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SOIXANTE ET UNIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES SAINTS MACHABÉES. (PREMIER SERMON.)

ANALYSE. —1. Les martyrs Machabées sont un exemple pour tout sexe et tout âge. —2. La mère des Machabées mérite tous les éloges pour l’éducation donnée à ses enfants. —3. Martyre du premier de ces frères. —4. Martyre des cinq autres frères. —5. Mais le martyre le plus digne d’éloge est celui du jeune.

1. Vous venez d’entendre, mes frères, le récit du glorieux martyre des frères Machabées, et je pense qu’à cette occasion vous vous êtes rappelé cette parole de l’Apôtre, dont la lecture vous a été faite également : « Toutes ces choses ont été écrites pour notre édification, à nous qui nous trouvons à la fin des temps a ». En effet, tout ce qui a été écrit dans les livres saints, a été écrit pour notre édification et notre salut, afin que les exemples qui nous sont donnés par nos frères deviennent pour nous un principe de perfection, et que nous trouvions dans la lecture de leurs actions glorieuses un encouragement à la foi. Or, l’Église vient de dérouler à nos yeux le glorieux triomphe de ces heureux frères et de cette heureuse mère, afin de le proposer comme exemple à l’un et à l’autre sexe ; les hommes doivent prendre pour modèle ces frères si pieux, et les femmes cette mère héroïque dans sa foi et son dévouement ; puissent les femmes élever de cette manière leurs enfants ; puissent les enfants obéir à d’aussi nobles enseignements. Que tous apprennent de quel amour ils doivent aimer leurs enfants.

2. La bienheureuse mère des martyrs avait commencé, dès leur berceau, à former ses enfants à la vertu, à leur enseigner les, saintes lois du Seigneur, et ses leçons, quoique d’une simplicité toute maternelle, ne laissaient pas de dévoiler les mystères les plus profonds. Grâce aux saints enseignements de la mère et à la pieuse docilité des enfants, cette famille réalisait au plus haut point cette sainte fraternité que la foi enseigne, et que scelle l’obéissance. Aussi fut-il donné à cette bienheureuse mère d’élever ses enfants à une grandeur que ne purent jamais atteindre de simples forces humaines ; car, en révélant la religion à ses enfants, elle les conduisit au ciel. Dans ces réflexions qui s’appliquent à tous les frères, l’Église trouve déjà un grand sujet d’édification. Mais il me paraît utile de dire quelques mots du martyre de chacun de ces frères ; car, outre ce vaste sujet de louange et d’admiration, la doctrine de l’Église y est solennellement confirmée.

3. Écoutons d’abord le langage que tient l’aîné de ces frères. S’adressant au tyran, il lui dit : « Que cherchez-vous, que voulez-vous apprendre de nous ? Nous mourrons mille fois plutôt que de profaner nos lois paternelles b ». Parlant au nom de tous ses frères, il ne craint pas de dire : « Nous sommes prêts à mourir ». Comprenons que sa pensée était comme le reflet de la pensée de tous les autres. Le tyran furieux ordonne de lui couper la langue. O l’infâme ressource d’une incrédulité féroce ! Il ordonne de couper la langue afin de rendre impossible toute profession de foi ; il ignore sans doute que la dévotion et la foi sont bien moins sur les lèvres qu’elles ne sont dans le cœur. Aussi le bienheureux martyr peut perdre l’usage de la parole, mais sa foi n’en souffre aucune atteinte. Il garde désormais le silence, mais sa fermeté d’âme n’en est nullement ébranlée.

4. Mais passons aux autres. On demande au second s’il consent à manger de la viande de porc : « Non », répond-il. « Et voilà pourquoi », dit l’Écriture, « il fut tourmenté comme son aîné ». Cette égalité de supplices était naturelle, car sa foi égalait celle de son frère ; pourquoi ses souffrances n’eussent-elles pas été égales, puisqu’elles devaient suppléer à l’infériorité de l’âge et l’élever au même rang que son frère ? « Après cela », dit l’Écriture, « on couvrait d’outrages le troisième ». J’admire la justesse de cette expression employée par l’Écriture pour désigner les embûches du démon ; car, lorsque la violence ne lui réussit pas, il sait recourir aux outrages et à la dérision. On tourmenta le quatrième, et pendant qu’on lui brisait les membres, il lance ce cri de confiance et de foi : « C’est du ciel que j’ai reçu ces membres ». O foi sublime du martyr ; ce qu’il perd sur la terre, il est assuré de le retrouver dans le ciel ! Pourquoi, dès lors, se troublerait-il du brisement de ses membres, puisqu’il y trouve un titre nouveau de bonheur au ciel ? ce que la terre lui ravit, le ciel le lai rendra pour l’éternité. Dans le cinquième frère nous devons une égale admiration à ses paroles et à son courage ; car, au moment où il était en proie aux plus horribles souffrances, il n’oublie pas de confesser sa foi et dit au tyran : « Sous avez l’empire sur les hommes, quoique vous ne soyez vous-même que cendre et poussière ; toutefois gardez-vous de croire que votre peuple soit abandonné de Dieu ; attendez, et vous verrez notre Dieu déployer sa puissance et vous frapper rudement, vous et votre race ». Ô admirable sécurité de la foi parfaite ! elle ne cède ni n’est ébranlée devant les persécuteurs et les bourreaux. On le prive de ses membres, mais son courage reste supérieur à toutes les tortures. Il subit le joug de la force, mais il domine par sa foi ; les souffrances l’accablent, mais il compte encore sur les représailles divines. Ainsi donc, autant qu’il est en lui, il est martyrisé, et il menace du martyre ; il est immolé, et il annonce la vengeance, sa foi s’élève bien au-dessus de la puissance de son bourreau ; il souffre la persécution et il juge son persécuteur. Le sixième, sur le point d’aller triompher au ciel, adresse ces mots au tyran : « Ne vous trompez pas vous-même ; nous souffrons, parce que nous avons péché contre notre Dieu, et la conduite du Seigneur à notre égard est très-digne d’admiration ». Ce que nous devons admirer dans les martyrs, ce n’est pas seulement leur foi et leur courage, mais surtout la religieuse mansuétude de leur esprit et leur profonde humilité au sein des plus glorieux triomphes.

5. Venons maintenant à l’admirable et héroïque constance du plus jeune de ces frères. Il souffrit le dernier, mais sa foi brilla d’un tel éclat que, après les luttes victorieuses de ses frères, il put encore remporter une nouvelle victoire. C’est justice ; car, placé au dernier rang par l’âge, il s’éleva au-dessus des autres par les souffrances et par l’exemple. En effet, son héroïsme n’est-il pas d’autant plus grand que son enfance lui en permettait moins, et sa victoire ne paraît-elle pas d’autant plus belle, qu’on le croyait lui-même moins capable de combattre ? D’un autre côté, le persécuteur sut joindre à la violence toutes les ressources et les séductions de la ruse, de telle sorte que ses caresses devinrent plus dangereuses que les tourments ; car si la jeunesse est parfois courageuse, la prudence et la sagesse lui font toujours défaut. Le bourreau a donc recours à l’arme perfide de l’indulgence et de la pitié, et pour mieux persuader le fils, il fait appel à l’affection et au dévouement de la pieuse mère. Il savait toute la faiblesse de la piété maternelle dans les souffrances, et souvent il arrive qu’une mère ne puisse supporter dans la personne de son enfant ce qu’elle aurait bravé dans sa propre personne ; car le cœur qui aime n’est pas toujours aussi fort que le membre qui souffre. Le cruel tyran s’attaque donc au cœur du fils dans l’affection de la mère, il essaie de vaincre le fils dans la personne de la mère, et la mère dans la personne du fils ; raffinement de cruauté qui, n’attaquant qu’un ennemi, se propose d’en vaincre deux, soit celui qu’il veut séparer du chœur glorieux de ses frères, soit la mère elle-même, à qui il n’inspire tant de sympathie pour la vie du plus jeune de ses enfants, que pour lui faire perdre le mérite acquis par elle dans la mort des six premiers.

SOIXANTE-DEUXIÈME SERMON. SUR LA FÊTE DES SAINTS MACHABÉES. (DEUXIÈME SERMON.)

ANALYSE. – Eloge de la mère des Machabées qui en un seul jour met ses sept enfants en possession du bonheur éternel. —2. Bonheur incomparable de cette mère.— 3. Elle a suivi courageusement le martyre de ses premiers enfants. —4. Antiochus flatte le plus jeune et ordonne à la mère d’user de son influence pour sauver la vie à son fils. —5. Cette mère, plus admirable encore qu’Abraham, exhorte au martyre son septième enfant. —6. Celui-ci meurt, et après lui, sa mère. —7. Nous devons tout supporter pour Jésus-Christ.

1. S’il nous fallait, mes frères, entreprendre le panégyrique de chacun de ces sept frères qui, en un même jour, en compagnie de leur glorieuse mère, souffrirent le martyre, nous succomberions à cette tâche, et vous ne pourriez nous suivre jusqu’au bout. D’ailleurs, fussiez-vous capables d’un tel effort, il me faudrait encore compter avec ma propre faiblesse. En effet, quelle langue humaine pourrait louer, exalter dignement ces martyrs qui naquirent le même jour, non pas pour la terre, mais pour le ciel ? Le martyre a fait pour eux ce que n’aurait pu faire aucune fécondité humaine. La grâce divine a infiniment surpassé les forces de la nature humaine. Toute mère, en effet, doit s’avouer impuissante à engendrer à la fois sept enfants, tandis que cette glorieuse mère des Machabées, en un seul jour, a engendré à Jésus-Christ, par la foi, sept confesseurs martyrs. Réjouissons-nous, mes frères, de trouver à la foi plus de fécondité qu’à la nature. Réjouissons-nous à la vue des grandes merveilles opérées par le Seigneur, qui a réuni dans sa gloire, en un seul jour, ceux que la naissance avait séparés.

2. O bienheureuse mère, qui a engendré de tels enfants par la chair et par la charité, pour le monde et pour Dieu, pour la terre et pour le ciel ! Mais après les avoir une première fois enfantés dans la tristesse et les gémissements de la chair, elle les offre avec joie au Seigneur, sur l’autel de la foi, comme autant de victimes vouées à l’holocauste. Ô heureuse mère, qui n’eut à pleurer le reniement d’aucun de ses fils, à affermir aucune hésitation de leur part, ni à regretter aucune apostasie ! Cette mère combattait dans chacun de ses enfants, et dans leur victoire elle triomphait en son nom et au leur. Ô bonne mère qui est devenue l’arbre bon ! Le Seigneur a dit : « L’arbre bon porte de bons fruits c ». Les feuilles et les fruits de cet arbre, ce sont, mes frères, les paroles saintes et les bonnes actions. Le Prophète a dit de cet arbre saint : « Vos fils sont comme les rejetons de l’olivier autour de votre table d ». Prêtez encore ici, mes frères, toute votre attention ; les fruits de l’olivier se récoltent pendant l’hiver ; pendant l’été, il produit un épais ombrage ; il nourrit le laboureur pendant l’hiver, et pendant l’été il lui offre un abri contre les feux du soleil ; il offre l’huile pour oindre sa tête, et l’ombrage pour abriter le corps. De là ces autres paroles du Prophète. « Vous avez oint ma tête avec l’huile e » ; et encore : « Je suis comme l’olivier fertile dans la maison du Seigneur f ». La colombe a trouvé un rameau de cet olivier, au temps du déluge, et l’a rapporté dans l’arche avec ses fruits. Les sept enfants dont nous parlons, étaient donc sept rameaux fertiles, qui ont pu s’incliner au temps de la persécution, mais qui n’ont pu être brisés.

3. La mère des Machabées vit alors ses fils torturés, déchirés, brûlés, pour la foi ; elle put contempler leurs membres coupés, lacérés et jetés au vent ; et toutefois elle ne craignit pas, elle ne sentit aucune faiblesse, aucune défaillance ; elle se tenait debout avec une étonnante fermeté, et puisait dans l’assistance divine le courage avec lequel elle combattait pour la loi. O prodige admirable de la libéralité divine à l’égard de cette femme bienheureuse ! elle était la mère de ces enfants, elle leur fut associée dans la compagnie des anges ; elle était leur mère, et elle devint leur sceur dans la lutte du martyre ; elle était leur mère, et elle reçut avec eux la couronne du martyre et la récompense éternelle.

4. Des sept frères, il ne restait que le plus jeune. Le tyran l’appelle, lui prodigue les flatteries et les promesses, afin de le détourner de la voie droite et de le séparer de ses frères. Il lui promet des richesses, des honneurs, des dignités, de l’or, de l’argent, un royaume, un empire. Mais le jeune Machabée se rit de toutes ces promesses et les foule aux pieds, parce qu’il aime Dieu de tout son cœur. Bientôt succèdent les menaces et tous les genres de supplices ; il reste insensible aux menaces comme aux promesses, rien ne l’émeut, rien ne l’ébranle. Se voyant donc hautement vaincu, Antiochus appelle la mère de cet enfant et l’invite à user de toute son influence auprès de son fils, pour l’arracher aux tourments que les six autres frères avaient inutilement bravés. La mère promit d’exhorter son fils. Mais à celui qui restait, pouvait-elle tenir un autre langage que celui qu’elle avait tenu à ses autres enfants déjà parvenus au bonheur du ciel ? Tout d’abord elle leur avait dit à tous : « Mes enfants, je ne sais comment vous avez été formés dans mon sein ; ce n’est point moi qui vous ai donné l’esprit et l’âme ; ce n’est point moi qui ai construit vos visages et vos membres ; Dieu qui a fait le ciel, la terre, la mer, et tout ce qu’ils renferment, Dieu qui est la source de tout ce qui existe, a pu seul vous donner l’esprit et l’âme ; c’est lui qui a construit votre visage et vos membres ; par respect pour ses lois saintes, vous livrez aujourd’hui vos corps, mais il vous les rendra dans sa miséricorde g ». Elle était mère, et comme elle aimait Dieu de tout son cœur, elle savait tenir à ses enfants ce généreux langage.

5. Mes frères, nous admirons Abraham, parce qu’il offrit courageusement son fils à Dieu ; combien plus devons-nous admirer cette femme, qui en un seul jour sut faire au Seigneur le sacrifice de ses sept enfants martyrs ? Au dernier survivant elle adressait ces paroles : Toi, mon fils, tu me restes ; ta naissance a mis le comble à mes veaux ; je t’en prie, je t’en conjure, ne laisse pas ma joie imparfaite. Mon fils, prends pitié de moi, qui t’ai porté dans mon sein pendant neuf mois. Ne permets pas qu’un seul instant ma vieillesse se couvre de honte ; ne ternis pas l’éclat du triomphe de tes frères ; ne quitte pas leur sainte phalange et marche sur leurs traces. « Mon fils, lève tes yeux au ciel », d’où te sont venus ton esprit et ton âme ; « regarde la terre », qui a fourni l’alimentation de ta vie ; regarde tes frères qui t’appellent à leur suite ; regarde ta mère « qui t’a allaité pendant trois ans ». J’attends de toi la récompense de mon amour ; ne te sépare pas de tes frères, ne te sépare pas de ta mère qui t’a nourri. Je t’en prie, ô mon fils ; le roi Antiochus te promet des richesses temporelles, des honneurs temporels ; mais considère que tous ces biens sont passagers, vains et futiles ; rien de tout cela n’est éternel. Dieu seul nous promet des biens éternels, et Dieu ne saurait nous tromper. Mon fils, souviens-toi des paroles du Seigneur ton Dieu ; souviens-toi de ce que tu as lu et entendu ; n’oublie pas ce qu’il nous dit par le Prophète : « Vanité des vanités, et tout est vanité h ». O mon fils, ne crains pas le roi Antiochus, alors même qu’il tue pour un temps ton propre corps ; mais crains le Seigneur ton Dieu, qui réunira ton corps à ton âme, en compagnie de tes frères. Je vous ai reçus de Dieu comme la lumière de sept jours radieux i. J’ai déjà fermé le sixième jour, parce que j’ai rendu à Dieu six de tes frères, et j’ai vu que tout était bien. Toi aussi tu dois suivre tes frères, afin qu’après avoir travaillé pendant six jours, je me repose le septième ; comme donc le Seigneur qui vous attend, a travaillé six jours et s’est reposé le septième, moi aussi je veux trouver en toi le repos à toutes mes larmes.

6. Éclairé par cette exhortation maternelle, et rempli du Saint-Esprit, cet enfant s’écria « Qu’espérez-vous ? qu’attendez-vous ? Je ne consens ni n’obéis aux ordres d’un roi trompeur, mais j’obéis à Dieu ». Il ajouta d’autres paroles que vous avez entendues. C’est ainsi qu’il mourut lui-même innocent et pur. La mère fut martyrisée la dernière ; elle est morte pour le monde, mais elle vit en Dieu. Elle n’a pu mourir, celle qui, pour l’amour de Dieu, a porté au martyre ses sept enfants. Or, tous vivent sous l’autel des cieux, « car le Seigneur n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants j ».

7. Si donc, mes frères, les anciens justes ont beaucoup souffert pour ces divins sacrements ; si Daniel et ses trois compagnons sont dignes de toutes nos louanges, parce qu’ils n’ont pas voulu se souiller en participant à la table du roi ; si nous célébrons le souvenir de ces saints Machabées qui n’ont pas voulu user de ces viandes, dont les chrétiens peuvent user aujourd’hui licitement ; nous aussi, ne craignons pas, s’il le faut, de souffrir pour Jésus-Christ, pour le baptême de Jésus-Christ, pour l’Eucharistie de Jésus-Christ et pour la croix de Jésus-Christ ; les justes de l’Ancien Testament ne connaissaient que les promesses et les figures, et nous, nous possédons la réalité. La foi pour eux était couverte de voiles et de ténèbres, tandis que pour nous elle brille dans toute sa splendeur. Tous les saints et les justes avaient la même foi et la même espérance. Sachons donc souffrir ce qu’ils ont souffert pour Dieu, méprisons ce qu’ils ont méprisé, afin que nous recevions avec eux la vie éternelle que nous espérons.

SOIXANTE-TROISIÈME SERMON. POUR LA SOLENNITÉ DES SAINTS MACHABÉES. (TROISIÈME SERMON.)

ANALYSE. —1. Fête de la dédicace de l’Église et fête des martyrs. —2. Les chrétiens ont toujours à combattre. —3. La solennité des martyrs demande à être célébrée par la sainteté. —4. Conclusion.

1. Je rends à Dieu d’abondantes actions de grâces, à la vue de ce vaste concours de peuples, qui suffirait seul à rappeler la grande solennité de ce jour, lors même que je garderais le silence. Dociles aux sentiments pieux qui vous animent, vous avez mis une sainte envie à vous réunir, et à proclamer, avant toute parole de ma part, la sainteté de ce jour. C’était justice, car votre joie a un double motif : la dédicace de cette église et le triomphe d’illustres martyrs dont la gloire rejaillit sur l’Église tout entière. Les saintes Écritures, dont la lecture vient d’être faite, vous ont rappelé le grand événement que nous célébrons en ce jour, le martyre des sept frères et celui de leur mère qui, après avoir souffert en chacun de ses enfants a obtenu sa part dans leur triomphe. Grâce à ses pieuses exhortations, ses enfants, avant elle, se montrèrent invincibles dans la mort, et la précédèrent dans le triomphe, mais elle les suivit aussitôt. Bienheureuse mère, bienheureux enfants, bienheureuse famille, où le courage de ceux qui précèdent n’a d’égal que le courage de ceux qui suivent ! Habilement inspiré par son impiété et sa barbarie, le tyran s’était flatté d’effrayer les premiers par l’atrocité des supplices, et les derniers par l’affreux spectacle qu’ils auraient eu sous les yeux ; mais il ne réussit qu’à multiplier les palmes des martyrs et à rehausser leur triomphe, car chacun d’eux resta vainqueur, non seulement dans sa propre personne, mais aussi dans la personne de chacun de ses frères.

2. Il est toujours utile et agréable de rappeler de tels exemples. La science enfle, à moins que l’obéissance n’édifie ; les leçons fatiguent à entendre, à moins qu’on n’entreprenne de les mettre en pratique. Les persécuteurs et les bourreaux ont disparu ; toutes les puissances combattent aujourd’hui pour Dieu, les occasions du martyre n’existent plus pour les chrétiens, et cependant ils ne laissent pas d’avoir encore à souffrir. « Mon fils », est-il dit, « en vous engageant au service de Dieu, tenez-vous dans la justice et la crainte, et préparez votre âme à la tentation k ». L’Apôtre dit également : « Tous ceux qui veulent vivre pieusement en Jésus-Christ, souffrent persécution pour la justice l ». Vous donc qui pensez que toute persécution a cessé et qu’aucun ennemi n’est là pour nous faire la guerre, sondez les derniers secrets de votre cœur scrutez attentivement tous les replis de votre âme ; voyez si aucune adversité ne vous tourmente, si aucun ennemi n’aspire à dominer dans la citadelle de votre âme ; ne faites aucune paix avec l’avarice, et méprisez l’accroissement des gains iniques. Refusez toute alliance avec l’orgueil, et craignez plus d’être reçu avec honneur, que d’être foulé dans l’humilité. Rompez avec la colère, et que le désir de la vengeance n’aiguise jamais en vous l’aiguillon de l’envie ; renoncez à la volupté, détournez-vous de l’impureté, repoussez la luxure, fuyez l’iniquité, abstenez-vous du mensonge ; et quand vous reconnaîtrez que vous avez beaucoup de combats à soutenir, imitez les martyrs et multipliez vos victoires. Autant de fois nous mourons au péché, autant de fois les péchés meurent en nous : « Et la mort des saints est précieuse aux yeux du Seigneur m » ; car l’homme y meurt au monde, non point par la destruction de ses sens, mais par l’extinction de ses vices.

3. Si donc, mes frères, « vous ne portez pas le joug avec les infidèles n » ; si vous cessez d’être pécheurs, si vous ne cédez à aucune tentation des cupidités charnelles, c’est en tonte justice que vous célébrez ce jour solennel ; on ne peut qu’applaudir aux honneurs que vous rendez non-seulement aux martyrs et à leur mère, mais aussi à cet homme généreux
Probablement le fondateur de l’église.
qui, à la fête des martyrs, a joint la solennité de la dédicace de cette église. Louons sa magnificence dans la construction de ses murs, mais surtout dans l’édification des âmes ; à ce double titre ses œuvres passeront avec gloire à la postérité ; nos descendants goûteront les fruits de ses belles institutions, soit en fréquentant le temple qu’il a bâti, soit en mettant en pratique les enseignements qu’il nous a laissés.

4. Ainsi donc que le spectacle toujours étalé sous vos yeux, et les souvenirs toujours présents à votre esprit se réunissent pour assurer votre avancement dans la vertu ; usez de cette église élevée par vos ancêtres, de manière à vous rappeler sans cesse que le temple de Dieu est fondé en vous-mêmes. Que dans cette construction il ne se mêle rien de mauvais, rien de faible ; construisez avec des pierres vivantes et choisies, afin que, par leur union indissoluble, l’unité du corps de Jésus-Christ croisse et se manifeste ; qu’il en soit ainsi avec le secours de Dieu et de la pierre angulaire Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui vit et règne, avec le Père et le Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

SOIXANTE-QUATRIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES MARTYRS.

ANALYSE. —1. La mort des saints martyrs, comme celle de Jésus-Christ, est précieuse en raison de leurs souffrances. —2. Tout doit être accepté pour Jésus-Christ, en vue dès biens futurs. —3. Conclusion.

1. Nous chanterons avec amour le suave refrain du psaume spirituel ; nous célébrerons en chœur la mort des saints ; nous emprunterons au Prophète, au chantre du Saint-Esprit, ses accents inspirés, et y joignant notre voix, nous dirons : « La mort des saints est précieuse devant Dieu p ». Que le démon par lui-même ou par ses complices suscite contre les saints de Dieu des supplices d’une cruauté inouïe, qu’il les frappe à coups de fouets, qu’il les déchire avec des ongles de fer, qu’il les broie sur le chevalet, qu’il les brûle tout vivants, qu’il s’acharne sur leurs membres carbonisés, qu’il élève des croix, qu’il plante des poteaux, qu’il appelle les bêtes féroces, qu’il construise des précipices ; tout cela est vain, car ceux qui sont embrasés du désir des biens célestes, ceux qui attendent la récompense promise dans l’éternité, se montrent plein de mépris pour les choses présentes ; la vie de la terre n’inspire que dégoût à ceux que possède l’amour de la vie éternelle. Celui qui porte sa croix et suit Jésus-Christ ne peut aimer le monde ; car ce monde est le foyer de tous les vices. De là cette parole de Jésus-Christ dans l’Évangile : « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se renonce lui-même, qu’il porte sa croix et qu’il me suive q ». « Qu’il porte sa croix », comme si Jésus-Christ eût dit : Qu’il porte ma croix, car celui qui portera ma croix la fera sienne. Celui donc qui aura porté la croix du Sauveur, aura part également à sa récompense. Pour des âmes généreuses, la mort est comme l’abrégé de tous ces biens.

2. Viennent ensuite les persécutions extérieures, et la couronne du martyr sera complète quand arrivera le jour de la récompense. « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se renonce lui-même ». O précieuse jalousie de Dieu ! Selon cette parole : Notre Dieu est jaloux ; il veut que vous l’aimiez jusqu’à commencer à vous haïr : aimez-moi, dit-il, et ne vous aimez pas vous-même ; renoncez-vous à vous-même et conservez-vous pour moi ; soyez mien, ne soyez pas vôtre ; que votre vie soit suspendue à ma croix, parce que ma croix conserve votre vie. Je ne veux pas que vous vous aimiez ; aimez-moi, car si vous m’aimez, vous vous aimerez ; tandis que vous aimer sans moi, ce serait vous haïr. Aimez-vous cette vie ? Aimez plutôt celui qui vous a donné la vie elle-même. Aimez-vous votre corps ? Aimez plutôt votre Créateur qui a formé votre corps. Pourquoi aimeriez-vous ce qui doit périr ? Aimez ce qui est éternel. L’amour des choses présentes est un amour périssable ; l’amour des choses futures est un amour éternel ; l’amour des choses présentes finit avec le temps présent, tandis que c’est par la mort elle-même que nous parvenons à la récompense de l’immortalité. C’est ainsi que les saints Prophètes en aimant le Seigneur ont haï le monde. C’est ainsi que ces trois enfants invincibles ont méprisé leur propre vie et ont triomphé de la flamme de la fournaise. C’est ainsi que Daniel, par l’empire de sa sainteté, a vaincu les bêtes féroces. Le vieillard Éléazar, malgré son grand âge, a pu montrer un courage héroïque, parce que dans sa jeunesse il avait foulé aux pieds le monde. La bienheureuse mère des Machabées, souffrant dans sa propre personne, après avoir souffert dans la personne de chacun de ses sept enfants, a surmonté son amour et son sexe, et a sacrifié les impulsions les plus naturelles de son cœur. Les Apôtres nous ont enseigné et ont prouvé par leur propre conduite qu’ils préféraient mourir pour Jésus-Christ plutôt que de vivre pour la terre ; leurs enseignements et leurs exemples rappellent sans cesse aux fidèles le bonheur de souffrir. Enfin les saints martyrs ont donné leur vie pour Jésus-Christ, et se sont renoncés eux-mêmes afin de se donner tout entiers à leur Créateur. Ils ont méprisé les supplices, les tourments, les croix, le feu, le gibet, les bêtes féroces ; aucune souffrance ne peut faire fléchir le courage de ceux dans le cœur desquels l’amour de Dieu régnait en souverain.

3. Les saints ont toujours méprisé cette misérable vie de la terre, et se montraient disposés à embrasser pour Dieu toutes les souffrances ; voilà pourquoi l’on peut dire de leur mort qu’elle « est précieuse devant Dieu » ; de toutes les choses du monde, aucune ne leur paraissait digne d’occuper leur cœur. Qu’ils soient suspendus à la croix, qu’ils soient jetés à la dent des bêtes féroces, leur mort, quelle qu’elle soit, est précieuse, parce qu’elle est la possession solennelle de leur foi. C’est d’eux que Salomon a dit ; « Quoiqu’ils aient souffert toute sorte de tourments devant les hommes, leur espérance est pleine d’immortalité ; et après des souffrances d’un moment ils seront comblés de bonheur pendant l’éternité r ». De là aussi ces belles paroles de l’Apôtre : « Qui nous séparera de la charité de Jésus-Christ ? sera-ce l’affliction, les déplaisirs, la faim, la nudité, les périls, la persécution, le fer ? Selon qu’il est écrit : On nous fait mourir tous les jours pour l’amour de vous, Seigneur ; on nous regarde comme des brebis destinées à être égorgées. Mais, parmi tous ces maux, nous demeurons victorieux par Celui qui nous a aimés. Car je suis assuré que ni la a mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les puissances, ni les choses présentes, ni les choses futures, ni la violence, ni tout ce qu’il y a de plus haut ou de plus profond, ni aucune autre créature, ne pourra jamais nous séparer de l’amour de Dieu, en Jésus-Christ Notre-Seigneur s ».

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