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afHab 11, 4 ; Rom 1, 17
 
 
axIsa 45, 11, suiv. les Septante
beSag 9, 15
bwId 2, 6, 13-14
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flSir 33, 15
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‏ John 16

QUATRE-VINGT-TREIZIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CES LES DE NOTRE-SEIGNEUR : « JE VOUS AI DIT CES CHOSES, AFIN QUE VOUS NE SOYEZ POINT SCANDALISÉS », JUSQU’À CES AUTRES : « MAIS JE VOUS AI DIT CES CHOSES, AFIN QUE, QUAND LEUR HEURE SERA VENUE, VOUS VOUS SOUVENIEZ QUE JE VOUS LES AI DITES ». (Chap 16,1-4.)

PRÉDICTION DE MALHEURS.

Jésus-Christ ne voulait pas voir ses Apôtres exposés, sans préparation, aux épreuves qui les attendaient : aussi, pour les préserver de tout scandale, il leur annonce qu’on les chassera des synagogues, qu’on ira jusqu’à les faire mourir : tant seront grands les succès de leur ministère ! et que quiconque les tuera croira encore travailler à la gloire de Dieu.

1. Dans ce qui précède ce chapitre de notre Évangile, le Seigneur voulait confirmer ses disciples dans la disposition de supporter la haine de leurs ennemis. Il les y préparait en leur proposant son exemple : en l’imitant ils devaient devenir plus forts ; il y ajoutait la promesse du Saint-Esprit qui devait venir et rendre témoignage de lui ; enfin il leur annonçait qu’ils lui rendraient eux-mêmes témoignage sous l’influence du Saint-Esprit. Voici ce qu’il dit : « Il rendra témoignage de moi, et vous aussi vous en rendrez témoignage ». Assurément, c’est parce que le Saint-Esprit rendra témoignage, que vous rendrez témoignage vous-mêmes. Il rendra témoignage dans vos cœurs, et vous, ce sera par vos paroles. Il vous inspirera, et vous, vous parlerez afin que puisse s’accomplir ce qui est dit : « Leur voix s’est répandue par « toute la terre a ». C’eût été peu de les encourager par son exemple, s’il ne les eût encore remplis de son esprit. L’Apôtre avait entendu ces paroles de Notre-Seigneur : « Le serviteur n’est pas plus grand que son maître ; s’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi b ». Et il en voyait déjà l’accomplissement, et si l’exemple avait pu suffire pour cela, il aurait dû imiter la patience de son Maître ; mais il succomba et lerenia, car il ne pouvait souffrir ce qu’il lui voyait souffrir lui-même. Mais quand il eut reçu le don du Saint-Esprit, il annonça celui qu’il avait renié, et Celui qu’il avait craint de reconnaître pour son Maître, il ne craignit pas de le proclamer tel. D’abord l’exemple du Christ l’avait instruit en lui montrant ce qu’il devait faire ; pourtant il n’avait pas encore reçu cette vertu qui devait le fortifier et lui faire exécuter ce qu’il savait ; il avait appris ce qu’il fallait pour rester debout, mais il n’avait pas encore été assez affermi pour ne pas tomber. Comme dans la suite il fut affermi par le Saint-Esprit, il prêcha jusqu’à la mort Celui qu’il avait renié par crainte de la mort. C’est pourquoi le Seigneur commence le chapitre dont j’ai maintenant à vous parler, par les paroles suivantes : « Je vous ai dit ces choses afin que vous ne soyez pas scandalisés ». Nous chantons en effet dans le psaume : « Paix profonde à ceux qui aiment votre loi ; rien n’ébranlera leur fidélité c ». C’est donc avec raison qu’après avoir promis à ses Apôtres le Saint-Esprit qui leur ferait rendre témoignage de lui, Jésus ajoute : « Je vous ai dit ces choses afin que vous ne soyez point scandalisés ». Quand la charité est répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné d, il se fait une grande paix, car alors nous aimons la loi de Dieu, et pour de telles gens il n’y a point de scandale possible.

2. Il leur annonce ensuite ce qu’ils doivent souffrir, et il leur dit : « Ils vous mettront hors des synagogues ». Quel malheur pour les Apôtres d’être chassés des synagogues juives, puisqu’ils s’en seraient eux-mêmes séparés, quand même personne ne les en eût chassés ? Le Seigneur voulait par là leur annoncer que les Juifs ne recevraient pas Jésus-Christ, dont ils ne devaient pas eux-mêmes se séparer ; ils devaient donc s’attendre à être chassés avec lui par ceux qui ne voulaient pas rester en lui, quoiqu’ils ne pussent rester sans lui. Comme il n’y avait point d’autre peuple de Dieu que cette postérité d’Abraham, s’ils avaient reconnu et reçu Jésus-Christ, ils auraient été entés sur lui comme des branches naturelles sont entées sur l’olivier franc e, et nous n’aurions pas vu, d’un côté les Églises du Christ, et de l’autre les synagogues des Juifs ; elles eussent été confondues ensemble, si elles avaient voulu se réunir en lui. Mais puisqu’elles ne l’ont pas voulu, que restait-il à attendre ? C’est que ceux qui demeuraient séparés de Jésus-Christ mettraient hors des synagogues ceux qui ne voulaient pas l’abandonner. Après avoir reçu le Saint-Esprit, les Apôtres rendirent donc témoignage à Jésus-Christ, et ainsi furent-ils bien éloignés de ressembler à ceux dont il est dit : « Plusieurs princes des Juifs crurent en lui ; mais par crainte des Juifs, ils n’osaient pas le confesser, de peur d’être chassés des synagogues ; « car ils aimèrent la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu f ». Ils crurent donc en lui, mais non pas comme l’entend Celui qui a dit : « Comment pouvez-vous croire, vous qui cherchez la gloire les uns des autres, et ne cherchez pas la gloire qui vient de Dieu seul g ? » Les disciples crurent donc en lui, remplis de l’Esprit-Saint, c’est-à-dire du don de la grâce de Dieu ; ils ne furent ni du nombre de ceux a qui, ignorant la justice a de Dieu, et voulant établir leur propre justice, ne sont pas soumis à celle de Dieu h » ; ni du nombre de ceux dont il est dit : « Ils « ont mieux aimé la gloire des hommes que « celle de Dieu ». C’est à eux que s’applique cette prophétie, puisqu’en eux elle se trouve accomplie : « Seigneur, ils marcheront dans la lumière de votre visage ; ils se réjouiront tout le jour en votre nom et ils seront a élevés dans votre justice, parce que c’est vous qui êtes la gloire de leur vertu i ». C’est donc avec raison qu’il leur dit : « Ils vous mettront hors des synagogues, ceux qui ont dit zèle pour Dieu, mais dont le zèle n’est pas selon la science » ; c’est pourquoi, « ignorant la justice de Dieu et voulant établir leur propre justice j, ils chassent ceux qui s’enorgueillissent non de leur propre justice, mais de la justice de Dieu et qui, chassés par les hommes, n’en rougissent nullement, parce que c’est Dieu lui-même qui est la gloire de leur vertu.

3. Enfin, ayant ainsi parlé, Jésus ajoute « Mais l’heure vient où quiconque vous fera mourir croira être agréable à Dieu : et ils vous feront ces choses, parce qu’ils n’ont connu ni mon Père, ni moi » ; c’est-à-dire, ils n’ont connu ni Dieu, ni son Fils, auquel ils croient se rendre agréables en vous mettant à mort. Le Seigneur ajoute ceci, pour consoler ses disciples de ce que les Juifs les chasseront de leurs synagogues. D’avance il leur annonce les maux qu’ils souffriront pour lui rendre témoignage : « Ils vous mettront hors des synagogues ». Et il ne dit pas : Et l’heure vient où quiconque vous tue croira obéir à Dieu ; que dit-il donc ? « Mais l’heure vient » : comme si par ces paroles il voulait leur annoncer une compensation à tous ces maux. Que signifient donc ces mots : « Ils vous mettront hors des synagogues ; mais l’heure vient ? » C’est comme s’il voulait leur dire : Ils vous disperseront, mais je vous réunirai ; ou bien : Ils vous disperseront, mais voici venir l’heure de votre joie. Et cependant, que veut dire cette parole : « Mais a l’heure vient n, qui semble leur promettre des consolations à la suite de leurs tribulations ? Ne semble-t-il pas qu’il eût dû employer cette expression démonstrative : Et l’heure vient ? Pourtant il ne dit pas : Et l’heure vient, quoiqu’en réalité il leur annonce tribulations sur tribulations, au lieu de leur prédire une consolation à titre de récompense pour leurs peines. Cette expulsion hors des synagogues devait-elle les troubler au point d’aimer mieux mourir que de vivre séparés de l’assemblée des Juifs ? Ah 1 qu’ils étaient loin de se laisser ainsi troubler, puisqu’ils recherchaient la gloire de Dieu, et non celle des hommes ! Que signifient donc ces mots : « Ils vous mettront hors des synagogues ; mais l’heure vient » ; quand il semble que Jésus aurait dû dire plutôt : Et l’heure vient, « où quiconque vous tuera croira rendre hommage à Dieu ? » Il ne dit pas non plus : Mais l’heure vient où ils vous tueront ; comme pour leur annoncer que la mort les consolerait de cette séparation, il dit : « Mais l’heure vient où quiconque vous fera mourir croira rendre hommage à Dieu ». Notre-Seigneur n’a pas voulu leur marquer et leur faire entendre autre chose que la joie qu’ils ressentiraient après avoir été chassés des assemblées des Juifs. Vous gagnerez tant de fidèles à Jésus-Christ, veut-il leur dire, qu’il ne leur suffira plus de vous chasser, il leur faudra vous faire mourir, de peur que par votre prédication vous ne convertissiez tout le inonde à Jésus-Christ, et que vous ne le détourniez de la pratique du judaïsme, qu’ils regardent comme la vérité divine. Car évidemment c’est des Juifs qu’il veut parler ici, comme c’est d’eux qu’il a dit : « Ils vous mettront hors des synagogues ». Sans doute, certains témoins, c’est-à-dire certains martyrs de Jésus-Christ ont été mis à mort par les païens. Mais, remarquez-le, ces païens, en les mettant à mort, croyaient rendre hommage non à Dieu, mais à leurs faux dieux. Or, ceux d’entre les Juifs qui mettaient à mort les prédicateurs de Jésus-Christ, croyaient rendre hommage à Dieu ; car ils s’imaginaient que c’était abandonner le Dieu d’Israël que se convertir à Jésus-Christ. Telle fut en effet la raison qui les poussa à faire mourir Jésus-Christ lui-même. Car ce sont eux qui ont prononcé ces paroles : « Vous voyez que tout le monde court après lui k ! Si nous le laissons faire, les Romains viendront et ils ruineront et notre ville et notre nation ». Caïphe n’a-t-il pas dit encore : « Il est avantageux qu’un seul homme meure pour le peuple, et que toute la nation ne périsse pas l ? » Dans ce discours, Notre-Seigneur encourageait donc ses disciples par son exemple en leur disant : « S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi m », et comme en me mettant à mort ils croiront rendre hommage à Dieu, il en sera de même pour vous.

4. Voici donc le sens de ces paroles : « Ils vous mettront hors des synagogues » ; mais n’ayez pas peur de vous trouver seuls ; car à peine séparés de leur assemblée, vous réunirez un si grand nombre d’hommes en mon nom, que craignant de voir leur temple désert et tous les sacrements de l’ancienne loi abandonnés, ils vous mettront à mort et, en répandant votre sang, ils croiront rendre hommage à Dieu. C’est là ce que l’Apôtre nous dit à leur sujet : « Ils ont le zèle de Dieu, mais leur zèle n’est pas selon la science n » ; car ils croient rendre hommage à Dieu en mettant à mort ses serviteurs. O égarement horrible ! Eh quoi ! pour plaire à Dieu tu fais mourir ceux qui lui plaisent et tu détruis par la mort le temple vivant de Dieu, dans la crainte de voir son temple de pierre abandonné ! O aveuglement exécrable ! Mais une partie d’Israël y est tombée, afin que la plénitude des nations entrât dans l’Église. Je dis une partie d’Israël, et non pas Israël tout entier ; car toutes les branches n’ont pas été brisées ; il n’y a eu de rompus que quelques rameaux à la place desquels a été greffé le sauvageon o. En effet, lorsque les disciples de Jésus-Christ furent remplis du Saint-Esprit, ils se mirent à parler toutes sortes de langues, lorsque par eux furent accomplis un grand nombre de miracles divins, et qu’ils répandirent partout la parole de Dieu, Jésus quoique crucifié fut tellement aimé que ses disciples, après avoir été chassés de l’assemblée des Juifs, réunirent même d’entre les Juifs une grande multitude, et ne craignirent pas d’être seuls p. Pour ceux qui restèrent réprouvés et aveugles, ayant le zèle de Dieu, mais non selon la science, ils croyaient rendre hommage à Dieu en faisant mourir ses Apôtres ; mais Celui qui était mort pour eux les rassemblait ; avant sa mort il les avait instruits de ce qui devait leur arriver, car il ne voulait pas que ces maux inattendus et imprévus pussent, malgré leur peu de durée, jeter le trouble dans leurs esprits ignorants et nullement préparés à pareille épreuve. Connues d’avance et endurées patiemment, ces tribulations devaient au contraire les conduire aux biens éternels. Que telle ait été la cause de cette prédiction, c’est ce que nous indique Notre-Seigneur quand il ajoute : « Mais je vous ai dit ces choses, afin que l’heure en étant venue, vous vous rappeliez que je vous les ai dites ». Heure de ténèbres, heure nocturne. « Mais le Seigneur qui a signalé sa miséricorde dans le jour, l’a encore signalée dans la nuit q » ; quand la nuit des Juifs a repoussé loin d’elle le jour des chrétiens sans pouvoir l’obscurcir, et qu’elle a fait mourir leurs corps sans être à même de plonger leur foi dans les ténèbres.

QUATRE-VINGT-QUATORZIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CES PAROLES DE JÉSUS : « MAIS JE NE VOUS AI PAS DIT CES CHOSES DÈS LE COMMANDEMENT, PARCE QUE J’ÉTAIS AVEC VOUS », JUSQU’A CES MOTS : « MAIS SI JE M’EN VAIS JE VOUS L’ENVERRAI ». (Chap 16,5-7.)

SERMON CXLIII. JÉSUS RETOURNANT AU CIEL r.

ANALYSE. – En expliquant le passage de l’Évangile où Notre-Seigneur représente comme utile au monde son retour au ciel, saint Augustin constate en quoi consiste l’utilité de ce retour. C’est que, dit-il, la foi est la vie du juste. Or en quittant la terre le Fils de Dieu exerce et développe la foi, et c’est ainsi que son absence même nous devient salutaire.

1. Le remède à toutes les blessures de l’âme, l’unique moyen donné aux hommes d’expier leurs péchés, c’est de croire au Christ : et nul absolument ne peut se purifier, soit du péché originel, contracté en Adam, en qui tous ont péché et sont devenus par nature enfants de colère s, soit des péchés personnels, commis ensuite pour n’avoir pas réprimé, mais pour avoir suivi en esclave la concupiscence de la chair en s’abandonnant aux crimes et aux infamies ; sans s’unir intimement au corps de ce Christ divin qui a été conçu sans aucun plaisir charnel, sans aucune délectation coupable, nourri sans péché dans le sein maternel, et exempt de toute faute et de toute parole artificieuse t. Croire en lui, effectivement, c’est devenir enfants de Dieu ; car on puise en Dieu une vie nouvelle en recevant la, grâce de l’adoption que communique la foi en Jésus-Christ notre Seigneur. Aussi, mes très-chers, c’est avec raison que ce même Sauveur et Seigneur ne parle ici que du péché dont le Saint-Esprit convainc le monde, et qui consiste à ne croire pas en lui. « Je vous dis la vérité, déclare-t-il, il vous est avantageux que je m’en aille, car si je ne m’en vais point, le Paraclet ne viendra pas à vous ; mais si je m’en vais, je vous l’enverrai. Et lorsqu’il sera venu, il convaincra le monde en ce qui touche le péché, et la justice, et le jugement : le péché, parce qu’on n’a pas cru en moi ; la justice, parce que je vais à mon Père et que vous ne me verrez plus ; et le jugement, parce que le prince de ce monde est déjà jugé. ».

2. Ainsi le seul péché dont il veut que soit convaincu le monde, c’est de n’avoir pas cru en lui. La foi en lui déliant tous les péchés, n’était-il pas juste de n’imputer d’autre péché que celui qui les mantient tous ? Depuis cette même foi faisant puiser en Dieu une vie divine et rendant enfants de Dieu, « puisqu’il a donné à ceux qui croient en lui de devenir les enfants du Seigneur u ; » croire au Fils de Dieu, c’est renoncer au péché dans la mesure de l’union contractée avec lui, et de la grâce d’adoption qui rend fils, héritiers de Dieu, et cohéritiers de Jésus-Christ. Aussi saint Jean dit-il : « Quiconque est né de Dieu ne pèche point v ; » et le péché reproché au monde est-il de ne pas croire en lui. C’est de ce même péché que le Sauveur disait encore : « Si je n’étais pas venu, ils n’auraient point de péché w. » N’avaient-ils pas, et en quantité innombrable, d’autres péchés ? Mais c’est qu’à l’avènement du Sauveur ils commirent, pour maintenir tous leurs autres péchés, le péché de ne croire pas en lui ; tandis que l’absence de ce péché dans ceux qui crurent, suffit pour effacer tous les autres. Aussi l’Apôtre Paul dit-il, et uniquement pour ce motif, que « tous ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu x ; » que ceux qui croiront en lui ne seront pas confondus y ; ce qui est d’ailleurs exprimé dans ce passage d’un psaume : « Approchez de lui, et vous serez éclairés, et sur votre visage ne sera point de confusion z. » Aussi bien, se glorifier en soi, c’est se condamner à la confusion, puisqu’on n’est point alors exempt de péchés, et l’on n’évitera la confusion qu’en se glorifiant dans le Seigneur, puisque « tous ont péché et ont besoin de se glorifier en Dieu. » C’est pour cela encore qu’en parlant de l’infidélité des Juifs le même Apôtre ne dit pas : Si quelques-uns d’entre eux ont péché, est-ce que leur péché rendra vaine la fidélité de Dieu Eh ! comment aurait-il pu dire : Si quelques-uns d’entre eux ont péché, après avoir dit expressément : « Puisque tous ont péché ? » Il dit, donc « Si quelques-uns d’entre eux n’ont pas cru, est-ce que leur infidélité rendra vaine la fidélité de Dieu aa ? » C’est parler de la manière la plus expresse du péché qui suffit pour empêcher la grâce de Dieu de remettre tous les autres ; et c’est bien de ce même péché que le monde est convaincu par la descente de l’Esprit-Saint, parla diffusion de la grâce dans l’âme des fidèles, comme l’enseigne le Seigneur dans ces paroles : « En ce qui touche le péché, parce qu’on n’a pas cru en moi. »

3. Mais il n’y aurait ni grand mérite ni glorieux bonheur à croire, si le Seigneur se montrait toujours aux regards de l’homme avec son corps ressuscité. Aussi la grande grâce accordée par l’Esprit-Saint aux croyants, a été d’éteindre en eux les passions charnelles et de les embraser de désirs tout spirituels pour les faire soupirer vers le Christ, devenu invisible pour eux à l’œil du corps. Voilà pourquoi le disciple qui avait juré de ne croire qu’autant qu’il aurait porté la main aux cicatrices du Sauveur, s’étant comme éveillé tout à coup après avoir touché son corps sacré, et s’étant écrié : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Jésus lui répondit : « Tu crois pour m’avoir vu ; heureux ceux qui n’ont pas vu et qui croient ab. » L’Esprit-Saint, l’Esprit consolateur rend donc heureux, lorsque voyant éloignée de nous cette nature de serviteur que le Christ a prise dans le sein de la Vierge, il élève le regard purifié de notre esprit vers cette nature divine elle-même qui a fait toujours de lui l’égal du Père, sans en excepter l’époque où il daigna se montrer aux hommes dans une chair mortelle. Aussi c’est sous l’impression de l’Esprit-Saint dont il était rempli que l’Apôtre disait : « Si nous avons connu le Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de la sorte ac. » C’est connaître en effet la chair même du Christ, non pas selon la chair mais selon l’esprit, que d’admettre la réalité vivante de sa résurrection, non point parce qu’on touche son corps avec curiosité, mais parce qu’on croit avec une pleine certitude. On ne dit pas alors dans son cœur : « Qui est monté au ciel ? c’est-à-dire pour en faire descendre le Christ ; ni : Qui est descendu dans l’abîme ? c’est-à-dire pour rappeler le Christ d’entre les morts. » On dit au contraire : « Près de toi, dans ta bouche même est la Parole », cette Parole est le Seigneur Jésus ; « et si tu crois dans ton cœur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, tu seras sauvé ; « car on croit de cœur pour la justification et on confesse de bouche pour le salut ad. » C’est ainsi, mes frères, que s’exprime l’Apôtre et qu’il exhale la sainte ivresse qu’il doit à l’Esprit-Saint.

4. Il est donc bien vrai que si le Saint-Esprit ne nous en faisait la grâce, nous n’aurions pas ce bonheur de croire sans voir. Par conséquent n’est-ce pas avec raison qu’il a été dit : « Il vous est avantageux que je m’en aille ; car si je ne m’en vais, le Consolateur ne viendra pas à vous, au lieu que je vous l’enverrai si je m’en vais. » Le Sauveur sans doute est toujours avec nous dans sa nature divine ; si cependant il n’éloignait de nous son corps, toujours nous le verrions sensiblement et nous ne pourrions croire en lui d’une manière purement spirituelle ; cette foi néanmoins est nécessaire pour nous l’aire mériter de contempler avec un cœur pénétré de justice et comblé de bonheur, le Verbe même de Dieu dans le sein de son Père, ce Verbe-Dieu par qui tout a été fait et qui s’est fait chair pour habiter parmi nous. Mais si on croit de, cœur pour être justifié et non pas en touchant de la main, n’est-ce pas avec raison que notre justice est la condamnation de ce monde ; qui ne veut croire que ce qu’il voit ? Or, c’est pour nous communiquer cette justice de la foi qui sera la condamnation du monde incrédule, que le Seigneur disait : « À cause de la justice, car je vais à, mon Père et vous ne me verrez plus. » En d’autres termes Votre justice sera de croire en moi, votre Médiateur, en moi que vous saurez, avec une pleine certitude ; être remonté vers mon Père après ma résurrection, quoique vous ne me voyiez point d’une manière sensible ; et ainsi réconciliés par moi vous pourrez parvenir à voir Dieu spirituellement. Aussi une femme qui figurait l’Église étant tombée à ses pieds quand il fut ressuscité, Jésus lui dit : « Garde-toi de me toucher, puisque je ne suis point encore remonté vers mon Père ae. » Paroles mystérieuses dont le sens est celui-ci : Garde-toi d’avoir en moi une foi charnelle en l’appuyant sur le contact corporel ; tu auras en moi une foi spirituelle lorsqu’après mon retour vers mon Père tu ne me toucheras plus que spirituellement. Heureux en effet ceux qui croient sans voir, et c’est en cela que consiste la justice de la foi. Or, comme le monde ne l’a pas et que nous l’avons, le juste vivant de la foi af, nous servons à le condamner. Ainsi donc, soit pour exprimer qu’en ressuscitant avec Jésus-Christ et qu’en montant avec lui vers son Père nous perfectionnons en nous l’invisible justice ; soit pour signifier que croyant sans voir ; nous vivons de la foi, comme il est écrit du juste, le Sauveur a dit : « À cause de la justice, car je vais à mon Père, et vous ne me verrez plus. »

5. Que le monde, pour s’excuser de ne pas croire au Christ, ne prétexte pas que le démon l’en empêche. Pour ceux qui croient en effet le prince du monde est banni ag, et il ne saurait plus agir dans les cœurs des hommes dont le Christ s’est rendu maître par la foi, comme il agit sur les fils de la défiance ah, qu’il pousse trop souvent à tenter et à tourmenter les justes. Car puisqu’il est banni du cœur, lui qui y régnait en tyran, il ne peut plus qu’attaquer par l’extérieur ; et quoique le Seigneur se serve de ses persécutions mêmes pour avancer les humbles dans la justice ai ; par le fait de son bannissement du cœur, il est jugé. Or ce jugement sert encore à la condamnation du monde. Comment en effet le monde qui refuse de croire au Christ serait-il autorisé à se plaindre du démon, puisque, depuis qu’il est jugé, c’est-à-dire banni et réduit, pour nous exercer à la vertu, à nous attaquer en dehors seulement, le démon est vaincu, non seulement par des hommes, mais par des femmes, par des enfants et de jeunes filles couvertes aussi de la gloire du martyre ? Et par qui ceux-ci l’ont-ils vaincu, sinon par Celui à qui ils ont donné leur foi ; par celui qu’ils ont aimé sans le voir et dont l’empire en s’établissant dans leurs cœurs a renversé l’affreuse domination qui les tenait sous le joug ? Comme tout cela est dû à la grâce, c’est-à-dire au Saint-Esprit, on comprend pourquoi c’est l’Esprit-Saint qui accuse le monde « à cause du péché », puisque le monde ne croit pas au Christ ; « à cause de la justice », puisque ceux qui avaient bonne volonté ont cru en lui tout en ne le voyant pas, et espéré de parvenir aussi, par la vertu de sa résurrection, à une résurrection pleine ; « à cause enfin du jugement », attendu que si les mondains voulaient croire à leur tour, nul ne les empêcherait, « puisque le prince de ce monde est déjà jugé. »

SERMON CXLIV. L’ESPRIT-SAINT CONDAMNANT LE MONDE aj.

ANALYSE. – L’Esprit-Saint condamne le monde, et cette condamnation repose sur trois motifs : 1° sur le péché que commet le monde en ne croyant pas au Christ et en demeurant ainsi sous le joug de toutes les iniquités dont le délivrerait la foi du Christ ; 2° sur la justice rendue au Fils de Dieu, ressuscité et glorifié par son Père, et pratiquée par les fidèles, ressuscités avec lui parla foi et avec lui élevés au ciel en quelque sorte ; 3° sur le jugement prononcé contre le démon, que la foi au Christ bannit du cœur et réduit u n’attaquer plus que parle dehors.

1. En promettant d’envoyer le Saint-Esprit, qu’il a effectivement envoyé, notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ disait, entre beaucoup d’autres choses : « Il condamnera le monde à cause du péché, à cause de la justice, et à cause du jugement. » Et avant de passer à un autre sujet, il daignait s’arrêter pour expliquer sa pensée plus clairement. « À cause du péché, disait-il, car on n’a pas cru en moi ; à cause de la justice, car je vais à mon Père ; à cause enfin du jugement, car le prince de ce monde est déjà jugé. » Ici donc s’élève en nous le désir de comprendre les questions suivantes : Les hommes ne pêchent-ils qu’en ne croyant pas au Christ et pourquoi le Sauveur semble-t-il dire que le Saint-Esprit ne condamnera le monde que pour ce seul péché ? N’est-il pas manifeste qu’il y a dans le inonde beaucoup d’autres péchés que celui-là, et pourquoi ce péché est-il le seul que doive reprocher lé Saint-Esprit ? Serait-ce parce que l’infidélité maintient l’empire de tous les péchés, tandis que la foi les efface tous, et Dieu pour ce motif imputerait-il principalement, uniquement même, le péché qui empêche la rémission de tous les autres ? En effet, c’est l’orgueil qui détourne l’homme de croire à un Dieu humilié ; et il est écrit : « Dieu résiste aux superbes, tandis qu’il donne sa grâce aux humbles ak. » Cette grâce est sans doute un don de Dieu. Or le Don suprême est l’Esprit-Saint ; aussi est-il une grâce, Il est grâce ; c’est-à-dire gratuitement donné ; parce que tous les hommes avaient péché et avaient besoin de la gloire de Dieu al, le péché étant entré dans le monde par un seul homme et par le péché la mort, dans la personne de celui en qui tous ont péché am. La grâce est ainsi donnée gratuitement ; elle n’est pas une récompense accordée après l’examen des mérites, elle est une faveur octroyée après le pardon des fautes.

2. Ainsi donc c’est à cause du péché que sont condamnés les infidèles, c’est-à-dire les esclaves du monde, désignés par ce terme de monde ; et : quand il est dit que l’Esprit-Saint « condamnera le monde à cause du péché », il n’est question que du péché commis par eux en ne croyant pas au Christ. Supprimez en effet ce péché d’infidélité, il n’en restera plus aucun, puisque le juste en vivant de la foi obtient la rémission de toutes ses iniquités. Mais il y a une différence importante entre croire le Christ et croire au Christ. Les démons effectivement croient le Christ et ne choient pas au Christ. Croire au Christ, c’est en même temps espérer en lui et d’aimer ; car avoir la foi sans l’espérance et sans la charité, c’est croire le Christ et non pas croire en lui. Or en croyant au Christ, on le reçoit, on s’unit à lui d’une certaine façon et l’on devient membre de son corps, ce qui ne peut se faire si la foi ne s’ajoute l’espérance et la charité.

3. Que signifient aussi ces autres paroles : « A cause de la justice, car je vais à mon Père ? » Et d’abord, puisque le monde est condamné à cause du péché, pourquoi l’est-il encore à cause de la justice ? Qu’y a-t-il dans la justice qui mérite condamnation ? Faut-il entendre que si le monde est condamné, c’est à cause de son péché propre et à cause de la justice du Christ ? Je ne vois pas d’autre sens à donner à ces paroles, d’autant plus que je lis : « A cause du péché, car on n’a pas cru cri moi ; à cause de la justice, car je vais à mon Père.» Ce sont les mondains qui n’ont pas cru et c’est lui qui va à son Père ; ainsi le péché est pour eux et la justice pour lui. Mais pourquoi ne montrer la justice que dans son retour vers son Père ? N’était-ce pas justice aussi quand il venait de Lui vers nous ? Ou bien son avènement parmi nous ne serait-il pas plutôt miséricorde et justice son retour vers son Père ?

4. Je crois donc, mes frères, qu’en face de l’étonnante profondeur des Écritures, quand il y a dans ses paroles quelque mystère utile à dévoiler, il est bon pour mériter de le découvrir avec fruit, que nous cherchions ensemble avec foi. Demandons-nous alors pourquoi le Sauveur met la justice à retourner vers son Père, et non pas à être venu d’auprès de Lui. Serait-ce parce que la miséricorde l’ayant fait descendre parmi nous, c’est la justice qui le reconduit vers Dieu ? Nous apprendrions alors que nous ne pouvons être parfaitement justes, si nous sommes négligents à faire miséricorde, à nous occuper des intérêts d’autrui et non pas seulement des nôtres. Aussi bien, après avoir rappelé ce devoir, l’Apôtre cite aussitôt l’exemple du Seigneur. Voici ses paroles : « Rien par esprit de contention, ni par vaine gloire, mais par humilité d’esprit, chacun croyant les autres au-dessus de soi, et ayant égard, non à ses propres intérêts, mais à ceux d’autrui. » Il ajoute immédiatement : « Ayez en vous les sentiments qu’avait en lui le Christ Jésus. Il avait la nature de Dieu et ne croyait pas que ce fût pour lui une usurpation que de s’égaler à Dieu. Cependant il s’est anéanti lui-même en prenant la nature de serviteur, ayant été fait semblable aux hommes et reconnu pour homme par les dehors ; il s’est humilié, étant devenu obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix. » Telle est la miséricorde qui l’a amené du ciel. Où est maintenant la justice qui le reconduit vers son Père ? Continuons à lire : « C’est pourquoi Dieu l’a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse que le Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu le Père an. » Telle est la justice qui le reconduit vers son Père.

5. Mais s’il retourne seul vers son Père, quel avantage y avons-nous ? Comment le Saint Esprit peut-il condamner le monde à propos de cette justice ? D’un autre côté, s’il ne retournait pas seul vers son Père, il ne dirait pas ailleurs : « Nul ne monte au ciel que celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est dans le ciel ao. » Pourtant, l’Apôtre Paul dit encore «Car notre vie est dans les cieux ap. » Comment ? Le voici : « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, dit le même Apôtre, recherchez les choses d’en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu ; goûtez les choses d’en haut et non les choses de la terre ; car, vous êtes morts et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu aq. » Comment donc dire que le Christ y est seul monté ? Serait-ce parce que le Christ avec tous ses membres ne fait qu’un, comme la tête ne fait qu’un avec le corps ? Et quel est le corps du Christ, sinon l’Église ? « Vous êtes, dit le même Docteur des gentils, le corps du Christ et les membres d’un membre ar. » D’après cette interprétation, comme nous sommes tombés et que le Christ est descendu à cause de nous, ces mots : « Nul ne monte que celui qui est descendu », ne signifient-ils pas que personne ne peut parvenir au ciel qu’autant qu’il fait un avec lui et qu’il est comme un membre harmonieux de son corps ? C’est dans ce sens qu’il disait à ses disciples : « Sans moi vous ne pouvez rien faire as. » Car son union avec nous n’est pas la même que son union avec sont Père. Il est un avec son Père, parce que le Fils a la même nature que son Père ; il est un avec son Père, parce que « ayant la nature de Dieu, il n’a pas cru usurper en s’égalant à Dieu. » Mais il s’est fait un avec nous, parce qu’il s’est anéanti lui-même, prenant la nature de serviteur ; » il s’est fait un avec nous, en devenant ce rejeton d’Abraham en qui toutes les nations doivent être bénies. On sait qu’après avoir rappelé cette prophétie l’Apôtre observe ##Rem « Il n’est pas dit : Et aux rejetons, comme s’il y en avait plusieurs ; mais : Et à ton rejeton, comme s’il n’y en avait qu’un seul, et c’est le Christ. » Or, comme nous appartenons au Christ, comme nous lui sommes incorporés tous ensemble et unis étroitement comme à notre Chef, le Christ est réellement seul. Aussi l’Apôtre nous dit-il à nous-mêmes : « Vous êtes donc le rejeton d’Abraham, les héritiers selon la promesse at. » Mais, si Abraham n’a qu’un rejeton, si ce rejeton unique n’est que le Christ, et si nous sommes aussi nous-mêmes cet unique rejeton, ne s’ensuit-il pas que tous, et le Chef et le corps, nous ne formons qu’un Christ ?

6. C’est pourquoi nous ne devons pas nous considérer comme étrangers à cette justice dont parle le Seigneur en disant : « À cause de la justice, car je vais à mon Père. » Maintenant en effet nous sommes ressuscités avec le Christ notre chef et nous demeurons en lui par la foi et par l’espérance, en attendant que cette espérance se réalise à la future résurrection des morts. Or lorsque se réalisera notre espérance, notre justification se complétera aussi ; et avant de les compléter, le Seigneur montre dans son corps, dans notre Chef même, en ressuscitant et en remontant vers son Père, ce que nous devons espérer. Aussi est-il écrit : « Il a été livré à cause de nos péchés, et il est ressuscité pour notre justification au.» En résumé, le monde est condamné « à cause du péché », commis par ceux qui ne croient pas au Christ ; « à cause de la justice », pratiquée par ceux qui ressuscitent au nombre de ses membres ; et c’est pourquoi il est dit : « Afin que nous soyons en lui la justice de Dieu av ; » car si nous n’étions pas en lui, nous ne serions pas justice. Mais si nous sommes en lui, comme il remonte tout entier, il retourne avec nous vers son Père

IMPOSSIBILITÉ DE TOUT COMPRENDRE.

Jésus avait des choses à dire à ses Apôtres ; mais ils ne pouvaient encore les porter : était-ce parce qu’ils n’étaient pas encore assez courageux pour mourir en faveur de la foi ? Quelles étaient ces choses ? Nous n’en savons rien, et ce serait de notre part une impardonnable témérité de prétendre le deviner et le dire. Contentons-nous d’avoir en nous l’esprit de charité qui nous disposera, pour le jour de l’éternité, à voir Dieu face à face dans le ciel, et à contempler ce que nous ne pouvons porter maintenant.

1. Dans ce chapitre du saint Évangile, où le Seigneur dit à ses disciples : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant », la première question à examiner est celle-ci : Comment, après avoir dit plus haut : « Tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître aw », peut-il dire en cet endroit : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant ? » Comment il a pu parler de ce qu’il n’avait pas encore fait comme d’une chose faite, à la manière dont le Prophète témoigne que Dieu agit pour les choses à venir, lorsqu’il dit : « Il a fait les choses qui doivent arriver ax », c’est ce que nous vous avons exposé, comme nous avons pu, en expliquant ces paroles de Notre-Seigneur. Maintenant vous voulez, sans doute, savoir quelles sont ces choses que les Apôtres ne pouvaient pas encore porter. Mais qui de nous osera se dire capable de comprendre ce que les Apôtres ne pouvaient comprendre ? N’attendez donc pas de moi que je vous dise des choses que je ne comprendrais peut-être pas, si un autre me les disait ; et que vous ne pourriez comprendre vous-mêmes, lors même que je serais assez capable pour vous dire des choses aussi élevées au-dessus de vous. Sans doute, il peut se trouver parmi vous des personnes capables de comprendre ce que les autres ne peuvent pas saisir. Et si elles ne peuvent comprendre toutes les choses auxquelles le divin Maître faisait allusion quand il disait : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire » ; peut-être en comprendront-elles quelques-unes. Mais quelles sont ces choses que Notre-Seigneur n’a pas dites ? Il serait téméraire de vouloir les deviner et les dire. Les Apôtres n’étaient pas encore capables de mourir pour Jésus-Christ, au moment où il leur disait : « Vous ne pouvez me suivre maintenant ». Aussi le premier d’entre eux, Pierre, qui eut la présomption de croire qu’il le pouvait, fit tout le contraire de ce qu’il pensait ay ; et cependant, dans la suite, et des hommes et des femmes, et des enfants et des jeunes filles, des jeunes gens et des vierges, des vieillards et des adolescents innombrables ont reçu la couronne du martyre, et il s’est trouvé que les brebis ont pu ce que les pasteurs ne pouvaient pas porter, quand le Seigneur leur parlait ainsi. Fallait-il, au moment où ces brebis se trouvaient obligées de combattre jusqu’à la mort pour la vérité, et de répandre leur sang pour le nom et la doctrine de Jésus-Christ, fallait-il donc leur dire : Qui d’entre vous osera se croire propre au martyre, puisque Pierre n’en était pas encore capable, même lorsque le Christ l’instruisait de sa propre bouche ? Ainsi, me dira quelqu’un, aux fidèles chrétiens qui désirent savoir quelles sont ces choses dont le Seigneur disait alors : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant », il ne faut pas répondre : Si les Apôtres ne pouvaient pas les porter, encore moins le pouvez-vous ; car peut-être plusieurs pourront entendre ce que Pierre ne pouvait encore entendre ; de même que plusieurs peuvent souffrir le martyre, ce que Pierre ne pouvait pas encore souffrir : ils le pourront d’autant mieux que le Saint-Esprit est venu en eux, tandis qu’il n’avait pas encore été envoyé alors, et que Notre-Seigneur ajoute aussitôt : « Mais quand sera venu cet Esprit de vérité, il vous enseignera toute vérité ». Par là, en effet, il leur montrait que s’ils ne pouvaient porter ce qu’il avait à leur dire, c’est que l’Esprit-Saint n’était pas encore venu en eux.

2. Maintenant, le Saint-Esprit est descendu sur les fidèles ; donc accordons pour un instant qu’ils peuvent porter les choses que les disciples ne pouvaient porter, avant d’avoir reçu le Paraclet : en sommes-nous pour cela plus avancés ? En savons-nous mieux quelles sont ces choses que Notre-Seigneur n’a pas voulu dire ? Sans doute, nous les saurions s’il nous les avait dites, et si, par conséquent, nous les lisions ou les entendions lire. Car autre chose est de savoir si vous ou moi nous pouvons les porter ; autre chose est de savoir ce qu’elles sont, qu’elles puissent ou ne puissent pas être portées. Et comme Notre-Seigneur a gardé le silence, qui de nous pourra dire : C’est telle ou telle chose ? ou si quelqu’un ose le dire, comment le prouvera-t-il ? Qui est assez vain ou téméraire, quand il aurait dit des choses vraies à qui il aura voulu et comme il aura voulu, pour affirmer, sans s’appuyer sur aucun témoignage divin, que ce sont bien réellement les choses qu’alors le Seigneur a voulu taire ? Qui de nous osera agir ainsi ? Ne serait-ce pas nous rendre coupables d’une très-grande témérité, puisqu’en nous ne se trouve l’autorité ni des Prophètes, ni des Apôtres ? En effet, il ne nous suffirait pas de l’avoir lu dans les livres revêtus de l’autorité canonique, qui ont été écrits après l’ascension du Seigneur ; ce ne serait rien de l’avoir lu ; il y faudrait encore lire en même temps que c’est là une de ces choses que le Seigneur ne voulut pas alors dire à ses disciples, parce qu’ils ne pouvaient les porter. Prenons pour exemple ce que nous lisons au commencement de cet Évangile : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était a en Dieu, et le Verbe était Dieu ; il était au commencement en Dieu az » ; et ce qui suit. Ces paroles ont été écrites après sa mort ; il n’est pas dit que le Seigneur Jésus les ait prononcées pendant qu’il était sur cette terre ; mais un de ses Apôtres les a écrites sous l’inspiration du Saint-Esprit ; si je disais que ces paroles sont de celles que le Seigneur n’a pas voulu dire alors, parce que ses disciples ne pouvaient les porter, qui est-ce qui en écouterait parler avec une telle témérité ? Mais si l’Apôtre lui-même l’affirme en rapportant ces paroles, qui est-ce qui refuserait de croire à un témoignage pareil ?

3. Il est aussi, ce me semble, singulièrement absurde de dire que les disciples ne pouvaient alors porter ce que nous trouvons sur les choses invisibles et sublimes dans les lettres écrites par les Apôtres après l’Ascension, et dont il n’est pas rapporté que c’est le Seigneur qui les leur a apprises, pendant qu’il était avec eux. Pourquoi alors n’auraient-ils pas pu porter des choses que chacun peut lire dans leurs livres, que chacun peut porter, quand même il ne les comprendrait pas ? À la vérité, il y a, dans les saintes Écritures, plusieurs choses que les infidèles ne peuvent comprendre lorsqu’ils les lisent ou les entendent, et qu’ils ne peuvent porter lorsqu’ils les ont lues ou entendues. Ainsi les païens ne peuvent comprendre que le monde a été fait par un crucifié ; ainsi les Juifs ne comprennent pas que Celui qui n’observe pas le sabbat, comme eux, soit le Fils de Dieu ; ainsi les Sabelliens ne comprennent pas que la Trinité est Père, Fils et Saint-Esprit ; les Ariens, que le Fils est égal au Père, et le Saint-Esprit égal au Père et au Fils ; les Photiniens, que Jésus-Christ est non pas seulement un homme semblable à nous, mais encore Dieu égal à Dieu le Père ; les Manichéens, que Jésus-Christ, par qui doit s’opérer notre délivrance, a daigné naître de la chair et dans la chair ; et tous les autres hommes engagés dans des sectes perverses et différentes ne peuvent supporter tout ce qui, dans les saintes Écritures et dans la foi catholique, se trouve contraire à leurs erreurs : ainsi en est-il de nous ; nous ne pouvons supporter leurs vanités sacrilèges ni leurs folies mensongères. Qu’est-ce, en effet, que ne pouvoir porter une chose ? C’est ne pas la regarder d’une âme égale ! Mais tout ce qui, après l’ascension du Seigneur, a été écrit avec la vérité et l’autorité canonique, où est le fidèle, où est le catéchumène privé encore de l’Esprit-Saint, puisqu’il ne l’a pas encore reçu par le baptême, qui ne le lise ou ne l’entende lire avec plaisir ; bien qu’il ne le comprenne pas encore comme il faut ? Comment les Apôtres, même avant de recevoir le Saint-Esprit, n’auraient-ils pas pu porter quelqu’une des choses qui ont été écrites après l’ascension du Seigneur, puisque maintenant les catéchumènes les portent toutes, même avant de recevoir le Saint-Esprit ? Car, si on ne leur explique pas les mystères révélés aux fidèles, ce n’est point qu’ils ne puissent les porter ; mais en voilant ces mystères à leurs yeux et en les enveloppant d’un secret respectueux, on veut leur inspirer un désir plus ardent de les connaître.

4. C’est pourquoi, mes très-chers, ne vous attendez pas à ce que nous vous parlions des choses que le Seigneur n’a pas voulu alors dire à ses disciples, parce qu’ils ne pouvaient encore les porter ; avancez-vous plutôt dans « la charité répandue en vos cœurs par l’Esprit-Saint qui vous a été donné ba » ; par là, votre esprit se remplira de ferveur, votre cœur aimera les choses spirituelles ; ainsi pourrez-vous saisir cette lumière et cette voix spirituelles, que les hommes charnels ne peuvent supporter, qui ne brille nullement aux yeux du corps, qui ne fait entendre aucun bruit aux oreilles du corps, mais qui se manifeste à la vue et à l’ouïe intérieures de l’âme ; car on n’aime pas ce qu’on ignore entièrement. Mais comme on aime ce que l’on connaît même faiblement, l’amour fait qu’on en vient à connaître mieux et plus entièrement. Si donc vous faites des progrès dans la charité que l’Esprit-Saint répand dans vos cœurs, « il vous enseignera toute vérité » ; ou selon que portent d’autres textes, « il vous conduira dans toute vérité ». C’est pourquoi il a été dit : « Conduisez-moi, Seigneur, dans votre voie, et je marcherai dans votre vérité bb ». Et ainsi vous n’aurez point pour maîtres des personnes qui vous parlent extérieurement pour vous apprendre ce que le Seigneur n’a pas voulu dire alors ; Dieu lui-même vous instruira bc. De la sorte, tout ce que vos lectures et les discours dont vos oreilles ont retenti, vous ont appris, et tout ce que vous avez cru touchant la nature de Dieu, qui n’est ni corporelle, ni renfermée enun lieu, ni étendue comme une grande masse dans des espaces infinis, mais qui est tout entière partout et parfaite et infinie, vous pourrez vous en faire une idée, salis avoir recours ni à l’éclat des couleurs, ni aux figures formées par des lignes, ni aux sons des lettres, ni à une suite de syllabes ; vous pourrez le comprendre par l’intermédiaire seul de votre intelligence. Mais ce que je vous dis est peut-être du nombre des choses que le Christ n’a pas voulu dire à ses Apôtres, et cependant, vous l’avez reçu ; et non seulement vous avez pu le porter, mais vous l’avez entendu avec plaisir. Lorsqu’il parlait encore extérieurement à ses disciples, le Christ leur dit : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant » ; pourtant, si ce maître intérieur voulait nous dire ce que je viens de dire sur la nature incorporelle de Dieu, et nous le dire intérieurement comme il le dit aux saints anges, qui voient toujours la face du Père bd, nous ne pourrions pas encore le porter. Aussi, je ne pense pas que cette parole : « Il vous enseignera toute vérité », ou bien, « il vous conduira dans toute vérité », puisse s’accomplir en cette vie dans l’âme de chacun. (Car, quel homme vivant dans ce corps qui se corrompt et qui appesantit l’âme be, peut connaître toute vérité, puisque l’Apôtre nous dit : « Nous ne connaissons qu’en partie ? ») Mais par le Saint-Esprit, dont nous recevons le gage dès à présent bf, nous parviendrons un jour à la plénitude parfaite de la science dont nous parle le même Apôtre, lorsqu’il dit : « Mais alors nous verrons Dieu face à face », et encore : « Maintenant je ne le connais qu’en partie, mais alors je le connaîtrai comme je suis connu de lui bg ». Paul voulait dire qu’en cette vie nous ne savons pas tout ; c’est là un degré de perfection que le Seigneur nous a promis pour l’avenir, comme un effet de la charité de l’Esprit-Saint ; car il nous a dit : « Il vous enseignera toute vérité » ; ou bien : « Il vous conduira dans toute vérité ».

5. Cela étant, mes très-chers frères, je vous avertis, dans la charité de Jésus-Christ, d’éviter les séducteurs impurs et les sectes saturées de turpitude dont l’Apôtre dit : « Mais ce qu’ils font en secret, il est honteux de le dire bh ». Après vous avoir enseigné ces impuretés horribles, que les oreilles humaines, quelles qu’elles soient, ne peuvent souffrir, ils pourraient nous dire que ce sont les choses dont le Seigneur a dit : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant ». Ils seraient capables de prétendre que c’est par l’influence du Saint-Esprit qu’on peut supporter ces choses immondes et indicibles. Il y a des choses mauvaises que la pudeur humaine, toute petite soit-elle, ne peut supporter ; il y a aussi des choses bonnes que le sens humain ne peut porter, parce qu’il est écourté. Les premières se rencontrent dans les corps impudiques, les dernières se trouvent éloignées de toute espèce de corps : les unes sont commises par la chair impure, les autres sont à peine comprises par les purs esprits. « Renouvelez-vous donc dans l’esprit de votre âme bi, et comprenez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui est agréable, ce qui est parfait bj, afin qu’enracinés et fondés dans la charité, vous puissiez comprendre avec tous les saints quelle est la longueur, la largeur, la hauteur et la profondeur de ce mystère, et connaître aussi la charité de Jésus-Christ qui surpasse toute science, afin que vous soyez remplis de toute la plénitude de Dieu bk ». Le Saint-Esprit vous enseignera toute vérité, en répandant de plus en plus la charité dans vos cœurs.

QUATRE-VINGT-DIX-SEPTIÈME TRAITÉ.

SUR LA MÊME LEÇON.

SE DÉFIER DES FAUX DOCTEURS.

Qui est-ce qui peut comprendre Dieu ? Personne. Nous pouvons en approcher plus ou moins, mais nous ne le verrons tel qu’il est qu’au ciel. Par conséquent, mettons-nous en garde contre les discours de gens gâtés, qui n’en savent pas plus que nous et qui cherchent à porter atteinte à notre foi et à nos mœurs.

1. Le Sauveur promit à ses disciples de leur envoyer le Saint-Esprit : c’était lui qui devait leur enseigner toutes les vérités, même celles qu’ils ne pouvaient pas porter au moment où il leur parlait ; c’est de lui que l’Apôtre nous a dit que « nous en recevons maintenant les arrhes bl », pour nous faire comprendre que la plénitude nous en est réservée dans l’autre vie ; c’est ce même Esprit-Saint qui enseigne aux fidèles les choses spirituelles, autant que chacun peut les porter ; c’est lui qui enflamme leurs cœurs d’un plus vif désir, et leur fait faire des progrès dans cette charité qui fait aimer ce qu’on connaît, et désirer ce qu’on ne connaît pas assez ; néanmoins, ce que nous connaissons maintenant, n’importe à quel degré, nous devons savoir que nous ne le connaissons pas comme nous le connaîtrons dans cette vie que 1’œil n’a point vue, que l’oreille n’a point entendue et que le cœur de l’homme n’a point conçue bm. Si le maître intérieur voulait dès maintenant nous dire ces choses, comme nous les comprendrons plus tard, c’est-à-dire les découvrir et les montrer à notre âme, la faiblesse humaine ne pourrait les porter. Votre charité doit se rappeler ce que je vous ai dit, lorsque j’ai expliqué ces paroles que le Sauveur nous adresse dans le saint Évangile : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant ». Dans ces paroles du Seigneur nous ne devons pas soupçonner je ne sais quels secrets cachés que le maître aurait bien pu dire, mais que les disciples n’auraient pu porter ; nous devons y voir seulement ces vérités de la doctrine chrétienne, que tout le monde connaît, que nous lisons, que nous écrivons, que nous Écoutons et que nous répétons ; et ces vérités, si Jésus-Christ voulait nous les dire de la manière dont il les dit aux saints anges, en lui-même, Verbe unique du Père et coéternel au Père, personne ne pourrait les porter, fût-on spirituel autant que les Apôtres l’étaient peu, lorsque le Seigneur leur adressait ces paroles, et autant qu’ils le devinrent par l’effet de la descente du Saint-Esprit. Évidemment, tout ce qu’on peut savoir de la créature est au-dessous du Créateur lui-même ; car il est Dieu souverain, véritable et immuable. Or, qui est-ce qui tait son nom ? Ce nom ne se trouve-t-il point sur les lèvres de ceux qui lisent et de ceux qui disputent, de ceux qui interrogent et de ceux qui répondent, de ceux qui louent et de ceux qui chantent des cantiques ; en un mot, de tous ceux qui parlent et enfin même de ceux qui blasphèment ? Toutefois, quoique personne ne taise son nom, quel est celui qui le comprend comme il doit être compris, bien qu’il se rencontre dans la bouche et dans les oreilles de tous les hommes ? Quel est l’homme dont l’esprit, même en ce qu’il a de plus pénétrant, puisse en approcher ? Où est l’homme capable de savoir qu’il est Trinité, s’il n’avait voulu se faire connaître sous ce rapport ? Quoique personne ne taise le nom de la Trinité, quel est l’homme qui comprenne la Trinité comme la comprennent les anges ? Les choses que tous les jours et publiquement on ne cesse de dire sur l’éternité, sur la vérité et sur la sainteté de Dieu, sont donc bien comprises par les uns et mal comprises par les autres. Ou plutôt, elles sont comprises par les uns et non comprises par, les autres. Celui en effet qui comprend mal, ne comprend réellement pas ; et même chez ceux qui comprennent bien, la vivacité de l’esprit fait que les uns voient mieux et les autres moins bien ; et, en tous cas, nul homme ne comprend comme comprennent les anges. Donc dans l’âme elle-même, c’est-à-dire dans l’homme intérieur, s’opère un certain accroissement en vertu duquel non seulement il passe du lait à une nourriture plus solide, mais il prend cette nourriture en quantité toujours plus grande. Il ne croît pas en volume et en dimension, mais en intelligence lumineuse ; car cette nourriture est une lumière de l’âme. Si donc vous voulez croître et comprendre Dieu, si vous voulez d’autant plus le comprendre que vous croîtrez davantage, vous devez le demander et l’attendre non d’un maître qui parle à vos oreilles, c’est-à-dire qui par son travail extérieur plante et arrose, mais de celui qui donne l’accroissement bn.

2. Aussi, comme je vous en ai avertis, dans le discours précédent, prenez bien garde, vous surtout qui êtes de petits enfants et qui avez besoin d’être nourris de lait, prenez garde à ces hommes qui, trompés par ces paroles du Seigneur : « J’ai encore beaucoup de choses « à vous dire, mais vous ne pouvez les porter « maintenant n, prennent de là occasion, de tromper les autres ; ne leur prêtez pas une oreille curieuse d’apprendre des choses inconnues, car vos esprits sont trop faibles pour discerner le vrai du faux ; défiez-vous d’eux, particulièrement à cause des turpitudes pleines d’obscénité que Satan a apprises à ces âmes chancelantes et charnelles. Dieu a permis qu’il en fût ainsi d’elles, afin que partout ses jugements devinssent un sujet – de crainte et qu’en comparaison de ces impures iniquités la douceur de la pure discipline fût goûtée par tous ; c’était aussi afin de donner bonheur, crainte ou confusion à celui qui, soutenu par lui, n’est pas tombé dans ces abîmes, ou qui, relevé par lui, a pu en sortir. Prenez garde, craignez et priez ; par là vous éviterez le malheur de vous voir appliquer cette parabole de Salomon : « Une femme folle et audacieuse, n’ayant plus de pain », appelle les passants en disant « Prenez avec plaisir des pains cachés et goûtez la douceur des eaux dérobées bo ». Cette femme, c’est la vanité des impies qui, malgré leur ignorance profonde, s’imaginent savoir quelque chose ; car il est dit d’elle qu’elle n’a point de pain : « n’ayant « point de pain n, elle promet cependant du pain ; c’est-à-dire qu’elle ignore la vérité et qu’elle promet néanmoins de donner la science de la vérité. Elle promet des pains cachés, et, à l’entendre, on les prend avec plaisir ; elle promet la douceur des eaux dérobées, afin qu’on écoute et qu’on fasse avec plus de plaisir et de douceur ce qu’il est publiquement défendu, dans l’Église, de dire et de croire. C’est par ce secret que ces docteurs d’iniquité assaisonnent pour ainsi dire les poisons qu’ils donnent aux curieux ; par là ceux-ci croient apprendre quelque chose d’important, puisqu’il mérite qu’on en fasse mystère, et ils avalent avec plus de plaisir une folie qu’ils considèrent comme une science dont ils dérobent en quelque sorte la connaissance prohibée.

3. Ainsi la science des arts magiques rend ses abominables rites eux-mêmes recommandables aux hommes qu’elle a séduits ou qu’elle veut séduire par une curiosité sacrilège. De là ces divinations illicites par l’inspection des entrailles des animaux qu’ils égorgent, par les cris et le vol des oiseaux, ou par d’autres signes de toute espèce que les démons leur enseignent et dont ces hommes perdus chatouillent les oreilles de ceux qu’ils veulent perdre. C’est à cause de ces mystères illicites et répréhensibles que cette femme est appelée non seulement insensée, mais encore audacieuse. Car ces choses sont étrangères non seulement à la réalité, mais au nom même de notre religion. Que dire donc de cette femme insensée et audacieuse qui, sous le nom de Christianisme, a produit tant de détestables hérésies et imaginé tant de fables impies ? Plût à Dieu que ces fables fussent de même nature que celles qu’on représente sur le théâtre par le chant, par la danse ou par une mimique bouffonne. Si seulement ce qu’ils ont pu imaginer contre Dieu n’était point de caractère à nous empêcher de savoir s’il faut plaindre leur folie ou admirer leur audace ! Or, tous les hérétiques, même les plus insensés, veulent garder le nom de chrétiens, et pour colorer l’audace de leurs impostures, dont le sentiment humain a horreur, ils se servent de ce passage de l’Évangile, où le Seigneur dit : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant » ; comme si c’était leur doctrine que les disciples ne pouvaient porter alors et que le Saint-Esprit eût enseigné ces choses que l’Esprit immonde, malgré son audace, n’ose pas enseigner et prêcher ouvertement.

4. Ce sont ces hérétiques que l’Apôtre, éclairé du Saint-Esprit, voyait à l’avance et dont il a dit : « Car un temps viendra où ils ne souffriront point la saine doctrine, mais ils assembleront des maîtres selon leurs désirs, qui chatouilleront leurs oreilles ; et ils détourneront leur attention de la vérité, et ils se tourneront vers les fables bp ». Ce souvenir de mystère et de larcin, amené par ces mots : « Prenez avec plaisir des pains cachés et goûtez la douceur des eaux dérobées », fait naître dans l’oreille de ceux qui tombent dans la fornication spirituelle, une démangeaison pareille au prurit voluptueux qui fait perdre dans la chair l’intégrité de la chasteté. Écoute l’Apôtre, voici comme il prévoyait ces choses et nous conseillait sage ment de les éviter : « Evitez », dit-il, « les paroles nouvelles et profanes ; car elles conduisent bien loin dans l’impiété, et leur doctrine s’étend comme un chancre bq ». Et il ne dit pas : les paroles nouvelles ; mais il ajoute : « et profanes ». Car il y a des paroles nouvelles qui conviennent à la doctrine de la religion. Ainsi peut-on dire qu’il en a été du nom de chrétiens, quand il a commencé à s’établir : Ce fut à Antioche que les disciples, après l’ascension du Seigneur, furent pour la première fois appelés chrétiens ; c’est ce que nous apprennent les Actes des Apôtres br. Les hôpitaux et les monastères furent dans la suite appelés de noms nouveaux ; mais les choses elles-mêmes existaient avant les noms ; elles s’appuient sur la vérité de la religion, qui nous aide à les défendre contre les méchants. Contre l’impiété des hérétiques ariens on a formé le nom de consubstantiel (homousion) au Père ; mais par ce nom on n’a pas désigné une chose nouvelle. On appelle, en effet, consubstantiel, ce qui est d’une seule et même substance : « Le Père et moi, nous sommes une seule chose bs ». De fait, si toute nouveauté était profane, le Seigneur n’aurait pas dit : « Je vous donne un commandement nouveau bt » ; son Testament ne serait pas appelé nouveau, et par toute la terre on ne chanterait pas un cantique nouveau. Mais les nouveautés profanes, ce sont les paroles que dit cette femme insensée et audacieuse : « Prenez avec plaisir des pains cachés, et goûtez la douceur des eaux dérobées ». L’Apôtre nous prémunit contre ces promesses de fausse science, lorsqu’il dit : « O Timothée, garde le dépôt en évitant les nouveautés profanes de paroles et les contradictions d’une science faussement nommée science. Quelques-uns l’ayant promise, se sont écartés de la foi bu ». Car ces hérétiques n’aiment rien tant que promettre la science et se moquer comme d’une sottise de la foi aux choses vraies que doivent croire les enfants.

5. Mais, dira quelqu’un, n’y a-t-il pas certains points de doctrine que les hommes spirituels taisent aux hommes charnels, et qu’ils enseignent aux hommes spirituels ? Si je réponds non, aussitôt on m’objectera les paroles que nous lisons dans l’épître de l’apôtre Paul aux Corinthiens : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes encore charnels. Comme à de petits enfants en Jésus-Christ, je vous ai donné du lait, et non une nourriture plus solide. Car vous ne pouviez pas la supporter. À présent même vous ne le pouvez pas encore, car vous êtes encore charnels bv ». On m’objectera aussi ce passage : « Nous prêchons la sagesse au milieu « des parfaits » ; et cet autre : « Aux hommes spirituels nous donnons les choses spirituelles ; mais l’homme animal ne conçoit pas les choses qui sont de l’Esprit de Dieu ; c’est pour lui une folie bw ». Quoi qu’il en soit, il ne faut point profiter non plus de ces paroles de l’Apôtre, pour chercher des mystères sous les nouveautés profanes des mots ; on ne doit pas dire que les hommes charnels ne peuvent porter ce que tout homme chaste d’esprit et de corps doit éviter : c’est ce qu’il nous faudra, si Dieu nous l’accorde, montrer dans un autre discours, car il est grand temps de terminer celui-ci.

QUATRE-VINGT-DIX-HUITIÈME TRAITÉ.

SUR LA MÊME LEÇON.

LAIT ET ALIMENTS SOLIDES.

L’enseignement catholique est le même pour tous, mais tous ne le saisissent pas de la même manière ; les uns le comprennent mieux, les autres ne le comprennent pas aussi parfaitement. Ce que les uns comprennent s’appelle la nourriture des spirituels, des parfaits : ce que les autres ne comprennent guère se nomme le lait des enfants, des charnels ; à ce défaut d’intelligence, ils suppléent par la foi. On leur dit des choses relevées pour leur prêcher la croyance Catholique, mais on ne peut s’y appesantir dans la crainte de les surcharger, tandis qu’aux spirituels on peut en parler à l’aise. Il n’y a donc aucune opposition entre un enseignement moins haut et une doctrine plus élevée, si tous deux restent conformes à la foi ce à quoi il faut faire attention de part et d’autre.

1. De ce passage où Notre-Seigneur dit : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant », est née une difficulté sérieuse que je me souviens d’avoir remise, pour la traiter plus à loisir ; car la longueur de mon précédent discours m’avait obligé de le terminer là. C’est donc le moment de tenir ma promesse : je tâcherai de le faire comme Dieu m’en fera la grâce, puisqu’il a mis dans mon cœur la pensée de l’entreprendre. Voici la question Les hommes spirituels ont-ils dans leur doctrine des maximes qu’ils cachent aux hommes charnels et qu’ils découvrent aux hommes spirituels ? Si nous disons : ils n’en ont point ; on nous répondra : Que signifie donc ce que disait l’Apôtre dans son épître aux Corinthiens : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels ; mais comme à de petits enfants en Jésus-Christ, je vous ai donné du lait et non une nourriture plus forte ; car vous ne pouviez encore les supporter ; et même maintenant vous ne le pouvez pas, car vous êtes encore charnels bx ? » Si, au contraire, nous répondons oui, il est à craindre et il faudrait y prendre garde, qu’on en prenne occasion d’enseigner en secret des choses mauvaises ; sous le nom de spirituelles on les ferait passer pour des choses placées bien au-dessus des hommes charnels, et, par ce moyen, non seulement on les justifierait, mais on les glorifierait en les annonçant.

2. D’abord, votre charité doit le savoir, c’est de Jésus-Christ crucifié que l’Apôtre affirme avoir nourri ces petits enfants comme d’un lait proportionné à leur faiblesse. Or, son corps, qui est véritablement mort après avoir été criblé de blessures, son sang qui s’est échappé de ses plaies, les hommes charnels ne s’en font pas la même idée que les hommes spirituels : pour ceux-là, son humanité n’est encore que du lait ; pour ceux-ci, elle est une nourriture solide ; car, bien qu’à son sujet ils n’en entendent pas plus que les autres, ils y comprennent néanmoins davantage. En chacun l’âme ne perçoit pas d’une manière égale ce que la foi donne à tous dans une égale mesure. Aussi Jésus crucifié et prêché par les Apôtres a-t-il été pour les Juifs un scandale, pour les Gentils une folie, et pour ceux qui étaient appelés soit juifs, soit gentils, la force et la sagesse de Dieu by. Pareils à des enfants, les hommes charnels recevaient leurs enseignements uniquement par la foi qu’ils y ajoutaient : les spirituels étant plus capables les considéraient en même temps avec les yeux de leur intelligence. Pour les premiers, c’était une sorte de lait ; pour les autres, c’était une nourriture solide. Non pas que ces vérités aient été prêchées publiquement aux uns, et annoncées secrètement aux autres. Mais ce que tous entendaient également, puisqu’on le leur prêchait en public, chacun le comprenait selon sa capacité particulière. Jésus-Christ a été crucifié et il a répandu son sang pour la rémission des péchés, et cette passion du Fils unique de Dieu nous montre le prix de la grâce divine. Personne donc ne doit se glorifier dans l’homme ; mais comment comprenaient-ils Jésus crucifié, ceux qui disaient : « Moi je suis de Paul bz ? » Le comprenaient-ils de la même manière que Paul lui-même ? Cet Apôtre disait : « Pour moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie en autre chose qu’en la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ ca ! » De Jésus-Christ crucifié il tirait donc une nourriture solide pour lui-même et selon sa capacité, et il nourrissait les Galates d’un lait proportionné à leur faiblesse. Enfin, il savait que ce qu’il écrivait aux Corinthiens pourrait être compris d’une manière par les spirituels, par les plus capables, et d’une autre par ceux qui étaient plus faibles ; aussi leur dit-il, « Si quelqu’un parmi vous pense être prophète ou spirituel, qu’il reconnaisse que ce que je vous écris est le commandement du Seigneur. Mais si quelqu’un veut l’ignorer, il sera ignoré lui-même cb ». Il voulait donc que la science des spirituels fût solide et qu’ils eussent non seulement la foi, mais encore une connaissance certaine. Ainsi les hommes charnels croyaient les mêmes choses que les spirituels, sans en avoir, comme eux, l’intelligence. « Celui qui l’ignore », dit-il, « sera ignoré » ; parce qu’il ne lui a pas encore été donné de comprendre ce qu’il croit. Lorsque pareille chose arrive dans l’âme de l’homme, on dit que cet homme est connu de Dieu, parce que Dieu lui fait la grâce de le connaître, ainsi qu’il est dit ailleurs : « Mais maintenant connaissant Dieu, ou plutôt connu par Dieu cc ». Car ce n’est pas d’alors que Dieu les connaissait, puisqu’il les avait connus et élus avant la création du monde cd; mais alors il se faisait connaître d’eux.

3. Nous le savons donc déjà, les vérités que les spirituels et les charnels entendent en même temps, ils les prennent chacun selon sa capacité, ceux-ci comme des petits enfants, ceux-là comme des hommes faits ; ceux-ci comme un lait qui les nourrit, ceux-là comme un aliment solide ; il n’y a, par conséquent, aucune nécessité de tenir secrètes quelques parties de la doctrine et de les cacher aux fidèles peu avancés, pour les faire connaître exclusivement à ceux qui sont plus grands, c’est-à-dire plus avancés. N’allez pas croire qu’il faille agir ainsi à cause de ce que dit l’Apôtre : « Je n’ai pu vous parler comme à des spirituels, mais comme à des charnels ». En effet, s’il a dit de lui-même qu’il ne savait parmi eux que Jésus, et Jésus crucifié ce, il n’a pu le leur dire comme à des hommes spirituels ; il l’a dit comme à des hommes charnels, parce qu’ils ne pouvaient le comprendre en hommes spirituels. Mais tous ceux d’entre eux qui étaient des hommes spirituels, saisissaient avec une intelligence spirituelle ce que les autres entendaient comme hommes charnels. Aussi, lorsqu’il dit : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels », il faut entendre ces paroles en ce sens : Ce que je vous ai dit, vous n’avez pu le comprendre comme des hommes spirituels, mais seulement comme des hommes charnels. « L’homme animal », c’est-à-dire celui qui juge humainement des choses, (il est appelé animal à cause de son âme, et charnel à. cause de son corps, parce que l’homme tout entier se compose d’une âme et d’un corps) ; « l’homme animal ne perçoit pas les choses qui sont de l’Esprit de Dieu cf ». , c’est-à-dire ce que la croix de Jésus-Christ confère en fait de grâce à ceux qui ont la foi. Car il pense que le seul effet produit par cette croix consiste à nous faire imiter l’exemple du Sauveur, et combattre pour la vérité jusqu’à la mort. En effet, si ces hommes qui ne veulent être que des hommes, savaient que Jésus-Christ crucifié « nous a été donné de Dieu comme notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption, afin que, selon qu’il est écrit, celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur cg », assurément ils ne se glorifieraient pas dans un homme, et ils ne diraient pas en hommes charnels : « Moi je suis de Paul, moi je suis d’Apollo, et moi je suis de Céphas » ; mais, en hommes spirituels, ils diraient : « Moi, je suis de Jésus-Christ ch »

4. Mais ce qui fait encore une difficulté, c’est ce que nous lisons dans l’épître aux Hébreux : « Vous qui devriez être maîtres, depuis le temps qu’on vous parle, vous avez encore besoin qu’on vous enseigne les premiers éléments de la parole de Dieu, et vous êtes devenus tels que vous avez besoin de « lait et non d’une nourriture solide ; car quiconque n’est nourri que de lait, est incapable d’entendre la doctrine de la justice ; car il est encore enfant ; mais la nourriture solide est pour les parfaits, pour ceux dont l’esprit, par un long exercice, s’est accoutumé à discerner le bien du mal ci ». Ces paroles de l’Apôtre nous indiquent bien en quoi consiste la nourriture solide des parfaits. Il tient le même langage en écrivant aux Corinthiens : « Nous prêchons la sagesse au milieu des parfaits ». Et pour faire comprendre ce qu’en cet endroit il entend par les parfaits, il ajoute : « Ceux dont l’esprit, par un long exercice, s’est accoutumé à discerner le bien du mal ». Donc ceux dont l’esprit n’est ni assez fort ni assez exercé pour faire cette distinction, à moins qu’ils ne soient retenus comme par le lait de la foi, qui leur fait croire les choses invisibles qu’ils ne voient point et les choses trop élevées qu’ils ne comprennent point, on les entraînera facilement à des fables vaines et sacrilèges, par la promesse de la science : on leur fera croire que le bien et le mal ne sont que des substances corporelles ; que Dieu lui-même n’est qu’un corps et que le mal est une substance : pourtant, le mal est plutôt le défaut qui sépare les substances muables de la substance immuable, laquelle, immuable, souveraine, Dieu en un mot, les a créées de rien. Pour ceux qui croient ces vérités et qui les comprennent, les perçoivent et les savent après y avoir appliqué les sens intérieurs de leur esprit, il n’y a rien à craindre, ils ne se laisseront pas séduire par ceux qui disent que le mal est une substance que Dieu n’a point faite, et qui font de Dieu lui-même une substance changeante tels sont les Manichéens et les autres pestes qui peuvent partager leurs égarements.

5. Pour les faibles d’esprit, que l’Apôtre appelle charnels, qu’il faut nourrir de lait et qui ne saisissent point la doctrine catholique, toute parole tendant à leur faire croire, comprendre et savoir ces vérités, est un insupportable fardeau ; elle les accable plutôt qu’elle ne les nourrit. De là vient que les spirituels ne taisent pas entièrement ces vérités aux charnels, puisqu’il faut prêcher à tous la foi catholique ; cependant ils ne leur en parlent pas d’une manière détaillée ; car, en voulant les introduire dans une intelligence qui est au-dessus d’eux, ils arriveraient à rendre fastidieux leur discours sur la vérité, au lieu de faire saisir la vérité par leur discours. C’est ce qu’a voulu dire l’Apôtre dans son épître aux Colossiens : « Quoique je sois absent de « corps, je suis avec vous en esprit, me réjouissant et voyant l’ordre qui règne parmi « vous et la fermeté de votre foi en Jésus-Christ cj ». Et dans celle aux Thessaloniciens : « Nuit et jour », dit-il, « priant de plus en plus afin de voir votre face et de suppléer ce qui manque à votre foi ck ». De là, il faut conclure qu’en les instruisant pour la première fois, il les avait nourris de lait et non d’une nourriture plus forte ; c’est de ce lait qu’en écrivant aux Hébreux il rappelle la fécondité à ceux qu’il voulait nourrir dorénavant.d’une viande plus solide. « C’est pourquoi », leur dit-il, « laissant les instructions que l’on donne aux novices dans la foi de Jésus-Christ, élevons-nous à ce qu’il y a de plus parfait, sans jeter de nouveau les fondements de la foi en Dieu et de la ; pénitence des œuvres mortes, de la doctrine du baptême et de l’imposition des mains, de la « résurrection des morts et du jugement éternel cl ». Voilà ce lait si riche sans lequel ne peuvent vivre ceux qui ont assez l’usage de la raison pour pouvoir croire, quoiqu’ils soient encore incapables de discerner le bien du mal, non pas par la foi, mais par l’intelligence. (Cette faculté appartient exclusivement à. ceux qui font usage d’une nourriture plus forte). Toute la doctrine que l’Apôtre a rappelée sous le nom de lait, est celle qu’enseignent le symbole et l’oraison dominicale.

6. Mais loin de nous la pensée qu’il y ait rien de contraire à ce lait dans cette nourriture plus forte réservée uniquement à l’intelligence assez ferme pour comprendre les choses spirituelles, et qui devait être donnée aux Colossiens et aux Thessaloniciens, puisqu’elle leur faisait défaut. Or, en ajoutant ce qui manque, on ne condamne nullement ce qui existait déjà. S’il est question des aliments que nous prenons, la nourriture plus forte est si peu opposée au lait, qu’elle se change en lait elle-même, afin de devenir propre aux enfants, auxquels elle arrive par le sein de la mère ou de la nourrice. Ainsi, la sagesse même, notre mère, est la nourriture solide des anges au plus haut des cieux, et pourtant elle a daigné en quelque sorte se changer en lait pour ses petits enfants, « lorsque le Verbe s’est fait chair et qu’il a habité parmi nous cm ». Mais le même Jésus-Christ homme, qui dans sa vraie chair, sa vraie croix, sa vraie mort et sa vraie résurrection ; est un lait pur pour les petits enfants, les hommes spirituels qui le comprennent bien, le reconnaissent pour le Seigneur des Anges. C’est pourquoi les enfants ne doivent pas être tellement nourris de lait, qu’ils ne sachent jamais que Jésus-Christ est Dieu ; ils ne doivent pas, non plus, être sevrés au point de ne plus le regarder comme un homme ; en d’autres termes, il ne faut ni les nourrir de lait, à tel point qu’ils ne comprennent pas que Jésus-Christ est le créateur ; ni les en sevrer si complètement qu’ils arrivent à ne plus le regarder comme médiateur. En cela la comparaison tirée du lait maternel et de la nourriture plus solide cesse d’être juste ; il faut lui préférer la comparaison tirée du fondement sur lequel on bâtit. En effet, quand un enfant est sevré et qu’il abandonne la nourriture de son premier âge, il prend des aliments plus substantiels, mais il ne redemande pas le sein de sa mère ; mais Jésus-Christ crucifié est en même temps un lait pour les petits enfants, et une viande pour ceux qui sont plus avancés en fait d’intelligence. La comparaison du fondement est donc plus appropriée à ce que nous disons ; car pour achever une construction, on n’arrache pas le fondement déjà posé, on y ajoute seulement ce que l’on bâtit au-dessus.

7. Puisqu’il en est ainsi, je dirai à tous ceux d’entre nous qui sont enfants en Jésus-Christ, et sans doute le nombre en est grand Approchez-vous de cette nourriture solide de l’esprit, et non de l’estomac. Progressez et apprenez à discerner le bien du mal ; attachez-vous de plus en plus au médiateur, il vous délivrera du mal, non pas en l’éloignant de vous extérieurement, mais en le guérissant au dedans de vous-mêmes. Et si l’on vous dit Ne croyez point que Jésus-Christ est un vrai homme, ou bien que le vrai Dieu a créé le corps des hommes et des animaux, que le vrai Dieu ne nous a pas donné l’Ancien Testament, et autres semblables choses ; si l’on ajoute que ces choses ne vous ont pas été enseignées plus tôt, c’est-à-dire quand vous étiez nourris de lait, parce que votre cœur n’était pas encore assez robuste pour porter toute la vérité, sachez-le, cet homme vous offre non pas une viande solide, mais un poison. C’est pourquoi le bienheureux Apôtre, s’adressant à ceux qui se regardaient comme parfaits, leur dit qu’il était lui-même imparfait, et ajoute : « Nous tous donc qui voulons être parfaits, ayons ce sentiment ; si vous avez d’autres pensées, Dieu vous éclairera ». Mais il veut les empêcher de se laisser séduire par ceux qui voudraient les détourner de la foi en leur promettant la science de la vérité ; il veut les empêcher de croire que c’était ce qu’il avait prétendu dire par ces mots : « Dieu vous éclairera ». Il ajoute aussitôt : « Toutefois, tenons-nous-en aux vérités que nou connaissons cn ». Si donc tu découvres quelque chose qui ne soit pas contraire à la règle de la foi catholique, à laquelle tu t’es attaché comme à la voie qui conduit à la patrie ; si, d’ailleurs, tu comprends que de cette vérité ta foi ne doit aucunement souffrir, ajoute-la à l’édifice que tu construis, mais n’en abandonne pas le fondement. Lors donc que ceux qui sont plus avancés instruisent ceux qui le sont moins, ils doivent se garder de dire que Jésus-Christ Notre-Seigneur, et les Prophètes et les Apôtres qui étaient bien plus éclairés qu’ils ne le sont eux-mêmes, n’ont rien dit contre la vérité. Vous devez éviter d’abord ces diseurs de riens, qui pour séduire les âmes racontent des choses fausses et extravagantes, et dans tous leurs vains mensonges promettent une haute science à l’encontre de la règle de la foi catholique que vous avez embrassée ; vous devez éviter aussi ceux qui raisonnent avec vérité sur l’immutabilité de la nature de Dieu, sur la créature incorporelle et même sur le Créateur, et appuient ce qu’ils disent sur des raisons et des preuves certaines, mais qui cherchent cependant à vous détourner du seul Médiateur entre Dieu et les hommes ; vous devez les fuir comme une peste plus dangereuse encore que les autres. Voilà ceux dont l’Apôtre a dit : « Ils connaissaient Dieu, et ils ne l’ont point glorifié comme Dieu co ». À quoi sert, en effet, d’avoir une vraie connaissance du bien immuable, si l’on ne s’attache pas à Celui qui délivre du mal ? Que cet avertissement du bienheureux Apôtre ne sorte donc point de votre cœur : « Si quelqu’un vous annonce un Évangile différent de celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème cp ». Il ne dit pas : quelque chose de plus que ce que vous avez reçu ; mais : « un Évangile différent de celui que vous avez reçu » ; car, s’il l’eût dit, il se serait condamné lui-même, puisqu’il désirait venir vers les Thessaloniciens, pour compléter ce qui manquait à leur foi. Or, celui qui complète, ajoute ce qui manque, mais n’enlève pas ce qui existe déjà. Mais celui qui transgresse la règle de la foi, ne marche pas dans la voie ; au contraire, il s’en éloigne.

8. Lors donc que Notre-Seigneur dit à ses disciples : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant », il voulait dire qu’il avait à ajouter des choses qu’ils ignoraient, mais non pas à détruire celles qu’ils avaient déjà apprises ; comme je l’ai expliqué dans le discours précédent, il pouvait parler ainsi, car l’infirmité humaine à laquelle ils se trouvaient encore réduits, ne leur permettait point de porter les choses mêmes qu’il leur avait déjà apprises, dans le cas où il voudrait les leur faire concevoir de la manière dont les Anges les conçoivent. Tout ce que peut faire un homme, si spirituel qu’il soit, c’est d’enseigner à un autre ce qu’il sait lui-même ; si le Saint-Esprit rend cet autre plus capable en lui faisant faire des progrès, car celui qui enseigne n’a rien pu apprendre lui-même que par cet Esprit divin de la sorte, tous les deux sont enseignés de Dieu cq. Entre les spirituels eux-mêmes, il en est de plus éclairés et de meilleurs les uns que les autres ; aussi l’un d’eux est-il arrivé à connaître des choses qu’il n’est pas permis à l’homme de raconter. À cette occasion quelques hommes pleins de vanité ont imaginé dans leur folle présomption, une Apocalypse de Paul, pleine de je ne sais quelles fables que la sainte Église ne reçoit pas ; à les entendre, il veut en parler lorsqu’il dit avoir été ravi au troisième ciel et y avoir entendu des paroles ineffables « qu’il n’est pas permis à l’homme de rapporter cr ». Leur audace serait peut-être supportable, si l’Apôtre avait dit avoir entendu des paroles « qu’il n’est pas encore permis à l’homme de rapporter ». Mais comme il a dit : « qu’il n’est pas permis à l’homme de rapporter », qui sont-ils pour oser les rapporter avec tant d’impudence et si peu de succès ? Mais il est temps que je mette fin à ce discours par le souhait que je fais de vous voir prudents dans le bien et exempts de tout mal.

QUATRE-VINGT-DIX-NEUVIÈME TRAITÉ.

SUR CES PAROLES : « IL NE PARLERA PAS DE LUI-MÊME, MAIS IL DIRA TOUT CE QU’IL ENTENDRA ». (Chap 16, 13.)

PROCESSION DU SAINT-ESPRIT.

Jésus-Christ dit du Saint-Esprit : « Il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il entendra ». Ces paroles ne peuvent s’entendre dans le même sens que celles que le Sauveur prononçait sur lui-même en tant qu’homme, puisque le Saint-Esprit ne s’est uni à aucune nature créée. Quoique l’âme humaine ait des points de, ressemblance avec Dieu, elle ne peut non plus servir de terme de comparaison pour les opérations intérieures de la divinité. En Dieu:- la science, c’est l’être, et comme le Saint-Esprit procède du Père, ce qu’il apprend, ce qu’il sait, il le tient, non de lui-même, mais du Père. Mais pourquoi Jésus-Christ dit-il que le Saint-Esprit procède du Père, sans dire qu’il procède aussi du Fils ? C’est que le Fils a été engendré par le Père, et que le Père a donné au Fils que le Saint-Esprit procède de lui comme du Père.

1. Que signifie ce que le Seigneur dit du Saint-Esprit, lorsqu’après avoir promis à ses disciples qu’il viendrait à eux et qu’il leur enseignerait toute vérité, ou bien qu’il les conduirait à toute vérité, il ajoute : « Car il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il entendra ? » Cette parole revient à ce que Jésus-Christ avait déjà dit de lui-même : « Je ne puis rien faire de moi-même ; comme j’entends, je juge cs ». Lorsque nous avons expliqué ce passage, nous avons dit qu’il pouvait s’entendre selon l’humanité
Traité 19, XXII
. De la sorte, cette obéissance en vertu de laquelle il a été soumis jusqu’à la mort de la croix cu, le Fils semblait nous annoncer qu’il l’aurait encore dans la circonstance où il jugera les vivants et les morts ; car il ne jugera les hommes que parce qu’il est le Fils de l’Homme. C’est pourquoi il a dit : « Le Père ne juge personne ; mais il a remis tout jugement au Fils ». Car, dans le jugement, ce qui paraîtra, ce sera non pas la forme de Dieu par laquelle il est égal au Père, et qui ne peut être vue par les impies, mais la forme d’homme, par laquelle il a été abaissé un peu au-dessous des Anges ; et, bien qu’alors il doive venir dans la gloire et non dans son humiliation première, il, se fera voir néanmoins et par les bons et par les méchants. Voilà pourquoi il dit encore : « Et il lui a donné le pouvoir de juger, parce qu’il est Fils de l’Homme cv ». Par ces paroles on voit clairement que la forme présentée au jugement ne sera pas celle sous laquelle il n’a pas regardé comme une usurpation de se dire égal à Dieu, mais celle dont il s’est revêtu lorsqu’il s’est anéanti lui-même. Il s’est anéanti lui-même en prenant la forme de serviteur cw : forme sous laquelle il semble nous avoir annoncé que se manifestera son obéissance pour faire le jugement ; car il dit : « Je ne puis rien faire de moi-même : comme j’entends, je juge ». Adam, par la seule désobéissance de qui tant d’hommes ont été faits pécheurs, Adam n’a pas jugé comme il a entendu ; au contraire, le commandement qu’il avait entendu, il l’a violé, et il a fait de lui-même le mal qu’il a fait, parce qu’il a fait non pas la volonté de Dieu, mais la sienne. Mais Celui par l’obéissance duquel seul un grand nombre sont rendus justes cx, a été obéissant jusqu’à la mort de la croix à laquelle il a été condamné par des morts, quoiqu’il eût la vie ; il a même fait plus, il nous a promis de se montrer obéissant jusque sur le tribunal où il jugera les vivants et les morts ; il a dit, en effet : « Je ne puis rien faire de moi-même ; mais comme j’entends, je juge ». Pour ce qui a été dit du Saint-Esprit : « Il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il entendra », oserons-nous l’entendre selon l’homme, ou selon quelque autre créature qu’il se serait unie ? Le Fils est la seule des trois personnes divines qui ait pris la forme d’esclave, et cette forme lui a été adjointe dans l’unité de personne, c’est-à-dire que le Fils de Dieu et le Fils de l’Homme neforment qu’un seul Jésus-Christ ; sans cela ce ne serait pas une Trinité, mais une quaternité que nous prêcherions : que Dieu nous en préserve ! Comme il y a en Jésus-Christ une seule personne composée de deux natures, la nature divine et là nature humaine, tantôt il parle en tant qu’il est Dieu, comme quand il dit : « Le Père et moi, nous sommes une même chose cy » ; tantôt il parle entant qu’il est homme, comme quand il dit : « Parce que le Père est plus grand que moi cz ». Voilà en quel sens nous avons entendu le passage dont il est question : « Je ne puis rien faire de moi-même ; comme j’entends, je juge ». Mais pour la personne du Saint-Esprit, comment entendrons-nous ce qu’il en dit : « Il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il entendra ? » Comme, dans cette personne, il n’y a pas deux natures, la nature divine et la nature humaine ou tout autre nature créée, de là naît une grande difficulté.

2. Sans doute, le Saint-Esprit s’est fait voir sous la forme corporelle d’une colombe da, mais ce ne fut que passagèrement et pour un instant. Nous pouvons en dire autant du moment où il est descendu sur les disciples : ils virent comme des langues de feu qui se séparèrent et vinrent se reposer sur chacun d’eux db. Celui donc qui dirait que la colombe fut unie au Saint-Esprit dans l’unité de sa personne, en sorte que la personne du Saint-Esprit se composerait de la colombe et de Dieu (puisque le Saint-Esprit est Dieu), celui-là serait obligé d’en dire autant du feu ; et par là il doit comprendre qu’il ne faut dire ni l’un ni l’autre. Ces formes destinées à manifester comme il le fallait la substance divine, se présentèrent aux sens corporels des hommes et ne firent que passer ; car elles avaient été tirées par Dieu, et pour un moment, de la créature toujours soumise, et non pas de la nature souveraine, laquelle est stable en elle-même, et meut ce qu’elle veut ; laquelle est immuable en elle-même, et change ce qu’elle veut. Il en est de même de cette voix qui perça les nues et vint frapper les oreilles corporelles et ce sens du corps qu’on appelle l’ouïe dc ; et il ne faut pas croire que c’était le Verbe de Dieu son Fils unique. En effet, s’il est appelé Parole, il ne se termine point avec les syllabes et les sons ; car toutes les syllabes ne peuvent résonner en même temps lorsque l’on parle. Les sons naissants succèdent, chacun à son tour, aux sons qui s’évanouissent, et, ainsi ce que nous disons ne se complète que par la dernière syllabe. Dieu nous garde de dire que le Père parle ainsi à son Fils, c’est-à-dire à son Verbe qui est Dieu. Mais ceux-là seuls peuvent le comprendre, autant que l’homme en est capable, qui n’en sont plus au lait, mais qui usent d’une nourriture plus solide. Puis donc que le Saint-Esprit ne s’est pas fait homme en prenant la nature humaine, puisqu’il ne s’est pas fait ange, en prenant la nature angélique, puisqu’il ne s’est pas fait créature en se revêtant de quelque nature créée ; comment peut-on entendre ce que le Sauveur dit de lui : « Il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il entendra ? » Question difficile, trop difficile. Que le Saint-Esprit m’assiste lui-même, afin que je puisse vous l’expliquer comme il m’est donné de la concevoir, et qu’elle arrive à votre intelligence en proportion de mes humbles facultés.

3. Et d’abord, il y a une chose certaine que ceux qui le peuvent doivent comprendre et que ceux qui né le pourront pas doivent au moins croire, c’est que la substance de Dieu n’est pas comme les substances corporelles où les sens sont distribués en places différentes ; ainsi, dans la chair mortelle de tous les animaux, ailleurs est la vue, ailleurs l’ouïe, ailleurs le goût, ailleurs l’odorat, et par tout le corps le toucher. Dieu nous garde de penser qu’il en est de même dans sa nature incorporelle et immuable. Pour elle, entendre et voir c’est la même chose. Il est même question d’un odorat en Dieu, car l’Apôtre a dit : « Ainsi que Jésus-Christ nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous, en s’offrant à Dieu comme une victime d’agréable odeur dd ». On peut entendre aussi que c’est par le goût que Dieu hait ceux qui lui causent de l’amertume, et qu’il vomit de sa bouche ceux qui ne sont ni froids ni chauds, mais tièdes de. Jésus-Christ, qui est Dieu, dit aussi : « Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé df ». Il existe aussi un toucher divin dont l’épouse dit, en parlant de son époux : « Sa main gauche est sous ma tête, et sa droite m’embrassera dg ». Mais ces choses ne sont pas en Dieu à divers endroits d’un corps. Car quand on dit de Dieu qu’il sait, on parle de.tout, cela en même temps, c’est-à-dire qu’il voit, qu’il entend, qu’il sent, qu’il goûte et qu’il touche, sans aucun changement de sa substance, sans aucune étendue plus considérable dans une partie et moindre dans une autre. Celui qui aurait de Dieu cette idée, fût-il un vieillard, raisonnerait comme un enfant.

4. Il ne faut pas t’étonner que la science ineffable en vertu de laquelle Dieu tonnait toutes choses soit, selon les différentes manières de parler des hommes ; appelée des noms de tous les sens corporels : il en est de même de, notre âme, c’est-à-dire de l’homme intérieur ; c’est elle seule qui juge des différentes choses que lui annoncent, comme autant de messagers, les cinq sens du corps. Ainsi, quand elle comprend, choisit et aime l’immuable vérité et qu’elle voit la lumière dont il est dit : « Il était la vraie lumière » ; quand elle entend la Parole dont il est, dit : « Au commencement était le Verbe dh » ; quand elle perçoit l’odeur dont il est dit : « Nous courrons après l’odeur de vos parfums di » ; quand elle boit à la fontaine dont il est écrit : « En vous est la source de vie dj » ; quand elle jouit de ce toucher dont il est dit : « Pour moi, il m’est bon de m’attacher à Dieu dk » ; c’est, non pas une chose ou une autre, mais l’intelligence seule qui est désignée sous les noms de tous ces sens. Lors donc qu’il est dit du Saint-Esprit : « Car il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il, entendra », il faut alors, plus que jamais, concevoir, ou du moins croire que sa nature est simple, puisqu’elle est simple par essence et qu’elle surpasse de beaucoup en hauteur et en largeur la nature de notre âme. Notre âme, en effet, est sujette au changement, puisqu’en apprenant elle reçoit ce qu’elle ne savait pas, et qu’en oubliant elle perd ce qu’elle savait ; elle est trompée par la vraisemblance, au point de prendre le faux pour le vrai, et l’obscurité où la plongent les ténèbres qui l’enveloppent, l’empêche de parvenir au vrai. Cette substance n’est donc pas vraiment simple, puisque, pour elle, être n’est pas la même chose que connaître ; elle peut, en effet, être et ne pas connaître. Mais la substance divine ne peut pas être et ne pas connaître, parce qu’elle est ce qu’elle a. Et elle n’a pas la science de telle manière qu’en elle autre chose soit la science qui lui donne de connaître, et autre chose l’essence qui la fait exister. L’une et l’autre ne sont qu’une même chose. Il ne faut même pas dire l’une et l’autre, puisqu’il n’y a qu’une seule et indivisible chose. « Comme le Père a la vie en lui-même », et il n’est autre chose lui-même que la vie qui est en lui, « il a aussi donné au « Fils d’avoir la vie en lui-même dl », c’est-à-dire, il à engendré le Fils qui lui-même devait être la vie. Ainsi devons-nous entendre ce qui est dit du Saint-Esprit : « Il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il a entendra ». Nous devons comprendre qu’il n’est pas de lui-même. Le Père seul n’est d’aucun autre ; car le Fils est né du Père et le Saint-Esprit procède du Père. Mais le Père n’est né ni ne procède d’aucun autre. Toutefois, que l’esprit humain ne se figure aucune inégalité dans cette Trinité souveraine. Car le Fils est égal à Celui dont il est né, et le Saint-Esprit est égal à Celui dont il procède. Quelle différence y a-t-il entre procéder et naître ? Il faudrait un long discours pour chercher à le savoir et pour le discuter ; et après l’avoir discuté, on serait téméraire de vouloir le définir ; car il est très-difficile à l’âme humaine de le comprendre, et bien qu’elle puisse y comprendre quelque chose, il est très-difficile à la langue de l’expliquer, quel que soit le docteur qui parle, et quel que soit celui qui écoute. « Il ne parlera donc pas de lui-même », parce qu’il n’est pas de lui-même ; « mais il dira tout ce qu’il entendra » ; il l’entendra de Celui dont il procède. Pour lui, entendre, c’est savoir, et savoir, c’est être ; je l’ai expliqué tout à l’heure. Donc, comme il est non pas de lui-même, mais de Celui dont il procède, sa science lui vient de Celui dont il tient son essence ; c’est donc de celui-là qu’il entend, ce qui n’est pas, pour lui, autre chose que savoir.

5. Et ne soyez point surpris que le verbe soit placé au temps futur. Il n’est pas dit, en effet ; « Il dira » tout ce qu’il a entendu, ou tout ce qu’il entend, mais bien « tout ce qu’il entendra » : Cette action d’entendre est éternelle, comme l’est aussi la science. Or, dans ce qui est éternel, sans commencement et sans fin, à quelque temps que soit le verbe, qu’il soit employé au passé ou au présent, ou au futur, peu importe ; il est employé sans mensonge. Bien que l’immutabilité ineffable de cette nature ne permette pas de dire qu’elle a été ou qu’elle sera, mais seulement qu’elle est ; en effet, elle est véritablement, parce qu’elle ne peut changer, et à elle seule il convenait de dire : « Je suis Celui qui suis » ; et encore : « Tu diras aux enfants d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous dm » ; cependant, à cause de la mutabilité du temps dans lequel se trouvent circonscrites notre mortalité et notre changeante nature, nous disons certainement sans mensonge : Il a été, il sera et il est. 2 a été dans les siècles passés, il est dans le présent, il sera dans les siècles à venir. Il a été, parce qu’il n’a jamais cessé d’être ; il sera, parce qu’il ne cessera jamais d’exister ; il est, parce qu’il est toujours. En effet, il ne meurt point avec les choses passées, et n’est pas comme s’il n’était déjà plus ; il ne passe pas avec les choses présentes, comme il passerait s’il ne demeurait pas toujours le même ; il n’apparaîtra pas avec les choses de l’avenir, comme il apparaîtrait s’il n’avait pas toujours existé. Comme la parole humaine change selon les révolutions des temps, on peut se servir de tous les temps en parlant de Celui qui n’a pu, ne peut et ne pourra manquer dans aucun temps. Le Saint-Esprit entend donc toujours, parce qu’il sait toujours. Donc il a su, et il sait, et il saura, et par là même il a entendu, et il entend, et il entendra ; car, comme je l’ai déjà dit, pour lui, entendre c’est savoir, et pour lui, savoir c’est être. Donc il a entendu, il entend et il entendra de Celui dont il est, et il est de Celui dont il procède.

6. Ici quelqu’un me demandera peut-être si le Saint-Esprit procède aussi du Fils. Car le Fils est Fils du Père seul, et le Père est Père du Fils seul. Mais le Saint-Esprit est l’Esprit non pas de l’un des deux, mais de tous les deux. Tu as la parole de Notre-Seigneur pour t’instruire, car il a dit : « Ce n’est pas vous qui parlez, mais c’est l’Esprit de votre Père qui parle en vous dn ». Tu as aussi celle de l’Apôtre ; la voici : « Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans vos cœurs do ». Est-ce qu’il y a deux esprits, l’un du Père, et l’autre du Fils ? À Dieu ne plaise. « Un seulCorps », dit l’Apôtre ; pour nous représenter l’Église, et il ajoute aussitôt : « Et un seul Esprit ». Et vois comme il complète la Trinité : « Comme vous êtes appelés », dit-il, « en une seule espérance de votre vocation, il n’y a qu’un seul Seigneur ». Ici c’est Jésus-Christ qu’il a voulu désigner ; il ne reste plus qu’à nommer le Père. Il continue donc : « Une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui est sur tous, parmi tous et dans nous tous dp ». Comme il n’y a qu’un seul Père, un seul Seigneur, c’est-à-dire un seul Fils, il n’y a non plus qu’un seul Esprit ; il est donc l’Esprit des deux. En effet, tandis que Jésus-Christ dit lui-même : « L’Esprit de votre Père qui parle en vous » ; l’Apôtre dit aussi : « Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans vos cœurs ». Dans un autre endroit, le même Apôtre dit : « Si l’Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts habite en vous ». Assurément il veut dire ici l’Esprit du Père. Et cependant c’est encore de lui qu’il dit ailleurs : « Quiconque n’a pas l’Esprit de Jésus-Christ, n’est pas à lui dq ». Beaucoup d’autres témoignages montrent ainsi évidemment que Celui qui dans la Trinité est appelé l’Esprit-Saint est en même temps l’Esprit du Père et du Fils.

7. Ce n’est pas, je crois, pour une autre raison qu’on l’appelle proprement l’Esprit ; bien que, si l’on nous demande ce que sont le Père et le Fils, nous ne puissions que répondreIls sont l’un et l’autre Esprit, car Dieu est Esprit dr ».  ; c’est-à-dire, Dieu n’est pas un corps, mais un Esprit. Ce qui était le nom commun des deux autres devait donc devenir le nom propre de Celui qui n’était ni l’un ni l’autre des deux premiers, mais Celui en qui paraissait l’union commune de tous les deux. Pourquoi alors ne croirions-nous pas que le Saint-Esprit procède aussi du Fils, puisqu’il est l’Esprit du Fils comme celui du Père ? S’il ne procédait pas du Fils, quand Jésus-Christ se fit voir à ses disciples après sa résurrection, il n’aurait pas soufflé sur eux en disant : « Recevez le Saint-Esprit ds ». Que signifiait cette insufflation ? Que le Saint-Esprit procède aussi de lui. À cela se rapporte encore ce qu’il dit de la femme qui souffrait d’une perte de sang : « Quelqu’un m’a touché ; car j’ai senti une« vertu sortir de moi dt ». Or, le Saint-Esprit est aussi désigné sous le nom de vertu, cela ressort clairement de ce passage où Marie ayant dit : « Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d’homme ? » l’ange lui répondit : « Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre du ». Notre-Seigneur lui-même, promettant le Saint-Esprit à ses disciples, leur dit : « Mais vous, demeurez dans la ville, jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la vertu d’en haut dv » ; et encore : « Vous recevrez la vertu du Saint-Esprit qui surviendra en vous, et vous me servirez de témoins dw ». Nous devons le croire, c’est de cette vertu que parlait l’Évangéliste lorsqu’il disait : « Une vertu sortait de lui et les guérissait tous dx ».

8. Si le Saint-Esprit procède du Père et du Fils, pourquoi donc le Fils dit-il : « Il procède du Père dy ? » Pourquoi ? parce qu’il a coutume de rapporter ce qui est de lui-même à celui dont il est lui-même. De là cette parole : « Ma doctrine n’est pas ma doctrine, mais la a doctrine de Celui qui m’a envoyé dz ». Si donc nous reconnaissons que cette doctrine est bien la sienne, quoiqu’il dise qu’elle n’est pas la sienne, mais celle du Père ; à combien plus forte raison devons-nous reconnaître que le Saint-Esprit « procède de lui-même », puisque, en disant qu’il procède du Père, il ne dit pas qu’il ne procède pas de lui-même ? Or, Celui dont le Fils a reçu la nature divine (car il est Dieu de Dieu), lui a donné encore que le Saint-Esprit procède aussi de lui ; et le Saint-Esprit tient aussi du Père de procéder du Fils, comme il procède du Père lui-même.

1. Par là nous pouvons comprendre, autant que des hommes tels que nous en sont capables, pourquoi on ne dit pas que le Saint-Esprit est né, mais qu’il procède. Car s’il était, lui aussi, appelé Fils, il serait appelé le fils de tous les deux, ce qui est le comble de l’absurdité. Car on est le fils, non pas de deux pères, mais seulement d’un père et d’une mère. Or, loin de nous la pensée de supposer quelque chose de semblable entre Dieu le Père, et Dieu le Fils. Car même un homme ne procède pas en même temps de son père et de sa mère. Lorsqu’il procède du père dans la mère, alors il ne procède pas de la mère ; et lorsqu’il procède de la mère pour paraître au jour, alors il ne procède pas du père. Le Saint-Esprit ne procède pas du Père dans le Fils, et du Fils il ne procède pas dans la créature qu’il doit sanctifier ; mais il procède en même temps de l’un et de l’autre : quoique le Père ait donné au Fils que le Saint-Esprit procède de lui comme il procède du Père. Nous ne pouvons point dire que le Saint-Esprit n’est point la vie, puisque le Père est la vie et que le Fils l’est aussi. Et ainsi, comme le Père a la vie en lui-même, il a donné au Fils d’avoir la vie en lui ; de même le Père a donné au Fils que la vie procède de lui, comme elle procède du Père. Mais voici les paroles que Notre-Seigneur ajoute : « Et les choses qui doivent venir, il vous les annoncera. Il me glorifiera, car il recevra du mien et vous l’annoncera. Toutes les choses qu’a le Père sont miennes ; c’est pourquoi j’ai dit qu’il recevra du mien et vous l’annoncera ». Comme ce discours est déjà trop long, il faut renvoyer l’explication de ce passage à un autre jour.

CENTIÈME TRAITÉ.

SUR LES DERNIÈRES PAROLES DE LA MÊME LEÇON. (Chap 16,13-15.)

LA VRAIE GLOIRE.

Le Saint-Esprit faisant connaître Jésus-Christ et donnant aux Apôtres le courage de l’annoncer, le glorifiera véritablement, car il ne peut se tromper ni sur la personne du Sauveur ni sur quoi que ce soit : gloire pure et solide, bien différente de celle que peuvent se procurer les hommes sujets à errer. Le Saint-Esprit ne se trompe pas, car, procédant du Père et du Fils, il reçoit de l’un la science de l’autre.

1. Lorsque Notre-Seigneur promit à ses disciples que le Saint-Esprit viendrait en eux, il leur dit : « Il vous enseignera toute vérité » ; ou bien, comme nous lisons dans quelques exemplaires : « Il vous conduira dans toute « vérité ; car il ne parlera pas de lui-même, « mais il dira tout ce qu’il entendra ». Sur ces paroles de notre Évangile, nous avons déjà exposé ce qu’il a plu au Seigneur de nous révéler. Maintenant, portez votre attention sur celles qui suivent : « Et il vous annoncera », dit Notre-Seigneur, « les choses à venir ». Il n’y a rien ici qui doive nous arrêter, parce que tout est facile à comprendre ; il ne s’y trouve aucune difficulté dont on puisse nous demander l’explication. Mais quant à ce qu’il ajoute : « C’est lui qui me glorifiera, parce qu’il recevra du mien, et il vous l’annoncera », il ne faut pas le laisser passer sans une grande attention. « C’est lui qui me glorifiera ». Ces paroles peuvent s’entendre en ce sens, qu’en répandant la charité dans le cœur des fidèles et en faisant d’eux des hommes spirituels, il leur a fait connaître que le Fils est égal au Père, tandis qu’ils ne le connaissaient auparavant que selon la chair et croyaient qu’il était un homme comme les autres hommes. On peut encore, et sans craindre de se tromper, entendre ces paroles en ce sens, qu’après avoir puisé dans la charité une grande confiance et avoir répudié toute crainte, ils annoncèrent Jésus-Christ aux hommes et qu’ainsi sa renommée s’est répandue dans tout l’univers. Par conséquent, lorsqu’il dit : « C’est lui qui me glorifiera », c’est comme s’il disait : C’est lui qui vous enlèvera toute crainte et vous inspirera pour moi un amour si vif que vous m’annoncerez avec plus d’ardeur, que vous répandrez par toute la terre la bonne odeur de ma gloire, et que vous propagerez l’honneur de mon nom. Ce qu’ils devaient faire dans le Saint-Esprit, il dit que le Saint-Esprit le fera lui-même en eux ; car il s’exprime encore ainsi en un autre endroit : « Ce n’est pas vous qui parlez, mais c’est l’Esprit de votre Père qui parle en vous ea ». Le verbe grec δοξἀσει, qui se trouve employé ici, les interprètes latins l’ont traduit, les uns par « clarifiera », les autres par « glorifiera » ; car le mot grec δοζα, racine du verbe δοξἀσει, signifie tout à la fois clarté et gloire ; mais comme la gloire produit l’éclat, et que l’éclat produit aussi la gloire, il s’ensuit que ces deux expressions signifient la même chose. Or, les plus célèbres des anciens auteurs latins ont défini la gloire un grand renom accompagné de louanges. Lorsque la gloire de Jésus-Christ se fut répandue dans le monde, il ne faut pas croire qu’elle procura un avantage quelconque à Jésus ; tout l’avantage fut pour le monde. Lorsqu’on loue le bien, l’avantage n’est pas pour le bien qui est louange, mais pour ceux qui le louent.

2. Remarquez-le toutefois : il y a aussi une fausse gloire ; elle est fausse quand tous ceux qui louent se trompent soit pour les choses, soit pour les hommes, soit pour les hommes et les choses. Ils se trompent pour les choses, quand ils regardent comme bon ce qui est mauvais ; ils se trompent dans les hommes, quand ils regardent comme bon celui qui est mauvais ; ils se trompent dans les uns et les autres, quand ils regardent comme vertu ce qui est vice, et que l’homme bon ou mauvais auquel on prodigue des louanges, parce qu’on lui suppose cette fausse vertu, ne la possède pas réellement. Par exemple : donner son bien aux histrions, c’est un grand vice et non une vertu : et, vous le savez, on ne tarit pas en éloges pompeux sur le compte de ceux qui le font. Car il est écrit : « Le pécheur est loué dans les désirs de son âme, et celui a qui fait le mal est béni eb ». Ici, les louangeurs se trompent non pas relativement aux hommes, mais par rapport aux choses ; car ce qu’ils croient bon est mauvais. Et ceux qui se livrent à ces honteuses largesses sont bien tels que les soupçonnent et les voient évidemment ceux qui les louent. Supposé, au contraire, quelqu’un qui feint d’être juste et ne l’est pas, puisqu’il n’agit pas pour Dieu, c’est-à-dire pour la vraie justice, et que dans tout ce qu’il paraît faire de louable devant les hommes, il ne cherche et n’aime que la gloire qui vient des hommes ; si ceux qui parlent de lui fréquemment avec louanges pensent qu’il vit uniquement pour Dieu d’une manière aussi honorable, ceux-là se trompent, non sur la chose, mais sur le compte de l’homme. Ce qu’ils croient bon, est bon en effet ; mais celui qu’ils croient bon, n’est pas bon réellement. Mais si, par exemple, on regardait comme bonne la connaissance de la magie, et si un homme passait pour avoir délivré sa patrie par le moyen de cet art, bien que, dans le fait, il l’ignore entièrement, et que par là il acquît auprès des impies une réputation élogieuse, c’est-à-dire la gloire ; ceux qui le loueraient ainsi se tromperaient sur la chose et sur l’homme ; sur la chose, car ce qu’ils regardent comme bon est réellement mauvais ; sur l’homme, car il n’est pas ce qu’ils pensent : aussi la gloire acquise de ces trois manières est-elle fausse. Mais lorsqu’il s’agit d’un homme juste par Dieu et pour Dieu, c’est-à-dire véritablement juste et qu’on en parle avec louanges à cause de sa justice, sa gloire est – véritable ; cependant il ne faut pas croire que ces louanges font le bonheur du juste ; ceux qu’il faut féliciter, ce sont ceux-là mêmes qui le louent ; car ils jugent sainement des choses et ils aiment la justice. À bien plus forte raison, la gloire du Seigneur Jésus a profité, non pas à lui, mais à ceux auxquels a profité sa mort.

3. Toutefois la gloire dont il jouit parmi les hérétiques n’est pas véritable, bien que ceux-ci semblent souvent parler de lui avec louanges ; ce n’est pas une vraie gloire, parce qu’ils se trompent et sur la chose et sur la personne ; en effet, ils regardent comme bon ce qui ne l’est pas, et, à leurs yeux, Jésus est ce qu’il n’est pas réellement. Que le Fils unique ne soit pas égal au Père, ce n’est pas Une bonne chose ; comme ce n’est pas une bonne chose que le Fils unique de Dieu ne soit qu’un homme et ne soit pas Dieu, que la chair de la Vérité ne soit pas une vraie chair. De ces trois propositions que je viens d’énoncer, la première est soutenue par les Ariens, la seconde par les Photiniens, et la troisième par les Manichéens. Mais comme rien de tout cela n’est bon, et que Jésus-Christ n’est rien de tout cela, ils se trompent et sur la chose et sur la personne. Et ils ne donnent pas une vraie gloire à Jésus-Christ, quoique parmi eux on semble souvent parler de lui avec éloge. Tous les hérétiques, et il serait trop long de les énumérer, qui n’ont pas des sentiments vrais sur Jésus-Christ, se trompent, parce qu’ils n’ont pas non plus des idées justes sur ce qui est bien et sur ce qui est mal. Les païens, quoique plusieurs d’entre eux aient loué Jésus-Christ, se trompent également sur la personne et sur la chose, car ils parlent, non pas selon la vérité de Dieu, mais bien plutôt selon leur propre opinion ; ils disent qu’il était un homme, un habile magicien. Ils méprisent les chrétiens comme des ignorants, et ils louent Jésus-Christ comme un magicien ; ainsi montrent-ils ce qu’ils aiment, mais ils n’aiment pas Jésus-Christ ; car ce qu’il n’était pas, c’est ce qu’ils aiment. Ils se trompent donc et sur la personne et sur la chose, puisque c’est mal d’être magicien et que Jésus-Christ ne l’était pas, puisqu’il est bon. Comme nous n’avons rien à dire ici de ceux qui méprisent et blasphèment Jésus-Christ, puisque nous parlons de la gloire dont il a été honoré dans le monde, nous dirons que le Saint-Esprit ne l’a glorifié de sa vraie gloire que dans la sainte Église catholique. Hors de là, en effet, c’est-à-dire chez les hérétiques et même chez certains païens, sa vraie gloire n’a pu se trouver sur la terre, pas même là où l’on semblait parler souvent de lui avec éloge. Aussi, la vraie gloire qu’il trouve dans l’Église catholique est ainsi chantée par le Prophète : « Mon Dieu, élevez-vous au-dessus des cieux, et que votre gloire soit sur toute la terre ec ». Qu’après son exaltation le Saint-Esprit dût venir et le glorifier, c’est ce qu’annonçait le Psalmiste, c’est ce qu’avait promis Jésus-Christ lui-même ; nous en voyons maintenant l’accomplissement.

4. Quant à ce que dit le Sauveur : « Il recevra du mien et vous l’annoncera », écoutez-le avec des oreilles catholiques, comprenez-le avec des esprits catholiques. Il ne s’ensuit pas, en effet, comme l’ont pensé quelques hérétiques, que le Saint-Esprit soit moindre que le Fils ; comme si le Fils recevait du Père, et le Saint-Esprit du Fils, en raison de différences qui existeraient dans leur nature. Loin de nous de le croire ; loin de nous de le dire ; loin de tout cœur chrétien même de le penser. Du reste, Notre-Seigneur tranche lui-même la difficulté et nous explique aussitôt ce qu’il a voulu dire : « Toutes les choses », dit-il, « qu’a le Père, sont miennes ; c’est pourquoi j’ai dit qu’il recevra du mien et vous l’annoncera ». Que voulez-vous de plus ? Le Saint-Esprit reçoit donc du Père et le Fils aussi ; parce que dans cette Trinité, le Fils est né du Père, et que le Saint-Esprit en procède. Celui qui n’est pas né d’un autre et qui ne procède de personne, c’est le Père seul. Mais dans quel sens le Fils unique a-t-il dit : « Toutes les choses que le Père a, sont miennes ? » Certes, ce n’est pas dans le sens dans lequel il a été dit à ce fils non unique, mais l’aîné des deux : « Tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi ed ». Nous le constaterons avec soin, si le Seigneur nous en fait la grâce, à l’occasion de ce passage où le Fils dit au Père : « Et tout ce qui est à moi est à vous, et ce qui est à vous est à moi ee ». Il faut, en effet, terminer ce discours ; ce qui suit demandant, pour être traité, un exorde différent.

CENT UNIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR : « ENCORE UN PEU DE TEMPS, ET VOUS NE ME VERREZ PLUS », JUSQU’À CES AUTRES : « ET EN CE JOUR VOUS NE ME DEMANDEREZ RIEN ». (Chap 16, 16-23.)

LA VIE PRÉSENTE ET LA VIE FUTURE.

Entre le moment de la mort du Christ et celui de sa résurrection devaient déjà se vérifier ces paroles : « Encore un peu de temps, etc. » Mais elles ont particulièrement trait, d’abord à la vie présente, où nous gémissons, et ensuite à la vie éternelle, où nous saurons tout et où rien ne nous manquera.

1. Ces paroles de Notre-Seigneur à ses disciples : « Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus, et encore un peu de temps et vous me verrez, parce que je vais à mon Père », étaient pour eux si obscures, avant l’accomplissement de ce qu’elles annonçaient, qu’ils se demandaient entre eux ce qu’il voulait dire, et qu’ils avouaient n’y rien comprendre. L’Évangile, en effet, ajoute : « Quelques-uns donc des disciples se dirent entre eux : Qu’est-ce qu’il nous dit : Encore un peu de temps et vous me verrez, et encore un peu de temps et vous ne me verrez plus, parce que je vais à mon Père ? Ils disaient donc : Qu’est-ce qu’il nous dit : Encore un peu de temps ? Nous ne savons ce qu’il dit ». Ce qui les embarrassait, c’est qu’il disait : « Encore un peu de temps et vous ne me verrez pas, et encore un peu de temps et vous me verrez ». Auparavant il leur avait dit, non pas : « Encore un peu de temps » ; mais seulement : « Je vais à mon Père, et vous ne me verrez plus ef ». Il semblait alors leur parler clairement, et entre eux ils ne se demandèrent rien à ce sujet. Mais ce qui leur était alors caché et leur fut découvert peu après, nous est maintenant connu. Peu après, en effet, Jésus-Christ souffrit, et ils ne le virent plus ; et encore un peu après, il ressuscita, et ils le virent de nouveau. Par le mot « plus » il voulait leur faire comprendre qu’ils ne le verraient plus à l’avenir, et nous avons déjà expliqué que c’est le sens qu’il faut donner à ces paroles : « Vous ne me verrez plus » ; car, à l’occasion de cet autre passage : « L’Esprit-Saint accusera le monde touchant la justice, parce que je vais au Père, et vous ne me verrez plus
Traité XCV
 », nous avons dit qu’ils ne le verraient plus dans un corps mortel.

2. « Mais Jésus », continue l’Évangéliste, « connut qu’ils voulaient l’interroger, et il leur dit : Vous vous demandez entre vous ce que j’ai dit : Encore un peu de temps, et vous ne me verrez pas ; et encore un peu de temps, et vous me verrez. En vérité, en vérité, je vous dis que vous pleurerez et vous gémirez, vous, et le monde se réjouira ; vous serez contristés, mais votre tristesse se changera en joie ». Ces paroles peuvent s’entendre en ce sens que les disciples furent contristés par la mort de Notre-Seigneur et réjouis aussitôt après par sa résurrection. Mais le monde, et par là il faut entendre ses ennemis, c’est-à-dire ceux qui le mirent à mort, le monde s’est réjoui de la mort de Jésus-Christ, pendant que ses disciples en étaient contristés. Par le mot « monde », on peut entendre la malice de ce monde, c’est-à-dire des hommes qui aiment le monde. C’est pourquoi l’apôtre saint Jacques dit dans son épître : « Quiconque voudra être ami de ce monde se rend ennemi de Dieu eh ». Inimitiés contre Dieu en raison desquelles on n’a pas épargné même son Fils unique.

3. Le Seigneur ajoute ensuite : « Une femme, lorsqu’elle enfante, est dans la tristesse, parce que son heure est venue ; mais lorsqu’elle a enfanté un fils, elle ne se souvient plus de sa douleur à cause de sa joie, parce qu’un homme est né au monde. Et vous, vous avez maintenant de la tristesse ; mais je vous verrai de nouveau, et votre cœur se réjouira, et personne ne vous ravira votre joie ». Cette comparaison ne paraît pas difficile à comprendre. L’explication en est toute trouvée, puisque Notre-Seigneur nous l’a donnée lui-même. L’enfantement est comparé à la tristesse, et la délivrance à la joie, qui est d’ordinaire plus grande lorsque, au lieu d’une fille, c’est un garçon qui vient au monde. Quant à ces mots : « Personne ne vous ravira votre joie », comme Jésus lui-même est leur joie, ils nous sont expliqués par ce que dit l’Apôtre : « Jésus-Christ ressuscitant d’entre les morts ne mourra plus, et la mort n’exercera plus jamais sur lui son empire ei ».

4. Jusque-là, nous n’avons fait que courir dans cette partie de l’Évangile que nous expliquons aujourd’hui, tant chaque chose est facile à comprendre ; mais ce qui suit demande une attention bien plus profonde. Que veulent dire en effet ces paroles : « Et en ce jour vous ne me demanderez rien ? » Le mot ici employé, rogare, ne signifie pas seulement demander, il signifie encore interroger. Et l’Évangile grec, dont celui-ci est la traduction, emploie lui aussi un mot qui présente les deux sens. Ainsi le grec ne peut nous aider à découvrir le sens précis du mot latin ; et quand il pourrait le faire, toute difficulté n’aurait pas disparu. Car nous voyons qu’après sa résurrection Notre-Seigneur a été interrogé et prié. Ses disciples l’ont interrogé, au moment où il montait au ciel, pour savoir quand il reviendrait et rétablirait le royaume d’Israël ej. Il était déjà dans le ciel, quand il fut prié par saint Étienne de vouloir bien recevoir son âme ek. Où est l’homme assez osé pour penser ou dire qu’il ne faut pas prier Jésus-Christ aujourd’hui qu’il est assis au plus haut des cieux, puisqu’on le priait lorsqu’il était sur la terre ? qu’il ne faut pas prier Jésus-Christ aujourd’hui qu’il est immortel, puisqu’il fallait le prier quand il était mortel ? Ah ! mes très-chers frères, prions-le plutôt de vouloir bien résoudre lui-même cette difficulté, en faisant briller sa lumière dans nos cœurs, pour nous faire comprendre ce qu’il a voulu dire.

5. Je le pense, ces paroles : « De nouveau je vous verrai et votre cœur se réjouira, et personne ne vous enlèvera votre joie », doivent se rapporter non pas au temps où, après sa résurrection, il leur donna sa chair à voir et à toucher el, mais plutôt à ce temps dont il avait déjà dit : « Celui qui m’aime sera aimé par mon Père, et je l’aimerai, et je me montrerai à lui em ». Déjà, en effet, Jésus-Christ était ressuscité, déjà il s’était montré dans sa chair à ses disciples, déjà il était assis à la droite du Père, quand l’apôtre Jean, dont nous expliquons l’Évangile, disait dans une de ses épîtres : « Mes bien-aimés, maintenant nous sommes les enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’est point encore apparu ; nous savons que, quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est en ». Cette vision n’est pas pour cette vie, mais pour la vie future ; elle est, non pas du temps, mais de l’éternité. « C’est », dit celui qui est la vie, « c’est vie éternelle, de vous connaître, vous, le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé eo ». Au sujet de cette vision et de cette connaissance, l’Apôtre nous dit : « Nous ne voyons rien maintenant que comme dans un miroir et sous des images obscures ; mais alors nous verrons face à face. Maintenant je ne le connais qu’imparfaitement, mais alors je le connaîtrai comme je suis connu de lui ep ». Ce fruit de tout son travail, l’Église l’enfante aujourd’hui par ses désirs ; alors elle le produira en le voyant. Maintenant elle l’enfante en gémissant, alors elle le produira en se réjouissant ; maintenant elle l’enfante en priant, alors elle le produira en louant. Et c’est un garçon ; car c’est à ce fruit de là contemplation que se rapportent toutes les œuvres de l’action. Seul il est libre ; car il est désiré pour lui-même et il ne se rapporte à rien autre chose. C’est lui que sert toute action, c’est à lui que se rapporte tout ce qui se fait de bien, parce que le bien se fait pour lui ; on n’entre en possession de lui, et on ne le possède que pour lui-même, et ce n’est point pour autre chose. Il est la fin qui nous doit suffire : il est donc éternel ; car la seule fin qui puisse nous suffire est celle qui n’a pas de fin. C’est ce qui était inspiré à Philippe, lorsqu’il disait : « Montrez-nous le Père, et cela nous suffit ». En promettant de le lui montrer, le Fils lui fait la promesse de se montrer lui-même : « Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi eq ? » C’est donc avec raison que nous entendons ces paroles : « Personne ne vous enlèvera votre joie », la joie de l’objet qui nous suffit.

6. Parce que nous venons de dire, il nous est, ce me semble, possible de mieux saisir ces paroles : « Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus, et encore un peu de temps et vous me verrez ». Ce peu de temps dont parle Notre-Seigneur, c’est tout l’espace qui renferme le temps présent. C’est pourquoi notre Évangéliste dit encore dans une de ses épîtres : « C’est la dernière heure er ». Et ce que Notre-Seigneur ajoute : « Parce que je vais à mon Père », doit se rapporter à la première phrase : « Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus » ; et non pas à la seconde, où il dit : « et encore un peu de temps et vous me verrez ». Dès lors qu’il devait aller au Père, ils ne devaient plus le voir. Il ne dit donc pas qu’il devait mourir, et que jusqu’à sa résurrection il serait soustrait à leur vue ; mais il dit qu’il devait aller au Père ; ce qu’il fit après sa résurrection, lorsqu’après avoir conversé avec eux pendant quarante jours, il monta au ciel es. Il dit donc « Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus ». Et il le dit à ceux qui le voyaient corporellement, parce qu’il devait aller au Père, et qu’ils ne le verraient plus comme homme mortel, et tel qu’il était lorsqu’il leur disait ces choses. Quant à ce qu’il ajoute : « Et encore un peu de temps, et vous me verrez », c’est à toute l’Église qu’il le promet ; comme c’est à toute l’Église qu’il a fait cette autre promesse : « Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles et ». Le Seigneur ne retardera pas l’accomplissement de sa promesse : Encore un peu de temps, et nous le verrons, mais dans un état où nous n’aurons pas à le prier ni à l’interroger, parce qu’il ne nous restera rien à désirer ni rien de caché à apprendre. Ce peu de temps nous paraît long, parce qu’il n’est pas encore passé ; mais quand il sera fini, nous comprendrons combien il était court. Que notre joie ne ressemble donc pas à celle du monde dont il est dit : « Mais le monde se réjouira » ; et néanmoins, pendant l’enfantement du désir de l’éternité, que notre tristesse ne soit pas sans joie ; car, dit l’Apôtre : « Joyeux en espérance, patients en tribulations eu ». En effet, la femme qui enfante, et à laquelle nous avons été comparés, ressent plus de joie à mettre au monde un enfant, qu’elle ne ressent de tristesse à souffrir sa douleur présente. Mais finissons ici ce discours. Ce qui suit offre en effet une difficulté très-épineuse ; il faut ne pas le circonscrire dans le peu de temps qui nous reste, afin de pouvoir l’expliquer avec plus de loisir, s’il plaît au Seigneur de nous en faire la grâce.

CENT DEUXIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR : « EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ JE VOUS LE DIS, SI VOUS DEMANDEZ QUELQUE CHOSE AU PÈRE EN MON NOM, IL VOUS LE DONNERA », JUSQU’À CES AUTRES : « DE NOUVEAU JE LAISSE LE MONDE ET JE VAIS AU PÈRE ». (Chap 16,23-28.)

L’HOMME SPIRITUEL.

Pour obtenir du Père ce qu’on lui demande, il faut d’abord connaître Jésus-Christ tel qu’il est et ne rien demander qui ne se rapporte au salut. Mais, pour cela, il faut être spirituel, et c’est ce que le Sauveur promet à ses Apôtres de leur obtenir de la part du Père ; car il les aime.

1. Il nous faut maintenant expliquer ces paroles de Notre-Seigneur : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous demandez quelque chose à mon Père en mon nom, il vous le donnera ». Déjà, dans les premières parties de ce discours de Notre-Seigneur, et à l’occasion de ceux qui demandent certaines choses au Père au nom de Jésus-Christ et ne les reçoivent pas, nous avons dit que demander quelque chose de contraire au salut
Traité LXXIII
, ce n’est pas demander au nom du Sauveur ; car lorsque Jésus a dit : « En mon nom », il a voulu faire allusion, non pas au bruit que font les lettres et les syllabes, mais à ce que ce son signifie et représente réellement. Ainsi celui qui pense de Jésus-Christ ce qu’il ne doit pas penser du Fils unique de Dieu, ne demande pas en son nom, bien qu’il prononce les lettres et les syllabes qui composent son nom ; il demande au nom de celui dont il se fait l’idée au moment où il formule sa demande. Pour celui qui pense de Jésus-Christ ce qu’il en doit penser, il demande en son nom, et il reçoit ce qu’il demande, si d’ailleurs il ne demande rien de contraire à son salut éternel. Mais il le reçoit quand il doit le recevoir. Il est certaines choses qui ne sont pas refusées, mais qui sont différées, pour être données dans un temps opportun, il faut donc entendre que, par ces paroles. « Il vous donnera, à vous », Notre-Seigneur a voulu désigner les bienfaits particuliers à ceux qui les demandent. Tous les saints, en effet, sont toujours exaucés pour eux-mêmes, mais ils ne le sont pas toujours pour tous, pour leurs amis, leurs ennemis, ou les autres ; car Notre-Seigneur ne dit pas absolument : « il donnera » ; mais : « il vous donnera à vous ».

2. « Jusqu’à présent », dit Notre-Seigneur, « vous n’avez rien demandé en mon nom. Demandez et vous recevrez, afin que votre joie soit entière. Cette joie qu’il appelle une joie pleine, n’est pas une joie charnelle, mais une joie spirituelle, et quand elle sera si grande qu’on ne pourra plus rien y ajouter, alors elle sera pleine. Donc tout ce que nous demandons pour nous aider à obtenir cette joie, il faut le demander au nom de Jésus-Christ, si nous comprenons bien la grâce divine, et si nous demandons vraiment la vie bienheureuse. Demander tout autre chose, c’est ne rien demander hors de là. Sans doute, il y a autre chose ; mais en comparaison d’une si grande chose, tout ce que nous pourrions désirer n’est rien. On ne peut pas dire, en effet, que l’homme n’est rien, et cependant l’Apôtre dit de lui : « Il pense être quelque chose, et il n’est rien ew ». Car, en comparaison de l’homme spirituel qui sait que c’est par la grâce de Dieu qu’il est ce qu’il est, celui qui s’abandonne à de vains sentiments de lui-même n’est rien. Ainsi on peut très-bien entendre que, dans ces paroles : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous demandez quelque chose au Père en mon nom, il vous le donnera », Notre-Seigneur, par ces mots, « quelque chose », a voulu parler, non pas de toute sorte de choses, mais de quelque chose dont on ne puisse dire que ce n’est rien en comparaison de la vie éternelle. Ce qui suit : « Jusqu’à présent vous n’avez rien demandé en mon nom », peut s’entendre de deux manières. Ou bien vous n’avez pas demandé en mon nom, parce que vous n’avez pas connu mon nom comme il doit être connu ; ou bien vous n’avez rien demandé, parce qu’en comparaison de ce que vous deviez demander, ce que vous avez demandé doit être regardé comme rien. Aussi, pour les exciter à demander en son nom, non pas rien, mais une joie pleine (car s’ils demandent autre chose, cette autre chose n’est rien), il leur dit : « Demandez, et vous recevrez, afin que votre joie soit pleine » ; c’est-à-dire, demandez en mon nom que votre joie soit pleine, et vous le recevrez. Car les saints qui demandent avec persévérance ce bien-là, la miséricorde divine ne les trompera pas.

3. Notre-Seigneur continue : « Je vous ai dit ces choses en paraboles : l’heure vient où je ne vous parlerai plus en paraboles, mais où je vous parlerai ouvertement de mon Père ». Je pourrais dire que cette heure dont parle Notre-Seigneur doit s’entendre du siècle futur, où nous verrons ouvertement ce que l’apôtre Paul appelle face à face ; ainsi ces mots : « Je vous ai dit ces choses en paraboles », semblent n’être autre chose que ce que dit le même Apôtre : « Nous voyons maintenant par miroir en énigme ex. Je vous parlerai ouvertement », parce que c’est par le Fils que le Père se fera voir, selon ce qu’il dit lui-même ailleurs : « Et personne ne connaît le Père, si ce n’est le Fils et celui auquel le Fils voudra le révéler ey ». Mais ce sens paraît opposé à ce qui suit : « En ce jour vous demanderez en mon nom ». Car dans le siècle futur, quand nous serons arrivés à ce royaume, où nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est ez, que pourrons-nous demander, puisqu’au milieu de tous les biens nos désirs seront satisfaits fa ? C’est pourquoi il est dit dans un autre psaume : « Je serai rassasié, quand votre gloire paraîtra fb ». Une demande, en effet, est la preuve d’une certaine indigence ; or, nulle indigence ne peut exister là où il y aura satiété complète.

4. Autant que je puis m’en rapporter à mon jugement, il n’y a donc plus qu’une chose à faire, c’est de croire que Jésus a voulu promettre à ses disciples de les rendre spirituels, de charnels et grossiers qu’ils étaient ; sans les rendre néanmoins tels que nous serons, quand notre corps lui-même sera spiritualisé, mais en les rendant tels qu’était celui qui disait : « Nous prêchons la sagesse au milieu des parfaits fc » ; et encore : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels fd » ; et encore : « Nous n’avons pas reçu l’esprit de ce monde, mais l’esprit qui est de Dieu, afin que nous connaissions les choses qui nous ont été données par Dieu ; choses que nous annonçons, non avec les doctes paroles de la sagesse humaine, mais avec les doctes paroles de l’esprit : appropriant les choses spirituelles aux spirituels ; car l’homme animal ne perçoit pas les choses qui sont de l’esprit de Dieu fe ». L’homme animal ne percevant pas les choses qui sont de l’esprit de Dieu, tout ce qu’il entend sur la nature de Dieu, il l’entend de telle sorte qu’il ne peut s’imaginer qu’il soit autre chose qu’un corps, aussi grand, aussi étendu que vous voudrez, aussi lumineux, aussi beau que vous le supposez, mais enfin toujours un corps. Toutes les paroles de la Sagesse sur la substance incorporelle et immuable sont donc pour lui des paraboles : non qu’il les regarde comme telles ; mais parce qu’il se fait des idées comme ceux qui entendent les paraboles et ne les comprennent pas. Mais l’homme spirituel commence à juger toutes choses et à n’être jugé par personnes, quoique dans cette vie il voie encore par miroir et en partie, néanmoins, sans l’intermédiaire d’aucun sens du corps et sans le secours de cette imagination qui reçoit ou produit les images des corps, mais bien par la très certaine intelligence de son âme, il comprend que Dieu n’est pas un corps, mais un esprit. À la manière si positive dont le Fils nous parle du Père, on comprend qu’il est la même nature avec celui qui l’annonce. Alors ceux qui demandent, demandent en son nom ; parce que par le son de son nom ils ne comprennent pas autre chose que ce qui est désigné par ce nom, et la vanité ou la faiblesse de leur esprit ne leur fait pas imaginer que le Père est dans un lieu et que le Fils se trouve dans un autre, qu’il est debout devant lui et qu’il le prie pour nous : ils ne s’imaginent pas non plus que le Père et le Fils aient des corps, que ces corps occupent des places différentes, et que le Verbe adresse à celui dont il est le Verbe des paroles qui auraient à traverser l’espace interposé entre la bouche de celui qui parle et les oreilles de celui qui écoute ; ils ne se représentent pas davantage des choses semblables à celles que forgent dans leurs cœurs les hommes charnels et grossiers. Pour les hommes spirituels, lorsqu’ils pensent à Dieu, tout ce que l’habitude de voir et de toucher des corps leur rappelle de matériel, ils le renient et le repoussent, comme on chasse des mouches importunes ; ils l’éloignent des yeux de leur âme ; ils acquiescent à la vérité de cette lumière dont le témoignage et le jugement leur prouvent que ces images corporelles qui se présentent aux yeux de leur esprit, sont absolument fausses. Ceux-là peuvent en quelque manière se représenter Notre-Seigneur Jésus-Christ, en tant qu’homme intercédant pour nous auprès du Père, et en tant que Dieu nous exauçant avec le Père. C’est, j’imagine, ce que Jésus a voulu nous faire comprendre quand il a dit : « Et je ne vous dis point que je prierai le Père pour vous ». Mais l’œil spirituel de l’âme peut seul parvenir à comprendre comment le Fils ne prie pas le Père, et comment le Père et le Fils exaucent par ensemble ceux qui les prient.

5. « Car le Père lui-même », dit Notre-Seigneur, « vous aime parce que vous m’avez aimé ». Le Père nous aime-t-il parce que nous l’aimons, ou bien ne l’aimons-nous point parce qu’il nous aime ? Notre Évangéliste va nous répondre dans son épître : « Nous aimons », dit-il, « parce qu’il nous a aimés le premier ff ». Le motif qui nous le fait aimer, c’est donc qu’il nous a aimés le premier ; c’est donc un don de Dieu que d’aimer Dieu. Il nous a donné de l’aimer, car avant d’être aimé, il nous a aimés. Nous lui déplaisions, et il nous a aimés, afin qu’il y eût en nous de quoi lui plaire. Car nous n’aimerions pas le Fils, si nous n’aimions aussi le Père. Le Père nous aime parce que nous aimons le Fils ; mais c’est du Père et du Fils que nous avons reçu la grâce d’aimer et le Père et le Fils ; la charité, en effet, a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit des deux fg ; et cet Esprit nous fait aimer et le Père et le Fils, et avec le Père et le Fils il se fait aimer lui-même. Ce pieux amour dont nous honorons Dieu, c’est Dieu lui-même qui l’a fait naître en nous, et il a vu qu’il était bon ; c’est pourquoi il a aimé ce qu’il avait fait lui-même. Mais il n’aurait pas fait en nous ce qu’il y aime, si, avant de le faire, il ne nous avait pas aimés.

6. « Et vous avez cru », continue Notre-Seigneur, « que je suis sorti de Dieu. Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde. Maintenant, je laisse le monde et je vais à mon Père ». Nous l’avons cru entièrement, et, certes, ce n’est pas difficile à croire, parce qu’en venant dans ce monde il est sorti du Père sans abandonner le Père ; et il retourne au Père en laissant le monde, mais sans quitter le monde. Il est sorti du Père, parce qu’il est du Père ; il est venu dans le monde, parce qu’il a montré au monde le corps qu’il avait pris dans le sein d’une vierge. Il a laissé le monde en s’éloignant de lui corporellement ; il est retourné au Père par l’ascension de son humanité. Mais il n’a pas quitté le monde, car il y est présent par sa providence.

CENT TROISIÈME TRAITÉ.

SUR CE QUI EST DIT DEPUIS CES MOTS : « SES DISCIPLES LUI DISENT : VOICI QUE MAINTENANT VOUS PARLEZ OUVERTEMENT », JUSQU’À CES AUTRES : « MAIS AYEZ CONFIANCE, MOI J’AI VAINCU LE MONDE ». (Chap 16,29-33.)

DIX-SEPTIÈME SERMON. SUR CES PAROLES DE L’ÉVANGILE SELON SAINT JEAN (XVI, 23-30) : « JÉSUS DIT A SES DISCIPLES : EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS : SI VOUS DEMANDEZ QUELQUE CHOSE A MON PÈRE, EN MON NOM, IL VOUS LE DONNERA ». LA PRIÈRE.

ANALYSE. – Il faut prier lors même que nous n’obtiendrions pas ce que nous demandons. —2. Il y a des méchants qui demandent. —3. D’autres sollicitent des biens temporels, ou bien, ce sont des bons qui demandent de bonnes choses, mais pour des personnes qui en sont indignés. —4. Dieu remet parfois à un autre temps pour accorder aux bons les bonnes choses qu’ils sollicitent de lui. —5. Il y a des saints qui demandent des choses contraires au salut de leur âme. —6. Qu’est-ce que demander au nom du Christ ? —7. Que faut-il spécialement demander ? —8. De l’habitude de Jésus de parler en paraboles. —9. Le Christ prie en qualité d’homme, et, comme Dieu, il exauce. —10. L’homme n’aime pas Dieu avant d’en être aimé. —11. Dans le Christ il y a deux natures. —12. Le propre de Dieu, c’est de lire dans le fond des cœurs.

1. Le Seigneur Jésus-Christ, qui nous donne la grâce de pratiquer la vertu et qui récompensera nos mérites, sait parfaitement que, par nature, l’homme ne peut rien avoir de bon en lui-même, si la grâce divine ne vient à son aide ; car il a dit : « Sans moi vous ne pouvez rien faire fh ». Aussi, en un autre endroit, nous presse-t-il de toujours demander, de réitérer nos prières jusqu’à devenir importuns. Voici en quels termes il nous donne cet avertissement : « Demandez et vous recevrez, cherchez et vous trouverez, frappez et l’on vous ouvrira fi ». Il ne veut pas qu’aucun d’entre nous désespère de la réussite de sa demande, pourvu, toutefois, que nous ne nous lassions pas de prier ; il veut même nous inspirer une vive confiance ; c’est pourquoi il nous dit au commencement de cette leçon : « En vérité, en vérité, je vous le dis : Si vous demandez quelque chose à mon Père en mon nom, il vous le donnera fj ». Nous devons remarquer ici que, en nous exhortant à prier, le Sauveur prétend nous faire trouver dans ses dons gratuits une source de mérites. Avant que nous lui adressions notre demande, il sait ce qu’il nous faut, et s’il nous engage à le prier, c’est afin de trouver en nous la cause d’une juste récompense. « Quiconque demande reçoit », nous dit-il : « celui qui cherche trouve, et l’on ouvre à celui qui frappe fk ». Peut-être, et parce que nous ne les comprenons pas bien, nous laissons-nous troubler par ces paroles : « Si vous demandez quelque chose à mon Père en mon nom, il vous le donnera » ; car nous savons, pour l’avoir lu, que non-seulement des hommes de minime perfection, mais même l’apôtre Paul, qui était d’une sainteté si éminente, ont demandé quelque chose à Dieu et ne l’ont pas obtenu.

2. Afin que la véracité des promesses divines nous apparaisse plus clairement, il nous faut passer en revue les diverses classes de personnes qui prient Dieu, et les causes pour lesquelles elles obtiennent ou n’obtiennent pas ce qu’elles désirent. Il peut arriver parfois que dans l’oraison on demande de bonnes choses, mais que le solliciteur soit un méchant et ne mérite pas d’être exaucé par le Seigneur. Ils espèrent inutilement que Dieu écoutera favorablement l’expression de leurs vœux, ceux qui ne veulent point écouter ses leçons ; car Salomon a dit : « Celui qui bouche ses a oreilles pour ne pas entendre la loi, sa prière sera exécrable devant Dieu fl ».

3. D’autres fois, ce sont des hommes charnels qui demandent des choses non moins charnelles ; aussi Dieu ne les exauce-t-il pas. C’est à eux que le bienheureux apôtre Jacques adresse ces paroles : « Vous demandez et vous ne recevez point, parce que vous demandez mal, ne cherchant qu’à satisfaire vos passions ». Quelquefois encore des bons demandent de bonnes choses ; mais les dispositions de ceux à qui ils s’intéressent sont mauvaises et s’opposent à ce que leurs prières réussissent. Tels étaient celles des personnes au sujet desquelles le Seigneur disait à Jérémie : « Toi donc, ne prie pas pour ce peuple, ne m’adresse pour eux ni cantique ni demande, et ne t’oppose pas à moi, parce que je ne t’exaucerai point fm ». Et : « En vain Moïse et Samuel se présenteraient devant moi, mon âme n’est plus à ce peuple fn ». N’allons pas cependant nous imaginer que nous n’acquérons aucun mérite, quand nous prions pour des pécheurs et que nous ne sommes pas jugés dignes d’être exaucés : si, en effet, ils ne méritent pas le succès des demandes que nous adressons à Dieu pour eux, notre bonne intention n’obtiendra pas moins sa récompense. Voilà pourquoi le Sauveur ne s’est point borné à dire : « Si vous demandez quelque chose à mon Père en mon nom, il le donnera » ; il a ajouté, à ce dernier mot, un autre mot : « Il vous le donnera ». C’était dire, en d’autres termes : Si les personnes, pour lesquelles vous postulez ne méritent pas de recevoir la grâce demandée, vous aurez, vous, la récompense des sentiments charitables qui vous animent. « Et ma prière se retournera vers moi fo ».

4. Enfin, si ce sont des saints, et qu’ils sollicitent des choses saintes, il peut se faire que leur demande ne soit pas exaucée dans le temps présent : elle le sera évidemment dans le temps avenir. En effet, l’Église n’adresse-t-elle pas tous les jours à Dieu cette prière : « Que votre règne arrive ? fp » Et cette prière ne s’accomplit pas tout de suite, mais on compte sûrement en voir l’effet après le jugement universel.

5. Lorsque, sans le savoir, les saints demandent des choses nuisibles à leur âme, il arrive, par un secret jugement de Dieu, qu’ils sont exaucés, non pas suivant leurs désirs, mais dans l’ordre de leur salut. Mieux vaut, à beaucoup près, être exaucé en vue de notre salut qu’en raison de notre volonté. Pour vous donner de ma pensée une idée plus sensible, prenons, comme exemple, deux personnages, l’un bon et l’autre méchant, dont le premier a prié sans rien obtenir, dont le second a demandé et obtenu la réalisation de ses vœux. N’allez pas dire, dans le secret de votre cœur Celui qui a été exaucé était peut-être juste devant Dieu ; celui qui a inutilement sollicité le Seigneur était peut-être un méchant. Nous supposons un méchant, dont les mauvaises dispositions ne puissent laisser place à aucun doute, et un juste dont la sainteté soit évidente pour tous : je veux parler de l’apôtre Paul et du diable. Y a-t-il un seul homme pour nier que le diable soit le père de la méchanceté, surtout quand le bienheureux Job à dit de lui : « Il envisage tout ce qu’il y a de superbe, il est le roi de tous les enfants d’orgueil ? fq » Peut-on élever le moindre doute sur la sainteté de l’apôtre Paul, pour le temps qui a suivi sa conversion, surtout quand son juge lui-même lui a rendu ce témoignage flatteur : « Cet homme est pour moi un vase d’élection qui portera mon nom devant les gentils, devant les rois et devant les enfants d’Israël ? fr » Cependant le diable a fait à Dieu une demande, et il a réussi ; l’Apôtre en a fait aussi une, et il a échoué. Le diable a demandé le pouvoir de porter atteinte à la fortune de Job, et Dieu lui a répondu : « Tout ce qu’il possède est en ton pouvoir fs ». Paul a demandé que l’aiguillon de la chair lui fût enlevée ft, et il n’a rien obtenu. Lequel des deux, du diable ou de l’Apôtre, a été le mieux exaucé ? Le diable a vu sa demande favorablement accueillie relativement à ses désirs, mais nullement par rapport au salut ; car il n’est devenu que plus coupable à porter dommage au saint Iduméen : mais si l’Apôtre a vu sa prière repoussée quant à ses désirs, elle lui a été favorable dans l’ordre du salut ; car il n’était pas utile pour lui d’être délivré de l’aiguillon de la chair, puisque cet aiguillon lui avait été donné comme sauvegarde de son humilité. Il l’a dit lui-même en ces termes : « Aussi, de peur que la grandeur de mes révélations ne me donnât de l’orgueil, un aiguillon a été mis dans ma chair, instrument de Satan, pour me donner comme des soufflets. C’est pourquoi j’ai prié trois fois le Seigneur de l’éloigner de moi ; il m’a répondu : Ma grâce te suffit, car la force se perfectionne dans la faiblesse fu ». Celui donc qui demande avec une ferme confiance et persévéramment ce qui peut contribuer au salut de son âme, est certainement exaucé soit en ce monde-ci, soit en l’autre. C’est pourquoi il est dit avec à propos : « En mon nom fv ». Son nom est Jésus, c’est-à-dire, Sauveur ou salutaire. Celui-là donc demande au nom de Jésus, qui sollicite le salut de son âme.

6. « Jusqu’ici, vous n’avez rien demandé en mon nom ». Est-ce qu’auparavant les Apôtres n’avaient rien demandé ? N’avaient-ils pas dit : « Seigneur, dites-nous quand arriveront ces choses, et quel sera le signe de votre arrivée fw ? » Il est sûr qu’ils avaient, plusieurs fois déjà, adressé de pareilles questions à leur Maître. On peut entendre de deux manières ces paroles du Sauveur : « Jusqu’ici vous n’avez rien demandé en mon nom ». Premier sens : « Vous n’avez rien demandé », parce que vous ne m’avez pas assez cru égal à mon Père, pour demander en mon nom. Second sens, qui est certain : « Vous n’avez rien demandé », car ce que vous avez demandé n’est rien en comparaison de ce que vous auriez dû solliciter. Avant la passion, l’esprit des Apôtres était encore si faible, qu’ils se bornaient, en effet, à demander avant tout des faveurs terrestres et transitoires. Ainsi en fut-il des fils de Zébédée l’Évangile nous raconte que, à leur instigation, leur mère demanda à Jésus une place à sa droite pour l’un de ses deux enfants, et, pour l’autre, une place à sa gauche fx. Et comme ce qu’ils demandaient là n’était rien en comparaison de ce qu’ils auraient pu demander, le Sauveur leur fit aussitôt cette réponse : « Vous ne savez ce que vous demandez ». Car les avantages de la terre et du temps doivent être regardés comme rien, si on les compare au bonheur éternel. Jusqu’alors les Apôtres s’étaient donc montrés lents à solliciter les biens de l’autre vie ; aussi le Sauveur les presse-t-il vivement de les lui demander : « Demandez », leur dit-il, et pour qu’ils ne doutent nullement de la réussite de leur prière, il ajoute à bon droit : « Et vous recevrez ».

7. Mais que devaient-ils principalement demander ? Le Sauveur le leur fait connaître par ces paroles : « Que votre joie soit entière fy ». Voici l’ordre dans lequel la phrase doit être construite : Demandez que votre joie soit entière, et vous obtiendrez. D’après ce passage, il nous est facile de voir que, dans notre prière, nous ne devons solliciter ni de l’or, ni de l’argent, ni les richesses de ce monde, ni de longs jours ici-bas, mais la vie éternelle et tout ce qui peut nous y conduire, c’est-à-dire les perfections de l’âme. Une joie entière et parfaite ne peut se rencontrer sur la terre, car la fragilité des choses et leur vicissitude nous y exposent à de tels changements, que nous ne pouvons même nous flatter d’être, une heure durant, en possession du bonheur. En ce monde, la joie fait subitement place à la tristesse, le plaisir à la douleur, la santé à la maladie, une large aisance à une pauvreté extrême, la prospérité au malheur, la jeunesse à la décrépitude, la rie à la mort. Si le Sauveur nous dit : « Demandez et vous recevrez, afin que votre joie soit entière », il nous engage donc à demander la possession de cette vie toute privilégiée et bienheureuse au sein de laquelle la tristesse ne viendra jamais troubler nos joies, où notre bonheur ne sera empoisonné par aucun tourment, où notre tranquillité se verra à l’abri de la crainte, où, enfin, notre existence n’aura pas à redouter les coups de la mort. Tous ceux qui obtiendront d’y entrer « vivront a dans l’allégresse et le ravissement ; la douleur et les gémissements fuiront à jamais « de leur cœur fz ». Il en sera ainsi quand s’accomplira ce que le Sauveur a promis en disant : « Je vous verrai de nouveau, et votre cœur se réjouira, et nul ne vous ravira votre joie ga ». Cette vie éternelle faisait l’objet des désirs du Prophète. Ne disait-il pas en effet « J’ai demandé une chose au Seigneur, et je la lui demanderai encore, d’habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, pour y contempler la beauté du Seigneur, pour visiter son sanctuaire ? gb » Et encore : « Je suis sûr de voir les biens du Seigneur dans la terre des vivants gc ? »

8. « Je vous ai dit ces choses en paraboles. « L’heure vient où je ne vous parlerai plus en paraboles, mais où je vous parlerai ouvertement de mon Père gd ». Par paraboles, on entend des comparaisons nécessairement employées dans l’intérêt des auditeurs, pour leur donner l’intelligence de certaines pensées plus difficiles à saisir que les autres : au moyen de ces comparaisons, on peut se faire une idée des choses invisibles, en entendant parler de choses visibles. De là est venu qu’on a donné à un livre de Salomon le nom de livre des proverbes ; car, à l’aide de certaines similitudes, il porte les enfants, malgré leur ignorance, à apprendre les règles de la sagesse. Si donc le Sauveur dit à ses disciples qu’il leur a parlé en paraboles, c’est qu’il a commencé par se mettre à la portée de leur faiblesse, en se servant, dans ses discours, de comparaisons destinées à leur faire plus aisément saisir le mystère du royaume des cieux. L’évangéliste Matthieu nous atteste expressément ses habitudes sous ce rapport : « Jésus parlait en paraboles à ses disciples, et jamais il ne leur parlait qu’en paraboles ge ». Mais, quand il leur promet de ne plus leur parler en paraboles et de leur parler ouvertement de son Père, il leur montre qu’un jour le Saint-Esprit descendra en eux et leur communiquera une sagesse telle qu’il ne sera plus nécessaire de leur parler en paraboles, comme à des enfants : alors cet Esprit-Saint viendra les visiter et leur parlera ouvertement du Père ; c’est-à-dire, qu’il leur fera connaître parfaitement comment le Père est dans le Fils, et le Fils dans le Père ; et ils sauront aussi que tout ce que peut le Père, le Fils le peut pareillement, d’après cette parole du Sauveur lui-même : « Tout ce qui est à mon Père est à moi gf ». Voilà pourquoi le Sauveur continue en disant : « Ce jour-là, vous demanderez en mon nom gg ». C’était dire, en d’autres termes : Ce jour-là, le Saint-Esprit viendra en vous, et il vous apprendra que « mon Père et moi nous sommes un gh ». Alors « vous demanderez en mon nom », parce que vous saurez que je suis égal au Père, et vous croirez que je puis vous exaucer en tout, conjointement avec le Père. À ces paroles : « Vous demanderez en mon nom », on peut encore donner un autre sens ; le voici : Lorsque le Saint-Esprit sera descendu en vous et qu’il vous aura appris à mépriser complètement les choses d’ici-bas, alors vous comprendrez qu’il vous faut demander uniquement ce qui a trait au salut de vos âmes.

9. Et comme, en se faisant homme, il n’a pas cessé d’être un Dieu parfait, le Christ ajoute avec raison : « Et je ne dis pas que je prierai mon Père pour vous » ; car, parce qu’il est homme, il dit à ses Apôtres dans un autre endroit de l’Évangile, qu’il a prié son Père en leur faveur : « Père saint, conservez, pour votre nom, ceux que vous m’avez donnés ». Et encore : « Père, lorsque j’étais avec eux, je les conservais pour votre nom ; maintenant, je vous prie pour eux et non pour le monde : je ne vous prie point de les retirer du monde, mais de les préserver du mal gi ». Ailleurs il dit à Pierre : « J’ai prié mon Père pour toi, afin que ta foi ne défaille pas gj ». Il dit maintenant qu’il ne priera pas son Père en faveur de ses disciples, parce qu’il partage avec lui la toute-puissance de la divinité. C’est donc en tant qu’homme qu’il prie son Père, puisqu’en tant que Dieu il accorde, conjointement avec lui, tout ce qu’on lui demande. En disant : « Et je ne vous dis pas que je prierai mon Père pour vous gk », il montre évidemment encore qu’au sein de la vie éternelle les élus jouiront d’un tel bonheur qu’ils n’auront plus besoin même de prières ; car ils seront comblés d’une joie sans fin, suivant cette promesse faite au nom du Seigneur par le prophète Isaïe : « En ces jours-là et en ce temps-là, nul n’instruira plus ni son prochain ni son frère, disant : « Connais le Seigneur, car tous me connaîtront, depuis le plus petit jusqu’au plus grand, dit le Seigneur gl ». Aussi le Sauveur n’a-t-il pas dit au présent : Je prie, mais au futur : Je prierai.

10. « Car mon Père lui-même vous aime, parce que vous m’avez aimé et que vous avez cru que je suis sorti de Dieu gm ». Ces paroles ne doivent pas s’entendre en ce sens que ses disciples aient été les premiers à l’aimer, et que, par conséquent, ils aient mérité par eux-mêmes d’être aimés du Père ; en effet, le Père les a aimés le premier, et ç’a été de sa part un don tout gratuit qu’ils aient été capables d’aimer le Fils et de croire en lui. 2 a dit d’eux par l’organe du Prophète : « Je les aimerai spontanément gn » ; et dans l’Évangile : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis go ». Voilà pourquoi l’apôtre Jacques a prononcé ces paroles : « Il nous a volontairement engendrés par la parole de la vérité gp ». La grâce subséquente, qui aide l’homme à pouvoir faire le bien, est d’abord antécédente à son égard, c’est-à-dire qu’elle lui inspire la volonté de bien agir. Si, en effet, la grâce de Dieu ne prévenait la volonté humaine, pour la porter au bien, le Psalmiste ne dirait pas : « En vous, Seigneur, je conserverai ma force ; vous êtes mon asile ; Dieu m’a prévenu de sa miséricorde gq ». Et si la même grâce ne venait point ensuite pour l’aider à bien faire, le même Psalmiste ne dirait pas non plus « Et votre miséricorde me suivra pas à pas tous les jours de ma vie gr ».

11. « Je suis sorti de mon Père, et je suis venu dans le monde ; je quitte de nouveau le monde, et je vais à mon Père gs ». Dans ce verset, Notre-Seigneur a clairement établi l’existence de ses deux natures, c’est-à-dire de sa nature divine et de sa nature humaine. Et c’était à propos ; car, bien qu’il fût Dieu, les hommes ne pouvaient néanmoins apercevoir sa nature divine. « Il est sorti de son Père, et il est venu dans le monde » parce qu’il voulait se faire voir sous la forme d’esclave et qu’il s’est rendu visible aux yeux du monde. Aussi l’Apôtre a-t-il dit : « Ayant la nature de Dieu, il n’a pas cru que ce fût pour lui une usurpation de s’égaler à Dieu ; il s’est cependant anéanti lui-même en prenant la forme d’esclave, en se rendant semblable aux hommes, et en se faisant reconnaître pour homme par tout ce qui a paru de lui gt ». Il a de nouveau quitté le monde et il est allé à son Père, quand, après avoir accompli tout le mystère de son Incarnation, il a placé, à la droite de son Père, la nature humaine qu’il nous avait empruntée pour s’en revêtir ; c’est ce que rapporte l’évangéliste Marc : « Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut élevé dans le ciel, et il est assis à la droite de Dieu gu ». De même qu’il ne s’est point séparé du Père, quand il est venu dans le monde, de même, il n’a point abandonné ses élus en retournant vers son Père ; car il dit lui-même dans un autre endroit : « Voici que je suis avec vous, tous les jours, jusqu’à la consommation des siècles gv ». Tout en restant avec le Père, en tant que Dieu, il est venu en ce monde en tant qu’homme : et tout en remontant, en tant qu’homme, vers le Père, il est demeuré avec ses élus en tant que Dieu. Ainsi s’exprime-t-il encore ailleurs : « Personne n’est monté au ciel, sinon Celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’Homme, qui est au ciel gw ».

12. « Ses disciples lui dirent : Voilà que vous parlez ouvertement et que vous ne vous servez plus de parabole gx ». Par ces paroles, les disciples montrent qu’en entretenant avec eux cette conversation le Sauveur avait abordé un sujet qui leur était singulièrement agréable : sans doute, tout ce qu’il leur avait dit, ils ne l’avaient point parfaitement compris ; pourtant, ils croyaient bien avoir saisi sa pensée, puisqu’ils lui répondirent : « Voilà que vous parlez ouvertement, et que vous ne vous servez point de parabole ». La raison en était que, souvent, il prévenait leurs désirs : ils voulaient l’interroger sur certains points, mais avant qu’ils eussent eu le temps de le faire, il leur répondait suivant leurs vœux : c’était là, pour eux, un indice de sa divinité ; ils le comprenaient si bien, qu’ils continuèrent en ces termes : « Nous voyons maintenant que vous savez toutes choses et qu’il n’est pas besoin que personne vous interroge ; aussi croyons-nous que vous êtes sorti de Dieu gy ». C’est, en effet, le propre de Dieu de lire, dans le cœur humain, les pensées qui s’y trouvent l’Écriture nous l’atteste, car elle dit : « Il n’y a que vous seul pour connaître le cœur des hommes gz ». Et encore : « Seigneur, vos yeux voient dans le cœur humain ha ». Et, dans un autre psaume : « Vous découvrez de loin mes pensées hb ».

LA FOI DES APÔTRES.

Les disciples de Jésus ne le comprenaient pas encore et croyaient néanmoins le comprendre ; ils voyaient briller en lui l’omniscience et, en conséquence, ils croyaient en lui. Cependant le Sauveur leur prédit que, eu dépit de leur foi, ils le quitteront, mais seulement pour un temps.

1. À plusieurs indices répandus dans tout l’Évangile, on reconnaît ce qu’étaient les disciples de Jésus-Christ, lorsque, leur parlant avant sa passion, il leur disait de bien grandes choses : ils étaient pourtant bien petits, mais cependant il s’adressait à eux comme il le fallait pour dire de grandes choses à des petits ; car ils n’avaient pas encore reçu le Saint-Esprit comme ils le reçurent après sa résurrection, au moment où Jésus souffla sur eux, ou bien lorsque l’Esprit-Saint descendit du ciel sur eux, et par conséquent ils goûtaient plutôt les choses humaines que les choses divines ; voilà pourquoi ils disaient ce que nous lisons dans la leçon d’aujourd’hui. L’Évangéliste, en effet, continue : « Ses disciples lui disent : Voici que maintenant vous parlez ouvertement, et vous ne dites point de paraboles. Maintenant nous savons que vous connaissez toutes choses, et il est inutile que quelqu’un vous interroge ; voilà pourquoi nous croyons que vous êtes sorti de Dieu ». Notre-Seigneur avait dit lui-même peu auparavant : « Je vous ai dit ces choses en paraboles ; l’heure vient où je ne vous parlerai pas en paraboles ». Comment donc lui disent-ils : « Voici que maintenant vous parlez ouvertement, et vous ne dites point de paraboles ? » L’heure était-elle venue où, selon sa promesse, il ne devait plus leur parler en paraboles ? Mais la suite de ses paroles montre bien que cette heure n’avait pas encore sonné. Voici, en effet, ce qu’il dit : « Je vous ai dit ces choses en paraboles, mais l’heure vient où je ne vous parlerai plus en paraboles, je vous parlerai alors ouvertement de mon Père. En ce jour, vous demanderez en mon nom, et je ne vous dis pas que je prierai le Père pour vous ; car le Père lui-même vous aime, parce que vous m’avez aimé et que vous avez cru que je suis sorti de Dieu. Je suis sorti du Père, et je suis venu dans le monde. Maintenant, je laisse le monde et je vais à mon Père hc ». Par toutes ces paroles, il promet encore cette heure où il ne parlera plus en paraboles, mais où il leur parlera ouvertement de son Père ; heure où ils demanderont en son nom, et ou il ne priera pas le Père pour eux ; car le Père les aime parce qu’ils ont eux-mêmes aimé Jésus-Christ ; parce qu’ils ont cru qu’il était sorti du Père pour venir dans le monde, et que maintenant il allait laisser le monde pour retourner à son Père. Puisqu’il leur promet encore cette heure où il doit parler sans paraboles, pourquoi les disciples disent-ils : « Voici que maintenant vous parlez ouvertement et vous ne dites point de paraboles ? » Évidemment, en voici la raison les choses que Jésus savait être des paraboles pour eux qui ne les comprenaient pas, ils les comprenaient si peu qu’ils ne voyaient pas même qu’ils ne les comprenaient point. Ils étaient encore de petits enfants, et ils ne pouvaient juger spirituellement de ce qui se disait, non par rapport au corps, mais par rapport à l’esprit.

2. Enfin, pour les avertir de leur âge, qui, selon l’homme intérieur, était encore peu avancé et bien faible, « Jésus leur répondit : Vous croyez maintenant ; voici venir l’heure, et elle est déjà venue, où vous serez dispersés chacun de votre côté, et vous me laisserez seul ; mais je ne suis pas seul, parce que le Père est avec moi ». Un peu auparavant, il avait dit : « Je laisse le monde et je vais à mon Père » ; maintenant il dit : « Le Père est avec moi ». Comment aller à celui qui est avec lui ? Voilà une parole claire pour celui qui comprend, une parabole pour celui qui ne comprend pas. Néanmoins, ce que les enfants sont maintenant incapables de comprendre, ils peuvent le sucer, et s’il ne leur fournit pas une alimentation solide, qu’ils ne pourraient supporter, du moins il ne les prive pas d’un lait qui leur sert de nourriture. Aux Apôtres, cet aliment donnait de savoir que Jésus connaissait toutes choses et qu’il n’avait pas besoin que quelqu’un l’interrogeât ; aussi l’on peut demander pourquoi ils s’expriment ainsi. Il semble, en effet, qu’il eût fallu dire : Vous n’avez pas besoin d’interroger quelqu’un, et non pas : « Que quelqu’un vous interroge ». Ils venaient de dire : « Nous savons que vous connaissez toutes choses » ; or, évidemment, ceux qui ignorent, interrogent d’ordinaire celui qui connaît tout, afin d’apprendre de lui ce qu’ils cherchent à savoir. Mais celui qui connaît tout n’interroge pas comme s’il voulait apprendre quelque chose. Par conséquent, puisqu’ils savaient qu’il connaissait toutes choses, et qu’ils auraient dû lui dire : Vous n’avez besoin d’interroger personne, pourquoi ont-ils cru devoir lui dire : « Vous n’avez pas besoin que quelqu’un vous interroge ? » Pourquoi cela, quand nous voyons que l’un et l’autre ont été faits, c’est-à-dire que Notre-Seigneur a interrogé et qu’il a été lui-même interrogé ? La solution de cette difficulté est facile à trouver. Ce n’était pas lui qui avait besoin de les interroger et d’être interrogé par eux ; c’étaient eux-mêmes. Car s’il les interrogeait, il voulait non pas apprendre d’eux quelque chose, mais bien plutôt les instruire ; et puisque ceux qui l’interrogeaient voulaient apprendre quelque chose de lui, ils avaient assurément besoin de l’interroger, pour apprendre quelque chose de Celui qui connaissait tout. Il n’avait donc pas besoin que quelqu’un l’interrogeât. Pour nous, quand ceux qui veulent apprendre quelque chose de nous nous interrogent, il nous est facile de comprendre, d’après leurs questions, ce qu’ils veulent savoir. Nous avons donc besoin d’être interrogés par ceux à qui nous voulons apprendre quelque chose, afin de connaître ; les questions auxquelles nous aurons à répondre. Mais Jésus, qui connaissait tout, n’avait pas même besoin de cela ; il n’avait pas besoin qu’on lui fît des questions pour connaître ce que chacun voulait apprendre de lui, parce qu’avant d’être interrogé, il connaissait la volonté de celui qui devait l’interroger. Néanmoins, il se laissait interroger afin de montrer quels étaient ceux qui l’interrogeaient, soit à ceux qui étaient présents, soit à ceux qui devaient en entendre raconter ou lire le récit : c’était encore afin de nous faire ainsi connaître quels pièges on lui tendait sans pouvoir l’y faire tomber, et aussi par quels moyens on s’approchait de lui. Prévoir les pensées des hommes et ainsi n’avoir nul besoin d’être interrogé, ce n’était pas chose difficile pour Dieu, mais c’était une grande chose aux yeux de disciples peu spirituels, comme étaient les siens ; car ils lui dirent : « En cela, nous croyons que « vous êtes sorti de Dieu ». Une chose bien plus difficile à comprendre était celle à l’intelligence de laquelle il voulait les amener et les élever, lorsqu’après les avoir entendus lui dire, et lui dire avec vérité : « Vous êtes « sorti de Dieu » ; il leur répondit : « Le Père est avec moi », pour ne point leur laisser croire que le Fils était sorti du Père, de façon à le quitter.

3. Enfin, pour terminer ce grand et long discours, le Christ ajoute : « Je vous ai dit ces choses, afin que vous ayez la paix en moi. Dans le monde vous aurez des afflictions ; mais ayez confiance, j’ai vaincu le monde ». Cette affliction devait avoir le commencement dont il leur avait parlé plus haut, quand pour leur montrer qu’ils n’étaient que de petits enfants qui ne comprenaient pas encore, qui prenaient une chose pour une autre et qui regardaient comme des paraboles les choses élevées et divines qu’il leur adressait, il leur dit : « Maintenant vous croyez ? Voici venir l’heure, et elle est déjà venue, où vous vous disperserez chacun de votre côté ». Voilà le commencement de leur affliction ; mais elle ne devait pas durer toujours de cette façon ; s’il leur dit : « Et vous me laisserez seul », il ne veut pas que pendant la persécution qui doit suivre et qu’ils auront à souffrir dans le monde après son ascension, ils le laissent seul ; mais il veut qu’ils demeurent en lui et qu’ils y trouvent la paix. Lorsque, en effet, il eut été pris par les Juifs, non seulement ils abandonnèrent corporellement son humanité, mais leur âme elle-même abandonna la foi en lui. C’est à cela que se rapportent ces paroles : « Maintenant vous croyez ? Voici venir l’heure où vous serez dispersés chacun de votre côté et où vous me laisserez ». C’était, en d’autres termes, leur dire : Alors vous serez tellement troublés, que vous laisserez même ce que vous croyez maintenant. Ils en vinrent en effet à un désespoir inouï, et pour ainsi dire à une sorte d’anéantissement de leur foi première. Cléophas en fut une preuve vivante ; car, s’entretenant avec Jésus sans le connaître après la résurrection, et lui racontant ce qui lui était arrivé, il lui disait : « Nous espérions qu’il rachèterait Israël hd ». Voilà comment ils l’avaient laissé : ils avaient abandonné même la foi qu’ils avaient eue en lui. Mais dans la persécution qu’ils souffrirent après sa glorification et après la descente du Saint-Esprit, ils ne l’abandonnèrent plus : sans doute, ils s’enfuirent de ville en ville, mais ils ne s’éloignèrent plus de lui ; mais, afin de trouver la paix en lui-même au milieu de la persécution, ils ne s’éloignèrent pas de lui comme des transfuges ; ils le prirent, au contraire, pour leur refuge. Quand ils eurent reçu le Saint-Esprit, alors s’accomplit en eux ce qu’il leur dit maintenant. « Ayez confiance, j’ai vaincu le monde ». Ils ont eu confiance et ils ont vaincu. En qui ? En lui, évidemment. Car lui n’aurait pas vaincu le monde, si ses membres s’étaient laissé vaincre parle monde. Aussi l’Apôtre dit-il : « Rendons grâces à Dieu, qui nous donne la victoire », et ajoute-t-il aussitôt : « Par Notre-Seigneur Jésus-Christ he ». Car le Sauveur avait dit à ses disciples : « Ayez confiance, j’ai vaincu le monde ».
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