eSag 7, 26
mIsa 7, 9. sel, LXX
nSag 7, 26
zJn 8, 68
avSag 11, 21
ayJn 1, 9, 20, 27
biPsa 122, 17-18
ccJn 8, 86
cgJn ##Rem 35
cmId 13, XVIII
cwSag 9, 15
cxSir 24, 6
dfSir 3, 80
ecSag 8, 1
eeMat I.
 
 
 
 
 
emRom 6, 34
fgExo 33, 11, 13, 20
gaId 7,9
haJn 2, 29
hdPsa 82, 17-18
iyIbid
jlPsa 52, 14-15
jnSir 2, 14
jqSir 6, 36, 37
 

‏ John 1

SERMON CXVII. LE VERBE DE DIEU a.

ANALYSE. – Pour acheter le Verbe de Dieu, il faut se donner soi-même ; mais en se donnant on s’acquiert, car le Verbe est la forme suprême qui répare et perfectionne quiconque s’attache à lui. En vain les Ariens contestent son éternité et son égalité avec son Père. Le témoignage de l’Écriture ne leur suffit pas ? Si toutefois ils veulent découvrir dans la nature des images de l’éternité et de l’égalité du Verbe avec Dieu, quoique ces comparaisons ne soient pas des preuves, on peut leur en montrer. La lumière du feu n’est-elle pas aussi ancienne que le feu ? Si le feu était éternel, la lumière qu’il produit ne serait-elle pas également éternelle ? Un fils n’est-il pas de même nature que son père et homme aussi bien que lui ? Mais au lieu de chercher si curieusement à scruter ces profonds mystères, purifiez l’œil du cœur, profitez des abaissements et de l’incarnation du Verbe ; soyez humbles à son exemple et il vous élèvera jusqu’à lui.

1. Le passage évangélique qu’on vient de lire, mes très-chers frères, a besoin pour être compris que l’œil du cœur soit bien pur. Nous venons de voir en effet Jésus-Christ Notre-Seigneur et dans sa divinité, créateur de tout l’univers, et dans son humanité, restaurateur de la nature déchue. L’évangéliste Jean nous a montré ce spectacle. L’Évangile même nous a fait connaître l’étonnante grandeur de cet historien, et la dignité du serviteur nous indique de quelle valeur est le Verbe qu’il a fait connaître, ou plutôt combien ce Verbe est hors de prix, puisqu’il l’emporte sur tout. Ce qu’on achète vaut exactement le prix qu’on en donne, vaut plus ou vaut moins. Quand cela vaut le prix, il y égalité entre l’objet et le prix ; si l’objet vaut moins, il est au dessous du prix, et au-dessus s’il vaut davantage. Mais rien ne saurait égaler le Verbe de Dieu, ni être au-dessus ni être au dessous de lui comme valeur. Tout sans doute est au dessous de lui, puisque « tout a été fait par lui ; » mais rien ne saurait en être le prix même inférieur. Et toutefois, si l’on peut.parler ainsi, si la raison ou l’habitude permettent de s’exprimer de la sorte, le prix à donner pour acheter le Verbe est l’acheteur lui-même, et en se donnant à lui il s’enrichit. Voulons-nous acheter quelque chose ? Nous cherchons ce que nous pourrons donner en échange de ce que nous désirons, et ce que nous donnons alors est hors de nous ; s’il est dans nos mains nous nous en dessaisissons pour prendre en retour ce que nous achetons. Ainsi, quel que soit le prix d’achat, il faut le céder pour obtenir ce qu’on a en vue ; on ne se cède pas pourtant soi-même, mais on acquiert l’objet qu’on paie. Quant au Verbe, il ne faut pas, pour se le procurer, chercher hors de soi, il faut se donner soi-même, et en se donnant on ne se perd pas comme on perd le prix d’une autre acquisition.

2. Ainsi le Verbe de Dieu s’offre à tous ; l’achète qui le peut, et on le peut avec une volonté pieuse. Dans lui en effet, se trouve la paix, et cette paix passe sur la terre aux hommes de bonne volonté b. Afin donc de se le procurer, il faut se donner, chacun en est comme le prix. Mais peut-on employer cette expression, quand en se donnant pour acquérir le Verbe on ne se perd pas, quand au contraire on se gagne en s’abandonnant à lui ? Et que lui donne-t-on en se donnant ? – On ne lui donne point quelque chose qui lui soit étranger, on lui rend pour le refaire ce que lui-même a fait, car « tout a été fait par lui. » Si en effet il a fait tout, il a fait sans aucun doute l’homme comme le reste. Si c’est à lui que doivent l’existence et le ciel, et la terre, et la mer, et tout ce qu’ils renferment, et toutes les créatures enfin ; n’est-il pas plus manifeste encore qu’il est l’auteur de l’homme, fait par lui à l’image de Dieu.

3. En ce moment, mes frères, nous ne cherchons pas à expliquer comment peuvent s’entendre ces mots : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. » On peut les entendre dans le silence de la méditation, les paroles humaines n’en sauraient donner l’intelligence. C’est du Verbe de Dieu qu’il est ici question et nous voulons dire ce qui empêche de le connaître. Remarquez, nous n’entreprenons pas de le faire comprendre, nous exposons ce qui empêche d’en avoir une idée parfaitement juste.C'est que ce Verbe est une forme, mais une forme qui n’est pas formée, et qui au contraire a formé tout ce qui l’est ; formé immuable où il n’y a ni déchet, ni déclin, qui n’est astreinte ni au temps ni au lieu, qui domine tout et qui est partout, qui sert à la fois de fondement pour tout appuyer et de faîte pour tout couronner. Dire que tout est en lui, ce n’est pas une erreur ; car ce Verbe est appelé la Sagesse de Dieu, et il est écrit : « Vous avez tout fait d’ans votre Sagesse c. » Ainsi tout est en lui, et pourtant, parce qu’il est Dieu, tout est au-dessous de lui. Ce qu’on vient de lire est incompréhensible, et si on l’a lu, ce n’était pas pour le faire comprendre à l’esprit humain, mais pour lui inspirer le regret de ne le comprendre pas, pour lui faire découvrir ce qui lui en ôte l’intelligence, pour le porter à écarter ces obstacles et à soupirer après la connaissance de ce Verbe immuable en changeant lui-même de mal en bien. Le Verbe en effet ne profite ni ne gagne à être connu, il reste toujours le même ; le même si on s’approche de lui et le même si on reste près de lui ; le même si on s’en éloigne et le même si on y revient, et en restant toujours le même il renouvelle tout. C’est ainsi qu’il est la forme de tout ; mais forme incréée, indépendante, comme nous l’avons dit, et du temps et de l’espace. En effet ce qui est dans un lieu quelconque y est nécessairement circonscrit. Une forme circonscrite a des limites, des limites qui la prennent à son origine et la conduisent à son terme. De plus, ce qui est contenu dans un lieu, ce qui a un volume et une étendue quelconque, est moindre dans l’une de ses parties que dans son tout. Fasse le ciel que vous me compreniez !

4. A la vue, des corps qui sont sous nos yeux, que nous touchons et au milieu desquels nous vivons, nous pouvons constater chaque jour que chacun d’eux, quelle qu’en soit la forme, occupe localement une place. Or tout ce qui occupe une place est moindre dans l’une de ses parties que dans son tout. Une partie du corps humain comme le bras, est sûrement moindre que tout le corps. Mais si le bras est moindre, il occupe un moindre espace. Ainsi la tête, autre partie du corps, occupe également un espace moindre parce qu’elle n’a pas autant de volume que tout le corps. Ainsi en est-il de tous les objets contenus dans un lieu, ils sont moindres dans une de leurs parties que dans leur tout. Mais ne nous figurons, n’estimons rien de pareil dans le Verbe de Dieu ; ne consultons point les impressions de la chair pour nous représenter les choses spirituelles. Ce Verbe divin, ce grand Dieu n’est pas moindre dans l’urne de ses parties que dans son tout.

5. Tu ne saurais te représenter cette propriété divine, et il y a plus de piété à ne pas la comprendre qu’à présumer d’en avoir l’intelligence. Souviens-toi que nous parlons de Dieu, car il est dit : « Le Verbe était Dieu. » Nous parlons de Dieu ; est-il donc étonnant que tu ne comprennes pas ? Si tu comprenais, ce ne serait pas Dieu. Avoue donc pieusement ton ignorance, plutôt que de prétendre témérairement avoir l’intelligence. Atteindre Dieu tant soi peu est un grand bonheur, le comprendre est chose absolument impossible. Dieu est à l’esprit ce que le corps est aux yeux ; on connaît Dieu comme on voit le corps. Crois-tu l’œil capable de pénétrer tout ce qu’il voit ? Tu te tromperais étrangement ; tu ne vois aucun objet tout entier. Voir un homme en face, est-ce le voir en même temps par-derrière ? et le voir par-derrière, est-ce en même temps le voir en face ? À proprement parler tu ne comprends donc pas ce que tu vois, et si la mémoire ne conservait en toi le souvenir du côté que tu as vu, tu ne pourrais, en regardant d’un autre côté, dire que tu comprends quoi que ce soit, d’une manière même superficielle. Pour voir une chose, tu la manies, tu la tournes et la retournes ; ou bien tu tournes toi-même pour la considérer sous toutes ses faces. Tu ne saurais donc d’un seul coup d’œil la voir tout entière. En la tournant tu en vois les différentes parties et pour te persuader que tu l’as vue tout entière il faut te rappeler que tu les as vues l’une après l’autre. Ce n’est donc pas l’œil, c’est la mémoire qui agit surtout ici. Que ne peut-on alors, mes frères, dire du Verbe de Dieu ? Des corps exposés à nos regards nous disons que la vue ne saurait les pénétrer tout entiers ; comment donc l’œil du cœur pourrait-il comprendre Dieu ? C’est assez – pour lui, s’il est pur, de l’atteindre, et l’atteindre c’est en quelque façon le toucher d’une manière toute spirituelle, mais sans le comprendre ; et encore la pureté est-elle requise. Or le bonheur de l’homme consiste à atteindre ainsi par le cœur ce qui est toujours heureux, ce qui est l’éternelle béatitude, ce qui est la vie, ce qui, est la sagesse parfaite, et pour l’homme la source de la sagesse ; ce qui est l’éternelle lumière, et pour l’homme le foyer de toute lumière. Remarque donc comment ce tact invisible te transforme sans altérer l’Être mystérieux que tu atteins ; en d’autres termes comment Dieu ne gagne rien à être connu, et comment tu profites en le contemplant. Nous avons dit, il est vrai, que nous payons Dieu, mais ne nous figurons pas, mes très-chers frères, que nous l’enrichissons. Que lui donnons-nous qui puisse ajouter à son être ? N’est-il pas le même si tu t’éloignes de lui, et le même si tu t’en rapproches ? S’il désire qu’on le contemple, n’est-ce pas pour faire le bonheur de ceux qui le regardent et pour frapper d’aveuglement ceux qui se détournent ? Car l’aveuglement est la première vengeance, le commencement des peines qu’il inflige à l’âme qui se détache de lui. N’est-ce pas tomber dans l’aveuglement que de s’éloigner de la lumière véritable, c’est-à-dire de Dieu ? Cette peine n’est pas sensible, elle n’en est pas moins réelle.

6. Aussi, mes très-chers frères, sachons que sans parler de sa naissance temporelle, c’est d’une naissance toute spirituelle, qui le met à l’abri de toute altération et de tout changement, que le Verbe de Dieu est né de son Père. Mais comment persuader à certains infidèles qu’il n’y a rien de contraire à la vérité dans cette doctrine catholique que combattent les Ariens, infatigables ennemis de l’Église de Dieu ? Les hommes charnels ne croient-ils pas plus facilement ce qu’ils voient ? On a donc osé dire : Le Père est plus grand et plus ancien que : le Fils ; le Fils est inférieur au Père et moins ancien que lui. Et voici comme on raisonne : Si le Fils est né, évidemment le Père existait avant lui. Soyez attentifs : que Dieu nous vienne en aide ; implorez son secours par vos prières et par votre pieuse application à recueillir ce que lui-même nous donnera, nous inspirera pour vous ; qu’il nous aide à expliquer de quelque manière le mystère que nous avons entrepris d’exposer. Je l’avoue cependant, mes frères, si je n’y réussis pas, attribuons-en la faute, non pas à la raison, mais à l’homme. Priez donc, je vous en conjure, je vous en supplie ; touchez la miséricorde divine et qu’elle nous mette sur les lèvres les paroles qu’il est nécessaire, à vous d’entendre, et à nous de prononcer. Si le Verbe est Fils de Dieu, disent donc les Ariens, il est né. – Sans aucun doute, car s’il n’était pas né, il ne serait pas Fils. Rien de plus clair ; ce raisonnement est admis par la foi, approuvé par l’Église catholique, il est juste. – Mais ils ajoutent : Si le Père a un Fils, il existait sûrement avant la naissance de ce Fils. – Voilà ce que réprouve la foi, ce que repoussent les oreilles catholiques ; anathème à qui pense ainsi ; il est séparé, il ne fait plus partie ni de la communion, ni de la société des saints. – Par conséquent, poursuivent-ils, montre-nous comment le Père peut avoir un Fils aussi ancien que lui.

7. Comment, mes frères, expliquer des choses toutes spirituelles à des hommes charnels ? Ne sommes-nous pas charnels nous-mêmes lorsque nous entreprenons de faire comprendre ces idées spirituelles à des hommes charnels, à des hommes quine connaissent que des naissances charnelles, et qui voient invariablement dans ce monde des différences d’âge entre ce qui remplace et ce qui s’en va, entre ceux qui engendrent et ceux qui sont engendrés ? Parmi nous en effet le fils naît après son père, afin de, lui succéder après la mort de celui-ci ; et soit parmi les hommes, soit parmi les animaux, nous voyons toujours les pères plus anciens que les enfants. Ce spectacle perpétuel porte ces Ariens à se faire la même idée de l’ordre spirituel, et plus ils s’appliquent aux choses charnelles, plus facilement ils s’égarent. Ce n’est pas la raison qui les guide, quand on leur annonce ces doctrines erronées ; ils se laissent aller à l’habitude, et c’est l’habitude aussi qui inspire leurs maîtres de mensonge. Que faire donc ? Nous taire ? Que n’y sommes-nous autorisés ! La méditation silencieuse paraît convenir à cet ineffable mystère : car ce qui est ineffable de sa nature est de sa nature inexprimable. Or Dieu est ineffable. Si en effet l’Apôtre Paul, ravi jusqu’au troisième ciel, affirmé y avoir entendu d’ineffables paroles d ; combien plus est ineffable Celui de qui viennent ces idées inexprimables pour celui qui les a reçues. Aussi, mes frères, serait-il préférable de nous taire, si nous y étions autorisés, et de nous borner à dire : Voilà ce qu’enseigne la foi, c’est ce que nous croyons ; si tu ne peux le comprendre, c’est que tu es encore du nombre des petits ; prends patience jusqu’à ce que tu aies des ailes ; si tu voulais sans elles prendre ton essor, tu pourrais, non pas voler librement, mais tomber témérairement. – Mais que répliquerait-on ? Ah ! s’il pouvait répondre, dirait-on, il n’y manquerait pas. C’est une excuse pour voiler son impuissance. S’il refuse de répondre, c’est qu’il est vaincu par la vérité même. – Et de fait, lors même que le silence ne prouverait pas que je n’ai rien à répliquer, il pourrait nuire à ceux de nos frères dont la foi n’est pas affermie. Car en entendant l’objection ils s’imaginent qu’il n’y a réellement rien à y répondre, quoiqu’on puisse n’avoir rien à répondre tout en ayant le sentiment de la vérité. On ne peut rien exprimer sans le sentir, mais on peut sentir sans pouvoir exprimer.

8. Si néanmoins, sans déroger à l’ineffabilité de cette Majesté suprême, nous employons des comparaisons pour réfuter ces hérétiques, que nul ne regarde ces comparaisons comme faisant connaître complètement ce que les faibles ne sauraient ni exprimer ni penser même ; car s’il est des esprits plus avancés ils ne peuvent comprendre qu’en partie, ils ne peuvent voir qu’en énigme et à travers un miroir. Produisons donc ces comparaisons pour réfuter les hérétiques et non pour expliquer le mystère. Que font-ils d’ailleurs pour nous combattre, lorsque nous soutenons la possibilité pour le Verbe de naître du Père et d’être aussi ancien que lui ? Ils font des comparaisons, des comparaisons tirées de la créature. Un homme, disent-ils, existe avant d’avoir un fils, il est plus ancien que son fils ; ainsi en est-il du cheval, du mouton, de tous les autres animaux. Voilà bien des comparaisons tirées des créatures.

9. Faut-il alors que nous nous fatiguions à découvrir des similitudes pour établir les vérités dont nous nous occupons ? Et si je n’y réussissais pas, ne pourrais-je pas répondre qu’à la génération du Créateur il n’y a rien de semblable dans la créature ? Autant en effet sa nature divine surpasse les natures créées, autant sa génération l’emporte sur les générations naturelles. Tout a été fait par Dieu, et qu’y a-t-il néanmoins qui lui soit comparable ? Tout aussi naît avec son concours ; et n’est-il pas aussi impossible de signaler des similitudes qui représentent sa génération, que d’en signaler qui figurent sa nature, son immutabilité, sa divinité et sa majesté ? Qu’y a-t-il ici qui puisse nous donner l’idée de ces attributs ? Si donc je ne pouvais indiquer non plus aucune génération semblable à la sienne, serais-je vaincu pour cela ? Devrais-je me désespérer pour n’avoir rien découvert dans la créature qui fût comparable au Créateur.

10. Non, mes frères, je ne découvrirai dans le temps rien que je puisse mettre en regard de l’éternité. Et toi, qu’as-tu découvert ? qu’as-tu découvert en fait de comparaisons ? Tu as découvert qu’un père est plus ancien que son fils, et parce que dans le temps un père est plus ancien que son fils, tu prétends que dans l’éternité le Fils soit aussi moins âgé que son Père ? Mais pour établir une comparaison véritable, montre-moi ici un père éternel. C’est dans le temps que tu me montres le fils moins âgé que son père ; le père et le fils sont également soumis au temps ; mais pourrais-tu me signaler un père qui fût éternel et son fils moins âgé que lui ? Le caractère de l’éternité est la stabilité même, la variété est le caractère du temps ; dans l’éternité tout est immobile, tout vient et s’en va dans le temps ; et si dans cette révolution du temps tu vois le fils succéder à son père, c’est que ce père à son tour a succédé à son propre père qui n’était pas plus éternel que lui. Comment voulez-vous donc, mes frères, que nous reconnaissions dans la créature quelque chose de coéternel, puisque nous sommes incapables d’y rien apercevoir d’éternel ? Montre-moi dans l’univers créé un père éternel et je t’y indiquerai un fils co-éternel. Mais si tu n’y découvres rien d’éternel, si le père et le fils sont différents d’âge, ne suffit-il pas, pour établir une comparaison, que nous nous arrêtions à ce qui est de même âge ? Autre chose « ce qui est éternel, et autre chose ce qui est de même âge. Nous appelons hommes de même âge ceux qui vivent depuis le même moment ; l’un n’est pas né avant l’autre, tous deux néanmoins sont commencés. Eh bien ! si nous parvenons à rencontrer un être produit qui soit de même âge que celui dont il émane ; s’il est possible de signaler deux êtres de même âge, l’un qui engendre et l’autre qui soit engendré, ne pourrons-nous pas y voir une image de ce qui est coéternel ? En voyant ici un être engendré commencer en même temps que son père, ne comprendrons-nous pas que le Fils de Dieu n’a aussi, en même temps que son Père, jamais eu de commencement ? Oui, mes frères, si nous reconnaissons qu’un être produit a commencé en même temps que celui dont il émane, si l’un a commencé avec l’autre, pourquoi le Fils ne serait-il pas sans commencement aussi anciennement que son Père ? Il y aurait là, coévité et ici, coéternité.

11. Votre sainteté a compris sans doute ce que je viens de dire, savoir, que l’on ne saurait comparer ce qui est temporel à ce qui est éternel, mais qu’on peut établir quelque faible et légère similitude entre ce qui est contemporain et ce qui est coéternel. Cherchons donc des êtres contemporains, et demandons à l’Écriture même l’idée de ces rapprochements. Nous y lisons que la Sagesse « est l’éclat de l’éternelle lumière, et le miroir sans tache de la majesté divine e. »

Ainsi la Sagesse est appelée l’éclat de l’éternelle lumière et l’image du Père : puisons là, dans ce qui est créé en même temps, des rapprochements qui nous donnent l’intelligence de ce qui est coéternel. O Arien, si je constate qu’un être producteur n’est pas plus ancien que l’être produit par lui et que l’être produit n’a pas moins d’âge que celui dont il procède, tu devras m’accorder que dans la nature créatrice deux personnes peuvent être coéternelles, puisqu’en effet deux êtres sont absolument contemporains dans la nature créée. Quelques-uns de mes frères, je crois, saisissent déjà toute ma pensée ; plusieurs en effet l’ont devinée quand j’ai rapporté ces paroles : « Elle est l’éclat de l’éternelle lumière. » Le feu donc produit la lumière, la lumière jaillit du feu. Nous allumons la lampe chaque jour ; suions examinions alors comment la lumière naît du feu, notre esprit se reporterait sur un mystère invisible et ineffable, et le flambeau de notre intelligence pourrait s’allumer aussi durant l’épaisse nuit du siècle. Considère avec attention un homme qui allume sa lampe. Avant que cette lampe soit allumée, on n’y voit ni le feu ni l’éclat qui en jaillit. Dis-moi, maintenant : Est-ce la lumière qui vient du feu ou le feu qui vient de la lumière ? Chacun me répondra, car Dieu a semé dans tous les esprits les idées premières de l’intelligence et de la sagesse ; chacun donc me répondra, et me répondra sans hésiter, que la lumière vient du feu, et non pas le feu de la lumière. Supposons donc que le feu est le père de cette lumière, et n’oublions pas que nous cherchons ici des phénomènes contemporains et non pas coéternels. Eh bien ! quand je veux allumer ma lampe, il n’y a ni feu ni lumière, et sitôt que je l’ai allumée, le feu s’y montre en même temps due la lumière. Fais-moi voir ici du feu sans lumière et je croirai qu’au ciel le Père est sans son Fils.

12. Remarquez bien : nous avons exprimé ce grand mystère autant qu’il nous a été possible ; le Seigneur a eu égard à l’ardeur de vos prières et aux dispositions de votre cœur, et vous m’avez compris dans la mesure de vos forces. Ces vérités pourtant sont ineffables ; ne regardez pas mes paroles comme proportionnées au sujet, puisqu’il m’a fallu comparer ce qui est contemporain à ce qui est coéternel, ce qui est temporel à ce qui subsiste toujours, ce qui s’éteint à ce qui est immortel. Toutefois, puisque le Fils est appelé aussi l’image de son Père, tirons encore de là un rapprochement, quoiqu’il y ait tant de différence, comme nous l’avons dit, entre ces divers objets. Quand un homme est en face d’un miroir, on y voit son image. Mais ceci ne saurait nous aider à rendre sensible le mystère que nous cherchons à expliquer tant soit peu ; car on peut m’objecter que celui qui est en face d’un miroir existait, était né auparavant. Son image ne se reflète qu’à dater du moment où il se met en présence du miroir ; mais il existait avant de s’en approcher. Comment donc établir une comparaison semblable à celle que nous ont offert le feu et la lumière ? Interrogeons ce qu’il y a de plus faible. Il vous a été facile d’observer comment l’eau reproduit les images dès corps. Ainsi, quand un homme passe ou s’arrête au-dessus de l’eau, il y voit son image. Si donc une plante, un arbrisseau ou une herbe, naissait au-dessus de l’eau, n’y naîtrait-elle pas avec son image ? Son image commencerait d’exister en même temps qu’elle, elle ne lui serait pas le moins du monde antérieure. Impossible de me montrer qu’une plante soit née au-dessus de l’eau, et qu’ensuite seulement et non en même temps, son image s’y soit peinte ; elle s’y peint au même moment ; et pourtant l’image vient de la plante, et non la plante de l’image. Elle naît donc avec son image : l’existence de l’image et l’existence de la plante commencent en même temps. N’avoues-tu pas que l’image est produite par la plante et non la plante, par l’image ? L’image vient ainsi de la plante, ce qui engendre et ce qui est engendré commencent en même temps et par conséquent sont contemporains ; et par conséquent encore si la plante avait toujours existé, toujours aussi aurait, existé l’image qu’elle produit, l’image qu’elle engendre ; d’où il suit encore que ce qui engendre peut exister toujours, et toujours aussi exister en même temps ce qui est engendré. Tout l’effort, tout le travail de notre esprit tendait à nous faire l’idée d’une génération éternelle, voilà cette idée. Concluons aussi que le Fils de Dieu porte ce nom pour exprimer qu’il a un Père qui lui donne la vie, et non pour signifier que le Père lui soit antérieur. Toujours le Père existe et toujours existe également le Fils qui procède de lui ; et comme en procédant de lui le Fils en naît, on peut dire que toujours le Fils est né du Père. Le Père existe toujours, et toujours l’image qu’il produit. Ainsi l’image de la plante est produite par la plante, et si la plante eût toujours existé, toujours également aurait existé l’image qu’elle forme. Tu n’as pu découvrir d’êtres coéternels engendrés de pères éternels, et tu viens de rencontrer des êtres contemporains produits par des êtres temporels. Ainsi j’ai l’idée du Fils coéternel de Dieu engendré de son Père éternel. Entre le coéternel et l’éternel il y a la même relation qu’entre le contemporain et l’éternel.

13. Mes frères, il y a.ici, pour éviter les blasphèmes, une petite observation. Constamment on répète : Voilà bien des comparaisons, mais la lumière produite par le feu est moins éclatante que le feu même, et l’image de l’arbrisseau n’a certes pas la même réalité que l’arbrisseau. – Sans doute, il y a ici ressemblance, mais non pas égalité absolue et c’est pourquoi il ne parait pas y avoir même nature. Que répondre alors si on nous disait : Le Fils est donc au Père ce que la lumière est au feu, et l’image à l’arbrisseau ? – Je vois que le Père est éternel et que le Fils est coéternel au Père ; mais dirons-nous qu’il ressemble à la lumière en tant qu’elle est moins éclatante que le feu, et à l’image en tant qu’elle a moins de réalité que l’arbrisseau ? Nullement ; il y a ici égalité parfaite. – Je n’en crois rien, dit-on, puisque tu ne découvres rien de semblable — Eh bien ! crois-en l’Apôtre, car il a pu voir ce que j’enseigne. Le Christ, dit-il, « n’a pas cru usurper en se faisant égal à Dieu f. » C’est une égalité parfaite et absolue. Mais pourquoi ne l’a-t-il pas usurpée ? C’est qu’il ne se l’attribue que parce qu’elle lui appartient.

14. Réunissons maintenant ces rapports divers, ces deux espèces d’êtres ; peut-être trouverons-nous dans la créature quelque similitude qui nous aide à comprendre comment le Fils est coéternel au Père et en même temps son égal. Mais il nous est impossible de voir cette vérité dans une même espèce de comparaisons ; réunissons alors des comparaisons empruntées à deux espèces d’êtres. Lesquelles ? L’une comprend les similitudes invoquées par les hérétiques, et l’autre comprend les comparaisons indiquées par nous. Les hérétiques ont tiré leurs comparaisons de ce qui naît dans le temps et se trouve par conséquent moins ancien que l’être générateur : ainsi l’homme issu de l’homme est moins ancien que son père ; et toutefois le fils, comme le père, est homme, c’est-à-dire de même nature, car un homme engendre un homme comme un cheval produit un cheval, comme un animal produit son semblable. Ces êtres communiquent leur substance, mais ils ne communiquent par leur âge. L’âge est différent, mais la nature est la même. Que constatons-nous donc dans ce genre de naissances ? Sans aucun doute, l’égalité de nature. Et que n’y trouvons-nous pas ? L’égalité d’âge. N’oublions pas alors cette égalité de nature que nous y avons rencontrée. Quant aux comparaisons que nous-mêmes avons tirées soit de la lumière produite par le feu, soit de l’image peinte par l’arbrisseau, si tu n’y découvres pas l’égalité de nature, tu y vois l’égalité d’âge. Qu’y constatons-nous donc ? L’égalité d’âge. Que n’y découvrons-nous pas ? L’égalité de nature. Eh bien ! unis ces deux caractères ; tu le peux, car si les créatures manquent de quelque qualité, le Créateur ne saurait manquer d’aucune, puisque de lui vient tout ce que possède la créature. Ne faut-il donc pas attribuer à Dieu ce que tu rencontres dans les êtres contemporains, comme il est nécessaire de n’attribuer pas à cette Majesté qui est sans défaut, ce dont manquent ces êtres ? Voici des générateurs de même âge que les êtres engendrés par eux ; en y reconnaissant l’égalité d’âge, tu y constates l’inégalité de nature. Garde-toi de prêter à Dieu aucun défaut, prête-lui au contraire les perfections des créatures, et pour nous en tenir d’abord aux créatures de même date, vois dans leur coévité la coéternité du Fils avec le Père. Quantaux autres créatures, qui sont également l’œuvre de Dieu et qui doivent aussi louer leur Créateur, que constates-tu en elles ? L’égalité de nature. Les premières t’avaient enseigné à attribuer à Dieu la coéternité ; que celles-ci te déterminent à admettre en lui l’égalité de nature. Eh ! ne serait-ce pas, rues frères, le comble de la folie que de ne célébrer pas dans le Créateur ce que je célèbre dans la créature ? Je loue dans l’homme l’égalité de nature, et je l’admets pas dans Celui qui a fait l’homme ? Ce qui naît de l’homme est homme, et ce qui naît de Dieu ne serait pas Dieu ? Peu m’importent les œuvres qui ne sont pas les œuvres de Dieu ; mais je veux que tous les ouvrages du Seigneur bénissent leur Créateur ; et puisque dans ces ouvrages je vois la coévité, j’en conclus qu’il y a en Dieu coéternité ; et puisque dans ces mêmes ouvragés je constate égalité de nature, je reconnais en Dieu égalité de substance. Je réunis en lui ce que je trouve répandu partiellement sur chacune de ses créatures, et sans m’arrêter même à ce que je découvre dans celles-ci, je lui en attribue toutes les perfections, mais comme au Créateur, et je les lui attribue d’une manière d’autant plus éminente que ces perfections sont visibles ici et en lui invisibles ; ici temporelles, éternelles en lui ; ici muables et en lui immuables ; ici corruptibles, incorruptibles en lui. Enfin, pour nous arrêter à l’homme, le père et le fils sont deux hommes ; tandis qu’en Dieu le Père et le Fils ne sont qu’un seul Dieu.

15. Je rends au Seigneur notre Dieu d’ineffables actions de grâce, de ce qu’à votre requête il a daigné me tirer de ce dangereux et difficile écueil. Mais n’oubliez jamais que le Créateur est élevé, à une hauteur infinie, au-dessus de tout ce que nos sens ou nos méditations peuvent remarquer dans la créature. Veux-tu donc t’élever intérieurement, jusqu’à lui ? Purifie ton esprit, purifie ton cœur, purifie cet œil intérieur qui pourra seul contempler ce qu’il est, purifie l’œil du cœur, car il est écrit : « Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu g. » Cependant, puisque le cœur n’était pas purifié, était-il possible à Dieu de se montrer plus miséricordieux envers nous qu’en procurant l’incarnation de ce Verbe dont nous avons tant parlé sans pouvoir, malgré nos efforts, rien dire qui fût digne de lui ? Ce Verbe en effet a fait toutes choses, et pour nous aider à atteindre à ce que nous ne sommes pas, il s’est fait ce que nous sommes. Nous ne sommes pas Dieu, mais nous pouvons le considérer en esprit, c’est-à-dire fixer sur lui le regard du cœur. Maintenant, il est vrai, les péchés qui nous accablent et qui nous aveuglent, ainsi que la faiblesse gui nous tient abattus, nous réduisent au simple désir de voir Dieu ; mais nous sommes au temps de l’espérance et non à l’époque de la réalité. « Nous sommes les enfants de Dieu. »

Ainsi parle Jean, celui qui a dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu : » celui qui reposait sur la poitrine du Seigneur et qui puisait dans son cœur ces secrets divins. Il dit donc : « Mes bien aimés, nous sommes les enfants de Dieu, et ce que nous serons un jour ne parait pas encore ; nous savons seulement que lorsqu’il apparaîtra lui-même, nous lui serons semblables, car nous le verrons tel qu’il est h. » Ceci nous est promis.

16. Afin toutefois d’y parvenir, et parce que nous ne saurions contempler encore là divinité du Verbe, écoutons son humanité, charnels que nous sommes, prêtons l’oreille au Verbe fait chair ; car s’il est venu parmi nous, s’il s’est chargé de ta faible nature, c’est pour te permettre d’entendre sa forte parole. Et n’est-ce pas avec raison qu’on l’a comparé au lait ? Ne donne-t-il pas du lait aux petits, pour leur donner, quand ils seront grands, le pain de la sagesse ? Souffre donc qu’on t’allaite, pour que tu manges un jour avec avidité. Vois encore comment se forme le lait qu’on donne aux enfants. Ce lait n’est-il pas d’abord sur la table une nourriture ordinaire Mais l’enfant ne saurait manger cette nourriture placée sur la table. Que fait alors la mère ? Elle se l’incorpore, elle la change en lait pour que nous puissions nous en nourrir. Ainsi le Verbe s’est fait chair, afin qu’incapables de prendre encore aucun aliment solide, nous vécussions de lait, comme les petits enfants. Il y a pourtant cette différence : Quand la mère forme le lait avec la nourriture qu’elle a prise, cette nourriture se change réellement en lait ; au lieu que le Verbe est resté immuable, quand il a pris un corps, afin d’en être revêtu. Il n’a alors ni altéré ni transformé sa nature, et sans se changer en homme, il a voulu te parler en se rendant visible comme toi. Absolument immuable et inaltérable, il est devenu un autre toi-même, sans cesser d’être semblable à son Père.

17. Que dit-il en effet lui-même aux petits pour leur apprendre à recouvrer la vue et à s’élever de quelque manière jusqu’à ce Verbe qui a tout fait ? « Venez à moi, vous tous qui prenez de la peine et quiètes chargés, et je vous soulagerai. Prenez mon joug sur vous, et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur i. » Que fait ici le Maître souverain, ce Fils de Dieu, cette Sagesse de Dieu par qui tout a été fait ? Il appelle à lui le genre humain : « Venez à moi, vous tous qui prenez de la peine, et apprenez de moi. » Tu t’attendais peut-être à entendre dire à la Sagesse divine : Apprenez de moi comment j’ai formé les cieux et les astres ; comment tout était compté dans mon esprit avant d’être formé, et comment je voyais, à la lumière des idées immuables, le nombre même de vos cheveux j. Tu t’attendais donc à l’entendre parler ainsi ? Tu te trompais ; elle dira d’abord : « Apprenez que je suis doux et humble de cœur. » Considérez, mes frères, ce que vous avez à apprendre d’abord ; c’est assurément peu de chose. Nous aspirons à ce qui est grand ; pour le devenir, attachons-nous à ce qui est petit. Tu voudrais t’occuper des grandeurs de Dieu ? Occupe-toi d’abord de son humilité. Ne dédaigne pas de devenir humble dans ton intérêt, puisque dans, ton intérêt encore et non dans le sien, Dieu a daigné le devenir. Nourris-toi donc de l’humilité du Christ, apprends à être, humble et garde-toi de l’orgueil. Avoue ta maladie et reste avec patience aux pieds de ton médecin. Une fois que tu seras humble comme lui, tu te relèveras avec lui ; non que lui-même se relève considéré comme Verbe, c’est toi plutôt qu’il relèvera pour le connaître de plus en plus. Tu ne le regardes d’abord qu’en tremblant et en hésitant ; tu le verras ensuite d’un œil plus ferme et avec plus de clarté. Il ne grandit pas, c’est toi qui profites et il semble s’élever avec toi. Oui, mes frères, c’est bien la vérité. Ajoutez foi aux commandements de Dieu et accomplissez-les ; Dieu fortifiera alors votre intelligence. Point de présomption, ne semblez pas mettre la science avant le précepte, ce serait le moyen de rester petits sans vous affermir. Considérez cet arbre, il cherche à descendre pour monter, il enfonce ses racines en bas pour porter sa tête vers le ciel. Ne s’appuie-t-il pas sur l’humilité ? Pour toi, tu veux sans charité comprendre les mystères sublimes, t’élancer dans, les airs sans avoir ale racine ? C’est périr et non grandir. Que par la foi donc le Christ habite en vos cœurs ; enracinez-vous et établissez-vous dans la charité, pour être remplis de toute la plénitude de Dieu k.

SERMON CXVIII. L’ÉTERNITÉ DU VERBE l.

ANALYSE. – Les premières paroles de l’Évangile de saint Jean prouvent l’éternité du Verbe, et si l’on se demande comment le Verbe engendré de Dieu peut être éternel comme Dieu, il suffit de se rappeler que l’éclat ; produit par la lumière, est aussi ancien que la lumière elle-même.

1. Vous tous qui aimez tant à entendre parler l’homme, entendez l’unique Parole de Dieu. « Au commencement était le Verbe. » Sans doute, au commencement Dieu a fait le ciel et la terre ; » « mais le Verbe était dès lors. Reconnaissons en lui le Créateur ; car c’est le Créateur qui a fait, et la créature est son ouvrage ; et celte créature, qui est son ouvrage n’a pas toujours existé comme a existé toujours le Verbe divin dont elle est l’œuvre. Mais où était ce Verbe dont il est dit qu’ » il était au commencement ? » Évidemment il était dans le Père ; car le Père ne l’a ni créé ni formé, mais engendré. En effet, « au commencement Dieu a fait le ciel et la terre. » Par quel moyen les a-t-il faits ? « Le Verbe était, et le Verbe » ou la Parole « était en Dieu. » Quel était ce Verbe ou cette Parole ? Une parole qui retentit et qui passe ? Une parole que l’on inédite ##Rem et qui s’en va ? Une parole que l’on se rappelle et que l’on prononce ? Nullement. Quelle était donc cette Parole ? Pourquoi m’adresser tant de questions ? « Cette Parole était Dieu. » Or en disant : « Cette Parole était Dieu », nous ne faisons pas deux Dieux, nous nommons le Fils de Dieu, puisque la Parole ou le Verbe de Dieu est son Fils. Et s’il est Fils, n’est-il pas Dieu ? Aussi bien « et le Verbe était Dieu. » Qu’est le Père ? Il est Dieu, sans aucun doute. Si le Père est Dieu, si le Fils est Dieu également, n’y a-t-il pas deux Dieux ? Non. Le Père est Dieu, le Fils est Dieu ; mais le Père et le Fils ne sont qu’un seul Dieu. Effectivement, le Fils unique de Dieu n’a pas été fait, il est né. « Au commencement Dieu fit le ciel et la terre ; » mais le Verbe alors était né de son Père. N’est-ce pas une preuve qu’il a été fait par lui ? Non. « C’est par lui que tout a été fait. » Si tout a été fait par lui, ne s’est-il pas fait aussi lui-même ? Ne confonds point avec ce qui a été fait Celui qui a fait tout. Si en effet il a été fait, il n’a pas fait tout, il a été fait comme le reste. Il a été fait, tais-tu ; mais est-ce par lui ? Eh ! qui peut donc se faire ? Et s’il a été fait, comment a-t-il fait tout ? Admettons avec toi qu’il a été fait, pour moi je ne nie pas qu’il ait été engendré ; si donc il a été fait, par quoi, par qui l’a-t-il été ? Est-ce par lui-même ? Mais pour se faire lui-même il aurait dû exister avant d’être, et comme tout a été fait par lui, il est sûr que lui-même ne l’a pas été. Ne peux-tu comprendre ? Crois et tu comprendras ; car la foi précède l’intelligence, et le prophète a dit : « Si vous ne croyez, vous ne comprendrez point m. » « Le Verbe » donc « était. » Ne demande pas en quel temps. « Le Verbe était. » Il fut pourtant, dis-tu, une époque où il n’était pas. C’est une assertion fausse, tu ne la lis nulle part ; tandis que je lis : « Au commencement était le Verbe. » Que cherches-tu avant le commencement ? Si tu découvrais quelque chose avant le commencement, ce quelque chose ne serait-il pas le commencement même ? N’est-ce pas avoir perdu le sens que de chercher quoique ce soit avant le commencement ? Qu’est-ce donc qui a pu exister avant le commencement ? « Au commencement était le Verbe. »

2. Mais le Père était aussi, diras-tu ; il était donc avant le Verbe ? – Que cherches-tu à savoir ? – « Au commencement était le Verbe. » Comprends ce que tu vois et ne cherche pas ce que tu ne saurais trouver. Il n’y a rien avant le commencement.« Au commencement était le Verbe. » Le Fils est la splendeur du Père, car il est dit de la Sagesse de Dieu ou de son Fils : « Elle est la splendeur de l’éternelle lumière n. » Tu veux le Fils sans son Père ? Montre-moi une lumière sans splendeur. S’il fut un temps où le Fils n’existait pas, le Père était donc alors une lumière ténébreuse ; et comment n’eût-il pas été une lumière ténébreuse puisqu’il était, d’après toi, une lumière sans clarté ? Ainsi donc le Père a toujours été, et le Fils toujours également ; l’un n’a pas toujours existé sans que l’autre existât toujours. Tu me demandes si le Fils est né. Je réponds que oui ; car s’il n’était né, il ne serait pas Fils, et si de toute éternité il est Fils, il est né de toute éternité. – Qui comprendra qu’il soit né de toute éternité ? – Montre-moi du feu qui soit éternel, et je te montre en même temps une éternelle lumière. Combien nous bénissons le Seigneur de nous avoir donné les saintes Écritures ! En face de la lumière, ne soyez pas aveugles. N’est-il pas vrai que la splendeur est produite par la lumière et que néanmoins elle est aussi ancienne ? Que fa lumière ait toujours existé, son éclat également aura existé toujours. La lumière engendre en quelque sorte son éclat ; mais a-t-elle été jamais sans lui ? Permettons à Dieu d’engendrer éternellement. Rappelez-vous, je vous en conjure, de qui nous parlons ; prêtez l’oreille et soyez attentifs, croyez et comprenez ; nous parlons de Dieu même. Nous confessons et nous croyons que le Fils est coéternel au Père. Mais, dit-on, quand un homme engendre un fils, le père est plus âgé et le fils l’est moins. Sans aucun doute, il est facile d’observer parmi les hommes que le père est plus âgé, que le fils l’est moins et que celui-ci a besoin d’acquérir par degrés la force de son père. – Pourquoi, sinon parce que l’un se développe et que l’autre vieillit ? Que le père ne se laisse point entraîner par le mouvement du temps, le fils en grandissant le rejoindra bientôt et sera son égal. Voici qui fera mieux saisir. Tandis que la splendeur est de même date que le feu qui la produit, on ne voit parmi les hommes que des pères plus âgés que leurs enfants, jamais ils ne sont de même âge. Considérons donc, comme je l’ai dit, que la splendeur est de même date que le feu qui la produit, ce qui est incontestable, puisque le feu qui l’engendre n’est jamais sans elle. Mais en voyant la splendeur aussi ancienne que le feu, ne permettras-tu pas à Dieu d’engendrer un Fils aussi ancien que lui ?

Vous qui comprenez, réjouissez-vous ; et vous qui ne comprenez pas, croyez, car on ne saurait prescrire contre cette parole d’un prophète « Si vous ne croyez, vous ne comprendrez pas. »

SERMON CXIX. LE VERBE FAIT CHAIR o.

ANALYSE. – Tout grand, tout éternel que soit le Verbe de Dieu, il s’est fait chair, il est descendu jusqu’à nous, afin de nous élever jusqu’à lui.

1. Nous n’avons jamais cessé de vous annoncer, et toujours votre foi a été persuadée que Notre-Seigneur Jésus-Christ s’est fait homme pour chercher l’homme égaré, et que ce même Seigneur, qui s’est fait homme pour nous, a toujours été Dieu dans le sein de son Père, qu’il le sera ou plutôt qu’il l’est toujours, car il n’y a ni passé ni futur là où n’est point la mobilité du temps. En effet le passé n’est plus et le futur n’est pas encore, tandis que le Seigneur est toujours, puisqu’il existe véritablement, en d’autres termes, puisqu’il est immuable. C’est le grand et divin mystère que vient de nous rappeler la lecture de l’Évangile.C'est saint Jean qui a exhalé en quelque sorte ce commencement de l’Évangile, qu’il avait comme puisé dans le cœur de son Maître. On vous l’a lu dernièrement encore ; rappelez-vous donc comment ce saint Évangéliste reposait sur le sein du Seigneur, sur le sein du Seigneur, c’est-à-dire « sur sa poitrine », comme il l’exprime clairement p. Or en reposant ainsi sur la poitrine du Seigneur, que n’y puisait-il pas ? Ne cherchons pas tant à nous l’imaginer qu’à en profiter, puisque nous aussi nous venons d’entendre de sublimes vérités.

2. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. » Quelle prédication ! Quels flots divins jaillissant de la poitrine du Seigneur ! « Au commencement était le Verbe. » Pourquoi chercher ce qui était avant lui, puisqu’il « était au commencement ? » Le Verbe n’a pas été créé, puisque tout a été créé par lui : mais s’il avait été créé, l’Écriture dirait : Au commencement Dieu a fait le Verbe, comme il est dit dans la Genèse : « Au commencement Dieu a fait le ciel et la terre q. » Dieu n’a donc pas fait le Verbe au commencement, puisqu’« au commencement était le Verbe. » Mais où était ce Verbe, qui était au commencement ? Poursuis : « Et le Verbe était en Dieu. » Habitués à entendre chaque jour la parole humaine, estimons-nous assez ce terme de Verbe qui signifié parole ? Garde-toi d’en faire ici peu de cas, car « le Verbe était Dieu ; il était en Dieu au commencement. Tout a été fait par lui, et sans lui rien n’a été fait. »

3. Appliquez vos cœurs, suppléez à l’insuffisance de mon discours ; écoutez ce que je pourrai dire et réfléchissez à ce que je ne dirai pas. Qui peut se représenter une parole immobile ? Les nôtres passent en faisant du bruit. Afin donc de se figurer le Verbe subsistant, ne faut-il pas demeurer en lui ? Veux-tu donc comprendre comment ce Verbe est immobile ? ne suis pas le torrent charnel. Notre chair est comme un fleuve, puisqu’elle n’est jamais immobile. Les hommes en effet naissent des sources mystérieuses de la nature, ils vivent et ils meurent, sans savoir ni d’où ils viennent, ni où ils vont. Ainsi les eaux sont invisibles jusqu’au moment où elles jaillissent, elles coulent et on les voit dans le lit du fleuve, puis elles se perdent de nouveau dans la mer. Ah ! dédaignons, dédaignons ce flot qui jaillit, qui coule et disparaît. « Toute chair n’est que de l’herbe et toute sa beauté ressemble à la fleur des champs ; l’herbe s’est desséchée, la fleur est « tombée. » Veux-tu ne tomber pas ? « Mais le Verbe du Seigneur demeure éternellement r. »

4. Afin toutefois de nous venir en aide, « le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. » Qu’est-ce à dire, « le Verbe s’est fait chair ? » C’est-à-dire que l’or s’est fait herbe, il s’est fait herbe pour brûler ; l’herbe en effet a brûlé, mais l’or est resté, et loin de se consumer avec l’herbe, il l’a transformée. Comment l’a-t-il transformée ? En la ressuscitant, en lui rendant la vie, en l’élevant jusqu’au ciel, en la plaçant à la droite du Père. Mais de quoi sont précédés ces mots : « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous ? » Rappelons-le brièvement. « Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu. Mais à tous ceux qui l’ont reçu il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu », de le devenir, car ils ne l’étaient pas, tandis que lui l’était dès le commencement. « Il a donc donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom, qui ne sont pas nés du mélange du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu. » Quel que soit leur âge proprement dit, voilà ce qu’ils sont, des enfants ; regardez-les et soyez heureux. Voilà ce qu’ils sont, mais des enfants qui ont Dieu pour père ; le sein de leur mère est l’eau du baptême.

5. Loin d’ici la pauvreté du cœur et l’indigence des pensées ; que nul ne dise : Comment ! « Le Verbe était au commencement, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu, tout a été fait par lui : » et voilà que ce même « Verbe s’est fait chair et a habité parmi nous ! » Apprenez pourquoi. Il est sûr qu’à ceux qui croient en son nom il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu ; et vous à qui il a donné ce pouvoir, ne regardez point cette transformation comme impossible. « Le Verbe s’est fait chair et a habité parmi nous. » Est-il étonnant que vous puissiez devenir fils de Dieu, quand pour vous le Fils de Dieu est devenu Fils de l’homme ? S’il s’est abaissé, ne peut-il nous élever ? S’il est descendu jusqu’à nous, est-il impossible que nous montions jusqu’à lui ? Il s’est assujetti à notre mort, ne saurait-il nous donner sa vie ? Pour toi il a enduré les maux qui t’étaient dus, ne pourra-t-il te communiquer les biens qui lui appartiennent ?

6. Néanmoins, objecte-t-on, comment a-t-il été possible que le Verbe de Dieu, qui gouverne le monde, qui a créé et qui crée encore tout, se rapetissât dans le sein d’une Vierge, laissât le monde et quittât les anges pour s’enfermer dans les flancs d’une femme ? – Tu n’entends rien aux choses de Dieu. Souviens-toi, ô homme, que je te parle de la toute-puissance du Verbe de Dieu. Le Verbe de Dieu a donc pu sans difficulté faire tout cela ; également tout-puissant, et pour demeurer avec son Père, et pour venir parmi nous, et pour se montrer à nous dans un corps humain et pour demeurer invisible en lui. Il ne doit pas la vie à sa naissance corporelle. Il existait avant de prendre un corps ; c’est lui qui a créé sa mère ; il a fait choix de celle qui l’a conçu, il a créé celle qui devait le créer. Pourquoi cette surprise ? C’est de Dieu que je te parle, car « le Verbe était Dieu. »

7. Il est ici question du Verbe, de la Parole ; la parole humaine ne saurait-elle nous donner quelque idée de sa puissance ? Quelle différence ! Il n’y a aucune comparaison à établir, et toutefois n’y peut-on signaler aucune ressemblance ? Ainsi, la parole que je vous adresse était d’abord dans mon cœur ; je te la donne et elle ne me quitte point ; elle n’était pas en toi et elle y est, mais en y allant elle demeure en moi. De même donc qu’elle frappe tes sens sans quitter mon cœur, ainsi le Verbe divin s’est montré à nous sans quitter son Père. Ma parole était en moi et elle est devenue voix ; le Verbe de Dieu était en son Père et il est devenu chair. Mais puis-je faire de ma voix ce qu’il a fait de sa chair ? Ma voix s’envole et je ne puis la retenir ; lui au contraire, complètement maître de sa chair en naissant, en vivant et en travaillant, l’a de plus ressuscitée après sa mort, puis il l’a conduite au Ciel comme le char sur lequel il était venu au milieu de nous. Donne à cette chair les noms de vêtement, de char ou de bête de somme, comme il est possible qu’il ait voulu nous l’indiquer lui-même en faisant placer sur cette monture le malheureux qui avait été blessé par les voleurs s ; donne-lui enfin le nom de temple qu’il s’est donné lui-même expressément t ; ce temple, après avoir été renversé, est maintenant assis à la droite du Père, et il viendra dans ce temple juger les vivants et les morts. Mais ce qu’il a enseigné par ses préceptes, il l’a montré par ses exemples et tu dois espérer pour ton corps ce que tu vois : dans le sien. Tel est l’objet de la foi, attache-toi à ce que tu ne vois pas encore ; il est nécessaire que la foi te tienne lié à ce que tu ne vois pas, pour n’avoir pas à rougir lorsque tu seras en face.

SERMON CXX. LE VERBE DE DIEU PARTOUT u.

ANALYSE. – Afin de comprendre un peu comment le Verbe de Dieu est partout, rappelez-vous, non pas le soleil qui n’est pas en même temps partout, mais la parole humaine qui se trouve simultanément dans celui qui la prononce et dans tous ceux qui l’entendent.

1. Saint Jean commence ainsi son Évangile : « Au commencement était le Verbe. » c’est ce qu’il a vu. S’élevant donc au-dessus de toutes tes créatures, au-dessus des montagnes et, de 1a région de l’air, au-dessus des cieux et des astres, au-dessus des Trônes, des Dominations, des Principautés, des Puissances, de tous les Anges et de tous les Archanges, s’élevant au-dessus de tout, il a vu-le Verbe dès le commencement, et il s’en est pénétré ; il l’a vu supérieur à toute créature, c’est le mystère dont il a puisé la connaissance dans le cœur du Seigneur. Car ce saint Évangéliste était chéri spécialement de Jésus, chéri au point qu’il reposait sur sa poitrine v, et c’est là qu’il devait puiser ce secret pour le divulguer dans son Évangile. – Heureux ceux qui l’écoutent et le comprennent ! Heureux aussi, mais moins heureux ceux qui le croient sans le comprendre ! Quelle parole humaine pourrait expliquer l’immense bonheur de voir le Verbe de Dieu ?

2. Élevez vos cœurs, mes frères, élevez-les autant Faisons néanmoins une observation, mes frères : oui, le soleil répand ses rayons sur toute la terre, il pénètre tous les corps transparents ; mais pénètre-t-il les corps opaques ? Sa clarté passe à travers la fenêtre ; traverse-t-elle la muraille ? – Au Verbe de Dieu, au contraire, tout est accessible, rien n’est caché pour lui. Considérez un autre caractère, saisissez combien la créature, surtout la créature corporelle, est distante du Créateur. Si le soleil est à l’Orient, il n’est pas à l’Occident. Sans doute la lumière qui s’échappe de ce globe immense se porte jusqu’en Occident ; mais le soleil n’y est pas lui-même. Il y sera quand viendra l’heure de son coucher ; car s’il est en Orient quand il se lève, il est en Occident quand il se couche. C’est même de son lever et de son coucher que viennent ces dénominations d’Orient et d’Occident, car il se trouve alors en ces lieux. Mais nulle part on ne le voit la nuit. En est-il ainsi du Verbe de Dieu ? N’est-il pas en Orient en même temps qu’il est en Occident et en Occident quand il est en Orient ? Quitte-t-il jamais la terre pour aller ou sous la terre ou loin de la terre ? Il est tout entier partout. Mais qui peut l’expliquer ? Qui le voit ? Quelle preuve vous donner de cette vérité ? Je suis un homme parlant à des hommes, un infirme parlant à de plus infirmes ; et pourtant, mes frères, j’ose bien vous le dire, je vois, comme dans un miroir et en énigme, je vois et je comprends tant soit peu ce que je vous dis, et il y a pour l’exprimer une parole dans mon cœur. Cette parole cherche à en sortir pour aller à vous ; mais elle ne rencontre point de véhicule convenable. Le véhicule de la parole est le son de la voix. Je cherche donc à vous dire ce que je me dis en moi-même, mais les paroles me manquent ; car c’est du Verbe de Dieu que je veux vous entretenir, et quel Verbe ! « Tout a été fait par lui. » Considérez ses œuvres et tremblez devant lui. « Par lui tout a été fait. »

3. Reviens sur toi, infirmité humaine, reviens sur toi. Comprenons les choses humaines, si nous en sommes capables cependant. Nous sommes tous hommes, et nous qui parlons, et vous qui prêtez l’oreille ; de plus nous émettons des sons de voix. Nous portons ces sons à l’oreille et par eux, autant qu’il est possible, l’intelligence à l’esprit. Eh bien ! parlons de ce phénomène dans la mesure de nos forces, efforçons-nous de comprendre. Si nous ne comprenons même pas ce phénomène de la parole humaine, que sommes-nous près du Verbe de Dieu ?

Vous m’écoutez maintenant, je parle : Si quelqu’un de vous venait à sortir et qu’on lui demandât ce qui se fait ici, il répondrait : L’Évêque parle. Oui je parle du Verbe. Mais quelle est ma parole et quel est ce Verbe ? Parole mortelle et Verbe immortel ; parole muable et Verbe immuable ; parole qui passe et Verbe qui demeure éternellement. Examinez néanmoins cette parole. Je vous disais : Le Verbe de Dieu est tout entier partout. Voyez : je vous parle et ma parole se communique à tous. Mais pour qu’elle se communiquât à tous, vous l’êtes-vous partagée ? Si je nourrissais, non pas vos âmes, mais vos corps, et si pour apaiser votre faim je mettais des aliments devant vous, ne seriez-vous pas obligés de vous les partager ? Chacun de vous pourrait-il avoir tout ? N’est-il pas sûr que si l’un de vous avait tout, les autres n’auraient rien ? Eh bien ! je vous distribue la parole, et tous vous l’entendez, vous la possédez, tous vous la possédez tout entière ; elle parvient tout entière à tous et à chacun. O merveilles de ma parole ! Que n’est donc pas le Verbe de Dieu ?

Autre observation : J’énonce une pensée, et cette pensée se donne à vous sans me quitter, elle vous arrive sans se séparer de moi. Avant de l’exprimer je l’avais et vous ne l’aviez pas ; je l’exprime et vous l’avez sans que je la perde. O prodige de ma parole ! Que n’est donc pas le Verbe de Dieu ?

Que les petites choses vous élèvent vers les grandes. Contemplez les merveilles de la terre et admirez les merveilles du ciel. Je suis créature, vous êtes également créatures, et si ma parole produit de tels prodiges dans mon cœur, sur mes lèvres, dans ma voix, dans vos oreilles et dans votre cœur, que penser du Créateur ?

O Seigneur, écoutez-nous. Réparez-nous, car c’est vous qui nous avez faits ; rendez-nous bons, puisque déjà vous nous avez éclairés. Ces fidèles en blanc, que vous avez éclairés, entendent votre parole dans ma bouche ; c’est la lumière de votre grâce qui les tient ici devant vous dans ce jour que le Seigneur a fait. Ah ! qu’ils travaillent et qu’ils prient pour ne devenir pas ténèbres, après ces solennités, puisqu’en eux reluisent aujourd’hui les prodiges et les bienfaits divins.

SERMON CXXI. LES DEUX NAISSANCES w.

ANALYSE. – Le monde qui a rejeté Jésus-Christ n’est pas précisément le monde créé par lui ; ce sont les hommes charnels que l’Écriture appelle le monde pour exprimer combien ils sont attachés aux choses du monde. Quant aux hommes qui ont reçu le Sauveur, ce sont ceux qui outre leur nature humaine ont reçu de Dieu et de l’Église une naissance toute spirituelle et toute divine, comme Jésus-Christ a reçu la vie par l’union sainte de l’Esprit divin et de la Vierge Marie.

1. « Le monde a été fait par » le Seigneur, « et le monde ne l’a point reconnu. » Quel est le monde qui a été fait par lui ? et quel est le monde qui ne l’a point reconnu ? Le monde fait par lui n’est pas celui qui ne l’a point reconnu. Quel est effectivement le monde fait par lui ? Le ciel et la terre. Mais comment le ciel ne l’a-t-il pas reconnu, puisqu’à sa mort le soleil s’est obscurci ? Comment la terre ne l’a-t-elle pas reconnu, puisqu’elle a tremblé lorsqu’il était suspendu à la croix ? « Le monde » qui « ne l’a point reconnu » est celui qui a pour chef l’esprit mauvais dont il est dit : « Voici venir le prince de ce monde, et il ne trouve rien en moi x. » On appelle monde les méchants et les infidèles, et ce nom leur vient de ce qu’ils aiment. En aimant Dieu nous devenons des dieux, et en aimant le monde nous sommes appelés monde. Cependant Dieu était dans le Christ et se réconciliait le monde y. Tous forment-ils donc « le monde » qui « ne l’a point connu ? »

2. « Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu. » Tout lui appartient, mais il était plus spécialement chez lui dans ce peuple dont faisait partie sa mère, où il avait pris un corps, à qui il avait fait annoncer longtemps auparavant son avènement futur, à qui il avait donné sa loi, qu’il avait délivré de la captivité égyptienne, et dont le père charnel, Abraham, avait été choisi par lui ; car il a pu dire en toute vérité : « Je suis avant Abraham z. » Il ne dit pas : Je suis avant que fût Abraham ; ni : J’ai été fait avant qu’Abraham le fut ; car « Au commencement était le Verbe ; » il était, sans avoir été fait. « Il est donc venu chez lui », parmi les Juifs ; « et les siens ne l’ont pas reçu. »

3. « Mais à tous ceux qui l’ont reçu. » De là en effet sont les Apôtres qui l’ont reçu ; de là aussi ceux qui portaient des rameaux devant sa monture, marchant devant et derrière lui, couvrant la route de leurs vêtements et criant à haute voix : « Hosanna au fils de David ; béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » — « Faites taire ces enfants, qu’ils ne crient pas ainsi devant vous », lui disaient les Pharisiens, et il répondait : « S’ils se taisent, les pierres crieront aa. » Qu’entendre ici par pierres, sinon les adorateurs des pierres ? Si les petits juifs se taisent, les petits et les grands crieront parmi les gentils, Qu’entendre par pierres, sinon ce qu’entendait Jean, ce grand homme qui est venu pour rendre témoignage à la lumière ? Un jour en effet qu’il voyait des. Juifs s’enorgueillir d’être de la race d’Abraham, il les appela « race de vipères. » Ils se disaient les enfants d’Abraham, et lui les nommait « race de vipères. » N’était-ce pas Outrager Abraham lui-même ? Nullement. Je leur donnais le titre que méritaient leurs mœurs, Fils d’Abraham, ils auraient dû imiter leur père, comme le leur rappelait le Sauveur même. « Nous sommes libres, jamais nous n’avons servi personne, nous ayons Abraham pour père. » Ainsi les Juifs parlaient-ils au Sauveur, qui leur répondait : « Si vous étiez fils d’Abraham, vous feriez les œuvres d’Abraham. Parce que je vous dis la vérité, vous voulez me mettre à mort ; c’est ce qu’Abraham n’a pas fait ab. » Vous êtes issus d’Abraham, mais vous avez dégénéré. Que leur disait donc Jean ? « Race de vipères, qui vous a montré à fuir devant la colère qui va venir ? Faites donc de dignes fruits de pénitence, et ne songez pas à dire en vous-mêmes ; « Nous avons Abraham pour père, car Dieu peut, de ces pierres mêmes, susciter des enfants à Abraham ac. » – « De ces pierres mêmes ; » de celles qu’il voyait en esprit ; car il parlait aux Juifs et nous avait en vue. « Dieu peut, de pierres mêmes, susciter des enfants à Abraham De quelles pierres ? Si ceux-ci se taisent, pierres crieront. » Vous venez d’entendre ces mots et vous les avez acclamés. Ainsi donc se vérifie l’oracle : « Les pierres crieront. » Car nous sommes issus de la gentilité et nous avons adoré les pierres dans la personne de nos parents. C’est pour ce motif encore que nous avons été comparés à des chiens. Rappelez-vous en effet ce qui fut dit à cette femme qui criait derrière le Seigneur. Comme elle était Chananéenne, asservie au culte des idoles et liée au service des démons, que lui dit Jésus ? « Il ne convient pas de prendre le pain aux enfants et de le jeter aux chiens. N’avez-vous remarqué jamais comment les chiens lèchent les pierres engraissées ? Tels sont les adorateurs d’idoles. Mais la grâce de Dieu est descendue en vous. À tous ceux qui l’ont reçu il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. » Voici des fils nouveau-nés. « Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. » Pourquoi ? « Parce qu’ils croient en son nom. »

4. Et comment deviennent-ils enfants de Dieu ? En ne naissant « ni du mélange des sangs, ni de la volonté de l’homme, ni de la volonté de la chair, mais de Dieu. » Après avoir reçu le pouvoir de devenir enfants de Dieu, ils sont nés de Dieu. Remarquez bien : ils sont nés de Dieu, « non pas du mélange des sangs », comme dans cette première génération, génération pleine de misère et produite par la misère. Qu’étaient en effet ces nouveaux fils de Dieu ? Comment étaient-ils nés d’abord ? Du mélange des sangs du père et de la mère, du rapprochement des corps. Et aujourd’hui ! « C’est de Dieu qu’ils sont nés. » Leur première naissance était due à un homme et à une femme ; la seconde est due à Dieu et à l’Église.

5. Ainsi donc il sont nés de Dieu. Pourquoi sont-ils nés de Dieu après avoir reçu d’abord une naissance humaine ? Pourquoi ? Pourquoi ? C’est que « le Verbe s’est fait chair afin d’habiter parmi nous. » Quel contraste ! Lui se fait chair ; et eux deviennent esprits. Quelle condescendance, mes frères ! Préparez vos âmes à espérer et à recueillir de plus signalés bienfaits encore. Ne vous attachez pas aux passions du siècle. On vous a achetés cher ; pour vous le Verbe s’est fait chair, pour vous le Fils de Dieu est devenu fils de l’homme ; ainsi veut-il que les enfants des hommes deviennent les enfants de Dieu. Qu’était-il, et qu’est-il devenu ? Qu’étiez-vous et qu’êtes-vous devenus ? Il était Fils de Dieu. Qu’est-il devenu Fils de l’homme. Et vous, qui étiez fils des hommes, qu’êtes-vous devenus ? Des fils de Dieu. Il a partagé nos maux pour nous communiquer ses biens.

En qualité même de fils de l’homme, il est bien élevé au-dessus de nous. Nous devons notre vie humaine à la convoitise de la chair ; il doit la sienne à la foi d’une Vierge. Chacun de nous est né d’un père et d’une mère ; le Christ est né de l’Esprit-Saint et de la Vierge Marie.

Mais en s’approchant de nous, il ne s’est pas éloigné beaucoup de lui-même ; ou plutôt il ne s’en est pas éloigné en tant que Dieu, et il n’a fait qu’ajouter sa nature à la nôtre ; car en s’unissant à ce qu’il n’était pas, il n’a point sacrifié ce qu’il était ; sans cesser d’être le Fils de Dieu, il est devenu fils de l’homme. Ainsi s’est-il établi Médiateur ; médiateur, tenant le milieu, n’étant ni en haut ni en bas ; ni en haut, parce qu’il est homme, ni en bas, parce qu’il n’est point pécheur. Et toutefois il est en haut en tant que Dieu, car en venant parmi nous il n’a pas quitté son Père. C’est ainsi qu’en remontant au ciel il ne nous a pas quittés, et qu’en revenant vers nous il ne quittera pas non plus son Père.

CINQUIÈME SÉRIE.

TRAITÉS SUR SAINT JEAN.

TRAITÉS SUR L’ÉVANGILE DE SAINT JEAN.

PREMIER TRAITÉ.

LE VERBE.

Pareil à une montagne qui s’élève jusqu’au ciel, Jean va y puiser la connaissance des mystères supérieurs à l’esprit humain ; puissions-nous, en le suivant, arriver au même but ! Le Verbe est la parole de Dieu, parole intérieure, immatérielle, éternelle ; par qui toutes choses ont été faites ; il est l’archétype, le principe vivifiant de toutes les créatures, et, en particulier, la lumière de l’homme.

SUR CE TEXTE DE JEAN : « AU COMMENCEMENT ÉTAIT LE VERBE ET LE VERRE ÉTAIT EN DIEU », JUSQU’À CES MOTS : « ET LES TÉNÈBRES NE L’ONT POINT COMPRISE. » (Chap 1,4-5.)

1. Quand, d’une part, je considère ce que nous venons d’entendre de la leçon de l’Apôtre, à savoir que l’homme animal ne perçoit point les choses qui sont de l’esprit de Dieu ad quand je remarque, d’autre part, que, dans cette multitude formée par votre charité, il s’en trouve nécessairement plusieurs, que conduit encore la sagesse de la chair, et qui sont incapables de s’élever jusqu’à l’intelligence des choses spirituelles, non hésitation est grande, et je ne sais comment, avec la grâce de Dieu, j’expliquerai et développerai, selon mes faibles moyens, ce qui a été lu de l’Évangile : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Cette parole, en effet, l’homme animal ne la comprend pas. Hé quoi ! mes frères ? Est-ce pour nous un motif de garder le silence ? Pourquoi lire, s’il faut se taire ensuite ? À quoi bon écouter ce que personne n’explique ? Et pourquoi expliquer, si l’on n’est pas compris ? Mais comme, d’un autre côté, je ne puis douter qu’il n’y en ait parmi vous quelques-uns, non seulement pour comprendre mes explications, mais même pour les deviner d’avance, je ne frustrerai pas ceux qui ont l’intelligence, par la crainte d’adresser des paroles incompréhensibles, et par conséquent inutiles à ceux auxquels elle manque. La miséricorde divine viendra peut-être, d’ailleurs, donner satisfaction à tous, et accorder à chacun la grâce de comprendre comme il peut, parce que celui-là même qui parle dit aussi ce qu’il peut. Car, qui pourrait dire ce qu’est le Verbe ? Je me hasarderai à le dire, mes frères peut-être Jean lui-même n’a-t-il pas dit ce qu’il est, et s’est-il borné à en parler de son mieux, puisqu’il n’était qu’un homme et qu’il parlait de Dieu ? Il était, à la vérité, inspiré d’en haut ; mais, en définitive, il était homme ; parce qu’il était inspiré, il a parlé ; s’il ne l’avait pas été, il n’aurait rien dit, parce qu’il était inspiré, mais homme, il n’a pas dit tout ce qui est ; mais ce que l’homme peut dire, il l’a dit.

2. Aussi bien, mes très-chers frères, Jean était une de ces montagnes dont il est écrit que « les montagnes reçoivent la paix pour le peuple et les collines la justice ae ». Les montagnes sont les âmes élevées ; les collines, les âmes communes. Mais si les montagnes reçoivent la paix, c’est afin que les collines puissent recevoir la justice. Quelle est cette justice que reçoivent les collines ? C’est la foi ; car « c’est de la foi que vit le juste af ». Or, les âmes du commun ne recevraient pas la foi, si les âmes d’élite appelées montagnes n’étaient éclairées par la Sagesse elle-même, et rendues capables de transmettre aux plus faibles ce que celles-ci sont capables de recevoir, les collines vivant de la foi, parce que les montagnes reçoivent la paix. Par ces montagnes il a été dit à l’Église : Que la paix soit avec vous ; et en annonçant cette paix à l’Église, ces montagnes ne se sont pas séparées de celui qui la leur avait donnée ag ; car alors elles annonceraient, non une paix véritable, mais une fausse paix.

3. Car il se rencontre aussi d’autres montagnes fertiles en naufrages, contre lesquelles se brise l’esquif de celui qui va s’y butter lorsque les nautoniers en péril aperçoivent la terre, il leur est facile de chercher à s’en approcher ; mais cette montagne, qui leur semble être de la terre, ne recèle souvent, sous ses dehors trompeurs, que des rochers dangereux, et quiconque vient y aborder, se brise infailliblement contre les récifs dont elle se trouve hérissée ; au lieu d’y rencontrer le salut, on n’y rencontre que la mort. De même certains hommes ont été des montagnes, et ont paru grands parmi leurs semblables ; et ils ont fait des hérésies et des schismes, et ils ont divisé l’Église de Dieu. Mais ceux qui ont divisé l’Église de Dieu n’étaient pas les montagnes dont il est dit : « Que les montagnes reçoivent la paix pour votre peuple ». Comment, en effet, auraient pu recevoir la paix, ceux qui ont divisé l’unité ?

4. Pour ceux qui ont reçu la paix afin de l’annoncer au peuple, ils ont contemplé la Sagesse elle-même, autant que l’esprit de l’homme peut contempler ce que l’œil « n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme ah ». Si cette Sagesse n’est pas montée au cœur de l’homme, comment est-elle montée au cœur de Jean ? Jean n’était-il pas un homme ? Ou bien, si elle n’était pas montée au cœur de Jean, le cœur de Jean n’était-il pas monté vers elle ? Car ce qui monte au cœur de l’homme part d’en bas et s’élève vers l’homme ; mais ce vers quoi monte l’homme, est au-dessus de lui. Ainsi, mes frères, on peut dire que la Sagesse est montée au cœur de Jean ; elle y est montée, si nous pouvons nous exprimer ainsi, en proportion de son élévation au-dessus de la nature humaine. Qu’est-ce ceci ? Jean n’était-il pas homme ? Il avait cessé de l’être dans la mesure de sa participation à la nature des anges ; car tous les saints sont des anges, vu qu’ils annoncent Dieu. Aussi, que dit l’Apôtre aux hommes charnels et animaux, incapables de percevoir ce qui est de Dieu ? « Lorsque vous dites : Moi je suis de Paul, moi d’Apollo, n’êtes-vous pas hommes ai ? » Que voulait-il donc faire d’eux en leur reprochant d’être des hommes ? Voulez-vous savoir ce qu’il en voulait faire ? Écoutez le Psalmiste : « J’ai dit : Vous tous, vous êtes des dieux, vous êtes les fils du Très-Haut aj ». Dieu nous appelle, afin que nous ne soyons plus des hommes. En effet, nous serons d’autant moins des hommes que nous nous reconnaîtrons comme tels ; en d’autres termes, pour arriver à cette hauteur, il nous faut prendre l’humilité pour point de départ, de peur que, pensant être quelque chose tandis que nous ne sommes rien, non seulement nous ne recevions pas ce que nous ne sommes point, mais aussi que nous ne perdions ce que nous sommes déjà.

5. Donc, mes frères, du nombre de ces montagnes était Jean qui a dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Cette montagne avait reçu la paix, elle contemplait la divinité du Verbe. Quelle montagne était Jean ? Qu’il était élevé ? Il s’était élevé au-dessus de tous les monts, au-dessus de toutes les plaines de l’air, au-dessus de toutes les hauteurs des astres, au-dessus de tous les chœurs et des légions des auges. En effet, si Jean n’était monté par-delà toutes les choses créées, il ne serait pas parvenu à celui par qui ont été faites toutes les choses. Vous ne pouvez imaginer au-delà de quoi il s’était élevé, si vous ne considérez le but qu’il a atteint. Parles-tu du ciel et de la terre ? Ce sont des créatures. Parles-tu de ce qui est au – ciel et en la terre ? À plus forte raison est-ce aussi l’ouvrage du Créateur. Parles-tu des créatures spirituelles, des anges, des archanges, des trônes, des dominations, des vertus, des principautés ? Elles aussi, elles ont été faites. Après avoir énuméré tous ces êtres, le Psalmiste conclut ainsi : « Il a dit, et elles ont été faites ; il a ordonné, et elles ont été créées  ak ». S’il a dit et elles ont été faites, c’est par le Verbe qu’elles ont été faites. Or, si elles ont été faites par le Verbe, le cœur de Jean n’est pas parvenu à ce qu’il annonce : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu », à moins de s’être préalablement élevé au-dessus de ce qui a été fait par le Verbe. Encore une fois, quelle montagne était Jean ! Qu’il était saint ! Qu’il était élevé au-dessus des autres montagnes qui ont reçu la paix pour le peuple de Dieu, afin que les collines pussent recevoir la justice !

6. Prenez-y garde, mes frères, Jean lui-même n’est peut-être pas du nombre de ces montagnes dont nous avons chanté tout à l’heure : « J’ai levé les yeux vers les montagnes d’où me viendra le secours ». Si vous le voulez savoir, levez les yeux vers cette montagne, je veux dire, élevez-vous jusqu’à l’Évangéliste ; élevez-vous jusqu’à la hauteur de sa pensée. Mais parce que ces montagnes reçoivent la paix, et que la paix n’est pas possible à qui place son espérance en l’homme, n’élevez pas vos yeux vers la montagne, en ce sens que vous pensiez pouvoir mettre en l’homme votre espérance, et dites : « J’ai levé les yeux aux montagnes d’où me viendra le secours », de manière à ajouter aussitôt : « Mon secours vient du Seigneur qui a fait le ciel et la terre al ». Aussi, levons les yeux vers les montagnes d’où nous viendra le secours et cependant ce n’est pas dans les montagnes que notre espérance doit être placée ; elles-mêmes, en effet, reçoivent ce qu’elles nous donnent ; par conséquent, il nous faut porter notre espérance à l’endroit d’où le secours vient aux montagnes. Dès lors que nous levons les yeux vers les Écritures parce que les hommes nous les ont transmises, nous levons les yeux aux montagnes d’où nous viendra le secours. Ceux qui ont écrit les livres saints étaient des hommes qui ne brillaient pas d’un éclat qui leur fût propre ; mais celui-là était leur lumière véritable am, qui illumine tout homme venant en ce monde. Jean-Baptiste, qui a dit : « Je ne suis pas le Christ an » était aussi une montagne ; il craignait que quelqu’un plaçant son espérance en la montagne, ne s’écartât de celui par qui les montagnes sont éclairées ; aussi confesse-t-il lui-même que « nous avons tous reçu de sa plénitude ao  ». Ainsi dois-tu dire : « J’ai levé les yeux aux montagnes d’où me viendra le secours », afin que ce secours qui te vient, tu ne l’imputes pas aux montagnes, mais que tu ajoutes ce qui suit « Mon secours est du Seigneur qui a fait le ciel et la terre ». ap

7. Mes frères, lorsque vous avez dressé vos cœurs vers les Écritures, au moment où retentissaient à vos oreilles ces paroles du saint Évangile : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu », comme aussi les autres qui ont été lues, j’ai voulu vous faire comprendre que vous avez levé les yeux aux montagnes. Car, si les montagnes ne vous disaient cela, il vous serait impossible d’en avoir la moindre idée. Des montagnes vous est venu le secours, même pour que vous puissiez l’entendre ; mais vous n’êtes pas encore capables de comprendre ce que vous avez entendu. Demandez le secours du Dieu qui a fait le ciel et la terre. Car, si les montagnes ont pu vous parler, elles n’ont pas pu vous éclairer ; puisqu’elles ont été elles-mêmes illuminées par ce qu’elles ont entendu. C’est à cette source, mes frères, que Jean a puisé ces paroles avant de les prononcer ; il a reposé sur la poitrine du Seigneur, et il a bu ce qu’il devait nous communiquer à son tour. Mais ce qu’il nous a donné, ce sont les paroles ; car pour l’intelligence, tu dois aller la chercher à la source où il a puisé lui-même avant de te désaltérer. Tu dois donc lever les yeux vers les montagnes d’où te viendra le secours, afin de recevoir d’elles ton breuvage, c’est-à-dire l’effusion de la parole ; et aussi parce que ton secours vient du Seigneur qui a fait le ciel et la terre, afin de remplir ton cœur là où Jean a rempli le sien ; c’est pourquoi tu as dit : « Mon secours vient du Seigneur qui a fait le ciel et la terre ». Que celui donc qui le peut, remplisse son cœur, mes Frères, je le répète ; que chacun élève son cœur autant qu’il peut le faire, et qu’il reçoive ce dont il s’agit. Mais, direz-vous peut-être que je vous suis plus présent que Dieu ? Loin de vous une telle pensée Dieu vous est beaucoup plus présent ; car si j’apparais à vos regards, il gouverne vos consciences, À moi vos oreilles, à lui votre cœur, afin que tout se remplisse. Vous dirigez vers nous vos yeux et les sens de votre corps ; mais non, ce n’est pas vers nous, car nous ne sommes pas une de ces montagnes dignes d’être regardées ; mais c’est vers l’Évangile, vers l’Évangéliste lui-même ; pour votre cœur, élevez-le vers le Seigneur afin qu’il le remplisse. Que chacun l’élève de manière à savoir ce qu’il élève, vers quoi il l’élève. Qu’ai-je dit ? Ce qu’il élève et vers quoi il l’élève ? Qu’il considère quel cœur il élève ; car il l’élève vers le Seigneur, et il doit prendre garde qu’alourdi parle poids des voluptés charnelles, ce cœur ne tombe avant même d’avoir été soulevé. Mais chacun se voit-il chargé du fardeau de sa chair ? Que du moins il s’applique à purifier par la continence ce qu’il élève vers Dieu. Bienheureux, en effet, ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu aq.

8. Aussi bien, à quoi bon avoir proféré ces paroles : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ? » Nous aussi, nous en avons proféré au moment où nous parlions. La parole qui est en Dieu, leur ressemblerait-elle ? Nos paroles n’ont-elles pas retenti pour s’évanouir ensuite ? La parole de Dieu résonne-t-elle de même, et disparaît-elle aussi ? Comment alors toutes choses ont-elles été faites par elle, et rien n’a-t-il été fait sans elle ? Comment gouverne-t-elle ce qu’elle a créé, si elle est un bruit qui a résonné et qui a passé ensuite ? Quelle est donc cette parole qui se dit et ne passe pas ? Que votre charité soit attentive, le sujet le mérite par son importance. Nous par. Ions tous les jours, et nos paroles perdent leur valeur ; en effet, elles font un peu de bruit, puis elles disparaissent, et, à cause de cela, on y attache peu de prix, et on ne les considère que comme des paroles. Or, il y a dans l’homme une parole qui demeure à l’intérieur ; car, pour le son, il sort de la bouche pour se produire au-dehors. Il est une parole véritablement prononcée par l’esprit, dont la parole matérielle te donne une idée, mais qui n’est pas le son lui-même. Quand je dis Dieu, je profère une parole. Qu’elle est courte cette parole ! Quatre lettres et deux syllabes ! Quatre lettres et deux syllabes, est-ce là Dieu tout enlier ? Ne voyez-vous pas qu’autant cette parole est peu de chose en elle-même, autant est digne d’amour ce qu’elle signifie ? Que s’est-il passé dans ton cœur lorsque tu as entendu le mot : Dieu ? Que s’est-il passé dans le mien lorsque je disais : Dieu ? Une grande et souveraine substance est devenue le sujet de ma pensée, substance élevée au-dessus de toute créature muable, charnelle et animale. Et si je te demande : Dieu est-il muable ou immuable ? tu me répondras aussitôt : Loin de moi de croire ou de soupçonner quelque mutabilité en Dieu : Dieu est immuable. Ton âme est petite, elle est peut-être encore charnelle, par conséquent elle n’a rien pu me répondre au sujet de Dieu, sinon qu’il est immuable, Comment donc ton intelligence a-t-elle été capable de porter ses regards sur un être supérieur à toutes les créatures, de manière à ce que tu me répondes avec certitude que Dieu est immuable ? Qu’y a-t-il donc en ton cœur, quand tu penses à une substance vivante, perpétuelle, toute-puissante, infinie, partout présente, partout entière et nulle part enfermée ? Cette pensée, c’est la parole venue de Dieu en ton cœur. Pourtant est-ce là le son formé de quatre lettres et de deux syllabes ? Donc, ce qui se dit et passe, c’est le son, les lettres, les syllabes. En tant que la parole passe, elle est un son ; mais l’idée signifiée par le son, l’idée qui reste dans la pensée de celui qui parle et dans l’intelligence de l’auditeur, demeure toujours bien que le son disparaisse.

9. Ramène ton attention sur cette parole. Suppose que tu as dans l’esprit une parole, qui soit comme une pensée issue de ton intelligence, en sorte que ton âme semble engendrer cette pensée, et que celle-ci se trouve en ton intelligence comme son enfant, comme son fils. D’abord, ton esprit conçoit une pensée, celle de construire un édifice, d’élever sur terre un immense bâtiment. Celte pensée a déjà donc pris naissance, mais l’ouvrage que tu médites de faire, n’est pas encore accompli : tu vois ce que tu dois faire, mais personne autre ne peut l’admirer, si tu ne le fais pas, si tu ne construis point ton édifice, si tu n’amènes pas ton bâtiment au degré de perfection qu’il doit atteindre sous le ciseau du sculpteur. Alors seulement les hommes portent les regards sur l’œuvre de tes mains ; ils admirent la pensée qui a présidé à cette construction ; ils s’étonnent de ce qu’ils voient, et vont jusqu’à aimer ce qu’ils ne voient pas ; mais y a-t-il un homme capable de considérer ta pensée ? Si donc un grand édifice élevé par l’homme mérite des louanges, veux-tu voir quelle est la pensée de Dieu Notre-Seigneur Jésus-Christ, c’est-à-dire le Verbe de Dieu ? Regarde l’édifice de ce monde. Vois ce qui a été fait par le Verbe, et alors tu sauras ce qu’est le Verbe. Regarde les deux parties de l’univers, le ciel et la terre. Par quelles paroles expliquer les beautés du ciel ? Par quelles paroles, la semence de la terre ? Par quelles louanges célébrer dignement la succession des saisons, la vertu des semences ? Vous voyez ce que je passe sous silence ; je crains, par une énumération plus longue, de laisser mon discours trop au-dessous de vos pensées. Que le grand ouvrage du monde vous fasse comprendre quel est le Verbe qui l’a fait, et ce n’est pas la seule chose qu’il ait faite. Car tout cela se voit et tombe sous les sens du corps. Le Verbe a aussi créé les anges. Par ce Verbe ont été faits les Archanges, les Puissances, les Trônes, les Dominations, les Principautés ; par ce Verbe ont été faites toutes choses. De là faites-vous une idée de ce qu’est le Verbe.

10. Je ne sais qui me répondra peut-être : Mais ce Verbe, qui est-ce qui le pense ? Quand on dit, le Verbe, ne va pas te former une grossière représentation et croire entendre les paroles que tu entends chaque jour : Un homme a dit telles paroles, voici les paroles qu’il a prononcées, tu me les rapportes. Car à répéter continuellement ce mot parole, il semble que la parole en soit avilie. Aussi, quand tu entends : « Au commencement était le Verbe », ne t’imagine pas quelque chose l’ordinaire, semblable à ce qua coutume de lu rapporter la parole humaine ; car écoute ce que tu dois penser : « Le Verbe était Dieu ».

11. Que je ne sais quel Arien infidèle, se présente maintenant et dise : Le Verbe de Dieu a été fait. Comment se peut-il que le Verbe de Dieu ait été fait, quand c’est par le Verbe que Dieu a fait toutes choses ? Si le Verbe de Dieu lui-même a été fait, par quel autre Verbe a-t-il été fait ? Si tu dis qu’il est le Verbe d’un Verbe qui l’aurait fait, je le déclare, celui-ci est le Fils unique de Dieu. Si tu ne dis pas qu’il est le Verbe du Verbe, accorde donc que celui qui a fait toutes choses n’a pas lui-même été fait. Car il n’a pu être fait par lui-même celui par qui toutes choses ont été faites. Crois à l’Évangéliste. Il pouvait dire : Au commencement, Dieu a fait le Verbe, comme Moïse a dit : « Au commencement Dieu a fait le ciel et la terre », pour continuer son énumération en ces termes : Dieu a dit : Que cela soit fait, et cela a été fait ar. Si quelqu’un a parlé, qui a parlé ? Assurément Dieu. Et qu’est-ce qui a été fait ? Une créature. Entre Dieu qui a parlé et la créature qui a été faite, qu’est-ce qui se trouvait pour faire ce qui a été fait ? N’est-ce pas le Verbe, puisque Dieu a dit : Que cela soit fait, et que cela a été fait ? Tel est le Verbe immuable : quoique les choses muables aient été faites par le Verbe, lui il demeure immuable.

12. Ne va donc pas croire que celui par qui toutes choses ont été faites, ait été fait lui-même ; de peur de n’être pas refait par ce Verbe, par qui toutes choses sont refaites. En effet, tu as déjà été fait par le Verbe, mais il faut qu’il te crée de nouveau ; or, si la foi relativement au Verbe n’est pas pure, tu ne pourras être refait par lai. Si tu as pu être fait par le Verbe, tu es pour toi-même une cause de déchéance, et si par toi-même Lu ne peux que déchoir, daigne celui qui t’a fait te réparer encore. Si de toi-même ta ne peux que perdra, daigne celui qui t’a créé, te rendre ta grandeur première. Mais comment te relèvera-t-il par son Verbe, si tu ne penses pas bien de son Verbe ? L’Évangéliste dit : « Au commencement était le Verbe », et toi tu dis : Au commencement a été fait le Verbe. Il dit : « Toutes choses ont été faites par lui », et, selon toi, le Verbe lui-même a été fait ? L’Évangéliste pouvait dire : Au commencement a été fait le Verbe ; mais qu’a-t-il dit ? « Au commencement était le Verbe ». S’il était, il n’a pas été fait pour que toutes choses fussent faites par lui et que sans lui rien ne fût fait. Si donc : « Le Verbe était au commencement, si le Verbe était en Dieu, et si le Verbe était Dieu », et que tu ne puisses comprendre ce qu’il est, attends que ton intelligence se développe. Il est l’aliment des forts ; reçois le lait, afin d’être nourri et de devenir assez fort pour supporter une alimentation solide.

13. Quant à ce qui suit : « Toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait », prenez garde, mes frères, de le comprendre en ce sens que le néant serait quelque chose. En effet, pour plusieurs qui entendent mal cette parole : « Sans lui rien n’a été fait », c’est une habitude de penser que le néant est quelque chose. À coup sûr, le péché n’a pas été fait par lui ; aussi est-il manifeste que le péché est le rien, et que les hommes tombent à rien quand ils pèchent. De même, les idoles n’ont point été faites par le Verbe : il est vrai qu’elles ont une certaine forme humaine, mais l’homme dans son entier a été fait par le Verbe. Pour la forme de l’homme qui est en l’idole, elle n’a point été faite par le Verbe, et il est écrit : « Nous savons que les idoles ne sont rien  as ». Donc, elles n’ont pas été faites par le Verbe, mais bien toutes les choses qui se font naturellement, qui existent dans les créatures, qui se trouvent dans le ciel, qui brillent au firmament, qui volent dans ses régions inférieures, qui se remuent dans l’universalité des êtres ; en un mot, toute créature, et pour mieux me faire comprendre, je dirai d’un seul mot, tout depuis l’ange jusqu’au vermisseau, tout a été fait par le Verbe. Parmi les créatures, y a-t-il rien de plus élevé que l’ange ? Dans l’échelle des êtres y a-t-il rien de plus bas que le vermisseau ? Celui qui a fait l’ange a fait aussi le vermisseau ; mais il a fait l’ange digne du ciel, et le vermisseau, il l’a fait pour la ferre. En les créant, il les a mis à leur place. S’il avait placé le vermisseau au ciel, tu le lui reprocherais ; tu agirais de même s’il lui avait plu de tirer les anges d’une chair tombée en pourriture ; et cependant Dieu le fait ou à peu de chose près, et il n’est pas répréhensible. Car, tous les hommes nés de la chair, qui sont-ils, sinon des vert de terre ? Et de ces vers, Dieu fait des anges. Car, si le Seigneur dit de lui-même : « Je suis un ver et non pas un homme at », qui craindra de dire à son tour ce qui est écrit au livre de Job : « Combien plus l’homme est-il de la pourriture, et le fils de l’homme un ver de terre au ? » D’abord il a dit : « L’homme est de la pourriture » ; et ensuite : « Le fils de l’homme est un ver de terre ». Voilà ce qu’a voulu devenir pour toi « celui qui au commencement était le Verbe, et Verbe en Dieu, et Verbe Dieu ». Pourquoi est-il devenu cela pour toi ? Afin de te donner à sucer du lait, puisque tu ne pouvais manger encore. Vous devez donc, mes frères, entendre dans le sens le plus large ces paroles : « Toutes choses ont été faites par lui et rien n’a été fait sans lui ». Car toutes les créatures ont été faites par lui ; les grandes, les petites, les supérieures, les inférieures, les spirituelles, les corporelles, c’est lui qui les a faites. Aucune forme, aucun corps, aucun assemblage de parties, aucune substance de quelque nature qu’elle soit, rien de ce qui peut être pesé, compté, mesuré, n’a été fait que par ce Verbe, par ce Verbe créateur auquel il a été dit : « Vous avez disposé toutes « choses avec poids, nombre et mesure av ».

14. Que personne donc ne vous induise en erreur, quand par hasard il vous voit importunés par les mouches. Car le diable s’est moqué de plusieurs, et les mouches ont suffi à les prendre. C’est, en effet, la coutume des oiseleurs de placer des mouches dans leurs pièges, afin de tromper les oiseaux affamés ; ainsi le diable a pris ces hommes avec des mouches. J’en trouve la preuve dans ce qui est arrivé à je ne sais quel individu que les mouches importunaient. Rencontré par un Manichéen au plus fort de cette importunité, il lui dit qu’il ne pouvait souffrir ces mouches, et qu’il les détestait par-dessus tout ; alors le Manichéen lui adressa cette question : Qui est-ce qui a créé ces mouches ? Importuné comme il l’était, et dans l’excès de sa haine contre les mouches, il n’osa pas dire : Dieu les a faites ; pourtant c’était un catholique. Si Dieu n’en est pas l’auteur, reprit aussitôt le, Manichéen, qui donc les a faites ? À parler franchement, dit le catholique, selon moi c’est le diable qui les a créées. Si le diable a fait la mouche, comme je te vois en convenir, parce que tu es un homme d’esprit et d’intelligence, qui est-ce qui a fait l’abeille qui est un peu plus grosse que la mouche ? Le catholique n’osa pas dire, que Dieu n’ayant pas fait la mouche, n’avait pas fait l’abeille, parce qu’entre l’une et l’autre la différence était presque imperceptible. Le Manichéen le mena à la sauterelle, de la sauterelle au lézard, du lézard à l’oiseau, de l’oiseau au quadrupède ; de là au bœuf, de là à l’éléphant, finalement à l’homme. Ainsi ce malheureux, pour n’avoir pas su endurer l’importunité des mouches, est devenu mouche, pour tomber ensuite au pouvoir du diable. Béelzébub signifie, en effet, dit-on, Prince des mouches ; c’est d’elles qu’il est écrit : « Les mouches mourantes détruisent la suavité du parfum aw ».

15. Qu’est-ce donc, mes Frères, et pourquoi ai-je dit ces choses ? Fermez les oreilles de votre cœur aux suggestions malignes de l’ennemi ; comprenez que Dieu a fait toutes les créatures et qu’il a rangé chacune d’elles à sa place. Mais pourquoi avons-nous tant à souffrir de la part de ces créatures que Dieu a faites ? Est-ce parce que nous avons offensé Dieu ? Ces maux, est-ce que les anges les endurent ? Nous aussi peut-être devrions-nous ne les avoir point à craindre dans cette vie. Ta peine, tu dois l’attribuer à ton péché, et non à ton juge. Car c’est à cause de notre orgueil que Dieu a tiré du néant cette créature si petite et si abjecte, pour en faire. l’instrument de notre supplice. Ainsi au moment même où l’homme se laisse emporter à la superbe et se révolte contre Dieu, au moment où, mortel, il veut faire trembler d’autres mortels et méprise son semblable, au moment où il s’exalte il se voit assujetti à une puce. Pourquoi donc te laisser enfler par l’orgueil humain ? Un homme t’a dit une parole d’outrage, et tu te gonfles de colère ; résiste donc aux puces, essaie de dormir en dépit de leurs morsures et sache qui tu es. Apprenez, mes Frères, que ces insectes qui nous importunent, ont été créés pour humilier notre orgueil ; car Dieu aurait pu dompter le peuple superbe de Pharaon avec des ours, des lions et des serpents, et il s’est borné à leur envoyer des mouches et des grenouilles ax afin que la superbe fût domptée par ce qu’il y a de plus vil.

16. « Toutes choses » donc, mes Frères, « toutes choses sans exception ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait ». Mais comment toutes choses ont-elles été faites par lui ? « Ce qui a été fait, en lui est vie ». Ce qui peut se dire encore en cette façon : « Ce qui a été fait en lui, est vie ». Donc si nous construisons ainsi cette phrase, tout est vie. Qu’y a-t-il en effet qui n’ait pas été fait en lui ? Il est la sagesse de Dieu, et il est dit en un psaume : « Vous avez fait toutes choses dans votre sagesse ». De même donc que toutes choses ont été faites par lui, de même « elles « ont été faites en lui n. Que si toutes choses ont été faites en lui, mes très-chers Frères, et si ce qui a été fait en lui est vie, donc la terre est vie, donc le bois aussi est vie. À la vérité, il est un bois que nous appelons vie, mais nous entendons le bois de la Croix, d’où nous avons reçu la vie. Donc la pierre aussi est vie. Inconvenante manière de comprendre les choses, qui nous ferait retomber dans les abominables erreurs des Manichéens, et nous ferait dire qu’une pierre a la vie, qu’un mur aussi a une âme, comme aussi un petit filet, la laine, un vêtement. Voilà ce que débitent d’ordinaire ces hérétiques en délire ; et quand ils se voient réprimés et confondus, ils tirent en quelque sorte de l’Écriture leur justification, et ils disent : Pourquoi donc a-t-il été écrit : « Ce qui a été fait en lui, est vie ? » Car si tout a été fait en lui, tout est vie. Garde-toi de te laisser entraîner à leur suite. Lis de cette manière : « Ce qui a été fait » ; arrête-toi là, puis continue et ajoute : « est vie en lui ». Qu’est-ce à dire ? La terre a été créée, mais cette terre, qui a été créée, n’est pas vie : au sein de la Sagesse se trouve l’archétype immatériel d’après lequel la terre a été faite, et cet archétype est vie.

17. Je vais expliquer ceci à votre charité, comme je le pourrai. Un menuisier fait un coffre. D’abord, il conçoit l’idée de ce coffre, car s’il n’en avait pas le plan dans la tête, qu’est-ce qui le guiderait dans l’exécution de son ouvrage ? Mais ce coffre n’est pas, dans la pensée de l’ouvrier, ce qu’il est quand il apparaît aux regards des spectateurs ; invisible dans le plan, il sera visible quand il sera fait. Le voilà, il a passé en œuvre ; a-t-il cessé pour cela d’exister en idée ? Un coffre a été fait, mais celui qui était dans la pensée reste le même. En effet, le premier peut tomber en poussière, et de nouveau on en peut faire un autre d’après celui qui est en l’idée. Considérez donc qu’il y a deux coffres, l’un en idée, l’autre en œuvre. Le coffre en œuvre n’est pas vie, le coffre en idée est vie, parce qu’il vit dans la pensée de l’ouvrier, où tout ce qu’il fait existe avant d’être produit au-dehors. Pareillement, mes frères, la sagesse de Dieu, par laquelle toutes choses ont été faites, possède en elle-même l’archétype de tous les êtres antérieurement à leur création ; d’où il suit que ce qui se fait d’après cet archétype n’est pas vie pour cela. Mais tout ce qui a été fait est vie en Dieu. Tu vois la terre, cette terre existe aussi dans l’idée de Dieu ; tu vois le ciel, le ciel existe aussi dans la pensée de Dieu ; tu vois le soleil et la lune, ils y existent aussi. Mais tels que tu les vois au-dehors, ils sont des corps ; tels qu’ils se retrouvent dans la pensée de Dieu, ils sont vie. Comprenez comme vous le pourrez ; car ce que je viens de vous dire est grand. S’il ne tire pas de moi sa grandeur et que je ne puisse y contribuer en aucune façon, il la puise dans son objet même. Je suis, en effet, trop peu de chose pour vous tenir de moi-même un pareil langage ; mais celui vers qui je porte mes regards afin de pouvoir vous parler, ne peut m’être comparé. Que chacun prenne ce qu’il peut, autant qu’il le peut ; pour celui qui ne peut rien prendre, qu’il nourrisse son cœur afin de pouvoir. De quoi le nourrir ? Qu’il le nourrisse de lait, afin d’en venir ensuite à une alimentation plus solide. Qu’il ne s’éloigne pas de Jésus-Christ, né selon la chair, jusqu’à ce qu’il parvienne à Jésus-Christ, né d’un Dieu unique, Verbe Dieu, demeurant en Dieu, par qui toutes choses ont été faites, parce que c’est la vie qui en lui est la lumière des hommes.

18. Car voici ce qui suit : « Et la vie était la lumière des hommes » ; en effet, c’est cette même vie qui les éclaire. Les bêtes n’ont pas cette lumière, parce qu’elles n’ont pas d’âme raisonnable capable de voir la sagesse. Mais l’homme, fait à l’image de Dieu, a une âme raisonnable par laquelle il peut la percevoir. Donc, cette vie par laquelle toutes choses ont été faites, cette même vie est lumière, non pas la lumière des animaux quels qu’ils soient, mais la lumière des hommes. Aussi l’Évangéliste dit peu après : « Elle était la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde ». Jean-Baptiste a été éclairé par cette lumière comme aussi Jean l’Évangéliste. De cette lumière était rempli celui qui a dit : « Je ne suis pas le Christ, mais c’est celui qui vient après moi, et dont je ne suis pas digne de délier, les cordons des souliers ay ». De cette lumière était éclairé celui qui a dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Donc cette vie est la lumière des hommes.

19. Mais peut-être des cœurs insensés se trouvent-ils dans l’impossibilité de recevoir les rayons de cette lumière parce qu’ils sont appesantis par leurs péchés, qui leur en interceptent la vue. De ce qu’ils sont incapables de l’apercevoir, qu’ils n’aillent pas croire à sa non-existence, car ils sont devenus ténèbres à cause de leurs fautes : « Et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas comprise ». De même qu’un aveugle, placé en face du soleil, est absent pour lui, quoique celui-ci l’inonde de ses rayons ; ainsi tout insensé, tout pécheur, tout impie est aveugle en son cœur. La sagesse est devant lui, mais comme elle brille aux yeux d’un aveugle, elle est pour lui comme absente. Non qu’elle soit absente à lui, mais parce que lui est absent d’elle. Que lui faut-il donc faire ? Qu’il purifie ce qui peut lui faire voir Dieu. Si un homme ne peut voir parce qu’il a les yeux souillés et malades, parce que la poussière, l’humeur ou la fumée viennent les obscurcir, le médecin lui dit : Nettoie tes yeux, ôte ce qu’il y a en eux de mauvais, afin qu’ils puissent voir la lumière. La poussière, l’humeur, la fumée, ce sont tes péchés et tes fautes. Ôte-les de ton cœur, et tu apercevras la sagesse qui est toujours présente devant toi ; car Dieu est cette sagesse, et il est écrit : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu az ».

DEUXIÈME TRAITÉ.

DEPUIS L’ENDROIT OU IL EST ÉCRIT : « IL Y EUT UN HOMME ENVOYÉ DE DIEU, NOMMÉ JEAN », JUSQU’À « PLEIN DE GRÂCE ET DE VÉRITÉ ». (Chap 1, 6-14.)

SAINT JEAN, PRÉCURSEUR DU CHRIST.

L’homme ne saurait, ni par lui-même, ni par un autre moyen humain, se faire une idée de la nature du Verbe ; mais pour l’instruire, le Fils de Dieu s’est fait chair et est mort sur use croix. Il est la lumière véritable ; néanmoins, afin de n’être pas méconnu, il a envoyé devant lui une lampe destinée à ménager la faiblesse de nos yeux et à nous faire voir ce soleil qui éclaire le monde, ce maître qui le gouverne. Malgré cela plusieurs ne l’ont pas reçu ; pour ceux qui lui ont fait bon accueil, ils sont devenus par la grâce de l’incarnation les enfants adoptifs de Dieu, et ils ont reconnu en Jésus-Christ le Fils de l’Éternel.

1. Il est bon, mes frères, lorsque nous nous appliquons à étudier les divines Écritures, principalement le saint Évangile, de n’omettre autant que possible aucun passage, afin de nous en nourrir selon notre capacité, et de nous faire part ensuite de ce qui nous a été donné. Il nous souvient d’avoir expliqué hier, dimanche, les paroles du premier chapitre, c’est-à-dire : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe tétait Dieu. Il était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait. Ce qui a été fait est vie en lui ; et la vie était la lumière des hommes. Et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise ». Si je ne me trompe, voilà jusqu’où nous avons poussé nos explications ; tous ceux qui se trouvaient ici s’en souviennent ; pour vous, qui étiez absents, croyez à ma parole et à celle des personnes qui ont bien voulu venir nous entendre. Il nous est impossible de revenir sans cesse sur nos pas ; car nous deviendrions ennuyeux, si, sous prétexte de ne point priver les absents d’hier, nous répétons ce que nous avons déjà dit devant ceux qui étaient alors présents, et qui désirent entendre la suite. Daignent donc les personnes gui n’ont pas assisté à notre première dissertation, ne point exiger de nous un retour en arrière, et se mettre avec les autres à écouter ce que nous devons dire aujourd’hui.

2. Voici la suite : « Il y eut un homme ennoyé de Dieu, qui s’appelait Jean ». Aussi bien ce qui a été dit plus haut, mes très-chers frères, a été dit de l’ineffable divinité duVerbe, et dans un langage presque ineffable. En effet, qui pourra comprendre : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu ? » Afin que ce nom de Verbe ne te semble pas commun, en raison de l’habitude où l’on est de prononcer tous les jours des verbes, Jean ajoute : « Le Verbe était Dieu ». C’est de ce même Verbe que nous avons abondamment parlé hier. Dieu veuille que de tant de paroles, quelques-unes au moins aient trouvé accès jusqu’à votre cœur. « Au commencement était le Verbe ». Il est toujours le même, toujours de la même manière ; ce qu’il est, il l’est toujours, il ne peut changer ; être ainsi c’est être. Être, voilà son nom. Il l’a dit à son serviteur Moïse : « Je suis celui qui suis ». Et encore : « Celui qui est m’a envoyé ba ». Encore une fois, qui est-ce qui pourra le comprendre, quand on voit que ce qui est mortel est changeant ; non seulement les corps sont soumis à des modifications diverses, comme naître, croître, s’affaiblir, mourir ; les âmes elles-mêmes s’étendent et se déchirent sous l’effort des désirs qui les sollicitent en sens contraires ; quand on voit les hommes capables de percevoir la sagesse, s’ils se soumettent à l’influence de sa lumière et de sa chaleur, capables aussi de la perdre, si leurs affections déréglées les en éloignent ? Quand donc vous voyez tant de vicissitudes en toutes choses, de quel œil pouvez-vous considérer ce qui est ? Ne vous semble-t-il pas placé bien au-dessus des êtres qui sont comme s’ils n’étaient pas ? Encore une fois, qui pourra le comprendre ? De quelque façon qu’il emploie les forces de son esprit pour s’élever de son mieux jusqu’à ce qui est, n’importe de quelle manière et dans quelle proportion il puisse le faire, un homme sera-t-il jamais capable d’y parvenir ? Ainsi en est-il de celui qui voit de loin sa patrie, mais qui en est séparé par la mer ; il a beau voir le but où il doit diriger ses pas, les moyens lui manquent pour s’y transporter. Pareillement nous voulons parvenir à cette patrie permanente où se trouve ce qui est véritablement, parce que seul il est toujours de telle façon qu’il ne peut jamais cesser d’être. Entre elle et nous s’étend la mer du siècle présent qu’il nous faut traverser ; toutefois dès maintenant nous voyons où nous allons ; mais plusieurs ne le voient même pas. Afin de nous procurer le moyen d’y parvenir, celui-là est venu vers qui nous voulions aller. Et qu’a-t-il fait ? Il a préparé un navire sur lequel nous pourrons traverser la mer. Personne, en effet, ne peut traverser la mer de ce siècle, à moins que la croix de Jésus-Christ ne le porte. Celui-là même dont la vue est faible s’attache parfois à cette croix : que le chrétien, même celui qui est incapable d’apercevoir de loin le terme de son voyage ne s’en dessaisisse point, et elle le conduira au port.

3. Voici donc, mes Frères, ce que j’ai eu dessein d’insinuer à vos cœurs : Si vous voulez vivre avec piété et chrétiennement, attachez-vous à Jésus-Christ selon ce qu’il s’est fait pour nous afin de parvenir à lui selon ce qu’il est et selon ce qu’il était. Il s’est approché de nous, afin de devenir tel pour nous ; il est devenu tel, afin que les faibles soient portés par lui, qu’ils traversent la mer et parviennent à la patrie où tout navire cessera d’être nécessaire, parce qu’il n’y aura plus de mer à franchir. Il vaut donc mieux ne pas voir en esprit celui qui est, et cependant ne pas se séparer de la croix de Jésus-Christ, que le voir en esprit et mépriser la croix du Sauveur. Il est préférable encore, et singulièrement meilleur, devoir, s’il est possible, où il faut aller, et de se tenir attaché à ce qui peut nous y porter. C’est ce qu’ont pu faire ces grandes âmes appelées du nom de montagnes, éclairées plus que toutes les autres de la lumière de la justice. Elles ont pu le faire, et elles ont vu ce qui est. Car c’est pour l’avoir vu que Jean disait : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu », Elles l’ont vu et, pour parvenir à ce qu’elles voyaient de loin, elles ne se sont pas dessaisies de la croix de Jésus-Christ, elles n’ont pas méprisé ses abaissements. Pour les petits qui n’ont pas la même intelligence, s’ils ne restent pas étrangers à la croix, à la passion et, à la résurrection de Jésus-Christ, le navire qui mène au port ceux qui voient, les conduira eux-mêmes à ce qu’ils ne voient pas.

4. Mais certains sages de ce monde ont existé, qui ont cherché le Créateur par l’intermédiaire de la créature ; car on peut le trouver par ce moyen, suivant cette formelle déclaration de l’Apôtre : « Ce qui est invisible en Dieu est vu et compris par ce qu’il a fait depuis le commencement du monde ; comme aussi sa puissance éternelle et sa divinité, en sorte qu’ils sont inexcusables ». Et ensuite : « Parce qu’ayant connu Dieu » ; il ne dit pas : parce qu’ils ne l’ont pas connu, mais bien : « parce qu’ayant connu Dieu, ils ne l’ont pas glorifié comme Dieu et ne lui ont pas rendu grâces, mais ils se sont évanouis en leurs pensées, leur cœur s’est obscurci et est demeuré sans intelligence ». Comment obscurci ? Il continue et dit plus ouvertement : « Se vantant d’être sages, « ils sont devenus fous ». Ils ont vu où il fallait venir ; mais, ingrats à l’égard de celui qui leur avait donné de le voir, ils ont voulu s’attribuer ce qu’ils avaient vu et, devenus orgueilleux, ils ont mérité de le perdre ; après quoi ils se sont tournés vers les idoles, les simulacres et le culte du démon, ils ont adoré la créature et méprisé le Créateur. À la vérité, ils étaient déjà brisés quand ils ont fait ces choses ; mais ils s’étaient vu briser parce qu’ils étaient devenus des orgueilleux, et, parce qu’ils s’étaient abandonnés à l’orgueil, ils s’étaient vantés d’être sages. Ceux dont Paul a dit : « Parce qu’ayant connu Dieu », ont donc vu ce que dit Jean, c’est-à-dire que toutes choses ont été faites par le Verbe. Car on trouve cette vérité dans les livres des philosophes ; on y voit aussi que Dieu a un Fils unique par lequel toutes choses existent. Ils ont pu voir ce qui est, mais ils ont vu de loin ; ils n’ont pas voulu s’attacher aux abaissements de Jésus-Christ ; montés sur ce navire ils seraient parvenus sûrement à ce qu’ils avaient pu voir de loin. Mais la Croix de Jésus-Christ leur a inspiré du dégoût. Il faut passer la mer, et le bois qui te porte tu le méprises ? O sagesse orgueilleuse, tu te moques de Jésus crucifie ! Mais c’est celui-là même que tu as vu de loin ! « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu ». Mais pourquoi a-t-il été crucifié ? Parce que le bois de ses abaissements t’était nécessaire. Pour toi, tu étais enflé d’orgueil ; tu te trouvais jeté à une distance énorme de la patrie, les flots de ce siècle te coupaient le chemin qui conduit à la patrie, tu n’avais pas d’autre ressource que d’y être porté sur le navire. Ingrat, tu te moques de celui qui vient à toi pour faciliter ton retour ! Il s’est fait la voie, et la voie au travers des flots. De là vient qu’il a marché sur la mer bb, pour montrer que sur la mer était la voie. Mais toi, qui ne peux comme lui marcher sur la mer, fais-toi porter par le vaisseau, par le bois de la croix ; crois-tu au Crucifié et tu pourras arriver. C’est pour toi qu’il a été crucifié, afin de t’apprendre l’humilité, et aussi parce que s’il était venu comme Dieu, il ne serait pas venu pour ceux qui ne pouvaient voir Dieu. Il n’est donc pas venu du ciel, il n’y est pas retourné en tant que Dieu, puisque comme tel il est partout et n’est renfermé nulle part. Comment donc est-il venu ? Tel qu’il nous a apparu, avec la nature humaine.

5. Aussi, parce qu’il était un homme, mais un homme en qui Dieu était caché, il a envoyé devant lui un homme extraordinaire dont le témoignage le fit reconnaître comme étant une nature supérieure à celle de l’homme. Quel était ce personnage extraordinaire ? « Il y eut un homme ». Comment pouvait-il dire la vérité sur Dieu ? « Il était envoyé de Dieu ». Son nom ? « Il s’appelait Jean ». Pourquoi est-il venu ? « Il est venu pour rendre témoignage, pour rendre témoignage de la lumière, afin que tous crussent par lui ». Qui était-il pour rendre témoignage de la lumière ? C’était quelque chose de grand, grand mérite, grande grâce, grande élévation ! Admirez-le, oui, admirez-le, mais admirez-le comme une montagne. Or, une montagne demeure dans les ténèbres, à moins que la lumière ne vienne l’éclairer de ses rayons. Ainsi, n’admirez Jean que pour entendre ce qui suit : « Il n’était pas la lumière », de peur que, prenant la montagne pour la lumière, tu y trouves non pas la consolation, mais le naufrage. Mais que dois-tu admirer ? La montagne comme montagne. Cependant dresse-toi vers celui qui illumine la montagne, élevée pour recevoir la première les rayons de la lumière et la refléter ensuite à tes yeux. Donc, « il n’était pas la lumière ».

6. Pourquoi donc est-il venu ? « Pour rendre témoignage de la lumière ». Pourquoi ce témoignage ? « Afin que tous crussent en lui ». Quelle était cette lumière dont il devait rendre témoignage ? « Il était la lumière véritable ». Pourquoi l’Évangéliste a-t-il ajouté le mot véritable ? Parce que l’homme éclairé est appelé lumière, tandis que la lumière véritable est celle qui éclaire. En effet, nos yeux sont aussi appelés lumières ; et cependant, si de nuit on n’allume pas une lampe, ou si de jour le soleil ne se rencontre pas, c’est inutilement que ces lumières sont ouvertes. Ainsi Jean était la lumière, mais non la lumière véritable ; parce que, avant d’être éclairé, il était ténèbres, et que, après avoir été éclairé, il est devenu lumière. S’il n’avait pas reçu les rayons de la lumière, il serait resté ténèbres, comme tous les impies auxquels, même après leur conversion à la foi, l’Apôtre disait : « Autrefois, vous étiez ténèbres ». Cependant, parce qu’ils avaient reçu la foi, qu’ajoutait-il ? « Maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur bc ». S’il n’avait pas ajouté : « Dans le Seigneur », nous n’aurions pas compris ce qu’il voulait dire. « Vous êtes », disait-il, « lumière dans le Seigneur ». Vous étiez ténèbres, mais noms dans le Seigneur ; car « autrefois vous étiez ténèbres » ; là il n’ajoute pas dans le Seigneur. Donc vous étiez ténèbres en vous, et lumière dans le Seigneur. Ainsi, « Jean n’était pas la lumière, mais il était venu pour en rendre témoignage ».

7. Mais la lumière même, où est-elle ? « Il était la lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde ». S’il éclaire tout homme venant en ce monde, il éclairait aussi Jean ; il éclairait donc celui par qui il voulait être montré. Que votre charité s’applique à m’entendre. Il venait à des esprits infirmes, à des cœurs blessés, à des âmes dont l’œil était malade. Tel était l’objet de sa venue. Et comment l’âme aurait-elle pu voir ce qui a la perfection de l’être ? De la manière dont il arrive souvent de connaître, par les rayons tombés sur un corps étranger, le lever du soleil que nous ne pouvons encore voir de nos yeux. Comme ceux qui ont les yeux malades, sont capables de voir un mur, une montagne, un arbre, ou tout autre objet illuminé et éclairé par le soleil, et par le moyen de cette lumière autre que la sienne, de s’apercevoir qu’il est levé ; ce que leur regard trop faible ne peut découvrir directement : ainsi tons ceux vers qui Jésus-Christ était venu étaient trop peu à même de le voir. Il a répandu son éclat sur Jean ; et en avouant qu’il reçut les rayons et la lumière, qu’il n’était ni les rayons ni la lumière, Jean a fait connaître celui qui illumine, celui qui éclaire, celui qui remplit de sa plénitude. Et celui-là qui est-il ? « Celui qui éclaire tout homme venant en ce monde ». Car si l’homme n’était déchu d’ailleurs, il n’aurait pas eu besoin d’être éclairé de la lumière ; mais elle lui est nécessaire en ce monde, parce qu’il est déchu de l’endroit où il lui était loisible de l’avoir toujours.

8. Quoi donc ? S’il est venu ici, où était-il ? « Il était dans le monde ». Il était ici et il y est venu. Il y était par sa divinité, il y est venu var son incarnation ; car, bien qu’il fût ici par sa divinité, les ignorants, les aveugles et les méchants ne pouvaient le voir. Les méchants sont les ténèbres dont il est écrit : « La « lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise bd ». Voici qu’il est ici à cette heure, et il y était, et il y est toujours ; jamais il ne s’en éloigne, et il y est partout présent. Il te faut de quoi voir ce qui ne s’éloigne jamais de toi ; il te faut ne pas t’éloigner du soleil qui remplit tous les lieux de sa présence. Pour ne pas être abandonné de lui, il ne faut jamais t’en séparer. Ne tombe pas et il ne disparaîtra pas ; si tu tombes, il disparaît à tes yeux. Si tu demeures debout, il est présent devant toi ; mais si tu n’es pas resté debout, souviens-toi d’où tu es tombé ; d’où tu as été précipité par celui qui est tombé avant toi. Il t’a précipité, non par la force, non par la violence, mais par un acte de ta volonté. Car, si tu n’avais pas consenti au anal, tu serais debout, et tu aurais continué à être éclairé. Mais maintenant que tu es tombé et que tu as été blessé au cœur, comment cette lumière pourra-t-elle venir jusqu’à toi ? Il est venu dans des conditions telles que tu fusses à même de le voir ; et il s’est montré homme à ce point de rechercher le témoignage d’un homme. Dieu a un homme pour témoin ; mais c’est à cause de l’homme : car nous sommes si faibles ! Au moyen de la lampe nous cherchons le jour, puisque Jean a été appelé une lampe, suivant ces paroles du Seigneur : « Il était une lampe ardente et luisante, et vous avez voulu pour un peu de temps vous réjouir à sa lumière ; pour moi, j’ai un témoignage plus grand que celui de Jean  be ».

9. Il le montre donc ; c’est pour les hommes qu’il a voulu qu’une lampe le fît voir ; il l’a voulu pour exciter la foi de ceux qui devaient croire, et pour confondre par elle tous ses ennemis. Ces ennemis c’étaient ceux qui lui demandaient pour le tenter : « Dites-nous : Par quel pouvoir faites-vous ces choses-là ? – Et moi, leur répondit-il, je vous adresserai seulement une question : Dites-moi : le baptême de Jean, d’où est-il ? Du ciel, ou des hommes ? Et ils furent troublés, et ils se dirent en eux-mêmes : Si nous répondons du ciel, il nous dira : Pourquoi donc n’avez-vous pas cru à sa parole ? » Car il avait rendu témoignage à Jésus-Christ, et il avait dit : « Je ne suis pas le Christ, mais c’est lui bf ; car ils dirent : « Nous ne savons pas ». Et parce qu’ils n’avaient pas voulu le laisser pénétrer dans leur âme, parce qu’ils avaient nié ce qu’ils savaient ; le Sauveur ne s’ouvrit pas non plus à eux, car ils n’avaient pas frappé. Il est dit, en effet : « Frappez et l’on vous ouvrira bg ». Quant à eux, non seulement ils n’avaient pas frappé pour qu’on leur ouvrît ; mais, par leur mensonge, ils avaient même fermé la porte à leur propre détriment. Et moi, leur dit le Seigneur : « Je ne vous dis pas non plus par quel pouvoir je fais ces choses bh ». Ainsi furent-ils confondus par Jean, et cette parole s’accomplit en eux : « J’ai préparé une lampe pour mon Christ, je couvrirai de confusion ses ennemis bi. « Si, au contraire, nous répondons des hommes, nous craignons que le peuple ne nous lapide, parce qu’on regardait Jean comme un Prophète ». Craignant d’être lapidés, mais craignant davantage encore de dire la vérité, ils répondirent par un mensonge à la vérité, mais l’iniquité se mentit à elle-même bj ».

10. « Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui ». Ne pense point qu’il était dans le monde, comme y est la terre, comme y est le ciel, comme y sont le soleil, la lune, les étoiles, comme y sont les arbres, les animaux, les hommes. Ce n’est pas ainsi qu’il était dans le monde. Mais comment y était-il ? Comme un ouvrier qui gouverne ce qu’il a fait. Non, toutefois, qu’il ait fait son œuvre comme un ouvrier fait la sienne : hors de l’ouvrier est le coffre qu’il façonne ; ce coffre est placé dans un endroit autre que celui où il se trouve lui-même, pendant qu’il le fabrique : et bien que l’ouvrier se tienne à côté de son œuvre, il est cependant ailleurs et en dehors de l’objet de son travail. Pour Dieu il est répandu dans le monde qu’il crée, il demeure dans toutes ses parties, il ne se retire nulle part ailleurs ; il n’est point placé au-dehors du monde, pour le laisser en quelque sorte tomber de ses mains. Par la présence de sa majesté il fait ce qu’il fait, par sa présence il gouverne ce qu’il a fait. Ainsi il était donc dans le monde comme celui par qui a été fait le monde : « Car le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas connu ».

11. Qu’est-ce à dire : « Le monde a été fait par lui ? » Le ciel, la terre et tout ce qui s’y trouve s’appellent le monde. En outre, et dans un autre sens on appelle de ce nom les amis du monde. « Le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas connu ». Quoi ! les cieux n’ont point connu leur Créateur ? les anges ne l’ont point connu ? les astres ne l’ont point connu, lui dont les démons confessent là puissance ? En tous lieux, toutes choses lui rendent témoignage. Mais qui sont ceux qui ne l’ont point connu ? Ceux qui, aimant le monde, ont été appelés de ce nom ; car où se trouvent nos affections, nous y habitons par le cœur. Aussi, dès lors qu’ils aimaient le monde, ils ont mérité le nom du lieu où ils avaient fixé leurs affections. Ainsi lorsque nous disons : Mauvaise est cette maison, ou bonne est cette maison, nous ne jetons pas plus un blâme sur les murailles de la première, que nous ne faisons l’éloge de la seconde. Mais, en disant qu’une maison est mauvaise, nous entendons que ceux qui l’habitent sont des méchants ; et en disant qu’elle est bonne, nous voulons dire que ceux qui y demeurent sont des gens honnêtes. Ainsi, par le monde nous entendons ceux qui y ont fixé leurs affections. Qui sont-ils encore une fois ? Ceux qui l’aiment, parce qu’ils y habitent par le cœur. Car pour les autres qui n’aiment pas le monde, leur corps est bien dans le monde, mais leur cœur habite au ciel, comme dit l’Apôtre : « Notre conversation est au ciel bk ». Donc, « le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas connu ».

12. « Il est venu chez soi », parce que tout cet univers a été fait par lui. « Et les siens ne l’ont pas reçu ». Qui les siens ? Les hommes qu’il a créés. Les Juifs qu’il a dès le commencement élevés au-dessus de toutes les nations. Car les autres peuples adoraient les idoles et servaient les démons ; mais les Juifs étaient issus de la race d’Abraham ; ainsi ils étaient particulièrement les siens parce qu’ils lui appartenaient par le lien de la chair dont il a daigné se revêtir pour notre amour. « Il est venu chez soi, et les siens ne l’ont pas reçu ». A-t-il été absolument rejeté de tous ? Aucun d’eux ne l’a-t-il reçu ? Aucun d’eux n’a-t-il été sauvé ? Car personne ne sera sauvé à moins de recevoir Jésus-Christ.

13. Mais il ajoute : « Quant à ceux qui l’ont « reçu ». Que leur a-t-il accordé ? Étonnante miséricorde ! Admirable bienveillance ! Unique par sa naissance, il n’a pas voulu demeurer seul. Plusieurs n’ayant pas eu d’enfants, et l’âge où l’on peut en avoir étant passé pour eux, ils en adoptent, et par leur volonté ils se donnent ce que leur a refusé la nature : ainsi font les hommes. Mais si quelqu’un a un fils unique, il en éprouve une joie d’autant plus vive, parce que celui-ci est seul appelé à posséder tout le bien de son père, et qu’il n’aura point à partager avec d’autres son héritage en le partageant il s’appauvrirait. Il n’en est pas ainsi de Dieu. Le Fils unique qu’il avait engendré, et par qui il avait fait toutes choses, il l’a envoyé dans le monde afin qu’il ne fût pas seul, mais qu’il eût des frères adoptifs. Pour nous, en effet, nous ne sommes pas nés de Dieu comme son Fils unique ; mais nous avons été adoptés par sa grâce. Ce Fils unique est venu pour nous délivrer des péchés dans lesquels nous étions enveloppés, et qui formaient un obstacle à notre adoption. Aussi a-t-il d’abord délivré de leurs fautes ceux dont il voulait faire ses frères, puis il les a rendus ses cohéritiers. Voilà, en effet, ce que dit l’Apôtre : « S’il est fils, il est aussi héritier par la grâce de Dieu bl ». Et encore : « Héritiers de Dieu, cohéritiers de Jésus-Christ bm ». Il n’a pas craint d’avoir des cohéritiers ; car le grand nombre de ceux qui possèdent son héritage, ne peut en amoindrir la valeur ; il y a plus : ses cohéritiers deviennent son bien et son héritage, et lui-même il devient leur héritage à son tour. Écoute, voici comment ils deviennent son héritage. « Le Seigneur m’a dit : Tu es mon fils, je t’ai engendré aujourd’hui. Demande-moi, et je te donnerai les nations pour ton héritage bn ». Mais lui, comment devient-il leur héritage ? Il est dit en un psaume : « Le Seigneur est la part de mon héritage et de mon calice bo ». Puissions-nous le posséder, et puisse-t-il nous posséder nous-mêmes ? Qu’il nous possède comme étant Notre-Seigneur, possédons-le comme notre salut, possédons-le comme notre lumière. Qu’a-t-il donc donné à « ceux qui l’ont reçu ? » « À ceux qui croient en son nom, il leur a donné d’être enfants de Dieu », afin qu’ils se tiennent attachés au bois qui doit leur faire traverser la mer.

14. Et comment naissent-ils ? C’est en devenant enfants de Dieu et frères de Jésus-Christ qu’ils naissent, cela est évident. Si, en effet, ils ne naissaient pas, comment pourraient-ils être fils ? Les enfants des hommes naissent de la chair et du sang, par un effet de la volonté de l’homme et de l’usage de l’union conjugale. Pour eux, comment naissent-ils ? « Ceux qui ne sont pas nés du sang ». Il entend, par là, le sang de l’homme et de la femme. Sang au pluriel n’est pas latin, mais parce que ce mot est employé au pluriel dans le grec, l’interprète a préféré l’employer ainsi à son tour, et par une expression moins latine, au gré des grammairiens, mettre la vérité au niveau des intelligences des faibles. S’il eût dit sang au singulier, il n’eût pas expliqué ce qu’il voulait, car les hommes naissent du mélange des sangs de l’homme et de la femme. Disons-le donc aussi, sans craindre les férules des grammairiens, s’il nous est possible par là d’arriver à une connaissance de la vérité plus claire et plus solide. Celui qui comprend, condamne cette manière de parler ; sa facilité à saisir les choses le rend intraitable. « Ceux qui ne sont pas nés des sangs, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme » : l’Évangéliste emploie le mot chair pour celui de femme ; car, lorsqu’elle fut formée de la côte d’Adam celui-ci s’écria : Voici l’os de mes os et la chair de ma chair bp » ; et l’Apôtre a dit : « Celui qui aime sa femme s’aime lui-même, car personne ne hait sa propre chair bq ». Ce mot chair est donc employé pour désigner la femme, de même que le mot esprit est quelquefois mis pour désigner le mari. Pourquoi ? Parce que l’esprit gouverne et que la chair est gouvernée, parce que l’un doit commander et l’autre obéir. En effet, où la chair commande, l’esprit obéit, c’est une maison en désordre. Y a-t-il rien de pire qu’une maison où la femme a le commandement sur l’homme ? Une maison bien ordonnée est celle où l’homme commande, et où la femme obéit ; ainsi, encore, l’homme n’est lui-même dans l’ordre, qu’autant que chez lui l’esprit est le maître, et que le corps est l’esclave.

15. « Ils ne sont donc pas nés de la volonté u de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu ». Pour que l’homme pût naître de Dieu, d’abord Dieu est né de l’homme. Car Jésus-Christ est Dieu, et Jésus-Christ est né de l’homme. À la vérité, il n’a cherché qu’une mère sur la terre, parce qu’il avait déjà un Père au ciel. Il est né de Dieu pour nous créer, et il est né de la femme pour nous refaire. Ne t’étonne pas, ô homme, de ce que tu deviens fils de Dieu par la grâce, de ce que tu nais de Dieu par son Verbe ; Le Verbe a voulu d’abord naître de l’homme, afin que tu fusses assuré de naître de Dieu, et que tu fusses à même de te dire à toi-même : Ce n’est pas sans motif que Dieu a voulu naître de l’homme, il faut qu’il m’ait jugé comme ayant quelque valeur, pour me rendre immortel, et pour, naître lui-même mortel à cause de moi. L’Évangéliste a donc dit : « Ils sont nés de Dieu » ; mais afin que nous ne soyons ni étonnés ni effrayés de cette grâce immense en vertu de laquelle ; chose presque incroyable ! des hommes sont devenus enfants de Dieu, il veut, en quelque sorte, te rassurer, et il ajoute : « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous ». Pourquoi t’étonner que des hommes soient nés de Dieu ? Fais attention que Dieu lui-même est né de l’homme. « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous ».

16. « Le Verbe s’étant donc fait chair, et ayant habité parmi nous », il nous a, par sa naissance, préparé un collyre pour guérir nos yeux, et nous aider à apercevoir sa grandeur cachée sous le voile de ses abaissements. « Le Verbe s’est donc fait chair, et il a habité parmi nous », il a guéri nos yeux. Que lisons-nous ensuite ? « Et nous avons vu sa gloire ». Sa gloire, personne n’aurait pu la voir, à moins d’être guéri par l’humilité de sa chair. Pourquoi nous était-il impossible de la voir ? Que votre charité soit attentive, et comprenez bien mes paroles. L’œil de l’homme s’était comme rempli de poussière ou de terre, et sa vue en était troublée ; il ne pouvait voir la lumière. On applique le remède sur cet œil malade ; la terre avait fait son mal, on met de la terre pour le guérir. Car tous les collyres et tous les médicaments pour les yeux ne tirent leur vertu que de la terre. La poussière t’avait aveuglé, la poussière te guérit ; ton aveuglement était venu de la chair, de la chair est venue ta guérison. L’âme était, en effet, devenue charnelle par le consentement qu’elle avait donné aux désirs de la chair ; c’est ce qui avait crevé l’œil de ton cœur. « Le Verbe s’est fait chair », et le médecin t’a préparé un collyre. Et parce qu’il est venu afin d’éteindre en sa chair les vices de la nôtre, et de tuer notre mort par la sienne, il s’est fait en toi, et ainsi : « Le Verbe s’étant fait chair », tu peux dire que « nous avons vu sa gloire ». Quelle gloire ? Quel fils de l’homme est-il devenu ? C’est là pour lui de l’humiliation, et non de la gloire. Mais jusqu’où s’est porté le regard jel’homme, une fois qu’il a été guéri par la chair ? « Nous avons vu sa gloire », dit l’Évangéliste, « sa gloire comme Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité ». Cette grâce et cette vérité, si Dieu nous en fait la grâce, nous en parlerons plus au long une autre fois, quand nous expliquerons d’autres passages de ce même Évangile. Que ceci nous suffise pour aujourd’hui. Quant à vous, cherchez votre édification dans le Christ : que votre foi s’affermisse ; soyez attentifs à pratiquer toutes sortes de bonnes œuvres ; ne laissez point échapper de vos bras le bois qui doit vous aider à traverser la mer.

ACCORD DES ÉVANGILES

CHAPITRE X. ÉVANGILE SELON SAINT JEAN.

11. Il ne nous reste plus à examiner que l’Évangile de saint Jean que nous ne pouvons désormais rapprocher d’aucun autre. Comment trouver quelque contradiction dans un passage qui n’est rapporté que par un seul évangéliste et sur lequel les autres gardent le silence ? Or il est certain que saint Matthieu, saint Marc et saint Luc ont surtout envisagé dans la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ son humanité sainte. Comme homme en effet le Christ est en même temps roi et prêtre. Aussi saint Marc, qui dans le mystère des quatre animaux, semble figuré par l’image de l’homme br, ne nous apparaît pour ainsi dire que comme le compagnon de saint Matthieu ; car il dit souvent les mêmes choses que lui, afin d’honorer la personne du Roi, qui ne marche jamais seul comme je l’ai prouvé dans, le premier livre
Ci-dessus I 1, c. III
 ; ou plus vraisemblablement encore il marche en compagnie de saint Matthieu et de saint Luc. Car si dans beaucoup de passages il ne fait que reproduire l’Évangile de saint Matthieu, il se rapproche de saint Luc dans un certain nombre d’autres. Ainsi se rapproche-t-il tout à la fois et du lion et du bœuf, c’est-à-dire de la personne royale dépeinte par saint Matthieu et de la personne sacerdotale dépeinte par saint Luc, et qui toutes deux se confondent en Jésus-Christ. Mais s’agit-il de la Divinité, de l’égalité de Jésus-Christ avec son Père, du Verbe qui est Dieu en Dieu, du Verbe fait chair et habitant parmi nous bt, du Verbe qui est un avec son Père bu ? c’est surtout saint Jean qui a entrepris d’en parler. Comme un aigle hardi, il fixe ses regards sur les paroles les plus sublimes prononcées par le Christ, et rarement il descend vers la terre. Qui, mieux que lui, connaissait la mère de Jésus ? et cependant, contrairement à saint Matthieu et à saint Luc, il ne parle pas de la naissance du Sauveur, il passe sous silence son baptême raconté par les trois autres. Appliqué tout entier au témoignage rendu par le Précurseur, il s’élance d’un seul trait au récit des noces de Cana. Là il lui faut parler de la mère de Jésus, et voici de quelle manière il s’exprime : « Femme, qu’y a-t-il entre vous et moi bv ? » Jésus ne repousse pas celle dont il a reçu son corps, mais il se préoccupe surtout de sa Divinité avant de changer l’eau en vin ; comme Dieu en effet il avait créé sa mère, il ne lui devait pas l’existence.

12. Après quelques jours passés à Capharnaüm, Jésus revient au temple et c’est là que fut prononcée cette parole, que nous rapporte saint Jean : « Détruisez ce temple et je le rebâtirai en trois jours bw. » Il proclamait par là, non seulement que dans ce temple il était Dieu, le Verbe fait chair ; mais aussi qu’il a ressuscité cette chair, uniquement en ce sens qu’il ne fait qu’un avec son Père et qu’ils ne peuvent agir séparément. Dans tous les autres passages de l’Écriture nous lisons toujours que Dieu l’a ressuscité ; nulle part nous ne voyons rien qui annonce aussi clairement que, malgré cela, il s’est aussi ressuscité lui-même, comme étant un seul Dieu avec son Père : c’est là ce qu’exprime cette parole : « Détruisez ce temple et je le réédifierai en trois jours. »

13. Dites ensuite la grandeur, la divinité de son entretien avec Nicodème ! De là l’Évangéliste revient encore au témoignage de saint Jean et proclame que l’ami de l’époux ne goûte d’autre joie que d’entendre la voix de l’époux. C’est nous enseigner que l’âme humaine n’est à elle-même ni sa propre lumière ni son propre bonheur ; et que tout cela lui vient de sa participation à l’immuable sagesse. Vient ensuite l’histoire de la Samaritaine, avec la promesse de cette eau qui rassasiera éternellement celui qui en boira. De là, il se transporte de nouveau à Cana en Galilée, où s’était opéré le changement de l’eau en vin ; c’est là qu’il fut dit à l’officier dont le fils était malade : « Si vous ne voyez des miracles et des prodiges, vous ne croyez pas bx. » Il voulait par là élever tellement l’esprit du fidèle au-dessus des choses muables de ce monde, qu’on n’eût même plus à demander des miracles, quoiqu’ils soient le sceau de la divinité gravé sur la mobilité des corps.

14. De là Jésus revient à Jérusalem, où il guérit un malheureux, malade depuis trente-huit ans. Et à cette occasion que ne dit-il pas ! Combien ne dure pas son discours ! Écoutons Les Juifs cherchaient l’occasion de le faire mourir, parce que non-seulement il ne gardait pas le sabbat, mais parce qu’il appelait pieu son Père en se faisant son égal. » On voit clairement qu’en se proclamant le Fils de Dieu il ne le faisait pas dans le même sens que les hommes justes, il se disait égal à son Père. Aussi pour répondre à l’accusation de profaner le sabbat venait-il de dire : « Mon Père agit toujours, il en est de même de moi. » Ses ennemis entrèrent alors en fureur, non pas précisément parce qu’il appelait Dieu son Père, mais parce qu’il se proclamait l’égal de Dieu en disant : Mon Père agit toujours, il en est de même de moi. » De là, en effet, il fallait conclure que le Fils fait ce que fait le Père ; car le Père n’agit pas sans le Fils. Malgré l’exaspération de ses persécuteurs, il leur dit au même moment et leur répète un peu après : « Tout ce que fait le Père, le Fils le fait également by. »

15. Saint Jean quitte enfin ces hautes sphères de la Divinité pour descendre un instant sur la terre avec les autres Évangélistes, à l’occasion de la multiplication des cinq pains pour cinq mille personnes. Et encore il est seul à nous apprendre que ces hommes voulant proclamer Jésus Roi, il s’enfuit seul sur la montagne. Je crois que, par cette conduite, le Sauveur a voulu nous montrer que s’il veut régner sur notre esprit et sur notre raison, c’est parce qu’il a pour séjour les hautes régions du ciel, où il n’a avec les hommes aucune communauté de nature ; où il est seul, parce qu’il est le Fils unique du Père. Ce mystère à cause de sa sublimité même échappe aux hommes charnels qui rampent sur la terre ; voilà pourquoi Jésus fuit sur la montagne pour se soustraire à ceux qui n’aspiraient qu’à un royaume de la terre ; du reste il dit ailleurs : « Mon royaume n’est pas de ce monde bz ;» et si nous ne trouvons ces détails que dans l’Évangile de saint Jean, c’est que dans son vol sublime il s’élève bien au-dessus de la terre, et fixe avec bonheur la lumière du soleil de justice. Après le miracle de la multiplication des pains, Jésus demeura quelque temps sur la montagne avec ses trois apôtres, puis ses disciples repassèrent la mer et Jésus se réunit à eux. C’est alors que l’Évangéliste s’élance de nouveau vers les paroles sublimes et divines, vers le long et incomparable discours que le Sauveur prononça à l’occasion de la multiplication des pains, après avoir dit à la foule : « En vérité, en vérité je vous le déclare, vous me cherchez, non parce que vous avez été témoins de miracles, mais parce que vous avez été nourris et rassasiés de pain ; travaillez donc, non pas pour le pain qui périt, mais pour celui qui demeure jusqu’à la vie éternelle. » Il se maintient longtemps à cette prodigieuse hauteur d’idées. Mais de cette élévation tombèrent bientôt les malheureux qui ne continuèrent pas à le suivre ; tandis que restèrent avec lui ceux qui purent saisir la portée de cette parole : « C’est l’esprit qui vivifie, la chair ne sert à rien ca ; » en effet, l’esprit sert parla chair, il sert aussi par lui-même ; mais la chair ne sert à rien sans l’esprit.

16. Les frères de Jésus, c’est-à-dire ses parents selon la chair, lui conseillant ensuite de se rendre à la fête de Pâques afin de se manifester à la multitude ; quelle sublime réponse il leur fait ! Mon heure n’est point encore venue, dit-il, tandis que la vôtre est toujours prête. Le monde ne peut vous haïr, mais moi il me hait parce que je rends de lui ce témoignage, que ses œuvres sont mauvaises. » En d’autres termes : « Votre heure est toujours prête », parce que vous désirez ce jour dont le prophète a dit : « Je n’ai pas souffert à votre suite, Seigneur, et je n’ai pas désiré le jour de l’homme : vous le savez cb. » Ah ! c’est voler vers la lumière du Verbe, et désirer le jour après lequel Abraham soupirait, le jour qu’il a vu et qui l’a rempli de joie cc. Cependant Jésus s’étant rendu à la solennité, quelles paroles admirables, divines et profondes saint Jean nous rapporte de lui ! Les Juifs ne peuvent venir là où il ira ; ils le connaissent et ils savent d’où il est ; celui qui l’a envoyé est la vérité même et ils l’ignorent ; comme s’il leur eût dit : vous savez d’où je suis et vous ne savez pas d’où je suis. Qu’est-ce à dire encore, sinon qu’ils savaient d’où il était quant à son corps, quant à sa famille et à sa patrie ; mais quant à sa divinité, le savaient-ils ? En parlant aussi, dans la même circonstance, du don de l’Esprit-Saint, il révèle ce qu’il est, puisqu’il peut accorder ce Don au-dessus de tout don cd.

17. Jésus quittait le mont des Oliviers, il venait de pardonner à la femme adultère qui lui avait été présentée par de perfides ennemis afin qu’il la fît lapider. Alors encore quelles paroles ne lui prête pas saint Jean ! Il nous montre comment de son doigt il écrivait sur la terre, comme pour faire comprendre à ses ennemis que c’était seulement sur la terre et non dans le ciel que leurs noms devaient être écrits ; tandis que ses disciples devaient se réjouir devoir les leurs gravés sur le livre ale la vie éternelle ce ; ou bien, en s’inclinant et en, baissant la tête, il annonçait qu’il ferait des prodiges sur la terre ; ou bien encore il proclamait qu’il était temps que sa toi fût écrite, non pas comme autrefois sur une pierre stérile, mais sur une terre qui pût rapporter du fruit ! C’est donc après cela qu’il se dit la lumière du monde, et qu’il assure que ceux qui le suivront ne marcheront point dans le% ténèbres, mais qu’ils auront la lumière de la vie. Il affirme aussi qu’il est le principe, lui, qui leur parle. Par ces paroles, il établit une différence essentielle entre lui, lumière éternelle par laquelle tout a été fait, et la lumière qu’il a faite. Quand donc il se disait la lumière du monde, il parlait dans un autre sens que quand il disait à ses apôtres : « Vous êtes la lumière du monde. » Les apôtres n’étaient que le flambeau qui ne doit pas être mis sous le boisseau mais sur le chandelier cf ; saint Jean le précurseur n’était lui-même que la lampe ardente et luisante cg ; quant à Jésus il est le principe dont il est dit : « Nous avons tous reçu de sa plénitude ch. » Jésus affirme aussi qu’il est le Fils, la Vérité ; et qu’en dehors de la liberté qu’il donne il n’y a pas de liberté véritable ci.

18. À l’occasion de la guérison de l’aveugle-né, saint Jean nous rapporte longuement les paroles que Jésus prononça sur les brebis, sur le pasteur, sur la porte, sur le pouvoir qu’il avait de donner sa vie et de la reprendre, puissance dans laquelle brille au plus haut point sa divinité. Ensuite il nous apprend que les Juifs dirent à Jésus pendant les fêtes de la Dédicace à Jérusalem : « Jusques à quand tiens-tu notre âme dans l’indécision ? Si tu es le Christ, dis-le-nous clairement. » À cette question quelle sublime réponse ! Jésus dit : « Moi et mon Père nous sommes un. » Plus tard, au moment de la résurrection de Lazare, il s’écrie : « Je suis la résurrection et la vie ; celui qui croit en moi, fût-il mort, vivra ; tout homme qui vit et croit en moi, ne mourra jamais. » Que chercherions-nous ici autre chose que la révélation de sa divinité, dont la participation nous fera vivre éternellement ? Saint Jean vient ensuite, à Béthanie, à la rencontre de saint Matthieu et de saint Marc cj ; c’est là que des parfums furent versés par Marie-Magdeleine sur les pieds et sur la tête de Jésus ck. À partir de ce moment jusqu’à la passion et la résurrection, les trois Évangélistes marchent de concert et parcourent les mêmes lieux.

19. Du reste, toutes les fois qu’il s’agit des discours du Sauveur, saint Jean ne cesse de s’élever à des auteurs où il plane longtemps. Quand les Gentils témoignent, par l’intermédiaire de Philippe et d’André, le désir de. le voir, Jésus saisit alors l’occasion de prononcer un profond discours, que saint Jean seul nous rapporte ; il y est de nouveau question de la lumière qui répand ses rayons et crée les enfants de la lumière cl. De plus, à l’occasion de la cène dont tous les évangélistes ont parlé, quelles belles et sublimes paroles prononcés par Jésus et que saint Jean seul nous fait connaître ! C’est non-seulement l’humilité à l’occasion du lavement des pieds ; mais, quand après le repas le traître a disparu, et qu’il ne reste plus avec lui que les onze apôtres fidèles, quel long, admirable et saisissant discours saint Jean nous rapporte ! C’est là que nous trouvons cette parole : « Celui qui me voit, voit aussi mon Père ; » c’est là que Jésus parle longuement du Saint-Esprit, qu’il devait leur envoyer ; de la gloire dont il jouissait en son Père avant la création du monde ; de l’unité qu’il veut former avec nous, comme il ne fait qu’un avec son Père ; il ne dit pas que lui, son Père et nous, nous ne devons faire qu’un, mais que nous devons être un comme lui et son Père sont un. Et puis combien d’autres choses non moins profondes et non moins admirables dont ne nous pourrions parler convenablement dans cet ouvrage, en fussions-nous capables ; puisque nous l’avons entrepris dans un autre dessein cm ! Nous pourrons le faire ailleurs ; il ne faut pas y aspirer ici. Voici seulement ce que nous voulons rappeler à ceux qui aiment la parole de Dieu et qui recherchent la sainte vérité. Quoique saint Jean, dans son Évangile, ait annoncé et fait connaître le Christ véritable et véridique dont les trois autres évangélistes ont écrit la vie et dont les autres Apôtres, sans avoir entrepris de faire son histoire, n’ont pas moins publié les grandeurs comme l’exigeait leur ministère ; cependant après s’être élevé bien plus haut qu’eux dès le début de son Évangile, il ne se rencontre que rarement avec eux dans le cours de son ouvrage. C’est premièrement quand il s’agit du témoignage rendu parle Précurseur sur les rives du Jourdain ; secondement au-delà de la mer de Tibériade, quand Jésus nourrit la foule avec les cinq pains et sur les eaux ; troisièmement, à Béthanie, où une femme fidèle répand sur lui des parfums précieux. Ainsi arrive-t-il avec eux à la passion, où tous devaient se rencontrer ; et cependant ne rend-il pas plus splendide que les autres la cène dernière, pour laquelle il semble avoir puisé dans le sanctuaire même du Seigneur, sur lequel il avait l’habitude de reposer. N’est-ce pas lui encore qui nous montre Jésus frappant Pilate de paroles plus profondes ; déclarant que son royaume n’est pas de ce monde, qu’il est né Roi, qu’il est venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité cn ; écartant Marie elle-même après la résurrection, et lui adressant ces mots mystérieux et profonds : « Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père co ; » donnant le Saint-Esprit à ses disciples en soufflant sur eux cp, prévenant ainsi l’erreur qui aurait pu faire croire, que le Saint-Esprit, qui est consubstantiel et coéternel à la Trinité, était seulement l’Esprit du Père et non celui du Fils.

20. Enfin après avoir confié la garde de ses brebis à Pierre, à qui il venait de demander une triple protestation d’amour, Jésus dit de saint Jean qu’il veut qu’il demeure ainsi jusqu’à ce qu’il vienne cq. Je crois voir ici la révélation d’un profond mystère. Ce récit évangélique de saint Jean, lequel jette de si vives lumières sur la nature du Verbe, nous enseigne l’égalité et l’incommutabilité de la Trinité, nous révèle la distance infinie qui existe entre nous et le Verbe fait chair ; je dis que cet évangile de saint Jean, ne pourra être saisi et parfaitement compris que quand le Seigneur apparaîtra parmi nous. Voilà pourquoi il restera tel jusqu’à ce qu’il vienne ; maintenant il restera pour diriger et affermir la foi des croyants ; mais alors nous le contemplerons face à face cr, quand notre vie aura apparu et quand nous aurons apparu avec lui dans la gloire cs. Si donc traînant encore après lui les chaînes de notre misérable mortalité, un homme se flatte d’écarter toutes les ténèbres qu’engendrent dans son esprit les représentations corporelles et charnelles ; de jouir de l’éclat serein de l’incommuable vérité ; et d’y attacher indissolublement son intelligence, rendue entièrement étrangère aux habitudes et aux nécessités de cette vie : je déclare qu’il ne comprend pas ce qu’il cherche et qu’il ne se connaît pas lui-même. Qu’il croie plutôt, d’après une autorité sublime et infaillible, que tant que nous sommes dans ce corps, nous sommes loin de Dieu, que nous marchons à la lueur de la foi et non à l’éclat éblouissant de la réalité ct. De cette manière, gardant précieusement dans son âme la foi, l’espérance et la charité, qu’il aspire à la contemplation face à face, appuyé sur le gage de l’Esprit-Saint qu’il a reçu cu, et qui nous enseignera toute vérité, quand Celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts, vivifiera aussi nos corps mortels par son Esprit qui habite en nous cv. Mais avant que ce corps, qui est mort par le péché, ne soit vivifié, sachons qu’il est de plus un fardeau bien lourd pour notre âme cw. Et si quelquefois, aidé par la grâce d’en haut, on perce ce nuage qui couvre toute la terre cx, c’est-à-dire les ténèbres charnelles qui obscurcissent la vie terrestre, n’oublions pas que ce n’est qu’un éclair rapide qui fend la nue, mais que bientôt on retombe dans sa faiblesse, malgré le désir qui porte à s’élever de nouveau dans les hauteurs, et parce qu’on n’est pas pur pour y rester fixé. La grandeur d’un homme dépend de la grandeur de ses efforts pour s’élever ; et sa petitesse est proportionnée à la faiblesse de ses efforts.

Si une âme n’a encore éprouvé aucune de ces aspirations, quoique Jésus-Christ habite en elle par la foi : qu’elle s’attache à vaincre et à détruire les passions de ce siècle, et cela par l’action de la vertu morale, qu’elle pratiquera en marchant avec Jésus-Christ, son médiateur, dans la compagnie des trois premiers Évangélistes ; qu’elle conserve fidèlement avec toute la joie d’une vive espérance, la foi en Celui qui est toujours le Fils de Dieu et qui, pour nous, s’est fait fils de l’homme, afin que sa force éternelle et sa divinité préparent à notre faiblesse et à notre mortalité, qu’il a partagées, une voie sûre pour marcher en lui et vers lui. Pour éviter le péché, qu’elle se laisse diriger par Jésus-Christ Roi ; si par malheur elle y tombe, qu’elle cherche l’expiation en ce même Jésus-Christ souverain prêtre. Quand enfin elle aura trouvé un aliment suffisant dans l’action d’une vie pure et sainte, s’élevant sur les deux préceptes de la charité comme sur deux ailes puissantes, au-dessus des choses de la terre, elle pourra se plonger dans la source même de la lumière, Jésus-Christ, le Verbe qui était au commencement, le Verbe qui était en Dieu et qui était Dieu cy. Elle ne verra sans doute encore que comme dans un miroir et en énigme ; mais beaucoup mieux qu’à l’aide des images corporelles. Si donc les esprits qui en sont capables voient dans les trois autres Évangélistes l’image de la vie active et dans l’Évangile de saint Jean les dons de la puissance contemplative ; toujours est-il vrai de dire, qu’au moins d’une certaine manière, cet Évangile de saint Jean restera jusqu’à ce que toute perfection soit accomplie cz. Aux uns le Saint-Esprit donne le langage de la sagesse, aux autres le langage de la science da ; celui-ci goûte le jour du Seigneur db; l’autre boit à la source plus pure de la poitrine du Sauveur ; celui-là, ravi jusqu’au troisième ciel, entend des paroles ineffables dc ; tous cependant, voyagent loin du Seigneur, tout le temps qu’ils sont dans ce corps mortel dd, et ceux qui gardant fidèlement les biens de l’espérance, sont écrits au livre de vie, verront l’accomplissement de cette parole : « Et moi aussi, Je l’aimerai et je me manifesterai moi-même à lui de. »

Toutefois pendant le pèlerinage d’ici-bas, plus on fera de progrès dans l’intelligence, ou la connaissance de cette vérité, plus on évitera avec soin les deux vices qui forment le caractère du démon : l’orgueil et la jalousie. On se souviendra que si l’Évangile de saint Jean élève si haut dans la contemplation de la vérité, c’est qu’il commande d’une manière plus pressante la douceur de la charité ; et comme rien n’est plus vrai ni plus salutaire que ce précepte du sage : « Plus tu es grand, plus tu dois t’humilier en tout df », l’Évangéliste qui, beaucoup mieux que les autres, a fait briller la gloire de Jésus-Christ, c’est celui qui nous le représente lavant les pieds à ses disciples dg.

Les deux premiers livres ont été traduits par M. l’abbé TASSIN, les deux derniers par M. l’Abbé BURLERAUX.

DEUXIÈME SÉRIE. SOLENNITÉS ET PANÉGYRIQUES.

SERMON CLXXXIV. POUR LE JOUR DE NOEL. I. ABAISSEMENT ET ÉLÉVATION.

ANALYSE. – Si le Fils de Dieu en se faisant homme avait cessé d’être Dieu, on comprendrait la répugnance des sages du monde à croire ce mystère et l’inutilité pour nous de l’Incarnation. Mais en devenant ce que nous sommes, Jésus n’a rien perdu de ce qu’il était, et en s’abaissant jusqu’à nous, il veut nous élever jusqu’à lui. Que tous donc se réjouissent et contemplent avec ravissement les merveilles de cette naissance temporelle, où brille

1. C’est aujourd’hui que revient et que brille parmi nous la solennité anniversaire de la naissance de Notre-Seigneur et Sauveur Jésus-Christ ; aujourd’hui que la Vérité s’est élevée de terre et que le jour issu du jour a paru pour être notre jour : réjouissons-nous donc et tressaillons d’allégresse. Eh ! que ne devons-nous point aux abaissements de cette incomparable Majesté ? La foi des chrétiens le connaît et le cœur des impies n’y comprend rien. C’est que Dieu a caché ces merveilles aux sages et aux prudents et les a dévoilées aux petits dh. Que les humbles donc s’attachent à ces abaissements d’un Dieu, et appuyée sur ce puissant secours, leur faiblesse pourra s’élever jusqu’à sa hauteur.

Pour ces sages et ces prudents qui ne cherchent en Dieu que grandeurs sans croire à ses abaissements, en ne voulant pas de ceux-ci ils n’atteindront pas à celles-là : esprits vains et légers, qui n’ont pour eux que l’enflure et l’orgueil, ils sont comme suspendus entre le ciel et la terre, toujours agités par le souffle des vents. Sans doute ils sont sages et prudents, mais pour ce monde et non pour Celui qui a fait le monde. Ah ! s’ils avaient cette vraie sagesse, cette sagesse de Dieu qui n’est autre que Dieu même, ils comprendraient que Dieu a pu prendre un corps sans devenir corps ; ils comprendraient qu’il est devenu ce qu’il n’était pas, sans cesser d’être ce qu’il était ; qu’il est venu à nous comme homme, sans s’éloigner de son Père ; qu’en demeurant ce qu’il était, il s’est montré ce que nous sommes ; et qu’en incarnant sa puissance dans le corps d’un enfant, il ne l’a pas moins appliquée au gouvernement du monde. Lui qui a créé l’univers en demeurant dans le sein de son Père, a donné à une Vierge d’enfanter, pour venir à nous. N’y a-t-il pas un reflet de sa toute-puissance dans cette Vierge qui devient mère et qui reste Vierge après l’avoir mis au monde comme avant de le concevoir ; qu’un homme trouve enceinte, sans qu’aucun homme y ait contribué ; qui porte un homme dans son sein, sans le concours d’aucun homme, et qui sans rien perdre de son intégrité emprunte à sa fécondité un nouveau bonheur et une gloire nouvelle ? Plutôt que d’ajouter foi à d’aussi étonnantes merveilles, ces orgueilleux aiment mieux croire qu’elles sont de notre part de simples fictions. Aussi, ne pouvant se résoudre à voir l’humanité dans un Dieu fait homme, ils dédaignent le Christ ; et parce qu’ils sentent la divinité au-dessus de leurs mépris, ils ne croient pas en lui. Mais, plus ils dédaignent les abaissements d’un Dieu fait homme, plus nous devons les aimer ; et plus il leur semble impossible qu’une Vierge ait donné le jour à un homme, plus nous y devons voir l’empreinte de la puissance divine.

2. Célébrons donc cette naissance du Seigneur avec tout l’empressement et la solennité qui conviennent. Hommes et femmes, tressaillez de joie, car le Christ s’est fait homme en naissant d’une femme et en honorant ainsi les deux sexes. Que tous les hommes s’attachent au second homme, puisque tous ont été condamnés avec le premier. Une femme nous avait inoculé la mort ; une femme a pour nous enfanté la vie. Pour purifier la chair de péché, elle a donné naissance à une chair semblable seulement à la chair de péché di. Ne condamnez donc pas la chair, détruisez seulement le péché pour faire vivre la nature. Pour rendre en lui une vie nouvelle au pécheur, un homme ne vient-il pas de naître sans péché ?

Réjouissez-vous, saints jeunes hommes, qui vous êtes attachés, avec un soin particulier, à marcher sur les traces du Christ et qui avez renoncé aux unions charnelles. Ce n’est point par le moyen d’une union charnelle que le Christ s’est présenté à vous ; ainsi voulait-il vous servir de modèle et vous faire la grâce de dédaigner l’union qui vous a fait naître. En effet n’êtes-vous pas redevables de votre naissance à cette union charnelle en dehors de laquelle le Christ vient vous convier à une union toute spirituelle ? et tout en vous appelant à des noces ne vous a-t-il pas accordé de mépriser d’autres noces ? Ainsi vous ne voulez point pour vous de ce qu’il vous a donné l’existence ; c’est que vous aimez, plus que beaucoup d’autres, Celui qui n’est pas né comme vous.

Réjouissez-vous, vierges saintes : une Vierge a enfanté pour vous l’Époux auquel vous pourrez vous attacher sans contracter aucune souillure ; et en ne concevant ni en enfantant vous ne pourrez perdre le trésor que vous chérissez. Réjouissez-vous, justes : voici la naissance de Celui qui fait les justes. Réjouissez-vous, infirmes et malades : voici la naissance du Sauveur. Réjouissez-vous, captifs ; voici la naissance du Rédempteur. Réjouissez-vous, serviteurs : voici la naissance de votre Seigneur. Réjouissez-vous, hommes libres : voici naître Celui qui donne la liberté, Réjouissez-vous, chrétiens : voici la naissance du Christ.

3. En naissant de sa Mère il fait de ce jour un jour mémorable pour tous les siècles, comme il a créé tous les siècles en naissant de son Père. Il ne pouvait avoir de mère dans sa génération éternelle ; et il n’a point voulu d’homme pour père dans sa génération temporelle. Ainsi le Christ est né à la fois et d’un père et d’une mère, et sans père et sans mère : d’un père, comme Dieu, et d’une mère, comme homme ; sans mère, comme Dieu, et sans père, comme homme. « Qui expliquera sa génération dj » ; soit la première qui est en dehors d u temps, soit la seconde qui est en dehors de l’homme ; soit la première qui est sans commencement, soit la seconde qui est sans précédent ; soit la première qui n’a jamais été sans être, soit la seconde qui ne s’est jamais reproduite, ni avant ni après ; soit la première qui n’a point de fin, soit la seconde qui a aujourd’hui son commencement, mais quand aura-t-elle une fin ? Il était donc juste que les prophètes annonçassent sa naissance future, que les cieux et les anges publiassent sa naissance accomplie. Il reposait dans une étable, et il gouvernait le monde ; enfant sans parole, il était la Parole même ; les cieux ne sauraient le contenir, et une femme le portait sur son sein ; oui, elle dirigeait notre Roi, elle portait Celui qui nous porte, elle allaitait Celui qui nous nourrit de lui-même. Quelle incontestable faiblesse ! quel abaissement prodigieux ! et pourtant la, divinité tout entière y est enfermée. L’enfant dépendait de sa mère, et sa puissance la conduisait ; il prenait son sein, et il la nourrissait de la vérité.

Ah ! qu’il mette en nous le comble à ses dons, puisqu’il n’a pas dédaigné de partager nos commencements ; qu’il nous rende fils de Dieu, puisqu’il a voulu, pour notre amour ; devenir fils de l’homme.

SERMON CLXXXV. POUR LE JOUR DE NOËL. II. JUSTIFICATION DE L’HOMME.

ANALYSE. – Si le Christ s’est tant abaissé, ce n’était pas pour son avantage, mais pour le nôtre ; c’était pour nous justifier et conséquemment

1. Qu’est-ce que la naissance du Seigneur ? C’est la Sagesse de Dieu se montrant sous les formes d’un enfant ; c’est le Verbe de Dieu faisant entendre dans la chair des sons inarticulés. Mais ce Dieu caché saura se faire rendre témoignage par le ciel devant les Mages, et se faire annoncer aux bergers par la voix des anges. Ainsi nous célébrons aujourd’hui le jour anniversaire de celui où s’accomplit cette prophétie : « La Vérité s’est levée sur la terre, et la justice nous a regardés du haut des cieux dk ». La Vérité qui est dans le sein du Père s’est levée sur la terre, pour être aussi dans le sein d’une mère. La Vérité qui porte le monde s’est levée sur la terre, pour être portée sur les mains d’une femme. La Vérité qui nourrit d’elle l’inaltérable bonheur des Anges, s’est levée sur la terre pour vivre elle-même du lait d’une mère. La Vérité que ne saurait contenir le ciel s’est levée sur la terre, pour être déposée dans une étable.

Pour l’avantage de qui cette incomparable grandeur se présente-t-elle à nous sous de si prodigieux abaissements ? Ce n’est pas assurément pour son avantage ; mais, si nous croyons, il en résultera pour nous des biens immenses. O homme, éveille-toi ; c’est pour toi que Dieu s’est fait homme. « Toi qui dors, lève-toi ; lève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera dl ». Oui, c’est pour toi que Dieu s’est kit homme ; et s’il n’était né dans le temps, éternellement tu serais mort ; jamais tu ne serais délivré de cette chair de péché, s’il n’en avait pris la ressemblance ; s’il ne te faisait une si grande miséricorde, tu serais livré à une misère sans fin ; tu n’aurais point recouvré la vie, s’il ne s’était assujetti à mourir comme toi ; tu aurais succombé, s’il ne t’avait secouru ; tu aurais péri, s’il n’était venu.

2. Ainsi célébrons avec joie le jour de notre salut et de notre rédemption ; célébrons le jour solennel où le grand jour, où le jour éternel qui naît d’un jour également grand et éternel également, fait son entrée dans notre jour temporel et si court. C’est lui qui « est devenu pour nous et justice, et sanctification, et rédemption, afin que, comme il est écrit, celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur dm ». Ah ! nous devons nous garder de ressembler à ces Juifs orgueilleux « qui ignorent la justice de Dieu, qui veulent établir la leur, et qui se soustraient ainsi à la divine justice dn ». Aussi après ces mots : « La Vérité s’est levée sur la terre », lisons-nous aussitôt ceux-ci : « Et la justice a regardé du haut du ciel ». C’est pour détourner la faiblesse des mortels de chercher à s’attribuer cette justice, à s’approprier les dons divins ; pour empêcher l’homme de prétendre qu’il se justifie, c’est-à-dire qu’il se rend juste lui-même et de dédaigner ainsi la justice de Dieu. « La Vérité s’est levée sur la terre » : le Christ a dit : « Je suis la Vérité do », et il est né d’une Vierge. – « Et la justice a regardé du haut du ciel » ; car en croyant à l’Enfant nouveau-né, l’homme est justifié, non par lui-même, mais par Dieu. « La Vérité s’est levée sur la terre » ; car « le Verbe s’est fait chair dp ». – « Et la justice a regardé du haut du ciel » ; car « tout bien excellent et tout don parfait vient d’en haut dq ». « La Vérité s’est levée sur la terre » ; la chair est née de Marie. « Et la justice a regardé du haut du ciel » ; car « l’homme ne peut rien recevoir qui ne lui ait été donné du ciel dr ».

3. « Ainsi donc justifiés par la foi, ayons la paix avec Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur ; par qui aussi nous avons accès à cette grâce où nous sommes établis et où nous nous glorifions dans l’espoir de la gloire de Dieu ds ». Vous reconnaissez avec moi, mes frères, ces quelques paroles de l’Apôtre. J’aime d’en rapprocher quelques paroles aussi du psaume que nous citons et de découvrir le rapport qui les unit. « Justifiés par la foi, soyons en paix avec Dieu » ; c’est que « la justice et la paix se sont embrassées. – Par Jésus-Christ Notre-Seigneur » ; car « la Vérité s’est levée sur la terre. – Par qui aussi nous avons accès à cette grâce où nous sommes établis, et où nous nous glorifions dans l’espoir de la gloire de Dieu ». Il n’est pas dit : De notre gloire, mais : « De la gloire de Dieu ». Aussi ce n’est pas de nous que vient la justice ; « elle a regardé du haut du ciel ». – De là vient « que celui qui se glorifie doit se glorifier dans le Seigneur ». C’est pourquoi lorsque la Vierge eut donné naissance au Seigneur dont nous célébrons aujourd’hui la Nativité, les anges chantèrent cet hymne : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre au hommes de bonne volonté dt ». Eh ! d’où vient cette paix donnée à la terre, sinon de ce que « la Vérité s’est levée sur la terre » ; de que le Christ a reçu une naissance charnelle ? Et « c’est Lui qui est notre paix, puisque de deux choses il en a fait une du » ; en nous rapprochant par les doux liens de l’unité, pour faire de nous des hommes de bonne volonté.

Ah ! réjouissons-nous de cette grâce, afin de mettre notre gloire dans le témoignage de notre conscience ; afin de nous y glorifier, non pas en nous, mais dans le Seigneur. Voilà pour quoi il est écrit : « C’est vous qui êtes ma gloire et qui m’élevez la tête dv ». Dieu lui. même pouvait-il faire briller à nos yeux une grâce plus généreuse ? Il n’a qu’un Fils unir que et il fait de lui un Fils de l’homme, afin d’élever le Fils de l’homme jusqu’à la dignité, de Fils de Dieu ! Cherche ici quel est notre, mérite, quelle est notre justice, quel motif détermine le Seigneur : découvriras-tu autre chose que sa grâce ?

SERMON CLXXXVI. POUR LE JOUR DE NOËL. III. LE FILS DE DIEU DEVENU FILS DE L’HOMME.

ANALYSE. – De ce qu’en s’incarnant le Verbe de Dieu n’a rien perdu de ce qu’il était, plusieurs concluent qu’on ne peut dire que le Fils de Dieu soit devenu Fils de l’homme. Ils se trompent, malgré la droiture de leurs intentions, et cette manière de parler est conforme au langage habituel des Écritures.

1. Réjouissons-nous, mes frères ; que les peuples tressaillent de bonheur et d’allégresse. Ce n’est pas ce soleil visible, mais son invisible Créateur qui a fait pour nous de ce jour un jour sacré ; quand devenu visible pour l’amour de nous, l’invisible Créateur de sa mère est né de son sein fécond sans aucune atteinte à sa pureté virginale ; car elle est restée Vierge en concevant son Fils, Vierge en l’enfantant, Vierge en le portant, Vierge en le nourrissant de son sein, Vierge toujours.

Pourquoi t’étonner de ceci, ô mortel ? Il fallait qu’en daignant se faire homme Dieu na. quît de cette sorte, et qu’il formât ainsi Celle qui devait lui donner le jour. En effet, il était avant de naître, et avec sa toute-puissance, il pouvait naître tout en demeurant ce qu’il était. Il se créa donc une Mère tout en demeurant dans le sein de son Père ; et naissant d’elle, il ne cessa de demeurer en Lui. Et comment aurait-il cessé d’être Dieu en se faisant homme ; puisqu’il accordait à sa Mère de ne cesser pas d’être Vierge, tout en l’enfantant ? Aussi en se faisant chair le Verbe n’a point péri, il ne s’est point transformé en chair ; c’est la chair qui s’est unie au Verbe pour ne point périr : et comme il y a dans l’homme une âme et un corps, le Christ est Dieu et homme tout à la fois. Ainsi l’homme est Dieu, et Dieu est homme ; il n’y a pas de confusion de nature, mais unité de personne. Ainsi encore le Fils de Dieu, qui est coéternel à son Père en naissant éternellement de lui, a commencé, en naissant d’une Vierge, à être fils de l’homme ; et c’est ainsi que l’humanité s’est jointe en lui à la divinité, sans former pourtant une quatrième personne et sans ajouter à la Trinité.

2. Ne vous laissez donc pas gagner au sentiment de certains esprits trop peu attentifs à la règle de foi et aux divins oracles des Écritures. Le Fils de l’homme, disent-ils, est devenu Fils de Dieu, mais le Fils de Dieu n’est pas devenu fils de l’homme. En parlant ainsi ils pensent bien, mais ils ne savent s’exprimer correctement. Que veulent-ils dire, sinon que à nature humaine a pu s’améliorer et que la nature divine n’a pu se détériorer ? Ce qui est incontestable. Cependant, quoique la divinité ne se détériore d’aucune manière, le Verbe ne s’est pas moins fait chair. L’Évangile en effet ne dit pas : La chair s’est faite Verbe ; mais : « Le Verbe s’est fait chair ». Or, le Verbe est Dieu, puisqu’il est écrit : « Et le Verbe était Dieu dw ». Quant à la chair, ne désigne-t-elle pas l’homme, car le Christ ne se l’est point unie sans prendre l’âme en même temps ? Aussi dit-il. « Mon âme est triste jusqu’à la mort dx ». Mais si le Verbe est Dieu et si la chair est l’homme même, que signifie : « Le Verbe s’est fait chair », sinon : Dieu s’est fait homme ; sinon encore : Le Fils de Dieu s’est fait fils de l’homme, en prenant une nature inférieure et sans changer sa divine nature ; en s’unissant ce qu’il n’était pas, sans rien perdre de ce qu’il était ?

Comment d’ailleurs confesserions-nous, d’après la règle de la foi, que nous croyons au Fils de Dieu qui est né de la Vierge Marie, si de la Vierge Marie était né, non pas le Fils de Dieu, mais le Fils de l’homme ? Quel chrétien nierait qu’elle a donné le jour au Fils de l’homme, mais aussi que Dieu s’étant fait homme, l’homme est ainsi devenu Dieu ? Car « le Verbe était Dieu, et le Verbe s’est fait chair ». Reconnaissons-le donc : le Fils de Dieu, pour naître de la Vierge Marie, est devenu fils de l’homme en prenant une nature d’esclave ; en restant ce qu’il était, il est devenu ce qu’il n’était pas ; il a commencé à être ce qui le rend inférieur à son Père, tout en conservant ce qui le rend un avec lui.

3. Si le Sauveur, qui est toujours le Fils de Dieu, n’était pas devenu réellement fils de l’homme, comment l’Apôtre dirait-il de lui « Ayant la nature de Dieu, il n’a pas cru usurper en se faisant égal à Dieu ; cependant il s’est anéanti lui-même en prenant la nature d’esclave, en devenant semblable aux hommes et en se montrant homme partout l’extérieur ? » Il n’est pas ici question d’un autre ; c’est l’égal du Père, dont il possède la divine nature ; c’est le Fils unique de Dieu qui « s’est anéanti lui-même en devenant semblable aux hommes ». Ce n’est pas un autre non plus, c’est encore l’égal du Père dont il a la nature divine, qui « a humilié », non pas un étranger, mais « Lui-même, en devenant obéissant jusqu’à la mort et jusqu’à la mort de la croix dy ». Or, le Fils de Dieu n’a fait cela qu’autant qu’il est fils de l’homme et qu’il en a pris la nature.

De plus, si étant éternellement le Fils de Dieu, il n’était pas devenu fils de l’homme, l’Apôtre dirait-il aux Romains : « Choisi pour « l’Évangile de Dieu, qu’il avait promis auparavant par ses prophètes dans les saintes « Écritures, touchant son Fils, qui lui est né de la race de David selon la chair dz ? » Voilà bien le. Fils de Dieu, le Fils éternel de Dieu, devenu membre de la race de David selon la chair, sans en avoir toujours été membre.

De plus encore, si le Fils de Dieu ne s’était pas fait fils de l’homme, « Dieu aurait-il envoyé son Fils, formé d’une femme ea ? » Remarquons que ce dernier terme en hébreu désigne simplement le sexe sans contester la gloire de la virginité. Or, qui a été envoyé par le Père, sinon son Fils unique ? Et comme a-t-il été formé d’une femme, sinon en devenant fils de l’homme quand il a été envoyé, lui qui dans le sein de son Père est le Fils même de Dieu ?

Il naît de son Père en dehors du cours du temps, et c’est aujourd’hui qu’il est né de sa Mère. Après avoir créé ce jour il l’a choisi pour y être créé lui-même, comme après avoir créé sa Mère il l’a choisie pour naître d’elle. Ce jour, d’ailleurs, à partir duquel le jour grandit, ne convient-il pas à la mission du Christ, par qui de jour en jour se renouvelle en nous l’homme intérieur eb ? Et puisque l’éternel Créateur daignait dans le temps devenir créature, ne devait-il pas avoir pour jour de naissance un jour qui indiquât ce qu’il venait créer dans le temps ?

SERMON CLXXXVII. POUR LE JOUR DE NOËL. IV. JÉSUS-CHRIST DIEU ET HOMME.

ANALYSE. – Pour expliquer comment le Verbe de Dieu en se faisant homme ne perd rien de sa divinité, saint Augustin le compare à la parole ou plutôt à la pensée humaine qui se donne à tous sans s’épuiser ni s’amoindrir, et qui ne perd pas sa nature en prenant dans la voix une espèce de corps. Le saint Docteur prouve ensuite par plusieurs textes de l’Écriture que le Sauveur n'a rien changé dans sa nature divine en s'unissant à la nature humaine.

1. Ma bouche va publier la gloire du Seigneur ; de ce Seigneur par qui tout a été fait et qui a été formé lui-même avec tout ; qui a montré son Père et qui a créé sa Mère. Fils de Dieu, il a un Père et point de mère ; Fils de l’homme, il a une Mère et point de père ; il est à la fois le grand jour des anges et parmi les hommes une petite lumière ; Verbe de Dieu avant tous les temps, Verbe fait chair au temps convenable ; Créateur du soleil et créé lui-même sous le soleil ; du sein de son Père gouvernant tous les siècles et du sein de sa Mère consacrant le jour présent ; demeurant dans l’un, sortant de l’autre ; formant le ciel et la terre, naissant sous le ciel et sur la terre ; ineffablement sage, et sagement enfant ; remplissant le monde, et couché dans une étable ; dirigeant les astres, et pressant le sein maternel ; si grand avec sa nature de Dieu, et si petit avec sa nature d’esclave, que sa petitesse ne diminue en rien sa grandeur et que sa grandeur n’accable en rien sa petitesse. En effet, en prenant un corps humain il n’a pas interrompu ses œuvres divines ; et il a continué d’atteindre avec force d’une extrémité jusqu’à l’autre et de tout disposer avec douceur ec, lorsque se revêtant de l’infirmité de la chair il est entré sans s’y enfermer dans le sein d’une Vierge ; et que, sans ôter aux anges l’aliment divin de sa sagesse, il nous a donné de pouvoir goûter combien le Seigneur et doux.

2. Pourquoi voir avec surprise ces merveilles dans le Verbe de Dieu, quand nota propre parole entre si libre dans l’esprit qu’elle y pénètre sans y être enfermée ? Effectivement si elle n’y pénétrait, elle ne l’éclairerait pas ; et si elle y était enfermée, elle n’entrerait pas dans d’autres esprits. Tout formé qu’il soit de mots et de syllabes, le discours que je vous adresse en ce moment n’est point découpé par vous en morceaux, comme la nourriture matérielle ; tous vous l’entendez tout entier, est tout entier recueilli par chacun de vous. Nous ne craignons pas en vous l’adressant que l’un s’empare de tout sans laisser rien à l’autre. Au contraire nous demandons devons une telle attention, attention de corps et attention d’esprit, que chacun entende tout et permette aux autres d’entendre également tout. De plus, il n’y a pas ici succession, en ce sens que l’un devrait d’abord recueillir la parole, puis la passer à un autre ; c’est au même moment qu’elle se présente à tous et que tout entière elle se fait entendre de chacun ; et si le discours pouvait être retenu totalement par la mémoire, chacun de vous en retournant l’emporterait tout entier, comme vous vouliez tous en venant l’entendre tout entier. Donc ce Verbe de Dieu par qui tout a été fait et qui renouvelle tout sans sortir de lui-même ; qui ne s’arrête point dans l’espace, qui ne s’allonge point avec le temps, que ne diversifient point des syllabes brèves ou longues, qui n’est pas une suite de sons et que ne termine point le silence ; à combien plus forte raison ce Verbe immense a-t-il pu, en prenant un corps, féconder le sein de sa Mère sans quitter le sein de son Père ; sortir de l’un pour se montrer aux hommes, rester dans l’autre pour éclairer les anges ; venir de l’un sur la terre, et dans l’autre déployer le ciel ; dans l’un se faire homme, et dans l’autre créer les hommes ? .

3. Nul donc ne doit croire que le Fils de Dieu se soit changé et altéré pour devenir Fils de l’homme ; croyons plutôt que sans rien changer à sa divine substance et en prenant dans toute sa perfection la nature humaine, il demeure Fils de Dieu tout en devenant fils de l’homme. Car, s’il est écrit. « Le Verbe était Dieu » ; et encore : « Le Verbe s’est fait chair ed » ; ce n’est pas pour faire entendre qu’en se faisant chair il ait cessé d’être Dieu ; n’est-il pas dit qu’après sa naissance charnelle ce Verbe fait chair est « Emmanuel ou Dieu avec nous ee ? » Pour s’échapper par notre bouche, notre pensée intérieure devient une voix, sans pourtant se changer en voix. Cette pensée reste sans altération lorsqu’elle prend une voix pour se produire ; elle demeure en nous pour continuer à se faire comprendre, pendant que le bruit la porte au-dehors pour la faire entendre ; ce bruit ne dit rien autre chose que ce qui avait frappé dans le silence. Ainsi, tout en devenant voix, ma pensée ne se confond pas avec elle ; elle reste dans la lumière de l’intelligence, et quand elle s’unit au bruit que fait mon organe, c’est pour arriver à vos oreilles sans quitter mon esprit. Remarquez-le : je parle ici non pas de la méditation silencieuse qui cherche des expressions grecques, latines ou de tout autre langue ; mais de la méditation qui cherche la pensée même avant de s’occuper du langage, lorsque cette pensée, qui a besoin, pour se produire, du vêtement de la parole, est en quelque sorte, dans le sanctuaire intérieur, toute nue aux yeux de l’intelligence. Et pourtant cette pensée de l’intelligence, comme le son qui l’exprime, est muable et changeante ; il n’en reste rien quand on l’a oubliée, comme il ne reste rien de la parole quand on a fait silence. Mais le Verbe de Dieu subsiste éternellement, et subsiste immuablement.

4. Aussi lorsqu’il a pris un corps dans le temps afin de partager notre vie temporelle, il n’a point perdu son éternité, mais au corps même il a conféré l’immortalité. C’est ainsi que « pareil à l’époux quittant sa couche nuptiale, il s’est élancé comme un géant pour parcourir sa carrière ef. – Il avait la nature de Dieu et ne croyait pas usurper en s’égalant à Dieu » ; mais afin de devenir pour nous ce qu’il n’était pas, « il s’est anéanti lui-même », non pas en perdant sa divine nature, mais en prenant une nature d’esclave » ; et par cette nature « il est devenu semblable aux hommes et s’est montré homme », non point par sa propre substance, mais « par l’extérieur eg ». Par l’extérieur, car tout ce que nous sommes, nous, dans l’âme ou dans le corps, est notre nature ; pour Jésus-Christ, c’est l’extérieur. Si nous n’avions notre nature, nous n’existerions pas ; pour lui, s’il ne l’avait pas, il n’en serait pas moins Dieu. Quand il l’a prise, il s’est fait homme en restant Dieu ; de manière qu’il peut dire de lui ces deux choses également incontestables, l’une, qui a trait à son humanité : « Le Père est plus grand que moi eh » ; l’autre, qui a rapport à sa divinité : « Mon Père et moi nous sommes un ei ». Car si le Verbe s’était confondu avec la chair, Dieu avec l’homme, il aurait pu dire à la vérité : « Mon Père est plus grand que moi », puisque Dieu est plus grand que l’homme ; mais nullement : « Mon Père et moi nous sommes un » ; attendu que l’homme n’est pas une même chose avec Dieu. Tout au plus aurait-il pu s’exprimer ainsi : Mon Père et moi nous ne sommes pas, mais nous avons été un ; car il ne serait plus ce qu’il aurait cessé d’être. Cependant la nature d’esclave qu’il s’est unie lui a permis de dire : « Mon Père est plus grand que moi » ; et la nature divine qu’il n’a pas quittée, de dire aussi avec vérité : « Mon Père et moi nous sommes un ». Si donc il s’est anéanti au milieu des hommes, ce n’était pas pour cesser d’être ce qu’il était en devenant ce qu’il n’était pas ; c’était pour voiler ce qu’il était et pour montrer ce qu’il était devenu.

Aussi la Vierge ayant conçu et mis au monde ce Fils en qui se manifestait la nature d’esclave, « un enfant nous est né ej » ; et le Verbe divin qui subsiste éternellement s’étant fait chair pour habiter parmi nous en voilant, tout en la conservant, sa divine nature, nous lui donnons avec Gabriel « le nom d’Emmanuel », Puisqu’il s’est fait homme en demeurant Dieu, nous avons le droit de donner à ce fils de l’homme le nom de « Dieu avec nous » ; sans que l’homme soit en lui une autre personne que Dieu.

Tressaille donc, ô monde des croyants, puisque pour te sauver est venu parmi nous le Créateur même du monde. Le Père de Marie est ainsi le Fils de Marie ; le Fils de David, la Seigneur de David ; le descendant d’Abraham existait avant Abraham ; celui qui a formé la terre a été formé sur la terre ; le Créateur du ciel a été créé sous le ciel ; il est en même temps le jour qu’a fait le Seigneur, le jour et le Seigneur de notre cœur. Marchons à sa lumière, réjouissons-nous en lui et soyons transportés d’allégresse.

TROISIÈME TRAITÉ.

DEPUIS L’ENDROIT OÙ IL EST ÉCRIT : « JEAN REND TÉMOIGNAGE DE LUI » JUSQU’À CET AUTRE : « LE FILS UNIQUE, QUI EST DANS LE SEIN DU PÈRE, L’A RACONTÉ LUI-même ». (Ch 1, 15-18.)

LOI ET GRÂCE.

Le médecin, venu jour guérir ceux qui étaient sous la loi, c’est le Verbe fait chair. Il était Fils de Dieu, véritable lumière du monde : celui-ci ne l’a pas connu : aussi, Jean est-il venu le montrer au monde, comme source de grâce et de bonheur. Par Adam, nous étions condamnés à la mort éternelle ; par le Christ, nous avons été amenés à avoir la foi et à mériter la récompense des élus. La loi rendait les hommes coupables ; la grâce et la vérité du Christ nous ont donné l’innocence. Les observateurs de la loi ne recevaient qu’une récompense temporelle ; si nous accomplissons la loi nouvelle, la vie éternelle sera notre partage.

1. Distinguer des dons de l’Ancien Testament, parce qu’elles appartiennent au Nouveau, la grâce et la vérité de Dieu, dont était rempli son Fils unique notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, lorsqu’il apparut aux saints, telle est la tâche que nous avons entreprise au nom du Seigneur et que nous avons promis à votre charité de remplir. Soyez donc attentifs, afin que Dieu m’accorde autant de savoir que mon esprit peut en comporter, et vous donne toute l’intelligence dont vous êtes susceptibles. Si cette semence répandue dans vos âmes n’est pas emportée par les oiseaux, si les épines ne l’étouffent pas, si elle n’est pas desséchée par la chaleur, si la pluie de mes exhortations quotidiennes unie à vos bonnes pensées vient encore faire en votre cœur ce que la rosée fait dans les champs où elle ameublit la terre, couvre la semence et l’aide ainsi à germer, facilite son développement, il vous restera pour votre part, à produire une moisson qui fasse la joie et le contentement du laboureur ek. Que si, pour cette bonne semence et pour cette pluie bienfaisante, vous produisez, non du blé, mais des épines, on n’en accusera ni la semence, ni la pluie, mais les épines seront réservées au feu qu’elles méritent.

2. Nous sommes des hommes, et ce qui, à mon avis, ne demande pas de longs raisonnements pour le persuader à votre charité, nous sommes des chrétiens ; si nous sommes des chrétiens, ce titre montre que nous appartenons à Jésus-Christ. Nous en portons le signe sur le front ; nous ne devons pas en rougir, pourvu toutefois que nous le portions aussi sur notre cœur. Ce signe du Sauveur n’est autre que son humilité ; une étoile a servi à le faire connaître aux Mages : c’était le signe donne par, le Seigneur, signe brillant et venu du ciel el ; il n’a pas voulu qu’une étoile fût marquée comme signe sur le front des fidèles, il a choisi la croix. Le principe de ses humiliations est devenu celui de sa gloire. Nous étions plongés dans un abîme ; il s’est abaissé, il y est descendu et il nous en a retirés. Nous appartenons donc à l’Évangile, nous appartenons au Nouveau Testament. « La loi a été donnée par Moïse, mais la grâce et la vérité ont été apportées par Jésus-Christ ». Interrogeons l’Apôtre, il nous enseigne que nous sommes sous l’empire, non de la loi, mais de la grâce em, et il nous dit : « Dieu a donc envoyé son fils, formé de la femme, formé sous la loi, afin de racheter ceux qui étaient sous la loi et nous rendre enfants adoptifs en ». Voilà pourquoi Jésus-Christ est venu ; c’était pour racheter ceux qui étaient sous la loi, afin que désormais nous ne soyons plus sous l’empire de la loi, mais sous celui de la grâce. Qui a donné la loi ? Celui-là même a donné la loi, qui a donné la grâce ; mais la loi, il l’a envoyée par son serviteur, la grâce, il est descendu pour nous l’apporter. Mais comment les hommes étaient-ils venus se ranger sous la loi ? En n’accomplissant pas la loi. Celui qui accomplit la loi n’est pas sous la loi, mais quiconque est sous la loi, en est écrasé au lieu d’en être soulagé. Aussi tous les hommes placés sous la loi, la loi les rend criminels, c’est pourquoi elle est sur leur tête, non pour ôter leurs péchés, mais pour montrer qu’ils sont pécheurs. La loi ordonne, mais pour accomplir ce qu’ordonne la loi, la miséricorde du législateur est indispensable. En s’efforçant d’accomplir les préceptes de la loi avec leurs propres forces, les hommes ont été entraînés dans l’abîme par cette présomption téméraire et irréfléchie, et au lieu d’être avec la loi, ils sont tombés sous la loi, et sont devenus criminels ; mais comme, par leurs propres forces, ils n’ont pu accomplir la loi, ils sont tombés sous la loi et sont devenus coupables ; alors ils ont imploré le secours du Libérateur. Ainsi cette culpabilité sous la loi a rendu malades les superbes. La maladie des superbes leur a inspiré l’humilité et les a portés à avouer leur faiblesse ; déjà les malades confessent leur mal, vienne le médecin et qu’il les guérisse.

3. Quel est ce médecin ? Jésus-Christ Notre. Seigneur. Qui est Jésus-Christ Notre-Seigneur ? Celui qui s’est montré même à ceux qui l’ont crucifié, celui qui a été pris, souffleté, flagellé, couvert de crachats, couronné l’épines, attaché à la croix, qui est mort, qui a été percé d’une lance, descendu de la croix et mis dans un sépulcre. C’est bien Jésus-Christ Notre-Seigneur, oui, c’est lui, c’est lui seul qui a mis le remède sur nos blessures, c’est le crucifié qu’on a accablé d’injures, devant qui les bourreaux passaient en secouant la tête et en disant : « Il est le Fils de Dieu, qu’il descende de la croix eo ». Voilà notre unique médecin ; oui, c’est lui. Pourquoi donc n’a-t-il pas montré à ses insulteurs qu’il était le fils de Dieu ? S’il leur a permis de l’élever en croix, au moins, lorsqu’ils lui disaient : « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de la croix », pourquoi n’en est-il pas descendu, ne leur a-t-il pas montré qu’il était le vrai Fils de Dieu dont ils avaient osé se moquer ? Il ne l’a pas voulu. Pourquoi ne l’a-t-il pas voulu ? Était-ce défaut de puissance ? Non, assurément. Quel est en effet le plus difficile, de descendre d’une croix ou de sortir vivant du tombeau ? Cependant, il a supporté les insultes, car sa croix devait lui servir à nom donner, non pas une preuve de sa puissance, mais un exemple de patience. Ainsi il a guéri tes blessures, là où les siennes l’ont fait longtemps souffrir ; il t’a guéri des atteintes de la mort éternelle, là où il a daigné mourir de la mort du temps. Est-ce lui qui est mort, ou bien est-ce la mort qui est morte en lui ? Quelle mort que celle qui a tué la mort ?

4. Mais était-ce bien Notre-Seigneur Jésus-Christ tout entier que l’on voyait, dont on s’emparait, que l’on crucifiait ? Était-ce bien lui tout entier ? Oui, certainement, mais non pas tel que le voyaient les Juifs, car ce qu’ils voyaient n’était pas le Christ dans tout son entier. Qu’était-ce donc encore que le Christ ? « Au commencement était le Verbe ». Quel commencement ? « Dieu en qui était le Verbe ». Et quel Verbe ? « Le Verbe était Dieu ». Le Verbe aurait-il été fait par Dieu ? Non. Car « au commencement il était en Dieu ». Hé quoi ! les autres choses que Dieu a faites ne sont-elles pas semblables au Verbe ? Non, car « toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait ». Comment toutes choses ont-elles été faites par lui ? Parce que « ce qui a été fait, était vie en lui », et avant que cela fût fait, c’était la vie. Ce qui a été fait n’est pas vie, mais dans le plan, c’est-à-dire dans la sagesse de Dieu, avant d’avoir été fait, cela était la vie. Ce qui a été fait passe, ce qui est dans la sagesse de Dieu ne peut passer. Ce qui a été fait était vie en lui. Quelle était cette vie ? Comme l’âme est la vie du corps, notre corps a sa vie propre ; dès qu’elle se sépare de lui, il meurt. La vie dont nous parlons était-elle pareille à celle-là ? Non. « Mais la vie était la lumière des hommes ». Était-elle aussi la lumière des bêtes ? Cette lumière qui nous éclaire est tout à la fois la lumière des bêtes et celle des hommes. Il y a une lumière propre aux hommes, voyons ce qui distingue les hommes des bêles et alors nous comprendrons quelle est cette lumière des hommes. Tu ne diffères des bêtes que par l’intelligence, car pour tout le reste tu n’as pas sujet de te préférer à elles. Tu as confiance en tes forces ? Les bêtes sont plus fortes que toi. Ton agilité t’enorgueillit ? Les monstres sont plus agiles. Tu te vantes de ta beauté ? Quelle beauté dans les plumes du paon. En quoi leur es-tu supérieur ? En ce que tu es fait à l’image de Dieu. Où est cette image de Dieu ? Dans ton esprit, dans ton intelligence. Si donc tu vaux mieux que la bête, c’est parce que tu es doué d’un esprit capable de comprendre ce que les bêtes ne peuvent saisir. Tu es homme, parce que tu es supérieur aux animaux. La lumière des hommes est donc la lumière des esprits. La lumière des âmes est au-dessus d’elles et les surpasse toutes. C’était là la vie par laquelle toutes choses ont été faites.

5. Où était-elle ? Était-elle ici ? Ou bien était-elle dans le Père, sans être ici ? Ou, ce qui est plus exact, était-elle ici ou dans le Père ? Si elle était ici, pourquoi ne la voyait-on pas ? Parce que « la lumière luit dans les ténèbres, et que les ténèbres ne l’ont point comprise ». O hommes ne soyez pas ténèbres, ne soyez pas infidèles, injustes, ennemis de l’équité, ravisseurs, avares, amateurs du siècle ; être tels, c’est être ténèbres. La lumière n’est pas absente, mais c’est vous qui êtes absents par rapport à la lumière. Le soleil est présent pour l’aveugle sur qui tombent ses rayons ; mais l’aveugle est absent par rapport au soleil. Ne soyez donc pas ténèbres. Voilà en quoi consiste la grâce dont nous vous parlerons plus tard ; c’est que nous ne soyons plus ténèbres, et qu’à nous s’appliquent ces paroles de l’Apôtre : « Vous étiez autrefois ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur ep ». Cependant, comme on ne voyait pas la lumière des hommes, c’est-à-dire la lumière des esprits, il fallait qu’un homme lui rendît témoignage, et pour cela, il était nécessaire qu’il fût, non point plongé encore dans les ténèbres, mais déjà enveloppé des rayons de la lumière. Toutefois, pour être brillant, il n’en était pas davantage la lumière même, « mais il était pour rendre témoignage de la lumière ». Car « il n’était pas la lumière ». Et quelle était cette lumière ? « C’était la lumière véritable qui éclaire tout u homme venant en ce monde ». Et où était-elle ? « Elle était en ce monde ». Et comment « était-elle dans le monde ? » Cette lumière était-elle dans ce monde comme y est la lumière du soleil, de la lune, des lampes ? Non, car « le monde a été fait par lui, et le monde « ne l’a pas connu o, c’est-à-dire : « La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise ». En effet, le monde est ténèbres, parce que les amateurs du monde c’est lui. La créature n’a-t-elle pas reconnu son Créateur ? Le ciel lui a rendu témoignage par une étoile eq ; les vents lui ont rendu témoignage, à son ordre ils se sont apaisés er ; la terre lui a rendu témoignage, elle a tremblé au moment de sa mort es ; la mer lui a rendu témoignage, en portant le Christ, pendant qu’il marchait sur ses flots et. Si toutes ces créatures lui ont rendu témoignage, comment peut-on dire que le monde est demeuré sans le reconnaître, si ce n’est que par le monde il faille entendre les amateurs du monde, ceux qui s’y trouvent fixés par leurs affections ? Ainsi mauvais est le monde, parce que mauvais sont ceux qui l’habitent, de même que mauvaise est une maison, non à cause de ses murailles, mais à cause de ceux qui y demeurent.

6. « Il est venu chez soi », c’est-à-dire dans ce qui était à lui, et « les siens ne l’ont pas reçu ». Quelle espérance nous reste-t-il donc si ce n’est que « tous ceux qui l’ont reçu, il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu ». S’ils deviennent enfants, ils naissent ; s’ils naissent, comment naissent-ils ? « Ce n’est pas de la chair, ni du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu ». Qu’ils se réjouissent donc, puisqu’ils sont nés de Dieu, qu’ils ne craignent pas de croire qu’ils lui appartiennent ; voici la preuve de leur divine origine : « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous ». Si le Verbe n’a pas rougi de naître de l’homme, les hommes rougiraient de devenir les enfants de Dieu ? Ce qu’il a fait, il l’a réparé, parce qu’il l’a fait ; qu’il l’ait réparé, nous en avons la preuve. Parce que « le Verbe s’est fait chair en habitant parmi nous », il est devenu notre remède ; la terre nous aveuglait, c’est par de la terre qu’il nous a guéris. Que voulait-il nous faire voir en nous guérissant ? « Et nous avons vu sa gloire », dit Jean, « sa gloire comme Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité  eu ».

7. « Jean rend témoignage de lui et il crie en disant : Voilà celui dont je vous ai dit : Celui qui vient après moi a été fait avant moi ». Il est venu après moi, et il m’a précédé. Qu’est-ce à dire ? « Il a été fait avant moi ». C’est-à-dire : il m’a précédé, non qu’il ait été fait avant que je n’aie été fait moi-même, mais il m’a été préféré ; voilà ce que signifie : « Il a été fait avant moi ». Comment a-t-il été fait avant toi, puisqu’il n’est venu qu’après toi ? « Parce qu’il était avant moi ». Avant toi, ô Jean ? Qu’y a-t-il d’étonnant, s’il est avant toi ? c’est vraiment chose admirable, puisque tu lui rends témoignage. Écoutons en effet ce qu’il dit de lui-même. « Je suis avant Abraham ev ». Par sa naissance Abraham a tenu le milieu dans la vie du genre humain ; mais écoute ce que le Père dit à son Fils : « Je t’ai engendré avant Lucifer ew ». Celui qui a été engendré avant Lucifer éclaire évidemment tous les hommes. On a donné le nom de Lucifer à cette créature déchue de la dignité d’ange et tombée à l’état de démon ; l’Écriture a dit de cet être « Lucifer est tombé, lui qui se levait au point du jour ex ». Pourquoi lui donner le nom de Lucifer ? Parce qu’il reflétait la lumière qu’il avait reçue d’ailleurs. Comment s’est-il obscurci ? Parce qu’il ne sut pas tenir dans la vérité ey. Jésus-Christ devait donc avant Lucifer, avant tout, être éclairé. De fait, celui dont la lumière brille dans tous les êtres susceptibles d’être éclairés, celui-là doit nécessairement être avant tout illuminé.

8. Aussi Jean ajoute : « Et nous avons tous reçu de sa plénitude ». Qu’avez-vous reçu ? « Et grâce pour grâce ». Ainsi lisons-nous dans le texte évangélique, copié sur les exemplaires grecs. Il n’est pas dit : nous avons reçu de sa plénitude grâce pour grâce ; mais : « Nous avons tous reçu de sa plénitude et grâce pour grâce », sous-entendu nous avons reçu. L’Évangéliste veut nous donner à entendre que nous avons reçu je ne sais quoi de la plénitude de Jésus-Christ, et en outre grâce pour grâce. De sa plénitude nous avons d’abord reçu la grâce, puis nous avons reçu une grâce nouvelle que l’Évangéliste appelle grâce pour grâce. Quelle est la première grâce reçue ? La foi. Dès lors que nous marchons dans la foi, nous marchons dans la grâce. Par quoi l’avons-nous méritée ? Par quels mérites antécédents ? Que personne ne se flatte, que chacun rentre en soi-même, qu’il scrute ses pensées les plus secrètes, qu’il remonte anneau par anneau la chaîne de ses œuvres, qu’il ne fasse pas attention à ce qu’il est, si tant est qu’il soit déjà quelque chose, mais à ce qu’il a été pour être quelque chose, et il trouvera qu’il n’a jamais mérité que le supplice. Si tu n’as rien mérité que le supplice, et si le Christ est venu non pour punir tes péchés, mais pour te les remettre, tu as donc reçu une grâce et non une récompense. Pourquoi la grâce s’appelle-t-elle ainsi ? Parce qu’elle est donnée gratuitement. En effet, ce que tu as reçu, tu ne l’as acheté au prix d’aucun mérite antécédent. Le pécheur a donc reçu cette première grâce pour la rémission de ses fautes. Qu’avait-il mérité ? S’il interroge la justice, il n’avait droit qu’à être puni : s’il le demande à la miséricorde, elle lui accorde la grâce. Dieu l’avait promise par l’organe des Prophètes ; aussi lorsqu’il vint pour accomplir sa promesse, donna-t-il, non seulement la grâce, mais encore la vérité. En quoi s’est manifestée la vérité ? En ce que Dieu a donné suite à ses promesses.

9. Qu’est-ce donc à dire : « Grâce pour grâce ? » Par la foi nous méritons Dieu ; nous ne méritions pas le pardon de nos péchés, et parce que nous étions indignes de ce don immense que nous avons reçu, ce don porte le nom de grâce ; que signifie grâce ? Donnée gratuitement. Que veut dire donnée gratuitement ? Accordée comme présent et non comme récompense. Si elle était due, c’était une récompense méritée, et non pas un don gratuit. Si elle était vraiment exigible, c’est que tu aurais été bon ; mais si, ce qui est indubitable, tu as été mauvais, comme néanmoins tu as cru en celui qui justifie l’impie ez, (qu’est-ce à dire : qui justifie l’impie ? Qui rend pieux l’homme impie), songe aux maux dont te menaçait la loi et aux biens que t’a procurés la grâce. En recevant cette grâce de la foi, tu deviendras juste par la foi (car le juste vit de la foi fa), et en vivant de la foi tu mériteras Dieu : et alors que tu auras mérité Dieu par cette vie de la foi, tu recevras pour récompense l’immortalité et la vie éternelle. Et cette récompense est elle-même une grâce. Car, en, considération de quoi reçois-tu la vie éternelle ? En considération de la grâce. Effectivement, si la foi est une grâce et si la vie éternelle est, en quelque sorte, la récompense de la foi, en te donnant la vie éternelle Dieu semble s’acquitter d’une dette. (A l’égard de qui l’aurait-il contractée ? À l’égard du fidèle qui, par sa foi, y aurait acquis un droit.)Mais parce que la foi est elle-même une grâce, la vie éternelle est une grâce pour une grâce.

10. Écoute Paul : il reconnaît la grâce et ensuite, il réclame un dû. Comment Paul reconnaît-il la grâce ? « J’étais auparavant un blasphémateur, un persécuteur, un diseur « d’injures ; mais », ajoute-t-il, « j’ai trouvé miséricorde fb ». Il se reconnaît indigne d’avoir obtenu miséricorde, il a trouvé grâce cependant, non par suite de ses mérites, mais par un effet de la miséricorde divine. Il vient d’avouer qu’il a reçu une grâce imméritée : maintenant, il exige un dû ; écoute-le. « Pour moi », dit-il, « je suis au moment de mon sacrifice et le temps de ma dissolution approche. J’ai combattu le bon combat, j’ai consommé ma course, j’ai conservé la foi : il me reste à recevoir la couronne de justice qui m’est réservée ». Il réclame un dû, il exige le paiement d’une dette ; car, vois ce qui suit : « Que le Seigneur, comme un juste juge, me rendra au dernier jour fc ». Pour recevoir d’abord la grâce, il lui fallait la miséricorde de Dieu ; pour la récompense de la grâce, il lui faut la justice du Juge. Celui qu’il n’a pas condamné pendant qu’il était impie, le condamnera-t-il maintenant qu’il est fidèle ? Et cependant, si tu y réfléchis bien, tu verras que Dieu t’a d’abord donné la foi par laquelle tu l’as mérité ; car tu n’as point mérité par toi-même qu’il fût redevable envers toi de quelque chose. Aussi, quand il t’accorde ensuite la récompense de l’immortalité, il couronne ses dons et non pas tes mérites. Donc, mes frères, « tous nous avons reçu de sa plénitude », de la plénitude de sa miséricorde, de l’abondance de sa bonté, Qu’avons-nous reçu ? La rémission de nos péchés qui nous a mis à même d’être justifiés par la foi. Quoi encore ? « Grâce pour grâce », c’est-à-dire pour cette grâce de la vie de la foi, nous recevrons une autre grâce. Que pourrions-nous recevoir, sinon une grâce ? Car, si je dis que cela m’est dû, je m’adjuge donc quelque chose, comme si Dieu me le devait ; or, ce que Dieu couronne en nous, ce sont les dons de sa miséricorde, à condition, cependant, que nous marchions jusqu’à la fin dans cette grâce qu’il nous a donnée.

11. « Car la loi a été donnée par Moïse » cette loi retenait les hommes dans le péché. En effet, que dit l’Apôtre ? « La loi est survenue pour faire abonder le péché fd ». L’abondance du péché, voilà le bénéfice des orgueilleux ; car les hommes se donnaient beaucoup à eux-mêmes, ils attribuaient beaucoup à leurs forces, et ils étaient incapables, cependant, d’accomplir la justice sans le secours de Celui qui l’avait commandée. Pour dompter leur orgueil, Dieu leur a donné la loi comme pour leur dire : Tenez, accomplissez-la et ne vous imaginez pas que vous n’avez pas de maître ce qui manque, ce n’est pas celui qui commandera, c’est celui qui obéira.

12. Que si l’homme manque pour accomplir la loi, pourquoi ne l’accomplit-il pas ? parce qu’il est né esclave du péché et de la mort. Issu d’Adam, il traîne avec soi ce qu’il a puisé à cette source empoisonnée ; le premier homme est tombé, et tous ceux qui sont nés de lui en ont hérité la concupiscence de la chair. Il fallait qu’un autre homme vînt au monde, qui ne traînât à sa suite aucune concupiscence. Il y a donc un homme et un homme. Un homme pour la mort, et un homme pour la vie. Ainsi parle l’Apôtre : « Comme la mort est par un homme, par un homme aussi la résurrection des morts ». Par quel homme la mort, par quel homme la résurrection des morts ? Patience, l’Apôtre continue et ajoute : « Comme tous meurent en Adam, ainsi tous seront vivifiés en Jésus-Christ fe » Qui sont ceux qui appartiennent à Adam ? Tous ceux qui sont nés d’Adam. Qui sont ceux qui appartiennent à Jésus-Christ ? Tous ceux qui sont nés par Jésus-Christ. Pourquoi tous les hommes naissent-ils dans le péché ? Parce qu’il n’en est aucun qui ne soit né d’Adam. Mais naître d’Adam, c’est le résultat de la nécessité imposée par sentence divine ; naître de Jésus-Christ, c’est l’effet de la volonté et de la grâce. Les hommes ne sont pas contraints de naître par Jésus-Christ. Ce n’est pas leur volonté qui les a fait naître d’Adam ; tous ceux, cependant, qui sont nés d’Adam, sont nés avec le péché et sont pécheurs ; tous ceux qui naissent par Jésus-Christ, naissent justifiés et justes, non en eux-mêmes, mais en lui. Car, si tu les considères en eux-mêmes, ils sont d’Adam ; si tu les considères par rapport au Christ, ils sont de lui. Comment cela ? Parce que notre chef, Jésus-Christ Notre-Seigneur, est venu sans l’héritage du péché, bien qu’il soit venu avec un corps.

13. Chez les pécheurs, la mort était un châtiment ; en Jésus-Christ, elle était non la punition du péché, mais la preuve de sa généreuse miséricorde. Car il n’y avait rien en Jésus-Christ qui pût lui faire mériter la mort. Il le dit lui-même : « Voici que vient le prince de ce monde, et il ne trouvera rien en moi ». Pourquoi donc mourez-vous ? « Mais pour que tous connaissent que je fais la volonté de mon Père, levez-vous, sortons d’ici ff ». Il n’y avait rien en lui qui pût lui faire mériter la mort, et néanmoins il est mort ; et toi, qui as mérité de mourir, tu refuses de le faire. Consens à souffrir de bon cœur, puisque tu l’as mérité, ce qu’il a bien voulu endurer lui-même pour te délivrer de la mort éternelle. Il y a donc un homme et un homme. Mais l’un n’est que cela, l’autre est Dieu et homme tout ensemble. L’un est l’homme du péché, l’autre est l’homme de la justice. Tu es mort en Adam, ressuscité en Jésus-Christ ; car, de part et d’autre, voilà ton lot. Tu crois déjà en Jésus-Christ, tu paieras cependant la dette que tu as contractée en Adam. Mais le péché ne te retiendra pas à jamais captif, parce qu’en mourant dans le temps, Notre-Seigneur a tué en toi la mort éternelle. C’est là, mes frères, la grâce ; c’est là aussi la vérité : parce qu’il y a eu une promesse et qu’elle a été exécutée.

14. Elle n’existait pas dans l’Ancien Testament. La loi y faisait des menaces aux hommes, mais ne leur venait pas en aide ; elle ordonnait, mais ne guérissait pas ; elle montrait la maladie, mais n’apportait pas le remède. Cependant elle frayait par là le chemin au médecin qui devait venir avec la grâce et la vérité. Ainsi fait un médecin qui, voulant guérir un malade, lui envoie d’abord son serviteur afin de le trouver lié quand il viendra lui-même. L’homme était malade, il ne voulait pas la guérison, et pour ne pas se laisser guérir, il se vantait d’être en santé. La loi lui a été envoyée, elle l’a lié, il se trouve coupable, et du milieu de ses entraves il crie déjà. Notre-Seigneur vient : il le guérit au moyen de remèdes parfois âcres et amers. Patience, dit-il au malade, courage ; n’aime pas le monde ; point d’emportement : que le feu de la continence te guérisse ; que le fer des persécutions cautérise tes blessures. Quoique garrotté, tu frémissais d’épouvante ; mais ton médecin, bien que libre de toute entrave, a goûté le breuvage qu’il te présentait, il a souffert le premier pour te réconforter ; il semblait te dire : ce que ta crains de souffrir pour toi-même, je l’endure le premier pour toi. Voilà une grâce et une grande grâce. Qui est-ce qui pourrait en faire dignement l’éloge.

15. Je parle, mes frères, des humiliations du Christ : que vous dire de sa divinité et de ses grandeurs ? Pour vous dire : pour vous expliquer d’une manière quelconque les humiliations du Sauveur, notre parole ne suffit pas, les expressions nous manquent. Nous laissons à vos pensées le soin de suppléer à notre impuissance, car nous ne sommes point capables de vous satisfaire par nos discours. Pensez donc aux avertissements de Jésus-Christ. Mais, diras-tu, qui nous les expliquera, si tu ne nous en parles ? Que lui-même en parle à votre cœur. Celui qui habite en vous parle mieux que celui dont la voix frappe vos oreilles. Celui qui a commencé à demeurer dans vos cœurs vous fera apprécier le bienfait de ses humiliations. Toutefois, si nous nous trouvons déjà réduits à l’impuissance, rien qu’à vouloir vous en parler et vous en donner une idée, comment vous entretenir de ses grandeurs ? Si nous tremblons quand il nous faut discourir sur « le Verbe fait chair », comment vous expliquer qu’au commencement était le Verbe ? » Aussi, mes frères, tenez-vous-en là comme à un solide fondement.

16. « La loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité ont été apportées par Jésus-Christ ». Donnée par le serviteur, la loi a fait des coupables ; donnée par le Maître, la grâce a délivré les criminels. « La loi a été donnée par Moïse ». Que le serviteur ne s’attribue rien de plus que ce qu’il a fait lui-même. Choisi pour remplir une charge importante comme un serviteur dans la maison de son maître, mais cependant comme un serviteur, il peut agir selon la loi, il ne peut délivrer de l’état de péché qu’établit la loi. « La loi donc a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité ont été apportées par Jésus-Christ ».

17. Pour que personne ne dise : La grâce et la vérité n’ont-elles pas aussi été apportées par Moïse, qui a vu Dieu ? Jean ajoute aussitôt : « Personne n’a jamais vu Dieu ». Comment donc Dieu s’est-il fait connaître à Moïse ? En ce que le Seigneur lui a fait une révélation. Quel Seigneur ? Jésus-Christ lui-même, qui a d’abord envoyé la loi par son serviteur, et qui est venu lui-même, avec la grâce et la vérité. « Car personne n’a jamais vu Dieu ». S’il en est ainsi, comment s’est-il montré à ce serviteur autant que les facultés de Moïse pouvaient le lui permettre ? « Mais », ajoute-t-il, « le Fils unique qui est dans le sein du Père le lui a raconté ». Qu’est-ce à dire : « dans le sein du Père ? » Dans le secret du Père. En effet, Dieu n’a pas de sein comme nous en avons un sous nos vêtements ; nous ne devons pas nous figurer qu’il s’assoie comme nous le faisons nous-mêmes, ou qu’il se ceigne pour se faire un sein ; mais comme notre sein est caché sous nos vêtements, le secret du Père s’appelle le sein du Père. Celui donc qui connaît le Père parce qu’il est dans son secret, l’a lui-même raconté ; car « personne n’a jamais vu Dieu ». Il est donc venu lui-même, et il a raconté tout ce qu’il a vu. Qu’a vu Moïse ? Il a vu une nuée, il a vu un ange, il a vu une flamme. Créature que tout cela. C’était l’image du Seigneur, non sa personne. Sans doute, car tu lis formellement au livre de la loi : « Moïse parlait avec le Seigneur, face à face, comme un ami avec son ami » ; mais continue ta lecture, tu verras que Moïse disait : « Si j’ai trouvé grâce en votre présence, montrez-vous à moi à découvert, afin que je vous voie ». Et c’est peu qu’il ait ainsi parlé, écoute ce qu’on lui répond : « Tu ne peux voir ma face fg ». Mes frères, l’ange parlait donc avec Moïse, et cet ange était L’image de Dieu et tout ce qui a été fait par l’ange, en cette circonstance, était la promesse de cette grâce et de cette vérité réservée aux temps à venir. Ceux qui étudient sérieusement les Écritures, ne l’ignorent pas, et lorsque l’occasion opportune de vous en parler se présente à nous, autant que Dieu nous fait la grâce de nous le faire connaître, nous avons soin de vous le découvrir.

18. Sachez donc que toutes ces représentations corporelles aperçues par Moïse n’étaient pas la substance de Dieu. En effet, nous voyons de pareils signes avec les yeux de notre corps ; mais le moyen de voir la substance de Dieu ? Interroge l’Évangile : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu fh ». Des hommes se sont rencontrés qui, déçus par la vanité de leur cœur, ont dit : Le Père est invisible, mais le fils est visible. En quoi visible ? Si c’est en sa chair, puisqu’il a pris un corps, cela est manifeste. Car de ceux qui ont vu Jésus-Christ en sa chair, quelques-uns ont cru en lui, d’autres l’ont crucifié. Et parmi ceux qui ont cru, il en est dont la foi a chancelé à l’heure de son crucifiement ; et si après sa résurrection ils ne l’avaient touché de leurs mains, la foi ne leur serait pas revenue. Si donc, c’est à cause de la chair que le Fils est visible, nous l’accordons, et c’est la foi de l’Église catholique ; mais si, comme ils disent, le Fils était visible avant sa chair, ou, en d’autres termes, avant son incarnation, leur folie est grande ; grande est leur erreur. Car ces représentations corporelles se faisaient par le moyen de la créature pour donner une idée de Dieu ; elles ne montraient, ni ne manifestaient sa substance. Voici qui vous le fera exactement entendre, que votre charité l’écoute avec attention. La sagesse de Dieu ne peut être vue par les yeux. Mes frères, si Jésus-Christ est la sagesse de Dieu, s’il est la vertu de Dieu fi, s’il est le Verbe de Dieu, la parole de l’homme ne pouvant être vue par les yeux, comment la parole de Dieu le pourrait-elle ?

19. Chassez donc de vos cœurs toute pensée charnelle à cet égard, afin d’être vraiment sous l’empire de la grâce et d’appartenir au Nouveau Testament ; c’est pour cela que dans le Nouveau Testament est promise la vie éternelle. Lisez l’Ancien Testament. Alors le peuple était encore charnel, et pourtant on lui avait imposé des obligations pareilles aux nôtres. Car, nous aussi, nous avons reçu l’ordre d’adorer un seul Dieu : « Ne prends pas le nom de Dieu en vain » ; on nous le commande comme à eux. C’est le second précepte. « Observe le jour du sabbat ». Ce précepte est plus étendu pour nous, parce qu’il nous est ordonné de l’observer selon l’esprit. Car les Juifs observaient servilement le jour du sabbat, l’employant à l’ivrognerie et à la débauche. Leurs femmes n’auraient-elles pas mieux fait, ce jour-là, de travailler leur laine que de danser sur la terrasse de leurs maisons ? Loin de nous, mes frères, la pensée de dire que par là ils observaient le sabbat. Pour le chrétien, observer le sabbat selon l’esprit, c’est s’abstenir de toute œuvre servile. Qu’est. ce s’abstenir de toute œuvre servile ? C’est se préserver du péché. Et comment le pouvons-nous ? Interroge Notre-Seigneur : « Tout homme qui fait le péché est l’esclave du péché fj ». Il nous est donc commandé d’observer le sabbat selon l’esprit. Quant aux autres préceptes, ils s’adressent à nous encore plus qu’aux Juifs, et nous devons les observer plus parfaitement qu’eux : « Vous ne tuerez pas. Vous ne commettrez pas de fornication, d’adultère ; vous ne déroberez pas ; vous ne direz pas de faux témoignage ; honorez votre père et votre mère ; vous ne désirerez pas le bien de votre prochain ; vous ne désirerez pas la femme de votre prochain fk ». Tout cela ne nous est-il pas aussi commandé ? Mais si tu cherches à savoir quelle récompense était promise à l’observation de la loi, tu verras qu’il y est dit : « Afin que tes ennemis soient chassés de ta présence et que tu entres en possession de la terre promise par Dieu à tes pères fl ». Comme ils étaient incapables d’apprécier les biens invisibles, on les retenait par la promesse des biens matériels. Pourquoi ? Pour les empêcher de périr tout à fait et d’en venir à adorer les idoles. Néanmoins, mes frères, ils l’ont fait, comme nous le lisons, se montrant ainsi oublieux de tant de merveilles opérées par Dieu sous leurs yeux. La mer s’est séparée en deux à leur approche, un chemin leur a été frayé au milieu des flots, les ennemis accourus à leur poursuite ont été engloutis sous ces mêmes flots qui leur avaient livré passage fm, et quand Moïse, l’homme de Dieu, a disparu à leurs regards, ils ont réclamé une idole et ils ont dit : « Fais-nous des dieux qui marchent devant nous, puisque cet homme nous a quittés ». Toute leur espérance était fondée sur un homme, et non sur Dieu. Cet homme fût-il mort, le Dieu qui les avait tirés de la terre d’Égypte était-il mort aussi ? Lorsqu’ils se furent fait l’image d’un veau, ils l’adorèrent en disant : « O Israël, voici tes dieux, les dieux qui t’ont délivré de la terre d’Égypte fn ». Combien peu de temps il leur a fallu pour oublier une grâce aussi éclatante ! Par quel moyen donc retenir dans le devoir un pareil peuple, sinon par des promesses charnelles ?

20. Ainsi les mêmes commandements se trouvent pour eux et pour nous au décalogue de la loi ; mais les promesses n’y sont pas les mêmes. Que nous promet-on à nous ? La vie éternelle. « Or, la vie éternelle est de vous connaître vous seul vrai Dieu et Jésus-Christ que vous avez envoyé fo ». La connaissance de Dieu, voilà ce qui nous est promis, voilà la grâce pour la grâce. Maintenant, mes frères, nous croyons, nous ne voyons pas. Cette foi aura sa récompense, ce sera de voir ce que nous croyons. Les Prophètes ont connu ce mystère, bien qu’il fût caché avant la venue de Notre-Seigneur. Ainsi un ami de cette récompense qui, soupirant après elle dans ses psaumes, a dit : « Je n’ai demandé qu’une chose au Seigneur, je la rechercherai avec ardeur ». Mais, diras-tu, que demande-t-il ? Est-ce la terre, d’où découlent matériellement le lait et le miel ? bien qu’il faille se mettre à sa recherche et la demander dans le sens spirituel. Est-ce l’assujettissement de ses ennemis, la mort de ceux qui veulent lui nuire, les hautes places ou les richesses du siècle ? Il aime avec ardeur, il soupire grandement, il brûle, il est hors d’haleine ; voyons ce qu’il demande : « Je n’ai demandé qu’une seule chose au Seigneur, je la rechercherai avec ardeur ». Qu’est-ce donc que cette chose ainsi recherchée ? « C’est d’habiter », dit-il, « dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie ». Et quand habiteras-tu dans la maison du Seigneur, en quoi y trouveras-tu ton bonheur ? « Et d’y contempler », continue-t-il, « les délices du Seigneur fp ».

21. Mes frères, quand jetez-vous des cris de joie ? Quand travaillez-vous d’allégresse ? Quand vous sentez-vous portés à aimer ? N’est-ce point lorsqu’une étincelle de charité se montre à vous ? Je vous le demande : quel est l’objet de vos désirs ? Pouvez-vous le voir de vos yeux ? Le toucher de vos mains ? Y découvrez-vous des charmes qui fascinent vos regards ? Certes, nous aimons grandement les martyrs ; et quand nous célébrons le souvenir de leurs souffrances, il suffit à enflammer notre amour. Qu’aimons-nous en eux, mes frères ? Leurs membres déchirés par les bêtes féroces ? Quoi de plus hideux pour les yeux de ton corps, quoi de plus beau pour les yeux du cœur ? Que vous semble le plus beau jeune homme, s’il est voleur ? Le dégoût et l’horreur se peignent dans tes yeux. Mais sont-ce bien tes yeux de chair qui frémissent à sa vue ? À juger par eux, rien de pins correct que le corps de ce jeune homme ; rien de mieux ordonné : la belle proportion de ses membres, la fraîcheur de son teint captivent ton admiration ; mais si tu apprends qu’il est un voleur, ton cœur se détourne aussitôt de lui. D’autre part, un vieillard se présente à toi ; il est plié en deux, et il s’appuie sur un bâton ; il a peine à se mouvoir ; son corps est partout couvert de rides : y a-t-il là rien qui puisse charmer tes yeux ? On te dit qu’il est juste ; c’en est assez : tu l’aimes et tu l’embrasses. Telles sont, mes frères, les récompenses qui nous sont promises. Que de tels biens possèdent vos affections : soupirez après ce royaume ; que cette patrie soit l’objet de vos désirs ; si vous prétendez parvenir à ces biens apportés par Notre-Seigneur, lors de sa venue, c’est-à-dire à la grâce et la vérité. Si, au contraire, tu désires recevoir de Dieu une récompense temporelle, tu es encore sous la loi, et il t’arrivera de ne pas même l’accomplir ; car dès le moment où tu verras que les biens temporels sont abondamment accordés à ceux qui offensent Dieu, tes pas chancelleront et tu te diras : Voici que j’honore Dieu, je cours tous les jours à l’Église, je brise mes genoux à force de prier et je suis continuellement malade. D’autres, au contraire, se livrent à l’homicide et aux rapines, ils sont dans l’allégresse et l’abondance ; tout leur réussit. Étaient-ce donc là les biens que tu demandais à Dieu ? Il est sûr pourtant que tu appartenais à la grâce. Si Dieu t’a donné ce qu’on appelle la grâce, parce qu’il te l’a donnée gratuitement, aime-le donc gratuitement. N’aime pas Dieu pour la récompense ; qu’il soit seul ta récompense ; que ton âme s’écrie : « Je n’ai demandé qu’une chose au Seigneur, je la rechercherai avec ardeur : c’est d’habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, et de contempler les délices du Seigneur ». Ne crains pas de faiblir sous le poids de l’ennui. Tel sera le charme de la beauté divine que, toujours présente à tes yeux, elle ne te rassasiera jamais, ou plutôt, qu’elle te rassasiera toujours sans que tu sois jamais rassasié. Car, si je disais que tu ne seras jamais rassasié, ce serait dire que tu auras faim, et si je disais que tu le seras, ce serait t’annoncer le dégoût ; mais puisqu’en Dieu on ne sera ni dégoûté ni affamé je ne sais vraiment de quels termes me servir. Mais comme Dieu le possède en lui-même, il peut nous montrer ce qu’il nous est impossible d’exprimer, et nous faire entrer en possession de ce que nous croyons.

CINQUANTE-SEPTIÈME SERMON. SUR SAINT JEAN-BAPTISTE.

ANALYSE. —1. Jésus-Christ supérieur à saint Jean, inférieur à son Père, comme homme, et égal à son Père comme Dieu. —2. Jésus-Christ véritablement égal à son Père. —3. Jésus-Christ, comme homme, est inférieur à son Père, mais reste supérieur à tous les hommes.

1. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu fq ». De quel homme le Seigneur a-t-il permis que l’on pût dire : « Toutes choses ont été faites par lui ? fr » Le Verbe a retenu pour lui la divinité, et il nous a donné la grâce. Nous disons de Jésus-Christ qu’il est homme pour nous, et qu’il est Dieu au-dessus de nous ; il est tout à la fois homme et Dieu. Or, vous avez devant vous deux personnages : saint Jean et Jésus-Christ ; mais Jésus-Christ, qui, extérieurement, ne parait qu’un homme, est infiniment plus grand que saint Jean, qui a dû s’écrier : « Je ne suis pas digne de délier les cordons de sa chaussure fs ». Proclamez donc sa supériorité, et sa supériorité si suréminente, que saint Jean lui est infiniment inférieur, quoiqu’il soit le plus grand de tous les justes. Jésus-Christ est plus grand que la terre et le ciel, plus grand que les anges, plus grand que les vertus, plus grand que les trônes, les puissances et les dominations. D’où lui vient cette supériorité ? De ce que « toutes choses ont été faites par lui, et que rien n’a été fait sans lui ft ». En tant que Dieu, il est égal à son Père ; en tant qu’homme, il est inférieur à son Père. N’a-t-il pas dit lui-même : « Moi et mon Père, nous sommes un fu ? » ; et aussi : « Mon Père est plus grand que moi fv ? » Ces deux propositions semblent se contredire, et pourtant elles sont parfaitement vraies. Que votre cœur ne se révolte pas, car les paroles du Sauveur se concilient parfaitement. « Moi et mon Père nous sommes un » ; ces mots expriment l’égalité « Mon Père est plus grand que moi » ; on ne peut mieux formuler l'inégalité.

2. Sur ces paroles : « Moi et mon Père nous sommes un », écoutez l’Apôtre expliquant dans un seul passage ces deux propositions contradictoires : « Jésus-Christ étant dans la forme de Dieu, a pu se dire, sans injustice, égal à Dieu fw » ; car il est Dieu et éternellement engendré de Dieu. L’injustice est le fait d’un usurpateur ; tel fut Adam. Parce qu’il voulut devenir ce qu’il n’était pas, il se trouva déchu de ce qu’il était. Comment a-t-il voulu la rapine ? Il se laissa séduire par le serpent qui lui-même était déchu, pour avoir dit : « Je placerai mon trône vers l’Aquilon, et je serai semblable au Très-Haut fx ». Cette pensée fit du premier des anges un démon. Plus tard, il rendit l’homme participant de son orgueil. Lui qui était tombé, se prit de jalousie contre l’homme encore debout et le précipita d’où il était tombé lui-même. Si le démon et l’homme aspiraient à la divinité, c’était donc par rapine. Il n’en fut pas de même de Jésus-Christ, parce qu’il était, par nature, égal à son Père, il l’était de toute éternité, il ne le devint pas et ne le deviendra jamais. En parlant de Lui, on ne saurait dire Il a été, il est et il sera ; le présent seul lui convient : il est. Dire qu’il a été, c’est dire qu’il n’est plus ; et dire qu’il sera, c’est dire qu’il n’est pas encore. C’est à Lui que Moïse adressa cette question : « Quel est votre nom ? Que dirai-je aux enfants d’Israël ? Le Seigneur répondit : Je suis Celui qui suis ; tu diras aux enfants d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous fy ». Ce qui est, voilà la vérité, la réalité, ce qui ne peut changer. Or, l’Être par essence appartient au Père, appartient au Fils, appartient au Saint-Esprit. Voilà, mes frères, ce qui est au-dessus de tout et ce qui prouve que le Fils est égal au Père ; de là ces paroles de l’Apôtre : « Ce n’est point par une usurpation de sa part qu’il s’est dit égal au Père ».

3. Nous lisons : « Mon Père est plus grand que moi, mais il s’est anéanti lui-même fz ». Voyez, pesez ces paroles : « Il a pris la forme d’esclave ». Quand il s’agit de la forme d’esclave, on se sert du mot : « il prit » ; mais quand il s’agit de la forme de Dieu, au lieu de dire : il prit, le texte porte : « Quoiqu’il fût dans la forme de Dieu, il prit la forme d’esclave, se rendant semblable aux hommes, portant l’extérieur de l’homme ; il s’est humilié, et s’est fait obéissant jusqu’à la mort et à la mort de la croix. Voilà pourquoi Dieu l’a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom ga ». En tant qu’il était homme, il a été exalté. Son exaltation fut la conséquence de son humiliation, et en tant qu’il est mort, il est ressuscité. « Il lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom ». Jésus-Christ vint sur la terre, mais sans quitter le ciel ; il ressuscita et monta au ciel, et cependant il n’avait pas quitté le ciel. Vous le regardez comme un homme, ce qu’à Dieu ne plaise. Voici l’homme : « Parmi les enfants des femmes, il n’en fut pas de plus grand ». Écoutez cet homme parlant de sa propre personne : « Je ne suis pas digne de délier les cordons de sa chaussure ». Ne confondez pas ces deux personnages : l’un est Homme-Dieu, l’autre est un homme juste envoyé par Dieu ; l’Homme-Dieu, c’est Jésus-Christ ; l’homme juste, c’est saint Jean ; le premier est la Vérité même, le second n’est que le héraut de la vérité.

QUATRIÈME TRAITÉ.

DEPUIS L’ENDROIT OÙ IL EST ÉCRIT : « ET TEL EST LE TÉMOIGNAGE DE JEAN LORSQUE LES JUIFS ENVOYÈRENT DE JÉRUSALEM DES PRÊTRES » ; JUSQU’À CES PAROLES : « C’EST LUI QUI BAPTISE DANS LE SAINT-ESPRIT ». (Chap 1,19-33.)

Par son Incarnation le Fils de Dieu s’était si profondément abaissé, que les Juifs le méconnurent néanmoins, comme ils attendaient le Messie, et que la vertu de Jean les étonnait, ils envoyèrent des députés à celui-ci pour lui demander qui il était : « Je ne suis pas le Christ ; mais un autre, plus grand que moi, vient après moi c’est l’agneau de Dieu, c’est son Fils ». Ainsi par ses paroles et son baptême Jean-Baptiste a-t-il rempli, pour le premier avènement du Christ, le même rôle qu’Élie pour le second, et fait reconnaître notre Sauveur, malgré les abaissements de son humanité, pour le Messie envoyé de Dieu.

1. Bien souvent votre sainteté l’a entendu dire, et vous le savez parfaitement, Jean-Baptiste a d’autant mieux mérité de devenir l’ami de l’Époux, qu’il a été plus grand parmi les enfants des hommes, et qu’il s’est montré plus humble pour connaître le Sauveur. Il était jaloux, non de son honneur personnel, mais de celui de l’époux ; il recherchait, non sa propre gloire, mais la gloire de son juge, de celui devant qui il marchait comme un héraut pour l’annoncer. Aussi, tandis que les Prophètes, ses prédécesseurs, ont seulement prédit les événements relatifs au Christ, il a eu le privilège de le montrer du doigt. Comme avant sa venue, le Sauveur n’était pas connu de ceux qui refusaient de croire aux Prophètes ; ainsi fut-il méconnu d’eux, même quand il vivait parmi eux. À son premier avènement il s’est fait voir dans un état d’humiliation où il était difficile à reconnaître, d’autant plus difficile qu’il était plus humilié ; aussi les hommes, aveuglés par leur orgueil à cause de ses profonds abaissements, ont crucifié leur Sauveur, et, par là ils se sont préparé en lui un juge qui les condamnera.

2. Mais celui qui d’abord est venu caché parce qu’il est venu humble, ne sera-t-il pas facile à reconnaître quand il viendra plus tard, puisque alors il sera élevé au-dessus de toutes choses ? Vous venez d’entendre dire au Psalmiste : « Dieu viendra manifesté à tous, c’est notre Dieu, et il ne se taira plus ». Il s’est tu, afin d’être jugé. Il ne se taira pas quand il commencera à juger à son tour. Le Psalmiste ne dirait pas : « Il viendra manifesté à tous », si auparavant il n’était venu caché ; aussi pareillement il ne dirait pas « Il ne se taira plus », si d’abord il n’avait gardé le silence. Comment s’est-il tu ? Interroge Isaïe : « Il a été mené à la mort comme une brebis, comme un agneau devant celui qui le tond ; il est demeuré sans voix, il n’a pas ouvert la bouche  gb ». Cependant « il viendra manifesté et il ne se taira plus ». Comment sera-t-il « manifesté ? ». La flamme marchera devant lui, et à ses côtés une violente tempête gc ». La tempête doit enlever de son aire toute la paille qui s’y trouve maintenant foulée aux pieds. Le feu brûlera ce qu’aura emporté la tempête. Aujourd’hui le Christ se tait. Il se tait comme juge, il ne se tait pas comme docteur. Car si Jésus-Christ se tait tout à fait, à quoi bon les Évangiles ? À quoi bon les accents des Apôtres, les cantiques du Psalmiste, les prédictions des Prophètes ? En tout cela Jésus-Christ ne se tait pas. Aujourd’hui il se tait en ce qu’il ne se venge pas mais il ne se tait pas sous le rapport de notre instruction. Un jour il viendra, il se manifestera pour la vengeance ; il apparaîtra à tous, même à ceux qui ne croient pas en lui. En attendant, comme il était caché aux yeux des hommes, bien qu’il se trouvât au milieu d’eux, il fallait qu’on le méprisât ; car si on ne l’avait pas méprisé, on ne l’aurait pas crucifié ; s’il n’avait pas été crucifié, il n’eût point répandu ce sang au prix duquel il nous a rachetés. Afin de pouvoir donner pour nous cette rançon, il a été crucifié ; pour être crucifié, il a été méprisé ; pour être méprisé, il s’est fait voir dans un état d’humiliation.

3. Cependant, parce qu’il s’est montré dans un corps mortel, comme dans les ombres de la nuit, il a allumé une lampe afin qu’elle aidât à le voir. Cette lampe était Jean, dont je vous ai déjà beaucoup parlé gd. Et la leçon de l’Évangile que nous venons d’entendre renferme les paroles de Jean, et d’abord cette importante confession qu’il n’était pas le Christ. Telle était l’excellence de Jean, qu’on aurait pu aisément le prendre pour le Christ, et ç’a été la preuve de son humilité, que pouvant être pris pour le Christ, il a déclaré qu’il ne l’était pas. « Voici donc le témoignage de e Jean, quand les Juifs envoyèrent vers lui, de Jérusalem, des prêtres et des lévites pour lui demander : Qui êtes-vous ? » ce qu’ils n’auraient point fait s’ils n’avaient eu une haute idée de son excellence et de l’autorité qui lui donnait la hardiesse de baptiser. « Et il confessa, et il ne le nia pas ». Que confessa-t-il ? « Et il confessa qu’il n’était pas le Christ ».

4. « Et ils lui demandent : Qui donc es-tu ? « Es-tu Élie ? » Car ils savaient qu’Élie devait précéder le Christ chez les Juifs ; le nom du Christ n’était inconnu de personne. Ils n’ont pas reconnu pour le Christ celui qui l’était véritablement ; mais ils n’ont pas cru que le Christ ne dût jamais venir. Tout en espérant qu’il viendrait, ils n’ont pas laissé de se heurter à sa présence, quand il est venu parmi eux : ils se sont heurtés à ses abaissements comme à une pierre. Quoique petite encore, cette pierre était déjà détachée de la montagne, sans le secours de main d’homme. C’était d’elle que parlait le prophète Daniel quand il disait avoir vu une pierre détachée de la montagne, sans le secours de main d’homme. Mais que dit-il ensuite ? « Et cette pierre vint à grossir, et elle devint une grande montagne, et elle couvrit la surface de la terre ge ». Que votre charité remarque ce que je dis : mis en présence des Juifs, le Christ était détaché de la montagne ; cette montagne était leur royaume. Toutefois, le royaume des Juifs ne couvrait pas la surface de la terre. C’est de là qu’a été séparée la pierre, parce que c’est de là qu’est sorti selon la chair Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et pourquoi sans le secours de main d’homme ? Parce qu’une vierge l’a enfanté sans le secours de l’homme. Cette pierre était donc déjà détachée de la montagne sans le secours de main d’homme, puisqu’elle se trouvait placée sous les yeux des Juifs ; mais elle était encore toute petite. En cela, rien d’étonnant ; car elle n’était pas encore devenue grande ; elle n’avait pas encore rempli l’univers. Le Christ l’a fait plus tard avec son royaume qui est l’Église ; car il a couvert la surface de la terre. Comme donc il n’avait pas encore pris tout son développement, les Juifs se sont heurtés à lui comme à une pierre ; et ainsi s’est vérifié en eux ce qui est écrit : « Celui qui tombera sur cette pierre s’y brisera, et ceux sur lesquels elle tombera, elle les écrasera gf ». D’abord ils sont tombés sur Jésus-Christ humilié, il viendra tomber sur eux du haut de sa grandeur ; mais pour que sa grandeur les écrasât un jour, il a fallu qu’auparavant son humilité les brisât. Ils se sont heurtés à lui et s’y sont brisés ; il les a non pas broyés, mais brisés ; il viendra dans sa grandeur et il les brisera. Or, les Juifs sont excusables de s’être heurtés à cette pierre car elle était encore petite. Mais qui sont ceux qui se sont heurtés à la montagne elle-même ? Ceux dont je veux vous parler, vous les connaissez. Ceux qui nient l’Église répandue par tout l’univers ; ce n’est pas a la petite pierre qu’ils se heurtent, c’est à la montagne elle-même ; car, en grandissant, cette pierre est devenue une montagne : en raison de leur aveuglement, les Juifs n’ont pas vu la petite pierre ; mais de quelle cécité ne faut-il pas être frappé pour ne pas voir la montagne ?

5. Les Juifs ont donc vu Jésus-Christ dans l’abaissement, et ils ne l’ont pas reconnu. Une lampe le leur montrait ; car d’abord cet homme, le plus grand de ceux qui sont nés de la femme, leur dit : « Je ne suis pas le Christ ». On lui demande ensuite : « Es-tu donc Élie ? » Il répond : « Je ne le suis pas ». Car le Christ devait envoyer Élie devant lui. Cependant il répond : « Je ne le suis pas » ; et par là il soulève une difficulté qu’il nous faut résoudre. Il est à craindre, en effet, que quelques-uns peu avancés dans la connaissance des Écritures ne croient voir une contradiction entre les paroles de Jean et celles de Jésus Christ. Le Sauveur parlant de lui-même dans un autre endroit de l’Évangile, ses disciples lui dirent : « Comment donc les scribes », c’est-à-dire les habiles dans la science de la loi, « disent-ils qu’Élie doit d’abord venir ? » Et le Seigneur leur dit : « Élie est déjà venu et ils l’ont traité comme ils ont voulu ; et si vous le voulez connaître, c’est Jean-Baptiste ». Notre-Seigneur Jésus-Christ répondit : « Élie est déjà venu, c’est Jean-Baptiste ». Cependant, Jean, interrogé, confesse qu’il n’est pas Élie, de la même manière qu’il avait confessé n’être pas le Christ. Et de fait, comme sa confession était véritable quand il reconnaissait n’être pas le Christ, elle ne l’était pas moins quand il reconnaissait n’être pas Élie. Comment accorder ensemble les paroles du juge et les paroles de celui qui l’annonce ? Il s’en faut de tout que le héraut soit un menteur ; car ce qu’il dit, il le dit sous l’inspiration du juge. Pourquoi donc Jean dit-il : « Je ne suis pas Élie », et le Seigneur : « Il est Élie ? » Parce que Notre-Seigneur a voulu par là annoncer figurément son avènement futur, et dire que Jean était venu dans l’esprit d’Élie. Car ce que Jean était pour le premier avènement, Élie le sera pour le second. Comme donc il y aura deux avènements du Juge, ainsi y aura-t-il deux envoyés qui l’annonceront ; le juge sera le même ; il y aura bien deux envoyés différents ; mais il n’y aura pas deux juges. Il fallait d’abord que le juge vint pour être jugé. Il s’est fait précéder d’un premier envoyé, qu’il a appelé Élie, parce qu’Élie sera pour le second avènement ce que Jean a été pour le premier.

6. Que votre charité remarque combien est vrai ce que je dis. Lorsque Jean fut conçu, ou plutôt lorsqu’il vint au monde, le Saint-Esprit fit de lui cette prophétie, qui devait s’accomplir un jour : « Il sera le précurseur du Très-Haut dans l’esprit et la vertu d’Élie gg ». Il n’était donc pas Élie ; mais « il devait venir dans l’esprit et la vertu d’Élie ». Qu’est-ce à dire, « dans l’esprit et la vertu d’Élie ? » C’est-à-dire à la place d’Élie et dans le Saint-Esprit comme lui. Pourquoi à la place d’Élie ? Parce qu’au premier avènement Jean a rempli le rôle qu’Élie doit remplir au moment du second. Ainsi, la réponse de Jean est juste, mais au sens propre. Notre-Seigneur avait dit en figure : « Il est Élie ». Mais Jean dit au sens propre, ainsi que je l’ai expliqué : « Je ne suis pas Élie ». Si tu considères sous le rapport figuratif la mission de précurseur, Jean est Élie ; car ce qu’il est pour le premier avènement, Élie le sera pour le second. Mais si tu t’arrêtes à la propriété de la personne, Jean est Jean, Élie est Élie. C’est pourquoi Notre-Seigneur, parlant en figure, a dit avec justesse : « Il est Élie » ; et Jean, parlant selon la propriété des personnes, a dit avec non moins de justesse : « Je ne suis pas Élie ». Ni Jean, ni le Seigneur, ni le précurseur, ni le juge n’ont parlé contre la vérité ; seulement il faut les bien comprendre. Mais qui les comprendra ? Celui qui aura imité l’humilité du précurseur et reconnu la grandeur du juge. Rien, en effet, de plus humble que ce Précurseur. Mes frères, Jean n’a jamais eu de plus grand mérite que celui dont l’humilité a été pour lui la source, eu la circonstance présente : il pouvait, en effet, tromper les hommes et se faire regarder comme le Christ et passer pour lui (tant étaient grandes sa grâce et son excellence !) Cependant il t’a déclaré ouvertement et il l’a dit : « Je ne suis pas le Christ. Es-tu donc Élie ? » S’il avait dit : Je le suis, ç’aurait donc été le second avènement du Christ où il viendra comme juge, et non plus le premier où il est venu afin d’être jugé. Mais comme pour leur dire : Élie doit venir, il répond : « Je ne sus pas Élie ». Remarquez, cependant, qu’il s’agit du Christ humilié, dont Jean a été le précurseur, et non du Christ élevé en gloire que doit précéder Élie. Car voici le complément donné par Notre-Seigneur : « Jean est Élie qui doit venir ». Il est déjà venu pour être en figure ce qu’Élie sera en réalité. Alors Élie sera Élie en personne, maintenant Jean n’est Élie que par ressemblance. En réalité, maintenant Jean est Jean, par similitude il est Élie. Ils étaient tous les deux des précurseurs : chacun d’eux a rempli le même ministère que l’antre, sans perdre toutefois sa personnalité ; mais pour l’un comme pour l’autre, il n’y a eu qu’un seul Seigneur, qu’un seul juge.

7. « Et ils lui demandaient : Qui êtes-vous donc ? Êtes-vous Élie ? et il répondit : non. Et ils lui dirent : Êtes-vous prophète ? et il répondit : non. Ils lui dirent donc : Qui êtes-vous afin que nous donnions réponse à ceux qui nous ont envoyés ? Que dites-vous donc de vous-même ? Il leur répondit : Je suis la voix de celui qui crie dans le désert ». Isaïe l’avait déjà dit gh. Cette prophétie s’est accomplie en Jean-Baptiste : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert ». Que crie-t-elle ? « Redressez la voie du Seigneur, rendez droits les sentiers de notre Dieu ». À votre avis n’est-ce pas le rôle d’un héraut de dire : Sortez d’ici ? Le héraut dit : Sortez d’ici, et Jean dit : Venez ; voilà la différence. Jean appelle vers le Sauveur humble pour qu’on n’ait rien à souffrir du juge lorsqu’il viendra dans sa grandeur. « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert ; redressez les voies du Seigneur, comme dit le prophète Isaïe ». Il ne dit pas : Je suis Jean, je suis Élie, je suis un prophète ; mais que dit-il ? Voici mon nom : « La voix de celui qui crie dans le désert, redressez les voies du Seigneur », je suis la prophétie même.

8. « Et ceux qui airaient été envoyés étaient du nombre des Pharisiens », c’est-à-dire des principaux d’entre les Juifs. « Et ils l’interrogèrent et lui dirent : Pourquoi donc baptisez-vous, si vous n’êtes ni le Christ, ni Élie, ni prophète ? » Ce leur semblait être une sorte de témérité que de baptiser, ils lui demandaient : Au nom de qui le fais-tu ? Nous l’avons demandé si tu étais le Christ ; tu nous as répondus que tu ne l’étais pas ; si tu es son précurseur ; car nous savons qu’avant l’avènement du Christ, Élie doit venir. Tu nous as aussi dit que tu n’es pas Élie ; serais-tu par hasard quelque personnage envoyé longtemps avant les précurseurs, c’est-à-dire un prophète qui aurait la puissance de baptiser ? Tu ne te donnes pas non plus comme prophète. En effet, Jean n’était pas prophète, il était plus grand qu’un prophète. C’est le témoignage qu’a rendu de lui Notre-Seigneur. « Qu’êtes-vous allés voir dans le désert ? Un roseau agité par le vent ? » Assurément tu supposes qu’il n’en était pas ainsi de Jean ; car il ne ressemblait en rien à ce que le vent agite. Car être agité du vent, c’est subir de tous côtés le souffle de tout esprit séducteur. « Qu’êtes-vous donc allés voir ? Un homme vêtu avec mollesse ». Or, les vêtements de Jean étaient grossiers : c’était une tunique faite de poils de chameau. « Car ceux qui sont vêtus avec mollesse, c’est dans les palais des rois qu’ils habitent ». Vous n’êtes donc pas allés voir un homme vêtu avec mollesse. « Mais qu’êtes-vous allés voir ? Un prophète. Oui, je vous le dis, il est plus qu’un prophète » gi. Car les Prophètes ont annoncé le Christ longtemps avant sa venue, Jean l’a montré pendant qu’il était présent sur la terre.

9. « Pourquoi donc baptises-tu, si tu n’es ni le Christ, ni Élie, ni prophète ? Jean leur répondit : Pour moi, je baptise dans l’eau, mais au milieu de vous demeure celui que vous ne connaissez pas ». Les abaissements du Christ faisaient obstacle à ce qu’on le vît ; c’est pourquoi la lampe a été allumée. Voyez comment il cède la place, lui qui aurait pu se faire passer pour ce qu’il n’était pas. « C’est lui qui est venu après moi, qui a été fait avant moi » ; c’est-à-dire, comme nous l’avons déjà expliqué, qui m’a été préféré. « Et je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses souliers ». Comme il s’est abaissé ! C’est pourquoi il a été grandement élevé parce que celui qui s’abaisse sera exalté gj. Votre sainteté doit le comprendre maintenant. Si Jean s’est humilié jusqu’à dire : « Je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses souliers », quel sujet de s’humilier ont ceux qui disent : C’est nous qui baptisons, ce que nous donnons est à nous, ce qui est à nous est saint ! Jean dit : Ce n’est pas moi, c’est lui. Eux disent : c’est nous. Jean se reconnaît indigne de délier les cordons de ses souliers ; s’il avait reconnu en être digue, combien déjà il se serait montré humble ! S’il s’en était déclaré digne et qu’il eût dit : Celui-là est venu après moi, qui a été fait avant moi, je ne suis digne que de délier les cordons de ses souliers, il se serait déjà beaucoup humilié. Mais avouer qu’une telle fonction est bien au-dessus de ses mérites, il n’y a qu’un homme véritablement rempli du Saint-Esprit qui l’ait pu faire, et le serviteur qui a ainsi reconnu son maître a mérité de devenir son ami.

10. « Ceci se passa en Béthanie, au-delà du Jourdain où Jean baptisait. Un autre jour Jean vit Jésus qui venait à lui, et il dit : Voici l’Agneau de Dieu, voilà celui qui enlève les péchés du monde ». Que personne ne s’en fasse accroire et ne dise qu’il enlève lui-même les péchés du monde. Remarquez, dès maintenant, quels orgueilleux Jean désignait du doigt. Les hérétiques n’étaient pas encore nés, et déjà le Précurseur les faisait connaître. Du milieu du fleuve il criait déjà contre ceux contre lesquels il crie dans l’Évangile. Voici venir Jésus, et que dit Jean ? « Voici l’Agneau de Dieu ». Si, pour être agneau il suffit d’être innocent, Jean est agneau. Lui aussi n’est-il pas innocent ? Mais quel innocent est-il ? Et jusqu’à quel point l’est-il ? Tous viennent de cette souche, tous sortent de cette source au sujet de laquelle David chante et gémit ainsi : « Moi j’ai été conçu dans l’iniquité, et ma mère m’a enfanté dans le péché gk ». Celui-là seul est donc agneau, qui n’est pas venu en cette manière. En effet, il n’a pas été conçu dans l’iniquité, puisqu’il n’a pas été conçu par le fait d’un mortel ; sa mère ne l’a pas, non plus, enfanté dans le péché, puisqu’une vierge l’a conçu et mis au monde. C’est par la foi qu’elle l’a conçu ; c’est aussi par la foi qu’elle l’a enfanté. Donc, « voici l’agneau de Dieu », celui-là ne tire pas d’Adam son origine. Il ne lui a emprunté que son corps, sans en prendre le péché ; il n’a pas puisé l’iniquité à cette source empoisonnée. C’est pourquoi il enlève notre péché. « Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui ôte le péché du monde ».

11. Certains hommes, vous le savez, disent quelquefois : Nous sommes saints, nous ôtons les Péchés du monde ; car, ajoutent-ils, si celui qui baptise n’est pas saint, comment, étant rempli de péchés, peut-il ôter le péché d’autrui ? À des arguments de cette nature n’opposons pas nos paroles, lisons notre Évangile : « Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui ôte le péché du monde ». Que des hommes ne cherchent pas à l’emporter sur d’autres hommes ; que le passereau ne se retire pas sur la montagne, qu’il se confie au Seigneur gl. Et s’il lève les yeux vers les montagnes d’où lui viendra le secours, qu’il reconnaisse que ce secours lui vient du Seigneur, Créateur du ciel et de la terre gm. Telle était l’excellence de Jean, qu’on lui dit : Tu es le Christ ? Non, répondit-il. Tu es Élie ? Non. Tu es prophète ? Non. Pourquoi donc baptises-tu ? « Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui ôta le péché du monde. C’est lui de qui j’ai dit : Après moi est venu un homme qui a été mis devant moi, parce qu’il était avant moi. Il est venu après moi », parce que ma naissance a précédé la sienne ; « il a été mis devant moi », parce qu’il m’a été préféré ; « il était avant moi, parce qu’au commencement il était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ».

12. « Pour moi », continue-t-il, « je ne le connaissais pas, mais afin qu’il fût manifesté à Israël, je suis venu baptiser dans l’eau. Et Jean rendit témoignage en disant : J’ai vu le Saint-Esprit descendre du ciel comme une colombe et demeurer sur lui. Cependant je ne le connaissais pas ; mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer est celui qui baptise dans le Saint-Esprit. Je l’ai vu, et j’ai rendu le témoignage qu’il est le Fils de Dieu ». Que votre charité veuille être un peu attentive : À quel moment le précurseur Jean a-t-il connu le Christ ? D’abord il est envoyé pour baptiser dans l’eau ; on lui demande pourquoi il baptise : « Afin », répond-il, « qu’il soit manifesté à Israël ». Quel a été l’utilité du baptême de Jean ? Mes frères, si le baptême de Jean avait été utile, il se donnerait encore, les hommes seraient encore baptisés du baptême de Jean, et ils arriveraient ainsi au baptême de Jésus-Christ. Mais que dit-il ? « Afin qu’il soit manifesté à Israël, c’est-à-dire au peuple d’Israël. C’est donc pour manifester le Christ au peuple d’Israël que Jean est venu baptiser dans l’eau. Jean a reçu la mission de baptiser et de préparer la voie au Seigneur par l’eau de la pénitence, avant l’apparition du Christ ; mais le Sauveur une fois connu, il était inutile de lui préparer la voie, car il s’est fait lui-même la voie de tous ceux qui le connaissent. C’est pourquoi le baptême de Jean n’a pas été de longue durée. Mais dans quel état s’est manifesté le Christ ? Dans un état d’humilité, jusqu’à confier à Jean le baptême que Notre-Seigneur devait recevoir.

13. Mais le Sauveur avait-il besoin d’être baptisé ? Je vous demande à mon tour : Notre-Seigneur avait-il besoin de se faire homme ? d’être crucifié ? de mourir ? d’être mis dans un tombeau ? Puisqu’il s’est ainsi abaissé pour nous, pourquoi donc n’aurait-il pas reçu le baptême ? Et puisqu’il a reçu le baptême de son serviteur, qu’en conclure, sinon que tu ne dois pas dédaigner de recevoir celui de ton maître ? Que votre charité soit attentive. Il devait y avoir plus tard dans l’Église des catéchumènes doués d’une grâce plus parfaite. Ainsi voyez-vous quelquefois un catéchumène s’abstenir de tout commerce charnel, dire adieu au siècle, renoncer à tous ses biens, les distribuer aux pauvres, et quoique simple catéchumène, connaître peut-être mieux la doctrine du salut qu’un grand nombre de fidèles. Il est à craindre pour lui qu’il n’arrive à se dire intérieurement au sujet du saint baptême par lequel les péchés sont remis Que recevrai-je que je n’aie déjà ? Déjà je suis meilleur que tel ou tel fidèle ; ce disant, il pensera à tels et tels fidèles, les uns mariés, les autres peut-être dépourvus d’intelligence, les autres possédant encore leurs biens, tandis que lui-même a déjà distribué les siens aux pauvres. Alors il s’estimera meilleur que ces fidèles déjà baptisés, et il dédaignera de se présenter au baptême. Après tout, se dira-t-il en ayant soin de porter son attention sur ceux dont il fait moins de cas, je ne recevrai que ce que tels et tels ont reçu, et il regardera comme indigne de lui de recevoir ce qu’il sait avoir été reçu par d’antres qu’il juge lui être inférieurs, Cependant, tous ses péchés demeurent sur lui, et à moins qu’il se présente à ce baptême salutaire où les péchés sont remis, il ne peut, même avec toute sa supériorité de mérites, entrer dans le royaume des cieux. Aussi, afin d’attirer à son baptême un homme si supérieur aux autres, et de lui ménager, par ce moyen, le pardon de ses péchés, le Sauveur est-il venu lui-même se faire baptiser par son serviteur : il n’y avait en lui rien à remettre, rien à effacer, et pourtant il a reçu de son serviteur le baptême. Par là il semblait s’adresser à ce fils orgueilleux et superbe qui ne daigne pas recevoir avec les simples ce qui lui procure la grâce du salut. Par là il semblait lui dire : Si étendues que soient tes prétentions, si haut que monte ton orgueil, quels que soient ton excellence et tes mérites, peuvent-ils être plus grands que les miens ? Hé quoi ! je suis venu à mon serviteur, j’ai reçu son baptême et tu dédaignerais de venir à ton maître et d’être baptisé par lui ?

14. Sachez-le bien, mes frères, aucun péché n’obligeait Notre-Seigneur à venir vers Jean ; les autres Évangélistes nous apprennent que le Seigneur arrivant pour être baptisé, Jean lui dit : « Vous venez à moi ? C’est moi qui dois être baptisé par vous ». Et que lui répondit Jésus-Christ ? « Laisse présentement, il faut que toute justice s’accomplisse  gn ». Qu’est-ce à dire : « Il faut que toute justice s’accomplisse ? » Je suis venu mourir pour les hommes, n’est-ce pas juste que je sois aussi baptisé pour eux ? Qu’est-ce encore : « Il faut que toute justice s’accomplisse ? » Il faut que je porte à son comble mon humilité. Jean était un bon serviteur, et le Christ n’aurait pas permis à Jean de le baptiser, quand il a permis à de mauvais serviteurs de le faire souffrir et mourir ? Remarquez bien ceci : Puisque Jean baptisait afin que son baptême fît connaître l’humilité du Sauveur, le Christ étant baptisé, personne autre ne devait-il désormais recevoir le baptême de Jean ? Plusieurs ont reçu le baptême de Jean ; mais après que Jésus-Christ l’eut reçu, le baptême cessa aussitôt d’être donné. En effet Jean alors fut mis en prison ; car l’on ne voit pas qu’à partir de ce moment quelqu’un ait été baptisé par lui. La raison d’être du baptême de Jean a été de nous manifester l’humilité de Notre – Seigneur ; et nous devons conclure de là que si le Christ a reçu le baptême de son serviteur, nous ne devons pas dédaigner de recevoir celui de notre maître. Mais puisque telle a été la raison d’être du baptême de Jean, il semble que celui-ci n’aurait dû baptiser que le Sauveur. Toutefois si Jean n’avait baptisé que Jésus-Christ, plusieurs se seraient rencontrés qui auraient regardé le baptême de Jean comme plus saint que celui de Jésus-Christ, sous ce prétexte que Jésus-Christ seul a mérité de recevoir le baptême de Jean, tandis que tous les hommes peuvent prétendre à celui de Jésus-Christ. Que votre charité m’écoute avec attention. Nous avons tous reçu le baptême de Jésus-Christ : en disant cela, j’entends parler non seulement de nous-mêmes, mais encore de l’univers tout entier ; et jusqu’à la fin des siècles c’est ce baptême que l’on recevra. Lequel d’entre nous, n’importe sous quel rapport, peut se comparer à Notre-Seigneur, dont saint Jean a dit qu’il n’était pas digne de dénouer les cordons de ses souliers ? Si donc le Christ, lui si parfait, lui Homme-Dieu, avait été seul à recevoir le baptême de Jean, que n’auraient pas dit les hommes ? Quel baptême a été celui de Jean ! Quel admirable baptême ! Vois : Le Christ seul a mérité de le recevoir. Ainsi le baptême du serviteur aurait dans l’idée générale primé celui du maître. D’autres donc ont reçu le baptême de Jean, afin qu’il ne semblât pas meilleur que celui de Notre-Seigneur, et Notre-Seigneur l’a reçu à son tour, afin qu’ayant consenti humblement à être baptisé par le serviteur, les autres serviteurs ne dédaignassent pas le baptême du maître. Voilà donc pourquoi Jean a été envoyé.

15. Mais Jean connaissait-il Jésus-Christ ou ne le connaissait-il pas ? S’il ne le connaissait pas quand Jésus-Christ vint au bord du Jourdain, pourquoi disait-il : « C’est moi qui dois être baptisé par vous ? » N’était-ce pas dire : Je sais qui vous êtes ? Si donc à ce moment il ne le connaissait pas déjà, assurément il a appris à le connaître quand il a vu la colombe descendre sur lui. Il est certain que la colombe n’est descendue sur le Seigneur qu’après qu’il fut sorti des eaux du Jourdain. Après avoir été baptisé, se Sauveur sortit de l’eau, et alors les cieux s’ouvrirent. Or, Jean vit descendre sur lui la colombe : la colombe n’est descendue qu’après le baptême de Notre-Seigneur. Avant de le baptiser, Jean lui a dit : « Comment venez-vous à moi, c’est à moi d’être baptisé par vous » ; dès lors il savait quel était celui à qui il disait : « Comment venez-vous à moi, c’est à moi d’être baptisé par vous ? » ; Comment donc a-t-il pu dire ensuite : « Pour moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : Celui sur lequel tu verras descendre le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est lui qui baptise dans le Saint-Esprit ». Question importante, mes frères en saisir la difficulté, c’est déjà beaucoup ; daigne le Seigneur nous accorder la grâce de la résoudre. Voici Jean-Baptiste, vous le savez ; il est sur les bords du Jourdain, arrive Notre-Seigneur demandant le baptême qu’il n’a pas encore reçu, Jean va parler : « Comment », s’écrie-t-il, « vous venez à moi, mais c’est à moi d’être baptisé par vous ! » Déjà donc il connaît Notre-Seigneur puisqu’il veut être baptisé par lui. Après avoir été baptisé, Notre-Seigneur sort de l’eau, les cieux s’ouvrent, le Saint-Esprit descend sur lui. Alors Jean apprend à le connaître. Si, alors seulement, il apprend à le connaître, comment a-t-il pu dire quelques instants auparavant : « C’est à moi d’être baptisé par « vous ? » Mais s’il n’apprend pas alors à le connaître parce qu’il le connaissait déjà, comment peut-il s’exprimer ainsi ? « Je ne le connaissais pas ; mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est lui qui baptise dans le Saint-Esprit ».

16. Mes frères, essayer de répondre aujourd’hui à cette question, ce serait, je n’en doute pas, vous fatiguer ; car je vous ai parlé déjà bien longuement. Il faut néanmoins que vous le sachiez ; cette question est si importante lue de sa solution dépend l’anéantissement du parti de Donat. J’en ai entretenu votre charité, afin, selon mon habitude, de vous exciter à être attentifs. Je l’ai fait aussi, afin que vous priiez Dieu pour nous et pour vous ; car nous avons besoin, nous de parler d’une manière digne d’un pareil sujet ; et vous, de nous bien coin prendre. Aujourd’hui permettez-moi de ne point aborder ce sujet. Je vais en attendant vous dire ce petit mot : Interrogez, en esprit de paix, sans animosité, sans contention, sans querelles, loin de toute disposition haineuse, cherchez eu vous-mêmes et demandez aux autres ; dites-leur : Notre évêque nous a proposé aujourd’hui cette question qu’il nous a promis de résoudre avec l’aide de Dieu. Mais que je puisse la résoudre ou que j’en sois incapable, cette difficulté que je vous ai proposée rue préoccupe, je vous l’assure, et me préoccupe beaucoup. Jean dit au Christ, comme s’il le connaissait déjà : « Je dois être baptisé par vous ». S’il ne connaissait pas celui dont il voulait recevoir le baptême, c’était, de sa part, une grande imprudence de lui dire : « C’est à moi d’être baptisé par vous ». Donc il le connaissait. Or, s’il le connaissait, que signifie ce qu’il dit : « Je ne le connaissais pas ; mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est celui-là qui baptise dans le Saint-Esprit ? » Que dirons-nous ? Que nous ne savons pas quand est venue la colombe ? Mais ne laissons pas aux partisans de Donat ce moyen de défense. Lisons le récit des autres Évangélistes qui ont parlé d’une manière plus précise de la descente de la colombe, et nous l’y trouverons clairement marquée au moment où le Seigneur sortit de L’eau. Ce fut, en effet, après le baptême du Sauveur que les cieux s’ouvrirent et que Jean-Baptiste vit descendre le Saint-Esprit go. Si Jean n’a connu Jésus-Christ qu’après son baptême, comment pouvait-il dire au moment où le Sauveur s’approchait de lui, pour en recevoir le baptême : « C’est à moi d’être baptisé par vous ? » Occupez-vous intérieurement de cette difficulté ; jusqu’à notre prochaine réunion conférez-en les uns avec les autres, traitez-la par ensemble. Plaise au Seigneur notre Dieu d’en révéler d’abord la solution à quelqu’un d’entre vous, avant le jour où je dois vous en entretenir. Quoi qu’il en soit, mes frères, la question sera résolue, retenez-le bien : sur la question de la grâce du baptême, les Donatistes jettent de la poussière aux yeux des ignorants, ils tendent des lacets, pour y prendre, comme on prendrait des oiseaux au vol, les esprits inconsidérés. Aujourd’hui ils lèvent la tête ils cesseront de la lever, et nous leur fermerons parfaitement la bouche.

CINQUIÈME TRAITÉ.

LA COLOMBE.

ENCORE SUR CES PAROLES « JE NE LE CONNAISSAIS PAS, ETC. », OU IL EST MARQUÉ CE QUE JEAN À APPRIS DE NOUVEAU TOUCHANT NOTRE SEIGNEUR ET QUI LUI A ÉTÉ ENSEIGNÉ PAR LA COLOMBE. (Chap 1, 33.)

LE BAPTÊME DU CHRIST.

Saint Jean était véridique, puisqu’il a été envoyé par la Vérité même : comment donc, au moment de baptiser le Christ, a-t-il pu dite qu’il devait être lui-même baptisé par le Christ, tandis qu’un peu plus loin il ajoute : « Je ne le connaissais pas ? » Jean baptisait, mais en son propre nom : bien différent est le baptême du Christ ; ceux qui le donnent, le donnent en son nom seul ; car s’il a commandé à ses Apôtres d’administrer le baptême, il s’est réservé le pouvoir de le rendre efficace. Jean savait que le Christ était le Seigneur, mais il ignorait que le baptême du Christ ne porterait pas d’autre nom et n’aurait de vertu que par lui.

Les Donatistes l’ignorent aussi ou feignent de l’ignorer, puisqu’ils réitèrent le baptême conféré par les hérétiques, concluant des défauts du ministre à son invalidité. La colombe a instruit Jean du contraire ; en cela consiste notre foi et notre tranquillité, et s’il a fallu réitérer le baptême de Jean, parce qu’il était celui de Jean, nous savons qu’il ne faut point réitérer celui du Christ, quels qu’en soient les ministres, parce qu’il tire de lui seul toute son efficacité.

1. Puisqu’il a plu à Notre-Seigneur de nous amener au jour marqué pour l’accomplissement de ma promesse, il nous accordera sans doute aussi sa grâce, pour que nous puissions nous acquitter de notre dette. Tout ce que nous vous disons n’est utile ni à vous, ni à nous, qu’autant qu’il vient de lui ; car ce qui vient de l’homme, n’est que mensonge, suivant celte parole de Jésus-Christ Notre-Seigneur : « Celui qui dit des paroles de mensonge, parle du sien ». Personne, en effet, n’a du sien que mensonge et péché. Mais ce que l’homme a de vérité et de justice, il le puise à celte source où nous devons chercher à nous désaltérer dans le désert de cette vie, afin d’y puiser au moins quelques gouttes qui nous rafraîchissent et nous consolent pendant notre pèlerinage, qui nous empêchent de tomber en défaillance dans le chemin et nous conduisent finalement au repos et à la satiété dont il est le principe. « Si donc celui qui dit des paroles de mensonge, parle du sien », celui qui dit la vérité parle d’après Dieu. Jean disait la vérité, et le Christ, c’est la Vérité même ; Jean disait la vérité, mais tout homme qui dit la vérité reçoit de la Vérité même, le don de la dire ; si Jean dit la vérité et si l’homme ne peut la dire qu’autant que la Vérité elle-même lui en donne le pouvoir, de qui Jean tenait-il donc le pouvoir de dire la vérité, sinon de celui qui a dit : « Je suis la Vérité gp ? » La Vérité ne peut donc pas plus démentir celui qui parle d’après elle, que celui qui parle d’après la Vérité ne peut la démentir à son tour. La Vérité avait envoyé celui qui disait vrai, et il ne disait vrai que parce que la Vérité l’avait envoyé. Si la Vérité avait envoyé Jean, c’était de Jésus-Christ qu’il tenait sa mission. Mais ce que le Christ fait avec son Père, son Père le fait, et ce que le Père fait avec le Christ, le Christ le fait à son tour. Le Père ne fait rien séparément du Fils, comme le Fils ne fait rien séparément du Père ; en eux la charité, l’unité, la majesté, la puissance sont inséparables, suivant ces paroles formelles de Jésus-Christ lui-même « Mon Père et moi sommes une même chose gq ». Qui donc a envoyé Jean ? Si nous disons que c’est le Père, nous disons vrai ; si nous disons que c’est le Fils, nous disons vrai encore ; mais pour parler plus juste, il faudrait dire que c’est le Père et le Fils. Mais celui qui a été ainsi envoyé par le Père et le Fils, c’est un seul et même Dieu qui l’a envoyé, parce que le Fils a dit : « Mon Père et moi, nous sommes une seule nature ». Comment donc Jean ne connaissait-il pas celui qui l’avait envoyé ? Il l’affirme pourtant : « Pour moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, lui-même m’a dit ». J’adresse à Jean cette question : que vous a dit celui qui vous a envoyé pour baptiser dam l’eau ? « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est celui-là qui baptise dans le Saint-Esprit ». Jean, est-ce bien là ce que vous a dit celui qui vous a envoyé ? Oui, c’est cela. Qui donc vous a envoyé ? Serait-ce le Père ? Dieu le Père est la Vérité, comme aussi Dieu le Fils : si le Père vous a envoyé sans le concours du Fils, Dieu vous a envoyé sans le concours de la Vérité ; mais si vous êtes véridique, parce que vous dites la vérité, et que vous parlez d’après la Vérité ; le Père ne vous a pas envoyé indépendamment de son Fils, mais le Père et le Fi ! s vous ont envoyé par ensemble. Si donc le Fils vous a envoyé d’accord avec le Père, comment ne connaissez-vous pas celui par qui vous avez été envoyé ? Celui que vous aviez vu dans la vérité, vous a envoyé, afin que vous le fissiez connaître dans sa chair, et il vous a dit : « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est celui qui baptise dans le Saint-Esprit ».

2. Ce que Jean a entendu lui a-t-il été dit pour lui faire connaître celui qu’il ne connaissait pas encore ou pour lui faire connaître plus pleinement celui que déjà il a appris à connaître ? Car s’il ne l’avait pas connu, du moins en partie, il ne lui aurait point dit, au moment où il venait vers le Jourdain pour recevoir le baptême : « C’est à moi d’être baptisé par vous, et vous venez à moi gr ! » Il le connaissait donc déjà. Quand, en effet, la colombe est-elle descendue du ciel ? Après le baptême de Jésus-Christ et sa sortie de l’eau. Puisque celui qui a envoyé Jean lui a dit : « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est celui qui baptise dans le Saint-Esprit » ; puisque d’ailleurs Jean ne le connaissait pas alors et ne l’a connu qu’à la descente de la colombe ; puisque la colombe est descendue seulement après que Jésus-Christ fut sorti de l’eau du fleuve ; puisqu’enfin Jean le connaissait déjà au moment où le Sauveur vint à lui pour recevoir le baptême, il est évident pour nous qu’en un sens, Jean connaissait Notre-Seigneur, et qu’en un autre sens il ne le connaissait pas encore. À moins de comprendre ainsi les choses, nous devrions considérer Jean comme un menteur. Comment donc a-t-il pu dire en toute vérité, et par suite de la connaissance qu’il en avait déjà : « Vous venez à moi pour être baptisé, c’est à moi d’être baptisé par vous ? » A-t-il dit vrai en parlant de la sorte ? D’un autre côté encore, comment a-t-il parlé selon la vérité, quand il a dit : « Pour moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, c’est le même qui m’a dit : « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est celui qui baptise dans le Saint-Esprit ». La colombe a donc fait connaître le Christ à Jean, non comme à un homme qui ne le connaissait pas du tout, mais comme à un homme qui le connaissait sous certains rapports, sans le connaître sous d’autres. C’est donc à nous de chercher ce que Jean ne connaissait pas en Notre-Seigneur et ce que la colombe lui on a appris.

3. Pourquoi Jean a-t-il été envoyé avec la mission de baptiser ? Je me souviens d’avoir déjà répondu de mon mieux à cette question, en présence de votre charité. Si le baptême de Jean était nécessaire à notre salut, aujourd’hui encore on devrait le donner. Car aujourd’hui encore les hommes parviennent au salut, ils y parviennent même en plus grand nombre : autre n’était pas alors le salut, autre il n’est pas aujourd’hui. Si Jésus-Christ a changé, notre salut a changé aussi ; mais si notre salut se trouve en Jésus-Christ et si Jésus-Christ est le même, notre salut aussi est le même. Cela étant, pourquoi Jean a-t-il été envoyé avec la mission de donner le baptême ? Parce qu’il fallait que Jésus-Christ fût baptisé ; mais pourquoi fallait-il que Jésus-Christ fût baptisé ? Pourquoi fallait-il qu’il vînt au monde ? Pourquoi fallait-il qu’il fût crucifié ? Car puisque c’était pour nous montrer la voie de l’humilité qu’il était venu en ce monde, et puisqu’il devait lui-même devenir celte voie, il fallait qu’en toutes choses il pratiquât l’humilité. Par là il a daigné relever à nos yeux la valeur de son propre baptême et apprendre à ses serviteurs avec quel joyeux empressement ils devaient courir au baptême du maître, puisque le maître n’avait pas dédaigné le baptême de son serviteur. Tel a été le privilège de Jean, que le baptême qu’il donnait portait son nom.

4. Que votre charité remarque attentivement ceci ; qu’elle ne fasse point confusion ; qu’elle me comprenne bien. Le baptême que Jean a reçu la mission de donner a été appelé de son nom. Jean a été le seul à recevoir un pareil privilège. Ni avant lui, ni après lui, aucun juste n’a reçu le pouvoir de conférer un baptême qui fût appelé de son nom. Jean a reçu le pouvoir de baptiser, car de lui-même il n’était capable de rien ; tout homme, en effet, qui parle de lui-même, ne peut de lui-même que dire des mensonges. Et de qui a –-t-il reçu ce pouvoir, sinon de Notre-Seigneur Jésus-Christ ? Celui de qui il a reçu le pouvoir de baptiser, c’est celui qu’il devait baptiser ensuite ; ne vous étonnez pas ; car Jésus-Christ a agi à l’égard de Jean, commue il a agi à l’égard de sa mère. En effet il est dit du Christ : « Toutes choses ont été faites par lui gs ». Si le Christ a fait toutes choses, il a donc aussi fait Marie qui, Plus tard, l’a mis au monde. Que votre charité soit attentive. De même que Jésus-Christ a formé Marie et a été ensuite formé par elle ; ainsi il a donné à Jean le pouvoir de baptiser et a été baptisé par lui.

5. Voilà donc pourquoi il a reçu le baptême de Jean, c’était afin que, recevant de son inférieur ce qui était au-dessous de lui, il encourageât les inférieurs à recevoir ce qui était au-dessus d’eux. Mais pourquoi n’a-t-il pas été le seul baptisé par Jean, si la mission de Jean consistait à le baptiser et à préparer la voie au Seigneur, c’est-à-dire à Jésus-Christ ? Nous en avons déjà donné la raison, mais nous y revenons parce que la question présente l’exige. Si Notre-Seigneur Jésus-Christ seul avait été baptisé par Jean, retenez bien nos paroles, que le monde ne soit pas assez puissant pour effacer de vos cœurs ce que l’Esprit de Dieu y a mis ; que les épines des sollicitudes mondaines ne prévalent pas au point d’étouffer en vous la bonne semence que nous y jetons, car pourquoi sommes-nous forcés de répéter plusieurs fois les mêmes choses, si ce n’est parce que nous ne sommes pas assez sûrs de la fidélité de votre mémoire ? Si donc Notre-Seigneur seul avait reçu le baptême de Jean, plusieurs se seraient rencontrés, qui auraient regardé le baptême de Jean comme supérieur et préférable à celui du Christ ; car ils auraient dit : Ce baptême l’emporte à tel point sur l’autre, que le Sauveur a seul mérité de le recevoir. Aussi, pour nous donner un exemple d’humilité et nous procurer le salut auquel nous ne pouvions parvenir que par le baptême, il a reçu celui dont il n’avait nul besoin pour lui-même, mais qui lui était nécessaire à cause de nous : il a voulu aussi empêcher les hommes de préférer au sien propre le baptême qu’il avait reçu de Jean, et pour cela il a permis que son précurseur en baptisât d’autres que lui. Mais à ceux-là le baptême de Jean n’a pas suffi ; aussi ont-ils été baptisés du baptême du Christ, parce qu’en effet le baptême de Jean n’était pas le baptême du Christ. Ceux qui reçoivent le baptême du Christ ne cherchent pas à recevoir celui de Jean ; mais ceux qui ont reçu le baptême de Jean ont cherché à recevoir celui du Christ. Ainsi le baptême de Jean n’a suffi qu’au Christ. Et comment ne lui aurait-il pas suffi, puisqu’il ne lui était pas même nécessaire ? Le Sauveur n’en avait nul besoin, mais s’il a reçu le baptême de son serviteur, ç’a été pour nous encourager à recevoir le sien. Et afin que le baptême du serviteur ne fût point préféré à celui du maître, plusieurs autres ont reçu le baptême d’un homme qui était serviteur de Dieu comme eux. Mais il leur était indispensable de recevoir aussi le baptême du maître, tandis que le baptême du maître dispensait de recevoir celui du serviteur.

6. Jean avait donc reçu le pouvoir de donner le baptême qui s’appelait proprement le baptême de Jean. Mais le Christ n’a voulu donner à personne la propriété du sien, non pas qu’il fût dans son intention de dispenser n’importe qui de l’obligation de le recevoir, mais parce qu’il voulait ne pas cesser de le conférer lui-même : de là il est résulté que le Sauveur en personne donne le baptême, même quand il le donne par l’intermédiaire de ses ministres ; en d’autres termes, lorsque les ministres de Jésus-Christ baptisent, c’est lui qui baptise et non pas eux. Car, autre chose est de baptiser comme représentant d’une tierce personne, autre chose est de baptiser en son nom propre. Le baptême, en effet, ressemble à celui par le pouvoir de qui il se donne, et non à celui qui l’administre. Ainsi tel était Jean, tel était son baptême ; ce baptême était saint, parce que c’était celui d’un saint. Malgré sa sainteté, Jean n’était qu’un homme ; mais il avait reçu de Notre-Seigneur la grâce extraordinaire d’être digne de précéder le Juge, de le montrer du doigt et d’accomplir cette parole de sa propre prophétie : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : préparez la voie au Seigneur ». Au contraire, tel était Jésus-Christ, tel était aussi son baptême ; le baptême de Jésus-Christ était donc divin, puisque Jésus Christ était Dieu.

7. À la vérité, Notre-Seigneur Jésus-Christ aurait pu, s’il l’avait voulu, accorder à quelqu’un de ses serviteurs le pouvoir de conférer le baptême en son propre nom ; il était le maître de renoncer à la propriété de son baptême, d’en disposer en faveur de quelqu’un de ses ministres et de communiquer à ce baptême, ainsi donné en propre à d’autres, la même vertu que s’il l’administrait lui-même ; mais il ne l’a pas fait parce qu’il voulait que les baptisés missent leur espoir en celui dont ils reconnaîtraient avoir reçu le baptême : il n’a pas prétendu que le serviteur mettrait son espérance dans le serviteur. Aussi, quand l’Apôtre voyait des hommes placer en lui leur espérance, leur disait-il hautement : « Paul a-t-il été crucifié pour vous ? ou avez-vous été baptisés au nom de Paul gt ? » Paul a baptisé comme ministre, mais non comme ayant de lui-même le pouvoir de le faire ; tandis que Jésus-Christ a baptisé en vertu de sa propre puissance. Remarquez-le bien. Le Sauveur aurait pu donner à ses serviteurs le pouvoir de baptiser en leur propre nom : il ne l’a pas voulu. S’il leur eût donné un tel pouvoir, c’est-à-dire, si le baptême de Notre-Seigneur était devenu, le leur, il y aurait eu autant de baptêmes que de ministres, et ainsi, comme on disait : le baptême de Jean, on aurait pu dire : le baptême de Pierre, le baptême de Paul, le baptême de Jacques, le baptême de Thomas, de Matthieu, de Barthélemy. Car le baptême de Jean porte son nom. Mais peut-être quelqu’un refuse de le croire et dit : Prouvez-nous que le baptême donné par Jean a été appelé son baptême ? Je le prouverai par le témoignage de la Vérité même. Interrogée par les Juifs, elle a dit : « Le baptême de Jean, d’où est-il ? du ciel ou des hommes gu ? » Afin qu’on ne pût compter autant de baptêmes qu’il y aurait de ministres pour baptiser en vertu du pouvoir conféré par Notre Seigneur, Jésus-Christ a gardé pour lui le pouvoir de baptiser, et il n’en a donné que la charge à ses serviteurs. Le serviteur dit qu’il baptise et il dit bien ; l’Apôtre le dit aussi : « Pour moi, j’ai encore baptisé ceux de la famille de Stephanas gv », mais c’est comme ministre. De cette façon, un méchant peut devenir le ministre du baptême ; les hommes peuvent ne pas connaître son indignité, mais Dieu ne l’ignore pas ; et il permet que ce ministre confère le baptême dont il garde pour lui-même le pouvoir.8. Or, voilà ce que Jean ne connaissait pas à Notre-Seigneur. Que Jésus-Christ fût le Seigneur, il le savait bien ; qu’il dût baptiser Jésus Christ, il le savait encore, et il confesse que le Sauveur dit la Vérité et que lui, homme véridique, avait été envoyé par la Vérité ; et il savait tout cela. Que ne savait-il donc pas relativement à Notre-Seigneur ? C’est que Jésus-Christ conserverait par-devers lui la propriété de son baptême, sans la transmettre ni la conférer à aucun de ses ministres : de cette manière que le ministre du baptême fût digne ou indigne d’administrer ce sacrement, le baptisé ne devait reconnaître, comme l’auteur de sa régénération, que celui qui avait conservé pour lui le pouvoir de baptiser. Sachez-le bien, mes frères, voilà ce que Jean ignorait par rapport à Jésus-Christ. Voilà ce que lui a appris la colombe. Ainsi donc Jean connaissait le Sauveur ; mais ce qu’il ignorait, c’est que Jésus-Christ dût se réserver pour lui-même et en propre le pouvoir de baptiser et ne le communiquer à aucun de ses ministres. Telle est la raison de ces paroles : « Pour moi, je ne le connaissais pas ». Si vous voulez être assurés qu’il a reçu en ce moment la connaissance de cette vérité, écoutez attentivement ce qui suit : « Mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, m’a dit : Celui sur qui tu verras le Saint-Esprit descendre et demeurer en forme de colombe, c’est lui-même ». Que signifie : c’est lui ? Le Seigneur. Mais il avait déjà appris à connaître le Seigneur. Supposez donc que jusqu’ici Jean a dit : « Celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, m’a dit ». Que lui a-t-il dit ? Le voici : « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe ». N’allons pas plus loin, cependant soyez attentifs. « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est lui ». Que signifient ces mots : « c’est lui ? » Qu’a voulu m’enseigner par la colombe celui qui m’a envoyé ? Qu’il était le Seigneur ? Je connaissais déjà celui qui m’a envoyé ; je connaissais déjà celui à qui j’ai dit : « Vous venez à moi pour être baptisé, c’est à moi d’être baptisé par vous » ; je savais si bien sa qualité de Seigneur, que j’aurais mieux aimé être baptisé par lui que le baptiser moi-même. C’est alors qu’il m’a dit : « Laisse faire maintenant, il faut que toute justice s’accomplisse gw ». Je suis venu pour souffrir et je ne serais pas venu pour être baptisé ? « Que toute justice s’accomplisse », m’a dit mon Dieu, que toute justice s’accomplisse, que j’enseigne l’humilité dans sa perfection. Je sais qu’il se rencontrera des orgueilleux dans mon futur peuple, je sais qu’il se trouvera des hommes ornés de certains dons particuliers de la grâce. Quand ces hommes verront les simples recevoir le baptême, comme ils croiront valoir mieux, soit à cause de leur continence, soit en raison de leurs aumônes eu de leur science, ils dédaigneront peut-être de recevoir ce qu’auront reçu leurs inférieurs. Il me faut les guérir et les empêcher de s’éloigner avec dédain du baptême de leur maître, puisque je serai venu au baptême de mon serviteur.

9. Voilà donc ce que Jean savait déjà, et il connaissait le Seigneur. Que lui a donc appris la colombe ? Qu’a voulu lui apprendre pas la colombe, c’est-à-dire par le Saint-Esprit venant sous sa figure, celui qui a envoyé Jean et qui lui a dit : « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est lui-même ». Que signifient ces mots, « c’est lui-même ? » Le Seigneur. Je le savais déjà. Mais savez-vous que ce Seigneur qui avait le pouvoir de baptiser, ne le donnerait à aucun de ses serviteurs et le garderait pour lui seul, en sorte que tout homme baptisé par le ministère d’un serviteur ne pût attribuer la grâce de son baptême à ce serviteur, mais uniquement au maître ? Est-ce là ce que vous saviez ? Non, je ne le savais pas encore. Aussi, que m’a-t-il dit ? « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est lui-même qui baptise dans le Saint-Esprit ». Il ne m’a pas dit : C’est le Seigneur ; il ne m’a pas, dit : C’est le Christ ; il ne m’a pas dit : C’est Dieu ; il ne m’a pas dit : C’est Jésus ; il ne m’a pas dit : C’est Celui qui est né de la Vierge Marie, qui est venu après toi et qui est avant toi ; il ne m’a pas dit cela, car déjà je le savais. Qu’est-ce donc que Jeanne connaissait pas ? Ce pouvoir unique de donner le baptême que le Seigneur posséderait et se réserverait pour lui seul, pouvoir qui serait son apanage, soit pendant sa vie mortelle, soit quand, après son ascension dans les cieux, il ne cesserait d’exercer sur la terre sa puissance ; pouvoir en vertu duquel ni Pierre, ni Paul ne pourraient dire : Mon baptême. Aussi remarquez la manière dont se sont exprimés les Apôtres : faites-y bien attention ; aucun d’eux n’a dit : mon baptême. Bien que le même Évangile fût commun à tous, il s’en est trouvé pour lire : mon Évangile ; tu n’en trouveras aucun qui ait dit : mon baptême.

10. Voilà, mes frères ce que Jean a appris. Mais ce qu’il a aussi appris par la colombe, apprenons-le à notre tour. Car la colombe n’a pas instruit Jean, sans vouloir instruire aussi l’Église, cette Église à laquelle il a été dit : « Une est ma colombe gx ». Que la colombe instruise donc la colombe. Que la colombe apprenne à connaître ce que Jean a appris de la colombe. C’est le Saint-Esprit qui est descendu en forme de colombe. Mais ce que Jean a ainsi appris, pour qui a-t-il dû l’apprendre de la colombe ? Assurément cette science lui était nécessaire, mais peut-être était-il aussi indispensable qu’il la reçût de la colombe ? Que dirai-je de la colombe, mes frères ? Mon cœur et ma langue me permettront-ils d’en dire ce que je voudrais et comme je le voudrais ? Ce que je veux en dire est peut-être au-dessous de ses mérites, si tant est, néanmoins, que je puisse seulement m’exprimer comme je le désirerais, à plus forte raison, comme il le faudrait. Aussi aimerai-je mieux entendre sur ce sujet un plus savant, que vous en parler moi-même.

11. Jean apprend donc à connaître celui qu’il connaissait déjà ; mais il apprend à le connaître sous un rapport sous lequel il ne le connaissait pas encore, et non à un point de vue où il le connaissait déjà. Que connaissait-il déjà ? Le Seigneur. Que ne savait-il pas encore ? Que le pouvoir de donner le baptême du Christ ne serait transmis par le Sauveur à aucun homme, tandis que la mission de le conférer en son nom serait confiée par lui à ses serviteurs ; en d’autres termes, il ignorait que la propriété du baptême resterait au Christ et que la mission de le donner en son nom passerait à ses serviteurs bons ou mauvais. Que la colombe ne considère pas avec horreur le ministère des méchants, qu’elle considère le pouvoir du Seigneur, Pourquoi t’inquiéter du méchant ministre, là où le Seigneur est bon ? En quoi te nuit la malice de celui qui marche devant le juge, si tu es sûr de la bienveillance du juge ? C’est là ce que Jean a appris par la colombe. Qu’a-t-il donc appris ? Que lui-même vous le dise encore une fois : « Celui qui m’a envoyé m’a dit : Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est celui qui baptise dans le Saint-Esprit ». O colombe, ne te laisse donc pas tromper par des séducteurs qui disent : C’est nous qui baptisons. Vois, ô colombe, ce que la colombe t’a enseigné : « C’est lui qui baptise dans le Saint-Esprit ». La colombe te dit que c’est lui, et si tu penses être baptisé par le pouvoir de ceux par le ministère desquels tu reçois le baptême, si tu penses ainsi, tu n’es plus du corps de la colombe, et si tu ne fais plus partie du corps de la colombe, il n’est pas surprenant que la simplicité te manque ; car la colombe est surtout Le symbole de la simplicité.

12. Pourquoi, mes frères, est-ce la simplicité de la colombe qui appris à Jean que « c’est le Christ qui baptise dans le Saint-Esprit ? » N’est-ce point parce que tous ceux qui sèment le trouble dans l’Église ne sont pas des colombes ? Ils sont des mitans et des oiseaux de proie. La colombe ne déchire pas. Aussi, tu le vois, ils nous en veulent et s’en prennent à nous, comme si nous étions les auteurs des persécutions qu’ils ont eu à subir. Ils semblent avoir souffert des tourments corporels ; en effet, Dieu les a punis dans le temps, pour les ramener au bien et ne point les punir pendant l’éternité, si toutefois ils comprennent et se corrigent. Mais en réalité, ils persécutent l’Église, puisqu’ils ne cessent de lui tendre des pièges : ils la blessent plus grièvement au cœur, puisqu’ils la frappent du glaive de leur langue, ils répandent le sang d’une façon plus cruelle qu’un homicide, puisqu’ils tuent le Christ dans leurs semblables, autant que cela dépend d’eux. Ou voit qu’ils sont effrayés, comme si les puissances les jugeaient. Pourquoi craindre la puissance, si tu es bon ? Si, au contraire, tu es méchant, redoute la puissance, « car ce n’est pas en vain qu’elle porte le glaive », dit l’Apôtre gy, Ne tire pas le glaive pour frapper Jésus-Christ. Chrétien, que persécutes-tu dans le chrétien ? Qu’est-ce que l’empereur a persécuté en ta personne ? Il a persécuté le corps, et toi, dans le chrétien, tu persécutes l’âme. Toi, tu ne tues pas le corps. Et toutefois ils ne s’en privent pas toujours : autant ils ont pu en frapper, autant ils en ont fait mourir ; ils n’ont épargné ni les leurs ni les autres. Cela est connu de tous. La puissance leur est odieuse, parce qu’elle s’exerce légitimement ; celui qui agit selon le droit, ils ne peuvent le supporter ; ils ne supportent que le violateur des lois. Que chacun de vous, mes frères, considère ce qu’a le chrétien. En qualité d’homme, il ressemble à beaucoup d’autres ; comme chrétien, il se distingue d’un grand nombre, et il est bien plus précieux pour lui d’être chrétien que d’être homme. Parce qu’il est chrétien, l’image de Dieu a été restaurée en lui par celui-là même qui, en le créant, l’avait fait à son image gz ; mais, comme homme, il pourrait être un méchant, un païen, un idolâtre. Tu persécutes dans le chrétien ce qu’il a de meilleur, car lu veux lui ravir le principe de sa vie ; l’esprit de vie, qui anime son corps, le fait vivre pendant le temps ; mais la vie de l’éternité, il l’a puisée dans le baptême, qu’il a reçu de Dieu. Tu veux donc lui ravir ce que Dieu lui a donné, tu veux lui enlever ce qui le fait vivre. Lorsque des voleurs se décident à dépouiller un homme, leur intention est de s’enrichir à ses dépens et de ne rien lui laisser ; pour toi, tu enlèves au chrétien ce qu’il a, sans espérance d’en devenir toi-même plus riche ; car de ce que tu le dépouilles, il n’en résulte rien pour ton avantage : voilà bien ce que font ceux qui ravissent l’âme d’autrui, sans avoir eux-mêmes pour cela deux âmes.

13. Que veux-tu donc enlever ? En quoi te déplaît celui que tu veux rebaptiser ? Tu ne peux lui donner ce qu’il a déjà. Mais tu lui fais renier ce qu’il a. En quoi agissaient plus cruellement les païens persécuteurs de l’Église ? En tirant le glaive contre les martyrs, en lançant sur eux les bêtes, en approchant d’eux les flammes. Pourquoi tout cela ? Pour faire dire au patient : Je tue suis pas chrétien. Le motif qui portait autrefois le persécuteur à employer les flammes, est le même qui te fait employer ta langue. Tes séductions produisent l’effet que n’ont pu produire ses supplices. Mais que donneras-tu et à qui le donneras-tu ? Si le chrétien te dit vrai, si tes artifices ne parviennent pas à l’entraîner et à le rendre menteur, il te dira : J’ai le baptême. Tu lui demanderas : As-tu le baptême ? – Je l’ai, te répondra-t-il. – Mais, diras-tu, je ne le lui donnerai pas tant qu’il répondra : Je l’ai, et ne me le donne pas, car ce que tu veux me donner ne peut demeurer en moi, ce que j’ai reçu ne pouvant m’être enlevé. – Attends, néanmoins, que je voie ce que tu prétends m’enseigner. – Dis d’abord : Je ne l’ai pas. – Mais je l’ai et si je dis : je ne l’ai pas, je suis un menteur, car ce que j’ai, je l’ai. – Tu ne l’as pas, te dis-je. – Montre-moi que je ne l’ai pas. – Un méchant te l’a donné. – Le Christ est donc un méchant. – Je ne dis pas que le Christ soit méchant, mais ce n’est pas le Christ qui te l’a donné. – Qui donc me l’a donné ? réponds-tu : moi, je sais l’avoir reçu du Christ. – Ce n’est pas le Christ qui te l’a donné, mais c’est je ne sais quel traditeur des Écritures. – Je voudrais bien savoir qui a été le ministre ; je voudrais savoir qui a parlé au nom du Juge ; je n’en suis pas sur l’officier, je ne considère que le juge. Peut-être que dans tes reproches contre l’officier, tu es un menteur ; mais je ne veux ni discuter, ni connaître La cause de son officier ; le Seigneur est son juge et le tien ; si j’exigeais de toi des preuves, peut-être ne les donnerais-tu pas. Mais tu es un menteur ; car il a été prouvé que tu ne pouvais rien prouver. Or, ce n’est pas là-dessus que je fonde ma cause, de peur que si j’entreprends avec ardeur la défense d’hommes innocents, tu ne t’imagines que je mets mon espérance dans les hommes, même innocents. Que les hommes soient donc ce qu’ils veulent ; pour moi, ce que j’ai, je l’ai reçu du Christ c’est par le Christ que j’ai été baptisé. – Non pas, c’est tel évêque qui t’a baptisé, et cet évêque communique avec les traditeurs. – C’est par le Christ que j’ai été baptisé, je le sais. – Qui te l’a dit ? – Je l’ai appris de la colombe qu’a vue Jean. Cruel milan, tu ne m’arracheras pas des entrailles de la colombe. Je suis l’un des membres de la colombe, parce que je sais ce que m’a appris la colombe. Tu me dis : C’est un tel ou un tel qui t’a baptisé ; à toi et à moi il est dit par la colombe : « C’est celui-là qui baptise ». À qui dois-je croire ? au milan ou à la colombe ?

14. Réponds-moi donc, afin que tu sois confondu par cette même lampe qui a confondu autrefois les premiers ennemis du Seigneur, les Pharisiens tes pareils. Ils demandaient un jour à Jésus-Christ par quelle puissance il faisait ces choses : « Et moi », leur répondit-il, « je vous interrogerai à mon tour ; dites-moi : le baptême de Jean, d’où est-il, du ciel ou des hommes ? » Et eux qui se préparaient à lui décocher les traits de leurs ruses, se virent embarrassés par cette question ; ils réfléchirent donc : « Si nous répondons », se dirent-ils, « qu’il est du ciel, il nous répliquera : Pourquoi ne l’avez-vous pas cru ? » Car Jean avait dit du Seigneur : « Voici l’Agneau de Dieu, voici Celui qui efface le péché du monde ». Pourquoi donc me demandez-vous par quelle puissance je fais ces choses. O loups, ce que je fais, je le fais par la puissance de l’Agneau ; mais afin de connaître l’Agneau, pourquoi n’avez-vous pas cru à cette parole de Jean : « Voici l’Agneau de Dieu, voici Celui qui efface le péché du monde ? ha » Sachant donc ce que Jean avait enseigné du Seigneur, ils se dirent : « Si nous répondons que le baptême de Jean est du ciel, il nous répliquera : Pourquoi donc ne l’avez-vous pas cru ? Si nous répondons qu’il est des hommes, nous serons lapidés par le peuple ; car il regarde Jean comme un prophète ». D’un côté, ils craignaient les hommes, de l’autre ils avaient honte de dire la vérité. Les ténèbres firent une réponse de ténèbres, mais la lumière les confondit. Que répondirent-ils en effet ? « Nous ne savons pas ». Ils le savaient bien, et néanmoins ils dirent : « Nous ne savons pas ». Et le Seigneur : « Ni moi non plus », leur répondit-il, « je ne vous dis au nom de qui je fais ces choses hb ». Ainsi furent confondus les premiers ennemis du Christ. Par quoi ? Par la lampe. Qui était cette lampe ? C’était Jean. Prouvons-nous qu’il était une lampe ? Nous le prouvons. En effet le Seigneur a dit : « Jean était une lampe ardente et luisantes hc ». Prouvons-nous que c’est par elle que les ennemis du Christ ont été confondus ? Oui, écoutez le Psalmiste : « J’ai préparé une lampe à mon Christ, je couvrirai de confusion ses ennemis hd ».

15. Plongés encore dans les ténèbres de cette vie, nous marchons à la lueur de la lampe de la foi ; tenons aussi en main cette lampe qui est Jean ; avec elle confondons à notre tour les ennemis du Christ. Ou plutôt, que le Christ lui-même confonde ses ennemis par sa lampe. Adressons-leur la même question que le Seigneur adressait aux Juifs ; faisons-leur la même question et disons : Le baptême de Jean, d’où est-il ? Du ciel ou des hommes ? Que diront-ils ? Voyez, si eux aussi ne sont pas, comme autrefois les ennemis du Sauveur, confondus par la lampe ? Que diront-ils ? S’ils disent que ce baptême est des hommes, les leurs eux-mêmes les lapideront ; s’ils disent, du ciel, nous leur répondrons : Pourquoi donc n’y croyez-vous pas ? – Ils répliqueront : Peut-être nous y croyons. – Comment donc dites-vous que vous baptisez, tandis que, d’après le témoignage de Jean, « c’est celui-là qui baptise ? » Mais, selon eux, les ministres d’un si grand Juge doivent être justes, puisqu’ils donnent le baptême. Moi aussi je dis, et tous nous disons que les ministres d’un si grand Juge doivent être justes. Que les ministres soient donc justes, s’ils le veulent ; mais si ceux qui sont assis dans la chaire de Moïse s’y refusent, mon maître me tranquillise ; car l’Esprit a dit, en parlant de lui : « C’est celui-là qui baptise ». Et comment me tranquillise-t-il ? « Les Scribes », a-t-il dit, « et les Pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse ; ce qu’ils disent, faites-le, mais ne faites pas ce qu’ils font, car ils disent et ne font pas  he ». Si le ministre est juste, je le mets avec Paul, je le range avec Pierre ; avec eux je range les ministres ; mais les saints ministres ne cherchent pas leur gloire, ils sont ministres et ils ne veulent point passer pour des juges ; ils verraient avec indignation les hommes mettre en eux leur espérance. Un tel ministre, je le range avec Paul. En effet, que dit Paul : « Pour moi, j’ai planté, Apollo a arrosé, mais Dieu a fait croître. Ni celui qui plante n’est quelque chose, ni celui qui arrose, mais Dieu qui fait croître hf ». Quant au ministre orgueilleux, il a sa place à côté du diable ; mais le don du Christ n’est point pour cela profané. Il coule par le canal de ce ministre, il coule limpide et pur, il arrive à la terre fertile : supposé que le canal est fait de pierre et que l’eau n’y peut produire aucun fruit ; toujours est-il qu’elle passe par ce canal de pierre et qu’elle arrive jusqu’au réservoir. Elle ne produit rien dans le canal, j’en conviens ; mais, parvenue au jardin, elle lui fait produire des fruits abondants. La vertu spirituelle des sacrements est comme la lumière, ceux qu’elle éclaire la reçoivent dans toute sa pureté et, pour passer en des milieux impurs, elle n’est nullement souillée. Que les ministres soient purs, qu’ils ne recherchent point leur propre gloire, mais la gloire de celui dont ils sont les ministres ; qu’ils ne disent pas : mon baptême, parce qu’il n’est pas le leur. Que Jean soit leur modèle. Cet homme était rempli du Saint-Esprit qui avait reçu du ciel, et non des hommes, la mission de baptiser ; mais dans quel but ? Uniquement, comme il l’a dit lui-même pour « préparer la voie au Seigneur hg ». Mais aussitôt que le Seigneur a été connu, lui-même est devenu sa voie, et dès lors le baptême de Jean n’était plus nécessaire pour préparer la voie au Seigneur.

16. Cependant, qu’est-ce que les Donatistes, nous disent d’ordinaire ? Après Jean on a baptisé. En effet, avant que cette question ait été traitée à fond dans l’Église catholique, plusieurs, même de grands et saints personnages, sont tombés à cet égard dans l’erreur ; mais parce qu’ils étaient du nombre des membres de la colombe, ils ne s’en sont pas retranchés et en eux s’est accompli ce qu’a dit l’Apôtre : « Si vous pensez en quelque point autrement qu’il ne faut, Dieu vous le révélera hh ». Aussi, pourquoi ceux qui se sont séparés de l’Église sont-ils devenus indociles ? Qu’ont-ils donc coutume de dire ? Voilà qu’après Jean on a baptisé ; et après les hérétiques on ne baptiserait pas ? Ainsi raisonnent-ils, parce que certaines personnes qui avaient reçu le baptême de Jean ont reçu de Paul l’ordre de se faire baptiser de nouveau hi ; car elles n’avaient pas le baptême du Christ. Pourquoi donc exagérer le mérite de Jean et s’en faire un prétexte de nous reprocher le malheur des hérétiques ? Pour moi, je t’accorde que les hérétiques sont criminels ; mais, bien qu’hérétiques, ils ont donné le baptême du Christ et Jean ne l’a pas donné.

17 Je reviens à Jean, et je dis : « C’est celui-là qui baptise », Jean était meilleur qu’un hérétique, comme aussi il était meilleur qu’un homicide. Devons-nous réitérer le baptême donné par un homme qui vaut moins que Jean, par la raison que les Apôtres ont rebaptisé après le Précurseur ? Supposons qu’un donatiste ait été baptisé par un ivrogne ; je ne parle ici ni d’un homicide, ni du satellite d’un scélérat, ni du ravisseur du bien d’autrui, ni de ceux qui oppriment les orphelins, ni de ceux qui séparent les époux ; non, je ne parle pas de ces sortes de gens ; je parle seulement de ce qui est publiquement connu, de ce qui se voit tous les jours, je me borne à citer le nom que l’on donne à tous, même en cette ville, quand on leur dit : « Enivrons-nous, prenons du bon temps ; dans cette fête des premiers jours de janvier, on ne jeûne pas ». Vous le voyez, je vous parle de choses qui comptent pour rien, parce qu’elles arrivent tous les jours. Eh bien ! qu’une personne soit baptisée par un homme en état d’ivresse, je te demande lequel des deux, de Jean ou de l’ivrogne, est le meilleur ? Réponds, si tu peux, que ton ivrogne est meilleur que Jean ; tu n’oseras jamais. Toi qui es sobre, baptise donc après ton ivrogne. Car si les Apôtres ont baptisé après Jean, à bien plus juste titre l’homme sobre doit-il baptiser après l’ivrogne ? Mais tu diras peut-être : Cet ivrogne est en communion avec moi. Jean, l’ami de l’Époux, n’était donc pas en union avec l’Époux ?

18. Mais n’importe qui que tu sois, je te dis : qui est le meilleur, toi ou Jean ? Tu n’oseras pas dire : Je suis meilleur que Jean. Que tes partisans baptisent donc après toi, s’ils sont meilleurs que toi ; car, puisqu’on a baptisé après Jean, rougis si l’on ne baptise pas après toi. Tu me diras : Mais moi ; j’ai le baptême du Christ et j’enseigne en ce sens. Reconnais donc enfin le Juge, et ne sois pas un crieur orgueilleux. Tu donnes le baptême du Christ, c’est pourquoi on ne baptise pas après toi. On a baptisé après Jean, pourquoi ? Parce qu’au lieu de donner le baptême du Christ, il donnait le sien ; il avait, en effet, reçu le pouvoir de conférer ce baptême en son propre nom. Tu n’es donc pas meilleur que Jean, mais le baptême que tu donnes est meilleur que celui de Jean. Car c’est celui du Christ, tandis que celui de Jean était le sien, Le baptême donné par Paul et le baptême donné par Pierre, était celui du Christ, et si jamais Judas a donné le baptême, ç’a été celui du Christ, Judas a baptisé et l’on n’a point baptisé après lui : Jean a baptisé et l’on a baptisé après Jean ; c’est que si Judas a donné le baptême, ce baptême était celui du Christ, et que le baptême donné par Jean était celui de Jean. Ce n’est pas que nous préférions Judas à Jean, mais nous préférons le baptême du Christ, même donné par les mains de Judas, au baptême de Jean, même donné par les mains de Jean. En effet, il est dit de Notre-Seigneur, qu’avant sa passion il baptisait plus de personnes que Jean, après quoi l’Évangéliste ajoute : « Encore qu’il ne baptisât pas lui-même, mais ses disciples  hj ». Ils prêtaient au Christ leurs services pour baptiser, mais le pouvoir de baptiser demeurait tout entier en lui. Donc ses disciples baptisaient, et Judas se trouvait encore parmi eux. Ceux que Judas a baptisés, ne l’ont pas été une seconde fois, et ceux que Jean a baptisés, l’ont-ils été de nouveau ? Évidemment, oui. Mais on ne leur a pas donné un nouveau baptême ; car ceux que Jean avait baptisés, c’était Jean qui les avait baptisés ; ceux au contraire que Judas a baptisés, ont été baptisés par le Christ. De même en est-il de ceux qu’a baptisés un ivrogne ou un homicide, ou un adultère ; si ce baptême était celui du Christ, ils ont été baptisés par le Christ. Je ne crains ni l’adultère, ni l’ivrogne, ni l’homicide, parce que je fais attention aux paroles de la colombe « C’est celui-là qui baptise ».

19. Au reste, mes frères, c’est une folie de prétendre que, sinon Judas, du moins n’importe quel autre homme, a été plus riche en mérites que celui dont il a été écrit : « Parmi les enfants des hommes, il n’en a paru aucun meilleur que Jean-Baptiste hk ». On ne lui préfère donc aucun serviteur ; mais on préfère le baptême du maître, même donné par un méchant serviteur, au baptême du serviteur, ami du maître. Écoute quels sont ceux que l’apôtre Paul appelle des faux frères : ce sont ceux qui prêchent la parole de Dieu par jalousie. Qu’en dit-il ? « Et je m’en réjouis, et je m’en réjouirai toujours ». En effet, ils annonçaient le Christ par jalousie ; mais enfin c’était le Christ hl qu’ils annonçaient ; ne considérez point le mobile qui dirige le prédicateur, mais le sujet de sa prédication. Est-ce par motif d’envie qu’on t’annonce le Christ ? Porte ton attention sur le Christ et évite l’envie. N’imite pas le mauvais prédicateur, mais suis les traces du bon Sauveur qu’on t’annonce. Ainsi, certaines gens prêchaient le Christ par jalousie. Qu’est-ce que la jalousie ? C’est un mal horrible. C’est lui qui a fait tomber le diable ; cette peste maligne en a fait tomber beaucoup d’autres. Certains hommes qui prêchaient le Christ, en étaient atteints ; cependant l’Apôtre les laissait prêcher. Pourquoi ? Parce qu’ils prêchaient le Christ. Toutefois, la jalousie ne va pas sans la haine ; et de celui qui hait, que dit l’apôtre Jean ? Écoutez, voici ses paroles : « Celui qui hait son frère est homicide hm ». Voilà qu’on a baptisé après Jean ; après un homicide on ne l’a pas fait, parce que Jean a donné son baptême, tandis que l’homicide a donné celui du Christ. Ce sacrement est si saint qu’un ministre homicide ne le souille pas.

20. Je ne rejette pas Jean ; j’aime mieux croire à Jean. Par rapport à quoi croirai-je Jean ? Par rapport à ce que lui a appris la colombe. Qu’a-t-il appris par la colombe ? « C’est celui-là qui baptise dans le Saint-Esprit ». Donc, mes frères, tenez-vous-en là et pénétrez vos cœurs de cette vérité. Car si je voulais aujourd’hui développer entièrement ma pensée et vous dire pourquoi Jean a été ainsi instruit par la colombe, je n’en finirais pas. Que Jean eût appris par la colombe ce qu’il ne savait pas du Christ, bien qu’il connût déjà le Christ, je crois l’avoir expliqué à votre sainteté ; mais cette connaissance, pourquoi a-t-il dû la recevoir par l’intermédiaire de la colombe ? Si je pouvais vous le dire en quelques mots, je vous le dirais ; mais il me faudrait beaucoup de temps pour vous l’expliquer ; je ne veux pas vous être à charge, Vos prières m’ont aidé à accomplir la promesse que je vous ai faite ; aidé encore, et plus efficacement, par vos pieuses dispositions et vos vœux secourables, je vous ferai voir pourquoi Jean n’a pu apprendre que par la colombe ce qu’il a appris du Seigneur, à savoir que « c’est lui qui baptise dans le Saint-Esprit » et qu’il n’a légué à aucun de ses serviteurs le pouvoir de baptiser.

SIXIÈME TRAITÉ.

SUR LE même ENDROIT DE L’Évangile. « POURQUOI DIEU À VOULU MONTRER LE SAINT-ESPRIT VU SOUS LA FORME DE COLOMBE », (Chap 1, 32, 33.)

LA COLOMBE.

Pourquoi l’Esprit-Saint a-t-il été figuré par une colombe au baptême de Jésus-Christ ? Comme le corbeau est l’image de l’orgueil, de la cruauté et de la discorde, ainsi la colombe est l’emblème de l’humilité, de la simplicité, de la douceur et de la paix : et est le signe de l’unité en Dieu, dans le baptême, dans l’Église, et, par conséquent de l’union des cœurs dans la charité. Hors de là point de salut : le baptême est inutile et même nuisible : témoin celui de Simon le Magicien La colombe rapportant un rameau d’olivier dans l’arche est la preuve de ce que nous disons : d’ailleurs la foi sans les œuvres est stérile, et les œuvres sans la charité ne servent de rien pour le ciel ; sur quoi alors les Donatiens peuvent-ils s’appuyer et se tranquilliser ?

1. J’en fais l’aveu à votre sainteté : la rigueur du temps m’avait donné lieu de craindre que votre zèle se refroidît et que vous ne vous réunissiez pas ici ; mais, je le vois, et votre affluence en est la preuve, la solennité que nous célébrons a trouvé en vous des cœurs chauds : d’où je conclus que vous avez prié pour moi, afin de m’aider à vous payer ma dette. En effet, la brièveté du temps m’empêchant de vous dire avec les développements convenables pourquoi Dieu a voulu montrer le Saint-Esprit sous la forme de colombe, je vous ai promis de traiter aujourd’hui cette question au nom du Christ ; le moment est donc venu de l’expliquer, et je sens que le désir de m’entendre, ainsi que votre pieuse dévotion, vous ont rassemblés en plus grand nombre. Que Dieu tire de ma bouche de quoi remplir votre attente. C’est par affection à coup sûr que vous êtes venus, mais cette affection, quel en est l’objet ? Si c’est nous, il n’y a rien en cela que de bien ; car nous voulons être aimés de vous, mais nous ne voulons pas l’être en nous. Comme Dieu, nous vous aimons en Jésus-Christ, à votre tour aimez-nous en lui et que notre affection mutuelle nous porte à élever vers Dieu les gémissements de notre âme ; car gémir c’est le propre de la colombe.

2. Le propre de la colombe est de gémir, nous le savons tous, et c’est l’amour qui la fait gémir aussi, prête l’oreille à ce que dit l’Apôtre, et ne sois plus étonné que le Saint-Esprit ait voulu se montrer sous la forme d’une colombe : « Ce que nous devons demander comme il faut », dit-il, « nous l’ignorons ; mais le Saint-Esprit interpelle lui-même pour nous par des gémissements ineffables hn ». Quoi donc, mes frères ! dirons-nous que l’Esprit-Saint gémit dans cette éternelle et parfaite béatitude où il est avec le Père et le Fils ? Car l’Esprit-Saint est Dieu, comme le Fils de Dieu est Dieu ; comme le Père est Dieu. J’ai dit trois fois Dieu, mais je n’ai pas dit trois dieux, parce que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un seul Dieu : vous le savez parfaitement. Donc, ce n’est pas en soi-même, ni sans sortir de soi-même, dans la Trinité, dans la béatitude, dans l’éternité de substance que gémit l’Esprit Saint ; c’est en nous, parce qu’il nous fait gémir. Et ce n’est pas peu de chose que l’Esprit-Saint nous apprenne à gémir. En effet, il nous apprend que nous sommes pèlerins, il nous apprend à soupirer vers la patrie, et ces soupirs eux-mêmes sont nos gémissements. Celui à qui tout sourit en ce monde, disons mieux, celui qui pense que tout va bien pour lui, qui tressaille de la joie des choses charnelles, de l’abondance des biens temporels et de la vaine félicité du siècle, celui-là a la voix du corbeau ; car la voix du corbeau est stridente : il ne gémit pas. Celui au contraire qui se sait sous le pressoir de cette mortalité et qui reconnaît en lui-même un pèlerin éloigné du Seigneur ho celui qui sait ne pas être encore en possession de cette béatitude éternelle qui nous est promise, mais la possède en espérance puisqu’il y entrera seulement, lorsque le Seigneur viendra, manifesté dans la gloire, après être d’abord venu sous le voile de l’humilité ; celui-là gémit, et aussi longtemps qu’il gémit pour ce motif il gémit bien, l’Esprit-Saint lui a enseigné à gémir, la colombe lui a appris à le faire. Car plusieurs gémissent plongés dans les malheurs de cette vie, brisés par les pertes, accablés par les maladies, enfermés dans les prisons, retenus par des chaînes, battus sur les flots par la tempête, ou embarrassés dans les pièges que leur tendent leurs ennemis ; ils gémissent donc, mais ils ne gémissent pas du gémissement de la colombe et par l’amour de Dieu, en esprit. Aussi, lorsque de tels gens se voient sortis de l’épreuve, ils poussent de grands cris de joie, d’où il paraît bien qu’ils étaient des corbeaux, et non des colombes. Aussi, lorsque le corbeau fut mis hors de l’arche, il ne revint pas ; la colombe au contraire y revint. Noé envoya hors de l’arche ces deux sortes d’oiseaux hp. Il avait sous la main un corbeau, il avait aussi une colombe ; car l’arche renfermait ces deux espèces d’animaux : et s’il est vrai que l’arche figurait l’Église, vous le voyez facilement, c’est nécessaire que dans le déluge du siècle l’Église renferme tout à fois le corbeau et la colombe. Qui sont les corbeaux ? Ceux qui cherchent leurs intérêts. Qui sont les colombes ? Ceux qui recherchent les intérêts du Christ hq.

3. C’est pourquoi, lorsque Dieu a envoyé l’Esprit-Saint, il l’a montré visiblement en deux manières, par la colombe et par le feu. Par la colombe, sur le Seigneur après son baptême ; par le feu, sur les Apôtres réunis. En effet, lorsque le Seigneur eut passé quarante jours avec ses disciples et qu’il fut remonté au ciel après sa résurrection, il leur envoya, le jour de la Pentecôte, l’Esprit-Saint qu’il leur avait promis. Venant alors, l’Esprit remplit le lieu où ils étaient ; d’abord un grand bruit, pareil au bruit d’un vent violent, se fit entendre du ciel, ainsi que nous lisons dans les Actes des Apôtres ; et « il parut des langues comme de feu qui se divisèrent et reposèrent sur chacun d’eux, et ils se mirent à s’exprimer en diverses langues selon que « l’Esprit leur donnait de parler hr ». D’un côté, nous avons vu la colombe descendre sur le Seigneur, de l’autre les langues de feu se partager sur les Apôtres réunis ; d’un côté la simplicité, de l’autre la ferveur. Car il y en a qui passent pour simples et qui sont paresseux ; on appelle simples des personnes qui en réalité sont nonchalantes. Tel n’était pas Étienne, cet homme rempli du Saint-Esprit. Il était simple, parce qu’il ne nuisait à personne ; il était fervent, parce qu’il gourmandait les impies. En effet, il ne garda pas le silence devant les Juifs. De lui sont ces paroles de feu : « Cœurs et oreilles incirconcis, vous avez toujours résisté au Saint-Esprit ». Paroles grandement impétueuses ; toutefois, même en sévissant, la colombe n’y met pas de fiel. Voici la preuve qu’elle n’y mettait pas de fiel. Les Juifs, qui étaient des corbeaux, ayant entendu ces paroles, coururent aussitôt aux pierres pour écraser la colombe ; Étienne commence à être lapidé ; tout à l’heure, sous l’émotion et la ferveur de son esprit, il avait fait sur eux comme sur des ennemis cette sortie impétueuse ; sa violence apparente s’était emportée en ces paroles de flamme et de feu que vous avez entendues : « Têtes dures, « cœurs et oreilles incirconcis ». C’était au point que celui qui les aurait entendues se serait imaginé que si Étienne l’avait pu il les aurait fait passer par le feu ; néanmoins, lorsque les pierres lancées par eux vinrent le frapper, il se mit à genoux et s’écria : « Seigneur, ne leur imputez point ce péché hs ». Il s’était étroitement attaché à l’unité de la colombe. Ainsi avait agi le premier le maître sur lequel est descendue la colombe. Cloué à la croix, il dit : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font ht ». La colombe signifie que les fidèles sanctifiés par l’Esprit ne doivent pas user de ruse, et le feu, que leur simplicité ne doit pas être de glace. Or, ne sois pas effrayé de la division des langues. Les langues sont à une certaine distance les unes des autres ; c’est pourquoi l’Esprit-Saint est apparu sous forme de langues divisées : « Des langues comme de feu se divisèrent et se reposèrent sur chacun d’eux ». Les langues sont distantes les unes des autres ; mais cette distance des langues les unes par rapport aux autres, n’est pas le schisme. Dans la division des langues ne redoute pas de rencontrer la désunion, sache que dans la colombe se trouve l’unité.

4. Ainsi donc, ainsi fallait-il que se montrât l’Esprit-Saint en venant sur le Seigneur ; car par là chacun doit comprendre que s’il a reçu l’Esprit-Saint il doit être simple comme la colombe, avoir avec ses frères cette paix désirable dont le baiser des colombes est le symbole. Les corbeaux donnent aussi leur baiser, mais en eux se trouve une fausse paix ; dans les colombes est la véritable. Il ne faut donc pas écouter comme des colombes tous ceux qui disent Que la paix soit avec vous. Comment alors distinguer les baisers des corbeaux d’avec les baisers des colombes ? Les corbeaux donnent leur baiser et déchirent en même temps ; par nature, les colombes sont innocentes de pareils procédés ; où il y a déchirements, les baisers ne sont pas le signe d’une paix véritable ; ceux-là ont la véritable paix qui n’ont pas déchiré l’Église. Les corbeaux se repaissent de chairs mortes, ce que ne fait pas la colombe ; elle se nourrit des fruits de la terre, sa nourriture est innocente, ce qui est, mes frères, véritablement à admirer dans la colombe. Il est des oiseaux très-petits qui se nourrissent néanmoins de mouches ; rien de pareil chez la colombe, car elle ne se nourrit pas de chairs mortes. Ceux qui ont déchiré l’Église cherchent à se nourrir avec des morts. Dieu est puissant, prions-le que ceux-là revivent qui sont dévorés par eux et ne le sentent pas. Plusieurs le reconnaissent parce qu’ils revivent, et tous les jours nous nous félicitons en Jésus-Christ de leur retour. Pour vous, soyez simples de manière à être aussi fervents, et que votre ferveur se montre dans vos paroles : ne gardez pas le silence, parlez avec feu, embrasez ceux qui sont froids.

5. Qu’ajouter, mes frères ? Qui ne voit ce que les Donatistes refusent de voir ? En cela rien d’étonnant. En effet, ceux qui ne veulent pas revenir sont comme le corbeau envoyé hors de l’arche. Qui ne voit ce qu’ils refusent de voir ? Mais ils sont ingrats envers le Saint-Esprit. La colombe est descendue sur le Seigneur, et sur le Seigneur baptisé ; elle est aussi apparue au même endroit, cette sainte et véritable Trinité qui pour nous est un seul Dieu. Car le Seigneur sortit de l’eau, ainsi que nous le dit l’Évangile, « voilà que les cieux furent ouverts, et il vit le Saint-Esprit descendre et demeurer sur lui en forme de colombe, et aussitôt cette voix se fit entendre : Vous êtes mon Fils bien-aimé, en qui je me suis complu hu ». Là paraît manifestement la sainte Trinité, le Père dans la voix, le Fils dans l’homme, l’Esprit dans la colombe. Dans cette Trinité au nom de laquelle les Apôtres ont été envoyés, apercevons ce qu’il est surprenant que les Donatistes n’y aperçoivent pas. Car il est sûr qu’ils ne l’y voient pas et qu’ils ferment leurs yeux à ce qui leur frappe le visage. Où donc les Apôtres ont-ils été envoyés, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, par Celui de qui il a été dit : « C’est Celui-là qui baptise ? » Celui qui se réservait le pouvoir de baptiser le leur a dit.

6. Voilà ce que Jean a vu en lui, voilà ce qu’il ne connaissait pas et ce qu’il a appris à connaître. Certes, il le connaissait comme Fils de Dieu, comme Seigneur et comme Christ. Il n’ignorait même pas qu’il dût baptiser dans l’eau et le Saint-Esprit ; il le savait. Mais qu’il dût se réserver le pouvoir du baptême et ne le transmettre à aucun de ses ministres, voilà ce qu’il a appris par la colombe. En effet, ce pouvoir que le Christ a gardé pour lui seul et qu’il n’a transmis à aucun de ses ministres, bien qu’il ait daigné baptiser par leur ministère, ce pouvoir maintient l’unité de l’Église. Cette unité est symbolisée par la colombe dont il est dit : « Une est ma colombe, elle est une pour sa mère. hv » Comme je l’ai déjà dit, en effet, mes frères, si le Seigneur avait transmis à ses ministres le pouvoir de baptiser, autant il y aurait de ministres, autant il y aurait de baptêmes, et l’unité du baptême serait détruite.

7. Faites-y attention, mes frères : avant que Notre-Seigneur Jésus-Christ vînt pour être baptisé (car c’est après son baptême que la colombe est descendue et a appris à Jean une particularité, quand il lui fut dit : « Celui sur qui tu verras le Saint-Esprit descendre et demeurer en forme de colombe ; c’est Celui-là qui baptise dans le Saint-Esprit) » ; avant ce moment, Jean savait que Jésus-Christ baptisait dans le Saint-Esprit. Mais que le pouvoir de baptiser il ne dût le donner à personne, bien qu’il dût en confier à d’autres le ministère, voilà ce qu’il a appris alors. Comment prouver que Jean savait déjà que le Seigneur baptiserait dans le Saint-Esprit ? Comment le prouver de manière à faire bien comprendre que, d’après l’enseignement de la colombe, le Précurseur a su que le Sauveur baptiserait dans le Saint-Esprit, sans toutefois abandonner à personne ce pouvoir ? Encore une fois, comment le prouver ? Le voici. Le Sauveur était déjà baptisé quand la colombe est descendue sur lui ; mais avant qu’il vînt pour recevoir le baptême de Jean dans le Jourdain, nous l’avons dit, le Précurseur le connaissait comme il le marque par ces paroles : « Vous venez à moi pour être baptisé, c’est moi qui dois être baptisé par vous ». Voici donc qu’il connaissait le Seigneur, il connaissait le Fils de Dieu. Comment prouvons-nous qu’il le connaissait comme devant baptiser dans le Saint-Esprit ? Avant que Jésus-Christ vînt au fleuve, plusieurs accouraient auprès de Jean pour être baptisés et il leur dit : « Pour moi je vous baptise dans l’eau ; mais Celui qui vient après moi est plus grand que moi, je ne suis pas digne de délier les cordons de ses souliers ; c’est Lui qui vous baptisera dans le Saint-Esprit et le feu hw ». Il savait donc déjà cela : par conséquent, qu’est-ce que la colombe lui a fait connaître, afin que plus tard nous ne le reconnaissions pas comme un menteur (ce que Dieu nous garde de penser) ? C’est évidemment cette particularité, savoir, que la sainteté du baptême serait attribuée à Jésus-Christ seul, quoique beaucoup de ministres justes ou injustes dussent le conférer. En effet, au moment où la colombe descendait sur lui, on entendit une voix qui disait : « C’est Celui-là qui baptise « dans le Saint-Esprit ». Que Pierre baptise, c’est Celui-là qui baptise ; que Paul baptise, c’est Celui-là qui baptise ; que Judas baptise, c’est Celui-là qui baptise.

8. Car si la sainteté du baptême est en proportion des mérites de ceux qui le confèrent, il ! aura autant de baptêmes que de sortes de mérites, et chacun croira en avoir reçu un meilleur, d’autant meilleur, que le ministre en paraîtra plus méritant. Les saints eux-mêmes, comprenez bien ceci, mes frères, les gens de bien appartiennent à la colombe, les citoyens de la sainte Jérusalem, les gens de bien qui font partie de l’Église, ceux dont l’Apôtre dit : « Le Seigneur connaîtra ceux qui sont à lui hx », ont reçu des grâces différentes, tous n’ont pas les mêmes mérites ; il en est qui sont plus saints et meilleurs que d’autres. Comment dons, par exemple, si l’un est baptisé Par un ministre juste et saint, l’autre par un ministre inférieur en mérites auprès de Dieu, inférieur en élévation, en continence, en sainteté de vie, comment tous deux cependant reçoivent-ils une même et pareille grâce, une grâce égale en l’un et en l’autre, sinon parce que « c’est Celui-là qui baptise ? » Comment donc, selon que le ministre du baptême est bon ou meilleur, l’un ne reçoit-il pas une chose bonne et l’autre une chose meilleure ? Et quoique de deux ministres l’un est bon et l’autre meilleur, comment se fait-il qu’on reçoive un baptême unique et égal qui ne soit ni meilleur venant de l’un, ni de moindre valeur venant de l’autre ? De même en est-il lorsque le baptême est donné par un méchant, que l’Église ne connaît point comme tel, ou qu’elle tolère ; car on n’y connaît pas les méchants, ou bien on les y tolère : c’est de la paille ; on la tolère donc jusqu’au moment où enfin l’aire sera purgée. Ce que donne un pareil homme est de même nature : il n’est pas de moindre valeur en raison des moindres mérites du ministre ; c’est partout et toujours un baptême égal et pareil ; car : « c’est Celui-là qui baptise ? ».

9. Voyons donc, mes bien-aimés, ce que ne veulent pas voir les Donatistes ; (non pas ce qu’ils ne pourraient voir, mais ce qu’ils auraient mal de voir), comme si c’était impénétrable pour eux. Où les disciples ont-ils été envoyés pour baptiser comme ministres au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ? Où les a-t-on envoyés ? « Allez », leur dit Jésus-Christ, « baptisez les nations ». Vous savez, mes frères, comment est venu cet héritage : « Demande-moi, et je te donnerai les nations pour héritage, et pour possession toute l’étendue de la terre hy ». Vous savez comment la loi est sortie de Sion et la parole du Seigneur de Jérusalem hz ». Nous sommes devenus attentifs lorsque nous avons entendu ces paroles : « Allez baptiser les nations au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ia. C’est à Jérusalem, en effet, que les Apôtres ont entendu ces paroles : « Allez baptiser les nations au nom « du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ib ». C’est un seul Dieu ; il n’est pas dit : Aux noms du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ; mais : « Au nom du Père et du Fils et du « Saint-Esprit ». Dès lors qu’il n’y a qu’un seul nom, il n’y a qu’un seul Dieu. Ainsi l’Apôtre Paul explique-t-il le passage où il est parlé de la race d’Abraham : « En ta descendance seront bénies toutes les nations ; Dieu ne lui dit pas : En tes descendances, comme s’il « s’agissait de plusieurs ; mais, voulant parler d’un seul : En ta descendance, qui est le Christ ic ». Comme donc il n’est pas dit en cet endroit : En vos descendances, et qu’en conséquence l’Apôtre a voulu t’apprendre qu’il n’y a qu’un seul Christ ; de même, lorsqu’il est dit ici : « au nom », non pas, aux noms, absolument dans le même sens qu’il a été dit ailleurs : « en la descendance », et non, en tes descendances, c’est la preuve qu’il n’y a qu’un seul Dieu, Père, Fils et Saint Esprit.

10. Mais, disent les disciples au Seigneur, voici que nous savons au nom de qui nous devons baptiser, vous nous avez faits vos ministres et vous nous avez dit : « Allez baptiser au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ». Mais où irons-nous ? Où ? Vous ne l’avez pas entendu ? Dans mon héritage. Vous me demandez : Où irons-nous ? Dans la propriété que j’ai achetée de mon sang. Où donc ? Dans les nations. Je pensais qu’il aurait dit Allez, baptisez les Africains au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Grâces à Dieu, le Sauveur a tranché la question, la colombe a fait entendre ses enseignements ; grâces à Dieu, les Apôtres ont été envoyés vers les nations ; c’est vers les nations, c’est vers toutes les langues. Ainsi l’a marqué le Saint-Esprit en se montrant sous l’apparence de plusieurs langues et d’une seule colombe. D’un côté, les langues signifient la division ; de l’autre, la colombe indique l’union. Les langues des nations se sont mises d’accord ensemble seule la langue des Africains serait en discordance avec les autres ? Y a-t-il rien de plus évident, mes frères ? Dans la colombe l’unité, dans les différentes langues des nations l’accord. Car l’orgueil a mis le désaccord dans les langues, et d’une seule en a fait plusieurs. En effet, après le déluge l’orgueil porta les hommes à se fortifier en quelque sorte contre Dieu ; et comme s’il y avait un lieu où il ne pût atteindre, comme si l’orgueil pouvait trouver un abri contre lui, ils élevèrent une tour, pour ainsi dire avec l’intention d’échapper au déluge s’il venait à recommencer. Ils avaient entendu dire, et ils s’en souvenaient, que toute iniquité avait été détruite par le déluge ; ne voulant pas s’abstenir de l’iniquité, ils cherchaient dans la hauteur d’une tour un abri contre le déluge. C’est pourquoi ils construisirent une tour élevée. Dieu vit leur orgueil et leur envoya un esprit d’erreur, afin qu’ils ne s’entendissent plus ; c’est ainsi que l’orgueil devint la cause de la division des langues id. Si l’orgueil a été le principe de la division des langues, l’humilité du Christ les a réunies. Ce que cette tour avait dispersé, l’Église le recueille. D’une langue il s’en est fait plusieurs : ne t’en étonne pas : c’est le résultat de l’orgueil. De plusieurs langues il s’en est fait une seule : n’en sois pas surpris, c’est le fruit de la charité. Car, bien que dans les diverses langues on ne s’exprime pas de la même manière, le même Dieu est invoqué au fond du cœur, la même paix est gardée par tous. Mes bien-aimés, le Saint-Esprit pouvait-il mieux se manifester comme signe d’unité que sous la forme d’une colombe, afin que l’on pût dire de l’Église établie dans la paix : « Une est ma colombe ? » L’humilité pouvait-elle être symbolisée plus parfaitement que par un oiseau simple et gémissant ? Un oiseau aussi orgueilleux, aussi fat de lui-même que le corbeau, était incapable de nous en donner l’idée.

11. Peut-être diront-ils : Il y a une colombe, elle est unique ; donc en dehors de cette unique colombe il ne peut y avoir de baptême. Si c’est chez toi que se trouve la colombe, ou si tu es toi-même cette colombe, quand je viens à toi, donne-moi donc ce que je n’ai pas. Vous le savez, mes frères, voila leur langage ; vous y reconnaîtrez bientôt le cri du corbeau, et non la voix de la colombe. Que votre charité y soit un peu attentive. Prenez garde, ils sont rusés, défiez-vous ; recevez les paroles de ces contradicteurs pour les rejeter aussitôt, et non pour leur dominer accès en vos âmes et les laisser passer jusqu’à votre cœur. Imitez Notre-Seigneur, quand ses bourreaux lui offrirent un breuvage amer, « il le goûta et refusa d’en boire ie ». Ainsi doit-il en être de vous écoutez leurs paroles et rejetez-les aussitôt. En effet, que disent-ils ? Ainsi donc, ô Église catholique, c’est toi qui es la colombe, c’est à toi qu’il a été dit : « Une est ma colombe, elle est une pour sa mère ». Oui, c’est à toi que ces paroles s’adressent.— Attends, ne m’interroge pas. Commence par prouver que c’est à moi que s’appliquent ces paroles. Si c’est à moi qu’elles s’appliquent, je veux le savoir tout de suite. – Oui, c’est à toi. – Je réponds C’est à moi. Cette réponse que ma bouche seule a prononcée est aussi, je n’en doute pas, sortie de vos cœurs, et tous ensemble nous avons dit : Ces paroles s’appliquent à l’Église catholique : « Une est ma colombe, elle est une pour sa mère ». Ils ajoutent : Hors de la colombe, il n’y a pas de baptême ; pour moi, j’ai été baptisé hors de la colombe, donc je n’ai pas le baptême : si je n’ai pas le baptême, pourquoi ne me le donnes-tu pas quand je viens à toi ?

12. À mon tour je les interroge, En attendant, ne nous inquiétons pas de savoir à qui il a été dit : « Une est ma colombe, elle est une pour sa mère ». Car il s’agit de savoir si c’est à moi ou à toi que s’applique ce passage mais laissons pour le moment cette question de côté. Je demande donc ceci : La colombe est-elle simple, innocente, sans fiel, pacifique dans ses baisers ? Ses ongles font-ils jamais des blessures ? Les avares, les hommes de rapine, les trompeurs, les ivrognes, les libertins appartiennent-ils à son corps, sont-ils du nombre de ses membres ? Évidemment non. En effet, mes frères, qui oserait le soutenir ? Je veux me borner ; je ne parle que des ravisseurs du bien d’autrui, Ils peuvent bien être membres d’un oiseau de proie ; mais de la colombe, jamais. Les milans, les éperviers, les corbeaux vivent de rapines. Les colombes ne ravissent rien et ne déchirent pas : les hommes de rapines ne sont donc pas membres de la colombe. Donatistes, n’y a-t-il jamais eu parmi vous, ne fût-ce qu’un seul ravisseur du bien d’autrui ? Comment et, pourquoi le baptême donné par l’épervier, et non par la colombe, ne doit-il pas être remplacé par un autre ? Pourquoi chez vous ne baptise-t-on pas après les ravisseurs du bien d’autrui, après les adultères, les ivrognes, les avares qui comptent dans vos rangs ? Tous ceux-là sont-ils membres de la colombe ? Vous déshonorez votre colombe, au point de lui donner des membres de vautour. Eh quoi ! mes frères, que disons-nous ? Dans l’Église catholique il y a des bons et des méchants ; parmi eux, il n’y a que des méchants. Peut-être est-ce par animosité que j’en parle ? nous en donnerons plus tard la preuve. eux-mêmes en conviennent, il y a parmi eux des bons et des méchants ; car s’ils disent que parmi eux il n’y a que des bons, que leurs partisans les croient sur parole, et j’y souscris. Qu’ils disent : Il n’y a dans nos rangs que des hommes saints, justes, chastes, sobres il n’y a ni adultères, ni usuriers, ni trompeurs, ni parjures, ni ivrognes, qu’ils le disent leurs paroles ne sont rien pour moi : il me suffit de mettre la main sur leurs cœurs. Vous aussi vous les connaissez ; leurs partisans les connaissent ; et vous membres de l’Église catholique, votre conduite n’est un mystère ni pour vous, ni pour eux : ne leur adressons aucun reproche : qu’ils n’examinent même pas leur conscience. Nous l’avouons, il y a dans l’Église des bons et des méchants, mais comme dans une aire il y a du grain et de la paille. Quelquefois celui qui est baptisé par le grain n’est que de la paille, et celui qui est baptisé paria paille est du grain, Autrement, si le baptême était bon par cela même qu’il viendrait du grain, ou mauvais parce qu’il viendrait de la paille, il serait faux de dire : « C’est Celui-là qui baptise ». Si au contraire il est vrai de dire : « C’est Celui-là qui baptise », le baptême est bon, même quand il vient de la paille ; le méchant baptise tout aussi bien que la colombe, non pas que le méchant soit la colombe, ou qu’il soit tin de ses membres ; on ne peut le dire, non plus, ni parmi les catholiques, ni parmi les Donatistes, si tant est qu’ils prétendent que leur Église est la colombe. Qu’entendons-nous par là, mes frères ? C’est chose manifeste et connue de tous, et quand même ils n’en voudraient pas convenir, la preuve en est là : quand, chez eux, des méchants confèrent le baptême, on ne le réitère pas ; et lorsque parmi nous des méchants baptisent, on ne rebaptise pas non plus après eux. La colombe ne baptise pas après les corbeaux, pourquoi le corbeau pré. tendrait-il baptiser après la colombe ?

13. Que votre charité soit attentive. Au baptême de Notre-Seigneur, une colombe, c’est-à-dire le Saint-Esprit en forme de colombe, descendit et demeura sur le Christ ; en conséquence la colombe a révélé à Jean qu’un certain pouvoir réservé relativement au baptême se trouvait en Notre-Seigneur. Mais pourquoi une colombe ? et que pouvait-elle signifier ? C’est que, selon que je l’ai déjà dit, par ce pouvoir réservé se trouvait assurée la paix de l’Église. Il peut donc se faire que quelqu’un reçoive le baptême en dehors de la colombe ; mais qu’alors ce baptême lui serve, c’est impossible. Que votre charité soit attentive et comprenne bien ce que je dis ; car par le moyen de cette ruse nos adversaires trompent souvent ceux de nos frères qui sont indolents et tièdes. Soyons plus simples et plus fervents. Ai-je, disent-ils, reçu le baptême ou ne l’ai-je pas reçu ? Je réponds : Tu l’as reçu. Si je l’ai reçu, il n’y a aucun motif de me le donner ; j’ai lieu d’être tranquille, tu en conviens toi-même ; pour ma part, j’affirme avoir reçu le baptême, et toi, tu le reconnais formellement. Notre mutuel accord fait ma sécurité. Alors, que me promets-tu ? Pourquoi veux-tu me faire catholique, quand tu n’as rien de plus à me donner, quand d’après ton aveu j’ai déjà reçu ce que tu prétends avoir ? Pour moi, quand je dis : Viens à moi, je soutiens que tu n’as pas ce que tu avoues lire en ma possession ; pourquoi donc me dis-tu : Viens à moi ?

14. La colombe nous le fait savoir. Car, de dessus la tête du Seigneur où elle se trouve placée, elle répond en disant : Tu as le baptême, mais la charité qui me fait gémir, tu ne l’as pas. Qu’est-ce que cela veut dire, répond le donatiste ? J’ai le baptême et je n’ai pas la charité ? Ne te récrie pas ; montre-moi comment peut avoir la charité celui qui divise l’unité. Moi, j’ai le baptême. Oui, sans doute ; mais ce baptême sans la charité ne te sert de rien, parce que sans la charité tu n’es rien. Non pas que, même dans celui qui, n’est rien ; le baptême soit rien ; car ce baptême est quelque chose, et même quelque chose de grand, à cause de celui dont il a été dit : « C’est celui-là qui baptise ». Mais ne vas pas supposer que cette chose si grande puisse avoir quelque utilité pour toi, si tu n’es pas dans l’unité ; car la colombe est descendue sur Jésus-Christ baptisé, comme pour dire : Si tu as le baptême, sois dans la colombe, de peur que ce que tu as ne te serve de rien. Viens donc, leur disons-nous, viens à la colombe, non pour commencer à avoir ce que tu n’avais pas, mais afin que ce que tu avais commence à te servir, car ayant le baptême en dehors de la colombe, tu l’avais pour ta perte ; quand tu l’auras au dedans d’elle, il commencera à te servir pour ton salut.

15. Non-seulement le baptême ne te servait de rien, il était même nuisible pour loi. Car les choses saintes elles-mêmes peuvent nuire. Chez les bons elles contribuent à leur salut ; chez les mauvais, elles sont le principe de leur jugement. Il est sûr, mes frères, que nous savons ce que nous recevons ; et certainement ce que nous recevons est saint ; et personne ne prétend que cet aliment ne l’est pas. Que dit l’Apôtre ? : « Celui qui mange et boit indignement, mange et boit son jugement if ». Il ne dit pas que ce soit une chose mauvaise ; mais il soutient que le méchant, en la recevant mal, reçoit pour son jugement la bonne chose qu’il reçoit. Cette bouchée donnée à Judas par le Seigneur ig était-elle mauvaise ? À Dieu ne plaise. Le médecin n’aurait pas donné le poison, le médecin a donné le salut ; mais en le recevant indignement, Judas l’a reçu pour sa perte parce qu’il ne l’a pas reçu dans la paix. Ainsi en est-il de celui qu’on baptise. J’ai, dis-tu, le baptême. Tu l’as, je l’avoue, fais bien attention à ce que tu as. De cela même résultera ta condamnation. Pourquoi ? Parce que tu as le bien de la colombe en dehors de la colombe. Si tu l’avais dans la colombe, par cela même que tu l’aurais, tu serais en sûreté. Suppose que tu es soldat : tu portes la marque de ton chef ; tu pourras combattre en toute sûreté mais si tu la portes en dehors, non seulement elle ne te servira de rien pour le combat, mais elle te fera punir comme déserteur. Viens donc, viens et ne dis pas : j’ai le baptême et il me suffit ; viens, la colombe t’appelle, elle t’appelle par ses gémissements. Mes frères, je vous le dis, appelez-les par vos gémissements, non par des querelles ; appelez-les par vos prières, par vos invitations, par vos jeûnes ; qu’ils comprennent que c’est votre charité pour eux qui vous fait trouver la séparation douloureuse. Je n’en doute pas, mes frères, s’ils voient votre douleur, elle les couvrira de confusion et les ramènera à la vie. Viens donc, viens, ne crains pas de venir ; crains plutôt si tu ne viens pas, je dirai même : en ce’ cas, ne crains pas, mais verse des larmes. Viens, si tu m’écoutes tu ressentiras une grande joie ; à la vérité tu ne laisseras pas de gémir au milieu des tribulations de ce pèlerinage ; mais l’espérance te remplira de joie. Viens où est la colombe, à laquelle il a été dit : « Une est ma colombe, elle est une pour sa mère ». Tu aperçois une seule colombe sur la tête du Christ ; mais ne vois-tu pas que les langues sont répandues par tout l’univers ? Le même Esprit qui s’est manifesté par la colombe, s’est aussi manifesté par les langues. Si l’Esprit qui s’est montré dans la colombe est celui-là même qui s’est montré dans les langues, le Saint-Esprit a été donné à l’univers. Tu t’en es séparé pour crier avec le corbeau, au lieu de gémir avec la colombe. Viens donc.

16. Mais peut-être es-tu dans l’inquiétude et dis-tu : Baptisé en dehors de la colombe, je crains que le baptême que j’ai ainsi reçu me rende coupable. Tu as déjà commencé à apprendre de quoi il faut gémir. Tu dis vrai : en effet, tu es coupable, non pas d’avoir reçu le baptême, mais de l’avoir reçu en dehors de la colombe ; garde donc ce que tu as reçu, et répare la faute de l’avoir reçu en dehors. Tu as reçu le bien de la colombe en dehors de la colombe ; voilà deux choses : tu as reçu, et tu as reçu en dehors de la colombe. Que tu aies reçu, je n’y vois que du bien ; que tu aies reçu en dehors de la colombe, je te blâme. Garde donc ce que tu as reçu, on n’y changera rien, on le reconnaîtra : c’est la marque de mon roi ; je ne la profanerai pas, je changerai le déserteur, sans changer la marque.

17. Ne te glorifie pas de ton baptême, parce que je dis que c’est un vrai baptême. Oui, je le dis, c’est mm vrai baptême. L’Église catholique le dit comme moi : C’est un vrai baptême. La colombe le considère, elle le reconnaît ; elle gémit parce que tu l’as en dehors d’elle ; elle y voit quelque chose à avouer, quelque chose à corriger. C’est bien le baptême, Viens. Tu te glorifies de ce qu’il est un vrai baptême, et tu refuses devenir ? Qu’en est-il des méchants qui n’appartiennent pas à la colombe ? La colombe te dit : Les méchants parmi lesquels je gémis, et qui ne sont pas du nombre de mes membres, et parmi lesquels il est nécessaire que je gémisse, n’ont-ils pas ce que tu te glorifies d’avoir ? Plusieurs ivrognes n’ont-ils pas le baptême ? Le baptême n’a-t-il pas été reçu par nombre de gens avares, par beaucoup de gens idolâtres et, ce qui est pire, qui le sont eu secret ? Les païens ne vont-ils pas ou n’allaient-ils pas publiquement adorer les idoles ? Maintenant les chrétiens vont secrètement à là recherche des sorciers, ils consultent secrètement les devins. Et pourtant, tous ces gens-là ont reçu le baptême, mais la colombe gémit de se trouver au milieu de ces corbeaux. Pourquoi donc te réjouir de ce que tu as ? Ce que tu as, le méchant l’a aussi. Aie l’humilité, la charité, la paix ; reçois le bien qui te manque, afin que celui que tu possèdes te serve à quelque chose.

18. Car ce que tu as, Simon le magicien l’a eu aussi. Témoin le livre des Actes des Apôtres, ce livre canonique qui doit se lire chaque année dans l’Église. Dans les solennités qu’elle célèbre annuellement, après avoir fait mémoire de la passion du Seigneur, vous savez qu’elle fait la lecture de ce livre : on y trouve le récit de la conversion de l’Apôtre, qui de persécuteur est devenu prédicateur ih ; et aussi l’histoire de la descente du Saint-Esprit au jour de la Pentecôte sous forme de feu partagé en diverses langues ii. Là nous lisons que plusieurs habitants de Samarie reçurent la foi par la prédication de Philippe : ce Philippe était l’apôtre ou le diacre ; car nous lisons encore qu’on ordonna sept diacres, au nombre desquels se trouvait un nommé Philippe ij. Les Samaritains crurent donc à cette prédication de Philippe, et Samarie commença à se remplir de fidèles. Alors s’y trouvait ce Simon le magicien qui, par ses artifices magiques, avait trompé le peuple au point de se faire passer pour la vertu de Dieu. Cependant cet homme, frappé des prodiges opérés par Philippe, crut aussi à son tour ; mais la suite lit bien voir de quelle nature était sa foi. Néanmoins il fut aussi baptisé comme les autres. Les Apôtres qui étaient à Jérusalem apprirent ce qui se passait à Samarie, ils y envoyèrent Pierre et Jean. Ceux-ci y trouvèrent un grand nombre de baptisés, mais ils n’y rencontrèrent personne qui eût reçu le Saint-Esprit, comme il descendait alors sur les fidèles et leur faisait parler différentes langues pour marquer la diversité des nations qui devaient être appelées à la foi. Les Apôtres leur imposèrent donc les mains en priant pour eux, et ils reçurent le Saint-Esprit. Ce Simon n’était pas une colombe dans l’Église, ce n’était qu’un corbeau ; car il recherchait ses intérêts, au lieu de rechercher ceux de Jésus-Christ ik ; dans le christianisme il préférait donc à la justice le pouvoir de faire des miracles. Voyant que les Apôtres donnaient le Saint-Esprit par l’imposition des mains (non qu’ils le donnassent par eux-mêmes, mais parce que leurs prières l’obtenaient de Dieu), il leur dit : « Combien voulez-vous d’argent, afin que par l’imposition de mes mains « l’Esprit-Saint soit donné ? » Et Pierre lui répondit : « Que ton argent demeure avec toi pour ta perte, parce que tu as cru que le don de Dieu pouvait s’acquérir par de l’argent ». À qui Pierre disait-il : « Que ton argent demeure avec toi tour ta perte ? » À un homme baptisé ; car Simon avait reçu le baptême, mais il n’était pas uni aux entrailles de la colombe. Écoute ; voici la preuve qu’il n’y était pas uni, fais attention aux paroles de Pierre ; il continue ainsi : « Tu n’as pas de part à cette foi, car je vois que tu es plein d’un fiel amer il ». La colombe n’a pas de fiel, Simon en avait ; aussi était-il séparé des entrailles de la colombe. À quoi lui servait son baptême ? Ne te glorifie donc pas du tien, comme s’il suffisait pour ton salut de l’avoir reçu cesse de te mettre en colère, dépose ton fiel, tiens à la colombe. Alors te sera utile ce qui ne te servait de rien, ce qui était même nuisible pour toi, parce que tu l’avais reçu en dehors de la colombe,

19. Ne dis point : Je ne viendrai point parce que j’ai été baptisé en dehors de la colombe. Commence à avoir la charité, commence à porter le fruit de ce que tu as reçu ; que l’on trouve ce fruit en toi, et la colombe s’introduira au dedans. C’est ce que l’on trouve dans l’Écriture. L’arche avait été construite avec du bois incorruptible im. Ce bois incorruptible n’est autre que les saints, que les fidèles qui appartiennent au Christ, De même, en effet, que les pierres vives dont le temple était construit étaient la figure des fidèles, ainsi le bois incorruptible de l’arche représente les hommes qui Persévèrent dans la foi. Dans l’arche il y avait donc des bois incorruptibles : cette arche, c’est l’Église ; la colombe y donne le baptême, car l’arche était portée sur les eaux, et ses bois incorruptibles y ont été plongés. Nous trouvons que d’autres bois étrangers à l’arche y ont été aussi submergés : c’étaient les arbres plantés sur toute la surface de la terre : c’était, néanmoins, partout la même eau, et non une eau différente ; car elle était venue soit du ciel, soit des abîmes des fontaines. C’est dans la même eau que furent plongés et les bois incorruptibles dont l’arche était composée, et les bois qui n’étaient pas entrés dans sa construction. La colombe fut envoyée ; d’abord elle ne trouve pas où se poser ; elle revient vient à l’arche, car tout était rempli d’eau ; elle aima mieux revenir que d’être baptisée de nouveau. Le corbeau fut envoyé avant la disparition des eaux : après avoir été se rebaptiser, il ne voulut plus revenir, et il périt dans ces eaux. Que Dieu nous préserve d’une pareille fin. Aussi bien, pourquoi ne revint-il pas ? C’est que les eaux l’en empêchèrent. Pour la colombe, ne trouvant où se poser, quoique l’eau lui criât de toutes parts : Viens, viens, plonge-toi ici, de même que ces hérétiques te crient : Viens, viens, ici on donne le baptême ; la colombe, ne trouvant pas où se reposer, revint à l’arche. Et Noé l’envoya de nouveau, de même que l’arche vous envoie pour parler à ces égarés : après cela, que fit la colombe ? Parce que les bois étrangers au corps de l’arche avaient été plongés dans l’eau, elle rapporta vers l’arche un rameau d’olivier. Ce rameau portait des feuilles et du fruit in. Ne te contente pas de parler, de porter des feuilles, porte aussi des fruits : tu reviendras à l’arche, tu n’y reviendras pas de toi-même, mais la colombe t’y rappellera. Gémissez en dehors, afin que ceux qui s’y trouvent soient rappelés au dedans.

20. Car si nous cherchons à savoir ce qu’était ce fruit de l’olivier, nous l’apprendrons. Le fruit de l’olivier représente la charité. Comment le prouvons-nous ? De même que l’huile ne peut être maintenue au-dessous d’aucun liquide, qu’elle se fraie un passage et remonte à leur surface, ainsi la charité ne peut être retenue prisonnière en des régions inférieures ; elle tend de toute nécessité à monter vers le ciel. C’est pourquoi l’Apôtre dit d’elle : « Il est encore une voie plus élevée qu’il me faut vous montrer ». Nous avons dit que l’huile s’élève toujours au-dessus ; or, pour ne pas appliquer à autre chose qu’à la charité ces paroles de l’Apôtre : « Il est encore une voie plus élevée « qu’il me faut vous montrer », Écoutons ce qui suit : « Quand je parlerais le langage « des hommes et des anges, si je n’ai pas la « charité, je suis devenu comme un airain sonnant et une cymbale retentissante io ». Va maintenant, Donat, et crie : Je suis éloquent ! Va maintenant, et crie : Je suis docte ! Combien éloquent ? Combien docte ? Aurais-tu parlé le langage des anges ? Et quand même tu l’aurais parlé, si tu n’as pas la charité, je n’entendrais qu’un airain sonnant et une cymbale retentissante. Je veux quelque chose de plus solide, je veux trouver du fruit dans les feuilles : que les paroles ne soient pas seules, qu’elles portent l’olive, qu’elles reviennent à l’arche.

21. Mais, diras-tu, j’ai le sacrement. Tu dis vrai. Ce sacrement est divin ; tu as le baptême, et je l’avoue. Mais que dit le même Apôtre ? « Quand même je connaîtrais tous les mystères, quand je posséderais le don de prophétie et que j’aurais la foi jusqu’à transporter les montagnes ». Il parlait ainsi pour t’empêcher de dire : Je crois, cela me suffit. Mais que dit Jacques ? « Les démons aussi croient, et ils tremblent ip ». Grande chose que la foi ! mais chose inutile sans la charité. Les démons aussi confessaient le Christ : c’était de leur part avec foi en lui, mais ils ne l’aimaient pas, quand ils disaient : « Qu’y a-t-il u entre vous et nous iq ? » Ils avaient la foi, mais ils n’avaient pas la charité : c’est pourquoi ils étaient des démons. Ne te glorifie pas d’avoir la foi ; car il serait encore possible de te comparer aux démons. Ne (lis pas au Christ « Qu’y a-t-il entre vous et moi ? » L’unité du Christ te parle, elle te dit : Viens à moi, sache où est la paix, rentre dans les entrailles de la colombe. Tu as été baptisé en dehors d’elle, porte du fruit et tu reviendras à l’arche.

22. Mais, diras-tu, pourquoi nous chercher, puisque nous sommes des méchants ? Voilà précisément pourquoi nous vous cherchons, c’est que vous êtes méchants ; car si vous n’étiez pas méchants, nous vous aurions trouvés et nous ne vous chercherions pas. Celui qui est bon est déjà trouvé ; celui qui est méchant, on le cherche encore ; c’est pourquoi nous vous cherchons. Revenez à l’arche. Mais j’ai le baptême. « Quand même je saurais tous les mystères, quand j’aurais le don de prophétie, et une foi jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien ». Que je voie du fruit en toi, que j’y voie l’olive, et bientôt tu seras dans l’arche.

23. Mais que dis-tu ? Voilà que nous endurons beaucoup d’épreuves, Si seulement vous souffriez pour le Christ, et non pour les honneurs. Mes frères, écoutez ce qui suit : ils se vantent parfois de faire de grandes aumônes, de souffrir de mauvais traitements ; mais c’est pour Donat, ce n’est point pour le Christ. Remarque pourquoi tu souffres : si c’est pour Donat, tu souffres pour un orgueilleux, tu n’es pas dans la colombe dès là que tu souffres pour Donat. Il n’était pas l’ami de l’Époux ; car s’il avait été l’ami de l’Époux, il aurait recherché la gloire de l’Époux au lieu de rechercher la sienne propre ir. L’ami de l’Époux ne dit-il pas : « C’est celui-là qui baptise ? » Il n’était pas l’ami de l’Époux celui pour qui tu souffres. Tu n’as pas la robe nuptiale, et si tu viens au festin on te mettra dehors is. Que dis-je ? c’est parce que tu as été mis dehors que tu es misérable ; reviens donc enfin et cesse de te glorifier. Écoute ce que dit l’Apôtre : « Quand même j’aurais distribué tout mon bien aux pauvres et livré mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité ». Voilà ce que tu n’as pas. « Quand j’aurais livré mon corps aux flammes », même pour le nom du Christ, comme il en est plusieurs qui le font par orgueil, et non par charité, Paul ajoute : « Quand j’aurais livré mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, il ne me sert de rien it ». Ceux-là l’ont fait par charité, qui au temps de la persécution ont souffert le martyre ; ils ont agi par charité ; mais les Donatistes le font par sentiment d’orgueil et de superbe ; car, le persécuteur venant à manquer, ils se jettent d’eux-mêmes dans les précipices. Viens donc, afin d’avoir la charité. Mais nous avons des martyrs. Quels martyrs ? Ils ne sont point de la colombe ; aussi sont-ils tombés du haut de la pierre, quand ils ont voulu s’envoler.

24. Tout donc, vous le voyez, tout crie contre eux, toutes les pages divines, toutes les prophéties, tout l’Évangile, toutes les épîtres des Apôtres, tous les gémissements de la colombe, et cependant ils ne s’éveillent pas encore, ils ne sortent pas de leur sommeil. Pour nous, si nous sommes la colombe, gémissons, supportons-les, espérons ; la miséricorde de Dieu viendra pour échauffer du feu du Saint-Esprit votre simplicité ; et alors ils viendront. Il ne faut pas désespérer ; priez, prêchez, aimez, Dieu est tout – puissant. Déjà ils ont commencé à reconnaître leur audace ; plusieurs l’ont reconnue ; plusieurs en ont rougi ; le Christ viendra, et d’autres encore le reconnaîtront. Qu’au moins, mes frères, il ne reste parmi eux que la paille ; que tous les grains soient recueillis ; que tout ce qui chez eux porte du fruit revienne à l’arche, porté par la colombe.

25. Ainsi mis en défaut sur tous les points, ne trouvant plus rien à dire, que nous objectent-ils ? Ils nous ont pris nos maisons de campagne ; ils nous ont enlevé nos propriétés ; ils exhibent des testaments. Voici, disent-ils, la preuve que Gaïus Seïus a donné un fonds de terre à l’Église, à la tête de laquelle se trouvait Faustinus. De quelle Église Faustinus était-il évêque ? C’est l’Église à laquelle présidait Faustinus ; Faustinus était à la tête non pas d’une Église, mais d’un parti. La colombe seule est l’Église. Pourquoi crier ? Nous n’avons pas dévoré ces maisons de campagne : que la colombe les possède, que l’on sache qu’elle est la colombe et qu’elle les possède. Car, vous le savez, mes frères, ces maisons de campagne n’appartiennent pas à Augustin ; si vous l’ignorez, vous supposez que mon bonheur est de les posséder ; mais Dieu ne l’ignore pas, il sait ce que j’en pense, ce que je souffre à leur endroit ; il connaît avec quels gémissements, en raison de ce qu’il a daigné me confier des biens de la colombe. En tout cas, voilà ces biens. En vertu de quels droits les revendiques-tu ? Est-ce en vertu du droit divin ou du droit humain ? Qu’ils répondent, le droit divin, nous l’avons dans les Écritures ; le droit humain, dans les lois des empereurs, Ce que chacun possède, de quel droit le possède-t-il ? Car, de droit divin, la terre et tout ce qu’elle renferme est au Seigneur iu. Dieu a fait les hommes, les pauvres et les riches, d’un même limon ; pauvres et riches ne sont-ils pas supportés par la même terre ? C’est donc de droit humain que l’on dit : Ce bien est à moi, cette maison m’appartient, cet esclave est ma propriété. Si c’est de droit humain, c’est du droit des empereurs. Pourquoi ? Parce que Dieu s’est servi des empereurs et des princes du siècle, pour faire entre les hommes le partage de leurs droits. Voulez-vous que nous lisions les lois des empereurs et que nous tranchions par elles la question de possession de ces biens ? Si vous prétendez posséder de droit humain, récitons les lois des empereurs. Voyons si elles ont voulu accorder aux hérétiques le droit de posséder. Mais, disent-ils, que me fait l’empereur ? Cependant, c’est par son droit que vous possédez quelque portion de terre. Ou bien, fais disparaître le droit des empereurs, et alors qui osera dire : Ce bien est à moi, ou bien cette maison et cet esclave m’appartiennent ? Que si pour les avoir il leur a fallu admettre le droit des empereurs, voulez-vous que nous récitions leurs lois pour vous donner le contentement d’y voir que si vous avez mm seul jardin vous ne le devez qu’à ta mansuétude de la colombe, et parce qu’elle vous permet de le conserver ? En effet, nous lisons des lois manifestes des empereurs, où ils défendent à ceux qui usurpent le nom de chrétiens sans appartenir à la communion de l’Église catholique et qui ne veulent pas adorer en paix l’auteur de la paix, de rien oser posséder au nom de l’Église.

26. Mais, objectent-ils toujours, qu’y a-t-il entre nous et l’empereur ? Je le leur ai déjà dit : Il s’agit de droit humain. Or, l’Apôtre a voulu que l’on obéît aux princes ; il ordonne de les honorer, et il a dit : « Révérez le prince iv ». Ne dis donc pas : Qu’y a-t-il entre nous et le prince ? En ce cas, qu’y a-t-il entre toi et le droit de posséder ? C’est par le droit des princes que l’on possède. Tu dis : Qu’y a-t-il entre nous et le prince ? Ne parle donc plus de tes possessions, puisque tu as renoncé au droit humain sur lequel elles sont fondées. Mais, reprennent-ils, je me fonde sur le droit divin. En ce cas, relisons l’Évangile, voyons jusqu’où s’étend l’Église catholique, l’Église du Christ sur lequel est descendue la colombe et dont elle nous a appris « que c’est Celui-là qui baptise ». Lorsque l’Écriture dit : « Une est la colombe, elle est une pour sa mère » ; pourquoi avez-vous déchiré la colombe ? Je dis mieux, pourquoi avez-vous déchiré vos entrailles ? Car, après que vous vous êtes déchirés, la colombe demeure intacte. Puis donc, mes frères, qu’ils n’ont plus rien à dire, moi je leur dis ce qu’ils ont à faire, Qu’ils viennent à l’Église catholique, et ils posséderont avec nous, non seulement la terre, mais encore celui qui a créé le ciel et la terre,

VINGTIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DE L’APÔTRE SAINT ANDRÉ.

ANALYSE. —1. Pierre est le premier des Apôtres, et André en est le second : pourquoi Pierre en est-il le premier ? —2. Ils sont, tous deux, pécheurs, non pas de poissons, mais d’hommes. —3. Tous deux se séparent de Jean pour suivre le Christ. « Or, Jésus, marchant le long de la mer de Galilée, vit deux frères, Simon appelé Pierre, et André, son frère, qui jetaient leurs filets dans la mer, car ils étaient pêcheurs ; et il leur dit : Suivez-moi, et je vous ferai pêcheurs d’hommes ».

1. Le premier des Apôtres est Simon, appelé Pierre : après lui vient André, son frère, et chacun d’eux a reçu son rôle particulier de Celui qui pénètre le secret des cœurs. On appelle le premier Simon, surnommé Pierre, afin de le distinguer de l’autre Simon appelé le chananéen, parce qu’il était originaire de Chana de Galilée, où le Sauveur changea l’eau en vin. D’après la disposition de Jésus, les Apôtres vont donc deux à deux ; ainsi, Pierre avec André, son frère ; mais les liens qui les unissent sont plutôt spirituels que charnels. Simon veut dire l’obéissant, parce qu’il a obéi à la voix du Seigneur, au moment où Celui-ci lui a dit, ainsi qu’à André : « Suivez-moi, je vous ferai pêcheurs d’hommes iw ». Pierre signifie le connaissant, parce qu’il a reconnu les titres du Christ, quand les autres disciples en doutaient. Jésus leur avait adressé cette question : « Et vous, qui dites« vous que je suis ix? » Contrairement à l’opinion de ses condisciples, Pierre répondit : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant iy ». Voilà d’où lui est venu son nom : voilà aussi pourquoi, après avoir, pendant le cours des prédications qu’il faisait aux Juifs, parcouru la Cappadoce, la Galatie, la Bithynie, le Pont et toutes les provinces voisines, il est venu ensuite à Rome, qu’il devait illustrer.

2. Le nom d’André est grec ; en latin, il se traduit par le mot viril ; cet apôtre s’est, en effet, montré aussi courageux pour prêcher que pour endurer des persécutions en faveur de la justice. Il annonça l’Évangile aux Scythes. Ces deux frères furent les premiers appelés à suivre le Christ. Pourquoi le Sauveur a-t-il envoyé, pour prêcher, des pêcheurs, des hommes sans instruction ? C’était afin qu’on n’attribuât pas la foi de ceux qui croiraient aux talents et à la science des prédicateurs, au lieu d’y voir l’effet de la puissance divine. Il a donc appelé de tels hommes à l’apostolat, et, de pêcheurs de poissons qu’ils étaient, il en a fait des pêcheurs d’hommes. Car, de même que par leurs filets ils allaient chercher les poissons dans les profondeurs de l’eau, pour les amener à sa surface ; ainsi, par la prédication des commandements de Dieu, ils ont retiré les hommes de l’abîme des erreurs mondaines. Trois évangélistes leur ont donné le nom de pêcheurs, et Jean a été le seul qui leur ait donné un autre nom. Il leur convenait parfaitement, puisque le Sauveur leur a ôté la profession de pêcheurs, pour leur confier la mission de prêcher l’Évangile aux hommes et de les amener ainsi à se sauver par la foi. En parlant d’eux, le Prophète n’avait-il pas dit : « J’enverrai des pécheurs qui les pêcheront iz ? » Tout ceci s’est donc accompli dans la personne des Apôtres, puisque de pêcheurs de poissons ils sont devenus des pêcheurs d’hommes. En effet, comme on retire les poissons du milieu de la mer au moyen de filets ; de même, par la prédication apostolique, les hommes sortent du monde et arrivent à la foi du Fils de Dieu.

3. « Le lendemain, Jean s’arrêta avec deux de ses disciples, et, regardant Jésus qui s’avançait, il dit : Voici l’Agneau de Dieu ; et les deux disciples l’entendirent parler et suivirent Jésus ja ». Il est sûr que ces deux disciples de Jean furent André et Philippe, qui suivirent le Seigneur Christ dans l’intention d’apprendre quelque chose à son école. Que leur dit-il ? a Suivez-moi a. N’était-ce pas leur dire, en propres termes : Croyez et voyez, c’est-à-dire, comprenez ? Ce jour-là, ils furent éclairés, et ils crurent à la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ. L’Évangéliste ajoute : « Il était à peu près dix heures ». Que signifie cette dixième heure ? Évidemment la fin de l’Ancien Testament et le commencement du Nouveau. Jean était, en effet, le symbole de l’ancienne loi, et les deux disciples figuraient d’avance l’amour de Dieu et celui du prochain ; aussi quittèrent-ils Jean pour suivre le Sauveur, parce que la figure de la loi ayant disparu, le Nouveau Testament lui succéda, et qu’alors commença le règne de l’Évangile de Jésus-Christ.

SEPTIÈME TRAITÉ.

DEPUIS L’ENDROIT OU IL EST ÉCRIT : « ET MOI JE L’AI VU, ET J’AI RENDU TÉMOIGNAGE QU’IL EST FILS DE DIEU », JUSQU’À « EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, VOUS VERREZ LE CIEL « OUVERT ET LES ANGES MONTER ET DESCENDRE SUR LE FILS DE L’HOMME ». (Chap 1, 34-51.)

LES TÉMOINS DU CHRIST.

La colombe a fait connaître à Jean l’unité du baptême et l’union des cœurs dans le Christ par la charité qui vivifie les œuvres et même la foi, et les rend dignes du ciel ; aussi cet Apôtre en a-t-il rendu témoignage et affirmé que Jésus est « l’Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde ». À ces paroles du Précurseur, les deux disciples, qui étaient là, s’approchèrent du Christ vers la dixième heure pour lui adresser une question, et trouvèrent en lui l’auteur et le docteur de la loi que nous devons accomplir dans le sentiment de la charité, avec le secours et la grâce de notre maître. Pierre vint ensuite, qui reçut de Jésus le privilège de figurer l’Église, cette pierre sur laquelle seule peut reposer solidement l’édifice de notre sanctification. Puis, Nathanaël lui succéda, homme docte et digne, à cause de sa droiture, D’être sinon choisi comme apôtre, du moins guéri par le céleste médecin. À la première parole du Christ, il reconnut effectivement en lui le Fils de Dieu à cause de sa miséricorde pour les pécheurs ; il crut donc, mais sa foi devait s’accroître encore à la vue des vertus et des travaux des Apôtres.

1. Je veux d’abord me réjouir avec vous de votre grand nombre, et de ce que vous êtes venus ici avec un empressement qui dépasse toutes nos espérances. C’est là ce qui nous réjouit et nous console dans tous les travaux et les périls de cette vie, votre amour pour Dieu, la piété de votre zèle, la fermeté de votre espérance et votre ferveur. Vous avez entendu à la lecture du psaume que le pauvre et l’indigent crient vers Dieu en cette vie jb. Cette voix, vous l’avez entendu dire souvent, et vous ne devez pas en avoir perdu le souvenir, cette voix, ce n’est pas la voix d’un seul homme, et pourtant elle est la voix d’un seul ; elle n’est pas la voix d’un seul à cause de la multitude des fidèles, grains nombreux mêlés à la paille où ils gémissent, et répandus par tout l’univers ; elle est la voix d’un seul parce que tous sont les membres du Christ et forment ainsi un seul corps. Ce peuple indigent et pauvre ne sait tirer ses joies de ce monde : ses douleurs comme ses joies sont au dedans de lui ; elles se trouvent où celui-là seul porte ses regards, qui écoute les gémissements et couronne les espérances. Les joies du siècle ne sont que vanité. Cette joie, on l’attend avec une fiévreuse impatience, et quand elle est venue on ne peut la retenir. Ainsi ce jour, qui est un jour de joie pour les débauchés de cette ville, ne sera plus demain, et eux-mêmes ne seront plus demain ce qu’ils sont aujourd’hui. Ainsi, tout passe, tout s’envole, tout s’évanouit comme la fumée, et malheur à ceux qui y attachent leurs affections. Car toute âme suit ce qu’elle aime. Toute chair est comme l’herbe, et toute la gloire de la chair est comme la fleur des champs ; l’herbe a séché et la fleur est tombée, mais la parole du Seigneur demeure éternellement jc. Voici ce qu’il te faut aimer, si tu veux demeurer toujours ; mais, vas-tu me dire : Comment puis-je saisir le Verbe de Dieu ? Le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous jd.

2. C’est pourquoi, mes bien-aimés, que le rôle de notre indigence et de notre pauvreté soit de pleurer ceux qui sont riches à leurs yeux. Car leur joie ressemble à celle des frénétiques. Un frénétique se réjouit de sa folie, il en rit ; mais celui qui jouit de son bon sens, pleure sur le sort de cet infortuné. Ainsi devons-nous faire, mes bien-aimés, si nous avons reçu le remède descendu du ciel ; car, tous aussi nous étions des frénétiques ; mais nous avons été guéris, car nous cessons d’aimer ce que nous aimions alors ; gémissons devant Dieu sur le malheur de ceux qui sont encore fous. Aussi bien il est assez puissant pour les guérir à leur tour. Pour cela, il est besoin qu’ils se regardent et qu’ils se déplaisent. Ils veulent voir, et ils ne savent pas se voir eux-mêmes. S’ils veulent jeter un instant les yeux sur eux-mêmes, ils verront des sujets qu’ils ont de rougir. Jusqu’à ce qu’ils le fassent, nous avons d’autres soucis d’autres soins réclament notre attention ; mieux vaut notre douleur que leur joie. Pour ce qui regarde le nombre de nos frères, il me semble difficile que les divertissements de cette journée nous en aient ravi quelques-uns ; mais en ce qui regarde nos sœurs, c’est pour nous le sujet d’une grande tristesse et d’une profonde douleur, de voir qu’elles n’ont pas été plus empressées à venir à l’Église. Car, à défaut de la crainte de Dieu, le sentiment de la pudeur aurait dû les éloigner du tumulte de la rue. Que celui qui voit tout, jette les yeux sur elles, et que sa miséricorde vienne les guérir toutes. Pour nous qui sommes assemblés ici, nourrissons-nous au festin de Dieu, et que sa parole fasse notre joie. Il nous a invités à entendre son Évangile, il est lui-même notre nourriture ; il n’y en a pas de plus douce, à condition, néanmoins, que le palais de notre cœur puisse en apprécier la saveur.

3. J’ai sujet de le croire, votre charité n’a pas oublié qu’on lui fait une lecture suivie et convenable de l’Évangile. Vous vous souvenez sans doute de ce que nous avons déjà dit, principalement en dernier lieu, de Jean et de la colombe. Au sujet de Jean, nous avons dit ce qu’il avait appris de nouveau sur le ministère de la colombe relativement au Sauveur, bien qu’il le connût déjà. Avec l’assistance du Saint-Esprit, nous nous sommes aperçus que Jean connaissait le Seigneur ; mais que le Seigneur dût baptiser de manière à ne communiquer à personne le pouvoir du baptême, voilà ce que Jean a appris par la colombe lorsqu’il lui a été dit : « Celui sur lequel tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est celui-là qui baptise dans l’Esprit-Saint je ». Qu’est-ce à dire : « C’est celui-là ? » C’est-à-dire nul autre, quoique par un autre. Mais pourquoi Jean l’a-t-il appris par la colombe ? J’en ai donné plusieurs raisons qu’il m’est impossible de vous rappeler en totalité ; d’ailleurs, pas n’est besoin d’y revenir. La principale de toutes était le motif de la paix. En effet, les bois qui n’avaient pas servi à la construction de l’arche avaient été comme les antres plongés dans l’eau, et parce que la colombe avait trouvé du fruit sur leurs branches, elle en avait rapporté dans l’arche. Vous vous souvenez, en effet, que Noé avait envoyé la colombe hors de l’arche, et que cette arche, portée sur les eaux du déluge, en était baignée, mais non submergée. Ayant donc été envoyée au-dehors, la colombe t’apporta un rameau d’olivier ; mais le rameau n’avait pas seulement des feuilles, il avait aussi du fruit jf. De là nous avons conclu que ce qu’il faut désirer à nos frères baptisés hors de l’Église, c’est de porter du fruit, la colombe ne les laissera pas dehors, elle les ramènera dans l’arche. Ce fruit est tout entier dans la charité, sans laquelle l’homme n’est rien, quoi qu’il ait d’ailleurs. Et nous avons rappelé et cité ces paroles formelles de l’Apôtre à ce sujet : « Quand même je parlerais le langage des anges et des hommes, si je n’ai pas la charité, je suis devenu comme un airain sonnant et une cymbale retentissante. Quand j’aurais la science de toutes choses, quand même je connaîtrais tous les mystères, quand j’aurais surabondamment le don de prophétie, quand j’aurais la perfection de la foi », (qu’entend-il par cette perfection de la foi?) « c’est-à-dire jusqu’à transporter les montagnes, quand même j’aurais distribué tous mes biens aux pauvres, quand j’aurais livré mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, cela ne me servira de rien jg ». Or, ceux qui détruisent l’unité ne peuvent en aucune manière prétendre avoir la charité. Voilà ce que nous avons dit ; voyons la suite.

4. Jean a rendu témoignage parce qu’il a vu. Quel témoignage a-t-il rendu ? « Que celui-là est le Fils de Dieu ». Il fallait donc que celui-là baptisât qui est le Fils unique de Dieu par nature, et non par adoption. Les fils adoptifs sont les ministres du Fils unique. Le Fils unique a le pouvoir, les fils adoptifs ont le ministère, Quoique le baptême soit vraiment conféré par un ministre qui n’est pas du nombre des fils adoptifs, à cause de sa mauvaise vie et de sa mauvaise conduite, quel sujet de consolation avons-nous ? « C’est celui-là qui baptise ».

5. « Le lendemain Jean était encore là, et deux de ses disciples avec lui, et, regardant Jésus qui marchait, il dit : Voici l’Agneau de Dieu ». Il est sûr que cet Agneau est unique de ce nom ; bien que ses disciples aient aussi été appelés de ce nom : « Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups jh ». Il a été dit qu’ils étaient la lumière : « Vous êtes la lumière du monde ji »Jésus-Christ était aussi la lumière, mais d’une manière bien différente, puisqu’il a été dit de lui : « Il était la lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde jj ». Pareillement il est l’Agneau, mais cet Agneau est unique ; il est le seul qui n’ait pas de tache, le seul qui n’ait pas de péché : en lui nulle souillure n’a été effacée, parce qu’il n’en portait aucune. Eh quoi ! parce que Jean disait du Sauveur : « Voici l’Agneau de Dieu », n’était-il pas lui-même un agneau ? N’était-il pas sain ? N’était-il pas l’ami de l’Époux ? À Jésus-Christ seul pouvaient s’appliquer réellement ces paroles : « Voici l’Agneau de Dieu », parce que les hommes n’ont pu être rachetés que par le sang de cet Agneau unique.

6. Mes frères, si nous reconnaissons que le prix de notre rançon c’est le sang de l’Agneau, de quel nom appeler ceux qui célèbrent aujourd’hui la fête du sang de je ne sais quelle femme ? Qu’ils sont inconséquents ! Un pendant, à ce qu’ils disent, a été arraché de l’oreille de cette femme, le sang a coulé ; l’or a été mis sur un plateau ou une balance, le sang dont il était imprégné a donné à l’or plus de poids. Si le sang d’une femme a été capable de faire incliner le plateau de la balance où se trouvait l’or, quel poids a dû ajouter au monde le sang de l’Agneau qui a créé le monde ? Je ne sais quel esprit apaisé par ce sang ajoutait ainsi au poids de l’or. Car les esprits impurs connaissaient l’avènement futur de Jésus-Christ ; ils l’avaient appris des anges et des Prophètes, ils ne doutaient pas qu’il ne dût venir. S’ils en avaient douté, se seraient-ils écrié : « Qu’y a-t-il entre vous et nous ? Êtes-vous venu nous perdre avant le temps ? Nous savons qui vous êtes, le Saint de Dieu jk ». Ils savaient qu’il devait venir ; mais ils ignoraient le temps de sa venue. Mais qu’avez-vous entendu dire au Psalmiste touchant Jérusalem ? « Parce que ses pierres ont plu à vos serviteurs, et que sa poussière les a émus, vous vous lèverez, Seigneur, et vous aurez pitié de Sion, puisque le temps est venu d’en avoir pitié jl ». Quand fut venu le temps où Dieu devait en prendre pitié, l’avènement de l’Agneau eut lieu. Quel était cet Agneau que redoutent les loups ? Quel était cet Agneau qui en mourant a tué le lion ? Il a été dit du démon qu’il est un lion tournant et rugissant, cherchant une proie jm. Ce lion a été vaincu par le sang de l’agneau. Voilà à quels spectacles assistent les chrétiens. Spectacles d’autant plus excellents que dans les autres les yeux de la chair ne voient que vanité, et qu’ici la vérité s’étale aux regards de notre cœur. Ne pensez pas, mes frères, que Dieu nous ait privés de spectacles ; car s’il n’y en a pas pour nous, pourquoi êtes-vous ici aujourd’hui ? Ce que nous vous avons dit, vous en avez la preuve, vous avez acclamé nos paroles. L’auriez-vous fait si vous n’aviez rien vu ? Non, évidemment. C’est un grand spectacle donné par tout l’univers que celui du lion vaincu par le sang de l’Agneau, que celui des membres du Christ arrachés de la mâchoire du lion et réunis au corps du Christ. Aussi, par je ne sais quelle imitation de la vérité, un esprit mauvais a voulu que son image fût achetée par le sang ; car il savait qu’un jour un sang précieux rachèterait le genre humain. C’est ainsi que les esprits malins se procurent comme une ombre d’honneur afin de tromper ceux qui suivent le Christ. C’est au point que ceux-là même qui séduisent les autres par des sortilèges, des enchantements et toutes les machinations de l’ennemi, y mêlent le nom du Christ ; car, ne pouvant plus séduire les chrétiens jusqu’à leur présenter le poison tout pur, ils y ajoutent un peu de miel. Ainsi l’amertume du breuvage disparaît à la faveur de ce qu’ils y mêlent de doux, et les chrétiens le boivent pour leur perte. J’ai connu autrefois un prêtre de Castor qui avait coutume de dire : Castor aussi est chrétien. Pourquoi cela, mes frères ? C’est que les chrétiens ne peuvent être séduits par d’autres moyens.

7. Ne cherchez donc le Christ que là où il a voulu vous être annoncé ; et comme il a voulu être prêché, gardez-le et inscrivez-le dans votre cœur. Il est le mur qui doit vous préserver contre tous les assauts et toutes les embûches de l’ennemi. Ne craignez rien ; car cet ennemi ne peut pas même vous tenter qu’il n’en ait reçu la permission ; il est constant aussi qu’il ne peut rien faire qu’il n’en ait reçu l’ordre ou la permission. Il agit par commandement, quand il est envoyé comme un ange mauvais par la puissance qui le domine. 2 agit par permission, quand il demande et obtient quelque chose. L’un et l’autre n’ont lieu que pour l’épreuve des justes et la punition des méchants. Que crains-tu donc ? Marche dans le Seigneur ton Dieu, et sois tranquille. Ce qu’il ne veut pas que tu souffres, tu ne le souffriras pas ; et s’il permet que tu souffres, ce sera de sa part la correction d’un père, et non la condamnation d’un juge. Il veut nous préparer à l’héritage éternel, et nous refusons d’être corrigés ! Mes frères, à un enfant qui refuserait de recevoir un soufflet ou des coups de verge de la main de son père n’aurions-nous pas le droit de dire qu’il est un orgueilleux et qu’il n’offre plus aucune ressource, puisqu’il méconnaît l’intérêt que lui porte son père ? Cependant, pourquoi un père forme-t-il son fils, puisqu’il est un homme comme lui ? Pour l’empêcher de dissiper les biens temporels qu’il lui a acquis, qu’il a amassés pour lui, qu’il ne veut pas lui voir perdre et qu’il lui abandonne parce qu’il ne peut lui-même les posséder toujours. Il n’élève pas un fils qui doive posséder ses biens conjointement avec lui, mais un fils qui les possédera après lui. Mes fières, si un père élève avec ce soin un fils destiné à n’être que son successeur, et si ce fils ainsi élevé ne doit lui-même posséder ces biens que transitoirement, comme les possède celui qui le dirige, comment voudrions-nous n’être pas formés par notre Père dont nous ne devons pas être les successeurs, mais les associés, avec qui nous demeurerons à jamais dans un héritage qui ne passe pas, qui ne finit pas, qui n’a à craindre ni les orages ni les tempêtes ? Cet héritage n’est autre que lui-même, et il est notre père. C’est lui que nous posséderons, et nous ne voudrions pas recevoir de lui des leçons ? Supportons donc les enseignements d’un père. Quand la tête nous fait mat, ne recourons ni aux enchantements, ni aux sortilèges, ni aux vains remèdes. Mes frères, comment pourrai-je ne pas gémir à votre sujet ? Tous les jours je vois pareilles choses, et qu’y faire ? N’aurais-je donc pas encore réussi à persuader à des chrétiens qu’ils doivent mettre toutes leurs espérances dans le Christ ? Si quelqu’un est mort après avoir fait usage de ces remèdes (et de fait combien sont morts avec ces remèdes, et combien n’ont pas laissé de vivre sans y avoir recouru), de quel front sou âme est-elle allée vers Dieu ? Le signe du Christ a été effacé en lui, et sur lui a été tracé le signe du diable. Peut-être dira-t-il : Je n’ai point perdu le signe du Christ. Tu as donc porté en même temps le signe dit Christ et le signe du diable ? Le Christ ne veut pas de partage ; il veut posséder tout entier ce qu’il a acheté, Il l’a acheté assez cher pour le posséder seul, tu lui donnes pour copartageant le diable auquel tu t’es vendu par le péché. Malheur à ceux qui ont le cœur double jn, qui font dans leur cœur une part à Dieu et une part au diable, Dieu, irrité de voir qu’une part y est faite au diable, s’en éloignera, et le diable le possédera tout entier. Aussi n’est-ce pas sans raison que l’Apôtre a dit : « Ne donnez pas de place au diable jo ». Connaissons donc l’Agneau, mes frères, connaissons le prix de notre rachat.

8. « Jean était là, et deux de ses disciples avec lui ». Voilà avec Jean deux de ses disciples. Jean était un si sincère ami de l’Époux, qu’il ne cherchait pas sa propre gloire mais qu’il rendait témoignage à la vérité. A-t-il prétendu voir ses disciples demeurer avec lui et ne pas suivre le Seigneur ? Au contraire il leur montre lui-même celui qu’ils doivent suivre : ils le regardaient comme l’Agneau ; mais il leur disait : Pourquoi me considérer comme tel ? Je ne suis pas l’Agneau, « Voici l’agneau de Dieu », le même dont il avait dit plus haut encore : « Voici l’Agneau de Dieu ». À quoi nous sert l’Agneau de Dieu ? « Voici celui qui efface le péché du monde ». L’ayant entendu, les deux disciples qui étaient avec Jean suivirent Jésus-Christ.

9. Voyons la suite : « Voici l’Agneau de Dieu ». C’est Jean qui parle. « Les deux disciples l’ayant entendu parler ainsi, suivirent Jésus. Jésus s’étant tourné, et les voyant qui le suivaient, leur dit : Que cherchez-vous ? Ceux-ci lui dirent : Rabbi, c’est-à-dire : Maître, où demeurez-vous ? » Ils ne le suivirent pas comme s’ils devaient rester désormais attachés à sa personne ; la circonstance où ils s’attachèrent à lui est connue ; c’est lorsqu’il leur fit quitter leur barque. En effet, l’un de ces deux disciples était André, ainsi que vous l’avez entendu tout à l’heure. Or, André était frère de Pierre, et nous savons par l’Évangile que le Seigneur fit quitter leur barque à Pierre et à André, en leur disant : « Suivez-moi, et je vous ferai pêcheurs d’hommes jp ». Et de ce moment ils s’attachèrent à lui et ne te quittèrent plus. De ce que les deux disciples le suivent alors, il ne résulte pas qu’ils le suivirent pour ne plus le quitter ; mais ils voulurent voir où il demeurait et faire ce qui est écrit : « Que ton pied use le seuil de sa porte, lève-toi souvent pour aller le voir et t’instruire de ses Préceptes jq » Il leur montra où ils demeuraient, ils vinrent et passèrent ce jour-là à causer avec lui. Quel bienheureux jour ils passèrent ! Quelle bienheureuse nuit ! Qui nous dira ce qu’ils ont entendu de la bouche du Sauveur ? Bâtissons, nous aussi, dans notre cœur, et faisons-lui une maison où il vienne nous instruire et s’entretenir avec nous.

10. « Que cherchez-vous ? Ils lui dirent : « Rabbi, c’est-à-dire Maître, où demeurez-vous ? Il leur dit : Venez et voyez. Et ils vinrent et ils virent où il demeurait, et passèrent avec lui ce jour-là. C’était environ la dixième heure ». Pensons-nous que l’Évangéliste n’avait aucun motif de nous dire quelle heure il était ? Est-il possible qu’il n’ait rien voulu nous faire remarquer ? qu’il n’ait pas voulu nous exciter à découvrir quelque chose ? Il était dix heures. Ce nombre dix signifie la loi, parce que la loi a été donnée en dix préceptes. Or, le temps était venu où la loi serait accomplie par la charité ; car les Juifs ne pouvaient l’accomplir par la crainte. Ce qui fait dire à Notre-Seigneur : « Je ne suis pas venu détruire la loi, mais l’accomplir jr ». C’est donc avec raison que, sur la parole de l’ami de l’Époux, ses disciples se mirent à la suite du Christ à la dixième heure, et qu’au même moment le Sauveur fut appelé par eux : « Rabbi », c’est-à-dire Maître. Si le Seigneur s’entendit appeler : « Rabbi », à la dixième heure, et si le nombre dix marque la loi, le Maître de la loi n’est autre que celui qui a donné la loi. Que personne ne dise : Autre est celui qui a donné la loi, autre est celui qui enseigne. Celui-là l’enseigne qui l’a donnée. Il est à la fois le Maître et le docteur de la loi. Ses paroles sont empreintes de miséricorde ; aussi enseigne-t-il miséricordieusement la loi, ainsi qu’il est dit de la Sagesse : « Elle porte la loi et la miséricorde sur sa langue  js ». Ne crains donc pas de ne pouvoir accomplir la loi ; aie recours à la miséricorde. Si c’est trop pour toi d’accomplir la loi, utilise ce contrat, le titre est la prière que l’a donnée et qu’a composée pour toi ce jurisconsulte céleste.

11. Ceux qui ont un procès et qui veulent adresser à ce sujet une supplique à l’empereur, cherchent quelque légiste habite qui rédige leur requête ; car ils ont peur, s’ils demandent autrement qu’il ne faut, non seulement de ne pas obtenir ce qu’ils demandent, mais même de se voir punis au lieu d’être favorisés. Les Apôtres voulaient adresser une supplique à l’Empereur-Dieu, et ne savaient comment s’y prendre pour arriver jusqu’à lui : c’est pourquoi ils dirent au Sauveur : « Seigneur, enseignez-nous à prier », c’est-à-dire, notre jurisconsulte, notre conseiller, ou plutôt, notre assesseur, composez-nous notre prière. Et, par une formule puisée au livre de la jurisprudence céleste, le Seigneur leur apprit à prier, et dans cette formule même il mit une condition : « Remettez-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs jt ». Si tu ne demandes pas selon la loi, tu deviens criminel. Devenu criminel, crains-tu le Juge ? Offre le sacrifice de l’humilité, offre le sacrifice de la miséricorde, dis en tes prières : Remettez-moi, comme je remets. Mais si tu le dis, fais-le. Que feras-tu, en effet ? Où iras-tu, si tes prières sont des mensonges ? Comme on dit au barreau, non seulement In seras privé du bénéfice de ton rescrit, mais ce rescrit lui-même tu ne l’obtiendras pas. C’est une maxime de droit : quand un homme a menti dans sa requête, la grâce qu’il a obtenue devient nulle. Ceci a lieu parmi les hommes, car l’homme a pu être trompé, l’empereur a pu être induit en erreur quand lu lui as présenté ta requête ; tu as dit ce que tu as voulu, et celui à qui tu l’as dit ignore si tu as dit la vérité. Aussi laisse-t-il à ton adversaire le soin de prouver ton mensonge, afin que si tu en es convaincu devant le juge, tu sois privé du bénéfice de ce rescrit que tu as porté devant lui ; car il n’a pu s’empêcher de t’accorder la grâce que tu sollicitais, vu qu’il ignorait si tu disais vrai ou non. Mais Dieu, qui sait si tu dis la vérité ou un mensonge, n’agit pas seulement de manière à rendre ta requête nulle à son tribunal : il l’empêche même d’y arriver, parc que tu as osé mentir à la vérité.

12. Que feras-tu ? dis-le-moi. Accompli de tout point la loi, en sorte que lu n’ manques en rien, c’est difficile. La faute est donc certaine ; refuseras-tu d’user du remède Voyez, mes frères, quel remède Dieu a pré paré contre les maladies de l’âme. Lequel donc ? Lorsque tu as mal à la tête, nous te louons si tu y mets l’Évangile au lieu de l’envelopper de linges. L’infirmité des hommes est si grande, ceux qui recourent aux bandages sont tellement à plaindre, que nous sommes forcés de nous réjouir quand nous voyons un homme couché dans un lit, en proie à la fièvre et aux douleurs, ne mettre sa confiance que dans le livre des Évangiles et le placer sur sa tête, non pas que l’Évangile soit destiné à pareil usage, mais parce qu’il est préféré aux bandages. Dès lors qu’on le met sur sa tête pour en calmer la douleur, pourquoi ne point le placer sur son cœur pour le guérir de ses péchés ? Qu’on le fasse donc. Qu’on fasse quoi ? Qu’on l’applique sur son cœur, afin que ce cœur soit guéri. Il est bon, oui il est bon que tu n’aies d’autre souci de ta santé que de la demander à Dieu. S’il sait qu’elle te sera utile, il te l’accordera ; et s’il ne te la donne pas, c’est qu’il prévoit qu’elle note serait pas profitable. Combien demeurent dans leur lit sans commettre de péchés, qui se portant bien se laisseraient aller à toute sorte de crimes ? À combien de gens la santé est nuisible ? Le brigand qui se jette à la gorge d’un homme pour le tuer n’aurait-il pas plus d’avantages à être malade ? Celui qui se lève de nuit pour miner un mur étranger, n’aurait-il pas plus d’avantages à être tourmenté de la fièvre ? Malade, il resterait innocent ; en sauté, c’est un scélérat. Dieu sait ce qui nous convient. Faisons seulement en sorte que notre cœur soit libre de tout péché, et s’il nous arrive d’être éprouvés en notre corps, prions Dieu. L’apôtre Paul lui a demandé d’éloigner de lui l’aiguillon de la chair, et il ne l’a pas voulu. Paul s’est-il troublé ? s’est-il laissé aller à la tristesse ? s’est-il plaint d’être abandonné ? Au contraire, il s’est d’autant moins dit abandonné, que ce dont il demandait l’éloignement lui demeurait pour la guérison de sa faiblesse. Il l’a reconnu à cette parole du médecin : « Ma grâce te suffit ; car la vertu se perfectionne dans l’infirmité ju ». Pourquoi Dieu ne veut-il pas te guérir ? C’est qu’il est encore avantageux pour toi d’être éprouvé. Comment pourrais-tu savoir jusqu’à quel point est pourri ce que retranche le médecin, quand il plonge son instrument dans une plaie ? Ne sait-il pas comment et jusqu’où il doit le faire ? Les hurlements du malade opéré éloignent-ils la main de l’habile opérateur ? L’un crie, l’autre coupe. Est-il cruel pour ne pas entendre les cris ? Ou plutôt ne se montre-t-il pas miséricordieux en poursuivant le mal jusqu’à sa racine, afin de guérir plus sûrement le malade ? Je vous ai dit ceci, mes frères, pour que personne ne cherche du secours ailleurs qu’en Dieu, quand il arrive que le Seigneur nous châtie. Prenez garde de périr, prenez garde de vous éloigner de l’Agneau et d’être dévoré par le lion.

13. Nous avons dit pourquoi à la dixième heure. Voyons la suite : « André, frère de Simon Pierre, était un de ceux qui avaient entendu Jean et avaient suivi Jésus. Il rencontra Simon son frère et lui dit : Nous avons trouvé le Messie, c’est-à-dire le Christ ». Messie, en hébreu, c’est comme Christ, en grec, et oint, en latin. De son onction lui vient le nom de Christ. Chrisma, en grec, veut dire onction, donc le Christ veut dire : oint. Onction unique, onction particulière et à laquelle participent tous les chrétiens et lui aussi, mais plus excellemment que tous. Voici comment en tarie le Psalmiste, écoute-le : « C’est pourquoi, ô Dieu, votre Dieu vous a oint d’une onction de joie par-dessus tous ceux qui la partageront avec vous jv ». Les copartageants, ce sont les saints ; mais il est, lui, tout particulièrement le Saint des saints ; il a reçu une onction qui est propre à lui seul ; il est le Christ d’une manière unique.

14. « Et André l’amena à Jésus. Jésus l’ayant regardé lui dit : Tu es Simon, fils de Jean, tu t’appelleras Céphas, c’est-à-dire Pierre ». Ce n’est pas chose étonnante que le Sauveur ait dit à Pierre de qui il était fils, Qu’y a-t-il de grand pour le Sauveur ? Il connaissait le nom de tous les saints qu’il s’était prédestinés avant la constitution du monde, et tu es surpris qu’il ait dit à un homme : Tu es le fils d’un tel, et tu t’appelleras de tel nom ? Le merveilleux en cela, c’est qu’il ait changé son nom et qu’il l’ait appelé Pierre ; car ce nom de Pierre est emprunté à celui de la pierre ; or, cette pierre, c’est l’Église, Ainsi le nom de Pierre préfigurait l’Église. Qui est-ce qui bâtit avec assurance, sinon celui qui bâtit sur la pierre ? En effet, que dit le Seigneur ? « Celui qui écoute mes paroles et les met en pratique, je te comparerai à un homme prudent qui bâtit sur la pierre » (il ne cède pas aux tentations) : « la pluie est tombée, les fleuves sont venus, les vents ont soufflé et se sont jetés sur cette maison, et elle n’est pas tombée ; car elle était fondée sur la pierre. Celui qui écoute mes paroles et ne les met pas en pratique » (ici que chacun de vous tremble et se mette sur ses gardes), « je le comparerai à un insensé qui a bâti sa maison sur le sable : la pluie est tombée, les fleuves sont venus, les vents ont soufflé et se sont jetés sur cette maison, et elle est tombée, et il s’en est fait une grande ruine jw ». À quoi sert d’entrer dans l’Église, si l’on veut bâtir sur le sable ? En écoutant la parole sans la mettre en pratique, on bâtit, c’est vrai, mais on bâtit sur le sable. Si l’on n’écoute rien, on ne bâtit rien ; si l’on écoute, on bâtit. Mais il faut savoir que quiconque écoute et agit bâtit sur la pierre, celui qui écoute et n’agit pas bâtit sur le sable. Il y a donc deux sortes d’hommes qui bâtissent, les uns bâtissent sur le sable, les autres bâtissent sur la pierre. Que dire de ceux qui n’écoutent pas ? Peuvent-ils se croire en sûreté ? Le Sauveur dit-il qu’ils n’ont rien à craindre parce qu’ils ne bâtissent pas ? Ils sont sans abri, exposés aux vents, aux fleuves, et lorsque la tourmente arrive, elle les enlève eux-mêmes avant que de renverser les maisons. Il n’y a donc de sécurité qu’à bâtir et à bâtir sur la pierre. Si tu veux écouter sans rien faire, tu bâtis, mais tu prépares une ruine. Lorsque la tentation surviendra, elle renversera ta maison et t’engloutira sous ses décombres, Si tu n’écoutes pas, tu es sans abri, et c’est toi que la tentation emportera tout d’abord. Écoute donc et agis, voilà l’unique remède. Combien peut-être qui, pour avoir écouté sans agir, ont été emportés par le torrent de la solennité de ce jour ! Ils ont écouté et n’ont rien tait, le fleuve, c’est-à-dire l’anniversaire de cette solennité est venu ; le torrent s’est rempli ; il passera et se desséchera ensuite ; mais malheur à celui qu’il aura emporté ! Que votre charité ne l’ignore pas : à moins d’écouter et d’agir, on ne bâtit pas sur la pierre, et l’on n’a rien de commun avec ce nom si grand que le Seigneur a mis si bien en relief. Par là il a voulu fixer ton attention ; car si dès le premier abord Pierre avait porté ce nom, tu ne saisirais pas aussi bien le mystère de la pierre, et tu supposerais que s’il portait ce nom, c’était par un effet du hasard, et non par une disposition spéciale de la Providence. C’est pourquoi Dieu a voulu que son Apôtre eût d’abord un autre nom, afin que le changement de ce nom fît mieux ressortir le mystère du nom nouveau.

15. « Et le lendemain Jésus voulut s’en aller en Gaulée, et il rencontra Philippe. Il lui dit : Suis-moi. Or, Philippe était de la même ville qu’André et Pierre. Philippe » (déjà appelé par Jésus-Christ) « rencontra Nathanaël, et il lui dit : Celui dont a écrit Moïse dans la loi, et que les Prophètes ont annoncé, nous l’avons trouvé : c’est Jésus, fils de Joseph ». Il passait pour le fils de celui à qui sa Mère était mariée. Mais qu’il ait été conçu et qu’il soit né de cette Mère demeurée Vierge, c’est ce que tous les chrétiens savent d’après l’Évangile. Voilà ce que Philippe dit à Nathanaël au sujet de Jésus, en y ajoutant même le nom de son pays : « De Nazareth. Et Nathanaël lui dit : De Nazareth il peut venir quelque chose de bon ? ». Que faut-il entendre par là, mes frères ? Il ne faut pas construire cette phrase comme plusieurs la construisent, car d’ordinaire c’est par mode d’interrogation qu’on prononce : « De Nazareth peut-il venir quelque chose de bon ? » Après quoi vient la réplique de Philippe : « Viens et vois ». Ces deux derniers mots peuvent suivre les précédents, n’importe laquelle des deux manières de prononcer la phrase on aime mieux adopter. Soit que Nathanaël ait dit, avec le ton de l’affirmation : « De Nazareth peut venir quelque chose de bon », soit qu’il ait dit, comme en interrogeant : « Quelque chose de bon peut-il venir de Nazareth », Philippe peut avoir ajouté : « Viens et vois ». Aussi, comme l’un et l’autre énoncés conviennent également bien aux paroles qui suivent, c’est à nous de chercher comment nous devons les entendre de préférence.

16. Quel a été ce Nathanaël, nous le montrons par ce qui suit. Écoutez, voici ce qu’il était : le Seigneur même lui rend témoignage. Tel que nous le fait connaître le témoignage de Jean, le Sauveur est grand. Bienheureux nous apparaît Nathanaël, d’après le témoignage de la Vérité. Certes, le Seigneur n’avait nul besoin d’être recommandé par le témoignage de Jean ; car il se rendait à lui-même témoignage ; la Vérité se sert à elle-même de témoin, et cela est suffisant pour elle. Mais parce que les hommes étaient incapables de trouver la Vérité, ils la cherchaient au moyen d’un flambeau ; aussi Jean fut-il envoyé pour montrer le Seigneur. Écoute le Seigneur rendant témoignage à Nathanaël : « Et Nathanaël dit à Philippe : De Nazareth il peut venir quelque chose de bon, Philippe lui dit : Viens et vois. Et Jésus vit Nathanaël qui venait à lui, et il dit : Voici un vrai Israélite en qui il n’y a pas de ruse ». Témoignage considérable qui n’a été rendu ni à André, ni à Pierre, ni à Philippe, mais uniquement à Nathanaël. « Voici un véritable Israélite en qui il n’y a pas de ruse ».

17. Qu’est-ce à dire, mes frères ? N’aurait-il pas dû être le premier des Apôtres ? Non – seulement on ne le trouve pas au premier rang parmi eux ; on ne le trouve ni à un rang intermédiaire, ni même au dernier, ce Nathanaël auquel le Fils de Dieu a rendu un si grand témoignage : « Voici un vrai Israélite en qui il n’y a pas de ruse ». Quelle en est la cause ? Autant que le Seigneur me la fait connaître vraisemblablement, la voici. Nous devons comprendre que Nathanaël était un homme instruit et habile dans la loi : or, le Seigneur n’a pas voulu le mettre au nombre de ses disciples, parce qu’il ne voulait choisir que des ignorants, afin de confondre le monde. Écoute, voici comme s’en exprime l’Apôtre : « Considérez, mes frères, ceux qui parmi vous ont été appelés, il s’y trouve peu de sages selon la chair, peu de puissants, peu de nobles ; mais Dieu a choisi ce qui est faible selon le monde pour confondre ce qui est fort ; Dieu a choisi ce qui est vil et méprisable selon le monde, et ce qui n’est « rien comme ce qui est, afin que ce qui est soit détruit jx ». Si Nathanaël, qui était savant, avait été choisi, peut-être aurait-il pensé que sa science l’en avait rendu digne. Or, Notre-Seigneur Jésus-Christ voulant briser l’orgueil des superbes, ne s’est pas servi d’orateurs pour prendre le pêcheur, mais par un pêcheur il a gagné l’empereur. Cyprien est un grand orateur, mais avant lui est venu Pierre le pêcheur, par qui devait croire non seulement l’orateur, mais encore l’empereur. Aucun noble, aucun savant n’a été choisi pour commencer : Dieu n’a choisi que ce qui était faible selon le monde pour confondre ce qui était fort. Ainsi ce grand homme en (lui il n’y avait pas de ruse n’a pas été choisi, et ç’a été uniquement parce que Dieu ne voulait pas paraître avoir choisi des savants. Il connaissait si bien la loi, que quand il entendit prononcer le nom de Nazareth (car il avait étudié à fond les Écritures ; il savait qu’on devait attendre de là le Sauveur du monde, ce que les Pharisiens et les autres docteurs de la loi ne connaissaient pas aussi bien), quand donc cet homme profondément versé dans la science des Écritures, et qui les connaissait si parfaitement eut entendu dire à Philippe : « Celui dont Moïse a écrit dans la loi, que les Prophètes ont annoncé, nous l’avons trouvé, c’est le Fils de Joseph, Jésus de Nazareth ». Au seul nom de Nazareth il sentit se raviver ses espérances et il dit : « De Nazareth il peut venir quelque chose de bon ».

18. Voyons ce qui le concerne encore : « Voici un véritable Israélite en qui il n’y a pas de ruse ». Qu’est-ce à dire : e En qui il n’y a pas e de ruse ? o N’était-il pas pécheur ? N’était-il pas malade ? Le médecin ne lui était-il pas nécessaire ? Non, personne ici-bas n’est venu au monde avec ce privilège de n’avoir nul besoin d’un tel médecin. Que signifie donc : « En qui il n’y a pas de ruse ? » Redoublons d’attention pour un moment, et bientôt la grâce de Dieu nous le fera découvrir. Le Seigneur se sert du mot ruse ou dol, et quiconque comprend le latin sait que dol consiste à faire une chose et à en penser une autre. Que votre charité remarque bien ceci. Dol n’est pas la même chose que douleur, et si je le dis, c’est que plusieurs de nos frères, peu habiles dans la langue latine, s’y trompent souvent, et disent : le dol le tourmente, au lieu de, la douleur le tourmente, Le dol est une fraude, une dissimulation. Par exemple, un homme cache une chose dans son cœur et en dit une autre, voilà un dol. C’est comme s’il avait deux cœurs, deux appartements, dans l’un desquels il voit la vérité, tandis que dans l’autre il machine le mensonge. Telle est l’idée que vous devez avoir du dol ; car il est écrit dans le psaume « Langues pleines de dol ». Qu’est-ce à dire : « Langues pleines de dol ? » Écoutez la suite : « Ils ont un cœur, et un cœur pour dire le mal jy ». Qu’est-ce à dire : « Un cœur et un cœur », sinon un cœur double ? Puis donc qu’il n’y avait pas de dol en Nathanaël, le médecin le jugeait guérissable, mais non en santé. Autre chose est d’avoir la santé, autre chose est de pouvoir être guéri, autre chose encore est de ne pouvoir guérir. Le malade dont on espère la guérison, on dit de lui qu’il peut guérir ; le malade dont on désespère, on le dit inguérissable ; quant à celui qui est en santé, il n’a pas besoin de médecin. Le médecin venu pour rendre la santé aux hommes jugea donc que Nathanaël pouvait être guéri, puisqu’il n’y avait pas de dol en lui. Comment n’y avait-il pas de dol en lui ? C’est que s’il était pécheur, il en convenait. Si, étant pécheur il s’était dit juste, le dol se serait trouvé dans sa bouche. Ainsi le Seigneur loua en Nathanaël l’aveu qu’il faisait de son péché ; mais il ne jugea pas qu’il fût exempt de fautes.

19. Les Pharisiens, qui se croyaient justes, faisaient au Sauveur un reproche de ce que le médecin se mêlait aux malades. Aussi disaient-ils : « Voyez avec qui il mange, c’est avec des Publicains et des pécheurs ». Le médecin répondit à ces frénétiques : « Ce n’est pas aux bien portants que le médecin est nécessaire, mais aux malades : je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs jz ». Vous vous croyez justes, quoique vous soyez pécheurs ; vous vous croyez bien portants, quoique vous soyez malades ; voilà pourquoi vous repoussez le remède et demeurez malades. Ainsi ce Pharisien qui avait invité le Seigneur à manger chez lui se croyait en santé ; une femme malade apparut brusquement en cette maison sans être invitée ; mais poussée par le désir de sa guérison, elle s’approcha, non pas de la tête, non pas des mains, mais des pieds du Seigneur, les arrosant de ses larmes, les essuyant avec ses cheveux, les couvrant de baisers, les oignant de parfums ; pécheresse, elle fit sa paix avec les pieds du Seigneur. Se croyant en santé, le Pharisien qui était à la table du médecin lui fit intérieurement un reproche et se dit à lui-même : « Si cet homme était un prophète, il saurait quelle femme lui touche les pieds ». Ce qui lui faisait croire à l’ignorance du Seigneur, c’est que Jésus ne repoussait pas cette femme ; car, à son avis, le Christ n’aurait pas voulu se laisser toucher par des mains aussi impures ; mais Jésus-Christ la connaissait, et il lui permit de le toucher et de trouver la guérison dans cet attouchement. Le Seigneur voyant la pensée du Pharisien, lui proposa cette comparaison : « Un créancier avait deux débiteurs. L’un lui devait cinq cents deniers, et l’autre cinquante. Comme ils n’avaient pas de quoi le payer, il remit à chacun sa dette. Lequel des deux l’aima le plus ? Simon répondit : Je crois, Seigneur, que c’est celui à qui il a le plus remis. Et se tournant vers la femme, Jésus dit à Simon : Tu vois cette femme ? Je suis entré dans ta maison, tu ne m’as pas donné d’eau pour laver mes pieds ; elle, au contraire, les a lavés de ses larmes, et les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m’as point donné de baisers ; mais elle n’a pas cessé de baiser mes pieds. Tu ne m’as pas donné d’huile pour ma tête ; elle, au contraire, a arrosé mes pieds de parfums ; c’est pourquoi je te dis : Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu’elle a beaucoup aimé ; mais celui à qui on remet peu aime peu ka ». Ce qui était lui dire : Tu es plus malade qu’elle, mais tu te crois en santé, tu penses qu’on te remet peu, bien que tu doives davantage. C’est à bon droit que cette femme en qui il n’y a pas de dol a mérité d’être guérie. Qu’est-ce à dire : En elle il n’y a pas de dol ? Elle confessait ses péchés. Aussi, ce que le Seigneur loue en Nathanaël, c’est l’absence de tromperie. En effet, plusieurs d’entre les Pharisiens, quoique remplis de péchés, se disaient justes, et par cette tromperie rendaient leur guérison impossible.

20. Ayant vu que cet homme n’avait pas de ruse, le Seigneur dit : « Voici un véritable Israélite en qui il n’y a pas de ruse. Nathanaël lui dit : Comment me connaissez-vous ? Jésus lui répondit : Avant que Philippe t’eût appelé lorsque tu étais sous le figuier, je t’ai vu », c’est-à-dire sous l’arbre de figues où tu étais. « Nathanaël lui répondit : Maître, vous êtes le Fils de Dieu, vous êtes le Roi d’Israël ». Sans doute Nathanaël a entrevu quelque chose de grand sous cette parole : « Pendant que tu étais sous le figuier, je t’ai vu avant que Philippe t’appelât », puisqu’il répondit par cette confession : « Vous êtes le Fils de Dieu, vous êtes le Roi d’Israël » ; la même que fit Pierre si longtemps après, lorsque le Seigneur lui dit : « Tu es bienheureux, Simon fils de Jean ; car ce n’est ni la chair, ni le sang qui te l’ont révélé, mais mon Père qui est au ciel  kb ». Ce fut alors qu’il lui donna le nom de Pierre et qu’il le loua comme étant devenu par cette foi le fondement de son Église. Nathanaël dit : « Vous êtes le Fils de Dieu, vous êtes le Roi d’Israël ». Pourquoi parle-t-il ainsi ? parce que le Seigneur lui a dit : « Avant que Philippe t’ait appelé, pendant que tu étais sous le figuier, je t’ai vu ».

21. Il nous faut chercher, mes frères, si ce figuier est un symbole. Soyez donc attentifs, Nous trouvons dans l’Évangile un figuier maudit parce qu’il ne portait que des feuilles et pas de fruits kc. À l’origine du genre humain, Adam et Eve ayant péché se tirent des ceintures de feuilles de figuier kd. Les feuilles de figuier représentent donc le péché. Nathanaël sous le figuier, c’est donc Nathanaël assis à l’ombre de la mort. Le Seigneur l’a vu, lui dont il est écrit : « Une lumière s’est levée sur ceux qui étaient assis à l’ombre de la mort ke ». Qu’est-ce donc qui a été dit à Nathanaël ? Tu me demandes, ô Nathanaël : « Comment me connaissez-vous ? » Tu commences à me parler parce que Philippe t’a appelé. Jésus-Christ a vu comme appartenant déjà à son Église celui qu’il a appelé par l’intermédiaire de son Apôtre. O Église, ô Israël, ô toi en qui ne se trouve aucune ruse, tu connais déjà le Seigneur par les Apôtres, comme Nathanaël l’a connu par Philippe. Mais avant que tu le connusses, lorsque tu gisais encore sous le péché, sa miséricorde avait jeté les yeux sur toi. Est-ce nous qui avons les premiers cherché le Christ ? N’est-ce pas lui qui nous a cherchés ? Malades, sommes-nous venus les premiers au médecin ? Ou le médecin a-t-il couru au-devant des malades ? Cette brebis n’était-elle pas égarée, et le pasteur laissant les quatre-vingt-dix-neuf autres ne l’a-t-il pas cherchée, retrouvée et rapportée sur ses épaules ? Et avec quelle joie ne l’a-t-il pas fait ? La drachme n’était-elle pas perdue, et la femme n’a-t-elle pas allumé sa lampe et cherché dans toute sa maison jusqu’à ce qu’elle fût retrouvée ? Et alors : « Réjouissez-vous avec moi », dit-elle à ses voisins, parce que j’ai retrouvé la drachme que j’avais perdue kf ». Ainsi nous étions égarés comme la brebis, nous étions perdus comme la drachme, et notre pasteur a retrouvé la brebis, mais pour l’avoir cherchée ; la femme a trouvé la drachme, mais en la cherchant. Qu’est-ce que cette femme ? La chair du Christ. Qu’est-ce que sa lampe ? « J’ai préparé une lampe à mon Christ kg ». Donc on nous a cherchés pour nous retrouver, on nous a retrouvés et nous parlons. Ne nous laissons donc pas entraîner à des sentiments d’orgueil ; car avant d’être retrouvés nous étions égarés ; nous aurions péri si Jésus-Christ ne nous avait cherchés. Que ceux que nous aimons et que nous voulons gagner à la paix de l’Église catholique, ne nous disent donc pas : Pourquoi nous voulez-vous ? Pourquoi nous chercher si nous sommes pécheurs ? Nous vous cherchons pour vous empêcher de vous perdre. Nous vous cherchons, parce qu’on nous a cherchés nous-mêmes. Nous voulons vous retrouver, parce que nous avons nous-mêmes été retrouvés.

22. C’est pourquoi Nathanaël ayant dit : « Comment me connaissez-vous ? » le Seigneur lui répondit : « Avant que Philippe t’appelât, pendant que tu étais sous le figuier, je t’ai vu ». O Israël, toi qui es sans ruse, ô qui que tu sois, peuple vivant de la foi, avant de t’appeler par mes Apôtres, pendant que tu étais assis à l’ombre de la mort et que tu ne me voyais pas, je t’ai vu. « Parce que je t’ai dit : Je t’ai vu sous le figuier, tu crois ; tu verras de plus grandes choses ». Qu’est-ce à dire : « Tu verras de plus grandes choses ? » Et il lui dit : « En vérité, en vérité, je te le dis : Tu verras le ciel ouvert, et les anges monter et descendre sur le Fils de l’homme ». Mes frères, je viens de dire je ne sais quoi de plus admirable que ceci : « Je t’ai vu sous le figuier ». De fait, en nous justifiant après nous avoir appelés, le Seigneur a fait plus qu’en jetant les yeux sua nous, et en nous voyant assis à l’ombre de la mort. Il nous a vus, mais quel profit es aurions-nous retiré, si nous étions restés d l’endroit où il nous a aperçus ? N’y serions-nous pas encore ? Qu’y a-t-il donc de plus considérable que nous ayons vu les anges monter et descendre sur le Fils de l’homme ?

23. Je vous ai déjà parlé de ces anges qui montaient et descendaient sur le Fils de l’homme ; mais de peur que vous rie l’ayez oublié, je vous le rappelle brièvement. Je le ferais plus longuement s’il était question de vous l’apprendre ; pour le moment je me contente de vous le rappeler à la mémoire. Jacob vit en songe une échelle, et sur cette échelle des anges qui montaient et descendaient ; en outre il oignit la pierre qu’il avait mise sous sa tête kh. On vous a expliqué que le Messie est le Christ, et que Christ ou oint est la même chose. Jacob n’avait pas mis là cette pierre qu’il oignit ensuite, dans l’intention de venir l’adorer ; car c’eût été de sa part un acte d’idolâtrie, et sa pierre n’aurait pas été une figure du Christ. Elle a donc été une figure, autant du moins que cela a été nécessaire, et cette figure a été celle du Christ. La pierre a été ointe, mais non pour devenir une idole. La pierre a été ointe, pourquoi une pierre ? « Voici que je place en Sion une pierre choisie et précieuse, et celui qui croira en elle ne sera pas confondu ki ». Pourquoi : a été ointe ? Parce que Christ vient de chrisma. Mais qu’est-ce que Jacob vit sur l’échelle ? Des anges qui montaient et descendaient. Ainsi est l’Église, unes frères. Les anges de Dieu, ce sont les bons prédicateurs, ceux qui annoncent le Christ, c’est-à-dire qui montent et descendent sur le Fils de l’homme. Comment montent-ils et comment descendent-ils ? L’un d’eux nous sert d’exemple. Écoute l’apôtre Paul ; ce que nous rencontrerons en lui, croyons-le des autres prédicateurs de la vérité. Vois monter Paul, « Je connais un homme en Jésus-Christ qui fut ravi, il y a quatorze ans, jusqu’au troisième ciel ; si ce fut en son corps ou avec son corps, je ne le sais pas, Dieu seul le sait. Et il y entendit des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à un homme de rapporter kj ». Tu l’as vu monter, vois-le maintenant descendre. « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels : comme à des enfants en Jésus-Christ je vous ai donné le lait, et non une nourriture solide  kk ». Ainsi descend celui qui était monté ; jusqu’où était-il monté ? « Jusqu’au troisième ciel ». Jusqu’où était-il descendu ? « Jusqu’à donner du lait aux enfants ». Écoute : voici comment il est descendu : « Je me suis fait », dit-il, « petit au milieu de vous, comme une nourrice qui nourrit ses enfants kl ». Nous voyons les nourrices et les mères descendre jusqu’à leurs enfants ; bien qu’elles sachent parler correctement le latin, elles écourtent néanmoins leurs paroles ; elles brisent en quelque sorte leur langage et, d’une langue accoutumée à bien dire, elles tirent des mots capables d’amuser de petits enfants. Car si elles parlaient suivant leur habitude, leurs enfants ne les entendraient pas et n’en profiteraient pas non plus. Ainsi en est-il d’un père éloquent, habitué à ébranler le forum et à faire retentir les tribunaux de sa parole, s’il a un petit enfant ; de retour en sa maison, il descend des hauteurs de cette éloquence dont il avait atteint le sommet au forum, et s’abaisse jusqu’à son enfant par la familiarité de sa conversation enfantine. Vois encore dans un même endroit l’Apôtre montant et descendant, et nous le découvrons dans une seule phrase : « Soit que nous sortions de nous-mêmes, c’est pour Dieu ; soit que nous soyons plus calmes, c’est pour vous  km ». Qu’est-ce à dire : « Soit que nous sortions de nous-mêmes, c’est pour Dieu ? » sinon : « afin de voir des choses qu’il n’est pas permis à l’homme de rapporter ? » Qu’est-ce à dire : « Quand nous sommes calmes, c’est pour vous ? » sinon : « Je n’ai fait profession de rien savoir parmi vous, que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié kn ? » Enfin, si le Seigneur lui-même est monté et descendu, il est manifeste que ses prédicateurs montent quand ils l’imitent, et descendent quand ils l’annoncent.

24. Si je vous ai retenus un peu plus longtemps que de coutume, ç’a été à dessein et pour laisser passer ces heures de réjouissances importunes. Je pense que les absents en ont fini avec leurs vanités, Pour nous, mes frères, nourris de mets salutaires, employons le temps qui nous reste de telle manière qu’après avoir passé la solennité du jour du Seigneur dans les joies spirituelles nous puissions comparer les joies de la vérité avec celles de la vanité. Cette comparaison nous inspirera de l’horreur pour ces frivolités ; cette horreur excitera notre douleur à l’égard de ce qu’ont fait nos frères, nous fera prier ; notre prière sera exaucée, et dès lors que nous serons exaucés, nous les gagnerons à Dieu.

SERMON CXXII. JÉSUS ET NATHANAËL ko.

ANALYSE. – Jésus dit à Nathanaël qu’il l’a vu sous le figuier, mais que lui-même ensuite verra le Fils de l’homme servi par les Anges. Que signifie ce langage ? – Le figuier rappelle le péché de nos premiers parents : Jésus veut donc dire qu’il a vu Nathanaël dans l’état du péché. Nathanaël verra ensuite le Fils de l’homme dans sa gloire servi pas les Anges : c’est une allusion au songe ni mystérieux de Jacob où tout figurait le Christ, soit la pierre parfumée d’onction, soit l’ange qui se laissa vaincre volontairement, soit Jacob même qui représente à la fois : le peuple juif dans sa partie réprouvée et dans sa partie fidèle, car le patriarche est à la fois boiteux et béni de Dieu ; le peuple chrétien qui a supplanté le peuple Juif et qui verra Dieu dans sa gloire ; le Christ enfin, car les Anges descendent et montent en même temps vers lui, c’est que le Christ est en même temps dans le ciel et sur la terre.

1. Si nous comprenons bien ce que Jésus-Christ Notre-Seigneur vient de dire à Nathanaël ; nous verrons que ses paroles ne s’adressaient pas seulement à lui. C’est en effet le genre humain tout entier que le Seigneur a vu sous le figuier. Le figuier en cet endroit signifie évidemment le péché. Le figuier n’a point partout cette signification, irais il l’a ici, comme je l’ai avancé, et ce qui porte à le croire, c’est que le premier homme, après son péché, se couvrit de feuilles de figuier, vous ne l’ignorez pas kp. Dans la confusion que leur inspirait leur crime ; nos premiers parents voilèrent sous ces feuilles des membres que Dieu leur avait donnés et dont eux-mêmes venaient de faire des Membres honteux. Assurément on ne doit pas rougir de l’œuvre de Dieu, le péché seul produit la confusion, et sans le péché ; la nudité même n’inspirerait aucune honte. Aussi bien Adam et Eve étaient-ils nus sans en rougir ; ils n’avaient rien fait d’humiliant. Pourquoi ces réflexions ? Pour nous amener à comprendre comment le figuier rappelle le péché. Que signifie alors : « Je t’ai vu lorsque tu étais sous le figuier ? » Je t’ai vu lorsque tu étais asservi au péché. Se rappelant alors un fait particulier, Nathanaël se souvint qu’il s’était trouvé effectivement sous un figuier et que Jésus n’était point là. Non, il n’y était pas de corps, mais où n’est point le regard de son esprit ? Nathanaël sachant donc qu’il s’était trouvé seul sous le figuier et que le Christ n’était point là, bien qu’il lui ait dit : « Je t’ai vu lorsque tu étais sous le figuier », comprit qu’il était Dieu et s’écria : « C’est vous le Roi d’Israël. »

2. Le Seigneur reprit : « Parce que je t’ai dit je t’ai vu lorsque tu étais sous le figuier, tu t’étonnes ; tu verras de plus grandes choses. » – Lesquelles ? – « Vous verrez le ciel ouvert et les Anges de Dieu montant et descendant vers le Fils de l’homme. » Rappelons une ancienne histoire consignée dans un de nos livres saints, dans la Genèse. Jacob voulant s’endormir plaça une pierre sous sa tête. Or il vit en songe une échelle qui allait de la terre jusqu’au ciel ; au-dessus s’appuyait le Seigneur et sur les degrés de cette échelle les anges montaient et descendaient. Voilà ce que vit Jacob. Ce songe ne serait pas dans l’Écriture s’il ne désignait quelque profond mystère et s’il ne contenait quelque prophétie importante. Aussi Jacob l’ayant compris plaça en cet endroit une pierre sur laquelle il répandit de l’huile kq. Vous connaissez la nature du chrême ; ici donc voyez aussi le Christ. Il est la pierre rejetée par les constructeurs et devenue pierre angulaire kr, Il est la pierre dont lui-même a dit : « Celui qui se heurtera contre cette pierre sera écrasé, et celui sur qui elle tombera sera brisé ks. » On se heurte contre elle quand elle est à terre ; elle tombera quand elle viendra du ciel juger les vivants et les morts. Malheur aux Juifs qui se sont heurtés contre le Christ, lorsqu’il était à terre dans son humilité ! « Cet homme, disaient-ils, ne vient pas de Dieu, puisqu’il viole le Sabbat kt. » – « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de la croix ku. » Insensé ! tu ris parce que la pierre est à terre ; mais tu montres en riant combien tu es aveugle, et dans ton aveuglement tu te heurtes, et en te heurtant tu te brises, et après t’être brisé contre cette pierre qui maintenant est à terre, tu seras broyé par elle lorsqu’elle viendra d’en haut. Ainsi donc Jacob fit une onction à la pierre, Était-ce pour en faire une idole ? C’était pour en faire un monument et non pour l’adorer. Maintenant donc revenons à Nathanaël, puisque c’est à son occasion que Jésus Notre-Seigneur a voulu nous expliquer la vision de Jacob.

3. Vous êtes instruits à l’école du Christ, vous savez que Jacob s’appelle en même temps Israël. Le même homme porte deux noms : le premier, qui signifie supplantateur, lui fut donné au moment de sa naissance. Esaü en effet naquit le premier de ces deux frères jumeaux, et on remarqua que la main de Jacob lui tenait le pied ; il lui tenait le pied pendant qu’Esaü sortait le premier du sein maternel, et lui-même n’en sortit qu’après. Or c’est parce qu’il lui tenait ainsi la plante du pied qu’il fut appelé Jacob kv, c’est-à-dire supplantateur. Plus tard, lorsqu’il revenait de Mésopotamie, il lutta sur la route contre un ange. Un homme peut-il lutter vraiment avec un ange ? Ici donc il y a un mystère, une espèce de sacrement, une prophétie, une figure, que nous devons nous attacher à comprendre. Remarquez de plus, en effet, comment lutta Jacob. Il l’emporta sur l’ange, dans la lutte, ce qui renferme une signification profonde ; et après l’avoir emporté sur lui, il le retint ; oui, l’homme vainqueur retint l’ange vaincu. « Je ne te laisse pas aller, lui dit-il, si tu ne me bénis. » Quelle idée de Jésus-Christ dans cette bénédiction donnée par le vaincu au vainqueur ! Ce fut alors que cet ange, en qui nous voyons Jésus Notre-Seigneur, dit à Jacob : « Tu ne t’appelleras plus Jacob, tu porteras le nom d’Israël ; » Israël, qui voit Dieu. Il lui toucha ensuite le nerf de la cuisse, dans toute son étendue ; et ce nerf se dessécha, et Jacob devint boiteux kw. Voilà ce que fit le vaincu. Même après sa défaite il fut capable de toucher la cuisse de son vainqueur et de le rendre boiteux. N’est-ce donc pas volontairement qu’il fut vaincu ? C’est qu’il avait le pouvoir de déposer ses forces, et le pouvoir de les reprendre kx. S’il ne s’irrite point d’être vaincu, il ne s’irrite point non plus d’être crucifié. Il bénit même son vainqueur en lui disant : « Tu ne t’appelleras plus Jacob, mais Israël. » Ainsi le supplantateur voyait Dieu. Je l’ai déjà dit, l’ange en touchant Jacob le rendit boiteux. Vois dans Jacob la figure du peuple juif : vois-y d’abord ces milliers d’hommes qui suivaient et qui précédaient le Seigneur sur sa monture, qui s’unissaient aux Apôtres pour adorer le Seigneur et qui s’écriaient : « Hosanna au Fils de David ; béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur ky ! » Voilà Jacob en tant qu’il a reçu la bénédiction. S’il est resté boiteux, c’est pour représenter les Juifs restés dans le Judaïsme. L’étendue du nerf blessé désigne le grand nombre de Juifs qui ne sont pas Chrétiens. Il est un psaume qui parle d’eux. Ce psaume prédit d’abord la conversion des gentils. « Un peuple que je ne connaissais pas m’a servi, il m’a prêté une oreille docile. » Ainsi donc la foi vient par l’audition, et l’audition par la parole du Christ kz. Le Psaume continue : « Mes enfants rebelles m’ont menti, mes enfants rebelles se sont en« durcis et ont boité dans leurs voies la. » Voilà bien Jacob, Jacob béni et Jacob boiteux.

4. N’oublions pas, à cette occasion, d’examiner une question qui pourrait se présenter à quelqu’un d’entre vous et le préoccuper. Abraham aussi, l’aïeul de Jacob, changea de nom. Il s’appelait d’abord Abram et Dieu lui donnant un autre nom lui dit : « Tu ne t’appelleras plus Abram, mais Abraham lb. » Pourquoi donc, désormais, ne s’appelle-t-il plus Abram ? Feuilletez les Écritures et vous remarquerez qu’avant de recevoir un nom nouveau il n’était désigné que sous le nom d’Abram : et qu’après avoir reçu ce nouveau nom, il ne s’appelait plus qu’Abraham. Pour changer le nom de Jacob ont dit comme à Abraham : « Tu ne t’appelleras plus Jacob, mais tu l’appelleras Israël. » Eh bien ! feuilletez aussi les Écritures, et vous observerez que Jacob porta toujours ces deux noms de Jacob et d’Israël. Abraham, après son changement de nom, ne fut plus appelé qu’Abraham ; et après avoir également changé de nom, Jacob fut appelé en même temps Jacob et Israël. C’est que la signification du nom d’Abraham devait recevoir son accomplissement dans ce siècle : ce nom signifie en effet qu’Abraham est devenu le père de peuples nombreux, tandis que le none d’Israël nous reporte vers l’autre monde où nous verrons Dieu. Aussi le peuple de Dieu, le peuple chrétien est maintenant tout à la fois Jacob et Israël, Jacob en réalité et Israël en espérance. Ce peuple puîné n’a-t-il pas effectivement supplanté son frère aîné ? N’avons-nous pas supplanté le peuple juif ? Nous pouvons dire que nous les avons supplantés, puisque c’est à cause de nous qu’ils le sont. S’ils n’étaient tombés dans l’aveuglement, ils n’auraient pas crucifié le Christ ; si le Christ n’eût été crucifié, son sang précieux n’eût pas été répandu ; et si son sang n’eût pas été répandu, il n’aurait pas racheté l’univers. Et comme leur aveuglement nous a servi, l’aîné a dû être supplanté par le puîné, nommé pour ce motif supplantateur. Mais combien de temps le sera-t-il ?

5. Viendra un jour, viendra la fin du siècle et tout Israël se convertira, non pas les Israélites d’aujourd’hui, mais leurs descendants. Car en poursuivant leurs voies ils aboutiront, ils arriveront à la damnation éternelle. Mais quand ce peuple entier sera entré dans l’unité, alors s’accomplira ce que nous chantons : « Je serai rassasié, lorsque se manifestera votre gloire lc ; » lorsque se réalisera la promesse qui nous est faite, de vous voir face à face. Nous voyons aujourd’hui dans un miroir, en, énigme et en partie seulement ; mais quand également purifiés, ressuscités, couronnés, devenus immortels et incorruptibles – à tout jamais, les deux peuples verront Dieu face à face et qu’il n’y aura plus de Jacob, mais seulement un Israël ; le Seigneur alors le contemplera comme il contemplait ce saint Nathanaël et il dira : « Voilà un véritable Israélite, en qui il n’y a point d’artifice. » En entendant ces mots : « Voilà un véritable Israélite », rappelle-toi Israël, et en te rappelant Israël, souviens-toi de ce songe durant lequel Israël vit une échelle qui allait de la terre au ciel, le Seigneur appuyé sur cette échelle, et les Anges qui y montaient et y descendaient. Ce fut après ce songe, quelque temps après, quand il revenait de Mésopotamie, durant le voyage même, que Jacob reçut le nom d’Israël. Jacob donc, Jacob ou Israël ayant vu cette échelle mystérieuse, et Nathanaël étant de son côté un vrai Israélite sans aucun artifice, ne comprends-tu pas pour quel motif le Seigneur lui répondit : « Tu verras de plus grandes choses ; » et pour quel motif il lui rappela le songe de Jacob, lorsqu’il le vit étonné de cette parole : « Je t’ai vu sous le figuier ? » A qui en effet le Sauveur parlait-il ainsi ? À un homme qu’il venait d’appeler un Israélite véritable et sans artifice. C’est donc comme s’il lui eût dit : Tu verras s’accomplir en toi le songe de celui dont je t’ai donné le nom ; assez de cette admiration prématurée ; tu verras de plus grandes choses. « Tu verras le ciel ouvert, et les Anges de Dieu montant et descendant vers le Fils de l’homme. » Voilà bien ce que vit Jacob ; voilà pourquoi il répandit de l’huile sur la pierre ; voilà pourquoi, devenu prophète, il érigea ce monument comme figure du Christ ; car tout cela était prophétique.

6. Je sais ce que vous attendez maintenant, je comprends ce que vous demandez de moi. Je l’exprimerai en peu de mots également et comme Dieu m’en fera la grâce.« Les Anges descendaient et montaient vers le Fils de l’homme. » S’ils descendent vers lui, n’est-il pas en bas ? et s’ils montent vers lui, n’est-il pas en haut ? Et s’ils montent – vers lui et y descendent tout à la.fois, n’est-il pas en même temps et en haut et en bas ? Non, il n’est pas possible que dès Anges descendent et montent en même temps, s’il n’est en même temps et en haut où ils montent, et en bas où ils descendent, Mais comment prouver qu’il est tout.à la fois et ici et là ? Paul nous répondra. Il portait d’abord le nom de Saut, il était d’abord persécuteur ; ce fut alors qu’il comprit ce problème et qu’il devint prédicateur. Jacob d’abord, et Israël ensuite, de la race d’Israël et de la tribu de Benjamin ld, il nous montrera que le Christ est en même temps au ciel et sur la terre. N’est-ce pas ce que lui fil entendre dès le principe cette grande voix descendue du ciel : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » Paul en effet était-il monté au ciel ? Avait-il contre le ciel lancé même une pierre ? C’était les Chrétiens qu’il persécutait, les Chrétiens qu’il enchaînait, les Chrétiens qu’il traînait à la mort, cherchant à les découvrir partout dans leurs retraites et ne leur pardonnant jamais quand il était parvenu à les découvrir. Le Christ notre Seigneur lui cria donc alors : « Saul, Saul. » D’où lui criait le, Sauveur ? Du haut du ciel. Il y est donc. « Pourquoi me persécutes-tu ? le » Il est donc sur la terre.J'ai tout expliqué, bien qu’en peu de mots et comme je l’ai pu, à votre charité. J’ai donné comme j’y suis obligé ; à vous maintenant de vous occuper des pauvres, selon, votre devoir. Tournons-nous, etc.
serm. I
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