‏ John 14

ŒUVRES COMPLÈTES TOME XI, TRADUCTION SOUS LA DIRECTION DE M. RAULX. BAR-LE-DUC 1872

LES TRAITÉS SUR L’ÉVANGILE DE SAINT JEAN ONT ÉTÉ TRADUITS PAR UN VICAIRE GÉNÉRAL QUI À VOULU GARDER L’ANONYMAT ET PAR M. L’ABBÉ AUBERT.

SERMONS DE SAINT AUGUSTIN.

CINQUIÈME SÉRIE. TRAITÉS SUR SAINT JEAN.

TRAITÉS SUR L’ÉVANGILE DE SAINT JEAN.

SOIXANTE-SEPTIÈME TRAITÉ.

SUR CE QUE DIT NOTRE-SEIGNEUR, DEPUIS CES MOTS : « QUE, VOTRE CŒUR NE SOIT PAS TROUBLÉ », JUSQU’A CES AUTRES : « JE VIENS DE NOUVEAU ET JE VOUS PRENDRAI AVEC MOI ». (Ch 14, 1-3.)

TRANQUILLITÉ.

Les Apôtres étaient troublés a la pensée de la mort de leur Maître et du sort qui leur était réservé. Tranquillisez-vous, leur dit Jésus, car si je meurs comme homme, comme Dieu je ne puis mourir ; sachez aussi que je vous préparerai une place dans la maison de mon Père, où se trouvent plusieurs demeures, conformes aux mérites de chacun des élus.

1. Il faut élever, mes frères, notre esprit vers Dieu avec une plus grande attention, afin que nous puissions en quelque manière faire pénétrer jusqu’à nos âmes les paroles du saint Évangile, qui viennent de retentir à nos oreilles. Car le Seigneur Jésus dit : « Que votre cœur, ne soit pas troublé ; croyez en Dieu, croyez aussi en moi » : il voulait par là empêcher ses disciples, qui étaient des hommes, de craindre la mort et de se troubler ; il les console donc en leur faisant connaître qu’il est Dieu. « Croyez », dit-il, « en Dieu ; croyez « aussi en moi ». En effet, si vous croyez en Dieu, vous devez aussi croire en moi : cette conséquence ne serait pas juste si Jésus-Christ n’était pas Dieu. « Croyez en Dieu », croyez aussi en celui pour qui ce n’est pas une usurpation, mais un droit naturel, d’être égal à Dieu. Il s’est anéanti lui-même, il est vrai ; mais tout en prenant la forme d’esclave, il n’a point perdu la forme de Dieu. Vous craignez la mort pour cette forme d’esclave a : « Que votre cœur ne se trouble point » ; la forme de Dieu la ressuscitera.

2. Mais que signifient les paroles suivantes « Dans la maison de mon Père, il y a plusieurs demeures », sinon que les disciples craignaient pour eux-mêmes ? C’est ce qui avait obligé le Seigneur à leur dire : « Que votre cœur ne soit point troublé ». Et en effet, lequel d’entre eux aurait pu ne pas craindre, quand il avait dit à Pierre, le plus hardi et le plus zélé de tous : « Le coq ne chantera pas que tu ne m’aies renié trois fois b ? » Ce n’était donc pas sans fondement qu’ils étaient troublés, puisqu’ils croyaient qu’ils le perdraient pour toujours. Mais quand ils entendent : « Dans la maison de mon Père il y a plusieurs demeures. Si cela n’était pas, je vous l’aurais dit : car je vais vous préparer une place », leur trouble s’apaise ; ils se confient en sa parole et sont assurés qu’après les dangers des tentations ils demeureront chez Dieu avec Jésus-Christ. Bien que l’un soit plus fort que l’autre, l’un plus sage que l’autre, l’un plus juste que l’autre, l’un plus saint que l’autre : « dans la maison du Père il y a plusieurs demeures » ; par conséquent aucun d’eux ne sera rejeté de cette maison où chacun recevra la demeure due à son mérite. Sans doute le denier que le Père de famille fait donner à ceux qui ont travaillé à sa vigne est égal pour tous ; car ce père de famille ne s’inquiète nullement de savoir s’ils ont plus ou moins travaillé c. Ce denier représente la vie éternelle, où personne ne vit plus longtemps qu’un autre, puisque la mesure de la vie étant l’éternité, se trouve être la même pour tous. Mais la diversité des demeures indique, dans une même vie éternelle, la diversité des mérites et des récompenses. Autre est la gloire du soleil, autre est la gloire de la lune ; autre est celle des étoiles ; telle étoile diffère de telle autre par son éclat. Ainsi en sera-t-il de la résurrection des morts. Comme les étoiles dans le ciel, les saints occuperont dans le royaume de Dieu des demeures différentes par le nombre et l’éclat. Mais comme le même denier est donné à tous, aucun ne sera exclu et ainsi Dieu sera tout en tous d. Et comme Dieu est charité e, la charité opérera cet effet, que ce que chacun des saints possédera, tous le posséderont pareillement. En effet, n’est-ce pas posséder soi-même que d’aimer dans les autres ce qu’on n’a pas en réalité ? L’inégalité de la clarté ne fera donc naître aucune jalousie, parce qu’entre tous régnera l’union de la charité.

3. Un cœur chrétien doit donc rejeter bien loin de lui ceux qui de ces paroles : « il y a plusieurs demeures », veulent conclure qu’en dehors du royaume des cieux il y aura un lieu où seront heureux les enfants qui meurent sans baptême, parce que sans le baptême ils ne peuvent entrer dans le royaume des cieux. Cette croyance n’est pas la foi, parce qu’elle n’est pas la foi véritable et catholique. O hommes insensés et aveuglés par vos imaginations charnelles ! vous seriez blâmables si vous sépariez du royaume des cieux la demeure, je ne dis pas de Pierre et de Paul, ou de quelque autre Apôtre, mais du moindre enfant baptisé, et vous penseriez n’être pas coupables si vous séparez la maison de Dieu le Père ? Le Seigneur ne dit pas : dans le monde entier, dans toute la création, ou bien dans la vie et le bonheur éternel il y a plusieurs demeures ; mais il dit : « Dans la maison de mon Père il y a plusieurs demeures ». N’est-ce pas cette maison que Dieu nous a construite lui-même, qui n’a pas été faite de la main des hommes et qui durera éternellement dans le ciel f ? N’est-ce pas cette maison dont nous parlons à Dieu quand nous chantons : « Bienheureux ceux qui habitent dans votre maison ; ils vous loueront dans les siècles des siècles g. ? » Je ne dirai pas que cette maison est celle du moindre de nos frères baptisés ; je dirai qu’elle est la maison même de Dieu le Père, car nous sommes tous frères et nous disons à Dieu : « Notre Père, qui êtes dans le ciel h ». Or, oserez-vous bien la séparer du royaume des cieux ? oserez-vous la partager de telle façon que quelques-unes de ses demeures se trouvent dans le royaume des cieux, et que quelques autres en soient exclues ? Non, oh non ! ceux qui veulent habiter dans le royaume des cieux ne consentiront jamais à habiter avec vous dans cette extravagance. Non, quand la maison tout entière des enfants de Dieu qui doivent régner avec lui, ne se trouve que dans son royaume, nous ne croirons jamais qu’une partie quelconque de la maison du roi lui-même ne se trouve pas dans son royaume.

4. « Et si je m’en vais », dit-il, « et si je vous prépare une place, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, afin que vous soyez où je serai. Vous savez où je vais, et vous en connaissez le chemin ». O Seigneur Jésus, comment allez-vous préparer la place, si déjà il y a plusieurs demeures dans la maison de votre Père, où les vôtres habiteront avec vous ? Et si vous les prenez avec vous, comment pourrez-vous revenir, puisque vous ne vous éloignez pas d’eux ? Mes très-chers frères, comme le discours d’aujourd’hui me paraît déjà assez long, si j’essaie de vous expliquer en peu de mots ces paroles, je me verrai obligé d’abréger ; par cela même elles ne deviendront pas plus claires, et la brièveté y ajoutera une nouvelle obscurité. Renvoyons donc à un autre jour l’accomplissement de ce devoir ; nous nous en acquitterons en temps plus opportun, avec la grâce du commun Père de famille.

SOIXANTE-HUITIÈME TRAITÉ.

SUR LA MÊME LEÇON.

LES DEMEURES DE LA MAISON DE DIEU.

Il y a plusieurs demeures dans la maison de Dieu : préparées en droit par la prédestination, elles nous sont préparées de fait par Jésus-Christ, puisque la maison de Dieu est son royaume, que nous sommes nous-mêmes ce royaume, et que, par la grâce du Sauveur, nous nous préparons à en faire partie ; mais nous ne pouvons y parvenir effectivement qu’autant que Jésus-Christ n’est pas visible au milieu de nous, c’est-à-dire, qu’autant que nous vivons de la foi.

1. Je me reconnais votre débiteur, mes très chers frères, et le temps est venu de m’acquitter de ce que je vous ai promis. Je tâcherai donc de vous montrer qu’il n’y a pas contradiction entre les deux paroles de Notre-Seigneur que nous allons citer. Il dit d’abord « Dans la maison de mon Père, il y a plusieurs demeures ; s’il en était ainsi, je vous aurais dit : Je vais vous préparer une place » ; par là, il montre suffisamment qu’il leur a parlé ainsi parce qu’il y a déjà plusieurs demeures, et qu’il n’a pas besoin d’en préparer. Puis il ajoute : « Et quand je m’en serai allé, et que je vous aurai préparé une place, je reviendrai et je vous prendrai auprès de moi, afin que vous soyez où je serai ». Comment s’en va-t-il, et prépare-t-il une place, si déjà il y a plusieurs demeures ? Si cela n’était pas, il aurait dit : « Je vais préparer une place » ; ou bien, si cette place devait être préparée, pourquoi n’aurait-il pas eu raison de dire : Je dois la préparer ? Ces demeures existent-elles déjà, et, malgré cela, ont-elles besoin d’être préparées ? Car, si elles n’existaient point, Jésus aurait dit : « Je vais préparer une place ». Cependant, quoique ces demeures existent déjà, et qu’elles exigent d’être préparées, il ne va pas les préparer telles qu’elles sont. Néanmoins, s’il s’en va et qu’il les prépare comme elles doivent être, il reviendra, il prendra ses disciples auprès de lui et ils seront eux-mêmes où il sera. Ces demeures qui sont dans la maison du Père (pas d’autres, mais celles-là), comment existent-elles, sans être comme elles doivent être préparées, et comment n’existent-elles pas encore comme elles doivent être préparées ? Comment le comprendre, sinon en la même manière que le Prophète ? Ne dit-il pas, en effet, que Dieu a fait les choses qui doivent se faire ? Le Prophète ne dit pas : Dieu fera ce qui doit se faire ; mais : « Il a fait ce qui doit se faire i ». Donc il a fait ces choses, il doit les faire ; car elles ne sont pas faites, s’il ne les a pas faites ; et elles ne seront pas faites, s’il ne les fait pas plus tard. Il les a donc faites par sa prédestination, et il les fera par son opération ; ainsi en est-il des disciples du Sauveur : l’Évangile nous indique suffisamment à quelle époque Notre-Seigneur les choisit ; ce fut évidemment lorsqu’il les appela j; et cependant, dit l’Apôtre, « il nous a choisis avant la création du monde k ». En les prédestinant, mais non en les appelant. « Ceux qu’il a prédestinés, il les a appelés l » ; il les a choisis en les prédestinant avant la création du monde ; il les a choisis en les appelant avant la fin du monde. C’est ainsi qu’il a préparé ces demeures, et qu’il les prépare ; ce ne sont pas d’autres demeures, ce sont celles qu’il a préparées, qu’il prépare ; car il a fait les choses qui doivent se faire, il a préparé ces demeures par sa prédestination, il les prépare par son opération. Elles existent donc déjà comme prédestinées ; autrement, il aurait dit : J’irai et je les préparerai, c’est-à-dire, je les prédestinerai. Mais comme elles n’existent pas encore en tant qu’exécutées, il dit : « Et quand je m’en serai allé, et que je vous aurai préparé une place, de nouveau je viendrai et vous prendrai avec moi ».

2. Mais ces demeures, il les prépare en quelque sorte par cela même qu’il prépare ceux qui doivent les habiter. En effet, quand il dit : « Dans la maison de mon Père il y a plusieurs demeures », quelle idée nous faisons-nous de cette maison de Dieu ? ne la regardons-nous pas comme le temple de Dieu ? Pour savoir ce qu’est ce temple, interrogez l’Apôtre, et il vous répondra : « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple m ». C’est encore le royaume de Dieu que le Fils doit donner au Père. Aussi le même Apôtre dit-il encore : « Jésus-Christ d’abord, comme les prémices ; puis ceux qui appartiennent à Jésus-Christ, et qui ont cru à son avènement : ensuite viendra la fin de toutes choses, lorsqu’il aura remis son royaume à Dieu son Père n » ; c’est-à-dire, quand il aura remis à son Père, pour le contempler, ceux qu’il aura rachetés de son sang. C’est de ce royaume des cieux qu’il est dit : « Le royaume des cieux est semblable à un homme qui sème du bon grain dans son champ. Or, ce bon grain, ce sont les enfants du royaume ». Aujourd’hui l’ivraie se trouve mêlée au bon grain ; mais à la fin le roi lui-même enverra ses anges, « et ils enlèveront de son royaume tous les scandales. Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père o ». Le royaume brillera dans le royaume, lorsque, pour nous qui sommes ce royaume, viendra le royaume que nous demandons maintenant par ces paroles : « Que votre règne arrive p ». Dès cette vie déjà nous sommes appelés le royaume de Dieu ; mais ce royaume ne fait encore que se former ; car si nous ne portions pas ce nom, il ne serait pas dit de nous : « On enlèvera de son royaume tous les scandales ». Mais ce royaume ne règne pas encore ; c’est un royaume, en ce sens que lorsque tous les scandales en auront été enlevés, il possédera la royauté ; de la sorte, il en aura non pas seulement le nom, mais encore la puissance. C’est en effet à ce royaume placé à droite, qu’il sera dit à la fin : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume q » ; c’est-à-dire, vous qui étiez un royaume, et qui ne régniez pas encore, venez et régnez. Ce que vous n’étiez qu’en espérance, soyez-le en réalité. Mais cette maison de Dieu, ce temple de Dieu, ce royaume de Dieu, ce royaume des cieux, est encore en construction ; il se bâtit, il se prépare, on ne fait qu’en rassembler les éléments. En lui seront les demeures, comme les prépare encore le Seigneur ; en lui sont déjà les demeures, telles que le Seigneur les a prédestinées.

3. Mais qu’est-ce que Notre-Seigneur est allé préparer, puisque c’est nous-mêmes qu’il prépare et puisque, d’ailleurs, il ne nous préparerait pas s’il nous quittait ? Je comprends, Seigneur, autant que je le puis, ce que vous nous indiquez par là : pour que ces demeures soient préparées, le juste doit vivre de la foi r. Celui, en effet, qui marche loin du Seigneur, a besoin de vivre de la foi, parce que la foi le prépare à contempler Dieu face à face s. « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu t » ; et : « La foi purifie leurs cœurs u ». Cette première parole se trouve dans l’Évangile, et la seconde, dans les Actes des Apôtres. Or, la foi qui purifie, pendant leur pèlerinage, les cœurs de ceux qui doivent contempler Dieu, cette foi croit ce qu’elle ne voit pas ; dès lors que tu vois, tu n’as plus la foi. Le croyant amasse des mérites ; celui qui voit en reçoit la récompense. Que le Seigneur aille donc nous préparer une place ; qu’il s’en aille, afin que nous ne le voyions pas ; qu’il se cache, afin que nous croyions en lui. Car une place se prépare pour nous quand nous vivons de la foi. Que la foi nous le fasse désirer, et que nos désirs nous mènent à le posséder ; les désirs de la charité sont la préparation de cette demeure. Ainsi, Seigneur, préparez ce que vous préparez : vous nous préparez pour vous et vous vous préparez pour nous ; vous préparez une demeure pour vous dans nous-mêmes, et pour nous, au dedans de vous. Vous nous avez dit, en effet : « Demeurez en moi, et moi en vous v ». Selon que chacun sera entré en participation de vous-même, les uns plus, les autres moins, la diversité des mérites fera la diversité des récompenses : le nombre des demeures se comptera d’après la diversité de ceux qui les habiteront ; mais tous vivront éternellement et tous seront éternellement heureux. Qu’est-ce à dire, que vous vous en allez, et que vous venez ? Si je vous comprends bien, vous ne vous éloignez ni de l’endroit d’où vous partez, ni de celui d’où vous venez ; vous vous en allez quand vous vous cachez ; vous venez quand vous vous montrez. Mais si vous ne restez point pour nous guider afin que nous nous avancions de plus en plus. par une vie sainte, comment se préparera la place où nous pourrons rester toujours et jouir de vous ? En voilà assez sur ce passage de l’Évangile qui nous a été lu et qui va jusqu’à ces paroles de Notre-Seigneur : « Je reviendrai et vous prendrai avec moi » : Pour ce qui suit : « Afin que vous soyez vous-mêmes où je serai, vous savez où je vais et vous en connaissez le chemin », il sera plus opportun de l’expliquer quand nous aurons examiné la question que lui fait immédiatement après un des disciples, et que nous nous serons joints à lui pour interroger le Seigneur.

SERMON CXLI. JÉSUS NOTRE VOIE w.

ANALYSE. – Les philosophes ont pu avec les lumières de la raison se faire quelque idée de la grandeur et de la majesté de Dieu. Mais au lieu de prendre le chemin qui les aurait conduits à la possession de ce bien suprême, ils se sont égarés jusqu’à adorer les idoles. Ah ! que nous sommes heureux que la Vérité même se soit faite notre voie dans la personne de Jésus-Christ ! Attachons-nous inséparablement à Lui.

1. Pendant qu’on lisait l’Évangile saint, vous avez entendu, entre autres, ces paroles du Seigneur Jésus : « Je suis la voie et la vérité et la vie. » Quel homme n’aspire à la vérité et à la vie ? Mais chacun n’en découvre pas la voie. Quelques philosophes même profanes ont vu en Dieu une vie éternelle et immuable, intelligible et intelligente, sage et principe de toute sagesse ; en lui aussi ils ont vu une vérité ferme, stable, invariable et comprenant les idées et les formes de toutes les créatures. Malheureusement ils ne l’ont vue que de loin et du sein de l’erreur ; aussi n’ont-ils point découvert la route qui conduit à la possession de ce magnifique, de cet heureux et ineffable héritage. Ce qui prouve en effet qu’ils ont vu réellement, autant du moins que l’homme en est capable, le Créateur à travers la créature, l’ouvrier à travers son ouvrage et dans le monde l’auteur même du monde, c’est le témoignage, irrécusable pour les Chrétiens, de l’Apôtre saint Paul. Il dit donc en parlant d’eux : « La colère de Dieu éclate du haut du ciel contre toute l’impiété. » Vous reconnaissez bien ici le langage de l’Apôtre. « La colère de Dieu éclate du haut du ciel contre toute l’impiété et l’injustice de ces hommes qui retiennent la vérité dans l’iniquité. » L’Apôtre dit-il que ces hommes ne possèdent pas la vérité ? Non, mais ils « la retiennent dans l’iniquité. » Ce qu’ils possèdent est bon, mais ils ont tort de le garder ainsi : « ils retiennent la vérité dans l’iniquité. »

2. On pouvait demander à saint Paul : comment ces impies sont-ils parvenus à la vérité ? Dieu a-t-il adressé la parole à quelqu’un d’entre eux ? Ont-ils reçu de lui la loi, comme le peuple d’Israël par le ministère de Moïse ? Comment alors peuvent-ils retenir la vérité, fût-ce dans l’iniquité même ? – Prêtez l’oreille à ce qui suit, c’est la réponse. « Parce que ce qui est connu de Dieu est manifeste en eux ; Dieu le leur a manifesté. » – Comment ! il le leur a manifesté et il ne leur a pas donné sa loi ? – Voici de quelle manière. « En effet, ses invisibles perfections ; rendues compréhensibles par ses œuvres, sont devenues visibles. » Interroge le monde et la magnificence du ciel, l’éclat et la disposition des astres, le soleil qui suffit pour former le jour, et la lune qui nous ranime pendant la nuit ; interroge cette terre qui produit en abondance et la verdure et les arbres, qui se couvre d’animaux et qu’embellit le genre humain ; interroge la mer, les grands et nombreux poissons qui la remplissent ; interroge l’atmosphère et les oiseaux qui en font la vie ; interroge enfin tous les êtres et dis-moi si tous ne te répondent pas à leur manière C’est Dieu qui nous a faits. De nobles philosophes ont ainsi interrogé l’univers, et cet œuvre leur a fait connaître l’ouvrier.

Mais alors, comment dire que la colère de Dieu éclate contre leur impiété ? C’est qu’« ils retiennent la vérité dans l’injustice. » Venez, Apôtre, expliquez-vous. Déjà vous avez montré comment ils sont parvenus à connaître Dieu. « Ses invisibles perfections, dit-il, rendues compréhensibles par ses œuvres, sont devenues visibles, aussi bien que sa puissance éternelle et sa divinité : de sorte qu’ils sont inexcusables. Car après avoir connu Dieu ils ne l’ont point glorifié comme Dieu ni ne lui ont rendu grâces ; mais ils se sont perdus dans leurs pensées et leur cœur insensé s’est obscurci. » C’est toujours l’Apôtre qui parle et non pas moi. « Et leur cœur insensé s’est obscurci. Ainsi en disant qu’ils étaient sages ils sont devenus fous. » L’orgueil leur a fait perdre ce que la curiosité leur avait fait découvrir. « En disant qu’ils étaient sages », en s’attribuant les dons de Dieu, « ils sont devenus fous. » Encore une fois c’est l’Apôtre qui l’assure : « En disant qu’ils étaient sages, ils sont devenus fous. »

3. Montrez maintenant, prouvez qu’ils étaient fous. O Apôtre, vous nous avez fait voir comment ils ont pu parvenir à connaître Dieu, « c’est que rendues compréhensibles par ses œuvres, ses invisibles perfections sont devenues visibles. » Montrez-nous de la même manière comment « en se disant sages ils sont devenus fous. » – Le voici : C’est parce qu’« ils ont changé, répond-il, la gloire du Dieu incorruptible contre une image représentant un homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes et des reptiles x. » Les Païens en effet se sont faits des dieux des figures de ces animaux. Quoi ! tu connais Dieu et tu adores une idole ! Tu connais la vérité et tu la retiens dans l’injustice ! Ce que te révèle l’œuvre de Dieu, tu le sacrifies à l’œuvre d’un homme ! Tu as tout examiné, tu as saisi l’harmonie du ciel et de la terre, de la mer et de tous les éléments ; et tu ne veux pas remarquer que comme le monde est l’ouvrage de Dieu, cette idole est simplement l’ouvrage d’un homme. Si cet homme pouvait donner un cœur à son idole comme il lui a donné une physionomie, cette idole adorerait son auteur. N’est-il par vrai, mon ami, que cette idole est l’œuvre d’un homme, de même que tu es l’œuvre de Dieu ? Qu’est-ce en effet ton Dieu ? Celui qui t’a formé. Et le Dieu de l’ouvrier en idoles ? Celui également qui l’a formé. Le dieu de l’idole n’est-il donc pas aussi l’auteur de l’idole, et ne s’ensuit-il pas que si cette idole avait un cœur, elle adorerait aussi l’ouvrier qui l’a formée ? C’est ainsi que ces philosophes ont retenu la vérité dans l’iniquité et qu’après l’avoir vue, ils n’ont point trouvé le chemin qui conduit à elle.

4. Mais le Christ est dans le sein de son Père la vérité et la vie, il est le Verbe de Dieu et c’est de lui qu’il est écrit : « La vie, était la lumière des hommes y ; » il est donc dans le sein de son Père la vérité et la vie, et comme nous n’avions pas le moyen de nous réunir à cette vérité, lui, le Fils de Dieu, qui est éternellement avec son Père la vérité et la vie, s’est fait homme pour devenir notre voie. Suis cette voie de son humanité, et tu arrives à la divinité. C’est lui qui te conduit à lui-même, et pour y parvenir ne cherche personne que lui. Hélas ! nous serions toujours égarés, s’il n’avait daigné se faire notre voie ; il est réellement devenu la voie où tu dois marcher. Je ne te dirai donc pas : Cherche la voie. Cette voie s’est présentée elle-même devant toi ; en avant, marche ! Ce sont les mœurs qui doivent marcher en toi en non les pieds ; car il en est beaucoup dont les pieds vont bien, tandis que leur conduite va mal, et tout en courant bien ils se précipitent hors de la voie. Tu rencontreras effectivement des hommes dont la conduite est régulière, mais qui ne sont pas chrétiens : ils courent bien, mais hélas ! hors de la voie, et plus ils courent, plus ils s’égarent, puisqu’ils s’éloignent de leur chemin. Ah ! si ces hommes entraient dans la voie, s’ils s’y tenaient, quelle sûreté pour eux, puisqu’ils courraient sans s’égarer ! Combien au contraire ils sont à plaindre de tant marcher sans être dans la voie ! Mieux vaut y marcher en boitant, que de n’y être pas en marchant d’un pas ferme. Que votre charité veuille se contenter de ceci. Tournons-nous, etc
Voir. Serm. I
.

SERMON CXLII. NÉCESSITÉ DE LA GRACE aa.

ANALYSE. – Jésus-Christ est la voie sûre que nous devons suivre. Or Jésus-Christ est humble et nous devons nous attacher à l’imiter dans son humilité. 1° En effet, l’amour-propre nous ayant détachés de Dieu pour nous répandre dans les créatures, il faut pour revenir à Dieu, que nous rougissions de nos égarements, il faudrait même que nous pussions nous oublier pour nous rattacher intimement à lui. L’orgueil est une enflure énorme qui nous empêche d’entrer au ciel par Celui qui en est la porte, par Jésus-Christ 2° Ce que Jésus-Christ demande principalement de nous, c’est que nous reproduisions les exemples d’humilité qu’il a donnés au monde. 3° Enfin, la charité est incompatible avec l’orgueil. Or la charité est indispensable, puisque sans elle rien ne profite et que la perfection de la charité est la perfection du chrétien. Donc à ce titre encore nécessité de l’humilité.

1. Pour nous préserver de l’abattement du désespoir les divines Écritures nous raniment, et d’autre part elles nous effraient pour que nous ne nous laissions pas emporter par l’orgueil. Mais il nous serait fort difficile de tenir le juste milieu, de marcher entre le désespoir à notre gauche et la présomption à notre droite, si le Christ ne disait : « Je suis la voie. » Où veux-tu aller, semble-t-il dire ? « Je suis la voie. » Où veux-tu parvenir ? « Je suis la vérité. » Où veux-tu demeurer ? « Je suis la vie. » Ainsi donc marchons avec sécurité dans cette, voie ; mais craignons les dangers qui l’avoisinent. L’ennemi n’ose nous attaquer lorsque nous y marchons, attendu que nous sommes alors unis au Christ ; mais à côté de la voie il ne cesse de tendre des pièges ; c’est pourquoi nous lisons dans un Psaume : « Près du chemin ils m’ont dressé des embûches ab ; » et dans un autre livre de l’Écriture : « Souviens-toi que tu marches au milieu des filets ac. » Ces filets au milieu desquels nous marchons ne sont pas dans le chemin, mais auprès. Que crains-tu donc, que redoutes-tu si tu es dans la voie ? Mais tremble, si tu la quittes. S’il est permis à l’ennemi de l’environner de pièges, c’est pour modérer la sécurité d’une joie trop vive qui te porterait à la déserter et à tomber dans le précipice.

2. Mais quelle humilité dans cette voie ! Quelle humilité dans le Christ qui est en même temps la vérité et la vie, le Très-Haut et Dieu même ! Si tu marches dans l’humilité du Christ, tu parviendras jusqu’à sa grandeur ; si ta faiblesse ne dédaigne pas ses humiliations, devenu fort tu demeureras au sein de sa gloire. Eh ! pourquoi s’est-il abaissé, sinon pour te guérir ? Tu étais effectivement sous le poids d’une maladie irrémédiable et c’est pour t’en délivrer qu’est venu jusqu’à toi ce céleste médecin. Ton mal aurait pu sembler tolérable s’il t’eût permis d’aller jusqu’à lui ; mais comme il t’en rendait incapable, c’est Lui qui est venu jusqu’à toi.

Or il est venu nous enseigner l’humilité nécessaire à notre guérison ; car l’orgueil nous empêchait de recouvrer la vie comme déjà il nous l’avait fait perdre. En effet le cœur de l’homme s’est élevé contre Dieu, et foulant aux pieds les préceptes salutaires qu’il avait reçus dans l’état de santé, l’âme est tombée malade. Que la maladie lui apprenne donc à écouter Celui qu’elle a dédaigné dans sa vigueur. Qu’elle l’écoute pour se relever, puisqu’elle est tombée en ne l’écoutant pas. Que son expérience lui persuade enfin ce qu’elle a refusé de croire à la voix du commandement. Sa misère, hélas ! ne lui a-t-elle pas appris combien il est malheureux de se prostituer loin du Seigneur ? N’est-ce pas se prostituer en effet que de se détacher du Bien suprême et unique pour se jeter éperdument au milieu des voluptés, dans l’amour du siècle et la corruption de la terre ? Aussi bien, lorsque le Seigneur rappelle à lui cette âme égarée, il la considère comme souillée de prostitutions ; on lit très souvent dans les prophètes les reproches qu’il lui adresse à ce titre. Toutefois il ne veut pas qu’elle désespère ; car tout en la reprenant de ses désordres, il tient en main de quoi l’en purifier.

3. Son but en effet n’est pas alors de l’irriter, il veut seulement la couvrir d’une confusion qui soit salutaire. Voyez dans l’Écriture quelle vivacité d’objurgations ! Certes, elle ne flatte pas les coupables, mais elle veut les réhabiliter et les guérir. « Adultères, s’écrie-t-elle, ignorez-vous que l’ami de ce monde se fait l’ennemi de Dieu ad ? » L’amour du monde rend l’âme adultère, comme l’amour de l’auteur du monde la rend chaste ; mais si elle ne rougit de son ignominie, elle n’a même pas le désir de retourner à ces chastes embrassements. Que la confusion la prépare donc au retour, autant que l’en détournait son orgueil, car c’est bien l’orgueil qui l’en détournait. Aussi, loin d’être coupables, les reproches qui lui sont adressés lui montrent combien elle l’est, on lui met devant les yeux ce qu’elle rejetait derrière le dos. Ah ! considère-toi en toi-même. « Tu vois une paille dans l’œil de ton frère, et dans le tien tu ne vois pas une poutre ae ! » Les reproches donc rappellent l’âme en elle-même, car elle en était sortie, et autant elle se quittait, autant elle quittait Dieu même.

Cette âme en effet s’était regardée, s’était plu, et enflammée d’amour pour son indépendance, elle s’est éloignée de Dieu, mais sans rester en elle-même ; car elle en est repoussée, bannie et se jette à l’extérieur, aimant le monde, aimant les choses temporelles, aimant les choses terrestres : et pourtant si elle se contentait de s’aimer elle-même au mépris de son Créateur, elle s’amoindrirait déjà, elle s’épuiserait par cet amour si rabaissé. N’est-elle pas inférieure en effet et d’autant plus inférieure à Dieu que l’œuvre est au-dessous de l’ouvrier ? Elle devait donc aimer Dieu et nous devons l’aimer jusqu’à nous oublier nous-mêmes, s’il est possible. Comment alors se doit faire la conversion ? L’âme s’était perdue de vue, mais pour aimer le monde ; qu’elle se perde de vue encore, mais pour aimer son Auteur. Sortie d’elle-même elle s’est comme oubliée, ne se rendant point compte de ses actes et justifiant ses crimes ; s’emportant et s’enorgueillissant au milieu de la colère, des voluptés, recherchant les honneurs, la puissance les richesses et la vanité du pouvoir. Mais qu’on la reprenne, qu’on la corrige, qu’on la montre elle-même à elle-même ; elle se déplaît alors, avoue sa laideur, désire recouvrer sa beauté perdue ; et autant la dissipation l’éloignait de Dieu, autant a confusion l’y ramène.

4. Est-ce contre elle ou pour elle que semble s’élever cette prière : « Couvrez-leur la face d’ignominie ? » On croirait voir ici un adversaire, un ennemi. Mais écoute ce qui suit et dis si ce n’est pas plutôt un ami. « Couvrez-leur la face d’ignominie, et ils rechercheront votre nom, Seigneur af. » N’était-ce pas les haïr, d’appeler sur eux la confusion ? Mais aussi n’est-ce pas les aimer, de vouloir qu’ils recherchent le nom du Seigneur ? Qu’y a-t-il donc ici ? Est-ce l’amour ? Est-ce la haine ? N’y a-t-il pas l’un et l’autre ? Oui, il y a en même temps haine et amour : haine contre ce qui vient de toi et amour pour toi. Qu’est-ce à dire : haine contre ce qui vient de toi et amour pour toi ? C’est-à-dire qu’il y a haine contre tes œuvres et amour pour l’œuvre de Dieu. Mais qu’elles sont tes œuvres, sinon tes péchés ? Et quelle est l’œuvre de Dieu, sinon toi-même, formé par lui à son image et à sa ressemblance : Tu dédaignes, hélas ! cette œuvre et tu te prends d’affection pour les tiennes. Tu aimes hors de toi ce que tu as fait et tu négliges en toi l’œuvre de Dieu. Ainsi tu mérites de t’égarer, de tomber, de courir loin de toi et de t’entendre appeler un « esprit qui s’en va et qui ne revient point ag. » Ah ! tourne plutôt la vue vers Celui qui t’appelle et qui te crie : « Revenez à moi et je reviendrai à vous ah. » Car Dieu ne se détourne point quand on le regarde, il demeure, il est immuable, pour reprendre et pour corriger. S’il est loin de toi, c’est que tu t’es éloigné de lui ; c’est toi qui t’es séparé, ce n’est pas Lui qui s’est éclipsé
Voir traité 2e sur Saint Jean, n° 8.
. Ainsi donc prête l’oreille à sa voix : « Revenez à moi et je reviendrai à vous. » En d’autres termes : Quand je reviens à vous, c’est vous qui revenez à moi. Le Seigneur effectivement poursuit les fuyards et s’ils se retournent vers lui ils se trouvent éclairés. Où fuiras-tu, malheureux, en fuyant loin de Dieu ? Où fuiras-tu, en t’éloignant de Celui qui n’est enfermé dans aucun lieu et qui n’est absent nulle part ? En s’attachant à lui on trouve la liberté et le châtiment en s’en détachant. Pour qui s’éloigne il est juge et père pour qui revient.

5. L’orgueil avait produit une enflure énorme et cette enflure ne permettait point au pécheur de revenir, car il lui fallait passer par un lieu fort étroit. Aussi j’entends Celui qui s’est fait notre voie s’écrier : « Entrez par la porte étroite aj. » On fait effort pour pénétrer, mais l’enflure empêche, et les efforts sont d’autant plus dangereux que l’enflure résiste davantage. Cette enflure en effet se trouve blessée pas l’étroitesse même du passage qu’elle veut franchir ; ainsi blessée elle augmente, et augmentant toujours comment entrera-t-elle ? Qu’elle décroisse donc. Mais par quel moyen ? Qu’elle prenne l’humilité comme remède ; qu’elle en boive le breuvage, il est amer, mais salutaire ; oui qu’elle épuise la coupe de l’humilité. Qui l’empêche de pénétrer ? Son volume même. Or l’enflure n’est pas de la grandeur, car la grandeur implique la solidité, ce que ne fait pas l’enflure. Que l’homme orgueilleux ne se croie donc pas grand ; qu’il désenfle pour le devenir, pour être en même temps solide et ferme. Ah ! qu’il ne se désire point ces biens temporels ; qu’il ne se glorifie point de l’éclat de ces choses passagères et corruptibles ; qu’il prête l’oreille à Celui qui a dit : « Entrez par la porte étroite », et encore : « Je suis la voie. » En effet, comme si le Seigneur supposait que l’orgueilleux lui demande : Quelle est cette porte étroite par laquelle j’entrerai, il ajoute : « Je suis la voie », entre par moi, et pour entrer parla porte, tu ne saurais suivre que moi. Car si j’ai dit : « Je suis la voie », j’ai dit aussi. « Je suis la porte ak. » Pourquoi chercher par où passer, où revenir, par où entrer ? Ne va pas ici et là, tu trouves tout en Celui qui pour toi s’est fait tout, et il dit tout dans ces deux mots : Sois humble, sois doux. Ces paroles sont claires, écoutons-les et sache ainsi où est la voie, ce quelle est et où elle mène. Où veux-tu aller ? Ton avarice te porterait-elle à vouloir tout posséder ? « Tout, dit le Sauveur, m’a été donné par mon Père al. » Diras-tu que si tout a été donné au Christ, ce n’est pas à toi ? Écoute l’Apôtre ; écoute-le pour ne te laisser pas abattre par le désespoir, ainsi que je l’ai dit déjà ; apprends de lui combien tu as été aimé quand tu étais tout couvert de laideur et d’ignominie, quand enfin tu ne méritais aucune affection, car c’est pour t’en rendre digne qu’il t’en a été accordé. « Le Christ, dit donc l’Apôtre, est mort pour les impies am. » Quel amour méritait l’impie ? Ou plutôt que méritait-il ? — D’être damné réponds-tu. – « Le Christ » cependant « est mort pour des impies. » Voile ce qu’il a fait pour toi dans ton impiété, que ne te réserve-t-il donc pas, si tu deviens pieux ? Qu’as-tu reçu dans ton impiété ? « Le Christ est mort pour des impies. » Mais tu aspirais à tout avoir ; eh bien ! n’y travaille point par avarice, travailles-y par piété, travailles-y par humilité. Ainsi tu parviendras à posséder Celui qui a fait tout, et tu posséderas tout en le possédant.

6. Ce n’est pas sur le raisonnement que nous appuyons cette doctrine ; écoute l’Apôtre dire lui-même : « S’il n’a pas épargné son propre Fils, s’il l’a livré pour nous tous, comment ne nous aurait-il pas donné tout avec lui an ? » C’est ainsi, ô avare, que tu es maître (le tout. Afin donc de n’être pas éloigné du Christ, méprise tout ce que tu aimes et attache-toi à Celui dont la puissance t’assure la jouissance de tout. Aussi qu’a fait ce Médecin généreux ? Pour exciter le courage de son malade et sans avoir besoin pour lui-même d’un semblable remède, il a bu la coupe qui ne devait lui faire aucun bien ; il l’a bue le premier, comme pour vaincre nos résistances et dissiper nos frayeurs, « C’est, dit-il, le calice que je dois boire ao. » Ce breuvage n’a rien à guérir en moi, je le prendrai pourtant, afin de t’animer à le prendre, car tu en as besoin. Je vous le demande, mes frères, l’humanité devait-elle être malade encore quand on lui a donné un tel remède ? Dieu est humble, et l’homme encore orgueilleux ! Ah ! qu’il écoute, qu’il entende enfin. « Tout, dit le Sauveur, m’a été donné par mon Père. » Si tu veux avoir tout, en moi tu le trouveras. Veux-tu le Père ? Tu l’auras par moi et en moi. Nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils. » Point de découragement, viens au Fils, car il ajoute : « Et celui à qui le Fils aura voulu le révéler. » Tu lui disais : Je ne pourrai donc y parvenir ; vous m’invitez à passer par un chemin trop étroit, je ne saurais entrer par là. « Venez à moi, répond-il, vous tous qui avez de la peine et qui êtes chargés ; » chargés du poids de votre orgueil ; « Venez à moi, vous tous qui avez de la peine et qui êtes chargés, et je vous soulagerai. Prenez sur vous mon joug et apprenez de moi. »

7. Ainsi crie le Maître des Anges, le Verbe de Dieu, qui nourrit sans s’épuiser toutes les intelligences, et que l’on mange sans le consumer ; il crie donc : « Apprenez de moi. » Peuple, écoute-le quand il dit : « Apprenez de moi ; » réponds : Que devons-nous apprendre de vous ? Que ne va pas nous enseigner effectivement ce grand Maître quand il crie : « Apprenez de moi ! » Quel est en effet Celui qui dit : « Apprenez de moi ? » C’est Celui qui a formé la terre, qui a séparé la mer et l’aride, qui a créé les oiseaux, qui a créé les animaux terrestres et tous les poissons, qui a placé les astres dans le ciel, qui a distingué le jour de fa nuit, qui a affermi le firmament même et séparé la lumière des ténèbres ; c’est Celui-là qui dit : « Apprenez de moi. » Eh ! veut-il que nous formions ces merveilles avec lui ? Qui de nous le pourrait ? Dieu seul en est capable. Ne crains pas, dit-il, je ne demande rien qui soit au-dessus de tes forces. Apprends seulement de moi ce que je suis devenu pour toi.« Apprenez de moi », non pas à créer, puisque c’est moi qui ai créé ; ni même à faire ce qu’il m’a plu d’accorder à quelques-uns seulement le pouvoir de faire, comme de ressusciter les morts, d’éclairer les aveugles et d’ouvrir l’oreille aux sourds ; ceci n’est pas pour vous fort important à savoir et je ne demande pas que vous cherchiez à l’apprendre de moi. – Les disciples en effet étant revenus un jour plein de joie et d’allégresse, et s’étant écriés : « Voilà qu’en votre nom des démons même nous sont soumis ; » le Seigneur répliqua : « Ne vous réjouissez point de ce que les démons vous sont soumis ; réjouissez-vous plutôt de ce que vos noms sont écrits dans le ciel ap. » Dieu donc a donné à qui il a voulu le pouvoir de chasser les démons, et le pouvoir de ressusciter les morts à qui il a voulu. Même avant l’incarnation on voyait ces sortes de miracles ; des morts étaient alors ressuscités et des lépreux guéris, l’histoire en fait foi aq. Or quel autre opérait ces prodiges, sinon ce même Christ qui s’est incarné après David et qui était Dieu avant Abraham ? C’est lui qui donnait alors ce pouvoir, qui faisait ces miracles par le moyen des hommes ; mais à tous il n’accordait pas cette puissance. Ceux qui ne l’ont pas reçue doivent-ils se décourager et dire qu’ils lui sont étrangers puisqu’ils n’ont pas mérité de lui cette faveur ? Il y a dans un même corps plusieurs membres et chacun d’eux peut faire ce que ne saurait un autre. Le Créateur, en formant ce corps ; n’a donné ni à l’oreille de voir, ni à l’œil d’entendre, ni au front de flairer, ni à la main de goûter, non ; mais il a donné à tous les membres la santé, l’harmonie entre eux et l’union ; il les a tous animés et unis par un même souffle. C’est ainsi que parmi les hommes il n’a pas donné aux uns de ressusciter les morts ni à d’autres le pouvoir d’enseigner ; à tous cependant il a donné quelque chose. Quoi ? « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur ar. » Ainsi nous l’avons entendu nous dire : « Je suis doux et humble de cœur. » Eh bien ! mes frères, tout le remède qui nous guérira consiste à apprendre de lui qu’il est « doux et humble de cœur. » Que sert de faire des miracles et d’être orgueilleux, de n’être ni doux ni humble de cœur N’est-ce pas se mettre au nombre de ces malheureux qui viendront, à la fin des siècles, lui dire : « N’avons-nous pas prophétisé en votre nom et en votre nom fait beaucoup de merveilles ? » Que leur sera-t-il répondu ? « Je ne vous connais pas. Éloignez-vous de moi, vous tous artisans d’iniquité as. »

8. Que nous importe-t-il donc d’apprendre ? « Que je suis doux, reprend le Sauveur, et humble de cœur. » Ainsi nous inspire-t-il la charité, mais la charité la plus sincère, une charité qui ne rougit pas, qui ne s’enfle pas, qui ne s’enorgueillit pas, qui ne trompe pas, et cette inspiration est contenue dans ces paroles : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. » Comment pourrait avoir cette charité pure un homme orgueilleux et hautain ? Il ne peut se défendre de l’envie. Un envieux aime-t-il réellement, et nous trompons-nous en disant le contraire ? Que personne ne s’avise jamais de supposer la charité à un cœur envieux. Aussi que dit l’Apôtre ? « La charité n’est point envieuse. » Pourquoi ? « Elle ne s’enfle point at ;» c’est le motif pour lequel saint Paul éloigne l’envie du caractère de la charité ; c’est dire : Elle n’est point envieuse, parce qu’elle ne s’enfle point. Il a dit d’abord « La charité n’est point envieuse ; » et comme si on lui en demandait la raison, il ajoute : C’est qu’elle « ne s’enfle point. » Si donc l’envie naît de l’orgueil ; quand il n’y a pas d’orgueil, il n’y a pas d’envie non plus. Mais si la charité n’est ni orgueilleuse, ni envieuse ; c’est enseigner la charité que de dire : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. »

9. Que chacun maintenant possède ce qui lui plaît et se vante comme il veut ; « quand même je parlerais les langues des hommes et des Anges, si je n’ai pas la charité, je suis comme un airain sonore ou une cymbale retentissante. » Qu’y a-t-il de plus beau que de pouvoir parler tant de langues ? On n’est pourtant alors, sans la charité, qu’un airain ou une cymbale faisant du bruit. Voici d’autres dons : « Quand je connaîtrais tous les mystères. » Qu’y a-t-il de plus élevé, ode plus magnifique ? Écoute encore : « Quand j’aurais tous les dons prophétiques et toute la foi, jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai point la charité, je ne suis rien. » Voici quelque chose de plus grand encore mes frères. Qu’est-ce ? « Quand je distribuerais tous mes biens aux pauvres. » Se peut-il rien de plus parfait ? N’est-ce pas le moyen de perfection prescrit par le Seigneur à ce riche auquel il dit : « Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes et le donne aux pauvres ? » Mais est-on parfait pour avoir tout vendu et tout donné aux pauvres ? Non, car le Sauveur ajoute : « Viens ensuite et suis-moi. » – Pourquoi vous suivre ? J’ai tout vendu, distribué tout aux pauvres ; ne suis-je donc point parfait ? Qu’ai-je besoin de vous suivre ? – Suis-moi pour apprendre que « je suis doux et humble de cœur. » – Mais peut-on vendre tout et tout donner aux pauvres sans être encore doux et humble de cœur ? – On le peut assurément. – Si pourtant j’ai tout distribué aux pauvres ? – Écoute encore. Car il en est qui après avoir tout abandonné et s’être mis à la suite du Seigneur, sans toutefois l’avoir suivi parfaitement, puisque le suivre parfaitement c’est l’imiter, n’ont pu supporter l’épreuve de la souffrance. Voyez Pierre : il était, mes frères, du nombre de ceux qui avaient tout abandonné et s’étaient mis à la suite du Seigneur. Car en voyant le jeune homme riche s’éloigner avec tristesse, et après avoir demandé avec émotion au Seigneur, qui les consola, quel était donc celui qui pourrait être parfait, ils ne craignirent pas de lui dire « Voici que nous avons tout laissé pour vous suivre ; quelle récompense devons-nous donc attendre au ? » Et le. Seigneur leur fit connaître ce qu’il leur donnerait, ce qu’il leur réservait pour l’avenir. Pierre donc était dès lors du nombre de ceux qui avaient fait ces sacrifices. Et toutefois, quand fut arrivé le moment de la passion, il renia jusqu’à trois fois, à la voix d’une servante, Celui avec lequel il avait promis de mourir.

10. Que votre charité remarque donc bien ces paroles : « Va, vends tout ce que tu as donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; « viens ensuite et me suis. » Pierre est devenu parfait ; mais il s’est mûri quand le Seigneur était déjà assis à la droite de son Père. Il ne l’était point, lorsqu’il suivait le Seigneur marchant vers sa passion ; et il l’est devenu quand il n’avait plus personne à suivre sur la terre. Que dis-je ? Tu as toujours devant toi quelqu’un à suivre. Le Seigneur en te donnant l’Évangile t’a donné un modèle, il y est lui-même avec toi, et il n’a point trompé lorsqu’il a dit : « Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation du siècle av. » Ainsi donc suis le Seigneur. Qu’est-ce à dire ? Imite-le. Qu’est-ce à dire encore ? « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. » En effet, « quand je distribuerais tous mes biens aux pauvres, et que je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien aw. » C’est donc à la charité que j’excite votre charité, et je ne le ferais pas si vous n’en aviez déjà quelque peu. Je vous invite ainsi à poursuivre ce que vous avez entrepris, à perfectionner ce que vous avez commencé. Je vous prie aussi d’intercéder pour moi afin qu’en moi également se consomme la vertu que je vous enseigne. Tous en effet nous sommes imparfaits, et là seulement où tout est parfait nous atteindrons la perfection. « Mes frères, dit l’Apôtre Paul, je ne crois pas être arrivé. » Il s’explique : « Non que déjà j’aie atteint jusque-là ou que je sois déjà parfait ax. » Quel homme oserait donc se vanter de l’être ? Ah ! plutôt, pour mériter d’être parfaits, confessons que nous sommes imparfaits.

LE FILS SEMBLABLE AU PÈRE.

Il est la voie qui conduit au Père, et comme il lui est en tout semblable, puisqu’il a la même nature divine, celui qui le connaît, connaît aussi le Père sans l’avoir vu.

1. Les paroles du saint Évangile, mes frères, ne sont bien comprises qu’autant qu’entre celles qui précèdent et celles qui suivent il y a parfait accord. Quand la vérité parle, il doit y avoir accord entre ce qui précède et ce qui suit. Plus haut, Notre-Seigneur avait dit : « Après que je m’en serai allé, et vous aurai préparé une place, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, afin que vous soyez vous-mêmes où je serai ». Ensuite il avait ajouté : « Et vous savez où je vais, et vous en connaissez la voie ». Ces paroles ne signifiaient rien autre chose, comme il le montra, que ceci : Ils le connaissaient lui-même. Ce que c’était qu’aller à lui-même par lui-même (et voilà ce qu’il accorde à ses disciples ; il les fait aller à lui-même par lui-même), nous vous l’avons expliqué comme nous avons pu dans le précédent discours. Remarquez le sens de ces mots : « Afin que où je suis moi-même, vous soyez vous aussi » ; où devaient-ils se trouver, sinon en lui-même ? lui-même est en lui-même ; et dès lors qu’ils seront, eux aussi, où il est lui-même, ils seront en lui. Il est donc lui-même la vie éternelle, dans laquelle nous nous trouverons, quand il nous aura reçus auprès de lui. Or, cette vie éternelle, qui est lui-même, est en lui, afin que où il est lui-même, nous soyons nous aussi, c’est-à-dire en lui. « Et comme le Père a la vie en lui-même ay », et que la vie qu’il a n’est autre chose que lui-même puisqu’il la possède, « de même il a donné au Fils d’avoir en lui-même la vie », puisqu’il est lui-même la vie qu’il a en lui-même. Mais est-ce que nous-mêmes nous serons cette vie qu’il est lui-même, quand nous commencerons à être dans cette vie, c’est-à-dire en lui-même ? Non, certes, parce que lui-même, étant la vie, possède en lui la vie, et il est lui-même ce qu’il a, et ce que la vie est en lui, il l’est lui-même en lui-même. Mais nous, nous ne sommes pas la vie elle-même, nous ne sommes que participants de sa propre vie à lui, et là nous serons de telle sorte, non pas que nous puissions être en nous-mêmes ce qu’il est lui-même, mais que n’étant pas nous-mêmes la vie, nous ayons pour vie Celui qui possède en lui la vie qui est lui-même, parce qu’il est lui-même la vie. Enfin il est dans lui-même sans pouvoir changer, et dans le Père sans pouvoir s’en séparer. Mais nous, si nous voulions être en nous-mêmes, nous nous troublerions en nous-mêmes ; de là cette parole : « Mon âme a été troublée en moi-même az », et changés en quelque chose de pire, nous ne pourrions pas rester ce que nous sommes, mais quand par lui-même nous serons venus au Père, ainsi qu’il le dit : « Personne ne vient au Père, si ce n’est par moi » ; dès lors que nous resterons en lui, personne ne pourra nous séparer ni du Père, ni de Lui.

2. Unissant donc les paroles suivantes à ce qui précède, Notre-Seigneur ajoute : « Si vous m’avez connu, assurément vous avez aussi connu mon Père ». C’est la même chose que ce qu’il a dit : « Personne ne vient au Père, sinon par moi ». Il ajoute ensuite : « Et bientôt vous le connaissez et vous l’avez vu ». Mais Philippe, un des Apôtres, ne comprenant pas ce qu’il venait d’entendre, lui dit : « Seigneur, montrez-nous le Père, et il nous suffit ». À quoi le Seigneur répond : « Depuis si longtemps je suis avec vous, et vous ne m’avez pas connu, Philippe ? Qui me voit, voit aussi le Père ». Il leur reproche qu’après avoir été si longtemps avec lui, ils ne le connaissaient pas ; mais ne venait-il pas de leur dire : « Et vous savez où je vais, et vous en connaissez la voie » ; et comme ils disaient ignorer ces choses, ne les avait-il pas convaincus qu’ils les savaient, en ajoutant ces mots : « C’est moi qui suis la voie, la vérité et la vie ? » Comment maintenant dit-il : « Depuis si longtemps je suis avec vous, et vous ne m’avez pas connu ? » Car s’ils savaient où il allait, s’ils connaissaient la voie, n’était-ce point parce qu’ils le connaissaient lui-même ? Mais cette difficulté se résout facilement, si l’on dit que certains de ses disciples le connaissaient, que d’autres ne le connaissaient pas, et que parmi ceux-ci se trouvait Philippe. Comprenez-le donc, il adressait ces mots : « Et vous savez où je vais, et vous savez la voie », à ceux qui le connaissaient, et non à Philippe, puisqu’il lui disait : « Depuis si longtemps je suis avec vous, et vous ne m’avez pas connu, Philippe ? » Pour ceux qui connaissaient déjà le Fils, il leur adressa cette parole relative au Père : « Et bientôt vous le connaîtrez, et vous l’avez vu ». Notre-Seigneur parlait ainsi, à cause de la ressemblance si parfaite qui existe entre le Père et lui ; et cette ressemblance était si grande, qu’à vrai dire ils connaissaient le Père, puisqu’ils connaissaient le Fils qui est son image parfaite. Si tous ne connaissaient pas le Fils, ceux-là, du moins, le connaissaient, auxquels il dit : « Et vous savez où je « vais, et vous savez la voie u, puisqu’il est lui-même la voie. Mais ils ne connaissaient pas le Père ; c’est pourquoi il leur dit : « Si vous m’avez connu, vous avez aussi connu mon Père ». C’est par moi que vous l’avez connu lui-même. Car autre je suis moi-même, autre est le Père. Mais, pour les empêcher de le croire dissemblable au Père, il ajoute : « Et bientôt vous le connaîtrez, et vous l’avez a vu ». Ils avaient vu en effet son Fils qui lui est entièrement semblable ; mais il fallait les avertir que le Père, qu’ils ne voyaient pas encore, était semblable au Fils qu’ils voyaient. Et c’est ce que signifie ce que Jésus dit ensuite à Philippe. « Qui me voit, voit aussi le Père ». Non pas qu’il fût tout à la fois le Père et le Fils, erreur que la foi catholique condamne dans les Sabelliens, qu’on appelle aussi Patripassiens, mais parce que le Père et le Fils sont à tel point semblables, que qui connaît l’un, les connaît tous les deux. En parlant de deux personnes absolument semblables, voici ce que nous disons à ceux qui voient l’une et veulent savoir quelle est l’autre : En voyant l’une, vous voyez l’autre. C’est en ce sens que Jésus dit : « Qui me voit, voit aussi le Père » ; cela veut dire, non pas, que celui qui est le Fils soit aussi le Père, mais que le Fils ne diffère en rien du Père. Car si le Père et le Fils ne faisaient pas deux, il ne serait pas dit : « Si vous m’avez connu vous avez connu aussi mon Père ». Aussitôt, en. effet, après avoir dit : « Personne ne vient au Père, sinon par moi », il ajoute : « Si vous m’avez connu, vous avez connu aussi mon Père » : parce que moi, par qui on vient au Père, je vous conduirai à lui, afin que vous le connaissiez lui-même. Mais parce que je lui suis tout à fait semblable, « bientôt vous le connaîtrez », puisque vous me connaissez : « et vous l’avez vu », si vous m’avez vu des yeux du cœur.

3. Pourquoi me dis-tu donc, Philippe : « Montrez-nous le Père, et il nous suffit ? Depuis si longtemps je suis avec vous, et vous ne m’avez pas connu, Philippe ? Qui me voit, voit aussi le Père ». Si c’est encore beaucoup pour toi de comprendre pareille chose, crois, du moins, ce que tu ne comprends pas. Comment me dis-tu : « Montrez-nous le Père ? » Si tu m’as vu, moi qui lui suis parfaitement semblable, tu as vu Celui auquel je ressemble ; et si tu ne peux comprendre encore, « ne crois-tu pas », du moins, « que je suis dans le Père, et que le Père est en moi ? » Ici Philippe aurait pu répondre : Je vous vois, à la vérité, et je vous crois parfaitement semblable au Père ; mais est-il blâmable et mérite-t-il des reproches celui qui de deux personnes semblables aperçoit l’une, et désire aussi voir l’autre ? Je connais l’un des semblables, mais je ne connais encore que l’un sans l’autre ; il ne me suffit pas de connaître l’un, si je ne connais pas l’autre. C’est pourquoi a montrez-nous le « Père, et il nous suffit u. Mais le Maître ne reprenait son disciple, que parce qu’il voyait le cœur de son interlocuteur. Philippe désirait connaître le Père, parce qu’il croyait le Père meilleur que le Fils ; il ne connaissait donc pas même le Fils, puisqu’il s’imaginait qu’il y avait quelque chose de supérieur à lui. C’est pour redresser ses idées à ce sujet que Jésus lui dit : « Qui me voit, voit aussi le Père. Comment dis-tu : montrez-nous le Père ? » Je vois bien comment tu le dis ; tu demandes à voir, non pas une personne qui soit semblable au Fils, mais une personne meilleure que le Fils. « Ne crois-tu pas que je suis dans le Père, et que le Père est en moi ? » Pourquoi veux-tu voir de la différence dans deux sujets en tout semblables ? pourquoi veux-tu connaître séparément ceux qui sont inséparables ? Ensuite, s’adressant non plus à Philippe, mais à tous les disciples, Notre-Seigneur leur dit des choses qu’il ne faut pas discuter dans le peu de temps qui nous reste ; nous voulons les expliquer avec plus de soin, s’il veut bien nous accorder son secours.

SOIXANTE ET ONZIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR : « LES PAROLES. QUE JE VOUS DIS, JE NE LES DIS PAS DE MOI-même », JUSQU’À CES AUTRES : « SI VOUS DEMANDEZ QUELQUE CHOSE AU PÈRE, EN MON NOM, JE LE FERAI ». (Chap 14,10-14.)

LE DON DE L’ESPRIT-SAINT.

Pour accomplir le moindre devoir, il faut l’assistance du Saint-Esprit ; mais pour le posséder parfaitement, d’une manière permanente et intime, pour le bien connaître, il est indispensable d’observer les commandements de Jésus-Christ. Nous recevons donc le Saint-Esprit dans une mesure proportionnée à notre fidélité à ses ordres.

1. Nous l’avons entendu, mes frères, dans cette leçon de l’Évangile. Notre-Seigneur nous a dit : « Si vous m’aimez, gardez mes commandements, et je prierai le Père, et il vous donnera un autre Consolateur, pour qu’il a demeure éternellement avec vous, l’Esprit de vérité, que le monde ne peut recevoir, parce qu’il ne le voit point et ne le connaît point. Mais vous le connaîtrez, parce qu’il demeurera avec vous et qu’il sera en vous ». Il y a beaucoup de questions à faire sur ce peu de paroles de Notre-Seigneur ; mais c’est pour nous une grande entreprise de chercher à découvrir tout ce qui s’y trouve renfermé, et encore plus de trouver tout ce que nous y chercherons. Cependant, autant que le Seigneur voudra bien nous en faire la grâce, selon notre capacité et aussi selon la vôtre, nous serons attentifs, nous à ce que nous devons dire, et vous à ce que vous devez entendre. Recevez donc par nous, très-chers frères, ce que nous pouvons vous donner ; et ce qu’il nous est impossible de vous expliquer, demandez-le au Seigneur. Jésus-Christ promet à ses Apôtres l’Esprit consolateur ; mais voyons de quelle manière il le leur promet : « Si vous m’aimez », leur dit-il, « gardez mes commandements, et je prierai le Père, et il vous donnera un autre Consolateur, l’Esprit de vérité, afin qu’il demeure éternellement avec vous ». Cet Esprit est évidemment le Saint-Esprit de la Trinité, que la foi catholique reconnaît comme étant consubstantiel et coéternel au Père et au Fils. C’est de lui que l’Apôtre nous dit : « L’amour de Dieu a été « répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné ba ». Comment donc Notre-Seigneur dit-il : « Si vous m’aimez, gardez mes commandements, et moi je prierai le Père, et il vous donnera un autre Consolateur » ; puisque cet Esprit-Saint dont il parle est celui-là même sans lequel nous ne pouvons ni aimer Dieu, ni garder ses commandements ? Comment aimerons-nous pour recevoir Celui sans lequel nous ne pouvons rien aimer ? Ou bien, comment garderons-nous les commandements, pour recevoir celui sans lequel nous ne pouvons les garder ? Ou bien, y aurait-il préalablement en nous un amour qui nous ferait aimer Jésus-Christ, de telle sorte qu’en aimant Jésus-Christ et en observant ses commandements, nous mériterions de recevoir le Saint-Esprit, et que l’amour, non pas de Jésus-Christ, puisque cet amour nous l’aurions d’avance, mais l’amour de Dieu le Père serait répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint, qui nous a été donné ? Cette pensée est mauvaise, car celui qui croit aimer le Fils, et n’aime pas le Père, celui-là n’aime pas même le Fils ; il n’aime que le fantôme qu’il s’est forgé à lui-même. D’ailleurs, c’est une parole expresse de l’Apôtre que « personne ne « peut dire : Seigneur Jésus, si ce n’est par le Saint-Esprit bb ». Et qui peut dire : Seigneur Jésus, de la manière que l’entendait l’Apôtre, sinon celui qui l’aime ? Plusieurs, en effet, le disent de bouche, mais le nient dans leur cœur et par leurs actes. C’est de ceux-là qu’il a dit : « Ils font profession de connaître Dieu, mais ils le nient par leurs œuvres bc ». Si c’est par les œuvres qu’on le renonce, assurément c’est aussi par les œuvres qu’il faut le confesser. « Personne donc ne dit : Seigneur Jésus » d’esprit, de parole, de fait, de cœur, de bouche et d’action, personne ne dit : Seigneur Jésus, sinon par le Saint-Esprit » ; et personne ne le dit ainsi, à moins de l’aimer. Les Apôtres disaient déjà de la sorte : « Seigneur Jésus », et ils le disaient ainsi sans fiction aucune ; s’ils le confessaient de bouche sans le nier dans leur cœur et par leurs actes ; s’ils le disaient en toute vérité, c’est qu’évidemment ils l’aimaient. Mais comment pouvaient-ils l’aimer, sinon par l’Esprit-Saint ? Pourtant ils doivent d’abord aimer Jésus et garder ses commandements, afin de recevoir le Saint-Esprit, sans lequel ils ne peuvent ni aimer ni garder les commandements.

2. Il faut donc reconnaître que celui qui aime a déjà l’Esprit-Saint, et que l’ayant, il mérite de l’avoir encore à un degré plus éminent et qu’ainsi son amour augmente. Les disciples avaient donc déjà l’Esprit-Saint que le Seigneur leur promettait, et sans lequel ils n’auraient pu l’appeler Seigneur. Mais cependant ils ne l’avaient point encore, dans le sens que le Seigneur le leur promettait. Il est donc vrai de dire qu’ils l’avaient et qu’ils ne l’avaient pas, puisqu’ils ne l’avaient pas encore au degré où ils devaient l’avoir : ils l’avaient bien un peu, mais ils devaient l’avoir davantage. Ils l’avaient d’une manière cachée, ils devaient le recevoir ouvertement. Et ce qui était de nature à augmenter la grandeur du don qui leur était promis, c’est qu’ils devaient savoir pertinemment qu’ils possédaient le Saint-Esprit. C’est de ce don que parle l’Apôtre, lorsqu’il dit : « Pour nous, nous avons reçu, non pas l’esprit de ce monde, mais l’Esprit qui est de Dieu, afin que nous connaissions les dons que Dieu nous a faits bd ». Car ce n’est pas une seule fois, mais deux fois, que Notre-Seigneur répandit l’Esprit-Saint sur ses Apôtres d’une manière visible. En effet, peu après sa résurrection, il leur dit en soufflant sur eux : « Recevez l’Esprit-Saint be ». Parce qu’il le leur donna en ce moment, est-ce qu’il ne leur envoya point plus tard celui qu’il leur avait promis ? Ou bien, n’était-ce pas le même qu’il répandit sur eux par son souffle et qu’ensuite il leur envoya du haut du ciel bf ? C’est donc une nouvelle question de savoir pourquoi cette donation visible du Saint-Esprit a été renouvelée deux fois : ce fut peut-être à cause du double précepte de l’amour de Dieu et du prochain ; comme il voulait nous montrer que ce double amour est l’effet du Saint-Esprit, l’infusion de cet Esprit a été renouvelée deux fois d’une manière apparente. Il peut y avoir de ce fait d’autres raisons, mais nous ne sommes pas au moment de chercher à les connaître ; car nous prolongerions ce discours outre mesure. Tenons seulement pour constant que sans l’Esprit-Saint nous ne pouvons ni aimer Jésus-Christ, ni garder ses commandements, et que nous ferons ces deux choses plus ou moins parfaitement, selon que nous aurons reçu ce même Esprit avec plus ou moins d’abondance. C’est pourquoi ce n’est pas inutilement que l’Esprit-Saint est promis, non seulement à celui qui ne l’a pas, mais même à celui qui le possède déjà : par là, celui qui ne l’a pas encore commencé à l’avoir, et celui qui l’a déjà, le possédera en de plus larges proportions. En effet, si l’Esprit-Saint ne pouvait s’obtenir à un degré moindre par les uns, et à un degré plus élevé par les autres, le saint prophète Élysée n’aurait pas dit au saint prophète Élie : « Que l’esprit qui est en vous soit doublé en moi bg ».

3. En prononçant ces mots : a Dieu ne donne « pas son Esprit par mesure bh », Jean-Baptiste parlait du Fils même de Dieu, car l’Esprit-Saint ne lui a pas été donné par mesure, puisque la divinité habite en lui dans toute sa plénitude bi. En effet, le médiateur de Dieu et des hommes, Jésus-Christ homme bj, n’a jamais été privé de la grâce du Saint-Esprit ; lui-même l’a déclaré ; c’est en lui que s’est accomplie cette prophétie : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, c’est pourquoi il m’a rempli de son onction ; il m’a envoyé évangéliser les pauvres bk ». Qu’il soit le Fils unique de Dieu, égal au Père, c’est sa nature et non pas un effet de la grâce ; mais qu’il se soit uni un homme pour ne faire avec lui qu’une seule personne qui est celle du Fils unique de Dieu, ce n’est plus sa nature, mais un don de la grâce ; l’Évangile nous en avertit en ces termes : « Cependant l’enfant croissait et se fortifiait, il était rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était en lui bl ». Pour les autres hommes, le don de l’Esprit-Saint leur est accordé et augmenté par mesure jusqu’à ce que se comble pour chacun la mesure de la perfection qui lui est propre. C’est pourquoi l’Apôtre nous avertit « de ne pas être plus sages « qu’il ne faut, mais d’être sages avec sobriété selon la mesure de la foi que Dieu a répartie à chacun bm ». Ce n’est pas que l’Esprit-Saint soit partagé ; mais il partage ses dons. Il y a diversité de dons spirituels ; mais il n’y a qu’un même Esprit bn.

4 Mais quand Jésus dit : « Je prierai le Père et il vous donnera un autre Paraclet », il montre qu’il est lui-même tin Paraclet. Paraclet est un mot qui, en latin, signifie avocat ; or, il est dit de Jésus-Christ : « Nous avons pour avocat auprès du Père Jésus-Christ le juste bo Ainsi, quand Jésus-Christ a dit que le monde ne pouvait pas recevoir le Saint-Esprit, il a parlé dans le même sens que l’Apôtre en ce passage : « La prudence de la chair est ennemie de Dieu ; car elle n’est pas soumise à la loi et ne peut l’être bp ». C’est comme si nous disions : L’injustice ne peut être juste. Par le monde, en cet endroit, Jésus entend ceux qui aiment le monde d’un amour qui ne vient pas du Père bq. C’est pourquoi à l’amour de ce monde, que nous avons tant de peine à diminuer et à détruire en nous, est opposé l’amour de Dieu qui est répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné. « Le monde ne peut donc recevoir cet Esprit, parce qu’il ne le voit pas et ne le connaît point ». Car l’amour du monde n’est pas doué de ces yeux invisibles par lesquels on voit le Saint-Esprit, parce qu’il ne peut être vu que d’une manière toute spirituelle.

5. « Mais vous », dit Notre-Seigneur, « vous le connaîtrez, parce qu’il restera avec vous et qu’il sera en vous ». Il sera en eux pour y demeurer ; il n’y demeurera pas pour y être ; car il faut être en un lieu avant d’y demeurer. Mais afin que les disciples n’entendent pas ces paroles : « Il demeurera avec vous », en ce sens qu’il demeurerait visiblement auprès d’eux, à la façon dont un étranger demeure chez son hôte, il explique ces mêmes paroles en ajoutant : « Il sera en vous ». Il se voit donc d’une manière invisible ; s’il n’est pas en, noua, nous ne pouvons le connaître ; car ainsi voyons-nous en nous-mêmes notre propre conscience. Nous voyons le visage d’un autre, nous ne voyons pas le nôtre ; nous voyons notre conscience, et nous ne voyons pas celle d’autrui. Mais notre conscience ne peut être ailleurs qu’en nous, tandis que l’Esprit-Saint peut très-bien être sans nous ; c’est pourquoi il nous est donné, afin d’être aussi en nous. Mais nous ne pouvons le voir et le connaître comme il veut être vu et connu, que s’il est en nous.

SOIXANTE-QUINZIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CES PAROLES DE JÉSUS-CHRIST : « JE NE VOUS LAISSERAI PAS ORPHELINS », JUSQU’À CES AUTRES : « ET MOI AUSSI JE L’AIMERAI ET JE ME DÉCOUVRIRAI À LUI ». (Ch 14, 18-21.)

RÉCOMPENSE DE LA FIDÉLITÉ À JÉSUS-CHRIST.

Le Sauveur promet à ses Apôtres, s’ils sont fidèles à ses commandements, non seulement de se manifester à eux après sa résurrection, mais aussi de leur communiquer la vie éternelle, et de se faire voir à eux pendant l’éternité.

1. Jésus-Christ avait promis à ses disciples de leur envoyer le Saint-Esprit ; mais, pour les empêcher de croire qu’il voulait l’envoyer à sa place, et qu’il ne serait plus lui-même avec eux, Notre-Seigneur ajouta ces paroles : « Je ne vous laisserai pas orphelins ; je viendrai a à vous ». Les orphelins sont des pupilles. Le mot grec d’orphelin a la signification de pupille ; car, dans le psaume où nous lisons : « Vous serez le protecteur du pupille br », la version grecque porte : protecteur de l’orphelin. Le Fils de Dieu nous a adoptés pour les enfants de son Père, et il a voulu que nous ayons pour Père selon la grâce, celui qui est son Père selon la nature ; et néanmoins, il nous témoigne une tendresse toute paternelle lorsqu’il dit : « Je ne vous laisserai pas orphelins ; je viendrai à vous ». C’est encore pour cela qu’il nous appelle les enfants de l’Époux, lorsqu’il dit : « L’heure viendra où l’Époux a leur sera enlevé, et alors les enfants de l’Époux jeûneront bs ». Quel est l’Époux, sinon le Seigneur Jésus-Christ ?

2. Il dit ensuite : « Encore un peu de temps, et le monde ne me voit plus ». Eh quoi ! est-ce qu’alors le monde le voyait ? puisque par le nom de monde il veut désigner ceux dont il a parlé plus haut en ces termes : « Le monde ne peut recevoir le Saint-Esprit, parce qu’il ne le voit pas et ne le connaît pas ». Le monde, assurément, voyait de lui ce qui pouvait se voir des yeux de la chair ; mais il ne voyait pas le Verbe divin caché sous le voile de la chair : il voyait l’homme, mais ne voyait pas le Dieu ; il voyait le vêtement, mais ne voyait pas celui qui le portait. Après sa résurrection, il laissa voir son corps à ses disciples, il leur permit même de le toucher, mais il ne voulait pas le montrer à ceux qui n’étaient pas du nombre des siens. Aussi est-ce peut-être ce qu’il faut entendre par ces paroles : « Encore un peu de temps, et le monde ne me voit pas ; pour vous, vous me verrez, parce que je vis et que vous vivrez ».

3. Que signifient ces mots : « Parce que je vis et que vous vivrez ? » Pourquoi dit-il qu’il vit lui-même présentement, et que, pour eux, ils vivront plus tard, sinon parce qu’il promettait de leur donner plus tard la vie qui animerait d’abord son corps ressuscité ? Et comme sa résurrection allait avoir bientôt lieu, il en parle au temps présent, pour en montrer la proximité. Mais comme la résurrection de ses disciples devait être différée jusqu’à la fin du monde, il ne dit pas : Vous vivez, mais : « Vous vivrez ». Ces deux résurrections, la sienne qui devait avoir lieu peu après, et la nôtre qui arrivera à la fin du monde, Notre-Seigneur les a ainsi promises d’une façon élégante et brève, par ces deux mots dont l’un regarde le présent et l’autre l’avenir : « Parce que je vis », dit-il, « et vous aussi vous vivrez ». C’est parce qu’il vit que nous vivrons. « Par un homme est venue la a mort, et par un homme viendra la résurrection des morts ; car, comme tous meurent en Adam, ainsi tous seront vivifiés en Jésus-Christ bt ». Et comme aucun n’est arrivé à la mort que par Adam, aucun n’arrive à la vie que par Jésus-Christ : parce que nous avons vécu, nous sommes morts ; mais c’est parce qu’il a vécu lui-même, que nous vivrons. Nous sommes morts à Jésus-Christ, quand nous vivons pour nous-mêmes. Mais parce qu’il est mort pour nous, il vit et pour lui-même et pour nous. C’est en effet parce qu’il vit, que nous vivons. Nous avons bien pu nous donner la mort à nous-mêmes, mais nous ne pouvons, de même, nous rendre la vie.

4. « En ce jour », dit-il, « vous connaîtrez que je suis dans mon Père et que vous êtes en moi, et moi en vous ». En quel jour, sinon en celui auquel il fait allusion en disant : « Et vous vivrez ? » Alors nous pourrons voir ce que nous croyons. Maintenant, sans doute, il est en nous, et nous sommes en lui. Mais ce que nous ne faisons que croire maintenant, alors nous le connaîtrons. Et quoique dès à présent la foi nous l’apprenne, alors notre connaissance aura pour base la contemplation même de la réalité, tant que nous sommes dans un corps pareil au nôtre, c’est-à-dire sujets à la corruption et de nature à appesantir l’âme, nous sommes éloignés du Seigneur, nous marchons à la lueur de la foi et non au flambeau de la claire vue bu. Mais alors nous marcherons à la claire vue ; car nous le verrons tel qu’il est bv. Si Jésus-Christ n’était pas en nous, même dès cette vie, l’Apôtre ne dirait pas : « Mais si Jésus-Christ est en nous, le corps est mort à cause du péché, mais l’Esprit est vivant à cause de la justice bw ». Que nous soyons en lui, même dès cette vie, c’est ce que Notre-Seigneur nous montre quand il dit : « Je suis la vigne, vous êtes les branches bx ». En ce jour donc, quand nous vivrons de cette vie qui doit absorber la mort, nous connaîtrons qu’il est dans le Père, que nous sommes en lui, et qu’il est en nous : car alors sera achevé ce qu’il a déjà commencé, c’est-à-dire d’être en nous et de nous faire vivre en lui.

5. « Celui qui a mes commandements », dit Notre-Seigneur, « et les garde, c’est celui-là qui m’aime ». Celui qui les a dans la mémoire et qui les garde dans sa manière de vivre, qui les a dans ses discours, et qui les garde en ses mœurs ; qui les a en les écoutant et qui les garde en les pratiquant, ou qui les a en les pratiquant, et qui les garde en y persévérant,« c’est celui-là », dit-il, « qui m’aime ». C’est par les œuvres que l’amour doit se montrer, s’il veut être autre chose qu’un vain nom. « Et celui qui m’aime », continue-t-il, « sera aimé par mon Père ; et moi aussi je l’aimerai, et je me manifesterai à lui ». Que veut dire : « J’aimerai ? » Est-ce qu’il ne commencera qu’alors à nous aimer, tandis que maintenant il ne nous aime pas ? Évidemment non. Comment, en effet, le Père pourrait-il nous aimer sans le Fils, ou comment le Fils pourrait-il nous aimer sans le Père ? Leur opération étant inséparable, pourraient-ils aimer séparément ? Quand Notre-Seigneur dit : « Je l’aimerai », cette parole se rapporte à ce qui suit : « Et je me manifesterai moi-même à lui ». « J’aimerai et je me manifesterai », c’est-à-dire, j’aimerai jusqu’à me manifester. Maintenant l’amour de Jésus-Christ ne va qu’à nous faire croire et pratiquer ce que la foi nous ordonne ; mais alors son amour ira jusqu’à nous faire voir et à nous donner la claire vision pour récompense de notre foi, et nous aussi nous aimons maintenant, parce que nous croyons ce que nous verrons ; mais alors nous aimerons parce que nous verrons ce que nous croyons.

SOIXANTE-SEIZIÈME TRAITÉ.

DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES : « JUDE, NON PAS L’ISCARIOTE, LUI DIT », : JUSQU’À CELLES-CI : « LA PAROLE QUE VOUS AVEZ ENTENDUE, N’EST PAS MA PAROLE, MAIS CELLE DU PÈRE QUI M’A ENVOYÉ ». (Chap 14,22-24.)

MANIFESTATION DE DIEU.

Jésus-Christ se manifeste à ceux qui l’aiment, intérieurement en ce monde, et dans le ciel il se manifestera à eux pour toujours, tandis que les mondains ne verront qu’un instant son humanité au jour du jugement, et jamais ils ne le contempleront dans son essence divine, parce qu’ils ne l’aiment pas.

1. Si les disciples de Jésus l’interrogent et que ce divin Maître leur réponde, nous sommes avec eux pour profiter de ses réponses, puisque nous lisons ou entendons lire le saint Évangile. Notre-Seigneur ayant dit : « Encore « un peu de temps, et le monde ne me voit déjà plus, mais vous me verrez », Jude, non pas celui qui le trahit et qui était surnommé Iscariote, mais celui dont l’épître se lit au même titre que les Epîtres canoniques, l’interrogea à ce sujet : « Seigneur, d’où vient que vous vous manifesterez à nous et non pas au monde ? » Soyons avec les Apôtres comme des disciples qui interrogent leur maître, et Écoutons la réponse qu’il nous fait à tous. Jude le saint, et non pas l’impie, non pas le persécuteur du Seigneur, mais son suivant fidèle, lui demanda pourquoi il devait se manifester, non pas au monde, mais seulement à ses disciples ; pourquoi encore un peu de temps et le monde ne le verrait plus, tandis que ses disciples le verraient.

2. « Jésus lui répondit et lui dit : Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui, et « nous ferons en lui notre demeure. Celui qui « ne m’aime point ne garde pas mes paroles ». Voilà bien exposée la raison pour laquelle il doit se manifester aux siens, et non pas aux étrangers qu’il désigne sous le nom de monde ; cette raison, c’est que les siens l’aiment et que les autres ne l’aiment pas. C’est la même raison qui fait chanter au saint Psalmiste : « Jugez-moi, mon Dieu, et séparez ma cause de la nation qui n’est pas sainte by ». En effet, ceux qui aiment sont choisis parce qu’ils aiment : pour ceux qui n’aiment pas, quand même ils parleraient toutes les langues des hommes et des anges, ils ne sont qu’un airain sonnant et une cymbale retentissante. Quand même ils auraient le don de prophétie, quand ils auraient pénétré tous les mystères et toute science, quand ils auraient toute la foi possible, jusqu’à transporter les montagnes, ils ne sont rien. Quand ils auraient distribué tous leurs biens, quand ils auraient livré leur corps pour être brûlé, cela ne leur servirait de rien bz. C’est l’amour qui distingue les saints d’avec le monde, qui les unit ensemble et fait qu’ils habitent la même maison ca. Dans cette maison le Père et le Fils font leur demeure, et ils donnent ce même amour à ceux devant qui ils se manifesteront à la fin du monde. C’est au sujet de cette manifestation que le disciple interrogeait le divin Maître ; de cette manière, ceux qui ont entendu sa réponse de sa propre bouche, et nous qui la lisons dans l’Évangile, nous en sommes tous instruits. Le disciple n’avait fait de question qu’au sujet de la manifestation de Jésus-Christ, et le Christ lui a fait une réponse qui a trait à son amour et à sa demeure. Il y a donc une manifestation de Dieu tout intérieure, qu’ignorent absolument les impies, puisque Dieu, le Père et le Saint-Esprit ne se manifestent jamais à eux. Le Fils a pu se manifester à eux, mais dans sa chair, et cette manifestation est bien différente de la manifestation intérieure. Quelle qu’elle soit, elle ne durera pas toujours pour eux : elle ne durera qu’un peu de temps ; et ce sera pour leur jugement, et non pour leur joie ; pour leur châtiment, et non pour leur récompense.

3. Voyons maintenant, autant que Dieu daignera nous le découvrir, comment il faut entendre ces paroles : « Encore un peu de temps « et le monde ne me voit déjà plus ; mais « vous, vous me verrez ». Peu après, sans doute, son corps, que les impies eux-mêmes pouvaient voir, devait être soustrait à leurs yeux, puisqu’après la résurrection aucun d’eux ne l’a vu. Mais comme les anges ont affirmé qu’« il viendra de la même manière que vous l’avez vu monter au ciel cb » ; comme, d’ailleurs, la foi nous apprend qu’il viendra dans le même corps juger les vivants et les morts ; alors, sans aucun doute, le monde le verra, et sous ce nom de monde sont compris ceux qui sont étrangers à son royaume. Et ainsi ces paroles : « Encore un peu de temps et le monde ne me voit déjà plus », il semble bien plus naturel de les entendre de la fin du monde, c’est-à-dire du moment où il se soustraira à la vue des damnés, tandis qu’il se fera voir pour toujours à ceux en qui son Père et lui font leur demeure à cause de leur amour pour lui. Il dit : « Encore un peu de temps », car ce qui paraît très-long aux hommes est très-court aux yeux de Dieu. C’est en effet de ce temps si court que notre Évangéliste Jean a dit : « Mes petits enfants, voici la dernière heure cc ».

4. Mais pour ne pas croire que le Père et le Fils seuls doivent, sans le Saint-Esprit, établir leur demeure en ceux qui les aiment, qu’on se rappelle ce qui a été dit plus haut du Saint-Esprit : « Le monde ne peut le recevoir, parce qu’il ne le voit point et ne le connaît point. Mais pour vous, vous le connaîtrez, parce qu’il restera avec vous et qu’il sera en vous cd ». Le Saint-Esprit est donc avec le Père et le Fils, pour établir sa demeure dans les saints ; il reste dans leur intérieur, comme Dieu dans son temple. Le Dieu Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, viennent à nous, quand nous allons à eux : ils viennent en nous en nous secourant, et nous allons à eux en leur obéissant ; ils viennent en nous en nous éclairant, et nous allons à eux en profitant de leurs lumières ; ils viennent en nous en nous remplissant, et nous allons à eux en les recevant ; par là nous les voyons non pas extérieurement, mais d’une manière intérieure, et leur demeure en nous est, non point passagère, mais éternelle. C’est ainsi que le Fils ne se manifeste pas au monde, car il appelle monde ceux dont il ajoute aussitôt « Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles ». Voilà quels sont ceux qui ne voient jamais le Père ni le Saint-Esprit : ils voient le Fils un peu de temps, non pour être béatifiés, mais pour être jugés. Et ils le verront, non pas dans sa forme de Dieu, sous laquelle il est invisible en même temps que le Père et le Saint-Esprit, mais dans sa forme d’homme, sous laquelle il a paru méprisable aux hommes pendant sa passion, mais sous laquelle, aussi, il se montrera terrible dans son jugement.

5. Si Jésus ajoute : « Et la parole que vous avez entendue n’est pas la mienne, mais celle du Père qui m’a envoyé », n’en soyons ni étonnés, ni effrayés. Il n’est pas moindre que le Père ; mais il n’est que par le Père ; il n’est pas au-dessous du Père, mais il n’est pas de lui-même ; et il n’a pas menti quand il a dit : « Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles ». Il dit que ces paroles sont les siennes ; peut-il être opposé à lui-même quand il dit ensuite : « Et la parole que vous « avez entendue n’est pas mienne ? « Peut-être a-t-il voulu établir ici une distinction, comme celle-ci : quand il parle de ses propres paroles », il en parle au pluriel ; et quand il dit que « sa parole » n’est pas la sienne, mais bien celle de son Père, c’est lui-même qu’il veut désigner. « Au commencement, en effet, était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ce ». Le Verbe n’est pas son Verbe à lui, mais celui du Père ; comme il est non pas sa propre image, mais celle du Père : il n’est pas non plus son Fils à lui, mais celui du Père. C’est donc avec justesse qu’il attribue au Père ce qu’il fait, quoiqu’il lui soit égal, puisque c’est du Père qu’il tient de lui être égal en toutes choses.

SOIXANTE-DIX-SEPTIÈME TRAITÉ.

DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES : « JE VOUS AI DIT CES CHOSES DEMEURANT AVEC VOUS », JUSQU’À CES AUTRES : « JE VOUS DONNE MA PAIX ; JE NE VOUS LA DONNE POINT COMME LE MONDE LA DONNE ». (Chap 14,25-27.)

LE SAINT-ESPRIT ET LA PAIX.

En quittant ses Apôtres, le Sauveur leur promet l’assistance du Saint-Esprit, qui les instruira à sa place, comme distributeur de la grâce divine ; ensuite il leur donne la paix, autant qu’une âme fidèle peut la posséder en ce monde, en attendant qu’elle jouisse, dans le ciel, de la paix inaltérable qui est Dieu lui-même ; paix que les mondains ne peuvent goûter les uns avec les autres, loin de Jésus-Christ.

1. Dans le passage du saint Évangile qui précède celui qui vient de nous être lu, le Seigneur Jésus avait dit que le Père et lui viendraient vers ceux qui l’aiment, et qu’ils établiraient en eux leur demeure. Déjà un peu plus haut il avait dit du Saint-Esprit « Mais vous le connaîtrez, parce qu’il demeurera auprès de vous et qu’il sera en vous cf ». Ces paroles nous ont fait : comprendre que la Trinité divine demeure tout entière dans les saints comme dans son temple. Maintenant Jésus ajoute : « Je vous ai dit ces choses pendant que je demeure avec vous ». Cette demeure est autre que celle qu’il promet pour l’avenir ; et celle qui doit venir est autre que celle qu’il certifie pour le temps présent. La première est spirituelle et tout intérieure, elle a lieu dans les âmes ; la seconde est corporelle et se manifeste extérieurement aux yeux et aux oreilles. La première béatifie dans l’éternité ceux qui ont été sauvés ; la seconde visite dans le temps ceux qui doivent l’être. Quant à la première, le Seigneur ne s’éloigne jamais de ceux qui l’aiment ; quant à la seconde, il vient et s’éloigne. « Je vous ai dit ces choses », ajoute-t-il, « pendant que je demeure avec vous » ; c’est-à-dire par le fait d’une présence corporelle, qui le leur rendait visible et lui permettait de leur parler.

2. « Mais le Paraclet », continue-t-il, « le Saint-Esprit, que le Père enverra en mon nom, c’est lui qui vous enseignera toutes choses et vous rappellera toutes les choses que je vous ai dites ». Le Fils parle-t-il tandis que c’est le Saint-Esprit qui enseigne ; de telle sorte que, si le Fils parle, nous entendons ses paroles, mais nous ne les comprenons qu’autant que le Saint-Esprit nous en donne l’intelligence ? Le Fils parle-t-il sans le Saint-Esprit, et le Saint-Esprit enseigne-t-il sans le Fils ; ou plutôt, le Fils n’enseigne-t-il pas lui aussi, et le Saint-Esprit ne parle-t-il pas lui-même ? Et quand Dieu nous dit et nous enseigne quelque chose, n’est-ce pas la Trinité elle-même qui parle et qui enseigne ? Mais précisément parce qu’il y a une Trinité, il fallait indiquer chacune de ses personnes, et concevoir chacune d’elles comme étant distincte des autres, tout en comprenant qu’elles sont inséparables les unes des autres. Écoute le Père, c’est lui qui parle en ce passage : « Le Seigneur m’a dit : Tu es mon Fils cg ». C’est encore lui qui enseigne en cet autre endroit : « Tout homme qui entend parler le Père et apprend de lui, vient à moi ch ». Tout à l’heure tu as entendu parler le Fils ; car il a dit de lui-même : « Tout ce que je vous aurai dit ». Si tu veux assurer qu’il enseigne, rappelle-toi le maître dont il est dit : « Vous n’avez qu’un Maître, Jésus-Christ ci ». Pour le Saint-Esprit, tu sais qu’il enseigne ; car il est dit : « Lui-même vous enseignera toutes choses » ; écoute-le parler en ce passage des Actes des Apôtres, où il est rapporté que le Saint-Esprit dit à saint Pierre : « Va avec eux, parce que c’est moi qui les ai envoyés cj. C’est donc toute la Trinité qui parle et qui instruit ; mais si chaque personne n’était signalée individuellement, la faiblesse humaine n’aurait pu le comprendre. Car, comme la Trinité est absolument inséparable, nous n’aurions jamais su qu’en elle se trouvent trois personnes, si l’on avait toujours parlé d’elle sans faire de distinction entre ces mêmes personnes. Quand nous disons : Le Père, le Fils et le Saint-Esprit, nous ne les nommons pas ensemble, quoique cependant ils ne puissent pas n’être pas ensemble. Quant à ce que Jésus ajoute : « Il vous rappellera », nous devons aussi comprendre par là qu’il nous est enjoint de ne pas oublier que ses salutaires enseignements touchent à la grâce, et que la grâce nous rappelle l’Esprit-Saint.

3. « Je vous laisse la paix », continue Jésus, « je vous donne ma paix ». C’est là cette paix par-dessus la paix dont nous parle le Prophète : au moment de partir, il nous laisse la paix ; quand il viendra à la fin des temps, il nous donnera sa paix. Il nous laisse la paix dans ce monde, il nous donnera sa paix dans l’autre vie ; il nous laisse la paix avec laquelle, tant que nous la conservons, nous triomphons de l’ennemi ; il nous donnera sa paix, quand nous régnerons sans craindre désormais l’ennemi. Il nous laisse la paix, afin qu’ici-bas nous nous aimions les uns les autres ; il nous donnera sa paix, quand nous ne pourrons plus avoir de dissentiment les uns avec les autres ; il nous laisse la paix, afin que nous ne jugions pas réciproquement de nos intentions cachées, tant que nous sommes en ce monde ; il nous donnera sa paix, lorsqu’il manifestera les pensées des cœurs, et alors chacun recevra de Dieu la louange qui lui est due ck. Mais c’est toujours en lui et par lui que nous avons la paix ; qu’il s’agisse de celle qu’il nous laisse avant d’aller à son Père, ou qu’il soit question de celle qu’il nous donnera en nous conduisant à son Père, peu importe. Mais, en allant à son Père, nous laisse-t-il autre chose que lui-même, puisqu’il ne s’éloigne pas de nous ? Il est lui-même notre paix, car de deux peuples il n’en a fait qu’un cl. Il est donc lui-même la paix, et quand par la foi nous croyons qu’il est, et quand nous le voyons tel qu’il est cm. Si, en effet, tandis que nous sommes dans un corps corruptible qui appesantit l’âme, que nous marchons par la foi et non par l’évidence, il ne nous abandonne pas dans notre pèlerinage loin de lui cn, combien moins nous abandonnera-t-il, quand nous serons arrivés à l’évidence elle-même ! Combien plus nous remplira-t-il de lui-même !

4. Mais pourquoi, lorsqu’il a dit : « Je vous laisse la paix », n’a-t-il pas ajouté : « la mienne ? » Et quand il a dit : « Je vous donne », a-t-il ajouté : « ma paix ? » Faut-il sous-entendre le mot « ma » où il n’a pas été dit, et parce qu’il est employé à l’un des deux endroits, se rapporte-t-il aussi à l’autre ? N’y a-t-il pas là quelque chose à lui demander et à rechercher ? Ne devons-nous pas frapper afin qu’il nous ouvre ? Par cette paix qu’il déclare être la sienne, n’a-t-il pas voulu désigner celle qu’il possède lui-même ; et la paix qu’il nous laisse en ce monde n’est-elle pas plutôt la nôtre que la sienne ? Il ne rencontre, en effet, en lui-même aucune opposition au bien, celui qui n’est pas sujet à commettre le péché ; pour nous, notre paix est de telle nature que nous devons dire encore : « Pardonnez-nous nos offenses co ». Nous avons donc une certaine paix, parce que nous nous réjouissons dans la loi de Dieu selon l’homme intérieur ; mais cette paix n’est pas entière. Car nous sentons dans nos membres une autre loi qui combat contre la loi de notre esprit cp. De même la paix se trouve entre nous, parce que nous avons une confiance mutuelle, que nous nous aimons les uns les autres, mais cette paix n’est pas entière, parce que nous ne voyons pas mutuellement les pensées de notre cœur, et certaines choses qui nous concernent et sont en nous, nous les jugeons ou en bien ou en mal. Aussi, et quoiqu’elle nous ait été laissée par Jésus-Christ, cette paix est la nôtre ; et même, telle qu’elle est, nous ne l’aurions pas sans lui. Quant à lui, il ne possède point une paix pareille à la nôtre. Si nous la conservons jusqu’à la fin telle que nous l’avons reçue, il la rendra semblable à la sienne : alors nous ne sentirons plus en nous aucun combat, et dans les cœurs les uns des autres, rien ne nous sera plus caché. Je ne l’ignore pas : on peut entendre ces paroles du Seigneur en ce sens qu’il répéterait deux fois la même chose : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix » ; par conséquent, après avoir dit : « la paix », il se répéterait en disant « ma paix » ; et après vous avoir dit : « je vous laisse », il se répéterait encore en disant : « je vous donne ». Que chacun l’entende comme il lui plaira ; pour moi, j’aime et je crois que vous aimez aussi, mes bien chers frères, à considérer cette paix comme celle qui nous fait vaincre l’ennemi avec ensemble, et désirer cette autre paix au sein de laquelle nous n’aurons plus d’ennemi.

5. Quant à ce que le Seigneur ajoute « Je ne vous la donne pas, comme le monde la donne », quel est le sens de ces paroles ? Le voici : je ne vous la donne pas comme la donnent les hommes qui aiment le monde. Ceux-là, en effet, se donnent la paix, afin que, débarrassés des soucis, des procès et des guerres, ils jouissent, non pas de Dieu, mais du monde qui possède leurs affections ; et quand ils donnent la paix aux justes, en cessant de les persécuter, ce n’est pas une paix véritable, car il n’y a pas de véritable accord où les cœurs sont désunis. On appelle consorts, ceux qui unissent leurs sorts ; ceux qui unissent leurs cœurs, doivent donc de même s’appeler concords. Pour nous, mes très-chers frères, Jésus-Christ nous laisse la paix et nous donne sa paix, non pas comme la donne le monde, mais comme la donne celui par qui a été fait le monde ; il nous la donne, afin que nous soyons tous d’accord, que nous soyons unis de cœur et que, n’ayant plus qu’un seul cœur, nous l’élevions en haut et ne le laissions pas se corrompre sur la terre.

SOIXANTE-DIX-HUITIÈME TRAITÉ.

SUR CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR : « QUE VOTRE CŒUR NE SOIT POINT TROUBLÉ ET NE CRAIGNE POINT, ETC. » (Chap 14,27-28.)

JÉSUS-CHRIST, DIEU ET HOMME.

Les Apôtres se troublaient de voir le Sauveur s’éloigner d’eux ; mais il les console en leur rappelant que, s’il les quitte, ce n’est pas comme Dieu, et que, en qualité d’homme, il va être glorifié pat son Père. Si donc ils l’aiment, ils doivent plutôt se réjouir que se contrister

1. Nous venons d’entendre, mes frères, ces paroles que Notre-Seigneur adresse à ses disciples : « Que votre cœur ne soit point troublé « et qu’il ne craigne point. Vous avez entendu que je vous ai dit : Je m’en vais et je viens à vous ; si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais à mon Père, parce que le Père est plus grand que moi ». Bien qu’il leur fît la promesse de revenir à eux ; dès lors qu’il s’éloignait d’eux, leur cœur pouvait se troubler et craindre que pendant l’absence du pasteur le loup vînt ravager le troupeau. Mais ceux dont l’homme s’éloignait, le Dieu ne les quittait pas. Or, Jésus-Christ est, tout ensemble, Dieu et homme ; il s’en allait donc en tant qu’homme, mais il restait en tant que Dieu. Il s’en allait par ce qui, en lui, n’était qu’en un seul lieu : il restait par ce qui, de lui, se trouvait partout. Pourquoi donc leur cœur se troublait-il et craignait-il, au moment où Jésus se dérobait à leurs yeux, sans néanmoins quitter leur cœur ? Dieu ne peut être contenu dans un lieu ; pourtant il se retire du cœur de ceux qui s’éloignent de lui ; il se retire, Don par le mouvement des pieds, mais par l’effet de leurs mœurs, et il vient vers ceux qui se tournent vers lui, non par le visage, mais par la foi, et qui s’approchent de lui, non par le corps, mais par l’esprit. Pour leur faire comprendre que, quand il disait : « Je m’en vais et je viens à vous », il parlait en tant qu’homme, il ajoute aussitôt : « Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais à mon Père, parce que mon Père est plus grand que moi ». Donc le Fils doit aller au Père par ce en quoi il ne lui est pas égal, et il en viendra de même pour juger les vivants et les morts ; mais en tant que le Fils unique est égal à celui qui l’engendre, il ne s’éloigne pas du Père ; il est tout entier partout avec lui, puisqu’il est Dieu comme lui, et qu’il ne se trouve pas plus que lui circonscrit dans l’espace. Car, comme dit l’Apôtre, a ayant la forme de Dieu, « il n’a pas regardé comme une usurpation a d’être égal à Dieu ». Comment, en effet, aurait-il pu dérober cette nature qu’il avait, non point par usurpation, mais par naissance ? « Il s’est anéanti lui-même, en prenant la forme d’esclave cq ». Non pas qu’il ait perdu la première nature, mais parce qu’il s’est revêtu de la seconde. En s’anéantissant ainsi, il paraissait ici-bas plus petit qu’il n’était auprès du Père. La forme d’esclave est survenue, mais la forme de Dieu ne s’est pas retirée ; il a pris l’une sans perdre l’autre. À cause de sa nature d’esclave il dit : « Le Père est plus grand que moi » ; en raison de sa nature divine, il dit : « Le Père et moi nous sommes un cr ».

2. Que l’Arien y fasse attention, et que cette attention le guérisse de ses contentions vaines et, qui pis est, insensées. C’est par cette forme d’esclave que le Fils de Dieu est plus petit non seulement que le Père, mais aussi que l’Esprit-Saint ; j’ajouterai encore qu’il est plus petit que lui-même. Car dans la forme de Dieu il est plus grand que lui-même. En effet, Jésus-Christ homme est appelé le Fils de Dieu, puisque sa chair toute seule dans le sépulcre a mérité d’être ainsi appelée. Confessons-nous autre chose, lorsque nous disons que nous croyons au Fils unique de Dieu, qui a été crucifié sous Ponce-Pilate et enseveli ? N’est-ce point sa chair, sans son âme, qui a été ensevelie ? Ainsi, quand nous croyons au Fils de Dieu qui a été enseveli, évidemment nous donnons le nom de Fils de Dieu à sa chair qui seule a été ensevelie. Par conséquent, Jésus-Christ le Fils de Dieu, égal à son Père dans sa forme de Dieu, est plus grand que lui-même, parce qu’il s’est anéanti, non en perdant la forme de Dieu, mais en prenant la forme d’esclave. En effet, la forme de Dieu, qu’il n’a pas perdue, est plus grande que la forme d’esclave qu’il a prise. Y a-t-il donc rien d’étonnant ou d’indigne de lui, si, en parlant dans le sens de cette forme d’esclave, le Fils de Dieu a dit : « Le Père est plus grand que moi », et si, en parlant dans la forme de Dieu, ce même Fils de Dieu a dit encore « Le Père et moi nous sommes un ? » Ils sont un en ce sens que le « Verbe est Dieu » ; le Père est plus grand en ce sens que « le Verbe s’est « fait chair cs ». J’ajouterai même, ce que ne pourront nier ni les Ariens ni les Eunomiens, selon cette forme d’esclave Jésus-Christ enfant était plus petit que ses parents, lorsque étant enfant, comme il est écrit, « il leur était soumis ct ». O hérétique, Jésus-Christ étant Dieu et homme, pourquoi, s’il parle comme homme, calomniez-vous le Dieu ? En lui se trouve la nature humaine ; il en donne la preuve, et tu oses, à cause de cela, ravaler sa nature divine ? Infidèle, ingrat, oses-tu bien’ diminuer celui qui t’a créé, parce qu’il te fait connaître ce qu’il est devenu à cause de toi ? En effet, le Fils de Dieu, par qui l’homme a été fait, était l’égal du Père, et néanmoins il s’est fait homme pour devenir plus petit que le Père ; sans cela que serait l’homme ?

3. Que notre Seigneur et Maître dise donc ouvertement : « Si vous m’aimiez, assurément vous vous réjouiriez de ce que je vais au Père, parce que le Père est plus grand que moi ». Écoutons avec les disciples les paroles du Maître, ne prenons pas pour guide, comme les étrangers, la perfidie du séducteur : reconnaissons la double substance de Jésus-Christ, la substance divine par laquelle il est égal au Père, et la substance humaine par laquelle le Père est plus grand que lui ; reconnaissons également que ces deux natures font non pas deux personnes, mais un seul Christ ; autrement nous ferions de Dieu une quaternité, et non pas une trinité. De même que l’âme raisonnable et le corps ne font qu’un seul homme, de même Dieu et l’homme ne sont qu’un seul Christ, et ainsi Jésus-Christ est-il en même temps Dieu, âme raisonnable et corps : nous confessons Jésus-Christ sous tous ces rapports, nous le confessons sous chacun d’eux ; par qui donc le monde a-t-il été fait ? Par Jésus-Christ, mais par Jésus-Christ dans sa forme de Dieu. Qui a été crucifié sous Ponce-Pilate ? C’est Jésus-Christ, mais Jésus-Christ dans sa forme d’esclave. Ainsi en est-il de chaque partie dont en lui se compose l’homme. Qui est-ce qui n’a pas été laissé dans les enfers ? Jésus-Christ, mais Jésus-Christ dans son âme seule. Qui est-ce qui à été renfermé trois jours dans le sépulcre avant de ressusciter ? Jésus-Christ, mais Jésus-Christ dans sa chair seulement. Chacune de ces parties est appelée Jésus-Christ, et leur ensemble ne forme pas deux ni trois Jésus-Christ, mais un seul Jésus-Christ. C’est pourquoi il dit : « Si vous m’aimiez, assurément vous vous réjouiriez de ce que je vais à mon Père » ; car il faut féliciter la nature humaine qui a été prise par le Verbe Fils unique de Dieu, d’être devenue immortelle dans le ciel, et, de terre qu’elle était, d’avoir été élevée si haut, qu’elle est devenue incorruptible et s’est assise à la droite du Père. C’est en ce sens que Notre-Seigneur annonce qu’il doit aller au Père ; il est évident qu’il allait à lui en tant qu’il était toujours avec lui. Mais c’était véritablement aller avec lui et s’éloigner de nous, que de changer et de rendre immortel ce corps mortel qu’il avait emprunté à notre nature, et d’élever jusqu’au ciel ce par quoi il était descendu pour nous sur la terre. Qui ne se réjouirait, s’il aime Jésus-Christ, de voir sa nature déjà immortalisée en Jésus-Christ, et de pouvoir espérer que Jésus-Christ le rendra lui-même immortel ?

SOIXANTE-DIX-NEUVIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CES PAROLES : « ET MAINTENANT JE VOUS L’AI DIT AVANT QUE CELA ARRIVE, ETC, JUSQU’A CES AUTRES : « LEVEZ-VOUS, SORTONS D’ICI ». (Ch 14, 29-31.)

PROPHÉTIE DU CHRIST, SOURCE DE FOI.

Le Sauveur, voulant prémunir ses Apôtres contre le scandale de sa passion et corroborer leur foi, leur avait prédit ce qui devait lui arriver de la part du démon, quoiqu’il ne fût pas soumis à sa puissance en raison de son impeccabilité, mais par la volonté du Père.

1. Notre-Seigneur et Sauveur Jésus-Christ avait dit à ses disciples : « Si vous m’aimiez, a assurément vous vous réjouiriez de ce que je vais au Père, parce que le Père est plus grand que moi ». Dans ce passage, il parlait de la forme d’esclave, et non pas de la forme de Dieu ; car par celle-ci il est égal à son Père ; la foi nous l’apprend ; j’entends la foi gravée dans les âmes religieuses, et non pas celle qu’ont inventée des esprits menteurs et insensés. Ensuite il ajoute : « Et je vous l’ai dit amaintenant avant que cela arrive, afin que vous le croyiez lorsqu’il sera arrivé ». Qu’est-ce que cela signifie ? Ce que l’homme doit croire, ne doit-il pas le croire avant l’événement ? Et tout le mérite de la foi ne consiste-t-il point à croire ce qu’on ne voit pas ? Est-ce chose extraordiaire de croire ce que l’on voit ; et Notre-Seigneur n’a-t-il pas, précisément à cause de cela, adressé à son disciple ce reproche : « Parce que tu as vu, tu as cru ; bienheureux ceux qui ne voient pas et qui croient cu ? ». Et je ne sais si l’on peut dire qu’un homme croit ce qu’il voit ; car dans l’Épître adressée aux Hébreux, la foi est ainsi définie : « La foi est la substance des choses que nous devons espérer, et la preuve de celles que nous ne voyons pas cv » C’est pourquoi, si la foi a pour objet et les choses que l’on croit, et celles qui ne se voient point, qu’est-ce que le Sauveur entend dire par ces mots : « Et maintenant je vous ai dit cette chose avant qu’elle arrive, afin que, lorsqu’elle sera arrivée, vous croyiez ». N’aurait-il pas dû dire plutôt : Et maintenant je vous dis ceci avant qu’il arrive, afin que vous croyiez ce que vous verrez quand il sera arrivé ? Car celui à qui il a été dit : « Parce que tu as vu, tu as cru », n’a pas cru ce qu’il a vu ; autre chose est ce qu’il a vu, autre chose est ce qu’il a cru. Il a vu l’homme, il a cru le Dieu. En effet, il touchait et voyait vivant un corps qu’il avait vu mourir ; et il croyait le Dieu caché dans ce même corps. Il croyait donc dans son âme ce qu’il ne voyait pas, et il était amené à cette foi par la vue de ce qui apparaissait à ses sens. Mais quand même on pourrait dire qu’on croit les choses que l’on voit, ainsi qu’il nous arrive de dire : J’en crois à mes propres yeux, ce n’est cependant pas là cette foi qui est édifiée en nous. Car par les choses que nous voyons nous sommes amenés à croire ce que nous ne voyons pas. C’est pourquoi, mes très-chers frères, ces paroles de Notre-Seigneur dont je vous entretiens maintenant : « Et je vous le dis maintenant avant qu’il arrive, afin que vous le croyiez lorsqu’il sera arrivé » ; ces paroles : « lorsqu’il sera arrivé », signifiaient qu’après sa mort ils le verraient vivant et montant vers le Père, et qu’à cette vue ils croiraient qu’il était bien le Christ Fils du Dieu vivant, puisqu’il aurait pu faire de telles choses après les avoir prédites, et les prédire avant de les faire ; ils devaient le croire non pas d’une foi nouvelle, mais d’une foi augmentée ; non pas d’une foi que sa mort devait affaiblir, mais que sa résurrection devait réparer. Sans doute, auparavant ils ne le croyaient pas Fils de Dieu ; mais quand arriva en lui ce qu’il avait prédit d’avance, cette foi si faible, lorsqu’il leur parlait, et presque nulle au moment de sa mort, revint à la vie et s’accrut.

2. Que dit-il ensuite ? « Désormais je ne vous parlerai plus guère, car voici venir le prince de ce monde ». Quel est ce prince, sinon le diable ? « Et en moi il n’a aucune chose », c’est-à-dire, absolument aucun péché. Il nous montre, par là, que le diable est le prince, non des créatures, mais des pécheurs, qu’il désigne en cet endroit sous le nom de ce monde. Et toutes les fois que le nom de monde est pris en mauvaise part, il ne désigne que ceux qui aiment ce monde dont il est dit ailleurs : « Quiconque voudra être ami de ce monde, se rendra ennemi de Dieu cw ». Gardons-nous donc de croire que lorsque le diable est appelé prince de ce monde, cela signifie qu’il a un empire absolu sur le monde entier, c’est-à-dire sur le ciel et la terre et tout ce qu’ils renferment de ce monde. Jean a dit, en parlant de Jésus-Christ, Verbe de Dieu : « Et le monde a été fait par lui cx ». Le monde tout entier, depuis le plus haut des cieux jusqu’aux plus profonds abîmes de la terre, est soumis au Créateur et non à l’ange déserteur ; au Rédempteur et non au destructeur ; au Libérateur, et non au despote ; au Docteur, et non au séducteur. En quel sens devons-nous entendre que le diable est le prince de ce monde ? c’est ce que nous montre clairement l’apôtre Paul. Après avoir dit : « Nous n’avons pas à combattre contre la chair et le sang », c’est-à-dire contre des hommes, il ajoute aussitôt : « Mais contre les principautés et les puissances, et les gouverneurs du monde de ces ténèbres cy » ; il explique ce qu’il entend par le mot « monde » en ajoutant : « de ces ténèbres » ; pour nous empêcher de penser que par ce mot « monde », il voulait désigner toute la création, dont les anges déserteurs ne sont aucunement les maîtres, l’Apôtre dit : « De ces ténèbres », c’est-à-dire des amateurs de ce monde. Parmi eux cependant ont été choisis, non pour leur mérite, mais par la grâce de Dieu, ceux à qui il est dit : « Vous avez été autrefois ténèbres ; mais vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur cz ». Tous les hommes, en effet, ont été sous la puissance des gouverneurs de ces ténèbres, c’est-à-dire des hommes impies, comme des ténèbres sous d’autres ténèbres. « Mais grâces soient rendues à « Dieu, qui nous a », comme dit le même Apôtre, « arrachés à la puissance des ténèbres et transportés dans le royaume du Fils de son amour da », en qui le prince de ce monde, c’est-à-dire de ces ténèbres, n’avait aucune chose. Car Dieu n’était pas venu avec le péché, et sa chair enfantée par une Vierge n’avait aucune part au péché d’origine. Comme on aurait pu lui dire : Pourquoi donc mourez-vous, si vous n’avez pas de péché, puisque la mort est la punition du péché ? Notre-Seigneur ajoute aussitôt : « Mais afin que le monde connaisse que j’aime le Père, et que je fais ainsi que le Père m’a ordonné, levez-vous, sortons d’ici ». Il était encore assis à table avec ses disciples, lorsqu’il parlait ainsi. Et quand il dit : « Sortons », n’était-ce pas pour se rendre à l’endroit où il devait être livré à la mort ? Il n’y avait rien en lui qui méritât la mort ; mais son Père lui commandait de mourir, car il était Celui dont il était prédit : « Ce que je ne devais pas, je l’ai payé db ». En effet, il allait payer à la mort ce qu’il ne lui devait pas, et cela pour nous racheter de la mort qui nous était due. Adam avait dérobé le péché quand, aveuglé par la présomption, il porta la main à l’arbre pour s’emparer du nom incommunicable de la divinité qui ne lui était pas due, mais que la nature et non l’usurpation avait accordée au Fils de Dieu.
Copyright information for FreAug