hIsa 42, 14 suiv. les Septante
lSir 5, 8, 9
wJean 8, 8
anPsa 132, 17, 18
apTob 2, 11, 4
bdSag 9,15
buDan 13, 36-62
cdJn 95, 8, 9
csId 29, 15
dcPsa 15, 6, 5
df1Jn 8, 15
edJn 41, 58
faPsa LLXVII, 21 #Rem
John 8
TRENTE-TROISIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CES PAROLES DE L’Évangile : « PLUSIEURS DONC DE CETTE MULTITUDE AYANT ENTENDU CES MOTS », JUSQU’À CES AUTRES : « ET MOI, JE NE VOUS CONDAMNERAI PAS NON PLUS ALLEZ ET NE PÉCHEZ PLUS DÉSORMAIS ». (Chap 7, 40-53 ; 8, 1-11.)LA FEMME ADULTÈRE.
Au lieu de croire en Jésus comme les émissaires qu’ils avaient envoyés pour s’emparer de lui, ou comme Nicodème, ses ennemis cherchaient toutes les occasions de le mettre en contradiction avec lui-même et avec la loi, afin de le faire condamner par le peuple. Ils lui amenèrent donc une femme surprise en adultère, voulant lui reprocher, s’il la condamnait, sa dureté ; s’il la renvoyait absoute, son impiété : sans blesser les règles de la douceur, ni le respect dû à la loi, il leur rappela les imprescriptibles exigences de la justice, qui refuse à des coupables le droit de punir d’autres coupables. Ne comptons point exclusivement sur ta bonté ou sur la sévérité de Dieu, et en nous tenant éloignés de la présomption et du désespoir, nous resterons dans la vérité. 1. Votre charité s’en souvient : dans le discours précédent, et à l’occasion de la lecture qu’on avait faite dans l’Évangile, nous vous avons parlé du Saint-Esprit. Le Sauveur avait invité ceux qui croyaient en lui à s’abreuver à cette source d’eau vive ; au moment où il parlait ainsi, il se trouvait au milieu d’ennemis qui pensaient à se saisir de lui et désiraient le faire mourir, mais n’y parvenaient point, parce qu’il ne le voulait pas. Lorsqu’il leur eut adressé ces paroles, il se produisit dans la foule un dissentiment prononcé entre les uns et les autres : ceux-ci soutenaient qu’il était le Christ, ceux-là disaient que le Christ ne sortirait pas de la Galilée. Pour ceux que les Pharisiens avaient envoyés afin de mettre la main sur lui, ils se retirèrent sans avoir commis le crime qu’on leur avait commandé, mais dans le sentiment de la plus vive admiration. Ils rendirent, en effet, témoignage de la divinité de sa doctrine, car à cette question de ceux qui les avaient envoyés : « Pourquoi ne l’avez-vous pas amené ? » ils répondirent que jamais homme n’avait ainsi parlé devant eux. « Jamais personne n’a parlé comme lui ». Pour lui, il avait ainsi parlé, parce qu’il était Dieu et homme. Cependant, les Pharisiens ne voulurent point recevoir leur témoignage ; aussi leur dirent-ils : « Auriez-vous été séduits – vous-mêmes ? » Il est facile de voir que ses discours vous ont charmés. « Aucun des princes des prêtres et des Pharisiens a-t-il cru en lui ? Mais cette foule qui ne connaît pas la loi est maudite ». Les hommes qui ne connaissaient pas la loi croyaient en Celui qui l’avait donnée ; et ceux qui l’enseignaient en méprisaient l’Auteur. Par là s’accomplissait ce qu’avait dit le Sauveur lui-même : « Je suis venu, afin que ceux qui ne voient pas, voient, et que ceux qui voient, deviennent aveugles a ». Les Pharisiens étaient instruits, et ils se sont aveuglés, tandis que les rayons de la vérité ont éclairé les peuples auxquels la loi n’était pas connue, mais qui croyaient en Celui de qui émanait la loi. 2. Toutefois, « parmi les Pharisiens se trouvait Nicodème, qui était venu vers Jésus durant la nuit » ; ce n’était pas un incrédule, mais un homme timide, car, en s’approchant de la lumière durant la nuit, il avait voulu s’éclairer, et, sans néanmoins se faire con naître, il répondit aux Juifs : « Notre loi juge-t-elle un homme avant de l’avoir entendu et d’avoir connu ce qu’il a fait ? » ils étaient effectivement assez mal disposés pour vouloir le condamner avant de le connaître. Quant à Nicodème, il savait, ou plutôt il s’imaginait que si seulement ils voulaient l’écouler avec patience, ils feraient, sans doute, ce qu’avaient fait leurs émissaires qui, au lieu de s’emparer de sa personne, avaient préféré croire en lui. « Ils lui répondirent », en préjugeant les dispositions de son cœur d’après les leurs : « Serais-tu aussi Galiléen ? » c’est-à-dire en quelque sorte infatué par le Galiléen. Le Sauveur portait le nom de Galiléen, parce que ses parents étaient de la ville de Nazareth. Quand je dis ses parents, j’entends parler seulement de Marie, et ne veux point dire qu’il ait eu un père selon la chair ; il avait déjà, dans le ciel, un Père ; aussi n’a-t-il eu ici-bas besoin que d’une mère. Ses deux naissances ont été merveilleuses : sa naissance divine s’est effectuée sans le concours d’une mère ; comme homme, il n’a pas eu de père. Que répondirent donc à Nicodème tes docteurs de la loi ? « Lis les Écritures et vois que nul prophète ne s’est levé en Galilée ». Malgré cela, le Seigneur des Prophètes est sorti de ce pays-là. « Et chacun d’eux », dit l’Évangéliste, « s’en alla en sa maison ». 3. « De là, Jésus vint à la montagne ». C’était la montagne « des Oliviers », fertile en parfums et en huile. De fait, en quel endroit, sinon sur la montagne des Oliviers, le Christ pouvait-il se trouver mieux pour enseigner ? L’étymologie du mot Christ, c’est fonction, car le nom grec Xismase traduit en latin par celui d’onction. Il nous a oints, parce qu’il nous a destinés à lutter contre le démon. Au commencement du jour, « il parut de nouveau dans le temple, et tout le peuple vint vers lui ; et, s’étant assis, il les enseignait ». Et l’on ne mettait pas la main sur lui, parce qu’il ne jugeait pas encore à propos de souffrir. 4. Mais voyez quel moyen ses ennemis employèrent pour mettre à l’épreuve la douceur de Jésus. « Les Scribes et les Pharisiens lui amenèrent une femme prise en adultère, et, l’ayant placée au milieu d’eux tous, ils lui dirent : Maître, cette femme a été prise en adultère ; et, dans la loi, Moïse nous a commandé de lapider les adultères. Toi donc, que dis-tu ? Ils parlaient ainsi pour le tenter, afin de pouvoir l’accuser ». L’accuser de quoi ? L’avaient-ils surpris lui-même en quelque faute, ou bien, cette femme passait-elle pour avoir eu avec lui quelque rapport ? Que veut donc dire l’Évangéliste en s’exprimant ainsi : « Pour le tenter, afin de pouvoir l’accuser ? » Il nous est facile, mes frères, de comprendre à quel suréminent et admirable degré le Sauveur a montré de la douceur. Ses ennemis remarquèrent en lui une trop grande douceur, une trop grande bonté ; car, longtemps auparavant, le Prophète avait dit de lui : « Armez-vous de votre glaive, ô le plus puissant des rois ; revêtez-vous de votre gloire et de votre éclat ; et, dans votre majesté, marchez à la victoire montez sur le char de la vérité, de la clémence et de la justice b ». En qualité de docteur, il a apporté sur la terre la vérité ; comme libérateur, la douceur ; en tant que sondant les consciences, la justice. Voilà pourquoi Isaïe avait annoncé d’avance qu’il régnerait dans l’Esprit-Saint c. Quand il parlait, la vérité se reconnaissait dans ses discours, et s’il ne s’élevait pas contre ses ennemis, on ne pouvait qu’admirer sa mansuétude. En face de ces deux vertus de Jésus-Christ, de sa vérité et de sa douceur, ses ennemis se sentaient tourmentés par l’envie et la malignité jalouse ; mais sa troisième qualité, la justice, fut pour eux un véritable sujet de scandale. Pourquoi ? Parce que la loi faisait un commandement exprès de lapider les adultères, et, sans aucun doute, elle ne pouvait prescrire ce qui était injuste ; dire autre chose que ce qu’ordonnait la loi, c’était se mettre en flagrant délit d’injustice. Ils se dirent donc à eux-mêmes : On a foi en sa véracité, on le voit plein de mansuétude ; cherchons-lui querelle sous le rapport de la justice, Présentons-lui une femme surprise en adultère, et disons-lui ce que la loi ordonne de faire à cette malheureuse. S’il nous commande aussi de la lapider, il perdra sa réputation de douceur ; s’il déclare la renvoyer sans la punir, sa justice sera mise en défaut, Pour ne rien perdre de cette bienveillance qui l’a rendu si aimable aux yeux du peuple, il se prononcera évidemment pour le renvoi de cette femme ; ce sera, pour nous, la plus belle occasion de l’accuser lui-même. Nous le forçons à violer la loi et à devenu coupable ; nous lui disons : Tu es ennemi de la loi ; ta réponse est en contradiction avec le commandement de Moïse ; tu vas même coutre les ordres de Celui qui nous a dicté ses volontés par le ministère de Moïse ; tu es donc digne de mort ; tu seras toi-même lapidé avec cette adultère. Par de telles paroles et de tels raisonnements, ils pourraient surexciter l’envie, chauffer l’accusation et faire prononcer la sentence. Mais qu’était-ce que cette lutte ? La lutte entre la méchanceté et la droiture, entre la fausseté et la vérité, entre des cœurs corrompus et un cœur pur, entre la folie et la sagesse. Pouvaient-ils jamais lui tendre des pièges sans y tomber les premiers, tête baissée ? Aussi, dans sa réponse, verrons-nous le Sauveur conserver toute sa justice et ne rien perdre de sa mansuétude. Au lieu de le prendre au piège qu’ils lui tendaient, les Juifs y furent pris les premiers, parce qu’ils ne croyaient pas en Celui qui pouvait les préserver de toute embûche. 5. Que leur répondit donc le Sauveur ? Que leur répondit la vérité, la sagesse, et cette justice elle-même qu’ils se préparaient à attaquer injustement ? Il ne leur dit point : Ne la lapidez pas, pour n’avoir pas l’air de parler contre la loi. Il se garda bien aussi de leur dire : Elle doit être lapidée, car il n’était point venu pour perdre ce qu’il avait trouvé, mais pour chercher ce qui était perdu d. Quelle réponse leur fit-il donc ? Voyez combien elle fut admirable de justice, de mansuétude et de vérité ! « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre ! » Quelle sagesse dans ces quelques mots ! Comme il les remettait bien à leur place ! au-dehors, ils portaient contre une femme une accusation passionnée ; et ils ne rentraient pas au dedans d’eux-mêmes pour y scruter l’état de leur âme ; ils jetaient les yeux sur une adultère, et ne portaient point leurs regards sur leur propre conscience. Prévaricateurs de la loi, ils prétendaient la faire accomplir, même en se servant de la fourberie ; et, de fait, c’était de leur part de la fourberie, car en condamnant la femme adultère, ils faisaient semblant d’obéir à un sentiment de pudeur, et ils n’étaient eux-mêmes que des libertins. Juifs, vous avez entendu ; vous aussi, Pharisiens ; docteurs de la loi, vous avez entendu le gardien de la loi, mais vous n’avez pas encore compris votre Législateur. A-t-il voulu vous faire entendre autre chose, en écrivant avec son doigt sur la terre ? La loi a été effectivement écrite par le doigt de Dieu ; mais elle a été écrite sur la pierre à cause de la dureté du peuple d’Israël e. Mais, pour le moment, le Seigneur écrivait sur la terre, parce qu’il cherchait à recueillir du fruit. Il vous a dit : Que la loi soit accomplie ; qu’on lapide la femme adultère ; mais, pour accomplir la loi des hommes qui méritent d’être eux-mêmes punis, ont-ils le droit de punir cette malheureuse ? Que chacun d’entre vous se considère lui-même, qu’il rentre au dedans de lui ; qu’il s’assoie sur le tribunal de sa conscience ; qu’il comparaisse en présence de ce juge intérieur ; qu’il s’oblige à faire l’aveu de ses propres torts ; car il sait qui il est, et personne, parmi les hommes, ne sait ce qui est dans l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui f. On se trouve dans l’état de péché dès qu’on se considère soi-même : tous en sont là, et il n’y a pas le moindre doute à élever à ce sujet. Par conséquent, de deux choses l’une : ou renvoyez cette femme, ou subissez la peine que la loi édicte aussi contre vous. Si le Sauveur disait : Ne lapidez pas cette adultère, il serait par là même convaincu d’injustice. S’il disait : Lapidez-la, il mentirait à sa douceur habituelle ; qu’il dise donc ce qu’il doit dire pour rester doux et juste : « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre ». Voilà bien la sentence de la vraie justice. Une pécheresse doit être punie, mais pas de la main de gens qui ont la conscience souillée ; la loi doit être accomplie, mais non par ceux qui la foulent eux-mêmes aux pieds. Oui, c’était la justice même qui s’exprimait par la bouche de Jésus ; aussi, frappés par ces paroles comme par un trait énorme, ils se regardèrent mutuellement, et se reconnaissant coupables, « ils se retirèrent tous l’un après l’autre », et il ne resta que la misérable pécheresse en face de la bonté miséricordieuse. Après avoir ainsi blessé ses ennemis du dard de la justice, le Seigneur ne daigna pas même faire attention à leur chute, mais, détournant d’eux ses regards, et « se baissant de nouveau, il écrivait sur la terre ». 6. Les Juifs s’étaient donc tous éloignés et l’avaient laissé seul avec la femme adultère : Jésus leva alors les yeux vers elle. Nous l’avons entendu tout à l’heure parler le langage de la justice ; nous allons maintenant l’entendre parler celui de la bonté. À mon avis, la coupable avait ressenti une terreur moins vive à entendre ses accusateurs qu’à écouter ces paroles du Sauveur : « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ». Dès que ceux-ci eurent reporté sur eux-mêmes leur attention, ils se reconnurent fautifs et en donnèrent la preuve en s’éloignant : ils laissèrent donc cette femme, souillée d’un grand crime, en présence de celui qui était sans péché. Elle lui avait entendu dire : « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ». Aussi s’attendait-elle à une punition de la part de celui en qui l’on n’avait jamais découvert aucun péché. Pour lui, après avoir écarté ses ennemis par le langage de la justice, il leva vers elle des regards pleins de douceur et lui adressa cette question : « Personne ne t’a condamnée ? – Personne, Seigneur », répondit-elle. – Et il ajouta : « Je ne te condamnerai pas non plus ». Parce que tu n’as pas trouvé de péché en moi, tu as craint sans doute de me voir prononcer ta condamnation : eh bien, « je ne te condamnerai pas non plus ». Eh quoi, Seigneur, approuveriez-vous le péché ? Non certes, il ne l’approuve pas ; car, écoute ce qui suit : « Va, et ne pèche plus à l’avenir ». Le Sauveur a donc prononcé une condamnation ; mais ce qu’il a condamné, c’est le péché, et non le pécheur. S’il avait donné son approbation au crime, il aurait dit : Je ne te condamnerai pas non plus ; va, conduis-toi comme tu voudras, et sois sûre de mon indulgence ; tant que tu pèches, je te préserverai de toute punition, même du feu et des supplices de l’enfer. Mais le Sauveur ne s’est pas exprimé ainsi. 7. Ceux qui aiment le Seigneur doivent se souvenir de sa mansuétude, sans oublier de craindre son immuable vérité ; car « le Seigneur est plein de douceur et d’équité g ». Tu aimes en lui la bonté ; redoute aussi sa droiture. La douceur lui a fait dire : « Je me suis tu » ; mais sa justice lui a fait ajouter : « Toutefois, garderai-je toujours le silence h ? Le Seigneur est miséricordieux et compatissant ». Évidemment, oui. Ajoute qu’il est « patient » : ne crains pas de dire qu’il est « prodigue de miséricorde », mais que cette dernière parole du Psalmiste t’inspire une crainte profonde : « Il est plein de vérité i ». Aujourd’hui, il supporte ceux qui l’offensent ; plus tard, il jugera ceux qui l’auront méprisé. « Est-ce que tu méprises les richesses de sa bonté, de sa patience et de sa longue tolérance ? Ignores-tu que la bonté de Dieu t’invite à la pénitence ? » Et pourtant, par ta dureté et l’impénitence de ton cœur, tu t’amasses un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres j ». Le Seigneur est rempli de douceur, de longanimité et de miséricorde ; mais aussi il est plein de justice et de vérité. Il t’accorde le temps de te corriger ; pour toi, tu préfères ce répit à ton amendement. Hier, tu as été méchant ? Sois bon aujourd’hui. Tu as consacré au mal la journée présente ? Puisses-tu, du moins, te convertir demain. Tu attends sans cesse sans cesse tu te promets des merveilles de la bonté divine, comme si celui qui a promis le pardon à ton repentir s’était engagé à prolonger encore ton existence. Sais-tu ce que te réserve la journée de demain ? Tu parles avec justesse, en disant dans le fond de ton cœur : Quand je me corrigerai, Dieu me pardonnera tous mes péchés. Nous ne pouvons, en effet, le nier : il a promis le pardon aux pécheurs corrigés et convertis ; mais le Prophète, dont les paroles te servent à me prouver que Dieu nous a promis son pardon pour le cas où nous viendrions à nous convertir, ce Prophète ne t’annonce, nulle part, qu’il doive t’accorder une longue vie. 8. La présomption et le désespoir, voilà deux sentiments bien opposés l’un à l’autre, deux mouvements de l’âme tout contraires ; ils mettent, néanmoins, également en danger le salut des hommes. Qui est-ce qui devient la victime d’une folle confiance ? Celui qui dit : Dieu est bon et miséricordieux ; libre à moi de faire ce qu’il me plaît, d’agir à ma guise : je lâche donc la bride à mes passions ; je veux satisfaire tous les désirs de mon âme. Pourquoi cela ? Parce que Dieu est riche en miséricorde, en bonté, en douceur. On peut donc périr, même en espérant. De même en est-il du désespoir : en effet, lorsqu’un homme est tombé en de grandes fautes, et qu’il se désespère, il s’imagine que, malgré son repentir, il ne pourra jamais en obtenir le pardon ; il se regarde comme fatalement réservé à la damnation ; il raisonne à la manière des gladiateurs destinés à périr dans l’arène, et il se dit à lui-mêmes Me voilà dès maintenant damné ! Pourquoi ne pas faire ce que je désire ? Les hommes livrés au désespoir sont redoutables, car ils ne craignent plus rien, et leur société est singulièrement dangereuse. Le désespoir tue donc les uns, comme la présomption tue les autres : l’esprit flotte incertain entre ces deux sentiments si divers. Oui, il est à craindre pour toi de trouver dans cette présomption un germe de mort, et de tomber entre les mains du souverain Juge, au moment même où tu attendras encore beaucoup de la miséricorde divine : tu dois concevoir des craintes non moins vives à l’égard du désespoir ; car, en t’imaginant qu’il est impossible d’obtenir le pardon des grandes fautes que tu as commises, tu pourrais bien ne pas faire pénitence et te condamner à avoir pour juge la Sagesse qui a dit : « Moi, je me rirai de votre ruine k ». Que fait le Seigneur à l’égard de ceux qui sont atteints de l’une ou de l’autre de ces dangereuses maladies ? À ceux dont la présomption compromet l’avenir, il adresse ces paroles : « Ne tarde pas à te convertir au Seigneur, et ne diffère pas de jour en jour ; car sa colère viendra soudain, et, au jour de la vengeance, il te perdra l ». Il dit aussi aux malheureux que ronge le désespoir « Quel que soit le jour où l’impie se convertisse, j’oublierai toutes ses iniquités m ». Aux hommes désespérés, il montre le port du pardon ; pour ceux dont une aveugle confiance met le salut en péril, et qui se laissent tromper par d’interminables délais, il a rendu incertaine l’heure de la mort. Quand viendra ton dernier jour, lu n’en sais rien ; et tu es un ingrat, puisqu’ayant, pour te convertir, le jour présent, tu n’en profites pas. Aussi, quand le Sauveur dit à la femme adultère : Et « moi, je ne te condamnerai pas non plus », il donna à ses paroles cette signification Sois tranquille sur le passé, mais prends garde à l’avenir. « Moi, je ne te condamnerai pas non plus ». J’ai effacé tes fautes, observe mes recommandations, et tu entreras en possession de ce que je t’ai promis.TRENTE-QUATRIÈME TRAITÉ.
SUR CE PASSAGE « JE SUIS LA LUMIÈRE DU MONDE CELUI QUI ME SUIT NE MARCHE PAS DANS LES TÉNÈBRES, MAIS IL AURA LA LUMIÈRE DE LA VIE ». (Chap 8, 12.)QUINZIÈME SERMON. SUR CES PAROLES DE L’ÉVANGILE SELON SAINT JEAN (VIII, 1-12) : « JÉSUS VINT EN LA MONTAGNE DES OLIVIERS, ET, AU COMMENCEMENT DU JOUR, IL PARUT DE NOUVEAU DANS LE TEMPLE, ET TOUT LE PEUPLE VINT VERS LUI ; ET, S’ÉTANT ASSIS, IL LES INSTRUISAIT ». LA FEMME ADULTÈRE.
ANALYSE. —1. La miséricorde de Dieu est rappelée parce fait que le Christ est venu sur la montagne des Oliviers et qu’il a paru dans le temple au commencement du jour. —2. Le Christ s’assied ; par là, il fait voir combien il s’est humilié en se faisant homme. —3. L’orateur fait voir la sagesse du Christ, par le développement de sa réponse aux Pharisiens. —4. De là il suit que chacun doit se juger avant de juger les autres. —5. Le Christ accorde à la femme adultère le pardon de son péché. Autres interprétations mystiques de cette circonstance. —6. Le Christ donne les preuves de sa puissance. —7. Exhortation morale. 1. Frères bien-aimés, nous devons faire de la présente leçon du saint Évangile une étude d’autant plus approfondie, nous devons en conserver un souvenir d’autant plus durable, qu’elle nous donne une plus haute idée de la miséricordieuse bonté de notre Créateur. Vous l’avez entendu, des accusateurs méchants avaient amené devant lui une femme adultère ; au lieu de la condamner à être lapidée, comme le voulait la loi de Moïse, le Sauveur força les accusateurs de cette femme à reporter leur attention sur eux-mêmes et à se prononcer sur le compte de la pécheresse avec l’indulgence qu’eût réclamée pour eux-mêmes leur propre faiblesse bien constatée. Remarquons, toutefois, que l’Écriture emprunte d’ordinaire aux circonstances de temps et de lieu, et quelquefois de l’un et de l’autre, l’occasion d’indiquer d’avance les événements dont elle doit faire ensuite le récit ; aussi, avant de raconter avec quelle miséricorde le Rédempteur a tempéré et interprété la loi, l’Évangéliste dit-il d’abord que « Jésus vint sur la montagne des Oliviers, et » qu’« au commencement du jour, il parut de nouveau dans le temple n ». En effet, le mont des Oliviers représente l’infinie bonté, la grande miséricorde du Seigneur ; car le mot grec ολεος signifie, en latin, miséricorde ; une onction d’huile apporte d’habitude du soulagement à des membres fatigués et malades ; enfin, l’huile est si légère et si pure, que si tu veux la mélanger avec n’importe quel autre liquide, elle remonte aussi vite au-dessus de ce liquide et se tient à la surface : image assez fidèle de la grâce et de la miséricorde du Seigneur. Au sujet de celle-ci, il est écrit : « Le Seigneur est bon pour tous, et sa commisération repose sur toutes ses œuvres o ». Le commencement du jour représente aussi l’aurore de la grâce qui, après avoir dissipé les ombres de la loi, devait amener à sa suite le soleil brillant de la vérité évangélique. « Jésus vient donc en la montagne des Oliviers » pour montrer qu’en lui se trouve la forteresse de la miséricorde ; et « au commencement du jour il paraît de nouveau dans le temple », pour nous faire en tendre qu’avec la lumière naissante du Nouveau Testament, les trésors de cette même miséricorde devaient s’ouvrir et se répandre sur les fidèles, qui sont vraiment son temple. 2. Et, dit l’Évangéliste, « tout le peuple vint vers lui, et, s’étant assis, il les instruisait p ». Le Christ s’assied ; par là, il nous fait voir combien il s’est humilié en se faisant homme, pour apporter à nos maux le remède de son infinie miséricorde. Voilà aussi la raison de ce précepte du Psalmiste : « Levez-vous, après que vous vous serez assis q ». Ou, en d’autres termes plus nets : Levez-vous, non pas avant, mais après que vous vous serez assis ; car lorsque vous vous serez vraiment humiliés, vous aurez tout lieu d’espérer que les joies célestes deviendront votre récompense. L’Évangéliste nous rapporte avec un véritable à propos que Jésus s’étant assis pour enseigner, tout le peuple vint vers lui en effet, lorsque, par l’humilité de son incarnation, il nous a eu manifesté sa miséricorde en se rapprochant de nous, ses leçons ont été reçues plus volontiers et par un grand nombre d’hommes ; car la plupart, entraînés par l’orgueil et l’impiété, en avaient précédemment fait mépris. « Ceux qui ont le cœur doux ont entendu et se sont réjouis ». Ils ont loué le Seigneur avec le Psalmiste, et ils ont ensemble exalté son saint nom. Les envieux ont entendu : « Ils ont été brisés et ne se sont point repentis r ». Ils l’ont tenté, se sont moqués de lui, ont grincé des dents contre lui. Enfin, pour l’éprouver, ils lui amenèrent une femme surprise en adultère, et lui demandèrent ce qu’il fallait faire de cette malheureuse que la loi de Moïse condamnait à être lapidée. S’il déclarait qu’elle devait être lapidée, ils le tourneraient en ridicule pour avoir oublié les leçons de miséricorde qu’il leur avait toujours adressées ; si, au contraire, il s’opposait à sa lapidation, ils grinceraient des dents contre lui et trouveraient un motif, réel pour le condamner lui-même comme autorisant le vice et enfreignant les prescriptions de la loi. Mais à Dieu ne plaise que l’imbécillité terrestre ait trouvé de quoi dire et que la sagesse d’en haut n’ait pas trouvé de quoi répondre ! A Dieu ne plaise que l’impiété aveugle ait pu empêcher le soleil de justice d’éclairer le monde ! « Jésus donc, se baissant, écrivait avec son doigt sur la terre s ». L’inclinaison de Jésus était l’emblème de l’humilité ; le doigt, facile à plier à cause des articulations dont il se compose, symbolisait la subtilité du discernement. Enfin, la terre était la figure du cœur humain, qui peut être indifféremment le principe de bonnes ou, de mauvaises actions. On demande donc au Sauveur de porter son jugement sur le compte de la pécheresse : il ne se prononce pas immédiatement, mais, avant de le faire, « il se baisse et il écrit avec son doigt sur la terre », puis il acquiesce à l’instante demande des accusateurs, et dit ce qu’il pense. Par là il nous donne un modèle de conduite, pour le cas où nous verrions le prochain faire quelques écarts : avant de le juger et de porter contre lui une sentence de condamnation, descendons humblement dans notre propre conscience, puis, avec le doigt du discernement, débrouillons l’écheveau de nos œuvres, et par un examen attentif faisons la part de ce qui plaît à Dieu et la part de ce qui lui déplaît : c’est le conseil que nous donne l’Apôtre : « Mes frères », dit-il, « si quelqu’un est tombé par surprise en quelque péché, vous autres, qui êtes spirituels, ayez soin de le relever dans un esprit de douceur, chacun de vous réfléchissant sur soi-même et craignant d’être tenté comme lui t ». 3. « Et comme ils continuaient à l’interroger, il se releva et leur dit : Que celui de vous qui est sans péché jette contre elle la première pierre u ». De là et de là les scribes et les pharisiens tendaient au Sauveur des lacets et des pièges, supposant que, dans ses décisions, il se montrerait dur ou infidèle à la loi ; mais il voyait leurs malices, déchirait leurs filets aussi facilement qu’une toile d’araignée, et ne cessait de se montrer aussi juste que bon et miséricordieux dans ses jugements ; aussi cette parole du Psalmiste, que nous avons citée, trouvait-elle en lui son parfait accomplissement : « Ils ont été brisés et ne se sont point repentis v ». Ils ont été brisés, afin qu’ils ne pussent enserrer le Sauveur dans les mailles de leurs fils, et ils ne se sont point convertis, pour pratiquer, à son exemple, les œuvres de miséricorde. Veux-tu apprendre comment la bonté du Christ a tempéré la rigueur de la loi ? Le voici : « Que celui de vous qui est sans péché ». Veux-tu aussi connaître l’équité de son jugement ? « Jette contre elle la première pierre ». Si, dit-il, Moïse nous a commandé de lapider la femme adultère, ce n’est pas à des pécheurs, mais à des justes, qu’il appartient d’exécuter ses ordres. Commencez d’abord vous-mêmes par accomplir la loi : alors, bâtez-vous de lapider la coupable, parce que vos mains sont innocentes et que votre cœur est pur. Accomplissez d’abord les prescriptions spirituelles de la loi ; ayez la foi, pratiquez la miséricorde, respectez la vérité ; alors vous aurez le droit de juger des choses charnelles. Après avoir prononcé son jugement, le Sauveur « se baissa de nouveau, et il écrivit sur la terre w ». Ne pourrait-on pas expliquer ce mouvement d’après ce qui a lieu d’ordinaire dans le monde ? En présence de ces tentateurs de mauvaise foi, ne s’est-il point baissé, n’a-t-il pas voulu écrire sur la terre et regarder d’un autre côté, pour laisser libres de partir des hommes que sa réponse écrasante disposait plutôt à s’éloigner bien vite qu’à le questionner davantage ? 4. Enfin, « en entendant ces paroles, ils « s’en allèrent l’un après l’autre, les vieillards « les premiers x ». Avant de porter son jugement, et après l’avoir porté, le Sauveur s’est baissé et il a écrit sur la terre ; c’était là, nous avertir, en figure, de commencer par reprendre notre prochain, quand il manque à ses devoirs, puis, après, avoir exercé envers lui le ministère de correction fraternelle, de nous examiner nous-mêmes humblement et avec soin ; car il pourrait se faire que nous soyons personnellement coupables des fautes que nous reprochons à eux ou à tous autres. Voici, en effet, ce qui arrive souvent : on condamne, par exemple, un meurtrier public, et l’on ne remarque pas qu’on a soi-même le cœur gâté par les sentiments d’une haine plus coupable. Ceux qui accusent les fornicateurs lie font pas attention à la peste de l’orgueil hautain que leur suggère l’idée de leur chasteté. On blâme les ivrognes, et l’on n’ouvre pas les yeux sur l’envie dont on se trouve rongé. En des circonstances si dangereuses, quel remède employer ? comment nous préserver du mal ? Le voici : Quand nous en voyons un autre tomber dans le péché, baissons-nous aussitôt, c’est-à-dire jetons humblement les yeux sur les fautes que la fragilité de notre nature ne nous permettrait pas d’éviter, si la bonté divine ne venait nous soutenir. Écrivons sur la terre ; en d’autres termes, discutons avec soin l’état de notre âme et demandons-nous si nous pouvons dire avec le bienheureux Job : « Notre cœur ne nous reproche rien pour tout le cours de notre vie y » ; et, s’il nous reproche quelque chose, rappelons-nous, et ne l’oublions pas, que Dieu est supérieur à notre cœur, et qu’il sait tout. 5. Nous pouvons donner encore une autre interprétation de la conduite de Notre-Seigneur au moment où il allait accorder à la femme adultère son pardon : il a voulu écrire avec son doigt sur la terre, pour montrer qu’il a lui-même autrefois écrit le décalogue de la loi avec son doigt, c’est-à-dire par l’opération du Saint-Esprit. Il était juste que la loi fût écrite sur la pierre, puisque Dieu la donnait pour dompter le cœur si dur et si rebelle de son peuple. Il n’était pas moins convenable que le Christ écrivît sur la terre, puisqu’il devait donner la grâce du pardon aux hommes contrits et humbles de cœur, afin de leur faire porter des fruits de salut. C’est à juste titre que nous voyons se baisser et écrire avec son doigt sur la terre Celui qui s’était autrefois montré sur le sommet de la montagne et avait écrit de sa main sur des tables de pierre ; de fait, en s’humiliant jusqu’à se revêtir de notre humanité, il a répandu dans le cœur fécond des fidèles l’esprit de grâce, après avoir, du haut de la montagne où il apparaissait aux yeux de tous, donné précédemment de durs préceptes à une nation endurcie. C’est chose bien à propos, qu’après s’être baissé et avoir écrit sur la terre, le Christ se soit redressé et qu’il ait alors laissé tomber de ses lèvres des paroles de pardon ; car ce qu’il nous a fait espérer en venant partager notre faiblesse humaine, il nous l’a miséricordieusement accordé en vertu de sa puissance divine. « Jésus, s’étant relevé, lui dit : « Femme, où sont ceux qui t’accusaient ? Personne ne t’a condamnée ? Elle lui répondit : « Non, Seigneur z ». Personne n’avait osé condamner cette pécheresse, parce que chacun des accusateurs avait déjà reconnu en lui-même des sujets bien autrement graves de condamnation. Mais voyons comment, après avoir écrasé les accusateurs sous le poids de la justice, le Sauveur ranime le courage de l’accusée ; voyons de quelle ineffable bonté il lui donne le gage : « Et moi, je ne te condamnerai pas non plus ; va, et ne pèche « plus à l’avenir aa ». Alors s’accomplit la parole que le psalmographe avait prononcée en chantant les louanges du Seigneur : « Regardez, et, dans votre majesté, marchez et régnez, à cause de la vérité, de la clémence « et de la justice, et votre droite se signalera par des merveilles ab ». Le Christ règne à cause de la vérité, parce qu’en enseignant au monde le chemin de la vérité, il ouvre à la multitude des croyants les portes de son glorieux royaume. Il règne à cause de la clémence et de la justice, car plusieurs se soumettent à son empire en le voyant si bon à délivrer de leurs péchés ceux qui se repentent, et si juste à condamner à cause de leurs fautes ceux qui y persévèrent ; si clément à accorder le bienfait de la foi et des vertus célestes, si juste à récompenser éternellement les mérites de la foi et les luttes des vertus célestes. « Votre droite l’a signalé par des merveilles ». Car Dieu, habitant dans l’homme, a montré qu’il était admirable dans tout ce qu’il faisait et enseignait : et, au surplus, qu’il évitait toujours, avec une merveilleuse prudence, tous les pièges que l’astuce raffinée de ses ennemis pouvait imaginer de lui tendre. « Ni moi non plus, je ne te condamnerai pas ; va, et ne pèche plus à l’avenir ac ». Qu’il est bon et miséricordieux ! Il pardonne les péchés passés. Qu’il est juste, et comme il aime la justice ! Il défend de pécher davantage. 6. Mais plusieurs étaient capables de douter si Jésus, qu’ils savaient être un vrai homme, pouvait remettre les péchés : il daigne leur montrer plus clairement ce que, par la volonté de Dieu, il peut faire. Après s’être débarrassé de ceux qui étaient venus l’éprouver si méchamment, et avoir pardonné à la pécheresse son adultère, il parle de nouveau aux Juifs et leur dit : « Je suis la lumière du monde ; celui qui me suit, ne marche point dans les ténèbres, mais il aura la lumière de vie ». Par ces paroles, il fait voir d’une manière éclatante non-seulement en vertu de quelle autorité il a accordé à la femme adultère le pardon de ses fautes, mais encore ce qu’il a voulu nous enseigner en se rendant sur le mont des Oliviers, en venant de nouveau dans le temple au commencement du jour, en écrivant avec son doigt sur la terre ; par là il nous a figurativement enseigné qu’il est le Père des miséricordes, le Dieu de toute consolation, que c’est lui qui met l’homme en possession de la lumière indéfectible, et qu’il est tout à la fois l’auteur de la loi et de la grâce. « Je suis la lumière du monde ». C’était dire en d’autres termes : « Je suis la lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde ad ». Je suis le soleil de justice qui brille aux yeux de ceux qui craignent Dieu. Je me suis caché derrière le nuage de la chair, non pour me dérober aux regards de ceux qui me cherchent, mais pour ménager leur faiblesse ; ainsi pourront-ils guérir les yeux de leur âme, purifier leurs cœurs par la foi et mériter de me voir moi-même. Car, « bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu ae ». « Quiconque me suit, ne marche point dans les ténèbres, mais il aura la lumière de vie ». Quiconque, en ce monde, suivra mes préceptes et mes exemples, n’aura pas à redouter, pour l’autre, les ténèbres de la damnation ; au contraire, il contemplera la lumière de vie, au sein de laquelle il puisera l’immortalité. 7. Mes frères, puisse la foi, qui agit par la charité, nous faire marcher, en cette vie, à la lumière de la justice : ainsi mériterons-nous de voir face à face celle dont la vue récompensera et augmentera le mérite de notre charité ; car le Christ nous l’a affirmé en ces termes : « Celui qui m’aime sera aimé de mon Père, et, moi aussi, je l’aimerai et je me montrerai moi-même à lui af ». Approchons-nous, avec toute l’ardeur dont nous sommes capables, de celui qui se trouvait ostensiblement sur la montagne des Oliviers. « Le Seigneur son Dieu l’a sacré d’une onction de joie qui l’a élevé au-dessus de ceux qui doivent la partager ag », afin qu’il daigne nous rendre participants de cette onction qu’il a reçue, c’est-à-dire de la grâce spirituelle ; néanmoins, nous ne mériterons d’entrer en partage avec lui qu’à la condition d’aimer la justice et de haïr l’iniquité, car avant de prononcer les paroles précitées, le Psalmiste a dit aussi du Christ : « Vous avez chéri la justice et détesté le péché ah ». Par là, sans doute, le Prophète a voulu faire l’éloge du chef ; mais il a prétendu encore montrer aux membres qui pourraient un jour en dépendre la manière dont ils devraient se conduire. Souvenons-nous que le Sauveur est venu dans le temple au commencement du jour, et faisons tous nos efforts pour que notre Créateur trouve en nous un temple ; écartons de nous les ténèbres du vice, marchons à la lumière des vertus : alors Dieu daignera visiter nos cœurs, il nous formera à la pratique des enseignements célestes, et toutes les souillures qui pourraient se rencontrer en nous disparaîtront par l’effet de la bonté de ce Dieu qui vit et règne avec le Père, dans l’unité du Saint-Esprit, pendant tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.LE CHRIST SE REND TÉMOIGNAGE.
Les Juifs récusaient le témoignage du Sauveur ; mais ce témoignage n’était pas seul en sa faveur, il était appuyé sur celui des Prophètes. D’ailleurs, Jésus-Christ n’était-il pas la lumière véritable ? Une lumière, en montrant les objets environnants, ne peut-elle servir à se manifester elle-même ? S’il a envoyé les Prophètes devant lui, c’était afin de s’en servir comme de lampes, et de ménager la faiblesse des yeux de notre âme. Un jour, dans le ciel, il nous apparaîtra tel qu’il est, et nous contemplerons, sans ombre et sans nuage, la splendeur de ses rayons. 1. Vous, qui étiez ici hier, vous devez vous souvenir que nous avons longuement parlé de ce passage, où Notre-Seigneur Jésus-Christ a dit : « Je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de vie ai ». Néanmoins, si nous voulions encore discuter ce sujet, il nous serait facile de le faire et d’y employer de longues heures ; car il est impossible de donner en une seule instruction des explications suffisantes sur pareille matière. Aussi, mes frères, devons-nous suivre le Christ, qui est la lumière du monde, pour ne point marcher dans les ténèbres. Les ténèbres à craindre sont celles qui se répandent sur notre conduite, et non celles qui frappent nos yeux ; et si ces ténèbres redoutables viennent parfois à tomber sur l’organe de la vue, c’est, non pas sur celui du corps, par lequel nous discernons le blanc du noir, mais sur celui de l’âme, qui nous fait distinguer le juste de l’injuste. 2. Après que Notre-Seigneur Jésus-Christ eut prononcé ces paroles, les Juifs répondirent : « Tu rends témoignage de toi-même ; ton témoignage n’est pas véritable ». Avant de venir sur la terre, le Sauveur avait envoyé devant lui un grand nombre de prophètes, comme autant de flambeaux allumés par lui ; de ce nombre était Jean-Baptiste, à qui la lumière par excellence, c’est-à-dire Jésus-Christ, rendit elle-même un témoignage tel qu’elle n’en rendit jamais à nul autre un pareil ; voici ses paroles : « Aucun ne s’est élevé d’entre les enfants des femmes plus grand que Jean-Baptiste aj ». Cet homme, qui ne compta point de plus grand que lui parmi les enfants des femmes, dit, en parlant de Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Moi, je baptise dans l’eau ; mais celui qui vient après moi est au-dessus de moi, et je ne suis pas digne de délier les courroies de sa chaussure ak ». Voyez comme le flambeau se met au-dessous de la lumière du jour. Que Jean ait été un flambeau, le divin Maître lui-même en rend témoignage : « Il était », dit-il, « une lampe ardente et brillante, et, pour un peu de temps, vous avez voulu vous réjouir à sa lumière al ». Un jour les Juifs lui dirent : « Apprends-nous donc par quelle autorité tu fais toutes ces choses ». Le Seigneur savait qu’ils avaient une haute idée de Jean-Baptiste, et que cet homme, pour lequel ils éprouvaient une si profonde vénération, leur avait rendu témoignage du Fils de l’Homme. « Il leur répondit donc : J’ai moi-même une question à vous faire ; dites-moi d’où vient le baptême de Jean ; du ciel ou des hommes ? » Cette question les jeta dans l’embarras ; et ils se firent cette réflexion que, s’ils disaient : il vient des hommes, la foule pourrait très-bien les lapider, parce qu’elle regardait Jean comme un prophète ; si, au contraire, ils disaient : son baptême vient du ciel, Jésus leur ferait cette réponse : Vous avouez que Jean a reçu d’en haut le don de prophétie, eh bien ! ce Prophète m’a rendu témoignage, et il vous a appris de quelle autorité je fais toutes ces choses. Quel que fût leur aveu, ils ne pouvaient éviter le piège ; ils s’en aperçurent et dirent : « Nous l’ignorons ». « Alors », répliqua le Sauveur, « je ne vous dirai pas non plus par quelle autorité je fais ces choses am ». Je ne vous dis pas ce que je sais, parce que vous ne voulez point avouer ce que vous savez vous-mêmes. Ainsi remis avec à-propos à leur place, ils se retirèrent tout confus, et alors se trouva accompli ce que Dieu le Père, avait prédit par l’organe du Prophète-Roi dans un psaume : « J’ai allumé le flambeau de mon Christ », c’est-à-dire, Jean-Baptiste ; « je couvrirai de honte ses ennemis an ». 3. Le Seigneur Jésus avait donc pour lui le témoignage des Prophètes qu’il avait envoyés devant lui, des hérauts qui précédaient le souverain Juge ; il avait aussi celui de Jean ; maïs il se rendait encore 1ui-même témoignage, et ce témoignage était plus puissant que tous les autres. Avec leurs yeux malades, les Juifs avaient besoin de lampes, car ils ne pouvaient supporter l’éclat du jour. En effet, l’Évangéliste Jean, dont nous tenons le livre entre nos mains, nous parle en ces termes de Jean le précurseur, au commencement de son Évangile : « Et un homme fut envoyé de Dieu, et son nom était Jean ; il vint pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui. Il n’était pas la lumière, mais il était venu pour rendre témoignage à celui qui était la lumière. Et celui-là était la véritable lumière qui s éclaire tout homme venant en ce monde ». Si elle éclaire tout homme, elle éclairait donc Jean lui-même. C’est pourquoi l’Évangéliste précité dit encore : « Nous avons tous reçu de sa plénitude ao ». Comprenez bien tout ceci : par là, votre âme grandira dans la foi de Jésus-Christ ; et ainsi vous ne serez pas toujours des enfants à la mamelle, qui repoussent des aliments solides. Vous devez être sevrés et nourris dans le sein de notre mère, la sainte Église du Christ ; vous devez vous préparer à prendre de cœur, et non de corps, une nourriture plus substantielle. Comprenez. le donc bien : autre est la lumière qui éclaire par elle-même, autre est celle qui reçoit d’ailleurs son éclat. Nous disons que nos yeux sont notre lumière ; chacun de nous, en y portant la main, jure par eux et s’exprime de la sorte : Ainsi vivent mes lumières ; car voilà le jurement en usage. Si ces lumières en sont de véritables, qu’elles se montrent et t’éclairent, quand, dans un appartement bien fermé, toute autre lumière te fait défaut. Elles en sont absolument incapables. Ces lumières que nous portons sur notre visage, et que nous appelons de ce nom, ont donc besoin des rayons d’une autre lumière, placée en dehors d’elles, même lorsqu’elles sont nettes et que rien ne les empêche de se montrer ; retirez-leur ou ne leur présentez pas cette lumière extérieure, elles ont beau être nettes et bien visibles, elles ne peuvent nous éclairer. De même en est-il de notre esprit : c’est l’œil de notre âme ; il faut qu’il reçoive les rayons de la vérité ; il faut qu’il soit merveilleusement illuminé par celui qui éclaire et n’est éclairé par personne ; sans cela, il ne pourra jamais parvenir ni à la sagesse ni à la justice. Nous conduire suivant les règles de la justice, voilà notre véritable chemin. Mais comment ne pas trébucher dans le chemin, si l’on n’a devant soi de la lumière ? Elle est indispensable pour parcourir une telle voie, et, quand par son secours on voit son chemin, c’est un immense avantage. Tobie portait sur son visage des yeux fermés à la lumière ; son fils le conduisait par la main, mais il donnait à celui-ci les indications nécessaires pour ne pas s’écarter de la voie droite ap. 4. Les Juifs lui répondirent donc : « Tu rends témoignage de toi-même ; ton témoignage n’est pas selon la vérité ». Voyons ce que Jésus leur a dit : Écoutons-le nous-mêmes, mais avec des dispositions différentes. Eux l’écoutaient avec mépris : Écoutons-le avec esprit de foi ; eux voulaient faire mourir le Christ désirons vivre par lui ; mettons entre nos oreilles et nos esprits et les leurs cette différence qui les distingue les uns des autres ; Écoutons ce que le Seigneur Jésus répondit aux Juifs. « Jésus leur répondit : « Si je rends témoignage de moi-même, mon témoignage est véridique, car je sais d’où je suis et où je vais ». Une lumière fait voir les objets environnants, et se fait voir elle-même. Ainsi tu allumes une lampe pour chercher une tunique : par son éclat, elle t’aide à trouver cette tunique ; mais allumes-tu cette lampe pour l’apercevoir quand elle brûlera ? Une lampe allumée est propre à faire bien voir ce qui était plongé dans les ténèbres, comme aussi à se présenter elle-même à tes regards. De même en est-il de Notre-Seigneur Jésus-Christ : il voyait la différence qui se trouvait entre ses disciples et les Juifs, ses ennemis, comme on voit la différence qui se trouve entre la clarté du jour et la nuit : il distinguait ceux qu’il illuminait des rayons de la foi, et ceux dont il épaississait l’aveuglement. Le soleil éclaire en même temps le visage de l’homme qui voit, et le visage de l’aveugle ; tous deux se tiennent tournés de son côté ; ses rayons tombent également sur les traits de l’un et de l’autre mais la prunelle de leurs yeux n’en est point pareillement affectée : celui-ci voit autour de lui, celui-là ne voit rien ; et pourtant le soleil se présente à tous les deux, mais l’un des deux est absent par rapport au soleil. Ainsi, la sagesse de l’Éternel, le Verbe divin, Notre-Seigneur Jésus-Christ est présent partout, parce qu’en tous lieux se trouvent la vérité et la sagesse. En Orient, on a l’idée de la justice, on l’a aussi en Occident ; mais de ce que celui-ci en a l’intelligence comme celui-là, s’ensuit-il que la justice n’est point partout la même ? Ces hommes sont matériellement éloignés l’un de l’autre ; mais, par la pénétration de leur esprit, ils en viennent à avoir les mêmes sentiments sur le même objet. En cet endroit-ci, je trouve une chose juste ; si elle l’est véritablement, un homme vertueux, placé à je ne sais quelle distance, lui reconnaîtra la même qualité : quoique séparé corporellement de moi, il s’y trouvera uni spirituellement. Voilà l’effet de l’éclat de la justice. La lumière se rend donc témoignage à elle-même : elle ouvre les yeux qui sont sains, et elle est à elle-même son propre témoin pour se faire connaître. Que dire des infidèles ? N’est-elle pas aussi présente devant eux ? Oui, elle se présente même à eux, mais ils n’ont pas, pour la voir, les yeux du cœur. Écoute la sentence portée contre eux dans l’Évangile lui-même : « Et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise aq ». Aussi, est-ce avec raison que le Sauveur dit aux Juifs : « Si je rends témoignage de moi-même, mon témoignage est véritable ; car je sais d’où je viens et où je vais ». Il voulait parler de son Père : le Fils rendait gloire à son Père. Égal à celui qui l’a envoyé, il le glorifie ; à combien plus juste raison l’homme doit-il glorifier son Créateur ! 5. « Je sais d’où je suis venu, et où je vais ». Cet homme, qui se trouve en votre présence et qui vous parle, a un séjour qu’il n’a jamais quitté, quoiqu’il soit venu sur la terre : en venant parmi nous, il ne s’en est pas éloigné : il ne nous a pas abandonnés en y retournant. Pourquoi vous en étonner ? Il est Dieu. Pareille chose ne peut être le fait d’un homme : le soleil lui-même en est incapable. Pour s’avancer vers l’Occident, il s’éloigne de l’Orient, et tant qu’il n’y revient pas pour y paraître à nouveau, il ne s’y voit pas. Pour Notre-Seigneur Jésus-Christ, il est venu en ce monde, et, pourtant, il n’a pas quitté le ciel ; il y est retourné, et, néanmoins, il est encore ici-bas. Écoute, voici des paroles écrites en un autre endroit de l’Évangile par l’apôtre Jean : « Personne », dit-il, « n’a jamais vu Dieu, sinon le Fils unique, qui est dans le sein du Père ar ». Il ne dit pas : Qui a été dans le sein du Père, comme si, en venant sur la terre, il avait quitté le sein de son Père. Jésus parlait ici-bas, et il disait qu’il était dans le sein du Père ; et au moment de quitter ses disciples, que leur dit-il ? « Voilà que je suis avec vous jusqu’à la consommation du siècle as ». 6. Le témoignage de la lumière est donc véritable, soit qu’elle se fasse connaître elle-même, soit qu’elle éclaire d’autres objets : sans elle, en effet, tu ne peux ni la voir elle-même, ni apercevoir ce qui se trouve en dehors d’elle. Si elle est propre à jeter le jour sur tout ce qui n’est pas elle, est-elle inutile par rapport à elle-même ? Ne peut-elle se manifester clairement, elle qui met seule en relief les autres objets ? Le Prophète a dit vrai ; mais aurait-il parlé de la sorte, s’il n’avait auparavant puisé à la source de la vérité ? Jean a dit vrai ; mais d’où lui est venue la vérité de ses paroles ? Demande-le-lui. « Nous avons tous », dit-il, « reçu de sa plénitude ». Notre-Seigneur Jésus-Christ est donc apte à se rendre témoignage à lui-même. Mes frères, au milieu des ténèbres de ce monde, Écoutons avec soin et attention les Prophètes ; car le Sauveur a bien voulu venir en ce monde et s’abaisser jusqu’à nous pour soutenir notre faiblesse, et dissiper les secrètes ténèbres de notre cœur. Il s’est fait homme, homme condamné au mépris et réservé aux honneurs, comme destiné à être méconnu et à compter de fervents adeptes : condamné à se voir méprisé et méconnu des Juifs, destiné à recevoir nos honneurs et l’hommage de notre foi : homme, qui devait être jugé et juger à son tour, qui devait être injustement jugé et juger suivant toutes les règles de la justice. Il nous est donc apparu dans un état d’infirmité telle qu’il lui fallait recevoir le témoignage de la lampe. Si, en effet, nos yeux avaient pu supporter l’éclat du jour, aurait-il eu besoin que Jean, pareil à une lampe, lui rendît témoignage ? Mais nous ne pouvions en contempler la splendeur. Parce que nous étions faibles, il est devenu faible ; et, par sa faiblesse, il a guéri la nôtre : en se revêtant d’un corps sujet à la mort, il a détruit la mort, qui devait frapper notre corps : et son humanité a été comme un collyre destiné à guérir l’infirmité de nos yeux. Puisque le Sauveur est venu parmi nous, et que nous sommes encore plongés dans les ténèbres de cette vie terrestre, il nous faut écouter les Prophètes. 7. De fait, avec ses oracles, nous réduisons au silence les païens qui nous attaquent. – Qui est le Christ ? nous dit le païen. – Nous lui répondons : Celui qu’ont annoncé les Prophètes. – Quels Prophètes ? – Nous leur nommons, l’un après l’autre, ceux dont on nous lit tous les jours les prédictions. – Quels sont ces Prophètes ? – Les hommes qui ont annoncé d’avance ce que nous voyons se passer sous nos yeux. – Vous, continue-t-il, vous avez mis à profit les événements qui ont eu lieu ; vous les avez vus s’accomplir, puis vous en avez fait l’histoire à votre guise, et vous avez présenté les faits passés comme des faits à venir. – Ici, nous avons à faire valoir, contre ces ennemis païens, le témoignage d’autres ennemis. Nous leur présentons les livres en honneur chez les Juifs, et nous répondons : Vous êtes, vous et eux, les ennemis de notre foi. Les Juifs ont été dispersés parmi les nations, pour nous servir de preuve contre nos autres adversaires. Qu’ils montrent le livre d’Isaïe, nous verrons s’il ne renferme pas ce passage : « Il a été conduit à la mort comme une brebis, et il est resté muet comme un agneau devant celui qui le tond. « Son jugement a été enlevé au milieu des humiliations : nous avons été guéris par ses blessures : nous nous sommes tous égarés comme des brebis, et il a été livré pour nos péchés at ». Voilà une lampe montrons-en une autre. Ouvrons le livre des psaumes, la passion du Sauveur y est aussi prédite. « Ils ont percé mes mains et mes pieds, tous mes os ont été comptés ; ils m’ont regardé et considéré attentivement : ils se sont partagé mes vêtements, ils ont tiré ma robe au sort. À vous s’adressent mes louanges : je publierai votre gloire dans une grande assemblée. Les peuples les plus reculés se souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui : toutes les nations se prosterneront en sa présence, parce qu’au Seigneur appartient l’empire, et qu’il régnera sur tous les peuples au ». Parmi mes ennemis, ceux-ci doivent donc rougir, puisque ceux-là me fournissent contre eux des témoignages écrits. Avec les passages que les uns m’ont mis en main, j’ai réduit les autres au silence ; mais je ne veux point abandonner ceux qui m’ont soutenu dans ma tâche, sans les convaincre eux-mêmes d’erreur : prenons de leurs propres mains de quoi les confondre. Je lis un autre Prophète, et j’y trouve les paroles adressées aux Juifs par le Seigneur : « Mon amour n’est point en vous », dit le Seigneur, « et je ne recevrai pas de présents de votre main ; car, depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher, on offre une oblation pure à mon nom av ». O Juif, tu ne prends aucune part à cette oblation pure : tu es donc toi-même impur. 8. Si les lampes rendent elles-mêmes témoignage au jour, c’est en raison de notre faiblesse, car nous ne pouvons ni supporter ni voir son éclat. Néanmoins, nous sommes nous-mêmes, nous autres chrétiens, une véritable lumière, si l’on nous compare aux infidèles. Aussi l’Apôtre dit-il : « Vous étiez autrefois ténèbres, mais, maintenant, vous êtes lumière en Notre-Seigneur : marchez donc comme des enfants de lumière aw ». Il dit encore ailleurs : « La nuit est déjà avancée, et le jour s’approche. Quittons donc les œuvres de ténèbres, et revêtons-nous des armes de lumière : marchons dans la décence comme durant le jour ax ». Cependant le jour où nous vivons n’est que ténèbres, dès qu’on le met en regard du jour de notre éternité ; écoute donc l’apôtre Pierre : il affirme que ces paroles ont été adressées au Seigneur Jésus du sein de la suprême puissance : « Tu es mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis mes complaisances : nous avons nous-mêmes entendu cette voix, qui descendait du ciel, lorsque nous étions avec lui sur la montagne sainte ». Mais parce que nous n’étions pas là, nous, et que nous n’avons pas entendu cette voix, le même Pierre nous dit : « Nous avons, d’ailleurs, une preuve encore plus frappante dans les oracles des Prophètes ». Vous n’avez pas entendu la voix qui descendait du ciel, mais vous avez une preuve encore plus frappante dans les oracles des Prophètes. Notre-Seigneur Jésus-Christ a envoyé devant lui les Prophètes, car il prévoyait que des impies s’élèveraient plus tard, attaqueraient ses miracles et les attribueraient à la magie. Et, de fait, sites honneurs divins qu’on lui rendait, même après sa mort, pouvaient être considérés comme un effet de la magie, et prouvaient qu’il était un magicien, avait-on le droit d’en dire autant des prophéties faites avant sa naissance ? Écoute les Prophètes, ô homme que la mort a frappé, que les vers rongent déjà, et qui calomnies encore ; écoute les Prophètes : je lis ; prête l’oreille aux paroles d’hommes qui ont précédé le Sauveur sur la terre. « Nous avons », dit l’apôtre Pierre, « nous avons une preuve encore plus frappante dans les oracles des Prophètes, sur lesquels vous faites bien d’arrêter les yeux comme sur le flambeau qui luit dans un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour commence à paraître et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs ay ». 9. Lors donc que Notre-Seigneur Jésus-Christ sera venu, et que, selon l’expression de l’apôtre Paul, il aura éclairé ce qui est caché dans les ténèbres, et découvert les plus secrètes pensées des cœurs, afin de rendre à chacun la louange à laquelle il a droit az, alors brillera le véritable jour, et les lampes deviendront inutiles. On ne lira plus devant nous les oracles des Prophètes, on ne mettra plus sous nos yeux le livre de l’Apôtre : nous ne nous appuierons pas davantage sur le témoignage de Jean, l’Évangile lui-même ne nous sera nullement nécessaire. Les Écritures disparaîtront donc du milieu de nous : pareilles à des lampes allumées, elles nous ont été données pendant la nuit de ce siècle, pour nous empêcher de rester plongés dans les ténèbres ; mais elles nous seront enlevées, parce que nous n’aurons plus besoin qu’elles nous éclairent : les hommes de Dieu eux-mêmes, qui nous les ont fournies, contempleront, comme nous, les éclatants rayons de la lumière véritable ; tous secours nous seront retirés. Alors, que verrons-nous ? De quoi notre âme se nourrira-t-elle ? Quel spectacle réjouira nos yeux ? D’où nous viendra ce bonheur que l’œil de l’homme n’a point vu, que son oreille n’a point entendu, que son cœur n’a jamais compris ba ? Que verrons-nous ? Je vous en conjure, aimez avec moi ; avec moi, courez par la foi : désirons-nous arriver à l’éternelle patrie ? soupirons après elle, et souvenons-nous que nous sommes ici-bas des voyageurs. Que verrons-nous ? Lisons l’Évangile : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu bb ». Tu viendras puiser à la source du sein de laquelle s’est échappée la rosée si souvent répandue sur toi ; tu verras face à face la lumière, dont les rayons ne sont venus qu’obliquement et par réfraction, dissiper les ténèbres de ton cœur : c’est pour la voir et pouvoir la supporter que tu te purifies aujourd’hui. Aussi, Jean nous adresse-t-il ces paroles, que j’ai hier rappelées à votre souvenir : « Mes bien-aimés, nous sommes maintenant les enfants de Dieu ; mais ce que nous serons un jour n’apparaît pas encore. Nous savons que, quand il viendra dans sa gloire, nous le verrons tel qu’il est bc ». Je le sens, vos affections sont, avec les miennes, dirigées vers le ciel ; mais ce corps, condamné à se corrompre, appesantit l’âme, et cette habitation terrestre abat l’esprit capable des plus hautes pensées bd. Mais il me faut quitter ce livre, et chacun de nous va retourner à ses affaires personnelles. Nous nous sommes trouvés bien d’apercevoir ensemble les rayons de la même lumière : nous nous sommes réjouis, et nous avons tressailli d’allégresse. Puissions-nous toutefois, en nous séparant les uns des autres, ne pas nous éloigner de cette clarté brillante !TRENTE-SIXIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CE PASSAGE : « VOUS JUGEZ SELON LA CHAIR ; MOI, JE NE JUGE PERSONNE », JUSQU’À CET AUTRE : « JE RENDS TÉMOIGNAGE DE MOI-MÊME, ET LE PÈRE, QUI M’A ENVOYÉ, REND TÉMOIGNAGE DE MOI ». (Chap 8,15-18.)LE CHRIST, UN AVEC LE PÈRE.
Il y a deux natures en Jésus-Christ, mais les Juifs, qui jugent selon la chair, n’en reconnaissent qu’une. Le Sauveur ne les imite pas, il ne juge personne, il se montre miséricordieux jusqu’à la mort de la croix, et s’il juge il ne se trompe nullement, car son Père est avec lui. C’est là un mystère puisé par saint Jean dans le sein même de Dieu et qu’il est difficile de saisir ; mais c’est une vérité catholique. Le Christ n’est donc pas seul, car, s’il est homme, il est en même temps Dieu, et, comme tel, une même chose avec le Père, inséparable de lui, quoique personne distincte ; dès lors qu’il se rend témoignage, sa parole est vraie, puisqu’elle est la parole du Père et l’oracle de l’Esprit-Saint. 1. Des quatre Évangiles, ou plutôt des quatre livres du même Évangile, le plus levé et le plus sublime, à beaucoup près, est celui de Jean, Cet apôtre a été justement, et dans un sens spirituel, comparé à un aigle ; aussi son livre a-t-il surpassé les trois autres, et en s’élevant au-dessus d’eux a-t-il lui-même voulu nous engager à porter haut nos affections. En effet, les autres Évangélistes semblaient marcher sur la terre avec Jésus-Christ considéré comme homme ; mais Jean, en quelque sorte honteux de se traîner ici-bas, a élevé la voix à tel point que, dès le commencement de son écrit, il s’est placé, non seulement au-dessus de la terre, de l’air et des astres, mais même au-dessus de l’armée des anges et de toutes les puissances invisibles établies de Dieu ; il est ainsi arrivé jusqu’à Celui qui a créé toutes choses, car il a dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe, était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Tout a été fait par lui, et sans lui rien n’a été fait be ». Le reste de son Évangile est digne d’un si beau commencement. Comme un oiseau, il a pris son vol, et il a parlé de la divinité du Sauveur. Il n’a fait, en cela, que nous rendre ce qu’il avait puisé à la source de la vérité. Évidemment, il ne nous a pas sans raison raconté, en parlant de lui, dans son Évangile, qu’à la dernière Cène il avait reposé sur la poitrine du Seigneur bf. Appuyé sur le cœur de Jésus, il y puisait un secret breuvage ; mais ce breuvage ignoré, il nous l’a fait connaître en nous le distribuant. Il a enseigné à toutes les nations, non seulement l’incarnation du Fils de Dieu, sa passion et sa résurrection, mais ce qu’il était avant de se faire homme : Fils unique du Père, son Verbe, coéternel à Celui qui l’a engendré, égal à Celui qui l’a envoyé, mais devenu, par son incarnation, inférieur à son Père et moins grand que lui. 2. Tout ce que vous avez entendu dire de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans un sens de faiblesse, appliquez-le donc à l’homme dont il s’est revêtu, à ce qu’il est devenu à cause de nous, et non à ce qu’il était quand il nous a créés. Mais si l’on vous dit de lui de grandes choses, des choses plus élevées que toutes les créatures, des choses divines ; si vous lisez dans l’Évangile, ou si l’on vous avertit que, d’après ces pages sacrées, il est égal et coéternel au Père, comprenez-le bien, les passages placés sous vos yeux ont trait à la nature divine, et non à sa forme d’esclave. Tous ceux d’entre vous qui comprennent mes paroles, doivent observer cette manière d’interpréter l’Écriture ; tous ne les comprennent pas, mais c’est pour tous une obligation de croire ce qu’ils ne sont pas à même de saisir ; en observant la règle d’interprétation que je viens de donner, vous marcherez comme au sein de la lumière, et vous repousserez sûrement les attaques mensongères d’hérétiques plongés dans les ténèbres. On a vu des hommes se borner à lire les passages de l’Évangile, relatifs aux abaissements du Sauveur, et devenir sourds par rapport aux passages qui ont trait à sa divinité ; leur surdité venait de la manière défectueuse dont ils entendaient les paroles évangéliques. D’autres n’ont fait attention qu’aux endroits où il s’agissait des grandeurs du Christ ; aussi n’ont-ils pas cru au texte sacré même quand ils y ont lu que, par bonté pour nous, il s’est fait homme ; à leurs yeux, ces passages sont mensongers ; une main étrangère les a interpolés dans l’Évangile. Le Seigneur Jésus, disaient-ils, était Dieu, mais il n’était pas homme. La croyance des uns était donc bien différente de celle des autres ; et, néanmoins, les uns et les autres se trompaient. Pour l’Église catholique, elle soutient ce qu’il y a de vrai dans chacune de ces opinions, elle proclame ce qu’elle croit ; elle sait reconnaître, dans le Sauveur, la divinité et l’humanité ; car l’existence en lui des deux natures est réelle, et se trouve inscrite en toutes lettres dans l’Évangile. Si tu ne vois dans Jésus-Christ que le Dieu, tu refuses de reconnaître le moyen dont il s’est servi pour te guérir ; à ne le considérer que comme un homme, tu lui dénies le pouvoir qui lui a servi à te créer. Âme fidèle, cœur catholique, reconnais donc en lui le Dieu et l’homme ; reconnais-le, crois-le, avoue-le en toute sincérité. Oui, le Christ est en même temps Dieu et homme. Comment est-il Dieu ? Il est égal au Père ; il est une seule et même chose avec lui. Comment est-il homme ? Il est né d’une Vierge, il s’est revêtu de notre chair mortelle, sans, toutefois, se revêtir de notre penchant au péché. 3. Quant aux Juifs, interlocuteurs de Jésus, ils voyaient en lui l’homme, mais ils ne comprenaient pas qu’il fût Dieu et ne le croyaient point tel ; vous savez déjà, entre autres choses, qu’ils lui avaient dit : « Tu rends témoignage de toi-même ; ton témoignage n’est pas véritable bg ». Vous connaissez aussi la réponse du Sauveur, puisqu’on vous en a hier donné lecture, et que, dans la mesure de nos forces, nous l’avons expliquée. Aujourd’hui on nous a lu ces autres paroles : « Vous jugez selon la chair ». Vous me dites : « Tu rends témoignage de toi-même, ton témoignage n’est pas véritable » Pourquoi me parlez-vous ainsi ? Parce que « vous jugez selon la chair », parce que vous ne comprenez pas que je sois Dieu ; parce que vous ne voyez en moi qu’un simple homme, et qu’en persécutant mon humanité, vous faites injure à ma divinité cachée. Évidemment, « vous jugez selon la chair ». Parce que je rends témoignage de moi-même, vous me regardez comme un orgueilleux. Quiconque, en effet, veut parler de soi-même en termes élogieux, passe pour un homme rempli d’arrogance et d’orgueil ; voilà pourquoi il est écrit : « Que tes louanges sortent, non pas de ta bouche, mais de celle de ton prochain bh ». Cette leçon a été donnée à l’homme seulement, car nous sommes faibles, et nous parlons à des faibles ; nous pouvons dire la vérité et le mensonge, et quoique notre devoir soit de parler le langage de la vérité, nous pouvons, néanmoins, aussi tenir un langage trompeur, si telle est notre volonté. Pour la lumière, elle est incapable de mentir ; comment rencontrer les obscurités du mensonge au grand jour de la lumière divine ? Jésus s’exprimait comme lumière, comme vérité ; mais si la lumière brillait dans les ténèbres, les ténèbres ne la comprenaient point ; aussi jugeaient-elles selon la chair. « Vous jugez selon la chair », leur dit-il. 4. « Moi, je ne juge personne ». Est-il bien vrai que Notre-Seigneur Jésus-Christ ne juge personne ? N’est-il pas celui-là même qui, de notre propre aveu, est ressuscité d’entre les morts le troisième jour, qui est monté au ciel, qui est assis à la droite du Père, d’où il viendra juger les vivants et les morts ? N’est-ce point là notre croyance, cette croyance dont l’Apôtre a dit : « On croit de cœur pour obtenir la justice, et l’on confesse de bouche pour obtenir le salut bi ? » Quand nous faisons cette confession, contredisons-nous le Sauveur ? Nous disons qu’il viendra juger les vivants et les morts, et lui nous dit : « Je ne juge personne ». Cette difficulté peut être résolue de deux manières ; ou bien ces paroles signifient : « Je ne juge personne » maintenant, selon ces autres : « Je ne suis point venu pour juger le monde, mais pour le sauver bj » ; et par là, il ne nie pas qu’il doive exercer le jugement ; il le remet seulement à une époque plus éloignée ; ou bien, comme il avait dit : « Vous jugez selon la chair », il ajoute : « Je ne juge personne », sous-entendu selon la chair. Nous ne devons donc avoir dans le cœur aucun scrupule, aucune inquiétude à l’égard de la croyance que nous nourrissons et que nous professons sur le futur jugement du Christ. Il est venu en ce monde, d’abord pour le sauver, ensuite pour le juger ; et son jugement consistera à condamner aux peines éternelles ceux qui n’auront pas voulu être sauvés, et à mettre en possession de la vie ceux qui n’auront point méprisé la grâce du salut. Le premier avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ a donc eu pour but de nous guérir, et non de nous juger ; car s’il était venu d’abord pour exercer le jugement, personne n’aurait été trouvé digne de recevoir la récompense de la justice. Dès lors donc que nous lui soyons tous apparu dans l’état du péché, et condamnés, sans exception, à la mort du péché, il lui a fallu exercer d’abord sa miséricorde, puis, ensuite, manifester sa justice ; le Psalmiste, parlant de lui, avait dit en effet : « Seigneur, je chanterai votre miséricorde et votre justice bk ». L’Ecrivain sacré ne dit pas : votre justice et votre miséricorde ; car si la justice devait s’exercer avant la miséricorde, celle-ci ne se manifesterait jamais : elle doit donc venir la première ; après elle seulement, la justice. Et comment test manifestée la miséricorde du Sauveur ? Créateur de l’homme, il a daigné se faire homme ; il est devenu sa propre créature afin de ne point laisser périr ce qu’il avait créé. Était-il possible d’ajouter à cette bonté infinie ? Oui, car il t’a poussée plus loin encore. C’était peu pour lui de s’être fait homme, il a voulu aussi être condamné par des hommes ; non content d’être condamné par eux, il a consenti encore à être par eux déshonoré et, non seulement à en être déshonoré, mais à se voir mis à mort, et non seulement à mourir, mais à mourir de la mort de la croix. En nous parlant de l’obéissance du Christ, obéissance poussée jusqu’à la mort, l’Apôtre ne s’est pas contenté de dire : « Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort » ; ce n’était pas une mort quelconque, car il a ajouté : « La mort de la croix bl ». De tous les genres de mort, aucun n’a été plus affreux que celui-là. Aussi, lorsqu’un homme se tord dans les étreintes de douleurs atroces, on dit de lui qu’il souffre une sorte de crucifiement, par analogie avec le supplice de la croix. Et de fait, les malheureux attachés au bois de la croix mouraient d’une mort lente, effet tardif des blessures qu’on leur faisait aux pieds et aux mains pour les clouer à leur gibet. Crucifier un homme, ce n’était pas le tuer ; sur la croix il vivait longtemps, non pas qu’on voulût prolonger la durée de son existence, mais parce qu’on avait dessein de retarder sa mort pour lui faire atteindre moins vite le terme de ses douleurs. Le Sauveur a voulu mourir pour nous ; nous disons trop peu : il s’est fait obéissant jusqu’à la mort de la croix, et il a daigné se laisser crucifier. Il voulait détruire l’empire de la mort, et, pour cela, il a choisi le genre de mort le plus cruel, le dernier de tous ; et par cette mort, de toutes les morts la plus infâme, il les a toutes détruites. Aux yeux des Juifs, elle occupait le dernier rang parmi les autres, mais ils n’en comprenaient pas le mystère, car elle était du choix du Sauveur. Sa croix devait être pour lui un symbole ; il devait l’imprimer sur le front de ses disciples comme un signe du triomphe qu’il remportait sur le démon ; c’est pourquoi l’Apôtre a pu dire : « Mais, pour moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie en autre chose qu’en la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde est crucifié pour moi, et par qui je suis crucifié pour le monde bm ». Pour son corps, l’homme ne pouvait subir alors de plus insupportable supplice que celui de la croix ; aujourd’hui, rien de plus glorieux que le signe de la croix imprimé sur son front. Quelle récompense réserve à ses serviteurs Celui qui a ainsi glorifié l’instrument de ses douleurs ? Maintenant, enfin, les Romains ne condamnent plus à la croix leurs criminels, depuis que celle du Sauveur est honorée de tous ; car l’éclat de sa gloire rejaillirait, ce semble, sur le coupable que l’on crucifierait. Dans son premier avènement, le Christ n’a donc jugé personne, et il a supporté les méchants. Il a souffert un injuste jugement, afin de rendre le sien avec justice ; mais précisément parce qu’il a été victime de l’injustice, il s’est montré miséricordieux. En s’abaissant jusqu’à la mort de la croix, il a différé d’exercer sa puissance, mais il a manifesté hautement sa bonté. Et comment a-t-il différé l’exercice de sa puissance ? En ce que, attaché à l’arbre de la croix, il n’a pas voulu en descendre, quoique ensuite il ait pu sortir vivant du tombeau. Comment a-t-il montré sa miséricorde ? En ce que sur la croix il s’est écrié « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font bn ». Il a donc dit : « Moi, je ne juge personne », en ce sens qu’il n’était point venu juger le monde, mais le sauver ; ou bien, comme j’en ai fait la remarque, il a prononcé ces paroles : « Moi, je ne juge personne », par allusion et opposition à celles-ci : « Vous jugez selon la chair », d’où nous devons conclure que le Christ ne juge pas selon la chair, c’est-à-dire de la même manière que les hommes l’ont jugé. 5. Remarquez, en effet, que le Christ exerce déjà la judicature, et pour cela, écoutez ce qui suit : « Et si je juge, mon jugement est véritable ». En lui, tu as déjà un juge mais reconnais-le comme ton Sauveur, et tu n’éprouveras point la sévérité de ses jugements. Et pourquoi a-t-il affirmé que son jugement est véritable ? « Parce que je ne suis pas seul, et qu’avec moi est mon Père qui m’a envoyé ». Je vous l’ai dit, mes frères : l’Évangéliste saint Jean s’élève par son vol en des régions presque inaccessibles c’est à peine si l’esprit peut saisir ses pensées. Mais il faut que je dise à votre charité la mystérieuse raison pour laquelle cet Apôtre s’élève à de pareilles hauteurs. Dans le livre du prophète Ezéchiel, comme aussi dans l’Apocalypse de saint Jean qui a écrit l’Évangile que nous lisons, il est parlé d’un quadruple animal, de quatre êtres différents, présentant la ressemblance d’un homme, d’un bœuf, d’un lion et d’un aigle bo. Ceux qui ont exposé avant nous le sens caché des Saintes Écritures, ont vu, pour la plupart, les quatre Évangélistes dans cet animal, ou plutôt dans ces animaux. Le lion est l’emblème de la royauté, car il semble être, en un certain sens, le roi des animaux à cause de sa puissance et de sa force effrayante. Cet emblème a été attribué à Matthieu, parce que, pour établir la généalogie du Sauveur, il a suivi l’ordre de succession des rois, ses ancêtres, afin de montrer, en remontant jusqu’à la souche, qu’il était de la famille de David. Luc, au contraire, a pris pour point de départ le sacerdoce du prêtre Zacharie, et fait mention du père de Jean-Baptiste : on lui a attribué la figure du bœuf, parce que cet animal était la principale victime des sacrifices de la loi. Marc a reçu à juste titre l’emblème du Christ-Homme, car il n’a parlé ni de l’autorité des rois, ni de la puissance des prêtres ; dès le commencement de son Évangile, il n’a fait que parler du Sauveur considéré comme homme. Ces trois écrivains sacrés ont traité un sujet presque exclusivement terrestre, c’est-à-dire ils se sont occupés de ce qu’a fait Notre-Seigneur Jésus-Christ dans le cours de sa vie mortelle ; voyageant en quelque sorte avec lui sur la terre, ils ont dit peu de chose de sa divinité. Reste l’aigle ; c’est Jean lui-même, c’est cet Apôtre qui a publié de si mystérieuses choses et contemplé fixement l’éclat de la lumière intérieure et éternelle de Dieu. Les aigles éprouvent, à ce qu’on dit, leurs aiglons de cette façon : le père les enlève avec ses serres et les expose aux rayons du soleil ; celui d’entre eux qui regarde sans hésiter l’astre du jour, est reconnu comme le digne fils de ses ancêtres ; mais celui qui cligne de l’œil, on le regarde comme un enfant adultérin, et bientôt, loin de le soutenir, on l’abandonne. Voyez donc quelles grandes choses a dû dire l’Évangéliste comparé à l’aigle ! Et pourtant, nous qui trairions à terre, nous qui sommes faibles et comptons à peine parmi les hommes, nous osons parler de ces merveilleux écrits et en donner l’explication ; nous nous imaginons pouvoir les comprendre lorsque nous y pensons, et pouvoir être compris quand nous en parlons. 6. Pourquoi ces réflexions ? En effet, après un pareil discours quelqu’un me dira peut – être et avec justice : Ferme donc ton livre. Car pourquoi garder en tes mains ce qui dépasse les limites de ton intelligence ? Pourquoi vouloir nous en entretenir ? À cela je réponds : Il y a une foule d’hérétiques ; si Dieu leur a permis de se multiplier à ce point, c’est afin que nous ne fassions pas toujours du lait notre nourriture, c’est pour nous aider à sortir de notre inintelligente enfance. Ils n’ont point saisi les preuves de la divinité du Christ, contenues dans les saints livres ; ils les ont donc interprétés à leur manière ; mais parce qu’ils n’en ont pas eu la véritable intelligence, ils ont tourmenté les catholiques fidèles par des discussions embarrassantes, et ceux-ci ont fini par se laisser troubler et ébranler ; de là, pour les hommes spirituels qui avaient lu dans l’Évangile et compris les passages relatifs à la divinité du Sauveur, de là est venue la nécessité d’opposer aux armes du démon les armes du Christ ; ils ont dû employer toutes leurs forces pour lutter et combattre le plus ouvertement possible les faux docteurs, les amis du mensonge qui attaquaient la divinité de Jésus en élevant la voix, ils ont empêché les autres de périr. Il en est qui ont cru que Notre-Seigneur était d’une substance différente de celle du Père ; d’autres ont vu en lui un Christ, Père, Fils et Saint-Esprit tout ensemble : selon ceux-ci, il n’était qu’un homme, il n’était pas un Dieu fait homme ; suivant ceux-là, il était Dieu, sans jouir de l’immuabilité de la nature divine ; pour d’autres encore, il était Dieu, mais n’avait rien de l’homme ; en définitive, tous ont fait naufrage dans la foi, et se sont vus rejetés loin du port de l’Église ; par là on les a empêchés de nuire, par leurs mouvements saccadés, à la conservation des navires placés à côté d’eux. Nous sommes bien petits, et en ce qui nous concerne, bien indignes ; néanmoins, par un effet de sa miséricorde, nous avons pris place au milieu des dispensateurs de sa parole ; aussi, est-ce même pour nous une rigoureuse obligation de rompre le silence devant vous : si vous me comprenez, vous vous réjouirez avec moi ; et, si vous ne pouvez encore saisir la portée de rues paroles, vous croirez, et votre foi vous fera demeurer en sûreté dans le port. 7. Je parlerai donc : m’entende qui pourra, et croie qui ne pourra pas me suivre. Quoi qu’il en soit, je répéterai les paroles du Sauveur : « Vous jugez selon la chair ; moi, je ne juge personne », maintenant, ou selon la chair ; « mais si je juge, mon jugement est véritable ». Pourquoi votre jugement est-il véritable ? « Parce que », dit-il, « je ne suis pas seul, et qu’avec moi est mon Père, qui m’a envoyé ». Eh quoi, Seigneur Jésus ! votre jugement serait-il faux, si vous étiez seul ? Et jugez-vous selon la vérité, parce que vous n’êtes pas seul, et qu’avec vous se trouve le Père qui vous a envoyé ? Que répondrai-je ? Il va répondre lui-même : « Mon jugement », dit-il, « est véritable ». Pourquoi ? « Parce que je ne suis pas seul, et qu’avec moi est le Père qui m’a envoyé ». S’il est avec vous, comment vous a-t-il envoyé ? Il vous a envoyé et il est avec vous ? Quoique envoyé par lui, ne vous en seriez-vous point éloigné ? En venant habiter parmi nous, seriez-vous resté avec lui ? Comment le croire ? Comment le comprendre ? À cela, je réponds deux choses. Tu parles juste en disant : Comment le comprendre ; et, en disant : Comment le croire ? tu t’exprimes mal. Il est certain que si on ne saisit pas immédiatement une vérité, c’est alors qu’on la croit parfaitement ; dès lors, au contraire, qu’on la comprendrait, on n’aurait pas besoin de la croire, puisqu’on en aurait la claire vue. Tu crois une chose, parce que tu n’en as pas l’intelligence ; mais, par la foi, tu deviens capable de la comprendre. Si tu ne la crois pas, jamais tu ne la saisiras ton incapacité à le faire sera toujours plus grande. Puisse donc la foi te purifier, afin que tu sois rempli d’intelligence ! « Mon jugement est véritable », dit le Sauveur, « parce que je ne suis pas seul, et qu’avec moi est le Père qui m’a envoyé ». Aussi, Seigneur Jésus, notre Dieu, votre mission n’est-elle autre chose que votre incarnation. Voilà ce que je vois, voilà ce que je comprends ; enfin, voilà ce que je crois, et je parle ainsi dans la crainte de faire preuve d’orgueil en disant : Voilà ce que je comprends. Oui, Notre-Seigneur Jésus-Christ était ici-bas ; il y était selon la chair, il y est encore en tant que Dieu, et, en unième temps, il était avec le Père et ne s’en était pas séparé. En disant qu’il a été envoyé vers nous et qu’il y est venu, on fait allusion à son incarnation, puisque le Père ne s’est pas incarné. 8. On a donné le nom de Sabelliens, et aussi celui de Patripassiens, à des hérétiques qui prétendent que le Père a souffert. Qu’il n’en soit pas ainsi de toi, ô catholique, car tu n’aurais pas l’intégrité de la foi, si tu étais patripassien. Comprends-le donc : par la mission du Fils on entend son incarnation ; tu ne dois croire du Père, ni qu’il se soit incarné, ni qu’il se soit séparé de son Fils fait homme. Le Fils était revêtu d’un corps, et le Père était avec le Fils. Si le Père était dans le ciel, et le Fils sur la terre, comment le Père pouvait-il être avec le Fils ? En ce que l’un et l’autre étaient en tous lieux, car Dieu ne peut pas être au ciel, sans être en même temps sur la terre. Écoute le Prophète : il voulait échapper au jugement de Dieu, et ne savait où se retirer : « Où irai-je devant votre esprit ? » dit-il. « Où fuir devant votre face ? « Si je monte vers les cieux, vous y êtes ». Mais il s’agit de la terre ; remarque donc ce qui suit : « Si je descends au fond des enfers, vous voilà ». Si on le rencontre au fond des enfers, en quel autre lieu pourrait-on ne pas le trouver ? Le Seigneur dit lui-même par la bouche d’un Prophète : « Je remplis le ciel et la terre bp ». Il est donc partout, puisqu’on ne peut circonscrire son être en aucun lieu. Ne t’éloigne pas de lui, et il est avec toi. Veux-tu parvenir jusqu’à lui ? ne sois point lent à l’aimer ; c’est par les affections du cœur, et non par les mouvements du corps, qu’on s’approche de lui. Crois et aime, et, sans changer de place, tu franchis la distance qui t’en sépare. Il est donc en tout lieu ; mais, s’il est partout, pourrait-il ne pas être avec son Fils ? Eh quoi ! Il ne serait pas avec son Fils, et il est avec toi, si tu as la foi ? 9. D’où vient donc la vérité du jugement du Sauveur, sinon de ce qu’il est le vrai Fils de Dieu ? Il l’a dit lui-même : « Si je juge, mon jugement est véritable, parce que je ne suis pas seul, et qu’avec moi est le Père qui m’a envoyé ». C’est comme s’il disait : « Mon jugement est véritable », parce que je suis le Fils de Dieu. Quelle preuve me donnez-vous de votre filiation divine ? « Je ne suis pas seul ; le Père qui m’a envoyé, est avec moi ». Rougis, disciple de Sabellius, car tu entends parler distinctement du Fils et du Père. Le Père, c’est le Père ; le Fils, c’est le Fils. Jésus n’a pas dit : Je suis le Père, et je suis en même temps le Fils ; mais il a dit : « Je ne suis pas seul ». Pourquoi n’êtes-vous pas seul ? Parce que le Père est avec moi. « Je suis, et avec moi est le Père qui m’a envoyé ». Des deux personnes, n’en détruis pas une, mais distingue-les l’une de l’autre. Que ton intelligence te serve à établir cette distinction ; mais que la mauvaise foi ne te les fasse point séparer ; autrement, tu fuirais Charybde pour tomber en Scylla. L’abîme de l’impiété sabellienne t’engloutirait, si tu disais que le Fils n’est autre que le Père ; tu as entendu ces paroles : « Je ne suis pas seul, mais le Père qui m’a envoyé est avec moi ». Tu reconnais que le Père est le Père, et que le Fils est le Fils. C’est bien, mais ne dis pas : Le Père est plus grand, le Fils est moindre ; ne dis pas : Le Père est de l’or, le Fils est de l’argent. En eux, unité de substance, de divinité, de coéternité, égalité parfaite, nulle dissemblance. Si tu regardes le Christ comme une personne seulement autre que le Père et différente de lui, mais que tu le considères comme n’étant pas avec lui de nature tout à fait pareille, tu as échappé, sans doute, aux dangers de Charybde, mais tu es allé faire naufrage au milieu des récifs de Scylla. Dirige ta voile entre ces deux écueils, évite les approches de ces périlleux abîmes. Le Père est le Père, le Fils est le Fils. En disant : Le Père est le Père, le Fils est le Fils, tu as certainement échappé au péril de tomber dans un gouffre ; pourquoi vouloir te précipiter dans l’autre, en disant : Autre chose est le Père, autre chose est le Fils ? Dire qu’il est autre, c’est parler juste ; dire qu’il est autre chose, c’est mal t’exprimer. Le Fils est autre que le Père, parce qu’il n’est pas le même que le Père : le Père est autre que le Fils, parce qu’il n’est pas le même que le Fils ; néanmoins, le Père et le Fils ne sont pas autre chose, parce qu’ils sont la même chose. Ils sont la même chose : qu’est-ce à dire ? Un seul Dieu. Tu as entendu ces paroles : « Je ne suis pas seul, mais le Père qui m’a envoyé, est avec moi ». Écoute le Fils : il va lui-même t’apprendre ce que tu dois croire du Père et du Fils. « Moi et mon Père, nous sommes une même chose bq ». Remarque bien ces deux termes : « Nous sommes une même chose », et tu seras préservé de tomber en Charybde et en Scylla. De ces deux termes, l’un, « une même chose », te préserve de l’erreur d’Arius, l’autre, « nous sommes », te garantit de celle de Sabellius, S’il y a « unité », il n’y a pas diversité de substance ; le mot « nous sommes » prouve l’existence du Père et du Fils ; car si le Sauveur ne parlait que d’un seul, il ne dirait pas : « Nous sommes » ; et s’il y avait entre eux diversité de nature, il ne se servirait pas de l’expression : « Une même chose. Mon jugement », dit-il, « est véritable » ; en voici en deux mots la raison ; c’est que je suis le Fils de Dieu. Mais, ajoute-t-il, en te disant que je suis le Fils de Dieu, je veux te faire entendre que mon Père est avec moi ; de ce que je suis son Fils, il ne résulte nullement que je me sois éloigné de lui ; je ne me trouve pas ici de telle façon qu’il ne s’y trouve pas avec moi ; il n’est pas lui-même au ciel, de manière à ce que je n’y sois pas avec lui. J’ai pris la forme d’un esclave br, mais je ne me suis point dépouillé de ma nature divine : « Je ne suis donc pas seul, mais le Père qui m’a envoyé est avec moi ». 10. Après avoir parlé du jugement, il veut parler du témoignage. « Il est écrit dans votre dois, dit-il, « que le témoignage de deux est digne de foi, et je rends témoignage de moi-même, et le Père qui m’a envoyé, rend témoignage de moi ». Il leur explique même leur loi, à condition pourtant qu’ils ne fassent pas la sourde oreille. Il y a une grande difficulté, mes frères, et j’aperçois un grand mystère dans ce fait, que le Sauveur a dit : « Tout sera assuré par la déposition de deux ou trois témoins bs ». La vérité peut-elle être certifiée par deux témoins ? Évidemment oui : ainsi l’a toujours cru le genre humain tout entier. Il est, néanmoins, possible que deux hommes viennent à mentir. La chaste Suzanne a été compromise par les dépositions de deux menteurs ; parce qu’ils étaient deux, y avait-il pour eux une impossibilité à ce qu’ils fussent de faux témoins ? Parlons-nous de deux ou de trois témoins ? Mais un peuple tout entier s’est inscrit en faux contre le Christ bt. Si un peuple tout entier, composé d’une innombrable multitude d’hommes, a été surpris en flagrant délit de mensonge, quel sens donner à ces paroles : « Tout sera assuré par la déposition de deux ou trois témoins ? » Il y est évidemment fait une mystérieuse allusion à la Trinité en laquelle réside perpétuellement l’immuable vérité. En toutes choses, veux-tu avoir le droit de ton côté ? Aie deux ou trois témoins, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Quand deux faux témoins poursuivaient Suzanne, femme chaste, épouse fidèle s’il en fut, la Trinité lui rendait témoignage au tribunal de sa conscience, et la soutenait intérieurement aussi fit-elle sortir du secret un témoin véridique, Daniel, et, par lui, elle prouva la fausseté des deux vieillards bu. Puisque, d’après votre loi, le témoignage de deux hommes est véritable, recevez donc le nôtre ; autrement, vous ressentiriez la rigueur de notre jugement : « Car je ne juge personne, mais je rends témoignage de moi-même » ; plus tard, je jugerai, mais je rends témoignage aujourd’hui. 14. Mes frères, au milieu des discours méchants et des injurieux soupçons du monde, choisissons Dieu pour notre témoin et notre juge ; car celui qui nous juge ne dédaigne pas de nous servir maintenant de témoin, et pour juger, il rie se laisse point surprendre ; son jugement s’exercera d’après ce qu’il voit et entend lui-même. Mais pourquoi est-il lui-même témoin ? Parce qu’il lui est inutile d’apprendre de la bouche d’un autre qui tu es. Pourquoi est-il juge ? Parce qu’il a le pouvoir de donner la mort et de communiquer la vie, de condamner et d’absoudre, de précipiter dans la géhenne et de faire entrer dans le ciel, de destiner à la société du démon et de couronner dans l’assemblée des anges. Puisqu’il a ce pouvoir, il est donc juge. Pour te connaître, il n’a nul besoin de la déposition d’un autre témoin, s’il doit te juger plus tard, aujourd’hui il te voit ; par conséquent, il ne te sera pas possible de le tromper au moment où il te demandera compte de ta vie. Alors, Dieu te dira : Lorsque tu me méprisais, j’en étais témoin ; et quand tu n’avais pas la foi, je ne m’engageais nullement à laisser impunie ton incrédulité ; je différais ta condamnation, mais je n’y renonçais pas. Tu n’as pas voulu écouter mes ordres, tu subiras la rigueur du jugement que je t’annonce. Si, au contraire, je trouve en toi un serviteur fidèle, les maux dont je te menace maintenant ne seront point ton partage ; mais tu entreras en possession des biens que je te promets. 12. Le Sauveur a dit quelque part : « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout le jugement à son Fils bv ». Ici, il dit : « Mon jugement est véritable, car je ne suis pas seul ; le Père, qui m’a envoyé, est avec moi ». Que cette différence entre les deux textes n’étonne aucun d’entre vous ; nous avons déjà donné une explication suffisante de ces passages de l’Évangile ; il me suffira donc de vous dire : Le Christ ne s’est pas exprimé ainsi pour vous faire entendre que le Père ne sera pas avec son Fils, quand celui-ci jugera le monde : il a voulu vous persuader, qu’au moment où il viendra juger les bons et les méchants, il leur apparaîtra, seul, revêtu de ce corps dans lequel il a souffert, avec lequel il est ressuscité et monté au ciel. Le jour de son ascension, un ange adit à ses disciples qui le voyaient s’élever : « Il reviendra du ciel, de la même manière que vous l’y avez vu monter bw ». Quand il jugera, il sera revêtu de la même chair qu’au moment où il a été jugé. Ainsi se trouvera encore accomplie cette prophétie : « Ils verront Celui qu’ils ont fait mourir bx » Lorsque les justes entreront dans la vie éternelle, nous le verrons tel qu’il est ; mais alors, il ne jugera plus les vivants et les morts, il deviendra la récompense des vivants. 13. Que personne ne se scandalise davantage de ces autres paroles du Sauveur : « Il est écrit dans votre loi que le témoignage de deux hommes est véritable », et, parce qu’il n’a pas dit : Dans la loi de Dieu, que personne ne s’imagine que cette loi ne l’avait pas pour auteur. En se servant de ces expressions : « Dans votre loi », il a voulu dire : Dans la loi qui vous a été donnée ; par qui, sinon par Dieu lui-même ? Nous nous exprimons de la même manière en disant : « Notre pain quotidien », puisque nous ajoutons : « Donnez-nous aujourd’hui by ».TRENTE-SEPTIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CE PASSAGE : « ILS LUI DISAIENT DONC : OÙ EST TON PÈRE ? » JUSQU’À CET AUTRE « ET NUL NE SE SAISIT DE LUI, PARCE QUE SON HEURE N’ÉTAIT POINT ENCORE VENUE ». (Chap 8, 19-20.)LE CHRIST, SEMBLABLE AU PÈRE.
N’envisageant en Jésus-Christ que son humanité, ses ennemis lui demandent où est ton Père. Le Sauveur leur répond sévèrement que s’ils le connaissaient lui-même, ils connaîtraient par là même son Père. En effet, il est semblable à lui, de même nature que lui, une seule et même chose avec lui, en tant que Dieu ; quoique différents de personne, ils sont donc tous deux pareils. Confondus, mais non convaincus par ces paroles, les Juifs se retirent sans lui faire de mal, parce que le moment qu’il a librement choisi comme maître du monde, des astres et des hommes, n’est pas encore venu pour lui de mourir en notre faveur. 1. Nous ne devons point passer brièvement sur ce passage si court de l’Évangile, dont on vient de vous donner lecture. il faut que l’on comprenne bien ce que l’on a entendu. Le Sauveur a dit peu de paroles, mais quelles admirables choses en ce peu de mots ! Paroles remarquables, non à cause du nombre, mais en raison de leur importance ; paroles dont le petit nombre ne doit pas nous inspirer le mépris, mais que leur grandeur recommande à notre sagacité. Ceux d’entre vous qui se trouvaient hier ici, le savent pour nous avoir entendu ; nous avons expliqué, selon la mesure de nos forces, ces paroles de Jésus-Christ : « Vous jugez selon la chair ; pour moi je ne juge personne ; mais si je juge, mon jugement est véritable ; car je ne suis pas seul, et le Père, qui m’a envoyé, est avec moi : Il est écrit, dans votre loi, que le témoignage de deux témoins est vrai. Je rends témoignage de moi-même, et le Père, qui m’a envoyé, rend témoignage de moi bz ». Hier, comme je viens de le dire, j’ai parlé à vos oreilles et à vos esprits au sujet de ce passage de l’Évangile. Après que le Sauveur se fut exprimé ainsi, ceux qui avaient entendu ces mots : « Vous jugez selon la chair », en donnèrent la preuve convaincante. Jésus les avait entretenus de Dieu, son Père ; pour eux, ils lui répondirent en ces termes : « Où est ton Père ? » À l’idée du Père du Christ, ils donnaient un sens charnel, parce qu’ils jugeaient, selon la chair, des paroles du Sauveur. Par l’apparence, celui qui s’adressait à eux était un homme : s’ils avaient pénétré sous ces dehors, ils y auraient trouvé le Verbe : homme visible, Dieu caché, voilà ce qu’il était. Ils voyaient le vêtement et méprisaient celui qui le portait ; ils le méprisaient, parce qu’ils ne le connaissaient pas ; ils ne le connaissaient pas, parce qu’ils ne le voyaient point ; ils ne le voyaient point, parce qu’ils étaient aveugles, et leur cécité provenait de leur manque de foi. 2. Voyons donc encore ce que le Sauveur répondit à leur question. « Où est ton Père ? » lui dirent-ils. Nous avons entendu ces paroles sortir de ta bouche : « Je ne suis pas seul, et le Père, qui m’a envoyé, est avec moi ». Nous ne voyons que toi, et nous n’apercevons pas ton Père à tes côtés. Comment peux-tu nous dire que tu n’es pas seul, mais que ton Père est avec toi ? S’il en est ainsi, montre-nous ton Père. Le Sauveur répondit Est-ce que vous me voyez moi-même ? Alors comment vous montrerai-je mon Père ? Voilà ce qui suit : voilà le sens de sa réponse ; nous avons déjà précédemment expliqué ces paroles. Remarquez-les, en effet, les voici : « Vous ne connaissez ni moi, ni mon Père ; si vous me connaissiez, vous connaîtriez peut-être aussi mon Père ». Vous me demandez « où est mon Père », comme si vous me connaissiez déjà moi-même, comme si vous me voyiez, en regardant tout ce que je suis. Aussi, puisque vous ne me connaissez pas, je ne vous montre pas mon Père. À votre sens, je ne suis qu’un homme ; d’où vous concluez que mon Père est aussi un homme : la raison en est que vous jugez selon la chair. Je suis ce que vous me voyez et ce que vous ne me voyez pas. En tant que vous ne me voyez pas, je vous parle de mon Père, qui est, comme moi, invisible pour vous. Apprenez donc d’abord à me connaître ; et puis, vous connaîtrez mon Père. 3. « Si vous me connaissiez, vous connaîtriez peut-être aussi mon Père ». En disant : « peut-être », Jésus, qui sait tout, n’exprime pas un doute ; il inflige un blâme. Remarquez, en effet, comment ce mot, « peut-être », ordinairement employé pour exprimer un doute, exprime ici un blâme. Une parole est l’expression d’un doute, quand celui qui la profère n’ose se prononcer, en raison de son ignorance ; mais quand une pareille parole tombe des lèvres de Dieu, on peut dire que, rien ne lui étant caché, le doute apparent ne trahit pas une incertitude de sa part, mais qu’il est la condamnation du manque de foi de ses interlocuteurs. Quoiqu’ils soient absolument sûrs de certaines choses, les hommes expriment parfois un doute, pour mieux réprimander ; en d’autres termes, ils emploient des manières de parler dubitatives, malgré la certitude intérieure qu’ils éprouvent. Lorsque tu t’emportes contre ton serviteur, ne lui dis-tu pas : Tu me méprises ; fais-y attention, peut-être suis-je ton maître ? Voilà pourquoi l’Apôtre dit à certains hommes qui le méprisaient : « Mais je le pense, moi aussi, j’ai l’esprit de Dieu ca ». Celui qui dit : « Je « le pense », semble éprouver un doute ; mais Paul n’en éprouvait aucun ; il ne faisait que réprimander. Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même ne blâmait-il pas l’incrédulité future du genre humain, quand il disait. « Quand le Fils de l’homme viendra, pensez« vous qu’il trouve de la foi sur la terre cb ? » 4. Autant que je puis le supposer, vous avez compris pourquoi le Sauveur a prononcé le mot « peut-être ». Qu’aucun de vous, par conséquent, ne fasse parade de sa science du latin, ne pèse les mots, ne dissèque les syllabes et ne trouve à reprendre dans cette parole sortie de la bouche du Verbe de Dieu ; car, en voulant corriger la manière de s’exprimer employée par le Verbe divin, il pourrait bien devenir, non pas éloquent, mais muet. Y a-t-il, en effet, quelqu’un pour s’exprimer comme le Verbe qui, au commencement, était en Dieu ? N’aie pas la hardiesse d’examiner ses paroles, et, d’après cette manière commune de parler, de mesurer le Verbe qui est Dieu. Parce que tu écoutes la Parole, tu la méprises ; écoute Dieu, et crains-le : « Au commencement était la Parole ». Tu rapproches la parole de la manière ordinaire de s’exprimer, et tu dis en toi-même : Qu’est-ce que la parole ? Est-ce donc une chose si merveilleuse ? Elle résonne aux oreilles et s’éteint aussi vite ; elle fait vibrer l’air et frappe le sens de l’ouïe ; puis il n’en reste rien. Écoute encore : « Le Verbe était en Dieu » ; il y demeurait ; après s’y être fait entendre, il ne s’évanouissait pas. Tu n’en as pas encore une haute idée : « Le Verbe était Dieu cc ». O homme, lorsque ta parole est au dedans de toi, dans ton cœur, elle n’est pas un son ; mais pour arriver jusqu’à moi, cette parole, renfermée en toi-même, a besoin du son comme d’un véhicule. Elle s’en empare donc ; elle se place sur lui, comme sur un chariot, elle traverse les airs, parvient jusqu’à moi, sans néanmoins se séparer de toi. Pour le son, il ne peut venir à moi qu’à la condition de te quitter, et, toutefois, il n’établit pas en moi sa demeure. La parole, qui était dans ton âme, a-t-elle disparu en même temps que le son s’évanouissait à mes oreilles ? Ce que tu pensais, tu l’as dit ; tu as employé le secours des syllabes, afin de me faire parvenir tes pensées secrètes : elles sont arrivées à mes oreilles, portées sur les ailes des mots, puis elles sont, de là, descendues dans mon cœur ; le bruit, qui leur a servi de moyen de locomotion, fait place au silence ; mais la parole elle-même, cette parole qui m’est parvenue par l’intermédiaire des sons, se trouvait en toi, avant de se traduire au-dehors par le bruit des mots ; et, parce que tu as parlé, elle a pénétré dans mon cœur sans quitter le tien. Qui que tu sois, si tu veux scruter le sens des paroles que tu entends, fais attention à ce que je dis. Tu ne sais ce qu’est la parole de l’homme, et tu méprises la parole de Dieu ! 5. Celui par qui toutes choses ont été faites, connaît tout, pourtant il adresse sous forme dubitative ce reproche à ses adversaires « Si vous me connaissiez, vous connaîtriez peut-être aussi mon Père ». Il leur reproche leur incrédulité. Il a fait ailleurs la même réflexion à ses disciples ; mais en cette circonstance, il n’a pas employé l’expression du doute, parce qu’il n’avait point à leur reprocher un manque de foi. Ce qu’il dit ici aux Juifs : « Si vous me connaissiez, vous connaîtriez peut-être aussi mon Père », il l’a pareillement dit à ses Apôtres au moment où Philippe lui adressait cette question, ou plutôt cette demande : « Seigneur, montrez-nous le Père, et cela nous suffit ». Par ces paroles, Philippe semblait lui dire : Nous vous connaissons déjà : vous nous êtes apparu, et nous vous avons vu ; vous nous avez choisi, et nous avons marché à votre suite ; nous avons été les témoins de vos miracles ; nous avons entendu les paroles de vie sortir de votre bouche, et accepté vos ordres ; nous espérons en vos promesses ; par votre société, vous nous avez comblés d’une infinité de bienfaits ; nous vous connaissons donc, mais nous ne connaissons pas votre Père ; aussi notre cœur est-il embrasé du désir de voir ce Père que nous ne connaissons pas. Nous vous connaissons, mais cela ne nous suffit pas ; nous voulons connaître aussi votre Père ; montrez-nous-le, et cela nous suffit. Pour leur faire comprendre qu’ils ignoraient encore ce qu’ils croyaient déjà savoir, le Sauveur leur adressa ces paroles : « Je suis avec vous depuis si longtemps, et vous ne me connaissez pas ? Philippe, celui qui me voit, voit aussi mon Père cd ». Y a-t-il apparence de doute dans ces paroles ? Le Sauveur a-t-il dit : Celui qui m’a vu a peut-être aussi vu mon Père ? Pourquoi ? Philippe n’était pas un incrédule ; il n’allait pas à l’encontre de la foi ; c’est pourquoi, au lieu de le réprimander, Jésus l’instruisait. « Celui qui m’a vu, a vu aussi le Père ». Voilà ce qu’il disait à son disciple, tandis qu’il adressait aux Juifs ces autres paroles : « Si vous me connaissiez, vous connaîtriez peut-être aussi mon Père ». Ôtons, de ces paroles, celle qui indique, dans les auditeurs, le manque de foi, et nous trouverons, ici et là, l’expression de la même pensée. 6. Hier, nous avons déjà fait remarquer à votre charité, et nous vous avons dit qu’à moins d’y être obligés par la mauvaise foi des hérétiques, nous devons discuter, le moins, possible, les instructions que l’Évangéliste Jean nous donne comme les ayant reçues lui-même de la bouche du Sauveur. Aussi, nous avons vous fait connaître en deux mois, hier, qu’il y a des hérétiques appelés Patripassiens, ou encore, Sabelliens, du nom de leur chef. À les entendre, le Père n’est autre que le Fils : les noms sont différents, mais il n’y a en Dieu qu’une seule personne ; il est un, mais à son gré, il s’appelle, tantôt le Père, tantôt le Fils. Il est encore d’autres hérétiques ; ce sont les Ariens. Ils reconnaissent en Notre-Seigneur Jésus-Christ le Fils unique du Père ; ils avouent que la personne du Père est distincte de celle du Fils ; que le Père n’est pas le Fils, et que le Fils n’est pas le Père ; ils confessent la génération de l’un par l’autre, mais ils refusent de les reconnaître égaux. Pour nous, qui représentons la foi catholique, cette foi venue jusqu’à nous par l’enseignement des Apôtres, établie parmi nous, à nous transmise par une succession non interrompue de pasteurs, destinée à passer, aux siècles à venir dans toute son intégrité ; pour nous, nous tenons le milieu entre les deux, c’est-à-dire, entre l’une et l’autre hérésie ; nous possédons la vérité. Suivant l’erreur des Sabelliens, il n’y a en Dieu qu’une seule personne, Père et Fils tout ensemble. Selon les Ariens, autre est le Père, autre est le Fils, en ce sens, toutefois, que le Fils est non seulement une autre personne que le Père, mais aussi d’une autre nature. Et toi, qui tiens le milieu entre eux, que crois-tu ? Tu repousses le sabellianisme ; repousse également l’erreur des Ariens. Le Père est le Père, le Fils est le Fils ; l’un n’est pas l’autre, mais ils ne sont pas autre chose. Parce que, dit le Christ, « moi et mon Père, nous sommes un ce ». Je vous l’ai expliqué hier autant que possible. À ce mot : « Nous sommes », le sabellien doit s’éloigner couvert de confusion ; qu’à cet autre : « un », l’Arien fasse de même. Pour le catholique, il faut qu’il dirige la barque de sa foi entre ces deux écueils, et prenne garde de périr en se précipitant sur l’un ou sur l’autre. Répète donc ces paroles de l’Évangile : « Moi et mon Père, nous sommes un ». Il n’y a pas de diversité de nature là où il y a « unité », et quand il est dit : « Nous sommes », il n’y a pas qu’une seule personne. 7. Quelques instants auparavant, Jésus avait dit : « Mon jugement est véritable, parce que je ne suis pas seul, et que le Père, qui m’a envoyé, est avec moi ». Mon jugement est véritable, par la raison que je suis le Fils de Dieu, que je parle selon la vérité, que je suis la vérité même. Les Juifs, ayant donné à ses paroles un sens charnel, lui avaient répondu où est ton Père ? O Arien, écoute maintenant ce qu’il ajoute : « Vous ne connaissez ni moi ni mon Père ; car si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père ». Quand tu vois un homme pareil à un autre ; que votre charité le remarque, je vous parle tomme on vous parle tous les jours : par conséquent, cette manière de m’exprimer, en usage parmi vous, ne doit point vous offrir d’obscurités : quand tu vois un homme pareil à un autre que tu connais déjà, tu es tout surpris de cette ressemblance, et tu dis : Comment celui-ci peut-il ressembler ainsi à celui-là ? Tu ne parlerais pas de la sorte, s’il n’était question de deux hommes différents. Un voisin, qui ne connaît nullement l’homme auquel tu compares le second, te fait cette question : Comme il lui ressemble ? – Et tu lui répons : Eh quoi ! ne le connais-tu pas ? – Non.— Alors, pour lui faire connaître celui qu’il n’a jamais vu, tu lui montres l’homme qui se trouve devant lui, et tu dis Regarde celui-ci, et tu auras vu l’autre. En t’exprimant de cette manière, tu n’as évidemment pas affirmé que ces deux hommes, au lieu d’être deux hommes, n’en font qu’un ; mais à cause de leur mutuelle ressemblance, tu as fait cette réponse : Tu connais celui-ci ; par là même, tu connais celui-là, car tous deux se ressemblent à tel point, qu’il n’y a entre eux aucune différence. Aussi le Sauveur dit-il : « Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père » ; non que le Fils soit le Père, mais parce que le Fils est semblable au Père. Que l’Arien rougisse. Grâces à Dieu de ce que cet hérétique s’est éloigné de l’erreur de Sabellius, et n’est point Patripassien : il ne dit pas que le Père se soit incarné ; soit venu en ce monde, ait souffert, soit ressuscité et remonté en quelque sorte vers lui-même ; il ne dit pas cela : il reconnaît avec moi que le Père est le Père, et que le Fils est le Fils. Mais, ô mon frère, puisque tu as échappé à un écueil, pourquoi te précipiter sur l’autre ? Le Père est le Père ; le Fils est le Fils. Pourquoi dire le Fils dissemblable ? Pourquoi différent ? Pourquoi d’une autre nature ? S’il était dissemblable, dirait-il à ses Apôtres : « Celui qui m’a vu a vu le Père ? » dirait-il aux Juifs : « Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père ? » Et, en parlant ainsi, dirait-il la vérité, si ces autres paroles n’étaient pas vraies : « Moi et mon Père, nous sommes un ? » 8. « Jésus dit ces paroles dans le parvis du « trésor, enseignant dans le temple u. Grande confiance, exempte de crainte ! Car, celui qui ne serait pas devenu semblable à nous, s’il ne l’avait pas voulu, ne devait pas souffrir s’il n’y consentait. Enfin, que lisons-nous encore ? « Et nul ne se saisit de lui, parce que son « heure n’était pas encore venue ». Ces paroles sont aussi pour plusieurs un motif de croire que Notre-Seigneur Jésus-Christ a été soumis à la fatalité ; aussi disent-ils, vous le voyez le Christ avait un sort. Ah ! si ton cœur n’était pas infatué, tu ne croirais pas à cette fatalité ! Ce mot de fatalité, que plusieurs emploient pour l’appliquer au Christ, est un dérivé du Verbe fari, qui veut dire : parler. Comment le Verbe de Dieu pourrait-il être soumis à la fatalité, lui en qui se trouvent toutes les créatures ? Avant de créer le monde, Dieu ignorait-il ce qu’il a établi depuis ? Ce qu’il a fait était dans son Verbe. Le monde a été créé : il a été fait, et néanmoins il était dans le Verbe. Comment a-t-il été créé sans cesser d’être dans le Verbe ? Le voici. La maison que bâtit un architecte, se trouvait d’abord dans son plan ; et elle s’y trouvait dans un état préférable, car elle n’y était exposée ni à vieillir, ni à tomber en ruines : cependant, pour faire connaître son plan, l’architecte bâtit la maison, et un édifice sort, en quelque manière, d’un autre édifice, et s’il vient à s’écrouler, le plan n’en subsiste pas moins. Ainsi, tout ce qui a été créé se trouvait-il dans le Verbe de Dieu, parce que Dieu a fait toutes choses dans sa sagesse cf, et il les a étalées à nos yeux. Ce n’est point parce qu’il les a faites qu’il a appris à les connaître : il les a créées, parce qu’il les connaissait d’avance : elles ont été tirées du néant ; voilà pourquoi nous les connaissons : nous ne les connaîtrions pas, si elles n’avaient pas été faites. Le Verbe était donc avant elles. Mais qu’y avait-il avant le Verbe ? Absolument rien. S’il y avait eu quelque chose, l’Évangéliste aurait dit, non pas qu’ « au commencement, était le Verbe », mais qu’au commencement le Verbe a été fait. Enfin, qu’est-ce que Moïse dit de l’univers ? « Au commencement, Dieu a fit le ciel et la terre cg ». Il fit ce qui n’était pas : s’il fit ce qui n’était pas, qu’y avait-il donc avant la création ? « Au commencement a était le Verbe ». Et d’où sont venus le ciel et la terre ? « Toutes choses ont été faites par lui ch ». Et tu places le Christ sous l’empire d’un sort ? Où sont les sorts ? – Dans le ciel, me réponds-tu : dans la symétrie et les révolutions des astres.— Comment donc Celui qui a fait le ciel et les astres peut-il être soumis à un sort, lorsque tu t’élèves toi-même au-dessus du ciel et des astres, par l’effet de ta seule volonté, en suivant les pures inspirations de la sagesse ? De ce que le Christ s’est fait homme sur la terre, as-tu le droit de penser que sa puissance s’est abaissée au point de se soumettre à celle du ciel ? 9. O homme ignorant, écoute : « Son heure n’était pas encore venue », non pas l’heure où il serait forcé de mourir, mais celle où il daignerait se laisser mettre à mort. Il savait le moment où il devrait mourir : il avait devant les yeux tout ce qui avait été prédit de lui, et il attendait l’accomplissement de toutes les prophéties qui devaient se réaliser avant sa passion : après qu’elles se seraient vérifiées, alors sonnerait l’heure de ses souffrances, en conséquence de son choix, et non pas d’une aveugle nécessité. Écoutez-moi, je vais vous en donner une preuve. Entre toutes les prédictions relatives au Christ, je trouve celle-ci : « Ils m’ont donné du fiel pour nourriture, ils m’ont présenté du vinaigre pour étancher ma soif ci ». L’Évangile nous apprend la manière dont elle s’est accomplie. On donna d’abord du fiel au Christ ; après l’avoir reçu et goûté, il le cracha : puis, tandis qu’il était en croix, il voulut réaliser toutes les prophéties, et il s’écria : « J’ai soif ». Les soldats prirent une éponge remplie de vinaigre, la fixèrent à un roseau, et l’élevèrent pour l’approcher de ses lèvres : il accepta et dit : « C’est fini ». Qu’est-ce à dire : « C’est fini ? » Tout ce qui avait été annoncé comme devant avoir lieu avant ma mort, est accompli ; que fais-je donc ici ? Enfin, sitôt qu’il eut dit : « C’est fini, il baissa la tête et rendit l’âme cj ». Les deux larrons, crucifiés à côté de lui, sont-ils morts quand ils l’ont voulu ? Ils étaient retenus captifs par les liens de leur corps, parce qu’ils ne l’avaient pas créé : cloués à la croix, ils voyaient leurs tourments se prolonger, parce qu’ils n’étaient pas les maîtres de la douleur. Pour le Sauveur, il a pris, quand il l’a voulu, un corps dans le sein d’une vierge : il est venu prendre place au milieu des hommes, quand il l’a voulu quand il l’a voulu, il a quitté son corps tout cela a été, chez lui, l’effet de la puissance, et non de la nécessité. Il attendait donc cette heure, et il ne devait point la subir forcément ; il l’avait librement choisie, comme la plus opportune, pour accomplir d’abord ce qui devait avoir lieu avant sa mort. Était-il fatalement condamné par un sort, Celui qui a dit en un autre endroit. « J’ai le pouvoir de donner ma vie, et j’ai le pouvoir de la reprendre ; nul ne me l’ôte, mais je la donne moi-même, et je la reprends de nouveau ck ? » Il a manifesté ce pouvoir au moment où les Juifs cherchaient à s’emparer de lui. « Qui a cherchez-vous ? » leur dit-il. – Et ils lui répondirent : « Jésus ».— « C’est moi ».— À ces mots, « ils reculèrent et tombèrent par terre cl ». 10. Quelqu’un va me dire : S’il avait un pareil pouvoir, pourquoi n’est-il pas descendu de sa croix, lorsque attaché à la croix il se voyait insulté par eux, et qu’ils lui disaient : « Si tu es le Fils de Dieu, descends donc de la croix cm ? » Il leur eût ainsi donné une preuve péremptoire de sa puissance. Il a différé de la manifester, afin de nous enseigner la patience. S’il s’était laissé comme troubler par leurs clameurs, et qu’il fût descendu suivant leur désir, ils se seraient imaginé que la douleur et la honte l’avaient vaincu. Libre de descendre s’il l’eût voulu, il ne le fit pas, et resta attaché à l’instrument de son supplice. Descendre de sa croix aurait-ce été difficile pour Celui qui a pu sortir vint du tombeau ? Pour nous, qui avons entendu ce passage de l’Évangile, puissions-nous comprendre que, si Notre-Seigneur Jésus-Christ n’a pas alors manifesté sa puissance, il la manifestera au jour du jugement, ce jour dont il est écrit : « Il viendra et se manifestera, notre Dieu, et sortira de son silence cn ». Qu’est-ce à dire : « Il viendra et se manifestera ? » Notre Dieu, Jésus-Christ, est tenu sans qu’on le connaisse : il viendra et on le connaîtra. « Et il sortira de son silence ». Que signifient ces paroles ? D’abord il s’est tu. Quand s’est-il tu ? Quand il a été jugé. Ainsi s’est trouvé accompli l’oracle du Prophète : « Il a été conduit à la mort comme une brebis, et, pareil à un agneau qui se tait devant le tondeur, il n’a pas ouvert la bouche co ». S’il n’y avait consenti, il n’aurait pas souffert ; s’il n’avait souffert, il n’aurait pas répandu son sang, et sans l’effusion de son sang, le monde n’aurait pas été racheté. Aussi devons-nous rendre grâces et à sa puissance divine, et à la bonté avec laquelle il est venu partager notre faiblesse. Remercions-le d’avoir caché cette puissance qu’ignoraient les Juifs, puisqu’il leur a dit tout à l’heure : « Vous ne connaissez ni moi ni mon Père » ; et d’être devenu cet homme que les Juifs connaissaient, et dont ils n’ignoraient point la patrie ; car il leur avait dit précédemment : « Vous me connaissez, et vous savez d’où je suis cp ». Sachons bien aussi ce qui rend le Christ égal au Père, et ce qui rend son Père plus grand que lui. Voyons en lui, d’une part, le Verbe, d’autre part, la nature humaine : tout à la fois Dieu et homme, il ne forme néanmoins qu’un seul et même Christ en qui se trouvent unis la divinité et l’humanité.TRENTE-HUITIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CE PASSAGE : « JÉSUS LEUR DIT DONC : VOUS ME CHERCHEREZ », JUSQU’À CET AUTRE : « JE SUIS LE COMMENCEMENT, MOI QUI VOUS PARLE ». (Chap 8,21-25.)LE CHRIST, PRINCIPE.
Jésus avertit les Juifs qu’ils chercheront à le connaître, mais que leurs efforts n’aboutiront point, parce qu’ils ont, à son sujet, des idées charnelles, et qu’ils mourront dans leurs péchés parce qu’ils n’auront pas la foi La seule condition pour ne pas mourir ainsi, c’est de croire que le Christ est, en lui-même, sans changement d’aucune sorte ; en un mot, qu’il est le principe, la source de la vie pour toutes choses. 1. La leçon du saint Évangile qui précède celle d’aujourd’hui se terminait par ce passage : « Jésus dit ces paroles dans le parvis du trésor, enseignant dans le temple » ce qu’il a voulu et ce que vous avez entendu, a et personne ne s’empara de lui, parce que a son heure n’était pas encore venue cq ». Voilà le sujet de notre conférence de dimanche dernier ; nous avons dit ce qu’il a bien voulu nous inspirer. D’après notre instruction, votre charité a dû comprendre le sens de ces mois : « Son heure n’était pas encore venue ». De là, sans doute, personne n’oserait pousser l’impiété jusqu’à oser impudemment supposer que le Christ ait subi l’irrésistible empire de la fatalité : « l’heure choisie par lui n’était pas encore venue », où, selon ce qui avait été prédit de lui, il devait mourir non point forcément, mais librement et parfaitement préparé au sacrifice. 2. Aujourd’hui, il parle aux Juifs de cette mort qu’il n’a pas subie involontairement, mais qu’il a bien voulu accepter : voici ses paroles : « Je m’en vais ». Pour le Seigneur Jésus, la mort a été un départ pour l’endroit d’où il était venu et d’où il n’était jamais sorti. « Je m’en vais », dit-il, « et vous me chercherez ». Et le mobile de vos recherches ne sera pas le désir de me trouver ; ce sera la haine de ma personne. Après qu’il se fut dérobé aux regards des hommes, il fut recherché par ses ennemis comme par ceux qui l’aimaient : ceux-ci désiraient le posséder, ceux-là le persécutaient. Le Seigneur avait dit lui-même, dans un psaume, par l’organe du Roi-Prophète : « La fuite m’était interdite, et personne ne recherchait ma vie cr », et encore dans un autre psaume : « Qu’ils se retirent confus et couverts de honte, ceux qui cherchent ma vie cs ». Il déclare coupables ceux qui ne recherchent pas son âme, et il condamne ceux qui la rechercheront. C’est mal, en effet, de ne pas rechercher la vie du Christ, comme l’ont recherchée ses disciples ; et c’est aussi une faute de la rechercher comme les Juifs l’ont recherchée : ceux-là voulaient la partager avec lui, ceux-ci voulaient en faire la fin. Les Juifs la recherchaient avec des intentions mauvaises et des sentiments coupables ; c’est pourquoi le Sauveur, dit ensuite : « Vous me chercherez », et n’allez pas vous imaginer que vous me chercherez bien ; car « vous mourrez dans votre péché ». Mourir dans son péché, c’est mal chercher Jésus-Christ, c’est haïr Celui qui pourrait seul nous sauver. Les hommes qui ont mis en Dieu leur espérance, ne doivent pas rendre le mal même pour le mal : et les ennemis du Christ lui rendaient le mal pour le bien ; aussi leur annonce-t-il d’avance leur sort à venir : il prononce leur sentence, car il sait ce qui doit leur arriver plus tard ; il leur prédit qu’ils mourront dans leur péché ; puis, il ajoute « Vous ne pouvez venir où je vais ». En une autre circonstance, il avait tenu à ses disciples le même langage, sans toutefois leur dire : « Vous mourrez dans votre péché ». Quelles paroles leur avait-il donc adressées ? Les mêmes qu’aux Juifs : « Vous ne pouvez venir où je vais ct ». Par là, il ne leur ôtait point l’espérance de le suivre, mais il les avertissait qu’ils n’iraient pas immédiatement avec lui. Au moment où le Sauveur parlait à ses disciples, ils ne pouvaient pas, en effet, aller où il allait lui-même ; mais ils devaient y parvenir plus tard ; pour les Juifs, jamais, puisqu’il leur disait d’avance et en connaissance de cause : « Vous mourrez dans votre péché ». 3. Les Juifs entendirent ces paroles, comme pouvaient les entendre des gens habitués à n’avoir que des pensées charnelles, à juger de tout selon la chair, à tout écouter et à tout comprendre dans un sens charnel ; ils se dirent donc les uns aux autres : « Se tuera-t-il lui-même, puisqu’il dit : Vous ne pouvez venir où je vais ? » Paroles insensées et pleines d’ineptie ! Eh quoi ! si le Christ devait se tuer lui-même, ne pouvaient-ils aller où il irait ? N’étaient-ils pas eux-mêmes destinés à mourir ? Alors, pourquoi s’exprimer ainsi : « Se tuera-t-il lui-même, puisqu’il a dit : Vous ne pouvez venir où je vais ? » S’il voulait parler de sa mort, y en avait-il un seul qui ne dût mourir comme lui ? Par ces mots : « où je vais », il n’entendait donc point parler du moment de sa mort, mais de l’endroit où il devait aller après sa mort. Ils firent donc au Sauveur cette réponse, parce qu’ils ne le comprenaient pas. 4. À ces hommes imbus d’idées toutes terrestres, que dit le Sauveur ? « Et il leur dit : Vous êtes d’en bas ». Vous avez des goûts terrestres, parce qu’à l’exemple des serpents, vous vous nourrissez de terre, Qu’est-ce à dire : Vous vous nourrissez de terre ? Vous faites, de pensées terrestres, l’aliment de vos âmes : vous trouvez vos délices dans les choses de ce monde ; c’est vers elles que tendent vos désirs les plus ardents : vos cœurs ne sont pas en haut. « Vous êtes d’en bas, et moi je suis d’en haut : vous êtes de ce monde, et moi je ne suis pas de ce monde ». Comment serait-il du monde, celui qui a créé le monde ? Ceux-là sont du monde, qui ont été créés après lui : le monde est sorti en premier lieu du néant, par conséquent l’homme est du monde. Quant au Christ, il était d’abord, le monde fut ensuite. Avant le monde était le Christ : avant le Christ, rien, parce qu’ « au commencement était le Verbe, et que toutes choses ont été faites par lui cu ». Voilà pourquoi il était d’en haut. D’en haut ? De l’air ? Non ; c’est là que volent les oiseaux. Du ciel que nous voyons ? Non plus : Le soleil, la lune, les étoiles en parcourent l’espace. De l’armée des anges ? Gardez-vous de le croire : il a créé les anges puisqu’il a créé toutes choses. Comment donc le Christ est-il d’en haut ? Il est du Père lui-même. Rien de supérieur à ce Dieu qui a engendré un Verbe égal à lui, coéternel avec lui, Fils unique, indépendant du temps, parole par laquelle il devait créer tous les temps. Pour comprendre comment le Christ est d’en haut, il faut donc t’élever par la pensée au-dessus de tout ce qui a été fait, de toutes les créatures, de tous les êtres matériels, de tous les esprits créés, de toutes les choses susceptibles d’un changement quelconque. Élève-toi au-dessus de tout cela, comme Jean s’est élevé lui-même pour en tenir à dire : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». 5. « Moi », dit le Sauveur, « je suis d’en haut. Vous êtes de ce monde, et moi, je ne suis pas de ce monde ». Il nous a montré, mes frères, ce que nous devons entendre par ces paroles : « Vous êtes de ce monde ». Il a dit aux Juifs : « Vous êtes de ce monde », parce qu’ils étaient des hommes pécheurs, iniques, infidèles, remplis de pensées toutes terrestres. Car, quant aux saints Apôtres, que cous en semble ? Quelle distance entre les Juifs et les Apôtres ! La même qu’entre les ténèbres et la lumière, la foi et l’infidélité, la piété et l’impiété, l’espérance et le désespoir, la charité et la cupidité. Encore une fois, quelle différence entre eux ! Eh quoi ! parce qu’ils étaient si loin de se ressembler, les Apôtres n’étaient-ils pas de ce monde ? Soutiens-toi de la manière dont leur naissance a eu lieu, de l’endroit d’où ils sont sortis, et tu verras qu’ils descendaient tous d’Adam, et qu’en conséquence ils étaient de ce monde. Mais quel langage leur a tenu le Sauveur ? « Je vous ai choisis et tirés du milieu du monde cv ». Ces hommes, qui étaient du monde, y sont devenus étrangers, et ils ont alors commencé à appartenir à Celui qui a créé le monde. Mais les Juifs ont continué à être du monde ; c’est pourquoi il leur a été dit : « Vous mourrez dans vos péchés ». 6. Que personne d’entre nous, mes frères, ne dise : Je ne suis pas du monde. Par cela même que tu es homme, tu es nécessairement du monde ; mais celui qui l’a créé, est venu sur la terre et t’a délivré de ce monde. Si tu mets tes délices en ce monde, tu persistes à vouloir rester immonde : si, au contraire, il ne t’inspire que du dégoût, tu es déjà pur. Si, néanmoins, par suite de quelque passion, le monde te charme encore, puisse celui qui purifie les âmes habiter en toi, et tu deviendras pur ; et dès lors que rien ne souillera ton cœur, tu ne seras plus du monde, et à toi ne s’adresseront plus ces paroles adressées aux Juifs : « Vous mourrez dans vos péchés ». Nous sommes tous nés dans l’état de péché à la prévarication originale nous avons ajouté les fautes de notre propre vie, et, par là, nous avons multiplié les liens qui nous attachaient au monde, lorsque nos parents nous ont donné le jour. Où en serions-nous, si Celui que ne souillait aucun péché n’était venu nous délivrer de tous les nôtres ? Puisque les Juifs ne croyaient pas en lui, c’est donc avec raison qu’il leur a dit : « Vous mourrez dans vos péchés ». Vous êtes nés dans le péché ; il vous est donc absolument impossible d’être exempts de péché : si, cependant, vous voulez croire en moi, malgré que vous soyez nés dans le péché, vous n’y mourrez pas. Tout le malheur des Juifs consistait donc, non point à être dans l’état du péché, mais à y mourir. Et voilà ce que doit éviter tout chrétien : voilà pourquoi on s’empresse de recevoir le baptême : telle est la raison pour laquelle l’homme dangereusement malade ou exposé à un péril quelconque, demande les secours de la religion : tel est encore le motif qui engage les mères à porter pieusement à l’Église leurs petits enfants, elles ne veulent point les voir sortir de cette vie sans la grâce du baptême : elles ne veulent point les voir mourir dans le péché qu’ils ont apporté avec eux en naissant. À quelle malheureuse destinée ; à quel triste sort sont condamnés ceux qui ont entendu sortir de la bouche véridique du Sauveur ces effrayantes paroles : « Vous mourrez dans vos péchés ! » 7. D’où leur vient ce malheur ? Jésus-Christ le leur apprend : « Si vous ne croyez pas que je suis, vous mourrez dans vos péchés ». J’en suis persuadé, mes frères : dans cette multitude à laquelle Jésus adressait la parole se trouvaient ceux qui devaient croire en lui. Cette sévère sentence : « Vous mourrez dans vos péchés », semblait donc prononcée contre tous les auditeurs du Christ, et, par conséquent, ses futurs disciples eux-mêmes ne pouvaient plus conserver aucun espoir pour l’avenir : tandis que les Juifs s’irritaient contre le Sauveur, ils tremblaient ou plutôt ils ne tremblaient pas, mais ils désespéraient de leur sort. Jésus les rappelle au sentiment de l’espérance ; car il ajoute : « Si vous ne croyez pas que je suis, vous mourrez dans vos péchés ». Donc, si vous croyez que je suis, vous ne mourrez pas dans vos péchés. Par là, il rend l’espoir à ceux qui n’en ont plus ; il réveille ceux qui dorment, et leurs cœurs sortent de l’assoupissement où ils étaient plongés : aussi plusieurs se décident-ils à croire, comme l’atteste la suite de l’Évangile. Il y avait là, en effet, des membres du Christ, qui n’étaient pas encore unis à son corps : dans les rangs de ce peuple, qui le crucifiait, l’élevait dans les airs avec l’instrument de son supplice, se moquait de lui, le perçait d’une lance, l’abreuvait de fiel et de vinaigre, dans les rangs de ce peuple se trouvaient des membres du Christ, en faveur desquels il a fait cette prière : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font ». Quels péchés ne seront point remis à l’homme repentant, si Dieu pardonne même l’effusion du sang de son Fils ? Quel homicide pourrait encore désespérer de son salut, quand celui qui a fait mourir le Christ a récupéré le droit d’espérer encore ? Aussi, beaucoup crurent en Jésus : son sang leur fut donné, afin qu’en le buvant ils devinssent plus innocents qu’ils n’étaient devenus coupables en le répandant. Quel homme peut maintenant désespérer ? Un homme avait été surpris, peu de temps auparavant, dans la perpétration du crime d’homicide ; puis, un peu après, il s’était vu accusé, convaincu, condamné, crucifié, et néanmoins le Christ l’a absous de son forfait si ce brigand, attaché à la croix, a été sauvé, ne t’en étonne pas : il a été condamné là où son crime a été prouvé ; mais le pardon lui en a été accordé là où il s’en est repenti cw. Dans les rangs du peuple, auquel le Sauveur adressait la parole, se trouvaient donc des hommes qui devaient mourir dans leur péché, et aussi des hommes qui devaient croire en Celui qui leur parlait, et se voir par lui délivrés de tout péché. 8. Remarquez, néanmoins avec attention ces paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Si vous ne croyez pas que je suis, vous mourrez dans vos péchés ». Qu’est-ce à dire : « Si vous ne croyez pas que le suis ? » Que « suis-je ? » Il n’a rien ajouté ; et, parce qu’il n’a rien ajouté, il a voulu nous faire entendre bien des choses. On s’attendait à l’entendre dire ce qu’il était, et il ne l’a pas dit. Mais quelles paroles attendait-on de lui ? Peut-être celles-ci : « Si vous ne croyez pas que je suis » le Fils de Dieu, « si vous ne croyez pas que je suis » le Verbe du Père, « si vous ne croyez pas que je suis » le Créateur du monde, « si vous ne croyez pas que je suis » le formateur et le réformateur de l’homme, l’auteur et le réparateur de son être, Celui qui l’a fait et refait, « si vous ne croyez pas que je suis » cela, « vous mourrez dans vos péchés ». Dire : « Je suis », c’est beaucoup dire ; en parlant à Moïse, Dieu s’était déjà exprimé ainsi : «. Je suis Celui qui suis ». Où est l’homme capable d’expliquer, comme il le faudrait, le sens du mot : « Je suis ? » Dieu envoyait, par son ange, son serviteur Moïse, avec la mission de délivrer son peuple de la captivité d’Égypte ; (vous avez lu ce fait dont je vous parle, vous le connaissez ; je le rappelle néanmoins à votre souvenir.) Moïse tremblait à la pensée d’une pareille mission ; il s’en excusait, mais enfin il l’accepta. Dans l’intention de décliner les ordres de Dieu ; il dit au Très-Haut dont il reconnaissait la voix dans celle de l’ange : Si le peuple me dit : Quel est donc ce Dieu qui t’a envoyé ? que lui répondrai-je ? — Le Seigneur lui répondit : « Je suis celui qui suis ». Et il recommença : « Tu diras aux enfants d’Israël : Celui qui es, m’a envoyé vers vous ». Il ne dit pas ici : Je suis Dieu ; ou : Je suis le Créateur du monde ; ou encore : Je suis celui qui a fait toutes choses ; ou bien aussi : Je suis celui qui a multiplié le peuple dont je veux opérer la délivrance ; il se contente de dire : « Je suis Celui qui suis », et : « Tu diras aux enfants d’Israël : Celui qui est », et il n’ajoute pas Votre Dieu, le Dieu de vos pères ; mais : « Celui qui est m’a envoyé vers vous ». C’était sans doute beaucoup pour Moïse, comme c’est beaucoup et bien plus encore pour nous, de comprendre ces paroles : « Je suis Celui qui suis. Celui qui est m’a envoyé vers vous ». Si Moïse pouvait en saisir le sens, ceux vers qui Dieu l’envoyait pourraient-ils jamais en connaître la signification ? Pour le moment, Dieu ne dit donc point ce que l’homme n’était pas apte à comprendre, et il ajouta ce que l’intelligence humaine était capable de saisir ; il s’exprima donc ainsi : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu a d’Isaac et le Dieu de Jacob cx ». Ceci, tu peux le comprendre ; mais où est l’âme qui soit à même de comprendre toute la signification de ces mots : « Je suis Celui qui suis ? » 9. Et nous ? Oserons-nous élever la voix pour vous entretenir de ces paroles : « Je suis celui qui suis ? » Ou plutôt, de ces paroles que vous avez entendu sortir de la bouche même du Sauveur : « Si vous ne croyez pas que je suis, vous mourrez dans vos péchés ? » Avec des forces si petites qu’elles sont presque nulles, oserai-je essayer de donner le sens de ces paroles du Christ : « Si vous ne croyez pas que je suis ? » J’oserai, du moins, interroger Notre-Seigneur lui-même. Je vais donc plutôt le questionner que disserter sur le sens de ce qu’il a dit ; je chercherai à le saisir, au lieu de l’imaginer de moi-même ; loin de vous l’enseigner, je l’apprendrai de sa bouche ; écoutez-moi et interrogez-le vous-mêmes en ma personne et par mon entremise. Dieu, qui est partout, se trouve à côté de nous ; puisse-t-il accorder un accueil favorable à notre désir de l’interroger, et nous accorder le don d’intelligence. Car, si je parviens à comprendre quelque chose, de quelles expressions me servir pour communiquer à vos cœurs les lumières que j’aurai acquises ? Quels termes employer ? Quelle éloquence appeler à mon secours ? Quelles forces il mefaut pour bien comprendre ? Quelle facilité il me faudrait pour bien m’expliquer ? 10. Je m’adresserai donc à Notre-Seigneur Jésus-Christ ; je lui parlerai, et il m’écoutera. Je le crois présent devant moi ; nul doute en moi à cet égard, car il a dit lui-même : « Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles cy ». Seigneur notre Dieu, qu’avez-vous dit en prononçant ces paroles : « Si vous ne, croyez pas que je suis ? » De toutes les choses que vous avez faites, en est-il une seule qui ne soit pas ? Le ciel, la terre, tout ce que le ciel et la terre renferment, l’homme à qui vous adressez la parole, et les anges, qui sont vos messagers, ne sont-ils pas ? Toutes les créatures sorties de vos mains sont donc ; alors comment vous êtes-vous réservé l’être lui-même, l’être que vous n’avez communiqué à personne et que vous seul possédez ? « Je suis Celui qui suis » ; ces paroles signifient-elles que tous les autres êtres ne sont pas ? Et ces autres paroles : « Si vous ne croyez pas que je suis », ont-elles le même sens ? Et ceux qui les entendaient n’étaient-ils pas non plus ? Eussent-ils été des pécheurs, ils étaient du moins des hommes. Mais que fais-je ? Qu’est-ce que l’être ? Daigne le Sauveur le dire à mon cœur, me le dire intérieurement, m’en parler dans le secret de mon âme ! Que l’homme intérieur l’entende ! Puisse mon esprit comprendre ce que c’est qu’être réellement ! Être, c’est ne subir jamais aucun changement. Une chose, n’importe laquelle (je commence, ce me semble, à expliquer, et j’ai cessé de m’enquérir ; je veux dire ce que j’ai peut-être entendu : que Dieu nous donne aux uns et aux autres la grâce de nous réjouir, moi, en écoutant ses instructions, vous, en écoutant mes paroles !) Une chose quelconque, si excellente qu’elle soit, n’existe vraiment pas dès qu’elle est sujette au changement ; l’être véritable ne se trouve pas là où se trouvent en même temps l’être et le non-être. Tout ce qui peut changer n’est plus, dès lors qu’il change ; ce qu’il était auparavant ; s’il n’est plus ce qu’il était, il a subi une sorte de mort ; ce qui était en lui précédemment a été enlevé et n’y est plus. Les cheveux d’un vieillard dont la tête blanchit, ont perdu la noirceur de leur teinte ; la beauté ne réside plus dans les traits de l’homme fatigué et courbé par l’âge ; les forces n’existent plus dans un corps malade ; il n’y a plus trace de stabilité chez celui qui marche ; l’individu qui est tombé à terre, ne marche pas plus qu’il ne se tient debout ; la parole est morte à l’égard d’une langue qui ne remue pas ; pour tout être qui change et qui devient ce qu’il n’était pas, je remarque une sorte de vie dans ce qu’il est, une sorte de mort dans ce qu’il n’est plus. Enfin, lorsqu’on parle d’un mort, on dit : Où est cet homme ? d’autres répondent : Il a existé. O vérité essentiellement vraie ! En effet, dans toutes nos actions et toutes nos agitations, en n’importe quel mouvement d’une créature, je trouve deux temps, le passé et le futur. Je cherche le présent, il n’est déjà plus ; ce que je dis est déjà loin de moi ; ce que je dirai n’existe pas encore. Ce que j’ai fait n’est plus, ce que je ferai n’est pas encore : il ne reste plus vestige de ma vie passée ; ce qui me reste à vivre est encore dans le néant. Le prétérit et le futur se rencontrent dans tout changement des choses, mais ils ne se trouvent ni l’un ni l’autre dans l’immuable vérité ; je n’y vois que le présent, et cela sans ombre de vicissitude ; il n’en est pas ainsi des créatures. Examine attentivement les variations des choses ; toujours tu remarqueras qu’elles ont été et qu’elles seront ; que si tu reportes tes pensées vers Dieu, tu verras qu’il est, parce qu’on ne peut rencontrer en lui ni passé ni avenir. Pour que tu sois, il faut que tu t’élèves au-delà des limites du temps. Mais qui est-ce qui pourra s’élever ainsi par ses propres forces ? C’est à celui-là de nous y aider, qui a dit à son Père : « Là où je suis, je veux que ceux-ci y soient pareillement ». Jésus-Christ nous a fait cette promesse, afin que nous ne mourions pas dans nos péchés ; c’est pourquoi, en disant ces paroles : « Si vous ne croyez pas que je suis », il n’a pu, à mon avis, vouloir dire autre chose que ceci : « Si vous ne croyez pas que je suis » Dieu, « vous mourrez dans vos péchés ». Bien. Grâces à Dieu de ce qu’il a dit : « Si vous ne croyez pas », au lieu de dire : Si vous ne comprenez pas ; car où est l’homme capable de saisir un pareil mystère ? Mais parce que j’ai osé en parler et que vous avez paru suivre ma pensée, auriez-vous réellement pénétré cette ineffable vérité ? Si tu n’y comprends rien, la foi te sauve. C’est en raison de la difficulté de le comprendre que le Sauveur n’a pas dit : Si vous ne comprenez pas que je suis ; il s’est donc mis à la portée de ses auditeurs, et il a dit : « Si vous ne croyez pas que je suis, vous mourrez dans vos péchés ». 11. Toujours imbus de pensées terrestres, écoutant et répondant toujours d’une manière charnelle, les Juifs lui répondirent. Que lui répondirent-ils ? « Qui es-tu ? » Quand vous leur avez adressé ces paroles : « Si vous a ne croyez pas que je suis », vous n’avez rien dit de plus pour leur apprendre qui vous étiez. « Qui êtes-vous ? » Disons-le, afin que nous croyions en vous. « Je suis le principe ». Voilà bien ce que c’est qu’être. « Le commencement » ne peut subir de vicissitude ; il demeure en lui-même et renouvelle toutes choses ; c’est à lui qu’il a été dit : « Vous êtes éternellement le même, et vos années ne passeront pas cz. Je suis le principe, parce « que je vous parle ». Pour ne pas mourir dans vos péchés, croyez que je suis « le commencement ». En lui disant : « Qui es-tu ? » ils semblaient ne pas avoir voulu lui dire autre chose que ceci : comment devons-nous te considérer ? Aussi leur répondit-il : Comme « le Principe », c’est-à-dire, regardez-moi comme « le Principe ». Le latin se prête moins que le grec à certaines distinctions ; chez les Grecs, le mot principe est du genre féminin, comme, chez nous, le mot loi, qui est masculin dans leur langue. Chez eux et chez nous, le mot sagesse est féminin. L’habitude a déterminé dans les divers idiomes le genre des mots destinés à exprimer les choses qui n’ont pas de sexe. La sagesse n’est vraiment pas du sexe féminin, puisque « le Christ est la sagesse de Dieu da », et que le mot Christ s’emploie au masculin, tandis que le mot sagesse s’emploie au féminin. Les Juifs lui avaient dit : « Qui es-tu ? » Parmi eux, il ne l’ignorait pas, se trouvaient des hommes qui lui adressaient cette question : « Qui es-tu ? » Pour savoir ce qu’ils devaient penser de lui, il leur répondit donc : « Le commencement » ; non comme s’il leur disait : Je suis le principe, mais : Regardez-moi comme le principe. Je l’ai dit, ce sens ressort évidemment du mot grec « principe », qui est du féminin. S’il avait voulu dire qu’il était la vérité, à ceux qui lui auraient fait cette question : « Qui es-tu ? » il aurait répondu : La vérité, parce qu’il aurait dû, ce semble, répondre directement à la question : « Qui a es-tu ? » La vérité, c’est-à-dire je suis la vérité. Mais il leur a fait une réponse plus profonde. Voyant qu’ils lui avaient adressé cette question : « Qui es-tu ? » comme pour lui dire : Nous avons entendu sortir de ta bouche ces paroles : « Si vous ne croyez pas que je suis », pour qui devons-nous te prendre ? il leur répondit : « Pour le Principe » ; c’était, en d’autres termes, leur dire : Considérez-moi comme « le Principe » ; et il ajouta : « Parce que je vous parle », c’est-à-dire, parce je suis devenu humble à cause de vous et que je me suis abaissé jusqu’à vous parler. En effet, si le Principe tel qu’il est était demeuré dans le sein du Père, de manière à ne jamais se revêtir de la forme d’esclave, à ne jamais devenir homme pour parler aux hommes, comment ceux-ci auraient-ils cru en lui ? Des esprits nécessairement bornés eussent été incapables d’entendre sans le secours de la parole et de comprendre le Verbe. Croyez donc, leur dit-il, que je suis le « Principe » : parce que, pour vous donner la foi, il ne me suffit pas d’être, il faut que je daigne encore vous parler moi-même. Mais je vous ai déjà bien longuement entretenus sur ce sujet ; qu’il plaise donc à votre charité d’attendre à demain pour l’explication de ce qui reste ; avec le secours de Dieu, j’épuiserai alors toute la matière.TRENTE-NEUVIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CE PASSAGE : « J’AI BEAUCOUP DE CHOSES À DIRE DE VOUS », JUSQU’À CET AUTRE : « ET ILS NE COMPRIRENT PAS QU’IL LEUR PARLAIT DU PÈRE ». (Chap 8, 26-27.)LA TRINITÉ, PRINCIPE.
Jésus se dit le principe, mais il ne l’est pas seul ; car il partage avec les deux autres personnes de la Trinité, et celles-ci partagent avec lui cette propriété. La paternité est propre au Père, la filiation au Verbe, la Procession au Saint-Esprit ; mais en tout le reste, les trois personnes divines ont la même nature et ne font qu’un Dieu, un principe. Par là même qu’il est inséparable du Père, et que le Père est véridique, les jugements du Fils sont fondés sur la vérité même. 1. Les paroles du saint Évangile qu’on vient de nous lire, ont été adressées aux Juifs par Notre-Seigneur Jésus-Christ ; en cette circonstance, le Sauveur s’est exprimé avec une si grande réserve, que les aveugles sont restés aveugles, et que ceux qui croyaient en lui ont ouvert les yeux. Voici ce passage dont on vous a donné lecture : « Les Juifs lui disaient : Qui es-tu ? » Car il leur avait fait cette déclaration : « Si vous ne croyez pas que je suis, vous mourrez dans vos péchés db ». Ils lui adressèrent donc cette question : « Qui es-tu ? » comme s’ils désiraient savoir pour qui ils devaient le prendre, afin de ne pas mourir dans leurs péchés. À cette demande : « Qui es-tu ? » Jésus répondit : « Le Principe, parce que je vous parle moi-même ». Dès lors que, suivant sa déclaration formelle, il est le principe, on peut chercher à savoir si le Père est aussi principe. Si le Fils, qui a un Père, est principe, il est bien plus naturel encore de penser qu’il en est de même du Père, puisqu’il est le Père de son Fils et qu’il n’est lui-même engendré par aucun autre. Le Fils est Fils du Père, et le Père est évidemment Père du Fils ; mais on appelle le Fils Dieu de Dieu, lumière de lumière ; au Père, on donne le nom de lumière, mais jamais on ne l’a dit : lumière de lumière ; il est appelé Dieu, et non pas Dieu de Dieu. Que si le Dieu de Dieu, la lumière de lumière, est principe, combien plus facilement on peut regarder comme principe la lumière qui engendre la lumière, le Dieu qui engendre un Dieu. Très-chers frères, il est donc absurde de dire que le Fils est principe, et de refuser au Père cette perfection. 2. Que faire alors ? Reconnaître qu’il y a deux principes ? Cela est impossible. Qu’est-ce donc ? Si le Père est principe et le Fils aussi, comment n’y a-t-il pas deux principes ? Par la même raison que nous ne reconnaissons pas deux dieux, en confessant un Dieu Père et un Dieu Fils. Il est défendu de dire qu’il y a deux dieux ; il n’est pas plus permis d’en reconnaître trois ; et, pourtant, le Père n’est pas le Fils ; le Fils n’est pas le Père ; le Saint-Esprit, qui procède du Père et du Fils, n’est ni le Père ni le Fils. Nous l’avons appris sur les genoux de notre, mère, l’Église catholique : quoique le Père ne soit pas le Fils, quoique le Fils ne soit pas le Père, quoique l’Esprit de l’un et de l’autre ne soit ni le Père, ni le Fils, nous ne disons pas qu’il y ait trois dieux ; et, néanmoins, si l’on nous interroge sur chacun d’eux, si l’on nous demande de l’un ou de l’autre des trois s’il est Dieu, nous devons nécessairement répondre d’une manière affirmative. 3. Cette doctrine est absurde aux yeux des hommes qui concluent des choses ordinaires à ce qui ne l’est pas, des objets visibles aux êtres invisibles, des créatures au Créateur. Parfois les infidèles nous questionnent et nous disent : Reconnaissez-vous comme Dieu celui que vous reconnaissez comme le Père ? Nous répondons : Oui. – Celui à qui vous donnez le nom de Fils, dites-vous qu’il est Dieu ?— Oui. – Celui que vous appelez le Saint-Esprit, le confessez-vous Dieu ? – Oui. – Ils ajoutent : Le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont donc trois dieux ? – Non. Ils se troublent, parce qu’ils ne sont pas éclairés : leur cœur est fermé, parce qu’ils n’ont pas en mains la clef de la foi. Pour nous, mes frères, qui avons d’abord reçu, le don de la foi, qui a purifié l’œil de notre cœur, saisissons, sans rencontrer l’obstacle d’aucune ombre, ce que nous comprenons ; et ce que nous ne comprenons pas, croyons-le sans le mélange d’aucun doute ; n’abandonnons pas le fondement de la foi ; par là, nous arriverons au faîte de la perfection. Le Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint-Esprit est Dieu ; et, cependant, le Fils n’est pas le Père, le Père n’est pas le Fils ; l’Esprit du Père et du Fils n’est ni l’un ni l’autre : et tous trois ne sont qu’un seul Dieu, tous trois ne forment qu’une seule et même éternité, une seule et même puissance, une seule et même majesté ; ils sont trois, mais ils ne font pas trois dieux. Qu’on ne me fasse pas dire ce que je ne dis pas ; qu’on ne me fasse point cette réponse : Qu’est-ce à dire Trois ? S’ils sont trois, il faut me dire ce qu’ils sont tous les trois. – C’est le Père, le Fils et le Saint-Esprit. – Tu viens de dire : Trois. Explique-moi donc ce que signifie ce mot Trois. – Compte plutôt toi-même ; car je parfais le nombre trois, quand je nomme le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Relativement à lui-même, le Père est Dieu ; relativement au Fils, il est le Père. Par rapport à lui-même, le Fils est Dieu ; par rapport à son Père, il est le Fils. 4. Ce que je dis des comparaisons prises parmi les choses ordinaires peuvent le faire comprendre. J’ai devant moi deux hommes, dont l’un est le père et l’autre le fils. Considéré en lui-même, celui-là est homme ; il est père dès qu’on le considère dans ses rapports avec le fils ; celui-ci est encore homme, si je ne vois que lui ; mais si je le compare à son père, il est le fils. À l’un on a donné le nom de père, à l’autre le nom de fils, sous un certain point de vue ; et, en réalité, ce sont deux hommes différents. Quant à Dieu le Père, il est le Père sous un rapport, sous le rapport du Fils ; comme Dieu le Fils est le Fils sous un rapport, sous le rapport du Père ; toutefois, il n’en est pas d’eux comme des deux hommes dont nous venons de parler ; ils ne sont pas deux Dieux. Pourquoi n’en est-il pas de même ? Parce qu’ici c’est une chose, et que là c’est une autre ; parce qu’ici c’est la divinité ; parce qu’il y a ici un mystère qu’aucune langue humaine ne peut expliquer : ici, il y a en même temps nombre, et absence complète de nombre. Remarquez-le, en effet, n’y voit-on-pas comme un nombre une Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit ? Si l’on y trouve le nombre trois, qu’est-ce ces trois ? Il n’y a plus de nombre. Ainsi, tout à la fois en Dieu on trouve un nombre, et il n’y a pas de nombre. Il semblerait qu’on en trouve un, puisqu’on y trouve trois ; mais dès qu’on veut savoir ce que sont ces trois, il est impossible de compter. Voilà pourquoi le Palmiste a dit : « Notre Dieu est grand, sa puissance est sans bornes, et personne ne peut mesurer sa sagesse dc ». Dès que tu y penses, tu commences à compter ; à peine as-tu compté, que tu es dans l’impossibilité de dire ce que tu as compté. Le Père est le Père, le Fils est le Fils, le Saint-Esprit est le Saint-Esprit. Qu’est-ce que ces trois, le Père, le Fils et le Saint-Esprit ? Sont-ils trois Dieux ? – Non. – Trois Tout-Puissants ? – Non. – Trois créateurs du monde ? — Non. – Le Père est-il tout-puissant ? – Oui, sans doute. – Le Fils l’est-il aussi ? – Oui, cela est certain. – Le Saint-Esprit l’est-il également ? – Il l’est autant que le Père et le Fils. – Il y a donc trois Tout-Puissants ? – Non, il n’y en a qu’un. On ne peut les compter qu’en les mettant en parallèle les uns avec les autres ; si on les considère séparément, c’est impossible. Quant à lui-même, sa effet, le Père est un même Dieu avec le Fils et le Saint-Esprit, et il n’y a pas trois Dieux ; relativement à lui seul, il est un même Tout-Puissant que le Fils et le Saint-Esprit, et il n’y a pas trois tout-puissants. Le Père n’est point le Père par rapport à lui-même, mais seulement par rapport au Fils. Le Fils n’est tel que par rapport au Père l’Esprit ne porte pas non plus, indépendamment de l’un et de l’autre, le nom d’Esprit du Père et du Fils. Je ne saurais dire ce que sont ces trois, sinon que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un seul Dieu, un seul Tout-Puissant. Il n’y a donc qu’un seul principe. 5. Pour vous faire tant soit peu comprendre ce que je dis, je vais vous citer des faits rapportés par la sainte Écriture. Après la résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ, il monta vers son Père au moment qu’il avait choisi ; puis, dix jours s’étant écoulés, il envoya le Saint-Esprit à ses disciples réunis dans la même salle ; remplis de tous ses dons, ils commencèrent à parler le langage de toutes les nations. Ce miracle saisit d’épouvante ceux qui avaient fait mourir le Sauveur ; contrits et repentants, ils trouvèrent dans leur douleur le principe de leur conversion, et leur conversion fut pour eux la source de la foi, et trois mille hommes s’unirent au corps du Christ, c’est-à-dire aux fidèles. Un autre miracle amena à l’Église cinq autres mille hommes. Alors, on vit se former un grand peuple, animé des mêmes sentiments. Tous les membres de ce peuple reçurent le Saint-Esprit qui alluma en eux le feu de l’amour divin : sous l’influence de la charité et de la ferveur d’âme, ils formèrent une société si étroitement unie, qu’ils vendaient leurs biens et en apportaient le prix aux pieds des Apôtres, afin qu’il fût réparti entre tous, proportionnellement aux besoins de chacun ; et voici ce qu’en dit l’Écriture : c’est que, « parmi eux, il n’y avait qu’un cœur et qu’une âme pour Dieu dd ». De là remarquez, mes frères, et apprenez à connaître le mystère de la Trinité ; comprenez comment nous disons : Il y a un Père, un Fils et un Saint-Esprit, et, pourtant, il n’y a qu’un seul Dieu. Les membres de la primitive Église se comptaient par milliers, et, parmi eux, il n’y avait qu’un cœur : ils étaient en aussi grand nombre, et ils n’avaient qu’une âme. Mais où étaient leur cœur et leur âme ? En Dieu. À bien plus forte raison doit-on trouver en Dieu la même unité. Me trompé-je dans ma manière de parler, lorsque je dis que deux hommes font deux âmes, que trois hommes font trois âmes, qu’une multitude d’hommes font une multitude d’âmes ? Je parle évidemment avec justesse. Qu’ils s’approchent de Dieu, et ils n’auront tous qu’une âme. Si, en s’approchant de Dieu, plusieurs âmes deviennent, par l’effet de la charité, une seule âme, et plusieurs cœurs un seul cœur, quel effet produit dans le Père et le Fils la source même de la charité ? La Trinité ne devient-elle pas plus étroitement encore un seul Dieu ? Selon l’Apôtre, la charité nous vient de là par le Saint-Esprit : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit, qui nous a été donné de ». Si donc la charité, répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné, fait de plusieurs âmes une seule âme, et de plusieurs cœurs un seul cœur, à bien plus forte raison fait-elle du Père, du Fils et du Saint-Esprit un seul Dieu, une seule lumière, un seul principe. 6. Écoutons donc les paroles que nous adresse le Principe. « J’ai », dit-il, « beaucoup de choses à dire et à juger à votre endroit ». Vous vous souvenez qu’il a dit : « Je ne juge personne df ». Et voilà qu’il dit : « J’ai beaucoup de choses a dire et à juger à votre endroit ». Mais autre chose est « je ne juge personne » ; autre chose, « j’ai à juger. Je ne juge personne », regarde le présent, car le Christ était venu pour sauver le monde, et non pour le juger dg. Mais ces autres paroles : « J’ai beaucoup de choses à dire et à juger à votre endroit », concernent le jugement à venir ; car il est monté au ciel, afin de venir plus tard pour juger les vivants et les morts. Personne ne jugera avec plus de justice, que celui qui a été injustement jugé. « J’ai beaucoup de choses à dire et à juger à votre endroit, mais celui qui m’a envoyé est véridique ». Voyez comme le Fils, qui est égal à son Père, travaille à lui rendre gloire. Il nous donne l’exemple et semble nous parler dans le secret de notre cœur. Homme fidèle, te dit le Seigneur ton Dieu, écoute mon Évangile, tu y verras qu’au commencement était le Verbe, que le Verbe est Dieu en Dieu, égal à son Père, coéternel à celui qui l’engendre, que je suis ce Verbe et que je glorifie celui dont je suis le Fils. Pourquoi donc te montrer orgueilleux à l’égard de Celui dont tu es le serviteur ? 7. « J’ai beaucoup de choses à dire et à juger à votre endroit, mais celui qui m’a envoyé est véridique ». C’était dire en d’autres termes : Je juge selon la vérité, parce que je suis le Fils d’un Père qui est véridique, parce que je suis la vérité. Le Père est véridique, le Fils est la vérité ; que pouvons-nous imaginer de plus ? De ces deux choses, être véridique ou être la vérité même, laquelle des deux l’emporte sur l’autre ? Décidons, si nous le pouvons. Cherchons, par quelques exemples, à le comprendre. Un homme pieux est-il pieux ou bien est-il la piété ? Il vaut mieux être la piété même qu’être pieux : pieux vient de piété, et piété ne dérive pas de pieux. En effet, la piété peut exister encore, lors même que l’homme, autrefois pieux, serait devenu impie. Il a perdu la piété, mais il ne lui a rien fait perdre. Il en est de même de ces deux choses : être beau et être la beauté même ; il vaut mieux être la beauté qu’être beau ; car la beauté fait le bel homme, tandis que le bel homme ne fait pas la beauté. Raisonnons encore de la même manière sur ces deux autres états : être chaste et être la chasteté même. Évidemment, la chasteté est préférable à la qualité de personne chaste : si la chasteté n’existait pas, comment un homme pourrait-il être chaste ? Jamais il ne posséderait cette vertu ; mais si quelqu’un veut être impudique, elle n’en souffre aucune atteinte. La piété a donc plus de prix que la qualité d’homme pieux, la beauté vaut mieux que la qualité d’homme beau, la chasteté est préférable à la qualité d’homme chaste. Mais dirons-nous, pour cela, que la vérité est plus que la qualité de personne véridique ? Si nous le prétendons, nous affirmerons déjà que le Fils est supérieur au Père ; or, le Sauveur a fait cette déclaration formelle : « Je suis la voie, la vérité et la vie dh ». Si le Fils est la vérité, que sera le Père, sinon ce qu’en a dit la Vérité même : « Celui qui m’a envoyé est véridique ? » Le Fils est la vérité, le Père est véridique. Je cherche à savoir en quoi le Fils est supérieur au Père, et je les trouve égaux : le Père est véridique, non pas en ce sens qu’il ne posséderait en lui-même qu’une partie de la vérité, mais en ce sens qu’il l’a engendrée tout entière. 8. Je le vois, il me faudrait épuiser le sujet ; mais afin de ne pas vous retenir trop longtemps, je n’irai pas aujourd’hui plus loin dans mes explications, et quand, avec la grâce de Dieu, je serai arrivé à la fin de ce que je veux dire, je me bornerai là. Je vous parle ainsi pour ranimer votre attention. Parce qu’elle est sujette au changement, et quoiqu’elle soit une créature d’élite, toute âme est une créature ; elle a beau être plus estimable que le corps, elle n’en est pas moins sortie des mains du Créateur. Toute âme est sujette à des vicissitudes, c’est-à-dire que tantôt elle croit et tantôt elle ne croit pas ; elle veut aujourd’hui, et bientôt ne voudra plus ; tout à l’heure elle était chaste, elle est maintenant adultère ; tour à tour elle se montre bonne et mauvaise : elle subit donc des variations dans son être. Pour Dieu, il est ce qu’if est ; aussi s’est-il réservé un nom qui ne convient qu’à lui seul : « Je suis Celui qui suis di ». Le Fils est aussi ce qu’il est, car il a dit : « Si vous ne croyez pas que je suis » ; à cela se rapportent encore ces paroles : « Qui es-tu ? – Le Principe dj ». Dieu est donc immuable, et l’âme humaine est sujette au changement. Quand elle puise en Dieu la bonté, elle devient bonne par participation avec lui, de la même manière que ton œil aperçoit les objets en entrant en participation de la lumière ; car il ne voit plus rien dès que tu lui retires cette lumière, dont les rayons ont dissipé ses ténèbres en se communiquant à lui. L’âme devient bonne, en puisant en Dieu sa bonté ; mais si elle subit un changement et devient mauvaise, la bonté, en participation de laquelle elle était entrée, n’en subsiste pas moins. Pendant qu’elle était bonne, elle possédait la bonté dans une certaine proportion ; devenue mauvaise, elle a laissé la bonté libre de toute atteinte. Cette lumière s’est communiquée à ton œil, et il voit ; se ferme-t-il ? l’intensité des rayons lumineux n’est en rien diminuée ; s’ouvre-t-il ? leur éclat n’en est nullement augmenté ; À l’aide de cette comparaison, mes frères, vous pouvez comprendre que si l’âme est pieuse, la piété elle-même réside en Dieu, qui en communique quelque chose à l’âme ; si l’âme est chaste, la chasteté bien Dieu, et Dieu permet à l’âme d’y participer. Si l’âme est bonne, elle puise à la source même de la bonté qui se trouve en Dieu. Si l’âme est véridique, c’est que Dieu, en qui réside la vérité, l’en a fait participante. Tout homme dont l’âme n’est pas en participation de la vérité, est, par là même, convaincu d’erreur dk ; et dès lorsque tout homme est menteur, nul n’est véridique de sa propre nature. Quant au Père, il est véridique, et il l’est de par lui-même, parce qu’il a engendré la vérité. Autre chose est de dire : Cet homme est véridique, parce qu’il est entré en participation de la vérité ; autre chose est de dire : Dieu est véridique, parce qu’il a engendré la vérité. Si Dieu est véridique, ce n’est donc point pour être entré en participation de la vérité : c’est pour l’avoir engendrée. Je le vois, vous avez saisi ma pensée, et je m’en réjouis. Que ce que j’ai dit vous suffise pour aujourd’hui ; nous vous expliquerons le reste quand Dieu le permettra et selon la mesure de sa grâce.QUARANTIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CET ENDROIT : « C’EST POURQUOI JÉSUS LEUR DIT : QUAND VOUS AUREZ ÉLEVÉ LE FILS DE L’HOMME », JUSQU’À CET AUTRE : « ET VOUS CONNAÎTREZ LA VÉRITÉ, ET LA VÉRITÉ VOUS AFFRANCHIRA ». (Chap 8, 28-32.)LE CHRIST DIEU.
Le Sauveur proclamait sa divinité, mais la gloire de sa résurrection et les prodiges qui devaient la suivre, étaient destinés à la faire briller d’un vif éclat, à convertir un grand nombre d’hommes. Oui, de tous ces événements devait ressortir la preuve que le Christ est, qu’il a été engendré avant tous les temps par le Père, qu’il est la vérité même. Ces événements sont pour nous un puissant motif de persévérer dans la foi ; notre persévérance nous conduira des ombres de la foi à la claire vue de la vérité. 1. Vous avez déjà entendu lire un grand nombre de passages tirés du saint Évangile selon saint Jean, Évangile que vous voyez entre nos mains. Ces passages, nous vous les avons expliqués de notre mieux avec le secours de la grâce divine. Nous vous l’avons dit, cet Évangéliste a choisi de préférence, comme thème de son livre, la divinité du Sauveur, selon laquelle il est égal à son Père et Fils unique de Dieu ; c’est pourquoi Jean a été comparé à un aigle, parce que l’aigle est, de tous les oiseaux, celui qui s’élève le plus haut dans les airs. Apportez donc une extrême attention à écouter la suite de cet Évangile : je vous en expliquerai successivement tous les textes, comme le Seigneur me permettra de le faire. 2. Nous vous avons parlé à l’occasion de la leçon précédente, et nous vous avons dit en quel sens on doit comprendre que le Père est véridique et que le Fils est la vérité. Le Seigneur Jésus ayant dit : « Celui qui m’a envoyé est véridique dl », les Juifs ne comprirent pas qu’il avait voulu leur parler de son Père. Il ajouta ce que vous venez d’entendre lire : « Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous saurez que je suis, et que je ne fais rien de moi-même, mais que je dis ces choses ainsi que mon Père m’a enseigné ». Qu’est-ce que cela ? Il semble n’avoir dit rien autre chose que ceci c’est, qu’après sa passion, ils sauraient qui il était. Sans aucun doute, parmi ses auditeurs, il en discernait un certain nombre qu’il connaissait, qu’il avait choisis, par un effet de sa prescience, avec ses autres saints, dès avant la constitution du monde, et qui devaient croire en lui après sa passion : voilà ceux que nous recommandons sans cesse à votre imitation, et que nous vous proposons comme vos modèles, en vous priant instamment de suivre leurs traces. Après la mort, la résurrection et l’ascension de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Saint-Esprit est descendu d’en haut ; des prodiges éclatants ont été opérés au nom de Celui que les Juifs avaient persécuté et méprisé, puisqu’ils l’avaient fait mourir à la vue de ces merveilles, ces hommes furent saisis d’un sincère repentir ; et alors on vit se convertir et croire au Christ ceux qui l’avaient persécuté et mis à mort, et le sang qu’ils avaient cruellement répandu, la foi en fit pour eux un breuvage ; il apercevait déjà ces trois mille, ces cinq mille Juifs parmi ses auditeurs dm au moment où il disait : « Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous saurez que je suis ». C’était dire, sous une autre forme : J’attends, pour me faire connaître à vous, que toutes les circonstances de ma passion aient eu lieu ; à l’heure opportune, vous connaîtrez que je suis. Tous ceux qui l’écoutaient ne devaient pas, pour croire en lui, attendre sa mort ; car l’Évangéliste ajoute un peu après : « Comme il parlait encore, beaucoup crurent en lui », et pourtant le Fils de l’homme n’avait pas encore été élevé. Il parlait de son exaltation douloureuse, et non de son exaltation glorieuse, de son exaltation en croix, et non de son exaltation dans le ciel ; parce qu’il a été élevé pendant qu’il était attaché à l’instrument de son supplice ; alors, il s’est fait obéissant jusqu’à la mort de la croix dn. Tous ces événements devaient s’accomplir de la main même de ceux qui devaient croire en lui ; car il leur avait dit : « Lorsque vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous saurez que je suis ». Pourquoi cela, sinon afin que tout homme, si criminel qu’il se reconnût intérieurement, pût nourrir encore des pensées d’espoir, en voyant le pardon accordé au crime de ceux qui avaient fait mourir le Christ ? 3. Le Sauveur remarqua donc ces hommes dans la foule qui l’entourait, et il leur dit ci. Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, « alors vous saurez que je suis ». Vous savez déjà ce que veut dire ce mot : « Je suis ». Il est inutile d’y revenir encore : vous parler trop longuement d’un si grand mystère, ce serait s’exposer à vous ennuyer. Rappelez-vous ces paroles : « Je suis Celui qui suis » ; et : « Celui qui est m’a envoyé do » ; et vous comprendrez ces paroles du Christ : « Alors, vous saurez que je suis », et aussi que le Père est, et que le Saint-Esprit est. C’est relativement à lui que toute la Trinité a sa raison d’être. Notre-Seigneur parlait en qualité de Fils : il ne voulut pas que ces paroles. « Alors a vous connaîtrez que je suis », pussent donner lieu et laisser prendre pied à l’erreur des Sabelliens, c’est-à-dire des Patripassiens ; je vous ai dit au sujet de cette erreur : Ne vous y attachez pas, écartez-vous-en avec soin ; elle consiste à prétendre, comme vous le savez, que le Père et le Fils ne diffèrent l’un de l’autre que par le nom, et qu’en réalité ils sont une seule et même chose. Pour nous faire éviter cette erreur, et afin qu’on ne le prît pas pour le Père, le Sauveur, après avoir dit : « Alors vous connaîtrez que je suis », ajouta immédiatement : « Et que je ne fais rien de moi-même, mais que je dis ces a choses comme mon Père m’a enseigné ». Devant cette porte ouverte à son erreur, le disciple de Sabellius avait déjà commencé à se réjouir ; mais à peine s’y était-il comme furtivement glissé, que la lumière de cette déclaration vint le confondre. Parce qu’il avait dit : « Je suis », tu avais cru qu’il était le Père. Écoute, il va te prouver qu’il est le Fils : « Je ne fais rien de moi-même ». Qu’est-ce à dire : « Je ne fais rien de moi-même ? » Je ne suis pas de moi-même. Le Fils est, en effet, Dieu engendré du Père ; mais le Père n’est pas Dieu engendré du Fils. Fils est Dieu de Dieu : le Père est Dieu, mais il n’est pas Dieu de Dieu. Le Fils est lumière de lumière : le Père est aussi lumière, mais non de lumière. Le Fils est, tuais il y a quelqu’un de qui il est : le Père est, mais il n’y a personne de qui il soit. 4. Parce que le Christ a ajouté : « Je vous dis ces choses comme mon Père m’a enseigné », qu’aucun d’entre vous, mes frères, ne se laisse aller à des pensées charnelles ; car, par un effet de la faiblesse humaine, notre manière de penser se règle d’après ce que nous avons accoutumé de faire ou de noir. Ne vous figurez donc pas que vous avez sous les yeux deux hommes, dont l’un serait le Père, et l’autre le Fils. Ne t’imagine pas que le Père parle à son Fils, comme tu fais toi-même lorsque tu parles à ton enfant, pour l’instruire et lui apprendre à parler lui-même du qu’il retienne tes paroles, qu’après les avoir retenues, il les traduise en mots, les rendant bien distinctement, syllabe par syllabe, et les portant aux oreilles des autres telles que les siennes les ont reçues. N’ayez point de pareilles idées, car vous forgeriez des idoles dans votre cœur. Il ne faut point supposer que la Trinité ait l’apparence et les membres d’un homme, une figure de chair, tous ces sens visibles, la stature et les mouvements du corps, l’usage de la langue, une parole articulée : nous ne pouvons imaginer que la forme d’esclave, dont le Fils unique de Dieu s’est revêtu quand le Verbe s’est fait chair pour habiter parmi nous dp. Ici, ô fragilité humaine, je ne t’empêche nullement d’avoir des pensées en rapport avec ce que tu connais : je t’y force, au contraire. Si ta foi est véritable, voilà ce que tu dois penser du Christ, en tant qu’il est né de la Vierge Marie, et non entant qu’engendré par Dieu le Père. On l’a vu enfant ; il a pris de l’accroissement, il a marché, il a eu faim et soif, et enfin, il a souffert, il a été attaché à la croix, il a été mis à mort, on l’a enseveli comme un autre homme, et c’est avec la forme d’un homme qu’il est ressuscité, qu’il est monté au ciel en présence de ses disciples, et qu’il viendra nous juger. La parole des anges, que cite l’Évangéliste, ne laisse aucun doute à cet égard. « Il viendra tel que vous l’avez vu monter au ciel dq ». Quand tu cherches à te faire une idée de la forme d’esclave dont le Christ s’est revêtu, il faut, si tu as la foi, penser à une forme humaine ; mais si tu veux te faire une idée de ce qu’il est, quand s’appliquent à lui ces paroles : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu dr » ; loin de ton esprit toute image de l’homme ! Loin de ton imagination tout objet qui se mesure à la manière d’un corps, tout ce qui peut tenir clans l’espace, ou faire partie d’une masse si démesurée qu’elle soit : que de pareilles imaginations ne trouvent jamais accès dans ton cœur. Figure-toi, si c’est possible, la beauté de la sagesse : fais-toi une idée de la beauté de la justice. Y a-t-il là une forme ? de la grandeur ? des couleurs ? Il n’y a rien de tout cela, et pourtant, la sagesse et la justice existent ; s’il en était autrement, on ne les aimerait pas, on n’en ferait nul éloge ; et si on ne les aimait pas et qu’on n’en fît pas l’éloge, elles resteraient étrangères à nos affections et à nos mœurs. Mais on voit des hommes devenir sages ; où en est la cause, sinon dans l’existence même de la sagesse ? O homme, tu ne peux voir ta sagesse avec les yeux de ton corps : tu es incapable de t’en faire une idée pareille à celle que tu te fais des objets matériels, et tu oses te représenter la sagesse de Dieu sous la forme d’un corps humain ? 5. Aussi, mes frères, comment expliquer ceci ? Le Fils a dit : « Je vous dis ces choses comme mon Père m’a enseigné ». De quelle manière le Père lui a-t-il parlé ? Lui a-t-il seulement parlé ? Pour instruire son Fils, le Père a-t-il prononcé, des paroles, comme tu en prononces toi-même, lorsque tu donnes des leçons à ton enfant ? Quelles paroles peut-il adresser à sa Parole ? Les paroles qu’il adresserait à sa Parole unique seraient-elles en grand nombre ? La Parole du Père a-t-elle eu des oreilles pour les approcher de la bouche du Père ? Autant d’idées charnelles, qu’il faut éloigner de ton esprit. Je vous adresse ce discours, et peut-être avez-vous compris mes paroles : évidemment, je vous ai parlé ; mes paroles ont retenti, et le bruit qu’elles ont fait est venu frapper vos oreilles pour aller, au moyen du sens de l’ouïe, porter mes pensées jusqu’à votre cœur, si vous les avez saisies. Supposez qu’un homme, sachant le latin, m’ait entendu, qu’il m’ait toutefois entendu sans rien comprendre à ce que j’ai dit : cet homme n’a pas saisi ma pensée ; néanmoins le bruit des paroles sorties de ma bouche est venu frapper ses oreilles aussi bien que les vôtres : il a entendu le même bruit, les mêmes syllabes ; mais aucune idée n’a été par là éveillée dans son esprit. Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas compris. Pour vous, si vous êtes entrés dans ma pensée, quelle en a été la cause ? J’ai fait du bruit à votre oreille, mais ai-je porté la lumière dans vos âmes ? Évidemment, si ce que j’ai dit est vrai, non seulement cette vérité est venue frapper vos oreilles, mais encore elle a été comprise par votre intelligence : deux choses ont donc eu lieu, remarquez-les bien : vous avez entendu et vous avez compris. C’est par le moyen de mon organe que vous avez entendu ; mais par qui vous est venue l’intelligence de ce que je vous ai dit ? Je vous ai parlé à l’oreille pour vous faire entendre ; qui a parlé à votre esprit pour vous faire comprendre ? On n’en peut douter ; quelqu’un a parlé à votre cœur, d’abord pour que le bruit de mes paroles produise une sensation sur votre ouïe, et ensuite pour qu’un rayon de la vérité vienne répandre son éclat sur ce même cœur : quelqu’un a parlé à votre âme, et ce quelqu’un, vous ne pouvez l’apercevoir : si vous m’avez compris, mes frères, il est sûr que votre âme a aussi entendu parler. L’intelligence est un don de Dieu. Qui donc a fait entendre à votre âme mes paroles, si vous en avez saisi le sens Celui-là même à qui le Psalmiste disait « Donnez-moi l’intelligence, afin que j’apprenne à connaître vos décrets ds ». Par exemple, l’évêque a parlé.—Qu’a-t-il dit ? demande quelqu’un.—Tu lui expliques ce qu’a dit l’évêque, et tu ajoutes : il a dit vrai.—Alors un autre qui n’a pas compris, t’adresse cette question : Qu’a dit l’évêque, ou bien, que louanges-tu dans ses paroles ? Tous les deux m’ont entendu ; j’ai parlé à l’un et à l’autre ; mais Dieu lui-même a parlé à l’un d’eux. Nous est-il permis de passer, par comparaison, du petit au grand ? Il y a entre lui et nous une si grande distance ! Néanmoins, Dieu opère en nous je ne sais quoi d’incorporel et de spirituel : ce n’est pas un son qui frappe nos oreilles, ce n’est pas une couleur qui se fasse distinguer de nos yeux ; ce n’est pas non plus une odeur que perçoive notre odorat, ce n’est pas davantage une saveur que puisse apprécier notre palais, ni un objet dur ou tendre sur lequel puisse agir le sens du toucher : pourtant, c’est quelque chose qu’on peut facilement sentir, sans pouvoir, d’ailleurs, l’expliquer d’aucune façon. Si, comme j’avais commencé à le dire, Dieu parle à nos cœurs sans leur faire entendre aucun bruit, comment parle-t-il à son Fils ? Autant que possible, mes frères, faites-vous-en une idée dans le sens que je vous ai dit ; s’il est permis d’établir une comparaison entre les grandes choses et les petites, mettez-vous dans cet ordre d’idées. Le Père a parlé à son Fils d’une manière incorporelle, parce qu’il l’a incorporellement engendré. Il n’a pas instruit son Fils, comme s’il l’avait engendré sans lui communiquer, en même temps, la science ; mais dire qu’il l’a instruit, c’est dire qu’il l’a engendré sachant tout : par conséquent, ces paroles : « Mon Père m’a instruit », signifient : Mon Père m’a engendré, possédant la science, comme la vérité est simple de sa nature, (peu de personnes le comprennent). Pour le Fils, être et savoir sont une seule et même chose : il tient donc la science de celui de qui il tient l’existence : il n’en a pas reçu, d’abord l’être, et ensuite le savoir ; mais, en l’engendrant il lui a communiqué la science, de la même manière qu’en l’engendrant il lui a communiqué l’existence. Car, suivant que je l’ai dit, la vérité étant simple de sa nature, être et savoir ne sont pas, pour elle, une chose et une autre, mais une seule et même chose. 6. Voilà ce que le Sauveur dit aux Juifs, puis il ajouta : « Et Celui qui m’a envoyé est avec moi ». Il l’avait déjà dit auparavant ; mais la chose était si importante, qu’il ne cesse d’y revenir : « Il m’a envoyé, et il est avec moi ». S’il est avec vous, Seigneur, l’un ne s’est pas séparé de l’autre pour accomplir sa mission : vous êtes venus tous les deux. Quoique tous les deux soient ensemble, un seul, néanmoins, a été envoyé, et l’autre l’a envoyé, parce qu’être envoyé, c’est s’incarner, et que l’Incarnation est le fait, non pas du Père, mais du Fils seul. Le Père a donc envoyé le Fils, mais il ne s’en est pas, séparé ; car il se trouvait là où il l’a envoyé. De fait, où n’est pas Celui qui a fait toutes choses ? Où n’est pas Celui qui a dit : « Je remplis le ciel et la terre dt ? » Mais le Père serait peut-être partout, tandis que le Fils ne se trouverait qu’à un endroit ? Écoute l’Évangéliste : « Il était en ce monde, et le monde a été fait par lui du ». Donc, dit-il, « Celui qui m’a envoyé », Celui dont l’autorité a été la cause de mon Incarnation, parce qu’elle était exercée sur moi par mon Père, Celui-là « est avec moi et il ne m’a pas abandonné ». Pourquoi ne m’a-t-il pas abandonné ? « Il ne m’a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît ». Son égalité avec le Père est de « toujours ». Elle ne date pas d’une époque où elle aurait commencé pour se continuer ensuite : elle est sans commencement comme sans fin. La génération de Dieu n’a pas commencé dans le temps, parce que Celui qui a été engendré a lui-même créé tous les temps. 7. « Comme il parlait de la sorte, plusieurs crurent en lui ». Pendant que je parle moi-même, puissent bon nombre de ceux qui s’inspiraient d’autres idées, me comprendre et croire en lui ! Il y a peut-être en effet des Ariens dans la multitude qui m’écoute : je n’oserais supposer qu’il s’y trouve des Sabelliens, de ces hommes qui ne voient qu’une différence de nom entre le Père et le Fils : leur hérésie est trop vieille ; elle a peu à peu perdu ses forces. Pour celle des Ariens, on croirait lui voir faire quelques mouvements, comme semble en faire un cadavre qui tombe en pourriture, ou du moins, comme en fait d’habitude un homme arrivé à ses derniers moments : il faut donc en tirer ceux qui lui restent encore fidèles, comme le Christ a tiré de l’erreur un grand nombre de ses auditeurs. La cité de Dieu ne les comptait pas au nombre de ses habitants ; mais beaucoup d’entre eux sont venus y fixer leur demeure à la suite d’une foule d’étrangers. Voilà comment, pendant que Jésus parlait, beaucoup de Juifs crurent en lui. Pendant que je parle moi-même, puissent les Ariens croire, non pas en moi, mais avec moi ! 8. « Jésus disait donc aux Juifs, qui avaient cru en lui : Si vous persévérez en ma parole ». Il dit : « Si vous persévérez », parce que vous avez été initiés, parce que vous avez commencé à être dans ma parole. « Si vous persévérez », cela s’entend dans la foi qui s’est établie en vous, puisque vous croyez, où parviendrez-vous ? Voyez où l’on aboutit en commençant de la sorte. Tu as établi avec joie les fondements de l’édifice, dirige tes regards vers son couronnement. Pars de cette humble base, et tu arriveras à un point bien autrement élevé. La foi se fonde sur l’humilité : la connaissance, l’immortalité et l’éternité y sont étrangères ; elles ne connaissent que la grandeur, une élévation exempte de toute défaillance, une incessante stabilité. Au sein de ce séjour, on ne redoute aucun combat malheureux avec des ennemis, on n’éprouve aucune crainte de déchoir. Ce qui commence par la foi est grand, mais on le méprise, comme les ignorants ont l’habitude de tenir peu de cas des fondements d’un édifice. On creuse une fosse large et profonde, puis des pierres y sont jetées pêle-mêle ; le ciseau de l’ouvrier ne les a point polies ; on n’y voit rien de remarquable. La racine d’un arbre ne charme point les yeux ; c’est d’elle, néanmoins, qu’est sorti tout ce qui, dans cet arbre, peut flatter la vue. Tu regardes la racine et tu n’éprouves aucun plaisir : tu es saisi d’admiration en considérant l’arbre. Insensé, pourquoi t’ébahir ? cet arbre n’est-il pas sorti d’une racine dont l’aspect ne dit rien à ton âme ? La foi des croyants semble avoir peu de prix, car tu n’as pas de balance pour en supputer le poids. Écoute donc, je te dirai où elle aboutit : vois combien elle est précieuse ! Le Seigneur ne dit-il pas lui-même en un autre endroit : « Si vous aviez de la foi a comme un grain de sénevé dv ? » Quoi de plus faible, quoi de plus fort ? quoi de plus petit, quoi de plus énergique ? Vous aussi, dit-il, « si vous persévérez dans ma parole » ; à laquelle vous avez cru, où parviendrez-vous ? « Vous serez véritablement mes disciples ». Quel avantage nous en revient ? « Et vous arriverez à la connaissance de la vérité ». 9. Mes frères, quelle récompense le Sauveur promet-il aux croyants ? « Et vous connaîtrez la vérité ». Eh quoi ! n’étaient-ils pas arrivés à la connaître, quand il leur parlait ? Et s’ils n’y étaient pas arrivés, comment ont-ils cru ? Ils n’ont point cru pour avoir connu la vérité, ils ont cru pour la connaître ; car nous croyons pour connaître, mais nous ne connaissons pas pour croire ; parce que nous connaîtrons ce que l’œil de l’homme n’a point vu, ce que son oreille n’a point entendu, ce que son cœur n’a jamais compris dw. Qu’est-ce, en effet, qu’avoir la foi, si ce n’est croire ce que tu ne vois pas ? La foi est donc la croyance à ce que tu ne vois pas ; la vérité est la contemplation de ce que tu as cru. Le Sauveur l’a dit lui-même ailleurs. C’est d’abord pour imposer le joug de la foi, que le Christ a vécu sur la terre. Il était homme, il s’était fait humble : tous le voyaient, mais tous ne le connaissaient pas ; condamné par beaucoup, mis à mort par la multitude, il n’était regretté que d’un petit nombre, et encore le peu de personnes qui le pleuraient ne le connaissaient-ils point pour ce qu’il était en réalité. Voilà comme les éléments primitifs du corps de la foi et de l’édifice qui devait s’élever plus tard. C’est dans cette pensée que le Christ a dit quelque part : « Celui qui m’aime, observe mes commandements ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père, et je l’aimerai aussi, et je me montrerai à lui dx ». Ceux qui l’entendaient, le voyaient déjà : néanmoins, il leur promettait de se montrer à eux, s’ils l’aimaient. Il en est de même ici : « Vous connaîtrez la vérité ». Eh quoi ! ce que vous avez dit n’est-il pas la vérité ? Oui, c’est la vérité, mais on la croit encore, parce qu’on ne la voit pas. Si l’on persévère dans ce qu’on croit, on parvient à ce que l’on doit voir. Aussi le saint Évangéliste Jean dit-il dans son épître : « Mes bien-aimés, nous sommes les enfants de Dieu ; mais ce que nous serons un jour ne paraît pas encore ». Nous, sommes déjà quelque chose, et nous serons autre chose. Que serons-nous de plus que ce que nous sommes ? Écoute : « Ce que nous serons un jour n’apparaît pas encore : nous savons que, quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui ». Comment cela ? « Parce que nous le verrons tel qu’il est dy ». Magnifique promesse ! Mais c’est la récompense de la foi. Tu désires la récompense, travaille donc pour la mériter. Si tu crois, tu as le droit d’exiger la récompense de ta foi ; mais si tu ne crois pas, de quel front la demandes-tu ? « Si donc, vous persévérez dans ma parole ; vous serez vraiment mes disciples », et par là, vous contemplerez la vérité même, telle qu’elle est : vous ne la connaîtrez pas au moyen de paroles humaines : lorsque Dieu aura fait briller à nos yeux les rayons de son éblouissante lumière, selon l’expression du Psalmiste : « Seigneur, vous avez fait briller à nos yeux l’éclat de votre visages dz », cette lumière vous la fera voir. Nous sommes la monnaie de Dieu, mais nous ressemblons à des pièces d’or sorties du trésor divin : l’erreur a effacé les traits de la vérité que Dieu avait imprimés dans notre âme : parce qu’il nous avait formés, il est venu nous réformer ; il réclame la monnaie qui lui appartient, comme César réclame la sienne ; c’est pourquoi il a dit : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ea ». À César, la monnaie vous-mêmes, à Dieu. Alors donc, les traits de la vérité seront imprimés dans nos cœurs. 10. Que dirai-je maintenant à votre charité ? Ah ! si seulement notre cœur soupirait tant soit peu après cette gloire ineffable ! Si nous sentions que nous sommes ici-bas en un lieu d’exil ! Si nous en gémissions au lieu de concentrer nos affections sur ce bas monde ! Si nous tendions sans cesse, par les efforts d’une âme pieuse, vers celui qui nous a appelés ! Nos désirs, c’est le fond de notre cœur : si nous leur donnons toute l’énergie possible, nous obtiendrons la récompense. Les divines Écritures, les assemblées du peuple, la célébration des saints mystères, le saint baptême, le chant des louanges de Dieu, et les explications que nous donnons de l’Évangile contribuent non seulement à semer et à faire germer en nous ce désir, mais encore à l’augmenter et à lui donner de telles proportions, qu’il soit capable d’embrasser ce que l’œil de l’homme n’a point vu, ce que son oreille n’a point entendu, ce que son cœur n’a jamais compris. Mais aimez avec moi. Celui qui aime Dieu, n’aime pas beaucoup les richesses. J’ai touché du doigt la plaie, mais je n’ai pas osé dire qu’il n’aime pas les richesses ; j’ai dit qu’il ne les aime pas beaucoup, comme si on pouvait leur donner ses affections, à condition de ne pas les aimer beaucoup. Ah ! si nous aimions Dieu comme nous le devons, nous n’aimerions pas du tout l’argent. La fortune serait pour toi un moyen de vivre ici-bas avec moins de difficulté, mais elle ne servirait pas à aiguiser tes convoitises : tu l’utiliserais à adoucir les besoins, et non à te procurer du plaisir. Aime Dieu, si ce que tu entends, si ce que tu loues a produit sur ton âme quelque impression. Sers-toi du monde, mais n’en deviens pas l’esclave. Tu y es entré, tu y fournis ta carrière, tu y es venu, non pour y rester, mais pour en sortir : tu y fais ton chemin, mais il n’est pour toi qu’une hôtellerie. Use des richesses, comme le voyageur, arrêté dans une hôtellerie, use de la table, du verre, de l’amphore, du lit dont il ne se sert qu’en passant, puisqu’il doit bientôt partir. Si vous êtes tels que je viens de le dire, que ceux d’entre vous qui le peuvent, élèvent leur cœur et m’écoutent ; si vous êtes ce que j’ai dit, vous arriverez à posséder ce que le Christ vous a promis. De votre côté, nul besoin de grands efforts, car celui qui vous a appelés est tout-puissant. Il vous a appelés, invoquez-le ; dites-lui : Vous nous avez appelés, nous vous invoquons : nous avons entendu votre voix, écoutez notre prière : conduisez-nous à la récompense que vous nous avez promise, achevez en nous ce que vous y avez commencé ; ne délaissez point vos dons, ne négligez pas votre champ : que votre moisson trouve un jour place dans vos greniers. Ici-bas les épreuves surabondent, mais celui qui a créé le monde, est plus fort qu’elles. Les épreuves surabondent, mais on n’y succombe pas, lorsqu’on espère en Celui qui n’est sujet à aucune défaillance. 1. Je vous ai, mes frères, adressé cette exhortation, parce que la liberté, dont nous parle Notre-Seigneur Jésus-Christ, n’est pas de ce monde. Voyez ce qu’il a ajouté : « Vous serez vraiment mes disciples, et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira ». Qu’est-ce à dire : « Elle vous affranchira ? » Elle vous rendra libres. Enfin, les Juifs charnels, et qui jugeaient des paroles du Sauveur dans un sens charnel, non pas ceux qui croyaient en lui, mais ceux de l’assemblée qui n’y croyaient pas, se regardèrent comme insultés, parce qu’il leur avait dit : « La vérité vous affranchira ». Ils s’irritèrent donc de ce que le Sauveur les avait traités d’esclaves : Pourtant, ils en étaient de véritables : aussi leur explique-t-il en quoi consiste l’esclavage, et leur fait-il connaître les caractères de la liberté qu’il promet pour l’avenir. Mais, pour aujourd’hui, il serait trop long de disserter de cette liberté et de cette servitude.QUARANTE ET UNIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CE PASSAGE : « JÉSUS DISAIT DONC AUX JUIFS QUI AVAIENT CRU EN LUI », JUSQU’À CET AUTRE : « SI DONC LE FILS VOUS AFFRANCHIT, VOUS SEREZ LIBRES ». (Chap 8,31-36.)QUARANTE-DEUXIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CE PASSAGE : « JE SAIS QUE VOUS ÊTES ENFANTS D’ABRAHAM, MAIS VOUS CHERCHEZ À ME FAIRE MOURIR », JUSQU’À CET AUTRE : « C’EST POURQUOI VOUS NE LES ENTENDEZ POINT, PARCE QUE VOUS N’ÊTES PAS DE DIEU ».(Chap 8,37-47.)
LES JUIFS, ENFANTS DU DÉMON.
Les Juifs se prétendaient libres, parce qu’ils descendaient d’Abraham et qu’ils étaient les enfants de Dieu ; mais Jésus leur montre que s’ils tenaient d’Abraham et de Dieu leur existence matérielle, ils n’en étaient pas spirituellement les fils à cause de leurs désordres, de leur incrédulité et de leurs vices : ils n’étaient, à vrai dire, que les héritiers du démon, et parce que le démon est le Père du mensonge, ils n’écoutaient point le Sauveur, qui est la Vérité, qui est de Dieu. 1. Sous la forme d’esclave, Notre-Seigneur Jésus-Christ n’était pas esclave, et quoiqu’il en eût revêtu l’apparence, il n’en était pas moins le souverain Seigneur de toutes choses ; par sa forme charnelle, il semblait esclave, mais quoique sa chair fût pareille à celle du péché, elle n’était cependant pas une chair de péché eb. Il promit la liberté à ceux qui croiraient en lui ; mais, fiers de la leur propre, ne s’apercevant pas qu’ils étaient soumis au joug du péché, les Juifs refusèrent dédaigneusement de devenir vraiment libres et, parce qu’ils étaient la race d’Abraham, ils prétendirent qu’ils ne dépendaient de personne. Ce que le Sauveur leur répondit, la leçon d’aujourd’hui vient de nous l’apprendre ; le voici : « Je sais », dit-il, « que vous êtes enfants d’Abraham, mais vous cherchez à me faire mourir, parce que ma parole ne trouve pas accès en vous ». Je vous connais : « Vous êtes les enfants d’Abraham, mais vous cherchez à me faire mourir ». Je connais la souche d’où vous sortez, mais je n’en trouve pas la foi dans vos cœurs. « Vous êtes enfants d’Abraham », mais selon la chair ; c’est pourquoi vous cherchez à me faire mourir » ; car « mes paroles ne trouvent pas accès auprès de vous ». Si vous receviez mes discours, ils vous gagneraient, et s’ils vous gagnaient, vous seriez pris, comme des poissons, dans les filets de la foi. Qu’est-ce donc à dire : « Mes paroles ne prennent pas sur vous ? » Elles ne prennent pas sur votre cœur, parce que vous ne les y recevez pas. La parole de Dieu est, à vrai dire, et elle doit être pour les fidèles, comme un hameçon pour le poisson : elle saisit, quand on la saisit ; et en cela, il n’y a aucune violence commise à l’égard de ceux qui y sont pris, car ils y sont pris pour leur salut, et non pour leur perte ; voilà pourquoi le Sauveur dit à ses Apôtres : « Venez à ma suite, je vous ferai « pêcheurs d’hommes ec ». Les Juifs n’étaient pas de ce caractère, et pourtant ils étaient enfants d’Abraham ; fils d’un homme de Dieu, mais hommes pécheurs. Il était la source de leur existence en cette vie, mais ils avaient dégénéré en n’imitant pas la foi de celui dont ils étaient les enfants. 2. Vous avez certainement entendu ces paroles du Sauveur : « Je sais que vous êtes enfants d’Abraham ». Écoutez ce qu’il dit ensuite : « Je vous dis ce que j’ai vu en mon Père ; et vous aussi, vous faites ce que vous avez vu en votre père ». Il avait dit précédemment : « Je sais que vous êtes enfants d’Abraham ». Mais que font-ils ? Ce qu’il leur a dit : « Vous cherchez à me faire mourir ». Jamais, en Abraham, ils n’ont vu pareille chose. En nous parlant de son Père dans ce passage : « Ce que j’ai vu en mon Père, je « vous le dis », le Sauveur a voulu nous parler de Dieu. J’ai vu la vérité, je dis la vérité, parce que je suis la, vérité. Le Sauveur dit la vérité qu’il a vue en son Père ; il s’est vu lui-même et il en parle, parce qu’il est la vérité du Père, qu’il a vue dans le Père ; en effet, il est le Verbe, et le Verbe était en Dieu. Pour les Juifs, où ont-ils donc vu le mal qu’ils font, et que le Christ leur reproche et condamne en eux ? Ils l’ont vu dans leur père. Quand, par les versets suivants, nous aurons clairement appris quel est leur père, nous comprendrons ce qu’ils ont vu en un tel père ; pour le moment, il n’en prononce pas encore le nom. Un peu auparavant, il a parlé d’Abraham, mais comme source de leur existence charnelle, et non comme modèle de leur vie spirituelle ; il nommera leur autre père, celui qui ne les a pas engendrés, celui qui ne les a pas faits hommes, mais dont ils étaient les fils, sinon en tant qu’hommes, du moins en tant qu’hommes méchants ; sinon en tant que sa race, du moins en tant que ses imitateurs. 3. « Ils répondirent et lui dirent : Notre « père est Abraham » ; ou, en d’autres termes : Qu’as-tu à dire contre Abraham ? ou bien encore : Si tu es capable de quelque chose, ose le reprendre. Rien n’empêchait le Sauveur d’oser reprendre Abraham, mais il n’avait aucun reproche à lui faire ; le Christ n’avait que des louanges à lui adresser. Cependant ses interlocuteurs semblaient le provoquer pour lui faire dire du mal d’Abraham, et trouver eux-mêmes en cela l’occasion d’agir à son égard suivant leurs désirs. « Abraham est notre père ». 4. Écoutons la réponse que leur fit le Sauveur ; voyons comment il louangea Abraham, tout en les condamnant. Jésus leur dit : « Si vous êtes les enfants d’Abraham, faites les œuvres d’Abraham. Or, maintenant, vous cherchez à me faire mourir, moi qui suis un homme qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue de Dieu. Abraham n’a pas fait cela ». Je vois ici l’éloge d’Abraham et la condamnation des Juifs. Abraham n’était pas un homicide. Je ne dis pas que je suis le Dieu d’Abraham ; si je parlais ainsi, je dirais la vérité. Le Christ avait dit en un autre endroit : « Avant qu’Abraham fût, moi, je suis ed ». Et les Juifs avaient voulu le lapider. 2 ne leur adressa donc point cette parole. Tel que vous me voyez, tel que vous me regardez, tel que vous me croyez être sans apercevoir autre chose en moi, je suis un homme ; et cet homme qui vous dit ce qu’il a entendu de Dieu, pourquoi voulez-vous le faire mourir, sinon parce que vous n’êtes pas les enfants d’Abraham ? Il avait pourtant dit tout à l’heure : « Je sais que vous êtes enfants d’Abraham ». Il ne nie pas leur origine, mais il condamne leurs actes ; ils tenaient de lui leur existence corporelle, mais il était étranger à leur manière de se conduire. 5. Pour nous, mes très chers, sommes-nous sortis de la race d’Abraham, ou bien, n’est-il en rien notre père selon la chair ? Corporellement parlant, les Juifs viennent de lui, comme de leur source ; mais les chrétiens n’en descendent pas. Nous sommes venus des autres nations ; néanmoins, nous descendons d’Abraham par l’imitation de ses vertus. Écoute l’Apôtre : « Les promesses de Dieu ont été faites à Abraham et à celui qui devait naître de lui. L’Écriture ne dit pas : Et à ceux qui naîtront, comme si elle en eût voulu marquer plusieurs ; mais elle dit, comme parlant d’un seul : Et à celui qui naîtra de vous, c’est-à-dire au Christ. Maintenant, si vous appartenez au Christ, vous êtes la race d’Abraham et ses héritiers selon la promesse de Dieu ee ». Par la grâce de Dieu, nous sommes donc devenus les enfants d’Abraham ; ce n’est pas dans la descendance naturelle d’Abraham que Dieu a choisi pour son Christ des cohéritiers ; il a déshérité les uns de cette descendance et adopté les autres. De cet olivier dont les racines s’étendent jusqu’aux patriarches, il a retranché les branches naturelles desséchées par l’orgueil, pour y greffer l’humble olivier sauvage ef. Aussi, lorsque les Juifs vinrent demander le baptême à Jean, il se déchaîna contre eux et s’écria : « Race de vipères ! » Ils se glorifiaient surtout de la noblesse de leur origine ; pour lui, il les appela : « race de vipères » ; c’eût été trop de dire : Race d’hommes ; ils n’étaient qu’une « race de vipères ». Ses regards tombaient sur des hommes, mais il connaissait la malignité de leur venin. Parce qu’ils étaient venus pour se faire baptiser, ils devaient au moins se convertir ; c’est pourquoi Jean leur dit : « Race de vipères, qui vous a appris à fuir la colère qui s’approche ? Faites donc de dignes fruits de pénitence, et gardez-vous de dire en vous-mêmes : Nous avons Abraham pour père ; car je vous dis que Dieu peut susciter de ces pierres mêmes des enfants d’Abraham eg ». Si vous ne faites pas de dignes fruits de pénitence, ne vous flattez pas de votre origine ; car Dieu est assez puissant pour vous condamner et susciter à Abraham une autre descendance ; il est à même de lui donner d’autres enfants, et des enfants qui imitent sa foi. « Dieu peut susciter, de ces pierres mêmes, des enfants d’Abraham ». Nous sommes des enfants : par nos parents, nous étions des pierres, parce qu’en eux nous adorions des pierres à la place de Dieu ; c’est de telles pierres que le Seigneur a formé une famille à Abraham. 6. De quoi donc se flatte la ridicule et vaine jactance des Juifs ? Qu’ils cessent de faire parade de leur origine en Abraham ; on leur a dit ce qu’on devait leur dire : « Si vous êtes des enfants d’Abraham », prouvez-le par vos actes et non, par vos paroles. « Vous cherchez à me faire mourir » comme homme ; je ne dis ni comme Fils de Dieu ; ni comme Dieu, ni comme Verbe, parce que le Verbe ne meurt pas ; je parle de ce que vous voyez, car ce que vous voyez, vous pouvez le faire mourir, et vous pouvez offenser celui que vous ne voyez pas. « Abraham n’a donc point fait cela ; mais vous, vous faites les œuvres de votre père ». Le Sauveur ne dit pas encore quel est ce père dont ils sont les enfants. 7. Que lui répondirent-ils ? Ils commencèrent à comprendre, jusqu’à un certain point, que le Sauveur ne leur parlait pas de leur origine charnelle, mais de leur manière de se conduire. Dans les Écritures, qu’ils avaient entre les mains, il est ordinaire de donner, dans un sens spirituel, le nom de fornication à cette sorte de prostitution de l’âme, qui consiste à adorer plusieurs dieux et des faux dieux ; aussi : firent-ils cette réponse aux paroles de Jésus. Ils lui dirent donc : « Nous ne sommes pas nés de la prostitution : nous n’avons qu’un Père, qui est Dieu ». Abraham ne vaut déjà plus ce qu’il valait. Une parole de vérité les a forcés à se rétracter : il devait en être ainsi ; car s’ils se vantaient de descendre d’Abraham, ils étaient loin de marcher sur ses traces. Pour répondre, ils adoptèrent donc une autre méthode ; il me semble qu’ils se disaient : Toutes les fois que nous nommerons Abraham, il nous dira : Vous vous flattez d’être ses enfants ; pourquoi ne l’imitez-vous pas ? Il nous est impossible d’imiter un tel homme, un homme si saint, si juste, si innocent : disons-lui donc que notre Père c’est Dieu, nous verrons ce qu’il nous répondra. 8. La duplicité a trouvé le moyen de parler, et la, vérité ne saurait que répondre ? Écoutons ce que disent les Juifs ; Écoutons la réplique du Sauveur : « Nous n’avons qu’un seul Père, qui est Dieu. Jésus donc leur dit : Si Dieu était votre Père, certes vous m’aimeriez, car je suis né de Dieu ; je suis venu, et je ne suis point venu de moi-même, mais il m’a envoyé ». Vous dites que Dieu est votre Père ; alors reconnaissez-moi comme votre frère. Cependant, il a élevé les pensées de ceux qui le comprenaient, il a touché ce qu’il dit d’ordinaire : « Je ne suis point venu de moi-même, mais il m’a envoyé ; car je suis né de Dieu, et je suis venu ». Souvenez-vous de ce eue nous disons souvent : Il est venu du Père ; il est venu avec celui de qui il est venu ; La mission du Christ, c’est donc son incarnation : Si le Verbe est venu de Dieu, sa verrue est éternelle ; car on ne peut compter les années de Celui qui a créé tous es temps. Que personne ne dise dans son cœur : Avant l’existence du Verbe, comment Dieu était-il ? Ne dis jamais : Avant que le Verbe de Dieu existât. Dieu n’a jamais été sans son Verbe, parce que l’existence du Verbe est permanente et ne passe pas ; il est Dieu, et n’est pas une parole qui résonne ; le ciel et la terre ont été faits par lui, et il ne passe pas avec ce qui a été fait sur la terre. Il en est donc venu comme Dieu, comme son égal, comme son Fils unique, comme Verbe du Père ; et le Verbe est venu vers nous ; parce qu’il s’est fait chair pour habiter parmi nous eh. Son avènement, c’est son humanité ; sa permanence ; c’est sa divinité ; nous allons à sa divinité par son humanité. S’il n’était pas devenu le chemin que nous devons suivre, jamais nous ne parviendrions à lui, en tant que demeurant en son Père. 9. « Pourquoi ne comprenez-vous pas ma parole ? Parce que vous ne pouvez entendre ma parole ». S’ils ne comprenaient point la parole du Sauveur, c’est donc parce qu’ils ne l’entendaient pas ; et pourquoi étaient-ils incapables de l’entendre, sinon parce qu’ils ne voulaient point se corriger, et croire ? Et d’où cela venait-il ? « Le père dont vous êtes nés, c’est le démon ». Jusques à quand parlerez-vous de votre père ? Jusques à quand changerez-vous de pères, nommant comme tels, tantôt Abraham, tantôt le Seigneur ? Écoutez le Fils de Dieu ; il va vous dire de qui vous êtes les enfants : « Le père dont vous êtes nés, c’est le démon ». 10. Ici, il faut éviter de tomber dans l’hérésie des Manichéens. Suivant eux, il y a un principe mauvais en soi, et une légion ténébreuse, commandée par ses chefs, et qui a osé engager une lutte contre Dieu. Pour ne point voir cette nation méchante détruire son royaume, ce Dieu a envoyé contre elle, comme d’autres lui-même, les princes des esprits lumineux ; la nation des ténèbres a été vaincue, et c’est à cela que le diable doit son origine. Les Manichéens font aussi dériver de là l’origine de notre corps ; en suivant le même ordre d’idées, ils attribuent ces paroles du Sauveur : « Le père dont vous êtes nés, c’est le démon », à ce que les Juifs venaient du principe mauvais, et qu’ils descendaient de la légion ennemie, du peuple des ténèbres. Voilà l’erreur et l’aveuglement de ces hérétiques, qui font d’eux-mêmes une nation de ténèbres, en croyant des faussetés à l’encontre de leur Créateur. Toute chose est bonne en elle-même ; mais la nature de l’homme a été viciée par sa volonté perverse. Ce que Dieu a fait ne peut être mauvais, l’homme seul peut se faire du mal ; mais, évidemment, le Créateur, c’est le Créateur ; la créature, c’est la créature ; elle ne peut être comparée au Créateur. Distinguez bien Celui qui a tout fait de ce qui a été fait par lui. Il n’y a de comparaison à établir ni entre un escabeau et un charpentier, ni entre une colonne et un sculpteur ; pourtant, si le charpentier a fait l’escabeau, il n’en a pas créé le bois. Parce que le Seigneur notre Dieu est tout-puissant, il a fait par son Verbe ce qu’il a fait ; mais pour faire ce qu’il a fait, il n’en avait pas à sa disposition la matière première ; et pourtant il l’a fait. Toutes choses ont été faites, parce qu’il l’a ordonné ; mais ces créatures ne peuvent être comparées nu Créateur. Tu lui cherches un terme de comparaison : tu le trouveras en son Fils unique. Pourquoi les Juifs étaient-ils les enfants du démon ? Parce qu’ils l’imitaient, et noir parce qu’ils en étaient nés. L’Écriture sainte parle d’ordinaire en ce sens ; en voici un exemple. Le Prophète dit à ce même peuple juif. « Ton père était Amorrhéen, et ta mère Céthéenne ei ». Il y avait un peuple Amorrhéen, mais les Juifs n’en tiraient pasleur origine ; les Céthéens formaient aussi un corps de nation tout à fait étranger à la race juive. Mais comme les Amorrhéens et les Céthéens étaient des impies, et que les Juifs avaient imité leur impiété, ils étaient censés leur avoir donné naissance : non qu’ils leur eussent réellement donné la vie, mais parce que leurs mauvaises mœurs avaient été pour les Juifs un scandale et le sujet d’une condamnation pareille à celle qu’ils avaient eux-mêmes encourue. Vous cherchez peut-être à savoir d’où vient le démon ? Du même principe que les autres Anges ; mais ceux-ci ont persévéré dans leur obéissance ; tandis que par sa persévérance et son orgueil, celui-là a été précipité, et qu’il est devenu un démon. 11. Mais écoutez maintenant ce que dit le Sauveur : « Le père dont vous êtes nés, c’est le démon, et vous voulez accomplir les désirs de votre père ». Vous êtes ses enfants, non que vous soyez nés de lui, mais parce que ses désirs sont les vôtres. Quels sont ses désirs ? « Il a été homicide dès le commencement ». Voilà ce qu’il est. « Vous voulez accomplir les désirs de votre père. Vous cherchez à me faire mourir, moi, qui suis un homme qui vous dis la vérité ». Le démon a porté envie à l’homme, et il a fait mourir l’homme. Jaloux, de lui, il s’est caché sous la forme du serpent, il a parlé à la femme, et par la femme il a empoisonné l’homme. Pour avoir écouté le démon, ils sont morts tous les deux ej. Il n’aurait point prêté l’oreille a ses discours, s’il avait voulu entendre la voix de Dieu ; placé entre son Créateur et cet ange déchu, il aurait dû obtempérer aux ordres de Celui qui l’avait créé, au lieu de céder aux conseils de son séducteur. « Il était donc homicide dès le commencement ». Voyez, mes frères, de quelle manière il a fait mourir l’homme. On a donné au démon le nom d’homicide ; et cependant il ne portait ni glaive à sa main, ni épée à sa ceinture ; il s’est approché de l’homme, il a jeté à son oreille une parole mauvaise, il l’a tué. Ne va pas croire que tu n’es pas homicide, quand tu donnes à ton frère un conseil pernicieux ; si tu le portes au mal, tu le tues. Veux-tu en avoir la preuve ? écoute le Psalmiste : « Enfants des hommes ; vos dents sont des lances et des dards ; votre langue est un glaive perçant ek. Vous voulez » donc « accomplir les désirs de votre père » ; c’est pourquoi vous sévissez contre le corps, parce que vous ne pouvez agir contre l’âme. « Il était homicide dès le commencement », c’est-à-dire à l’égard du premier homme. Il est devenu homicide à partir du moment où il lui a été possible de tuer un homme ; et il a pu tuer un homme dès que l’homme a été créé. Jamais, en effet, n’aurait pu avoir lieu le meurtre d’un homme, si l’homme n’avait préalablement existé. « Il était donc homicide dès le commencement ». Comment cela ? Parce qu’il n’avait point persévéré dans la vérité ». Il s’y était donc trouvé, mais comme il ne s’y était point tenu, il était tombé. Et pourquoi « n’a-t-il point persévéré dans la vérité ? Parce que la vérité n’est pas en lui ». La vérité ne pouvait se trouver en lui comme dans le Christ, puisque le Christ est la vérité même. Si donc il avait persévéré dans la vérité, il aurait persévéré dans le Christ ; « mais il n’a pas persévéré dans la vérité, parce que la vérité n’est pas en lui ». 12. « Quand il profère le mensonge, il dit ce qui lui est propre, car il est menteur et son père ». Qu’est-ce à dire ? Vous avez entendu les paroles de l’Évangile, vous les avez écoulées avec attention. Je les reprends, afin que vous sachiez bien ce dont vous me demandez l’explication. Le Sauveur disait, au sujet du démon, ce qu’il devait en dire. « Il était homicide dès le commencement » ; c’est vrai, car il a tué le premier homme : « Et il n’a point persévéré dans la vérité », car il ne s’y est pas tenu, et il est tombé. « Quand il profère le mensonge » (il s’agit évidemment ici du démon), « il dit ce qui lui est propre, car il est menteur et son père ». Quelques-uns ont cru voir dans ces paroles que le démon a un père, et ils se sont demandé quel pouvait être ce père. Ici encore l’abominable erreur des Manichéens a trouvé le moyen de tromper les simples, car ces hérétiques ont l’habitude de dire : Il est sûr que le démon a été un ange, et il est tombé : par lui a commencé le péché ; comme. vous dites. Quel était son père ? Nous répondons : Lequel d’entre nous a jamais dit que le démon a un père ? – Le Sauveur le dit, répliquent-ils ; l’Évangile en parle, car il s’exprime ainsi au sujet. du démon : « Il était homicide dès le commencement, et il n’a point persévéré dans la vérité ; car la vérité n’est pas en lui ; quand il profère le mensonge, il dit ce qui lui est propre, car il est menteur et son père ». 13. Écoute, comprends ; je ne te renvoie pas loin ; l’explication se trouve dans les paroles mêmes de l’Évangile. Le Sauveur a dit que le démon est le père du mensonge. Qu’est-ce que cela ? Le voici, écoute-moi, répète les paroles précitées, et comprends. Quiconque profère un mensonge n’en est point, par cela même, le père. Si un homme a menti devant toi, et que tu répètes son mensonge, il est sûr que tu mens toi-même en proférant la fausseté sortie de sa bouche ; mais tu n’en es point le père, car tu n’en es point le premier auteur. Quant au démon, c’est de son propre fonds qu’il est menteur ; il a mis au monde son imposture, elle ne lui est venue d’aucun autre. De même que Dieu le Père a engendré son Fils qui est la vérité ; ainsi le démon, ange déchu, a engendré son fils, qui est le mensonge. Cela dit, reprends et répète les paroles du Sauveur âme catholique, remarque ce que tu as entendu ; fais attention à ce que dit le Christ. « Il ». Qui ? Le démon, « était homicide dès le commencement ». Nous le savons : il a fait mourir Adam. « Et il n’a point persévéré dans la vérité ». Nous reconnaissons encore qu’il ne s’y est pas tenu et qu’il est tombé. « Car la vérité n’est pas en lui ». Pas de doute à cet égard : puisqu’il s’est séparé de la vérité, il ne la possède pas. « Lorsqu’il profère le mensonge, il dit ce qui lui est propre ». Un autre ne lui transmet pas ce qu’il dit. « Lorsqu’il profère le mensonge, il dit ce qui lui est propre, car il est menteur, et son père ». Il est menteur et père du mensonge tout à la fois. Que tu profères un mensonge, tu es menteur, mais tu n’en es peut-être pas le père ; car si le démon t’a transmis une imposture, et que tu aies ajouté foi à sa parole, le mensonge est sur tes lèvres, mais tu n’en es pas le père ; pour le démon, il n’a reçu de personne cette imposture, dont il s’est servi comme le serpent se sert de son venin, pour tuer l’homme : il est le père du mensonge, de la même manière que Dieu est le Père de la vérité. Écartez-vous du père du mensonge ; courez au Père de la vérité, embrassez-la, afin de recevoir le bienfait de la liberté. 14. Les Juifs ont donc vu en leur père ce qu’ils disaient ; qu’y ont-ils vu, sinon le mensonge ? Pour Notre-Seigneur, il a vu en son Père ce qu’il dirait ; qu’y a-t-il vu, sinon lui-même ? sinon le Verbe du Père ? sinon la vérité éternelle du Père et coéternelle air Père ? « Il était » donc « homicide dès le commencement, et il n’a point persévéré dans la vérité, car la vérité n’est pas en lui ; quand il profère le mensonge, il dit ce qui lui est propre, car il est menteur ». Non-seulement il est menteur, mais « il est son père », c’est-à-dire, le père du mensonge qu’il profère, parce qu’il a engendré lui-même son mensonge. « Or, moi, si je dis la vérité, vous ne me croyez point. Quel est celui d’entre vous qui me convaincra de péché, comme je vous convaincs vous-mêmes, vous et votre père ? Et si je vous dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas », sinon parce que vous êtes les enfants du démon ? 15. « Celui qui est de Dieu entend les paroles de Dieu. Vous ne les entendez point, parce que vous n’êtes pas de Dieu ». Encore une fois, il est question, non de la nature en elle-même, mais de la nature viciée. Ainsi, les Juifs sont de Dieu et n’en sont pas ; par leur nature, ils en viennent ; ils n’en viennent point par leurs vices. Je vous en supplie, faites-y attention ; vous trouvez, dans l’Évangile, tout ce qu’il faut pour vous garantir contre les criminelles et dangereuses erreurs des hérétiques. Au sujet des paroles précitées, voici ce que disent d’ordinaire les Manichéens : Nous trouvons là la preuve de l’existence de deux natures, l’une bonne, l’autre mauvaise ; le Sauveur le dit. Que dit-il ? « Vous ne les entendez point, parce que vous n’êtes pas de Dieu ». Telles sont les paroles du Christ. Que répondez-vous, me dit le manichéen ? – Voici ma réponse, écoute-la. Et ils sont de Dieu, et ils n’en sont pas. Par leur nature, ils en viennent ; ils y sont étrangers par leur faute ; la nature bonne, qui vient de Dieu, a péché volontairement ; elle a cru à ce que le démon voulait lui persuader, elle a été viciée ; si elle a besoin d’un médecin, c’est qu’elle n’est lias saine, voilà ce que je dis. Il est impossible à tes yeux que les Juifs soient et rie soient pas de Dieu, en même temps ; ce n’est pas du tout impossible. Ils sont de Dieu et, n’en sont pas, comme ils sont enfants d’Abraham et ne sont pas ses enfants. La preuve en est là ; inutile à vous de parler. Ecoute le Sauveur lui-même ; il, leur a dit : « Je sais que vous êtes enfants d’Abraham ». Le Christ pouvait-il mentir ? Non. Ce qu’il a dit est donc la vérité ? Oui. Il est donc vrai qu’ils étaient enfants d’Abraham ? Oui. Ecoute maintenant ; il va te dire le contraire. Celui qui a dit : « Vous êtes les enfants d’Abraham », leur a lui-même refusé ce titre : « Si vous êtes les enfants d’Abraham, pratiquez donc les œuvres d’Abraham. Or, maintenant, vous cherchez à me faire mourir, moi, qui suis un homme qui vous dis la vérité que j’ai entendue de Dieu ; Abraham n’a pas agi ainsi. Vous accomplissez les œuvres de votre père », c’est-à-dire, du démon. Comment donc étaient-ils enfants d’Abraham et ne l’étaient-ils pas ? Le Sauveur a donné la preuve de ces deux assertions : ils étaient les enfants d’Abraham, puisqu’ils descendaient charnellement de lui ; ils n’étaient pas ses enfants, parce que le démon les avait corrompus par sa diabolique influence. Vous devez appliquer au Seigneur notre Dieu cette manière de comprendre l’Écriture ; les Juifs étaient de lui, et, en même temps, ils n’en étaient pas. Comment étaient-ils de lui Parce qu’il avait créé l’homme de qui ils descendaient. Comment encore ? Parce qu’il est l’auteur de leur être, de leur corps et de leur âme. Comment donc pouvait-on dire qu’ils n’étaient pas de lui ? Parce qu’ils étaient devenus vicieux de leur propre faute ; ils n’étaient pas de lui, parce qu’en imitant le démon, ils en étaient devenus les enfants. 16. Le Seigneur Dieu s’est donc approché de l’homme pécheur. Tu as entendu nommer distinctement et séparément l’homme et le pécheur. Comme tel, l’homme est de Dieu ; comme pécheur, il n’en vient pas. Il faut donc distinguer la nature de ce qui l’a viciée ; par rapport à la nature, nous devons toutes louanges au Créateur ; relativement à ce qui l’a corrompue, il faut nécessairement demander l’aide du médecin. Par ces paroles « Celui qui est de Dieu, écoute ce qu’il dit, et vous n’écoutez pas ce qu’il dit, parce que vous n’êtes pas de lui », le Sauveur n’a pas voulu faire une distinction entre la nature des uns et des autres ; en dehors de son âme et de son corps à lui, il n’a pas rencontré, dans les hommes, une nature que le péché n’aurait pas viciée ; mais il connaissait d’avance ceux qui devaient croire en lui ; c’est pourquoi il a dit qu’ils étaient de Dieu, parce qu’ils devaient renaître de Dieu par l’adoption de la régénération. « Celui qui est de Dieu écoute ce qu’il dit ». Mais, pour les paroles suivantes : « Vous n’écoutez pas ce qu’il dit, parce que vous n’êtes pas lui », elles ont é adressées à ceux qui, non-seulement étaient infectés de la corruption du péché, malheur commun à tous, mais encore étaient connus d’avance pour ne pas devoir se soumettre à l’empire de la foi, de cette foi qui, cule, pouvait les délivrer des liens de leurs péchés. Le Christ savait donc dès lors que ceux à qui il s’adressait persévéreraient en ce qui faisait d’eux des enfants du démon ; il savait qu’ils mourraient dans leurs péchés et dans les sentiments d’impiété qui les lui rendaient semblables ; il savait enfin qu’ils ne parviendraient point à recevoir le bienfait de la génération par lequel ils deviendraient les enfants de Dieu, c’est-à-dire les nés du Dieu qui les avait fait devenir hommes. C’est en vertu de cette prédestination que le Sauveur leur a parlé, et non parce qu’il aurait trouvé parmi eux un homme déjà né de Dieu par la grâce de la régénération, ou étranger à Dieu par sa nature considérée en elle-même.QUARANTE-TROISIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CE PASSAGE : « LES JUIFS LUI RÉPONDIRENT DONC ET LUI DIRENT », JUSQU’À CET AUTRE : « ILS PRIRENT DONC DES PIERRES POUR LES LUI JETER, MAIS JÉSUS SE CACHA ET SORTIT DU TEMPLE ». (Chap 8,48-59.)JÉSUS, FILS DE DIEU.
Ne sachant que répondre au Sauveur, les Juifs lui dirent : « Tu es un démon » .— Non, je n’en suis pas un, car si je me rends témoignage à moi-même, ce n’est point par orgueil ; j’ai pour moi le témoignage non équivoque de mon Père, et si vous croyiez en moi vous ne mourriez pas, car celui qui garde ma parole vivra toujours. – Voilà bien une preuve sans réplique, que tu es possédé du démon ! – Non, je dis la vérité. Si vous devez vivre toujours en gardant ma parole, c’est que je vous communiquerai la vie, car « Je suis ». Telle a été la cause des tressaillements de joie qu’a ressentis Abraham. À ces paroles on voulut le lapider, mais il s’en alla. Par la lecture du saint Évangile qu’on vient de faire devant nous, la puissance du Sauveur nous a fait apprécier sa patience. Que sommes-nous, en effet, si nous nous comparons à lui ? Que sont des serviteurs en face du souverain Maître, des pécheurs en présence du juste, des créatures vis-à-vis du Créateur ? Néanmoins, l’homme ne désire rien tant que la puissance ; il possède en Notre-Seigneur Jésus-Christ la suprême puissance ; mais pour y parvenir, il lui faut d’abord imiter la patience du Maître. Lequel d’entre nous supporterait patiemment qu’on lui dise : « Tu es possédé du démon ? » Voilà pourtant ce qui a été dit à Celui qui, non seulement sauvait les hommes, mais commandait aux démons. 2. Les Juifs lui dirent donc : « N’avons-nous pas raison de dire que tu es un Samaritain, et que tu es possédé du démon ? » De ces deux imputations, le Sauveur repoussa l’une et ne repoussa pas l’autre. En effet, il répondit en disant : « Je ne suis point possédé du démon » ; mais il ne dit pas : Je ne suis pas un Samaritain. On lui avait fait deux reproches. Sans rendre malédiction pour malédiction, injure pour injure, il lui convint de repousser l’un, et de ne pas repousser l’autre. Il avait pour cela des motifs. De fait, mes frères, Samaritain veut dire gardien, et Jésus savait qu’il est notre gardien. « Il ne dormira point, il ne s’assoupira pas, celui qui garde Israël el », et, « si Dieu ne défend la cité, inutilement veillent ses gardiens em ». Celui qui nous a créés, nous garde donc ; puisqu’il a dépendu de lui de nous racheter, ne lui appartiendrait-il pas de nous garder ? Mais, afin de mieux comprendre la cause mystérieuse pour laquelle il n’a pas nié qu’il fût Samaritain, rappelez-vous cette parabole si connue : Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba entre les mains des voleurs qui le couvrirent de blessures et le laissèrent à demi mort. Un prêtre passa sans s’inquiéter de lui ; un lévite passa aussi, et rie s’en occupa point davantage ; survint un Samaritain : c’est notre gardien ; il s’approcha du malade, en prit compassion, et lui montra qu’il était son prochain, puisqu’il ne le traita pas comme un étranger en. Le Sauveur se contenta donc de répondre aux Juifs qu’il n’était point possédé du démon, sans leur dire qu’il n’était pas un Samaritain. 3. Après avoir reçu d’eux une pareille injure, il se borna à leur dire ceci, sur le respect auquel il avait droit : « Mais j’honore mon Père, et vous, vous m’insultez ». C’est-à-dire : Je ne me rends pas gloire moi-même, afin de ne pas vous sembler orgueilleux, j’ai quelqu’un à honorer, et, si vous me connaissiez, vous m’honoreriez comme j’honore mon Père. Je fais ce que je dois ; et vous, vous ne faites pas ce que vous devez. 4. « Je ne cherche pas ma gloire ; il y a quelqu’un pour la chercher et juger ». De qui veut-il nous parler, sinon de son Père ? Comment donc dit-il ailleurs : « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout le jugement au Fils eo », puisqu’il dit ici : « Je ne cherche pas ma gloire ; il y a quelqu’un pour la chercher et juger ? » Si le Père juge, comment ne jugera-t-il personne, et a-t-il donné le jugement au Fils ? 5. Pour résoudre cette difficulté, remarquez-le, on peut se servir d’un passage analogue ; car il est écrit : « Dieu ne tente personne ep ». Et nous trouvons encore ces autres paroles : « Le Seigneur votre Dieu vous tente, pour savoir si vous l’aimez eq ». Vous le voyez, c’est bien la même difficulté. Comment « Dieu ne tente-t-il personne », et comment a le Seigneur votre Dieu vous « tente-t-il, afin de savoir si vous l’aimez ? » Nous lisons encore dans l’Écriture : « La crainte n’est pas avec l’autour, mais l’amour parfait chasse la crainte er » ; et ailleurs : « La crainte du Seigneur est sainte, elle subsiste dans l’éternité es ». Voilà bien, en d’autres termes, la difficulté qui nous occupe. Comment « la charité parfaite chasse-t-elle la crainte », si « la crainte du Seigneur est sainte » et « qu’elle subsiste dans l’éternité ? » 6. Il y a deux sortes de tentations, l’une qui induit en erreur, et l’autre qui éprouve : quand la tentation est de nature à tromper, « Dieu ne tente personne » ; dès qu’elle est une épreuve, « le Seigneur votre Dieu vous « fente, afin de savoir si vous l’aimez ». Ici encore s’élève une autre difficulté : comment « peut-il tenter, afin de savoir », puisqu’avant de tenter il connaît nécessairement tout ? Dieu n’ignore rien, et si l’Écriture dit : « Afin de savoir », c’est comme si elle vous disait : Afin de vous faire savoir. Dans nos conversations ordinaires, et chez les orateurs, dans l’art de bien dire, on trouve à chaque instant des manières de parler tout à fait pareilles. Je vais en prendre un exemple dans notre langage habituel. On dit d’une fosse qu’elle est aveugle, non qu’elle ait perdu la vue, mais parce qu’en se dérobant à nos regards, elle nous empêche de la voir. En, voici un autre, tiré des auteurs anciens. Parlant de certaines plantes, un poète ▼▼Virgil. Géorg 1, 1, V.75
dit qu’elles sont tristes, pour dire qu’elles sont amères, parce que, quand on les goûte, on ressent une certaine tristesse, on devient triste pour en avoir mangé. On rencontre donc, dans l’Écriture, des locutions semblables. Ceux qui s’ingénient à trouver de pareilles difficultés, ont toute facilité de les résoudre. Par conséquent, « le Seigneur votre Dieu vous tente pour savoir » ; qu’est-ce à dire : « Pour savoir ? » pour vous apprendre, « si vous l’aimez ». Job s’ignorait lui-même ; mais Dieu le connaissait ; il permit donc que Job fût tenté, et ainsi lui apprit-il à se connaître. 7. Que dire des deux sortes de crainte ? Il y a une crainte servile, et une crainte pure : lu crains d’être puni ou tu redoutes de perdre la justice. La crainte de se voir puni est servile. Y a-t-il grand mérite à appréhender une punition ? C’est le propre du pire esclave, du plus cruel brigand. Craindre un châtiment n’est pas de la grandeur, mais il est grand d’aimer la justice. Celui qui aime la justice ne redoute-t-il rien ? Pardon, il a peur ; il a peur, non pas de subir une peine, mais de cesser d’être juste. Croyez-moi, mes frères, et que l’objet de vos affections devienne pour cous un moyen de me comprendre. L’un d’entre vous aime l’argent. Est-il possible de trouver un homme qui ne l’aime pas ? Par cela même qu’il aime l’argent, il peut saisir la portée de mes paroles. Il craint de perdre. Pourquoi craint-il de perdre ? Parce que l’argent possède ses affections. Plus il aime l’argent, plus il a peur d’en perdre. On trouve donc des amateurs de la justice dont le cœur est plus troublé par la crainte de perdre le trésor de la justice, que le tien ne peut l’être par la peur de perdre ton argent. Voilà une crainte pure, une crainte qui subsiste pendant l’éternité. L’amour ne la chasse pas, ne s’en débarrasse pas, loin de là : il s’y attache, au contraire, très-étroitement ; il s’en fait une inséparable compagne. Nous nous sommes approchés de Dieu pour le voir face à face : la crainte pure nous maintient à côté de lui, car au lieu d’apporter en nous le trouble, elle nous affermit. La femme adultère craint de voir revenir son mari : la femme chaste éprouve aussi une crainte, mais c’est la crainte de voir partir son époux. 8. Si vous considérez la tentation sous un point de vue, vous pouvez dire que « Dieu ne tente personne », et si vous la considérez sous un autre aspect, vous pouvez encore dire que « le Seigneur votre Dieu vous tente ». Il en est de même de la crainte : dans un sens, « la crainte n’est pas avec l’amour, mais, l’amour parfait chasse la crainte ». Dans un autre sens, « la crainte du Seigneur est chaste, aussi demeure-t-elle dans les siècles des siècles ». Ainsi, encore, y a-t-il jugement et jugement : sous un rapport, « le Père ne juge personne, mais il a donné tout le jugement au Fils ». Sous un autre, le Sauveur dit : Je ne cherche pas ma gloire : il y a quelqu’un pour la chercher et juger ». 9. Il nous faut maintenant résoudre la difficulté relative au jugement. Tu trouves mentionné dans l’Évangile le jugement pénal : « Celui qui ne croit pas est déjà jugé eu » ; et ailleurs encore : « L’heure vient, où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront la voix du Fils de Dieu ; et ceux qui auront bien fait, en sortiront pour la résurrection de la vie ; mais ceux qui auront mal fait, pour la résurrection du jugement ev ». Vous le voyez le Sauveur a parlé ici du jugement dans le sens de la condamnation et du châtiment. Néanmoins, si ce mot devait être toujours pris dans ce sens, le Psalmiste aurait-il dit : « Jugez-moi, Seigneur ? » Évidemment, jugement signifie, tantôt la condamnation à la peine, tantôt le discernement. Comment signifie-t-il le discernement ? Comme l’explique celui qui a dit : « Seigneur, jugez-moi ». Car, continue à lire et vois ce qui suit. Qu’est-ce à dire : « O Dieu, jugez-moi ? et discernez ma cause de celle d’un peuple impie ew ». Ce que dit le Prophète : « Jugez-moi, Seigneur, et séparez ma cause de celle d’un peuple impie », a le même sens que ce que dit ici le Seigneur Christ : « Je ne cherche pas ma gloire. il y a quelqu’un pour la chercher et juger ». Comment « y a-t-il quelqu’un qui a la cherche et qui juge ? » J’ai un Père qui discerne et sépare ma gloire de la vôtre. Vous vous glorifiez d’une manière mondaine ; moi, je ne me glorifie point par rapport à ce monde, puisque je dis à mon Père : « Père, glorifiez-moi de cette gloire que j’ai eue en vous, avant que le monde fût ex ». Qu’est-ce à dire, « de cette gloire ? » de la gloire opposée à l’orgueil humain. C’est en ce sens que le Père juge. Comment juge-t-il ? Il discerne. Que discerne-t-il ? La gloire de son Fils de celle des hommes : voilà pourquoi il est écrit : « Dieu, votre Dieu, vous a sacré d’une onction de joie qui vous élève au-dessus de tous ceux qui doivent la partager ey ». De ce qu’il s’est fait homme, il ne suit pas qu’il doive nous être comparé. Nous sommes pécheurs, et il est sans péché ; nous avons reçu d’Adam, comme un héritage, la mort et le péché ; une vierge lui a donné son corps mortel, mais ne lui a transmis aucune iniquité. Enfin, nous ne sommes pas venus en ce monde pour l’avoir voulu ; ce n’est pas nous qui donnons des limites à notre existence nous ne mourons pas au gré de nos désirs. Avant de naître, le Christ a choisi sa mère après sa naissance, il s’est fait adorer par les Mages : enfant, il a grandi, et tandis qu’on n’apercevait en lui qu’un homme, il prouvait, par des miracles, qu’il était Dieu. Enfin, il a choisi le genre de sa mort ; ou, en d’autres termes, il a décidé qu’il serait attaché à une croix, et qu’il imprimerait le signe de cette croix sur le front de ses disciples, en sorte que le chrétien pourrait dire : « À Dieu ne a plaise que je me glorifie en autre chose « qu’en la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ ez ». Au moment où il l’a voulu, il a laissé son corps sur la croix, et il s’en est éloigné : à l’heure désignée par lui, il a été déposé dans le sépulcre, et il en est sorti comme de son lit, quand ç’a été son bon plaisir. Ainsi, mes frères, quant à sa forme d’esclave (car y a-t-il un homme capable de répéter, comme elles le mériteraient, ces paroles : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu ; et le Verbe était Dieu ?) », quant à sa forme d’esclave, il y a une grande différence entre la gloire du Christ et celle des autres hommes. C’était de cette gloire qu’il parlait, quand les Juifs prétendaient, devant lui, qu’il était possédé du démon. « Je ne cherche pas ma gloire : il y a quelqu’un pour la chercher et juger ». 10. Mais, Seigneur, que dites-vous de vous-même ? « En vérité, en vérité, je vous le dis si quelqu’un garde ma parole, il ne verra point la mort ». Vous dites : « Tu es possédé du démon ». Moi, je vous appelle à la vie gardez ma parole, et vous ne mourrez pas « Il ne verra jamais la mort ; celui qui garde mes commandements ». Et ils s’irritaient, parce qu’ils étaient déjà devenus les victimes de cette mort qu’il fallait éviter. « Les Juifs lui dirent donc : Maintenant, nous connaissons que tu es possédé du démon : Abraham est mort, et les Prophètes aussi sont morts ; et tu dis : Si quelqu’un garde ma parole, jamais il ne goûtera la mort ». Remarquez l’expression de l’Écriture : « Il ne verra pas », c’est-à-dire, « il ne goûtera pas la mort. Il verra la mort, il goûtera la mort ». Qui est-ce qui, la voit ? Qui est-ce qui la goûte ? Quels yeux, a l’homme pour voir quand il meurt ? Lorsque, par sa venue, la mort nous ferme les yeux pour nous empêcher de voir, comment le Sauveur peut-il dire : « Il ne verra, pas ? » Et encore de quel palais, de quelle gorge, se servir pour goûter la mort, pour en connaître la saveur ? Quand elle ôte tout : sentiment du goût, par quel moyen ressentir ses impressions ? Les mots : « Il verra, il goûtera », sont donc employés ici pour cet autre : « Il expérimentera ». 11. Le Sauveur, qui devait mourir, car suivant l’expression du Psalmiste. « Au Seigneur lui-même la mort était réservée fa ». le Sauveur parlait ainsi à des hommes que je dirais destinés à la mort, si je ne craignais de n’en pas dire assez : il devait mourir, et il adressait ces paroles à des gens qui devaient aussi mourir ; mais pourquoi s’exprimait-il de la sorte : « Celui qui gardera ma parole, ne verra jamais la mort ? » Il avait certainement en vue un autre genre de mort, dont il était venu nous délivrer : c’était une seconde mort, la mort éternelle, la mort de la géhenne, la mort par laquelle on est condamné à aller avec le démon et avec ses anges. Voilà la véritable mort : l’autre n’est qu’un changement de place. Qu’est-ce, en effet, que la mort temporelle ? C’est abandonner le corps, c’est se débarrasser d’un lourd fardeau : pourvu qu’un autre ne pèse point sur nous, et ne nous entraîne pas dans les flammes éternelles ! Le Sauveur avait en vue la seconde mort, quand il disait : « Celui qui gardera mes commandements, ne verra jamais la mort ». 12. Ne nous étonnons point qu’il y ait une pareille mort, redoutons-la plutôt. Ce qu’il y a de pire, c’est que plusieurs en ont été frappés, pour avoir eu, de la mort du temps, une crainte coupable. On a dit à un certain nombre : Adorez les idoles ; si vous ne le faites pas, on vous fera mourir ; ou bien, on s’est exprimé comme autrefois Nabuchodonosor : Si vous ne le faites pas, on vous précipitera dans la fournaise ardente. Beaucoup se sont laissé intimider et se sont prosternés devant les faux dieux ; ils sont morts pour n’avoir pas voulu mourir ; ils ont redouté la mort qu’on ne peut éviter, et par là ils ont subi la mort dont ils auraient pu se garantir. Tu es né homme, tu mourras. Quel chemin suivrais-tu pour ne pas mourir ? Que faire pour ne pas tomber sous les coups de la mort ? Pour te consoler de la nécessité où tu es de mourir, ton Sauveur a daigné mourir volontairement. Et quand tu vois le Christ frappé de mort, tu ne veux pas mourir ? Tu mourras : inutile de chercher les moyens d’échapper à la mort : il n’y en a pas. Aujourd’hui ou demain, il te faudra y passer : c’est une dette, tu la paieras. À quoi peut réussir un homme qui tremble, qui prend la fuite et se, cache pour ne point tomber aux mains d’un ennemi ? Réussit-il à ne pas mourir ? Non seulement, il retarde un peu l’heure de sa mort. On ne lui remet point sa dette ; on ne fait que reculer l’époque du paiement ; mais vous aurez beau en différer le terme, le terme viendra toujours. Craignons ce genre de mort que redoutaient les trois israélites, et dont la pensée les portait à dire au roi : « Dieu peut nous délivrer, même de cette fournaise ; mais, quand il ne le voudrait pas fb ». Cette mort, dont le Sauveur menace ici les Juifs, les trois israélites la craignaient, puisqu’ils ont dit : « Quand même le Seigneur ne voudrait pas nous délivrer ostensiblement, il peut secrètement nous couronner ». Aussi, le Christ qui devait former des martyrs, et devenir martyr lui-même, leur a-t-il adressé cet avertissement : « N’ayez aucune crainte de ceux qui peuvent tuer le corps, mais qui sont incapables d’en faire davantage ». Comment « n’en peuvent-ils faire davantage ? » Lorsqu’on a tué un homme, ne peut-on pas donner son corps à dévorer aux bêtes, ou à déchirer aux oiseaux ? Il semble que la méchanceté est à même d’aller plus loin encore. Contre qui ? Contre celui qui est sorti de cette vie ; son corps est là, mais il est privé de sentiment ; la demeure reste, mais l’habitant est parti. « Ils ne peuvent donc rien faire de plus », désormais ; comment, en effet, faire souffrir celui qui ne sent plus rien ? « Craignez plutôt celui qui a le pouvoir de précipiter le corps et l’âme dans la géhenne du feu fc ». C’était de cette mort que parlait le Christ, quand il disait : « Celui qui gardera mes commandements ne verra jamais la mort ». Mes frères, il nous faut donc garder sa parole dans la foi : nous arriverons à la réalité, quand nous aurons reçu la plénitude de la liberté. 13. Quant à ces hommes, déjà morts et destinés à la mort éternelle, ils s’indignaient, et répondant par des injures, ils disaient : « Nous connaissons maintenant que tu es possédé du démon. Abraham est mort, et les Prophètes aussi sont morts ». Mais ni Abraham ni les Prophètes n’ont succombé à ce genre de mort auquel le Sauveur fait allusion. Ils sont morts et ils vivent : les interlocuteurs de Jésus vivaient, et ils étaient morts. Car voici ce qu’il dit quelque part, en répondant à une difficulté soulevée par les Sadducéens au sujet de la résurrection : « Pour ce qui concerne la résurrection des morts, n’avez-vous pas lu » ces paroles que le Seigneur a adressées à Moïse du milieu du buisson : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, et le Dieu de Jacob ; Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants fd ? » Puisqu’ils vivent, travaillons donc à vivre de telle sorte, ici-bas, que nous méritions de vivre avec eux après notre mort. « Qui prétends-tu être ? » Tu sais qu’Abraham est mort et les Prophètes aussi, et tu oses dire : « Celui qui gardera ma parole, ne verra jamais la mort ! ». 14. « Jésus répondit : Si je me glorifie moi-même, ma gloire n’est rien ; c’est mon Père qui me glorifie ». Voilà sa réponse à cette parole des Juifs : « Qui prétends-tu être ? » Il rapporte sa gloire au Père, de qui il tient sa divinité. Les Ariens se sont parfois servis même de cette parole pour attaquer notre foi, et nous dire : Puisque le Père glorifie le Fils, il est évident qu’il lui est supérieur. Hérétique, n’as-tu pas lu aussi les paroles par lesquelles le Fils atteste qu’il glorifie lui-même le Père fe ? Puisque le Père glorifie le Fils, et que le Fils glorifie le Père, ne sois donc plus opiniâtre, reconnais leur égalité parfaite, corrige-toi de ta méchanceté. 15. « C’est donc mon Père qui me glorifie ; c’est celui de qui vous dites : Il est notre Dieu, et que vous ne connaissez pas ». Voyez, mes frères, comment le Sauveur démontre que le Dieu prêché aux Juifs eux-mêmes est le Père du, Christ. Je dis ceci, parce qu’il s’est aussi rencontré des hérétiques dont l’opinion est que le Dieu mentionné dans l’Ancien Testament n’est pas le Père du Christ : suivant eux, son Père était je ne sais quel chef des mauvais anges. Cette erreur est soutenue par les Manichéens et les Marcionites : avec eux se trouvent sans doute encore d’autres hérétiques ; il est inutile de les nommer : j’aurais, d’ailleurs, trop à faire pour les énumérer tous dans ce discours quoi qu’il en soit, l’erreur dont nous parlons a été soutenue par un assez grand nombre. Prêtez-moi donc votre attention, afin d’apprendre à leur répondre. Le Seigneur Christ déclare que celui qu’ils reconnaissent pour leur Dieu est son Père : ils le reconnaissent pour leur Dieu, et pourtant ils ne le connaissent pas : s’ils l’avaient connu, ils auraient reçu son Fils. « Moi, je le connais ». Pour des hommes qui jugeaient de tout avec des idées charnelles, le Sauveur pouvait leur sembler singulièrement orgueilleux, en leur disant : « Moi, je le connais ». Mais voyez ce qui suit : « Si je disais que je ne le connais pas, je serais semblable à vous, je serais menteur ». On ne doit donc pas éviter les apparences de l’orgueil, au point de taire la vérité. « Mais je le connais, et je garde sa parole ». En tant que Fils de Dieu, il parlait le langage de son Père : il était le Verbe du Père, qui parlait aux hommes. 16. « Abraham, votre Père, a tressailli de joie dans l’espérance de voir mon jour : il l’a vu et s’en est réjoui ». Magnifique témoignage rendu à Abraham par son descendant, par son Créateur ! « Abraham », dit le Christ, « a tressailli de joie dans l’espérance de voir mon jour » : il n’a pas eu peur de le voir, « il a tressailli de joie dans l’espérance de le contempler », car en lui se trouvait l’amour qui chasse la crainte ff. Le Sauveur ne dit point : Il s’est réjoui de l’avoir vu ; mais : « Il s’est réjoui dans l’espérance de le voir ». Il croyait, et il a tressailli dans l’espérance de le voir par les yeux de l’esprit. « Il l’a vu ». Que pouvait, que devait dire de plus Notre-Seigneur Jésus-Christ ? « Il l’a vu et il s’est réjoui ». Mes frères, où est l’homme capable de nous dépeindre cette joie ? Si les aveugles, auxquels le Sauveur a rendu la vue, ont ressenti une vive joie, combien plus vive a dû être la joie d’Abraham, quand, avec les yeux de l’esprit, il a contemplé la lumière ineffable de Dieu, le Verbe éternel, la splendeur qui brille aux regards des âmes pieuses, l’indéfectible sagesse, le Dieu qui demeure dans le Père, le Dieu destiné à venir un jour ici-bas revêtu de notre chair, sans quitter le sein du Père ? Abraham a vu tout cela. Car ces paroles, « mon jour », on ne sait si le Sauveur les a prononcées pour indiquer le temps de sa venue en cette vie mortelle, ou pour désigner ce jour éternel qui n’a ni commencement ni fin. Pour moi, je ne saurais douter que le patriarche Abraham a tout vu. Où en trouver la preuve ? Le témoignage de Notre-Seigneur Jésus-Christ doit-il nous suffire ? Supposons qu’en raison de la difficulté de le faire, il nous est impossible de trouver une preuve manifeste de l’allégresse qu’Abraham a ressentie dans l’espérance de voir le jour du Christ, de la vue et de la joie qu’il en a eues. Mais de ce que nous ne trouvons pas cette preuve, s’ensuit-il que la Vérité puisse mentir ? Croyons à la vérité, et ne doutons en rien des mérites d’Abraham. Néanmoins, voici un fait qui me revient en mémoire ; écoutez-le Quand Abraham envoya son serviteur chercher une épouse à son fils Isaac, il lui fit faire le serment d’accomplir fidèlement sa mission, et de s’instruire parfaitement de ce qu’il ferait ; c’était, en effet, chose extrêmement importante que procurer une femme au descendant d’Abraham : il voulut donc faire connaître à son serviteur sa pensée intime : ce n’était point dans des vues charnelles qu’il désirait des petits enfants : il n’attendait de sa race future rien de mondain ; il adressa donc ces paroles à son envoyé : « Place ta main sous ma cuisse, et jure par le Dieu du ciel fg ». Quel rapport y avait-il entre le Dieu du ciel et la cuisse d’Abraham ? Vous saisissez déjà le mystère : la cuisse d’Abraham représentait sa race. Alors, le jurement ne signifiait rien autre chose que la venue en ce monde du Dieu du ciel, et sa descendance d’Abraham selon la chair. Plusieurs font à Abraham un reproche d’avoir dit : « Place ta main sous ma cuisse ». Ceux qui ne peuvent supporter l’idée d’un Dieu fait homme condamnent la conduite d’Abraham. Quant à nous, mes frères, si nous reconnaissons le corps du Christ comme digne de notre respect, ne blâmons pas Abraham d’avoir parlé de sa cuisse, et voyons dans ses paroles une véritable prophétie : car Abraham était un prophète. Et qui annonçait-il ? Son descendant et son Seigneur. Il a annoncé son descendant par ces mots : « Place ta main sous ma cuisse », et son Seigneur par ces autres : « Et jure par le Dieu, du ciel ». 17. Transportés de colère, les Juifs répondirent : « Tu n’as pas encore cinquante ans, et tu as vu Abraham ? Et le Sauveur leur dit : « Avant qu’Abraham fût fait, je suis ». Pèse ces paroles ; apprends le mystère qu’elles renferment : « Avant qu’Abraham fût fait ». Remarque-le : « Fût fait » se rapporte à une créature humaine ; « je suis », à la substance divine. « Fût fait », parce qu’Abraham était une créature. Le Sauveur n’a pas dit : Avant qu’Abraham fût, j’étais ; mais, « avant qu’Abraham qui n’aurait pas existé sans moi, fût fait, je suis ». Il n’a pas dit non plus : Avant qu’Abraham fût fait, j’ai été fait ; car, « dans le Principe, Dieu a fait le ciel et la terre fh ». D’ailleurs, « au commencement était le Verbe fi ». « Avant qu’Abraham fût fait, je suis ». Reconnaissez le créateur ; distinguez-en la créature. Celui qui parlait filait devenu le descendant d’Abraham ; et il était avant ce patriarche pour le créer. 18. Les Juifs furent encore plus profondément blessés de ces paroles ; c’était pour eux comme un reproche sanglant venu d’Abraham lui-même. Il leur sembla donc que le Seigneur Christ avait blasphémé, puisqu’il leur avait dit : « Avant qu’Abraham fût fait, je suis. Aussi prirent-ils des pierres pour les lui jeter ». À quoi pourrait avoir recours une telle dureté, sinon à la dureté de la pierre ? « Mais Jésus », c’est-à-dire, Jésus en tant qu’homme, en tant que revêtu de la forme d’esclave, humble, réservé à souffrir, à mourir, et à nous racheter au prix de son sang ; et non pas Jésus, en tant qu’il était celui qui est Verbe dans le principe et Verbe chez Dieu. En effet, lorsque ses interlocuteurs prirent des pierres pour les lui jeter, y avait-il grande difficulté à ce que la terre s’entrouvrît pour les engloutir, et qu’au lieu de pierres, ils rencontrassent les enfers ? C’était chose facile pour Dieu ; mais il aimait mieux nous donner un exemple de patience qu’une preuve de sa puissance. « Il se cacha » donc, pour ne pas être lapidé. Comme homme, il se déroba à leurs pierres ; mais malheur à ceux dont Dieu s’écarte parce que leurs cœurs sont de pierre !
Copyright information for
FreAug