : « Quiconque est né de Dieu, ne commet point le péché, parce que la semence de Dieu demeure en a lui, et il ne peut pécher, parce qu’il est né de Dieu ». Voilà une parole qui nous ôte toute liberté d’action. Par ces paroles : « Il ne pèche pas », Jean a peut-être voulu désigner un péché en particulier, et non toute sorte de péchés ; de la sorte tu devrais regarder ce passage : « Celui qui est né de Dieu ne pèche pas », comme ayant rapport à une seule espèce de fautes que ne peut commettre ce qui est né de Dieu. Cette faute serait de telle nature que quiconque s’en rendrait coupable imprimerait sur toutes ses autres prévarications le sceau de la permanence, et quiconque s’en préserverait, ferait, par – là même, disparaître tous ses autres péchés. En quoi consiste ce péché ? A violer la loi. Quelle loi ? « Je vous donne une loi nouvelle, c’est de vous aimer les uns les autres y ». Attention ! Ce commandement du Christ s’appelle la charité ; par elle sont détruits les péchés. Ne point l’avoir en soi, c’est une grandefaute, c’est la source de toutes les fautes.

3. Remarquez-le, mes frères : nous venons d’indiquer une pensée qui sera, pour ceux qui la saisiront bien, la clef de la difficulté proposée. Toutefois, marchons-nous seulement avec les plus agiles ? Non ; et nous ne devons point laisser erg arrière ceux mêmes dont le pas est plus lent. Essayons de vous communiquer de notre mieux notre pensée, et de la mettre à la portée de tous. J’imagine, mes frères› que nous devons considérer comme ayant souci de son âme tout homme qui entre dans l’Église, non sans motif, qui ne cherche pas à y trouver un avantage temporel ; qui, par conséquent, n’y pénètre pas afin de s’y occuper d’affaires d’intérêt, mais qui s’y présente pour entrer en possession des biens éternels promis à titre de récompense à ses efforts : cet homme doit donc voir s’il marche dans le chemin du ciel, de façon à ne pas rester en arrière, à ne pas reculer, à ne pas s’égarer, ou, en se traînant péniblement le long de la voie, à ne point arriver au but. Que celui qui a souci de son âme, marche vite ou lentement, peu importe, pourvu qu’il ne s’écarte pas du droit chemin. J’en ai fait la remarque ; dans la pensée, de Jean, ces paroles : « Celui qui est né de Dieu ne pèche pas », doivent peut-être s’entendre dans le sens d’un péché particulier ; car, autrement, ce passage serait en contradiction avec celui-ci : « Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est point en nous ». On peut donc résoudre ainsi la difficulté : Il y a un péché dont ne peut se rendre coupable celui qui est né de Dieu : si on ne le commet pas, tous les autres disparaissent ; mais si on le commet, tous les autres demeurent. En quoi consiste ce péché ? A agir contre le commandement du Christ, contre le testament nouveau. Quel est le commandement nouveau ? « Je vous donne un commandement nouveau, c’est de vous aimer les uns les autres ». Que celui qui agit contre la charité et l’amour de ses frères, n’ait pas l’audace de se glorifier et de se dire enfant de Dieu. Pour celui qui a été établi dans la charité fraternelle, il y a des péchés particuliers dont il ne peut se rendre coupable, surtout le péché de détester son frère. Que penser, maintenant, des autres péchés à l’occasion desquels Jean a dit. « Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous ? » Pour nous rassurer, écoutons ces autres paroles de l’Écriture « La charité couvre la multitude des péchés z ».

4. Nous recommandons la charité, cette épître la recommande aussi. Après sa résurrection, le Sauveur a-t-il interrogé Pierre sur un autre sujet que celui-ci : « M’aimes-tu ? » Ce ne fut pas assez de lui adresser une fois pour toutes cette question : il y revint une seconde, et même une troisième fois. À la troisième interrogation, Pierre se chagrina de voir que Jésus semblait ne pas croire à sa parole, comme s’il ignorait ses sentiments intimes ; néanmoins, le Sauveur lui fit la même demande par trois fois différentes. Par crainte, Pierre avait trois fois renié le Christ : trois fois il le confessa par amour aa. Voilà que Pierre aime le Seigneur. Que fera-t-il pour lui ? Son trouble se trahit, comme celui du Psalmiste, dans ces paroles : « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens dont il m’a comblé ? » Celui qui s’exprimait ainsi dans le psaume, considérait les bienfaits qu’il avait reçus de Dieu ; il cherchait à savoir ce qu’il pourrait lui rendre en retour, et n’y parvenait pas. En effet, tout ce que tu serais à même de lui offrir par reconnaissance, ne l’as-tu pas reçu de ses mains avant de le lui rendre ? Que trouva donc le Prophète, pour en faire hommage à son Dieu ? Comme je l’ai déjà dit, mes frères, ce qu’il tenait de la générosité divine, voilà ce qu’il trouva à lui offrir pour le remercier de ses dons : « Je recevrai le calice du salut, et j’invoquerai le nom du Seigneur ab ». Qui lui avait donné le calice du salut, sinon celui à qui il voulait donner un témoignage de sa gratitude ? Recevoir le calice du salut et invoquer le nom du Seigneur, c’est être rassasié de charité ; c’est en être saturé au point, non-seulement de ne, pas haïr son frère, mais même d’être prêt à mourir pour lui. Être prêt à mourir pour son frère, tel est le comble de la charité. Le Sauveur s’est donné lui-même comme exemple de cette charité parfaite. Il est, en effet, mort pour tous : alors, il priait pour ses bourreaux, et disait : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font ac ». S’il avait été seul à agir ainsi, s’il n’avait pas eu de disciples pourl'imiter, il n’aurait pas été Maître. Mais il a eu des disciples qui ont suivi ses traces et imité ses exemples. Pendant qu’on lui jetait des pierres, Étienne était agenouillé et disait : « Seigneur, ne leur imputez point ce crime ad ». Il aimait ses bourreaux, puisqu’il mourait même pour eux. Écoute aussi l’apôtre Paul « Je me sacrifierai moi-même pour vos âmes ae ». Il était, en effet, du nombre de ceux pour qui Étienne priait, quand il tombait victime de leurs coups. Voilà la charité parfaite : elle se trouve, dans toute sa perfection, en celui qui aime ses frères au point d’être prêt à tout faire, et même à mourir pour eux. Mais peut-on remarquer en elle ce degré de perfection, aussitôt qu’elle a pris naissance dans une âme ? Pour être à même de devenir parfaite, elle commence par y naître ; puis elle s’alimente ; puis elle se fortifie ; puis, enfin, elle se perfectionne ; et, quand elle est parvenue à ce comble de la perfection, que dit-elle ? « Le Christ est ma vie, et la mort m’est un gain. J’éprouve un ardent désir d’être détaché des liens du corps, et d’être avec Jésus-Christ, ce qui est, sans comparaison, le meilleur ; mais il est « plus avantageux pour vous que je demeure en cette vie af ». Paul voulait vivre pour ceux en faveur desquels il était prêt à mourir.

5. Voulez-vous une preuve que c’est bien la charité parfaite que ne viole point, contre laquelle ne pèche pas quiconque est né de Dieu ? La voici. Le Sauveur dit à Pierre« Pierre, m’aimes-tu ? » Celui-ci répondit « Je vous aime ». Jésus ne dit pas : Si tu m’aimes, rends-moi service. Pendant le cours de sa vie mortelle, le Christ eut faim et soif dans les moments où il éprouvait le besoin de boire et de manger, on lui offrait l’hospitalité, et, comme nous le voyons dans l’Évangile, des personnes riches subvenaient à tous ses besoins ag. Zachée le reçut dans sa maison, et, parce qu’il reçut le médecin, il fut guéri de son mal. De quel mal ? De l’avarice. Il était en effet très riche, et prince des publicains. Voyez comment il fut guéri du défaut d’avarice : « Je donne », dit-il, « la moitié de mes biens aux pauvres, et si j’ai fait tort à quelqu’un en quoi que ce soit, je lui rendrai quatre fois autant ah ». S’il a conservéla moitié de sa fortune, c’était, non pour en jouir, mais pour payer ses dettes. Il donna donc, ce jour-là, l’hospitalité à son médecin, puisque le Seigneur se trouvait dans l’infirmité de la chair, et que les hommes devaient lui prêter aide et secours, il voulait, par là, leur faire du bien ; car c’était à leur avantage, et non pas au sien, qu’il travaillait. Demandait-il du soulagement aux anges qui le servaient ? Le besoin ne s’en faisait pas davantage sentir à son serviteur Élie, auquel un corbeau apportait de sa part le pain et la viande nécessaires pourtant, afin d’avoir l’occasion de bénir une pieuse veuve, Dieu lui envoie son serviteur, et elle fournit à la subsistance de l’homme que nourrissait en secret le Très-Haut ai. Cependant, quoique les gens charitables travaillent à leur propre avantage, en subvenant aux besoins des serviteurs de Dieu, à cause de cette promesse de récompense clairement faite par le Sauveur dans l’Évangile : « Celui qui reçoit le prophète comme prophète, recevra la récompense du prophète, et celui qui reçoit le juste, recevra la récompense du juste ; et celui qui donnera à boire à l’un de ces plus petits, seulement un verre d’eau froide, en qualité de mon disciple, en vérité, je vous le dis, il ne perdra point sa récompense aj ». Quoique ceux qui agissent de la sorte, travaillent à leur propre avantage, il était, néanmoins, impossible d’exercer ainsi la charité à l’égard du Dieu qui allait remonter au ciel. Pierre l’aimait, mais que pouvait-il faire pour lui, en signe de gratitude ? écoute, le voici : « Pais mes brebis », c’est-à-dire : Fais pour tes frères ce que j’ai fait pour toi. Je vous ai tous rachetés au prix de mon sang ; n’hésitez pas de mourir pour la confession de la vérité, afin que les autres vous imitent.

6. Mais c’est là, avons-nous dit, mes frères, la charité parfaite : celui qui est né de Dieu, la possède. Que votre charité me prête toute son attention : comprenez bien ce que je dis. L’homme baptisé a reçu le sacrement qui l’a fait naître : il possède ce sacrement ; sacrement grand, divin, saint, ineffable. Remarque-le : il est si grand qu’il crée un homme nouveau en lui remettant tous ses péchés. Toutefois, examinons attentivement notre cœur ; voyons si ce qui s’est fait sur notre corps s’est fait parfaitement dans notre âme ! 98La charité y existe-t-elle ? Alors, disons : Je suis né de Dieu ; si, au contraire, elle n’y existe pas, nous en portons la marque imprimée sur nous, c’est vrai ; mais nous avons quitté le bon chemin, nous errons loin de lui. Ayons la charité : autrement, ne nous disons pas enfants de Dieu. Mais, dira-t-on, j’ai reçu le sacrement. Écoute l’Apôtre : « Quand je pénétrerais tous les mystères, et que j’aurais toute la foi possible, jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. ak ».

7. Si vous vous en souvenez, nous vous l’avons dit en commençant l’explication de cette Epitre, rien ne nous y est si vivement recommandé que la charité. Quoique l’Apôtre semble y parler de chose et d’autre, il en revient toujours là, et il veut rapporter à la charité toutes ses paroles. Voyons si, même en cet endroit, il agit de la sorte. Écoute bien« Quiconque est né de Dieu ne commet point le péché ». Nous cherchons à savoir quel péché. Car s’il était ici question de toute espèce de péché, ce passage contredirait ces autres paroles : « Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous séduisons ; et la vérité n’est pas en nous ». Que Jean nous dise donc quel est ce péché : qu’il nous instruise ; je ne veux pas dire témérairement que ce péché est la violation du précepte de la charité ; il a dit plus haut : « Celui qui hait son frère est dans les ténèbres, et il marche dans les ténèbres, et il ne sait où il va, parce que les ténèbres l’ont aveuglé al ». Mais peut-être s’est-il expliqué plus loin et a-t-il prononcé le nom de la charité. Remarquez-le : toute cette circonlocution aboutit finalement à ce résultat : « Quiconque est né de Dieu ne pèche point, parce que la semence de Dieu demeure en lui ». La semence de Dieu, ou, en d’autres termes, la parole divine ; aussi l’Apôtre dit-il : « Je vous ai engendrés par l’Évangile  am. Il ne peut commettre le péché, parce qu’il est né de Dieu ». Que Jean nous l’explique : voyons en quel sens l’enfant de Dieu ne peut pécher. « En cela, on reconnaît les enfants de Dieu et les enfants du démon. Quiconque n’est pas juste, n’est point lié de Dieu, non plus que celui qui n’aime pas son frère ». Nous voyons maintenant, à n’en pas douter, pourquoi il dit : « Non plus que celui qui n’aimepas son frère ». La charité est donc la seule marque distinctive entre les enfants de Dieu et ceux du démon. Que tous fassent sur eux le signe de la croix ; que tous répondent Ainsi soit-il ; que tous chantent : Alleluia ; que tous reçoivent le baptême, qu’ils entrent dans les Églises, qu’ils bâtissent des basiliques. Rien, si ce n’est la charité, ne distingue les fils de Dieu des fils du démon. Ceux qui ont la charité, sont nés de Dieu ; ceux qui ne l’ont pas, ne sont pas ses enfants. Précieuse marque, distinction inestimable. Possède ce que tu voudras, si tu n’as pas la charité, le reste ne te sert de rien. Que le reste te fasse défaut, mais que, du moins, tu aies la charité, et tu auras accompli la loi. « Car celui qui aime son prochain, accomplit la loi », dit l’Apôtre, « et l’amour est la plénitude de la loi an ». Je considère la charité comme étant cette perle précieuse que l’Écriture nous montre recherchée par un marchand : « Cet homme, ayant trouvé une perle d’un grand prix, vend tout ce qu’il possède et l’achète ao». Cette perle d’un grand prix, c’est bien la charité, sans laquelle rien de ce que tu possèdes ne peut t’être de quelque utilité, et qui te suffirait à elle seule, lors même que tu ne possèderais rien autre chose. Aujourd’hui, tu ne vois Dieu que par la foi ; plus tard, tu le verras réellement. Si nous l’aimons, lors même que nous ne pouvons encore le contempler, que sera-ce lorsque nous le verrons de nos yeux ? Mais à quoi devons-nous consacrer tous nos soins ? A aimer nos frères. Tu peux me dire : Je n’ai pas vu Dieu ; peux-tu me dire : Je ne vois pas l’homme ? Aime ton prochain ; car si tu aimes le prochain que tu aperçois, tu verras aussi Dieu, parce que tu verras la charité même ; et que Dieu habite en ton cœur.

8. « Celui qui n’est pas juste, n’est point né de Dieu, non plus que celui qui n’aime point son frère. Car ce qui nous a été annoncé », vois comment il le prouve : « Car ce qui nous a été annoncé et ce que nous avons entendu dès le commencement, c’est que nous nous aimions les uns les autres ». Il nous montre que tel est le motif, de ses paroles ; et quiconque agit contre ce commandement, tombe dans le péché énorme où tombent ceux qui ne sont pas nés de Dieu. « Et que nous n’imitions pas Caïn, qui étaitpoussé par le malin esprit et qui tua son frère. Et pourquoi le tua-t-il ? Parce que « ses œuvres étaient mauvaises, et que celles de son frère étaient bonnes ». Où se trouve l’envie, l’amour fraternel ne peut donc se trouver en même temps. Que votre charité y fasse attention. Quiconque est rongé par l’envie, n’aime pas. Le péché du démon se trouve en lui, parce que l’envie du démon a causé la chute de l’homme. Il était tombé le premier, et il conçut de l’envie en voyant l’homme debout ; s’il a voulu faire choir Adam, c’était non pour se relever lui-même, mais pour ne pas se trouver seul dans l’abîme. De ce fait qu’il a occasionné la chute du premier homme, vous devez conclure que l’envie ne se rencontre pas dans la charité. En faisant l’éloge de la charité, Paul a dit positivement : « La charité n’est pas envieuse ap ». La charité faisait défaut en Caïn, et si elle avait manqué à son frère, le sacrifice d’Abel n’eût pas été agréé de Dieu. Ils lui offrirent, l’un des fruits de la terre, l’autre des agneaux de son troupeau. À votre avis, mes frères, pourquoi Dieu méprisa-t-il les fruits de la terre et accepta-t-il les agneaux du troupeau ? C’est que, sans faire attention à la nature des présents, il considéra les dispositions intérieures de l’un et de l’autre, et il reposa ses regards sur le sacrifice de celui qui le lui offrait avec amour, tandis qu’il détourna les yeux du sacrifice de celui qui ressentait de la jalousie en le lui offrant. Ce qui faisait le prix des actions d’Abel, c’était donc la charité seule, comme ce qui rendait mauvaises les actions de Caïn, c’était l’envie qu’il éprouvait à l’égard de son frère. Ce ne fut pas assez pour lui de haïr son frère et de jalouser ses bonnes œuvres ; comme il n’avait pas le courage de l’imiter, il le fit mourir. Par là, il devint évident que Caïn était un enfant du démon ; et qu’Abel était un juste de Dieu. Par là, mes frères, les hommes se distinguent donc les uns des autres. Ne faites pas attention à ce que dit un homme, mais à ce qu’il fait et à ce qu’il aime. Dès lors qu’il agit mal à l’égard du prochain, il montre ce qu’il a dans le cœur. C’est la tentation qui fait connaître l’homme.

9. « Ne vous étonnez pas, mes frères, si le monde vous déteste ». Faut-il vous dire encore ce qu’est le monde ? Ce n’est ni le ciel, ni la terre, ni ces œuvres visibles sortiesdes mains de Dieu : ce sont les amateurs du monde. En répétant sans cesse la même chose, je deviens ennuyeux pour plusieurs ; et, pourtant, ce n’est pas inutilement que je me répète, car, demandez à quelques-uns ce. que j’ai dit, ils ne vous répondront pas. Il me faut donc appuyer sur ce point, afin que mes paroles se gravent dans le cœur de ceux qui m’écoutent. Qu’est-ce que le monde ? Si vous prenez ce mot en mauvaise part, on entend parle monde tous ceux qui l’aiment : considéré à son meilleur point de vue, il signifie le ciel, la terre et toutes les créatures de Dieu qu’ils renferment ; c’est dans ce sens qu’il est dit : « Et le monde a été fait par lui aq ». Ce mot désigne encore tous les habitants de la terre ; Jean lui-même l’a employé en ce sens : « Et lui-même est la victime de propitiation pour nos péchés, et non-seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux de tout le monde ar ». Sous ce vocable il range tous les fidèles répandus dans l’univers. Quant au monde, pris dans l’acception défavorable du mot, ce n’est autre chose que les amateurs du monde. Ceux qui aiment le monde ne peuvent aimer le prochain.

10. « Si le monde nous déteste, nous savons ». Que savons-nous ? « Que nous avons passé de « la mort à la vie ». Pourquoi le savons-nous ? « Parce que nous aimons nos frères ». Que personne ne questionne son voisin ; que chacun de nous rentre en lui-même ; et s’il trouve en son cœur la charité fraternelle, qu’il soit tranquille, parce qu’il a passé de la mort à la vie. Il est déjà placé à la droite ; si maintenant sa gloire est cachée, qu’il n’y fasse pas attention ; lorsqu’aura lieu l’avènement du Seigneur, alors il apparaîtra dans la gloire. Il n’est pas mort, mais il en est encore au temps de l’hiver ; sa racine est vivace, mais ses branches semblent desséchées ; au dedans se trouvent et se cachent la sève, les feuilles et les fruits, en attendant la saison d’été. « Nous savons » donc « que nous avons passé de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères : Celui qui n’aime point, demeure dans la mort ». N’allez pas vous imaginer, mes frères, que détester ou ne pas aimer soit peu de alose ; écoutez ce qui suit : « Quiconque hait son frère, est homicide ». S’il en est parmi-nous un seul qui attache peu d’importance à la haine du prochain, pourra-t-ilavoir en son âme la même idée à l’égard de l’homicide ? Il ne porte pas encore la main sur son frère pour le faire mourir, mais il est déjà regardé par Dieu comme un homicide. La victime est encore vivante, et le bourreau est déjà jugé. « Quiconque hait son frère est homicide. Et vous savez que nul homicide n’a la vie éternelle résidante en lui ».

11. « Nous avons connu l’amour de Dieu envers nous » ; l’Apôtre parle de la charité parfaite, de cette charité dont nous vous avons parlé. « Nous avons connu l’amour de Dieu envers nous, parce qu’il a donné sa vie pour nous, et nous devons aussi donner notre vie pour nos frères ». Voilà l’explication de ces paroles : « Pierre, m’aimes-tu ? Pais mes brebis ». Jésus voulait que Pierre fît paître ses brebis, en ce sens qu’il donnât sa vie pour elles ; j’en trouve la preuve dans ces paroles que le Sauveur adressa immédiatement après à son Apôtre : « Lorsque tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même, et tu allais où tu voulais ; mais quand, dans ta vieillesse, tu étendras tes mains, un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudras pas. Or », remarque l’Évangéliste, « il dit cela pour indiquer par quelle mort il devait glorifier Dieu as ». En disant à Pierre : « Pais mes brebis », il voulait lui apprendre à mourir pour elles.

12. Où commence la charité, mes frères ? Réfléchissez un peu ; vous savez déjà où elle puise sa perfection ; quelle est sa fin et son caractère ? Le Sauveur lui-même vous l’a appris dans l’Évangile : « Personne ne peut témoigner un plus grand amour qu’en donnant sa vie pour ses amis at». Dans l’Évangile, il nous apprend donc en quoi consiste la perfection de la charité, et il nous en donne la plus haute idée dans ce passage. Mais vous vous adressez à vous-mêmes cette question ; vous vous dites : Quand pourrons-nous avoir cette charité ? Ne va pas si vite à perdre confiance. en toi ; elle a peut-être déjà pris naissance en ton cœur ; seulement, elle n’est pas arrivée encore au comble de la perfection nourris-la pour qu’elle ne périsse pas. Mais, me diras-tu, comment savoir si je l’ai ? Nous avons appris comment elle se perfectionne ; apprenons où elle commence. Jean continue en ces termes : « Un homme qui a les biens de ce monde et qui, voyant. son frère dans la détresse, lui ferme son cœur et ses entrailles, comment aurait-il en soi l’amour de Dieu ? » Voilà où commence la charité. Si tu n’es pas encore capable de mourir pour le prochain, sois déjà au moins disposé à partager ton bien avec lui. Que la charité émeuve tes entrailles ; et, en voyant ton frère dans le besoin, aide-le, non par ostentation, mais par l’effet du plus pur sentiment de compassion miséricordieuse. Car si tu n’es pas assez généreux pour donner au prochain ton superflu, le seras-tu assez pour sacrifier ta vie en sa faveur ? Tu as, par devers toi, de l’argent que les voleurs peuvent te prendre ; s’ils ne te le prennent pas, si, pendant la vie, il ne te quitte point, la mort t’en séparera. Que faire alors ? Ton frère a faim, il se trouve dans l’embarras ; peut-être est-il arrêté, pressé par un créancier ; il ne possède rien, et toi tu es riche ; c’est ton frère ; vous avez été achetés en même temps, le prix de votre rançon est le même ; vous avez été rachetés au prix du sang du Christ. Vois si tu as pitié de ce frère, quand tu es riche des biens du monde. Que m’importe, me diras-tu ? Irai-je donner ma fortune pour le préserver d’embarras ? Si ton cœur te répond de la sorte, l’amour du Père ne se trouve pas en toi, et si l’amour du Père ne se trouve pas en toi, tu n’es pas né de Dieu. Comment alors te glorifier d’être chrétien ? Tu en as le nom, mais tu n’en mènes pas la conduite ; que si tes œuvres sont d’accord avec ton nom, on aura beau t’appeler païen, tu montreras par ta manière d’agir que tu es chrétien. Mais si tes mœurs ne dénotent pas en toi un disciple du Christ, lors même que tout le monde t’appellerait chrétien, à quoi te servirait d’en porter le nom sans l’être réellement ? « Un homme qui a les biens de ce monde et qui, voyant son frère dans la détresse, lui ferme son cœur et ses entrailles, comment aurait-il en soi l’amour de « Dieu ? » L’Apôtre ajoute : « Mes petits enfants, n’aimons pas seulement de parole et de langue, mais par les œuvres et en vérité ».

13. Je le pense, mes frères, je vous ai fait suffisamment connaître le grand secret, l’indispensable mystère de la charité. Ce qu’elle est, toute l’Écriture nous le dit ; mais je ne sais si en aucun endroit il en est plus question que dans cette Epître. Nous vous prions, nous vous conjurons dans le Seigneur de garder le souvenir de ce que nous vous en avons dit, et de venir avec régularité écouter attentivement ce qui nous reste à vous dire sur cette Epître, pour vous l’expliquer dans son entier. Ouvrez votre cœur à la bonne semence ; arrachez-en les épines afin qu’elles n’y étouffent pas le grain que nous y déposons, et que la récolte y vienne abondante ; le laboureur aura ainsi lieu de se réjouir, et il préparera pour vous, non pas le feu comme si vous étiez de la paille, mais ses greniers, parce que vous serez du bon grain.
Le commentaire de ces versets (19-24) est le même que le début du chapitre 4.
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