Exodus 1
QUATRIÈME SUPPLÉMENT PREMIÈRE PARTIE
TROISIÈME SERMON. SUR JOSEPH.
ANALYSE. —1. Après la mort de Joseph, les Juifs sont réduits à l’état de captivité.—2. Interprétation allégorique de l’histoire de ce patriarche.—3. Interprétation également allégorique de la délivrance accomplie par Moise et Aaron. —4. Il faut d’abord fuir l’Égypte, si l’on veut offrir à Dieu un sacrifice de louanges véritables. 1. Ainsi que la lecture de l’Ancien Testament nous l’a appris, mes bien-aimés, le trône d’Égypte fut, après la mort de Joseph, occupé par un nouveau roi qui n’avait point connu ce patriarche et qui entreprit d’anéantir la multitude des enfants d’Israël. Il les exerçait à préparer l’argile, à confectionner des briqués, à battre les grains, et il les contraignait à se livrer à ces travaux jusqu’à l’épuisement de leurs forces. C’est pourquoi, fatigués d’un long esclavage et accablés sous le poids de travaux hors de proportion avec les forces humaines, ils adressèrent, par la bouche de Moïse et d’Aaron, cette prière à Pharaon. « Laissez-nous sortir d’Égypte ; après trois jours de marche nous serons dans le désert et nous pourrons offrir des sacrifices à notre Dieu a ». 2. Cette histoire, mes bien-aimés, si l’on veut s’en tenir à la surface de la lettre, présente un sens très-clair et très-manifeste ; elle est si belle, elle brille par elle-même d’un tel éclat, qu’il suffit de la lire simplement pour en être édifié. Mais vos esprits en seront bien plus grandement édifiés encore, si, écartant l’écorce de la lettre qui tue, nous pénétrons jusqu’a la moelle, c’est-à-dire jusqu’à l’interprétation spirituelle ; ou, pour revêtir ma pensée d’une autre forme, si, posant comme fondement les faits historiques rapportés dans ce passage de l’Écriture, nous élevons dessus l’édifice sublime d’une interprétation allégorique. Et d’abord, mes bien chers frères, nous sommes nous-mêmes les enfants d’Israël, nous qui, par la faute de nos premiers parents, avons été tristement expulsés du paradis de délices, de la région de lumière et de félicité éternelle dans cette vallée des misères et des larmes, dans cette région ténébreuse et couverte des ombres de la mort comme dans une vraie terre d’Égypte. Tant que Joseph régna en Égypte, Pharaon ne persécuta point le peuple de Dieu. Joseph représente ici Jésus-Christ que ses frères, c’est-à-dire les Juifs, ont vendu uniquement par un sentiment de haine, et qui, après avoir été emmené en Égypte, n’y a point été reconnu par ses frères ; car Jésus-Christ a était dans le monde, et le « monde avait été créé par lui, et le monde ne le reconnut point b ». Aussi longtemps que Joseph conserva le pouvoir sur l’Égypte, le peuple n’éprouva aucun effet de la colère de Pharaon. Et, en effet, tant que le véritable Joseph règne sur nous, tant que le Christ demeure maître absolu de nos âmes, Pharaon, c’est-à-dire le démon et les puissances ennemies, ne sauraient nous percer de leurs traits ni nous causer aucun dommage. Mais après la mort de Joseph un nouveau prince s’asseoit sur le trône d’Égypte, et ce prince ne connaît point Joseph, et il contraint les enfants d’Israël à se livrer sans relâche au rude labeur de la préparation de l’argile et de la fabrication des briques. Ce nouveau roi, mes biens chers frères, n’est autre que le démon qui règne en maître absolu sur tous les hommes livrés à l’orgueil et qui ne connaît point Joseph, c’est-à-dire Jésus-Christ. « Car il a dit en son cœur : Il n’y a point de Dieu c » ; et après la mort de Joseph, il opprime le peuple. Si le Christ vient à mourir en nous, si son souvenir vient à disparaître de notre esprit, alors le nouveau roi, je veux dire le démon, commence à exercer sur nous son pouvoir tyrannique, il nous condamne aux pénibles travaux de la préparation de l’argile et de la confection des briques ; il nous voue au hideux et ignoble esclavage des voluptés charnelles ; il nous contraint de livrer notre cœur « au monde et aux choses qui sont dans le monde d » ; il enchaîne notre esprit et le tient, aussi bien que notre corps, constamment courbé vers les choses de la terre ; de telle sorte que la méditation des choses célestes devient pour nous une œuvre tout à fait impossible. 3. Mais Dieu, qui se plaît avant tout à exercer sa miséricorde et qui cherche à pardonner à ses fidèles serviteurs bien plutôt qu’à les punir, compatissant à leur misère et à leur affliction, choisit et délégua Moïse et Aaron, c’est-à-dire la loi et le sacerdoce, pour délivrer son peuple et pour châtier Pharaon. C’est pourquoi ; s’étant présentés devant ce prince, ils lui dirent : « Voici ce que dit le Seigneur Dieu : Laissez aller mon peuple, afin qu’il m’offre des sacrifices dans le désert. Après trois jours de marche nous serons dans la solitude, et là nous offrirons des sacrifices à notre Dieu e ». Remarquons ici, mes frères, que les enfants d’Israël, demeurant sur la terre d’Égypte, ne pouvaient offrir à Dieu aucun sacrifice. Le mot Égypte, en effet, signifie ténèbres et désigne ici le monde ; car ce monde fait de tous ses amateurs autant d’enfants de ténèbres, en les enveloppant dans les ténèbres de l’ignorance et dans la nuit du péché. Condamnés à la meule, aveuglés par leurs péchés qui recouvrent leurs yeux comme un voile impénétrable, on les voit s’agiter dans un cercle sans fin, lutter contre des flots qui les reportent constamment au rivage, travailler toujours sans trouver jamais le repos, courir avec effort sans parvenir au but ; égarés dans la nuit de la plus épaisse ignorance, ils dépensent une activité surhumaine sans réussir à rencontrer même la porte de la vérité. Dans cette région donc des ténèbres et de la mort, les enfants d’Israël ne sauraient offrir aucun sacrifice ; car le coassement des grenouilles retentirait dans un tel sanctuaire, des légions de mouches, s’élevant de ce sol fangeux, se précipiteraient dans les yeux des assistants : l’odeur même de l’encens serait étouffée sous les émanations pestilentielles qui remplissent ces lieux consacrés aux vices les plus divers et où chaque démon a un autel. 4. Il faut donc sortir d’Égypte de peur que, par leur coassement, les grenouilles ne troublent le repos des Israélites, de peur que « les mouches en mourant ne cessent de répandre une odeur suave » et ne souillent le sacrifice. Encouragés donc par l’exemple du bienheureux Abraham, « sortons de la terre qui nous a vus naître et qu’habitent encore nos proches ; sortons de la maison de notre père f », et venons dans la terre que le Seigneur nous aura montrée. Avec le bienheureux Joseph abandonnant son manteau entre les mains d’une adultère, précipitons-nous dehors ; avec le jeune homme de l’Évangile laissant là le suaire, suivons le Seigneur sans considérer même de quelle manière nous sommes vêtus, et marchons pendant trois jours pour nous rendre dans le désert et pour y sacrifier à notre Dieu. Cette voie par laquelle il nous est ordonné de nous rendre dans la solitude, c’est précisément le Christ, qui a dit : « Je suis la voie, la vérité et la vie g » ; et ailleurs : « Personne ne vient au Père, si ce n’est par moi » h. Il faut donc marcher dans cette voie, non point par des mouvements corporels, mais par des désirs intérieurs, afin de parvenir à la solitude de l’esprit et au repos de la conscience. Car la connaissance de la loi divine s’acquiert et se perfectionne dans le repos et le silence. Aussi longtemps que le bruit tumultueux du péché frappe nos oreilles, aussi longtemps que la tempête et l’ouragan du vice font éclater au-dessus de nos têtes la voix formidable de son tonnerre, nous n’approchons point de la solitude ; mais lorsque, cet horrible tumulte ayant cessé, nous jouissons de la paix et de la tranquillité de la vertu, c’est alors seulement que nous pouvons offrir à Dieu un sacrifice de louanges. Or, on ne parvient à cette bienheureuse solitude que par trois étapes. Par la première de ces étapes, l’âme fidèle entre dans le jardin ; par la seconde, elle pénètre dans le cellier rempli de vin ; par la troisième, elle est introduite dans la chambre à coucher du roi. Il faut, en effet, que l’âme, autrefois esclave des plaisirs charnels dont elle aimait à s’enivrer, il faut, dis-je, que cette âme, délivrée de l’Égypte et fatiguée du chemin, trouve d’abord des consolations et des douceurs dans le jardin du Christ ; il faut que ce jardin lui offre des arbres chargés de fruits spirituels et des fleurs exhalant un parfum délicieux de vertu, afin que, grâce à ce puissant réconfort, elle oublie bientôt les jouissances grossières dans lesquelles elle se complaisait et ne recherche plus que les joies et les délices de la vertu. De là cette invitation qui lui est adressée dans les cantiques : « Venez dans mon jardin, ô ma sœur, ô mon épouse i ! » À la seconde étape, le roi l’introduit dans le cellier rempli de vin.: Ce cellier n’est pas autre chose que la divine Écriture, dans laquelle se trouve renfermé ce vin spirituel qui enivre l’esprit des fidèles et qui réjouit le cœur de l’homme intérieur. Après donc que l’âme, occupée d’abord à savourer les douceurs sensibles de la vertu, a pu satisfaire complètement cette curiosité, elle pénètre dans ce cellier rempli de vin, elle s’applique à l’étude des saintes Écritures, et la loi de Dieu devient l’objet de ses méditations du jour et de la nuit. De là ces autres paroles du même livre des cantiques : a Le roi m’a introduit dans son cellier au vin j ». À la troisième étape, enfin, l’âme entre dans la chambre à coucher du roi. Cette chambre, c’est le sanctuaire de la contemplation, une sorte de tabernacle mystérieux où l’âme médite plus à son aise. Car l’âme fidèle, après que le jardin des vertus l’a détachée de l’amour des choses temporelles et que le cellier rempli de vin l’a initiée à la connaissance des divines Écritures, l’âme fidèle se retire et s’enferme dans la solitude de l’esprit comme dans une chambre secrète, et là, s’enflammant des feux du divin amour par la méditation assidue des vérités éternelles, elle contemple et adore son Père comme sur une montagne inaccessible à tout profane, et offre à Dieu un sacrifice de louange. 5. Vous donc, ô mes bien-aimés, vous qui êtes de vrais Israélites, non point par un effet de votre génération charnelle, ni par suite d’une circoncision faite dans votre chair, mais par l’effet de votre fidèle observation des commandements de Dieu, fuyez l’Égypte, à l’exemple de vos ancêtres d’autrefois, secouez le joug de Pharaon, renoncez aux ouvrages de terre et de boue qui vous ont occupés jusqu’ici. Mettez fin à ces relations, à ces conversations avec les Égyptiens, qui vous souillent et vous corrompent ; et, criant avec force vers le Seigneur, venez avec Moïse et Aaron, dégagés de toute entrave et libres de tout fardeau, par une marche de trois jours, c’est-à-dire par de bonnes pensées, par de bonnes paroles, par de bonnes actions, venez au repos et à la solitude de l’esprit, et offrez un sacrifice de dévotion et de louange au Seigneur votre Dieu, qui vit et règne dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. []LIVRE DEUXIÈME. QUESTIONS SUR L’EXODE
QUESTION PREMIÈRE. – (Exod 1, 19-20.) Sur le mensonge des sages-femmes. – Les sages-femmes voulant épargner la vie des enfants mâles d’Israël à leur naissance, trompèrent Pharaon par un mensonge, en lui disant que les femmes des Hébreux n’accouchaient pas comme les femmes des Égyptiens ; à ce propos, on demande ordinairement si de pareils mensonges ont reçu la sanction de l’autorité divine, puisqu’il est écrit que Dieu fit du bien à ces sages-femmes : mais pardonna-t-il leur mensonge, en considération de leur humanité ; ou bien jugea-t-il digne de récompense ce mensonge lui-même ? c’est ce qui n’est pas certain. Car autre chose était de sauver la vie aux enfants nouveau-nés, autre chose de mentir à Pharaon : en sauvant la vie à ces enfants, les sages-femmes accomplissaient une œuvre de miséricorde, mais en mentant à Pharaon, elles agissaient dans leur intérêt, et par crainte du châtiment, action digne peut-être de pardon, mais non d’éloge. Ceux dont il est dit : « qu’il ne s’est point trouvé de mensonge dans leur bouche k » n’ont pas vu, ce me semble, dans ce mensonge, un exemple à suivre. Ceux qui mènent une vie bien éloignée de celle des saints, quand ils commettent ces péchés de mensonge, s’y portent d’eux-mêmes par tempérament et à mesure qu’ils avancent en âge, surtout lorsqu’au lieu d’élever leurs espérances vers les biens célestes, ils recherchent exclusivement les biens de la terre. Mais ceux dont la vie est, suivant le témoignage de l’Apôtre, toute céleste l, ne doivent pas régler sur l’exemple des sages-femmes leur manière de parler, quand il s’agit de dire la vérité et d’éviter le mensonge. Au reste, cette question mérite d’être traitée avec un soin particulier, en raison des autres exemples que fournit l’Écriture.
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