dIsa 7,9, suiv. les Septante
boPro 10, 10, Sel. LXX
bs1Co 3, 46-47
cp1Jn 11, 19
 
 
 
czPro 23, 1-2, suiv. les Septante
dmSag 1, 11
do2Ti 5, 6
elLuc 14, 44

‏ John 10

QUARANTE-CINQUIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CET ENDROIT : « CELUI QUI N’ENTRE POINT PAR LA PORTE DANS LA BERGERIE DES BREBIS, MAIS QUI Y ENTRE AUTREMENT, EST UN VOLEUR ET UN BRIGAND », JUSQU’À CET AUTRE : « JE SUIS VENU POUR QU’ELLES AIENT LA VIE, ET QU’ELLES L’AIENT PLUS ABONDAMMENT. (Chap 10,1-10.)

LA PORTE ET LE PASTEUR.

Jésus-Christ est cette porte : si on ne passe point par elle, les meilleures œuvres sont inutiles. Par conséquent, ni les païens, ni les Juifs, assez aveugles pour ne pas reconnaître le Fils de Dieu fait homme, ne pouvaient ni se sauver eux-mêmes, ni sauver leurs disciples ; de même en est-il des hérétiques. Ses brebis sont ceux qui ont écouté avec docilité le Sauveur, soit dans la personne des prophètes, soit dans sa propre personne, qui ont été prédestinés, qui persévèrent dans le bien jusqu’à la fin : ceux-là entrent parla porte dans l’Église où ils se sanctifient, et, plus tard, ils sortent encore par la porte pour être admis dans le ciel.

1. Ce discours de Notre-Seigneur aux Juifs a commencé à l’occasion de la guérison de l’aveugle-né. La leçon de ce jour ne fait donc avec celle d’hier qu’un seul tout ; j’en avertis votre charité, et je tiens à ce qu’elle le sache. En effet, le Sauveur avait dit : « Je suis venu en ce monde pour le jugement, afin que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles ». Nous avons expliqué de notre mieux cette leçon, au moment où elle a été lue. Alors quelques-uns d’entre les Pharisiens lui avaient répondu : « Et nous, sommes-nous aussi des aveugles ? » Il reprit : « Si vous étiez des aveugles, vous n’auriez point de péché ; mais maintenant, vous dites : Nous voyons, et votre péché demeure a ». À ces paroles il ajouta celles que nous venons d’entendre.

2. « En vérité, en vérité, je vous le dis : celui qui n’entre point par la porte dans la bergerie des brebis, mais qui y entre autrement, est un voleur et un brigand ». Les Juifs ont dit qu’ils n’étaient pas des aveugles ; ils pourraient voir maintenant s’ils sont des brebis du Christ. Comment s’attribuaient-ils injustement le privilège de la lumière, eux qui s’emportaient comme des furieux contre le jour ? C’est à cause de leur vaine, orgueilleuse et inguérissable arrogance, que le Seigneur Jésus a ajouté ces paroles aux précédentes ; si nous voulons y prêter attention, nous y trouverons pour nous un salutaire avertissement. Il en est un bon nombre qui, en raison d’une certaine régularité de conduite, passent pour être des hommes irréprochables, de bons époux, d’excellentes femmes, des innocents et des observateurs de tous les préceptes de la loi. Ils honorent leurs pères et mères, ne se livrent point au libertinage, ne commettent pas l’homicide, ne se rendent coupables d’aucun vol, ne rendent de faux témoignage contre personne ; ils semblent accomplir tout ce que la loi prescrit, et toutefois, ils ne sont pas chrétiens, et la plupart du temps ils se vantent comme faisaient les interlocuteurs de Jésus : « Et nous, sommes-nous aussi des aveugles ? » Ils font toutes ces œuvres, mais ils ne savent pour quelle fin, et par conséquent leurs œuvres sont inutiles ; c’est pourquoi, dans la leçon d’aujourd’hui, le Sauveur propose une similitude relative à son troupeau, et à là porte par laquelle on entre dans la bergerie. Que les païens disent : Nous nous conduisons sagement ; s’ils n’entrent point par la porte, à quoi leur sert ce dont ils font parade ? Bien vivre, voilà où chacun doit trouver le moyen de toujours vivre ; car à quoi sert la bonne vie, si elle n’aboutit à la vie éternelle ? Évidemment, ceux-là ne doivent point avoir la réputation de bien vivre, qui sont assez aveugles pour ne pas savoir où ils tendent, ou assez orgueilleux pour ne pas s’en occuper. Quant à l’espérance vraie et certaine de vivre toujours, personne ne peut l’avoir s’il ne connaît préalablement la vie, c’est-à-dire le Christ, et s’il n’entre dans la bergerie par la porte.

3. Les hommes dont nous parlons cherchent souvent aussi à persuader aux autres de bien vivre, sans être, pour cela, chrétiens. Ils veulent entrer par une autre porte, pour enlever les brebis et les tuer, et non, comme le pasteur, pour les conserver et les sauver. On a vu certains philosophes disserter subtilement sur les vertus et les vices ; ils distinguaient, ils définissaient, ils établissaient des raisonnements sur des pointes d’aiguilles, ils remplissaient des livres, ils vantaient leur sagesse à grand renfort de déclamations pompeuses ; ils allaient jusqu’à dire aux hommes : Suivez-nous, entrez dans notre secte, si vous voulez vivre heureux. Mais ils n’étaient pas entrés par la porte ; ils voulaient perdre, détruire et égorger.

4. Que dirai-je des Juifs ? Les Pharisiens lisaient les Écritures, et ce qu’ils lisaient leur parlait du Christ ; sa venue était l’objet de leurs espérances ; il était au milieu d’eux, et ils ne le reconnaissaient pas ; ils se vantaient d’être du nombre des voyants, c’est-à-dire du nombre des sages, ils refusaient de confesser le Christ et n’entraient point par la porte ; eux aussi, par conséquent, s’ils parvenaient à entraîner après eux quelques adeptes, ils les séduisaient, non pour les délivrer, mais pour les égorger et les faire mourir. Laissons-les donc pareillement de côté, pour savoir si ceux qui se glorifient de porter le nom de chrétiens entrent tous par la porte.

5. Ils sont innombrables ceux qui, non contents de se glorifier comme voyants, prétendent être regardés comme étant illuminés par le Christ ; on ne voit pourtant en eux que des hérétiques. Peut-être sont-ils entrés par la porte ? Non. Au dire de Sabellius, le Fils n’est autre que le Père ; néanmoins, s’il est le Fils, il n’est pas le Père. Celui qui affirme que le Fils est le Père, n’entre point par la porte. Arius dit à son tour : Autre chose est le Père, autre chose est le Fils. Il s’exprimerait avec justesse, s’il disait : autre, et non autre chose. En disant : autre chose, il se met en contradiction avec celui qui a proféré ces paroles : « Mon Père et moi, nous sommes a une seule et même chose b ». Lui non plus n’entre point par la porte, puisqu’il parle du Christ, non dans le sens de la vérité, mais selon son sens propre. Tu profères un nom qui ne s’applique à aucune réalité. Il est évident que le nom de Christ doit s’appliquer à. quelque chose de réel ; crois donc à ce quelque chose, si tu veux que le nom de Christ ne soit point vide de sens. Un autre, venu je ne sais de quel pays, comme Photin, soutient que le Christ est un homme et qu’il n’est pas Dieu ; celui-là n’entre pas davantage par la porte, car le Christ est, en même temps, homme et Dieu. Mais il est inutile de citer un plus grand nombre d’erreurs ; à quoi nous servirait d’énumérer tous les vains systèmes des hérétiques ? Tenez ceci pour certain : le bercail du Christ, c’est l’Église catholique ; quiconque veut y pénétrer, doit passer par la porte et confesser hautement le vrai Christ, et il doit non seulement confesser le vrai Christ, mais chercher la gloire du Christ, et non la sienne propre ; car en cherchant leur propre gloire, beaucoup ont plutôt dispersé les brebis du Sauveur, qu’ils ne les ont réunies ensemble. La porte, qui est le Seigneur-Christ, ne s’élève pas bien haut ; pour y passer, il faut s’abaisser, afin de pouvoir y entrer sans se blesser la tête. Celui qui s’élève au lieu de s’abaisser, veut escalader le mur ; et celui qui escalade le mur, ne s’élève que pour tomber.

6. Cependant, le Sauveur Jésus parle encore à mots couverts, on ne le comprend pas encore ; il prononce les mots de porte, de bercail, de brebis ; il appelle, sur tout cela, notre attention, mais il ne nous l’explique pas encore. Continuons donc notre lecture ; il ne tardera pas à en venir à l’explication des paroles qu’il vient de nous adresser ; il daignera bientôt nous en indiquer le sens ; par là, il nous donnera peut-être de comprendre même celles qu’il ne nous a pas expliquées. Il nourrit notre âme par les enseignements qui ne présentent pas d’obscurité ; par les autres, il en éveille la sagacité. « Celui qui n’entre point par la porte dans la bergerie des brebis, mais qui y pénètre autrement ». Malheur à cet infortuné, parce qu’il tombera immanquablement ! Qu’il se baisse donc pour entrer par la porte ; puisqu’il marche sans crainte, il ne se blessera pas. « Celui-là est un voleur et un brigand ». Il veut appeler siennes les brebis d’autrui ; il veut les faire siennes, en les dérobant, non pour les sauver, mais pour les faire périr. Il est donc un voleur, puisqu’il appelle sien ce qui appartient à autrui ; il est un brigand, puisqu’il tue ce qu’il a volé. « Celui qui entre par la porte est le pasteur des brebis ; le portier lui ouvre ». Quand le Sauveur nous aura dit ce que c’est que la porte et qui est le pasteur, nous chercherons à savoir qui est ce portier. « Et les brebis écoutent sa voix, et il appelle ses propres brebis par leur nom ». Car il a leurs noms écrits dans le livre de vie. « Il appelle ses propres brebis par leur nom ». Voilà pourquoi l’Apôtre a dit : « Le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent c. Et il les conduit hors de la bergerie, et quand il a fait sortir ses brebis, il va devant elles, et les brebis le suivent ; car elles connaissent sa voix ; mais elles ne suivent point un étranger, et elles fuient loin de lui, parce qu’elles ne connaissent point la voix des étrangers ». Ces paroles sont obscures, pleines de difficultés, grosses de mystères. Suivons donc et Écoutons le Maître ; il va soulever un coin du voile qui les couvre ; et par cela même qu’il nous ouvrira, il nous fera peut-être la grâce d’entrer.

7. « Jésus leur proposa cette similitude, mais ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait ». Ni nous non plus, peut-être. Quelle différence y a-t-il entre eux et nous, avant que nous saisissions nous-mêmes le sens de ces paroles ? C’est que nous frappons pour qu’on nous ouvre ; eux, au contraire, en refusant de reconnaître le Christ, ne voulaient point entrer pour se conserver ; mais ils prétendaient rester dehors, et devaient y trouver leur perte ; nous Écoutons donc avec un pieux respect les paroles du Sauveur ; avant de les comprendre, nous les considérons comme l’expression de la vérité et comme émanées de Dieu même ; voilà la distance qui nous sépare des interlocuteurs de Jésus. Lorsque deux personnes, l’une impie et l’autre pieuse, entendent les paroles de l’Évangile, ces paroles peuvent sembler si différentes aux deux personnes, qu’elles soient comprises par elles dans un sens tout opposé d’après celle-ci, le Sauveur n’aurait rien dit ; suivant l’opinion de celle-là, il aurait dit la vérité ; ses paroles seraient excellentes, seulement on ne les aurait pas saisies. Parce que l’une a la foi, elle frappe déjà et mérite qu’on lui ouvre, si elle continue à frapper ; pour l’autre, elle en est encore à entendre ces paroles : « Si vous ne croyez point, vous ne comprendrez pas d ». Pourquoi ces réflexions de ma part ? Le voici. Après que j’aurai expliqué de mon mieux ces obscures paroles, quelqu’un d’entrevous pourra encore ne pas les comprendre, soit parce qu’elles sont vraiment trop difficiles à pénétrer, soit parce que je n’en aurai pas découvert tout le sens, ou que mes expressions n’auront pas exactement rendu ma pensée ; soit, enfin, parce que son intelligence à lui serait lente et incapable de suivre mes explications : qu’il ne se désole pas, cependant ; que sa foi demeure ferme, qu’il marche tranquillement son chemin, qu’il prête l’oreille à cet avertissement de l’Apôtre : « Si vous avez d’autres pensées, Dieu vous éclairera ; cependant, par rapport aux choses que nous connaissons, ayons les mêmes sentiments e ».

8. Commençons donc à écouter l’explication que le Sauveur va nous donner de ses précédentes paroles a Jésus leur dit de « nouveau : En vérité, en vérité, je vous le « déclare : je suis la porte des brebis n. Il vient d’ouvrir la porte qu’il nous avait montrée fermée. Il est lui-même cette porte. Nous le reconnaissons. Entrons donc, ou réjouissons-nous d’être déjà entrés. « Tous ceux qui sont venus sont des voleurs et des brigands ». Seigneur, que veulent dire ces paroles : « Tous ceux qui sont venus ? » Eh quoi ! n’êtes-vous pas venu vous-même ? Veuillez donc me comprendre. En disant : « Tous ceux qui sont venus, sont des voleurs et des brigands », j’ai évidemment sous-entendu en dehors de moi. Reportons-nous donc en arrière. Avant la venue du Sauveur, les Prophètes ont paru ; étaient-ils des voleurs et des brigands ? Non, car, au lieu d’être en dehors de lui, ils étaient avec lui. Il avait envoyé devant lui des hérauts, mais il tenait en ses mains le cœur de ces émissaires divins. Voulez-vous être certains qu’ils étaient venus avec le Christ qui est toujours ? Il s’est fait homme dans le temps. Qu’est-ce à dire : toujours ? « Au commencement était le Verbe f ». Ceux qui sont venus avec le Verbe sont donc venus avec le Christ. « Je suis », dit-il, « la voie, la vérité et la vie g ». S’il est la vérité, les Prophètes sont donc venus avec lui, puisqu’ils ont dit la vérité. Tous ceux qui sont venus en dehors de lui sont, par conséquent, « des voleurs et des brigands » ; ils sont venus pour voler et faire mourir.

9. « Mais les brebis ne les ont point entendus ». Ces paroles : « Les brebis ne les ont point entendus », sont plus obscures encore. Avant que Notre-Seigneur Jésus-Christ vint sur la terre et s’humiliât jusqu’à se faire homme, il y eut des justes pour croire qu’il viendrait, comme nous croyons qu’il est déjà venu. Les temps ont été divers, mais la foi a toujours été la même. Les verbes eux-mêmes changent suivant les époques qu’ils désignent, puisqu’ils ont une terminaison différente. Il viendra, ne se prononce pas comme, il est venu. Quand on dit : Il viendra, on ne fait pas entendre le même son de voix qu’en disant : il est venu ; néanmoins, la même croyance unit et ceux qui ont cru à sa venue future, et ceux qui le croient venu. Nous voyons que les uns et les autres sont tous entrés, quoique à des époques différentes, par la porte de la foi, c’est-à-dire par le Christ. Nous croyons que Notre-Seigneur Jésus-Christ, né d’une Vierge, est venu dans la chair, qu’il y est mort, ressuscité et monté au ciel. Comme ces verbes sont au temps passé, nous croyons que tous ces événements se sont accomplis. Nos pères, qui ont cru que le Sauveur naîtrait d’une Vierge, mourrait, ressusciterait et monterait au ciel, sont unis à nous, par les liens d’une même foi ; c’est à eux que l’Apôtre fait allusion quand il dit : « Nous avons un même esprit de foi, selon qu’il est écrit : J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé ; nous croyons aussi, et c’est pour cela que nous parlons h ». Le Prophète avait dit : « J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé i » ; l’Apôtre dit à son tour : « Nous croyons aussi, et c’est pour cela que nous parlons ». Et pour prouver qu’il y a unité de foi, Paul dit expressément : « Nous avons un même esprit de foi, et nous croyons ». Voici ce que nous lisons dans une autre de ses épîtres : « Mes frères, je ne veux, point vous laisser ignorer que nos pères ont tous été sous la nuée, qu’ils ont tous passé la mer Rouge, et qu’ils ont tous été baptisés sous la conduite de Moïse, dans la nuée et dans la mer, qu’ils ont tous mangé la même viande spirituelle, et qu’ils ont bu le même breuvage spirituel ». La mer Rouge est l’emblème du baptême : Moïse, qui a conduit les Israélites à travers la mer Rouge, représente le Christ ; le peuple qui la franchit, ce sont les fidèles ; la mort des Égyptiens signifie la rémission des péchés. Les signes sont différents, la foi est la même. Il en est de la diversité des signes comme de la diversité des paroles ; les paroles se prononcent différemment selon qu’elles représentent un temps ou un autre, et véritablement elles ne sont rien autre chose que des signes. Elles ne sont des paroles qu’autant qu’elles ont un sens ; ôte à une parole sa signification, il ne reste plus qu’un vain bruit. Toutes choses ont donc été représentées par un signe. Ceux qui nous transmettaient ces signes, et nous annonçaient d’avance par des prophéties ce que nous croyons aujourd’hui, ceux-là n’avaient-ils pas la même foi que nous ? Certes, ils croyaient comme nous, avec cette seule différence que l’avenir était l’objet de leur foi, et que le passé est l’objet de la nôtre. Voilà pourquoi l’Apôtre a dit : « Ils ont bu le même breuvage spirituel » ; le même breuvage spirituel ; car, celui dont ils rafraîchissaient leurs corps était différent. Que buvaient-ils spirituellement ? « Ils buvaient de l’eau de la pierre spirituelle qui les suivait, et cette pierre était Jésus-Christ j ». Remarquez-le donc : quoique la foi fût toujours la même, les signes ont varié. Pour nos pères, le Christ était la pierre ; pour nous, le Christ est placé sur l’autel. Par une grande et mystérieuse allusion au même Christ, ils buvaient de l’eau qui sortait de la pierre ; ce que nous buvons nous-mêmes, les fidèles le savent. Si tu t’arrêtes aux apparences, tu verras une différence réelle ; mais si tu pénètres le sens caché, tu te convaincras qu’ils ont bu le même breuvage spirituel. Tous ceux donc qui, dans les temps antérieurs au Christ, ont ajouté foi aux prédictions d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, de Moïse, des autres patriarches et des autres Prophètes qui annonçaient le Christ, ceux-là en étaient les brebis ; ils ont entendu le Christ lui-même ; non une voix étrangère, mais sa propre voix. C’était un juge qui parlait par la bouche de son huissier ; car, lorsqu’un juge rend ses sentences par l’intermédiaire de l’huissier, le greffier n’écrit pas : l’huissier a prononcé ; c’est le juge qui a prononcé. Par conséquent, il en est d’autres que les brebis n’ont point entendus ; le Christ n’était pas avec eux ; ils se trompaient, ils disaient des faussetés, ils gazouillaient niaisement, imaginaient des inutilités et séduisaient des malheureux.

10. Mais pourquoi ai-je dit que ces paroles offraient une difficulté plus grande que les autres ? Qu’y a-t-il ici d’obscur et de difficile à comprendre ? Écoutez-moi, je vous en prie. Voilà que Notre-Seigneur Jésus-Christ est venu et qu’il a prêché ; c’était, sans contredit, la voix par excellence du pasteur : ses paroles sortaient de la bouche même du pasteur. Si, en passant par l’organe des Prophètes, elles étaient bien celles du pasteur, que dire de celles qui tombaient de ses propres lèvres ? N’étaient-elles pas, plus que toutes les autres, les paroles du pasteur ? Tous ne l’ont pas entendu ; mais, à notre avis, ceux qui l’ont entendu étaient-ils ses brebis ? Judas l’a entendu : c’était un loup qui le suivait et lui tendait des embûches en se couvrant d’une peau de brebis. Quelques-uns de ceux qui crucifiaient le Sauveur ne l’entendaient pas, et faisaient pourtant partie de son troupeau, car il les apercevait au milieu de la foule, quand il disait : « Lorsque vous aurez élevé « le Fils de l’homme, alors vous saurez que je suis k ». De quelle manière trancher cette difficulté ? Il y en a qui l’écoutent, quoiqu’ils ne soient point ses brebis, et parmi ses brebis, il en est qui ne l’écoutent pas ; certains loups suivent le pasteur à la voix, et certaines brebis lui désobéissent : en fin de compte, on voit des brebis tuer leur pasteur. Voilà comment on résout la difficulté proposée. Quelqu’un répond en disant : Quand on ne l’écoutait pas, on n’était pas encore du nombre des brebis, mais du côté des loups ; dès qu’on a entendu sa voix, on s’est transformé : de loup on est devenu brebis ; à peine changé en brebis, on a entendu le pasteur, on l’a trouvé et suivi, et parce qu’on a obéi à ses ordres, on a espéré en ses promesses.

11. La difficulté est évidemment bien résolue, et l’explication que nous en avons donnée suffira peut-être à plusieurs. Pour moi, elle m’embarrasse encore, et l’embarras qu’elle me cause, je vous en fais part, afin qu’en cherchant en quelque sorte avec vous une solution plus complète, je mérite, par la grâce de Dieu, de la trouver avec vous. Apprenez donc ce qui me gêne en cela. Par la bouche du prophète Ezéchiel, le Seigneur fait des reproches aux pasteurs, et, entre autres choses, il dit ceci des brebis : « Vous n’avez point rappelé la brebis égarée l ». Il parle « d’une brebis », et il la dit « égarée » ; si, au moment où cette brebis se trouvait égarée, elle n’avait pas cessé d’être une brebis, de qui écoutait-elle la voix pour s’écarter ainsi du bon chemin ? Sans aucun doute, elle suivrait le droit chemin, si elle écoutait la voix du pasteur ; mais parce qu’elle a écouté celle d’un étranger, elle s’est éloignée de la bonne voie : elle s’est rendue attentive à la parole d’un voleur et d’un brigand. Il est sûr que les brebis ne prêtent point l’oreille aux appels des larrons. « Ceux qui sont venus », dit le Sauveur, et nous comprenons qu’il veut dire En dehors de moi : « Ceux qui sont venus en dehors de moi, sont des voleurs et des brigands, et les brebis ne les ont pas écoutés ». Seigneur, si les brebis ne les ont pas écoutés, comment ont-elles pu s’égarer ? Les brebis, vous le dites, n’écoutent que vous ; vous êtes la vérité même, et quiconque prête l’oreille à la vérité, ne s’égare pas. Pour ceux-là, ils se sont égarés, et on leur donne encore le nom de brebis : évidemment, on les appelle ainsi, même quand ils ont quitté le droit chemin ; sans cela, Ezéchiel n’aurait pas dit : « Vous n’avez point rappelé la brebis égarée ». Comment se fait-il qu’on se soit égaré sans démériter le nom de brebis ? A-t-on entendu la voix d’un étranger ? Certes, « les brebis ne les ont pas entendus ». Beaucoup sont choisis parmi les hérétiques pour entrer dans le bercail du Christ et devenir catholiques : on en enlève un bon nombre aux voleurs pour les rendre au pasteur : parfois ils murmurent, et conservent de la rancune à l’égard de celui qui les rappelle : ils ne comprennent pas qu’on les égorgeait ; néanmoins, lorsque ces brebis errantes sont rentrées dans la bergerie, elles reconnaissent la voix du pasteur, éprouvent une grande joie de s’être replacées sous sa houlette, et rougissent de s’en être écartées. Maintenant, quand ils étaient aussi fiers de suivre l’erreur que s’ils avaient suivi la vérité, ils n’entendaient certainement pas la voix du pasteur, et ils marchaient sur les traces d’un étranger : alors, étaient-ils des brebis, ou n’en étaient-ils pas ? S’ils étaient des brebis, peut-on dire que des brebis n’écoutent pas l’étranger ? S’ils n’en étaient pas, pourquoi le Seigneur fait-il ce reproche aux pasteurs : « Vous n’avez point rappelé la brebis égarée ? » Il se présente quelquefois des circonstances déplorables dans la vie des chrétiens devenus catholiques, dans l’existence des fidèles qui nourrissent, pour l’avenir, de légitimes espérances. Ils se laissent aller à l’erreur et reviennent ensuite à la vérité. Quand ils sont tombés dans l’erreur, et qu’ils ont reçu une seconde fois le baptême, ou bien, quand après avoir fait partie du troupeau du Christ, ils sont retombés dans leurs précédentes erreurs, étaient-ils des brebis ou n’en étaient-ils pas ? Évidemment, ils étaient catholiques ; s’ils étaient catholiques fidèles, ils étaient des brebis, et s’ils étaient des brebis, comment ont-ils pu entendre la voix d’un étranger, puisque le Sauveur a dit : « Les brebis ne les ont pas entendus ? »

12. Vous le voyez, mes frères, la question est très difficile à éclaircir. Je dis donc : « Le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent m ». Il connaît ceux qu’il a choisis d’avance, il connaît les prédestinés ; car il est écrit de lui : « Ceux qu’il a connus dans sa prescience, il les a aussi prédestinés pour être conformes à l’image de son Fils, afin qu’il fût lui-même le premier-né entre plusieurs frères. Et ceux qu’il a prédestinés, il les a appelés, et ceux qu’il a appelés, il les a justifiés, et ceux qu’il a prédestinés, il les a glorifiés. Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » Ajoute encore ceci : « S’il n’a pas épargné son propre Fils, et s’il l’a livré à la mort pour nous, que ne nous donnera-t-il point, après nous l’avoir donné ? » Mais qui, nous ? Ceux qu’il a connus d’avance, ceux qu’il a prédestinés, justifiés et glorifiés, ceux dont il est dit ensuite : « Qui accusera les élus de Dieu n ? » « Le Seigneur connaît donc ceux qui lui appartiennent » ; ce sont ses brebis. Souvent elles s’ignorent elles-mêmes, mais le pasteur les connaît, en conséquence de cette prédestination, de cette prescience de Dieu, de ce choix de ses brebis, qu’il a fait avant la création du monde ; c’est ce que dit l’Apôtre : « Comme il nous a élus en lui avant la création du monde o ». En raison de cette prescience et de cette prédestination divines, que de brebis se trouvent en dehors du bercail ! que de loups se rencontrent au dedans ! et aussi, que de brebis au dedans ! que de loups au-dehors ! Mais pourquoi ai-je dit : Que de brebis en dehors du bercail ! Combien vivent aujourd’hui dans la débauche, qui deviendront chastes ! Combien blasphèment maintenant le Christ, qui croiront plus tard en lui ! Ils sont nombreux, les ivrognes qui se montreront sobres, les voleurs du bien d’autrui, qui donneront le leur. Néanmoins, ils écoutent aujourd’hui une voix étrangère, ils suivent des étrangers. Au contraire, que de gens louent Dieu à cette heure, à l’intérieur de la bergerie, et le blasphémeront un jour ! Que de personnes chastes deviendront libertines ! Que d’hommes sobres se noieront dans le vin ! Que de chrétiens se tiennent fermes, et feront pourtant une lourde chute ! Ce ne sont point des brebis. (Nous parlons ici, bien entendu, des prédestinés, de ceux dont Dieu sait s’ils lui appartiennent.) Néanmoins, tant qu’ils sont dociles aux leçons de la sagesse, ils écoutent la voix du Christ. Les uns l’écoutent, et les autres ne l’écoutent pas ; mais si nous nous reportons à la prédestination, nous verrons que les premiers ne sont point les brebis du Sauveur, et que les seconds font partie de son troupeau.

13. Reste encore une difficulté, qui me semble maintenant pouvoir être ainsi résolue. Il y a une parole, il y a, dis-je, une parole du pasteur, d’après laquelle ses brebis n’écoutent pas les étrangers, et ceux qui ne sont pas ses brebis, ne l’écoutent pas lui-même. Quelle est cette parole ? « Celui qui aura persévéré jusqu’à la fin, sera sauvé p ». Celui qui appartient au Christ, ne néglige pas cette parole ; celui qui lui est étranger, ne l’entend point. Le Sauveur le presse de persévérer en lui jusqu’à la fin ; mais, en ne persévérant pas dans le Christ, ce chrétien montre qu’il n’entend pas sa voix. Il s’est approché du Sauveur ; il lui a entendu dire telles et telles paroles, celles-ci et encore celles-là, toutes paroles pleines de vérité et de salut ; entre autres se trouvent les suivantes : « Celui qui aura persévéré jusqu’à la fin, sera sauvé ». Celui qui les écoute est une brebis : un je ne sais qui, les entendait aussi ; mais il les a méprisées, il s’est refroidi, et a fini par écouter une voix étrangère. S’il est du nombre des prédestinés, son égarement est de courte durée ; il n’est pas perdu pour toujours ; il revient bientôt pour entendre ce dont il a tenu peu de cas, et agir suivant ce qu’il a entendu. Car, s’il est question d’un prédestiné, Dieu a prévu tout à la fois, et son égarement et sa conversion à venir ; et s’il a quitté le bon chemin, il se rapproche afin d’entendre la voix du pasteur, et de suivre celui qui a dit : « L’homme qui aura persévéré jusqu’à la fin, sera sauvé ». Bonne parole, mes frères ; parole vraie, parole de pasteur c’est la parole de salut qui retentit sous la tente des justes q. Car il est facile d’écouter le Christ, de louer l’Évangile, de saluer par des acclamations celui qui (explique ; mais persévérer jusqu’à la fin, c’est le propre des brebis qui écoutent la voix du pasteur. Une tentation se présente ; persévère jusqu’à la fin, parce que la tentation ne dure pas si longtemps. Jusqu’à quelle fin persévéreras-tu ? Jusqu’au terme de ta course. Aussi longtemps que tu n’écoutes pas le Christ, il est ton adversaire dans ce voyage, c’est-à-dire pendant cette vie mortelle. Mais que dit-il ? « Hâte-toi de te réconcilier avec ton adversaire, pendant que tu es en chemin avec lui r ». Tu l’as entendu, tu l’as cru, tu t’es réconcilié avec lui. Si tu luttais avec lui, réconcilie-toi ; et si le bienfait de la réconciliation t’a été accordé, veuille ne plus entrer désormais en litige. Car tu ignores à quel moment se terminera ta course : mais le Christ ne l’ignore pas. Si tu es du nombre de ses brebis, et que tu persévères jusqu’à la fin, tu seras sauvé voilà pourquoi ceux qui lui appartiennent écoutent sa voix, et ceux qui lui sont étrangers, ne l’écoutent pas. Cette question, singulièrement obscure, je vous l’ai expliquée ou je l’ai traitée avec vous de mon mieux, et comme le Seigneur m’en a fait la grâce. S’il en est, parmi vous, pour avoir moins bien saisi mes paroles, qu’ils demeurent dans la piété, et la vérité leur sera manifestée : pour ceux qui m’ont compris, ils ne doivent pas en concevoir d’orgueil, comme s’ils étaient plus agiles, et les autres moins prompts ; car l’orgueil pourrait les jeter hors la voie, et les empêcher très facilement d’arriver les premiers, en retardant leur marche. Daigne celui à qui nous adressons ces paroles, nous conduire tous jusqu’au but : « Seigneur, conduisez-moi dans vos voies, et je marcherai dans votre vérité s ».

14. Le Sauveur nous a dit qu’il est la porte au moyen de l’explication qu’il nous a donnée de ces paroles, entrons dans le sens de ce qu’il nous a dit sans nous l’expliquer. Quoique, dans la leçon qu’on vient de nous réciter, il ne nous ait pas dit quel pasteur il est, néanmoins il nous en avertit formellement dans la leçon suivante : « Je suis le bon pasteur ». Quand même il ne nous le dirait pas, pourrions-nous voir une allusion à un autre que lui dans ces paroles sorties de sa bouche : « Celui qui entre par la porte est le pasteur des brebis. Le portier ouvre à celui-là, et les brebis entendent sa voix ; et il appelle ses propres brebis par leur nom, et il les conduit hors de la bergerie ; et quand il a fait sortir ses brebis, il va devant elles, et les brebis le suivent ; car elles connaissent sa voix ? » Quel pasteur, en effet, appelle ses brebis par leur nom, et les conduit de ce monde jusqu’à la vie éternelle ? N’est-ce pas celui-là seul qui connaît les noms des prédestinés ? Voilà pourquoi il dit à ses disciples : « Réjouissez-vous, car vos noms sont écrits dans le ciel t ». De là vient qu’il les appelle toutes par leurs noms. Qui les fait sortir de la bergerie ? N’est-ce point celui-là seul qui leur remet leurs péchés, afin que, délivrées de la plus dure servitude, elles puissent le suivre ? Qui est-ce qui a marché devant elles jusqu’à l’endroit où elles doivent venir après lui ? N’est-ce pas celui qui, sorti d’entre les morts, ne meurt plus, celui sur lequel la mort n’aura désormais plus d’empire u ? Lorsqu’il se montrait sous les traits de notre humanité, il a dit : « Père, je désire que, là où je suis, ceux que vous m’avez donnés s’y trouvent avec moi v ». Telle est la raison d’être de ces paroles du Sauveur : « Je suis la porte : si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé ; et il entrera, et il sortira, et il trouvera des pâturages ». Par là il montre, jusqu’à la dernière évidence, que non seulement le pasteur, mais encore les brebis, entrent par la porte.

15. Que veulent dire ces mots : « Il entrera, et il sortira, et il trouvera des pâturages ? » Il est singulièrement avantageux d’entrer dans l’Église, par la porte qui est le Christ ; mais il est plus malheureux encore d’en sortir, dans le sens que Jean indique en son épître : « Ils sont sortis du milieu de nous, mais ils n’étaient pas de nous w ». Une pareille manière d’en sortir ne pouvait obtenir les louanges du bon pasteur ; il n’aurait pas dit, en ce sens-là : « Il entrera, et il sortira, et il trouvera des pâturages ». Il y a donc, non seulement une manière d’entrer, mais aussi une façon légitime de sortir par la bonne porte, qui est le Christ. Mais quelle est cette louable et heureuse manière de sortir ? Je pourrais dire que nous entrons, quand nous réfléchissons intérieurement, et que nous sortons, lorsque nous nous livrons à quelque occupation extérieure. Et parce que, suivant le langage de l’Apôtre, le Christ habite en nos cœurs par la foi x, entrer par le Christ, c’est conformer ses pensées aux enseignements de la foi, et sortir par le Christ, c’est prendre cette même foi pour guide même dans nos œuvres extérieures, c’est-à-dire quand nous agissons devant les hommes. Voilà pourquoi nous lisons dans un psaume : « L’homme sortira pour vaquer à son ouvrage y ». De là viennent aussi ces paroles du Sauveur : « Que vos œuvres brillent aux yeux des hommes z ». Mais je préfère de beaucoup ce que la Vérité même, comme un bon pasteur, et, par conséquent, comme un bon maître, nous dit en quelque sorte sur la manière dont nous devons entendre ces mots : « Il entrera, et il sortira, et il trouvera des pâturages ». Car voici ce que le Sauveur ajoute : « Un voleur ne vient que pour dérober et tuer, et a détruire ; et moi, je suis venu, afin qu’elles aient la vie, et qu’elles l’aient en abondance ». Il a voulu, ce me semble, dire ceci : Afin qu’en entrant elles aient la vie, et qu’en sortant, elles l’aient plus abondamment encore. Personne ne peut sortir par la porte, c’est-à-dire, parle Christ, pour entrer dans la vie éternelle où nous verrons Dieu face à face, s’il n’entre d’abord dans l’Église par la même porte, par le même Christ, pour y puiser la vie du temps où nous n’apercevons Dieu que par la foi. Aussi dit-il : « Je suis venu, afin qu’ils aient la vie », c’est-à-dire, la foi qui agit par la charité aa. C’est par cette foi qu’elles entrent dans le bercail, afin d’y trouver la vie, parce que le juste vit de la foi ab ; et afin qu’ils l’aient en plus grande abondance, ceux qui, en persévérant jusqu’à la fin, sortent par cette porte, c’est-à-dire par la foi en Jésus-Christ ; ils meurent, en effet, en vrais fidèles, et ils auront plus abondamment la vie, puisqu’ils parviendront là où le pasteur les a précédés, et où ils ne seront jamais plus sujets à la mort. Sur cette terre, dans le bercail lui-même, les pâturages ne manquent pas ; car nous pouvons appliquer ces paroles : « Et il trouvera des pâturages », à l’entrée et à la sortie des brebis : cependant, les vrais pâturages se trouvent surtout dans le séjour où seront rassasiés tous ceux qui ont faim et soif de la justice ac. C’est dans ces pâturages qu’est entré celui à qui il a été dit : « Tu seras aujourd’hui avec moi dans le paradis ad ». Mais comment le Sauveur est-il la porte ? Comment est-il le pasteur, de manière à ce qu’il entre et sorte, en un sens, par lui-même ? Quel est le portier ? Autant de questions qu’il serait trop long d’examiner et de discuter aujourd’hui, pour en donner la solution que la grâce divine voudrait bien nous suggérer.

QUARANTE-SIXIÈME TRAITÉ :

DEPUIS CE PASSAGE : « JE SUIS LE BON PASTEUR », JUSQU’À CET AUTRE : « MAIS LE MERCENAIRE S’ENFUIT, PARCE QU’IL EST MERCENAIRE ET QU’IL NE SE PRÉOCCUPE POINT DES BREBIS ». (Chap 10,11-13.)

SERMON CXXXVII. LE BON PASTEUR ae.

ANALYSE. – On serait porté à croire, surtout en lisant la fin de ce discours, que plusieurs s’étaient plaints de la sévérité des avertissements donnés par saint Augustin à son peuple. L’explication de l’Évangile du bon Pasteur lui fournissant l’occasion d’expliquer sa conduite, il en profite. Qu’est-ce donc que le bon Pasteur ? Jésus-Christ s’appelle à la fois la porte et le bon Pasteur. C’est en lui-même et considéré comme chef de l’Église qu’il est la porte, c’est dans son Église même qu’il est Pasteur ; et en disant que le bon pasteur doit entrer par la porte, il veut faire entendre que tout bon pasteur doit recevoir de lui sa vocation et être rempli de son amour. De plus un bon pasteur ne doit pas être un mercenaire ? Qu’est-ce qu’un pasteur mercenaire ? Un pasteur mercenaire, quoiqu’en disent certains ecclésiastiques, est celui dont la conduite, semblable à celle des Scribes et des Pharisiens ; est en opposition avec son enseignement, Il ne remplit pas son devoir pour l’amour de Jésus-Christ, mais par intérêt ; et voilà pourquoi il ne résiste pas avec vigueur aux attaques de l’ennemi, aux mauvais conseils et aux doctrines mauvaises. Il faut le supporter dans l’Église, profiter même de l’enseignement salutaire qu’il donne au nom de l’Église ; mais on doit se garder d’imiter sa lâcheté. C’est pour ne pas faire comme lui et ne mériter pas d’être condamné au tribunal suprême, que saint Augustin reprend avec fermeté, ne consultant que l’avantage spirituel de son troupeau.

1. Votre foi ne l’ignore pas, mes bien-aimés, nous savons même que vous l’avez appris du Maître qui enseigne du haut du ciel et en qui vous avez mis votre espoir : Celui qui pour nous a souffert et est ressuscité, Jésus-Christ Notre-Seigneur est le Chef de l’Église, l’Église est son corps, et la santé de ce corps c’est l’union de ses membres et le lien de la charité. Que la charité vienne à se refroidir, on est malade tout en faisant partie du corps de Jésus-Christ. Il est vrai, Celui qui a exalté notre Chef divin peut aussi guérir ses membres ; mais c’est à la condition qu’un excès d’impiété ne les fera point retrancher de son corps et qu’ils y restent attachés jusqu’à ce qu’ils soient complètement guéris. Car il ne faut pas désespérer de ce qui lui est uni encore ; mais on ne peut ni traiter ni guérir ce qui en est séparé. Or le Christ étant le Chef de l’Église et l’Église étant son corps, le Christ entier comprend et le chef et le corps. Mais le Chef est ressuscité. Nous avons donc au ciel notre chef qui intercède pour nous, et qui exempt de tout péché et affranchi de la mort, apaise Dieu irrité par nos iniquités. Il veut ainsi que ressuscitant nous-mêmes à la fin des siècles, transformés et pénétrés de la gloire céleste, nous parvenions où il est. Les membres en effet ne doivent-ils pas suivre la tête ? Ah ! puisqu’ici même nous sommes ses membres, ne nous décourageons point ; nous suivrons notre Chef.

2. Contemplez, mes frères, combien nous sommes aimés de ce Chef divin. Il est au ciel, et pourtant il souffre sur la terre tout le temps qu’y souffre son Église. Ici en effet il a faim, il a soif, il est dépouillé, il est étranger, il est malade, il est en prison. N’a-t-il pas dit qu’il endure tout ce que souffre son corps et qu’à la fin du monde plaçant ce corps à sa droite et à sa gauche les impies qui le foulent aujourd’hui, il dira aux élus de sa droite : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès la création du monde ? » Et pourquoi ? « Parce que j’ai eu faim et que vous m’avez donné à manger. »

Il énumère les autres services comme s’il en avait été l’objet. Les élus mêmes ne le comprennent pas et ils s’écrient : « Quand est-ce, Seigneur, que nous vous avons vu sans pain, sans asile et en prison ? » Et il leur répond : « Toutes les fois que vous avez rendu ces bons offices de l’un des plus petits d’entre les miens, c’est à moi que vous les avez rendus. » Notre corps même présente quelque chose de semblable. La tête y est en haut et les pieds en bas ; si cependant au milieu d’une foule serrée quelqu’un te marche sur le pied, la tête ne dit-elle pas : Tu me blesses ? Ce n’est ni la tête ni la langue que l’on presse alors ; elles sont en haut, elles sont en sûreté, personne ne les frappe ; mais le lien de la charité unissant tout le corps, de la tête aux pieds, la langue ne sépare point sa cause de celle des autres membres et elle crie : Tu me blesses, quoique personne ne la touche. Si donc notre langue, sans être touchée, peut dire alors qu’on la blesse, le Christ notre Chef ne peut-il dire, sans souffrir personnellement. « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ? » Ne peut-il dire encore à ceux qui ont refusé ce service à ses membres : « J’ai eu faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ? » Comment enfin conclut-il ? Le voici : « Ceux-ci iront aux flammes éternelles, et les justes à l’éternelle vie af. »

3. Dans les paroles que nous venons d’entendre, le Seigneur se présentait à la fois comme étant le pasteur et comme étant la porte. Il disait expressément : « Je suis la porte ; » et expressément : « Je suis le pasteur. » C’est comme Chef qu’il est la porte, c’est dans ses membres qu’il est le pasteur. Aussi bien en établissant l’Église sur Pierre seulement, il lui dit : « Pierre, m’aimes-tu ? – Seigneur, je vous aime, répond Pierre. – Pais mes brebis. » Comme il disait une troisième fois : « Pierre m’aimes-tu ? ag » Pierre s’attrista de cette troisième demande : si son Maître avait pu voir dans sa conscience qu’il le renierait, ne voyait-il pas dans sa foi combien il était sincère à le confesser ? Mais Jésus ne cessa jamais de connaître Pierre ; il le connaissait même lorsque Pierre s’ignorait, et Pierre s’ignorait quand il disait : « Je vous suivrai jusqu’à la mort ; » il ne savait pas alors jusqu’où, allait sa faiblesse. Il arrive souvent à des malades de ne connaître point ce qui se passe en eux, tandis que le médecin le sait et quoique celui-ci ne souffre pas ce qu’endure le malade. L’un explique mieux ce qui se passe dans l’autre, que ce dernier n’exprime ce qui se passe en lui-même. Voilà ce qui avait lieu entre Pierre, malade alors, et le Seigneur, son médecin. Le premier prétendait avoir des forces et pourtant il n’en avait pas ; mais en touchant les pulsations de son cœur, Jésus annonçait qu’il le renierait trois fois. On sait comment se réalisa la prédiction du médecin, et comment fut confondue la présomption du malade ah. Si donc le Sauveur l’interrogea après sa résurrection, ce n’est point qu’il ignorât combien était sincère l’amour qu’il professait pour lui ; mais il voulait qu’en confessant trois fois son amour, il effaçât le triple reniement que lui avait arraché la crainte.

4. Aussi quand le Seigneur demande à Pierre « Pierre m’aimes-tu ? » c’est comme s’il lui disait : Que me donneras-tu, que m’accorderas-tu comme témoignage de ton amour ? Eh ! que pouvait accorder Pierre au Seigneur ressuscité, quand il était sur le point de monter au ciel et d’y siéger à la droite du Père ? Jésus semblait donc lui dire : Ce que tu me donneras, ce que tu feras pour moi, si tu m’aimes, c’est de paître mes brebis, c’est d’entrer par la porte, sans monter par ailleurs. On vous a dit, en lisant l’Évangile « Celui qui entre par la porte est le pasteur ; mais celui qui monte par ailleurs est un voleur et un larron, qui cherche à troubler, à disperser et à ravir. » Qu’est-ce qu’entrer par la porte ? C’est entrer par le Christ. Qu’est-ce qu’entrer par le Christ ? C’est l’imiter dans ses souffrances, c’est le reconnaître dans son humilité, et Dieu s’étant fait homme, c’est avouer que l’on est homme et non pas Dieu. Est-ce en effet imiter un Dieu fait homme que de vouloir paraître Dieu quand on n’est qu’un homme ? On ne t’invite pas à devenir moins que tu es, mais on te dit : Reconnais que tu es homme, que tu es pécheur ; reconnais que Dieu justifie et que tu es souillé. Avoue les taches de ton cœur, et tu feras partie du troupeau de Jésus-Christ ; car cet aveu de tes fautes portera le médecin à te guérir, autant que l’éloigne de lui le malade qui prétend être en bonne santé. Le Pharisien et le Publicain n’étaient-ils pas montés au temple ? L’un se vantait de sa bonne santé, et l’autre montrait ses plaies au Médecin. Le premier disait effectivement : « O Dieu, je vous rends grâces de ce que je ne suis pas comme ce Publicain. » Ainsi s’élevait-il superbement au-dessus de lui, et si le Publicain n’eût pas été malade, dans l’impuissance de se préférer à lui, le Pharisien l’aurait haï. Avec de telles dispositions à la jalousie et à la haine, en quel état se trouvait donc le Pharisien montant au temple ? Sûrement il était malade, et en se disant bien portant il ne fut point guéri quand il quitta le temple. Le Publicain au contraire tenait les yeux à terre sans oser les lever vers le ciel, et se frappant la poitrine il disait : « O Dieu, ayez pitié de moi, pauvre pécheur. » Et que conclut le Seigneur ? « En vérité je vous le déclare : le Publicain sortit du temple justifié, plutôt que le Pharisien ; car quiconque s’élève sera abaissé, et quiconque s’abaisse sera élevé ai. » Ceux donc qui s’élèvent veulent monter par ailleurs dans le bercail ; tandis que ceux qui s’abaissent, y entrent par la porte. Aussi est-il dit, de l’un, qu’il entre et de l’autre, qu’il monte. Monter, vous le voyez, c’est rechercher les grandeurs, ce n’est pas entrer, c’est tomber ; au lieu que s’abaisser pour entrer par la porte, ce n’est pas tomber, c’est être pasteur.

5. Cependant le Seigneur fait figurer dans l’Évangile trois personnages que nous devons y étudier : le pasteur, le mercenaire et le voleur. Vous avez sans doute remarqué à la lecture de l’Évangile, les caractères assignés par Jésus-Christ au pasteur, au mercenaire et au voleur. Le pasteur, a-t-il dit, donne sa vie pour ses brebis et il entre par la porte. Le voleur et le larron montent par ailleurs. Quant au mercenaire, il fuit lorsqu’il voit le loup ou le voleur, parce qu’étant mercenaire et non pasteur, il ne prend point souci des brebis. L’un entre par la porte, attendu qu’il est le pasteur ; l’autre monte par ailleurs, attendu qu’il est un voleur ; et le troisième tremble et prend la fuite à la vue des ravisseurs qui veulent s’emparer des brebis, attendu qu’il est mercenaire et qu’étant mercenaire il ne prend point souci du troupeau. Si nous parvenons à bien reconnaître ces trois sortes de personnages, votre sainteté saura qui vous devez aimer, qui vous devez supporter et de qui vous devez vous garder. Il faudra aimer le pasteur, supporter le mercenaire et vous garder du larron. Il y a en effet dans l’Église des hommes dont l’Apôtre dit qu’ils annoncent l’Évangile par occasion, recherchant auprès des hommes leurs propres avantages, argent, honneurs, louanges humaines aj. Ce qu’ils veulent, ce sont des présents de quelque nature, et ils ont moins en vue le salut de l’auditeur que leurs intérêts personnels. Quant au fidèle à qui le salut est annoncé par un homme qu’y n’y a point part, s’il croit en Celui qu’on lui annonce sans s’appuyer sur le prédicateur, il y aura profit pour l’un, perte pour l’autre.

6. Le Seigneur disait des Pharisiens : « Ils sont assis sur la chaire de Moïse ak. » Il n’avait pas en vue que les Pharisiens et son intention n’était pas d’envoyer à l’école des Juifs ceux qui croiraient en lui, pour y apprendre le chemin qui conduit au royaume des cieux. N’était-il pas venu effectivement pour former son Église, pour séparer du reste de la nation, comme on sépare le froment de la paille, les Israélites qui étaient dans la bonne foi, qui avaient une bonne espérance et une charité véritable, pour faire de la circoncision comme une muraille, pour y joindre, comme une autre muraille, la gentilité, et pour servir lui-même de pierre angulaire à ces deux murs aboutissant à lui de directions opposées ? N’est-ce pas de l’union future de ces deux peuples qu’il disait : « J’ai aussi d’autres brebis qui ne sont pas de ce bercail », du bercail des Juifs ; « il faut que je les amène encore, afin qu’il n’y ait plus qu’un seul troupeau et un seul pasteur ? » Aussi est-ce de deux barques qu’il appela ses disciples ; ces deux barques désignaient les deux peuples qui devaient entrer dans l’Église, lorsque les Apôtres, après avoir jeté les filets, prirent cette multitude de poissons dont le poids faillit les rompre et qu’« ils en chargèrent ces deux mêmes barques al. » Il y avait bien deux barques, mais il n’y a qu’une Église formée de deux peuples différents qui s’unissent dans le Christ. C’est ce qui était figuré aussi par Lia et Rachel, les deux épouses d’un même mari, de Jacob am ; par les deux aveugles assis près de la route et à qui le Seigneur rendit la vue an. Si enfin vous étudiez avec attention les Écritures, souvent vous y rencontrerez des figures de ces deux Églises qui n’en forment qu’une seule, comme l’indiquent et la pierre angulaire qui unit deux murs et le pasteur qui unit deux troupeaux. En venant donc pour enseigner son Église et pour établir son école en dehors du Judaïsme, comme nous la voyons établie aujourd’hui, le Seigneur ne voulait pas rendre disciples des Juifs ceux qui croiraient en lui. Sous le nom de Scribes et de Pharisiens il voulait désigner ceux qui un jour dans son Église diraient et ne feraient pas, comme il se désignait lui-même dans la personne de Moïse. Moïse effectivement figurait Jésus-Christ, et si en parlant au peuple il se voilait la face, c’était pour indiquer qu’en cherchant dans la Loi les joies et les voluptés charnelles et qu’en ambitionnant un empire terrestre, les Juifs avaient devant les yeux un voile qui les empêcherait de reconnaître le Christ dans les Écritures. Aussi le voile tomba-t-il après la passion du Seigneur et on vit alors les secrets du sanctuaire. C’est pour ce motif qu’au moment où le Sauveur était suspendu à la croix, le voile du temple se déchira de haut en bas ao ; et l’Apôtre Paul dit expressément : « Lorsque tu te seras converti au Christ, le voile disparaîtra ap ; » au lieu « qu’il reste posé sur le cœur », comme s’exprime le même Apôtre, lorsque tout en lisant Moïse, on ne s’est point attaché au Christ aq. Afin donc d’annoncer qu’il y aurait dans son Église de ces docteurs pervers, que dit le Seigneur ? « Les Scribes et les Pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse ; faites ce qu’ils disent, mais gardez-vous de faire ce qu’ils font. »

7. En entendant ce texte qui les condamne, il est de mauvais ecclésiastiques qui cherchent à en corrompre le sens ; j’en ai réellement entendu quelques-uns qui voulaient l’altérer. S’ils le pouvaient, n’effaceraient-ils pas cette maxime de l’Évangile ? Dans l’impuissance d’y réussir, ils veulent au moins la fausser. Mais par sa grâce et par sa miséricorde, le Seigneur ne leur permet pas d’y parvenir non plus. Toutes ses paroles sont environnées du rempart protecteur de sa vérité ; elles sont tellement posées que si un lecteur ou un interprète infidèle voulaient en retrancher ou y ajouter quoi que ce fût, un homme de cœur, pour rétablir le sens qu’on cherchait à pervertir, n’a qu’à rapprocher l’Écriture d’elle-même en lisant ce qui précède ou ce qui suit. Comment donc s’y prennent ceux dont il est question dans ces mots : « Faites ce qu’ils disent ? » C’est aux laïques, affirment-ils que cela s’adresse. Il est vrai, que fait un laïque qui veut se bien conduire, lorsqu’il voit un ecclésiastique se conduisant mal ? Le Seigneur a dit, se rappelle-t-il « Faites ce qu’ils disent ; gardez-vous de faire ce qu’ils font. » Je vais donc suivre les voies tracées par le Seigneur, sans imiter un tel dans ses mœurs. Je recevrai, quand il parlera, non pas sa parole, mais la parole de Dieu. Qu’il s’attache à sa passion, pour moi je m’attache à Dieu. Car si pour me défendre devant Dieu je disais un jour : Seigneur, j’ai vu cet homme qui est votre clerc, se conduire mal et je me suis mal conduit ; le Seigneur ne me répondrait-il pas, mauvais serviteur, ne t’avais-je pas dit : « Faites ce qu’ils disent ; gardez-vous de faire ce qu’ils font ? » – Quant au laïque mauvais, infidèle, qui ne fait partie ni du troupeau du Christ, ni du froment du Christ et qu’on supporte simplement comme on laisse la paille sur l’aire, que réplique-t-il quand on se met à le presser en lui citant la parole de Dieu ? – Laisse-moi ; à quoi bon me parler ainsi ? Les évêques, les ecclésiastiques mêmes ne font pas ce que tu dis, et tu prétends que je le fasse ? – C’est se chercher, non pas un avocat de mauvaise cause, mais un compagnon de supplice. Comment être défendu au jour du jugement par un méchant qu’on aura voulu imiter ? Quand le diable parvient à séduire, ce n’est pas pour régner, c’est pour être condamné avec ceux qu’il dupe ; ainsi en s’attachant aux traces des méchants, on s’associe à eux pour l’enfer, on ne s’en fait pas des protecteurs pour le ciel.

8. Comment donc ces ecclésiastiques qui se conduisent mal faussent-ils la pensée du Seigneur, quand on leur oppose qu’il a eu raison de déclarer : « Faites ce qu’ils disent ; gardez-vous de faire ce qu’ils font ? » La sentence est irréprochable répondent-ils. Il vous est dit de faire ce que nous disons et de ne pas faire ce que nous faisons. C’est qu’il ne vous est pas permis d’offrir le sacrifice que nous offrons. – Quelles supercheries de la part de ces…… de ces mercenaires ! Ah ! s’ils étaient de vrais pasteurs, ils ne parleraient pas ainsi. Aussi pour leur fermer la bouche, il suffit d’observer la suite des paroles du Seigneur. « Ils sont assis, dit-il, sur la chaire de Moïse ; faites ce qu’ils disent, mais gardez-vous de faire ce qu’ils font, car ils disent et ne font pas. » Que signifie ce langage, mes frères ? S’il était ici question du sacrifice à offrir, nous ne lirions point : « Ils disent et ne font pas ; » car le sacrifice est une action, c’est une offrande faite à Dieu. Qu’est-ce donc qu’ils disent sans le faire ? Le voici dans les paroles qui suivent : « Ils lient des fardeaux pesants et qu’on ne peut porter, et les placent sur les épaules des hommes, sans vouloir même les remuer du doigt ar. » Voilà des reproches manifestes et clairement exprimés. Mais en voulant fausser la pensée du Seigneur, ces malheureux montrent que dans l’Église ils ne cherchent que leurs propres avantages et qu’ils n’ont pas lu l’Évangile. S’ils en connaissaient seulement une page et en avaient lu le texte entier, jamais ils n’avanceraient ce qu’ils osent avancer.

9. Voyez plus clairement encore qu’il y a dans l’Église de ces mauvais docteurs. On pourrait nous objecter que le Seigneur ne parlait que des Pharisiens, que des Scribes, que des Juifs, et qu’il n’y a parmi nous personne qui leur ressemble. Quels sont alors ceux qu’envisage le Sauveur quand il s’écrie : « Ce ne sont pas tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume des cieux ? » et quand il ajoute : « Beaucoup me diront, en ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en votre nom que nous avons prophétisé, en votre nom que nous avons fait beaucoup de miracles, et en votre nom que nous avons bu et mangé ? » Est-ce au nom du Christ que les Juifs font tout cela ? Il est évident toutefois qu’il ne s’agit ici que, de ceux qui portent le nom du Christ. Et que dit ensuite le Sauveur ? « Je leur déclarerai alors : Je ne vous ai jamais connus. Éloignez-vous de moi, vous qui opérez l’iniquité as. » Prête l’oreille aux gémissements que l’Apôtre répand sur eux. Les uns, dit-il, annoncent l’Évangile par charité, les autres par occasion, et ceux-ci « ne l’annoncent pas avec droiture at). » L’Évangile est droit, mais eux ne le sont pas. Ce qu’ils annoncent est droit, mais eux ne sont pas droits. Pourquoi ne sont-ils pas droits ? Parce qu’ils cherchent dans l’Église autre chose que Dieu et ne cherchent pas Dieu même. S’ils cherchaient Dieu, ils seraient purs, attendu que Dieu est le légitime époux de l’âme, et que chercher en Dieu autre chose que Dieu même, ce n’est pas le chercher purement. En voici la preuve, lues frères. Une épouse n’est pas pure, si elle aime son mari parce qu’il est riche ; ce n’est pas lui qu’elle aime alors, c’est plutôt son or. Mais si elle l’aime véritablement, elle l’aime jusque dans le dépouillement et l’indigence. En l’aimant parce qu’il est riche, que fera-t-elle, si par suite des vicissitudes humaines, il vient à être proscrit et jeté tout-à-coup dans la misère ? Il est possible qu’elle le quitte. Ce serait la preuve qu’elle ne l’aimait pas, mais qu’elle aimait son bien. Car si elle l’aimait réellement, elle l’aimerait plus vivement encore quand il tombe dans la pauvreté, puisque la compassion se joindrait en elle à l’amour.

10. Et pourtant, mes frères, notre Dieu ne saurait tomber jamais dans la pauvreté. Il est riche, c’est lui qui atout fait, le ciel et la terre, la mer et les Anges. Tout ce que nous voyons et tout ce que nous ne voyons pas dans le ciel, c’est lui qui l’a fait. Mais nous ne devons pas aimer ses richesses, nous devons l’aimer lui-même, lui qui en est l’auteur, car il ne t’a promis que lui. Montre-lui quelque chose de plus précieux que lui, et il te le donnera : La terre est belle, le ciel et les Anges sont beaux ; mais leur Créateur est plus beau encore. Ainsi donc ceux qui annoncent Dieu avec amour, ceux qui annoncent Dieu pour Dieu même, ceux-là sont de vrais pasteurs et non pas des mercenaires. Leur âme est pure, comme l’exigeait Notre-Seigneur Jésus-Christ quand il disait à Pierre : « Pierre, m’aimes-tu ? M’aimes-tu ? » C’est-à-dire : Es-tu pur ? N’as-tu pas un cœur adultère ? Est-ce tes intérêts et non pas les miens que tu cherches dans l’Église ? Ah ! si tu es pur, tu m’aimes, « pais mes brebis au ; » tu ne seras pas un mercenaire, mais un vrai pasteur.

11. Pour ceux qui excitent les gémissements de l’Apôtre, ils ne prêchaient pas l’Évangile avec pureté. Que dit néanmoins l’Apôtre ? « Mais qu’importe, pourvu que le Christ soit annoncé de quelque manière que ce puisse être, ou par occasion, ou par un vrai zèle av ? » C’était tolérer des mercenaires. Le pasteur annonce le Christ avec un vrai zèle, le mercenaire l’annonce par occasion et avec d’autres vues. Ils le prêchent toutefois l’un et l’autre. Écoute ce cri d’un vrai pasteur : « Pourvu, dit Paul, que le Christ, soit prêché, ou par occasion, ou par un vrai zèle ! » Ce bon pasteur laisse agir les mercenaires. Ils font le bien où ils peuvent, ils sont utiles autant qu’ils en sont capables. Avait-il, dans d’autres circonstances, besoin de quelqu’un qui pût servir de modèle aux faibles ? Il écrivait : « Je vous ai envoyé Timothée, pour vous rappeler mes voies aw. » Qu’est-ce à dire ? Je vous ai envoyé un pasteur qui doit vous rappeler mes voies, parce qu’il se conduit comme je me conduis. Que dit-il encore de ce pasteur qu’il envoie ailleurs ? « Je n’ai personne qui me soit aussi intimement uni et qui s’inquiète pour vous avec une affection aussi sincère. » Mais n’avait-il pas avec lui beaucoup de disciples ? Lisez encore : « C’est que tous cherchent leurs intérêts, et non les intérêts de Jésus-Christ ax. » En d’autres termes : J’ai voulu vous envoyer un pasteur, car il y a beaucoup de mercenaires, et if ne fallait pas vous en envoyer maintenant. – On peut dans d’autres occasions et pour d’autres affaires envoyer un mercenaire ; mais il fallait un pasteur pour ce que Paul avait en vue. Hélas ! il en trouve un à peine dans ce grand nombre de mercenaires ; c’est qu’effectivement il y a beaucoup de mercenaires et peu de pasteurs. Cependant, qu’est-il dit des mercenaires ? « En vérité je vous le déclare, ils ont reçu leur récompense ay. » Du pasteur au contraire que nous enseigne l’Apôtre ? « Quiconque se tient pur de ces choses, sera un vase d’honneur sanctifié et utile au Seigneur, préparé pour toutes les bonnes œuvres : » non pas pour quelques-unes, mais pour toutes ; « préparé pour toutes les bonnes œuvres az. » Voilà pour les pasteurs.

12. Quant aux mercenaires : « le mercenaire prend la fuite lorsqu’il voit le loup rôder autour des brebis. » Ainsi s’exprime le Seigneur. Et pourquoi le mercenaire prend-il la fuite ? « Parce qu’il n’a point souci des brebis. » Par conséquent le mercenaire rend des services tant qu’il ne voit ni loup, ni voleur, ni larron. En voit-il ? Il prend la fuite. Quel mercenaire ne prend pas la fuite, ne sort pas de l’Église, lorsqu’il voit le loup et le larron ? Les loups et les larrons sont nombreux. Ce sont ceux-ci qui montent par ailleurs ? Et quels sont ceux qui montent par ailleurs ? Ceux du parti de Donat qui veulent faire proie des brebis de Jésus-Christ. Ils montent par ailleurs, ils n’entrent point par le Christ, car ils ne sont pas humbles. Ils sont orgueilleux et ils montent. Qu’est-ce à dire, ils montent ? Ils s’élèvent. D’où s’élèvent-ils ? D’un parti, car ils prétendent porter le nom d’un parti. N’étant point dans t’unité, ils sont d’un parti et c’est de ce parti qu’ils montent, qu’ils s’élèvent pour enlever les brebis. Voyez comment ils s’élèvent. C’est nous, disent-ils, qui sanctifions, c’est nous qui justifions, c’est nous qui faisons des justes. Voilà jusqu’où ils montent. Mais qui s’élève sera humilié ba ; le Seigneur notre Dieu peut les humilier. Le loup désigne le diable. Or le diable et ceux qui marchent à sa suite cherchent à tromper ; aussi est-il dit qu’ils sont revêtus de peaux de brebis et qu’intérieurement ils sont des loups rapaces bb. Eh bien ! qu’un mercenaire voie quelqu’un mal parler, avoir des sentiments pernicieux pour son salut, faire des actes coupables, et obscènes ; malgré l’autorité qu’on lui connaît dans l’Église, où pourtant il n’est qu’un mercenaire puisqu’il y cherche son intérêt ; ce mercenaire, tout en voyant un homme périr dans son péché, être saisi au gosier et traîné par le loup au supplice, ne lui dira pas : Tu fais mal, et ne lui fera aucun reproche, par égard pour ses propres intérêts.N'est-ce pas fuir quand on voit le loup ? En ne disant pas : Tu fais le mal, ce n’est pas le corps, c’est l’âme qui prend la fuite. Le corps est immobile, mais le cœur s’en va, quand on voit un pécheur et qu’on ne lui dit pas : Tu fais mal, quand on va même jusqu’à s’entendre avec lui.

13. Ne voyez-vous pas souvent, mes frères, monter ici des prêtres et des évêques, et du haut de cette tribune engagent-ils à autre chose qu’à s’abstenir de prendre le bien d’autrui, de faire des fraudes, de commettre des crimes ? Assis sur la chaire de Moïse, ils ne sauraient parler autrement, et c’est plutôt elle qui parle qu’eux-mêmes. – N’est-il pas dit toutefois : « Cueille-t-on des raisins sur les épines et des figues sur les chardons ? » et encore : « Tout arbre se reconnaît à son fruit bc ? » Comment donc un Pharisien peut-il enseigner la vertu ? Le Pharisien est l’épine ; comment cueillir le raisin sur l’épine ? – Ah ! c’est que vous avez dit, Seigneur : « Faites ce qu’ils disent, mais gardez-vous de faire ce qu’ils font. » – Ainsi vous me commandez de cueillir le raisin sur l’épine, quoique vous ayez dit en personne : « Cueille-t-on le raisin sur des épines ? » – Voici ce que répond le Seigneur : Je ne te commande pas de cueillir le raisin sur des épines ; mais examine, regarde bien s’il n’arrive pas souvent à la vigne, lorsqu’elle court sur la terre, de s’entrelacer dans des épines ? Plusieurs fois, mes frères, nous avons vu des ceps de vigne appuyés sur ces figuiers sauvages qui forment ici des haies épineuses ; ces ceps déploient leurs rameaux, ils les entrelacent dans les épines, et au milieu de ces épines on voit pendre des grappes. Mais est-ce sur les épines qu’on les cueille ou plutôt sur la vigne qui s’y entrelace ? Oui, les Pharisiens sont des buissons épineux ; mais une fois assis sur la chaire de Moïse, la vigne s’attache à eux ; à eux sont suspendues des grappes, d’excellents conseils, de salutaires préceptes. Cueille le raisin, tu ne te blesseras point dans l’épine si tu es attentif à ces mots : « Faites ce qu’ils disent, mais gardez-vous de faire ce qu’ils font. » Leurs actions sont des épines, tandis que leurs discours sont le raisin, mais le raisin produit par la vigne, c’est-à-dire par la chaire de Moïse.

14. Ces mercenaires fuient donc quand ils voient le loup, quand ils voient le larron. Mais, comme je le disais, ils ne peuvent, du haut de cette chaire, que vous répéter : Faites le bien, ne soyez point parjures, gardez-vous de tromper, de surprendre personne. Il est pourtant des hommes assez égarés pour consulter l’évêque sur les moyens à prendre afin de s’approprier le domaine d’autrui. Nous le savons par nous-même, nous ne l’aurions pas cru autrement. Plusieurs donc veulent que nous leur donnions des conseils pervers, que nous leur apprenions à mentir et à tromper ; ils s’imaginent nous plaire ainsi. Mais par la grâce du Christ et si le Seigneur me permet de parler ainsi, jamais aucun d’eux n’a réussi à nous tenter et à obtenir de nous ce qu’il désirait ; car pourvu que Celui qui nous a appelé nous en fasse la grâce, nous sommes pasteur et non pas mercenaire. Cependant que dit l’Apôtre ? « Pour moi, je me mets fort peu en peine d’être jugé par vous ou par un tribunal humain ; bien plus, je ne me juge pas moi-même. À la vérité, ma conscience ne me reproche rien, mais je ne suis pas pour cela justifié, et celui qui me juge, c’est le Seigneur bd. » Ce ne sont pas vos louanges qui me mettent la conscience en bon état. Pourquoi louez-vous ce que vous ne voyez pas ? C’est à Celui qui voit de louer, à Lui encore de reprendre s’il voit en moi quelque chose qui blesse son regard. Car nous sommes bien éloignés de nous croire parfaitement guéris et nous nous frappons la poitrine en disant à Dieu : Aidez-moi dans votre miséricorde à ne point pécher. Je crois pouvoir le dire cependant, puisque je parle en sa présence et n’ayant en vue que votre salut : nous gémissons bien souvent sur les péchés de nos frères ; ces péchés nous accablent et nous tourmentent le cœur ; nous en reprenons de temps en temps les auteurs, ou plutôt nous ne cessons de les en reprendre. J’invoque le témoignage de tous ceux qui voudront réveiller leurs souvenirs : combien de fois n’avons-nous pas repris et repris avec force nos frères dans le désordre !

15. Je révèle maintenant des desseins à votre sainteté. Vous êtes, par la grâce du Christ, le peuple de Dieu, un peuple catholique, les membres du Sauveur. Vous n’êtes point séparés de l’unité, mais en communication avec ceux qui tiennent aux Apôtres, avec ceux qui honorent la mémoire des saints Martyrs et il y en a dans tout l’univers ; vous êtes l’objet ne notre sollicitude et nous devons rendre bon compte de vous. Vous savez en quoi consiste – ce compte. Pour vous, ô mon Dieu, vous n’ignorez pas que j’ai parlé, que je n’ai pas gardé le silence, vous connaissez avec quelles dispositions j’ai parlé et combien j’ai pleuré devant vous lorsqu’on n’écoutait pas mes avertissements : N’est-ce pas là tout le compte dont je suis chargé ? Ce qui nous rassure en effet, c’est ce que le Saint-Esprit a fait dire au prophète Ézéchiel. Vous vous rappelez le passage relatif à la sentinelle. « Fils de l’homme, est-il écrit, je t’ai établi sentinelle pour la maison d’Israël. Quand je dirai à l’impie : Impie, tu mourras de mort, si tu ne lui parles pas ; » car je te parle à toi pour que tu lui reportes mes paroles ; si donc tu ne les lui reportes pas, « et que le glaive vienne le frapper et le mettre à mort », comme j’en ai menacé le pécheur ; « l’impie sans doute mourra dans son péché, mais je demanderai compte de son sang aux mains de la sentinelle. » Pourquoi ? Parce qu’elle ne l’a pas averti. « Au contraire, si la sentinelle voit venir l’épée, si de plus elle sonne de la trompette pour inviter à prendre la fuite et que l’impie « ne se mette pas sur ses gardes », c’est-à-dire ne se corrige pas pour échapper au supplice dont Dieu le menace ; « si l’épée vient en effet et le mette à mort ; l’impie sans doute mourra dans son iniquité, mais toi, tu auras sauvé ton âme be. » N’est-ce pas ce qu’enseigne aussi le passage suivant de l’Évangile ? « Seigneur, y dit le serviteur paresseux, je savais que vous êtes un homme dur ou sévère, que vous moissonnez où vous n’avez pas semé, que vous cueillez où vous n’avez rien mis, j’ai donc eu peur et je suis allé enfouir mon talent dans la terre : voici ce qui est à vous. – Serviteur mauvais, répond le Seigneur, et d’autant plus paresseux que tu me connaissais pour un homme dur et sévère, moissonnant où je n’ai pas semé et recueillant ou je n’ai rien mis : » l’avarice même que tu m’imputes devait t’apprendre que je veux profiter de mon argent. « Tu devais donc mettre cet argent chez les banquiers et en revenant je l’aurais repris avec les intérêts bf. » Le Seigneur dit-il ici : Tu devais mettre cet argent et le reprendre ? C’est nous, mes frères, qui le mettons à la banque et c’est Lui qui viendra le reprendre. Priez pour obtenir que nous soyons prêts alors.

SERMON LXXXII. CORRECTION FRATERNELLE bg.

ANALYSE. – Trois idées principales dans ce discours. Premièrement saint Augustin établit que nous sommes obligés de reprendre le prochain des fautes que, nous voyons, et de l’en reprendre pour l’amour de lui, et non par haine ni pour l’amour de nous. Il établit en second lieu que cette réprimande doit être secrète quand la faute est secrète, et publique si la faute est publique. Troisièmement, pratiquant lui-même le devoir de la correction fraternelle, il montre la gravité du péché de la chair, insiste sur la nécessité de se corriger au plus tôt et termine en disant qu’un pasteur n’est heureux que des progrès que font ses ouailles dans la vertu. l. Notre-Seigneur nous interdit l’insouciance sur nos fautes réciproques ; il veut que sans chercher matière à censure nous reprenions ce dont nous sommes témoins. On est, selon lui, propre à écarter l’herbe de l’œil de son frère, quand on n’a pas une poutre dans le sien. Qu’est-ce à dire ? Je vais l’expliquer en, peu de mots à votre charité. Le brin d’herbe dans l’œil, c’est la colère, et la poutre, la haine. Quand donc un cœur livré à la haine réprimande un homme irrité, il cherche à ôter l’herbe de l’œil de son frère, mais il en est empêché par la poutre qu’il porte dans le sien bh. Le brin d’herbe est l’origine de la poutre, car la poutre en naissant n’est que de l’herbe. En arrosant cette herbe on en fait une poutre, et en nourrissant la colère de mauvais soupçons ; on en fait de la haine.

2. Il y a une grande différence entre le péché de colère et le crime de haine. Nous nous irritons contre, nos propres enfants ; mais qui de nous les hait ? Parmi les animaux mêmes on voit parfois une génisse fatiguée de son veau qui le tourmente le repousse avec colère : en a-t-elle moins pour lui l’affection d’une mère ? Il l’ennuie quand il la secoue en têttant, et s’il n’est point là elle le cherché. Corrigeons-nous nos enfants sans un peu de colère et d’indignation ? Et pourtant sans amour pour eux nous ne les corrigerions pas. La colère est si peu la haine, que le défaut de colère est plutôt en certains cas une preuve de haine. Suppose un enfant qui veut jouer dans un fleuve dont la rapidité l’expose à périr. Tu le vois et le laisses faire patiemment n’est-ce pas une preuve de haine ? Ta patience lui donne la mort. Ne vaudrait-il pas beaucoup mieux te fâcher et le corriger, que de le laisser périr en ne te fâchant pas ? Il faut donc avant tout éviter la haine, rejeter la poutre de son œil. Car il y a une grande différence entre celui qui outrepasse tant soit peu la mesure du langage dans l’émotion de la colère et qui en fait ensuite pénitence, et celui qui cache de noirs desseins dans son cœur. Il y a enfin une grande différence entre ces mots de l’Écriture : « Mes yeux sont obscurcis par la colère bi ; » et ces autres paroles : « Qui hait son frère est homicide bj. » Grande différence aussi entre l’œil obscurci et l’œil éteint ; il est obscurci par le fétu, éteint par la poutre.

3. Ce dont il faut par conséquent nous persuader d’abord, c’est l’indispensable nécessité de n’avoir pas de haine, afin de pouvoir accomplir parfaitement l’obligation qui nous est enjointe aujourd’hui. Si la poutre ne te ferme pas l’œil, tu peux voir clairement ce qu’il y a dans l’œil de ton frère, et tu éprouves le vif besoin d’en ôter ce qui lui est nuisible. La lumière qui t’éclaire ne te permet pas l’insouciance sur ce qui peut éclairer ton frère. Mais si tu le hais et que tu veuilles le reprendre, comment peux-tu, sans plus voir clair, lui émonder la vue ? C’est ce qu’enseigne manifestement l’Écriture dans le passage où elle dit : « Qui hait son frère est homicide. – « Qui hait son frère, ajoute-t-elle, est encore dans les ténèbres bk. » Les ténèbres sont donc la haine. Mais il est impossible de haïr autrui sans se nuire auparavant. On blesse à l’extérieur et on perd tout à l’intérieur. Plus néanmoins l’âme l’emporte sur le corps, plus aussi nous devons prendre garde de la blesser. Or on la blesse en haïssant autrui. Que peut-on en effet contre celui qu’on hait, que peut-on ? On lui ôte son argent, ruais peut-on lui ôter sa foi ? On ternit sa réputation, ternit-on sa conscience ? On ne saurait lui faire de dommage qu’à l’extérieur, mais observez où on s’en fait à soi-même. Celui qui hait son prochain, se hait lui-même dans l’âme. Mais comme il ne sent pas quel mal il se fait, il continue à frapper sur autrui, d’autant plus exposé au danger, qu’il sent moins combien il se blesse, puisqu’en frappant au-dehors il a perdu le sens intime. Tu te mets en fureur contre ton ennemi et dans ta fureur tu le dépouilles, mais tu te livres à l’iniquité. Quelle différence entre un homme dépouillé et un homme criminel ! Il a perdu sa fortune, mais toi, ton innocente. Lequel des deux a perdu davantage ? Il n’a perdu que ce qu’il devait perdre tu t’es condamné à périr toi-même.

4. Ainsi donc nous devons reprendre par amour ; non pas chercher à nuire mais chercher à corriger. Avec cette heureuse disposition nous accomplirons merveilleusement le précepte qui nous est rappelé aujourd’hui. « Si ton frère a péché contre « toi, reprends-le entre toi et lui seul. » Pourquoi le reprendre ? Est-ce parce que tu es peiné d’avoir été offensé par lui ? Dieu t’en garde ; car si tu agis pour l’amour de toi, tu ne fais rien ; au lieu que si c’est par amour pour lui, ton acte est excellent. Distinguo dans ces paroles mêmes par quel principe tu dois agir, si c’est pour l’amour de toi ou pour l’amour de lui. « S’il t’écoute, dit le Sauveur, tu auras gagné ton frère. » Agis donc dans l’intention de le gagner. Mais si tu le gagnes en remplissant ce devoir, n’est-ce pas une preuve que sans lui il était perdu ? Comment, maintenant, un si grand nombre d’hommes font-ils si peu d’attention à ces sortes de péchés ? Quel si grand mal ai-je fait, disent-ils ? Je n’ai manqué qu’à un homme. N’en sois pas sans souci. Tu n’as manqué qu’à un homme ! Veux-tu savoir qu’en lui manquant tu t’es perdu toi-même ? Si celui à qui tu as manqué t’avait repris entre toi et lui seul, et que tu l’eusses écouté, il t’aurait gagné. Et pourquoi t’aurait-il gagné, sinon parce que sans lui tu étais perdu ? Car si tu n’étais perdu, comment aurait-il pu te gagner ? Que nul donc ne reste indifférent après avoir manqué à son frère. L’Apôtre ne dit-il pas quelque part : « En péchant de la sorte contre vos frères et en blessant leur conscience faible, vous péchez contre le Christ bl ? » C’est qu’effectivement nous sommes devenus les membres du Christ. Or, comment ne pécher pas contre le Christ, quand on pèche contre ses membres ?

5. Loin donc de tous ce langage : Puisque je n’ai pas péché contre Dieu, mais seulement contre mon frère, contre un homme, ce péché est léger, si même c’est un péché. Dis-tu qu’il est léger parce qu’il est bientôt effacé ? Eh bien ! quand tu as manqué à ton frère, fais une réparation suffisante, et tues guéri. Tu as fait en un moment un acte mortellement coupable, mais aussi tu n’as pas été long à y trouver le remède. Eh ! mes frères, qui de nous espérera le royaume des cieux en face de ces mots de l’Évangile : « Celui qui traitera son frère de fou sera condamné à la géhenne du feu ? » Quel sujet d’épouvante ! mais voici qui nous rassure : « Si tu présentes ton offrande à l’autel et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse-là ton offrande devant l’autel. » Dieu ne se mécontentera point de ton retard à présenter ton offrande, c’est toi qu’il cherche plutôt que tes dons. Si tu viens à lui l’offrande à la main, mais le cœur ulcéré contre ton frère, il te répondra : Tu es mort, que peux-tu m’offrir ? Tu apportes ton offrande à ton Dieu, sans t’offrir toi-même à lui ? Le Christ est plus avide de ce qu’il a racheté par son sang, que de ce que tu tires de ton grenier. Ainsi donc « laisse-là ton présent devant l’autel et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; revenant alors tu offriras ton don bm. » Que cette condamnation, à la géhenne a été promptement levée ! Tu étais sous le poids de cette condamnation, avant de t’être réconcilié ; une fois réconcilié, tu peux, offrir tranquillement tes dons à l’autel.

6. Mais hélas ! on se laisse aller, facilement à l’outrage et on se porte difficilement à rétablir la paix. Demande pardon à cet homme que tu as offensé, à cet homme que tu as blessé, dit-on. – Je ne m’humilierai pas, répond le coupable. – Si tu dédaignes ton frère, écoute au moins ton Dieu : « Qui s’abaisse sera élevé bn. » Tu ne veux pas t’humilier et tu t’es laissé tomber ? Quelle différence toutefois entre un homme qui s’incline et un homme qui est tombé ! Tu es tombé et tu ne veux pas t’abaisser ! Tu pourrais dire : Je refuse de descendre, si tu avais refusé de te laisser tomber.

7. Tel est le devoir de celui qui a fait injure à autrui. Mais que doit faire celui qui l’a soufferte ? Ce qui nous a été rappelé aujourd’hui : « Si ton frère a péché contre toi, reprends-le entre toi et lui seul. » Il deviendra plus méchant, si tu négliges de le reprendre. Il t’a manqué, et en te manquant il s’est fait une profonde blessure : tu n’as aucun souci de la blessure de ton frère ? Tu le vois périr, peut-être.est-il déjà mort, et tu ne t’en inquiètes pas ? Tu fais plus de mal par ton silence qu’il n’en a fait en t’outrageant. Quand donc quelqu’un nous blesse, soyons attentifs et vigilants, mais non pas dans notre intérêt, car il est glorieux d’oublier les outrages. Oublie donc l’injure qui t’est faite, mais non pas la blessure dont souffre ton frère. « Reprends-le entre toi et lui seul ; » cherchant à le ramener et lui épargnant la honte. Peut-être en effet la honte le porterait-il à prendre la défense de sa faute, et l’aggraverait-il au lieu de s’en corriger. « Reprends-le donc entre toi et lui seul. S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère », puisque sans toi il était perdu. Mais s’il ne t’écoute pas », s’il soutient son péché comme un acte de justice, « prends avec toi deux ou trois personnes, parce que sur la parole de deux ou trois témoins tout est, avéré. Si même il ne les écoute point, réfères-en à l’Église. Si enfin il n’écoute pas l’Église qu’il te soit comme un païen et un publicain. » Ne le mets plus au nombre de tes frères. On ne doit pas toutefois négliger son salut. Sans doute, nous ne comptons point parmi nos frères les gentils et les païens ; nous cherchons cependant à procurer leur salut. Voilà donc les avertissements que vient de nous donner le Sauveur, et il tient à l’observation de ces préceptes jusqu’à dire aussitôt après : « En vérité je vous le déclare, tout ce que vous lierez sur la terre sera lié aussi dans le ciel ; et tout ce que vous délierez sur la terre sera dans le ciel également délié. » En commençant à regarder ton frère comme un publicain, tu le lies sur la terre : mais prends garde de ne pas le lier injustement, car les liens injustes sont rompus par la justice. Au contraire, lorsque tu le reprends et que tu fais la paix avec lui, c’est ton frère que tu délies sur la terre ; et lorsque tu l’auras délié sur la terre, il sera également délié dans le ciel. Quel service tu rends alors, non pas à toi mais à lui, car c’est à lui qu’il a fait du mal et non à toi.

8. Puisqu’il en est ainsi, que veut dire Salomon par ces paroles d’une première leçon que nous avons entendue aujourd’hui ? L’œil flatteur est une source de chagrins ; mais reprendre en public, c’est établir la paix bo. » Mais s’il est vrai que reprendre publiquement ce soit établir la paix, comment est-il dit : « Reprends-le entre loi et lui seul ? » N’est-il pas à craindre que ces divins préceptes ne soient opposés l’un à l’autre ? Comprenons au contraire qu’ils sont entr’eux du plus parfait accord ; n’imitons pas ces hommes vains qui s’imaginent faussement qu’il y a opposition entre les livres des deux Testaments, l’Ancien et le Nouveau ; et ne nous figurons pas que ces deux pensées soient contraires parce que l’une est tirée d’un livre de Salomon, et l’autre de l’Évangile. Supposons en effet qu’un accusateur ignorant des divines Écritures vienne à dire : Voici une contradiction manifeste entre les deux Testaments. « Reprends-le entre toi et lui seul », dit le Seigneur. Salomon au contraire : « Reprendre en public, c’est établir la paix. » Ne s’ensuit-il Vas que le Seigneur ignorait la pensée de Salomon ? Celui-ci veut briser le front superbe du pécheur ; le Christ veut au contraire qu’on lui épargne la honte. L’un dit : « Reprendre en public, c’est établir la paix ; et l’autre : Reprends-le entre toi et lui seulement ; » non pas en public, mais en particulier et en secret. – Eh bien ! toi qui fais ces réflexions, veux-tu savoir que ces deux sentences, l’une de Salomon et l’autre de l’Évangile, ne prouvent point l’opposition des deux Testaments ? Écoute l’Apôtre, il est sûrement un ministre du Testament nouveau. Écoute-le donc, il écrit et il donne ce précepte à Timothée : « Reprends ceux qui pèchent, devant tout le monde, afin que les autres en conçoivent souvent de la crainte bp. » Ce n’est plus ici un livre de Salomon, c’est une épître de l’Apôtre Paul qui semble en contradiction avec l’Évangile. Pour le moment, et sans mépris, mettons de côté Salomon ; puis prêtons l’oreille au Christ Notre-Seigneur et à son serviteur Paul. Que dites-vous donc, Seigneur ? « Si ton frère pèche contre toi, reprends-le entre toi et lui seulement. » Et vous Apôtre ? « Reprends ceux qui pèchent, devant tout le monde, afin que tous les autres en conçoivent de la crainte. »» Que conclure ? Entendre ce débat pour le juger ? Dieu nous en préserve. Soyons plutôt soumis an juge et frappons pour obtenir qu’il nous ouvre, réfugions-nous sous les ailes du Seigneur notre Dieu. Il n’a rien dit qui fût contraire à ce qu’a dit depuis son Apôtre, car c’est lui qui parlait par la bouche de celui-ci. « Voulez-vous, dit Paul, éprouver celui qui parle en moi, le Christ bq ? » Le Christ parle dans l’Évangile et il parle dans son Apôtre : de lui viennent donc les deux propositions ; il a exprimé l’une par sa bouche, et l’autre par la bouche de son héraut. Lorsque parmi nous le héraut parle du haut du tribunal, on n’écrit point dans les Actes : Le héraut a dit ; on attribue les paroles à celui qui a commandé au héraut de les prononcer.

9. Essayons donc, mes frères, de bien comprendre ces deux préceptes et de nous entendre avec chacun d’eux. Soyons en paix avec notre conscience et nous ne découvrirons nulle part de contrariété dans les Saintes Écritures. Oui ces deux commandements sont également et absolument bons, mais il faut savoir la nécessité d’observer tantôt l’un et tantôt l’autre. Parfois donc il faut reprendre son frère entre soi et lui seulement ; parfois aussi il le faut reprendre devant tout le monde, afin que les autres en conçoivent de la crainte. En agissant ainsi nous ne nous écarterons point du sens des Écritures et nous ne nous tromperons pas en les prenant pour guides. On me demande : À quels moments divers accomplir chacun de ces préceptes ? Je crains de faire la correction secrète quand elle doit être publique, et publique quand il faut qu’elle soit secrète.

10. Votre charité comprendra vite le devoir de chaque moment ; et puissions-nous ne pas différer de l’accomplir ! Appliquez-vous et saisissez. « Si ton frère pèche contre toi, dit le Sauveur, reprends-le entre toi et lui seulement. » Pourquoi le reprendre ? Parce qu’il a péché contre toi. Qu’est-ce à dire il a péché contre toi ? C’est-à-dire que tu sais qu’il a péché. C’est en secret qu’il a péché contre toi, tu dois l’en reprendre en secret. Puisque seul tu connais son péché contre toi, il est sûr que le reprendre devant tout le monde, ce ne serait pas le corriger, mais le diffamer. Considère avec quelle bonté l’homme juste pardonna le crime énorme dont il soupçonna son épouse avant de savoir comment elle avait conçu. Joseph la voyait enceinte, il savait de plus ne l’avoir pas approchée : Pouvait-il n’être pas sûr d’un adultère ? Mais il était seul à s’apercevoir, à connaître. Aussi, que dit de lui l’Évangile ? « Comme Joseph était un homme juste et ne « voulait pas la diffamer. » Sa douleur d’époux ne chercha point à se venger. Au lieu de punir la coupable, il voulut la servir. Donc, « comme il ne voulait point la diffamer, il eut la pensée de la laisser secrètement. » Mais comme il s’occupait de ce dessein, un, Ange du Seigneur lui apparut en songe ; il lui révéla la vérité et lui apprit que Marie n’avait point violé là foi conjugale, mais qu’elle avait conçu, du Saint-Esprit, le Seigneur même des deux époux br. Ton frère donc a péché contre toi ; il n’a vraiment péché que contre toi, si seul tu connais sa faute. Mais s’il t’a manqué devant plusieurs, il a aussi péché contre eux, puisqu’il en a fait les témoins de son iniquité. Je vais en effet, mes très-chers frères, vous faire un aveu que chacun de vous pourrait me faire de son côté. Si devant moi on outrage mon frère, je n’ai garde de me considérer comme étranger à cette injure ; elle me blesse sûrement aussi, elle me blesse même davantage, puisqu’en la faisant on croyait que j’y prendrais plaisir. Qu’on reprenne donc devant tout le monde les fautes commises devant tout le monde, et plus secrètement, les fautes plus secrètes. Distinguez les temps, et l’Écriture s’accorde avec elle-même.

11. Agissons ainsi, car c’est ce que nous devons faire, non-seulement lorsqu’on nous offense, mais encore lorsqu’on pèche en secret. C’est en secret qu’il nous faut alors corriger et reprendre ; nous pourrions, en cherchant à réprimander publiquement, diffamer le coupable. Nous voulons, disons-nous, le corriger, le reprendre : mais si un ennemi cherche à savoir sa faute parle faire alunir ? Ainsi, par exemple, l’évêque connaît l’auteur d’un meurtre, et nul autre que lui ne le connaît. J’entreprends de le censurer publiquement, mais tu veux, toi, le dénoncer à la justice. Je prends donc le parti de ne pas le diffamer et toutefois je ne le laisse pas en repos sur son crime : je le réprimande en particulier, je lui mets sous les yeux le jugement divin, je cherche à effrayer sa conscience coupable, je le porte à faire pénitence. Telle est la charité qui doit nous animer. On nous reproche quelquefois de ne pas flageller le vice : c’est qu’on suppose que nous savons ce que nous ignorons ou que nous ne disons rien de ce que nous savons. Je sais peut-être ce que tu sais, mais je n’en reprends pas devant toi, parce que je veux panser et non pas accuser. Il est des hommes qui commettent l’adultère dans leurs propres demeures, ils pèchent en secret. Il arrive que leurs épouses nous en avertissent ; c’est souvent par jalousie et quelquefois pour le salut de leurs époux. Nous n’avons garde de parler de cela en public, nous en faisons de secrets reproches. Que le mal s’éteigne là où il s’est allumé. Ah ! nous n’oublions pas cette plaie profonde ; nous montrons d’abord au coupable, dont la conscience est si malade, que ce péché est mortel. Car il est hélas ! des hommes si étrangement pervertis, qu’ils ne s’en inquiètent pas après l’avoir commis. Sur quels frivoles et vains témoignages s’appuient-ils pour affirmer que Dieu ne s’occupe pas des péchés charnels ? Ont-ils oublié ce qui nous a été répété aujourd’hui : « Dieu juge les fornicateurs et les adultères ? » Attention ! pauvre malade. Écoute ce que Dieu t’enseigne et non ce que te disent ni ton cœur pour te porter au crime, ni ton ami, ou plutôt ni un homme qui est ton ennemi comme le sien propre et qui est chargé des mêmes chaînes d’iniquité que toi. Écoute donc ce que te dit l’Apôtre : « Que le mariage soit honorable en toutes choses et le lit nuptial sans souillure. Dieu juge les fornicateurs et les adultères. »

12. Allons, mon frère, corrige-toi. Tu crains d’être dénoncé par ton ennemi, et tu ne crains pas d’être jugé par Dieu ? Où est ta foi ? Crains quand il y a lieu de craindre. Le jour du jugement est loin encore ; mais le dernier jour de chacun de nous ne saurait être éloigné, parce que la vie est de courte durée. Et comme cette durée est non-seulement courte, mais toujours incertaine, tu ne sais quand viendra ton dernier jour. Corrige-toi aujourd’hui à cause de l’incertitude de demain. Profite à l’instant de la réprimande que je te fais en secret. Je parle en public, il est vrai, mais je reprends secrètement. Mes paroles vont à toutes les oreilles, mais quelques consciences seulement en sont frappées. Si je disais : Toi, tu es un adultère, corrige-toi, je dirais d’abord ce que je puis ignorer ; peut-être aussi serait-ce un soupçon fondé sur ce que j’ai entendu avec légèreté. Je ne dis donc pas : Tu es un adultère, corrige-toi ; je dis : Quiconque est ici adultère doit se corriger. L’avertissement est public, la réprimande est secrète, et je sais que si on a la crainte de Dieu on se corrige.

13. Qu’on ne, dise donc pas en son cœur : Dieu ne s’occupe pas des péchés charnels. « Ne savez-vous, dit l’Apôtre, que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Quiconque profane le temple de Dieu, Dieu le perdra bs. » Qu’on ne se fasse pas illusion. On dira peut-être encore : Mon âme et non mon corps est le temple de Dieu ; on s’appuiera même sur cette autorité : « Toute chair n’est que de l’herbe, et toute sa gloire n’est que la fleur de l’herbe bt. ». Interprétation malheureuse ! coupable pensée ! La chair est comparée à l’herbe, parce qu’elle meurt comme elle : mais ce qui meurt pour un temps doit-il ressusciter couvert de crimes ? Veux-tu une proposition claire tirée de la même Épître ? « Ne savez-vous, dit encore l’Apôtre, que vos corps sont le temple du Saint-Esprit, qui est en vous, que vous avez reçu de Dieu ? » Comment mépriser désormais les péchés charnels, puisque vos corps sont les temples de l’Esprit-Saint, qui est en vous, que vous avez reçu de Dieu ? » Tu ne t’inquiétais pas d’un péché charnel ; seras-tu sans crainte pour, avoir profané un temple ? Et c’est ton corps qui est en toi le temple de l’Esprit de Dieu. Réfléchis donc à ta conduite envers ce temple divin : Qu’y aurait-il de plus sacrilège que toi, si dans cette église, si dans ce sanctuaire tu te déterminais à commettre un adultère ? Et pourtant tu es toi-même le temple de Dieu. Que tu entres ici ou que tu en sortes, que tu sois en repos ou en mouvement dans ta maison, partout tu es un temple. Prends-garde, prends-garde d’offenser l’hôte de ce temple, crains qu’il ne t’abandonne et ne te laisse tomber en ruine. « Ne savez-vous pas », l’Apôtre tenait ce langage à propos de la fornication et pour apprendre à ne mépriser pas les péchés de la chair ; « ne savez-vous pas que vos corps sont, en vous, le temple de l’Esprit-Saint, que vous avez reçu de Dieu, et que vous n’êtes plus à vous-mêmes ? Car vous avez été achetés à haut prix bu. » Si tu méprises ton corps, estime au moins ce que tu as coûté.

14. Je le sais, et quiconque réfléchit tant soit peu attentivement le sait comme moi : quand on craint Dieu et qu’on ne se corrige pas en entendant sa parole, c’est qu’on pense avoir encore à vivre. Ce qui perd un grand nombre d’hommes, c’est qu’ils répètent : Demain, demain, et tout-à-coup la porte se ferme. On reste dehors en imitant le corbeau, parce qu’on n’a pas gémi comme la colombe. Le corbeau en effet dit : Demain, demain, cras, cras. Gémis donc comme la colombe, frappe-toi la poitrine ; mais en la frappant corrige-toi, sinon tu semblerais moins réveiller ta conscience, que l’endurcir à coups de poing, la rendre insensible plutôt que de la corriger. Gémis donc, mais ne gémis pas en vain. Peut-être dis-tu en toi-même : Dieu a promis de me pardonner quand je me corrigerai ; je suis tranquille, car je lis dans la divine Écriture « Le jour où le pécheur se convertira de ses iniquités et accomplira la justice, j’oublierai toutes ses iniquités bv. » Je suis tranquille ; Dieu me pardonnera toutes mes fautes quand je me serai corrigé. – Pour moi, que répondrai-je ? Réclamerai-je contre Dieu ? Lui dirai-je : Gardez-vous de lui pardonner ? Objecterai-j.e que cette promesse n’est pas écrite, que Dieu ne l’a pas faite ? Si je tiens ce langage, ce ne sera que faussetés. Eh bien ! oui, tu dis vrai, Dieu a promis de pardonner à ta conversion, je ne le saurais nier. Mais réponds, je t’en prie. J’y consens, j’accorde et je reconnais que Dieu t’a promis le pardon ; mais qui t’a promis de vivre demain ? Tu me montres bien que le pardon t’est assuré si tu te corriges ; mais là aussi montre-moi combien tu as encore à vivre. – Je ne l’y vois pas, dis-tu. — Tu ignores donc ce qu’il te reste de vie. Ah ! sois toujours converti et toujours préparé. Ne t’expose pas à redouter le dernier jour, comme un voleur qui percerait la muraille durant ton sommeil ; veille et aujourd’hui même corrige-toi. Pourquoi attendre à demain ? – J’aurai une longue vie. – Si elle est longue ; qu’elle soit bonne. On ne remet pas un long et, bon festin, et tu veux une vie mauvaise et longue ? Oui, si elle est longue, elle gagnera à être bonne ; et si elle est courte, n’a-t-on pas raison de la prolonger en la rendant bonne ? Telle est, hélas ! l’insouciance des hommes pour leur propre vie, qu’ils ne veulent rien de mauvais qu’elle. Si tu achètes une terre, tu la veux bonne ; si tu, prends une épouse, tu la choisis bonne également ; désires-tu des enfants ? c’est à la condition qu’ils soient, bons ; tu ne veux pas même de mauvaises chaussures et tu te contentes d’une vie mauvaise ? Que t’a fait cette vie, pour ne vouloir rien de mauvais qu’elle, pour vouloir que de tout ce que tu possèdes il n’y ait rien de mauvais que toi ?

15. Je le crois, mes frères, si je prenais à part quelqu’un d’entre vous, pour le réprimander, il m’écouterait sans doute ; je reprends en public plusieurs d’entre – vous, tous m’applaudissent ; qu’il y ait au moins quelqu’un pour m’écouter le n’aime pas qu’on loue des lèvres et qu’on méprise dans le cœur. Car en me louant sans te corriger tu déposes contre toi. Si donc tu es pêcheur et que mon enseignement te plaise, déplais-toi à toi-même ; en te déplaisant ainsi, tu te corrigeras et tu seras heureux, comme je l’ai dit, si je ne me trompe, il y a trois jours. Mes paroles sont comme un miroir que je présente à tous ; et ce ne sont pas mes paroles ; je ne fais en parlant qu’obéir au Seigneur, sa crainte ne me permet point de me taire. Eh ! qui ne préférerait se tare sans rendre compte de vous ? Mais c’est un fardeau que nous avons pris sur nos épaules, nous ne pouvons ni ne devons le rejeter. Lorsqu’on lisait l’Épître aux Hébreux, vous avez entendu, mes frères, cet avertissement « Obéissez à vos supérieurs et soyez-leur soumis ; car ils veillent sur vos âmes, et doivent rendre compte de vous ; afin qu’ils le fassent avec joie et non avec tristesse : ce qui ne vous serait pas avantageux bw. » Quand accomplissons-nous ce devoir avec joie ? Lorsque nous voyons qu’on, profité de la parole de Dieu. Quand travaille-t-on avec joie dans un champ ? Lorsqu’en regardant les arbres on y voit du fruit ; lorsqu’en jetant les yeux sur la plaine on y distingue de riches moissons : ce n’est pas en vain qu’on a travaillé, ce n’est pas en vain qu’on s’est courbé, ce n’est pas en vain qu’on s’est fatigué les mains, ce n’est pas en vain qu’on a supporté le froid et la chaleur. Voilà ce que signifient ces mots : « Afin qu’ils le fassent avec joie et non avec tristesse : ce qui ne vous serait pas avantageux. » Est-il dit : Ce qui ne leur serait point avantageux ? Non ; mais : « Ce qui ne vous serait point avantageux, à vous. » Lorsqu’ils s’attristent de vos maux, cette tristesse leur est avantageuse, elle leur sert, mais elle ne vous sert pas. Nous ne voulons rien d’avantageux pour nous, qui ne le soit pour vous. Ensemble donc, frères, travaillons dans le champ du Seigneur, afin de recueillir ensemble l’heureuse récompense.

SERMON CXXXVIII. L’UNITÉ DE L’ÉGLISE bx.

ANALYSE. – Il y a sans doute plusieurs bons pasteurs. Comment donc se fait-il que Jésus parle comme s’il était le seul bon Pasteur ? Remarquons d abord avec l’Écriture que le martyre même ne servant de rien sans la charité, on n’est pas bon pasteur pour avoir répandu son sang ; il faut l’avoir répandu par charité et conséquemment dans l’unité. Maintenant, si le Fils de Dieu, après avoir institué lui-même d’autres bons pasteurs, semble se dire le seul bon Pasteur, c’est pour nous apprendre que tous les autres doivent relever de lui et par conséquent vivre dans l’unité entre eux comme avec lui. Il est vrai ; les Donatistes citent un texte des Cantiques pour autoriser leur schisme. Mais premièrement ils ne le comprennent pas, puisque l’épouse dans ce texte demande à connaître quels sont les vrais pasteurs, les pasteurs embrasés de charité, et cela pour ne pas s’exposer à s’égarer sur les traces des pasteurs rebelles. Secondement, ce texte expliqué à la lettre, comme il doit l’être, est une condamnation manifeste des Donatistes. Ils sont obligés de l’altérer pour l’interpréter dans leur sens.

1. Nous venons d’entendre Notre-Seigneur Jésus nous prêcher les devoirs d’un bon pasteur et par conséquent nous avertir ainsi qu’il y a de bons pasteurs. Afin toutefois d’écarter de notre esprit toute idée fausse sur la pluralité des pasteurs, il ajoute : « Je suis le bon pasteur. » Comment est-il le bon pasteur ? Le voici : « Le bon pasteur, dit-il, donne sa vie pour ses brebis. Quant au mercenaire, quant à celui qui n’est pas réellement pasteur, il voit venir le loup et s’enfuit, parce qu’étant mercenaire il ne prend point souci des brebis. » Le Christ est donc le bon pasteur. Et Pierre ? N’est-il pas aussi bon pasteur ? Lui aussi n’a-t-il pas donné sa vie pour ses brebis ? Et Paul ? Et les autres Apôtres ? Et les bienheureux évêques martyrs qui leur ont succédé ? Et votre Saint Cyprien encore
Ce passage indique que ce discours a été prononcé sur le tombeau du grand Évêque de Carthage
 ? Tous n’étaient-ils pas de bons pasteurs, au lieu d’être de ces mercenaires dont il est dit : « En vérité je vous le déclare, ils ont reçu leur récompense bz » ? Tous ces grands hommes étaient donc de bons pasteurs ; ce qui le prouve, ce n’est pas seulement qu’ils ont versé leur sang, c’est qu’ils l’ont versé en faveur de leurs brebis. Ce n’est pas l’orgueil, c’est la charité qui les a portés à le répandre.

2. On voit bien parmi les hérétiques des hommes qui pour avoir souffert quelques désagréments en faveur de leurs iniquités et de leurs fausses doctrines, se donnent vaniteusement le nom de martyrs et se parent de ce manteau pour ravir plus facilement, car ils ne sont que des loups. Voulez-vous savoir en effet ce qu’il faut penser d’eux ? Apprenez d’un bon pasteur, de l’Apôtre Paul, qu’il ne faut pas regarder comme ayant répandu leur sang pour leurs brebis, car c’est plutôt contre elles, tous ceux qui ont souffert jusqu’à même livrer leurs corps aux flammes. « En vain, dit-il, je parlerais les langues des Anges et des hommes, si je n’ai pas la charité, je suis comme un airain sonnant ou une cymbale retentissante. En vain je connaîtrais tous les mystères, j’aurais en vain toutes les lumières prophétiques et toute la foi jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. » Quelle puissance que cette foi, capable de transporter les montagnes ! Quels dons aussi que ceux qui sont énumérés avant la foi ! Eh bien ! dit saint Paul, si je les possédais sans avoir la charité, sans doute ils ne perdraient rien de leur valeur, mais moi je ne serais rien. L’Apôtre néanmoins n’a pas atteint encore ceux qui dans les punitions qui leur sont infligées, se glorifient faussement d’être des martyrs. Voyez maintenant quel coup il leur porte, ou plutôt comment il les perce d’outre en outre. « En vain, dit-il, je distribuerais tous mes biens aux pauvres, et je livrerais en vain mon corps pour être brûlé. » Voilà bien ces hommes. Et la suite du texte ? « Si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien ca. » On va jusqu’à être tourmenté, on va jusqu’à répandre son sang, on va jusqu’à livrer son corps aux flammes ; mais cela ne sert de rien, parce qu’on n’a point la charité. Avec la charité tout profite ; rien ne profite sans la charité.

3. Que cette charité est donc un grand bien, mes frères ! Eh ! qu’y a-t-il de plus précieux, de plus glorieux, de plus ferme, de plus utile, de plus solide ? Dieu fait beaucoup de dons aux méchants eux-mêmes qui diront un jour. : « Seigneur, nous avons prophétisé en votre nom, en votre nom chassé les démons, opéré de nombreux prodiges en votre nom. » Le Seigneur ne répondra point qu’ils n’ont pas fait ce qu’ils disent ; sous l’œil d’un tel juge oseraient-ils mentir ou se vanter d’œuvres imaginaires ? Mais comme ils n’avaient pas la charité : « Je ne vous connais pas », sera-t-il dit à tous cb. Y a-t-il la moindre étincelle de charité dans celui qui hait l’unité, tout convaincu qu’il soit par la vérité ? C’est donc pour recommander cette unité aux bons pasteurs, que le Seigneur a évité de parler des pasteurs au pluriel. Sans aucun doute, je l’ai déjà remarqué, Pierre, Paul et les autres Apôtres étaient de bons pasteurs, ainsi que les saints évêques qui les ont remplacés, ainsi que le bienheureux Cyprien. Oui, ils étaient tous de bons pasteurs : et pourtant le Seigneur ne leur a point parlé de plusieurs bons pasteurs, mais d’un seul. « Je suis, dit-il, le bon pasteur. »

4. Interrogeons le Seigneur comme nous le pourrons ; questionnons avec la plus profonde humilité ce divin Père de famille. — Que dites-vous donc, ô Seigneur, bon Pasteur ? car si vous êtes l’agneau de Dieu, vous êtes aussi le bon pasteur, vous êtes tout à la fois pasteur et pâturage, agneau et lion. Que nous enseignez-vous ? Aidez-nous à vous écouter et à vous comprendre. Que dites-vous ? – « Je suis le bon « pasteur. » – Et Pierre ? N’est-il donc point pasteur, ou est-il un pasteur mauvais ? Examinons s’il n’est point pasteur. – « M’aimes-tu ? » C’est vous, Seigneur, qui lui avez demandé : « M’aimes-tu ? – Je vous aime », répondit-il. Et vous : « Pais mes brebis. » – C’est vous, c’est vous, Seigneur, qui après l’avoir questionné avez établi pasteur, par l’autorité de votre parole, cet amant dévoué. Il est pasteur, puisque vous lui avez donné vos brebis à paître. Voyons maintenant s’il n’est pas bon pasteur. Nous l’apprendrons encore par la question et par la réponse. Vous lui demandiez s’il vous aimait ; il répondit : « Je vous aime. » Vous voyiez dans son cœur qu’il disait vrai. Ne serait-il. pas bon dès qu’il vous aime ainsi, vous le Bien suprême ? Sa réponse aurait-elle jailli, comme elle a fait, du fond de son cœur ? Au moment où il sentait votre regard plonger jusque dans ses entrailles, se serait-il affligé que vous l’eussiez questionné, non pas une fois, mais deux et trois fois, afin de lui donner lieu d’effacer son triple reniement en confessant trois fois son amour ? Se serait-il affligé d’être interrogé plusieurs fois par Celui qui connaissait ce qu’il demandait et qui inspirait la réponse ? Se serait-il écrié, sous l’impression de sa tristesse : « Vous savez tout, Seigneur, ah ! vous savez que je vous aime cc ? » Mentirait-il en faisant cette confession ou plutôt cette profession solennelle ? Il était donc sincère en répondant qu’il vous aimait, c’est du fond même de son cœur que s’échappa ce cri d’amour. Or vous avez dit que « c’est du bon trésor de son cœur que l’homme bon fait jaillir le bien cd. » – Pierre est donc et pasteur et bon pasteur. Il n’est rien sans doute, comparé à la puissance et à la bonté du Pasteur des pasteurs ; il est pourtant pasteur aussi et même bon pasteur, et ceux qui lui ressemblent sont bons pasteurs également.

5. Pourquoi alors ne parlez-vous à ces bons pasteurs que d’un seul pasteur, sinon parce que vous voulez ainsi recommander l’unité ? C’est ce qu’exprimera plus clairement encore le Seigneur lui-même par notre organe. Il s’adresse donc, d’après le même Évangile, à votre charité : Écoutez, dit-il, ce que j’ai voulu vous faire sentir. J’ai dit : « Je suis le bon pasteur ; » parce que tous les autres bons pasteurs sont mes membres ; parce qu’il n’y a qu’un Chef, qu’un seul corps, qu’un seul Christ, conséquemment qu’un seul pasteur des pasteurs et que tous les pasteurs établis par lui sont, avec leurs brebis, sourds à ce Pasteur suprême. N’est-ce pas ce qu’enseigne l’Apôtre ? « Comme le corps est un, dit-il, tout en ayant beaucoup de membres, et que tous les membres du corps ne sont cependant qu’un seul corps ; ainsi en est-il du Christ ce. » S’il en est ainsi du Christ, c’est avec raison que comprenant en lui tous les bons pasteurs il ne parle que d’un seul et dit : « Je suis le bon pasteur. » Je le suis, il n’y a que mollet tous ceux qui sont avec moi n’en forment qu’un seul dans le lien de l’unité. Paître en dehors de moi, c’est être contre moi ; et ne pas recueillir avec moi, c’est dissiper. Voulez-vous voir l’unité recommandée plus fortement encore ? « J’ai d’autres brebis qui n’appartiennent point à ce bercail. » Il faisait mention du premier bercail formé du peuple issu charnellement d’Israël. Car il y avait en dehors et parmi les gentils des prédestinés qui devaient avoir la foi d’Israël, mais qui n’étaient pas encore réunis au bercail. Le Sauveur les connaissait, puisque c’était lui qui les avait prédestinés ; il les connaissait, puisqu’il était venu les racheter au prix de son sang. Il les voyait sans en être vu encore, il les connaissait sans qu’ils crussent encore en lui. « J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de ce bercail ; » qui ne sont pas de la race d’Israël ; mais elles ne seront pas toujours en dehors du bercail ; car « il faut que je les amène, afin qu’il n’y ait qu’un troupeau et qu’un pasteur. »

6. C’est donc avec raison que l’épouse bien-aimée de ce Pasteur des pasteurs, que cette épouse ornée et embellie par sa miséricorde et par sa grâce, car elle était auparavant toute souillée d’iniquités, s’adresse à lui dans l’ardeur qui la transporte et lui dit : « Où paissez-vous ? » Remarquez, mes frères, combien s’enflamme ici, avec quelle ardeur s’élève l’amour spirituel. Pour ressentir vivement les joies de cet amour, il faut en avoir goûté tant soit peu les douceurs ; ceux qui aiment le Christ me comprennent, car c’est par leur bouche et c’est d’eux que parle l’Église dans le Cantique des Cantiques. Si le Christ qu’ils aiment parait sans beauté, il n’en est pas moins la beauté incomparable. « Nous l’avons vu, est-il dit, et il n’avait ni éclat, ni beauté cf. » C’est dans cet état qu’il parut sur la croix, qu’il se montra avec sa couronne d’épines : il était alors sans beauté et sans éclat, on aurait dit qu’il avait perdu sa puissance, qu’il n’était point le Fils de Dieu. C’est dans cet état que le virent les aveugles ; car c’est au nom des Juifs qu’Isaïe s’écriait : « Nous l’avons vu, et il n’avait ni éclat ni beauté. » Aussi lui disait-on : « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de la croix. Il a sauvé les autres, il ne peut se sauver lui-même. Christ, prophétise-nous, lui disait-on encore en lui frappant sur la tête avec un roseau, qui t’a frappé cg ? » Il était alors sans éclat et sans beauté. Mais si vous l’avez cru tel, ô Juifs, c’est qu’une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement, jusqu’à ce qu’entrât la plénitude des gentils, jusqu’à ce que vinssent les autres brebis ch. Oui, c’est pour être tombés dans l’aveuglement que vous avez vu sans beauté la beauté même. Ah ! si vous l’aviez connu, jamais vous n’auriez crucifié le Seigneur de la gloire ci. Vous l’avez crucifié, parce que vous ne le connaissiez pas. Et pourtant ne vous supportait-il point malgré vos crimes ? N’était-il pas beau quand il priait pour vous et disait : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font cj ? » S’il était sans beauté, serait-il aimé de l’épouse et dirait-elle : « Apprenez-moi, vous que chérit mon âme ? » Pourquoi l’aime-t-elle ? Pourquoi s’enflamme-t-elle ? Pourquoi craint-elle si vivement de s’égarer loin de lui ? Pourquoi chérit-elle sa présence au point de ne redouter que d’en être privée ? L’aimerait-elle enfin, s’il n’était beau ? Mais comment l’aimerait-elle, si elle ne voyait en lui que ce qu’y voyaient ces bourreaux qui le tourmentaient sans savoir ce qu’ils faisaient ? Qu’aimait-elle donc en lui ? Le plus beau des enfants des hommes. « Vous l’emportez en beauté sur les enfants des hommes, la grâce est répandue sur vos lèvres ck. » Ah ! de ces lèvres bénies, « apprenez-moi, vous que chérit mon âme ; apprenez-moi, vous que chérit », non pas ma chair, mais « mon âme, où vous paissez, où vous reposez à midi, dans la crainte que je ne m’égare sur les traces des troupeaux de vos commensaux
Voir ci-des. serm. 46, n. 36-38
. »

7. Ce passage semble obscur, il l’est, en effet, car c’est le mystère sacré du lit nuptial. L’épouse ne dit-elle pas : « Le Roi m’a fait entrer dans sa chambre ? » Et il s’agit ici du secret communiqué alors. Pour vous néanmoins, qui n’êtes point écartés de ce sanctuaire comme des profanes, écoutez ce que vous êtes, dites avec l’épouse, si toutefois vous aimez avec elle, et vous aimez avec elle si vous lui êtes unis ; dites tous, où plutôt qu’elle dise toute seule, car c’est l’unité même qui parle : « Apprenez-moi, vous que chérit mon âme ; » puisqu’on ne doit avoir en Dieu qu’un cœur et qu’une âme cm ; « Apprenez-moi où vous paissez, où vous reposez à midi. » Que rappelle le midi ? Une grande chaleur et une éclatante lumière. L’épouse veut donc dire : Faites-moi connaître quels sont vos sages, quels sont les hommes qui unissent la ferveur de l’esprit à l’éclat de la doctrine. « Montrez-moi la puissance de votre droite et quels sont les cœurs pénétrés de votre sagesse cn. » Je veux m’attacher à eux dans votre corps, leur être associée, jouir de vous avec eux. Dites-moi donc, « apprenez-moi où vous paissez, où vous reposez à midi ; » afin que je ne me jette pas au milieu de ceux qui parlent de vous autrement qu’ils ne pensent, qui croient autrement qu’ils ne prêchent, qui ont leurs troupeaux particuliers et qui sont, vos commensaux, mangeant à votre table et célébrant le Sacrement qu’on y reçoit. Le mot sodales en effet signifie qu’ils sont vos commensaux, quasi simul edales. C’est à eux que s’adresse ce reproche d’un psaume : « Si mon ennemi m’eût outragé, je me serais soustrait à ses injures ; oui sans doute je me serais dérobé à ses injures si mon ennemi s’était emporté contre moi. Mais toi, mon intime, mon conseil et mon familier, toi qui prenais avec moi des aliments exquis et avec qui je vivais cordialement dans la maison de Dieu co ! » Pourquoi maintenant ces esprits s’élèvent-ils contre la maison de Dieu et nous sont-ils opposés ? C’est qu’ils nous ont quittés, n’étant point d’avec nous cp. Faites donc, « ô vous que chérit mon âme », que je ne me jette point au milieu d’eux ; ils sont vos commensaux, mais comme l’étaient ceux de Samson, infidèles à leur ami et cherchant à corrompre son épouse cq. Non, « que je ne me jette pas au milieu d’eux », que je n’y sois pas comme une inconnue, comme une femme cachée et voilée au lieu d’être assise sur la montagne. « Apprenez-moi » donc, « ô vous que chérit mon âme, où vous paissez, où vous reposez à midi ; » quels sont les sages et les fidèles en qui vous reposez de préférence ; dans la crainte que je ne me jette en aveugle, non pas au milieu de vos troupeaux, mais au milieu des troupeaux de vos commensaux. Car vous n’avez pas dit à Pierre : Pais tes brebis ; mais : « Pais mes brebis cr. »

8. A cette épouse bien-aimée réponde maintenant ce bon Pasteur, le plus beau des enfants des hommes ; qu’il lui réponde, puisqu’il l’a rendue la plus belle des femmes. Écoutez donc et comprenez ce qu’il dit : craignez ses menaces et attachez-vous aux avis qu’il lui donne. Que lui dit-il ? Il ne la flatte pas, mais sous des formes caressantes il lui donne des avertissements sévères ; il la reprend pour la retenir, pour la préserver : « Si tu ne te connais toi-même, lui dit-il, ô toi la plus belle d’entre toutes les femmes. » Si belles que soient les autres des dons de ton époux, elles n’en sont pas moins des hérésies ; c’est la parure, ce n’est pas le cœur qui les embellit ; elles brillent à l’extérieur, elles se couvrent du nom de la justice ; mais « toute la beauté de la fille du Roi est à l’intérieur cs. » — « Si donc tu ne te connais », si tu ne sais que tu es une, que tu es répandue parmi toutes les nations ; que tu es pure et que tu ne dois pas te laisser corrompre par le langage pervers de ces commensaux indignes ; si tu ne sais que tu m’es légitimement fiancée et que tu dois être présentée au Christ comme une vierge pure ; si tu ne te présentes à moi toi-même, dans la crainte que comme le serpent séduisit Eve par son astuce, les mauvaises doctrines ne corrompent en toi la chasteté que tu m’as vouée ct ; si donc tu ne connais en toi ces caractères, « sors, sors. » À d’autres je dirai : « Entre dans la joie de ton Seigneur cu ; » à toi je ne dirai pas : Entre ; mais : « Sors », joins-toi à ceux qui nous ont quittés. « Sors ; » mais seulement « si tu ne te connais pas ; » car si tu te connais, entre. « Si tu ne te connais pas, sors sur les traces des troupeaux et pais tes boucs au milieu des tentes des pasteurs cv. »« Sors sur les traces », non pas du troupeau, mais « des troupeaux ; et pais », non pas, comme Pierre, mes brebis, mais « tes boucs », – « au milieu des tentes », non pas du pasteur, « mais des pasteurs », non pas de l’unité, mais de la désunion, sans rester ou il n’y a qu’un troupeau et qu’un pasteur. Ainsi s’affermit, ainsi s’édifie, ainsi devient plus forte cette épouse bien-aimée, également prête à mourir pour son époux et à vivre pour lui.

9. Ces paroles que nous avons rappelées, viennent du livre sacré des Cantiques, lequel est comme l’épithalame de l’Époux et de l’Épouse. Il y a en effet des noces spirituelles qui demandent de nous une grande pureté ; car le Christ a accordé à son Église d’être spirituellement ce que fut corporellement sa mère, vierge et mère tout à la fois. Mais à ces mêmes paroles les Donatistes donnent un sens particulier bien différent et complètement faux. Je ne veux pas manquer de vous le faire connaître, ni de vous exposer brièvement ; avec la grâce de Dieu et dans la mesure de mes forces, comment vous pouvez leur répondre. Lorsque nous pressons les Donatistes en leur montrant cette vive lumière de l’unité de l’Église répandue dans tout l’univers, lorsque nous leur demandons de citer dans l’Écriture quelque passage où Dieu ait prédit que son Église s’établirait en Afrique pendant que les autres contrées seraient comme perdues pour lui ; voici ce qu’ils ont l’habitude de répondre : L’Afrique est au midi ; lors donc que l’Église demande au Seigneur où il paît, où il repose, le Seigneur répond : « Au midi. » La question serait alors contenue dans ces mots. « Apprenez-moi, vous que chérit mon âme, où vous paissez, où vous « reposez ; » et la réponse dans ceux-ci : « Au midi ; » c’est-à-dire en Afrique.

Mais si c’est l’Église qui fait la question, et si c’est le Seigneur qui lui répond : Je pais en Afrique et conséquemment : L’Église est en Afrique, il s’ensuit que l’Église qui l’interroge n’est pas là. « Apprenez-moi, disait cette Église, ô vous que chérit mon âme, où vous paissez, où vous reposez ; » et à cette Église qui n’est pas en Afrique il serait répondu : « Au midi », en d’autres termes : C’est en Afrique que je repose, en Afrique que je pais, ce qui ferait entendre que ce n’est pas en toi. – Maintenant, si la question est adressée par une Église, et nul n’en doute, les Donatistes mêmes n’en disconviennent pas, si de plus ces sectaires voient ici je ne sais quoi qui rappelle l’Afrique, c’est qu’évidemment l’Église qui interroge n’est pas en Afrique. Elle est pourtant une Église véritable ; l’Église existe donc en dehors de l’Afrique.

10. Admettons que l’Afrique soit au midi, quoique l’Égypte soit plutôt qu’elle au point précis du midi, du milieu du jour. Or, que fait en Égypte le divin Pasteur ? Vous qui le savez, réveillez vos souvenirs, et vous qui l’ignorez, apprenez quel immense troupeau il y réunit, quel nombre considérable il y possède de saints et de saintes qui ont renoncé complètement au monde. Le saint troupeau s’y est accru au point d’en bannir toutes les superstitions ; et pour ne pas dire comment en se développant il a éloigné le culte des idoles, qui y exerçait tant d’empire ; j’admets ce que vous dites, ô perfides commensaux, j’admets absolument, je veux croire que l’Afrique est au midi et qu’il est question d’elle dans ces mots : « Où paissez-vous, où reposez-vous au midi ? » Mais de votre côté remarquez aussi que c’est l’Épouse et non l’Époux qui parle ainsi. Oui, c’est l’Épouse qui dit : « Apprenez-moi, vous que chérit mon âme, où vous paissez, où vous reposez au midi, dans la crainte que je ne me jette comme une aveugle. » O sourd, ô aveugle, si tu vois l’Afrique dans ce mot de midi, comment ne vois-tu pas que ces autres mots ; comme une aveugle, désignent une femme ? « Apprenez-moi, vous que chérit mon âme : » c’est bien à un homme que s’adressent ces expressions : « Vous que chérit « quem delexit. » Si nous lisions : Apprenez-moi, vous que chérit, quam dilexit ; nous comprendrions que c’est l’Époux parlant à l’Épouse ; donc puisqu’il est écrit – « Apprenez-moi, vous que chérit mon âme, quem dilexit, où vous paissez, où vous reposez », c’est l’Épouse parlant à l’Époux. Mais c’est elle aussi qui ajoute : « au midi ; » et elle demande : « Où paissez-vous au midi, dans la crainte que je ne m’égare, comme une aveugle, au milieu des troupeaux de vos commensaux. » J’admets donc, j’admets complètement qu’il est ici question de l’Afrique, comme tu le prétends, que le mot midi la désigne. Ne s’ensuit-il pas que c’est l’Église du Christ, située au-delà des mers, qui s’adresse à son Époux, dans la crainte de heurter contre l’erreur répandue en Afrique ?

« O vous que chérit mon âme, dites-moi », enseignez-moi. J’ai appris qu’il y a dans le midi, c’est-à-dire en Afrique, deux partis, ou plutôt de nombreuses factions. « Dites-moi » donc « où vous paissez », quelles sont vos brebis, à quel bercail je dois m’attacher, auquel m’unir. « Dans la crainte que je ne me jette, comme une aveugle. » On m’insulte en effet, on m’accuse d’être voilée, d’être cachée, comme perdue et comme n’existant ailleurs nulle part. Je crains donc de me jeter comme une aveugle, comme une femme inconnue et dans les ténèbres, au milieu des troupeaux, des assemblées d’hérétiques, de vos commensaux, des Donatistes, des Maximianistes, des Rogatistes, et des autres sectes venimeuses qui recueillent en dehors de vous et qui par conséquent dissipent ; je vous en conjure, éclairez-moi, afin qu’en cherchant là mon Pasteur, je ne me jette point dans l’abîme ouvert par les rebaptisants.

Je vous en prie, je vous en supplie par la sainteté de ces noms sacrés, aimez cette Église, vivez en elle, formez-la telle qu’elle vient de vous apparaître ; chérissez le bon Pasteur, l’époux si beau qui ne trompe personne et qui ne veut la mort de personne. Priez aussi pour les brebis dispersées ; qu’elles reviennent aussi, qu’elles reconnaissent aussi et aiment la vérité, afin qu’il n’y ait plus qu’un troupeau et qu’un pasteur. Tournons-nous, etc.

PASTEUR ET PORTE.

Jésus-Christ nourrit ses brebis du pain de la vérité ; c’est par sa grâce que les prédicateurs ont entrée dans l’esprit des fidèles pour y porter la connaissance du bon Pasteur. Il y entre donc par lui-même. Il est aussi exclusivement la porte qui nous conduit au Père, car il a quitté son âme, il est mort pour nous ; œuvre d’autant plus méritoire qu’elle fut l’effet de sa pleine liberté, bien que son Père la lui eût commandée.

1. Tous ceux d’entre vous qui écoutent la parole de notre Dieu, non seulement avec plaisir, mais encore avec attention, se souviennent, sans aucun doute, de la promesse que nous vous avons faite. On vous a donné encore aujourd’hui lecture du passage de l’Évangile qui nous a déjà été lu dimanche dernier ; comme nous nous étions arrêté sur certaines explications indispensables, il nous a été impossible de vous fournir toutes celles dont vos désirs nous rendaient redevables envers vous. Nous ne nous occupons donc plus aujourd’hui de ce qui a été précédemment dit et discuté. En nous répétant, nous nous exposerions peut-être à ne pouvoir traiter les sujets non encore abordés. Vous avez déjà appris, au nom du Seigneur, qui est le bon pasteur, et comment les bons pasteurs sont ses membres ; vous savez qu’il n’y a par conséquent qu’un seul pasteur. Vous n’ignorez pas davantage quels sont les mercenaires à supporter ; le loup, les voleurs et les brigands à éviter ; vous connaissez les brebis et la porte par laquelle entrent dans le bercail les brebis et le pasteur. On vous a dit qui est-ce qui est désigné sous le nom de portier ; enfin, vous savez que celui qui n’entre point par la porte est un voleur et un brigand, dont le but unique est de dérober, de tuer et de détruire. Tout cela a été dit et, je le pense, suffisamment expliqué. Notre Sauveur Jésus-Christ nous a déclaré être le pasteur et la porte, et il a ajouté que le bon pasteur entre dans la bergerie par la porte ; aujourd’hui, nous dirons donc, avec le secours de la grâce, comment il entre par lui-même. Puisque, d’une part, nul n’est bon pasteur s’il n’entre par la porte, et que, d’autre part, il est lui-même et particulièrement le bon pasteur et aussi la porte, je dois nécessairement comprendre qu’il entre par lui-même dans le bercail, qu’il fait entendre sa voix à ses brebis afin qu’elles le suivent, et qu’en entrant et en sortant, elles trouvent des pâturages, c’est-à-dire la vie éternelle.

2. Je m’explique donc sans plus tarder. Je cherche à pénétrer en vous, c’est-à-dire en vos cœurs ; c’est pourquoi je vous prêche le Christ : si je vous prêchais autre chose, je chercherais à entrer par un autre endroit. Le Christ est donc pour moi la porte par laquelle il m’est légitimement possible d’arriver jusqu’à vous : par le Christ, je pénètre, non jusqu’à vos murs, mais jusqu’à vos cœurs. J’entre en vous par le Christ, et vous l’écoutez volontiers parler par ma bouche. Et pourquoi l’écoutez-vous avec plaisir en ma propre personne ? Parce que vous êtes les brebis du Christ, rachetées au prix de son sang. Vous connaissez votre valeur : je ne vous la donne pas, cette valeur ; je ne fais que vous l’annoncer. Celui qui a versé pour vous son sang, vous a achetés, et ce sang précieux est le sang de Celui qui est sans péché. Et Celui-là a donné de la valeur au sang des fidèles pour lesquels il a répandu son précieux sang ; s’il ne lui avait pas communiqué cette valeur, il ne serait pas dit : « La mort de ses élus est précieuse aux yeux du Seigneur cw ». Par conséquent, il n’a pas été le seul à mettre en pratique ces paroles : « Le bon pasteur donne a sa vie pour ses brebis ». Et puisque ceux qui l’ont fait sont ses membres, il est, à vrai dire, le seul qui l’ait fait. Sans eux, il a pu agir de la sorte ; mais qu’auraient-ils pu faire sans lui, puisqu’il a dit : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire cx ? » La preuve que les autres ont donné leur vie pour leurs brebis, je la trouve dans une épître de ce même apôtre Jean, qui a écrit l’Évangile dont on vous a donné lecture : « Comme le Christ a donné sa vie pour nous, ainsi devons-nous donner la nôtre pour nos frères cy ». « Nous a devons » ; en nous donnant l’exemple, il nous a imposé l’obligation de ce sacrifice. C’est pourquoi il est écrit quelque part : « Quand tu seras assis pour manger avec le roi, considère attentivement ce qu’on placera devant toi : tends alors la main, et sache qu’il te faut préparer de telles choses cz ». Cette table du roi, quelle est-elle ? Vous le savez. Là se trouvent le corps et le sang de Jésus-Christ : celui qui s’approche d’une pareille table doit préparer de pareilles choses. Qu’est-ce à dire : il doit préparer de pareilles choses ? « Comme le Christ a donné sa vie pour nous, ainsi devons-nous », pour l’édification du peuple et l’affirmation de notre foi, « donner la nôtre pour nos frères ». Aussi le Sauveur dit-il à Pierre, dont il voulait faire un bon pasteur, non en Pierre lui-même, mais dans son propre corps : « Pierre, m’aimes tu ? Pais mes brebis ». Il ne se contenta pas de lui parler ainsi une seule fois, il lui répéta ces paroles deux et trois fois, jusqu’à le contrister. Et quand il l’eut interrogé autant de fois qu’il jugea à propos de le faire, pour obtenir de lui une confession triple comme son reniement, quand il lui eut, pour la troisième fois, confié ses brebis, il lui dit : « Lorsque tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même, et tu allais où tu voulais ; mais lorsque, dans ta vieillesse, tu étendras tes mains, un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudras pas ». L’Évangéliste a donné l’explication des paroles du Sauveur ; la voici : « Il dit cela, pour marquer par quelle mort il devait glorifier Dieu  da ». Ces mots : « Pais a mes brebis », signifient donc : Tu dois donner ta vie pour tes brebis.

3. Quant aux paroles suivantes : « Comme le Père me connaît, ainsi je connais le Père », qui est-ce qui en ignore ? Il connaît le Père par lui-même ; nous le connaissons par lui. Qu’il connaisse son Père par lui-même, nous le savons : que nous le connaissions par le Christ, nous ne l’ignorons pas davantage, parce qu’en réalité il en est ainsi. N’a-t-il pas dit de lui-même : « Nul n’a jamais vu Dieu, sinon le Fils unique, qui est dans le sein du Père : il nous l’a manifesté lui-même db ? » Il nous l’a donc fait connaître, puisqu’il nous l’a manifesté. Il dit encore ailleurs : « Nul ne connaît le Fils, si ce n’est le Père, et nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils aura voulu le révéler dc ». Comme il connaît le Père par lui-même, et que nous le connaissons par lui ; ainsi, il entre par lui-même dans la bergerie, et nous y entrons par lui. Nous disions que, par le Christ, nous avons une porte pour arriver jusqu’à vous : comment cela ? Parce que nous prêchons le Christ. Nous prêchons le Christ ; aussi entrons-nous par la porte. Le Christ prêche le Christ, parce qu’il se prêche lui-même ; d’où il suit que le pasteur entre par lui-même. Puisque la lumière fait voir tous les autres êtres qui se voient à la faveur de ses rayons, aurait-elle elle-même besoin d’un secours étranger pour se faire voir ? La lumière fait apercevoir les objets étrangers, et du même coup, elle se fait apercevoir elle-même. Tout ce que nous comprenons, nous le comprenons au moyen de notre intelligence ; et notre intelligence, comment en avons-nous la connaissance, sinon par elle-même ? En est-il de même de nos yeux, et se font-ils voir en même temps qu’ils montrent les objets environnants ? Non, car si l’homme aperçoit les autres avec ses yeux, il ne les aperçoit pas eux-mêmes. Les yeux de notre corps voient autour d’eux, mais ils ne se voient pas : quant à notre intelligence, elle comprend ce qui n’est pas elle, et elle se comprend elle-même. De même que l’intelligence humaine se voit, ainsi le Christ se prêche lui-même. S’il se prêche, il pénètre en toi par sa prédication, il entre en toi par lui-même. Il est aussi la porte qui mène à son Père, parce qu’il est impossible d’arriver au Père sans passer par lui. En effet, il n’y a qu’un Dieu, et un médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme dd. On dit bien des choses avec le secours de la parole, et tout ce que j’ai dit, je l’ai évidemment dit à l’aide de la parole. Si je veux prononcer le mot parole, comment le ferai-je, sinon avec la parole ? Par conséquent, c’est elle qui nous aide à nous entretenir de ce qui n’est pas elle, et sans elle, il est impossible de la prononcer elle-même. Avec la grâce de Dieu, nous avons pu citer plusieurs exemples. Comprenez donc comment Notre-Seigneur Jésus-Christ est tout à la fois porte et pasteur : il est porte en s’ouvrant lui-même ; il est pasteur en entrant par lui-même. Et de fait, mes frères, il a donné à ses membres sa qualité de pasteur, car Pierre et Paul, et les autres Apôtres et les bons évêques sont pasteurs. Mais personne d’entre nous ne s’attribue la qualité de porte ; il a gardé pour lui seul le privilège de faire entrer par lui ses brebis. Enfin, l’apôtre Paul remplissait l’office de bon pasteur, quand il prêchait le Christ, car il entrait par la porte. Mais lorsque des brebis indisciplinées commencèrent à faire des schismes et à se faire d’autres portes, non pour y passer et se réunir dans le bercail, mais pour se perdre et se séparer les unes des autres ; mais pour dire, les uns : « Moi je suis à Paul », les autres : « Moi je suis à Céphas » ; ceux-ci : « Moi je suis à Apollo » ; ceux-là : « Moi je suis à Jésus-Christ » : épouvanté de ce que quelques-uns disaient : « Je suis à Paul », et semblant s’adresser à des brebis, il s’écria : Malheureuses ! par où allez-vous ? Je ne suis pas la porte : « Est-ce que Paul a été crucifié pour vous ? Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés de ? » Pour ceux qui disaient « Moi je suis au Christ », ils avaient trouvé la véritable porte.

4. Quant à la bergerie, qui n’est pas la bergerie du Christ, et au pasteur qui n’est pas le vrai pasteur, vous en entendez assez souvent parler ; car nous vous avons maintes fois dit qu’il ne doit y avoir qu’un bercail ; nous vous avons à tout moment prêché l’unité, pour y faire entrer toutes les brebis par le Christ, et empêcher qu’aucune d’elles vienne à suivre Donat. Mais pourquoi le Sauveur en a-t-il parlé en propres termes ? La raison en est facile à saisir. Il s’adressait aux Juifs : il avait été envoyé au milieu d’eux, non à cause de ceux qui s’entêtaient à nourrir les sentiments d’une haine sauvage, mais en faveur de certains membres de cette nation qu’il appelle ses brebis, et dont il dit : « Je ne suis envoyé que pour les brebis perdues de la maison d’Israël df ». Au milieu de ses ennemis en fureur, il les apercevait, et il prévoyait que ces hommes jouiraient un jour du calme des croyants. Que signifiaient donc ces paroles « Je ne suis envoyé que pour les brebis perdues de la maison d’Israël ? » Il n’avait manifesté sa présence corporelle qu’au peuple juif. Il n’est pas allé en personne visiter les Gentils, il s’est contenté de leur envoyer ses représentants ; mais, pour le peuple d’Israël, il lui a député ses Prophètes, et il l’a lui-même visité, afin que ceux qui le mépriseraient fussent plus grandement coupables en raison de sa venue au milieu d’eux. Le Sauveur a donc paru au sein de cette nation, il y a choisi sa mère, il a voulu y être conçu, y naître, y répandre son sang ; on y voit, on y adore la trace de ses pas, à l’endroit où il s’est arrêté en dernier lieu, où il a quitté la terre pour monter au ciel. Quant aux Gentils, il leur a envoyé ses représentants.

5. Mais quelqu’un s’imagine peut-être qu’au lieu de venir personnellement vers nous, le Christ s’est borné à nous envoyer ses ministres, et que, par conséquent, nous avons entendu non pas sa voix, mais celle de ses ambassadeurs. Il n’en est pas ainsi ; éloignez de vos cœurs une pareille pensée : il était présent dans la personne de ses envoyés. Au nombre de ces derniers se trouvait Paul lui-même ; écoute-le : c’était surtout pour les Gentils que Paul avait reçu sa mission d’Apôtre : voici ce qu’il dit, pour inspirer la crainte, non pas de lui-même, mais du Christ : « Est-ce que vous voulez éprouver la puissance de Jésus-Christ qui parle par ma bouche dg ? » Écoutez le Sauveur lui-même. « Et j’ai d’autres brebis », parmi les Gentils, « qui ne sont pas de cette bergerie », c’est-à-dire du peuple d’Israël ; « il faut aussi que je les amène », Il les amène par ses Apôtres, mais c’est lui-même et non un autre. Écoute encore ceci : « Et elles entendront ma voix ». C’est lui-même qui parle par ses envoyés, et c’est par leur bouche que sa voix se fait entendre, « afin qu’il n’y ait qu’un seul bercail et un seul pasteur ». De la réunion de ces deux troupeaux, comme de la réunion de deux murailles, s’est formée la pierre angulaire  dh. Le Christ est donc, en même temps, porte et pierre angulaire ; mais que tout cela soit dit par similitude ; car rien de tout cela n’existe en réalité.

6. Je l’ai déjà dit, et j’ai fortement appuyé sur cette vérité : ceux qui me comprennent le sentent bien, et même ceux qui le sentent me comprennent ; pour ceux dont l’intelligence ne saisit pas tout ce que je veux dire, leur devoir est de croire fermement ce qui dépasse encore les bornes de leur esprit. Par similitude se trouvent dans le Christ des qualités qui ne lui appartiennent point par nature ; ainsi, il est pierre, il est porte, il est pierre angulaire, il est pasteur, il est agneau, il est lion. Que de titres par similitude, sans en compter d’autres, qu’il serait trop long d’énumérer ! Si tu fais attention aux propriétés des choses que tu as l’habitude de voir, tu remarqueras que le Christ n’est pas une pierre, car il n’en a ni la dureté ni l’insensibilité ; il n’est pas davantage une porte, parce qu’il n’est pas sorti des mains d’un artisan, tu ne saurais non plus voir en lui une pierre angulaire, car un maçon ne l’a point préparée ; serait-il un berger ? Mais non : jamais il n’a gardé de brebis à quatre pattes ; comme il n’est pas une bête sauvage, on ne peut dire qu’il soit un lion ; enfin, ne le considérons pas comme un agneau, puisqu’il ne fait point partie d’un troupeau. Il n’est donc tout cela que par comparaison, car voici ce qu’il est par nature : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Qu’était-il comme homme, tel qu’il nous est apparu ? « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous di ».

7. Écoute encore : « C’est pour cela que le Père m’aime, parce que moi je quitte mon âme, afin que je la reprenne de nouveau ». Que dit-il ? « C’est pour cela que le Père m’aime » : parce que je meurs pour ressusciter. Le mot « moi » a été prononcé avec une affectation visible : « Parce que moi je donne », dit-il ; « je quitte mon âme, moi ; je quitte ». Qu’est-ce à dire, « moi je quitte ? » C’est moi qui la quitte ; que les Juifs ne soient pas si fiers : ils ont pu chercher à me faire du mal, mais jamais ils n’ont eu la puissance de disposer de moi. Qu’ils me tourmentent autant que cela dépend d’eux, si je ne consens pas à quitter mon âme, à quoi leur servira de me tourmenter ? Un seul mot de réponse, proféré par le Christ, a suffi pour les jeter à terre ; à cette question du Sauveur : « Qui cherchez-vous ? ils répondirent : « Jésus » ; alors il leur dit : « C’est moi ». Ils reculèrent de quelques pas, et furent « renversés dj ». Sur une seule parole du Christ, ils sont tombés par terre ; que feront-ils, lorsqu’il leur parlera en qualité de juge ? « Moi, moi », dis-je, « je quitte mon âme, afin de la reprendre de nouveau ». Que les Juifs ne se glorifient point, comme s’ils étaient devenus les maîtres : il a seul disposé de sa vie. « Je me suis endormi ». Vous connaissez le psaume où se trouvent ces paroles du Christ « Je me suis endormi, j’ai pris mon sommeil, je me suis réveillé, parce que le Seigneur est mon appui dk ». Tout à l’heure, ce psaume nous a été lu, et nous avons entendu ce passage : « Je me suis endormi, et j’ai pris mon sommeil, et je me suis réveillé, parce que le Seigneur est mon appui ». Qu’est-ce à dire : « Je me suis endormi ? » J’ai dormi, parce que je l’ai bien voulu. Qu’est-ce à dire : « Je me suis endormi ? » Je suis mort. À vrai dire, ne donnait-il point, puisqu’il est sorti de son sépulcre comme d’un lit, et cela quand il l’a voulu ? Mais il aime à rendre gloire à son Père, afin de nous porter à rendre gloire à notre Créateur. Quant à ces autres paroles : « Je me suis réveillé, parce que le Seigneur est mon appui », avez-vous le droit de conclure que le pouvoir de ressusciter lui a fait défaut, et que s’il a pu mourir par un effet de sa volonté, la puissance lui a manqué pour sortir d’entre les morts ? D’après ces paroles, si on ne les comprend point suffisamment, il semblerait qu’on doive les entendre en ce sens : « Je me suis endormi », ou, en d’autres termes, j’ai dormi parce que je l’ai bien voulu. « Et je me suis réveillé ». Pourquoi ? « Parce que le Seigneur est mon appui ». Eh quoi ! vous seriez impuissant par vous-même de sortir du tombeau ? Si vous étiez incapable de le faire, vous ne diriez pas : « J’ai le pouvoir de quitter mon âme, et j’ai le pouvoir de la reprendre à nouveau ». Il est dit en un autre endroit de l’Évangile, non seulement que le Père a ressuscité son Fils, mais aussi que le Fils s’est ressuscité lui-même : « Détruisez ce temple en trois jours, et je le rebâtirai ». L’Évangéliste ajoute : « Mais il parlait du temple de son corps dl ». Ce qui était mort en lui, il le ressuscitait. Car le Verbe n’est pas mort, son âme non plus : si la tienne elle-même n’est pas exposée aux coups du trépas, celle du Sauveur en serait-elle la victime ?

8. Mais, me dis-tu, comment savoir si mon âme ne meurt pas ?— Ne la fais pas mourir, et elle ne mourra pas.— Tu ajoutes : Comment puis-je tuer mon âme ? Il m’est inutile de parler d’autres péchés : « La bouche qui ment tue l’âme dm ».— Serai-je jamais sûr qu’elle ne mourra pas ? Le Sauveur lui-même en a donné la certitude à son disciple. Écoute-le : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et ne peuvent rien de plus ». Mais que dit-il de positif ? « Craignez Celui qui peut tuer le corps et l’âme, et les jeter dans l’enfer dn ». Voilà la preuve qu’elle meurt, et aussi qu’elle ne meurt pas. Pour l’âme, qu’est-ce que mourir ? Et pour le corps ? Pour ton corps, mourir, c’est perdre sa vie propre ; pour ton âme, c’est encore perdre sa vie propre. Ton âme est la vie de ton corps ; Dieu est la vie de ton âme. De même que le corps meurt au moment où l’âme, qui est sa vie, s’en sépare, ainsi meurt l’âme, dès qu’elle se sépare du principe de sa vie, dès qu’elle s’éloigne de son Dieu. Néanmoins, l’âme est certainement immortelle. Oui, elle est immortelle, parce qu’en mourant elle n’a pas cessé de vivre. Ce que l’Apôtre dit de la veuve qui vit dans les délices s’applique aussi à l’âme qui a perdu son Dieu : « Elle est morte, quoiqu’elle paraisse vivante do ».

9. Comment donc le Sauveur donne-t-il sa vie ? Mes frères, apportons encore plus d’attention à élucider cette question : l’heure qui nous presse d’habitude le dimanche, ne nous presse pas aujourd’hui ; nous avons du temps à notre disposition : j’engage à en profiter ceux qui se sont réunis même aujourd’hui pour entendre la parole de Dieu. « Je donne ma vie », dit le Sauveur. En quelle qualité donne-t-il sa vie ? Quelle vie donne-t-il ? Qu’est le Christ ? Il est Verbe et homme tout ensemble : et il n’est pas homme en ce sens qu’il n’ait qu’un corps, parce que l’homme se compose d’un corps et d’une âme ; et dans le Christ, l’homme se trouve tout entier. Il ne se serait pas, en effet, revêtu de la partie la plus grossière de notre humanité, sans en prendre la plus noble ; or, l’âme de l’homme est supérieure à son corps. Puisque notre humanité se trouve tout entière dans le Christ, qu’est-il donc ? Je l’ai dit : il est Verbe et homme. Qu’est-ce à dire : Verbe et homme ? C’est-à-dire, Verbe, âme et corps. Tenez à ce point de doctrine, car il y a des hérétiques qui y sont opposés : depuis longtemps déjà, la vérité catholique les compte au nombre de ses ennemis, mais pareils à des voleurs et à des brigands, qui n’entrent point par la porte, ils ne cessent de tendre des pièges au troupeau. Les Apollinaristes ont été déclarés hérétiques pour avoir osé enseigner que le Christ est seulement Verbe et corps : à les entendre, il n’a pas pris une âme humaine. Plusieurs d’entre eux n’ont pu disconvenir qu’il ait eu une âme ; mais voyez en quelle insoutenable absurdité, en quelle folie ridicule ils sont tombés. Ils ont admis en lui l’existence d’une âme dépourvue de raison : quant à la présence en lui d’une âme raisonnable, ils l’ont niée : ils lui ont attribué une âme animale, ils lui ont refusé une âme humaine. Ils ont refusé au Christ, parce qu’ils l’avaient eux-mêmes perdue. Que leur erreur ne devienne pas la nôtre, car nous avons été nourris et élevés dans la foi catholique. Je profite donc de cette occasion pour prémunir votre charité, comme dans les leçons précédentes nous vous avons suffisamment prémunis contre les Sabelliens et les Ariens ; contre les Sabelliens, qui ne voient aucune différence entre le Père et le Fils ; contre les Ariens, qui prétendent qu’autre chose est le Père, autre chose est le Fils, comme s’ils n’avaient pas tous deux la même substance. Autant qu’il vous en souvient, et que vous devez vous en souvenir, nous vous avons fortifiés contre l’hérésie des Photiniens, qui n’ont vu en Jésus-Christ qu’un pur homme, sans y reconnaître aussi un Dieu ; et contre les Manichéens, suivant lesquels il était Dieu sans être homme en même temps ; enfin, nous avons profité de l’occasion présente pour vous parler de l’âme du Sauveur et combattre l’erreur des Apollinaristes : ces hérétiques, nous l’avons dit, soutiennent que le Christ n’a pas eu d’âme humaine, d’âme raisonnable et intelligente, une âme, enfin, qui nous distingue des bêtes, et telle qu’il en faut une pour faire de nous des hommes.

10. Comment le Sauveur a-t-il dit ici : « J’ai le pouvoir de donner ma vie ? » En quelle qualité donne-t-il sa vie ? Quelle vie donne-t-il ? Est-ce en tant que Verbe que le Christ donne sa vie et qu’il la reprend ? Est-ce en tant qu’il est âme humaine, qu’il se perd pour se retrouver ensuite ? Est-ce en tant que corps qu’il abandonne son âme et s’en ressaisit ? Autant de questions qu’il nous faut traiter : nous choisirons la solution la plus conforme à la règle de la vérité. Si nous disons : Le Verbe de Dieu a quitté son âme et l’a reprise ensuite, il est à craindre que nous donnions lieu à une mauvaise interprétation, et qu’on nous dise : Cette âme a donc été séparée du Verbe pendant un certain temps, et à partir du moment où il a pris cette âme, le Verbe s’en est un jour trouvé dépourvu. Je le sais bien, à une certaine époque le Verbe n’a pas eu d’âme humaine, c’est quand, « au commencement, était le Verbe, et » que « le Verbe était en Dieu, et » que « le Verbe était Dieu » ; mais le Verbe en a eu une, dès qu’« il s’est fait chair pour habiter parmi nous dp », et qu’il s’est revêtu de notre humanité ; car il est devenu homme complet, c’est-à-dire qu’il a pris un corps et une âme. À quoi ont abouti ses souffrances et sa mort, sinon à séparer son corps et son âme ? Mais son âme, elles ne l’ont jamais séparée du Verbe. Si le Sauveur est mort, ou plutôt parce qu’il est mort (et, de fait, il est mort pour nous sur la croix), il est sûr que son corps a rendu son âme par son dernier soupir ; et celle-ci s’en est éloignée, pour revenir bientôt en lui et le ressusciter. Mais je suis loin de dire que l’âme du Christ a été séparée du Verbe. Il a dit, en effet, à l’âme du larron : « Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le Paradis dq ». À ce moment-là, il n’abandonnait pas l’âme fidèle du larron, et il aurait alors abandonné la sienne ? Comme le Seigneur Jésus a gardé celle du brigand, il est resté inséparablement uni à la sienne. Si nous disons que son âme s’est séparée d’elle-même, pour se retrouver ensuite, nous dirons la plus grossière absurdité ; car une âme qui ne s’est point séparée du Verbe, ne pouvait se séparer d’elle-même.

11. Disons donc ce qui est vrai et facile à comprendre, et pour cela, prenons, comme terme de comparaison, le premier homme venu. Il ne se compose point du verbe, d’une âme et d’un corps ; il se compose uniquement d’un corps et d’une âme : apprenons de lui comment un homme quelconque quitte son âme. Est-ce qu’aucun ne la quitte ? Tu es à même de me dire : personne n’a le pouvoir de quitter son âme et de la reprendre. Mais si personne ne pouvait quitter son âme, l’apôtre Jean ne dirait pas : « Comme le Christ quitte son âme pour nous, ainsi devons « nous la quitter pour nos frères dr ». Par conséquent, il nous est permis de quitter nos âmes pour nos frères, si, toutefois, nous sommes remplis du dévouement de celui sans l’aide duquel nous ne pouvons rien faire. Quand un saint martyr a quitté son âme pour ses frères, en quelle qualité l’a-t-il quittée ? quelle vie a-t-il quittée ? Si nous saisissons bien ceci, nous verrons en quel sens le Christ a dit : « J’ai le pouvoir de quitter mon âme ». O homme, es-tu prêt à mourir pour le Christ ? – Je le suis. – Je vais m’exprimer d’une autre manière : Es-tu prêt à quitter ton âme pour le Christ ? À ces mots, on me répond : Je suis prêt, comme on m’avait répondu quand je demandais. Es-tu prêt à mourir ? Quitter son âme et mourir, c’est donc la même chose. Mais pour qui y a-t-il ici combat ? Il suffit à un homme de mourir pour quitter son âme, mais tous ne la quittent point pour le Christ, et personne n’a le pouvoir de reprendre ce qu’il a quitté : le Christ, au contraire, a quitté la sienne pour nous ; il l’a quittée quand il a voulu, et quand il a voulu, il l’a reprise. Quitter son âme, c’est donc mourir. L’apôtre Pierre a dit, en ce sens, au Sauveur : « Je quitterai mon âme pour vous ds » ; c’est-à-dire : Je mourrai pour vous. Agir ainsi, c’est le propre du corps : le corps quitte son âme, et il la reprend non par l’effet de son propre pouvoir, mais par la puissance de celui qui y réside le corps quitte donc son âme en expirant. Considère le Sauveur sur la croix ; il dit : « J’ai soif » ; ceux qui l’environnaient trempèrent une éponge dans le vinaigre, l’attachèrent à un roseau, et l’approchèrent de ses lèvres : lorsqu’il en eut goûté, il s’écria « C’est fini ». Qu’est-ce à dire : « C’est fini ? » J’ai accompli tout ce que les Prophètes avaient annoncé comme devant avoir lieu avant ma mort. Il avait le pouvoir de quitter son âme quand il le voudrait ; aussi, après avoir rapporté ces paroles de Jésus-Christ « C’est fini », que dit l’Évangéliste ? « Et ayant baissé la tête, il rendit l’esprit dt ». C’est là quitter son âme. Que votre charité veuille faire attention à ce passage : « Ayant baissé la tête, il rendit l’esprit ». Qui est-ce qui rendit l’esprit ? quel esprit fut rendu ? Il rendit l’esprit : ce fut le corps qui le rendit. Qu’est-ce à dire : Le corps rendit l’esprit ? Le corps le chassa hors de lui, il l’expira ; car le mot expirer veut dire : mettre son esprit hors du corps. Comme le mot exiler signifie mettre un homme dehors et le forcer à rester seul ; comme exorbiter signifie : exclure de l’orbite ; ainsi, expirer veut dire chasser l’esprit ; cet esprit, c’est l’âme. Au moment donc où l’âme sort du corps, et que le corps se trouve être sans âme, alors, d’après la manière habituelle de parler, l’homme quitte son âme. À quel instant le Christ a-t-il quitté son âme ? Quand le Verbe y a consenti. L’autorité suprême se trouvait dans le Verbe : à lui appartenait de désigner l’heure où il quitterait son âme, et l’heure où il la reprendrait.

12. Puisque c’est le corps qui quitte l’âme, comment le Christ a-t-il quitté la sienne ? Le Christ n’était-il pas corps ? Oui, il l’était ; car il était corps, âme et Verbe tout ensemble ; et le corps, l’âme, le Verbe, ne formaient pas trois Christs, mais un seul Christ. Examine l’homme, fais de toi-même comme un gradin pour t’élever jusqu’à ce qui est au-dessus de toi, sinon pour le comprendre, du moins pour le croire. De même que l’âme et le corps ne forment qu’un seul homme, ainsi le Verbe et l’homme ne forment qu’un seul Christ. Remarquez ce que j’ai dit, et comprenez-moi. L’âme et le corps sont deux choses bien distinctes, et, pourtant, leur réunion ne fait qu’un seul homme. À leur tour, le Verbe et l’homme sont bien différents l’un de l’autre ; néanmoins, ils ne font ensemble qu’un seul Christ. Prenons un homme pour exemple. Où se trouve maintenant l’apôtre Paul ? Celui qui me répond : Il repose dans le Christ, dit vrai ; et celui qui me répond : Il est à Rome, dans un tombeau, ne se trompe pas : celui-là me parle de son âme, celui-ci de son corps. Toutefois, nous ne prétendons pas qu’il y ait deux apôtres Paul, dont l’un repose dans le Christ et l’autre dans le sépulcre ; et, pourtant, nous disons que l’apôtre Paul vit dans le Christ, et que le même apôtre Paul est étendu mort dans un tombeau. Que quelqu’un vienne à mourir, nous disons : C’était un homme bon, un homme exact à ses devoirs ; il est, avec le Christ, dans le séjour de la paix ; et presque en même temps nous ajoutons : Allons à son convoi, et mettons-le en terre. Tu vas enterrer celui que tu avais d’abord affirmé se trouver dans la paix avec Dieu : bien que son âme, qui vit pour les siècles, soit toute différente du corps, que la corruption dévore dans le sépulcre. Mais de ce que la réunion du corps et de l’âme porte le nom d’homme, l’une et l’autre de ces parties appartiennent même séparément à la personnalité de l’homme, et porte son nom.

13. Aucun ne doit donc chanceler en entendant ces paroles sortir de la bouche du Sauveur : « Je quitte mon âme, et je la reprends ». C’est son corps qui la quitte par un effet de la puissance du Verbe ; et il la reprend, toujours en vertu de la même puissance. Le corps même seul du Sauveur a reçu et porte le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ.— Comment le prouves-tu, me dit quelqu’un ? Oui, j’ose le dire, le corps même seul du Sauveur porte le nom du Christ. Nous croyons avec certitude, non seulement en Dieu le Père, mais aussi en son Fils unique, Notre-Seigneur Jésus-Christ ; en disant : son Fils unique, Notre-Seigneur Jésus-Christ, j’ai parlé de sa personne tout entière. Comprends le bien, il est question de lui dans son entier, c’est-à-dire comme Verbe, comme âme et comme corps. Il est évident que la confession embrasse toutes les vérités reconnues par la foi catholique ; tu crois en ce Christ qui a été crucifié et enseveli. Par conséquent, tu ne mes pas que le Christ ait été enseveli, et, pourtant, son corps seul a été mis dans un sépulcre. Si son âme s’y était trouvée enfermée, il n’aurait pu dire qu’il était mort, et puisque sa mort était réelle, et elle devait l’être pour que sa résurrection le fût aussi, il était donc enfermé dans le tombeau sans son âme, et pourtant le Christ a été enseveli. Donc son corps, même séparé de son âme, qui ne fut pas même ensevÉlie avec lui, portait le nom de Christ. J’en trouve une nouvelle preuve dans les paroles suivantes de l’Apôtre : « Soyez dans les mêmes dispositions que Notre-Seigneur Jésus-Christ, lui qui, étant Dieu, n’a pas cru que ce fût pour lui une usurpation de s’égaler à Dieu ». N’est-il pas ici question de Jésus-Christ, en tant que Verbe, Dieu en Dieu ? Écoute ce qui suit. « Mais il s’est humilié lui-même en prenant la forme d’esclave, en se rendant semblable à un homme, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui ». Et tout cela, qui est-ce qui l’a fait, si ce n’est le même Jésus-Christ ? Ici, nous trouvons tout ce qui concerne et le Verbe dans la forme de Dieu, qui s’est revêtu de la forme d’esclave, et l’âme et le corps dans la forme d’esclave, dont s’est revêtue la forme de Dieu. « Il s’est a humilié lui-même, en se faisant obéissant jusqu’à la mort du ». Au moment de sa mort, son corps seul a été attaché à la croix par les Juifs ; car s’il a dit à ses disciples : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps et ne peuvent tuer l’âme dv », les Juifs ont-ils pu faire plus que tuer son corps ? Pourtant le Christ a été mis à mort, parce que son corps a été tué. Ainsi, lorsque son corps a quitté son âme, le Christ l’a quittée, et quand, pour ressusciter son corps, il l’a reprise, il l’a reprise lui-même. Cela ne s’est pas fait en raison de la puissance du corps, mais en vertu du pouvoir de celui qui s’était revêtu de ce corps et de cette âme pour accomplir toutes ces choses.

14. Et le Sauveur dit : « J’ai reçu ce commandement de mon Père ». Le Verbe n’a point reçu verbalement ce commandement ; mais tout précepte se trouve dans le Verbe unique du Père. Puisqu’on dit que le Fils reçoit du Père ce qu’il possède en vertu de sa substance divine, comment le Sauveur a-t-il pu dire : « Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir la vie en lui-même dw ? » Dès lors que le Fils lui-même est la vie, ces paroles n’amoindrissent aucunement sa puissance, tuais elles prouvent sa génération divine. En effet, le Père n’a point agi comme s’il ajoutait quelque chose à sa substance pour lui donner un degré de perfection qui lui manquerait. Mais comme il l’a engendré avec toutes les perfections, il lui a tout donné en l’engendrant. Ainsi l’a-t-il engendré son égal, parce qu’alors il ne l’a point établi dans un état d’infériorité. Toutefois, au moment où le Sauveur parlait, et parce que la lumière luisait dans les ténèbres, et que les ténèbres ne la comprenaient point dx, « une nouvelle dispute s’éleva entre les Juifs à cause de ces paroles, et plusieurs d’entre eux disaient : Il est possédé du démon, il est fou, pourquoi l’écoutez-vous ? » Voilà une preuve que les ténèbres les plus épaisses régnaient en eux. « Les autres disaient : Ces paroles ne sont point d’un démoniaque, le démon peut-il ouvrir les yeux d’un aveugle ? »

QUARANTE-HUITIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CET ENDROIT : « LES FÊTES DE LA DÉDICACE SE FIRENT À JÉRUSALEM », JUSQU’À : « OR TOUT CE QUE JEAN DIT DE LUI ÉTAIT VRAI, ET BEAUCOUP CRURENT EN LUI ». (Chap 10,22-42.)

LE CHRIST, FILS DE DIEU.

À l’occasion de la Dédicace, les Juifs rencontrèrent Jésus au temple, et voulant le surprendre dans ses paroles, ils lui demandèrent s’il était le Christ. En leur faisant dire ce qu’ils ne voulaient pas, il les amena jusqu’à leur parler de sa qualité de Fils de Dieu, de sa puissance, de ses œuvres ; puis, comme ils prenaient des pierres pour les lui jeter, il se retira au-delà du Jourdain, et y trouva des hommes qui crurent en lui.

1. Ainsi que je l’ai déjà recommandé à votre charité, vous devez certainement vous rappeler que Jean l’Évangéliste ne veut pas que nous soyons toujours nourris de lait, mais bien de mets plus solides. Quiconque n’est pas encore propre à prendre la solide nourriture de la parole de Dieu, doit se nourrir du lait de la foi, et la parole qu’il ne peut comprendre, il doit la croire sans hésiter ; car la foi, c’est le mérite ; l’intelligence en est la récompense ; dans le travail même de son attention, notre esprit épuise toute sa perspicacité pour écarter les ténèbres inhérentes à notre humanité et s’éclairer à la parole de Dieu. Nous ne refuserons donc pas la peine du travail, si l’amour nous anime ; car, vous le savez, celui qui, aime ne se fatigue pas, et tout travail est pénible pour ceux qui n’aiment point. Si la cupidité aide les avares à supporter tant de peines, l’amour n’en fera-t-il pas autant pour nous ?

2. Écoutez l’Évangile : « Or, les fêtes de la Dédicace (encoenia) se firent à Jérusalem ». C’était la fête de la Dédicace du temple. En grec, en effet, le mot xainon veut dire nouveau. À chaque fois qu’une chose nouvelle est dédiée, on appelle cela (encoenia), et même aujourd’hui l’usage a consacré cette expression : si quelqu’un revêt une tunique neuve, on dit de lui : encoeniat. Le jour où le temple avait été dédié, les Juifs l’observaient avec solennité, et c’était cette fête même qu’on solennisait quand le Seigneur prononça les paroles qu’on vient de lire.

3. « C’était l’hiver, et Jésus se promenait dans le temple, sous le portique de Salomon ; les Juifs l’environnèrent donc et ils lui disaient : « Jusques à quand tiendrez-vous notre âme en suspens ? Si vous êtes le Christ, dites-le-nous ouvertement ». Ce n’était pas la vérité qu’ils désiraient, mais une calomnie qu’ils préparaient. « C’était l’hiver » ; et ils étaient froids, car ils étaient lents à s’approcher de ce feu divin : s’approcher, c’est croire ; qui croit, s’approche ; qui nie, s’éloigne. Ce n’est pas avec les pieds que l’âme se met en mouvement, mais par les sentiments. Ils étaient devenus froids faute de charité et d’amour, et ils brûlaient du désir de nuire : ils étaient loin de lui, et ils étaient – là ; ils n’approchaient pas de lui en croyant, et ils le prenaient en le persécutant. Ils voulaient entendre dire au Seigneur : Je suis le Christ ; et peut-être n’avaient-ils du Christ que des idées humaines. Les Prophètes ont annoncé le Christ, mais les hérétiques ne reconnaissent la divinité du Christ ni dans les prophéties, ni même dans l’Évangile ; combien les Juifs le pouvaient-ils moins, tant qu’ils avaient un voile sur le cœur dy ! Enfin, dans un certain endroit de l’Évangile, le Seigneur Jésus sachant qu’ils ne connaissaient le Christ que comme homme et non comme Dieu, en tant qu’il était homme et non en tant qu’il restait. Dieu, même après s’être revêtu de notre humanité, leur dit : « Que vous semble-t-il du Christ ? de qui est-il fils ? » Ils répondirent selon leur manière de penser : « De David » ; ils avaient lu ainsi, et ils ne retenaient que cela, car ils lisaient bien qu’il était Dieu, mais ils ne comprenaient pas. Cependant, pour les étonner et les porter à chercher sa divinité, lui dont ils méprisaient l’infirmité, le Seigneur leur répondit : « Comment donc David inspiré l’appelle-t-il Seigneur, disant : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je place vos ennemis sous vos pieds ? Si donc David inspiré l’appelle Seigneur, comment est-il son fils dz ? » Il ne nie point, il interroge. Que personne, en entendant ces paroles, ne pense que le Seigneur Jésus a nié qu’il fût vraiment fils de David : si Jésus-Christ eût nié qu’il était le fils de David, il n’aurait pas rendu la vue aux aveugles qui l’invoquaient sous ce nom-là. Comme il passait un jour, deux aveugles, assis le long du chemin, se mirent à crier : « Fils de David, ayez pitié de nous » ; entendant ces paroles, Jésus eut pitié d’eux ; il s’arrêta, les guérit et leur rendit la vue ea, parce qu’il reconnut son nom. Aussi l’apôtre Paul dit : « Il est né du sang de David, selon la chair eb » ; écrivant à Timothée, il dit encore « Souviens-toi que Jésus-Christ, qui est né de la race de David, est ressuscité d’entre les morts, selon mon Évangile ec ». Comme la Vierge Marie tirait son origine de la race de David, le Seigneur était du sang de David.

4. Ce n’était pas sans intention que les Juifs interrogeaient Jésus-Christ ; s’il répondait le suis le Christ, comme ils ne voyaient en lui que sa descendance de la race de David, ils l’accuseraient malicieusement de s’arroger le pouvoir royal ; mais il leur fit une réponse bien plus relevée ; ils ne voulaient l’accuser que de se faire le fils de David, il leur répondit qu’il était le Fils de Dieu. Et comment ? Écoutez : « Jésus leur répondit : Je vous parle et vous ne me croyez pas ; les œuvres que je fais au nom de mon Père rendent témoignage de moi ; mais vous, vous ne croyez pas, parce que vous n’êtes pas de mes brebis ». Déjà plus haut
Traité XLV
vous avez appris quelles sont ces brebis ; soyez donc ces brebis : on devient brebis en croyant, en suivant le Pasteur, en ne méprisant pas le Rédempteur, en entrant par la porte, en sortant et en trouvant les pâturages, en jouissant de la vie éternelle. Comment donc leur dit-il : « Vous n’êtes pas de mes brebis ? » Parce qu’il les voyait prédestinés à la mort éternelle, et non pas rachetés au prix de son sang pour la vie éternelle.

5. « Mes brebis écoutent ma voix, et je les connais, et elles me suivent, et moi je leur donne la vie éternelle ». Voilà les pâturages. Si vous vous le rappelez, il avait dit plus haut : « Et il entrera, et il sortira, et il trouvera des pâturages ». Nous sommes entrés en croyant, nous sortons en mourant. Mais comme nous sommes entrés par la porte de la foi, de même soyons pleins de foi en sortant de notre corps. C’est ainsi qu’il nous faut sortir par la porte même, pour trouver les pâturages. Ces bons pâturages, c’est la vie éternelle. Là, aucune herbe ne sèche ; tout y est vert, tout y est vigoureux. Il est une herbe qu’on appelle toujours vivante ; mais là seulement se trouve la vraie vie. « Je leur donnerai », dit-il, « la vie éternelle », à mes brebis. Pour vous, vous cherchez une occasion de me calomnier, parce que vous ne pensez qu’à la vie présente.

6. « Et elles ne périront pas à jamais ». C’est comme s’il leur eût dit : Mais vous, vous périrez à toujours, parce que vous n’êtes pas de mes brebis. « Personne ne les a arrachera de ma main ». Écoutez encore plus attentivement : « Ce que mon Père m’a donné est plus grand que toutes choses ». Que peut le loup ? que peuvent le voleur et le larron ? Ils ne perdent que les prédestinés à la mort. Mais pour les brebis dont l’Apôtre dit : « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui ee » ; et encore : « Ceux qu’il a connus d’avance, ceux-là il les a aussi prédestinés ; ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés ; ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés ; et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés ef » ; pour ces brebis, le loup ne peut les ravir, ni le voleur les enlever, ni le larron les mettre à mort. Il est assuré de leur nombre, Celui qui sait ce qu’il a donné pour elles, et c’est ce qu’il dit : « Nul ne les arrachera de ma main » ; et encore ce qu’il dit pour son Père : « Ce que mon Père m’a donné est plus grand que toutes choses ». Qu’est-ce donc que le Père a donné au Fils, qui soit plus grand que toutes choses ? Il lui a donné d’être son Fils unique. Qu’est-ce donc à dire : « Il a donné ? » Était-il déjà pour qu’il lui donnât, ou lui a-t-il donné en l’engendrant ? Car s’il était déjà pour, que le Père lui donnât d’être le Fils, alors il aurait existé pendant un certain temps sans être le Fils ; loin de nous de dire qu’il y a eu un temps où le Seigneur-Christ a existé sans être le Fils. De nous, cela peut se dire ; pendant un temps nous étions fils des hommes, nous n’étions pas fils de Dieu. Nous, c’est la grâce qui nous a faits fils de Dieu ; Lui, c’est sa nature, parce qu’il est né tel, et vous n’avez pas lieu de dire : Il n’était pas avant d’être né ; car en aucun temps on ne peut dire : Il n’était pas né, Celui qui est coéternel au Père. Que celui qui goûte ces choses comprenne ; s’il ne comprend pas, qu’il croie ; qu’il s’en nourrisse et il comprendra. Le Verbe de Dieu est toujours avec le Père et toujours Verbe ; et parce qu’il est le Verbe, il est le Fils. Il est donc toujours le Fils et toujours égal au Père. Car ce n’est pas en raison de sa croissance, mais en raison de sa naissance qu’il est égal au Père, lui qui toujours est né Fils du Père, Dieu de Dieu, coéternel de l’Éternel. Le Père n’est pas Dieu par son Fils, tandis que le Fils est Dieu par son Père. C’est pourquoi le Père, en engendrant son Fils, lui a donné d’être Dieu et de lui être coéternel et égal. Voilà ce qui est plus grand que toutes choses. Mais comment le Fils est-il la vie, et comment le Fils a-t-il la vie ? C’est qu’il est lui-même ce qu’il a : pour toi, autre chose est ce que tu es, autre chose est ce que tu as. Par exemple, tu as la sagesse, es-tu pour cela la sagesse même ? C’est pourquoi, comme tu n’es pas toi-même ce que tu as, si tu perds ce que tu as, tu reviens à ne plus l’avoir ; et tantôt tu le reprends, et tantôt tu le perds. C’est ainsi que notre œil n’a pas en lui-même la lumière, de manière à n’en être jamais séparé : il s’ouvre et il la reçoit ; il se ferme et il la perd. Mais ce n’est pas ainsi que le Fils de Dieu est Dieu ; ce n’est pas ainsi qu’est le Verbe du Père ; ce n’est pas ainsi qu’est cette Parole qui ne s’évanouit pas avec le son, mais qui, étant née, demeure toujours. Il a la sagesse de telle sorte qu’il est lui-même la sagesse et qu’il fait les sages. Il a la vie de telle façon qu’il est lui-même la vie et qu’il fait vivre tout ce qui vit. Voilà ce qui est plus grand que toutes choses. L’Évangéliste Jean, voulant parler du Fils de Dieu, a considéré le ciel et la terre ; et après les avoir considérés, il s’est élevé au-dessus d’eux ; il a considéré les milliers d’anges rangés en bataille bien au-dessus du ciel, et comme l’aigle s’élève au-dessus des nues, son âme s’est élevée au-dessus de toute créature ; il s’est élevé au-dessus de tout ce qui est grand ; il est parvenu à ce qui est plus grand que toutes choses, et il a dit : « Au commencement était le Verbe eg ». Mais comme Celui dont il est le Verbe n’est pas du Verbe, et que le Verbe est de Celui dont il est le Verbe, il dit : « Ce que m’a donné le Père », c’est-à-dire que je sois son Verbe, que je sois son Fils unique, que je sois la splendeur de sa lumière, « ce que m’a donné le Père est plus grand que toutes choses ». C’est pourquoi « personne ne ravit », dit-il, « mes brebis de ma main. « Personne ne peut les enlever de la main de mon Père ».

7. « De ma main » et « de la main de mon Père ». Qu’est-ce que cela veut dire : « Personne ne ravit de ma main », et : « personne ne ravit de la main de mon Père ? » Est-ce que la main du Père est la même que la main du Fils ? ou bien le Fils lui-même est-il la main de son Père ? Si, par la main, nous entendons la puissance, une est la puissance du Père et du Fils, parce que une est leur divinité. Mais si cette main nous l’entendons dans le sens du Prophète : « Et le bras du Seigneur à qui a-t-il été révélé eh ? » le Fils est lui-même la main du Père. Ce qui ne veut pas dire que Dieu a la forme humaine et un corps composé de membres. Car les hommes eux-mêmes ont coutume de nommer leurs mains les autres hommes par l’intermédiaire desquels ils font ce qu’ils veulent. Quelquefois aussi on appelle main d’un homme l’œuvre que cet homme fait avec sa main ; c’est ainsi que chacun dit reconnaître sa main lorsqu’il reconnaît ce qu’il a écrit. Si donc on entend de plusieurs façons la main de l’homme qui a réellement une main parmi les membres de son corps, à combien plus juste titre ne devons-nous pas entendre d’une seule manière ce qui est dit de la main de Dieu qui n’a aucune forme corporelle ? En cet endroit il vaut mieux, par la main du Père et du Fils, entendre la puissance du Père et du Fils ; car nous prenons la main du Père pour le Fils. Quelqu’un, dans une pensée toute charnelle, pourrait s’imaginer que le Fils a aussi un Fils, et regarder celui-ci comme la main du Christ. Donc : « Personne ne ravit de la main de mon Père » ; c’est-à-dire, personne ne ravit à moi-même.

8. Mais n’hésite plus, car écoute ce qui suit : « Mon Père et moi sommes un ». Jusque-là les Juifs avaient pu supporter ce qu’il leur disait ; mais quand ils entendirent : « Mon Père et moi sommes un », ils ne l’endurèrent plus, et, pleins de dureté selon leur coutume, ils coururent aux pierres : « Ils prirent des pierres pour le lapider ». Mais comme le Seigneur ne souffrait pas ce qu’il ne voulait pas souffrir, et qu’il n’a souffert que ce qu’il a voulu, il continue à leur parler, quoiqu’ils veuillent le lapider. « Les Juifs prirent des pierres pour le lapider. Jésus leur répondit : Je vous ai montré beaucoup de bonnes œuvres de la part de mon Père ; pour laquelle de ces œuvres me lapidez-vous ? Et ils lui répondirent : Ce n’est pas pour une bonne œuvre que nous te lapidons, mais pour ton blasphème et parce qu’étant homme, tu te fais toi-même Dieu ». Ainsi répondaient-ils à ce qu’il avait dit : « Mon Père et moi sommes un ». Les Juifs comprenaient donc ce que ne comprennent pas les Ariens. Et ils s’indignèrent, parce qu’ils comprenaient qu’on ne pouvait dire : « Mon Père et moi sommes un », que s’il y a égalité du Père et du Fils.

9. Mais voyez ce que le Seigneur répondit à ces hommes lents à comprendre ; voyant qu’ils ne pouvaient supporter la splendeur de la vérité, il en tempéra l’éclat par ces paroles : « N’est-il pas écrit dans votre loi », c’est-à-dire, dans la loi qui vous a été donnée : « J’ai dit : Vous êtes dieux ? » Dieu, en effet, dit aux hommes par son Prophète, dans un psaume : « J’ai dit : Vous êtes dieux ei ». Ici le Seigneur appelle loi toutes les Écritures en général, quoique ailleurs il désigne la loi d’une manière particulière et la distingue des Prophètes ; comme quand il dit : « La loi et les Prophètes jusqu’à Jean ej » ; et encore : « Dans ces deux commandements sont renfermés toute la loi et les Prophètes ek ». Quelquefois il partage les Écritures en trois parties, lorsqu’il dit : « Il fallait que s’accomplît tout ce qui est écrit de moi dans la loi, les Prophètes et les psaumes el ». Mais maintenant il désigne sous le nom de loi les psaumes eux-mêmes où se trouvent écrites ces paroles : « J’ai dit : Vous êtes dieux. Si la loi appelle dieux ceux à qui la parole de Dieu a été adressée, et l’Écriture ne peut être détruite : moi que le Père a sanctifié et envoyé dans le monde, pourquoi dites-vous que je blasphème parce que j’ai dit : Je suis le Fils de Dieu ? » Si la parole de Dieu a été adressée aux hommes de manière à ce qu’ils fussent appelés dieux, le Verbe même de Dieu qui est en Dieu pourrait-il ne pas être Dieu ? Si par la parole de Dieu les hommes deviennent dieux, si en participant à cette parole ils deviennent dieux, celui auquel ils participent n’est-il pas Dieu ? Si les lumières éclairées sont elles-mêmes des dieux, la lumière qui éclaire n’est-elle pas Dieu ? Si, pour s’être réchauffées à ce feu salutaire, les créatures deviennent dieux, ce feu qui les réchauffe n’est-il pas Dieu ? Tu t’approches de la lumière, tu en es éclairé, et l’on te compte parmi les fils de Dieu ; si tu t’éloignes de la lumière, tu es dans l’obscurité et dans les ténèbres. Mais cette lumière ne s’approche pas d’elle-même, parce qu’elle ne s’en éloigne pas. Si donc la parole de Dieu vous fait dieux, comment le Verbe de Dieu ne serait-il pas Dieu ? Le Père a donc sanctifié son Fils et l’a envoyé dans le monde. Quelqu’un dira peut-être : Si le Père l’a sanctifié, il n’a donc pas toujours été saint ? Il l’a sanctifié comme il l’a engendré. Qu’il fût saint, il le lui a donné en l’engendrant, parce qu’il l’a engendré saint. Car si ce qui est sanctifié ne pouvait pas être saint auparavant, comment pourrions-nous dire à Dieu le Père : « Que votre nom soit sanctifié em ? »

10. « Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas ; mais si je les fais, et si vous ne voulez pas me croire, croyez à mes œuvres, afin que vous sachiez et que vous croyiez que le Père est en moi et moi en lui ». Le Fils ne dit pas : « Le Père est en moi et moi en lui », comme peuvent le dire les hommes. Car si nos pensées sont bonnes, nous sommes en Dieu, et si nous vivons saintement, Dieu est en nous. Si nous lui sommes fidèles, que nous participions à sa grâce, et que nous soyons illuminés par lui ; nous sommes en lui, et il est en nous. Mais il n’en est pas ainsi pour le Fils unique ; il est dans le Père et le Père est en lui, comme un égal est dans celui à qui il est égal. Enfin quelquefois nous pouvons dire : Nous sommes en Dieu et Dieu est en nous ; mais pouvons-nous dire : Dieu et moi sommes une même chose ? Tu es en Dieu, parce que Dieu te contient ; Dieu est en toi, parce que tu es devenu son temple. Mais de ce que tu es en Dieu et que Dieu est en toi, peux-tu dire : Celui qui me voit, voit Dieu : comme le Fils unique a dit : « Qui m’a vu, a vu aussi le Père en », et encore : « Le Père et moi sommes un ? » Reconnais le bien propre du Seigneur, et la faveur faite par lui à son serviteur. Le propre du Seigneur, c’est l’égalité avec le Père ; la faveur accordée au serviteur, c’est la participation à la grâce du Sauveur.

11. « Ils cherchaient donc à le saisir ». Plût à Dieu qu’ils l’eussent saisi, mais en croyant en lui, en le comprenant, et non pas en le maltraitant et en le mettant à mort. Car maintenant, mes frères, quand je vous parle de ces choses, et que, faible, je vous annonce des choses fortes, petit, des choses grandes, fragile, des choses solides, vous qui êtes tirés de la même masse dont je suis sorti, et moi-même qui vous parle, tous ensemble nous voulons saisir Jésus-Christ. Mais qu’est-ce que le saisir ? Si tu l’as compris, tu l’as saisi. Mais ce n’est pas ce que voulaient les Juifs. Tu l’as saisi, afin de l’avoir. Eux voulaient le saisir pour ne plus l’avoir, et parce qu’ils voulaient le prendre ainsi, que leur fit-il ? « Il sortit d’entre leurs mains ». Ils ne le saisirent pas, parce qu’ils n’avaient pas les mains de la foi. Le Verbe s’est fait chair, mais ce n’était pas chose difficile pour le Verbe d’arracher sa chair de ces mains de chair. Saisir spirituellement le Verbe, c’est saisir Jésus-Christ comme il faut.

12. « Et il s’en alla au-delà du Jourdain, en ce lieu où Jean baptisait au commencement, et il resta là. Et beaucoup venaient vers lui et disaient : Jean n’a fait aucun miracle ». Vous vous le rappelez, nous vous avons dit de Jean qu’il était une lampe et qu’il rendait témoignage au jour eo. Pourquoi donc disent-ils en eux-mêmes : Jean n’a fait aucun miracle ? Jean, disent-ils, ne nous a montré aucun miracle ; il n’a pas chassé les démons ; il n’a pas guéri de la fièvre ; il n’a pas rendu la vue aux aveugles ; il n’a pas ressuscité les morts ; il n’a pas nourri plusieurs milliers d’hommes avec cinq ou sept pains ; il n’a pas marché sur la mer ; il n’a pas commandé aux vents et aux flots : Jean n’a rien fait de ces choses ; mais tout ce qu’il disait lui rendait témoignage. Par le moyen de cette lampe, arrivons donc au jour : « Jean n’a fait aucun miracle ; mais toutes les choses que Jean a dites de lui étaient vraies ». Ceux-là ont saisi Jésus, mais non de la même façon que les Juifs. Les Juifs voulaient le saisir pendant qu’il s’éloignait. Ceux-là l’ont saisi pendant qu’il restait au milieu d’eux. Enfin, que dit l’Évangéliste ? « Et beaucoup crurent en lui ».
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