‏ Genesis 21

L. (Ib 21, 8.) Sur le festin que fit Abraham quand on sevra son fils.

– Pourquoi Abraham fit-il un festin, non pas le jour de la naissance de son fils, ni le jour où il fut circoncis, mais le jour où on le sevra ? Si l’on ne découvre pas ici quelque sens spirituel, la question reste sans solution. Ce fait signifie donc qu’une grande joie doit éclater, lorsque l’homme, arrivé à l’âge spirituel, est devenu un homme tout nouveau, c’est-à-dire, différent de ceux à qui l’Apôtre dit : « Je vous ai nourris de lait, non de viande ; parce que vous n’en étiez pas capables ; et à présent même vous ne l’êtes pas encore, parce que vous êtes encore charnels a. »

SERMON III. AGAR ET L’HÉRÉSIE b.

ANALYSE. – Ce n’est ici qu’un fragment. Agar, dit S. Augustin, mérita par son orgueil d’être affligée par Sara, et si les princes catholiques ont porté des lois contre la faction de Donat, cette faction ne se les est-elle point attirées par son orgueil ? Mais les hérétiques sont réservés à de plus rudes supplices. Ismaël fut chassé de la maison de son père Abraham à cause de l’espèce de persécution qu’il exerçait contre Isaac : ainsi les hérétiques ne seront point admis au céleste héritage.

L’ancien Testament est spécialement pour les Juifs ; car il leur promettait des biens charnels, incapables qu’ils étaient de recueillir les biens spirituels. C’était là un royaume tout terrestre, une vie terrestre et profondément abaissée, livrée à la puissance de l’ennemi. Ils n’espéraient du Seigneur rien que de terrestre, ils le servaient pour ce motif. Que l’on interroge les Chrétiens ; n’en est-il pas, hélas ! Qui ressemblent à ces Juifs ? Ils sont comme eux de l’Ancien Testament. Peu m’importe le nom ; c’est la vie que je considère.

De ce nombre sont aussi l’hérésie et le schisme. Agar s’enfuit devant Sara, Sara l’affligeait. Comment s’en étonner ? Sara l’affligeait dans son corps. Si le parti de Donat a souffert aussi quelques afflictions, n’est-ce point Agar la servante d’Abraham qui est châtiée par sa maîtresse à cause de son orgueil ? Que cette Agar écoute la voix de l’ange : « Retourne vers ta maîtresse, lui dit-il c. »

« Mais comme alors celui qui était né selon la chair persécutait celui qui l’était selon l’esprit, de même encore aujourd’hui. Or que dit l’Écriture ? Chasse la servante et son fils ; car le fils de la servante ne sera point héritier avec le fils de la femme libre. d » Cherchons à comprendre cette persécution, là même où l’Écriture en parle.

Que dit donc la Genèse ? « Comme Ismaël jouait avec Isaac, Sara les vit. » Où est ici le persécuteur ? Où est le persécuté ? Sara les voit jouer et elle dit : « Chasse la servante, et son fils. » Pourquoi les chasser ? Parce qu’elle les voit jouer. Mais saint Paul appelle ce jeu une persécution. C’est qu’Ismaël se jouait d’Isaac ; il l’attirait pour le tromper. Les jeux des enfants sont des simulacres d’affaires plus importantes ; et quand le grand joue avec le petit, c’est pour le duper : il a en vue des desseins différents de ce qu’il fait paraître au petit, c’est-à-dire au faible avec lequel il joue. Ismaël était l’aîné et déjà affermi dans la malice : en jouant avec Isaac, il le trompait, il dupait ce petit comme on dupe au jeu. Sara s’aperçut que ce jeu était une persécution contre son fils, c’est pourquoi elle dit : « Chasse la servante et son fils ; car le fils de la servante ne sera point héritier avec le fils de la femme libre e. »

L’Église dit aussi : Chasse les hérésies et leurs adeptes ; car les hérétiques n’hériteront pas avec les catholiques. Mais pourquoi n’hériter pas ? Ne sont-ils point de la race d’Abraham ? N’ont-ils pas le Baptême de l’Église ? Ils ont le Baptême, et issus d’Abraham ils en seraient les héritiers ; si leur orgueil ne les excluait de cet héritage. Tu nais de la même parole, du même sacrement ; mais tu ne parviendras au même héritage de l’éternelle vie qu’à ta condition de rentrer dans l’Église Catholique. Tu es de la race d’Abraham ; mais loin d’ici le fils de la servante à cause de son orgueil.

LII. (Ib 21, 13.) Ismaël, enfant de la chair, Isaac, enfant de la promesse.

– Il faut noter qu’Ismaël, lui aussi, reçut de Dieu la qualification de fils du sang d’Abraham, en raison de l’interprétation suivante que l’Apôtre nous donne de ces paroles : « C’est d’Isaac que sortira la race héritière de ton nom : c’est-à-dire ce ne sont pas les enfants nés de la chair, mais les enfants de la promesse, qui sont réputés de cette race f. » Isaac est donc proprement le fils en sa qualité, non de fils de la chair, mais de fils de la promesse relative à toutes les nations.

LIII. (Ib 21, 14.) Renvoi d’Agar et d’Ismaël.

– « Or Abraham se leva dès le matin, et il prit des pains et une outre d’eau, les donna à Agar, et les lui mit sur les épaules ; et l’enfant, et la renvoya. » On demande ordinairement comment il put mettre sur les épaules d’Agar un enfant de cette taille. Car Ismaël fut circoncis à l’âge de treize ans, avant la naissance d’Isaac ; Abraham avait alors quatre-vingt-dix-neuf ans, et à la naissance d’Isaac il avait atteint sa centième année. Or, quand Ismaël jouait avec Isaac et contrista Sara, ce dernier était sans doute déjà grand, puisqu’il était sevré : Ismaël devait donc avoir plus de seize ans, lorsqu’il fut chassé de la maison paternelle avec sa mère. De plus, quand même on admettrait que cette circonstance du jeu d’Ismaël avec le petit enfant doit se rapporter par mode de récapitulation, à l’époque où Isaac n’était pas encore sevré, il n’en serait pas moins toujours absurde de croire qu’un enfant de plus de treize ans eût été mis sur les épaules de sa mère, avec une outre et des pains. La question se résout très facilement, si nous ne sous-entendons pas : il mit sur les épaules, mais : il donna. Car selon le texte, Abraham donna à la mère de l’enfant une outre et des pains qu’elle plaça sur ses épaules. Et quand le texte ajoute : et l’enfant, nous sous-entendons : il donna et non pas : il mit sur les épaules ; après avoir donné l’outre et les pains, il donna encore l’enfant à Agar.

LIV. (Ib 21, 15-18.) Paroles de l’Ange à Agar.

– « Et l’eau manqua dans l’outre et elle laissa l’enfant sous un sapin, et elle s’éloigna et elle s’assit vis-à-vis de lui à la distance d’un trait d’arc ; car elle disait : Je ne verrai point la mort de mon fils, et elle s’assit en face de lui. Or l’enfant jeta un cri et pleura ; et Dieu écouta la voix de l’enfant du lieu où il était ; et un Ange de Dieu appela Agar du ciel et lui dit : Agar, qu’y a-t-il ? ne crains rien, car Dieu a entendu la voix de ton fils du lieu où il est. Lève-toi et prends l’enfant et tiens-le par la main : parce que je le ferai chef d’un grand peuple. » On a coutume de demander comment la mère put laisser sous un arbre cet enfant qui avait plus de quinze ans, et s’en alla à la distance d’un trait d’arc, pour ne pas le voir mourir. Il semble en effet qu’elle l’ait porté et déposé à terre ; c’est le sens que parait présenter le texte, surtout quand on lit plus loin : « L’enfant pleura. » Mais il faut comprendre que la mère l’abandonna, non après l’avoir porté, mais, ainsi qu’il arrive par désespoir, comme s’il allait mourir. Portait-on celui qui a dit ces paroles de l’Écriture : « J’ai été laissé loin de vos yeux g ? » Et ne dit-on pas tous les jours dans le langage ordinaire qu’on laisse loin de soi un familier quand pour ne plus le voir on cesse de l’admettre en sa compagnie ? Il faut donc entendre ici ce que l’Écriture ne dit pas : que la mère s’éloigna de son fils, pour que l’enfant ignorât où elle s’était retirée, et qu’elle se cacha dans la profondeur de la forêt, pour ne pas avoir sous ses yeux son fils mourant de soif. Quant à lui, qu’y a-t-il d’étonnant que même à son âge, il ait pleuré, privé qu’il était depuis longtemps de la vue de sa mère, qui l’avait pour ainsi dire perdu, et laissé seul en cet endroit ? Les paroles suivantes : « Prends l’enfant » ne signifiaient donc pas qu’Agar dût le relever du sol où il gisait, mais qu’elle devait le rejoindre et le tenir par la main, suivant ce qui se pratique à l’égard d’un compagnon, et il en était un : c’est ce que font souvent ceux qui cheminent ensemble, de quelque âge qu’ils soient.

LV. (Ib 21, 22.) Quand fut creusé le puits du serment ?

– « Or il arriva dans ce temps-là qu’Abimélech dit, etc. » Abraham fit alliance avec Abimélech, et le puits qu’il creusa fut appelé le Puits du serment: comment, peut-on demander, cela s’accorde-t-il avec la vérité ? Agar, expulsée de la maison d’Abraham, errait, dit l’Écriture, aux environs du puits du serment ; or la construction qui en fut faite par Abraham est rapportée longtemps après, car Abimélech et Abraham jurèrent en cet endroit, et cet événement n’était certainement pas encore arrivé, quand Sara
Il faut lire ici Agar. Il s’agit d’une erreur dans le texte.
fut chassée avec son fils de la maison d’Abraham. Comment donc errait-elle autour du puits du serment ? Faut-il croire que le puits était déjà creusé, et que l’entrevue d’Abraham avec Abimélech est rapportée ensuite sous forme de récapitulation ? Celui qui écrivit le livre longtemps après, n’a-t-il pas appelé du nom de puits du serment, la contrée où errait la mère avec son fils, comme s’il disait : Elle errait dans cette contrée où fut établi le puits du serment ? Ce puits fut construit dans la suite, mais longtemps avant l’époque où vécut l’auteur ; et au moment où le livre s’écrivait, le puits s’appelait ainsi, conservant l’antique dénomination qu’il tenait d’Abraham. Cependant, si c’est ce même puits qu’Agar vit de ses propres yeux, il n’y a plus d’autre moyen de résoudre la question que d’y voir une récapitulation des faits. Et dans le cas où le puits eût été creusé avant l’expulsion d’Agar, on ne doit pas se préoccuper de savoir comment elle ignorait qu’Abraham l’eût établi, car il pourrait très bien se faire que le puits existât à son insu, pour les troupeaux, loin de la maison qu’Abraham habitait avec les siens.

LVI. (Ib 21, 33.) Abraham ne possédait-il aucun domaine dans la terre de Chanaan ?

– On peut demander comment Abraham planta un champ non loin du puits du serment, si, comme le dit saint Étienne, il n’avait point reçu d’héritage en ce pays, pas même un pied de terre i. Mais il faut entendre ici par héritage, non celui qu’il acheta à prix d’argent, mais celui que Dieu devait lui donner dans sa munificence. Or l’espace qui environnait le puits, fut sans doute compris dans l’acquisition qu’Abraham paya de sept jeunes brebis, lorsque lui et Abimélech se jurèrent mutuellement fidélité.

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