‏ Judges 11

XLIX. (Ib. XI.) Du vœu de Jephté. – 1. C’est une question considérable, extrêmement difficile à résoudre que celle de la fille de Jephté, offerte à Dieu en holocauste par son père. Dans la guerre, Jephté avait fait vœu, s’il obtenait la victoire, d’offrir en holocauste le premier venu qui, sortant de la maison, se présenterait à sa rencontre. Ce vœu émis, Jephté fut vainqueur ; sa fille se présenta à sa rencontre ; il exécuta son vœu. Comment faut-il entendre ceci ? Les uns désirant le savoir, le cherchent avec soumission : d’autres, par une piété ignorante et ennemie de nos saintes Écritures, s’appuient principalement sur ce fait, criminel à leurs yeux, pour accuser le Dieu de la Loi et des Prophètes d’avoir pris goût aux sacrifices humains eux-mêmes. Aux attaques calomnieuses de ces derniers nous répondons d’abord que le Dieu de la Loi et des Prophètes, et pour parler plus explicitement, que le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob n’a point mis sa complaisance dans les sacrifices où l’on offrait les animaux en holocauste. Figures et ombres des choses futures, ces sacrifices avaient pour objet de rendre vénérable à nos yeux la réalité des mystères dont ils étaient le symbole. L’utilité de leur changement est manifeste : ils ont dû cesser d’être obligatoires et même être défendus, de peur qu’on n’imaginât que Dieu trouvait à ces sortes d’offrandes un plaisir grossier et tout charnel.

2. Mais a-t-il fallu que la réalité des mystères de l’avenir fût symbolisée par des sacrifices humains ? On le demande avec raison. Ce n’est pas que l’immolation, pour ce motif, de victimes humaines, destinées en tout cas à la mort, devrait nous inspirer de l’horreur et de l’effroi, si ces victimes volontairement dévouées eussent été agréées de Dieu pour recevoir une éternelle récompense. Mais si cela était ainsi, de tels sacrifices ne déplairaient point au Seigneur ; or, l’Écriture atteste avec assez d’évidence, que ces offrandes lui sont odieuses. Dieu veut et prescrit que tous les premiers-nés lui soient consacrés et lui appartiennent ; il ordonne cependant qu’on rachète les premiers-nés des hommes a, de peur qu’on ne croie qu’il faille les lui immoler. Pour montrer plus ouvertement que de pareils holocaustes lui déplaisent, il les proscrit, témoigne l’horreur qu’ils lui inspirent chez les nations étrangères, et défend à son peuple d’oser suivre de tels exemples. « Si le Seigneur ton Dieu extermine les nations chez lesquelles tu vas pénétrer pour occuper le pays qu’ils habitent sous tes yeux, si tu les soumets, si tu occupes leur pays ; sois attentif sur toi-même, ne cherche pas à les imiter, après qu’ils auront été exterminés de devant ta face ; ne recherche pas leurs dieux, disant : Comme les nations se conduisent envers leurs dieux, je me conduirai moi-même ; tu ne feras pas ainsi envers le Seigneur ton Dieu. Car les abominations que le Seigneur hait, ils les ont faites pour leurs dieux, ils brûlent dans le feu leurs fils et leurs filles, en l’honneur de leurs dieux b. »

3. Peut-on démontrer plus évidemment qu’on le fait par ces témoignages de la Sainte Écriture sans parler des autres du même genre, que Dieu, dont le genre humain a reçu le don de l’Écriture, non-seulement ne se plaît pas aux sacrifices humains, mais qu’il les a en horreur ? Il aime, à la vérité, il couronne les victimes humaines, quand le juste, souffrant par les mains de l’iniquité, comtat jusqu’à la mort pour la vérité quand des ennemis qu’il a offensés pour la justice versent son sang, et qu’il leur rend le bien pour le mal, l’amour pour la haine. C’est là le sang du juste répandu, depuis le sang d’Abel jusqu’au sang de Zacharie, dont parle Notre-Seigneur c. Ce que Dieu agrée surtout, c’est le sang que Jésus à lui-même versé pour nous, le sacrifice par lequel il s’est offert lui-même à la Divinité. Il s’est offert ; mais ses ennemis le mirent à mort, pour la justice. À son exemple des milliers de martyrs ont combattu jusqu’à la mort pour la vérité, et ont été immolés parla cruauté de leurs ennemis. Parlant d’eux, l’Écriture dit « Il les a éprouvés, comme l’or dans la fournaise ; il les a agréés, comme l’hostie de l’holocauste d. » De là ce cri, de l’Apôtre : « Déjà je suis moi-même immolé e. »

4. Mais ce n’est point de cette manière que Jephté offrit sa fille en holocauste au Seigneur. Il l’offrit suivant le rite prescrit pour les sacrifices d’animaux, interdit par rapport aux hommes. Ce qui paraît ressembler davantage à cette action, c’est ce que fit Abraham d’après un commandement spécial du Seigneur f ; car jamais le Seigneur n’a prescrit de tels sacrifices par une loi générale, et même il les a absolument défendus. Mais entre la conduite de Jephté et celle d’Abraham il y a cette différence, que celui-ci offrit son fils, sur un ordre reçu, et que Jephté sans avoir eu de commandement spécial, fit ce qui était défendu par la Loi. Du reste, Dieu fit voir que de pareilles offrandes ne lui agréaient point, non-seulement par la Loi, dans la suite ; mais au moment même du sacrifice d’Abraham ; car après avoir mis à l’épreuve, par son commandement, la foi du père, il l’empêcha de mettre à mort son fils, et substitua un bélier, afin que le sacrifice fût accompli légitimement suivant la coutume des anciens, convenable pour cette époque.

5. Mais, puisque de telles offrandes ne peuvent être légitimement présentées au Seigneur, comment, dira-t-on ; Abraham a-t-il pu croire religieusement se rendre, par là, agréable à Dieu ? Jephté pour la même raison, n’a-t-il pas pu très-légitimement penser qu’un pareil sacrifice lui serait agréable ? Il faut considérer qu’autre chose est d’obéir à un commandement que l’on reçoit, autre chose, de s’engager spontanément par un vœu. Si le serviteur, à qui son maître à prescrit quelque chose qui s’écarte de l’ordre habituel de la maison, mérite des éloges par son obéissance, cela ne veut pas dire qu’en faisant les mêmes choses de son propre mouvement et sur une téméraire présomption, il ne serait pas digne de châtiment. Abraham du reste se croyant obligé d’immoler son fils pour obéir à l’ordre de Dieu, pouvait en même temps penser que de semblables victimes ne lui étaient pas agréables et qu’il avait commandé ce sacrifice pour ressusciter la victime, et faire éclater ainsi sa sagesse. C’est en effet ce qui est dit d’Abraham dans l’Épître aux Hébreux : sa foi est louée, parce qu’il a cru que Dieu pouvait ressusciter son fils g. Quant àJéphté il a de lui-même voué un sacrifice humain, sans que Dieu l’ait commandé, ni demandé, et contrairement à son légitime précepte. Il est écrit en effet : « Jephté fit un vœu au Seigneur, et dit : « Si vous livrez en mes mains les enfants d’Ammon, quiconque sortira des portes de ma maison à ma rencontre, au retour du triomphe sur les enfants d’Ammon, celui-là je l’offrirai au Seigneur en holocauste. »

6. Ce qui est voué par ces paroles, assurément ce n’est pas un des animaux qui pouvaient, suivant la Loi, être offerts en holocauste au Seigneur. L’usage n’est point et n’a jamais été que les animaux viennent au-devant des capitaines victorieux, à leur retour de la guerre. Parmi les animaux, les chiens courent au-devant de leurs maîtres pour les caresser et les flatter : mais Jephté ne pouvait en faisant son vœu les avoir en vue : il eût paru faire outrage à Dieu en lui dévouant ce qui était, non-seulement illicite, mais méprisable et impur suivant la Loi. Il ne dit point d’ailleurs : Tout ce qui sortira des portes de ma maison je l’offrirai en holocauste, mais : « Quiconque sortira je l’offrirai ; » ce qui montre, sans aucun doute, que dans son esprit il est exclusivement question d’une personne humaine, quoique non pas peut-être de sa fille unique ; et toutefois qui pouvait la devancer pour aller à la rencontre d’un père couvert de tant de gloire ? Qui ? si ce n’est peut-être une épouse ? Il n’importe, en effet, qu’il ait dit, employant le genre masculin : « Quiconque, quicumque, sortira des portes de ma maison » au lieu de : celle qui ; l’Écriture à l’usage de se servir du genre masculin pour désigner les deux sexes : c’est ainsi qu’il est dit d’Abraham : « se levant d’auprès du mort h » bien qu’il soit question de la mort de sa femme.

7. L’Écriture paraît éviter de porter un jugement sur ce vœu et son accomplissement. Elle juge très-ouvertement le sacrifice d’obéissance d’Abraham ; mais pour le fait de Jephté, elle se borne à le rapporter, laissant aux lecteurs à l’apprécier. C’est ainsi qu’elle raconte sans blâme n approbation l’action de Juda, fils de Jacob, ayant commerce avec sa bru sans la connaître i, ce qui fut seulement de sa part une fornication, parce qu’il prenait cette femme pour une prostituée elle laisse ainsi le jugement de cet acte à la conscience éclairée par la justice et la loi de Dieu. Or, dès là que l’Écriture ne juge pas le fait de Jephté, ni dans un sens, ni dans l’autre, mais en laisse l’appréciation à l’exercice de notre intelligence, nous pourrions déjà dire que ce vœu a déplu à Dieu, qui permit pour punir Jephté que sa propre fille unique vint la première au-devant de son père. Celui-ci, en effet, s’il avait compté sur cette rencontre, et qu’elle eût été dans son intention, n’aurait point déchiré ses vêtements à la vue de son enfant, et ne se serait point écrié : « Malheureux que je suis ! hélas ! Ma fille, vous êtes devenue un piège pour moi ; votre présence à mes yeux fait mon malheur. » Ajoutez qu’un long délai de soixante jours fut laissé à cette fille unique, si chérie, et que Dieu n’empêcha point le malheureux père de l’immoler, comme il avait empêché Abraham, mais qu’il le laissa accomplir son vœu, et se frapper lui-même par cette perte douloureuse, sans que cette immolation d’une créature humaine pût apaiser le Seigneur ; ainsi ce père fut châtié, et l’exemple de pareils vœux ne resta pas impuni, pour que les hommes apprennent que de vouer à Dieu comme victimes, leurs semblables, et ce qui est plus horrible, leurs enfants, c’est un vœu extrêmement grave, et aussi pour montrer que de tels vœux n’étaient point sincères, mais plutôt simulés, puisque leurs auteurs, appuyés sur l’exemple d’Abraham, espéraient que Dieu en empêcherait l’accomplissement.

8. Voilà ce que nous pourrions dire, si notre conviction n’était ébranlée par deux témoignages surtout des saintes Écritures, ce qui exige qu’un fait de cette gravité, rapporté dans des livres d’une autorité si grande, soit examiné avec l’aide de Dieu, plus soigneusement encore et plus attentivement, de peur qu’on ne juge avec témérité dans un sens ou dans un autre. Dans l’Épître aux Hébreux, Jephté est compté au rang des saints personnages, ce qui doit nous faire appréhender d’incriminer sa conduite. Nous lisons « Que dirai-je encore ? Le temps me manque pour raconter ce qu’ont fait Gédéon, Barac, Samson, et Jephté, et David, et Samuel, et les Prophètes ; par la foi ils ont triomphé des royaumes ; opérant la justice, ils ont obtenu les promesses j. » Voilà le premier témoignage voici le second : quand l’Écriture raconte le vœu de Jephté et son accomplissement, elle fait précéder ce récit des paroles suivantes : « Et l’Esprit du Seigneur fut sur Jephté ; et il passa à travers Galaad et Manassé, il traversa les grottes de Galaad, et des grottes de Galaad il alla au-delà des fils d’Ammon, et Jephté fit vœu au Seigneur » et le reste qui concerne ce vœu. Par où il semble que tout ce que fit Jephté, après que l’Esprit du Seigneur fut sur lui, est l’œuvre de ce même Esprit. Car deux témoignages nous obligent à rechercher quelle fut la cause du fait en question, plutôt que de le condamner précipitamment.

6. Premièrement, quant au passage de l’Épître aux Hébreux que j’ai rapporté ; ce n’est pas seulement Jephté qui est mis au rang des personnages dignes d’éloge, mais encore Gédéon, dont l’Écriture dit pareillement : « L’Esprit du Seigneur fortifia Gédéon k ; » et cependant nous ne pouvons pas l’approuver et même nous devons le blâmer sans hésitation, puisque l’Écriture s’explique très-ouvertement là-dessus, d’avoir fabriqué, avec l’or du butin un éphod qui fit tomber Israël dans la fornication de l’idolâtrie, et qui devint un scandale pour sa maison l. On ne fait point injure pour cela au Saint-Esprit qui lui donna la force de dompter si facilement les ennemis de son peuple. Pourquoi donc est-il mis au rang de ceux « qui, par la foi ont dompté les royaumes, opérant la justice » sinon, parce que l’Écriture sainte en donnant à la foi et a la justice de certains hommes des éloges mérités, n’a point pour cela perdu le droit de signaler également leurs fautes avec vérité, si elle en reconnaît quelques-unes, et qu’elle croie nécessaire de les signaler ? Je ne sais pas, en effet, si ce même Gédéon en demandant un prodige, quand il fit, selon ses propres paroles, l’épreuve de la toison m, ne pécha, point, contre le précepte : « Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu n ; » cependant, même dans cette tentative, le Seigneur découvrit des mystères qu’il voulait faire connaître à l’avance, ainsi, la toison mouillée, quand l’aire était entièrement sèche à l’entour, figurait l’ancien peuple d’Israël où étaient les saints inondés de la grâce céleste comme d’une pluie spirituelle ; l’aire mouillée ensuite, quand la toison était sèche, figurait l’Église répandue par toute la terre, et possédant la grâce céleste non plus enveloppée, comme dans la toison, mais à découvert, tandis que le peuple ancien privé de la rosée de cette même grâce était, pour ainsi dire, desséché. Ce n’est point sans raison néanmoins que l’Épître aux Hébreux met Gédéon au nombre des hommes fidèles et opérant la justice : sa vie fidèle et vertueuse, et, sans doute aussi, sa sainte mort lui ont mérité cet éloge.

10. Parce qu’il est écrit : « L’Esprit du Seigneur, fut sur Jephté », faut-il attribuer à l’Esprit du Seigneur tout ce qui arriva, ensuite, le vœu de Jephté, la victoire qu’il remporta, l’exécution de son vœu, et regarder même ce sacrifice comme prescrit par Dieu à l’exemple de celui d’Abraham ? Je n’oserais le dire. Il est vrai qu’on peut signaler une différence entre sa conduite et celle de Gédéon. Quand Gédéon eut péché en faisant un éphod qui entraîna tout le peuple dans la prévarication, l’Écriture ne mentionne plus aucun succès obtenu par ses arrhes ; quand Jephté, au contraire, eut fait vœu, il remporta une insigne victoire : il avait fait vœu pour l’obtenir ; l’ayant obtenue il accomplit son vœu. Remarquons cependant que Gédéon aussi délivra son peuple par une grande victoire, accompagnée d’un affreux carnage de.l'ennemi ; non sans doute après avoir fait l’éphod, mais après avoir tenté le Seigneur, ce qui est assurément un péché. – Nous lisons, en effet : « Et Gédéon dit au Seigneur : Que votre indignation ne s’allume pas contre moi, je parlerai encore une fois, et une fois encore je ferai une épreuve sur la toison, etc. » Il craignait la colère de Dieu, parce qu’il savait qu’en faisant une épreuve, il péchait, Dieu ayant défendu cela très-clairement dans la Loi. Cette faute cependant fut suivie d’un prodige éclatant, et significatif d’une grande victoire et de la délivrance du peuple. C’est que Dieu avait résolu de venir en aide à son peuple affligé, faisant également servir a ses desseins, soit pour figurer l’avenir, soit pour accomplir sa parole, la fidélité et la religion, les fautes et les défaillances du chef qu’il avait choisi pour l’exécution de l’entreprise.

11. Ce n’est pas seulement, en effet, par ceux qui sont comptés, malgré leurs péchés, au nombre des justes, que Dieu agit en faveur de son peuple. Il employa de la sorte Saül, Saül même, entièrement rejeté. L’Esprit de Dieu tomba sur Saül, et celui-ci prophétisa ; non quand il agissait suivant la justice, mais lorsqu’il.persécutaitDavid, un innocent, un saint o. L’Esprit du Seigneur agit pour l’exécution des desseins qu’il a conçus et arrêtés, employant les bons et les méchants, des instruments éclairés et des instruments aveugles. Caïphe, persécuteur violent du Christ, fit, ignorant ce qu’il disait, cette prophétie remarquable, qu’il fallait que le Christ mourût pour la nation p. Quand Gédéon voulut tenter le Seigneur, et ne crut pas, malgré la parole de Dieu, qu’il délivrerait son peuple, n’était-ce point l’Esprit du Seigneur qui, dans le dessein d’annoncer l’avenir, inspira, à ce juge d’Israël l’idée de la toison d’abord mouillée, puis sèche, et de l’aire, d’abord sèche, puis arrosée ? Que sa foi ait éprouvé une défaillance, c’est le fait de l’infirmité de l’homme, c’est sa faute ; mais que Dieu ait fait servir cette faiblesse pour annoncer au genre humain ce qu’il fallait lui révéler, c’est l’œuvre, nous devons le comprendre, de sa miséricorde, de son admirable Providence.

12. Si quelqu’un dit que Gédeon, en tout ceci, a parlé et agi avec une pleine science, par une révélation prophétique, comme instrument de la manifestation des signes de l’avenir, que sa foi n’a point défailli, qu’il a cru à ce que le Seigneur lui avait promis déjà, que l’épreuve de la toison était pour lui une action prophétique, exempte de faute, par la même, comme le stratagème de Jacob q ; qu’en disant à Dieu : « Que votre indignation ne s’allume pas contre moi » il n’était point dominé par la crainte de la colère divine, mais rempli de la confiance que le Seigneur ne s’irriterait point, sentant qu’il agissait comme prophète sous l’inspiration de son Esprit ; je ne m’y oppose pas. Mais, quant au fait de l’éphod que l’Écriture elle-même a condamné, qu’on n’entreprenne pas, quelle qu’en soit la signification mystérieuse, de l’excuser de péché. Lorsque, par son ordre, trois-cents hommes, (ce nombre même est un signe symbolique de la croix,) prirent des vases d’argile, dans lesquels des torches ardentes furent renfermées, et qu’ayant tout-à-coup brisé ces vases, la lumière brillante de tous ces flambeaux jeta l’épouvante dans la multitude innombrable des ennemis r, Gédéon parait avoir agi de son propre mouvement, car l’Écriture ne dit point que le Seigneur le lui ait conseillé. Cependant cette action était grandement prophétique ; qui en avait inspiré le dessein à Gédéon, si ce n’est Dieu ? Dieu figurait à l’avance ses saints qui porteraient le trésor de la lumière évangélique dans des vases d’argile, selon cette parole de l’Apôtre« Nous portons ce trésor dans des vases d’argile s. » Ces vaisseaux étant brisés par le martyre, leur gloire parut avec plus d’éclat, et par eux la lumière soudaine de Jésus-Christ vainquit les adversaires impies de la prédication de l’Évangile.

13. L’Esprit du Seigneur, dans les temps prophétiques, symbolisa donc et prédit les choses futures, soit par des hommes qui connaissaient ses desseins, soit par des hommes qui les ignoraient. Les fautes commises par ces hommes n’en étaient pas moins des fautes, quoique Dieu, qui de nos maux sait tirer le bien, s’en fût servi pour signifier ce qu’il voulait. Si le sacrifice d’une victime humaine quelconque, ou même d’un enfant par son père, si un tel sacrifice voué ou accompli n’était point un péché parce qu’il aurait une haute signification spirituelle, ce serait en vain que Dieu aurait défendu de pareilles offrandes et témoigné l’horreur qu’il en éprouve ; car les sacrifices qu’il a ordonnés ont aussi assûrement une signification spirituelle et figurent de grands mystères. Pourquoi donc ceux-là seraient-ils interdits, quand la même signification spirituelle qui autorise ceux-ci pourrait également rendre les autres légitimes ? Pourquoi ? Sinon parce que les sacrifices humains, fussent-ils figuré de ce qu’il convient de croire, déplaisent à Dieu, quand l’homme est immolé pour l’homme comme une hostie de choix, ainsi qu’on immole les animaux, quand ce ne sont pas des ennemis qui mettent à mort l’homme juste pour le punir de ce qu’il veut vivre suivant la, justice ; ou refuse de pécher.

14. On dira que les victimes d’animaux étant d’un lisage quotidien, les hommes spirituels en comprenaient, sans doute, la signification mystique, mais que la coutume rendait les esprits moins attentifs à la recherche du grand mystère du Christ et de l’Église ; et que Dieu pour réveiller par quelque chose d’extraordinaire et d’imprévu, les âmes endormies, voulut qu’un sacrifice humain lui fût offert, précisément parce qu’il avait jusque-là défendu ces sortes de sacrifices ; de la sorte, l’étonnement devait faire naître une grande question, laquelle provoquerait les âmes religieuses à sonder avec zèle un grand mystère : enfin l’esprit humain, scrutant les mystères de la prophétie, tirerait des profondeurs de l’Écriture, comme du fond de la mer, avec l’hameçon, le poisson divin, Jésus-Christ Notre-Seigneur. À ces raisons, à ces considérations, nous n’objecterons rien. Mais autre est la question de la conscience de l’homme qui fit ce vœu, autre celle de la Providence de Dieu tirant de cet acte humain, quelle qu’en soit la valeur morale, un bien de premier ordre. Si l’Esprit du Seigneur qui fut sur Jephté, lui prescrivit absolument ce vœu, ce que l’Écriture ne nous dit pas ; si Celui-là dont il n’est pas permis de mépriser les ordres, en fit un commandement, il n’y a plus alors un acte de folie à flétrir, mais un acte d’obéissance à louer. Que l’homme attente même sur sa vie ; s’il agit de sa propre autorité, par inspiration personnelle, c’est un crime ; mais s’il a reçu un ordre de Dieu, cet homme obéit, il n’est plus criminel. Nous avons suffisamment discuté cette question au premier livre de la Cité de Dieu . Si par une erreur humaine, Jephté a pensé devoir vouer un sacrifice humain, sa faute a été justement punie dans la personne de sa fille unique ; lui-même nous le montre suffisamment quand il déchire ses vêtements et s’écrie : « Malheureux que je suis ! hélas ! Ma fille, vous êtes devenue un piège pour moi ; votre présence à mes yeux fait mon malheur. » Son erreur toutefois eut un certain mérite de foi religieuse : ce fut la crainte de Dieu qui lui fit accomplir son vœu, et ne lui permit pas de se soustraire à l’arrêt que la justice divine avait porté contre lui, soit qu’il espérât que Dieu empêcherait son sacrifice comme celui d’Abraham ; soit qu’il fût résolu d’obéir à la volonté divine, au lieu de la mépriser, si elle se manifestait, en n’arrêtant pas son bras.

15. On peut, il est vrai, demander avec raison, s’il n’est pas plus vraisemblable que Dieu ne voulait point un pareil sacrifice, et si on ne lui aurait pas mieux obéi en ne l’offrant point, après qu’il avait manifesté sa volonté à cet égard et dans le sacrifice d’Isaac, et dans la défense formelle de la Loi. Mais si Jephté n’avait pas immolé sa fille unique, il aurait plutôt paru s’épargner lui-même, que suivre la volonté de Dieu. Sa fille venant à sa rencontre, il reconnut dans ce fait la main d’un Dieu vengeur, et se soumit avec fidélité à un juste châtiment, craignant d’en encourir un plus rigoureux, s’il essayait de l’éluder. Il croyait aussi que sa fille étant vertueuse et vierge, son immolation serait agréée, parce qu’elle ne s’était point vouée elle-même pour être immolée, mais qu’elle s’était soumise au vœu et à la volonté de son père, et qu’elle avait obéi au jugement de Dieu. Car s’il n’est permis à personne de se donner la mort à soi-même, ou de la donner à autrui de son propre mouvement ; quand Dieu l’envoie, Dieu qui a voulu nous y soumettre tous, il ne faut pas la refuser. Quiconque d’ailleurs se défend contre elle, travaille à la retarder, non à l’éviter absolument. Mais je me hâte ; ce que j’ai dit me paraît suffisant sur le point de cette question que j’ai discuté dans tous les sens.

16. Recherchons maintenant avec l’aide de Dieu, et considérons brièvement ce que l’Esprit du Seigneur a prophétiquement figuré dans cet événement, soit que Jephté ait connu ce mystère, soit qu’il l’ait ignoré, soit qu’il ait agi par témérité, ou par obéissance, avec offense de Dieu, ou avec foi. Dans cet endroit des Saintes Écritures nous sommes excités et comme pressés de reporter notre pensée sur quelque personnage d’une grande puissance. Tel est Jephté, dont le nom signifie : Celui qui ouvre. Or, Notre-Seigneur Jésus-Christ, comme l’indique l’Évangile, « ouvrit le sens » à ses disciples, « afin qu’ils comprissent les Écritures u. » Jephté fut rejeté par ses frères qui le chassèrent de la maison paternelle, lui reprochant d’être le fils d’une concubine, tandis qu’ils étaient, eux, les enfants de l’épouse légitime. Ainsi agirent contre Notre-Seigneur les princes des prêtres, les Scribes, et les Pharisiens qui se glorifiaient de l’observance de la Loi, tandis que Notre-Seigneur aurait violé la Loi, et n’aurait point été, par conséquent, un fils légitime. Il est né sans doute de la Sainte Vierge, les fidèles ne l’ignorent pas ; comme membre de la nation cependant, on peut dire que la synagogue Judaïque est sa mère. Que l’on parcoure les livres Prophétiques, et l’on verra combien de fois, et en quels termes sévères et indignés, le Seigneur reproche à cette nation, comme à une femme impudique, ses fornications. Nous venons de le voir dans ce livre même, soit quand il est dit qu’Israël s’est livré à la fornication, après que Gédéon eut fait un éphod, soit quand il est dit qu’ils suivirent les dieux des nations qui les entouraient. C’est pour cela que la colère divine s’est allumée contre eux, et que pendant dix-huit ans ils ont été écrasés par les enfants d’Ammon v. Mais n’étaient-ils pas eux-mêmes de cette nation d’Israël, ces prêtres, ces Scribes, ces Pharisiens figurés, disions-nous, dans ceux qui chassèrent Jephté et le persécutèrent comme enfant illégitime ; ce qu’ils firent, eux aussi, contre Notre-Seigneur Jésus-Christ. La vérité de la figure consiste en ce que les Pharisiens ont cru chasser justement, eux les observateurs de la Loi, Celui qui paraissait ne point observer la Loi, comme les enfants légitimes chassent un enfant illégitime. La fornication dont le peuple d’Israël est accusé consistait, en effet, à ne point observer les préceptes de la Loi, et à violer la fidélité promise à Dieu comme à un époux.

17. Il est écrit de Jephté : « Et les fils de l’épouse grandirent et ils chassèrent Jephté. » Cette parole : « grandirent » signifie au sens figuré prévalurent : elle reçut son accomplissement en la personne des Juifs qui prévalurent sur l’infirmité du Christ lui-même le voulant ainsi, afin d’endurer ce qu’il devait souffrir de leur part. C’est ainsi qu’en figure du même mystère, Jacob triompha dans sa lutte prophétique contre un ange w. Les frères de Jephté lui dirent donc : « Tu n’auras pas d’héritage dans la maison de notre « père, car tu es un enfant de fornication. » Les Juifs aussi dirent, comme on le voit dans l’Évangile : « Non, cet homme qui viole ainsi le sabbat, n’est point de Dieu x » se vantant eux-mêmes d’être les fils légitimes : « Nous ne sommes pas nés de la fornication, disent-ils à Notre-Seigneur, nous n’avons qu’un seul père, c’est Dieu y. — Et Jephté s’enfuit de la présence de ses frères et il habita dans la terre de Tob. » Le Christ s’enfuit, car il se cacha, dérobant sa grandeur ; il s’enfuit, car ses bourreaux ne le connurent point : « S’ils l’avaient connu, jamais ils n’auraient crucifié le Seigneur de la gloire z. » Il s’enfuit, car ses ennemis virent sa faiblesse dans la mort, et ils ne furent pas témoins de sa puissance dans la résurrection. Il habita dans une terre heureuse, ou, pour être plus précis, dans une terre excellente ; car tel est le sens de l’expression grecque ὰγατὸν en hébreu : Tob. Ceci me paraît désigner la résurrection du Christ d’entre les morts. Quelle terre plus heureuse qu’un corps terrestre devenu incorruptible, revêtu de la gloire de l’immortalité ?

18. Quand Jephté eut fui la présence de ses frères et fixé sa demeure dans la terre de Tob, il est dit que des brigands se réunirent autour de lui, marchant à ses côtés. On reprochait déjà à Notre-Seigneur, avant sa passion, de manger avec des publicains et des pécheurs, quand il répondit que le médecin est nécessaire non à ceux qui sont en santé mais aux malades aa : il fut mis au nombre des criminels ab, quand on le crucifia entre deux larrons et qu’il fit passer l’un d’entre eux de la croix au paradis ac. Mais après sa résurrection même, quand il eut commencé d’être, comme nous venons de l’expliquer, dans la terre de Tob, on vit se réunir à lui des hommes souillés de crimes, pour obtenir la rémission des péchés : ces hommes marchaient avec lui, c’est-à-dire, qu’ils vivaient selon ses préceptes. Ceci dure encore maintenant et durera tant que les coupables recourront à lui pour obtenir qu’il justifie les impies qui se convertissent à lui, et que les pécheurs apprennent à connaître ses voies ad.

19. Ceux qui avaient chassé Jephté, car il était du pays de Galaad, se tournèrent vers lui et implorèrent son secours pour qu’il te délivrât de leurs ennemis. Quelle figure plus claire de ceux qui ont rejeté le Christ et qui, se convertissant à lui, trouvent le salut ? Tels, ceux qui furent touchés de componction dans leur tueur, quand l’apôtre saint Pierre leur reprochait leur crime, comme on le voit aux Actes des Apôtres, et les exhortait à se tourner vers Celui qu’ils avaient persécuté, ils implorèrent leur salut de Celui-là même qu’ils avaient repoussé comme étranger ; or, la délivrance des ennemis n’est-ce point la rémission des péchés ? Aussi l’Apôtre leur dit-il : « Faites pénitence, que chacun de vous soit baptisé au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et vos péchés vous seront remis ae ; » telle plutôt encore la multitude d’Israël, ont la vocation est attendue à la fin des siècles. C’est plutôt ; en effet, ce dernier événement que paraissent désigner ces paroles : « Et il arriva après des jours » ce qui signifie : à la fin des temps, et fait entendre, non ce qui eut lieu peu après la passion du Seigneur, mais ce qui doit arriver dans la suite. La même chose semble résulter de ce que les anciens de Galaad vinrent trouver Jephté : l’ancienneté d’âge figure les temps éloignés, les derniers temps.Galaad signifie : Celui qui rejette, ou bien encore : Révélation. Ces deux significations conviennent à l’événement : les Juifs rejetèrent d’abord le Christ Notre-Seigneur ; il leur sera ensuite révélé.

20. C’est pour combattre contre les enfants d’Ammon, les vaincre et s’affranchir de leur joug, qu’on supplie Jephté de prendre en main le commandement : Ammon signifie : Fils de mon peuple, ou bien encore : Peuple d’affliction. C’est ici la figure prophétique de ceux de la nation juive qui persévéreront dam l’infidélité et l’inimitié du Christ, ou bien de tors ceux qui sont prédestinés à la géhenne, là où il y aura pleur et grincement de dents af. C’est là le peuple d’affliction. On peut aussi très-bien entendre par le peuple d’affliction le diable et ses anges, soit parce qu’ils plongent dans la misère éternelle ceux qu’ils parviennent à tromper, soit parce qu’eux-mêmes sont voués à l’éternelle misère.

21. La réponse de Jephté aux anciens de Galaad exprime la prophétie très-heureusement et avec beaucoup de clarté : « Ne m’avez-vous pas eu en haine ? ne m’avez-vous pas chassé de la maison de mon père et du milieu de vous ? Comment, venez-vous à moi quand vous m’avez fait essuyer la tribulation ? » Nous voyons une figure semblable dans Joseph, vendu et chassé par ses frères ag, qui se tournèrent vers lui implorant sa clémence et son appui, quand la famine les éprouva ah. Mais ici la signification prophétique de l’avenir brille avec beaucoup plus d’éclat. Ce ne sont pas les frères eux-mêmes de Jephté qui vinrent le trouver, après l’avoir chassé, mais les anciens de Galaad qui l’implorèrent pour tout ce peuple. Ainsi c’est la même nation d’Israël qui dans la personne des contemporains du Christ le rejeta, et qui plus tard se tourna vers lui avec ceux qui implorèrent son secours. C’est a ce peuple ennemi du Christ, et dans ses pères, et dans les générations qui vinrent ensuite, traînant comme une longue chaîne le lourd héritage de cette haine ; c’est à ce peuple, enfin converti en ceux de ses membres qui doivent venin au Christ, que cette parole est adressée : « Ne m’avez-vous pas eu en haine, ne m’avez-vous pas chassé de la maison de mon père ? » Ceux en effet qui ont persécuté le Christ ont cru le chasser de la maison de David, dans laquelle son règne n’aura point de fin ai.

22. « Et les anciens de Galaad dirent à Jephté : « Ce n’est pas de cette manière que maintenant nous venons vers toi. » C’est ainsi que les Juifs convertis diront au Christ : Alors nous sommes venus pour persécuter, maintenant nous venons pour obéir. – Ils proclament qu’il sera leur chef contre leurs ennemis. Lui répond qu’il sera leur prince s’il remporte la victoire. Gédéon avait refusé cet honneur, que les Israélites voulaient lui faire, il avait répondu : « Le Seigneur sera votre prince aj. » Ce nom de prince signifiait un Roi ; au temps des Juges, la nation n’en avait pas encore. Saül fut le premier ak, et il à des successeurs dont l’histoire se lit aux livres des Rois. Car, dans le Deutéronome, quand Dieu fait connaître au peuple ce que doit être le roi qu’il aura, s’il lui plaît d’en avoir un al, le roi, en cet endroit, est appelé prince. Mais, comme Jephté était la figure de Celui qui est le vrai roi, dont la royauté fut proclamée au sommet de la croix dans une inscription que Pilate n’osa ni effacer, ni corriger am, il, faut croire que ce fut pour cette raison que, Jephté répondit : « Je serai votre prince. » Les gens de Galaad avaient dit : « Tu seras à notre tête ; » le chef de l’homme est le Christ, an ; le Christ est la tête du corps de l’Église ao. Quand Jephté eut délivré les siens de tous leurs ennemis, il ne devint pas leur roi, afin que nous comprenions que ce qui avait été dit à cet égard était une prophétie concernant le Christ, et ne s’appliquait pas à Jephté lui-même, dont l’Écriture termine l’histoire en ces termes : « Et Jephté jugea Israël pendant six ans, et Jephté de Galaad mourut et il fut inhumé dans sa ville de Galaad ap. » Il jugea donc Israël comme les autres Juges, et ne régna pas, comme les princes dont l’histoire est contenue dans les livres des Rois.

23. Jephté placé à la tête de ses compatriotes envoie aux ennemis des ambassadeurs portant des paroles de paix. Ici nous voyons accompli ce que dit l’Apôtre servant d’organe au Christ : « S’il est possible, en ce qui dépend de vous, ayez la paix avec tous les hommes aq. » Quant aux paroles que Jephté fit porter, il serait trop long de les étudier en détail, notre course est pressée. Toutefois, en tant qu’elles touchent à la signification des choses futures, il me semble qu’on doit y remarquer la doctrine de Jésus-Christ qui nous enseigne comment nous devons nous conduire, c’est-à-dire, quelle vie nous devons mener au milieu de ceux qui n’ont point été appelés selon le décret de Dieu ; car le Seigneur connaît ceux qui sont à lui ar.

24. Lorsque Jephté se prépara à livrer bataille aux ennemis, l’Esprit du Seigneur fut sur lui. Cela figure le don du Saint Esprit confié aux membres de Jésus-Christ.

25. « Il passa au-delà de Galaad et de Manassé, il franchit les hauteurs de Galaad, et des hauteurs de Galaad il s’élança au-delà des enfants d’Aramon. » Ici sont représentés les membres de Jésus-Christ qui marchent pour remporter la victoire sur leurs ennemis. Galaad signifie : Celui qui rejette, et Manassé : Nécessité. Il faut, pour le progrès en Jésus-Christ, s’élever au-dessus des rebuts, c’est-à-dire, des mépris des hommes ; il faut s’élever au-dessus de la nécessité elle-même, de peur qu’après avoir surmonté les mépris, on ne cède à la terreur. Il faut franchir les hauteurs de Galaad. Galaad signifie : révélation. Les hauteur s sont des lieux d’où l’on voit au loin, d’où l’on regarde en bas, c’est-à-dire, d’où l’on méprise. Les hauteurs de Galaad me paraissent donc figurer très-bien l’orgueil inspiré par les révélations ; c’est pourquoi l’Apôtre dit : « de peur que je ne m’élève dans la grandeur des révélations. » Il faut aller au-delà de ces hauteurs, c’est-à-dire, ne point s’y arrêter à cause du péril de tomber. Tous ces obstacles franchis, on triomphe aisément des ennemis. C’est ce qu’expriment ces paroles : « Et des hauteurs de Galaad il s’élança au-delà des enfants d’Ammon », ennemis dont il a été question plus haut.

27. « Et Jephté fit un vœu et dit : Si vous livrez en mes mains les enfants d’Ammon, quiconque sortira du seuil de ma maison pour venir à ma rencontre au retour du triomphe « remporté sur les enfants d’Ammon, celui-là sera « au Seigneur, je l’offrirai en holocauste. » Qui que ce soit que Jephté ait eu en vue, en cette circonstance, dans sa pensée d’homme, il ne paraît pas qu’il ait songé à sa fille unique ; autrement il n’aurait point dit en la voyant se présenter à lui : « Malheureux que je suis ! Hélas ! Ma fille, vous m’avez arrêté, vous êtes devenue un piège à mes yeux. » En disant : « Vous m’avez arrêté » c’est comme s’il faisait entendre qu’elle l’a empêché d’accomplir ce qu’il avait dans l’esprit. Mais quelle autre personne devait-il s’attendre à rencontrer la première, lui qui n’avait pas d’autres enfants ? Eut-il en vue son épouse ? et Dieu empêcha-t-il qu’une telle pensée s’accomplit, et en même temps qu’un vœu semblable restât impuni, de peur que d’autres, dans la suite, n’osassent le renouveler ? Voulût-il par un trait merveilleux de sa providence figurer dans cet événement le mystère de l’Église ? Cette figure prophétique résulterait donc de ces deux choses, savoir : de l’objet que Jephté eut en vue en faisant son veau, et de ce qui arriva en réalité, contrairement à son dessein. – S’il eut en vue son épouse, l’Église est l’épouse du Christ. « C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à son épouse, et ils seront deux dans une même chair. Ce mystère est grand, s’écrie l’Apôtre, je dis, en Jésus-Christ et en l’Église as. » Mais comme il n’était pas possible que cette épouse de Jephté fût une vierge, il arriva que sa fille venant elle-même à la rencontre de son père, la témérité qui avait voué un sacrifice défendu, fut punie, et la virginité de l’Église figurée. Rien ne s’oppose à ce que l’Église soit désignée sous ce nom de fille : n’était-ce point l’Église que représentait cette femme qui, ayant été guérie après avoir touché la frange de la robe de Notre-Seigneur, entendit cette parole : « Ma fille, aie confiance, ta foi t’a sauvée, va en paix at. » Et assurément nul ne met en doute que Notre-Seigneur ait appelé ses disciples les fils de l’époux ? Montrant très-clairement qu’il est lui-même l’époux : « Les fils de l’époux, dit-il, ne peuvent jeûner tout le temps que l’époux est avec eux ; viendront les jours ou l’époux leur sera enlevé, et alors ils jeûneront au. » L’Église, que le bienheureux Apôtre appelle « une chaste vierge av » sera donc un holocauste quand s’accomplira dans l’universelle résurrection des morts cette parole de l’Écriture : « La mort a été engloutie dans sa « victoire. » Alors Jésus-Christ remettra son royaume aux mains de Dieu son Père aw. Ce royaume, c’est l’Église elle-même ; le roi, c’est celui dont Jephté est la figure. Mais parce que ceci arrivera quand le sixième âge du monde sera écoulé, un délai de soixante jours a été demandé pour la virginité de la fille de Jephté. L’Église est rassemblée de tous les âges. D’Adam au déluge, c’est le premier âge ; du déluge, c’est-à-dire de Noé, à Abraham, c’est le deuxième âgé ; le troisième, d’Abraham à David ; le quatrième, depuis David jusqu’à la captivité de Babylone ; le cinquième, de la captivité de Babylone jusqu’à l’enfantement de la Vierge ; le sixième, depuis cette dernière époque jusqu’à la fin du siècle Ces six âges sont comme les soixante jours de deuil pendant lesquels la sainte Église pleure sa virginité : car quoique vierge elle a des fautes à déplorer, ces fautes pour lesquelles chaque jour, dans le monde entier, elle répète : « Pardonnez-nous nos offenses ax. » Les soixante jours sont exprimés par deux mois ; l’écrivain sacré l’a préféré ainsi, je pense, à cause des deux Adam, l’un par qui la mort est venue, l’autre par qui se fera la résurrection des morts : c’est pour cela aussi qu’il y a deux Testaments.

28. « Il arriva que ce fut un précepte en Israël qu’on s’assemblât chaque année pour pleurer pendant quatre jours, la fille de Jephté de Gaad. » Je ne pense pas qu’il faille voir ici, dans ce qui arriva après la consommation du sacrifice, une figure de ce qui aura lieu élans la vie éternelle, mais plutôt une image des temps écoulés du pèlerinage, de l’Église, pendant lesquels les élus ont été dans les pleurs. Les quatre jours figurent l’universalité de l’Église, à cause des quatre parties du monde où elle est répandue. Au point de vue de la réalité historique, les Israélites sont, je pense, institué cet usage de pleurer la fille de Jephté, parce qu’ils ont vu dans un pareil événement le jugement de Dieu qui se montrait surtout dans la punition d’un père, afin que personne, dans la suite, n’eût la témérité de vouer de semblables sacrifices. Pourquoi en effet aurait-on ordonné par décret public un deuil et des pleurs, si ce vœu eût été une cause de réjouissance ?

20. Le peuple d’Ephrem fut battu ensuite par Jephté : si cet événement doit être rapporté au jugement de Dieu qui se fera à la fin du siècle, suivant ce que dit le Seigneur lui-même : « Amenez-moi et mettez à mort tous ceux qui n’ont pas voulu que je règne sur eux ay ; » il faut reconnaître une signification dans ce nombre de quarante-deux mille qui est le nombre de ceux qui succombèrent dans cette guerre az. De meule que les deux mois, à cause des soixante jours dont ils se composent, désignent le nombre des six âges ; de même le nombre sept répété six fois, et appliqué au même objet, figure également les six âges du monde : six fois sept font quarante-deux. Ce n’est point sans motif non plus que Jephté exerça sur le peuple la judicature pendant six ans.

XLVIII. (Ib 11, 24.) Le Dieu des Ammonéens était-il réellement capable de posséder quelque chose? – Jephté fait dire entre autres choses au roi des enfants d’Ammon par ses ambassadeurs, les paroles que voici : « Ne posséderas-tu pas tout ce que Chamos ton Dieu a hérité, pour toi ? et ce que le Seigneur notre Dieu a pris en votre présence, ne le posséderions-nous pas ? » Certains interprètes latins traduisent ainsi : « Ne possèderas-tu pas tout ce que, Chamos ton dieu t’a donné en héritage ? » Suivant cette explication, Jephté paraîtrait reconnaître que ce dieu appelé Chamos a pu donner quelque chose en héritage à ses adorateurs. D’autres exemplaires portent : « Ne posséderas-tu pas tout ce que « Chamos ton dieu a possédé ? » ce qui signifie que ce dieu aurait pu posséder quelque chose. Cette parole ferait-elle allusion à la tutelle exercée sur les nations par les Anges, comme Moïse serviteur de Dieu l’a chanté ba ? L’Ange protecteur des enfants d’Ammon aurait-il eu ce nom de Chamos ? Qui oserait l’affirmer, quand il y aune autre interprétation que voici : Le roi des Ammonites croyait que son dieu était possesseur des terres en question, ou qu’il lui en avait donné le domaine. Ce sens ressort avec plus de clarté du texte grec : « Ne posséderas-tu pas tout ce que, pour toi, Chamos ton Dieu a possédé ? » Ces mots pour toi, signifieraient : comme il te paraît ; ton dieu a hérité, selon toi, tu as cette croyance cela ne veut pas dire qu’il puisse réellement posséder quelque chose. Dans ce qui suit : « Tout ce que le Seigneur votre Dieu a pris » il n’est point ajouté : pour nous, c’est-à-dire comme si cela nous paraissait ainsi ; mais il a pris véritablement « en votre présence » car il a ; enlevé aux anciens possesseurs et il nous a donné ces terres « nous posséderons cet héritage. »

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