Judges 3
XVII. (Ib 2, 10, 23 ; 3, 1, 4.) Les Israélites vendus à leurs ennemis et rachetés par le sang de Jésus-Christ. – « Et il les vendit dans la main de leurs ennemis, qui les entouraient. » On demande pourquoi cette expression : « il les vendit » comme s’il fallait entendre qu’il y eut un prix soldé. Mais on lit dans un Psaume : « Vous avez vendu votre peuple, sans prix a ; » et dans un Prophète : « Vous avez été vendus gratuitement et vous ne serez point rachetés avec l’argent b. » Pourquoi donc sont-ils vendus, si c’est gratuitement, sans prix ? et pourquoi ne sont-ils pas plutôt donnés? Peut-être est-ce là une manière de parler employée par l’Écriture, qui appliquerait ainsi l’expression de vendu à ce qui est donné. Voici le sens le meilleur de ces paroles : « Vous avez été vendus gratuitement » et : « Vous avez vendu votre peuple sans prix. » Comme ceux à qui vous avez livré votre peuple étaient des impies, en n’adorant pas Dieu ils ont mérité que ce peuple leur fût abandonné, de manière que leur culte idolâtrique fût en quelque sorte le prix du peuple. Quant à cette parole : « Vous ne serez pas rachetés avec l’argent » on ne dit pas : sans prix, en échange, mais non pas avec l’argent, afin que nous entendions qu’il y a un prix de rédemption, celui dont parle l’apôtre saint Pierre c : « Vous avez été rachetés non avec l’argent et l’or, mais avec le précieux sang de l’Agneau sans tache. » Par l’argent le prophète a entendu toute espèce de monnaie, quand il a dit : « Vous ne serez pas rachetés avec l’argent » car c’est par le prix du sang de Jésus-Christ et non par une compensation pécuniaire, qu’ils devaient être rachetés. 2. Dieu se sert des nations épargnées, pour éprouver son peuple. – Le Seigneur dit : « Et moi je me garderai d’ôter de leur présence un seul homme des nations que Jésus fils de Navéa laissées, qu’il a laissées pour éprouver Israël, et montrer s’ils observent, ou non, la voie du Seigneur comme leurs pères l’ont suivie : et le Seigneur a laissé ces nations, afin de ne pas les détruire alors, et il ne les a pas livrées dans la main de Josué. » Ici on découvre la raison pour laquelle ces nations n’ont pas été détruites dans les guerres de Josué : si elles l’eussent été, elles n’auraient point servi à éprouver les enfants d’Israël. Or, elles pouvaient leur être utiles, à la condition que cette épreuve n’aboutit pas à leur réprobation, et elles auraient disparu devant eux, si eux-mêmes se fussent conduits comme Dieu l’avait prescrit, s’ils eussent vécu de manière à n’avoir pas besoin d’être éprouvés par la guerre ; car voici encore les paroles du Seigneur qu’il faut lire : « Parce que cette nombreuse nation a délaissé mon testament, que j’avais confié à leurs pères, et parce qu’ils n’ont pas obéi à ma voix, moi, à mon tour, je me garderai de faire disparaître de devant eux un seul homme ; » c’est-à-dire un seul de leurs ennemis. L’écrivain sacré prend ensuite la parole lui-même, afin d’expliquer pourquoi le Seigneur a dit qu’il ne ferait pas disparaître un seul homme du milieu des nations que Jésus fils de Navéa laissées vivre. Puis il ajoute la raison pour laquelle Josué ne les a point détruites : « Il les a laissées, dit-il, pour tenter Israël, et montrer s’ils observent ou non la voie du Seigneur, comme leurs pères l’ont suivie. » Ces dernières paroles font voir que pendant la vie de Josué, leurs frères qui furent sous sa conduite suivirent la voie du Seigneur. L’Écriture a rapporté plus haut, en effet, qu’une nouvelle génération surgit après ceux qui vécurent avec Josué, qu’elle commença ces transgressions dont le Seigneur fut offensé, et que ce fut pour la tenter, c’est-à-dire pour la mettre à l’épreuve, que les nations ennemies restèrent et ne furent pas détruites par Josué. 3. Ce n’est pas Josué mais Dieu lui-même qui a éprouvé les Israélites par la guerre. — L’Écriture veut écarter la supposition que Josué aurait agi de lui-même et par un conseil tout humain, en laissant subsister ces peuples ; c’est pourquoi elle ajoute : « Et le Seigneur laissa ces peuples, et ne les détruisit pas immédiatement, et il ne les livra pas dans la main de Josué. » Viennent ensuite ces paroles : « Telles sont les races que laissa Josué pour qu’elles servissent à tenter Israël, et tous ceux qui ne connurent point toutes les guerres de Chanaan : » elles furent laissées « pour enseigner la guerre aux générations d’Israël. » Le but de l’épreuve des enfants d’Israël fut donc de leur apprendre à faire la guerre, c’est-à-dire, à la faire avec toute la piété et l’obéissance à la loi de Dieu, montrées par leurs prières, qui plurent au Seigneur, même au milieu des combats. Ce n’est pas que la guerre soit quelque chose de désirable : mais la piété dans le guerre mérite des éloges. Ce qui suit : « Mais ceux qui avant eux ne les ont point connues » peut-il signifier autre chose, sinon que ces races infidèles, réservées pour la tentation, c’est-à-dire, pour l’épreuve des Israélites, n’avaient point été connues dans les combats par leurs ancêtres ? L’Écriture les énumérant ensuite : « Ce sont, dit-elle, les cinq satrapies des nations étrangères : » au livre des Rois elle les fait connaître plus explicitement d. On appelle satrapies des espèces de petits royaumes à la tête desquels étaient des satrapes : ce nom est ou a été en honneur dans ces contrées : « Ce sont tous les Chananéens, les Sidoniens, les Hévéens qui habitent le Liban devant le mont Hermon jusque Caboëmath ; et il arriva que par eux Israël fut tenté. » C’est comme si l’Écriture disait : Ceci arriva, afin que par eux Israël fût mis à l’épreuve pour « savoir s’ils écouteront les commandements du Seigneur » non pour que le Seigneur l’apprît, lui qui connaît tout, même les choses futures, mais pour qu’ils l’apprissent eux-mêmes, et que leur conscience leur rendit un bon ou mauvais témoignage touchant l’observation des commandements que le Seigneur « imposa à leurs pères dans les mains de Moïse. » Or, comme ils virent à n’en pas douter qu’ils n’avaient point obéi à Dieu au milieu des nations laissées pour les tenter, c’est-à-dire, pour les exercer et les éprouver, le Seigneur leur adressa en conséquence et ce reproche que l’ange, son messager, leur fit hautement et expressément, et ces autres paroles rapportées un peu auparavant : « Parce que cette nombreuse nation a délaissé mon testament que j’avais confié à leurs pères, et parce qu’ils n’ont pas obéi à ma voix ; moi, à mon tour, je me garderai de faire disparaître de devant eux un seul homme. » 4. Dieu ne veut détruire que peu à peu les ennemis de son peuple. Les bêtes sauvages, symbole des passions. – Au Deutéronome, Dieu, parlant de ces nations ennemies, dit : « Je ne les chasserai pas dans une seule année, de peur que la terre ne devienne déserte, et que les bêtes sauvages ne se multiplient chez toi. Je les chasserai peu à peu, jusqu’à ce que vous soyez multipliés, que vous ayez pris de l’accroissement, et que vous occupiez le pays e. Dieu pouvait exécuter cette promesse en faveur d’un peuple obéissant ; la destruction des races ennemies se fût accomplie progressivement à mesure que les enfants d’Israël se seraient multipliés, et quand leur accroissement aurait permis de ne pas laisser désertes les terres dont les habitants, leurs ennemis, auraient été anéantis. Quant à cette parole : « De peur que les bêtes sauvages ne se multiplient chez toi » je serais étonné si par ces bêtes sauvages l’Écriture n’avait pas voulu désigner les convoitises et les passions de la bête, qui naissent ordinairement au sein d’une prospérité terrestre rapidement obtenue. Dieu pouvait-il en effet exterminer les hommes, et se trouver impuissant pour détruire les bêtes sauvages, ou les nourrir ? XVIII. (Ib 3, 9.) Interversion. – « Et le Seigneur suscita un Sauveur à Israël et il les sauva ; » et comme si l’on demandait quel est ce Sauveur, « Gothoniel, dit-il, fils de Cénez. » Ce nom, Gothoniel, doit être pris ici comme étant à l’accusatif. Il faut remarquer que l’Écriture donne le nom de Sauveur même à un homme qui est l’instrument de Dieu pour sauver le peuple. « Les « enfants d’Israël crièrent au Seigneur, et le Seigneur suscita un sauveur à Israël et il les sauva, « Gothoniel, fils de Cénez, frère puîné de Caleb, et il les exauça. » Il y a ici une sorte d'inversion peu commune, celle que les Grecs appellent : interversion du discours. Si on met en avant ces paroles qui viennent ensuite : « Et il les exauça » le récit devient clair. En voici l’ordre : « Et les enfants d’Israël crièrent vers le Seigneur, et il les exauça, et le Seigneur suscita à Israël un Sauveur, Gothoniel, fils de Cénez, et il les sauva. » Il les sauva: si on rejette à la fin cette phrase intercalée dans le texte entre un Sauveur et Gothoniel, à l’accusatif, tout s’explique aisément. XIX. (Ib 3, 11.) Longue paix en Israël. – L’Écriture assure que pendant quarante ans la terre promise se reposa des guerres sous la judicature de Gothoniel. C’est tout ce que l’empire romain dans ces commencements put avoir de temps de paix, et seulement sous le roi Numa Pompilius. XX. (Ib 3, 19, 20.) Une parole à double sens est-elle un mensonge? – On peut demander s’il y eut mensonge de la part d’Aod, juge d’Israël, quand il tua Eglon, roi de Moab. En effet, comme il cherchait à le surprendre seul à seul, pour le frapper, il lui dit : « J’ai une parole secrète pour vous, ô roi » afin que le roi renvoyât tous ceux qui étaient avec lui ; quand cela fut fait, Aoddit de nouveau : « J’ai une parole de Dieu pour vous, ô roi. » Mais il se peut qu’il n’y ait point ici de mensonge : quelque fois l’Écriture donne le nom de parole à une action ; et c’était le cas donc cette circonstance. Quant à ce qui est dit que c’est une « parole de Dieu » on doit admettre que Dieu, ayant suscité un sauveur à son peuple, lui donna l’ordre de tuer Églon ; car dans ces temps il fallait que le Ciel donnât de tels ordres. XXI. (Ib 3, 17.) Antiphrase. – On cherche avec raison comment il a pu se faire que « le roi Eglon étant extrêmement grêlé, sa graisse recouvrit sa blessure » après qu’il eut reçu le coup mortel. Mais il faut voir ici une antiphrase, manière de parler qui signifie le contraire de ce qu’elle énonce : c’est ainsi qu’on appelle lucus, le bois sacré, où il n’y a pas de lumière, lux, et qu’on exprime le défaut parle terme d'abondance; c’est ainsi encore qu’au livre des Rois il est écrit de Nabuth qu’il bénit le roi, pour marquer qu’il le maudit f. Toutefois nous lisons dans la Vulgate, traduite non sur les Septante mais sur l’hébreu : « Or, Eglon était d’un excessif embonpoint. XXII. (Ib 3, 23.) Encore une interversion. – « Et Aod sortit dehors et terrassa les gardes, et il ferma les portes de la chambre haute sur soi, et il ferma solidement. » Ces dernières paroles qui avaient d’abord été omises doivent se rattacher à ce qui a été dit précédemment. Car les portes furent d’abord fermées, et seulement alors, Aod descendit et traversa les gardes. XXIII. (Ib 3, 25.) Comment put-on ouvrir avec une clef une porte qui n’avait pas été fermée à la clef. – On pourra se demander comment les serviteurs du roi Eglonont pu ouvrir avec une clef la porte qu’Aod n’avait point fermée à la clef ; ou s’il avait fermé à la clef, comment n’avait-il pas emporté cette clef, afin d’empêcher qu’on ouvrît ? On prit une autre clef, ou bien les portes en question pouvaient se fermer, mais non s’ouvrir sans clefs. Il y a des appartements qui ferment de cette manière, ceux par exemple qui ont des verrous. XXIV. (Ib 3, 30.) Très longue paix. – Sous.lajudicature d’Aod, Israël jouit de la paix dans la terre promise l’espace de quatre-vingts ans, ce qui est le double de la durée de cette paix fameuse du peuple romain sous le roi Numa Pompilius. XXV. (Ib 3, 31.) Sur la victoire de Samgar. – « Et après lui parutSamgarfils d’Aneath, et il tua aux étrangers six cents hommes, sans compter les jeunes bœufs, et il sauva Israël. » On peut demander comment après Aod, Samgara combattu pour Israël, et comment il l’a délivré, car Israël n’avait pas été réduit de nouveau en captivité, ni soumis à la servitude. Comprenons que cette parole : « il sauva » rappelle non que l’ennemi fit du tort, mais qu’il ne lui fut pas permis d’en faire : il faut croire qu’il essaya de la guerre, mais qu’il fut repoussé par les armes victorieuses du nouveau Juge. Pourquoi ajouter : «sans compter les jeunes bœufs? » c’est obscur. Peut-être Samgar en combattant fit-il un carnage des bœufs ; et pour cette raison l’Écriture dirait qu’il a tué six cents hommes, sans compter les bœufs mis à mort. Mais pourquoi dire : de jeunes bœufs ? Serait-ce que dans la langue grecque l’usage est de donner le nom de veaux à, des bœufs déjà forts ? Il paraît que, en Égypte, cette locution est usitée, de même que chez nous on appelle poussins, les poules de tout âge. La version faite sur l’Hébreu ne porte pas celles-ci : « sans compter les jeunes bœufs » comme la version faite sur les Septante : mais en revanche, cette version faite sur l’hébreu porte celles-ci que n’a point la nôtre : « six-cents hommes tués, avec un soc de charrue. »
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