John 7
VINGT-HUITIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CES PAROLES DE L’ÉVANGILE : « APRÈS CELA, JÉSUS S’AVANÇA DANS LA GALILÉE », JUSQU’À CES AUTRES : « TOUTEFOIS, NUL NE PARLAIT OUVERTEMENT DE LUI, DANS LA CRAINTE DES JUIFS ». (Chap 7,1-13.)LE DIEU HOMME.
Jésus-Christ était en même temps Dieu et homme ; comme Dieu, possédant une puissance infinie ; comme homme, souffrant et donnant à ses membres fidèles l’exemple de ce qu’ils peuvent et doivent faire pour éviter les persécutions des Juifs, il s’était retiré en Galilée, Au moment de la scénophagie, ses parents, hommes charnels, auraient voulu le décider à se rendre à Jérusalem pour l’y voir opérer des miracles et acquérir un renom. Mais l’heure de la gloire n’était pas encore venue pour lui ; elle ne devait sonner qu’après une vie d’humiliations et d’oublis ; aussi ne monta-t-il au temple que vers le milieu de la fête, et en secret, afin de ne pas mériter les éloges des mondains. Ainsi doit-il en être de nous pendant le pèlerinage de cette vie : nous ne devons chercher à être connus et glorifiés de personne ici-bas : la gloire du ciel est la seule à laquelle nous devons tendre. 1. Dans ce chapitre de l’Évangile, mes frères, Notre-Seigneur Jésus-Christ se propose souvent comme homme à notre foi ; car mes paroles et ses actes y tendent sans cesse à nous faire reconnaître en lui le Dieu et l’Homme le Dieu qui nous a créés, l’homme qui nous a recherchés ; le Dieu éternellement avec son Père, l’homme avec nous dans le temps. Il n’aurait point recherché sa créature, s’il n’était devenu semblable à elle. Mais rappelez-vous-le bien ; que vos cœurs en conservent toujours le souvenir : le Christ s’est fait homme sans cesser d’être Dieu. Tout en restant Dieu, il s’est revêtu de l’humanité qu’il avait créée. Aussi, quand sa grandeur divine se cacha sous la faiblesse de l’homme, il n’en conserva pas moins sa puissance suprême, et nous ne devons voir, dans son incarnation, qu’un moyen de nous servir d’exemple au milieu de nos douleurs. Il est, en effet, tombé au pouvoir de ses ennemis, il n’a été mis à mort qu’au moment où il y a consenti. Mais parce qu’il devait s’adjoindre des membres, c’est-à-dire des fidèles qui ne posséderaient pas la même puissance que lui, puisqu’il était Dieu, il se cachait, il se dérobait aux poursuites des Juifs, comme pour éviter la mort, et ainsi donnait-il à entendre que plus tard ses membres s’uniraient à lui, et qu’il serait en chacun d’eux. Car le Christ n’est pas seulement chef : il est aussi corps, et pour être dans sa perfection, il faut qu’il soit tête et corps tout ensemble. Ce que sont ses membres, il l’est donc lui-même ; mais ce qu’il est, ses membres ne le sont pas de prime-abord. Si ses membres n’étaient pas un autre lui-même, dirait-il : « Saul, pourquoi me persécuter a ? » Car ce n’était pas lui en personne que Saul persécutait sur la terre : c’étaient ses membres, c’est-à-dire ses fidèles ; néanmoins, il ne les appelle ni ses saints, ni ses serviteurs, ni enfin, d’une manière plus honorable : ses frères ; en parlant d’eux, il dit : Moi, ou, en d’autres termes mes membres, dont je suis le chef. 2. D’après ce qui précède, le chapitre qu’on vient de lire ne nous offrira aucune difficulté ; car souvent nous y verrons se réaliser dans le chef ce qui devait avoir ensuite lieu dans le corps. « Après cela, Jésus s’avança dans la Galilée, car il ne voulait point aller dans la Judée, parce que les Juifs cherchaient à le faire mourir ». Voilà bien ce que j’ai dit : le Sauveur servait d’exemple à notre fragilité. Il n’avait rien perdu de sa puissance, mais il nous consolait dans notre faiblesse. Car suivant la remarque que j’en ai faite, il devait arriver que quelque fidèle se cacherait pour échapper aux recherches de ses persécuteurs ; et afin qu’on ne pût faire à ce chrétien un crime de sa fuite, le Christ s’est dérobé le premier aux poursuites des Juifs ; il n’est arrivé aux membres que ce qui était d’abord arrivé au chef. « Il ne voulait point aller dans la Judée, parce que les Juifs cherchaient à le faire mourir ». Comme s’il ne pouvait voyager au milieu des Juifs, sans qu’ils le fissent mourir. Il donna, quand il voulut, la preuve du pouvoir qu’il avait de leur échapper ; car, au moment de sa passion, ils cherchèrent à mettre la main sur lui ; alors il leur dit : « Qui cherchez-vous ? » — Ils lui répondirent : Jésus. – Et il leur dit : C’est moi ». Certes, il ne se cachait pas ; il se faisait nettement connaître. À cette réponse, ils ne purent se tenir debout ; mais, « reculant en arrière, ils tombèrent b ». Or, parce qu’il était venu en ce monde pour souffrir, ils se relevèrent, s’emparèrent de sa personne, le traduisirent au tribunal de Pilate et le mirent à mort. Mais quel fut le résultat de leur conduite ? L’Écriture nous le dit quelque part : « La terre fut livrée aux méchants c ». Il abandonna son corps entre les mains des Juifs, afin que le prix de notre rédemption s’en échappât, comme du sein d’une bourse déchirée. 3. « Or, la fête des Juifs, appelée scénophagie, était proche ». Qu’était-ce que la scénophagie ? Ceux qui lisent l’Écriture le savent. En ce jour de fête, les Juifs se faisaient des tentes pareilles à celles qui leur servaient d’abri dans le désert, après la sortie d’Égypte. Ce jour-là était un jour de fête, une grande solennité. Les Juifs la célébraient, comme pour se rappeler le souvenir des bienfaits de leur Dieu, et de fait, ils se préparaient à faire mourir ce même Dieu. Or, en ce jour de fête, (les Juifs en solennisaient plusieurs, et ils donnaient à celui-ci le nom de scénophagie, parce qu’il n’était pas le seul, mais qu’il y en avait encore d’autres ;) « les frères » du Seigneur Christ vinrent lui parler. Vous n’ignorez pas le sens qu’il faut donner au mot « frères » du Seigneur : ces paroles n’ont rien de nouveau pour vous. On donnait le nom de frères du Seigneur aux parents de la vierge Marie. L’Écriture donne habituellement le nom de frères à tous les parents, et à ceux qui étaient presque parents ; nous ne nous exprimons pas de la même manière, parte que cet usage n’est pas entré dans nos mœurs. Parmi nous, en effet, qui est-ce qui s’aviserait de donner le nom de frère à son oncle et au fils de sa sœur ? À des parents de ce degré, l’Écriture le donne pourtant. Effectivement, Abraham et Loth sont appelés frères, quoiqu’Abraham fût l’oncle paternel de Loth d. Il en est de même de Laban et de Jacob, et cependant celui-ci était le neveu de celui-là e. Ainsi, rappelez-vous que les frères du Seigneur n’étaient autres que les parents de Marie ; car elle ne donna jamais le jour à d’autres enfants. De même, en effet, que le sépulcre dans lequel fut déposé le corps du Sauveur ne servit de tombeau à personne, ni avant ni après ; de même, Marie ne conçut aucun homme dans son sein, ni avant ni après Jésus-Christ. 4. Nous venons de dire quels étaient ces frères du Seigneur, Écoutons maintenant ce qu’ils ont dit : « Partez d’ici, et allez en Judée, afin que vos disciples aussi voient les œuvres que vous faites ». Les disciples du Sauveur connaissaient ses œuvres, mais ceux-ci ne les connaissaient pas. Car, en qualité de frères, c’est-à-dire de parents, ils pouvaient bien regarder le Christ comme un de leurs proches ; mais à cause de leur parenté, il leur répugnait de croire en lui. L’Évangile lui-même nous le dit : nous n’oserions le penser de nous-mêmes, mais nous en sommes sûrs pour l’avoir entendu. Ils ajoutent cet avertissement : « On ne fait rien en secret, lorsqu’on cherche à se faire connaître. Si vous faites ces choses, montrez-vous vous-même au monde ». « Car », dit immédiatement l’Évangéliste, « ses frères mêmes ne croyaient point en lui ». Pourquoi ne croyaient-ils pas en lui ? Parce qu’ils recherchaient la gloire de ce monde ; car si les frères du Sauveur semblent lui donner un conseil, c’est qu’ils veulent assurer sa renommée. Vous faites des merveilles, manifestez-les donc au grand jour ; c’est-à-dire, montrez-vous à tous, afin que tous proclament vos louanges. C’était la chair qui parlait à la chair, mais la chair séparée de Dieu, à la chair unie à Dieu : la prudence de la chair parlait au Verbe, qui s’est fait chair et qui a habité parmi nous f ». 5. Que répondit à cela le Seigneur ? « Or, Jésus leur dit : Mon temps n’est point encore venu ; mais votre temps est toujours prêt ». Eh quoi ! le temps du Christ n’était-il pas encore arrivé ? Pourquoi donc le Christ était-il menu, si son temps ne l’était pas encore ? N’avons-nous pas entendu dire à l’Apôtre : « Mais lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils g ? » Si donc le Christ a été envoyé dans la plénitude des temps, il l’a été quand il a dû l’être ; il est venu, quand il a fallu qu’il vînt. Quel est donc le sens de ces paroles : « Mon temps n’est pas encore arrivé ? » Comprenez bien, mes frères, dans quelle intention lui parlaient ces hommes, peu semblaient lui donner des conseils comme à un frère. Ils l’engageaient à acquérir de la gloire ; dominés par je ne sais quel sentiment mondain et terrestre, ils le priaient de ne point rester dans l’obscurité et l’oubli. À des gens qui le conjuraient de penser à la gloire, dire ; « Mon temps n’est pas encore venu », c’était dire : Le temps de ma gloire n’est pas encore arrivé. Voyez combien est profond le sens de ces paroles on lui parlait d’acquérir de la gloire, pour lui, il a voulu que sa pudeur fût précédée par les humiliations il voulu que le chemin pour arriver à l’élévation fût celui de l’humilité. Ceux de ses disciples qui désiraient s’asseoir, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche, recherchaient aussi la gloire : ils considéraient le but, mais ils ne considéraient pas la voie à suivre. Afin qu’ils pussent arriver à la céleste patrie selon les règles de la justice, le Sauveur les ramena au chemin qui y conduit. La patrie est élevée ; humble est la voie. La patrie, c’est la vie du Christ : la voie, c’est sa mort. Le séjour du Christ, voilà la patrie ; sa passion, voilà le chemin qui y mène. Pourquoi prétendre entrer dans la pairie, si l’on refuse d’en suivre le chemin ? Enfin, telle fut sa réponse à ceux qui recherchaient la grandeur : « Pouvez-vous boire le calice que je boirai moi-même h ? » Voilà par quel chemin on arrive l’élévation que vous désirez. Le calice dont il leur parlait était celui des humiliations et des souffrances. 6. Il dit ici dans le même sens : « Mon temps n’est pas encore venu, mais votre temps », c’est-à-dire la gloire mondaine,« est toujours prêt ». Voilà bien le temps dont le Christ, c’est-à-dire le corps du Christ, parle par la bouche du Prophète. « Quand le temps sera venu pour moi, je jugerai les justices i ». Maintenant, c’est le temps, non pas de juger les méchants, mais de les supporter. Que le corps du Christ supporte donc et tolère à présent les iniquités de ceux qui se conduisent mal : qu’il ait aujourd’hui pour lui la justice ; plus tard, il exercera le jugement : c’est par la pratique de la justice qu’on arrive à juger les pécheurs. Voici ce que l’écrivain sacré dit, en un psaume, à ceux qui supportent les iniquités de ce monde : « Le Seigneur ne rejettera point son peuple ». Ce peuple souffre au milieu des méchants, des pécheurs, des blasphémateurs, de ceux qui murmurent et médisent contre lui, qui le persécutent et le font périr, quand ils le peuvent. Oui, il souffre, « mais le Seigneur ne rejettera point son peuple ; il ne délaissera pas son héritage, jusqu’an jour où la justice rendra les jugements j ». « Jusqu’à ce que la justice », qui se trouve aujourd’hui dans ses saints, « rendra ses jugements », au moment où s’accomplira pour eux celle parole, que leur a adressée le Sauveur : « Vous serez assis sur douze trônes, jugeant les douze tribus d’Israël k ». L’Apôtre avait déjà la justice, mais il n’exerçait pas encore le jugement dont il parle, quand il dit : « Ignorez-vous que nous jugerons les anges l ? » Que ce soit donc pour nous maintenant le temps de bien vivre : plus tard, viendra le temps de juger ceux qui auront mal vécu. « Jusqu’au jour où », suivant le Psalmiste, « la justice rendra les jugements ». Ce sera le temps du jugement, dont le Christ a dit, tout à l’heure : « Mon temps n’est pas encore venu ». Ce sera le temps de la gloire, et alors viendra dans la grandeur celui qui est venu dans les abaissements. Celui qui est venu pour être jugé viendra pour rendre ses jugements celui qui est venu pour mourir de la main de gens morts, viendra juger les vivants et les morts. « Il viendra, notre Dieu », dit le Psalmiste ; « il apparaîtra et sortira de son silence m ». Pourquoi : « Il apparaîtra ? » Parce que, quand il est venu, il s’est caché. Alors il ne gardera pas le silence, parce que, quand il est venu, il s’est caché, « il a été conduit à la mort comme une brebis, et pareil à un agneau qui se tait devant celui qui le tond, il n’a pas ouvert la bouche n ». Il viendra et ne se taira pas. « Je me suis tû : me tairai-je toujours o ? » 7. Mais qu’est-ce qui est nécessaire à ceux qui ont la justice ? Ce que nous lisons dans le psaume précité : « Jusqu’au jour où la justice rendra les jugements ; et près d’elle seront ceux qui la possèdent et ont le cœur droit ». Vous désirez peut-être savoir quels hommes ont le cœur droit. Selon le langage de l’Écriture, les hommes au cœur droit sont ceux qui endurent les peines de la vie sans en accuser Dieu. Voyez, mes frères, combien est rare cet oiseau dont je parle. Quand un homme voit fondre sur lui quelque malheur, je ne sais vraiment de quelle manière il court pour accuser plus vite le Seigneur, tandis qu’il ne devrait accuser que lui-même. Quand tu fais un peu de bien, tu t’en vantes ; et quand il t’arrive quelque infortune, tu en accuses Dieu. C’est là le propre d’un cœur tordu, et non la preuve d’un cœur droit. Corrige-toi de cette distorsion et de cette méchanceté de ton cœur, et alors tu agiras d’une manière toute différente. Que faisais-tu précédemment ? Tu attribuais à toi-même le bien qui te venait de Dieu, et tu attribuais à Dieu le mal dont tu étais l’auteur. Si tu changes ton cœur et lui donnes une autre direction, tu loueras le Seigneur dans ses bienfaits, et tu t’accuseras toi-même au milieu de tes maux. Voilà ce que font les hommes d’un cœur droit. Enfin, le Prophète n’avait pas encore ce cœur droit quand le spectacle de la félicité des méchants et les peines des justes le révoltaient ; mais il était corrigé, quand il disait : « Que le Dieu d’Israël est bon pour ceux qui ont le cœur droit ! » Quand je n’avais pas encore le cœur droit, « mes pieds se sont presque égarés, mes pas ont presque chancelé ». Pourquoi ? « Parce que je me suis indigné contre les pécheurs, en voyant la paix des impies p ». J’ai vu, dit-il, les méchants au sein du bonheur, et, en cela, la conduite de Dieu m’a déplu ; car j’aurais voulu que jamais il ne permît aux méchants d’être heureux. Il faut que l’homme le comprenne bien : Jamais Dieu ne permet pareille chose ; et si l’on croit les méchants heureux, c’est parce qu’on ne sait pas en quoi consiste le bonheur. Ayons donc le cœur droit ; le temps de la gloire n’est pas encore venu pour nous. Il faut dire à ceux qui aiment le monde, comme l’aimaient les frères du Seigneur : « Votre temps est toujours prêt, mais le, nôtre n’est pas encore venu ». Ne craignons pas de leur tenir nous-mêmes ce langage. Et parce que nous formons le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ, parce que nous sommes ses membres, parce que nous le reconnaissons avec bonheur pour notre chef, répétons encore une fois ces paroles qu’il a daigné prononcer lui-même à cause de nous. Quand les amateurs de ce monde nous insultent, répondons-leur : « Votre temps est toujours prêt ; le nôtre n’est pas encore venu ». Car l’Apôtre nous a dit : « Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ ». Mais notre temps, quand viendra.-t-il ? « Lorsque Jésus-Christ, qui est notre vie, paraîtra, vous paraîtrez avec lui dans la gloire q ». 8. Que dit ensuite le Sauveur ? « Le monde ne peut vous avoir en haine ». Que veulent dire ces paroles ? Sans doute : le monde ne peut haïr ceux qui l’aiment, les faux témoins ; car vous appelez bien ce qui est mal, et mal ce qui est bien. « Mais pour moi, il me déteste, parce que je rends de lui ce témoignage que ses œuvres sont mauvaises. Quant à vous, montez à cette fête ». Qu’est-ce à dire : « Cette fête ? » Où vous désirez trouver la gloire de ce monde. Qu’est-ce à dire : « cette fête ? » Où vous prétendez vous réjouir d’une joie charnelle, où vous oubliez les joies éternelles. « Moi, je n’y monte point encore, parce que mon temps n’est pas accompli ». Vous cherchez, en ce jour de fête, à acquérir de la gloire humaine ; mais « mon temps », c’est-à-dire le temps de ma gloire, « n’est pas encore venu ». Mon jour de fête ne devancera ni ne dépassera les jours solennels de la loi, mais il durera toujours : ce sera alors vraiment la fête ; ce sera une joie sans fin, une éternité sans limites, une lumière sans ombres. « Et leur ayant ainsi parlé, il demeura en Galilée. Et, quand ses frères furent partis, il monta aussi à la fête, non pas publiquement, mais comme en secret ». Il ne monta donc pas « pour cette fête », parce qu’il ne voulait pas s’attirer une renommée mondaine ; il désirait leur donner un conseil salutaire, apporter un remède à la faiblesse de leurs vues trop humaines, les porter à penser aux fêtes de l’éternité, détourner de ce monde leurs affections, et les reporter vers lieu. Mais pourquoi « monta-t-il comme en secret à la fête ? » Le Seigneur le sait. À non avis, par ce fait, même qu’il est monté anime en secret à la fête, il a voulu nous donner un enseignement ; car la suite nous apprendra qu’il est monté à Jérusalem au milieu même de la fête, c’est-à-dire pendant ces jours de fête, afin de prêcher en public ; mais l’Évangile se sert de ces mots : « comme en secret », pour dire que le Sauveur n’avait pas l’intention de s’attirer les louanges des hommes. Il est évident que le Christ monta en secret à la fête, puisque, ce jour-là, il se cochait ; ce que j’ai dit moi-même est encore chose cachée pour beaucoup. Aussi, puisse-t-on le connaître ! Puisse le voile se soulever, et ce qui nous était inconnu, nous apparaître clairement. 9. Tout ce qui a été dit à l’ancien peuple d’Israël dans les nombreuses pages de la loi le Dieu, tout ce qui se faisait soit dans les sacrifices, soit dans les choses du sacerdoce, soit dans les jours de fête, soit dans les circonstances relatives au culte rendu à Dieu par les Juifs, tout ce qui leur a été dit et commandé n’a été que la figure de ce qui devait avoir lieu plus tard. Et qu’est-ce qui devait avoir lieu ? Ce qui s’est accompli en Jésus-Christ, Voilà pourquoi l’Apôtre a dit : « Toutes les promesses de Dieu ont en lui leur vérité r » : c’est-à-dire, se sont réalisées en lui. Il ajoute, en un autre endroit : « Toutes ces choses qui leur arrivaient, étaient des figures, et elles ont été écrites pour nous instruire, nous qui nous trouvons à la fin des temps s ». Il a dit ailleurs : « Jésus-Christ est la fin de la loi t » ; et encore : « Que personne ne vous condamne pour le manger, ou pour le boire, ou à cause des jours de fête, des nouvelles lunes et des jours de sabbat, puisque toutes ces choses n’ont été que l’ombre de celles qui devaient arriver u ». Si tout cela n’était que l’ombre de l’avenir, ainsi en était-il de la scénophagie. De quoi ce jour de fête pouvait-il être la figure ? Cherchons à le savoir. Je vous ai dit ce qu’était la scénophagie : c’était la fête des tabernacles, instituée en mémoire de ce que le peuple juif, délivré de la captivité d’Égypte, et marchant dans la solitude du désert vers la terre promise, avait habité sous des tentes. Examinons bien ce qu’était cette fête, et remarquons quelle sera aussi notre fête à nous, qui sommes les membres du Christ, si tant est que nous en soyons les membres ; au cas que nous soyons ses membres, c’est l’effet de la grâce, et non pas celui de nos mérites. Reportons donc sur nous notre attention, mes frères : nous avons été conduits hors de l’Égypte, où, comme un autre Pharaon, le démon nous tenait sous sa dépendance : esclaves de nos désirs terrestres, nous y faisions des ouvrages de boue, et dans ce travail, nous souffrions beaucoup ; aussi, le Sauveur s’adressant à nous, comme à des ouvriers qui fout des briques, nous a-t-il dit : « Venez à moi, vous tous qui travaillez et qui êtes chargés v ». Le baptême nous a fait sortir de là et traverser la mer Rouge : elle était vraiment rouge, cette mer, puisque ses eaux ont été sanctifiées par le sang du Christ : tous les ennemis qui nous poursuivaient, la mort nous en a délivrés : en d’autres termes, tous nos péchés ont été effacés. Aujourd’hui, avant d’arriver à la terre de promission, c’est-à-dire au royaume éternel, nous sommes au désert, nous habitons sous des tentes. Ceux qui me comprennent, habitent sous des tentes, et il devait se faire que plusieurs comprendraient. Celui-là habite sous une tente, qui se reconnaît comme voyageur sur la terre celui-là se reconnaît comme étranger ici-bas, qui soupire après la patrie. Or, puisque le corps du Christ se trouve sous les tentes, le Christ y est aussi ; mais alors ce mystère n’était pas connu, il était encore caché, car la lumière était encore voilée par l’ombre, et quand elle parut dans son éclat, les ombres s’effacèrent. Le Christ ne se manifestait pas ; il assistait à la fête de la scénophagie, mais c’était en secret. Aujourd’hui, il n’y a plus de mystère ; aussi reconnaissons-nous que nous voyageons dans la solitude ; et si nous le reconnaissons, nous y sommes véritablement. Qu’est-ce à dire : dans la solitude ? Dans le désert. Pourquoi dans le désert ? Parce que nous sommes, en ce monde, dans une terre où le manque d’eau nous fait souffrir de la soif. Mais puissions-nous avoir soif ! Nous serons abreuvés, car : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés w ». Et, dans cette solitude, notre soif sera étanchée par l’eau sortie de la pierre ; « car la pierre, c’était le Christ ». On l’a frappée de la verge pour en faire sortir de l’eau ; et pour la faire jaillir on a frappé la pierre par deux fois x. Il y eut, en effet, deux bras à la croix. Tout ce qui se faisait autrefois en figure, se réalise donc en nous. Ce que l’Évangéliste a dit du Sauveur a donc un sens caché : « Il monta à la fête, non pas publiquement, mais comme en secret ». Ce mot : « en secret », était une figure, puisque réellement, en ce même jour de fête, le Christ se cachait : et ce jour de fête lui-même signifiait le pèlerinage des membres du Sauveur. 10. « Les Juifs donc le cherchaient à la fête », avant qu’il y montât. Car ses frères y étaient montés les premiers : pour le Christ, il ne s’y rendit point au moment où ils pensaient et désiraient l’y voir. Ainsi accomplissait-il cette parole qu’il leur avait adressée : Je n’irai pas « à cette fête », c’est-à-dire, au jour où vous voudriez m’y voir, au premier ou au second jour. Ensuite, ou, comme s’exprime l’Évangéliste, « au milieu de la fête », il y monta : c’est-à-dire il s’y rendit, quand il ne resta plus à solenniser qu’un nombre de jours égal à celui qu’on avait déjà fêté. Autant qu’il est permis de le supposer, cette fête se célébrait pendant plusieurs jours. 11. « Ils disaient donc Où est-il ? Et il y avait un grand murmure à cause de lui dans la foule ». D’où provenait ce murmure ? De leur désaccord. Et pourquoi ce désaccord ? « Parce que les uns disaient : Il est bon, et les autres répondaient : Non, il séduit le peuple ». Il faut appliquer ces paroles à tous ses membres, car d’eux tous on le dit encore aujourd’hui. Qu’une grâce spirituelle se fasse remarquer en quelqu’un, les uns disent : « Il est bon », les autres s’écrient : « Non, il séduit la foule ». D’où cela vient-il ? De ce que « notre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ y ». Les hommes ne disent-ils pas aussi pendant l’hiver : Cet arbre est mort ? Ce figuier, par exemple, ce poirier ou tout autre arbre fruitier ressemble à un arbre sec, et tant que dure l’hiver, la vie ne se manifeste nullement en eux ; mais en été, on l’y aperçoit, comme au jugement on verra que nous vivons ; notre été, ce sera le moment de la manifestation du Christ. « Dieu, notre Dieu, viendra publiquement, et il ne gardera pas le silence z. Un feu dévorant marchera devant lui » ; et ce feu « consumera ses ennemis aa ». Il réduira en cendres les arbres arides. On reconnaîtra les arbres arides, quand le souverain Juge dira : « J’ai eu faim, et vous ne m’avez pas donné à manger » ; de l’autre côté, c’est-à-dire à la droite, apparaîtront la multitude des fruits et la beauté des feuilles : leur verdeur ne sera autre chose que l’éternité. Aux uns il sera dit comme à du bois sec : « Allez au feu éternel ab. Voilà que la hache est déjà placée à la racine de l’arbre, et tout arbre qui ne porte pas de bon fruit sera coupé et jeté au feu ac ». Que les hommes disent donc de toi, si tu profites en Jésus-Christ, qu’ils disent : « Il séduit la foule ». On en dit autant de Jésus. Christ lui-même et de son corps. Rappelle-toi que le corps du Christ est encore en ce monde, qu’il se trouve encore dans l’aire ; remarque aussi comment le froment y est injurié parla paille : on les foule tous les deux aux pieds ; la paille est écrasée, le froment est débarrassé de son enveloppe. Ce qui a été dit du Seigneur doit, par cela même, être un sujet de consolation pour tout chrétien contre qui se disent les mêmes choses. 12. « Toutefois, nul ne parlait ouvertement « de lui, dans la crainte des Juifs ». Mais quels étaient ceux qui gardaient le silence à son égard, dans la crainte des Juifs ? Évidemment, c’étaient ceux qui avaient dit : « Il est bon » ; et non pas ceux qui avaient dit : « Il séduit la foule ». Les paroles de ceux-ci faisaient un bruit pareil au bruit des feuilles sèches. On entendait clairement ces mots : « Il séduit la foule » ; ces autres : « Il est bon », passaient plus rapides, et comme un simple murmure, Mais aujourd’hui, mes frères, quoique n’ait point encore apparu cette gloire du Christ où nous puiserons l’immortalité, aujourd’hui son Église se dilate à tel point, et, par sa grâce, se répand de telle manière en tous lieux, qu’à peine on entend dire : « Il séduit la foule », et que de toutes parts retentissent hautement ces autres paroles : « Il est bon ».VINGT-NEUVIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CET ENDROIT DE L’Évangile : « ET COMME LA FÊTE ÉTAIT DÉJÀ À DEMI PASSÉE », JUSQU’À CET AUTRE : « CELUI QUI L’A ENVOYÉ, CELUI-LÀ EST VÉRIDIQUE, ET IL N’Y A POINT D’INJUSTICE EN LUI ». (Chap 7,14-18.)SERMON CXXXIII. JÉSUS ACCUSÉ DE MENSONGE ad.
ANALYSE. – Invité par ses parents à se rendre à la fête des tabernacles, le Sauveur répond : « Allez, vous, à cette fête, pour moi je n’y vais point : » Mais lorsque ses frères furent partis, il y alla aussi lui-même. Le langage de Jésus n’est-il pas ici en contradiction avec sa conduite ? Ne peut-on pas voir ici une espèce de mensonge ? S. Augustin expose d’abord plusieurs raisons préjudicielles pour détourner du Fils de Dieu l’accusation de mensonge. Premièrement, dit-il, est-ce mentir que de promettre sincèrement une chose que l’on rie peut ensuite accomplir ? Le seigneur ne connaissait donc pas l’avenir ? dira-t-on. On ne peut admettre qu’il l’ait ignoré, et l’on croirait qu’il a menti ? Quoi ! et c’est la troisième raison, tu veux, accusateur, que j’aie foi à ta parole et tu veux que je me défie de celle du Christ ? Quoi encore, en prenant à la lettre le récit évangélique, ne vois-tu pas que tu estimes le disciple plus digne de foi que le Maître ? Pour ors quatre motifs, condamne d’abord ton accusation. Puis, si tu veux comprendre la vérité, observe que l’on demandait au Sauveur de se mettre en relief en allant le premier à la fête des tabernacles. Comme sa vie eût été plus en danger et que son heure n’était pas encore venue, il attend que les pèlerins soient plus nombreux et qu’il soit lui-même à l’abri d’une surprise. C’est pourquoi il ne se met en route qu’après le départ de sa famille, et sa conduite n’est aucunement en contradiction avec son langage. On pourrait dire aussi qu’il parlait alors en notre nom et pour signifier que nous devons ne point prendre part aux solennités juives. 1. Nous nous proposons, avec le secours du Seigneur, d’examiner le passage évangélique qu’on a lu en dernier lieu. Il renferme une grave question : prenons garde de mettre la vérité en danger et de glorifier le mensonge. Mais la vérité ne saurait périr, ni le mensonge triompher. En quoi donc consiste la question ? Je vous le dirai en peu de mots, et une fois votre attention éveillée, priez pour que nous puissions résoudre le problème. La Scénopégie était une fête des Juifs. Ils l’observaient, je crois, et ils l’observent encore aujourd’hui à l’époque qu’ils nomment les tentes. Alors en effet ils élèvent des tabernacles, et skene, signifiant tabernacle, scénopégie signifie dresser un tabernacle. Cette, époque était donc une fête chez les Juifs, et si l’on disait simplement le jour de la fête, ce n’est pas que la fête rie durât qu’un jour, c’est qu’elle se prolongeait durant plusieurs jours consécutifs. Ainsi on dit le jour ou la fête de Pâques, le jour ou la fête des azymes, quoique cette fête, comme on sait, dure quelques jours. Cette fête de la Scénopégie se célébrait en Judée, et le Seigneur était en Galilée, où il avait été élevé et oit étaient ses parents et ses proches, nommés ses frères dans l’Écriture. « Ses frères lui dirent » donc comme on vient de nous le lire : « Partez d’ici et allez en Judée, afin que vos disciples voient, eux aussi, les œuvres que vous faites. Nul en effet n’agit en secret, lorsqu’il cherche lui-même à paraître en public. Si vous faites tout cela, manifestez-vous devant le monde. » L’Évangéliste fait ensuite cette réflexion. « Car ses frères ne croyaient pas en lui. » Et ne croyant pas en lui, ils lui adressaient ces paroles blessantes. « Jésus leur répondit ; Mon temps n’est pas encore venu, mais votre temps est toujours prêt. Le monde ne saurait vous haïr ; pour moi, il me hait, car je rends de lui ce témoignage, que ses œuvres sont mauvaises. Montez, vous, à cette fête ; pour moi, je n’y monte point, parce que mon temps n’est pas encore accompli. Ce qu’ayant dit, ajoute l’Évangéliste, il demeura en Galilée. Puis, lorsque ses frères furent partis, il monta aussi lui-même à la fête, non pas publiquement, mais comme en secret. » Voilà ce qui renferme notre question, le reste est clair. 2. De quoi donc s’agit-il ici ? Où est l’embarras ? Où est le danger ? Ce qui est à craindre, c’est qu’on n’accuse de mensonge le Seigneur, ou pour parler plus clairement, la Vérité même. Admettre qu’il a menti, c’est accréditer le mensonge auprès de la faiblesse humaine. Or nous avons entendu cette accusation s’élever contre lui, et voici comment on la formule : Jésus adit qu’il ne monterait pas à la fête, et il y est monté. Ainsi donc examinons d’abord, autant que nous le permet le peu de temps dont nous pouvons disposer, si c’est mentir que de promettre une chose et de ne pas la faire. Exemple : je dis à mon ami : Je te verrai demain ; de plus graves obligations sont venues me retenir : je n’ai pas menti. J’étais sincère en faisant ma promesse, et lorsque sont arrivés ces obstacles majeurs qui m’ont empêché de l’accomplir, je n’avais pas non plus l’intention de mentir, c’est le pouvoir qui m’a manqué. Vous le voyez, me semble-t-il, il ne m’a point fallu d’efforts, il m’a suffi d’éveiller l’attention de votre sagesse, pour vous montrer qu’il n’y a pas mensonge à promettre sans exécuter, lorsqu’il se présente des obstacles majeurs : ces obstacles empêchent d’accomplir la promesse, ils ne prouvent pas le mensonge. 3. Mais quelqu’un s’écrie parmi mes auditeurs Peut-on dire du Christ ou qu’il était incapable d’accomplir ce qu’il voulait ou qu’il ignorait l’avenir ? – C’est bien, voilà une bonne idée, une excellente ouverture ; mais, ô mon ami, partage mon embarras. Oserons-nous accuser de mensonge Celui à qui nous n’osons refuser la toute-puissance ? Pour mon propre compte, autant du moins que permet d’apprécier et de juger ma faiblesse, j’aime mieux voir un homme se tromper que de le voir mentir en quoi que ce soit. Car si l’erreur est une faiblesse, le mensonge est une iniquité. « Seigneur, est-il écrit, vous haïssez tous ceux qui commettent l’iniquité. » Et aussitôt après : « Vous perdrez tous ceux qui profèrent le mensonge ae. » Il faut admettre ou que l’iniquité et le mensonge ont la même gravité, ou que perdre signifie plus que haïr. De fait, la peine de mort ne suit pas immédiatement la haine. Mais laissons de côté ta question de savoir s’il est quelquefois nécessaire de mentir. Je ne l’examine pas pour le moment. Elle est obscure, elle a une infinité de replis ; je ne puis les ouvrir tous ni pénétrer au vif. Attendons un autre moment, pour la traiter : peut-être même que le secours divin, sans l’intermédiaire de nos paroles, vous en montrera la vérité à découvert. Saisissez seulement et distinguez bien ce que je veux examiner aujourd’hui et ce que j’ajourne. Faut-il mentir quelquefois ? C’est ce que j’appelle la question difficile, obture, et j’ajourne cette question. Le Christ a-t-il menti ? la Vérité a-t-elle énoncé quelque fausseté ? C’est ce que nous entreprenons de traiter aujourd’hui, déterminés que nous y sommes par la lecture de l’Évangile. 4. Disons d’abord en peu de mots quelle différence il y a entre mentir et se tromper. Se tromper, c’est croire vrai ce que l’on dit, c’est le dire parce qu’on le croit vrai. Si ce que l’on dit alors était vrai, on ne se tromperait pas ; et pour ne pas mentir, il ne suffit point que ce que l’on dit soit vrai, il faut encore qu’on sache qu’il l’est. Se tromper consiste ainsi à croire vrai ce qui est faux, et à ne le dire que parce qu’on le croit vrai ; ce qui vient de la faiblesse humaine sans blesser la conscience. Mais estimer qu’une chose est fausse et la donner comme vraie, c’est mentir. Sachez bien cela, mes frères, distinguez-le avec soin, vous qui êtes nourris au sein de l’Église et instruits des divines Écritures, vous qui ne manquez ni d’éducation, ni de distinction, ni de science ; car il y a parmi vous des esprits instruits, des esprits cultivés, des hommes qui ne sont pas médiocrement versés dans l’une et l’autre littérature. Il y en a aussi qui ne se sont pas occupés des arts libéraux, mais ils ont un plus grand avantage, c’est d’avoir été élevés dans la connaissance de la parole de Dieu. S’il me faut travailler pour expliquer ma pensée, aidez-moi, aidez-moi en écoutant avec attention et en réfléchissant avec prudence. Mais vous ne m’aiderez pas si vous n’êtes aidés vous-même. C’est pourquoi prions les uns pour les autres et attendons ensemble un commun secours. C’est donc se tromper que de croire vrai ce que l’on dit, quoiqu’il soit faux : et c’est mentir due d’affirmer comme vrai ce que l’on croit faux. Peu importe d’ailleurs que ce que l’on dit alors soit faux ou soit vrai. Remarquez bien ceci : oui, que ce que l’on dit soit faux oie soit vrai, il y a mensonge quand on le présente comme vrai tout en le croyant faux, car on a alors intention de tromper. Eh ! que sert au menteur que ce qu’il dit soit vrai, puisqu’il le croit faux et le présente comme vrai ? Sans doute, ce qu’il dit est vrai, considéré en soi, est bien vrai ; mais dans son esprit c’est une fausseté, sa conscience dément ses paroles ; il donne pour vrai autre chose que ce qu’il croit vrai. Cet homme n’est pas simple, il a un cœur double, il ne dit pas ce qu’il pense, et depuis longtemps le cœur double est réprouvé de Dieu. « Leurs lèvres sont trompeuses, ils ont dit le mal dans un cœur et dans un cœur af. » Ne suffirait-il pas d’écrire : « Ils ont mal parlé dans leur cœur ? » Pourquoi ajouter : « Leurs lèvres sont trompeuses ? » En quoi consiste la tromperie ? À montrer autre chose que ce que l’on fait. « Les lèvres trompeuses » n’ont pas un cœur simple ; et le cœur n’étant pas simple, nous lisons : « dans un cœur et dans un cœur », deux fois dans un cœur : c’est le cœur double. 5. Irons-nous donc penser que Jésus-Christ Notre-Seigneur ait menti ? S’il y a moins de mal à se tromper qu’à mentir, oserons-nous accuser d’avoir menti Celui que nous n’osons accuser des être trompé ? Mais il ne se trompe ni ne ment, et c’est de lui que s’entendent et que doivent s’entendre littéralement ces paroles écrites quelque part : On ne dit rien de faux au Roi, et rien de faux ne sortira de sa bouche. Si Roi ne désigne ici qu’un roi ordinaire, il est certain que nous devons à ce roi préférer le Christ, le Roi suprême. Si au contraire il n’est question ici que du Christ, ce qui est plus véritable, car on ne lui dit rien de faux puisqu’il ne se trompe pas, et rien de faux ne sortira de sa bouche puisqu’il ne ment pas, cherchons quel sens il faut donner au passage de l’Évangile que nous étudions et gardons-nous d’invoquer une autorité céleste pour creuser l’abîme du mensonge. Ne répugne-t-il pas de chercher à établir la vérité dans le dessein d’accréditer le mensonge ? Toi qui m’expliques le texte évangélique, que prétends-tu m’apprendre ? que veux-tu m’enseigner ? Tu n’oserais sans doute répondre : Je viens t’enseigner ce qui est faux ; car si tu me faisais cette réponse, à l’instant je détournerais les oreilles, je les fermerais avec des épines et si tu voulais en forcer l’entrée je m’éloignerais tout blessé, plutôt que d’entendre ton explication mensongère de l’Évangile. Dis-moi ce que tu veux m’enseigner, et la question sera résolue, dis-le-moi, je t’en prie : me voici ; j’ai l’oreille ouverte et le cœur préparé, parle. Que vas-tu me dire ? Pas de détours ; que vas-tu m’enseigner ? Quelque doctrine que tu veuilles exposer publiquement, quelles que soient les preuves que tu invoques à son appui, dis-moi seulement, réponds à cette question disjonctive : Est-ce la vérité ou le mensonge que tu veux m’enseigner ? – Que va-t-il répondre pour m’empêcher de m’éloigner, de le quitter sans hésitation, au moment même où déjà il ouvre la bouche et cherche à me parler ? Ne promettra-t-il pas de ne dire que la vérité ? Je l’écoute donc, je suis immobile, j’attends, et j’attends avec la plus grande attention. Et cet homme qui promet de me dire la vérité, ose accuser le Christ de mensonge ? Comment me dira-t-il la vérité, s’il représente le Christ comme un menteur ? Si le Christ ment, puis-je espérer que tu ne mentes pas ? 6. Autre observation. Que dit mon adversaire ? – Que le Christ a menti. – Comment a-t-il menti ? – En disant qu’il n’irait pas à la fête tandis qu’il y est allé. – Je voudrais d’abord sonder ce passage ; peut-être y découvrirais-je que le Christ n’a point menti. Je suis même sûr que le Christ n’a point menti, et en examinant ses paroles je parviendrai à les comprendre, ou bien si je ne les comprends pas, je me promettrai d’y revenir plus tard ; mais je ne dirai jamais que le Christ a menti. Oui, si je ne les comprends pas, j’avouerai mon ignorance : jointe à la piété, elle est préférable à une présomption insensée. Essayons néanmoins d’approfondir ce passage ; il est possible qu’aidés de Celui qui est la Vérité même, nous y découvrions quelque lumière qui nous édifie. Ce que nous découvrirons ne saurait être un mensonge émané de la Vérité ; et si nous voyions là un mensonge, nous pourrions être sûrs de ne rien voir. Quand donc prétends-tu que le Christ a menti ? – Quand il a dit qu’il n’irait pas à la fête et qu’il y est allé. – Où as-tu appris qu’il a dit cela ? Et si je te disais à mon tour, ou plutôt si un autre que moi te disait, car à Dieu ne plaise que je tienne ce langage ! que le Christ n’a point parlé ainsi ? Comment le réfuterais-tu ? Comment lui démontrerais-tu son erreur ? Tu ouvrirais le livre saint, tu chercherais la page, tu la montrerais à, cet homme ; ou plutôt, pour vaincre ses résistances, tu lui donnerais fièrement et brusquement le livre sacré, en lui disant : Tiens, regarde, lis, voilà l’Évangile. Pour moi, je t’en prie, n’y mets pas tant d’animosité, pas tant d’indignation ; parle avec calme, dis d’un ton posé : Voici l’Évangile, examinons. Or l’Évangile, dis-tu à ton adversaire, attribue au Christ ce que tu nies. – Et parce que l’Évangile le dit, tu le croiras ? – Sans doute. – Je m’étonne étrangement que tu croies le Christ, et non pas l’Évangile, coupable de mensonge. – Mais par Évangile n’entends ici ni le livre ni le parchemin, ni l’encre ; recours à l’étymologie grecque : Évangile signifie bon messager ou bonne nouvelle. — Ainsi ce bon messager ne ment pas, c’est Celui qui l’envoie ? Réponds : ce messager, cet Évangéliste, et pour dire son nom, cet écrivain sacré nommé Jean, a-t-il menti ou a-t-il dit vrai en parlant ici du Christ ? Admets ce qu’il te plaît, je suis également prêt à t’entendre. Si Jean a menti, tu ne saurais plus prouver que le Christ a tenu le langage qu’il lui prête. Et s’il a dit vrai, comment la vérité a-t-elle pu jaillir d’une source menteuse ? Quelle est cette source ? Le Christ même, dont Jean n’est que comme le faible ruisseau. Ce ruisseau coule vers moi et tu me dis : Bois en – toute sûreté ; et tout en me faisant craindre la source, tout en prétendant m’y montrer le mensonge, tu répètes : Bois en toute sûreté ? Et qu’y boirai-je ? Qu’a dit Jean ? Que le Christ a menti. Et qui envoie Jean ? Le Christ. Quoi ! le messager dit vrai et Celui qui l’envoie est menteur ? J’ai lu expressément dans l’Évangile : « Jean reposait à table sur la poitrine du Seigneur ag ; » il y buvait sans doute la vérité ; et quelle vérité y a-t-il bue ? Qu’y a-t-il bu, sinon ce qu’il nous a fait entendre : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ; il était en Dieu dès le commencement. Tout a été fait par lui, et sans lui rien n’a été fait. Ce qui a été fait, était en lui la vie, et la vie était la lumière des hommes, et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise : » elle luit, et si à mes yeux il y a encore de l’obscurité, si je ne puis comprendre parfaitement, elle n’en luit pas moins. « Il y eut un homme envoyé de Dieu, dont le nom était Jean. Il vint en témoignage, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui. Il n’était pas la lumière. » Qui n’était pas la lumière ? Jean. Quel Jean ? Jean-Baptiste ; car c’est bien de lui que Jean l’Évangéliste dit qu’« il n’était pas la lumière », tandis que le Seigneur a dit au contraire qu’il était un flambeau ardent et luisant ah. » Mais un flambeau peut s’allumer et s’éteindre. N’y a-t-il donc pas ici une distinction ? Où la prendre ? Dans ces mots : Celui à qui le flambeau rendait témoignage « était la lumière véritable. » Et tu cherches le mensonge dans ce que Jean appelle « la lumière véritable ? » Écoute encore le même Évangéliste nous redisant ce qu’il a vu. « Nous avons vu sa gloire », s’écrie-t-il. Qu’a-t-il vu ? Quelle gloire a-t-il vue ? « Comme la gloire que le Fils unique reçoit de son Père, plein de grâce et de vérité ai. » Vois maintenant, vois si nous ne devons pas étouffer des discussions soulevées par la faiblesse ou par la témérité, nous garder d’attribuer aucun mensonge à-la Vérité, et nous empresser de rendre au Seigneur ce qui lui est dû ? Ah ! pour boire avec sûreté, rendons gloire à Celui qui est la source du vrai. « C’est Dieu qui dit vrai, et tout homme est menteur aj. » Qu’est-ce à dire que le cœur de Dieu est plein, tandis que celui de l’homme est vide : afin donc de se remplir le cœur, que l’homme s’approche de Dieu. « Approchez-vous de lui, et soyez éclairés ak. » Ah ! si le cœur de l’homme est vide parce que la vérité n’est pas en lui ; n’est-il pas juste qu’il cherche à le remplir, qu’il coure vers la fontaine avec autant d’empressement que d’avidité ? Il a soif et il veut boire. Mais toi, que lui dis-tu ? De se défier de cette fontaine, parce que d’elle jaillit le mensonge. N’est-ce pas prétendre qu’elle est empoisonnée ? 7. C’est assez, reprends-tu, je suis réprimé, je suis châtié. Montre-moi enfin comment il n’y a pas mensonge à dire qu’on ne va pas à la fête, tandis qu’on y va ? – Je le ferai, si j’en suis capable : reconnais cependant que si je ne t’ai pas fait voir encore la vérité, je ne t’ai pas rendu un léger service en te préservant de tout jugement téméraire. Parlons ; mais si tu te rappelles les paroles que j’ai citées, je ne ferai qu’exprimer ce que tu comprends sans doute. La réponse à la question est dans le texte même. Effectivement, la fête durait plusieurs jours, et le Sauveur voulait faire entendre qu’il n’irait pas à la fête le jour même où ses parents comptaient qu’il irait, mais le jour où lui-même se disposait à y aller. Aussi considère ce qui suit : « Après avoir ainsi parlé, dit l’Évangéliste, il demeura en Galilée. » Ce jour-là donc il n’alla pas à la fête. Ses frères auraient voulu qu’il y allât le premier ; aussi lui disaient-ils : « Allez d’ici en Judée. » Non pas : Allons d’ici, comme s’ils avaient dû l’accompagner ; ni : Suivez-nous en Judée, comme s’ils avaient voulu marcher en avant ; ils désiraient seulement que Jésus les précédât. Lui au contraire voulait qu’ils y fussent avant lui, et en ne cédant pas à leurs désirs, il avait dessein de cacher sa divinité et de révéler la faiblesse de sa nature humaine, comme il fit en fuyant en Égypte al. Ce n’était point de sa part une preuve d’impuissance, c’était une règle de prudence tracée par la Vérité même. Jésus en effet apprenait par son exemple à ses serviteurs à ne pas dire, quand il est bon de prendre la fuite : Je ne, m’échapperai pas, ce serait honteux. Il devait dire aux siens : « Lorsqu’on vous persécutera dans une ville, fuyez vers une autre ; am » et lui-même donna cet exemple. Il fut pris quand il le voulut, et quand il voulut il naquit. Mais afin de n’être pas prévenu par ses frères, pour leur ôter la pensée d’annoncer son arrivée et empêcher qu’on lui dressât des pièges, « Je ne vais pas à ce jour de fête », dit-il. « Je ne vais pas : » voilà pour cacher sa marche ; « à ce jour : » voilà pour éviter le mensonge. Ainsi il exprime une chose, il en écarte une autre et il en ajourne une troisième : mais il ne dit rien de faux, aucun mensonge ne sort de sa bouche. Après cela, et « lorsque ses frères furent partis : » c’est l’Évangile qui parle, écoute, lis ce passage dont tu te faisais une arme contre moi ; considère si la solution n’est pas dans le texte même, et si j’ai pris ailleurs ma réponse. Afin donc d’empêcher ses frères d’annoncer sa venue, le Seigneur attendit qu’ils partissent les premiers. « Après qu’ils furent partis, alors il alla lui-même à la fête, non pas publiquement, mais comme en secret. » Pourquoi « comme en secret ? » Le Seigneur agit « comme en secret. » Pourquoi « comme en secret ? » Parce que ce n’était pas réellement en secret. Non, il ne cherchait pas véritablement à se cacher, puisqu’il dépendait de lui de n’être saisi que quand il le voudrait. En se cachant de cette manière, il voulait seulement, je le répète, servir de modèle à la faiblesse de ses disciples qui n’avaient pas le pouvoir de se dérober quand ils ne voudraient pas être pris, et leur apprendre à se défier des pièges de leurs ennemis. Aussi se montra-t-il ensuite en public ; il enseignait même au milieu du temple et plusieurs disaient : « Le voici, voici qu’il enseigne. Il est certain que nos princes prétendaient hautement vouloir s’emparer de lui ; le voilà qui parle en public et personne ne met sur lui la main an. » 8. Maintenant considérons-nous nous-mêmes, songeons que nous sommes son corps et que lui c’est nous. Si en effet nous ne faisions pas avec lui une même personne, pourrait-il dire : « Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait ao ? » Pourrait-il dire encore : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ap ? » C’est ainsi que lui c’est nous ; car nous sommes ses membres, nous sommes son corps, il est notre chef aq, et le Christ entier comprend le corps aussi bien que le Chef. Ne pourrait-on pas dire alors qu’il nous avait en vue et qu’en disant : « Je ne vais pas à cette fête », il faisait entendre que nous ne célébrerions pas les fêtes des Juifs ? Ainsi ni le Christ ni l’Évangéliste n’ont menti, et s’il fallait reconnaître quelque mensonge dans l’un d’entre eux, l’Évangéliste me pardonnerait de ne le croire pas plus vrai que là Vérité même, de ne préférer pas l’envoyé à Celui qui l’envoie. Mais, grâces à Dieu, ce qui était obscur est clair maintenant, je crois. Que ne pourra votre piété auprès de Dieu ? J’ai résolu, comme je l’ai pu, la question relative au Christ et à l’Évangéliste. Avec moi, mon ami, attache-toi à la vérité, embrasse la charité sans contester davantage.SERMON CXXXIV. LA VRAIE LIBERTÉ ar.
ANALYSE. – À ceux qui s’attachent à sa parole, Jésus promet la vraie liberté, l’affranchissement du joug du démon et de la tyrannie du péché. Le démon, en effet, ayant mis à mort le Sauveur, sans avoir sur lui aucun droit, a mérité de perdre les droits que le péché lui avait donnés sur nous ; et Jésus-Christ a conquis, en se soumettant à la mort, le droit de rendre libres tous ceux qui s’attachent à lui. 1. Votre charité n’ignore pas que tous nous avons un seul et même Maître et que sous son autorité nous sommes tous condisciples. Pour vous adresser la parole d’un lieu plus élevé, nous ne sommes pas vos maîtres : notre maître à tous est Celui qui habite en chacun de nous. C’est lui qui vient de nous parler dans l’Évangile ; il nous y disait ce que je vous répète ; car c’est de nous qu’il était question et il me disait comme à vous : « Si vous demeurez dans ma parole », non pas dans la mienne, de moi qui vous prêche en ce moment ; mais dans la sienne, de lui qui vient de nous enseigner dans l’Évangile. « Si vous demeurez dans ma parole, dit-il, vous êtes véritablement mes disciples. » Il ne suffit pas pour un disciple d’entendre la parole du maître, il doit s’y attacher. Aussi le Sauveur ne dit-il pas Si vous entendez ma parole, si vous cherchez à la recueillir, si vous y applaudissez ; mais, remarquez bien ; « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes véritablement mes disciples ; et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous délivrera. » Quelle observation faire ici, mes frères ? Il y a peine ou il n’y a pas peine à demeurer dans la parole de Dieu, Si c’est une peine, considère la grandeur de la récompense ; et si ce n’en est pas une, la récompense t’est accordée gratuitement. Ah ! demeurons dans Celui qui demeure en nous. Ne pas demeurer en lui, pour nous c’est tomber ; et pour lui, s’il ne demeure pas en nous, il n’en a pas moins une demeure ; car il sait demeurer en lui-même, puisqu’il n’en sort jamais. L’homme au contraire, après s’être perdu, doit se garder de demeurer en soi ; et si le besoin nous .porte à demeurer en lui, c’est la compassion qui le détermine à demeurer en nous. 2. Maintenant, qu’il nous a montré ce que nous devons faire, examinons quelle récompense nous est offerte. Car si Jésus a commandé, il a aussi promis. Qu’a-t-il commandé ? « Si vous demeurez dans ma parole », a-t-il dit. C’est peu de chose, peu de chose à dire, mais beaucoup à faire. « Si vous demeurez. » Que signifie « Si vous demeurez ? » Si vous bâtissez sur la pierre. O mes frères, qu’il est important, qu’il est important de bâtir sur la pierre ! « Les fleuves se sont débordés, les vents ont soufflé, la pluie est descendue, tout est venu fondre sur cette maison, et elle n’est pas tombée, parce qu’elle était bâtie sur la pierre as. » Qu’est-ce donc que demeurer dans la parole de Dieu, sinon ne céder devant aucune tentation ? Et quelle récompense recevra-t-on ? « Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous délivrera. » – Vous me plaignez parce que vous vous apercevez que ma voix est voilée ; aidez-moi par votre silence. « Vous connaîtrez la vérité : » quelle récompense ! On pourrait dire : Que me sert de connaître la vérité ? « Et la vérité vous délivrera. » Si tu n’aimes pas la vérité, aime la liberté. Le mot délivrer, dans notre langue, peut s’entendre de deux manières : on le prend le plus ordinairement pour exprimer que l’on sauve d’un danger, que l’on tire d’embarras. Mais dans le sens propre délivrer signifie rendre libre. Qu’est-ce que sauver, sinon assurer le salut ? Qu’est-ce que guérir, sinon rendre la santé ? Ainsi délivrer signifie rendre libre, et voilà pourquoi je disais : Si tu n’aimes pas la vérité, aime la liberté. Le mot grec exprime ce sens plus clairement encore, et on ne peut l’entendre autrement. Ce qui le prouve, c’est que les Juifs répondirent au Seigneur. « Nous n’avons été jamais esclaves de « personne ; comment dites-vous : La vérité vous « délivrera ? » la vérité vous rendra libres ? Comment nous dites-vous cela puisque nous n’avons jamais été esclaves de personne ? Vous savez que nous ne sommes assujettis à aucun esclavage ; comment donc nous promettez-vous la liberté ? 3. Ils comprenaient bien, mais ils agirent mal. Comment comprirent-ils ? – « La vérité vous délivrera », ai-je dit ; et considérant que vous n’êtes esclaves d’aucun homme, vous vous êtes écriés : « Jamais nous n’avons été esclaves. » Mais « quiconque » Juif ou Gentil, riche ou pauvre homme privé ou homme public, empereur ou mendiant, « quiconque fait le péché, est esclave du péché. » Oui, « quiconque fait le péché, est « esclave du péché », et si on reconnaît cet esclavage, on saura à qui demander la liberté. Un homme libre est saisi parles barbares, de libre qu’il était il devient esclave. Un riche compatissant l’apprend ; il considère qu’il a de la fortune et il veut le racheter. 2 va trouver les barbares, leur donne de l’argent et rachète l’esclave. Mais l’affranchir complètement, ce serait le délivrer du péché. Qui en délivre ? Est-ce un homme qui en affranchit l’homme ? Cet homme que nous venons de voir sous le joug des barbares a été racheté par son bienfaiteur, et il y a de l’un à l’autre une grande différence : il est possible pourtant que tous deux soient également esclaves de l’iniquité. Je demande à l’esclave racheté : As-tu quelque péché ? – J’en ai, répond-il. – Et toi, rédempteur, en as-tu ? – J’en ai aussi, reprend-il. – Donc ne vous vantez ni l’un ni l’autre, ni toi d’être racheté, ni toi d’avoir racheté ; mais courez tous deux au Libérateur véritable. Ce n’est pas même assez d’appeler esclaves ceux qui sont assujettis au péché ; ils sont morts ; l’iniquité a fait contre eux ce qu’ils craignent de la captivité. S’ils paraissent vivants, s’ensuit-il que le Sauveur n’a pas eu raison de dire : « Laisse les morts ensevelir leurs morts at » Ainsi tous ceux qui sont en état de péché, sont morts, ce sont des esclaves morts : ils sont morts parce qu’ils sont esclaves, et ils sont esclaves parce qu’ils sont morts. 4. Qui peut délivrer de la mort et de l’esclavage, sinon Celui qui est resté libre parmi les morts ? Et quel autre est resté libre parmi les morts, que Celui qui est resté sans péché au milieu des pécheurs ? « Voici venir le prince du monde », dit notre Rédempteur, notre Libérateur ; « voici venir le prince du monde et il ne trouvera rien en moi au. » Il tient captifs ceux qu’il a trompés, ceux qu’il a séduits, ceux qu’il a portés au péché et à la mort. « mais en moi il ne trouvera rien. » Venez, Seigneur, venez ; ô Rédempteur, venez. Soyez reconnu de l’esclave et que devant vous le tyran prenne la fuite. Ah ! soyez mon libérateur.J'étais perdu quand m’a rencontré Celui en qui le démon n’a rien trouvé des œuvres de la chair. Le prince de ce siècle a bien trouvé la chair en lui, et quelle chair ? Une chair mortelle qu’il pouvait saisir, crucifier, mettre à mort. Mais tu t’égares, ô séducteur ; dans le Rédempteur il n’y a aucune faute, tu te méprends. Tu vois dans le Seigneur une chair mortelle, mais ce n’est point une chair de péché ; ce n’en est que la ressemblance. Car « Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à la chair de péché. » C’est une chair véritable, une chair mortelle, mais non pas une chair de péché. Oui « Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à la chair de péché, afin de condamner dans la chair le péché par le péché même. » Oui « Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à la chair de péché : » c’est bien dans la chair, mais non pas dans une chair de péché ; c’est seulement « dans une chair semblable à la chair de péché. » Et pourquoi ? « Afin de condamner dans la chair le péché par le péché même », qui néanmoins n’existait pas en lui ; « afin que la justification de la loi s’accomplit en nous, qui ne marchons point selon la chair, mais selon l’esprit av. » 5. Si pourtant le Christ avait, non pas une chair de péché, mais une chair semblable à la chair de péché, comment a-t-il pu « condamner dans la chair le péché par le péché même ? » – On donne ordinairement à une image le nom de ce qu’elle représente. On connaît ce qui s’appelle homme dans le sens propre ; mais si tu demandes le nom de cette peinture que tu montres sur la muraille, on te répondra aussi que c’est un homme. C’est ainsi que l’Apôtre appelle péché, la chair qui ressemble à la chair de péché et qui doit être sacrifiée pour effacer le péché. Le même Apôtre dit ailleurs : Dieu « a rendu péché pour l’amour de nous Celui qui ne connaissait pas le péché aw. » – « Celui qui ne connaissait point le péché. » Quel est celui-là, sinon Celui quia dit : « Voici venir le prince de ce monde, et il ne trouvera rien en moi ? » – « Il a rendu péché pour l’amour de nous Celui quine connaissait pas, le péché. » Oui, c’est le Christ même, le Christ étranger au péché, que « Dieu a rendu péché pour l’amour de nous. » Que signifie cela, mes frères ? S’il était dit : Dieu a péché contre lui ou l’a fait tomber dans le péché, la chose semblerait intolérable ; comment donc souffrons-nous ces mots Dieu « l’a rendu péché ? » Le Christ est-il le péché même ? Ceux qui connaissent les livres de l’ancien Testament comprennent ce langage. Il n’est par rare en effet, il arrive même fort souvent que les péchés y signifient les sacrifices offerts pour effacer les péchés. Offrait-on, par exemple, un bouc, un bélier, tout autre chose pour le péché ? La victime, quelle qu’elle fût alors, était désignée sous le nom de péché : et le péché était pris dans le sens de sacrifice pour le péché. Aussi la loi dit-elle quelque part que les prêtres doivent mettre la main sur le péché ax. Conséquemment ces mots de l’Apôtre : Dieu « a rendu péché pour l’amour de nous Celui qui ne connaissait pas le péché », veulent dire que le Sauveur s’est fait victime pour nos péchés. Le péché s’est offert, et le péché a été effacé ; le sang du Rédempteur a coulé, et il n’a plus été question des obligations du débiteur. Ce sang n’est-il pas celui qui a été répandu pour la rémission des péchés ? 6. Pourquoi donc, ô mon tyran, cette joie insensée à la vue de la chair mortelle dont était revêtu mon Libérateur ? Vois s’il était coupable, et si tu trouves en lui quelque chose qui t’appartienne, arrête-le. Le Verbe s’est fait chair ay. Qui dit Verbe, dit Créateur : et qui dit chair, dit créature. Qu’y a-t-il là qui t’appartienne, cruel ennemi ? Le Verbe est Dieu ; quant à son âme humaine, quant à sa chair et même à sa chair mortelle, ce sont des créatures de Dieu. Cherches-y le péché. Mais pourquoi le chercher ? La Vérité même a dit : « Voici venir le prince de ce monde, et il ne trouvera rien en moi. » Ce n’est pas la chair qu’il ne trouve pas, c’est son bien, c’est le péché. Tu as séduit des innocents et tu en as fait des coupables ; mais aussi tu as mis à mort l’Innocent, tu l’as mis à mort sans avoir aucun droit sur lui ; rends alors ce dont tu étais le possesseur. Ah ! fallait-il ces transports d’un moment pour avoir découvert dans le Christ une chair mortelle ? Pour toi c’était un piège, et, ce qui faisait ta joie, a fait ta perte. Tu tressaillais en le trouvant, et tu gémis maintenant d’y avoir tout perdu. Pour nous, mes frères, pour nous qui croyons au Christ, demeurons dans sa parole. En y demeurant, nous serons véritablement ses disciples ; car il n’a pas pour disciples que ses douze Apôtres, il a encore tous ceux qui demeurent dans sa parole. Ainsi nous connaîtrons la vérité, et la Vérité, c’est-à-dire le Christ, le Fils de Dieu qui a dit : « Je suis la Vérité az », la Vérité nous délivrera : elle nous rendra libres, elle nous affranchira, non pas du joug des barbares, mais de la tyrannie du démon, non pas de la captivité qui pèse sur le corps, mais de l’iniquité qui enchaîne l’âme. Seul d’ailleurs il peut nous procurer cette liberté. Que nul donc ne se croie libre, s’il ne veut rester esclave. Mais notre âme ne restera point dans l’esclavage, puisque chaque jour lui remet ses dettes.SERMON CXXXV. À PROPOS DE L’AVEUGLE-NÉ ba.
ANALYSE. – Ce discours est la solution de deux difficultés qu’on élève devant saint Augustin à propos de l’histoire de l’aveugle-né. 1° Jésus-Christ disant alors qu’il était obligé de « faire les œuvres de son Père », n’est-ce pas une preuve qu’il est inférieur à son Père ? Non, car d’autres textes prouvent clairement que les œuvres et la nature du Père son aussi les œuvres et la nature du Fils 2° Est-il vrai, comme le dit l’aveugle-né, et dans un sens absolu, que Dieu n’exauce point les pécheurs ? Non ; autrement personne ne devrait prier, car tous les hommes, et les plus saints eux-mêmes, ont des fautes à se reprocher et en demandent pardon en priant. 1. La lecture du saint Évangile vient de nous rappeler que le Seigneur Jésus a ouvert les yeux à un aveugle de naissance. Si nous considérons, mes frères, le châtiment dont nous avons hérité, le monde entier est cet aveugle, et si le Christ est venu lui rendre la vue, c’est que le démon l’avait aveuglé ; en trompant le premier homme, il a fait de nous tous des aveugles-nés. Courons donc à Celui qui nous rendra la vue, courons, croyons, recevons sur nos yeux la boue faite avec sa salive. La salive n’est-elle pas comme le Verbe même, et la terre, comme sa chair ? Lavons-nous la face dans la fontaine de Siloé. Que signifie Siloé ? L’Évangéliste a dû nous le dire : Siloé, selon lui, « signifie envoyé. » Et quel est l’envoyé, sinon Celui qui a dit dans notre Évangile : « Je suis venu faire les œuvres de Celui qui m’a envoyé ? » Voilà le véritable Siloé lavez-vous y la face, recevez son baptême, recouvrez la lumière, et voyez, vous qui ne voyiez pas jusqu’alors. 2. Et d’abord ouvrez les yeux à ces paroles « Je suis venu faire les œuvres de Celui qui m’a envoyé. » Voici un Arien qui se lève : vous voyez bien, dit-il, que le Christ ne fait pas ses propres œuvres, mais les œuvres du Père qui l’a envoyé. – Mais l’Arien ne parlerait pas ainsi, s’il voyait clair, s’il se lavait la face dans Siloé, dans Celui qui a été envoyé. Que dis-tu donc, Arien ? – biais c’est lui-même qui l’affirme, répond-il. – Qu’affirme-t-il ? – « Je suis venu faire les « œuvres de Celui qui m’a envoyé. » – Donc ce ne sont pas les siennes ? – Sans doute. — Pourquoi alors, pourquoi ce Siloé, cet envoyé, ce Fils de Dieu, ce Fils unique que tu regardes avec douleur comme un Fils dégénéré, pourquoi dit-il : « Tout ce qui est à mon Père, est à moi bb ? » Tu prétends qu’il ne faisait pas ses propres œuvres parce qu’il s’est présenté comme faisant « les œuvres de son Père. » Je pourrais répliquer, en m’appuyant sur tes principes, que le Père possédait le bien d’autrui. Comment prouverais-tu en effet que ces mots : « Je suis venu « faire les œuvres de Celui qui m’a envoyé », indiquent que ces œuvres n’étaient pas en même temps celles du Christ ? 3. J’en appelle à vous, Seigneur Jésus, décidez cette question, finissez-en avec cette dispute. Le Sauveur répond : « Tout ce qui est à mon Père, est à moi. » Si c’est à vous, s’ensuit-il donc que ce n’est pas à votre Père ? – Jésus ne dit pas Mon Père m’a donné tout ce qu’il possède, et toutefois ce langage n’aurait t’ait que prouver son égalité avec lui. Il dit : « Tout ce qui est à mon Père, est à moi. » Comment l’expliquer ? Dans ce sens, que tout ce qui est au Père ; est au Fils, comme tout ce qui est au Fils, est au Père. Voici en effet comme il s’exprime dans un autre passage : « Tout ce qui est à moi, est à vous ; et tout ce qui est à vous, est à moi bc. » Ainsi relativement à ce que possèdent le Père et le Fils, la question est tranchée ; ils possèdent paisiblement en commun ; pourquoi susciter des débats ? Quant aux œuvres du Père, le Fils dit aussi qu’elles sont ses œuvres. Elles sont les siennes, puisqu’elles sont celles du Père à qui il disait « Tout ce qui est à moi est à vous ; et tout ce qui « est à vous est à moi. » Ne s’ensuit-il pas en effet que mes œuvres sont les vôtres et que les vôtres sont les miennes ? D’ailleurs, a-t-il dit encore, lui, le Seigneur même, le Fils et le Fils unique de Dieu, la Vérité suprême : qu’a-t-il donc dit ? « Tout ce que fait le Père, le Fils le fait aussi comme lui bd. » Quel trait de lumière ! quelle vérité ! quelle égalité ! Ne suffirait-il pas de dire « Tout ce que fait le Père, le Fils le fait aussi ? » – Non, j’ajoute : « Comme lui. » Pourquoi ajouter : « Comme lui ? » Parce qu’il est des esprits peu intelligents et marchant sans avoir les yeux ouverts, qui aiment à répéter que le Père agit en commandant et le Fils en obéissant, d’où il suit qu’ils n’agissent pas l’un comme l’autre. Mais ces mots : « comme lui », indiquent qu’ils agissent l’un comme l’autre, et que l’un fait ce qui est fait par l’autre. 4. Cependant, réplique-t-on, le Père commande au Fils d’agir. Quelle idée charnelle ! Eh bien ! sans préjudicier aux droits de la vérité, j’accepte. Le Père donc commande et le Fils obéit : s’ensuit-il que le Fils qui obéit n’est pas de même nature que le Père qui commande ? Supposons deux hommes, un père et son fils. L’un commande, c’est un homme ; l’autre obéit, c’est un homme encore ; ils ont tous deux une seule et même nature. Celui qui commande n’a-t-il point communiqué par la génération la nature à son fils ? Et celui qui obéit a-t-il en obéissant perdu cette nature ? Provisoirement donc considère comme deux hommes le Père qui commande et le Fils qui obéit, sans oublier toutefois que l’un et l’autre est Dieu. Mais il y a cette différence que les deux hommes sont deux hommes réellement, tandis que le Père et le Fils ne forment ensemble qu’un seul. Dieu ; ce qui est une propriété merveilleuse et toute divine. Veux-tu donc que j’attribue avec toi l’obéissance au Fils ? Admets d’abord avec moi qu’il est de même nature que son Père. Le Père a engendré un autre lui-même ; son Fils autrement ne serait pas son vrai Fils. Le Père lui dit : « Je vous ai engendré de mon sein avant l’aurore be. » Que signifie « avant l’aurore ? – Avant l’aurore » signifie avant le temps, et par conséquent avant tout ce qui est précédé par quoi que ce soit, avant tout ce qui n’est pas encore, et avant tout ce qui est déjà. Aussi l’Évangile ne dit-il pas : Au commencement Dieu a fait le Verbe, comme il est dit ailleurs : « Au commencement Dieu a fait le ciel et la terre bf. » Il ne dit pas non plus : Au commencement est né le Verbe ; ni : Au commencement Dieu l’a engendré. Que dit-il alors ? « Il était, il était, il était. » À ce mot, il était, crois. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu bg. » A chaque répétition de ce mot, il était, éloigne toute idée de temps, car c’est toujours qu’il était. Ainsi donc, comme Dieu a toujours été et toujours été avec son Fils, comme aussi il peut engendrer en dehors du temps, c’est lui qui a dit à son Fils : « Je vous ai engendré de mon sein avant l’aurore. » Que signifie, de mon sein? Dieu aurait-il un sein ? Lui donnerons-nous une forme et des membres corporels ? Nullement. Si donc il a dit : De mon sein, n’est-ce pas pour nous faire entendre qu’il a engendré de sa propre substance ? Son sein a ainsi produit un autre lui-même ; attendu que si le Fils était d’une autre nature que son Père, il ne serait pas un Fils, mais un monstre véritable. 5. Dans ce sens donc le Fils peut accomplir les œuvres de Celui qui l’a envoyé, et le Père, les œuvres du Fils. Oui, le Père veut et le Fils exécute. Ne puis-je montrer aussi que le Fils veut et que le Père accomplit ? – Comment, dis-tu, le montrerai-je ? – Le voici. « Mon Père, je veux. » Ne pourrais-je à mon tour accuser le Fils de vouloir et le Père d’exécuter ? Que voulez-vous Seigneur ? « Que là où je suis, eux soient aussi avec moi bh. » Nous voilà tirés du danger, nous serons alors où il est ; oui, nous y serons. Qui peut annuler ce vouloir du Tout-Puissant ? Après avoir constaté la volonté de sa puissance, constate maintenant la puissance de sa volonté.« Comme le Père, dit-il ; réveille les morts et les rend à la vie ; ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut bi. » – « Ceux qu’il veut. » Ne dis donc pas que le Fils vivifie ceux que le Père lui commande de vivifier. « Il vivifie ceux qu’il veut. » Ceux par conséquent que le Père veut comme lui ; car la puissance étant la même, la volonté est la même aussi. Ainsi donc n’ayons pas le cœur aveugle et reconnaissons au Père et au Fils une seule et même nature, car le Père est véritablement Père, et le Fils véritablement Fils. Le Père a engendré un autre lui-même, car le Fils n’est pas un Fils dégénéré. 6. Il y a, dans les paroles de l’aveugle-né, je ne sais quoi qui peut inquiéter, peut-être même porter au désespoir quand on ne les comprend pas bien. Après avoir recouvré la vue, il dit entre autres choses : « Nous savons que Dieu n’exauce pas les pécheurs. » Eh ! que deviendrons-nous, si Dieu n’exauce pas les pécheurs ? Si Dieu n’exauce pas les pécheurs, oserons-nous le prier ? – Eh bien ! montrez-moi quelqu’un qui prie, et je vous montre qui l’exauce. Montrez-moi quelqu’un qui prie, examinez le genre humain ; allez des imparfaits aux parfaits, du printemps à l’été, car nous venons de chanter. « C’est vous qui avez fait l’été et le printemps bj ; » c’est-à-dire : C’est vous qui avez fait les hommes qui sont déjà spirituels et ceux qui sont encore charnels ; car le Fils de Dieu dit lui-même : « Vos yeux voient ce qu’il y a en moi d’imparfait ; » ils voient ce qu’il y a d’imparfait dans mon corps. Poursuivons. Ceux qui sont imparfaits ont-ils à espérer quelque chose ? Sûrement, car nous lisons ensuite : « Et tous seront inscrits dans votre livre bk. » Peut-être croyez-vous, mes frères, que les spirituels prient et sont exaucés, parce qu’ils ne sont pas pécheurs. Que deviendront alors les hommes encore charnels ? Que deviendront-ils ? Ils seront donc perdus ? Ils ne prieront plus le Seigneur ? Loin de nous cette pensée ! Voyons le publicain de l’Évangile. Viens, publicain, arrête-toi au milieu de nous, pour empêcher les faibles de perdre tout espoir, montre-nous quelle espérance te soutenait. Ce publicain est monté au temple pour y prier avec le pharisien ; il se prosterne la face contre terre, il reste éloigné du sanctuaire et se frappe la poitrine en disant : « Soyez-moi propice, Seigneur, car je suis pécheur ; » puis il retourne justifié, plutôt que le pharisien bl. En s’écriant : « Soyez-moi propice, car je suis pécheur », disait-il vrai ou faux Puisqu’il disait vrai, il était pécheur ; il fut néanmoins moins exaucé et justifié. Comment donc as-tu pu dire, toi dont les yeux ont été ouverts par le Seigneur : « Nous savons que Dieu n’exauce pas les pécheurs ? » Nous voyons ici qu’il les exauce. Lave donc ton âme, fais pour ton cœur ce que tu as fait pour tes yeux et tu reconnaîtras que Dieu exauce les pécheurs. Tu es dupe d’une imagination vaine ; tu n’es pas encore guéri complètement. Cet aveugle fut excommunié par, la Synagogue ; Jésus l’apprit, vint à lui et lui dit : « Crois-tu au Fils de Dieu ? » – « Qu’est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? » Il voyait donc et ne voyait pas ; il voyait des yeux, mais non du cœur. « Mais tu le vois », répliqua le Seigneur, tu le vois des yeux du corps ; « c’est lui-même qui te parle. – Et se prosternant alors il l’adora. » C’était se purifier l’œil du cœur. 7. Pécheurs, appliquez-vous donc à prier ; confessez vos péchés, priez pour les effacer, priez pour en diminuer le nombre, priez pour obtenir qu’ils disparaissent à mesure que vous progressez : mais gardez-vous de désespérer et priez, tout pécheur que vous êtes. Quel est, hélas ! celui qui n’a point péché ? Commençons par les prêtres. Il est dit aux prêtres : « Offrez d’abord des sacrifices pour vos péchés, et ensuite pour le peuple bm. » Ces sacrifices témoignaient contre les prêtres, et si l’un d’entre eux s’était prétendu juste et exempt de péché, on lui aurait répondu-: Je ne considère point ce que tu dis, mais ce que tu offres ; la victime qui est entre tes mains sert à te confondre. Pourquoi offrir en vue de tes péchés, si tu es sans péché ? Prétends-tu tromper Dieu, même en sacrifiant ? On objectera peut-être que si les prêtres de l’ancien peuple étaient pécheurs, les prêtres du peuple nouveau ne le sont pas. Croyez-moi, mes frères : puisque Dieu l’a voulu, je suis son prêtre, et pourtant je suis pécheur, je frappe avec vous rua poitrine, avec vous je demande pardon, j’espère avec vous que Dieu me fera miséricorde. Mais les saints Apôtres, les premiers chefs du troupeau chrétien, ces premiers pasteurs, membres du Pasteur suprême, n’étaient-ils pas sans péchés ? Non, ils n’étaient pas sans péché, ils avaient réellement des péchés, et si nous le publions ils ne s’irritent point, attendu qu’ils l’avouent eux-mêmes. De moi-même je n’oserais l’avancer ; mais prête d’abord l’oreille à la voix du Seigneur ; il leur disait : « C’est ainsi que vous prierez. » Cette prière prouvera contre eux, comme les sacrifices déposaient contre les prêtres de l’ancienne loi. « C’est ainsi que vous prierez ; » et entre autres demandes prescrites le Seigneur a inséré la suivante : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à qui nous a offensés bn. » Que disent donc les Apôtres ? Ils demandent, chaque jour le pardon de leurs fautes. Coupables, ils se présentent à la prière, ils en sortent absous et y reviennent de nouveau coupables. On n’est pas dans cette vie exempt de péché, puisqu’on en demande pardon toutes les fois qu’on prie. 8. Que dire encore ? Dirai-je qu’ils étaient encore malades quand cette prière leur fut enseignée ? Dirai-je, comme on pourra le faire, qu’au moment où le Seigneur Jésus leur apprit cette prière, ils étaient petits encore, faibles et encore charnels, et non pas du nombre de ces spirituels qui ne commettent point de péché ? Mais ont-ils, mes frères, cessé de prier quand ils sont devenus spirituels ? Le Christ donc aurait dû leur dire qu’ils devaient pour le moment prier de cette manière, puis leur indiquer une autre formule de prière pour l’époque où ils seraient devenus spirituels. Mais non, il n’y a dans l’Église que cette formule donnée parle Sauveur, suivez-la en priant. Portons contre l’objection le dernier coup. Tout en soutenant que ces saints Apôtres étaient spirituels, tu avoueras que jusqu’au moment de la passion du Seigneur ils étaient charnels encore. N’est-il pas vrai qu’ils tremblèrent quand ils le virent suspendu à la croix et qu’ils désespérèrent au moment même où le larron crut en lui ? Pierre osa le suivre quand on le conduisait au supplice, il osa le suivre, arriva jusqu’à la demeure du pontife, entra tout fatigué dans la cour, se tint près du feu où son zèle se, refroidit ; c’était la crainte qui le glaçait près du feu. Questionné par une servante, une première fois il renia le Christ ; interrogé une seconde fois, il le renia encore ; il le renia une troisième fois quand une troisième fois il fut questionné bo. Que Dieu soit béni de ce qu’on cessa de l’interroger ! Combien de temps encore n’eût-il pas continué à renier ? Et ce ne fut qu’après sa résurrection que le Seigneur confirma ses Apôtres et en fit des hommes spirituels. Mais alors n’étaient-ils pas sans péché ? Ces hommes spirituels écrivaient et adressaient aux Églises des lettres toutes spirituelles ; ils étaient sans péché, prétends-tu. Je ne te crois pas sur parole, je les interroge eux-mêmes. Dites-nous donc, saints Apôtres, si vous n’avez plus commis de fautes depuis qu’après sa résurrection le Seigneur vous eut confirmés en vous envoyant du haut du ciel l’Esprit-Saint ? Dites-nous cela, je vous en conjure. Écoutons, mes frères, et les pécheurs ne désespéreront pas, et ils ne cesseront pas de prier pour n’être pas sans péché. Parlez donc. Voici l’un d’entre eux. Lequel ? Celui que le Seigneur aimait spécialement, celui qui reposait sur sa poitrine, et qui y puisait, pour nous les communiquer, les secrets du royaume des cieux. C’est celui-là que j’interroge. Êtes-vous, ou n’êtes-vous pas sans péché ? Voici sa réponse : « Si nous prétendons être sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes et la vérité n’est point en nous. bp » Remarquez : c’est le même Évangéliste Jean qui a dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu bq. » Quels espaces il avait franchis pour arriver jusqu’au Verbe ! Eh bien ! c’est ce grand homme, ce grand homme qui s’était élevé comme l’aigle au-dessus des nues et qui d’un regard serein contemplait le Verbe qui « était au commencement ; » c’est lui qui a dit : « Si nous prétendons être sans péché, nous nous faisons illusion et la vérité n’est point en nous. Mais si nous confessons nos fautes, Dieu est fidèle et juste pour nous les remettre et pour nous purifier de toute iniquité br. » Ainsi donc priez.SERMON CXXXVI. AVEUGLEMENT DES JUIFS bs.
ANALYSE. – En guérissant l’aveugle-né et surtout en ouvrant son âme à la lumière de la vérité, le Sauveur faisait entendre qu’il était venu dissiper l’aveuglement des Juifs. Les Juifs prenaient la loi trop à la lettre et ils n’en connaissaient pas l’impuissance. Il a fallu que Jésus-Christ vînt en enseigner l’esprit et donner la vie aux hommes en se faisant homme comme eux. Heureux qui profite de son enseignement et de ses grâces ! 1. Nous avons entendu, comme à l’ordinaire, cette lecture du saint Évangile ; mais il est bon de ranimer nos souvenirs et de les préserver de l’assoupissement qu’engendre l’oubli. D’ailleurs, ce passage que nous connaissons depuis si longtemps nous a fait autant de plaisir, que s’il eût été nouveau pour nous. Pourquoi vous étonner que le Christ ait fait voir la lumière à l’aveugle-né ? Le Christ est notre Sauveur ; il a accordé à cet homme, comme un bienfait, ce qu’il ne lui avait pas donné en le créant. Se méprenait-il alors en ne lui donnant pas des yeux ? Non, il voulait plus tard lui en donner miraculeusement. – Comment le sais-tu, demanderez-vous ? – Je l’ai appris de lui-même ; il vient de le dire encore et nous l’avons tous entendu. Ses disciples, en effet, lui ayant demandé : « Seigneur, qui a péché, celui-ci ou ses, parents, pour qu’il soit né aveugle ? » il répondit, comme vous venez de l’entendre avec moi : « Ni celui-ci n’a péché, ni ses parents ; mais c’est pour la manifestation en lui des œuvres de Dieu. » Voilà pour quel motif il avait différé de lui donner des yeux. Il ne lui en avait pas donné, parce qu’il devait lui en donner plus tard, parce qu’il savait qu’il lui en donnerait au moment opportun. Ne pensez pas, mes frères, que ses parents aient été sans péché ou qu’il n’ait pas lui-même contracté en naissant le péché originel, pour la rémission duquel on confère aux enfants le baptême destiné à effacer les péchés. Mais sa cécité ne fut l’effet ni du péché de ses parents, ni de son péché propre ; elle devait servir à manifester en lui les œuvres de Dieu. Aussi bien, quoi que nous ayons tous en naissant contracté la souillure originelle, nous rie sommes pas nés aveugles. Et toutefois en y regardant de près, nous sommes des aveugles de naissance. Qui de nous en naissant n’était aveugle, mais aveugle de cœur ? Créateur de l’âme et du corps, le Seigneur Jésus a guéri l’un et l’autre. 2. La foi vous a montré cet homme aveugle d’abord, puis voyant la lumière : vous l’avez vu aussi dans l’erreur. Son erreur consiste premièrement à regarder le Christ comme un prophète, à ignorer qu’il est le Fils de Dieu. Il a fait aussi une réponse certainement fausse lorsqu’il a dit : « Nous savons que Dieu n’exauce pas les pécheurs. » Si Dieu n’exauce pas les pécheurs, quel espoir nous reste-t-il ? Si Dieu n’exauce pas les pécheurs, pourquoi le prions-nous, pourquoi confessons-nous nos péchés en nous frappant la poitrine ? Que faire de ce Publicain qui monta au temple avec le Pharisien et qui se tenant éloigné et les yeux fixés à terre se frappait la poitrine et confessait ses péchés, pendant que le Pharisien vantait et étalait ses mérites ? Le Publicain pourtant, après avoir confessé ses fautes, sortit du temple justifié, plutôt que le Pharisien bt. N’est-ce pas une preuve que Dieu exauce les pécheurs ? Mais l’aveugle en parlant ainsi ne s’était point encore lavé l’œil du cœur à Siloé. Déjà il s’était mis sur les yeux la boue mystérieuse ; mais la grâce n’avait point produit encore son effet dans le cœur. Quand se lava-t-il l’œil du cœur ? Quand après avoir été chassé par les Juifs il fut appelé par le Seigneur. Le Seigneur en effet le rencontra et lui dit : « Crois-tu au Fils de Dieu ? — Quel est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? » Il le voyait des yeux du corps ; le voyait-il des yeux du cœur ? Non ; mais attendez, il le verra bientôt. Jésus lui répondit effectivement : « C’est moi, moi qui te « parle. » Cet homme douta-t-il ? — À l’instant même il se lavait l’âme, puisqu’il communiquait avec Siloé, c’est-à-dire avec l’Envoyé. Et quel est l’Envoyé, sinon le Christ ? Lui-même l’a répété plusieurs fois. « Je fais, disait-il, la volonté de mon Père qui m’a envoyé bu. » C’est ainsi qu’il est Siloé, et en s’approchant de lui, en l’écoutant, en le croyant, en l’adorant, cet aveugle se purifia le cœur et recouvra la vue. 3. Quant à ceux qui l’avaient expulsé, ils restèrent aveugles. On le vit, quand ils reprochèrent au Seigneur d’avoir violé le sabbat en faisant de la boue avec sa salive et en en mettant sur les yeux de l’aveugle. Sans doute l’accusation était manifestement fausse, puisqu’ils reprochaient au Sauveur des guérisons opérées par sa seule parole. Était-ce travailler le jour du sabbat que de dire simplement pour faire ? C’était une évidente calomnie, c’était accuser un simple commandement, accuser une simple parole : eux-mêmes s’abstenaient-ils donc de parler le jour du sabbat ? Je pourrais affirmer qu’ils ne parlent ni le jour du sabbat, ni aucun autre jour, puisqu’ils ont cessé de louer le vrai Dieu. Il est vrai cependant qu’ils calomniaient ouvertement le Sauveur, ainsi que je l’ai déjà observé. Le Seigneur disait à un homme : « Étends la main », cet homme guérissait et on criait à la violation du sabbat bv ! Mais qu’a fait Jésus ? À quel travail s’est-il livré ? Quel fardeau a-t-il porté ? Maintenant qu’il crache à terre, qu’il forme de la boue et qu’il en met sur les yeux d’un aveugle, il travaille à la vérité ; nul ne doit le révoquer en doute, il travaille, il abolit le sabbat, et toutefois il ne se rend point coupable. Pourquoi ai-je dit qu’il abolissait le sabbat : Parce qu’il était la lumière qui venait écarter les ombres. Le sabbat en effet avait été établi parle Seigneur notre Dieu et par le Christ même, uni au Père pour la promulgation de cette loi ; mais il avait été établi comme l’ombre de ce qui devait arriver. « Que personne donc ne vous juge sur le manger ou sur le boire ; ou à cause des jours de fête, ou des néoménies, ou des sabbats, ce qui n’est que l’ombre des choses futures bw. » On voyait arrivé Celui qu’annonçaient ces institutions. Pourquoi se plaire encore dans l’ombre ? Juifs, ouvrez les yeux, voilà le soleil. « Nous savons, dites-vous. » Que savez-vous, ô cœurs aveugles ? Que savez-vous ? – « Que cet homme n’est point de Dieu, puisqu’il viole ainsi le sabbat. » – Le sabbat, malheureux, le sabbat ! Mais il a été publié par ce même Christ que vous prétendez n’être point de Dieu. Et observant le sabbat d’une manière charnelle, vous n’êtes point sanctifiés par la salive du Christ. Voyez dans le sabbat l’empreinte du Messie et vous comprendrez que le sabbat est une prophétie qui l’annonce. Mais vous n’avez pas sur les yeux la boue faite avec la salive du Christ, c’est pourquoi vous n’êtes pas allés à Siloé, pour vous y laver et vous êtes restés aveugles ; ne voyant pas le bonheur de cet aveugle qui a recouvré la vue du corps et de l’esprit. C’est lui qui a reçu sur ses yeux la boue faite avec la salive ; il s’est approché ensuite de Siloé, il s’est lavé, il a cru au Christ, il a vu et il n’est pas resté sous l’arrêt de cette formidable sentence « Je suis venu dans ce monde pour juger ; afin que ceux qui ne voient pas, voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles. » 4. Quelle menace ! J’aime à entendre : « Afin que ceux qui ne voient pas, voient. » Un Sauveur, un médecin doit faire « que ceux qui ne « voient pas, voient. » Mais pourquoi, Seigneur, avez-vous ajouté : « Afin que ceux qui voient, deviennent aveugles ? » Si nous comprenons bien, rien ne nous paraîtra ni plus vrai ni plus juste. Que faut-il entendre par « ceux qui voient ? » – Les Juifs. – Les Juifs voient donc ? – Ils le prétendent, mais en réalité ils ne voient pas. – Que signifie donc « Ils voient ? » – Ils pensent voir, ils croient voir. Car ils croyaient voir, quand ils défendaient la Loi contre le Christ. « Nous savons », disaient-ils ; voilà comment ils voient. « Nous savons » ne signifie-t-il pas : nous voyons ? Pourquoi ajouter : « Que cet homme ne vient pas de Dieu, puisqu’il viole ainsi le sabbat ? » C’est que ces prétendus voyants lisaient la lettre de la Loi, où il était prescrit de lapider quiconque violerait le sabbat bx ; et pour ce motif ils soutenaient que cet homme ne venait pas de Dieu. Mais ces voyants étaient aveugles et ils ne voyaient pas que le Juge futur des vivants et des morts était déjà venu dans le monde pour juger. Quel arrêt rend-il ? Il fait « que ceux qui ne voient pas, « voient ; » c’est-à-dire que ceux qui reconnaissent leur aveuglement soient éclairés ; « et que ceux qui voient deviennent aveugles ; » c’est-à-dire que ceux qui ne confessent pas leur aveuglement soient plus endurcis qu’ils ne l’étaient. Aussi voyez l’accomplissement de ce dernier arrêt. Les défenseurs de la Loi, les commentateurs de la Loi, les docteurs de la Loi, les savants dans la Loi ont crucifié l’Auteur même de la Loi. Quel aveuglement ! Et une partie d’Israël y est tombée. Elle y est tombée, ce qui a fait crucifier le Christ et entrer la plénitude des gentils. Que signifie : « Afin que ceux qui ne voient pas, voient ? » – « Afin que la plénitude des gentils entrât, une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement by. » L’univers entier gisait dans l’aveuglement ; mais le Sauveur est venu « afin que ceux qui ne voient pas, voient, et que ceux qui voient, deviennent aveugles. » Les Juifs l’ont méconnu, les Juifs l’ont crucifié, pour lui il a fait avec son sang un remède pour les aveugles. De plus en plus opiniâtres et aveuglés de plus en plus, ceux qui se vantaient de voir la lumière ont crucifié la Lumière même. Quel aveuglement, d’avoir éteint la Lumière ! Mais cette Lumière, éteinte sur la croix, a éclairé les aveugles. 5. Écoute un ancien aveugle, maintenant éclairé ; reconnais combien ils ont été malheureux de heurter contre la croix pour avoir refusé d’avouer au médecin leur aveuglement. Ils avaient conservé la Loi. Que peut la Loi sans la grâce ? Qu’a pu, malheureux, la Loi sans la grâce ? Que peut la terre, si elle n’est détrempée par la salive, du Christ ? La Loi sans fa grâce peut-elle autre chose que de rendre plus coupables ? Pourquoi ? Parce qu’en écoutant la Loi sans l’accomplir, on est non, seulement pécheur, mais encore prévaricateur. L’hôtesse de l’homme de Dieu vient de perdre son enfant, le prophète envoie son serviteur poser son bâton sur la face de cet enfant, mais il ne revient pas à la vie. Que peut la Loi sans la grâce : Écoutez un ancien aveugle ; c’est aujourd’hui un voyant, un Apôtre : que dit-il ? « Si la Loi avait été donnée avec le pouvoir de communiquer la vie, la justice viendrait vraiment de la Loi. » Remarquez bien, répétons. Qu’a dit l’Apôtre ? « Si la Loi avait été donnée avec le pouvoir de communiquer la vie, la justice viendrait vraiment de la Loi. » Mais si elle ne pouvait communiquer la vie ; à quoi bon la donner ? L’Apôtre le dit en continuant ainsi « Mais l’Écriture a tout renfermé sous le péché, afin que la promesse fût accordée aux croyants par la foi en Jésus-Christ bz. » Afin donc d’accomplir en faveur des croyants, par la foi en Jésus-Christ, les promesses qui assuraient aux hommes la lumière et l’amour, l’Écriture ou la Loi atout compris sous le péché. Que veut dire, « A tout compris sous le péché ? – Je ne connaîtrais pas la concupiscence, si la Loi n’eût dit : Tu ne convoiteras pas ca. » Que veut dire encore : « L’Écriture a tout compris sous le péché ? » — Que la Loi a rendu le pécheur prévaricateur, puisqu’elle n’a pu le guérir. « Elle a tout compris sous le péché. » Dans l’espoir de la grâce, dans l’espoir de la miséricorde. Tu as reçu la Loi et tu as voulu l’accomplir, mais tu n’as pu ; tu es ainsi tombé du haut de ton orgueil, tu as expérimenté ta faiblesse. Cours donc au médecin, lave-toi la face ; appelle le Christ de tes vœux, confesse-le et crois en lui ; ainsi l’Esprit se joindra à la lettre et tu seras guéri. Car si tu ôtes l’Esprit de la lettre, « la lettre te tuera ; » si elle te tue, quel espoir te reste-t-il ? « C’est l’Esprit qui donne la vie cb. » 6. Que le serviteur d’Élisée, que Giézi prenne donc le bâton de son maître, comme Moïse, le serviteur de Dieu, reçut autrefois la Loi. Qu’il prenne le bâton, qu’il le prenne, qu’il coure, qu’il devance son maître, arrive avant lui et mette son bâton sur le visage de l’enfant mort. C’est déjà fait. Giézi a reçu le bâton, il a couru et l’a posé sur la face du mort. Mais à quoi bon ? À quoi bon ce bâton ? « Si la Loi avait été donnée avec le pouvoir de communiquer la vie », le bâton aurait ressuscité l’enfant ; mais « l’Écriture ayant tout compris sous le péché », l’enfant reste mort. Pourquoi « l’Écriture a-t-elle tout compris sous le péché ? – Afin que la promesse fût accomplie en faveur des croyants par la foi en Jésus-Christ. » Vienne donc Élisée. Pour constater la mort, il a envoyé son serviteur avec son bâton ; mais qu’il vienne lui-même, qu’il vienne, qu’il entre dans la demeure de son hôtesse, qu’il monte dans la chambre haute et qu’y rencontrant l’enfant mort il applique sur chacun des membres de ce mort chacun des membres vivants de son propre corps. Il l’a fait aussi ; il a appliqué sa face sur la face de l’enfant, ses yeux sur ses yeux, ses mains sur ses mains, ses pieds sur ses pieds, il s’est comme rétréci, contracté, rapetissé cc. Il s’est comme rétréci, comme diminué. Ainsi : « Celui qui avait la nature divine s’est anéanti en prenant la nature de serviteur cd. » Tout vivant il s’est appliqué sur l’enfant mort : qu’est-ce à dire ? Vous voulez le savoir ? Écoutez l’Apôtre « Dieu a envoyé son Fils. » Mais s’appliquer sur l’enfant mort ? L’Apôtre va le dire, il continue en effet : « Dans une chair semblable à la chair de péché ce. » S’appliquer vivant sur le mort, c’est donc venir à nous, non pas avec une chair de péché, mais avec une chair semblable à la chair de péché. Nous étions morts dans notre chair de péché, le Christ s’est approché de nous avec une chair, semblable à notre chair de péché ; il est mort sans être condamné à mort lui seul était libre parmi les morts ; il est mort parce que tous les hommes étaient condamnés à mort par le péché. Comment les hommes revivraient-ils, si Celui qui était seul sans péché n’était venu comme pour s’appliquer sur eux, avec une chair semblable à la chair de péché ? O Seigneur Jésus, vous qui avez souffert pour nous et non pour vous, vous qui n’avez commis aucune faute et qui en subissez la peine, ah ! c’est pour nous délivrer et de toute faute et de toute peine.L’HOMME-DIEU.
En entendant le Christ, les Juifs, qui ne voyaient en lui qu’un homme, ne pouvaient s’expliquer comment il savait si bien l’Écriture sans avoir rien appris. S’ils avaient eu la foi, ils auraient compris qu’il était Dieu et Verbe du Père, que, par conséquent, il en était l’organe, et que de là venait sa science étonnante ; mais ils ne croyaient pas en lui, ni la foi ni la charité ne les animait ; aussi ses humiliations, au lieu de leur faire reconnaître son infinie grandeur, ne leur laissaient-elles apercevoir que son humanité. 1. On a lu aujourd’hui, et, par conséquent, nous devons aussi étudier la suite de l’Évangile ; nous l’expliquerons selon que Dieu nous en fera la grâce. Hier, on vous a donné lecture du texte sacré, jusqu’à l’endroit où l’Évangéliste mentionne les discours que les Juifs tenaient au sujet de Jésus, quoiqu’ils eussent passé une partie de la fête sans le voir paraître dans le temple : « Les uns disaient : Il est bon ; les autres répondaient : Non, mais il séduit la foule cf ». Ces discours étaient destinés à consoler les futurs prédicateurs de la parole divine, car ils devaient être considérés en même temps, et comme des séducteurs, et comme des hommes sincères cg. Si séduire, c’est tromper, ni le Christ ailes Apôtres n’ont été des séducteurs ; aucun chrétien ne doit mériter ce nom. Mais si vous entendez par séduire, se servir de la persuasion pour conduire quelqu’un d’un endroit à un autre, il faut voir ce que l’on fait quitter à cet homme, et ce à quoi on le mène. Le porter du mal au bien, c’est être un bon séducteur ; l’entraîner du bien au mal, c’est le fait d’un séducteur mauvais. Puisse-t-on nous appeler tous, puissions-nous être réellement des séducteurs, en ce sens que nous décidions les hommes à quitter le mal pour revenir au bien ! 2. Le Sauveur « monta » donc ensuite à la fête, « lorsqu’elle était déjà à demi passée, et il enseignait. Et les Juifs s’étonnèrent, disant : Comment celui-ci sait-il lire, puisqu’il n’a point appris ? » Celui qui se cachait, enseignait : il parlait en public, et personne ne mettait la main sur lui. Il ne se faisait pas connaître, afin de nous servir d’exemple ; et si personne ne s’emparait de lui, c’était l’effet de sa puissance. Quand il enseignait, « les Juifs s’étonnaient ». À mon avis, tous s’étonnaient ; mais tous ne se convertissaient pas. D’où venait leur étonnement ? Le voici. Beaucoup savaient où il était né, comment il avait été élevé ; jamais ils ne l’avaient vu apprendre les Écritures ; pourtant, ils l’entendaient disserter sur la loi, citer à l’appui des passages de la loi, que personne ne pouvait citer sans les avoir lus, et que personne ne pouvait lire sans avoir appris la lecture. Ils s’étonnaient donc. Leur étonnement fut, pour le divin Maître, l’occasion de leur insinuer des vérités plus hautes. Le Sauveur prit occasion de leur étonnement et de leurs paroles, pour leur adresser des paroles profondes et dignes d’être étudiées et discutées avec le soin le plus minutieux. C’est pourquoi je demande instamment à votre charité deux faveurs : l’une pour vous, c’est de nous écouter ; l’autre pour nous, c’est de nous aider de vos prières. 3. Que répond le Sauveur à ces hommes qui se demandaient avec étonnement comment il pouvait savoir lire sans avoir appris à le faire ? « Ma doctrine », leur dit-il, « ne vient pas de moi, mais de Celui qui m’a envoyé ». Voici le premier mystère que je rencontre dans ces paroles, c’est que dans ce peu de mots sortis de la bouche de Jésus, il semble se trouver une contradiction ; car il ne dit pas : Cette doctrine n’est pas la mienne ; mais il dit : « Ma doctrine ne vient pas de moi ». Si cette doctrine ne vient pas de vous, comment est-elle la vôtre ? Et si elle est la vôtre, comment se fait-il qu’elle ne vienne pas de vous ? Vous dites pourtant l’un et l’autre : « C’est ma doctrine, elle ne vient pas de moi ». Si Jésus avait dit : Celte doctrine n’est pas la mienne, il n’y aurait aucune difficulté. Mais, mes frères, examinez d’abord la difficulté, puis attendez-en la solution raisonnée ; car celui qui ne comprend pas bien l’état de la question, est-il à même d’en bien saisir la solution ? Voici donc l’état de la question. Le Sauveur dit : « Ma doctrine ne vient pas de moi » ; ces mots : « Ma doctrine », semblent être en contradiction avec ces autres : « Ne vient pas de moi ». Rappelons-nous bien ce que l’écrivain sacré dit au commencement de son Évangile : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ch ». De là sort la solution de la difficulté. Quelle est la doctrine du Père, sinon son Verbe ? Le Christ est donc la doctrine du Père, s’il en est le Verbe ; mais parce que le Verbe est la propriété de quelqu’un, parce qu’il est impossible qu’il n’appartienne à personne, il s’est appelé lui-même sa doctrine, et il a dit qu’elle ne vient pas de lui ; car il est le Verbe du Père. Y a-t-il, en effet, quelque chose qui t’appartienne plus que toi-même ? Y a-t-il rien qui t’appartienne moins que toi-même, si tu tiens d’un autre ce que tu es ? 4. Le Verbe est donc Dieu ; il est aussi le Verbe, l’expression d’une doctrine stable, qui ne passe point et ne s’évanouit nullement avec des mots, mais qui demeure avec le Père. Puissent des paroles qui passent nous instruire de cette doctrine ! Puissions-nous en subir la bienfaisante influence ! Ces sons passagers ne frappent point nos oreilles pour nous appeler à des choses transitoires ; elles nous engagent à aimer Dieu. Toutes les paroles que je viens de vous adresser sont dei mots : elles ont frappé et fait vibrer l’air, pour arriver jusqu’à vous par le sens de l’ouïe ; elles ont passé en faisant du bruit ; mais ce que je vous ai dit, par leur intermédiaire, ne doit point passer ; car celui que je vous ai recommandé d’aimer, ne passe pas ; et quand, excités par des sons d’un moment vous vous serez portés vers lui, vous ne passerez pas non plus, car vous serez unis d’une manière permanente à Celui qui demeure toujours. Dans un enseignement, ce qui est grand, élevé et éternel, c’est ce qui dure ; voilà où nous appelle tout ce qui passe dans le temps, pourvu qu’il s’y attache un sens vrai, et non une signification menteuse. Tout ce que nous donnons à entendre par les sons de notre voix a une signification distincte de ces sons matériels. Ainsi, les deux syllabes dont se compose le mot Dieu, Deus, ne sont pas Dieu ; nous ne rendons aucun culte à ces deux syllabes, nous ne les adorons pas ; ce n’est pas jusqu’à elles que nous désirons parvenir : on a fini de les entendre, pour ainsi dire, avant d’avoir commencé, et il n’y a place pour la seconde que quand la première est passée. Le son de voix par lequel nous disons : Dieu, ne dure pas, mais il y a, pour demeurer toujours, quelque chose de grand, c’est le Dieu dont on fait retentir le nom. Tel est le point de vue sous lequel vous devez envisager la doctrine du Christ ; ainsi parviendrez-vous jusqu’au Verbe de Dieu ; et quand vous y serez parvenus, rappelez-vous que « le Verbe était Dieu », et vous verrez que cette parole : « Ma doctrine », est vraie. Rappelez-vous aussi de qui le Christ est le Verbe, et vous comprendrez toute la justesse de cette autre parole : « Ne vient pas de moi ». 5. Je le dis donc brièvement à votre charité : il me semble que par ces paroles : « Ma doctrine ne vient pas de moi », le Seigneur Jésus s’est exprimé dans le même sens que s’il avait dit : Je ne viens pas de moi-même. En effet, quoique nous disions et croyions le Fils égal au Père ; quoique nous reconnaissions qu’il n’y a entre eux aucune différence de nature et de substance ; quoique enfin l’éternité appartienne aussi bien au Fils engendré qu’au Père son générateur, nous disons, cette réserve faite et bien entendue : Ce qu’est le Père, le Fils l’est aussi : le Père n’existe pas sans le Fils, comme le Fils n’existe pas sans le Père. Le Fils est Dieu, et il vient du Père ; le Père est Dieu, mais il ne vient pas du Fils. Il est le Père du Fils, mais il n’est pas Dieu venant du Fils ; tandis que le Fils est le Fils du Père ; il est Dieu venant du Père, car on appelle Notre-Seigneur Jésus-Christ Lumière de Lumière. La Lumière qui ne vient pas de la Lumière, et la Lumière égale à la Lumière, et qui en vient, ne sont ensemble qu’une seule et même Lumière, et non pas deux Lumières. 6. Si nous avons bien compris, que Dieu en soit loué ; si quelqu’un n’a pas parfaitement saisi ces vérités, il est allé aussi loin que les forces humaines le lui ont permis, et il doit considérer ce qui surpasse son intelligence, comme l’objet de ses espérances immortelles. Pareils à des ouvriers, nous pouvons bien extérieurement planter et arroser ; mais à Dieu seul il appartient de donner l’accroissement ci. « Ma doctrine », dit le Sauveur, « ne vient pas de moi, mais de Celui qui m’a envoyé ». Qu’il écoute le conseil du Maître, celui qui dit : Je n’ai pas compris. Car, après avoir dit cette grande et mystérieuse chose, le Sauveur Jésus vit bien que tous ne saisiraient pas un enseignement aussi profond ; il leur donna donc immédiatement un conseil. Veux-tu comprendre ? Aie la foi ; car le Seigneur a dit par la bouche du Prophète : « Si vous ne croyez, vous ne comprendrez point cj ». À cela revient ce qu’ajouta ensuite le Sauveur : « Si quelqu’un veut faire la volonté de Dieu, il saura de ma doctrine si elle vient de Dieu, ou si je parle de moi-même ». Qu’est-ce que cela : « Si quelqu’un veut faire la volonté de Dieu ? » Moi j’avais dit : Si quelqu’un croit, et j’avais conseillé de croire. Si tu n’as pas compris, je le répète, aie la foi ; car l’intelligence est la récompense de la foi. Ne cherche donc pas à comprendre, afin de croire ; mais crois, afin de comprendre, parce que « si vous ne croyez, vous ne comprendrez pas ». Pour vous rendre capables de comprendre, je vous avais indiqué, comme moyen, l’obéissance de la foi, et j’avais dit que le Sauveur Jésus nous a recommandé le même moyen, dans la phrase suivante ; et néanmoins nous l’entendons nous dire : « Si quelqu’un veut faire la volonté de Dieu, il saura de ma doctrine ». « Il saura », c’est-à-dire il comprendra ; et ces paroles : « Si quelqu’un veut faire la volonté de Dieu », signifient : Si quelqu’un veut croire. Mais puisque ces mots : « Il saura », veulent dire comprendre, tous comprennent ; et ces autres : « Si quelqu’un veut faire la volonté de Dieu », signifiant la même chose que croire, nous avons besoin, pour mieux comprendre, que Notre-Seigneur lui-même nous instruise ; il faut qu’il nous dise si réellement l’accomplissement de la volonté de son Père est corrélatif à la foi. Quelqu’un ignore-t-il qu’accomplir la volonté de Dieu, c’est faire son œuvre, ou, en d’autres termes, ce qui lui plaît ? Le Sauveur dit formellement ailleurs : « C’est l’œuvre de Dieu que vous croyiez en Celui qui m’a envoyé ck ». « Que vous croyiez en lui », et non pas que vous croyiez à lui. Si vous croyez en lui, croyez à lui ; mais quiconque croit à lui, ne croit pas par cela même en lui ; car les démons croyaient à lui sans croire en lui. Nous pouvons, de même, dire de son Apôtre : Nous croyons à Paul, et non pas, nous croyons en Paul : nous croyons à Pierre, et non, nous croyons en Pierre. « Lorsqu’un homme croit en celui qui justifie le pécheur, sa foi lui est imputée à justice cl ». Qu’est-ce donc que croire en lui ? C’est l’aimer, c’est le chérir, c’est tendre vers lui, c’est s’incorporer à ses membres, et tout cela, par la foi. La foi, voilà donc ce que Dieu exige de nous, et voilà, néanmoins, ce qu’il ne peut trouver en nous, à moins qu’il ne l’y mette lui-même par sa grâce. De quelle foi est-il ici question, sinon de celle dont l’Apôtre a si bien tracé le caractère, quand il a dit : « La circoncision et l’incirconcision ne servent de rien ; la foi seule qui agit par la charité, sert à quelque chose cm ». Il ne s’agit pas d’une foi quelconque, mais de celle « qui agit par la charité ». Puisse-t-elle se trouver en toi, et tu auras l’intelligence de sa doctrine. Que comprendras-tu ? Que « cette doctrine n’est pas la mienne, mais qu’elle vient de Celui qui m’a envoyé » ; en d’autres termes, tu sauras que le Christ est le Fils de Dieu, qu’il est la doctrine du Père ; il n’est pas à lui-même son principe, mais il est le Fils de Dieu. 7. Cette parole renverse de fond en comble l’hérésie de Sabellius. Les Sabelliens ont osé dire que le Fils n’était autre que le Père : ce sont deux noms différents appliqués à une seule et même chose. S’il n’y avait qu’une seule personne désignée sous deux noms, il ne serait pas dit : « Ma doctrine ne vient pas de moi ». Certes, Seigneur, si votre doctrine ne vient pas de vous, et s’il n’existe pas une autre personne dont elle émane, de qui vient-elle ? Ce que vous avez dit, les Sabelliens ne l’ont pas compris : au lieu de reconnaître la Trinité, ils se sont laissé conduire par les illusions erronées de leur cœur. Pour nous, qui adorons la Trinité, l’union du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et une seule substance divine, comprenons bien que la doctrine du Christ ne vient pas de lui. Il a dit qu’il ne parlait pas de lui-même, parce que le Christ est le Fils du Père, que le Père est le Père du Christ, que le Fils est Dieu, engendré de Dieu le Père, et que si le Père est Dieu, il n’est pas Dieu engendré de Dieu le Fils. 8. « Celui qui parle de lui-même cherche sa propre gloire ». Tel sera celui qu’on appelle l’antéchrist : « Il s’élèvera », selon l’expression de l’Apôtre, « au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu, ou ce qui est adoré cn ». Le Sauveur annonce en ces termes aux Juifs, que l’antéchrist cherchera sa propre gloire, et non celle du Père : « Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne m’avez pas reçu ; un autre viendra en son propre nom, et vous le recevrez co ». Il voulait dire par là qu’ils recevraient l’antéchrist ; l’antéchrist occupé à rechercher la gloire de son propre nom ; l’antéchrist enflé par l’orgueil, et noua pas nourri par la charité ; l’antéchrist destiné, par conséquent, non pas à durer toujours, mais à périr bientôt. Pour Notre-Seigneur Jésus-Christ, il nous a donné un grand exemple d’humilité. En effet, il est égal à son Père. « Au commencement était « le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Il a dit lui-même, et ses paroles étaient l’expression de la pure vérité : « Je suis avec vous depuis si longtemps, et vous ne me connaissez pas encore ? Philippe, celui qui me voit, voit aussi mon Père ». Il a dit encore, et en toute vérité : « Mon Père et moi, nous sommes une même chose cp ». Il est donc une même chose avec le Père, égal au Père, Dieu de Dieu, Dieu en Dieu, coéternel avec lui, et, comme lui, immortel, immuable dès avant le temps, créateur et dispensateur de ce même temps. Toutefois, il est venu dans le temps, s’est revêtu de la forme d’esclave et a été reconnu pour homme par tout ce qui a paru en lui : il cherche donc la gloire de son Père et non pas la sienne. Alors, ô homme, que dois-tu faire, toi qui cherches ta propre g1oire, quand tu fais un peu de bien, et qui penses à accuser Dieu lorsque tu as quelque épreuve à supporter ? Réfléchis à ce que tu es ; tu es une créature, reconnais donc ton Créateur ; tu es un serviteur, ne méprise donc pas ton Maître. Tu as été adopté, mais non pas en raison de tes mérites ; cherche donc la gloire de Celui qui a bien voulu t’adopter pour Son enfant, et à la gloire de qui a travaillé son Fils unique par nature. « L’homme qui cherche la gloire de Celui qui l’a envoyé, est véridique, et il n’y a point d’injustice en lui cq ». Dans l’antéchrist ne se trouvent ni la justice, ni la vérité, parce qu’il cherche sa propre gloire, au lieu de chercher la gloire de Celui qui l’a envoyé, mais il n’a pas été envoyé ; il lui a seulement été permis de venir. Tous ceux d’entre nous qui appartiennent au corps du Christ, doivent donc ne pas chercher leur gloire personnelle, afin de ne point tomber dans les pièges de l’antéchrist ; et si le Sauveur a cherché la gloire de Celui qui l’a envoyé, qu’à bien plus juste titre nous devons chercher la gloire de Celui qui nous a créés !TRENTIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CE PASSAGE : « MOÏSE NE VOUS A-T-IL PAS DONNÉ LA LOI, ET NUL DE VOUS NE L’ACCOMPLIT », JUSQU’À CET AUTRE : « NE JUGEZ PAS SELON L’APPARENCE, MAIS JUGEZ AVEC UN JUGEMENT DROIT ». (Chap 7, 19-24.)IMPARTIALITÉ.
À la vue du miracle opéré par Jésus-Christ le jour du sabbat, les Juifs s’étaient scandalisés. Moïse, leur dit Jésus, vous a commandé la circoncision pour le huitième jour, et vous la pratiquez sans scrupule le Jour du sabbat, et vous me défendez de guérir un homme La circoncision était ta figure de la guérison spirituelle, et vous trouvez mauvais que je délivre une âme du péché ! Vous buvez et mangez pour l’entretien de votre santé, et il me serait interdit de rendre la santé à un malade ! Jugez donc impartialement des hommes et des choses. 1. La leçon qu’on a lue aujourd’hui dans le saint Évangile suit immédiatement celle dont nous avons naguère donné l’explication à votre charité. Le Sauveur parlait à un auditoire qui était formé par ses disciples et par des Juifs. Pour écouter les enseignements de la vérité, il y avait des hommes sincères et des menteurs ; les discours de la charité frappaient des oreilles amies et des oreilles mal disposées : des bons et des méchants entendaient les paroles que leur adressait Celui en qui se trouvait la perfection même. Ils l’écoutaient, et Jésus connaissait les secrètes dispositions de leurs cœurs : il voyait et prévoyait à qui ses paroles profitaient pour le moment, et seraient plus tard utiles. Écoutons donc l’Évangile, comme si le Seigneur nous parlait en personne ; gardons-nous de dire : Heureux les hommes qui ont pu le voir ! Plusieurs de ceux qui l’ont vu l’ont aussi mis à mort ; et par contre, quoique nos yeux ne l’aient point contemplé, il en est beaucoup parmi nous pour avoir cru en lui. Les paroles si précieuses tombées des lèvres de Jésus-Christ, on les a écrites pour nous, on nous les a conservées, on nous en a fait lecture pour nous instruire, et nos arrière-neveux, jusqu’à la fin du monde, en auront aussi connaissance de la même manière. Le Sauveur est au ciel, mais, par la vérité, il habite toujours parmi nous. Le corps ressuscité du Sauveur se trouve nécessairement en un seul endroit ; mais sa vérité est répandue eu tous lieux. Le Sauveur nous parle, Écoutons-le donc, et parlons nous-mêmes de ce qu’il nous dit, selon la mesure de sa grâce. 2. « Moïse », dit-il, « ne vous a-t-il pas donné la loi ? Et nul d’entre vous n’accomplit la loi. Pourquoi cherchez-vous à me faire mourir ? » La raison pour laquelle vous cherchez à me faire mourir, c’est que nul d’entre vous n’accomplit la loi ; car si vous l’accomplissiez, vous reconnaîtriez que ces saintes Écritures ont annoncé clairement le Christ, et, pendant son séjour au milieu de vous, vous ne le feriez point mourir. Et ils lui répondirent : « La foule lui répondit ». Elle lui répondit à la manière d’une foule en tumulte ; elle lui fit une réponse qui respirait, non le calme, mais l’agitation. Quoi qu’il en soit, voyez ce que répondit cette foule agitée : « Tu es possédé du démon : qui est-ce qui cherche à te faire mourir ? » Dire à Jésus : « Tu es possédé du démon », n’était-ce pas un procédé pire que de le faire mourir ? C’était, en effet, affirmer que celui qui chassait les démons en était lui-même l’esclave. Que pouvait dire de plus une multitude furieuse ? Un cloaque infect, remué jusque dans ses dernières profondeurs, a-t-il jamais exhalé odeur plus nauséabonde ? Cette multitude était troublée : par quoi ? Par la vérité. L’éclat de la lumière a blessé une foule d’yeux malades, car les yeux affaiblis ne peuvent supporter la vue de la lumière. 3. Pour le Sauveur, il ne se troubla nullement, mais il demeura calme et tranquille dans sa vérité ; il ne rendit ni le mal pour le mal, ni la malédiction pour la malédiction cr. Il aurait pu leur répondre : C’est vous qui êtes possédés du démon, et, en cela, il n’aurait dit que l’exacte vérité ; car ils n’eussent point tenu à la vérité un pareil langage, s’ils n’avaient subi l’influence de l’esprit de mensonge. Aussi, que leur répondit-il ? Écoutons-le tranquillement, et que ses paroles si calmes descendent en nos cœurs comme un bienfaisant breuvage. « J’ai fait une œuvre, et vous vous en êtes étonnés ». C’était comme s’il leur disait : Que serait-ce donc si vous contempliez toutes mes œuvres ? Toutes les merveilles de l’univers étaient sorties de ses mains, ils les voyaient, et, cependant, ils ne le reconnaissaient pas, lui qui en était l’auteur. Il n’a fait qu’une œuvre en leur présence, il a guéri un homme le jour du sabbat, et ils sont tombés dans le trouble. Si un malade relevait de son infirmité le jour du sabbat, tiendrait-il sa guérison d’un médecin autre que Celui au sujet de qui ils s’étaient scandalisés, pour l’avoir vu guérir un homme à pareil jour ? La guérison d’un malade peut-elle venir d’ailleurs que de la santé même, que de celui qui donne aux animaux une vigueur pareille à la vigueur rendue par lui à cet homme ? Il avait opéré une guérison corporelle. La santé du corps se répare et finit par disparaître sous les coups de la mort ; rétablissez-la, vous éloignez la mort pour un moment, mais vous ne lui ôtez pas ses droits. Toutefois, mes frères, la guérison vient toujours de Dieu lui-même, n’importe par qui soit rendue la santé. Qu’elle soit réparée, rétablie et rendue par celui-ci ou par celui-là, elle n’en vient pas moins, en définitive, de Celui qui est la source de toute santé, selon cette parole du Psalmiste : « Seigneur, vous sauverez les hommes et les animaux selon votre grande miséricorde, ô mon Dieu ». Parce que vous êtes Dieu, vos infinies miséricordes vont jusqu’à faire vivre le corps de l’homme, et même les animaux qui ne peuvent proclamer vos louanges : vous donnez aux hommes et aux animaux un principe de vie pareille ; mais ne réservez-vous pas aux hommes une vie plus particulière, plus spéciale ? Oui, il est un autre genre de vie que les brutes ne partagent pas avec les hommes, qui ne sera pas non plus réservé également aux bons et aux méchants. Après avoir parlé de l’existence que Dieu accorde aussi bien aux bêtes qu’aux hommes, le Psalmiste appelle notre attention sur cette autre vie, que doivent espérer les hommes seuls, non pas encore tous les hommes, mais uniquement les hommes vertueux ; c’est pourquoi il continue et ajoute : « Les enfants des hommes espèrent à l’ombre de vos ailes ; ils seront enivrés de l’abondance de votre maison ; vous les abreuverez du torrent de vos délices ; car en vous est la source de la vie, et, dans votre lumière, nous verrons la lumière cs ». Voilà la vie réservée aux bons, à ceux qu’il désignait sous le nom d’enfants des hommes, quand il disait d’abord : « Seigneur, votre Providence gardera les hommes et les animaux ». Eh quoi, en effet ? De ce que ces paroles : « Pour les enfants des hommes », viennent après celles-ci : « Les hommes », s’ensuit-il que les hommes n’étaient pas les enfants des hommes, comme si par le mot « hommes », il fallait entendre toute autre chose que par ceux-ci : « Les enfants des hommes ? » Je ne suppose pas néanmoins qu’en s’exprimant ainsi, le Saint-Esprit n’ait voulu mettre aucune différence entre la signification de l’un et la signification de l’autre. Celui-là : « Les hommes », a trait à Adam ; ceux-là : « Les enfants des hommes », au Christ ; car peut-être « les hommes » sont-ils les descendants d’Adam ; et les enfants des hommes sont-ils les fidèles disciples du Christ. 4. « Je n’ai fait qu’une œuvre, et vous en êtes tout étonnés ». Immédiatement après, il ajoute : « Moïse vous a donné la circoncision ». Il est juste que vous ayez reçu de Moïse le précepte de la circoncision, « non qu’elle soit venue de lui, mais parce qu’elle « est venue des patriarches » ; Abraham l’a reçue le premier de Dieu lui-même ct. « Et vous donnez la circoncision au jour du sabbat ». Par là Moïse vous condamne. La loi vous oblige de circoncire un enfant huit jours après sa naissance cu : la même loi exige que vous vous reposiez le septième jour cv ; mais si l’octave de la naissance de votre enfant tombe au jour du sabbat, que ferez-vous ? Vous reposerez-vous pour observer le septième jour, ou bien donnerez-vous la circoncision, pour ne point omettre la cérémonie sacrée de l’Octave ? Mais, dit-il, je sais ce que vous faites : « vous donnez la circoncision à l’enfant ». Pourquoi ? parce qu’elle exprime une certaine idée de salut, et qu’au jour du sabbat les hommes doivent travailler à leur salut. Ne vous irritez donc pas non plus contre moi parce que j’ai guéri un homme le jour du sabbat ; si un homme reçoit, ce jour-là, la circoncision, sans que la loi de Moïse soit violée (car, par l’établissement de la circoncision, Moïse a voulu contribuer en quelque chose au salut de ceux qui la recevraient), pourquoi vous indigner contre moi, lorsqu’en ce jour je travaille au salut d’un homme ? 5. Peut-être, en effet, la circoncision était-elle une figure du Sauveur, contre lequel les Juifs s’indignaient parce qu’il soignait et guérissait un malade au jour du sabbat. Il était prescrit de circoncire un enfant le huitième jour après sa naissance ; or, qu’est-ce que recevoir la circoncision, sinon se dépouiller de sa chair ? la circoncision signifiait donc l’action d’ôter de son cœur tous les désirs de la chair. C’est par un homme que la mort est venue ; c’est aussi par un homme que vient à résurrection des morts cw. Le péché est entré dans ce monde par un seul homme, et la mort par le péché cx. Chacun vient au monde avec le prépuce, parce que chacun naît avec le péché originel, et Dieu ne nous purifie soit du péché, dont nous naissons coupables, soit des fautes que nous y ajoutons par notre mauvaise conduite, qu’au moyen du couteau de pierre qui est Jésus-Christ, Notre-Seigneur. Car le Christ était la pierre cy. Des couteaux de pierre servaient chez les Juifs à donner la circoncision ; et, en se servant d’instruments de pierre, ils préfiguraient le Christ, ils l’avaient sous les yeux, et pourtant ils ne le reconnaissaient pas : ils désiraient même le faire mourir. Mais pourquoi la circoncision se pratiquait-elle le huitième jour ? Sans doute parce que le Sauveur est ressuscité le dimanche, c’est-à-dire après le jour du sabbat, qui est le septième. La résurrection de Jésus-Christ, qui s’est faite, à la vérité, le troisième jour après sa passion, a eu lieu précisément le huitième jour, dans l’ordre des jours de la semaine : elle nous a donc aussi circoncis. L’Apôtre nous parle de ceux en qui la véritable Pierre a pratiqué la circoncision ; écoute-le, voici ses paroles : « Si donc vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, recherchez les choses du ciel, où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu ; n’ayez de goût que pour les choses d’en haut, et non pour celles d’ici-bas cz ». Il s’adresse à des circoncis le Christ est ressuscité ; il vous a dépouillé des désirs de la chair ; il vous a délivrés des passions désordonnées ; il vous a enlevé ce superflu que vous aviez apporté avec vous en venant au monde, et cet autre, encore plus déplorable, que vous y aviez ajouté par votre mauvaise vie : vous avez été circoncis au moyen de la Pierre, pourquoi donc avoir encore du goût pour les choses de la terre ? Enfin, puisque Moïse vous a donné la loi, et qu’en conséquence vous donnez vous-mêmes la circoncision le jour du sabbat, voyez-y la figure et l’annonce de la bonne œuvre que j’ai accomplie à l’égard de cet homme en lui rendant ce même jour la santé ; car je l’ai guéri de telle manière qu’il a recouvré la vigueur de son corps, et que, par la foi, il a obtenu le salut de son âme. 6. « Ne jugez point avec acception de personnes, mais jugez avec un jugement droit ». Qu’est-ce à dire ? Le jour du sabbat, vous pratiquez la circoncision en vertu de la loi de Moïse, et vous ne vous irritez nullement contre ce saint législateur, et vous vous irritez contre moi parce que, ce jour-là, j’ai rendu la santé à un homme ; vous jugez selon les personnes, mais faites donc attention à la vérité. Je ne me préfère pas à Moïse, dit le Seigneur, qui était le Maître de Moïse lui-même. Nous sommes deux hommes différents ; regardez-nous comme tels ; jugez entre nous, mais jugez équitablement et avec droiture ne condamnez pas Moïse pour m’honorer ; comprenez-le bien et honorez-moi. C’était le langage que le Sauveur avait tenu aux Juifs dans une autre circonstance : « Si vous croyiez à Moïse, vous me croiriez aussi, car c’est de moi qu’il a écrit da ». Mais dans l’occasion présente, il ne voulut point leur parler de la sorte, parce qu’il aurait semblé paraître devant eux avec Moïse comme accusé. En vertu de la loi de Moïse, vous pratiquez la circoncision, même quand le huitième jour coïncide avec le sabbat, et vous ne prétendez pas que ce jour-là je sois libre de me montrer bienfaisant et de rendre la santé aux infirmes ? Parce que le Seigneur est tout à la fois l’auteur de la circoncision et du sabbat, il est, par là même aussi, l’auteur de la santé. Il vous a défendu les œuvres serviles au jour du sabbat ; mais parce que vous comprenez bien en quoi elles consistent, vous donnez la circoncision sans crainte d’offenser votre Dieu ; car « celui qui commet le péché est l’esclave du péché db ». Mais est-ce bien une œuvre servile que guérir un homme le jour du sabbat ? Vous mangez et vous buvez (j’emprunte cette manière de m’exprimer à l’instruction même et au discours adressés aux Juifs par le Sauveur) ; vous mangez et vous buvez le jour du sabbat, pourquoi ? évidemment par le motif que cette action est nécessaire à votre santé. Par là, vous en donnez la preuve convaincante ; il n’est pas prescrit d’omettre ce qui a trait à notre santé : « Ne jugez » donc « pas avec acception de personnes, mais jugez avec un jugement droit ». Regardez-moi comme un homme, regardez aussi comme tel votre Législateur, et si vous jugez selon la vérité, vous ne condamnerez ni Moïse ni moi, et par la connaissance que vous aurez acquise de la vérité, vous reconnaîtrez que je suis la vérité dc. 7. Il est très-difficile d’éviter ici-bas le grave inconvénient que le Sauveur nous signale en cet endroit, l’inconvénient de juger avec acception de personnes, au lieu de juger avec impartialité et droiture. C’était sans doute aux Juifs que Jésus adressait cet avertissement ; mais nous devons aussi en profiter, c’était son intention : car s’il voulait les convaincre, il prétendait également nous instruire ; de ses paroles résultaient pour eux une preuve sans réplique, et pour nous une leçon facile à comprendre. N’allons pas nous imaginer qu’elles ne nous concernent en rien, par cette raison qu’elles ne nous ont pas été directement adressées. Elles ont été écrites, on nous les a lues, pendant qu’on les récitait nous les avons entendues. Il nous semblait qu’elles s’adressaient seulement aux Juifs mais ne nous retirons pas à l’arrière-plan ne les considérons pas comme s’appliquant aux seuls ennemis du Sauveur ; ne faisons nous-mêmes rien que la vérité puisse blâmer en nous. Les Juifs jugeaient avec acception de personnes ; aussi n’appartiennent-ils pas au Nouveau Testament ; aussi ne possèdent-ils point le royaume des cieux en Jésus-Christ, et ne sont-ils pas non plus en union de société avec les saints Anges. Ils demandaient à Dieu les avantages de la terre, car la terre promise, la victoire remportée sur leurs ennemis, la fécondité dans le mariage, le grand nombre des enfants, l’abondance des récoltes, voilà ce que le Seigneur s’était engagé à leur donner ; pour leur réserver une pareille récompense, il n’en était pas moins la vérité et la bonté même, car il ne la leur réservait que parce qu’ils étaient des hommes charnels ; voilà tout ce qui constitua pour eux l’Ancien Testament. Qu’est-ce que l’Ancien Testament ? C’est comme l’héritage destiné au vieil homme. Nous avons été renouvelés, nous sommes devenus l’homme nouveau, parce Jésus-Christ, l’homme nouveau, est venu naître d’une Vierge ; se peut-il une chose aussi nouvelle ? Parce que la Loi ne pouvait rien renouveler en lui, parce qu’en lui use se trouvait aucun péché, une naissance d’un nouveau genre fut la sienne. En lui donc une naissance nouvelle, en nous un homme nouveau. Qu’est-ce qu’un homme nouveau ? Un homme renouvelé de la vieillesse. En quoi ? En ce qu’il désire les choses du ciel, en ce qu’il souhaite posséder les choses éternelles, en ce qu’il soupire après la patrie d’en haut, où l’on n’a plus à redouter les attaques de l’ennemi, où l’on ne perd plus ses amis, ou l’on ne craint plus de rencontrer des adversaires, où l’on vit avec toutes les perfections, sans aucun défaut ; où personne ne reçoit le bienfait de la vie, parce que personne n’y succombe aux coups de la mort, où nul homme ne réussit parce qu’aucun n’y supporte de pertes ; où, enfin, ni la faim ni la soif ne se font sentir, parce qu’on s’y abreuve d’immortalité et que la vérité y tient lieu de nourriture. Tel est l’objet des promesses qui nous ont été faites, nous appartenons au Nouveau Testament, nous partageons le nouvel héritage, nous sommes devenus les cohéritiers du Sauveur lui-même ; nous avons donc des espérances bien autres que celles des Juifs ; ne jugeons donc pas avec partialité, mais jugeons avec droiture. 8. Quel est celui qui juge impartialement ? Celui qui aime autant les uns que les autres. Une charité égale pour tous écarte toute acception de personnes. Si nous n’honorons pas les hommes d’une manière différente, selon la position qu’ils occupent dans le monde, il est à craindre que nous fassions acception de quelqu’un. Quand nous avons à nous prononcer entre deux personnes liées peut-être par la parenté, ce qui arrive à l’égard d’un père et de son fils, soit que le père se plaigne de la mauvaise conduite de son enfant, soit que le fils accuse la dureté de son père, nous conservons, nous ne détruisons pas les droits qu’a le père au respect de son fils ; nous n’accordons point à celui-ci la même considération qu’à celui-là ; mais si le fils a raison contre sou père, nous lui donnons gain de cause. Le respect dû à la vérité exige que nous soutenions les droits du fils comme nous soutiendrions ceux du père ; nous rendrons donc à celui-ci l’honneur qu’il mérite, mais nous ne permettrons pas que la justice perde ses droits. Voilà le profit que nous devons tirer des paroles du Sauveur ; sa grâce nous aidera à le faire.TRENTE ET UNIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CE PASSAGE « QUELQUES-UNS DE JÉRUSALEM DISAIENT DONC : N’EST-IL PAS CELUI QU’ILS CHERCHAIENT À FAIRE MOURIR ? » JUSQU’À CET AUTRE : « VOUS ME CHERCHEREZ ET NE ME TROUVEREZ POINT, ET OU JE SERAI VOUS NE POUVEZ VENIR ». (Chap 7,25-36.)LE CHRIST-DIEU MÉCONNU DES JUIFS.
Le Christ était homme ; c’est pourquoi ses ennemis connaissaient à peu près tout ce qui le concernait comme tel, et voulaient l’emparer de lui : il était aussi Dieu, mais ils ignoraient qu’il le fût voilà néanmoins le motif qui les empêcha de s’emparer de lui avant l’heure qu’il avait librement fixée. Aujourd’hui, ils le méconnaissent malgré ses miracles ; plus tard, après sa résurrection, ils devront le chercher sans le reconnaître davantage : cette grâce est d’abord réservée aux Gentils lui devaient croire en lui, quoiqu’ils n’eussent pas été les témoins de ses œuvres merveilleuses. 1. Votre charité s’en souvient : les jours précédents, on vous a lu dans l’Évangile, et nous vous avons expliqué autant qu’il nous a été possible, le passage où il est dit que Notre-Seigneur Jésus-Christ était monté, marne en secret, au jour de fête ; il ne craignait pas, avons-nous dit, de tomber aux mains des Juifs, puisqu’il avait tout pouvoir pour les empêcher de s’emparer de lui : son intention en cela était de montrer qu’il choisissait précisément pour se cacher le jour de fête célébré par les Juifs, et qu’il avait des motifs particuliers d’agir ainsi. La leçon d’aujourd’hui nous a fait voir la preuve de sa puissance là où nous n’apercevions en lui que de la timidité ; car, en ce jour de fête, il se mit à parler en public de façon à étonner la multitude et à lui faire dire ce que nous tenons d’entendre lire : « N’est-ce pas celui qu’ils cherchaient à faire mourir ? Et voilà qu’il parle ouvertement, et ils ne lui disent rien : les chefs auraient-ils connu que celui-ci est véritablement le Christ ? » On savait avec quelle rage ils le poursuivaient, et l’on s’étonnait de voir qu’il pouvait échapper à leurs poursuites ; et comme la foule ne connaissait pas encore sa puissance divine, elle attribuait le fait de sa liberté aux lumières des princes du peuple, supposant qu’ils avaient reconnu en lui le Christ, et qu’en conséquence ils l’avaient épargné, après avoir si vivement cherché les moyens de le faire mourir. 2. Puis, après avoir dit : « Les chefs auraient-ils connu que celui-ci est véritablement le Christ ? » ces hommes rentrèrent en eux-mêmes et se demandèrent si vraiment Jésus était le Christ. La réponse leur semblait négative, puisque aussitôt ils ajoutèrent : « Nous savons bien d’où vient celui-ci ; mais quand le Christ viendra, nul ne saura d’où il est ». D’où était venue aux juifs cette opinion, qui, certes, n’était pas à dédaigner, et selon laquelle « personne ne devait savoir d’où était le Christ quand il viendrait ? » Si nous examinons attentivement l’Écriture, nous y trouvons, mes frères, ce passage relatif au Christ : « Il sera appelé Nazaréen dd ». Elle a donc fait connaître, par avance, l’endroit d’où il sortirait. Si, maintenant, nous cherchons à savoir où il est né, parce que le lieu de sa naissance doit apprendre d’où il est, nous devons reconnaître que les Juifs n’en étaient pas ignorants ; car les saints livres l’avaient aussi annoncé d’avance, En effet, lorsqu’après l’apparition de l’étoile, les Mages voulurent le trouver, ils se présentèrent devant le roi Hérode et lui dirent ce qu’ils voulaient et demandaient ; celui-ci fit alors convoquer les docteurs de la loi, et les questionna sur l’endroit où le Christ devait naître ; ils lui répondirent : « C’est à Bethléem de Juda » ; ainsi lui rendirent-ils un témoignage prophétique de. Si donc les Prophètes ont prédit, et le lieu où il s’est fait homme, et celui où sa mère l’a mis au monde, d’où est venue aux Juifs cette opinion, dont nous parlait tout à l’heure l’Évangile : « Lorsque le Christ viendra, personne ne saura d’où il est ? » Il est évident que l’Écriture a clairement annoncé et fait connaître l’un et l’autre ; elle a prédit le lieu de la naissance de Jésus-Christ en tant qu’homme ; en tant que Dieu, il était inconnu des impies, et il cherchait à se révéler aux hommes vertueux. C’est dans ce dernier sens que la foule disait : « Quand le Christ viendra, nul ne saura d’où il est ». Et cette opinion leur avait été inspirée par ce passage d’Isaïe : « Qui est-ce qui racontera sa génération df ? » Enfin, le Sauveur lui-même répondit à l’une et à l’autre de ces questions ; il dit que les Juifs savaient d’où il était, et, aussi, qu’ils ne le savaient pas ; par là, il rendit témoignage à la prophétie sacrée qui avait été faite à son sujet, et relativement à l’infirmité de sa nature humaine, et par rapport à la grandeur de sa nature divine. 3. Écoutez donc, mes frères, le Verbe de Dieu ; voyez comme il confirme devant les Juifs ce qu’ils lui ont dit ; et : « Nous savons d’où est celui-ci », et, « quand le Christ viendra, nul ne saura d’où il est ». Jésus enseignait dans le temple, et il disait à haute voix : « Et vous me connaissez, et vous savez d’où je suis, et je ne suis point venu de moi-même, mais Celui qui m’a envoyé est véridique, et vous ne le connaissez pas ». C’était dire : Vous me connaissez, et vous ne me connaissez pas ; vous savez d’où je suis, et vous ne le savez pas ; vous savez d’où je suis : je suis Jésus de Nazareth ; vous connaissez mes parents. Une seule chose leur échappait dans cette affaire : c’était en Marie, l’union de la virginité avec la maternité, union dont Joseph était témoin ; il pouvait l’attester avec d’autant plus d’assurance qu’il avait pu s’en convaincre, puisqu’il était son mari. À l’exception donc de son virginal enfantement, Jésus leur était parfaitement connu en tout ce qui concernait son humanité ; les traits de son visage, son pays, sa famille, le lieu de sa naissance, ils ne les ignoraient point. C’est donc avec raison qu’il leur disait : « Et vous me connaissez, et vous savez d’où je suis », en faisant allusion à son corps, à la forme humaine sous laquelle il leur apparaissait. Et il ajoutait, avec non moins de raison, par rapport à sa divinité : « Et je ne suis point venu de moi-même, mais Celui qui m’a envoyé est véridique, et vous ne le connaissez pas ». Voulez-vous le connaître ? Croyez-en celui qu’il a envoyé, et vous le connaîtrez. « Jamais », en effet, « personne n’a vu Dieu, si ce n’est son Fils unique ; celui qui est dans le sein du Père a raconté ce qu’il y a vu dg » ; et encore : « Nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils aura voulu le révéler dh ». 4. Après avoir dit : « Mais Celui qui m’a envoyé est véridique, et vous ne le connaissez point », le Sauveur voulut indiquer aux Juifs le moyen d’apprendre ce qu’ils ignoraient, et il ajouta : Mais « moi, je le connais ». Pour le connaître, apprenez donc à me connaître moi-même. Mais d’où vient que je le connais ? « De ce que je suis par lui, et qu’il m’a envoyé ». Magnifique démonstration de deux vérités ! « Je suis par lui », puisque le Fils est engendré du Père, et que tout ce qu’il est, il le tient de celui dont il est le Fils. Voilà pourquoi nous disons que Notre-Seigneur Jésus-Christ est Dieu de Dieu, tandis que nous appelons le Père, non pas Dieu de Dieu, mais simplement Dieu : telle est aussi la raison pour laquelle nous disons que Notre-Seigneur Jésus-Christ est Lumière de Lumière, tandis que nous appelons le Père, non pas Lumière de Lumière, mais simplement Lumière. À cela reviennent ces paroles : « Je suis par lui ». Si, maintenant, vous me voyez pareil à un autre homme, c’est « qu’il m’a envoyé ». Mais de ce que le Sauveur dit : « Il m’a envoyé », garde-toi de conclure que le Père est d’une nature différente de celle du Fils ; par ces paroles, il ne fait allusion qu’à l’autorité de Celui qui l’a engendré. 5. « Ils cherchaient donc à le saisir, mais nul n’étendit la main sur lui, parce que son heure n’était pas encore venue » ; c’est-à-dire, parce qu’il ne le voulait pas. Quel est, en effet, le sens de ce passage : « Son heure m’était pas encore venue ? » Le Sauveur n’était point né sous l’empire de la fatalité : tu ne dois pas le croire de toi-même ; à plus forte raison, de ton Créateur. Si ton heure n’est que sa volonté, son heure à lui peut-elle être autre chose que sa propre volonté ? En parlant de son heure, il n’a donc point voulu désigner un moment où il serait forcé de mourir, mais il a indiqué celui où il permettrait à ses ennemis de lui ôter la vie. Il attendait le moment de se livrer à la mort, parce qu’il avait attendu le jour où il viendrait à la vie. Ce moment, l’Apôtre en parle quand il dit : « Mais lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils di ». Voilà pourquoi beaucoup disent : Pourquoi le Christ n’est-il pas venu plus tôt ? Il faut leur répondre : Parce que Celui qui dispose de tous les moments n’avait pas encore jugé que tous les temps étaient accomplis. De fait, il savait quand il devait venir. D’abord, sa venue dû être annoncée pendant une longue suite de siècles et d’années, car c’était un événement d’une suprême importance ; il avait dû être prédit longtemps d’avance, parce qu’il devait toujours être un bienfait pour le monde. Il devait venir en ce monde comme le juge de l’univers ; son avènement devait donc être annoncé par une suite de hérauts proportionnée à ses sublimes fonctions. Enfin, lorsque les temps ont été accomplis, il est tenu lui-même pour nous délivrer des vicissitudes des temps. Sortis du temps comme d’un état d’esclavage, nous arriverons à l’éternité, où le temps n’a plus de place, et où l’on se dit plus : Quand viendra notre heure, parce que ce jour dure sans cesse ; il n’est ni précédé d’une veille, ni terminé par un lendemain. Dans le cours de cette vie, les jours s’écoulent les uns après les autres ; ceux-ci viennent, ceux-là s’en vont ; aucun d’eux n’a de durée permanente ; le moment où nous parlons fait place à un autre, et, pour proférer une syllabe, il faut que nous en ayons fini avec la précédente. Nous vieillissons à mesure que les mots s’échappent de notre bouche, et il est sûr que j’ai vieilli depuis ce matin. Ainsi, dans le temps, rien de stable, rien de fixe. C’est donc pour nous un devoir d’aimer Celui qui a créé tous les temps, afin qu’il nous délivre des vicissitudes du temps, et nous fixe dans l’éternité, où l’on n’éprouve aucune de ces vicissitudes. Quelle infinie miséricorde de la part de Notre-Seigneur Jésus-Christ, d’être né dans le temps à cause de nous, après avoir créé le temps ; d’être apparu au milieu de tous les êtres, après les avoir fait sortir du néant ; d’être devenu une de ses créatures ! Il est effectivement devenu tel, car lui, qui avait fait l’homme, s’est fait homme afin de sauver les hommes, Dans ce but, il était venu ici-bas, il était né à l’heure désignée pour son entrée en ce monde ; mais l’heure de sa passion n’avait pas encore sonné ; aussi ne devait-il pas encore souffrir. 6. Remarquez bien, je vous prie, que la mort du Sauveur a été non pas un effet de la nécessité, mais le résultat de sa volonté. En entendant ces paroles : « Son heure n’est pas encore venue », il en est quelques-uns parmi vous, et c’est à eux que je m’adresse en ce moment, pour s’autoriser à croire à la fatalité ; ainsi, leurs cœurs s’abandonnent à l’extravagance. Remarquez bien, dis-je, que la mort du Sauveur a été le résultat de sa volonté ; pour cela, reportez-vous à la considération de sa passion, mettez-vous en face de la croix. Attaché à l’instrument de son supplice, Jésus s’écria : « J’ai soif ». Les soldats l’ayant entendu, s’approchèrent de sa croix et lui présentèrent une éponge pleine de vinaigre, qu’ils avaient attachée à un roseau ; le Sauveur en prit, et dit : « Tout est consommé », et, ayant incliné la tête, il rendit l’esprit. Vous voyez, par cette circonstance, que, s’il mourait, il en avait la volonté ; car il attendait l’accomplissement de ce qui devait, selon les prophéties, avoir lieu avant sa mort ; le Prophète avait dit en effet : « Ils m’ont donné du fiel pour ma nourriture ; ils m’ont présenté du vinaigre pour étancher ma soif dj ». Il attendait que toutes ces choses fussent accomplies, et, quand elles le furent, il dit : « C’est fini », et il quitta volontairement la vie, parce qu’il n’était pas venu forcément en ce monde. Aussi, ce pouvoir de mourir quand il l’a voulu a-t-il étonné certaines personnes, plus que le pouvoir d’opérer des miracles. De fait, on s’approcha des crucifiés pour détacher leurs corps de l’instrument de leur supplice, parce que la lumière du sabbat commençait à briller, et l’on s’aperçut que les larrons vivaient encore. Le supplice de la croix était d’autant plus cruel, qu’on le subissait plus longtemps, et tous ceux qu’on y condamnait mouraient d’une mort très-lente. Pour ne pas laisser les brigands sur la croix, on les força à mourir, en leur brisant les jambes, et, ainsi, fut-on à même de les en détacher plus vite. On vit que le Sauveur était mort dk, et l’on s’en étonna, et des hommes qui l’avaient méprisé pendant sa vie, furent à son égard saisis d’une si vive admiration après sa mort, qu’ils s’écrièrent « Vraiment, celui-ci est le Fils de Dieu dl ». Voici, mes frères, une autre preuve de cette puissance de Jésus : lorsque les Juifs le cherchaient, il leur dit : « Me voilà ; et ils reculèrent, et ils tombèrent par terre dm ». La puissance suprême lui appartenait donc. Et quand il mourut, il n’y était nullement forcé par l’heure ; il avait, au contraire, attendu le moment favorable d’accomplir sa volonté, et non celui où, malgré lui, il perdrait nécessairement la vie. 7. « Et plusieurs, dans cette multitude, crurent en lui ». Le Sauveur guérissait les humbles et les pauvres. Pour les chefs, ils se laissaient emporter par une folie furieuse aussi ne reconnaissaient-ils pas le médecin, et, de plus, cherchaient-ils à le faire mourir. Beaucoup de personnes s’aperçurent bientôt de leur maladie propre, et reconnurent aussitôt l’efficacité du remède que Jésus leur proposait. Voyez ce que se dirent à elles-mêmes ces personnes ébranlées par les miracles du Sauveur : « Lorsque le Christ sera venu, fera-t-il plus de prodiges que celui-ci ? » Évidemment, s’il ne doit pas y avoir deux Christs, celui-ci est le Christ. Comme conséquence de ce raisonnement, elles crurent en lui. 8. En présence des témoignages que cette multitude donnait de sa foi, en entendant le bruit confus de ces voix qui glorifiaient Jésus, les chefs « envoyèrent des soldats pour le saisir ». Pour le saisir ? Malgré lui ? Mais parce qu’ils ne pouvaient s’emparer de lui contre son gré, les émissaires furent envoyés pour écouter ses instructions. Qu’enseignait – il ? « Jésus leur dit : Je suis encore pour un peu de temps avec vous ». Ce que vous voulez faire maintenant, vous le ferez, mais plus tard ; aujourd’hui, je ne le veux pas. Pourquoi est-ce que je n’y consens pas pour le moment ? « Parce que je suis encore avec vous pour un peu de temps, et que je vais vers Celui qui m’a envoyé ». Je dois accomplir toute ma mission et arriver, par là, à ma passion. 9. « Vous me chercherez, et vous ne me trouverez pas, et, là où je suis, vous ne pouvez venir ». C’était là prédire déjà sa résurrection : ils n’ont pas voulu le reconnaître quand il était au milieu d’eux, et plus tard, lorsqu’ils virent que la multitude croyait en lui, ils le cherchèrent. De grands prodiges eurent lieu, même au moment de la résurrection du Sauveur et de son ascension : alors ses disciples opérèrent des miracles éclatants, mais ils n’étaient que les instruments de Celui qui en avait tant fait lui-même, car il leur avait dit : « Vous ne pouvez rien faire sans moi dn ». Lorsque le boiteux qui se tenait à la porte du temple, se leva à la voix de Pierre, et marcha sur ses pieds, tous furent dans l’admiration : alors, le prince des Apôtres leur adressa la parole, et leur déclara que s’il avait guéri cet homme, ce n’était point en vertu de son propre pouvoir, mais que c’était par la puissance de Celui qu’ils avaient fait mourir do. Saisis de douleur, plusieurs lui répondirent : « Que ferons-nous dp ». Ils se voyaient souillés d’un crime énorme d’impiété, car ils avaient mis à mort celui qu’ils auraient dû respecter et adorer : et leur crime leur semblait impossible à expier. C’était là une grande faute : à la considérer dans sa laideur, il y avait de quoi tomber dans le désespoir ; mais le désespoir leur était défendu, puisque, sur la croix, le Seigneur Jésus a bien voulu prier pour eux, et qu’il avait dit : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font dq. » Parmi un grand nombre d’hommes qui devaient le méconnaître toujours, il en apercevait quelques-uns, destinés à lui appartenir ; il demandait leur pardon au moment même où ils l’insultaient : et ce qu’il considérait alors, ce n’était pas la mort qu’ils lui donnaient, c’était la mort qu’il endurait pour eux. Ce fut pour eux un grand bienfait que cette mort donnée par eux, et endurée pour leur salut ; aussi, quand on voit que les bourreaux du Sauveur ont obtenu le pardon de leur déicide, on n’a plus le droit de désespérer du pardon de ses propres fautes. Le Christ est mort pour nous, mais avons-nous trempé nos mains dans son sang ? Il est mort, victime de leur scélératesse ; ils lui ont vu rendre le dernier soupir, et ils ont cru en lui, très qu’il leur eut pardonné leur crime. Pendant qu’ils s’abreuvaient du sang divin qu’ils avaient répandu, ils désespéraient de leur salut ; voilà pourquoi il leur dit : « Vous me chercherez, et vous ne me trouverez pas, et là, où je suis, vous ne pouvez venir », car ils devaient le chercher après sa résurrection, dans les sentiments du plus profond repentir. Il ne dit pas : Où je serai ; mais « Où je suis », parce que le Christ était toujours là où il devait retourner ; il en était venu, sans pour cela s’en éloigner. À cet égard, il dit en un autre endroit : « Personne n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme, qui est au ciel dr ». Il ne dit pas, remarquez-le bien : Qui a été au ciel. Il parlait ici-bas, et il disait qu’il était dans le ciel. Il en est descendu sans en sortir ; il y est remonté sans nous délaisser. Pourquoi vous en étonner ? Il s’agit de Dieu. Par son corps, l’homme se trouve en un endroit, et il en sort ; et quand il a pénétré dans un autre, il n’est plus dans celui où il se trouvait auparavant. Pour Dieu, il remplit tous les lieux ; il est tout entier partout ; il n’est renfermé nulle part, dans un espace quelconque. En tant qu’homme, Notre-Seigneur Jésus-Christ se trouvait sur la terre ; par son infinie et invisible majesté, il était sur la terre et dans le ciel ; aussi dit-il : « Là où je suis, vous ne pouvez venir ». Il ne dit pas Vous ne pourrez venir ; mais : « Vous ne pouvez venir », car alors ses interlocuteurs n’étaient pas en position de pouvoir le suivre. Et n’allez pas croire qu’il s’était primé de la sorte pour les décourager, car il avait tenu aussi à ses disciples un discours semblable : « Là où je vais, vous ne pouvez venir ds ». Il avait encore adressé pour eux à son Père cette prière : « Père, je désire que là où je suis, ceux-ci y soient aussi dt ». Il avait fait entendre à Pierre la même vérité, en ces termes : « Tu ne peux maintenant me suivre où je vais, mais tu me suivras un jour du ». 10. « Les Juifs dirent », non pas en s’adressant à lui, mais en s’adressant à eux-mêmes : « Où doit aller celui-ci, puisque nous ne le trouverons point ? Doit-il aller vers ceux qui sont dispersés parmi les nations, et enseigner les Gentils ? » Ils ne savaient ce qu’ils disaient, mais ils prophétisaient, parce que telle était la volonté du Christ. Il devait, en effet, aller parmi les nations, non pas personnellement, sans doute, mais par l’intermédiaire de ses pieds. Quels étaient ses pieds ? Ceux que Saul persécutait et voulait écraser, au moment où le chef lui cria : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » Quel est le sens de ces paroles du Sauveur : « Vous me chercherez, et vous ne me trouverez point, et là où je suis, vous ne pouvez venir ? » Comment a-t-il pu dire qu’ils étaient ignorants, quand, malgré leur ignorance, ils ont prédit d’avance ce qui devait arriver ? Jésus s’est exprimé de la sorte, parce qu’effectivement ils ne connaissaient point le lieu (si toutefois on peut désigner sous ce nom le sein du Père), que n’a jamais quitté le Fils unique de Dieu : ils n’étaient pas même capables d’imaginer en quel endroit était le Christ, de quel endroit il ne s’était jamais éloigné, en quel lieu il devait retourner, ni où il avait sa demeure permanente. Comment l’esprit humain serait-il à même de s’en faire une idée ? Il est encore bien plus impossible à une langue humaine de l’expliquer. Les Juifs ne comprenaient donc rien à ce mystère, et cependant, à cette occasion, ils annoncèrent d’avance notre salut, puisqu’ils prédirent que le Sauveur irait vers ceux qui étaient dispersés parmi les nations, et qu’il accomplirait à la lettre ce qu’ils lisaient dans l’Écriture sans te comprendre : « Le peuple que je ne connaissais pas, m’a servi : il a prêté une oreille attentive à ma voix dv ». Les hommes, qui ont vu de leurs yeux l’accomplissement de cette prophétie, ne l’ont point comprise, et ceux qui n’ont fait que l’entendre, en ont eu l’intelligence. 11. Nous trouvons, dans la femme affligée d’un flux de sang, le type de cette Église qui devait se former de nations païennes : elle touchait le Sauveur sans être aperçue. Sans la connaître, il lui rendait la santé. C’était en figure que le Christ adressait à ses disciples cette question : « Qui est-ce qui m’a touché ? » Il guérit, comme il ne s’en doutait pas même, cette femme qu’il semblait ne pas connaître. Ainsi agit-il à l’égard des Gentils. Nous ne l’avons pas connu au moment où il était revêtu de notre humanité, et, toutefois, nous avons mérité de nous nourrir de sa chair et de devenir les membres de son corps. Pourquoi ? Parce qu’il nous a envoyé des émissaires. Quels émissaires ? Ses hérauts, ses disciples, ses serviteurs, ceux qu’il s’était rachetés après les avoir créés, mais qu’il avait rachetés pour en faire ses frères ; mais je dis encore trop peu : il nous a envoyé ses membres, lui-même ; et, en nous envoyant ses membres, il a aussi fait de nous ses membres. Remarquez-le, néanmoins ; lorsque les Juifs le voyaient au milieu d’eux et le méprisaient, son corps avait une tout autre apparence que celle sous laquelle il s’est montré au milieu de nous : cela avait été aussi dit de lui, suivant l’expression de l’Apôtre : « Car je vous déclare que Jésus-Christ a été le ministre pour le peuple circoncis, afin de vérifier la parole de Dieu et de confirmer les promesses faites à nos pères ». Il a dû venir vers eux ; car leurs pères en avaient reçu la promesse, et ils la leur avaient transmise : c’est pourquoi le Sauveur s’exprime lui-même ainsi : « Je ne suis envoyé que pour les brebis perdues de la maison d’Israël dw ». Mais qu’est-ce qu’ajoute l’Apôtre ? « Les Gentils doivent glorifier Dieu de la miséricorde qu’il leur a faite dx ». Et le Seigneur ? « J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de ce bercail ». Le Christ avait dit : « Je ne suis envoyé que pour les brebis perdues de la maison d’Israël » : comment peut-il y avoir d’autres brebis, vers lesquelles il n’ait pas été envoyé ? En s’exprimant de la sorte, il a donc voulu faire comprendre qu’il ne devait se manifester sous la forme humaine qu’aux Juifs, qui l’ont vu et mis à mort. Néanmoins, avant et après, il s’en est trouvé beaucoup parmi les Gentils pour croire en lui. Du haut de la croix, il a secoué et criblé le grain de la première récolte, pour en tirer la semence nécessaire à la seconde. Aujourd’hui, la prédication de l’Évangile et la bonne odeur de Jésus-Christ, ayant amené à la foi les disciples que devaient lui donner toutes les nations du monde, les peuples attendront que vienne de nouveau celui qui est déjà venu dy. Alors sera vu par tous celui qui a été vu par les uns, et que les autres n’ont pas contemplé : alors viendra juger les hommes celui qui est venu subir le jugement des hommes : alors enfin apparaîtra pour discerner les bons des méchants, celui qui n’a pas été reconnu à sa première apparition en ce monde. On n’a pas, en effet, discerné le Christ d’avec les impies ; on l’a confondu et condamné avec eux, car il a été dit de lui « Il a été compté parmi les pécheurs dz ». Un brigand a été mis en liberté, et le Sauveur condamné à mort ea. Un scélérat a trouvé grâce malgré ses crimes ; on a prononcé une sentence de mort contre celui qui a pardonné à tous les coupables, repentants de leurs fautes. Et pourtant, si tu y fais bien attention, la croix elle-même a été, pour le Christ, un vrai tribunal : placé comme un juge, entre les deux larrons, il a délivré celui des deux qui a cru en lui eb, et condamné celui qui l’a insulté. Par là, il nous a déjà fait entendre ce qu’il fera à l’égard des vivants et des morts, plaçant les uns à la droite, et les autres à la gauche, et désignant, par avance, ceux-ci dans la personne du mauvais larron, et ceux-là dans la personne du bon larron. Au moment même où il subissait le jugement des hommes, il les menaçait de celui qu’il leur ferait subir à son tour.TRENTE-DEUXIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CES MOTS : « EN LA DERNIÈRE ET GRANDE JOURNÉE DE LA FÊTE, JÉSUS ÉTAIT LÀ, CRIANT « ET DISANT : SI QUELQU’UN A SOIF, QU’IL VIENNE À MOI, ET QU’IL BOIVE », JUSQU’À CES AUTRES : « CAR LE SAINT-ESPRIT N’ÉTAIT PAS ENCORE DONNÉ, PARCE QUE JÉSUS N’ÉTAIT PAS ENCORE GLORIFIÉ ». (Chap 7, 37-39.)LES DONS DU SAINT-ESPRIT.
Ce que nous aimons le plus dans nos semblables, c’est leur âme, parce qu’elle est supérieure au corps ; mais Dieu qui est le maître de nos âmes, ne devons-nous pas l’aimer par-dessus toutes choses ? Si nous avons soif de lui, nous recevrons l’Esprit-Saint, et en lui nous trouverons l’union avec les autres membres de l’Église, et cette précieuse charité qui fera notre bonheur ici-bas et dans le ciel. 1. Au milieu des discussions et des doutes, dont Notre-Seigneur Jésus-Christ était l’occasion pour les Juifs ; pendant le cours de ces instructions du Sauveur, qui confondaient les uns et éclairaient les autres, « en la dernière journée de cette fête » (car tout ceci se passait pendant la fête), que l’on appelait scénopégie, c’est-à-dire construction des tabernacles {votre charité se souvient que nous avons précédemment fait une dissertation à ce sujet) ; Notre-Seigneur Jésus-Christ appelle à lui, non pas à voix basse, mais en criant, tous ceux qui ont soif, et il les engage à venir à lui. Si nous sommes altérés, approchons-nous de lui, et, pour cela, nous n’avons nul besoin de nos pieds ; nos cœurs nous suffisent : ne quittons point l’endroit où nous sommes, mais aimons-le. Celui qui aime se déplace, même en tant qu’homme intérieur ; autre chose est de se déplacer corporellement, autre chose de le faire de cœur : changer corporellement de place, c’est se transporter, par un mouvement du corps, d’un lieu en un autre : se déplacer de cœur, c’est, par un mouvement du cœur, modifier ses affections. Si tu aimes aujourd’hui une chose différente de celle que tu aimais hier, tu n’es plus où tu étais. 2. Le Sauveur nous crie donc, car il était là criant et disant : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive. Celui qui croit en moi, suivant ce que dit l’Écriture, des fleuves d’eau vive couleront de son sein ». Puisque l’Évangéliste nous a fait connaître le sens de ces paroles, nous n’avons pas à nous y arrêter. Pourquoi Jésus a-t-il dit : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive ; et celui qui croit en moi, des fleuves d’eau vive couleront de son sein ? » L’Évangéliste nous l’a expliqué immédiatement après, dans ce passage : « Or, il disait cela à cause de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui ; car l’Esprit n’était pas encore donné, parce que Jésus n’était pas encore glorifié ». Il y a donc une soif intérieure, comme il y a un sein intérieur : la raison en est qu’il y a aussi un homme intérieur. L’homme intérieur ne se voit pas ; mais on aperçoit l’homme extérieur : le premier est bien préférable au second. Ce qu’on ne voit pas, on l’aime davantage, et il est sûr qu’on a pour l’homme intérieur une affection bien plus vive que pour l’homme du dehors. Où en est la preuve ? Chacun peut la trouver en lui-même. Ceux qui vivent mal, condamnent leurs esprits à être les esclaves de leurs corps ; néanmoins, ils désirent vivre, ce qui est le propre de l’esprit, et, par là, ils montrent qu’ils estiment plus dans leur personne ce qui commande que ce qui obéit : ce sont, en effet, les âmes qui gouvernent, tandis que les corps sont gouvernés. Un homme aime la volupté ; c’est le corps qui lui procure cette jouissance ; mais si tu les sépares l’un de l’autre, il n’y a plus rien dans le corps pour se réjouir, et s’il est en lui quelque chose qui ressente du plaisir, c’est uniquement l’âme. Si la maison de boue qu’elle habite lui procure des jouissances, ne doit-elle pas en trouver en elle-même ? Si elle en trouve au-dehors, doit-elle en être privée à l’intérieur ? Il est donc parfaitement certain que l’homme préfère son âme à son corps, et, comme il agit pour lui-même, il agit aussi pour les autres ; il donne aussi la préférence à leur âme. Qu’aime-t-on, en effet, dans un ami ? Où est l’affection la plus sincère et la plus pure ? Qu’aime-t-on davantage dans un ami ? Est-ce l’âme ? Est-ce le corps ? Si tu aimes sa foi, tu aimes son âme ; si tu aimes sa bienveillance, le siège n’en est-il pas dans son âme ? Tu en affectionnes un autre, parce qu’il t’affectionne lui-même : fais-tu autre chose que chérir son âme ? Pourquoi ? Parce que l’affection qu’il ressent pour toi procède de son âme, et non pas de son corps. Tu l’aimes parce qu’il t’aime : vois d’où procède son amour pour toi, et tu sauras ce que tu chéris en lui. Ce qu’on affectionne le plus, on ne le voit donc pas. 3. Je vais vous dire autre chose, pour faire mieux comprendre à votre dilection combien on aime une âme, et quelle préférence on lui accorde sur le corps. Les libertins qui trouvent leur plaisir dans la beauté du corps, et chez qui la forme des membres allume une passion impure, les libertins aiment plus vivement lorsqu’ils se sentent payés de retour. Si au contraire un pareil homme donne son affection à une malheureuse créature, et qu’il s’en voie repoussé, alors la haine pour elle l’emporte dans son cœur sur l’amour. Pourquoi la déteste-t-il plus qu’il ne l’affectionne ? Parce qu’elle ne lui rend point en amour ce qu’il en dépense pour elle. Si ceux qui aiment les corps veulent être aimés à leur tour, si ce qui leur cause la plus douce jouissance, c’est d’être aimés, que penser de ceux qui chérissent les âmes ? Et puisqu’il en est pour aimer si passionnément les âmes, que dire des hommes qui aiment Dieu, auteur de la beauté des âmes ? De même, en effet, que l’âme est l’ornement du corps, ainsi Dieu est-il l’ornement de l’âme. On aime un corps uniquement pour l’âme qui l’anime ; qu’elle s’en retire, il devient un hideux cadavre à tes yeux, et si vivement que tu aies aimé ses membres à cause de leur beauté, tu te hâtes de les rendre à la terre. De là il suit que l’ornement du corps, c’est l’âme, et que l’ornement de l’âme, c’est Dieu. 4. Le Seigneur nous crie donc de nous approcher de lui, et de boire si nous avons soif, et il nous dit que, lorsque nous aurons bu, des fleuves d’eau vive jailliront de notre sein. Le sein intérieur de l’homme, c’est sa conscience, c’est le sanctuaire de son cœur : dès qu’il a pris ce précieux breuvage, sa conscience purifiée retrouve la vie ; à force de puiser, elle rencontrera la source elle deviendra elle-même une source. Qu’est-ce que cette source, qu’est-ce que ce fleuve qui jaillit du sein de l’homme intérieur ? C’est cette bienveillance qui le porte à se rendre utile au prochain ; car s’il s’imagine que ce qu’il boit ne doit profiter qu’à lui-même, c’est que l’eau vive ne jaillit pas de son sein : si, au contraire, il s’empresse de faire du bien au prochain ; la source, loin de tarir, coule en abondance. Voyons maintenant en quoi consiste ce breuvage de ceux qui croient en Notre-Seigneur, parce qu’à coup sûr noue sommes chrétiens, et que si nous croyons, nous buvons. Chacun de nous doit rentrer en lui-même, examiner s’il boit, et voir si ce qu’il boit le fait vivre. Car la source ne s’éloigne de nous qu’autant que nous nous éloignons d’elle. 5. J’en ai fait la remarque : l’Évangéliste a fait connaître la raison pour laquelle le Sauveur avait crié, le breuvage qu’il avait invité à recevoir, ce qu’il avait promis à ceux qui boiraient ; il nous l’a expliqué en ces termes : « Or, il disait cela à cause de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui, car le Saint-Esprit n’était pas encore donné, parce que Jésus n’était pas encore glorifié ». Qu’appelle-t-il l’Esprit, sinon l’Esprit-Saint ? Tout homme possède en lui-même un esprit qui lui est propre ; j’en parlais tout à l’heure en vous entretenant de l’âme humaine. L’âme de chacun de nous est notre esprit propre voici ce qu’en dit l’apôtre saint Paul : « Qui, d’entre les hommes, connaît ce qui est dans l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui ? » Puis il ajoute : « De même personne ne connaît ce qui est en Dieu, sinon l’esprit de Dieu ec ». Il n’y a, pour connaître ce qui nous concerne, que notre esprit. Et de fait, je ne connais pas plus tes pensées que tu ne connais les miennes : les pensées secrètes de notre âme sont notre propriété personnelle : l’esprit d’un chacun en est le témoin. « De même, personne ne connaît ce qui est en Dieu, sinon l’Esprit de Dieu ». Nous sommes avec notre esprit : Dieu est avec le sien : avec cette différence, néanmoins, qu’avec son Esprit Dieu sait ce qui se panse en nous, tandis que sans le sien nous sommes incapables de savoir ce qui se passe en lui. Dieu sait ce qui se passe en nous, même ce que nous ignorons s’y trouver. Pierre n’ignorait-il pas sa faiblesse, quand le Sauveur lui annonça qu’il le renierait trois lois ed ? Le médecin connaissait sa maladie, et lui, malade, ne savait pas même qu’il en fût atteint. Il est donc en nous des choses que Dieu y voit et que nous n’y apercevons pas. Et toutefois, autant que cela peut se faire, humainement parlant, une personne ne peut jamais être mieux connue que par elle-même : une autre ne peut savoir ce qui se passe en elle : son esprit propre en est seul capable. Mais si nous recevons l’Esprit de Dieu, nous apprenons à connaître même ce qui se passe en lui. Non pas tout ce qui s’y passe, néanmoins, parce que nous ne recevons pas l’Esprit de Dieu dans toute sa plénitude. Par ce gage d’amour, nous avons appris une foule de choses ; car nous l’avons reçu, et plus tard nous le recevrons dans toute sa plénitude. En attendant, qu’il nous console pendant le cours de ce terrestre pèlerinage, car si Dieu a bien voulu nous donner pour l’avenir une telle assurance, il est prêt à nous accorder beaucoup. Si telles sont les arrhes, que penser de ce pourquoi elles nous ont été données ? 6. Mais que veut dire l’Évangéliste par ces paroles : « Car le Saint-Esprit n’était pas encore donné, parce que Jésus n’était pas encore glorifié ? » Sa pensée est évidente ; il est impossible de ne pas la saisir. Sans aucun doute, l’Esprit, qui était en Dieu, ne lui faisait pas défaut ; mais il n’était pas encore descendu dans l’âme de ceux qui croyaient en lui : car le Seigneur Jésus avait résolu de ne leur donner l’esprit dont nous parlons, qu’après sa résurrection : à cela, il y avait une raison. Si nous cherchons à la connaître, il nous aidera sans doute à y parvenir ; et si nous frappons, il nous ouvrira, afin que nous puissions entrer. C’est par la piété, et non par les mains, que nous frapperons ; et dans le cas où nous nous servirions, pour cela, de nos mains, qu’elles soient, du moins, toujours occupées, à faire des œuvres de miséricorde, Pourquoi donc Notre-Seigneur Jésus-Christa-t-il résolu de ne nous donner le Saint-Esprit qu’après sa glorification ? Avant de le dire de notre mieux, il nous faut d’abord, afin d’éviter tout scandale, chercher à savoir pourquoi le Saint-Esprit ne se trouvait pas encore en des hommes déjà saints, puisque, au rapport de l’Évangile, le Saint-Esprit fit reconnaître le Sauveur au vieux Siméon, immédiatement après sa naissance : sous l’inspiration du même Esprit-Saint, Anne la veuve, la prophétesse, le reconnut aussi ee. Il en fut de même de Jean, lorsqu’il baptisa le Sauveur ef. Rempli encore du Saint-Esprit, Zacharie prédit beaucoup de choses eg : Marie elle-même, pour concevoir Jésus-Christ, reçut le Saint-Esprit eh. Nous en avons donc plus d’une preuve : le Saint-Esprit a été donné avant que Jésus fût glorifié par la résurrection de son corps. C’était encore le même Esprit qui donnait aux Prophètes d’annoncer la venue du Christ ; mais la manière de donner le Saint-Esprit après sa résurrection devait être toute différente, car auparavant, on ne l’avait jamais vu descendre du ciel : c’est de cette manière nouvelle qu’il est ici question. Nulle part nous ne lisons, qu’avant la mort du Sauveur, des hommes réunis en uni même lieu aient reçu le Saint-Esprit et parlé la langue de toutes les nations, Mais ta première fois qu’il apparut à ses apôtres après sa résurrection, il leur adressa ces paroles : « Recevez le Saint-Esprit ». C’était de ce même Esprit qu’il était question dans cet autre passage : « Le Saint-Esprit n’était pas encore donné, parce que Jésus n’était pas encore glorifié. Et il souffla sur eux ei ». C’était déjà lui qui, de son souffle, avait fait sortir de terre le premier homme, et lui avait donné la vie : c’était lui qui avait, par son souffle, donné une âme à Adam ej. Par là, il montrait d’avance que ce serait encore lui qui soufflerait sur ses Apôtres, pour les élever au-dessus des choses de ce monde et les porter à renoncer aux œuvres de la terre. Telle fut la première circonstance, où, après sa résurrection que l’Évangéliste appelle sa glorification, le Seigneur donna l’Esprit-Saint à ses disciples. Il le leur donna encore, lorsqu’après être resté pendant quarante jours avec ses disciples, comme le démontre le texte sacré, il monta au ciel en leur présence et sous leurs yeux ek. Puis, dix jours s’étant écoulés, il fit descendre sur eux le Saint-Esprit, à la fête de la Pentecôte : alors, selon ce que je viens de dire, tous ceux qui se trouvaient réunis dans le même endroit furent remplis de l’Esprit-Saint et parlèrent le langage de toutes les nations el. 7. Maintenant, mes frères, de ce qu’aujourd’hui un homme reçoit le baptême du Christ et croit en lui, sans néanmoins parler toutes les langues, est-on en droit de croire qu’il n’a pas reçu le Saint-Esprit ? Plaise à Dieu d’écarter de notre cœur une aussi injuste pensée. Nous en sommes sûrs, tout chrétien a reçu l’Esprit de Dieu ; mais plus grand est le vase de foi qu’il a apporté à cette source féconde, plus grande est la quantité d’eau qu’il y puise. Mais, dira quelqu’un, puisqu’on reçoit encore aujourd’hui l’Esprit-Saint, comment se fait-il qu’on ne parle plus toutes les langues ? Parce que maintenant toutes les langues sont parlées dans l’Église. Auparavant, cette Église qui parlait toutes les langues, ne comprenait dans son sein qu’une seule nation. Parler toutes les langues, c’était de sa part annoncer qu’elle étendrait ses limites parmi les divers peuples, et parlerait comme eux tous. Celui qui ne fait point partie de cette Église ne reçoit pas, même maintenant, le Saint-Esprit, car il est retranché et séparé de l’unité des membres : qu’il se renonce lui-même, et il le possédera : et s’il le possède, qu’il en donne donc la preuve qu’en donnaient les Apôtres. Qu’il en donne la preuve qu’en donnaient les Apôtres, qu’est-ce à dire ? Qu’il parle toutes les langues. Eh quoi ! me répond le chrétien auquel je m’adresse, parles-tu toutes les langues ? – Oui, je les parle, car ma langue est universelle, ou, en d’autres termes, ma langue est celle du corps auquel j’appartiens. Répandue parmi toutes les nations, l’Église en parle les différentes langues ; or, l’Église, c’est le corps du Christ : tu fais partie de ce corps, en qualité de membre, et puisque tu fais partie d’un corps qui parle toutes les langues, crois donc que tu les parles aussi. L’unité des membres est le résultat de la charité, et leur ensemble parle comme chaque Apôtre parlait immédiatement après la venue du Saint-Esprit. 8. Nous aussi, nous recevons l’Esprit-Saint, si nous aimons l’Église, si la charité nous unit, si nous avons le bonheur de nous appeler catholiques et d’en avoir la foi. Croyons-le, mes frères : autant on aime l’Église du Christ, autant on entre en participation de l’Esprit – Saint ; car, nous dit l’Apôtre, il a été donné « pour se manifester ». Et comment doit-il se manifester ? Saint Paul nous le dit encore : « L’uni reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec sagesse : l’autre reçoit du même Esprit le don de parler avec science : un autre reçoit le don de la foi par le même Esprit ; un autre reçoit du même Esprit le don de guérir les maladies ; un autre, le don des miracles ». On reçoit de lui beaucoup de dons destinés à être manifestés, mais peut-être n’en as-tu reçu aucun de ceux que je viens de nommer. Si tu aimes l’Église, il est sûr que tu n’en es pas absolument dépourvu ; car si tu tiens de cœur à l’ensemble de l’Église, tu partages avec ceux qui les possèdent les dons de l’Esprit de Dieu. Ne sois point envieux : tout ce que je possède t’appartient : je ne veux moi-même nourrir aucun sentiment de jalousie, car ce que tu possèdes est à moi. L’envie produit la séparation ; l’union, tel est l’effet de la charité. Dans le corps humain, l’œil seul ale privilège de la vue ; mais est-ce pour lui seul qu’il en jouit ? Il le possède pour la main, pour le pied, pour tous les autres membres, et si le pied reçoit un coup, l’œil ne s’en détourne pas, afin de ne rien voir et de ne rien prévoir. De même, la main est le seul de tous les membres pour travailler ; mais travaille-t-elle pour elle seule ? Elle le fait aussi pour l’œil. Ainsi, qu’on vienne à vouloir frapper, non pas la main, mais le visage, celle-ci dit-elle : Je ne me remue point, puisque ce n’est pas moi qu’on veut blesser ? Par la marche, le pied travaille encore pour tous les autres membres : tous les membres gardent le silence, la langue parle pour tous. Nous sommes donc en participation du Saint-Esprit, si nous aimons l’Église ; et nous l’aimons dès que, par la charité, nous ne faisons qu’un avec tout son ensemble. Après avoir dit qu’aux différents hommes sont accordés différents dons, comme à certains membres sont dévolues certaines fonctions du corps humain, l’Apôtre ajoute : « Mais je vous montrerai encore une voie beaucoup plus excellente ». Et il commence à parler de la charité : il la préfère au langage des anges et des hommes, aux miracles opérés par la foi, à la science et à la prophétie, et même à cette grande œuvre de miséricorde, qui consiste à distribuer son bien aux pauvres ; et à toutes ces grandes et merveilleuses choses, il préfère la charité em. Aie donc la charité, et tu posséderas toutes choses, car, sans elle, rien de ce que tu pourrais avoir, ne te serait de quelque utilité. Mais parce qu’au Saint-Esprit me rapporte cette charité dont nous parlons, (l’Évangile nous fournira bientôt l’occasion de vous entretenir encore de l’Esprit-Saint) écoute ces paroles de l’Apôtre : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné en ». 9. Mais pourquoi le Sauveur a-t-il voulu attendre jusques après sa résurrection pour donner l’Esprit-Saint, dont les opérations en uns âmes sont admirables, puisque l’amour de Dieu a été répandu par lui dans nos cœurs ? Qu’a-t-il voulu nous apprendre par là ? Qu’en ressuscitant nous-mêmes, nous devons être enflammés par la charité, et que, sous son influence, il faut étouffer en nous l’amour du monde, afin que rien ne nous empêche de tendre tout entiers vers Dieu. Nous prenons naissance et nous mourons ici-bas, mais ce bas monde ne doit pas être l’objet de nos affections : sortons-en donc par la charité ; fixons plus haut notre demeure à l’aide de cette vertu qui nous fait aimer Dieu. Pendant le cours de ce pèlerinage terrestre, n’ayons pas d’autre pensée que celle-ci : Nous n’avons point ici de demeure permanente, mais nous devons y bien vivre, pour nous préparer une place en ce séjour éternel d’où il ne nous faudra jamais sortir. Depuis sa résurrection, Notre-Seigneur Jésus-Christ « ne meurt plus : désormais », comme le dit l’Apôtre, « la mort n’aura plus d’empire sur lui eo ». Voilà ce qui doit être l’objet de nos affections. Si nous vivons pour celui qui est ressuscité, si nous croyons en lui, il nous récompensera ; mais, pour cela, il ne nous donnera pas ce qu’aiment les hommes qui n’aiment pas Dieu ; ce qu’ils aiment d’autant plus, qu’ils aiment moins le Seigneur ; ce qu’ils aiment d’autant moins, qu’ils aiment davantage le souverain Maître. Et, maintenant, voyons ce qu’il nous a promis : ce ne sont ni les richesses de la terre et du temps, ni les honneurs et la puissance de ce monde : tous ces avantages, il les départit même aux méchants, afin que les bons n’en fassent pas beaucoup d’estime. Il ne nous a pas non plus promis la santé du corps ; non pas qu’il ne soit le maître de l’accorder, mais parce que, vous le voyez, il la donne même aux animaux. Serait-ce une longue vie ? Pouvons-nous considérer comme une vie longue celle qui finira un jour ? A des hommes de foi il n’a pas davantage promis la longévité ou une vieillesse avancée, que tous désirent atteindre avant qu’elle soit venue, dont tous se plaignent quand ils y sont une fois arrivés. Il n’est pas plus question de cette beauté du corps qui disparaît sous les atteintes d’une maladie ou sous les rides d’une vieillesse désirée avec ardeur. On veut jouir des agréments de la beauté : on prétend parvenir à un grand âge : deux désirs incapables de concorder ensemble. Si tu deviens vieux, adieu la beauté, car elle s’enfuira aux approches de la vieillesse ; une fraîche vigueur et les douleurs de la caducité mie peuvent, en même temps, se trouver dans le même corps. Tous ces avantages restent donc en dehors des promesses de Celui qui a dit : « Que celui qui croit en moi, vienne et boive ; et des fleuves d’eau vive couleront de son sein ». Il nous a promis la vie éternelle, où nous n’éprouverons aucune crainte, où nous ne ressentirons aucun trouble, d’où nous n’aurons pas à sortir, où nous ne mourrons point, où nous ne devrons ni pleurer ceux qui nous auront précédés, ni désirer d’être remplacés par d’autres. Voilà ce que le Sauveur a promis de nous donner, si nous l’aimons et si notre cœur brûle du feu de la charité du Saint-Esprit ; aussi n’a-t-il voulu nous donner cet Esprit-Saint qu’après qu’il a été glorifié ; car il voulait manifester dans son corps la vie, qui n’est pas encore notre partage, mais que nous posséderons après notre propre résurrection. Le commentaire de cette partie du chapitre 7 commence avec le chapitre 8.
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