‏ John 3

ONZIÈME TRAITÉ

(Prêché un peu avant Pâques, d’après le n° 1, et un dimanche, d’après le traité suivant n° 1.)

DEPUIS L’ENDROIT OÙ IL EST ÉCRIT : « PENDANT QUE JÉSUS ÉTAIT À JÉRUSALEM, À LA FÊTE DE PÂQUES, PLUSIEURS CRURENT EN LUI », JUSQU’À « SI QUELQU’UN NE RENAÎT DE L’EAU ET DU SAINT-ESPRIT, IL NE PEUT ENTRER DANS LE ROYAUME DE DIEU ». (Chap 2, 23-25 ; 3, 1-5).

LA SECONDE NAISSANCE.

Beaucoup croyaient au Christ, mais il ne se fiait pas à eux ; ils croyaient en lui à cause de ses miracles. De ce nombre fut Nicodème, fidèle image des catéchumènes Cet homme vint de nuit à Jésus pour être éclairé. Il avait encore des pensées charnelles ; c’est pourquoi il ne jugeait point sainement des choses spirituelles et ne comprenait pas qu’il pût y avoir une seconde naissance puisée en Dieu et dans l’Église. Comme la naissance corporelle, la naissance spirituelle est unique. Ainsi, parmi les enfants d’Abraham d’Isaac et de Jacob, il s’en est trouvé pour recevoir la vie d’une esclave, et qui ont néanmoins hérité de leur père ; d’autres étaient nés d’une mère libre et n’ont eu aucune part à l’héritage paternel. De même, parmi les enfants de l’hérésie plusieurs seront sauvés, et parmi ceux de l’Église catholique plusieurs seront condamnés L’hérétique et le catholique doivent donc, pour parvenir au salut, non pas lutter avec celui qui a reçu le baptême catholique et qui vit spirituellement, comme Israël luttait avec Isaac, et Esaü avec Jacob ; mais se rapprocher de lui par la soumission et s’unir à lui par les liens de la charité.

1. Le Seigneur nous a ménagé l’heureuse occasion de lire aujourd’hui ce passage, tout en suivant l’ordre que nous nous sommes tracé ; car votre charité doit l’avoir remarqué, nous avons entrepris de méditer et de traiter, par ordre, toutes les parties de l’Évangile selon saint Jean. C’est donc une favorable coïncidence que vous ayez entendu lire aujourd’hui ces paroles de l’Évangile : « Si un homme ne renaît de l’eau et de l’esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu ». Le moment est en effet venu de vous exhorter, vous qui êtes encore catéchumènes et qui, malgré votre foi en Jésus-Christ, portez cependant encore le poids de vos péchés. Or, aucun homme chargé de ses péchés ne verra le royaume de Dieu ; aucun homme, si ce n’est celui à qui ils auront été remis, ne régnera avec le Christ ; et ils ne peuvent être remis qu’à celui qui renaît de l’eau et de l’Esprit. Mais examinons attentivement la teneur de ces paroles, afin que ceux qui sont négligents à se débarrasser du fardeau de leurs fautes, apprennent avec quel empressement ils doivent le faire. Ah ! s’ils portaient quelque lourd fardeau, comme du bois, des pierres, fût-ce même quelque objet de valeur, comme du blé, du vin ou de l’argent, combien ils auraient hâte de s’en défaire ! Ils portent le fardeau de leurs péchés, et ils ne montrent aucun empressement à s’en décharger. Il n’y a pas de temps à perdre, il leur faut s’alléger au plus vite, ce fardeau les écrase et les enfonce dans l’abîme.

2. Vous venez de l’entendre : Pendant que Jésus-Christ Notre-Seigneur « était à Jérusalem à la fête de Pâques, plusieurs crurent en son nom, voyant les miracles qu’il faisait ». « Beaucoup crurent en son nom ». Que lisons-nous ensuite ? « Cependant Jésus ne se fiait pas à eux ». Que signifie ce langage ? Ils croyaient en son nom et « Jésus ne se fiait pas à eux ? » Est-ce que par hasard ils ne croyaient pas en lui, tout en feignant d’y croire ? Était-ce à cause de cela que Jésus ne se fiait pas à eux ? Mais l’Évangéliste ne dirait pas : « Plusieurs crurent en son nom », s’il n’avait dessein de témoigner que leur foi était véritable. Voilà une mystérieuse chose, une chose vraiment singulière : il y a des hommes qui croient en Jésus-Christ, et Jésus ne se fie pas à eux. C’est précisément parce que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, qu’il a volontairement souffert ; s’il n’y avait pas consenti, il n’aurait pas souffert, de même que, s’il l’eût voulu, il ne serait pas né ; il aurait pu vouloir naître, mais sans vouloir mourir ; et tout se serait accompli selon sa volonté, par cette raison qu’il est le Fils tout-puissant d’un Père tout-puissant. Prouvons-le par des exemples. Lorsque les Juifs voulurent s’emparer de lui, il leur échappa. C’est l’Évangile qui le dit : « Et comme ils voulurent le précipiter du haut de la montagne, il échappa de leur main sans avoir reçu aucun mal a ». Après que le traître Judas le leur eut vendu, croyant bien qu’il était en son pouvoir de livrer son maître et son Seigneur, ils se saisirent de sa personne : à ce moment-là même le Sauveur leur fit voir que, s’il souffrait, c’était volontairement, et non par nécessité. En effet, comme les Juifs s’apprêtaient à le saisir, « il leur dit : Qui cherchez-vous ? Ils répondirent Jésus de Nazareth. C’est moi », leur dit-il. « A cette parole ils reculèrent et tombèrent par terre b ». Dès lors qu’il les renversait par terre rien qu’en leur répondant, il montrait sa puissance, et il faisait voir d’avance que quand ils s’empareraient de lui, ce serait par un libre effet de sa volonté. S’il a souffert, sa miséricorde en a donc été la cause. En effet, il a été livré pour nos péchés, et il est ressuscité pour notre justification c. Écoute ce qu’il dit lui-même : « J’ai le pouvoir de donner ma vie, et j’ai le pouvoir de la reprendre : personne ne me l’ôte ; mais je la donne moi-même, afin de la reprendre d ». Puisqu’il avait ce pouvoir, puisqu’il se l’attribuait dans ses discours et le prouvait par ses œuvres, pourquoi ne se fiait-il pas à eux ? Pouvaient-ils lui nuire ou lui faire du mal en dépit de sa volonté ? Pourquoi ne se fiait-il pas à eux, puisqu’ils croyaient en lui ? Ceux dont l’Évangéliste a dit : « Plusieurs crurent en son nom », sont les mêmes dont il est dit : « Mais Jésus ne se fiait pas à eux ». Pourquoi ? « Parce qu’il les connaissait tous et qu’il « n’était pas besoin que personne lui rendît témoignage de l’homme, sachant bien lui-même ce qui était dans l’homme ». Comme architecte il savait mieux ce qu’il en était de son œuvre, que l’œuvre elle-même ne savait ce qui était en elle. Créateur de l’homme, il connaissait dans l’homme ce que l’homme sa créature n’y connaissait pas lui-même. Ne prouvons-nous pas par Pierre qu’il ne connaissait pas ce qui était en lui lorsqu’il disait : « Avec vous jusqu’à la mort ? » Écoute, voici la preuve que le Seigneur connaissait ce qui était en l’homme : Toi, avec moi, jusqu’à la mort ? « En vérité, en vérité je te le dis, avant que le coq chante tu me renieras trois fois e ». L’homme ne savait donc pas ce qui était en lui-même ; mais le Créateur de l’homme savait ce qui était en l’homme. Toujours est-il que plusieurs crurent en son nom, et que Jésus ne se fiait pas à eux. Que dire, mes frères ? La suite nous expliquera peut-être ce qu’il y a de mystérieux dans ces paroles. Que plusieurs aient cru en Jésus-Christ, c’est évident, rien de plus vrai, personne n’en peut douter ;- l’Évangile ledit, l’Évangéliste l’atteste, et son témoignage est véritable ; de même, que Jésus-Christ ne se soit pas fié à eux, la chose est certaine, aucun chrétien n’en doute ; l’Évangile le dit aussi et le même Évangéliste l’affirme. Comment donc plusieurs ont-ils cru en son nom, et comment ne s’est-il pas fié à eux ? Voyons la suite.

3. « Il y avait parmi les Pharisiens un homme, nommé Nicodème, un des premiers Juifs. Il vint de nuit vers Jésus et lui dit : « Rabbi » (Rabbi, vous le savez, veut dire Maître), « nous savons que vous êtes un maître venu de Dieu, car personne ne peut faire les miracles que vous faites, si Dieu n’est avec lui ». Ainsi ce Nicodème était du notable de ceux qui croyaient en son nom, en raison des prodiges et des merveilles qu’il opérait. C’est, en effet, ce que l’Évangile marque plus haut : « Comme il était à Jérusalem à Pâques, le jour de la fête, plusieurs crurent en son nom. ». Pourquoi crurent-ils ? Il le marque ensuite : « Voyant les miracles qu’il opérait ». Et de Nicodème qu’est-il dit ? « Il y avait un des principaux d’entre les Juifs, nommé Nicodème, qui vint la nuit vers Jésus et lui dit : Rabbi, nous savons que vous êtes un maître venu de Dieu ». Celui-là croyait donc en son nom. Pourquoi croyait-il ? Le voici : « Car personne ne peut faire les miracles que vous faites, si Dieu n’est avec lui ». Puisque Nicodème était du nombre de ceux qui avaient cru au nom de Jésus-Christ, cherchons maintenant dans ce même Nicodème le motif pour lequel Jésus-Christ ne se fiait pas a eux. « Jésus lui répondit : « En vérité, en vérité je vous le dis, si l’homme ne renaît une seconde fois, il ne peut voir le royaume de Dieu ». Jésus se fie donc à ceux qui sont nés une seconde fois. Les autres croyaient en son nom, et cependant Jésus ne se fiait pas à eux. Tels sont les catéchumènes. Ils croient déjà en Jésus-Christ, et cependant Jésus ne se fie pas à eux. Que votre charité y fasse attention, et elle comprendra ce que je veux dire. Si nous demandons à un catéchumène : Crois-tu en Jésus-Christ ? il répond : J’y crois, et il fait sur lui-même le signe de la croix. Il porte la croix de Jésus-Christ sur son front, et jl n’en rougit pas. Voilà donc qu’il croit en son nom. Demandons-lui cependant : Manges-tu la chair du Fils de l’homme et bois-tu son sang ? Il ne sait ce que nous disons, parce que Jésus-Christ ne se fie pas encore à lui.

4. De ce nombre était Nicodème ; aussi vient-il à Notre-Seigneur. Mais il y vient de nuit. Cette circonstance n’est peut-être pas indifférente à notre sujet. Il vint à Notre-Seigneur, et il y vint de nuit ; il vint à la lumière, et il vint au milieu des ténèbres. Quant à ceux qui sont nés de nouveau de l’eau et de l’Esprit, que leur dit l’Apôtre ? « Vous étiez autrefois ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière en Notre-Seigneur ; marchez donc comme des enfants de lumière f ». Et encore « Mais nous qui sommes enfants du jour, soyons sobres g ». Ceux donc qui sont nés une seconde fois étaient auparavant enfants de la nuit, et ils sont maintenant enfants du jour ; ils étaient ténèbres, et ils sont lumière. C’est pourquoi Jésus se fie déjà à eux ; ils ne viennent pas à lui pendant la nuit, comme Nicodème, ils ne cherchent pas la lumière au milieu des ténèbres. De tels hommes professent hautement leur foi ; aussi Jésus s’approche-t-il d’eux ; il opère en eux le salut, comme il l’a dit lui-même : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous ». Quant aux catéchumènes, le signe de la croix qu’ils portent sur le front prouve qu’ils font partie de la grande famille. Ils en sont les serviteurs ; puissent-ils en devenir les enfants ! Dès lors qu’ils appartiennent à la grande famille, ils ne sont pas considérés comme rien. Quand le peuple d’Israël mangea-t-il la manne dans le désert ? Après qu’il eut passé la mer Rouge. Que signifie cette mer Rouge ? Écoute l’Apôtre : « Je ne veux pas, mes frères, que vous ignoriez comment nos pères ont tous été sous la nuée, et comment tous ont passé la mer ». Et comme si tu lui demandais pourquoi ils ont passé la mer, il ajoute : « Et tous ont été baptisés par Moïse dans la nuée et dans la mer h ». Si la mer, qui n’était qu’une figure, a pu opérer un tel effet, que n’opérera pas la réalité du baptême ? Si le passage figuratif d’Israël au travers des eaux de la mer Rouge a conduit ce peuple jusqu’à la manne, qu’est-ce que le Christ donnera à son peuple, quand celui-ci aura effectué le véritable passage et qu’il aura traversé les eaux du baptême ? Par son baptême il fait passer tous ceux qui croient en lui ; il fait disparaître tous leurs péchés comme s’ils étaient des ennemis acharnés à leur poursuite ; il agit à l’égard de ces péchés de la même manière que Dieu a agi à l’égard des Égyptiens dans la fluer Rouge. Où les fait-il passer, mes frères ? Où les fait passer par son baptême, ce Jésus figuré par Moïse, le conducteur des Juifs au travers de la mer Rouge ? Où les fait-il passer ? À la manne. Qu’est-ce que cette manne ? « Je suis », dit-il, « le pain vivant descendu du ciel i ». Les fidèles reçoivent la manne ; mais auparavant ils ont traversé la mer Rouge. Pourquoi la mer Rouge ? D’abord, pourquoi la taler ? Ensuite, pourquoi la mer Rouge ? Cette mer Rouge figurait le baptême de Jésus-Christ. D’où vient que le baptême de Jésus-Christ est rouge ? C’est parce qu’il a été consacré par le sang de Jésus-Christ. Où donc Jésus-Christ conduit-il ceux qui croient en lui et qui ont été baptisés ? À la manne. J’ai dit à la manne. Ou sait ce qu’a reçu le peuple juif, le peuple d’Israël on sait ce que Dieu a fait tomber du ciel pour le nourrir ; et les catéchumènes ignorent ce que reçoivent les chrétiens. Qu’ils rougissent donc de leur ignorance, qu’ils passent par la mer Rouge, qu’ils mangent la manne, afin de croire au nom de Jésus, et de voir Jésus se fier à eux en retour.

5. Pour toutes ces raisons, mes frères, considérez ce que répondit à Jésus ce Nicodème qui était venu à lui pendant la nuit. Il était venu vers Jésus ; mais il y était venu pendant la nuit. Aussi lui parle-t-il encore du milieu des ténèbres de sa chair. Il ne comprend pas ce que lui dit le Seigneur, ce que lui dit la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde j. Déjà le Seigneur lui a dit : « S’il ne renaît de nouveau, nul homme ne verra le royaume de Dieu. Nicodème lui répond : « Comment l’homme peut-il naître de nouveau, quand il est vieux ? » L’Esprit lui parle et il n’a que des idées charnelles, il juge les choses suivant ses idées charnelles, parce qu’il n’a pas encore goûté la chair du Christ. En effet, lorsque le Seigneur Jésus eut dit : « Celui qui n’aura pas mangé la chair du Fils de l’homme et qui n’aura point bu son sang n’aura pas la vie », ceux qui le suivaient furent scandalisés et se dirent les uns aux autres : « Ce discours est dur, qui peut l’entendre ? » Selon eux, Jésus voulait dire qu’on pourrait le couper eu morceaux comme un agneau, le faire cuire et le manger. Un pareil langage leur faisait horreur ; aussi se retirèrent-ils loin de lui et ils ne voulurent plus le suivre dans la suite. Après quoi l’Évangile ajoute : « Le Seigneur resta seul avec les douze. Et ceux-ci lui dirent : Seigneur, voici qu’ils vous ont abandonné. Et Jésus leur dit : Est-ce que vous voulez aussi vous en aller ? » Par là, il voulait leur montrer qu’il n’avait pas besoin d’eux, mais qu’eux avaient besoin de lui. Que personne ne s’imagine faire peur au Christ, quand on l’invite à se faire chrétien ; comme si en devenant chrétien tu le rendais plus heureux ! C’est un bien pour toi d’être chrétien ; mais si tu ne l’es pas, le Christ n’en souffrira aucun dommage. Écoute le Psalmiste : « J’ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu, parce que vous n’avez pas besoin de mes biens k. Vous êtes donc mon Dieu, parce que vous n’avez pas besoin de mes biens ». Si tu es sans Dieu, tu es plus petit ; si tu es avec Dieu, il n’en est pas plus grand. Pour être avec toi, Dieu n’en est pas plus grand, mais sans lui tu es plus petit. Prends donc en lui de l’accroissement. Ne te soustrais pas à lui, comme s’il devait devenir plus faible par ton éloignement. En t’approchant de lui tu te fortifieras tu t’affaibliras, au contraire, en t’en éloignant. Avec toi il n’acquiert rien ; sans toi, il demeure dans son entier. Aussi lorsqu’il eut dit aux disciples : « Est-ce que vous voulez aussi vous en aller ? » Pierre, cette pierre, lui répondit au nom de tous : « Seigneur, à qui irions-nous ? Vous avez les paroles de la vie éternelle ». Son Palais avait savouré comme il le fallait la chair du Seigneur. Le Seigneur leur expliqua sa pensée en ces mots : « C’est l’esprit qui vivifie ». En effet, après qu’il eut dit : « Si l’homme ne mange la chair du Fils de l’homme, et s’il ne boit son sang, il n’aura pas la vie en lui », il voulut les empêcher d’entendre ces paroles d’une manière charnelle. Aussi leur dit-il : « C’est l’Esprit qui vivifie ; pour la chair, elle ne sert de rien ; les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie l ».

6. Le goût de cet esprit et de cette vie, ce Nicodème venu à Jésus-Christ pendant la nuit ne l’avait pas encore. Jésus lui dit : « Si l’homme ne renaît de nouveau, il ne verra pas le royaume de Dieu ». Imbu d’idées charnelles, et ne savourant pas encore la chair du Christ, il dit : « Comment un homme peut-il naître de nouveau, quand il est déjà vieux ? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère et en sortir de nouveau ? » Cet homme ne connaissait qu’une manière de venir au monde, celle par laquelle on est enfant d’Adam et d’Eve ; il ne connaissait pas encore celle qui nous fait enfants de Dieu et de l’Église ; il ne connaissait que les parents qui engendrent pour la mort, il ne connaissait pas encore ceux qui engendrent pour la vie ; il ne connaissait que les parents qui engendrent des successeurs, il ne connaissait pas encore ceux qui, parce qu’ils vivent toujours, engendrent des co-partageants de leur éternité. Il y a deux sortes de naissance, il n’en connaissait qu’une. L’une tient de la terre, l’autre du ciel ; l’une de la chair, l’autre de l’esprit ; l’une de la mortalité, l’autre de l’éternité ; l’une de l’homme et de la femme, l’autre de Dieu et de l’Église. Mais toutes deux n’ont lieu qu’une fois ; ni l’une ni l’autre ne peuvent être renouvelées. Nicodème avait une idée juste de la naissance selon la chair : ainsi dois-tu penser de la naissance selon l’esprit. Quel était le raisonnement de Nicodème ? « Un homme peut-il entrer dans le sein de sa mère et naître une seconde fois ? » De même si quelqu’un veut te faire naître vine seconde fois selon l’esprit, réponds-lui avec Nicodème : « Un homme peut-il rentrer dans le sein de sa mère et naître une seconde fois ? » Une fois déjà je suis né d’Adam ; Adam ne peut m’engendrer de nouveau : je suis né une première fois du Christ, le Christ ne peut m’engendrer de nouveau ; on ne peut rentrer dans le sein de sa mère, par conséquent il est impossible de rentrer dans les eaux du baptême.

7. Celui qui naît de l’Église catholique vient en quelque sorte de Sara ; il naît de la femme libre. Celui quai naît de l’hérésie, naît de l’esclave, quoiqu’il descende d’Abraham. Que votre charité remarque la grandeur de ce mystère. Dieu fait un serment : voici ce qu’il dit : « Je suis le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ». N’y a-t-il pas d’autres patriarches ? N’y a-t-il pas avant eux le saint Noé, qui seul, parmi tous les hommes, mérita avec toute sa famille d’être préservé du déluge et de devenir en sa personne et en celle de ses enfants la figure de l’Église ? Portés sur le bois, ils échappent au déluge m. Depuis, n’y a-t-il pas eu les grands hommes qui nous sont connus, que célèbre l’Écriture, par exemple Moïse, ce serviteur fidèle dans toute la maison de Dieu n ? Cependant, eux seuls sont nommés comme s’ils étaient seuls à l’avoir mérité. « Je suis le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, c’est là mon nom pour l’éternité o ». Grand mystère ! Dieu a tout pouvoir pour ouvrir et ma bouche et votre cœur, afin que je puisse vous l’expliquer comme il a daigné me le faire entendre, et que vous puissiez recevoir ce que je vous en dirai de la façon la plus avantageuse à votre salut.

8. Ces patriarches étaient donc au nombre de trois : Abraham, Isaac et Jacob. Vous le savez, Jacob a eu douze fils, qui sont devenus la souche du peuple d’Israël. Jacob, en effet, s’appelait Israël, et le peuple d’Israël se composait de douze tribus, et chacune d’elles se rattachait à chacun des douze fils d’Israël. Abraham, Isaac et Jacob, voilà donc trois pères, et de ces trois pères un seul peuple. Ces trois pères étaient comme ce peuple en germe, ils en étaient les représentants ; et ce peuple primitif était la figure du peuple de Dieu actuel. En effet, le peuple juif était la figure du peuple chrétien. Là était la figure, ici la réalité là était l’ombre, ici le corps ; car l’Apôtre a dit : « Or, ces choses leur arrivaient en figure ». C’est la parole de l’Apôtre. Et encore : « Ces choses », dit-il, « ont été écrites pour nous qui arrivons à la fin des temps p ». Ramenez maintenant votre pensée à Abraham, Isaac et Jacob. Nous voyons qu’ils out des enfants de leurs femmes libres et de leurs servantes. Nous trouvons aussi la prospérité des unes bien distincte de celle des autres. La servante n’indique rien de bon : « Chassez la servante et son fils ; car le fils de la servante ne sera pas héritier avec le fils de la femme libre ». L’Apôtre nous rappelle ce passage, et nous explique qu’en ces deux fils d’Abraham étaient figurés les deux Testaments, l’Ancien et le Nouveau. À l’Ancien Testament appartiennent les amateurs des choses temporelles, les amateurs du siècle ; au Nouveau appartiennent les amateurs de la vie éternelle. Aussi, ta Jérusalem terrestre était la figure de la Jérusalem d’en haut, notre mère qui est au ciel. Ce sont les paroles de l’Apôtre q. Cette cité, loin de laquelle nous vivons comme des exilés, vous la connaissez, vous en avez souvent entendu parler. Mais, chose remarquable t dans ces diverses naissances, c’est-à-dire dans ces progénitures, dans ces enfants des femmes libres et des servantes, nous trouvons quatre races d’hommes figurant d’une manière complète et d’avance, le peuple chrétien. De la sorte, il n’y a plus lieu ne s’étonner que Dieu, parlant de ces trois patriarches, ait dit : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ». En effet, mes frères, remarquez bien ce qui se passe dans l’universalité du peuple chrétien des méchants engendrent des bons, ou des bons engendrent des méchants ; ou des bons ont pour pères de pareils qu’eux, ou des méchants n’ont pour enfants que des méchants ; en dehors de ces quatre hypothèses, il n’en existe pas d’autre. Je répète, faites-y attention, retenez bien : Remuez-vous ; pas de dormeurs. Pour ne pas être pris, apprenez quelles sont les quatre catégories d’origine parmi les chrétiens. Ou les bons naissent de parents bons ; ou les méchants viennent de parents bons ; ou les méchants viennent de gens mauvais ; ou les bons viennent de personnes méchantes. Rien de plus clair, ce me semble. Les bons naissent des bons, quand celui qui baptise est bon et que ceux qui sont baptisés croient comme il faut et sont légitimement comptés parmi les membres de Jésus-Christ. Les méchants naissent des méchants, lorsque celui qui baptise est mauvais, que ceux qui sont baptisés s’approchent de Dieu avec un cœur double et ne conforment pas leurs mœurs à la règle qu’on leur donne à l’Église, pour faire d’eux, non pas de la paille, mais du bon grain. Combien d’individus appartiennent à cette catégorie, votre charité le sait. Les bons naissent des méchants : ainsi un adultère donne le baptême, mais celui qui le reçoit est justifié. Les méchants naissent des bons ; quelquefois ceux qui donnent le baptême sont saints, mais ceux qui le reçoivent ne veulent pas marcher dans a voie des commandements de Dieu.

9. Je le suppose, mes frères, on n’ignore pas dans l’Église ce que je viens de dire, et, tous les jours, des exemples viennent corroborer mes paroles. Considérons ce qui a eu lieu chez nos pères, les premiers chrétiens, et nous verrons que parmi eux, comme parmi nous, se sont rencontrées ces quatre sortes d’origines. Les bons naissent des bons : Ananie a baptisé Paul r. Comment les méchants naissent-ils des méchants ? L’Apôtre parle de certains prédicateurs de l’Évangile qui, suivant lui, ne l’annoncent pas avec des intentions pures, mais qu’il tolère dans la société chrétienne. « Qu’importe », ajoute-t-il, « pourvu que le Christ soit annoncé, de quelque manière que ce puisse être, soit par occasion, soit par un vrai zèle, je m’en réjouis  s ». Était-il malveillant, et se réjouissait-il du mal d’autrui ? Non ; mais il parlait ainsi, parce que la vérité et le Christ étaient annoncés par l’organe même des méchants. Si ces derniers baptisaient de leurs pareils, les méchants baptisaient les méchants ; s’ils baptisaient de ceux qu’averti Jésus-Christ, lorsqu’il dit : « Faites ce qu’ils disent, mais ne faites pas ce qu’ils font t », les méchants baptisaient les bons. Enfin les bons baptisaient les méchants, comme il arriva lorsque Philippe baptisa Simon le Magicien u. Voilà donc bien quatre sortes d’origines, mes fières ; je les répète à nouveau, retenez-les, comptez-les, faites-en la distinction, évitez les mauvaises, conservez les bonnes. Les bons donnent naissance aux bons, lorsque les saints baptisent les saints ; les méchants donnent naissance aux méchants, lorsque baptisants et baptisés vivent dans l’impiété et l’injustice ; les méchants donnent la vie aux bons lorsque les baptisants sont mauvais et que les baptisés sont bons ; les bons engendrent les méchants, lorsque ceux qui baptisent étant bons, ceux qui sont baptisés vivent mal.

10. Comment reconnaître ces diverses catégories parmi les enfants de ces trois hommes dont Dieu dit : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ? » Nous rangeons leurs servantes parmi les méchants, et leurs femmes libres parmi les bons ; ces dernières enfantent les bons : Sara met au monde Isaac v ; les servantes enfantent les méchants : Agar met au monde Ismaël w. Dans la seule famille d’Abraham, nous rencontrons la catégorie des bons engendrés par les bons, et celle des méchants engendrés par les méchants. Mais la naissance des méchants par le ministère des bons, où en est la figure ? Rébecca, femme d’Isaac, était une femme libre : lisez néanmoins. Elle a mis au monde deux jumeaux, dont l’un était bon et l’autre méchant. La sainte Écriture te le dit ouvertement par la voix de Dieu : « J’ai aimé Jacob et j’ai haï Esaü x ». Rébecca a donc eu ces deux fils : Jacob et Esaü ; l’un d’eux est choisi, l’autre est mis de côté ; l’un succède à l’héritage de son père, l’autre se voit déshérité. Dieu ne tire pas son peuple d’Esaü, il le tire de Jacob. Une même semence, fruits divers ; même sein, enfants différents ! La femme libre qui a enfanté Jacob n’est-elle pas la même qui a enfanté Esaü ? Ces deux jumeaux s’entrechoquaient dans le sein de leur mère ; au moment de cette lutte il a été dit à Rébecca : « Il y a deux peuples dans ton sein y ». Deux hommes, deux peuples : le peuple bon, le peuple méchant. Mais enfin, tous deux s’entrechoquaient dans le même sein. Combien de méchants se rencontrent dans l’Église ! Ils s’y trouvent avec les bons, dans le même sein, en attendant le moment suprême où se fera le discernement des uns et des autres. Les bons crient contre les méchants, les méchants se récrient contre les bons, et tous luttent ensemble dans les entrailles de la même mère. Y resteront-ils donc toujours ? À la fin on viendra à la lumière, le mystère de la naissance, annoncé ici en allégories, sera mis à découvert ; alors se vérifieront ces paroles : « J’ai aimé Jacob, et j’ai haï Esaü. »

11. Déjà, mes frères, nous avons remarqué la naissance des bons opérée par les bons : Isaac est né de la femme libre ; et celle des méchants opérée par les méchants : Ismaël est né de la servante ; celle des méchants opérée par les bons : Esaü est né de Rébecca : où trouvons-nous trace de bons engendrés par des méchants ? Reste Jacob, c’est lui qui doit parfaire l’ensemble des quatre catégories d’origines qu’il nous faut trouver dans la race des trois patriarches nommés dans l’Écriture. Jacob a eu pour épouses des femmes libres et des servantes ; femmes libres et servantes lui donnent des enfants ; et ces enfants sont les douze fils d’Israël z. Si tu examines de quelles mères ils sont nés, lu verras que les uns sont venus de femmes libres, les autres de servantes ; mais que tous indistinctement ont eu le même père. « Eh quoi ! mes frères ? ceux dont les mères étaient des servantes, ne sont-ils pas entrés en possession de la terre promise, concurremment avec leurs frères ? Nous y rencontrons tout à la fois les enfants de Jacob nés de femmes libres, et ses enfants nés de servantes, et tous étaient bons. Le titre de servantes afférent aux mères des derniers ne leur a porté aucun préjudice, parce qu’ils ont reconnu dans le même père leur commune origine et ainsi ils ont partagé l’héritage avec les autres. Ceux qui avaient pour mères des servantes, n’ont donc aucunement souffert de la nature de leur origine ; ils sont entrés en possession du royaume et de la terre promise comme leurs autres frères : ils ont tous reçu une part égale : la condition servile de leur mère ne leur a porté aucun préjudice ; car leur origine paternelle a seule prévalu. De même en est-il pour ceux qui ont reçu le baptême de la main des méchants ; ce sont, en quelque sorte, des servantes qui les ont mis au monde ; pourtant, commue ils ont été engendrés par la parole de Dieu que symbolisait Jacob, qu’ils se consolent : ils partageront l’héritage avec leurs frères. Que celui dont le père est bon soit tranquille, seulement qu’il n’imite pas sa mère, si sa mère est une servante. Garde-toi d’imiter une mauvaise servante qui montre de l’orgueil. Pourquoi, en effet, les enfants de Jacob nés de servantes, sont-ils entrés comme leurs frères en possession de la terre promise, tandis qu’Ismaël, né aussi d’une servante, a été privé de l’héritage ? Pourquoi ? Parce que lui était orgueilleux et que les autres étaient humbles. Ismaël releva la tête et voulut séduire son frère en jouant avec lui.

12. Il y a là un grand mystère. Ismaël et Isaac jouaient ensemble ; Sara les vit et dit à Abraham : « Chasse la servante et son fils ; car le fils de la servante ne sera pas héritier avec mon fils Isaac ». Et comme la tristesse s’était emparée d’Abraham, le Seigneur confirma les paroles de sa femme. Voilà bien la preuve qu’il y avait un mystère ; car je ne sais ce que préparait pour l’avenir cette circonstance. Sara voit jouer ces enfants, et elle dit : « Chasse la servante et son fils ». Qu’est-ce que cela, mes frères ? Quel mal Ismaël avait-il fait au petit Isaac en jouant avec lui ? En jouant avec Isaac, il se jouait de lui, ce jeu cachait une dérision. Il y a assurément là un grand mystère, que votre charité y fasse attention. Ce jeu, l’Apôtre l’appelle une persécution ; il donne à ce jeu le nom de persécution, car il dit : « Comme alors celui qui était né selon la chair persécutait celui qui était né selon l’esprit, ainsi en est-il encore aujourd’hui » ; c’est-à-dire qu’aujourd’hui encore ceux qui sont nés selon la chair persécutent ceux qui sont nés selon l’esprit. Quels sont ceux qui sont nés selon la chair ? Les amateurs du monde, les amateurs du siècle. Quels sont ceux qui sont nés selon l’Esprit ? Les amateurs du royaume des cieux, ceux qui aiment le Christ, ceux qui désirent la vie éternelle, qui servent Dieu sans préoccupation intéressée. Ismaël joue avec Isaac, mais l’Apôtre dit qu’il le persécute. C’est pourquoi, après avoir dit ces paroles : « Comme alors celui qui était né selon la chair persécutait celui qui était né selon l’Esprit, ainsi en est-il encore aujourd’hui », l’Apôtre montre de quelle persécution il veut parler, et il ajoute : « Mais que dit l’Écriture ? Chasse la servante et son fils, car il ne sera pas héritier avec mon fils Isaac aa ». Nous cherchons en quel endroit de l’Écriture se lisent ces paroles, afin de voir si, avant de jouer, Ismaël s’était livré à quelque voie de fait à l’égard d’Isaac ; et nous remarquons que Sara a parlé ainsi pour avoir vu les enfants jouant ensemble. Ce qu’a vu Sara et ce que l’Écriture appelle un jeu, l’Apôtre l’appelle une persécution. Combien davantage vous persécutent ceux qui vous séduisent en se jouant de vous ; qui vous disent : Viens, viens ; fais-toi baptiser chez nous ; chez nous se trouve le vrai baptême. Ne joue pas, il n’y a qu’un vrai baptême ; c’est un jeu : tu t’y laisseras prendre et il te fera beaucoup de mal. Il vaudrait mieux pour toi gagner Ismaël et lui faire mériter une part dans le royaume. Mais Ismaël fait la sourde oreille, parce qu’il veut jouer. Pour toi, garde l’héritage de ton père et sois attentif à ces paroles : « Chasse la servante et son fils ; car le fils de la servante ne sera pas héritier avec mon fils Isaac ».

13. Les hérétiques osent soutenir que les rois ou les princes catholiques leur font d’ordinaire souffrir persécution. Quelle persécution endurent-ils ? Quelques châtiments corporels. En ont-ils réellement enduré, et jusqu’à quel point ? C’est à eux de le savoir et de consulter à cet égard leur conscience. Quoi qu’il en soit, supposons qu’ils aient eu à endurer des peines corporelles, la persécution qu’ils font souffrir est bien autrement cruelle. Prends-y garde ; quand Ismaël veut jouer avec Isaac, quand il te flatte, quand il te fait l’offre d’un autre baptême, réponds-lui : J’ai déjà le baptême, Si ce baptême est véritable, celui qui veut t’en donner un autre veut se jouer de toi. Mets-toi en garde contre le persécuteur de ton âme. Ce que les Donatistes ont pu quelquefois souffrir de la part des princes catholiques, c’est dans leur corps qu’ils l’ont souffert, on n’a pas persécuté leur âme en lui imposant l’erreur. Écoutez et voyez, dans ce qui a eu lieu autrefois, le signe et l’indice de ce qui devait arriver plus tard ; Nous voyons que Sara frappe Agar, Sara était libre. Agar la servante ayant voulu regimber, Sara s’en plaignit à Abraham et lui dit : « Chasse la servante, elle s’est montrée insolente envers moi ». Et comme si Abraham y était pour quelque chose, elle se plaignit de lui. Abraham tenait à sa servante, non par amour du désordre, mais uniquement par désir d’avoir des enfants, Sara la lui ayant donnée pour cette fin. Il répondit : « C’est ta servante, fais-en ce que tu voudras ». Et Sara la châtia rudement, en sorte qu’Agar s’enfuit de devant sa face. La femme libre châtie la servante, et l’Apôtre ne donne pas au châtiment le nom de persécution. Le fils de la servante joue avec son maître, et ce jeu, l’Apôtre l’appelle une persécution. Le châtiment infligé par la maîtresse ne s’appelle point persécution, et le jeu du serviteur est qualifié de cette dénomination. Qu’est-ce qui vous en semble, mes fières ? Ne comprenez-vous pas ce que cela signifiait ? Ainsi quand il plaît à Dieu d’animer les puissances contre les hérétiques, les schismatiques et contre ceux qui veulent ruiner l’Église, qui essaient de faire disparaître Jésus-Christ, qui blasphèment son baptême, que nul ne s’en étonne. C’est Dieu qui excite Sara à châtier Agar. Qu’Agar se reconnaisse, qu’elle s’humilie ; en effet, lorsqu’Agar se fut humiliée et qu’elle eut quitté sa maîtresse, un ange vint se présenter à elle et lui dire : « Que fais-tu, Agar, servante de Sara ? » Et comme elle se plaignait de sa maîtresse, que lui répondit l’ange ? « Retourne à ta maîtresse  ab ». On la châtie donc, mais c’est pour la contraindre à revenir ; plaise à Dieu qu’elle revienne, car alors son enfant, comme les enfants de Jacob, entrera en possession de l’héritage conjointement avec ses frères.

14. Les hérétiques s’étonnent de ce que les princes chrétiens se déclarent contre ces hommes détestables qui veulent détruire l’Église. De bonne foi, pourraient-ils demeurer tranquilles ? Mais alors, comment rendre compte à Dieu de l’exercice de leur puissance ? Que votre charité remarque ce que je vais dire, à savoir que c’est une obligation imposée aux princes par leur titre de chrétiens, de donner pendant leur règne la paix temporelle à leur mère la sainte Église, puisqu’elle leur a donné la vie spirituelle. Lisons le récit des visions et des actions prophétiques de Daniel. Les trois jeunes gens louent le Seigneur au milieu des flammes, le roi Nabuchodonosor s’étonne de les entendre chanter les louanges du Seigneur et de voir les flammes s’élever inoffensives autour d’eux. Dans un sentiment de l’admiration, que dit le roi Nabuchodonosor ? Je ne parle ici ni d’un juif, ni d’un circoncis ; je parle de celui-là même qui avait tait élever sa statue, et qui avait forcé tout le monde à l’adorer. Profondément ému par le cantique des trois enfants, témoin de la puissance divine qui se manifestait jusque dans la fournaise, que dit-il ? « Je ferai un décret pour tous les peuples et toutes les nations de mon empire ». Quel décret ? « Quiconque blasphémera le Dieu de Sidrac, de Misach et d’Abdénago, sera mis à mort et sa maison ravagée ac ». Tel fut l’acte de sévérité accompli par ce roi étranger, pour empêcher le blasphème contre le Dieu d’Israël ; car il l’avait vu préserver des atteintes du feu les trois jeunes gens, et les hérétiques ne permettent pas à des rois chrétiens de sévir quand on veut faire disparaître Jésus-Christ ; Jésus-Christ qui préserve du feu éternel, non pas trois enfants, mais l’univers tout entier et les rois avec lui ? Car, remarquez-le, mes frères, Dieu n’a préservé ces trois enfants que d’un feu passager. Le Dieu des Macchabées n’était-il pas le même que celui des trois jeunes hébreux ? Ceux-ci ont été mis à l’abri des flammes, les autres ont perdu sur dus bûchers la vie de leur corps ; mais en revanche leur âme a persévéré dans l’observation des commandements de la loi. Les premiers ont été ostensiblement délivrés, les autres ont été couronnés, mais d’une manière cachée ad. Mieux vaut être délivré des flammes de l’enfer que d’un feu allumé par les hommes. Si donc le roi Nabuchodonosor a loué Dieu, a célébré son nom et lui a rendu gloire parce qu’il avait délivré des flammes ces trois jeunes gens ; s’il l’a honoré, au point de publier ce décret par tout son royaume : « quiconque blasphémera le Dieu de Sidrac, de Misach et d’Abdénago, il sera mis à mort et sa maison ravagée », les princes chrétiens pourraient-ils demeurer dans une froide inaction, quand ils voient, non pas trois enfants délivrés d’une fournaise, mais leurs propres personnes mises à l’abri des flammes de l’enfer ; quand ils s’aperçoivent qu’on veut faire disparaître du milieu des chrétiens le Christ, leur libérateur ; quand ils entendent donner à un chrétien ce conseil : Dis que tu n’es pas chrétien ? Voilà ce que les hérétiques trouvent bon de faire ; mais ils ne trouvent pas bon qu’on les en punisse.

15. Considérez cependant ce qu’ils font et ce qu’ils endurent. Ils tuent les âmes et on les châtie dans leur corps ; ils donnent la mort éternelle, ils se plaignent de souffrir la mort temporelle. Et pourtant, que souffrent-ils ? Ils nous vantent sans cesse je ne sais quels martyrs que leur aurait faits la persécution. Par exemple, un Marcule précipité du haut d’un rocher ; un Donat de Bagaïes, jeté dans un puits. Quand les autorités romaines ont-elles ordonné des supplices de ce genre ? À quelle époque ont-elles fait jeter un coupable dans un précipice ? Qu’est-ce que répondaient les nôtres ? J’ignore ce qui s’est passé ; mais encore une fois, que répondent les nôtres ? Selon eux, ces martyrs se sont précipités eux-mêmes, et ils ont fait retomber sur les autorités l’odieux de leur mort. Rappelons-nous la manière dont agissent ordinairement les autorités romaines, et voyons à qui il faut en croire. Les nôtres disent qu’ils se sont précipités eux-mêmes ; mais puisqu’ils ne sont pas les disciples de ceux qui ont choisi ce genre de mort sans y être contraints par personne, ne les croyons pas ; toutefois, y a-t-il rien d’étonnant à ce qu’ils aient fait ce qu’on fait d’ordinaire dans leur parti ? Jamais les autorités romaines n’ont usé de ce genre de supplice. Qu’est-ce, d’ailleurs, qui les empêchait de les faire mourir en public ? Rien. Mais ceux qui ont voulu se faire honorer après leur mort, n’ont pas imaginé de moyen plus capable de se rendre illustres. Quoi qu’il en soit, au fond, je l’ignore. En tous cas, ô Donatistes, si l’Église vous a infligé quelque châtiment corporel, c’est Sara qui a puni en vous Agar ; « revenez à votre maîtresse ». Il nous a fallu nous arrêter ici trop longtemps pour qu’il nous soit maintenant loisible de vous expliquer en entier tout le texte évangélique dont nous vous avions donné lecture. Mes frères, que ceci suffise à votre charité ; car ce que nous vous dirions maintenant pourrait vous faire oublier ce que nous vous avons dit. Retenez-le, répétez-le, sortez d’ici plein d’un feu qui enflamme les plus froids.

DOUZIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CET ENDROIT : « CE QUI EST NÉ DE LA CHAIR EST CHAIR », JUSQU’À : « MAIS CELUI QUI À FAIT LA VÉRITÉ VIENT À LA LUMIÈRE, AFIN QUE SES ŒUVRES SOIENT MANIFESTÉES, PARCE QUE C’EST EN DIEU QU’ELLES ONT ÉTÉ FAITES ». (Chap 3,6-21.)

LA NAISSANCE SPIRITUELLE.

L’homme ne peut naître spirituellement qu’une seule fois, comme il ne peut qu’une seule fois naître corporellement, Qu’il reçoive le baptême dans l’Église catholique, dans l’hérésie ou le schisme, peu importe pourvu qu’il soit soumis à Jésus-Christ. La naissance spirituelle est indispensable au salut, mais elle n’a lieu qu’autant qu’on se rapproche du Sauveur par l’humilité. Pour comprendre ce mystère, il faut croire à celui de l’Incarnation du Verbe. Le Verbe s’est humilié jusqu’à la mort, afin de nous élever jusqu’à la vie éternelle ; mais tous ne participent point à sa rédemption, car il en est que leurs péchés empêchent de croire. Reconnaissons et confessons nos fautes, et nous arriverons à la foi et à la justification.

1. L’attention avec laquelle vous avez écouté le sujet que nous avons traité hier, me fait comprendre comment il se fait que vous soyez aujourd’hui si empressés et si nombreux. Cependant, si vous le trouvez bon, nous suivrons l’ordre accoutumé de ces lectures de l’Évangile, et nous vous en donnerons l’explication ; après quoi votre charité apprendra ce que nous avons déjà fait, ce que nous espérons faire encore pour la paix de l’Église. Pour ce moment, que toute votre attention se porte sur le saint Évangile, que personne ne laisse divaguer ses pensées. En effet, si celui qui s’applique à le comprendre peut à peine y parvenir, celui qui se partage en une foule de pensées diverses, ne laissera-t-il pas échapper ce qu’il aura saisi ? Votre charité se souvient que dimanche, dernier, dans la mesure du secours qu’il a plu à Dieu de nous donner, nous avons traité de la régénération spirituelle
Voir le traité précédent
 ; nous vous avons fait donner encore une fois lecture du même passage, afin que ce qui n’a pas été dit alors, nous puissions, au nom de Jésus-Christ et avec l’aide de vos prières, vous le dire aujourd’hui.

2. On ne peut être régénéré spirituellement qu’une seule fois, comme on ne peut qu’une seule fois naître corporellement. Nicodème s’exprimait avec justesse, quand il disait à Notre-Seigneur, que l’homme devenu vieux ne peut rentrer dans le sein de sa mère et en sortir de nouveau. À la vérité, il ne parle que de l’homme devenu vieux, paraissant supposer que s’il était encore enfant, il serait à même de le faire. Or, il n’en est capable à aucune époque de sa vie, ni au temps de la plus tendre enfance, ni à l’âge le plus avancé, il ne peut rentrer dans le sein de sa mère, pour en sortir une seconde fois. Et comme les entrailles de la femme ne peuvent enfanter le même homme qu’une fois, ainsi pour la naissance spirituelle, le sein de l’Église ne peut la donner au même homme qu’une fois ; aussi chacun ne peut recevoir qu’une fois le baptême. Que personne, cependant, ne dise : un tel est né dans l’hérésie, un tel dans le schisme ; car, s’il vous en souvient, toute difficulté a été tranchée à cet égard par ce que nous vous avons dit au sujet des trois patriarches ; le Seigneur a voulu s’appeler leur Dieu, non qu’il n’y ait eu d’autres patriarches, mais parce que eux seuls ont suffi à figurer parfaitement le peuple futur. Nous avons vu que le fils de la servante a été privé de l’héritage, et que le fils de la femme libre a été appelé à en jouir. Nous avons vu aussi qu’un fils de la femme libre a été déshérité, tandis qu’un fils de la servante a été constitué héritier. Né de la servante, Ismaël af est déshérité ; né de la femme libre, Isaac ag devient héritier ; né de la femme libre, Esaü ah est dépouillé de la succession paternelle ; et les enfants de Jacob ai nés de ses servantes lui succèdent dans ses biens. Ainsi, en ces trois patriarches apparaît en son entier l’image du peuple futur, et c’est avec justice que Dieu a dit : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ; c’est là mon nom pour l’éternité aj ». Pour le mieux comprendre, rappelons-nous la promesse faite à Abraham, cette promesse a été renouvelée à Isaac et à Jacob. Quelle a été cette promesse ? « En votre race seront bénies toutes les nations ak ». Abraham crut alors ce qu’il ne voyait pas encore, les hommes le voient et ils ferment les yeux. Ce quia été promis à un seul homme a reçu son accomplissement parmi les nations, et ceux-là se séparent de leur communion, qui refusent de voir ce qui s’est accompli. Mais à quoi leur sert de vouloir fermer les yeux sur ce fait éclatant ? Bon gré, mal gré, ils le voient ; il leur est impossible d’en nier l’évidence, elle frapperait les yeux même quand on ne voudrait pas les ouvrir.

3. Ce Nicodème, auquel répond le Sauveur, était du nombre de ceux qui croyaient en Jésus-Christ, et auxquels cependant il ne se fiait pas. Il y en avait, en effet, plusieurs auxquels Jésus-Christ ne se fiait pas, bien que déjà ils crussent en lui. Voici le texte évangélique : « Plusieurs crurent en son nom, à la vue des miracles qu’il opérait. Mais Jésus ne se fiait pas à eux ; et il n’avait pas besoin que personne lui rendît témoignage d’aucun homme ; car il savait ce qui était dans l’homme al ». Voilà donc des hommes qui déjà croyaient en Jésus-Christ, et à qui il ne se fiait pas. Pourquoi ? Parce qu’ils n’étaient pas encore régénérés dans l’eau et le Saint-Esprit. C’est le motif qui nous a portés déjà et qui nous porte encore à exhorter nos frères les catéchumènes à ne pas différer leur baptême. Car, si tu les interroges, tu verras qu’ils croient déjà en Jésus-Christ ; mais comme ils n’ont pas encore reçu la chair et le sang de Jésus-Christ, il ne se fiait pas encore à eux. Qu’ont-ils à faire pour que Jésus-Christ se fie à eux ? Qu’ils renaissent de l’eau et du Saint-Esprit. L’Église les a engendrés, qu’elle les mette au monde. Déjà ils sont conçus, qu’ils apparaissent à la lumière, l’Église a des mamelles qui les nourriront ; qu’ils ne craignent pas d’être étouffés après leur naissance ; qu’ils ne s’éloignent pas du sein maternel.

4. Aucun homme ne peut rentrer dans le sein de sa mère pour en sortir à nouveau ; mais quelqu’un, je ne sais qui, est-il né de la servante ? Est-ce que les enfants que les patriarches ont eus autrefois de leurs servantes sont rentrés dans le sein des femmes libres, pour naître une seconde fois ? Ismaël lui-même est venu d’Abraham, et si ce patriarche a eu le pouvoir de se donner un fils par l’intermédiaire de la servante, c’est l’épouse qui le lui donne. C’est l’époux qui engendre Ismaël, sinon de son épouse, du moins d’après son consentement am. Est-ce pour être né de la servante qu’Ismaël s’est vu déshérité ? Mais, s’il avait été déshérité en raison de sa naissance, aucun enfant de servante n’aurait été admis à l’héritage. Les enfants de Jacob ont hérité de leur père ; quant à Ismaël, s’il a été déshérité, ce n’est point parce qu’il est né de la servante, c’est à cause de son orgueil envers sa mère et envers le fils de sa mère. Car Sara était sa mère bien plus qu’Agar. L’une a prêté son sein, l’autre a donné son consentement Abraham n’eût pas agi sans le consentement de Sara ; Ismaël est donc plutôt le fils de Sara, que celui d’Agar. Mais parce qu’il a été orgueilleux envers son frère, et orgueilleux en jouant avec lui, c’est-à-dire en se jouant de lui, que dit Sara ? « Chasse la servante et son fils ; car le fils de la servante ne sera pas héritier avec mon fils Isaac an ». Ce n’est donc pas sa naissance de condition servile, mais son orgueil qui l’a fait déshériter ; eût-il été libre, il lui suffisait d’être orgueilleux pour devenir esclave, et, qui pis est, pour devenir esclave d’une méchante maîtresse, de l’orgueil. C’est pourquoi, mes frères, à celui qui vous demanderait si un homme peut naître de nouveau, répondez hardiment : Non. Toute réitération est un jeu, toute réitération est une tromperie. Ismaël joue ; chassez-le. Sara les ayant vus jouer ensemble, dit à Abraham : « Chasse la servante et son fils ». Ce jeu des enfants déplut à Sara ; sans doute elle aperçut dans ce jeu quelque nouveauté les mères ne désirent-elles pas voir jouer leurs enfants ? Celle-ci les vit jouer, et elle désapprouva leur jeu. J’ignore ce qu’elle vit en ce jeu, elle y vit quelque tromperie, elle remarqua l’orgueil du fils de la servante, il lui déplut et elle le fit chasser. Les enfants des servantes sont chassés lorsqu’ils sont méchants. Ainsi en est-il encore d’Esaü, le fils de la femme libre. Que personne donc ne se rassure en s’appuyant sur ce prétexte, qu’il est né d’un homme de bien ou qu’il a été baptisé par un saint. Celui qui a été baptisé par un saint doit craindre d’être, non pas un Jacob, mais un Esaü. Aussi, mes frères, je vous le dis : il vaut mieux recevoir le baptême de la part d’hommes esclaves de leurs intérêts et amateurs du monde (ce que signifie le nom de servante), et rechercher en esprit l’héritage de Jésus-Christ, afin de ressembler aux enfants que Jacob a eus de ses servantes, que d’être baptisé par des saints et mériter par son orgueil d’être rejeté comme le fut Esaü, bien qu’il fût né d’une femme libre. Mes frères, retenez-le bien, nous ne vous caressons pas. Ne mettez pas en nous votre espérance, nous ne flattons ni vous ni nous ; car chacun de nous porte sa besace. Notre devoir est de vous dire la vérité, pour ne point subir un jugement sévère ; le vôtre est de nous écouter, et de nous prêter l’oreille de votre cœur, pour ne pas avoir à rendre compte de ce que nous vous communiquons ; ou plutôt, que ce compte, quand on vous le demandera, se trouve être à votre avantage, au lieu de se trouver à votre détriment.

5. Le Seigneur réplique à Nicodème par une exposition plus développée du mystère : « En vérité, en vérité, je te le dis : si quelqu’un ne renaît de l’eau et du Saint-Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu ». C’est la naissance charnelle que tu as en vue, quand tu dis : « Un homme peut-il rentrer dans le sein de sa mère et en sortir à nouveau ? » Pour entrer dans le royaume de Dieu, il faut naître par l’eau et le Saint-Esprit. Pour qu’un homme succède à un autre homme, à son père, dans la possession de ses biens temporels, il doit nécessairement naître d’une mère charnelle mais celui qui veut posséder l’héritage éternel de Dieu, de son Père céleste, il lui faut puiser la vie dans le sein de l’Église. C’est par l’intermédiaire de son épouse qu’un père sujet à la mort engendre le fils destiné à lui succéder un jour. Dieu engendre par l’Église des enfants destinés, non pas à lui succéder, mais à demeurer éternellement avec lui. Le Christ ajoute : « Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit ». Nous naissons donc selon l’Esprit, et cette naissance spirituelle provient de sa parole et du sacrement. Le Saint-Esprit intervient pour nous faire naître, et si le Saint-Esprit intervient d’une manière invisible pour te faire naître, la raison en est que ta naissance même est invisible. C’est pourquoi Jésus-Christ continue et dit : « Ne sois pas étonné de ce que j’ai dit : Il faut que vous naissiez de nouveau ; l’Esprit souffle où il veut, et tu entends sa voix ; mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va ». Personne ne voit l’Esprit, mais comment entendons-nous sa voix ? Le Psalmiste nous parle, c’est l’Esprit qui nous parle ; nous entendons l’Évangile, c’est la voix de l’Esprit qui retentit à nos oreilles. « Tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va ». Si tu nais de l’Esprit, il en arrivera de même de toi ; et celui qui ne sera pas encore né de l’Esprit ne saura ni d’où tu viens, ni où tu vas. Voilà bien ce que dit ensuite Notre-Seigneur : « Ainsi en est-il de tout homme qui est né de l’Esprit ».

6. « Nicodème lui répondit : Comment cela peut-il se faire ? » Toujours des idées charnelles ; il ne comprenait pas. En lui se vérifiait ce qu’avait dit le Seigneur ; il entendait la voix de l’Esprit, sans savoir ni d’où il venait, ni où il allait. « Jésus lui dit : Tu es maître en Israël, et tu ignores ces choses ! » Hé quoi ! mes frères, penserons-nous que le Seigneur ait voulu insulter ce docteur des Juifs ? Le Seigneur savait ce qu’il faisait ; il voulait le faire naître de l’Esprit. Nul, à moins d’être humble, ne naît de l’Esprit. C’est, en effet, l’humilité qui nous fait naître de l’Esprit, et le Seigneur est près de ceux qui ont le cœur brisé ao. Nicodème était fier de sa qualité de maître en Israël ; il se croyait un personnage d’importance parce qu’il était docteur en Israël ; Jésus-Christ abaisse son orgueil afin de le faire naître selon l’Esprit ; il se moque de lui comme s’il n’était qu’un ignorant, sans vouloir néanmoins paraître supérieur à lui. Qu’y aurait-il de si étonnant en cela ? D’un côté, un Dieu ; de l’autre, un homme ; d’un côté, la vérité ; de l’autre, le mensonge. Doit-on penser, croire et dire que le Christ fut plus que Nicodème ? Dire que le Christ soit supérieur aux anges, ne serait-ce pas ridicule ? Il est incomparablement au-dessus de toute créature, Celui qui a fait toutes les créatures. Mais Jésus-Christ veut mettre à bout l’orgueil de l’homme : « Tu es maître en Israël, et tu ignores ces choses ? » C’était lui dire : Tu vois bien que tu ne sais rien, docteur orgueilleux ; mais donc de l’Esprit, alors seulement tu marcheras dans la voie de Dieu et tu imiteras l’humilité du Christ. Il est si élevé au-dessus des anges que, « ayant la forme de Dieu, il a pu sans usurpation s’estimer son égal, et qu’il s’est néanmoins anéanti en prenant la forme d’esclave, en se rendant semblable aux hommes ; et, reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui, il s’est humilié lui-même et il est devenu obéissant jusqu’à la mort » ; et pour que tu n’imagines pas un genre de mort digne d’envie, il ajoute : « Et jusqu’à la mort de la croix ap ». Il était attaché à la croix, et on l’insultait. Il pouvait descendre de la croix, mais il différait de le faire, afin de sortir glorieux du sépulcre. Comme maître, il a supporté l’insolence de ses serviteurs ; comme médecin, il a supporté celle de ses malades. Si telle a été sa manière d’agir, quelle doit être celle des hommes, pour qui c’est une obligation de naître du Saint-Esprit ? Comment doivent-ils se conduire, quand le maître, non seulement des hommes, mais des anges, leur a donné un pareil exemple ? En effet, ce que savent les anges, ils l’ont appris du Verbe de Dieu cherchez à savoir qui est-ce qui les a instruits, et l’Évangile vous dira : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu aq ». Voilà qui ôte à l’homme sa tête, mais sa tête dure et rebelle, pour lui en donner une qui se courbe sous le joug du Christ, joug dont il est dit : « Mon joug est doux et mon fardeau est léger ar ».

7. Le Sauveur ajoute : « Si lorsque je vous ai dit des choses de la terre, vous ne m’avez pas cru, quand je vous dirai des choses du ciel, comment me croirez-vous ? » Mes frères, quelles choses terrestres le Sauveur leur a-t-il dites ? « Si quelqu’un ne naît une seconde fois » ; est-ce là une chose de la terre ? « L’Esprit souffle où il veut, et tu entends sa voix, et personne ne sait ni d’où il vient, ni où il va » ; est-ce là une chose de la terre ? Voulait-il parler du vent, comme quelques-uns l’ont déclaré lorsqu’on leur demandait ce que le Sauveur avait pu dire de terrestre d’après ces paroles : « Si lorsque je vous ai dit des choses de la terre vous ne m’avez pas cru, quand je vous dirai des choses du ciel, comment me croirez-vous ? » En effet, quand on a demandé à certains hommes ce que le Sauveur a pu dire de terrestre, ils se sont trouvés embarrassés et ils ont prétendu qu’il avait fait allusion au vent dans ces paroles : « L’esprit souffle où il veut, et tu entends sa voix ; mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va ». Dans son entretien avec Nicodème, qu’a-t-il dit qui ait trait à la terre ? Il parlait de la naissance spirituelle ; puis il a ajouté : « Ainsi en est-il de tout homme qui est né de l’esprit ». En outre, mes frères, lequel d’entre nous ne s’aperçoit point, par exemple, que le vent se dirige du Midi à l’Aquilon, ou qu’il va de l’Orient à l’Occident ? Dès lors, comment peut-il se faire que nous ne sachions ni d’où il vient, ni où il va ? Qu’a donc dit le Christ en fait de choses terrestres, que les hommes ne voulaient pas croire ? Est-ce l’allusion qu’il a faite à son corps, à ce temple qu’il devait rétablir en trois jours ? Ce corps, en effet, il l’avait reçu de la terre, et c’était cette terre qu’il avait prise dans un corps terrestre qu’il se disposait à ressusciter. Or, cette résurrection de la terre, on ne croyait pas qu’il l’opérerait. « Si, lorsque je vous ai dit des choses de la terre, vous ne m’avez pas cru, quand je vous dirai des choses du ciel, comment me croirez-vous ? » C’est-à-dire, si vous ne croyez pas que je puisse relever le temple de mon corps quand vous l’aurez détruit, comment croirez-vous que les hommes puissent être régénérés par le Saint-Esprit ?

8. Il ajoute : « Et personne n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel ». Ainsi, Jésus-Christ était sur la terre et il était au ciel ; sur la terre par son corps, au ciel par sa divinité, ou plutôt en tous lieux par sa divinité. Il était sorti du sein de sa mère, sans quitter celui de son Père. Car il y a deux naissances en Notre-Seigneur, l’une divine et l’autre humaine, l’une qui nous donne la vie, l’autre qui nous la rend : naissances également admirables, puisque l’une s’effectue sans mère, et l’autre sans père. Comme il tenait son corps d’Adam, vu que Marie venait d’Adam ; comme, d’ailleurs, c’était le même corps qu’il devait ressusciter, il avait dit quelque chose de terrestre en prononçant ces paroles : « Détruisez ce temple, et je le rétablirai dans l’espace de trois jours as. Mais il avait dit quelque chose de céleste, quand il avait dit : « Si l’homme ne renaît de l’eau et de l’Esprit, il ne verra pas le royaume de Dieu at ». Bien qu’il fût un homme et qu’il vécût sur la terre dans un corps mortel, l’apôtre Paul avait néanmoins sa conversation dans le ciel ; et le Dieu du ciel et de la terre ne pourrait être en même temps dans le ciel et sur la terre ?

9. Si donc personne que Jésus-Christ n’est descendu du ciel et n’y remonte, quelle espérance ont les autres ? Leur espérance est fondée sur ce fait que le Christ est descendu du ciel pour que tous les hommes ne fissent qu’un en lui et avec lui, pour être à même d’y monter par lui. L’Apôtre fait cette remarque : « L’Écriture ne dit pas : Et ceux qui naîtront, comme si elle avait voulu en marquer plusieurs ; mais elle dit, comme en parlant d’un seul : Celui qui naîtra de toi, qui est le Christ ». Puis il dit aux fidèles : « Vous êtes du Christ ; si vous êtes du Christ, donc vous êtes la race d’Abraham au ».En parlant d’un seul, le Sauveur a parlé de nous tous. C’est pourquoi, dans les psaumes, tantôt plusieurs chantent, et en cela nous devons reconnaître la pluralité dans l’unité ; tantôt un seul chante, pour marquer l’unité dans la pluralité. C’est pour la même raison qu’un seul malade a été guéri à la piscine de Bethsaïda av, tandis qu’aucun des autres n’y retrouvait la santé. Cette unique personne est le symbole de l’unité de l’Église. Malheur aux ennemis de l’unité, à ceux qui se forment des partis parmi les hommes ! Qu’ils écoutent l’Apôtre : il veut ne faire qu’un seul en un seul, et pour un seul ; qu’ils l’écoutent quand il dit : Gardez-vous de vous faire plusieurs. « C’est moi qui ai planté, Apollo a arrosé ; mais c’est Dieu qui a donné l’accroissement. Celui qui plante n’est rien, non plus que celui qui arrose, mais c’est Dieu qui donne l’accroissement aw ». Ils disaient : « Moi je suis à Paul, moi à Apollo, moi à Céphas » ; et il répondait : « Jésus-Christ est-il divisé ax ? » Soyez en un seul, soyez une seule chose, soyez un seul. « Personne ne monte au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel ». Mais nous ioulons être à vous, disaient-ils à Paul ; et il leur répondait : Je m’y refuse, ne soyez pas à Paul ; mais soyez à celui à qui Paul est avec vous.

10. Car il est descendu et il est mort, et par sa mort il nous a délivrés de la mort. Au moment où la mort le tuait, il la tuait lui-même. Vous le savez, mes frères, c’est par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde. « Dieu n’a pas fait la mort », dit l’Écriture, « et », ajoute-t-elle, « il ne se réjouit pas de la perte des vivants ; car il a créé toutes choses afin qu’elles soient ay ». Mais qu’ajoute le sage ? « C’est par un effet de l’envie du diable que la mort a fait son entrée dans le monde az ». L’homme n’aurait pu être amené par la force à prendre le breuvage de la mort, que le diable lui avait proposé, car le diable n’avait pas le pouvoir de le violenter ; il n’avait rien que celui de le persuader par la ruse. Si tu n’avais pas donné ton consentement à ses suggestions, il ne t’aurait pas fait de mal, mais parce que tu y as cédé, ô homme, tu as été condamné à mourir. Nous sommes nés mortels d’un père mortel ; d’immortels que nous étions nous sommes devenus sujets à la mort. Par Adam, tous les hommes sont condamnés à la mort ; mais Jésus, Fils de Dieu, Verbe de Dieu, par qui toutes choses ont été faites, le Fils unique et l’égal du Père, s’est fait homme mortel, parce que le Verbe s’est fait chair et qu’il a habité parmi nous ba.

11. Jésus-Christ s’est donc revêtu de la mort et il l’a attachée à la croix, et par cette mort, il délivre ceux qui y sont sujets. Ce mystère avait été représenté en figure chez les anciens, et Notre-Seigneur y fait allusion au saint Évangile. « De même », dit-il, « que Moïse a élevé le serpent dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle ». Mystérieuse annonce de l’avenir ; tous ceux qui l’ont lue la comprennent. Toutefois, écoutez-en le récit, vous tous qui ne l’avez pas lue ou qui, après l’avoir lue ou entendue, en avez perdu le souvenir. Dans le désert, Israël tout entier gisait, à terre, victime de la morsure de serpents. Une multitude innombrable d’hommes tombaient sous les coups de la mort, car Dieu frappait durement son peuple, pour le corriger. Alors se manifesta l’admirable symbole de ce qui devait arriver un jour. Notre-Seigneur lui-même y fait allusion dans la leçon d’aujourd’hui, et personne n’a le droit de l’interpréter autrement que ne le fait la Vérité même, ni, par conséquent, de l’appliquer à d’autres qu’à elle. Le Seigneur dit donc à Moïse de faire un serpent d’airain, de le placer sur un bois élevé dans le désert et de recommander aux Israélites de porter leurs regards sur ce serpent attaché au bois, s’ils venaient à être mordus par un serpent vivant. Ses ordres turent accomplis. Dès que les hommes étaient mordus, ils jetaient les yeux sur le serpent d’airain, et ils étaient guéris bb. Que représentent les serpents et leurs morsures ? Les péchés enfantés par la corruption de la chair. Que représente le serpent élevé dans le désert ? Notre-Seigneur mort sur la croix. Comme la mort venait des serpents, elle a été représentée sous l’emblème d’un serpent. La morsure d’un serpent donnait la mort, la mort de Notre-Seigneur donne la vie. On jetait les yeux sur le serpent, afin que le serpent fût inoffensif. Qu’est-ce à dire ? Pour que la mort n’ait sur nous aucun pouvoir, il nous faut regarder la mort ; la mort de qui ? La mort de la vie ; oui, la mort de la vie, si l’on peut s’exprimer ainsi, et précisément parce qu’on peut s’exprimer de la sorte, c’est un admirable langage. Mais pourquoi ne pourrait-on pas dire ce qui a pu se faire ? Eh quoi ! craindrais-je de dire ce que Jésus-Christ a daigné faire pour moi ? Jésus-Christ n’était-il pas la vie ? Et cependant il a été attaché à la croix. Jésus-Christ n’était-il pas la vie ? Et cependant il est mort. Mais dans la mort de Jésus-Christ, la mort a trouvé la sienne, parce qu’en mourant, la vie a tué la mort, la plénitude de la vie l’a engloutie, elle a été anéantie dans le corps de Jésus-Christ. C’est ce que nous dirons nous-mêmes au moment de notre résurrection, lorsque dans notre triomphe nous nous écrierons : « O mort, où est ta victoire ? O mort, où est ton aiguillon ? » Cependant, mes frères, pour être guéri du péché, jetons les yeux vers Jésus-Christ en croix, puisque selon sa parole : « comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, ainsi il faut que le Fils de l’homme soit élevé, afin que quiconque croit en lui ne meure pas, mais qu’il ait la vie éternelle ». De même que la morsure des serpents était de nul effet pour ceux qui regardaient le serpent d’airain, ainsi le péché n’a rien de dangereux pour ceux qui considèrent des yeux de la foi le Christ mourant. Dans le désert, les Juifs n’étaient préservés que de la mort du temps, ni ramenés qu’à une vie fugitive ; mais le Christ est mort, pour que les hommes aient la vie éternelle. Telle est, en effet, la différence qui se trouve entre la réalité et la figure, entre la figure qui donnait la vie du temps et la réalité qu’elle symbolisait et qui procure la vie éternelle.

12. « Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde, pour juger le monde, mais afin que le monde soit sauvé par lui ». Ainsi le médecin s’approche du malade, pour lui rendre, autant que possible, la santé. Mais le malade se donne à lui-même la mort, s’il refuse d’observer les prescriptions du médecin. Le Sauveur est venu en ce monde ; pourquoi l’appelle-t-on Sauveur du monde, si ce n’est qu’il est venu pour sauver le monde et non four le juger ? Tu refuses le salut qu’il t’apporte ? Tu seras jugé d’après ta conduite. Que dis-je, tu seras jugé ? Écoute ce que dit Jésus : « Qui croit en lui ne sera point jugé ; mais qui n’y croit pas », à ton avis que va-t-il dire ? Il sera jugé ? Non ; « il est déjà jugé ». Le jugement n’a pas encore paru, mais le jugement est déjà rendu. Le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent, il connaît ceux qui sont destinés à recevoir la couronne et ceux qui doivent être jetés dans les flammes ; il sait quel est le froment qui se trouve dans son aire, il sait aussi quelle est la paille, il distingue entre le bon grain et l’ivraie. Celui qui ne croit pas est déjà jugé. Pourquoi ? « Parce qu’il ne croit pas au nom du Fils unique de Dieu ».

13. « Or, voici le jugement : la lumière est venue en ce monde et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière ; car leurs œuvres étaient mauvaises ». Mes frères, où sont ceux dont le Seigneur trouve les œuvres bonnes ? Nulle part ; car il a trouvé mauvaises les œuvres de tous. Comment donc y en a-t-il eu pour agir selon la vérité et venir à la lumière ? Il y en a eu, puisque le Sauveur ajoute : « Mais celui qui accomplit la vérité vient à la lumière, afin que ses œuvres soient manifestées parce qu’elles sont faites en Dieu ». Comment certains hommes ont-ils opéré le bien, de façon à venir à la lumière, c’est-à-dire à Jésus-Christ ? Comment d’autres ont-ils préféré les ténèbres ? Car si Jésus-Christ trouve tous les hommes pécheurs, s’il les guérit tous de leurs péchés, si le serpent, figure du Sauveur mis en croix, guérissait ceux qui avaient été mordus, si enfin le serpent n’a été élevé qu’en raison de ta morsure des serpents, c’est-à-dire si le Seigneur est mort pour les hommes trouvés par lui dans le péché et condamnés à mourir, quel sens donner à ces paroles : « Voici leur jugement ; la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, car leurs œuvres étaient mauvaises ? » Qu’est-ce que cela ? Quels sont ceux dont les œuvres étaient bonnes ? N’êtes-vous pas venu pour justifier des pécheurs ? Mais, ajoute-t-il : « Ils ont préféré les ténèbres à la lumière ». Là se trouve toute la force du raisonnement du Sauveur. Plusieurs, en effet, ont aimé leurs péchés, plusieurs les ont confessés ; or, celui qui confesse ses péchés et s’en accuse, commence à agir conjointement avec Dieu. Dieu accuse tes péchés ; si tu en fais autant, tu te joins à lui. Il y a en nous comme deux choses distinctes : l’homme et le pécheur. Comme homme, nous sommes l’ouvrage de Dieu ; comme pécheurs, nous sommes notre propre ouvrage. Détruis ce que tu as fait, afin que Dieu sauve ce qu’il a créé. Il faut haïr en toi ton œuvre et y aimer l’ouvrage de Dieu. Or, quand ce que tu as fait commencera à te déplaire, alors tu commenceras à faire le bien, puisque tu accuses tes mauvaises œuvres. Le commencement du bien n’est autre chose que la confession du mal. Dès lors que tu fais la vérité, tu ne te trompes pas toi-même, tu ne te flattes pas, tu ne t’en fais pas accroire, lu ne dis pas : Je suis juste, alors que tu es pécheur et que tu commences seulement à faire la vérité. Mais tu viens à la lumière, afin que tes œuvres soient manifestées, parce qu’elles sont faites en Dieu. Car ton péché te déplaît ; mais il ne te déplairait pas, si la lumière de Dieu ne t’éclairait, et si la vérité ne te le montrait à découvert. Mais celui qui, même après cet avertissement, aime encore son péché, hait la lumière qui L’avertit ; il s’en éloigne pour ne point entendre ses reproches an sujet des œuvres mauvaises qu’il aime. Pour celui qui fait la vérité, il condamne ce qu’il y a de mal en lui, il ne s’épargne pas, il ne se pardonne pas ; car il veut que Dieu lui pardonne. En effet, ce dont il désire le pardon de la part de Dieu, il le reconnaît ; il vient à la lumière et il lui rend grâce de lui avoir montré ce qu’il devait haïr en lui-même. Il dit à Dieu « Détournez vos yeux de mes péchés », et de quel front pourrait-il parler de la sorte s’il n’ajoutait aussitôt : « parce que je connais mon iniquité et que mon péché est toujours devant moi bc ? » Vois ce que tu désires que Dieu ne voie pas. Si tu rejettes derrière toi ton péché, Dieu le remettra devant tes yeux, et il choisira, pour le faire, le moment où il ne te servira plus de rien de t’en repentir.

14. Courez donc, mes frères, de peur que les ténèbres vous surprennent bd. Réveillez-vous pour opérer votre salut, réveillez-vous tandis que vous le pouvez ; que nul ne se montre lent à venir au temple de Dieu ; que nul ne se montre lent à faire l’œuvre du Seigneur ; que nul ne cesse de prier continuellement ; que nul ne se relâche de sa dévotion accoutumée. Réveillez-vous, puisqu’il fait jour, le jour luit ; ce jour, c’est Jésus-Christ. Il est prêt à excuser, mais ceux qui s’accuseront ; comme aussi à punir ceux qui se défendront, qui se vanteront d’être justes, qui se croiront quelque chose, quand ils ne sont rien. Pour celui qui marche dans sa miséricorde et dans son amour, alors même qu’il est délivré des péchés graves et mortels, comme les crimes énormes, les homicides, les vols, les adultères, il rend hommage à la vérité en confessant les fautes légères qu’il a commises dans ses conversations, dans ses pensées, dans l’usage immodéré des choses permises. Aussi vient-il à la lumière par la pratique des bonnes œuvres ; car, en se multipliant, les petits péchés donnent la mort à l’âme, si on n’y prend garde. Ce sont de petites gouttes d’eau qui alimentent le cours des rivières, les grains de sable sont presque perceptibles ; néanmoins, si vous en mettez une grande quantité sur les épaules d’un homme, ils le surchargent et l’écrasent. Ce que fait la violence des flots, l’eau qui s’infiltre dans la sentine peut le faire aussi, quand on n’y porte pas remède ; elle s’y introduit petit à petit ; à force de s’y accumuler, sans jamais en sortir, elle finit par entraîner le navire dans l’abîme. Qu’est-ce que vicier la sentine, sinon empêcher par les bonnes œuvres, les gémissements, les jeûnes, les aumônes, le pardon des injures, que nos péchés nous entraînent dans le précipice ? Le chemin de cette vie est difficile, il est hérissé d’obstacles. La prospérité peut y donner de l’orgueil, le malheur peut nous y abattre. Celui qui t’a départi les joies de la vie présente, le fait pour te consoler, et non pour te donner l’occasion de te corrompre. Par la même raison, celui qui te châtie en ce monde, le fait pour te corriger, et non pour te punir. Accepte les leçons de Dieu comme celles d’un père, afin qu’un jour il ne te punisse pas comme ton juge. Nous vous disons cela tous les jours, et il faut le dire souvent ; car tout cela est bon et utile pour votre salut.

TREIZIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CET ENDROIT DE L’Évangile : « APRÈS CELA JÉSUS VINT EN JUDÉE AVEC SES DISCIPLES », JUSQU’À « MAIS L’AMI DE L’ÉPOUX, QUI SE TIENT DEBOUT ET QUI L’ÉCOUTE, EST RAVI DE JOIE À CAUSE DE LA VOIX DE L’ÉPOUX ». (Chap 3,22-29.)

JEAN, TÉMOIN DU CHRIST.

Jusqu’alors Jean avait rendu témoignage au Christ, sans néanmoins affirmer qu’il fut Dieu. Pour le voir sous son enveloppe mortelle, il faut, comme les anges, le contempler des yeux de l’âme, et se servir de son humanité afin de parvenir jusqu’à sa divinité. Jean baptisait donc en Enon : Jésus aussi ; de là, grande discussion entre les disciples de Jean et les Juifs. Loin de se glorifier, le précurseur en prit occasion de s’humilier : Je ne suis pas le Christ, dit-il, je ne suis que l’ami de l’époux et je défends son épouse par la pureté de ma charité et l’unité de ma foi. Les hérétiques, qui pensent avant tout à eux-mêmes, et prêchent la division imitent-ils Jean ? Évidemment non. Ne nous laissons donc séduire ni par leurs paroles, ni par leurs prodiges, et conservons la simplicité de la foi dans l’union de la charité.

1. Comme peuvent se le rappeler ceux l’entre vous qui ont souci de leur profit spirituel, nous suivons un ordre dans la lecture de l’Évangile selon Jean. En suivant cet ordre, nous sommes précisément amenés à vous expliquer aujourd’hui ce que vous venez d’entendre. Ce qui a été lu depuis le commencement de l’Évangile jusqu’à la leçon de ce jour, nous l’avons expliqué, vous vous en souvenez, Et quand même vous auriez oublié plusieurs des choses que nous vous avons dites, l’idée du ministère que nous remplissons s’est du moins conservée en vous, Pour ce qui a été dit du baptême de Jean, il se peut que vous n’ayez pas tout retenu, je ne doute pas cependant que vous n’en ayez retenu quelque chose. Vous vous souvenez aussi du motif pour lequel le Saint-Esprit est apparu en forme de colombe ; vous vous rappelez également comment nous avons tranché cette difficulté presque inextricable : qu’est-ce que la colombe a pu faire découvrir à Jean dans la personne de Notre-Seigneur, qu’il ignorât encore, puisqu’il le connaissait déjà. Ne lui avait-il pas dit, en effet, au moment où il venait pour recevoir le baptême. « C’est à moi d’être baptisé par vous, et vous venez à moi ? » Et Jésus-Christ ne lui avait-il pas répondu : « Laisse-moi faire présentement, afin que s’accomplisse toute justice be ? »

2. L’ordre de nos lectures nous ramène donc forcément aujourd’hui au précurseur. C’est de lui que parlait à l’avance le prophète Isaïe, quand il disait : « On entend la voix de celui qui crie dans le désert : préparez la voie au Seigneur, rendez droits ses sentiers bf ». En effet, c’est en ces termes que Jean a rendu témoignage à Jésus-Christ son Seigneur, et par un privilège de la grâce à son ami. À son tour, le Seigneur et ami de Jean lui a rendu aussi témoignage ; car il a dit de lui : « Parmi ceux qui sont nés de la femme, il n’y en a pas de plus grand que Jean-Baptiste ». Mais Jésus-Christ s’était proclamé supérieur à Jean ; et ce qui le rendait supérieur au fils d’Elisabeth, c’était sa divinité. Mais « celui qui est le plus petit », continue-t-il, « dans le royaume des cieux, est « plus grand que lui bg ». Il lui est inférieur par l’âge, mais il est plus grand que lui par sa puissance, par sa divinité, par sa majesté, par la splendeur de sa gloire : car il est « le Verbe qui était dès le commencement, le Verbe qui était en Dieu, le Verbe qui était Dieu ». Dans les lectures précédentes, nous avons vu que Jean rendait témoignage à Notre-Seigneur, au point de le proclamer Fils de Dieu, sans néanmoins déclarer ou nier qu’il fût Dieu. À cet égard il avait gardé le silence : par conséquent, il ne s’était point prononcé pour la négative, peut-être même avait-il tant soit peu penché pour l’affirmative : nous en trouvons, ce me semble, la preuve dans la leçon d’aujourd’hui. Jean l’avait donc appelé Fils de Dieu ; mais les hommes n’ont-ils pas aussi été appelés de ce nom ? Il l’avait déclaré si grand, qu’à l’entendre, il n’était pas digne de dénouer les cordons de ses souliers bh. Voilà déjà un degré de grandeur qui donne beaucoup à penser, le plus grand parmi ceux qui sont nés de la femme n’était pas digne de dénouer les cordons de ses souliers. C’était le mettre au-dessus des anges et des hommes. Car nous lisons dans l’Écriture qu’un homme ayant voulu se jeter aux pieds d’un ange, celui-ci s’y opposa. En effet, l’Apocalypse nous apprend qu’un ange montra une vision à l’Apôtre même qui a écrit cet Évangile. Effrayé de la grandeur de ce qu’il avait vu, Jean se jeta à ses pieds : « Lève-toi », lui dit l’ange, « garde-toi de le faire, adore Dieu seul ; car pour moi, je suis comme toi et comme les frères, un de ses serviteurs bi ». Voilà donc un ange qui empêche un homme de se jeter à ses pieds. De là n’est-il pas évident que le Christ est supérieur à tous les anges, puisque le plus grand de ceux qui sont nés de la femme a dit qu’il était indigne de délier les cordons de ses souliers ?

3. Néanmoins, Jean va nous dire quelque chose de plus positif : il va nous dire que Notre-Seigneur Jésus-Christ est Dieu. Nous allons le voir dans cette leçon, car n’est-ce pas déjà à lui que s’appliquent les paroles du Psalmiste que nous venons de chanter : « Dieu a régné sur toute la terre ? » Voilà une parole que refusent d’entendre ceux qui restreignent à l’Afrique les limites de son royaume. C’est évidemment du Christ qu’il a été dit : « Dieu a régné sur toute la terre ». Avons-nous, en effet, un roi autre que Jésus-Christ Notre-Seigneur ? Oui, il est notre roi. Quelles paroles avez-vous encore entendues lorsqu’on chantait tout à l’heure l’un des derniers versets du psaume : « Chantez notre Dieu, chantez notre roi, chantez ». Celui qu’il appelle notre Dieu, il l’appelle aussi notre roi, « chantez notre Dieu, chantez notre roi, chantez avec intelligence ». Garde-toi de réduire à une seule partie de la terre la puissance de celui dont tu chantes : « Parce que le roi de toute la terre est Dieu bj ». Comment est-il le roi de toute la terre, celui qui n’a été vu que dans une des parties du monde, dans la Judée, à Jérusalem, où il a conversé avec les hommes, où il est né, où il a sucé le lait de sa mère, où il a grandi, où il a bu et mangé, où il a veillé et dormi, où, étant fatigué, il s’est assis près d’un puits ; où il a été saisi, flagellé, couvert de crachats, couronné d’épines, attaché à la croix, percé d’une lance, où il est mort et a été enseveli ? Comment reconnaître en lui le roi de toute la terre ? Ce qui se voyait dans un lieu n’était que sa chair ; sa chair apparaissait aux yeux de la chair ; mais sous les dehors d’une chair mortelle se cachait sa majesté immortelle. Quels yeux pouvaient apercevoir cette majesté immortelle voilée par une enveloppe de chair ? Il y a d’autres yeux que ceux-là, il y a les yeux de l’âme. Certes, Tobie n’était pas entièrement privé de la vue quand il donnait à son fils des préceptes de vie bk. Le fils donnait la main à son père pour guider ses pas le père donnait des conseils à son fils pour l’aider à marcher dans la voie de la justice. Ici je vois réellement des yeux, là j’en devine. Les yeux de celui qui donnait des conseils valaient mieux que les yeux de celui qui lui servait de guide. C’étaient de tels yeux que cherchait Jésus-Christ, lorsqu’il disait à Philippe : « Depuis si longtemps je suis avec vous, « et vous ne me connaissez pas encore ». C’était à de tels yeux qu’il faisait allusion quand il disait : « Philippe, celui qui me voit, voit aussi mon Père bl ». Ces yeux sont les yeux de l’intelligence, ces yeux sont les yeux du cœur. C’est pourquoi, après avoir dit : « Dieu est le roi de la terre », le Psalmiste ajoute aussitôt : « Chantez avec intelligence » ; c’est-à-dire qu’en disant : « Chantez notre Dieu, chantez », j’appelle Dieu notre roi. Vous avez vu notre roi pareil à un homme vivant au milieu des autres hommes, vous l’avez vu souffrant, crucifié, mort ; sous le voile de cette chair que vos yeux charnels pouvaient contempler se cachait quelque chose. Qu’était-ce ? « Chantez avec intelligence », ne cherchez pas à voir avec les yeux du corps ce que vous ne pouvez apercevoir que des yeux de l’âme. « Chantez » avec votre langue, en tant que nous l’avons vu comme homme au milieu de nous ; mais en tant qu’il « est le Verbe qui s’est fait chair et qui a habité parmi nous », que notre corps loue son humanité et que notre âme adore sa divinité. « Chantez avec intelligence », et reconnaissez que « le Verbe s’est fait chair et qu’il a habité parmi nous ».

4. Qu’à son tour Jean rende témoignage à Jésus-Christ. « Après cela », est-il dit, « Jésus vint en Judée avec ses disciples ; il y demeurait avec eux et baptisait ». Après avoir été baptisé, il baptisait ; mais il ne donnait pas un baptême pareil à celui qu’il avait reçu. Le naître baptise après avoir été baptisé par le serviteur, il avait voulu nous indiquer par là le chemin de l’humilité, et nous conduire au baptême du maître, c’est-à-dire à son propre baptême, en se montrant assez humble pour ne pas dédaigner le baptême de son serviteur. Le baptême du serviteur préparait la voie au maître, et le Seigneur, en le recevant, s’est fait la voie de ceux qui viennent à lui. Écoutons-le, lui-même : « Je suis la voie, la vérité et la vie bm ». Si tu cherches la vérité, suis la voie qui y mène, car la voie est en même temps la vérité. Le but où tu tends, la voie qui t’y conduit, c’est la même chose ; autre n’est pas le chemin, et autre le but où il conduit : tu n’arrives pas au Christ par une voie différente de lui-même : tu vas au Christ par le Christ. Comment cela ? Tu vas par Jésus-Christ homme à Jésus-Christ Dieu, par le Verbe fait chair, au Verbe qui dès le commencement était Dieu, en Dieu ; par celui qui est la nourriture des hommes, à celui qui est la nourriture quotidienne des anges. En effet, il est écrit : « Il leur a donné le froment du ciel, l’homme a mangé le pain des anges bn ». Quel était le pain des anges ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Comment l’homme a-t-il mangé le pain des anges ? « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous bo ».

5. Mais parce que nous avons parlé du pain qui fait la nourriture des anges, ne vous les représentez pas comme mangeant à notre manière. Car si telles étaient vos pensées, le Dieu dont se nourrissent les anges serait déchiré en morceaux. Peut-on partager la justice ? Mais, me dira encore quelqu’un : Peut-on se nourrir de la justice ? Comment Jésus-Christ a-t-il pu dire : « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés bp ? » Le pain que tu manges pour te restaurer disparaît ; pour te rendre la force, il se consume ; mange la justice, tu renouvelles tes forces, et elle demeure intacte. Ainsi, quand nous jouissons de la lumière matérielle, son éclat répare en nous les forces du sens de la vue, et pourtant cette lumière n’est qu’un objet corporel perçu par les yeux du corps. Pour être demeurés trop longtemps dans les ténèbres, plusieurs ont senti leurs yeux s’affaiblir ; car ils avaient comme jeûné en fait de lumière. Privés de leur aliment, car la lumière les nourrit, les yeux se fatiguent et s’affaiblissent sous l’influence de ce jeûne, en sorte qu’ils ne peuvent même plus supporter cette lumière qui devrait restaurer leurs forces ; et s’ils en sont trop longtemps privés, ils finissent par s’éteindre, et le sens de la perception visuelle meurt pour ainsi dire en eux. Eh quoi ! parce qu’elle alimente tous les jours une si grande quantité d’yeux, cette lumière diminue-t-elle ? Non, les yeux se restaurent et la lumière reste dans son entier. Puisque Dieu a pu faire de la lumière matérielle l’aliment des yeux du corps, sans qu’elle en souffre aucune atteinte, pourquoi ne communiquerait-il pas aux cœurs purs une lumière infatigable, toujours entière, incapable de faiblir ? Quelle est cette lumière ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu ». Voyons si Dieu est en effet une lumière. « En vous est la source de la vie, et « nous verrons la lumière dans votre lumière bq ». Sur la terre autre chose est une source, autre chose est la lumière. Si tu as soif, tu cherches une source, et pour y arriver tu cherches la lumière ; et s’il fait nuit, tu allumes une lampe afin de parvenir à la source. Jésus-Christ est en même temps source et lumière : source pour celui qui a soif, lumière pour celui qui ne voit pas. Ouvrons les yeux pour voir cette lumière, ouvrons la bouche de notre cœur pour boire à cette source ; ce que tu bois, tu le vois : tu l’entends, Dieu est tout pour toi, parce qu’il est pour toi l’ensemble de ce que tu aimes. Si tu ne penses qu’à des choses visibles, il est sûr que Dieu n’en est pas. il n’est ni du pain, ni de l’eau, ni le soleil, ni un vêtement, ni une maison ; car toutes ces choses sont visibles et distinctes les unes des autres. Ce qui est du pain n’est pas de l’eau, ce qui est un vêtement n’est pas une maison, et l’ensemble de tout cela n’est pas Dieu ; car tout cela est visible. Dieu, au contraire, est tout pour toi. As-tu faim ? Il te sert de pain. Es-tu altéré ? Il te rafraîchit. Es-tu dans les ténèbres ? Il est ta lumière, parce qu’il reste incorruptible. Es-tu nu ? Il sera le vêtement de ton immortalité, lorsque ce corps corruptible aura été revêtu d’incorruptibilité, et que ce corps mortel aura été revêtu d’immortalité br. De Dieu on peut dire tout, et l’on n’en peut rien dire qui soit digne de lui. Rien de plus riche que cette indigence. Si tu cherches un nom qui lui convienne, tu n’en trouves pas, et si tu veux parler de lui, c’est à ne pas tarir. Y a-t-il une similitude quelconque entre un agneau et un lion ? L’Écriture a donné au Christ ces deux noms : « Voici l’Agneau de Dieu bs ». Comment est-il un lion ? « Le lion de la tribu de Juda a vaincu bt ».

6. Écoutons Jean « Jésus baptisait ». nous avons déjà dit que Jésus baptisait ; comment était-il Jésus ? Comment était-il le Seigneur ? le Fils de Dieu ? le Verbe ? Mais « le Verbe s’est fait chair ». « Jean baptisait aussi dans Ennon, près de Salim ». Ennon est le nom d’un lac. Comment savons-nous que c’était un lac ? « C’est qu’il y avait là beaucoup d’eau, et que plusieurs y venaient pour être baptisés ; car Jean n’avait pas encore été mis en prison ». S’il vous en souvient, je vous ai déjà dit, et je vous le répète, pourquoi Jean baptisait en voici la raison : il fallait que le Sauveur reçût le baptême. Et pourquoi fallait-il que le Sauveur fût baptisé ? Parce que plusieurs se croyant plus privilégiés de la grâce que les autres fidèles, auraient dédaigné de se faire baptiser. Par exemple un catéchumène dans la continence mépriserait le fidèle engagé dans les liens du mariage, et se croirait meilleur. Ce catéchumène dirait peut-être dans son cœur Qu’ai-je besoin de recevoir le baptême pour avoir ce qu’a celui-là, puisque je vaux mieux que lui ? Afin d’empêcher la présomption de perdre ceux que le mérite de leur propre justice pourrait enorgueillir, le maître a voulu recevoir le baptême de la main de son serviteur : et, par là, il semblait dire à des fils orgueilleux : Pourquoi vous élever ? pourquoi vous mettre au-dessus des autres ? Parce que vous avez, l’un la prudence, l’autre la science, celui-ci la chasteté, celui-là une patience inébranlable ? Pensez-vous avoir ces vertus au même degré que moi qui vous les ai données ? Cependant j’ai reçu le baptême de mon serviteur, et vous, vous dédaignez le baptême de votre maître ! Voilà ce que signifient ces paroles : « Afin que toute justice s’accomplisse bu ».

7. En ce cas, dira quelqu’un, il suffisait que Jean baptisât Notre-Seigneur ; quelle nécessité y avait-il pour lui d’en baptiser d’autres ? À cela nous avons répondu que si Notre-Seigneur avait seul reçu le baptême de Jean, plusieurs n’auraient pas manqué de penser que le baptême de Jean était meilleur que celui de Notre-Seigneur. Voyez, auraient-ils dit, quelle était la valeur du baptême de Jean ! Jésus-Christ seul a été digne de le recevoir ! Le Christ a donc voulu faire voir la supériorité de son propre baptême relativement à celui de Jean : il a voulu que l’un fût considéré comme celui du serviteur, et l’autre comme celui du Maître ; il a voulu nous donner un exemple d’humilité, il s’est donc fait baptiser. Mais il n’a pas été seul à recevoir ce baptême, par la raison que ce baptême ne devait pas être considéré comme préférable à celui du Seigneur. Par là encore, nous vous l’avons dit, mes frères, Notre-Seigneur Jésus-Christ a agi de manière à empêcher certains hommes, infatués de la grandeur de leurs mérites, de regarder comme indigne d’eux la réception de son propre baptême. Quels que soient, en effet, les progrès d’un catéchumène dans le chemin de la vertu, il porte toujours le fardeau de ses péchés, et il n’en sera déchargé que quand il sera venu recevoir le baptême. De même que les Israélites n’ont été délivrés des Égyptiens qu’après avoir traversé la mer Rouge bv, ainsi personne ne sera délivré du poids de ses fautes qu’après avoir été plongé dans la piscine du baptême.

8. « Il s’éleva donc une dispute entre les disciples de Jean et les Juifs, touchant la purification ». Jean baptisait, Jésus-Christ baptisait aussi : les disciples de Jean s’en émurent ; car si l’on venait au baptême de Jean, on accourait en foule à celui de Jésus-Christ. Ceux qui venaient demander le baptême à Jean, celui-ci les renvoyait à Jésus-Christ ceux, au contraire, que le Christ baptisait, il ne les envoyait pas à Jean. Les disciples du Précurseur en furent donc troublés, et comme il arrive d’habitude en pareil cas, une contestation s’éleva entre eux et les Juifs. Il est facile de l’imaginer, les Juifs prétendaient que Jésus-Christ était supérieur à Jean, et qu’en conséquence il fallait aller à lui. Les disciples de Jean n’étaient pas éclairés comme ils le furent plus tard ; aussi défendaient-ils le baptême de leur maître. On vint trouver Jean lui-même pour lui faire résoudre la difficulté. Que votre charité soit attentive. Voici qui montre combien l’humilité est utile ; nous allons voir si dans une circonstance où les hommes pouvaient se tromper, Jean a voulu profiter de leur penchant à l’erreur, pour se faire valoir. Il aurait pu dire : vous parlez juste ; c’est avec raison que vous discutez : mon baptême est le meilleur. Je vais vous donner une preuve de son excellence, c’est que j’ai baptisé le Christ. Dès lors qu’il avait baptisé le Christ, Jean pouvait parler ainsi. La belle occasion de s’élever, s’il avait voulu le faire ! Mais il savait mieux devant qui il devait s’humilier. Celui qu’il précéda par l’âge, il a voulu lui céder le pas et proclamer son excellence ; car il savait que le Christ était son Sauveur. Auparavant déjà, il avait dit : « Nous avons tous reçu de sa plénitude bw ». C’était le reconnaître comme Dieu. Si, en effet, il n’est pas Dieu, comment tous les hommes peuvent-ils recevoir de sa plénitude ? Car s’il est homme, sans être en même temps Dieu, il reçoit de la plénitude de Dieu, et par conséquent il n’est pas Dieu. Si, au contraire, tous les hommes reçoivent de sa plénitude, il est la source, eux y boivent. Quand on boit à une source, c’est qu’on est susceptible d’avoir soif et de boire. Pour la source, elle n’a jamais soif, elle n’a pas besoin d’elle-même. Les hommes ont besoin de la source, Lorsque leurs entrailles sont enflammées et que leur gorge se trouve sèche, ils courent à la source afin de s’y rafraîchir ; la source coule pour rafraîchir les gens altérés. Ainsi en est-il du Seigneur Jésus.

9. Voyons donc ce que Jean répondit : « Ils vinrent à Jean et lui dirent : Maître, celui qui était avec toi au-delà du Jourdain, auquel tu as rendu témoignage, voilà qu’il baptise maintenant, et tous vont à lui ». C’était lui dire : Qu’en dis-tu ? Ne faut-il pas les en empêcher, afin qu’ils viennent de préférence à toi ? Jean leur répondit : « L’homme ne peut rien recevoir qu’il ne lui ait été donné du ciel ». À votre avis, de qui Jean a-t-il voulu parler ? de lui-même. Puisque je suis homme, ce que j’ai, je l’ai reçu du ciel. Que votre charité soit attentive. « L’homme ne peut rien recevoir qu’il ne lui ait été donné du ciel. Vous me rendez vous-mêmes témoignage que j’ai dit : Je ne suis pas le Christ ». C’était leur dire : Pourquoi vous tromper vous-mêmes ? Comment ? c’est vous-mêmes qui m’adressez une pareille question ? Pourquoi me dire : « Maître, celui qui était avec toi au-delà du Jourdain, et à qui tu as rendu témoignage ? » Vous savez donc quel est le témoignage que je lui ai rendu. Vous dirai-je, maintenant, qu’il n’est pas celui que je vous ai dit ? Moi qui ai reçu du ciel le privilège d’être quelque chose, vous me prenez donc pour rien, puisque vous voulez que je parle contre la vérité ? « L’homme ne peut rien recevoir qu’il ne lui ait été donné du ciel. Vous me rendez vous-mêmes témoignage que je vous ai dit : Je ne suis pas le Christ ». Tu n’es pas le Christ ; mais qui es-tu, puisque tu es plus grand que lui, vu que tu l’as baptisé ? « Je suis son envoyé » : moi je suis le héraut, lui est le juge.

10. Mais écoute tin témoignage beaucoup plus fort et plus exprès. Voyez donc de quoi il s’agit pour nous, voyez ce que nous devons aimer. Remarquez – le bien : aimer un homme à la place de Jésus-Christ, c’est commettre un adultère. Pourquoi m’exprimé-je ainsi ? Faisons attention à la réponse de Jean. On pouvait se tromper à son endroit, on pouvait le prendre pour ce qu’il n’était pas ; il rejette loin de lui l’honneur qui ne lui est pas dû, pour s’attacher à la Pierre solide de la vérité. À l’entendre, qui est le Christ ? Qu’est-il lui-même ? « Celui qui a l’épouse est l’époux ». Soyez chastes, aimez l’époux. Mais, qui êtes-vous, vous qui nous dites : « Celui qui a l’épouse est l’époux ? Pour l’ami de l’époux, qui se tient debout et qui l’écoute, il est rempli de joie parce qu’il entend la voix de l’épouse ». Le Seigneur notre Dieu, qui sait les pensées de mon cœur et l’abondance des gémissements dont il est plein, m’aidera à vous dire ma douleur. Mais, je vous en conjure par ce même Jésus-Christ, suppléez par la pensée à ce que je ne pourrai dire ; car, je le sens, mes paroles ne sauraient exprimer l’amertume de mes peines. En effet, je vois beaucoup de ces adultères qui veulent posséder l’épouse que le Seigneur a rachetée à un si haut prix, qu’il a aimée en dépit de sa laideur, pour la rendre toute belle, qu’il a délivrée, qu’il a richement ornée. Je les vois employer tous les artifices de la parole pour se faire aimer aux dépens (le l’époux. C’est de l’époux que Jean a dit : « Voilà celui qui baptise bx ». Qui ose s’avancer et dire : C’est moi qui baptise ? Qui ose s’avancer et dire : C’est ce que je donne qui est saint ; il serait avantageux pour toi d’être régénéré par moi ? Écoutons l’ami de l’époux, au lieu d’écouter les adultères ; Écoutons celui qui montre du zèle, mais pour un autre que pour lui-même.

11. Mes frères, retournez par la pensée dans vos maisons. Je vous parle d’une manière charnelle et terrestre, je vous parle humainement à cause de la faiblesse de votre chair by. Plusieurs d’entre vous sont mariés, plusieurs veulent l’être, plusieurs qui ne le voudraient pas le sont ; plusieurs qui ne consentiraient jamais à avoir de femmes doivent leur naissance à celles qu’ont épousées leurs pères. Enfin il n’y a pas de cœur à l’abri d’affections de cette nature ; il n’y a aucun homme, assez différent des autres hommes dans l’appréciation des choses humaines, pour ne pas sentir ce que je vais dire. Supposez donc qu’un mari, partant pour un voyage lointain, recommande sa femme à son ami. Tu es mon ami, lui dit-il, veille, je te prie, à ce que pendant mon absence elle n’en aime point d’autre que moi. Cet homme chargé de veiller sur la fiancée ou l’épouse de son ami, s’occupe soigneusement de ne lui en laisser aimer aucun autre ; mais il s’arrange de façon à se faire aimer lui-même, et à obtenir les bonnes grâces de celle qui lui a été confiée ; ne le jugera-t-on pas digne de l’exécration de tout l’univers ? Qu’il la voie regarder trop hardi ment un homme par la fenêtre ou badiner avec lui, vite il s’y oppose ; quel zèle jaloux il y met ! Je le vois empressé, mais je voudrais savoir au profit de qui il déploie tout ce zèle, Est-ce pour son ami absent ? Est-ce pour lui-même ? Appliquez ceci à Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il a confié son épouse à son ami, et il est parti dans une région lointaine pour prendre possession d’un royaume, comme il le dit lui-même dans son Évangile bz. Toutefois il ne cesse pas d’être présent par sa majesté. On peut tromper l’ami qui voyage au-delà des mers ; néanmoins, malheur à celui qui le trompe ! Mais pourquoi essayer de tromper Dieu, Dieu qui voit le fond des cœurs et qui en sonde tous les replis ? Voici cependant un hérétique qui dit : C’est moi qui donne le baptême, c’est moi qui sanctifie, c’est moi qui justifie. Je ne prétends pas que tu iras à un autre, montre un zèle ardent, j’en conviens ; mais vois au profit de qui. S’il disait : Ne va pas aux idoles, son zèle serait de bon aloi ; s’il disait : Ne va pas aux devins, son zèle serait dans l’ordre. Voyons donc au profit de qui il déploie son zèle. Ce que je donne est saint, parce que c’est moi qui le donne ; celui que je baptise est véritablement baptisé ; celui que je ne baptise point n’est pas baptisé, Écoute maintenant l’ami de l’époux, il t’apprendra à faire du zèle au profit de l’époux. Entends-le dire : « C’est celui-là qui baptise ». Pourquoi donc, ô hérétique, prétends-tu t’arroger ce qui n’est point à toi ? Est-il absent à ce point celui qui a laissé ici-bas son épouse ? Ignores-tu que celui qui est ressuscité d’entre les morts est assis à la droite de son Père ? Si les Juifs l’ont méprisé lorsqu’il était attaché à la croix, oserais-tu le mépriser aussi ? Il est assis dans le ciel, ne l’oublie pas. Ah ! si votre charité savait combien je souffre de pareilles choses ! Mais, je vous l’ai dit, suppléez par la pensée â ce que je ne puis vous dire. Quand je vous parlerais toute la journée, il me serait impossible de vous communiquer toute ma peine ; j’aurais beau me plaindre du matin au soir, je n’en finirais pas : ce ne serait pas assez pour moi, je ne dis pas, comme le Prophète ca, d’avoir une fontaine de larmes, mais de me changer en larmes, de devenir des larmes, de me changer en langues, de devenir des langues.

12. Revenons au Précurseur et voyons de nouveau ce qu’il dit : « Celui qui a l’épouse est l’époux ». Ce n’est pas mon épouse. Leurs noces ne t’inspirent donc aucun sentiment de joie ? Au contraire, dit-il, je m’en réjouis. « Car l’ami de l’époux, qui se tient debout et qui l’écoute, est ravi de joie parce qu’il entend la voix de l’époux ». Ce n’est pas d’entendre ma voix, qui me réjouit, c’est d’entendre la voix de l’époux. Moi, je n’ai qu’à écouter, et lui n’a qu’à parler ; moi, je dois recevoir les rayons de la lumière, et lui est la lumière ; je suis l’oreille, il est la parole, Aussi, l’ami de l’époux se tient debout et l’écoute. Pourquoi se tient-il debout ? Parce qu’il ne tombe pas. Pourquoi ne tombe-t-il pas ? Parce qu’il est humble. Voyez le Précurseur ; il se tient ferme : « Je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses souliers cb ». Tu t’humilies suivant l’ordre : c’est pourquoi, au lieu de tomber, tu te tiens debout, tu écoutes l’époux et tu te réjouis à sa voix. Ainsi faisait l’Apôtre, cet autre ami de l’époux. Il était rempli de zèle, non point pour son profit personnel, mais pour celui de l’époux. Écoute, voici la preuve de son zèle : « Je vous aime pour Dieu d’un amour de jalousie. Cette jalousie n’est pas à moi, elle n’est pas pour moi, c’est la jalousie de Dieu ». D’où vient votre jalousie, ô grand Apôtre, quelle est-elle ? Quel en est l’objet ? Qui est-ce qui en profite ? « Je vous ai fiancés à cet unique époux Jésus-Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge toute pure ». Que craignez-vous, et pourquoi votre jalousie ? « Je crains que, comme Eve fut séduite par les artifices du serpent, de même vos esprits ne se corrompent et ne dégénèrent de la simplicité qui est en Jésus-Christ cc ». Considérée en son ensemble, l’Église est appelée vierge. Vous le voyez, elle a différents membres qui jouissent de dons divers ; les uns ont des femmes, les autres des maris. Ceux-ci ont perdu leurs femmes, et n’en cherchent pas de nouvelles ; celles-là sont veuves et ne veulent plus avoir de maris ; ceux-ci ont conservé leur intégrité virginale depuis leur bas âge, celles-là ont voué à Dieu leur virginité. Les dons sont divers, mais tous ceux qui les possèdent ne forment qu’une seule vierge. Où réside cette virginité ? D’ordinaire ce n’est pas dans le corps. Quelques femmes la possèdent et, sans chercher si ce titre peut appartenir aux hommes, il est certain que dans l’Église cette intégrité du corps appartient à un petit nombre d’entre eux ; mais ce membre de l’Église n’en est que plus respectable. Pour tous les autres, leur virginité n’est pas la virginité du corps, mais celle de l’âme. Qu’est-ce que cette virginité de l’âme ? C’est l’intégrité de la foi, la fermeté de l’espérance, la sincérité de l’amour. Voilà la virginité que craignait de voir corrompre par le serpent celui qui brûlait de zèle pour l’époux. En effet, comme la virginité du corps se perd par la corruption de quelqu’un de ses membres, ainsi les artifices de la langue corrompent la virginité de l’âme. Que celui-là donc évite la corruption de l’âme, qui veut, avec raison, la virginité de son corps.

13. Que vous dirai-je donc, mes frères ? Les hérétiques ont aussi des vierges, et parmi eux il s’en trouve même beaucoup. Mais voyons s’ils aiment l’époux au point de lui conserver leur virginité. Pour qui doit-on la garder ? « Pour le Christ », dit l’Apôtre. Voyons si c’est pour le Christ, et non pour Donat qu’ils la gardent. Voyons pour qui se garde leur virginité. Vous pouvez bien vite le savoir : Je leur montre l’époux, parce qu’il se montre lui-même. Jean lui rend témoignage : « C’est celui-là qui baptise ». O vierge, si c’est pour cet époux que tu gardes ta virginité, pourquoi courir à celui qui dit : C’est moi qui baptise, puisque l’ami de ton époux dit au contraire : « C’est lui qui baptise ? » De plus, ton époux règne par tout l’univers, pourquoi corrompre ta virginité en la gardant pour celui qui n’en possède qu’une partie ? Quel est ton époux ? « Dieu est le roi de la terre entière cd ». Ton époux règne par toute la terre, parce qu’il l’a rachetée tout entière. Remarque à quel prix il l’a rachetée, et tu sauras ce qu’elle vaut. Quel prix en a-t-il donné ? Son sang. Quand a-t-il donné son sang ? Quand l’a-t-il répandu ? Pendant sa Passion. N’est-ce pas à ton époux que tu chantes ou que tu viens de chanter ces paroles, en souvenir du prix dont il a racheté l’univers tout entier : « Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os, ils m’ont regardé et considéré attentivement, ils ont partagé mes vêtements et ils ont tiré ma robe au sort ? » Tu es l’épouse, reconnais la robe de ton époux. Sur quelle robe le sort a-t-il été jeté ? Interroge l’Évangéliste. Vois à qui tu as été fiancée. Sache de qui tu as reçu des arrhes. Interroge l’Évangéliste, vois ce qu’il te dit dans le récit de la Passion du Seigneur. « Il y avait là une robe ». Voyons ce qu’elle était : « D’un seul tissu du haut en bas ». Cette robe d’un seul tissu du haut en bas, que signifie-t-elle, sinon la charité ? Que signifie-t-elle, sinon l’unité ? Fais attention que cette tunique n’a pas été partagée même par les bourreaux du Christ ; car l’Ecrivain sacré s’exprime ainsi : « Ils se dirent les uns aux autres : ne la coupons pas, mais tirons-la au sort ce ». Les bourreaux du Christ n’ont donc pas déchiré la robe. Voilà bien ce que vous venez d’entendre dire au Psalmiste ; et des chrétiens déchirent l’Église !

14. Mais que dire, mes frères ? Essayons de voir de plus en plus clairement ce qu’il a acheté ; car il l’a acheté, là où il a versé le prix. Pour quelle étendue de terrain l’a-t-il versé ? S’il l’a versé seulement pour l’Afrique, soyons Donatistes : au lieu de nous appeler Donatistes, appelons-nous chrétiens, puisque Jésus-Christ n’a racheté que l’Afrique, et bien qu’il ne s’y trouve pas seulement que des Donatistes. Dans son négoce il n’a pas gardé le secret sur ce qu’il achetait : il l’a inscrit sur ses tablettes. Grâces à Dieu, il ne nous y a pas trompés. Il faut que l’épouse en écoute la lecture, pour apprendre à qui elle a voué sa virginité : le texte s’en trouve précisément dans le psaume où il est dit : « Ils ont percé mes pieds et mes mains, ils ont compté tous mes os ». Ces paroles désignent clairement la Passion de Notre-Seigneur. On donne lecture de ce psaume tous les ans pendant la dernière semaine, aux approches de la Passion du Christ, en présence de tout le peuple attentif. Cette lecture se fait chez eux aussi bien que chez nous. Remarquez bien, mes frères, les paroles du Prophète. Vous y verrez ce que Notre-Seigneur a acheté : on va lire les tablettes commerciales du Christ ; vous y verrez ce qu’il a acheté. Écoutez : « Les peuples les plus reculés se souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui, toutes les nations se prosterneront en sa présence, parce qu’à lui appartient l’empire et qu’il régnera sur tous les peuples cf ». Voilà ce qu’il a acheté, voilà l’accomplissement de ces paroles : « Dieu est le Roi de toute la terre ». Voilà ton époux. Pourquoi vouloir condamner à porter des haillons un époux si riche ? Fais-y donc attention, il a tout acheté, et tu lui dis : Voilà votre part ! Ah ! si, avant de lui parler, tu n’étais pas tombée dans la corruption et, qui pis est, dans la corruption non du corps, mais de l’âme ! À la place du Christ tu aimes un homme, tu aimes celui qui dit : C’est moi qui baptise, tu n’écoutes pas l’ami de l’époux lorsqu’il dit : « C’est lui qui baptise » ; et encore : « Celui qui a l’épouse est l’époux. Pourquoi dit-il : Je n’ai pas l’épouse, que suis-je donc ? « L’ami de l’époux qui se tient debout et qui est ravi de joie à cause de la voix de l’époux cg ».

15. Évidemment, mes frères, il ne sert de rien aux Donatistes de conserver la virginité, de garder la continence, de donner l’aumône ; aucune de ces œuvres louangées à si juste titre dans l’Église ne leur est utile, parce qu’ils déchirent l’unité, c’est-à-dire la tunique de la charité, figurée par celle du Sauveur. Que font-ils ? Plusieurs d’entre eux sont de beaux diseurs, ils ont de grandes langues, ils versent des torrents de paroles. Parlent-ils aussi bien que les anges ? Qu’ils écoutent un ami de l’époux, ami jaloux pour le compte de l’époux, et non pour lui-même : « Quand je parlerais le langage des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, je suis comme un airain sonnant ou une cymbale retentissante ».

16. Mais, disent-ils, nous avons le baptême. Tu en as un, mais il n’est pas le tien. Autre chose est de l’avoir, autre chose est d’en avoir la propriété. Tu as le baptême, parce que tu as été baptisé ; tu as le baptême et ses lumières, si toutefois tu ne les éteins pas volontairement sous les ténèbres ; et quand tu le donnes, tu le donnes parce que tu en es le ministre et non le maître, tu es un héraut et non un juge. Un juge parle toujours par l’organe de son héraut ; pourtant les actes publics ne portent jamais : Le héraut a dit ; mais : Le juge a dit. C’est pourquoi, vois si ce que tu donnes t’appartient en propre en vertu d’un pouvoir inhérent à ta personne. Puisque tu as reçu le pouvoir de le donner, confesse donc avec l’ami de l’époux que « l’homme ne peut rien recevoir qui ne lui ait été donné du ciel » ; et aussi que « celui qui a l’épouse est l’époux, mais que l’ami de l’époux se tient debout et l’écoute ». Plaise à Dieu que tu te tiennes debout pour l’écouter, et que tu ne tombes pas pour avoir voulu t’écouter toi-même ! En écoutant tu serais debout et tu entendrais ; mais tu parles, et ta tête se gonfle d’orgueil. Pour moi, dit l’Église, parce que je suis son épouse, puisque j’ai reçu de lui des arrhes et que j’ai été rachetée au prix de son sang, j’écoute sa voix, j’écoute aussi la voix de l’ami de l’époux, si c’est à l’époux qu’il rend gloire et non à lui-même. Que cet ami dise donc : « Celui qui a l’épouse est l’époux ; pour l’ami de l’époux, il se tient debout et l’écoute, et il est rempli de joie parce qu’il entend sa voix ». Oui, tu as les sacrements, et j’en conviens : tu as l’apparence d’un sarment, mais tu es séparé du cep ; tu ressembles à un pied de vigne, mais je voudrais voir ses racines ; si les racines lui manquent, jamais le cep ne produira de raisins. Et quelles sont ces racines, si ce n’est la charité ? Écoute Paul : il va te montrer un sarment, mais un sarment sans racines : « Quand même je connaîtrais tous les mystères, quand j’aurais le don de prophétie, quand j’aurais toute la foi possible » (qu’une pareille foi serait grande !) « jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien ch ».

17. Que personne ne vienne donc vous débiter ces fables : Ponce a fait un miracle, Donat a prié, et Dieu lui a répondu du haut du ciel. D’abord, ceux qui parlent ainsi ou sont trompés ou vous trompent. Supposons encore qu’ils transportent les montagnes ; mais rappelons-nous les paroles de Paul : « Si je n’ai pas la charité, je ne suis rien ». Voyons si Ponce ou Donat a eu la charité ; je le croirais s’il n’avait pas rompu l’unité. Mon Dieu m’a précautionné contre ces faiseurs de miracles, si je puis m’exprimer ainsi, lorsqu’il a dit : « Dans les derniers temps s’élèveront des faux prophètes qui feront des miracles et des prodiges de manière à induire en erreur les élus eux-mêmes, si la chose était possible : « voici que je vous l’ai prédit ci ». L’époux nous a donc mis sur nos gardes, afin que nous ne soyons pas trompés même par des miracles. Il arrive quelquefois qu’un déserteur suffit à faire peur à un paysan ; mais s’il est dans un camp, peut-il se prévaloir des insignes dont il est revêtu ? Non ; car il y a là pour l’examiner des gens qui ne veulent se laisser ni effrayer, ni séduire. Attachons-nous donc à l’unité, mes frères ; car en dehors de l’unité celui même qui fait des miracles n’est rien. Le peuple juif se trouvait dans l’unité, et néanmoins il n’opérait pas de miracles ; les magiciens de Pharaon étaient hors de l’unité, ce qui ne les empêchait pas de faire des miracles comme en faisait Moïse cj. Je l’ai dit : il n’y en a pas eu d’opérés par le peuple juif. Lesquels ont été sauvés par Dieu ? Ceux qui faisaient des miracles ou ceux qui n’en faisaient pas ? L’apôtre Pierre a ressuscité un mort ck. Simon le Magicien a opéré plusieurs prestiges cl : il y avait alors un grand nombre de fidèles incapables de faire les miracles de Pierre et les prodiges de Simon. Cependant ils ne laissaient pas de se réjouir et pourquoi ? Parce que leurs noms étaient écrits dans le ciel. C’est, en effet, ce que le Sauveur disait à ses disciples au moment où ils revenaient de leurs courses apostoliques, et en parlant ainsi il voulait éclairer la foi des peuples. Les apôtres étaient tout fiers de ce qu’ils avaient fait ; aussi, lui disaient-ils : « Seigneur, les démons eux-mêmes nous sont soumis à cause de votre nom ». Leurs paroles étaient un aveu digne d’éloges ; ils rapportaient l’honneur de leurs prodiges au nom du Christ. Néanmoins que leur répond Jésus ? « Gardez-vous de vous glorifier de ce que les démons vous sont soumis, mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans le ciel cm ». Pierre a chassé les démons : une pauvre vieille femme, le premier venu d’entre les laïques qui a la charité et qui garde l’intégrité de la foi n’en fait pas autant. Pierre est l’œil dans le corps de l’Église, ce laïque en est le doigt ; toutefois il appartient à ce même corps dont Pierre fait partie, et bien que le doigt vaille moins que l’œil, il n’est pas pour cela séparé du corps. Mieux vaut être le doigt et demeurer dans le corps, qu’être l’œil et s’en voir séparé.

18. Ainsi, mes frères, que personne ne vous trompe, que personne ne vous abuse. Aimez la paix de Jésus-Christ : quoiqu’il fût Dieu, il a été crucifié pour vous. « Celui qui plante n’est rien », dit Paul, « non plus que celui qui arrose ; mais c’est Dieu qui donne l’accroissement ». Lequel d’entre nous oserait dire qu’il est quelque chose ? Si nous disons que nous sommes quelque chose, si nous ne rapportons pas à Dieu toute la gloire, nous sommes des adultères, nous voulons nous faire aimer au lieu de faire aimer l’époux. Pour vous, aimez le Christ et aimez-nous en lui, c’est en lui que nous vous aimons à notre tour. Que les membres s’aiment entre eux, mais que tous vivent unis sous la direction du chef. Ma douleur m’a forcé, mes frères, à vous parler longuement, et pourtant ce que j’ai dit est peu de chose. Je n’ai pu achever de vous expliquer ce qui a été lu ; mais Dieu me donnera la grâce de le faire en temps opportun. Je ne veux point surcharger vos cœurs : il faut qu’ils aient le loisir de gémir et de prier pour ceux qui sont sourds à ces vérités et qui ne les comprennent pas.

QUATORZIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CET ENDROIT DE L’Évangile : « CETTE MÊME JOIE EST DONC REMPLIE », JUSQU’A « CELUI QUI NE CROIT POINT AU FILS, NE VERRA POINT LA VIE ; MAIS LA COLÈRE DE DIEU DEMEURE SUR LUI ». (Chap 3,29-36.)

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