John 20
CENT VINGTIÈME TRAITÉ.
SUR LES PAROLES SUIVANTES : « PARCE QUE C’ÉTAIT LA VEILLE DU SABBAT, LES JUIFS », JUSQU’À CES AUTRES : « CAR ILS NE SAVAIENT PAS ENCORE CE QUE DIT L’Écriture, QU’IL LUI FALLAIT RESSUSCITER D’ENTRE LES MORTS ». (Chap 19, 31-42 ; 20, 1-9.)APRÈS LA MORT DE JÉSUS.
Lorsque le Sauveur eut rendu le dernier soupir, les soldats ne lui rompirent point les jambes, mais l’un deux lui perça le côté : Adam et l’Arche d’alliance avaient été la figure du Christ. Sur la demande de Joseph d’Arimathie, Pilate rendit le corps de Jésus : on le mit dans un sépulcre neuf, mais, le premier jour de la semaine, Madeleine et quelques autres disciples ne l’y trouvèrent plus. 1. Tout ce que le Sauveur prévoyait comme devant avoir lieu avant sa mort, ayant été accompli, il rendit l’esprit au moment choisi par lui. L’Évangéliste nous raconte ce qui arriva ensuite ; voici son récit : « Les Juifs, parce que c’était la veille du sabbat, afin que les corps ne demeurassent point sur la croix le jour du sabbat (car le sabbat était un jour très-solennel), prièrent Pilate de faire rompre les jambes aux criminels et de les enlever ». D’enlever non pas les jambes, mais les criminels, à qui l’on brisait les jambes pour les faire mourir et les détacher de la croix : on agissait ainsi, afin de ne point prolonger le supplice des crucifiés, et de ne point attrister par le spectacle de leurs tourments un grand jour de fête. 2. « Les soldats vinrent donc et rompirent les jambes de ceux qu’on avait crucifiés avec lui ; et, s’approchant de Jésus, quand ils virent qu’il était déjà mort, ils ne lui rompirent pas les jambes, mais un des soldats lui ouvrit le côté d’un coup de lance ; et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau ». L’Évangéliste se sert d’une expression choisie à dessein : il ne dit pas qu’on a frappé ou blessé le côté du Sauveur, ou qu’on a fait quelque autre chose semblable ; mais : « on l’a ouvert ». Effectivement, la porte de la, vie devait s’ouvrir à l’endroit où ont pris naissance les Sacrements de l’Église ; sans lesquels il est impossible d’arriver à la vie, qui est la seule véritable. Ce sang a été répandu pour la rémission des péchés ; cette eau est un salutaire liquide, car elle nous sert de bain et de breuvage. Dieu annonçait d’avance cet événement a, en donnant à Noé l’ordre d’ouvrir, au flanc de l’arche, une porte par laquelle devaient entrer les animaux destinés à ne point périr sous les eaux du déluge ; ces animaux préfiguraient l’Église. Voilà encore pourquoi la première femme a été tirée du côté d’Adam, pendant qu’il dormait b ; voilà pourquoi elle a reçu le nom de vie et de mère des vivants c. même avant l’incalculable mal de sa prévarication, elle a été ainsi l’annonce d’un bien infini. Le second Adam, Jésus-Christ, ayant baissé la tête, s’est endormi sur la croix, pour qu’une épouse lui fût donnée, et, pendant son sommeil, cette épouse est sortie de son côté. O mort, qui fait revivre les morts ! Y a-t-il rien de plus pur que ce sang ? Quoi de meilleur pour guérir nos plaies ? 3. « Et celui qui l’a vu a rendu témoignage, et son témoignage est véritable, et il sait qu’il dit vrai, afin que vous aussi vous croyiez ». Jean ne dit pas : Afin que vous aussi, vous sachiez ; mais : afin que vous croyiez ; car celui qui a vu, sait, et celui qui n’a pas vu, doit croire à son témoignage. Le propre de la foi est plutôt de croire que de voir. Qu’est-ce, en effet, que croire une chose, sinon y conformer sa foi ? « Car cela a été fait pour accomplir ces paroles de l’Écriture : Vous ne briserez aucun de ses os. L’Écriture dit encore : Ils verront quel est celui qu’ils ont percé ». Il tire des Écritures deux témoignages à l’appui des différents faits dont il raconte l’accomplissement. Il avait dit : « Et s’étant approchés de Jésus, ils virent qu’il était déjà mort, et ils ne lui rompirent point les jambes ». À ce passage se rapporte le témoignage suivant : « Vous ne briserez aucun de ses os ». Voilà l’ordre donné à tous ceux qui, sous l’ancienne loi, devaient célébrer la Pâque par l’immolation de l’agneau ; cette immolation était l’ombre antécédente de la passion du Sauveur. C’est pourquoi « Jésus-Christ, notre Agneau pascal, a été immolé d ». Le prophète Isaïe avait dit d’avance à son sujet : « Il a été conduit à la mort comme une brebis e ». De même encore l’Évangéliste avait ajouté : « Mais l’un des soldats ouvrit son côté d’un coup de lance ». À cela se rapporte l’autre témoignage : « Ils verront quel est celui qu’ils ont percé ». Voilà la promesse de la venue du Christ avec le même corps que celui avec lequel il a été crucifié. 4. « Or, après cela, Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret, parce qu’il craignait les Juifs, demanda à Pilate la permission d’enlever le corps de Jésus, et Pilate le permit. Il vint donc et enleva le corps de Jésus. Et Nicodème, celui qui s’était d’abord rendu près de Jésus pendant la nuit, vint aussi, portant un mélange de myrrhe et d’aloès, du poids d’environ cent livres ». Il ne faut pas séparer les membres de phrase, de manière à dire : « Portant d’abord un mélange de myrrhe », le mot « d’abord » se rapporte à la phrase précédente. Car Nicodème était venu d’abord près de Jésus pendant la nuit ; Jean avait déjà mentionné ce fait au commencement de son Évangile f. Voici donc comment il faut comprendre ce passage : Nicodème ne vint pas alors seulement près de Jésus, mais il y vint pour la première fois ; il y vint ensuite fréquemment pour l’écouter et se faire son disciple : aujourd’hui, presque tous les peuples en voient une preuve convaincante dans la découverte du corps du bienheureux Étienne. « Ils prirent donc le corps de Jésus et l’enveloppèrent de linges avec des aromates, selon la coutume d’ensevelir usitée parmi les Juifs ». À mon avis, ce n’est pas sans motif que l’Évangéliste a dit : « Selon la coutume d’ensevelir usitée parmi les Juifs » ; si je ne me trompe, il a voulu, par là, nous dire que pour les devoirs à remplir à l’égard des morts, il faut suivre la coutume du pays où l’on se trouve. 5. « Or, au lieu où il avait été crucifié se trouvait un jardin, et, dans ce jardin, un sépulcre neuf, où personne n’avait encore été mis ». Comme dans le sein de la Vierge Marie, personne avant lui, personne après lui n’a été conçu, ainsi, personne avant lui comme personne après lui n’a été enseveli dans ce monument. « Comme c’était la veille du sabbat des Juifs, et que ce sépulcre était proche, ils y déposèrent Jésus ». L’Évangéliste veut nous faire entendre qu’on se hâta d’ensevelir Jésus, afin de ne pas être surpris par le soir ; car il n’était point alors permis de se livrer à une pareille occupation à cause de la veille du sabbat, à laquelle les Juifs donnent plus communément en latin le nom de Cène pure. 6. « Mais à un jour de la semaine, Marie-Madeleine vint, dès le matin, lorsque les ténèbres régnaient encore, et elle vit la pierre du sépulcre ôtée ». Sous ce nom : « Un jour de la semaine », se trouve désigné le jour que les chrétiens ont l’habitude d’appeler le dimanche à cause de la résurrection du Seigneur ; de tous les Évangélistes, Matthieu est le seul qui l’appelle le premier jour de la semaine g. « Elle courut donc vers Simon Pierre, et vers cet autre disciple que Jésus « aimait, et elle leur dit : On a enlevé le Seigneur du sépulcre, et nous ne savons où on l’a mis ». Certains exemplaires, même grecs, portent : « On a enlevé mon Seigneur ». Ces paroles peuvent, ce semble, avoir été dites sous l’impression d’un vif sentiment d’affection inspiré par la charité ou l’habitude de servir le Sauveur ; mais nous ne trouvons pas cette version dans les exemplaires que nous tenons en nos mains. 7. « Pierre sortit donc, et cet autre disciple avec lui, et ils vinrent au sépulcre. Ils couraient tous deux ensemble, mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre, et il arriva le premier au sépulcre ». Il faut remarquer ici et ne point passer sous silence cette récapitulation. L’Évangéliste revient à ce qu’il avait omis, et cependant il en fait mention comme si c’était la conséquence de ce qu’il a dit auparavant. Après avoir raconté « qu’ils vinrent au sépulcre », il retourne sur ses pas pour nous dire comment ils y vinrent : « Ils couraient tous deux ensemble », etc. Il marque en ce passage que cet autre disciple (lui-même évidemment, mais désigné comme s’il était un personnage différent) courut plus vite et arriva le premier au sépulcre. 8. « Et s’étant baissé, il vit les linceuls à terre ; cependant il n’entra pas. Simon Pierre, qui le suivait, vint et entra dans le sépulcre et il vit les linceuls à terre, et le suaire mis sur sa tête, séparé des linceuls, était plié en un autre lieu ». Pensons-nous que tout cela ne signifie rien ? Ce n’est pas du tout mon avis. Mais nous nous hâtons de passer à d’autres endroits, sur lesquels il faudra nous arrêter en raison de leur obscurité ou des difficultés auxquelles ils donnent lieu. Pour les passages qui sont clairs par eux-mêmes, c’est un saint plaisir de chercher leur signification jusque dans les moindres détails ; mais ce plaisir appartient aux gens désœuvrés, et nous ne le sommes pas. 9. « Alors donc entra aussi cet autre disciple, qui était arrivé le premier au sépulcre ». Il était arrivé le premier et il entra le dernier. Ce fait a certainement son importance ; ce qui suit ne m’en semble pas non plus dénué. « Et il vit, et il crut ». Plusieurs, examinant avec peu de soin ces paroles, s’imaginent que ce que Jean a cru alors, c’est que Jésus était ressuscité ; mais la suite ne le fait nullement supposer. Que signifie en effet ce qu’ajoute l’Évangéliste ? « Ils ne savaient pas encore ce qui est dans l’Écriture ; qu’il fallait qu’il ressuscitât d’entre les morts ». Jean n’a donc pu croire que Jésus fût ressuscité, puisqu’il ignorait qu’il dût ressusciter. Qu’a-t-il donc vu ? Qu’a-t-il cru ? Il a vu que le sépulcre était vide, et il a cru ce que lui avait dit la femme, c’est-à-dire qu’on l’avait enlevé du sépulcre. « Ils ne savaient pas encore ce qui est dans l’Écriture, qu’il fallait qu’il ressuscitât d’entre les morts ». Quand il leur en parlait lui-même, le Sauveur avait beau s’exprimer de manière à ne leur laisser à cet égard aucun doute ; ils étaient tellement habitués à l’entendre parler en paraboles, qu’ils ne le comprenaient pas, et qu’à leur sens il les entretenait de tout autre chose. Mais, dans un autre discours, nous vous expliquerons ce qui suit.CENT VINGT-ET-UNIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CET ENDROIT : « LES DISCIPLES RETOURNÈRENT DONC CHEZ EUX », JUSQU’A CET AUTRE « BIENHEUREUX CEUX QUI N’ONT POINT VU ET QUI ONT CRU ». (Chap 20,10-29.)APRÈS LA RÉSURRECTION DE JÉSUS.
Pierre et Jean étant retournés chez eux, Marie-Madeleine revint, en pleurant, au tombeau du Sauveur. Elle y vit deux anges, et, en se retournant, elle aperçut le Christ sous la forme d’un jardinier. « Ne me touche pas », lui dit Jésus : alors, elle figurait l’Église des Gentils, ou ceux qui ne touchent pas spirituellement Notre-Seigneur. Ensuite, elle revint annoncer aux Apôtres ce qu’elle avait vu, et Jésus lui-même leur apparut plusieurs fois pour les convaincre, eux et Thomas surtout, de la réalité de sa résurrection. 1. Le Seigneur a été enlevé du sépulcre ! Telle fut la nouvelle apportée à ses disciples, Pierre et Jean, par Marie-Madeleine ; ils vinrent à l’endroit où Jésus avait été enseveli, et ne trouvèrent que les linceuls dans lesquels le corps avait été enveloppé ; purent-ils croire alors autre chose que ce qu’elle leur avait annoncé, que ce qu’elle avait cru elle-même ? « Les disciples retournèrent donc chez eux de nouveau », c’est-à-dire à la maison qu’ils habitaient et qu’ils avaient quittée pour courir au sépulcre. « Mais Marie se tenait hors du sépulcre, pleurant ». Les hommes s’en retournant chez eux, le sexe le plus faible se trouvait comme cloué à la même place par un sentiment d’amour plus fort que lui. Les yeux qui avaient cherché à le découvrir sans réussir à le voir, se mouillaient de pleurs et versaient plus de larmes sur son enlèvement du sépulcre, que sur sa mort au Calvaire : la raison en était qu’après avoir ôté la vie à ce maître si grand, on lui enlevait le moyen même de survivre dans la mémoire des siens. La douleur attachait donc cette femme au sépulcre de son Dieu. « Et, pendant qu’elle pleurait, elle se baissa et porta ses regards dans le sépulcre ». Pourquoi agissait-elle de la sorte ? Je n’en sais rien. Car elle ne l’ignorait pas : celui qu’elle cherchait n’était pas là : elle avait même annoncé à ses disciples qu’on l’en avait enlevé ; et ceux-ci étaient venus au sépulcre, et non seulement ils y avaient regardé, mais ils y étaient entrés pour trouver le corps du Sauveur, et ils n’y avaient rien vu. Pourquoi donc, pendant qu’elle pleurait, Marie-Madeleine s’est-elle baissée pour regarder encore une fois dans le tombeau ? Pensait-elle que ce qu’elle déplorait si amèrement, ni les yeux des autres ni les siens ne pourraient y croire aisément ? Ou plutôt, regarda-t-elle dans le tombeau sous l’influence d’une inspiration intérieure et divine ? Elle porta donc ses regards dans le sépulcre, et « elle vit deux anges vêtus de blanc, assis à l’endroit où le corps de Jésus avait été déposé, l’un à la tête, l’autre aux pieds ». Pourquoi l’un de ces anges était-il assis à la tête et l’autre aux pieds ? Le mot grec ange se traduit en latin par le mot messager ; ces anges ainsi placés signifiaient-ils que l’Évangile du Christ devait être annoncé, en quelque sorte, depuis la tête jusqu’aux pieds ; c’est-à-dire depuis le commencement jusqu’à la fin ? « Ils lui dirent : Femme, pourquoi pleures-tu ? Elle leur répondit : Parce qu’on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais où on l’a mis ». Les anges voulaient l’empêcher de pleurer ; mais comment lui annonçaient-ils d’une certaine façon, qu’elle n’aurait bientôt plus qu’à se réjouir ? Ils lui avaient adressé ces paroles : « Pourquoi pleures-tu ? » comme pour lui dire : Ne pleure pas. S’imaginant qu’ils ne savaient rien et qu’ils l’interrogeaient en raison de leur ignorance, elle leur fait connaître la cause de son chagrin. « Parce que », dit-elle, « on a enlevé mon Seigneur ». Elle appelait son Seigneur le corps inanimé de Jésus ; elle prenait la partie pour le tout : nous reconnaissons de la même manière pour Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, qui est en même temps Verbe, âme et corps ; et, pourtant, nous disons qu’il a été crucifié et enseveli, quoique son corps seul ait été mis au tombeau. « Et je ne sais où on l’a mis ». La cause principale de sa douleur, c’était qu’elle ignorait où elle porterait ses pas pour y apporter un remède. Mais déjà était venu le moment où la joie succéderait aux larmes, comme les anges l’avaient, en quelque sorte, annoncé à Marie-Madeleine pour l’empêcher de pleurer. 2. Enfin, « lorsqu’elle eut dit cela, elle se retourna et vit Jésus debout, et elle ne savait pas que ce fût lui. Jésus lui dit : Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? Elle, croyant que c’était le jardinier, lui dit : Seigneur, si c’est toi qui l’as enlevé, dis-moi où tu l’as mis, et je l’emporterai. Jésus lui dit : Marie. Elle se retourna et lui dit : Rabboni ! Ce qui signifie « mon Maître ! » Que personne ne fasse à cette femme un reproche d’avoir appelé le jardinier son Seigneur, et Jésus son Maître. Elle priait l’un et reconnaissait l’autre ; elle donnait un signe de respect à l’homme à qui elle demandait un renseignement, et elle honorait comme docteur celui qui lui apprenait à connaître les choses divines et humaines. Elle donnait le nom de Seigneur à celui dont elle n’était point la servante, afin d’arriver, par son intermédiaire, au Seigneur qu’elle servait. Le mot Seigneur n’avait donc pas, dans son idée, le même sens, quand elle disait : « On a enlevé mon Seigneur », que lorsqu’elle disait : « Seigneur, si tu l’as enlevé ». Les Prophètes eux-mêmes ont donné à de simples hommes le nom de Seigneur ; mais c’était dans un sens bien différent qu’ils appelaient de ce nom celui dont il est écrit : « Le Seigneur est son nom h ». Cette femme s’était déjà retournée pour voir Jésus au moment où elle croyait avoir fait la rencontre d’un jardinier, et s’entretenait avec lui ; mais comment peut-on dire qu’elle s’est retournée de nouveau pour lui dire : « Rabboni ? » Le voici évidemment. Elle s’était d’abord corporellement retournée et avait cru voir ce qu’il n’était pas ; ensuite, elle a fait un retour de cœur, et elle a reconnu ce qu’il était réellement. 3. « Jésus lui dit : Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père, mais va vers mes frères, et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu ». Nous trouvons, dans ces paroles, matière à une explication courte, mais toute spéciale. En lui répondant ainsi, Jésus enseignait la foi à cette femme qui le reconnaissait et lui donnait le nom de maître : comme un jardinier ferait dans son jardin, il semait dans le cœur de Marie-Madeleine le grain de sénevé. Quel est donc le sens de ces paroles : « Ne me touche pas ? » Et comme si on cherchait la cause de cette défense, il ajouta : « Car je ne suis pas encore monté vers mon Père ». Qu’est-ce que cela ? Si on ne peut le toucher pendant qu’il est sur la terre, quand il sera assis sur son trône dans le ciel, comment les hommes le toucheront-ils ? Il est sûr, pourtant, qu’avant de remonter au ciel, il s’est présenté à ses disciples et leur a offert de le toucher ; car, l’Évangéliste Luc en est témoin, il leur a dit : « Touchez et voyez qu’un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai i ». N’a-t-il pas dit encore au disciple Thomas : « Porte ici ton doigt et regarde mes mains ; approche ta main et mets-la dans mon côté ? » Qui serait assez dépourvu de sens pour prétendre que Jésus a permis à ses disciples de le toucher avant qu’il remontât vers son Père, et qu’il n’a accordé cette faveur à des femmes qu’après son ascension vers son Père ? Mais quand un homme voudrait ainsi délirer, on ne lui en laisserait pas le loisir. En effet, nous lisons que des femmes mêmes ont touché Jésus ressuscité, même avant qu’il fût monté vers son Père ; de ce nombre était Marie-Madeleine elle-même ; car Matthieu nous dit que « Jésus se présenta devant elles, et leur dit : « Je vous salue. Alors, elles s’approchèrent et embrassèrent ses pieds, et l’adorèrent j ». Jean a omis cette circonstance, mais Matthieu a dit la vérité. Il y a donc évidemment, dans ces paroles, un sens caché : que nous le découvrions, que nous ne puissions pas le découvrir, il nous est impossible d’en douter. Ces paroles : « Ne me touche pas, car je ne suis point encore monté vers mon Père », doivent être entendues en ce sens que cette femme était la figure de l’Église, formée par les Gentils, et qui a cru en Jésus-Christ seulement après son ascension ; ou bien, le Sauveur a voulu, par elles, faire entendre qu’il faut croire en lui comme faisant une seule et même chose avec le Père, c’est-à-dire qu’il faut le toucher spirituellement. Le Christ ne monte-t-il pas d’une certaine manière au ciel, pour celui qui profite en lui au point de le reconnaître égal au Père ? Cette sorte d’ascension n’est aperçue que par le sens intime d’un tel homme. On n’a que ce moyen de le toucher véritablement, ou, en d’autres termes, on ne peut vraiment croire en lui, si l’on ne croit pas ainsi. La foi de Marie-Madeleine pouvait se borner à croire en lui, tout en le reconnaissant comme inférieur au Père ; cependant, elle en avait reçu la défense par ces paroles : « Ne me touche pas » : Car c’était lui dire : Ne crois pas en moi, d’après les idées que tu nourris encore en toi ; ne te borne pas à voir en moi ce que je suis devenu à cause de toi, sans élever tes pensées jusqu’à cette nature supérieure qui, en moi, t’a fait sortir du néant. Pouvait-il, en effet, se faire qu’elle ne crût pas encore d’une manière charnelle en Jésus, puisqu’elle le pleurait comme homme ? « Car », dit-il, « je ne suis pas encore monté vers mon Père ». Tu me toucheras dès lors que tu reconnaîtras en moi un Dieu parfaitement égal au Père. « Mais va vers mes frères et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père ». Le Sauveur ne dit pas : notre Père. Il est le mien d’une manière, il est le vôtre d’une autre ; il est le mien par nature, il est le vôtre par sa grâce. « Et vers mon Dieu et votre Dieu ». Ici encore, il ne dit pas : Et notre Dieu. Si donc il est mon Dieu, il l’est aussi sous un certain rapport, et s’il est le vôtre, il l’est sous un autre. Il est mon Dieu, car, en qualité d’homme, je lui suis moi-même inférieur ; il est le vôtre, et je suis immédiatement entre vous et lui. 4. « Marie-Madeleine vint, annonçant aux disciples : J’ai vu le Seigneur, et il m’a dit ces choses. Quand le soir du même jour fut venu, et c’était le premier jour de la semaine, et les portes du lieu, où les disciples étaient assemblés à cause de la crainte des Juifs, étant fermées, Jésus vint et se tint debout au milieu d’eux, et leur dit : « La paix soit avec vous ; et lorsqu’il eut ainsi parlé, il leur montra ses mains et a son côté ». Car les clous avaient percé ses mains, et la lance avait ouvert son côté. Pour guérir des cœurs rongés par le doute, Jésus avait conservé la marque de ses plaies. Les portes étaient fermées ; ce ne fut pas néanmoins un obstacle au passage d’un corps où la divinité résidait, car celui qui était venu au monde sans porter la moindre atteinte à la virginité de sa mère, pouvait très bien entrer en un lieu dont les portes n’étaient pas ouvertes. « Les disciples donc se réjouirent à la vue du Seigneur. Il leur dit de nouveau : La paix soit avec vous ». Répéter une chose, c’est lui donner un nouveau degré d’assurance, et le Seigneur, par la bouche du Prophète, ajoute la paix à la paix qu’il accorde k. « Comme mon Père m’a envoyé », dit Jésus, « je vous envoie moi-même ». Nous savons que le Fils est égal au Père, mais, ici, nous le reconnaissons à son langage comme notre médiateur. Le Père m’a envoyé, et moi je vous envoie. « Après qu’il eut dit ces paroles, il souffla sur eux, et leur dit : Recevez le Saint-Esprit ». En soufflant sur eux, il montra que le Saint-Esprit n’est pas seulement l’Esprit du Père, mais qu’il est aussi le sien. « Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis, et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus ». La charité de l’Église, que l’Esprit-Saint répand en nos cœurs, remet les péchés de ses membres, mais elle retient les péchés de ceux qui ne lui appartiennent pas. Aussi, après avoir dit : « Recevez l’Esprit-Saint », le Sauveur a-t-il immédiatement parlé de la remise et de la retenue des péchés. 5. « Thomas, l’un des douze, appelé Dydime, n’était pas avec eux quand Jésus vint. Les autres disciples lui dirent donc : Nous avons vu le Seigneur. Mais il leur répondit : Si je ne vois dans ses mains la marque des clous, et si je ne mets mon doigt dans la plaie des clous, et ma main dans son côté, je ne croirai point. Et huit jours après, comme ses disciples étaient encore dans le même lieu, et Thomas avec eux, Jésus vint, les portes étant fermées, et il se tint debout au milieu d’eux et dit : La paix soit avec vous ! Il dit ensuite à Thomas : Porte ici ton doigt, et regarde mes mains; approche ta main et mets-la dans mon côté, et ne sois plus incrédule, mais fidèle. Thomas répondit et lui dit : Mon Seigneur et mon Dieu! » Il voyait et touchait l’homme; il confessait le Dieu qu’il ne voyait ni ne touchait; mais parce qu’il voyait et touchait, il se débarrassait de ses doutes et croyait à ce qu’il ne pouvait ni voir ni toucher. « Jésus lui dit : Parce que tu m’as vu, tu as cru ». Il ne dit point : Tu m’as touché; mais : « tu m’as vu », parce que le sens de la vue appartient en quelque sorte à toutes les parties du corps ; il se dit, en effet, des quatre autres sens ; car ne s’exprime-t-on pas ainsi : Écoute et vois que cette musique est harmonieuse ! sens et vois combien ce parfum est délicieux; goûte et vois comme cette saveur est agréable ; touche et vois comme cet objet est chaud. En ces différents cas, tu as dit : vois ; mais, par là, tu n’as point prétendu soutenir que les yeux ne sont point l’organe propre de la vue. Voilà pourquoi le Sauveur s’exprime lui-même ainsi : « Porte ici ton doigt, et vois mes mains ». Était-ce dire autre chose que ceci : Touche et vois ? Cependant, Thomas n’avait pas d’yeux au doigt. « Parce que », soit en me regardant, soit en me touchant, « tu m’as vu, tu as cru ». Quoique le Sauveur offrit à son disciple de le toucher, on ne peut néanmoins dire que celui-ci n’osa pas le faire; car il n’est pas écrit que Thomas le toucha. Mais qu’en le regardant ou en le touchant, Thomas ait vu son Maître et ait cru, peu importe ; ce qui suit a particulièrement trait à la foi des Gentils, et lui donne du prix : « Bienheureux ceux qui n’ont pas a vu et qui ont cru ». L’Évangéliste s’est, en ces paroles, servi du prétérit, parce que, d’après les desseins de sa providence, le Seigneur regardait déjà comme fait ce qui devait avoir lieu plus tard. Mais nous ne devons point donner à ce discours une plus grande étendue; un autre jour, Dieu nous fera la grâce d’expliquer ce qui reste. Voir le commentaire du début du chapitre 21.
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