bId 19, 21-22, 27
iMat 13, 48, 49
John 21
CENT VINGT-DEUXIÈME TRAITÉ.
DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES : JÉSUS À FAIT PLUSIEURS AUTRES MIRACLES », JUSQU’A CES AUTRES : « MALGRÉ LEUR GRAND NOMBRE, LE FILET NE ROMPIT POINT ». (Chap 20, 30-31 ; 21, 1-11.)LA SECONDE PÊCHE MIRACULEUSE.
Quelques jours après l’apparition du Sauveur à Thomas, les Apôtres allèrent pêcher : et en retournant ainsi à leur premier métier, ils ne péchèrent pas ; car c’était une occupation permise en elle-même, et, d’ailleurs, s’il est permis aux prédicateurs de l’Évangile de vivre de l’Évangile, à plus forte raison ne leur est-il pas défendu de ne pas grever leurs ouailles. Jésus se présenta alors à eux ; sur son ordre, ils jetèrent leurs filets à droite de la barque, prirent cent cinquante-trois gros poissons, et les amenèrent au rivage dans les filets, sans que ceux-ci se rompissent. La première pêche miraculeuse était la figure de l’Église du temps : pour bien des raisons, celle-ci symbolisait l’Église de l’éternité. Le nombre des poissons indiquait l’accomplissement de la loi par l’opération du Saint-Esprit, et leur grosseur, ceux qui enseignent et observent les commandements et qui feront, à cause de cela, partie des élus. 1. Le Sauveur avait montré au disciple Thomas les plaies de son corps, et lui avait offert de les toucher ; celui-ci vit donc ce qu’il ne voulait pas croire et il crut. Après nous avoir raconté cette circonstance, l’Évangéliste Jean intercale ces paroles : « Jésus a fait, en présence de ses disciples, plusieurs autres miracles qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceux-ci ont été écrits, afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, Fils de Dieu, et qu’en croyant vous ayez la vie en son nom ». Ce chapitre semble indiquer la fin du livre ; toutefois, l’écrivain sacré raconte encore ici la manière dont le Christ se manifesta sur le bord de la mer de Tibériade, et donna, dans la pêche miraculeuse, une mystérieuse image de ce que doit être l’Église quand les morts ressusciteront à la fin du monde. Je trouve un motif particulier d’y faire attention dans ce fait, que ce qui devait être le prélude du récit suivant et donner à ce passage une importance plus marquée, a été placé après le chapitre précédent comme s’il en était le complément naturel. Le récit en question commence par ces mots : « Ensuite Jésus se manifesta de nouveau à ses disciples sur le bord de la mer de Tibériade, et il se manifesta ainsi. Simon Pierre et Thomas, appelé Dydime, Nathanaël, qui était de Cana en Galilée, les fils de Zébédée et deux autres disciples de Jésus étaient ensemble. Simon Pierre leur dit : Je vais pêcher. Et ils lui dirent : Nous allons aussi avec toi ». 2. À l’occasion de cette pêche des disciples, on cherche d’habitude à savoir pourquoi Pierre et les fils de Zébédée sont redevenus ce qu’ils étaient avant d’être choisis par le Seigneur. Car ils étaient pêcheurs, quand il leur dit : « Venez à ma suite, et je ferai de vous des pêcheurs d’hommes a ». Alors ils le suivirent et abandonnèrent tout ce qu’ils possédaient pour s’attacher à lui en qualité de disciples ; en voici la preuve : Quand un jeune homme riche s’éloigna tristement de Jésus pour lui avoir entendu dire : « Va, vends tout ton bien, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; puis, viens et suis-moi », Pierre dit au Sauveur« Voilà que nous avons tout quitté et que « nous vous avons suivi b ». Pourquoi donc, après avoir en quelque sorte abandonné l’apostolat, redeviennent-ils maintenant ce qu’ils étaient autrefois ? Pourquoi reviennent-ils à ce dont ils s’étaient séparés, comme s’ils avaient oublié ce qu’ils ont entendu : « Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n’est point propre au royaume de Dieu c ? » Si, après que Jésus eut rendu le dernier soupir, et avant sa résurrection d’entre les morts, ses disciples avaient agi de la sorte ; mais ils ne le pouvaient, parce que toute leur attention avait été absorbée par les événements du jour, depuis le moment où il fut crucifié jusqu’à sa mise au tombeau qui eut lieu avant le soir : le jour suivant était le sabbat ; à pareil jour, d’après l’usage de leur pays qu’ils observaient, il leur était défendu de travailler ; au troisième jour, le Sauveur ressuscita et leur rendit, par là, l’espérance qu’ils avaient déjà commencé à ne plus avoir ; cependant, s’ils étaient alors retournés à leurs filets, nous croirions devoir en attribuer la cause au désespoir dans lequel ils étaient tombés. Mais aujourd’hui, le Christ, sorti du tombeau, leur a été rendu plein de vie ; la vérité s’est présentée à eux avec la dernière évidence, et ils ont pu, non seulement la considérer de leurs yeux, mais la toucher et la palper de leurs mains ; ils ont si bien examiné la trace de ses plaies que l’apôtre Thomas en a confessé la réelle existence, après avoir dit qu’il croirait à cette seule condition ; le Sauveur a soufflé sur eux et leur a donné son saint Esprit ; il leur a, de sa propre bouche, adressé ces paroles : « Comme mon Père m’a envoyé, moi « aussi je vous envoie ; ceux dont vous remettrez les péchés, ils leur seront remis, et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus d ». Et tout à coup ils deviennent ce qu’ils étaient auparavant ; ils deviennent, non pas des pêcheurs d’hommes, mais des pêcheurs de poissons. 3. Voici la réponse à faire aux personnes étonnées d’une pareille conduite. Il n’était point défendu aux disciples de demander à un métier permis et autorisé le moyen de vivre, s’ils ne portaient d’ailleurs aucune atteinte à l’intégrité de leur apostolat et se trouvaient dans l’impossibilité de se procurer autrement les aliments qui leur étaient nécessaires. Oserait-on, par hasard, penser ou dire que l’apôtre Paul n’était pas du nombre des hommes parfaits, qui ont tout abandonné pour suivre le Christ, parce qu’afin de n’être à charge à aucun de ceux auxquels il prêchait l’Évangile, il gagnait son pain avec son travail manuel e ? Il a travaillé pour vivre ; la preuve en ressort plus particulièrement de ces paroles : « J’ai travaillé plus que tous les autres ; néanmoins », ajoute-t-il aussitôt, « non par moi, mais la grâce de Dieu avec moi f ». L’Apôtre voulait, par là, faire voir que s’il avait pu spirituellement et corporellement travailler plus que les autres, de manière à prêcher continuellement l’Évangile, sans vivre comme eux de l’Évangile, il le devait à la grâce divine. Effectivement, il en répandait les enseignements bien plus loin et avec plus de fruit au milieu d’une foule de nations qui n’avaient pas entendu parler du nom du Christ. Il montrait ainsi que les Apôtres ont reçu, je ne dirai pas l’ordre, mais le pouvoir de vivre de l’Évangile, ou, en d’autres termes, de tirer leur nécessaire de sa prédication. Ce pouvoir, le même Apôtre en fait mention dans le passage suivant : « Si nous avons semé parmi vous des biens spirituels, est-ce une grande chose que nous a recueillions un peu de vos biens temporels ? Si d’autres usent de ce pouvoir à votre égard, pourquoi n’en userions-nous pas plutôt qu’eux ? Cependant », ajoute-t-il, « nous n’avons pas usé de ce pouvoir ». Immédiatement après, il dit encore : « Ceux qui servent à l’autel ont part aux oblations de l’autel ; ainsi, le Seigneur ordonne que ceux qui annoncent l’Évangile vivent de l’Évangile ; mais moi, je n’ai usé d’aucun de ces droits ». C’est donc un point bien établi qu’il a été, sinon commandé, du moins permis aux Apôtres de ne vivre que de l’Évangile et de demander leur nourriture à ceux parmi lesquels ils répandraient les biens spirituels par la prédication évangélique, c’est-à-dire qu’il leur était loisible d’exiger les aliments du corps et de recevoir la paie nécessaire, comme s’ils étaient les soldats du Christ et que les fidèles en fussent les sujets. Voilà pourquoi le même Apôtre, ce noble soldat, avait dit un peu auparavant : « Qui est-ce qui fait la guerre à ses frais g ? » C’était, néanmoins, ce que faisait Paul ; car il travaillait plus que tous les autres. Le bienheureux Paul ne voulut pas, comme les autres prédicateurs de l’Évangile, user du pouvoir qu’il avait reçu comme eux ; il voulut combattre à ses propres dépens, afin de ne point donner à des nations qui ne connaissaient nullement le Christ, l’occasion de se scandaliser d’une doctrine vénale en apparence ; il apprit un métier à la pratique duquel son éducation était restée étrangère ; et, parle travail de ses mains, le maître était nourri sans imposer à ses disciples aucun sacrifice. S’il en fut ainsi de Paul, le bienheureux Pierre, qui avait déjà été pécheur, et qui, par conséquent, faisait ce qu’il savait, n’eut-il pas un droit plus réel encore d’agir comme lui, si, pour le moment, il n’avait pas à sa disposition un autre moyen de pourvoir à sa nourriture ? 4. Mais, dira quelqu’un, comment ce moyen lui a-t-il manqué ? Le Seigneur n’a-t-il pas fait cette promesse : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et le reste vous sera donné par surcroît h ? » Il est sûr que Pierre et ses compagnons ont trouvé l’accomplissement de la promesse divine dans leur métier de pêcheurs. N’est-ce pas Dieu seul ; en effet, qui a conduit les poissons sous le filet de ses disciples ? N’est-ce point pour nous une obligation de croire que le Sauveur les a mis dans une si grande pénurie de toutes choses, uniquement pour les forcer à aller à la pêche et pour avoir lui-même l’occasion d’opérer un miracle ? Dans ses desseins, ce prodige devait pourvoir à la nourriture des prédicateurs de l’Évangile, et l’Évangile lui-même devait puiser une autorité nouvelle dans le sens vraiment mystérieux du nombre des poissons recueillis. C’est maintenant pour nous un devoir de dire, au sujet de ce miracle, ce que nous suggérera la grâce. 5. Simon Pierre dit donc : « Je vais pêcher ». Ceux qui étaient avec lui « répondirent : Nous allons aussi avec toi, et ils sortirent, et ils montèrent dans une barque, et ils ne prirent rien de cette nuit-là. Le matin venu, Jésus parut sur le rivage, les disciples, néanmoins, ne s’aperçurent point que c’était lui. Jésus donc leur dit : « Enfants, n’avez-vous rien à manger ? Ils lui répondirent : Non. Il leur dit : Jetez le filet à droite de la barque, et vous trouverez. Ils le jetèrent donc, et ils ne pouvaient le tirer, tant il y avait de poissons. Alors, le disciple que Jésus aimait, dit à Pierre : C’est le Seigneur. Pierre, entendant que c’était le Seigneur, prit sa tunique, car il était nu, et il se jeta dans la mer. Les autres disciples vinrent avec la barque, traînant le filet plein de poissons, car ils n’étaient éloignés que de deux cents coudées environ. Quand ils furent descendus à terre, ils virent des charbons allumés et du poisson dessus, et du pain. Jésus leur dit : Apportez quelques poissons de ceux que vous avez pris à l’instant. Simon Pierre monta dans la barque et tira à terre le filet plein de cent cinquante-trois gros poissons, et, quoiqu’ils fussent si considérables, le filet ne se rompit point » 6. Voilà un admirable mystère dans l’admirable Évangile de Jean : pour lui concilier toute notre attention, l’écrivain sacré en a fait mention à la fin de son livre. Au moment de cette pêche, les disciples étaient au nombre de sept, savoir : Pierre, Thomas, Nathanaël, les deux fils de Zébédée, et deux autres dont l’Évangile ne cite pas les noms. Ce nombre sept signifie la consommation du temps, car le temps, pour toute son étendue, est circonscrit dans l’espace de sept jours. à cela se rapporte ce fait que, le matin venu, Jésus parut sur le rivage, puisque le rivage est ainsi le terme de la mer, et que, par conséquent, il est l’emblème de la consommation des temps : Pierre a aussi tiré le filet sur la terre, c’est-à-dire sur le rivage : autre circonstance qui signifie encore la même chose. Le Sauveur nous l’apprend lui-même en un autre endroit, lorsque, tirant une comparaison du filet jeté à la mer, il dit : « Et ils l’amenèrent sur le rivage ». Qu’était-ce que ce rivage ? il nous l’explique en ces termes : « Il en sera ainsi à la fin des siècles i ». 7. Dans ce passage nous trouvons une parabole en paroles, et non en fait ; mais si nous en venons au fait même de la pêche, en cette dernière circonstance le Sauveur annonce ce que sera plus tard l’Église, comme dans la circonstance analogue précédente il nous a instruits de çe qu’elle est maintenant. Ce qu’il a fait au commencement de sa prédication, il l’a fait encore après sa résurrection ; par les poissons pris à la première pêche, il a voulu nous indiquer les bons et les méchants dont se compose aujourd’hui l’Église : par ceux qui ont été pris en second lieu, il ne nous représente que les bons, dont elle se composera pendant l’éternité, lorsqu’à la fin des siècles la résurrection des morts aura parfait le nombre de ses membres. Autrefois, enfin, Jésus ne s’était pas, comme aujourd’hui, arrêté sur le rivage pour commander aux Apôtres de prendre des poissons ; mais « il entra dans une des barques, qui était à Simon, et le pria de le conduire à quelque distance de la terre, et s’asseyant, il instruisait de là le peuple. Et quand il eut cessé de parler, il dit à Simon : Avance en pleine mer et jette les filets pour pêcher ». Alors, ce que les Apôtres prirent de poissons fut mis dans les barques, tandis que dans l’occasion présente ils conduisirent leurs filets jusqu’au rivage. Ces faits, et tous ceux qu’on a pu remarquer en outre, représentent l’Église, les uns telle qu’elle est maintenant, les autres telle qu’elle sera à la fin des temps c’est pourquoi ceux-là ont eu lieu avant, et ceux-ci après la résurrection du Sauveur : dans le premier cas, le Christ a fait allusion à notre vocation ; dans le second, à notre résurrection. Là, on ne jette les filets, ni à droite, dans la crainte dune figurer que les bons, ni à gauche, dans la crainte de ne figurer que les méchants ; on les jette à la première place venue : « Jetez les filets pour pêcher », dit le Sauveur, pour nous faire comprendre que les bons et les méchants sont aujourd’hui mêlés ensemble ; ici, voici comment il s’exprime : « Jetez le filet à la droite de la barque », pour montrer que les bons étaient seuls à la droite. Dans le premier cas, la rupture du filet marquait les schismes ; mais, pour le second, l’Évangéliste a eu le droit de dire : « Et quoiqu’ils fussent si considérables », c’est-à-dire si grands,« le filet ne se rompit point », parce. qu’après les siècles, dans la profonde paix des saints, il n’y aura plus de schismes. Jean semblait considérer la déchirure du premier filet, et profiter de ce malheur pour faire mieux comprendre l’avantage réservé au second. Autrefois, les disciples prirent une si grande quantité de poissons, que deux barques en furent remplies, et qu’elles sombraient j, c’est-à-dire, qu’elles menaçaient de sombrer sous la charge ; car si elles ne furent pas englouties, elles coururent néanmoins le danger de l’être. Pourquoi avons-nous à gémir sur une foule de scandales qui désolent l’Église ? C’est qu’on y voit entrer une immense multitude dont les mœurs sont tout opposées aux exemples des saints, c’est qu’on ne peut l’empêcher d’y pénétrer et d’exposer la discipline au danger presque certain d’un naufrage. Aujourd’hui, les Apôtres ont jeté le filet du côté droit, et « ils ne pouvaient le tirer tant il y avait de poissons ». Qu’est-ce à dire : « ils ne pouvaient le tirer ? » Le voici Ceux qui jouiront de la résurrection de la vie, c’est-à-dire, qui seront à la droite, ceux qui, au sortir de cette vie, se trouveront enfermés dans le filet du nom chrétien, ne seront connus que sur le rivage, ou, pour mieux dire, à la consommation des siècles. Aussi n’ont-ils pu tirer leurs filets de manière à déverser dans leurs barques les poissons qu’ils avaient pris, comme ils avaient fait jadis avec ceux qui avaient rompu leur filet et presque submergé leur nacelle. Après cette vie, plongés dans le sommeil de la paix comme dans les profondeurs de la mer, ces chrétiens de la droite attendent, au sein de l’Église, que le filet parvienne au rivage vers lequel on le tirait à la distance d’environ deux cents coudées. Les deux barques de la première pêche étaient l’emblème de la circoncision et du prépuce : les deux cents coudées dont il est question dans le récit de la seconde pêche, ont, à mon avis, la même signification : elles ont trait aux élus de l’une et de l’autre catégorie, c’est-à-dire aux circoncis et aux incirconcis, également représentés par le nombre cent ; car, par son total, ce chiffre regarde la droite. Enfin, l’Évangéliste n’indique pas la quantité des poissons recueillis, lors de la première pêche, comme si ce miracle était l’accomplissement des paroles du Prophète : « J’ai annoncé et j’ai parlé, et ils se sont multipliés au-delà de toute mesure k ». Pour la seconde pêche, le nombre des poissons n’a pas été sans mesure, il est nettement déterminé : cent cinquante-trois ; nous allons, avec l’aide de Dieu, en expliquer la portée. 8. Quel nombre établir qui représente la loi ? Aucun, si ce n’est le nombre dix ; car, nous le savons à n’en pas douter, Dieu d’abord a écrit, de son propre doigt, sur deux tables de pierre, le Décalogue de la loi, c’est-à-dire les dix commandements bien connus qui la composent l. Mais, quand la loi n’est pas aidée de la grâce, elle fait des prévaricateurs et n’existe qu’à l’état de lettre : voilà surtout pourquoi l’Apôtre a dit : « La lettre tue, mais l’esprit vivifie m ». Il faut donc que l’esprit vienne s’adjoindre à la lettre, pour que la lettre ne tue pas celui que ne vivifie point l’esprit et, aussi, afin que nous accomplissions les préceptes de la loi, non avec nos seules forces, mais avec la grâce du Sauveur. Quand la grâce vient en aide à la loi, c’est-à-dire, quand l’esprit s’unit à la lettre, le nombre sept s’ajoute, en une certaine façon, au nombre dix ; car ce nombre sept est l’emblème de l’Esprit-Saint, les lettres sacrées en fournissent de remarquables preuves. La sainteté ou l’action de sanctifier appartient en propre au Saint-Esprit n ; quoique le Père soit esprit et le Fils également, par la raison que Dieu est esprit ; quoique le Père soit saint, et le Fils aussi, néanmoins, l’Esprit de l’un et de l’autre s’appelle proprement le Saint-Esprit. Sous l’empire de la loi, quel temps fut le premier sanctifié, sinon le septième jour ? En effet, Dieu n’a sanctifié ni le premier jour, puisqu’alors il a créé la lumière ; ni le second, puisqu’il a fait le firmament ; ni le troisième, car à cette époque le Seigneur a séparé la mer de la terre, et celle-ci a commencé à produire de l’herbe et des arbres ; ni le quatrième : en ce jour, en effet, les astres sont sortis du néant ; ni le cinquième, qui a vu naître les habitants des eaux et les habitants des airs ; ni le sixième, où sont nés les animaux qui vivent sur terre, et l’homme lui-même ; mais le Seigneur a sanctifié le septième, où il s’est reposé de tous ses travaux o. C’est donc à juste titre que le nombre sept représente le Saint-Esprit. Le prophète Isaïe s’exprime dans le même sens : « L’Esprit de Dieu », dit-il, « se reposera sur lui », et il compte jusqu’à sept le nombre de ses opérations ou de ses dons : « Esprit de sagesse et d’intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de science et de piété ; et l’esprit de la crainte du Seigneur le remplira p ». Que lisons-nous dans l’Apocalypse ? N’y est-il point parlé des sept Esprits de Dieu q ? Et, pourtant, il n’y a qu’un seul et même Esprit qui partage ses dons aux uns et aux autres selon son bon plaisir r. Le Saint-Esprit, qui a inspiré l’écrivain sacré, a lui-même désigné, sous le nom de sept Esprits, les sept manières dont opère le même Esprit. Le Saint-Esprit s’adjoignant à la loi, et ajoutant ainsi le nombre sept au nombre dix, il en résulte le nombre dix-sept. Si tu comptes tous les nombres depuis un jusqu’à dix-sept, et les additionnes ensemble, tu arriveras au chiffre total de cent cinquante-trois. À un, ajoute deux, et tu auras trois ; ce nombre, plus trois et quatre, fait la somme de dix : joins-y tous les nombres qui suivent jusqu’à dix-sept, tu trouveras pour total le nombre précité ; c’est-à-dire, depuis un jusque quatre, tu as dix ; dix et cinq font quinze ; quinze et six vingt-un ; vingt-un et sept, vingt-huit ; vingt-huit et huit, et neuf, et dix, cinquante-cinq ; cinquante-cinq et onze, et douze et treize quatre-vingt-onze ; quatre-vingt-onze et quatorze, et quinze et seize, cent trente-six ; enfin, à ce nombre, ajoute celui qui reste et dont il s’agit, c’est-à-dire dix-sept, et tu obtiendras le chiffre total des poissons. Ce nombre ne représente pas uniquement les élus qui ressusciteront pour la vie éternelle, et ne veut pas dire qu’ils seront seulement cent cinquante-trois : il représente aussi les milliers de saints qui vivent sous l’empire de la grâce de l’Esprit : cette grâce s’accorde avec la loi de Dieu comme avec un adversaire ; ainsi, l’Esprit vivifie et la lettre ne tue pas ; ce que la lettre commande s’accomplit avec le secours de l’Esprit, et si on ne l’observe point parfaitement, cette omission est pardonnée. Tous ceux qui se trouvent soumis à l’influence de cette grâce, ce nombre les figure donc, c’est-à-dire qu’il les représente figurativement il est composé de trois fois cinquante, plus trois, qui représentent le mystère de la Trinité : le nombre cinquante est formé par le résultat de sept multiplié par sept, auquel on ajoute un ; car sept fois sept font quarante-neuf. On y ajoute un, pour signifier que celui qui est symbolisé par sept à cause de ces sept opérations, est un : nous le savons, le Saint-Esprit a été envoyé le cinquantième jour après la résurrection du Sauveur, il avait été promis aux disciples, et ils avaient reçu l’ordre de l’attendre s. 9. L’Évangéliste n’a pas indiqué sans raison le nombre et la grosseur des poissons recueillis, ou, en d’autres termes, il n’a pas dit sans motif qu’il y en avait cent cinquante-trois, et qu’ils étaient énormes. En effet, voici comment il s’exprime : « Et il tira à terre le filet plein de cent cinquante-trois poissons ». Le Sauveur avait dit : « Je ne suis pas venu abolir la loi, mais l’accomplir », car il devait donner l’Esprit, avec l’aide duquel la loi pourrait être accomplie, et par là il devait, en quelque sorte, ajouter sept à dix ; puis, après quelques autres réflexions, il avait ajouté : « Celui qui violera l’un de ces moindres commandements, et qui enseignera ainsi les hommes, sera le plus petit dans le royaume des cieux ; mais celui qui fera et enseignera, sera appelé grand dans le royaume des cieux ». Celui-ci peut être du nombre des gros poissons. Pour le premier, qui viole en action ce qu’il enseigne en paroles, il peut faire partie de cette Église représentée par les poissons de la première pêche, et composée de bons et de méchants ; car elle porte aussi le nom de royaume des cieux. Jésus ne dit-il pas, en effet : « Le royaume des cieux est semblable à un filet jeté dans la mer, et qui renferme toutes sortes de poissons t ? » Par ces paroles, il veut nous faire entendre qu’il est question des bons et des méchants ; il dit encore qu’on les séparera les uns des autres sur le rivage, c’est-à-dire à la fin des temps. Il veut ensuite montrer que ces plus petits, qui enseignent le bien par leurs paroles et en violent les règles dans leur conduite, sont les réprouvés, qu’ils ne seront pas dans la vie éternelle, même au dernier rang, et qu’ils n’y entreront jamais. Aussi, après avoir dit : « Celui-là sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux », le Sauveur ajoute immédiatement : « Car je vous le dis. si votre justice n’est plus parfaite que celle des Scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux u ». Voilà bien, sans doute, les Scribes et Les Pharisiens qui sont assis sur la chaire de Moïse, et dont il a dit : « Faites ce qu’ils disent ; mais ce qu’ils font, ne le faites pas ; car ils disent et ne font pas v ». Par leurs discours, ils enseignent ce qu’ils foulent aux pieds par leurs mœurs. Conséquemment, le plus petit dans le royaume des cieux qui représente l’Église du temps, n’entrera pas dans le royaume des cieux qui est l’Église de l’éternité ; car s’il enseigne ce qu’il viole, il n’appartiendra pas à la société de ceux qui font ce qu’ils enseignent : il ne sera donc point du nombre des gros poissons, parce que « celui qui fera et enseignera sera appelé grand dans le royaume des cieux ». Et parce que celui-ci sera grand, il ne se trouvera pas à la même place que le plus petit ; en effet, les élus seront bien grands dans le royaume des cieux, car le plus petit y sera plus grand que celui qu’on ne peut surpasser ici-bas w. Ceux qui sont grands sur la terre, c’est-à-dire ceux qui font le bien et l’enseignent ensuite dans le royaume des cieux figuré par le filet rempli de bons et de mauvais poissons, seront les plus grands dans le royaume éternel des cieux, parce que les poissons recueillis à droite figurent ceux qui doivent ressusciter pour la vie. Il nous reste à vous entretenir, avec le secours de Dieu, du repas que Jésus fit avec les sept disciples, des paroles qu’il leur adressa ensuite, et, finalement, de ce qui termine l’Évangile de Jean ; mais le cadre trop étroit de ce discours ne me permet pas de le faire aujourd’hui.CENT VINGT-TROISIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CES PAROLES DE JÉSUS : « VENEZ, MANGEZ », JUSQU’A CES AUTRES : « OR, IL DIT CELA, MARQUANT PAR QUELLE MORT IL DEVAIT GLORIFIER DIEU ». (Chap 21,12-19.)LE GRAND DEVOIR DES PASTEURS.
Après la pêche miraculeuse, Jésus se mit à table avec les sept disciples : d’abord, on servit du poisson rôti et du pain, emblèmes de l’aliment céleste qui fait notre nourriture à la sainte Table. Ensuite, Jésus demanda par trois fois à Pierre, s’il l’aimait, et sur la réponse affirmative de celui-ci, il lui confia ses brebis et ses agneaux. La triple protestation d’amour de Pierre, était une réparation de son triple reniement : c’était aussi, pour tous les pasteurs, une leçon ; car, pour paître réellement le troupeau du Christ qui leur est confié, ils doivent aimer Dieu plus qu’eux-mêmes, et l’aimer, s’il le faut, jusqu’à mourir pour lui. 1. Le bienheureux apôtre Jean termine son Évangile en faisant le récit de la troisième apparition du Christ à ses disciples après sa résurrection : nous avons donné, de notre mieux, l’explication de la première partie de ce récit, jusqu’à l’endroit où il est dit que les disciples, auxquels il s’était alors manifesté, avaient pris cent cinquante-trois poissons, sans que, malgré leur nombre et leur grosseur, le filet vint à se rompre. Il nous reste à examiner ce qui suit, et, avec l’aide de Dieu, à en disserter autant que la chose nous semblera l’exiger. La pêche terminée, « Jésus leur dit : Venez, mangez. Et aucun de ceux qui étaient assis n’osait lui demander : Qui êtes-vous ? car ils savaient que c’était le Seigneur ». S’ils le savaient, à quoi bon l’interroger ? Et s’ils n’avaient pas besoin de le faire, pourquoi Jean a-t-il dit : « Ils n’osaient pas ? » comme s’ils en éprouvaient le besoin sans oser le faire, parce qu’ils auraient été retenus par un sentiment de crainte. Voici le sens de ce passage : l’apparition de Jésus à ses disciples était revêtue de signes de vérité si évidents, qu’aucun d’eux n’osait ni la nier, ni même la révoquer en doute ; si, en effet, quelqu’un d’entre eux en doutait, c’était, pour lui, un devoir de s’en assurer par une question. L’Évangéliste a donc dit : « Personne n’osait lui demander : Qui êtes-vous ? » pour dire personne n’osait douter de ce qu’il était. 2. « Et Jésus vint, et il prit du pain et leur en donna, ainsi que du poisson ». Voilà bien le menu de leur repas : si nous y prenons part, nous en dirons nous-mêmes quelque chose de suave et de salutaire. D’après le récit antérieur de l’écrivain sacré, quand les disciples descendirent à terre, « ils y virent des charbons allumés et du poisson dessus, et du pain ». On ne doit point comprendre ce passage en ce sens que le pain ait été aussi placé sur les charbons ; il faut sous-entendre Ils virent. Si maintenant nous mettons ce mot à la place où il faut le sous-entendre, la phrase pourra être celle-ci : Ils virent des charbons allumés et du poisson dessus, et ils aperçurent du pain ; ou mieux encore : lis virent des charbons allumés et du poisson dessus ; ils aperçurent aussi du pain. Sur l’ordre du Sauveur, ils apportèrent encore quelques-uns des poissons qu’ils avaient pris quoique Jean n’ait point relaté ce fait d’une manière expresse, il est sûr, néanmoins, qu’il n’a point passé sous silence l’ordre donné par le Christ ; car Jésus dit : « Apportez quelques-uns des poissons que vous avez pris tout à l’heure x ». Est-il, en effet, possible de croire qu’ils n’auraient point exécuté ses ordres ? Tels furent donc les mets dont se composa le repas donné par le Sauveur à ses Sept disciples ; le poisson qu’ils avaient vu sur les charbons ardents, et auquel ils avaient ajouté quelques-uns de ceux qu’ils venaient de prendre ; puis le pain que, suivant le récit évangélique, ils avaient aussi aperçu. Le poisson rôti, c’est le Christ mort en croix ; il est encore le pain descendu du ciel y. L’Église lui est incorporée pour entrer en participation de la béatitude éternelle. « Apportez quelques-uns des poissons que vous venez de prendre ». Nous tous, qui nourrissons dans nos cœurs cette espérance, nous devons le comprendre à ces paroles ; nous participons à cet ineffable sacrement dans la personne des sept disciples, qu’on peut considérer ici comme nous figurant tous ; par là même nous sommes en eux associés à ce bonheur. Tel fut le repas que le Sauveur prit avec ses disciples ; c’est par là que Jean a terminé son Évangile, quoiqu’il eût à raconter encore beaucoup d’autres choses, et des choses, à mon avis, très-importantes ; car il avait vu des événements extrêmement dignes de fixer notre attention. 3. « Ce fut la troisième fois que Jésus se manifesta à ses disciples après sa résurrection ». Ceci a trait, non pas aux manifestations du Sauveur, mais aux jours où elles ont eu lieu ; c’est-à-dire, au jour de la résurrection ; puis à celui où, après une semaine, Thomas vit et crut ; enfin, au jour où Jésus opéra ce qu’on vient de raconter de la pêche miraculeuse ; combien de temps après la résurrection ce miracle eut-il lieu ? L’écrivain sacré ne l’a pas dit. Le premier jour, en effet, le Sauveur se montra plusieurs fois, comme l’attestent les témoignages des quatre Évangélistes. Mais, suivant la remarque que nous en avons faite, il faut compter les manifestations de Jésus d’après les jours ; autrement, celle-ci ne serait pas la troisième. N’importe combien de fois et à combien de personnes Jésus se soit montré le jour de sa résurrection, comme toutes ces apparitions ont eu lieu le même jour, elles ne doivent compter que pour une seule et même apparition, qui serait la première ; la seconde s’est faite huit jours après, ensuite la troisième dont nous parlons ; enfin, toutes celles qu’il lui plut de faire jusqu’au quarantième jour où il monta au ciel, et dont le texte saint ne fait pas mention. 4. « Après donc qu’ils eurent mangé, Jésus dit à Simon Pierre : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? Oui, Seigneur, lui répondit-il, vous savez que je vous aime. Jésus lui dit : Pais mes brebis. « Il lui dit une seconde fois : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? Pierre lui répondit : Oui, Seigneur, vous savez que je vous aime. Jésus lui dit : Pais mes agneaux. Il lui dit pour la troisième fois : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? Pierre fut, contristé de ce qu’il lui demandait pour la troisième fois : M’aimes-tu ? Il lui dit : Seigneur, vous connaissez tout ; vous savez que je vous aime. Il lui dit : Pais mes brebis. En vérité, en vérité, je te le dis ; lorsque tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même, et tu allais où tu voulais ; mais lorsque, dans ta vieillesse, tu étendras tes mains, un autre te ceindra et te conduira où tu ne voudras pas. Or, il dit cela, marquant par quelle mort il devait glorifier Dieu ». Ainsi devait finir l’homme qui avait renié son maître, et qui l’aimait si vivement, cet homme élevé par sa présomption, jeté à terre par son reniement, purifié par ses larmes, éprouvé par sa confession, couronné à cause de ses souffrances ; oui, il devait finir, en mourant victime de son amour sans bornes pour celui avec qui un empressement coupable lui avait fait promettre de mourir. Affermi par la résurrection de son Maître, puisse-t-il accomplir ce qu’il avait prématurément promis, lorsqu’il était faible ! Il fallait que le Christ mourût d’abord pour le salut de Pierre, et qu’ensuite Pierre mourût pour annoncer le Christ. Ce que l’humaine témérité avait conduit à un commencement d’exécution, devait se faire ensuite ; car la Vérité éternelle avait préparé cet enchaînement régulier des événements. Pierre croyait donner sa vie pour le Christ z, pour son libérateur, et c’était lui qui devait être délivré ; car le Christ était venu mourir pour toutes ses brebis, et Pierre était du nombre ; c’est ce qui a déjà eu lieu. Maintenant soyons fermement décidés à souffrir la mort pour le nom du Seigneur, et cette fermeté réelle, puisons-la dans le secours de la grâce, et ne l’attendons pas d’une présomption trompeuse, car elle ne serait que de la faiblesse ; voici le moment de ne point craindre la fin violente de la vie présente : en ressuscitant, le Sauveur nous a donné la preuve exemplaire d’une autre vie. O Pierre, c’est aujourd’hui que vous ne devez plus redouter de mourir ; car celui-là est vivant, dont la mort vous faisait pleurer, et que vous vouliez, par un sentiment d’affection charnelle, empêcher de mourir pour nous aa. Vous n’avez pas craint de prendre le pas sur votre guide, et la vue de son ennemi vous a fait trembler ; le prix de votre rachat a été versé, c’est maintenant à vous de suivre votre Rédempteur, et de le suivre même jusqu’à la mort de la croix. Vous êtes sûr de sa véracité, vous avez entendu ses paroles ; il vous avait prédit que vous le renieriez ; il vous prédit aujourd’hui que vous souffrirez. 5. Mais, auparavant, le Sauveur demande à Pierre une fois, deux fois, trois fois, ce qu’il sait déjà, c’est-à-dire s’il l’aime ; et trois fois Pierre ne lui répond que par une protestation d’amour, et trois fois il ne fait à Pierre d’autre recommandation que celle de paître ses brebis. À un triple reniement succède une triple confession : ainsi la langue de Pierre n’obéit pas moins à l’affection qu’à la crainte, et la vie présente du Sauveur lui fait prononcer autant de paroles, que la mort imminente de son Maître lui en avait arrachées. Si, en reniant le pasteur, Pierre donna la preuve de sa faiblesse, qu’il donne la preuve de son affection en paissant le troupeau du Seigneur. Quiconque fait paître les brebis du Christ, de manière à vouloir en faire, non pas les brebis du Christ, mais les siennes propres, celui-là est, par là même, convaincu de s’aimer lui-même et de n’aimer pas le Christ : il prouve qu’il se laisse conduire par le désir de la gloire, de la domination, de l’agrandissement temporel, et non par un élan du cœur, qui le porte à obéir, à se dévouer et à plaire à Dieu ; contre de telles gens s’élève la parole prononcée trois fois de suite par le Christ : ce sont de telles gens, que l’Apôtre gémit de voir chercher leur avantage, au lieu de chercher celui de Jésus-Christ ab. Que signifient, en effet, ces paroles : « M’aimes-tu ? Pais mes brebis ? » N’est-ce pas dire, en d’autres termes : Si tu m’aimes, ne songe point à te nourrir toi-même, mais pais mes brebis, et pais-les, non pas comme les tiennes, mais comme les miennes ; travaille à les faire concourir à ma gloire, et non à la tienne ; étends sur elles mon empire, et non le tien ; cherche en elles, non ton profit, mais uniquement mon avantage : par là, tu ne seras point de ceux qui aiment cette vie si dangereuse, qui fixent leurs affections sur eux-mêmes et sur tout ce qui se rattache à ce monde, source de tous les maux. Immédiatement après avoir dit : « Il y aura des hommes amateurs d’eux-mêmes », l’Apôtre continue en ces termes : « Avares, fiers, superbes, médisants, désobéissant à leurs pères et à leurs mères, ingrats, impies, irréligieux, dénaturés, sans foi et sans parole, calomniateurs, intempérants, inhumains, ennemis des gens de bien, traîtres, insolents, enflés d’orgueil, ayant plus d’amour pour la volupté que pour Dieu, qui auront l’apparence de la piété, mais qui n’en auront pas la réalité ac ». Tous ces maux dérivent, comme de source, du premier que Paul indique : « Amour de soi-même ». Aussi Jésus dit-il à Pierre : « M’aimes-tu ? » Et celui-ci répondit : « Je vous aime » ; et entend-il ces paroles : « Pais mes agneaux ». Voilà pourquoi ces demandes et ces réponses se renouvellent une seconde et une troisième fois. Ce passage est aussi la preuve que l’amour et la dilection sont une seule et même chose ; car, à la fin, le Sauveur ne dit plus : « As-tu pour moi de la dilection ? » Mais : « As-tu pour moi de l’amour ? Ne nous aimons donc pas nous-mêmes ; aimons Jésus, et, à paître ses brebis, cherchons son avantage et non pas le nôtre. Je ne sais comment il se fait que quiconque s’aime au lieu d’aimer Dieu, ne s’aime pas lui-même, et que celui qui aime Dieu au lieu de s’aimer, s’aime en réalité lui-même. Quand on aime celui qui donne la vie, ne pas s’aimer, c’est s’aimer véritablement : si, alors, on ne s’aime pas, c’est uniquement pour reporter ses affections sur celui qui nous donne la vie. Ils ne doivent donc pas être amateurs d’eux-mêmes, ceux qui paissent les brebis du Christ, afin de les paître, non comme les leurs, mais comme les siennes, et comme s’ils voulaient en retirer leur propre avantage à la manière « des amateurs de l’argent ». Ils ne doivent ni les commander comme « des superbes », ni s’enorgueillir des honneurs qu’elles leur procurent, comme des hommes « bouffis d’amour-propre », ni chercher à réussir jusqu’à devenir hérétiques, comme « des blasphémateurs », ni résister aux saints pères, comme des enfants « rebelles à leurs parents » ; ni rendre le mal pour le bien, « comme des ingrats », à ceux qui veulent les corriger pour les empêcher de périr ; ni donner le coup de la mort à leur âme et à celle des autres, comme « des assassins » ; ni déchirer le sein de l’Église, leur mère, comme « des gens sans religion » ; ni rester insensibles aux douleurs humaines, comme « des personnes dénaturées » ; ni s’efforcer de salir la réputation des saints, comme « des calomniateurs » ; ni se laisser entraîner sans résistance aux penchants les plus désordonnés, comme « des intempérants » ; ni susciter des chicanes, comme « des hommes sans douceur » ; ni refuser de secourir les malheureux, comme « des gens privés de sentiments d’humanité » ; ni faire connaître aux ennemis des vrais chrétiens, ce qu’ils savent destiné à rester inconnu, comme « des traîtres » ; ni blesser l’honnêteté naturelle par des procédés honteux, comme « des libertins » ; ni n’entendre ce qu’ils disent et ce qu’ils affirment ad, comme « des personnes aveuglées » ; ni préférer les plaisirs charnels aux joies spirituelles, comme « ceux qui ont plus d’amour pour la volupté que pour Dieu ». Qu’ils soient tous ensemble le partage du même homme, ou qu’ils appartiennent ceux-ci à l’un, ceux-là à l’autre, tous ces vices et leurs pareils sortent d’une certaine manière de la même racine, c’est-à-dire « de l’amour exclusif » des hommes « pour eux-mêmes ». Ce vice de l’égoïsme, voilà ce que doivent, avant tout, éviter ceux qui font paître les brebis du Christ, afin de ne pas rechercher leur avantage préférablement à celui de Jésus-Christ, et de ne point faire servir à la satisfaction de leurs convoitises ceux en faveur desquels le Sauveur a répandu son sang. Celui qui paît les brebis du Christ, doit avoir pour lui un amour si vif et porté à un si haut point, qu’il devienne supérieur à la crainte naturelle de la mort, qui nous saisit et nous épouvante, lors même que nous désirons vivre avec notre Rédempteur. En effet, l’apôtre Paul assure qu’il éprouve un ardent désir d’être dégagé des liens du corps et d’être avec Jésus-Christ ae. Néanmoins, il gémit comme écrasé sous le poids de son corps, et il souhaite, non pas d’en être dépouillé, mais d’être revêtu par-dessus, en sorte que ce qu’il y a de mortel soit absorbé par la vie af. Et Jésus dit à Pierre qui l’aimait : « Lorsque tu seras vieux, tu étendras les mains, et un autre te ceindra et te conduira où tu ne voudras pas. Or, il dit cela, marquant par quelle mort il devait glorifier Dieu. Tu étendras tes mains », c’est-à-dire, tu seras crucifié. Pour cela faire, « un autre te ceindra, et te conduira », non pas où tu voudras, mais « où tu ne voudras pas ». Le Sauveur dit d’abord ce qui devait avoir lieu, puis la manière dont la chose se ferait. Si Pierre a été conduit où il ne voulait pas, c’est évidemment quand il a été conduit au supplice de la croix, et non quand il y a été attaché : une fois crucifié, il est allé, non où il ne voulait pas, mais bien plutôt où il voulait ; car il désirait être délivré de son corps et se trouver avec le Christ ; il souhaitait d’entrer dans la vie éternelle sans éprouver, si c’était possible, la pénible épreuve de la mort : cette épreuve, il l’a subie malgré lui, mais il en est sorti de son plein gré : il a été amené à l’endurer, en dépit de ses répugnances ; mais il en a volontiers triomphé, en se dépouillant de ce sentiment de faiblesse qui rend la mort odieuse à tous, et qui nous est naturel au point d’avoir subsisté dans le bienheureux Pierre malgré les nécessités de la vieillesse et ces paroles du Sauveur : « Lorsque tu seras devenu vieux », on te conduira « où tu ne voudras pas ». C’est pour nous consoler, que le Christ a transformé en sa personne ce sentiment de faiblesse, au moment où il a dit : « Père, si c’est possible, que ce calice passe loin de moi ag ». Certainement, il était venu pour subir la mort : sa mort devait être l’effet, non de la nécessité, mais de sa volonté il devait donner sa vie par un acte de sa puissance, comme la même puissance devait la lui rendre. Mais si amère que puisse être pour nous l’épreuve de la mort, la vivacité de notre amour pour Celui qui a bien voulu mourir en notre faveur, bien qu’il fût notre vie, doit nous en rendre victorieux. Si cette épreuve ne nous était point pénible, ou si elle était facile à supporter, l’auréole de gloire des martyrs ne serait point si brillante ; mais puisque après avoir donné sa vie pour ses brebis ah, le bon pasteur s’est choisi, parmi elles, un si grand nombre de martyrs, qu’à bien plus forte raison doivent lutter jusqu’à la mort pour la vérité, et résister au péché jusqu’au sang, les hommes a qui il confie le soin de paître son troupeau, c’est-à-dire de l’instruire et de le gouverner ! Puisqu’il nous a d’abord donné l’exemple de ses souffrances, il est facile de le voir, c’est pour les pasteurs une obligation d’autant plus stricte d’imiter le bon pasteur, que beaucoup de brebis ont suivi ses traces ; car s’il n’y a qu’un pasteur et un troupeau, les pasteurs eux-mêmes sont, à son égard, de véritables brebis. Dès lors qu’il a souffert pour tous, tous sont devenus ses brebis ; et afin de souffrir pour tous, il est devenu lui-même brebis.CENT VINGT-QUATRIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CES PAROLES : « ET LORSQU’IL EUT AINSI PARLÉ, IL LUI DIT : SUIS-MOI », JUSQU’À LA FIN DE L’ÉVANGILE. (Chap 21,19-25.)
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