‏ John 18

CENT DOUZIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CES PAROLES : « JÉSUS AYANT DIT CES CHOSES, SORTIT AVEC SES DISCIPLES », JUSQU’A CES AUTRES : « ILS SAISIRENT JÉSUS ET LE LIÈRENT ». (Chap 18,1-12.)

JÉSUS AU JARDIN DES OLIVES.

Arrivé au jardin des Olives, le Sauveur y est bientôt suivi par les Juifs et Judas. D’un mot, il les renverse et guérit Malchus que Pierre a blessé. Avant sa guérison, Malchus était la figure de la servitude, et après, celle de la liberté, comme sa blessure était l’emblème du renouvellement de l’intelligence.

1. À la suite du beau et long discours qu’après la cène et avant de répandre son sang le Sauveur adressa à ceux de ses disciples qui étaient avec lui, à la suite de la prière qu’il adressa à son Père, l’Évangéliste Jean commence en ces termes le récit de sa passion : « Jésus ayant dit ces choses sortit avec ses disciples au-delà du torrent de Cédron, où était un jardin, dans lequel il entra, lui et ses disciples. Or, Judas, qui le trahissait, connaissait aussi ce lieu-là, parce que Jésus y était souvent venu avec ses disciples ». L’Évangéliste raconte que Notre-Seigneur entra dans le jardin avec ses disciples ; mais cela n’arriva pas aussitôt après la prière dont il est écrit : « Jésus ayant dit ces choses ». Dans l’intervalle eurent lieu quelques événements que notre Évangéliste a passés sous silence et qui se lisent dans les autres Évangiles. De même aussi nous trouvons dans celui de Jean le récit de beaucoup d’événements dont les autres Évangélistes ne parlent pas. Pour ceux qui voudraient savoir comment ils s’accordent entre eux et comment la vérité émise par l’un n’est pas combattue par l’autre, ils l’apprendront, non pas dans ces discours, mais dans d’autres traités d’un pénible travail que j’ai composés sur ce sujet ; qu’ils les étudient non debout et en écoutant, mais assis et en les lisant ou bien en prêtant une oreille et un esprit très-attentifs à celui qu’ils chargeront de les lire. Néanmoins, soit qu’ils puissent en cette vie arriver à cette science, soit qu’ils en soient empêchés par quelque obstacle, ils doivent croire dès à présent qu’il n’y a dans aucun Évangile, dans ceux du moins que D’autorité de l’Église reçoit comme canoniques, rien de contraire à ’ce qui se trouve dans les autres ; car ils sont tous doués de la même véracité. Pour le moment, voyons, sans le comparer à celui des autres, le récit de Jean que nous avons entrepris d’expliquer ; nous passerons brièvement sur les choses qui sont claires, et, quand le sujet le demandera, nous pourrons nous arrêter plus longtemps. Et maintenant, quoiqu’il soit dit : « Jésus ayant « dit ces choses sortit avec ses disciples au-delà du torrent de Cédron, où était un jardin dans lequel il entra lui et ses disciples », il ne faut pas entendre ce passage en ce sens qu’aussitôt après avoir fini de parler, Notre-Seigneur entra dans le jardin. Mais ces paroles : « Jésus ayant dit ces choses », doivent seulement nous faire comprendre qu’il n’entra pas dans le jardin avant d’avoir fini son discours.

2. « Or, Judas qui le trahissait connaissait ce lieu ». L’ordre des mots est celui-ci : « Il connaissait ce lieu, lui qui le trahissait, parce que », ajoute l’Évangéliste, « Jésus y était venu souvent avec ses disciples ». C’est donc là que ce loup, couvert d’une peau de brebis et supporté au milieu des brebis par un dessein profond du Père de famille, savait pouvoir disperser pour un peu de temps le troupeau, en dressant des embûches au Pasteur. « Judas, ayant accepté une cohorte et des serviteurs envoyés par les princes et les Pharisiens, vint en ce lieu avec des lanternes, et des torches, et des armes ». La cohorte était composée, non de juifs, mais de soldats. Elle était envoyée par le gouverneur, comme pour s’emparer d’un coupable ; par là, ils respectaient l’ordre des pouvoirs légitimes afin que personne n’osât leur résister, quand ils le tiendraient. D’ailleurs, ils avaient rassemblé une si grande troupe et l’avaient armée de telle sorte, qu’elle devait suffire à effrayer ou à disperser ceux qui auraient osé défendre Jésus-Christ. Sa puissance était tellement cachée, et sa faiblesse était si visible, que toutes ces précautions parurent aux yeux de ses ennemis nécessaires à employer contre lui ; car ils ignoraient qu’ils ne pouvaient lui faire que ce qu’il voulait lui-même. Car il était bon, et il faisait un bon usage du mal, et il tirait le bien du mal pour rendre bons les méchants et séparer les bons d’avec les autres.

3. « Or », continue l’Évangéliste, « Jésus, sachant tout ce qui devait lui arriver, s’avança et leur dit. Qui cherchez-vous ? Ils lui répondirent : Jésus de Nazareth. Jésus leur dit : C’est moi, et Judas qui le trahissait était debout au milieu d’eux. Aussitôt donc que Jésus leur eut dit : C’est moi, ils s’en allèrent à la renverse et tombèrent par terre ». Où est donc maintenant la cohorte de soldats ? où sont les serviteurs des prêtres et des Pharisiens ? où est cette terreur et ce grand déploiement d’armes ? Une seule parole : « C’est moi », a suffi, sans le secours d’aucune arme, pour frapper, repousser et renverser une foule si nombreuse, transportée de haine et rendue redoutable par ses armes. Le Dieu se dérobait sous le voile de l’humanité, et le jour éternel se trouvait tellement éclipsé sous les membres humains, que les ténèbres le cherchaient avec des lanternes et des torches pour le tuer. Il dit : « C’est moi », et il renverse ces impies. Que fera-t-il quand il viendra pour juger, puisqu’il fait de telles choses au moment où il va être jugé ? Quelle sera sa puissance quand il régnera, s’il peut ainsi agir quand il va tomber sous les coups de la mort ? Et maintenant, par le moyen de l’Évangile, Jésus-Christ dit partout : « C’est « moi a, et les Juifs attendent l’antéchrist, pour retourner en arrière et tomber à terre ; car ils abandonnent les choses célestes et n’aiment que les choses terrestres. Certes, les persécuteurs sont venus avec Celui qui le trahissait, pour saisir Jésus ; ils ont trouvé Celui qu’ils cherchaient, ils ont entendu : « C’est moi ». Pourquoi ne l’ont-ils pas saisi ? Pourquoi, au contraire, se sont-ils en allés à la renverse et sont-ils tombés ? parce qu’ainsi l’a voulu Celui qui peut tout ce qu’il veut. Mais s’il ne leur permettait jamais de le saisir, ils ne lui feraient pas ce pour quoi ils sont venus, et il ne ferait pas lui-même ce pour quoi il est descendu sur la terre. Dans leur fureur, ils le cherchaient pour le mettre à mort ; mais il nous cherchait lui-même en mourant. C’est pourquoi il leur a montré son pouvoir et l’impuissance où ils étaient de le saisir, bien qu’ils le voulussent ; qu’ils le prennent maintenant, afin qu’il le fasse servir, à leur insu, à l’accomplissement de sa volonté.

4. « Il leur demanda donc de nouveau : Qui cherchez-vous ? ils lui dirent : Jésus de Nazareth. Jésus leur répondit : Je vous ai dit que c’est moi. Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez aller ceux-ci. C’était afin que fût accomplie la parole qu’il avait dite : Ceux que vous m’avez donnés, je n’en ai perdu aucun. Si c’est moi que vous cherchez », dit Notre-Seigneur, « laissez aller ceux-ci ». Il parle à des ennemis, et cependant ils font ce qu’il ordonne, ils laissent aller ceux qu’il ne veut pas voir périr. Mais ne devaient-ils pas mourir dans la suite ? Pourquoi donc, s’ils mouraient maintenant, les perdrait-il ? parce qu’ils ne croyaient pas encore en lui de la manière dont croient tous ceux qui ne périssent pas.

5. « Or, Simon Pierre ayant un glaive, le tira et frappa un serviteur du prince des prêtres, et lui coupa l’oreille droite. Or, le nom de ce serviteur était Malchus ». Seul notre Évangéliste a fait connaître le nom de ce serviteur : comme aussi Luc a été seul pour dire que Notre-Seigneur toucha son oreille et la guérit a. Or, Malchus signifie qui doit régner. Que signifie donc cette oreille coupée pour le Seigneur et guérie par lui, sinon le renouvellement de l’intelligence qui se dépouille de ses anciens errements, afin de se trouver dans la nouveauté de l’esprit, et non plus dans l’ancienneté de la lettre b ? Celui qui a reçu de Jésus-Christ un tel bienfait ne doit-il pas évidemment régner avec Jésus-Christ ? Malchus a été un esclave, et par conséquent il symbolise cet Ancien Testament qui engendre pour la servitude, et dont la figure est Agar c. Mais quand est advenue la santé, alors a été figurée la liberté. Notre-Seigneur blâma l’action de Pierre et lui défendit de passer outre : « Remets ton glaive dans le fourreau ; le calice que le Père m’a donné, ne le boirai-je pas ? » Par son action, ce disciple ne voulait que défendre son Maître, il ne songeait nullement à ce que signifiait sa conduite. C’est pourquoi il a fallu que le Sauveur l’exhortât à la patience, et que cela fût écrit pour être compris de nous. Notre-Seigneur dit que c’est le Père qui lui a donné le calice de sa passion ; assurément, c’est aussi ce que veut dire l’Apôtre par ces mots : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Lui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré pour nous tous d ». Cependant, Celui qui a bu ce calice, l’a aussi préparé. Aussi le même Apôtre nous dit-il : « Jésus-Christ nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous, en s’offrant à Dieu comme une victime d’agréable odeur e ».

6. « La cohorte, et le tribun, et les satellites des Juifs, saisirent Jésus et le lièrent ». Ils se saisirent de Celui dont ils n’approchèrent même pas. Car il est le jour, et ils restèrent ténèbres, et ils n’entendirent pas cette parole : « Approchez-vous de lui et soyez éclairés f ». S’ils s’en étaient approchée de la sorte, ils l’auraient saisi non avec leurs mains pour le mettre à mort, mais avec leur cœur pour le recevoir. Hélas ! en le saisissant comme ils le faisaient, ils s’en éloignèrent davantage. Et ils lièrent Celui par qui ils auraient dû plutôt vouloir être délies. Et peut-être y en eut-il parmi eux pour le charger alors de leurs chaînes, et qui, délivrés par lui dans la suite, s’écrièrent : « Vous avez brisé mes liens g ». C’est assez pour aujourd’hui ; si Dieu le permet, nous traiterons ce qui suit dans un autre discours.

CENT TREIZIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CES PAROLES : « ET ILS LE CONDUISIRENT D’ABORD VERS ANNE », JUSQU’À CES AUTRES : « PIERRE LE NIA ENCORE UNE FOIS, ET AUSSITÔT LE COQ CHANTA ». (Chap 18, 13-27.)

JÉSUS CHEZ ANNE ET CHEZ CAÏPHE.

Le Sauveur, trahi par Judas, traîné chez Anne, y est renié trois fois, par Pierre : ensuite, on le conduit chez Caïphe, un assistant le soufflette, et il répond à cette injure avec une dignité et un calme qui doivent nous servir d’exemple.

1. Les persécuteurs de Notre-Seigneur, après que Judas le leur eut livré, le saisirent et le lièrent ; car il nous a aimés, il s’est livré lui-même pour nous h, et le Père ne l’a pas épargné, mais il l’a livré pour nous tous i. Mais il ne faut pas croire que Judas soit à louanger pour le bien que nous avons tiré de sa trahison, il n’a mérité que la condamnation due à un si grand crime. « Ils le conduisirent », nous raconte l’Évangéliste Jean, d’abord chez « Anne ». Et il nous en donne la raison. « Car », dit-il, « il était beau-père de Caïphe qui était le Pontife de cette année. « Caïphe », continue-t-il, « était celui qui avait donné ce conseil aux Juifs : Il est utile qu’un seul homme meure pour tout le peuple ». Matthieu, qui a voulu raconter plus brièvement le fait, rapporte que Notre-Seigneur fut conduit vers Caïphe j. Car s’il fut conduit d’abord vers Anne, c’est qu’Anne était le beau-père de Caïphe ; de là nous devons conclure que Caïphe avait voulu qu’il en fût ainsi.

2. L’Évangéliste continue : « Or, Simon Pierre et un autre disciple suivaient Jésus ». Quel est cet autre disciple ? Le dire serait parler témérairement, puisqu’on ne nous l’apprend pas ; remarquez-le, néanmoins. C’est ainsi que Jean se désigne ordinairement lui-même en ajoutant « que Jésus l’aimait k ». Aussi, est-ce peut-être lui. Mais, quel qu’il soit, voyons ce qui suit : « Ce disciple était connu du grand prêtre, et il entra avec Jésus dans la cour du grand prêtre. Or, Pierre se tenait dehors à la porte. Mais cet autre disciple qui était connu du grand prêtre sortit, parla à la portière et fit entrer Pierre. Or, cette servante, la portière, dit à Pierre : Et toi, n’es-tu pas aussi des disciples de cet homme ? « Il lui répondit : Je n’en suis point ». Cette colonne qui se croyait si ferme, la voilà ébranlée jusque dans ses fondements par le moindre souffle du vent. Où est l’audace de cet homme qui promettait tant de choses et présumait si fort de lui-même ? Où sont ces paroles qu’il avait prononcées : « Pourquoi ne puis-je pas vous suivre maintenant ? je donnerai ma vie pour vous l ? » Nier qu’on soit le disciple de son maître, est-ce le suivre ? Donne-t-on sa vie pour son maître, quand, par crainte de mourir, on tremble à la voix d’une servante ? Mais faut-il nous étonner si les prédictions de Dieu sont infaillibles, et si les présomptions de l’homme sont trompeuses ? D’après ce que l’Évangile a commencé de nous dire du reniement de l’apôtre Pierre, nous devons le remarquer, on renie Jésus-Christ, non seulement en disant qu’il n’est pas le Christ, mais encore en soutenant qu’on n’est pas chrétien, quand on l’est. Notre-Seigneur n’a pas dit à Pierre Tu nieras que tu es mon disciple ; mais : « Tu me nieras m » ; il l’a donc nié lui-même, quand il a nié qu’il fût son disciple. Et en niant qu’il fût son disciple, qu’a-t-il nié, sinon qu’il fût chrétien ? Sans doute, les disciples de Jésus-Christ n’étaient pas encore appelés de ce nom ; ils ne furent pour la première fois appelés chrétiens, que quelque temps après. l’ascension, à Antioche n. Mais déjà existait le motif qui devait leur faire donner ce nom-là ; déjà existaient les disciples qui plus tard furent appelés chrétiens ; et ils ont transmis à leur postérité ce nom qui leur était commun, comme la foi qui leur était commune. Celui donc qui niait être disciple de Jésus-Christ, niait la chose que l’on désigne par le nom de chrétien. Dans la suite, combien de personnes se sont montrées capables de ce que n’a pu faire ce disciple qui tenait les clefs du royaume des cieux o ? Ici, je ne parle ni de vieillards ni de vieilles femmes à qui le dégoût de la vie a pu inspirer plus facilement le mépris de la mort endurée pour confesser Jésus-Christ ; je ne parle pas non plus de jeunes gens de l’un et de l’autre sexe, car on est en droit d’exiger de cet âge la force et le courage ; mais je parle de petits garçons et de petites filles, et de cette troupe innombrable de saints martyrs qui sont entrés par force et par violence dans le royaume des cieux. Aussi, quand Celui qui nous a rachetés de son sang se livra pour nous, il dit : « Laissez ceux-là s’en aller », afin que fût accomplie la parole qu’il avait dite : « Ceux que vous m’avez donnés, je n’en ai pas perdu un seul ». En effet, si Pierre était mort après avoir renié Jésus-Christ, n’aurait-il pas été perdu ?

3. « Les serviteurs et les ministres se tenaient auprès du feu, car il faisait froid, et ils se chauffaient ». On n’était pas en hiver, et cependant il faisait froid, comme il arrive d’ordinaire à l’équinoxe du printemps. « Or, Pierre était aussi avec eux et se chauffait. Le Pontife donc interrogea Jésus sur ses disciples et sur sa doctrine. Jésus lui répondit : J’ai publiquement parlé au monde, j’ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le temple où tous les Juifs s’assemblent, et je n’ai rien dit en secret ; pourquoi m’interrogez-vous ? interrogez ceux qui ont entendu ce que je leur ai dit : ils savent ce que je leur ai dit ». Ici se présente une question qu’il ne faut point passer sous silence : comment le Seigneur Jésus a-t-il pu dire : « J’ai publiquement parlé au monde » ; et surtout : « Je n’ai rien dit en secret ? » Dans le dernier discours qu’il a adressé à ses disciples après la cène, ne leur a-t-il pas dit : « Je vous ai dit ces choses en paraboles ; mais voici venir l’heure où je ne vous parlerai plus en paraboles, mais je vous parlerai ouvertement de mon Père p ? » Si donc à ses disciples qui lui étaient le plus attachés il ne parlait pas ouvertement, s’il se contentait de leur promettre l’heure où il leur parlerait ouvertement, comment a-t-il parlé ouvertement au monde ? De plus, comme nous l’apprend l’autorité des autres Évangélistes, il parlait beaucoup plus ouvertement à ses disciples qu’à tous autres, lorsqu’il était seul avec eux et éloigné de la foule. Que signifient donc ces paroles : « Je n’ai rien dit en secret ? » Il faut donc comprendre qu’il a dit : « J’ai parlé ouvertement au monde », en ce sens : Beaucoup m’ont entendu. En effet, et dans un sens il parlait ouvertement, et dans un autre il ne parlait pas ouvertement : il parlait ouvertement, parce que plusieurs l’entendaient ; et il ne parlait pas ouvertement, parce qu’ils ne comprenaient pas. D’ailleurs, encore, ce qu’il disait à part à ses disciples, il ne le disait pas en secret. Car peut-on dire que celui-là parle en secret, qui parle devant tant d’hommes ? N’est-il pas écrit : « Que dans la bouche de deux ou trois témoins toute parole soit stable q ? » et surtout, ce qu’il dit à un petit nombre, ne veut-il pas que ce petit nombre le publie devant tous ? Notre-Seigneur l’a dit à ses disciples qui se trouvaient alors en petit nombre autour de lui : « Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le dans la lumière ; et ce que vous entendez à l’oreille, prêchez-le sur les toits r ». Donc, même ce qui semblait dit secrètement, d’une certaine façon n’était pas dit en secret ; car Jésus le disait, non pas afin que ceux à qui il parlait gardassent le silence, mais au contraire pour qu’ils le répandissent partout. Ainsi donc une même chose peut être en même temps dite ouvertement et non ouvertement, ou bien en secret et non en secret, comme il est écrit : « Afin que voyant, ils voient et ne voient pas s ». Comment « peuvent-ils voir ? » parce que la chose est publique et non secrète ; et comment les mêmes « ne voient-ils pas ? » parce que la chose n’est pas publique, mais secrète. Néanmoins, les choses qu’ils avaient entendues et n’avaient pas comprises étaient de telle nature qu’elles ne pouvaient être incriminées avec justice et vérité. Aussi chaque fois qu’ils l’interrogèrent pour trouver dans ses réponses un motif de l’accuser, il leur répondit de manière à dépister leur ruse et à renverser leurs projets de calomnies. C’est pourquoi il leur disait : « Pourquoi m’interrogez-vous ? Interrogez ceux qui ont entendu ce que je leur ai dit ; ceux-là savent ce que j’ai dit ».

4. « Quand il eut dit ces paroles, un des ministres qui était là donna un soufflet à Jésus, en disant : Est-ce ainsi que tu réponds au Pontife ? Jésus lui répondit : Si j’ai mal parlé, rends témoignage du mal que j’ai dit ; mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » Quoi de plus vrai, de plus doux et de plus juste que cette réponse ? Elle vient de celui dont le Prophète avait dit à l’avance : « Entreprends, et marche en prospérant, et règne pour la vérité, la douceur et la justice t ». Si nous considérons la qualité de celui qui a reçu ce soufflet, ne voudrions-nous pas que celui qui l’a ainsi frappé fût consumé par le feu du ciel ou englouti par la terre entr’ouverte, ou saisi par le démon et roulé par lui, ou, enfin, frappé de quelque châtiment semblable, sinon plus grave encore ? Lequel de ces tourments n’aurait pu ordonner dans sa puissance Celui par qui le monde a été fait ? Mais il a préféré nous enseigner la patience qui triomphe du monde. Mais, dira quelqu’un : Pourquoi Jésus n’a-t-il pas fait ce qu’il avait lui-même commandé u ? Il ne devait pas répondre ainsi à celui qui le frappait, mais lui présenter l’autre joue. Eh quoi ! n’a-t-il pas répondu avec vérité, douceur et justice ? N’a-t-il pas fait plus que tendre l’autre joue à celui qui le frappait, et n’a-t-il pas donné tout son corps à ceux qui devaient le clouer à la croix ? Ainsi nous a-t-il appris ce qu’il était surtout important de nous apprendre, à savoir, que ces grands préceptes de la patience devaient s’accomplir non par l’ostentation du corps, mais par la préparation du cœur. Il peut se faire, en effet, qu’un homme tende extérieurement l’autre joue et garde sa colère. Que Notre-Seigneur fait bien mieux, en répondant avec calme la vérité, et en se préparant avec tranquillité à supporter des traitements encore plus cruels ! Bienheureux est celui qui, dans tout ce qu’il souffre injustement pour la justice, peut dire avec vérité : « Mon cœur est prêt, ô Dieu, mon cœur est prêt v » ; alors s’accomplissent les paroles qui suivent : « Je chanterai et je psalmodierai ». Voilà ce que Paul et Barnabé ont pu faire, lorsqu’ils étaient chargés de chaînes.

5. Mais revenons à la suite du récit évangélique. « Et Anne l’envoya lié à Caïphe qui était pontife ». C’était vers lui, comme le dit Matthieu, qu’on le conduisait d’abord, parce que Caïphe était, cette année-là, le prince des prêtres. Il faut le remarquer, il y avait, à cette époque, deux pontifes, c’est-à-dire deux princes des prêtres qui exerçaient alternativement chaque année. C’étaient Anne et Caïphe ; ainsi le rapporte l’Évangéliste Luc, lorsqu’il raconte en quel temps Jean, le précurseur de Notre-Seigneur, commença de prêcher le royaume des cieux et de rassembler des disciples. Voici ce qu’il dit : « Sous les princes des prêtres, Anne et Caïphe, la parole du Seigneur descendit sur Jean, fils de Zacharie, dans le désert w ». Et le reste. Ces deux pontifes faisaient donc chacun son année ; et celle où Jésus souffrit était l’année de Caïphe. C’est pourquoi, lorsqu’ils eurent saisi Jésus, ils le conduisirent, selon Matthieu, chez Caïphe, et, selon Jean, ils vinrent avec Jésus d’abord vers Anne, non parce qu’il était son collègue, mais parce qu’il était son beau-père. Il faut croire que cela se fit d’après la volonté de Caïphe, ou bien parce que leurs demeures étaient situées de manière à ce que, en passant devant celle d’Anne, ils ne purent se dispenser d’y entrer.

6. Après avoir dit qu’Anne envoya Jésus lié à Caïphe, notre Évangéliste revient à l’endroit de sa narration où il avait laissé Pierre, pour expliquer ce qui arriva dans la maison d’Anne, au sujet de son triple reniement. « Cependant », dit-il, « Simon Pierre était là et se chauffait ». Il rappelle ainsi ce qu’il avait déjà dit. Il ajoute ensuite ce qui arriva : « Ils lui dirent donc : N’es-tu pas aussi de ses disciples ? Et il le nia, et il dit : Je n’en suis point ». Il l’avait déjà renié une première fois ; celle-ci est donc la seconde. Ensuite, pour que s’accomplît son triple reniement, « un des serviteurs du grand prêtre, parent de celui dont Pierre avait coupé l’oreille, lui dit : Est-ce que je ne t’ai pas vu dans le jardin avec lui ? Pierre le nia de nouveau, et aussitôt le coq chanta ». Voilà la prédiction du médecin accomplie et la présomption du malade avérée. Car ce qui est arrivé est, non pas ce que Pierre avait dit : « Je donnerai ma vie pour vous », mais ce que Jésus avait prédit : « Tu me renieras trois fois x ». Mais le triple reniement de Pierre étant achevé, achevons aussi ce discours. En commençant le discours suivant, nous examinerons ce qui arriva à Notre-Seigneur chez le gouverneur Ponce-Pilate.

CENT QUATORZIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CES MOTS : « ILS CONDUISIRENT DONC JÉSUS À CAÏPHE, DANS LE PRÉTOIRE », JUSQU’À CES AUTRES : « AFIN QUE LA PAROLE DE JÉSUS FUT ACCOMPLIE, PAROLE QU’IL AVAIT DITE, INDIQUANT DE QUELLE MORT IL DEVAIT MOURIR ». (Chap 18,28-32.)

LE SAUVEUR AU TRIBUNAL DE PILATE.

On amène Jésus à Pilate, mais ses ennemis n’entrent pas dans le prétoire. Les hypocrites ! Ils craignaient de se souiller en pénétrant dans un tribunal étranger, et ils ne craignaient pas de se souiller par un crime.

1. Voyons aujourd’hui, d’après le récit de l’Évangéliste Jean, ce qui fut fait avec Notre-Seigneur ou relativement à Notre-Seigneur Jésus-Christ, chez le président Ponce-Pilate. Jean reprend, en effet, sa narration où il l’avait laissée, pour expliquer le reniement de Pierre. Il avait déjà dit : « Et Anne l’envoya lié à Caïphe, souverain pontife y ». Puis, il était revenu à Pierre qu’il avait laissé se chauffant auprès du feu, dans le vestibule ; enfin, après avoir raconté dans tous ses détails son triple reniement, il dit : « Ils conduisent donc Jésus vers Caïphe, dans le prétoire ». Il avait déjà dit qu’il était envoyé à Caïphe par Anne, son collègue et son beau-père. Mais s’il est envoyé à Caïphe, pourquoi dans le prétoire ? Le prétoire ne peut, en effet, signifier autre chose que le lieu où habitait Pilate le président ; ou bien, de la maison d’Anne où ils s’étaient réunis tous les deux pour entendre Jésus, Caïphe s’était rendu, pour une cause urgente, au prétoire du président et avait laissé à son beau-père le soin d’entendre Jésus, ou bien Pilate avait établi son prétoire dans la maison de Caïphe. Cette demeure était si grande que, d’un côté, elle formait l’habitation de son maître, et, de l’autre, le tribunal du juge.

2. « Or, c’était le matin, et ceux-là », c’est-à-dire ceux qui conduisaient Jésus, « n’entrèrent pas dans le prétoire », c’est-à-dire dans cette partie de la maison qu’occupait Pilate, si toutefois c’était là aussi la maison de Caïphe. L’Évangéliste fait connaître la raison pour laquelle ils n’entrèrent pas. « C’était », dit-il, « afin qu’ils ne fussent pas souillés, mais pour qu’ils pussent manger la pâque ». Ils étaient déjà, en effet, entrés dans le jour des azymes ; et, en ces jours, c’était pour eux une souillure de pénétrer dans la demeure d’un étranger. O aveuglement impie ! ils seraient souillés par la demeure d’un étranger, et ils ne le seraient point par leur propre crime ! Ils craignaient d’être souillés par le prétoire d’un juge étranger, et ils ne craignaient pas de l’être par le sang de leur frère innocent ! et je ne dis que cela, pour montrer où en était leur mauvaise conscience. Car si Celui que, dans leur impiété, ils conduisaient à la mort, était leur Seigneur, s’ils faisaient mourir l’auteur de la vie, il faut le reprocher, non à leur conscience, mais à leur ignorance.

3. « Pilate alla donc dehors vers eux et dit : Quelle accusation apportez-vous contre cet homme ? Ils répondirent et lui dirent : « Si cet homme n’était pas un malfaiteur, nous ne vous l’eussions pas livré ». Qu’on interroge ceux qu’il a délivrés des esprits immondes, les malades qu’il a guéris, les lépreux qu’il a purifiés, les sourds qui entendent, les muets qui parlent, les aveugles qui voient, les morts ressuscités et, ce qui surpasse tout le reste, les fous devenus sages, et ils répondront si Jésus est un malfaiteur. Mais ils disaient ce que Notre-Seigneur avait prédit par son Prophète : « Ils me rendaient le mal pour le bien z ».

4. « Pilate leur dit donc : Prenez-le, et jugez-le selon votre loi. Mais les Juifs lui dirent : Il ne nous est pas permis de mettre quelqu’un à mort ». Que veut dire leur folle cruauté ? Ne mettaient-ils pas à mort celui qu’ils livraient pour le faire mettre à mort ? La croix ne fait-elle pas mourir ? Ainsi deviennent insensés ceux qui attaquent la sagesse, au lieu de la suivre. Mais que signifient ces mots : « Il ne nous est pas permis de faire mourir quelqu’un ? » S’il est un malfaiteur, pourquoi cela ne leur est-il pas permis ? Est-ce que leur loi ne leur ordonne pas de ne point épargner le malfaiteur, surtout ceux qui, comme ils le croyaient de lui, cherchaient à séduire le peuple et à l’éloigner de son Dieu aa ? Mais il faut le croire, ils voulaient dire qu’il ne leur était pas permis de mettre quelqu’un à mort à cause de la sainteté de la fête qu’ils avaient commencé de célébrer. Déjà, pour ce motif, ils craignaient de se souiller en entrant dans le prétoire. Etes-vous endurcis à ce point, ô faux israélites ? Votre trop grande malice vous a-t-elle fait perdre le sentiment, au point que vous ne vous croyiez pas souillés par le sang d’un innocent, par cette raison que vous le faites répandre par un autre ? Cet homme que vous livrez à Pilate pour qu’il le mette à mort, Pilate le fera-t-il mourir de ses propres mains ? Si vous n’avez pas voulu qu’il fût mis à mort, si vous ne lui avez pas dressé des embûches, si vous n’avez pas obtenu à prix d’argent qu’il vous fût livré, si vous ne l’avez pas saisi, chargé de chaînes et emmené de force, si de vos propres mains vous ne l’avez pas offert pour être mis à mort, si, par vos cris, vous n’avez pas demandé sa mort, alors vous pourrez vous vanter de ne l’avoir pas tué vous-mêmes. Mais si, en outre de toutes ces choses que vous avez faites, vous avez crié : « Crucifiez, crucifiez ab », écoutez ce qu’à son tour le Prophète crie contre vous : « Enfants des hommes, vos dents sont des armes et des flèches, et votre langue est une épée tranchante ac ». Voilà avec quelles armes, avec quelles flèches et quelle épée vous avez tué le juste, quand vous avez dit qu’il ne vous était pas permis de faire mourir quelqu’un. Aussi, bien que, pour saisir Jésus, les princes des prêtres ne fussent pas venus eux-mêmes, mais qu’ils eussent envoyé leurs satellites, dans ce même endroit de son récit l’Évangéliste Luc dit : « Mais Jésus dit aux princes des prêtres, aux magistrats du temple et aux vieillards qui étaient venus vers lui : Vous êtes venus comme pour un voleur ad ». Et le reste. Ainsi, les princes des prêtres, au lieu de venir en personne, avaient envoyé des émissaires pour s’emparer de Jésus ; mais n’étaient-ils pas venus eux-mêmes par suite de l’ordre qu’ils avaient donné ? De même ceux qui, élevant leur voix impie ont crié pour faire crucifier Jésus-Christ, l’ont mis à mort, non par eux-mêmes, sans doute, mais par celui que leurs cris ont poussé à ce crime.

5. Notre Évangéliste Jean ajoute : « Afin que s’accomplît la parole que Jésus avait dite, indiquant de quelle mort il devait mourir ». Si dans ces paroles nous voulons voir une allusion à la mort de la croix, en sorte que les Juifs auraient dit : « Il ne nous est permis de faire mourir personne », parce que autre chose est d’être mis à mort, autre chose est d’être crucifié, je ne vois pas comment cela pourrait s’expliquer raisonnablement. Les Juifs ne font, en effet, que répondre à ces paroles de Pilate : « Prenez-le, et jugez-le selon votre loi ». Ne pouvaient-ils pas le prendre et le crucifier eux-mêmes, si, en infligeant un semblable supplice, ils pensaient, selon leur désir, ne se rendre coupables de la mort de personne ? Mais, on le voit facilement, il serait absurde qu’il leur fût permis de crucifier quelqu’un, tandis qu’il ne leur serait point permis de le mettre à mort. D’ailleurs, Notre-Seigneur parlant de sa mort, c’est-à-dire de sa mort sur la croix, ne dit-il pas qu’on le mettra à mort ? C’est en effet ce que nous lisons en Marc : « Voilà que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l’homme sera livré aux princes des prêtres et aux scribes, et ils le condamneront à mort, et ils le livreront aux Gentils et ils se moqueront de lui, et ils lui cracheront au visage, et ils le flagelleront, et ils le tueront, et le troisième jour il ressuscitera ae ». Notre-Seigneur, par ces paroles, montra donc de quelle mort il devait mourir, non qu’il voulût indiquer ici sa mort sur la croix, mais bien que les Juifs le livreraient aux Gentils, c’est-à-dire aux Romains. Car Pilate était romain, et c’étaient les Romains qui l’avaient envoyé comme gouverneur en Judée ; cette parole de Jésus devait donc s’accomplir, c’est-à-dire, les Gentils devaient faire mourir Jésus après qu’on le leur aurait livré : c’était ce que le Sauveur avait prédit. Aussi, quand Pilate, qui était juge romain, voulut le rendre aux Juifs, afin qu’ils le jugeassent selon leur loi, ils refusèrent de l’accepter, en disant : « Il ne nous est permis de tuer personne ». Et ainsi fut accomplie la parole que Jésus avait dite d’avance sur sa mort, à savoir que les Juifs livreraient Jésus aux Gentils et que ceux-ci le mettraient à mort. En cela, ils devaient être moins coupables que les Juifs, car, en agissant comme ils l’ont fait, les Juifs ont voulu paraître étrangers à sa mort, et ils n’ont réussi qu’à fournir la preuve, sinon de leur innocence, du moins de leur folie.

CENT QUINZIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CES MOTS : « PILATE ENTRA DONC DE NOUVEAU DANS LE PRÉTOIRE », JUSQU’A CES AUTRES : « OR, BARABBAS ÉTAIT UN VOLEUR ». (Chap 18,33-40.)

BARABBAS PRÉFÉRÉ À JÉSUS.

Pilate dit à Jésus : « Es-tu roi ? » – « Oui », répond le Sauveur, « mais mon royaume n’est pas de ce monde ». Le gouverneur propose donc au périple d’acquitter le Christ : mais le peuple demande Barabbas.

1. Ce que Pilate dit à Jésus-Christ, et ce que Jésus-Christ répondit à Pilate, voilà ce que nous examinerons et traiterons dans ce discours. Après qu’il eut dit aux Juifs : « Prenez-le et jugez-le selon votre loi », les Juifs lui répondirent : « Il ne nous est permis de faire mourir personne. Pilate entra alors de nouveau dans le prétoire, et il appela Jésus et lui dit : Es-tu le roi des Juifs ? Et Jésus lui répondit : Dis-tu cela de toi-même, ou bien les autres te l’ont-ils dit de moi ? » Certes, Notre-Seigneur savait et ce qu’il demandait lui-même, et ce que Pilate allait lui répondre. Et cependant il a voulu que cela fût dit, non pour le savoir lui-même, mais pour qu’on écrivît ce qu’il voulait nous apprendre. « Pilate répondit : Est-ce que je suis Juif ? Ta nation et les Pontifes t’ont livré à moi ; qu’as-tu fait ? Jésus répondit : Mon royaume n’est point de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes ministres combattraient pour que je ne fusse pas livré aux Juifs. Mais maintenant mon royaume n’est point d’ici ». Voilà ce que le bon Maître voulait nous faire savoir. Mais auparavant il fallait nous démontrer combien était vaine l’opinion qu’avaient de son royaume et les Gentils, et les Juifs qui avaient appris à Pilate ce qu’il disait. Fallait-il le punir de mort, parce qu’il prétendait à une royauté à laquelle il n’avait pas droit, ou bien comme si les rois avaient coutume d’en vouloir aux autres rois, et que sa royauté dût être funeste aux Romains ou aux Juifs ? Ce que dit Notre-Seigneur« Mon royaume n’est pas de ce monde », etc, il aurait pu le répondre à cette première question du Gouverneur : « Es-tu le roi des Juifs ? » Mais, en l’interrogeant à son tour et en lui demandant s’il disait cela de lui-même, ou bien s’il l’avait appris des autres, il a voulu, par sa propre réponse, montrer que les Juifs lui en avaient fait un reproche comme d’un crime auprès du gouverneur. Il découvrait ainsi « la vanité des pensées des hommes af », qu’il connaissait d’avance. Et après la réponse de Pilate, il répondait bien plus convenablement et avec plus d’opportunité et aux Juifs et aux Gentils : « Mon royaume n’est pas de ce monde ». S’il avait répondu sur-le-champ à la première question de Pilate, il n’aurait semblé répondre qu’aux seuls Gentils, qui pensaient ainsi de lui, et non pas aux Juifs. Mais maintenant, en répondant. « Est-ce que je suis juif ? ta nation et les pontifes t’ont livré à moi », Pilate empêche de soupçonner et de croire qu’il a dit de lui-même que Jésus était le roi des Juifs, et il montre bien que les Juifs le lui ont dit. Ensuite, en disant : « Qu’as-tu fait ? » il montre assez que c’était là le crime qu’on lui imputait ; c’était dire, en d’autres termes : Si tu ne dis pas que tu es roi, qu’as-tu donc fait pour qu’on t’ait livré à moi ? Comme s’il était tout naturel de livrer au juge, pour être puni, Celui qui se disait roi ; mais s’il ne se disait pas roi, il fallait lui demander quelle autre chose il avait faite pour mériter d’être livré au juge.

2. Écoutez donc, Juifs et Gentils ; écoutez, hommes circoncis ; écoutez, hommes incirconcis ; écoutez tous, royaumes de la terre. Je n’empêche pas votre domination sur ce monde : « Mon royaume n’est pas dans ce monde ». Ne craignez pas de cette crainte insensée dont fut saisi Hérode l’ancien, lorsqu’on lui annonça la naissance de Jésus-Christ et que, sous l’impression de la crainte bien plus que de la colère, il fit massacrer tant d’enfants ag afin de ne pas manquer de le faire mourir lui-même. Mais, dit Jésus, « Mon royaume n’est pas de ce monde ». Que voulez-vous de plus ? Venez à un royaume qui n’est pas de ce monde. Venez-y parla foi et ne devenez pas cruels par la crainte. Il est vrai que, dans une prophétie, Notre-Seigneur dit en parlant de Dieu le Père : « Pour moi, j’ai été par lui établi roi sur Sion, sa montagne sainte ah ». Mais cette Sion et cette montagne ne sont pas de ce monde. Qu’est-ce, en effet, que son royaume ? Ce sont ceux qui croient en lui et auxquels il dit : « Vous n’êtes pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde ». Et cependant, il veut qu’ils soient dans le monde. C’est pourquoi, en parlant d’eux il dit à son Père : « Je ne prie pas pour que vous les enleviez du monde, mais pour que vous les préserviez du mal ai ». C’est aussi pourquoi il ne dit pas ici : « Mon royaume n’est pas dans ce monde, mais n’est pas de ce monde ». Et quand il le prouve en ajoutant : « Si mon royaume était de ce monde, mes ministres assurément combattraient pour que je ne fusse pas livré aux Juifs », il ne dit pas : « Mais maintenant mon royaume » n’est pas ici, mais bien n’est pas d’ici ». Ici, en effet, se trouve son royaume jusqu’à la fin du monde, et il renferme dans son sein de l’ivraie mêlée au bon grain jusqu’à ce que vienne la moisson. La moisson ; c’est la fin du monde ; car alors les moissonneurs, c’est-à-dire les anges, viendront et enlèveront de son royaume tous les scandales aj ; assurément, cela ne pourrait se faire si son royaume n’était ici. Cependant il n’est pas d’ici ; car il est comme un voyageur en ce monde. C’est à son royaume qu’il dit« Vous n’êtes pas du monde, mais moi je vous ai tirés du monde ak ». Ils étaient donc du monde, quand ils n’étaient pas encore son royaume et qu’ils appartenaient au prince du monde. Ils sont du monde tous les hommes créés à la vérité par le vrai Dieu, mais engendrés de la souche corrompue et damnée d’Adam ; ils sont devenus ce royaume qui n’est plus de ce monde tous ceux qui, venus de là, ont été régénérés en Jésus-Christ. C’est ainsi que Dieu nous a arrachés à la puissance des ténèbres et nous a transportés dans le royaume du Fils de son amour al. C’est de ce royaume qu’il dit : « Mon royaume n’est pas de ce monde » ; ou bien : « Mon royaume n’est pas d’ici ».

3. « C’est pourquoi Pilate lui dit : Tu es donc roi ? Jésus répondit : Tu le dis, oui, je suis roi ». Il ne craignit pas d’avouer qu’il était roi. Mais par ces mots : « Tu le dis », il conserve toute sa liberté. Il ne nie pas qu’il soit roi (car il est roi d’un royaume qui n’est pas de ce monde) et il n’avoue pas qu’il soit roi d’un royaume qui passe pour être de ce monde. C’est ce que pensait celui qui disait : « Donc tu es roi », et à qui il fut répondu : « Tu le dis, oui, je suis roi ». Notre-Seigneur emploie ces mots. « Tu le dis », comme pour dire : Tu es un homme charnel et tu parles d’après les sentiments de la chair.

4. Notre-Seigneur ajoute ensuite : « Je suis né et je suis venu au monde pour rendre témoignage à la vérité ». Le pronom dont se sert le texte latin : in hoc natus sum, ne doit pas s’entendre en ce sens : Je suis né dans – cette chose ; mais bien : Je suis né pour cela, tout comme il est dit : « C’est pour cela que je suis venu dans le monde ». Dans le texte grec il n’y a aucune ambiguïté. Par là il a manifestement voulu, en cet endroit, rappeler cette naissance temporelle par laquelle, après s’être incarné, il est venu dans le monde, et non pas cette naissance sans commencement par laquelle il était le Dieu par qui le Père a créé le monde. Il dit donc qu’il est né et qu’il est venu en ce monde, qu’il est né d’une Vierge pour cela, c’est-à-dire pour cette fin, pour rendre témoignage à la vérité. Mais comme la foi n’appartient pas à tous am, il ajoute : « Quiconque est de la vérité, entend ma voix », c’est-à-dire l’entend intérieurement ; c’est-à-dire encore, obéit à ma voix ; c’est la même chose que s’il disait : Croit en moi. Quand Jésus-Christ rend témoignage à la vérité, il se rend évidemment témoignage à lui-même ; c’est lui, en effet, qui a dit : « Je suis la vérité an », et en un autre endroit il dit : « Moi, je rends témoignage de moi-même ao ». Par ces autres paroles : « Quiconque est de la vérité, entend ma voix », il nous fait souvenir de la grâce par laquelle il nous appelle selon son bon plaisir. C’est de ce bon plaisir que l’Apôtre nous dit : « Nous savons qu’à ceux qui aiment Dieu, toutes choses tournent à bien, à ceux qui ont été appelés selon la volonté de Dieu ap », selon la volonté de Celui qui appelle, et non pas de ceux qui sont appelés. Ceci est plus clairement exprimé en un autre endroit : « Collaborez à l’Évangile selon la puissance de Dieu qui nous sauve et noua appelle par sa sainte vocation, non d’après nos œuvres, mais d’après sa volonté et sa grâce aq ». Si nous supposons qu’il s’agisse de la nature dans laquelle nous avons été créés, comme la vérité nous a tous créés, qui est-ce qui ne serait pas de la vérité ? Mais ce n’est pas à tous que la vérité a donné d’entendre la vérité, c’est-à-dire d’obéir à la vérité et de croire à la vérité ; et cela sans aucun mérite antécédent, de peur que la grâce ne soit plus une grâce. Si Notre-Seigneur avait dit : Quiconque entend ma voix est de la vérité ; alors celui-là serait regardé comme étant de la vérité, qui obtempérerait à la vérité. Mais il n’a pas parlé ainsi ; il a dit : « Quiconque est de la vérité, entend ma voix ». Par conséquent, il n’est pas de la vérité, parce qu’il entend sa voix ; mais il entend sa voix, parce qu’il est de la vérité, c’est-à-dire parce que ce don lui a été accordé par la vérité. Qu’est-ce que cela veut dire? Rien que ceci : Il croit en Jésus-Christ par un don de Jésus-Christ.

5. « Pilate lui dit: Qu’est-ce que la vérité ? » Et il n’attendit pas pour entendre sa réponse; mais, « ayant dit cela, il sortit de nouveau vers les Juifs, et leur dit : Je ne trouve aucun crime en lui. Mais c’est pour vous une coutume que je vous délivre un criminel à Pâques : voulez-vous donc que je vous délivre le roi des Juifs?» Je crois qu’aussitôt que Pilate eut dit : « Qu’est-ce que la vérité », il lui revint en mémoire cette coutume qu’avaient les Juifs de se faire remettre un criminel à Pâques. Aussi il n’attendit pas que Jésus lui fit connaître, par sa réponse, ce que c’est que la vérité ; car il s’était rappelé la coutume en vertu de laquelle il pouvait le leur remettre pour Pâques ; évidemment il le désirait beaucoup et ne voulait apporter à cette mesure aucun retard. Cependant, on ne put l’empêcher de croire que Jésus-Christ était le roi des Juifs ; on aurait dit que la vérité, sur la nature de laquelle il questionnait Jésus, avait gravé cette inscription dans son coeur, comme il la fit lui-même graver sur la croix. Mais, « en entendant cela, tous crièrent de nouveau et dirent : Non pas celui-ci, mais Barabbas. Or, Barabbas était un larron». Nous ne vous blâmons pas, ô Juifs, de ce que pour Pâques vous délivrez un coupable, mais nous vous condamnons parce que vous tuez un innocent. Et cependant, s’il n’en était pas ainsi, la vraie Pâque n’aurait pas lieu. Mais les Juifs, dans leur erreur, retenaient une ombre de la vérité et, par une admirable disposition de la sagesse divine, la vérité de cette même ombre était réalisée par ces hommes menteurs. Car, pour l’accomplissement de la vraie Pâque, Jésus-Christ était immolé comme une brebis. Suit maintenant le récit des traitements injurieux que Pilate et sa cohorte firent subir à Jésus-Christ; nous l’expliquerons dans un autre discours.
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