‏ Luke 1

SIXIÈME SERMON. L’INCARNATION.

ANALYSE. —1. Prophétie d’Isaïe. —2. Jésus-Christ de la famille de David. —3. Naissance immaculée de Jésus-Christ — 4. Jésus-Christ Fils de Dieu. —5. Réfutation des hérétiques qui nient la divinité de Jésus-Christ. —6. Même sujet.

1. Mes frères, que votre charité écoute en quels termes le prophète Isaïe a annoncé Notre-Seigneur Jésus-Christ. « Voici », dit-il, « qu’une vierge concevra dans son sein et enfantera un Fils a » ; « et vous l’appellerez Jésus, car il sauvera lui-même son peuple de leurs péchés b ».

2. « Joseph, fils de David c ». Vous voyez, mes frères, la race tout entière désignée dans une seule personne ; vous voyez dans un seul nom toute une généalogie. Vous voyez dans Joseph la famille de David. « Joseph, fils de David » ; Joseph était sorti de la vingt-huitième génération, et il est appelé fils de David, pour mieux nous découvrir le mystère de sa naissance, et nous prouver l’accomplissement de la promesse ; ne s’agit-il pas d’une conception surnaturelle et d’un enfantement céleste dans une chair restée parfaitement vierge ? « Joseph, fils de David » ; voici en quels termes David avait reçu la promesse de Dieu le Père : « Le Seigneur a juré la vérité à David, et il ne le trompera pas : je placerai sur mon trône le fruit de tes entrailles d ». David chante ainsi ce grand événement : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite e ». « Le fruit de vos entrailles » ; c’est bien le fruit de ses entrailles, le fruit de son sein ; car le divin Hôte, le Dieu du ciel, en venant faire séjour dans son sein, n’a pas connu les barrières du corps ; il est sorti du sein de Marie sans ouvrir la porte virginale. Et c’est ainsi que s’est accomplie cette parole du Cantique des Cantiques:« Mon Épouse, jardin fermé, source scellée f ».

3. « Joseph, fils de David, gardez-vous de craindre ». L’époux est prévenu de ne pas craindre au sujet de son épouse, car tout esprit vraiment pieux s’effraie d’autant plus qu’il compatit davantage. « Joseph, fils de David, gardez-vous de craindre » ; vous qui êtes assuré de votre conscience, ne succombez pas sous le poids des pensées que provoque ce mystère. « Fils de David, gardez-vous de craindre ». Ce que vous voyez est une vertu, et non pas un crime ; ce n’est point une chute humaine, mais un abaissement divin ; c’est une récompense, et non pas une culpabilité. C’est un accroissement du ciel, et non pas un détriment du corps. Ce n’est point la perte d’une personne, mais le secret du Juge. Ce n’est point le châtiment d’une faute, mais la palme de la victoire. Ce n’est point la honte de l’homme, mais le trésor de Jésus-Christ. Ce n’est point la cause de la mort, mais de la vie. Voilà pourquoi : « Gardez-vous de craindre », car celle qui porte un tel Fils ne mérite point la mort. « Joseph, fils de David, ne craignez pas de recevoir Marie pour votre épouse ». La loi divine elle-même donne à la compagne de l’homme le titre d’épouse. De même donc que Marie est devenue mère sans éprouver aucune atteinte à sa virginité, de même elle porte le nom d’épouse en conservant sa pudeur virginale.

4. « Joseph, fils de David, ne craignez pas de recevoir Marie pour votre épouse ; car l’enfant qui naîtra d’elle est le fruit du Saint-Esprit ». Qu’ils viennent et entendent, ceux qui demandent quel est cet enfant qui est né de Marie : « Ce qui est né en elle vient du Saint-Esprit ». Qu’ils viennent et entendent, ceux qui, profitant de l’obscurité du grec pour troubler la pureté latine, ont multiplié les blasphèmes dans le but de faire disparaître ces expressions : Mère de l’homme, Mère du Christ, Mère de Dieu. « Ce qui est né en elle vient du Saint-Esprit ». Et ce qui est né du Saint-Esprit est esprit, parce que « Dieu est esprit ». Pourquoi donc demander ce qui est né du Saint-Esprit ? Il est Dieu, et parce qu’il est Dieu il nous répond avec saint Jean : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ; et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire g ». Jean a vu sa gloire ; vous, infidèle, mesurez l’injure : « Ce qui est né en elle vient du Saint-Esprit. Et nous avons vu sa gloire ». De qui ? « De Celui qui est né du Saint-Esprit » ; du « Verbe qui s’est fait chair et qui a habité parmi nous. Ce qui est né en elle vient du Saint-Esprit ». Une Vierge a conçu, mais par l’action du Saint-Esprit ; une Vierge a enfanté, mais enfanté Celui que prophétisait Isaïe en ces termes : « Voici qu’une Vierge concevra et enfantera un fils, et il sera appelé Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous ». Il sera homme avec eux, mais : « Maudit soit l’homme qui place son espérance dans l’homme h ».

5. Qu’ils écoutent, ceux qui demandent quel est celui qui est né de Marie. « Elle enfantera un fils », dit l’Ange, « et ils l’appelleront Jésus ». Pourquoi Jésus ? L’Apôtre répond : « Afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur la terre et dans les enfers i ». Et vous, disciple trompeur, vous demandez ce qu’est Jésus ? « Que toute langue confesse que le Seigneur Jésus est dans la gloire de Dieu son Père j », et vous osez encore demander hautement ce qu’est Jésus !

6. Écoutez de nouveau ce qu’est Jésus « Elle enfantera un fils, et il sera appelé Jésus. Car il sauvera son peuple de leurs péchés ». Ce n’est pas le peuple d’un autre qu’il doit sauver. De quoi le sauvera-t-il ? de leurs péchés. Que Dieu seul puisse remettre les péchés ; si vous n’en croyez pas les chrétiens, croyez du moins à la parole des Juifs : « Vous n’êtes qu’un homme, et vous vous faites Dieu k ». « Personne ne peut remettre les péchés, si ce n’est Dieu seul l ». Les Juifs refusaient de croire à la divinité de Jésus, puisqu’ils ne lui croyaient pas le pouvoir de remettre les péchés ; vous, au contraire, vous croyez qu’il remet les péchés et vous hésitez à le proclamer Dieu. « Le Verbe s’est fait chair », afin que l’homme-chair pût s’élever jusqu’à la gloire de Dieu, et non pas afin que Dieu fût changé en chair, selon cette parole de l’Apôtre : « Celui qui s’unit à Dieu est un seul esprit avec lui m » ; de même, quand Dieu s’unit à l’homme, il est un seul Dieu. Les lois humaines établissent la prescription de trente ans pour éteindre tous les procès ; et voilà déjà près de cinq cents ans que Jésus-Christ soutient la cause de sa naissance. Son origine lui est disputée, sa nature est sans cesse remise en question. Hérétiques, cessez de juger notre Juge, et adorez dans le ciel notre. Dieu que le Mage a proclamé Dieu sur la terre. C’est à lui qu’appartiennent l’honneur et la gloire, la louange et l’empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

CHAPITRE VIII. L’ÉVANGILE DE SAINT LUC ET LES ACTES.

9. Occupons-nous maintenant de l’Évangile de saint Luc, du moins quant aux passages qui ne lui sont pas communs avec saint Matthieu et saint Marc ; car les autres ont déjà été étudiés précédemment. Saint Luc commence ainsi son récit : « Plusieurs ont déjà entrepris d’écrire l’histoire des événements qui ont été accomplis parmi nous, suivant le rapport que nous r en ont fait ceux qui, dès le commencement, « les ont vus de leurs propres yeux, et qui ont été les ministres de la parole. J’ai donc cru à mon tour, très-excellent Théophile, qu’après avoir été exactement informé de toutes ces choses depuis le commencement, je devais en représenter par écrit toute la suite, afin que tu reconnaisses la vérité de ce qui a été annoncé n. » Ce début ne fait pas, à `proprement parler, partie de l’Évangile. Cependant il suffit pour nous faire conclure que c’est ce même saint Luc qui a écrit un autre livre sacré, les Actes des Apôtres. Cette conclusion toutefois ne découle pas uniquement de ce que nous y trouvons écrit le même nom de Théophile ; car il aurait pu se faire qu’il y eût un autre Théophile, ou que s’il est le même dans les deux ouvrages : il les eût reçus de deux auteurs différents ; la principale raison vient du début même du livre des Actes : « J’ai écrit, ô Théophile, ce que Jésus a fait et enseigné jusqu’au jour où il ordonna aux Apôtres qu’il avait choisis par le Saint-Esprit, de prêcher l’Évangile o. » Ces paroles prouvent évidemment que saint Luc avait déjà écrit un des quatre Évangiles dont l’autorité est si haute aux yeux de l’Église. Si cet auteur dit ensuite qu’il a parlé de tout ce que Jésus a fait et enseigné jusqu’à ce jour où il a chargé les Apôtres de prêcher l’Évangile, assurément il ne veut pas nous faire croire qu’il a rapporté absolument toutes les actions et toutes les paroles du Sauveur, car ce serait démentir saint Jean. Celui-ci affirme, en effet, que si tout ce qu’a fait et dit le Seigneur était écrit dans des livres ces livres rempliraient le monde tout entier p. D’ailleurs nous trouvons dans les autres évangélistes des détails que saint Luc a passés sous silence. Il a donc parlé de tout, c’est-à-dire qu’il a choisi dans toutes ces actions et toutes ces paroles ce qui lui a paru convenable et suffisant pour remplir le ministère qui lui était confié. Il ajoute que « plusieurs ont entrepris d’écrire l’histoire des événements qui se sont accomplis parmi nous ; » par là, il fait allusion à ceux qui ayant commencé ce travail, n’ont pu le mener à terme ; il dit encore : « J’ai cru à mon tour écrire avec soin, parce, que plusieurs ont essayé ; etc », ces derniers sont ceux qui ne jouissent dans l’Église d’aucune autorité, parce qu’ils n’ont pu atteindre le but qu’ils avaient en vue. D’un autre côté saint Luc ne s’est pas contenté de conduire sa narration jusqu’à la résurrection et l’ascension du Sauveur, ce qui pourtant lui aurait déjà mérité de prendre place parmi les Évangélistes ; il a encore raconté les Actes des Apôtres, ou au moins parmi ces actes, ce qu’il a cru devoir suffire pour affermir la foi des lecteurs ou des auditeurs ; et maintenant son travail est le seul qui fasse autorité dans l’Église en ce qui concerne les Actes des Apôtres ; on a rejeté comme ne méritant aucune confiance tous les autres récits que l’on a osé entreprendre sur le même sujet. Enfin quand saint Marc et saint Luc ont écrit, leurs travaux ont pu être contrôlés, non-seulement par l’Église de Jésus-Christ, mais aussi par les Apôtres, puisque c’est de leur vivant que ces deux évangélistes ont composé leurs récits.

PREMIER SUPPLÉMENT. – DEUXIÈME SECTION.— SERMONS SUR LE PROPRE DU TEMPS. q

CINQUIÈME SERMON : L’ANNONCIATION.

ANALYSE. —1. L’ange Gabriel salue la sainte Vierge. —2. Hésitation et réponse de Marie. —3. Marie restera vierge dans l’enfantement. —4. Assentiment de Marie. —5. Génération inénarrable du Christ. —6. Marie devenue mère de Dieu par la virginité et l’humilité. —7. Jésus-Christ prodigue ses dons à ceux qui sont humbles et doux.

1. Le Verbe éternel se faisant homme, et daignant habiter parmi les hommes, tel est le grand mystère que célèbre aujourd’hui l’Église universelle, et dont elle salue chaque année le retour par des transports de joie. Après l’avoir une première fois reçu pour sa propre rédemption, le monde fidèle en a consacré le souvenir de génération en génération, afin de perpétuer l’heureuse substitution de la vie nouvelle à la vie ancienne. Maintenant donc, lorsque le miracle depuis longtemps accompli nous est remis annuellement sous les yeux dans le texte des divines Écritures, notre dévotion s’enflamme et s’exhale en chants de triomphe et de joie. Le saint Évangile que nous lisions nous rappelait que l’archange Gabriel a été envoyé du ciel par le Seigneur pour annoncer à Marie qu’elle serait la mère du Sauveur. L’humble Vierge priait, silencieuse et cachée aux regards des mortels ; l’ange lui parla en ces termes : « Je vous salue, Marie », dit-il, « je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous r ». O annonciation miraculeuse ! ô salutation céleste, apportant la plénitude de la grâce et illuminant ce cœur virginal ! L’Ange était descendu porté sur ses ailes de feu et inondant de clartés divines la demeure et l’esprit de Marie. Député par le Juge suprême et chargé de préparer à son Maître une demeure digne de lui, l’ange, éblouissant d’une douce clarté, pénètre dans ce sanctuaire de la virginité, rigoureusement fermé aux regards de la terre : « Je vous salue, Marie », dit-il, « je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous » ; Celui qui vous a créée vous a prédestinée ; Celui que vous devez enfanter vous a remplie de ses dons.

2. A l’aspect de l’ange, la Vierge se trouble et se demande quelle peut être cette bénédiction. Dans son silence humble et modeste, elle se rappelle le vœu qu’elle a formé, et, jusque-là, tout à fait étrangère au langage d’un homme, elle se trouble devant un tel salut, elle est saisie de stupeur devant un tel langage, et n’ose d’abord répondre au céleste envoyé. plongée dans l’étonnement, elle se demandait à elle-même d’où pouvait lui venir une telle bénédiction. Longtemps elle roula ces pensées dans son esprit, oubliant presque la présence de l’ange que lui rappelaient à peine quelques regards fugitifs attirés par l’éclat de l’envoyé céleste. Elle hésitait donc et s’obstinait dans son silence ; mais l’ambassadeur de la sainte Trinité, le messager des secrets célestes, le glorieux archange Gabriel, la contemplant de nouveau, lui dit : « Ne craignez pas, Marie, car vous avez trouvé grâce devant Dieu ; voici que vous concevrez et enfanterez un fils, et vous le nommerez Jésus. Il sera grand et sera appelé le « Fils du Très-Haut, et le Seigneur-Dieu lui donnera le siège de David son père ; il régnera éternellement sur la maison de Jacob, a et son règne n’aura pas de fin s ». Alors Marie, pesant sérieusement ces paroles de l’ange et les rapprochant de son vœu de virginité perpétuelle, s’écria : « Comment ce que vous me dites pourra-t-il se réaliser, puisque je ne connais point d’homme ? » Aurai-je un fils, moi qui ne connais point d’homme ? Porterai-je un fruit, moi qui repousse l’enfantement ? Comment pourrai-je engendrer ce que je n’ai point conçu ? De mon sein aride, comment pourrai-je allaiter un fils, puisque jamais l’amour humain n’est entré dans mon cœur et n’a pu me toucher.

3. L’ange répliqua : Il n’en est point ainsi, Marie, il n’en est point ainsi ; ne craignez rien ; que l’intégrité de votre vertu ne vous cause aucune alarme ; vous resterez vierge et vous vous réjouirez d’être mère ; vous ne connaîtrez point le mariage, et un fils fera votre joie ; vous n’aurez aucun contact avec un homme mortel, et vous deviendrez l’épouse du Très-Haut, puisque vous mettrez au monde le Fils de Dieu. Joseph, cet homme chaste et juste, qui est pour vous, non point un mari mais un protecteur, ne vous portera aucune atteinte ; mais « l’Esprit-Saint surviendra en vous », et, sans qu’il s’agisse ici d’un époux et d’affections charnelles, « la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre : voilà pourquoi le Saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu ». O séjour digne de Dieu ! Avant que l’ange ne lui eût fait connaître clairement le Fils qui lui était promis au nom du ciel, Marie ne laissa échapper de ses lèvres pudiques aucune parole d’assentiment.

4. Mais dès qu’elle sut que sa virginité ne subirait aucune atteinte, dès qu’elle en reçut l’attestation solennelle, faisant de son cœur un sanctuaire digne de la Divinité, elle répondit : « Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole ». Comme si elle eût dit : « Mon cœur est prêt, ô Dieu, mon cœur est prêt », puisque mon sein doit rester intact. « Qu’il me soit fait selon votre parole », ô glorieux archange Gabriel ; qu’il vienne dans sa demeure, « Celui qui a placé sa tente dans le soleil t ». Puisque je dois demeurer vierge, « que le Soleil de justice se lève en moi u sous ses rayons je conserverai ma blancheur, et la fleur de mon intégrité s’épanouira dans une chasteté perpétuelle. « Que le juste sorte dans toute sa splendeur v », et que le Sauveur brille « comme un flambeau w ». Le flambeau du soleil illumine l’univers ; il pénètre ce qui semble vouloir lui faire obstacle, et il n’en jette pas moins ses flots de lumière. Qu’il apparaisse donc aux yeux des hommes « le plus beau des enfants des hommes » ; « qu’il s’avance comme un époux sort du lit nuptial x » ; car maintenant je suis assurée de persévérer dans mon dessein.

5. Quelle parole humaine pourrait raconter cette génération ? Quelle éloquence serait suffisante pour l’expliquer ? Les droits de la virginité et de la nature sont conservés intacts, et un fils se forme dans les entrailles d’une vierge. Lorsque les temps furent accomplis, le ciel et la terre purent contempler cet enfantement sacré auquel toute paternité humaine était restée complètement étrangère. Telle est cette ineffable union nuptiale du Verbe et de la chair, de Dieu et de l’homme. C’est ainsi qu’entre Dieu et l’homme a été formé « le Médiateur de Dieu et des hommes, l’homme Christ Jésus y ». Ce lit nuptial divinement choisi, c’est le sein d’une Vierge. Car le Créateur du monde venant dans le monde, sans aucune coopération du monde, et pour racheter le monde de toutes les iniquités qui le souillaient, devait sortir du sein le plus pur et entourer sa naissance d’un miracle plus grand que le miracle même de la création. Car, comme le dit lui-même le Fils de Dieu et de l’homme, le Fils de l’homme est venu « non point pour juger le monde, mais pour le sauver z ».

6. O vous, Mère du Saint des Saints, qui avez semé dans le sein de l’Église le parfum de la fleur maternelle et la blancheur du lis des vallées, en dehors de toutes les lois de la génération et de toute intervention purement humaine ; dites-moi, je vous prie, ô Mère unique, de quelle manière, par quel moyen la Divinité a formé dans votre sein ce Fils dont Dieu seul est le Père. Au nom de ce Dieu qui vous a faite digne de lui donner naissance à votre tour, dites-moi, qu’avez-vous fait de bien ? Quelle grande récompense avez-vous obtenue ? sur quelles puissances vous êtes-vous appuyée ? quels protecteurs sont intervenus ? à quels suffrages avez-vous eu recours ? Quel sentiment ou quelle pensée vous a mérité de parvenir à tant de grandeur ? La vertu et la sagesse du Père « qui atteint d’une extrémité à l’autre avec force et qui dispose toutes choses avec suavité aa », le Verbe demeurant tout entier partout, et venant dans votre sein sans y subir aucun changement, a regardé votre chasteté dont il s’est fait un pavillon, dans lequel il est entré sans y porter atteinte et d’où il est sorti en y mettant le sceau de la perfection. Dites-moi donc comment vous êtes parvenue à cet heureux état ? Et Marie de répondre : Vous me demandez quel présent m’a mérité de devenir la mère de mon Créateur ? J’ai offert ma virginité, et cette offrande n’était pas de moi, mais de l’Auteur de tout bien ; « car tout don « excellent et parfait nous vient du Père des « lumières ab) ». Toute mon ambition, c’est mon humilité ; voilà pourquoi « mon âme grandit le Seigneur, et mon esprit a tressailli en Dieu mon Sauveur ac » ; car il a regardé, non pas ma tunique garnie de nœuds d’or, non pas ma chevelure pompeusement ornée et jetant l’éclat de l’or, non pas les pierres précieuses, les perles et les diamants suspendus à mes oreilles, non pas la beauté de mon visage trompeusement fardé ; mais « il a regardé l’humilité de sa servante ».

7. Le Verbe est venu plein de douceur à son humble servante, selon l’oracle du Prophète : « Gardez-vous de craindre, fille de Sion. Voici venir à vous votre Roi plein de douceur et de bonté, assis sur un léger nuage ad ». Quel est ce léger nuage ? C’est la Vierge Marie dont il s’est fait une Mère sans égale. Il est donc venu plein de douceur, reposant sur l’esprit maternel, humble, « calme et craignant ses paroles ae ». Il est venu plein de douceur, remplissant les cieux, s’abaissant parmi les humbles pour arriver aux superbes, ne quittant pas les cieux et présentant ses propres humiliations pour guérir avec une mansuétude toute divine ceux qu’oppressent les gonflements de l’orgueil. O profonde humilité ! « O grandeur infinie des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ; que les « jugements de Dieu sont incompréhensibles et ses voies impénétrables af ». Le pain des Anges est allaité par les mamelles d’une mère ; la source d’eau vive jaillissant jusqu’à la vie éternelle demande à boire à la Samaritaine, figure de l’Église ; il ne refuse pas de manger avec les publicains et les pécheurs, lui que les Anges au ciel servent dans la crainte et la terreur. Le Roi des rois a rendu à la santé le fils de l’officier, sans employer aucun remède et par la seule efficacité de sa parole. Il guérit le serviteur du centurion et loue la foi de ce dernier, parce qu’il a cru que le Seigneur commande à la maladie et à la mort comme lui-même commandait à ses soldats. Quelque cruelles que fussent les souffrances de la paralysie, il en trouva la guérison infaillible dans la visite miséricordieuse de Jésus-Christ. Une femme affligée depuis de longues années d’une perte de sang qui faisait de ses membres une source de corruption, s’approche avec foi du Sauveur qui sent aussitôt une vertu s’échapper de lui et opérer une guérison parfaite. Mais comment rappeler tant de prodiges ? Le temps nous manque pour énumérer tous ces miracles inspirés à notre Dieu par sa puissance infinie et sa bonté sans limite. Abaissant sa grandeur devant notre petitesse et son humilité devant notre orgueil, il est descendu plein de piété, et, nouveau venu dans le monde, il a semé dans le monde des prodiges nouveaux. C’est lui que les évangélistes nous dépeignent sous différentes figures : l’homme, le lion, le bœuf et l’aigle. Homme, il est né d’une Vierge sans le concours de l’homme ; lion, il s’est précipité courageusement sur la mort et s’est élevé sur la croix par sa propre vertu ; bœuf, il a été volontairement immolé dans sa passion pour les péchés du peuple ; et comme un aigle hardi, il a repris son corps, est sorti du tombeau, a fait de l’air le marchepied de sa gloire, « est monté au-dessus des chérubins, prenant son vol sur les ailes des vents », et maintenant il siège au ciel, et c’est à lui qu’appartient l’honneur et la gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

CINQUANTE-CINQUIÈME SERMON.

SUR LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN. (PREMIER SERMON.)

ANALYSE. — 1. Jésus-Christ est venu dans le monde nonobstant le prince du monde. — 2. Jésus-Christ a eu pour précurseur saint Jean. — 3. Saint Jean livré à une femme impudique. — 4. Miracle de la naissance de saint Jean. — 5. Cette naissance doit nous inspirer la joie la plus vive.

1. Notre Roi, avant de naître d’une Vierge, s’était fait précéder de l’armée des Prophètes, afin que le monde, jusque-là révolté contre les édits de son prince, acceptât enfin le joug de Dieu et ne pût envisager sans crainte l’arrivée de son souverain Juge. Mais le désespoir devint de l’audace, notre misérable humanité se mit en guerre ouverte contre Dieu, comme si elle ne dût avoir aucun juge de sa conduite, comme si elle n’eût aucun désir de se réconcilier avec son Créateur et qu’elle ne pût tenir aucun compte de ses ordres. C’est alors que le Verbe, s’enveloppant dans un secret impénétrable, descendit des hauteurs du ciel et vint s’incarner dans l’obscurité la plus profonde.

2. Mais auparavant, ce même Verbe avait envoyé pour son précurseur, saint Jean, avec mission de préparer les âmes à la venue du Messie. Écoutez cette voix céleste, ce héraut terrible du grand Roi, cette trompette éclatante faisant retentir ces cris impétueux : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Préparez la voie au Seigneur, rendez droits les sentiers de notre Dieu. Toute vallée sera comblée, toute montagne et toute colline seront abaissées, les chemins courbes seront redressés, les sentiers escarpés seront aplanis, la gloire de Dieu apparaîtra, et toute chair verra le salut du Seigneur notre Dieu ag ». À la naissance de saint Jean, Jésus-Christ était encore caché dans le sein de sa Mère ; Marie tenait renfermés dans ses entrailles, parmi les lis et les roses, les membres invisibles du Dieu fait homme. La voix apparaît la première, et bientôt le Verbe suivra. Saint Jean s’adresse donc aux hommes, il presse, il crie : « Préparez le chemin au Seigneur, rendez droits les sentiers de notre Dieu ». Arrachez des cœurs toute perversité, corrigez toutes ces perfidies tortueuses, aplanissez par les œuvres de la simplicité et de la foi les collines anfractueuses de l’iniquité, et les erreurs levant audacieusement leur front orgueilleux. Dieu nous arrive, Jésus-Christ approche ; accueillez présent celui que vous avez méprisé absent. Quoique étant l’offensé, Dieu se donne de lui-même, parce qu’il désire être apaisé.

3. Mais le Précurseur fut, de la part des hommes, l’objet d’une horrible cruauté et d’un profond mépris, à tel point que sa tête fut le prix des danses voluptueuses d’Hérodiade ; l’innocence du saint Précurseur devint l’enjeu d’un combat entre la passion et la fureur ; le roi, tout à coup aveuglé par la honteuse concupiscence qu’enflammaient à dessein les grâces impudiques d’une jeune danseuse, livre honteusement le sang innocent, non point à un guerrier armé, mais à une femme éhontée.

4. Mais je m’aperçois, mes frères, qu’au lieu de vous parler de la naissance même de saint Jean, je vous entretiens déjà de sa mort. Je reviens donc à mon sujet, car je ne veux pas m’étendre outre mesure ni m’exposer à faire naître le dégoût et l’ennui. La lecture même de l’Évangile a été d’une certaine étendue ; sous peine donc de mériter à bon droit le reproche d’oisiveté, j’expliquerai le mystère qui nous est proposé, en l’exposant comme Dieu m’en fera la grâce. Le père de saint Jean remplissait dans le temple les fonctions de son sacerdoce, lorsque l’ange Gabriel, fendant l’espace et traversant les airs, se présenta devant Zacharie tremblant de crainte et de respect. Mais au nom du Seigneur l’envoyé céleste le rassure et lui dit : « Ne craignez pas, Zacharie : voici que votre prière a été exaucée ; votre épouse Élisabeth vous donnera un fils à qui vous imposerez le nom de Jean : il sera grand et beaucoup se réjouiront à sa naissance ah ». Or, Zacharie était déjà accablé de vieillesse ; il sentait ses membres ployer sous le poids de l’âge et son corps tourner à la dissolution. Son épouse gémissait de sa stérilité ; depuis longtemps la fleur de la jeunesse était en eux desséchée, et ils se croyaient impuissants à laisser des héritiers de leur nom. Mais tout est possible à Dieu : ces vieillards croient toucher aux limites de la vie, et soudain le fils qu’ils désirent depuis longtemps leur est donné. Toutefois Zacharie, accablé sous le poids de la vieillesse judaïque, refuse de croire à la parole de l’ange. Gabriel lui reproche cette incrédulité et, pour le punir, lui retire l’usage de la parole.

5. Cependant les promesses du Seigneur s’accomplissent ; saint Jean met un terme à la stérilité de ses parents et, rendant à son père l’usage de la parole, annonce déjà par avance l’arrivée du souverain Juge. Nous célébrons aujourd’hui l’anniversaire de cette naissance. Saint Jean naît, comme Dieu l’avait promis, et en naissant, il délie la langue de son père, afin que selon la parole prophétique de l’ange, cette naissance fût réellement une cause de joie pour plusieurs. Prenons part à cette joie, mes frères, afin qu’après avoir reçu à cœur ouvert Jésus-Christ le souverain juge, nous entourions de respect : et de gratitude la naissance de son précurseur. Célébrons donc cette solennité, non pas en nous livrant aux honteux désordres des Gentils, mais en rendant à Dieu un culte simple et digne, et surtout en observant les règles de la chasteté chrétienne. Laissons aux temples païens leurs guirlandes et aux Gentils leurs folies et leurs danses voluptueuses ; c’est dans le Saint des saints que doit briller et se faire le concours de tous les fidèles.

CINQUANTE-SIXIÈME SERMON.

SUR LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN. (DEUXIÈME SERMON.)

ANALYSE. — 1. Glorieuse nativité de saint Jean, foi d’Élisabeth, doute de Zacharie. — 2. Élisabeth devient mère, malgré sa vieillesse. — 3. Jean prophétise dès le sein de sa mère. — 4. Le précurseur montre celui que les Prophètes avaient annoncé.

1. Aujourd’hui se célèbre dans toute l’Église la naissance de saint Jean, du précurseur de la religion et de la foi chrétienne ; après lui avoir offert nos vœux, appliquons-nous à exalter sa mémoire. En effet, en lui accordant le titre de prophète et en inspirant à l’Église la pensée de célébrer sa naissance, Dieu n’a pas voulu qu’une postérité ingrate pût oublier ses titres et sa gloire. Lorsque nous solennisons la fête des saints, à proprement parler, ce n’est point un bienfait que nous leur accordons, et le plus grand avantage est assurément pour nous. Mais parlons de saint Jean. Un ange vient annoncer sa conception ; il est sanctifié dans le sein de sa mère par la présence du Sauveur, et plus tard il sera choisi pour baptiser Jésus-Christ dans l’eau mystérieuse du Jourdain ; car Dieu l’a député par la voix de l’ange, pour servir de précurseur à son Fils, et Zacharie devra avouer qu’il est lui-même le seul auteur de sa propre incrédulité. Qu’Élisabeth brille comme une lampe ardente, et que le prêtre Zacharie soit sévèrement puni. Élisabeth recevait la lumière, et Zacharie était condamné au silence ; Élisabeth concevait par la foi et Zacharie incrédule devenait muet, en punition de ce doute qu’il avait émis : « Comment croirais-je à cette parole ? car je suis vieux et ma femme est très-avancée en âge ai ». O mystère dans un prêtre ! Il offrait l’encens pour les autres, et il ne reconnaissait pas Dieu présent. Il sent quelle est la force de Dieu, et il refuse son acte de foi ; puisqu’il ne croit pas, c’est à juste titre qu’il reste muet.

2. Élisabeth, saisie de confusion, refusait de sortir et restait plongée dans l’admiration et l’étonnement que lui causaient toutes les merveilles dont sa fécondité miraculeuse était la suite. En effet, elle était très-avancée en âge et ne croyait plus à la possibilité naturelle de devenir mère. Elle resta stérile, quand elle eut voulu la fécondité, et elle engendra à un âge où la vieillesse ne lui laissait ni espoir ni désir. Après avoir été stérile dans sa jeunesse, elle allaita son enfant dans la vieillesse ; à l’âge de quatre-vingt-dix ans, elle vit pour la première fois un enfant s’ébattre dans ses bras ; un tel prodige était l’œuvre du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et le fruit de la promesse, en dehors de toutes les prévisions des époux. Ici encore, quand elle est abandonnée à elle-même, la volonté des hommes doit avouer sa complète impuissance. Or, Dieu voulait la naissance de celui qu’il appelait à la mission de prophète.

3. Bientôt s’opère cette naissance de saint Jean, impatiemment attendue par son père ; car, depuis la promesse qui en avait été faite, il était resté muet en punition de son incrédulité à l’oracle divin. Depuis ce moment, Zacharie avait continué, à son tour, de remplir les fonctions de prêtre dans le temple, exhalant d’abondantes prières du fond de son cœur, mais dans une impuissance absolue de faire concourir sa langue et sa voix. Avant de naître, l’enfant avait tressailli dans le sein de sa mère, et y avait commencé sa mission prophétique. La mère du Sauveur était venue visiter Élisabeth, mère de saint Jean ; Élisabeth s’écria : « Sitôt que la voix de votre salutation a retenti à mes oreilles, l’enfant que je porte a tressailli de joie dans mon sein aj ». Et quelle parole prophétique a-t-elle fait entendre ? D’où me vient ce bonheur que la « Mère de mon Dieu ait daigné me visiter ak ? » O profonde humilité ! La mère du Sauveur est venue visiter la mère du Précurseur. Jean a salué Jésus-Christ, quand tous deux étaient encore renfermés dans l’obscurité des entrailles maternelles. En effet, le Sauveur habitait dans le sein de Marie, et saint Jean dans le sein d’Élisabeth. Il est donc bien vrai, cet oracle divin : « Avant que tu fusses dans le sein de ta mère, je te connaissais, et je t’ai sanctifié dans les entrailles maternelles al ». Saint Jean n’était pas encore né, et déjà il avait prophétisé. Les nuits ont parlé, les jours se sont salués. De là cette parole : « Le jour annonce le jour au Verbe, et la nuit parle à la nuit am » de Jésus-Christ.

4. La prophétie est accomplie ; ce qui était obscur se trouve révélé ; c’est-à-dire : saint Jean naît aujourd’hui, le nom de Jean est écrit sur les tablettes, et la langue de Zacharie est déliée. Heureux, mes frères, ceux qui reçoivent de tels gages ; heureuses les mères de tels enfants ; grand sera leur bonheur, puisqu’elles ont mérité de se voir élevées à un tel degré de gloire. Ce jour est la source d’une grande joie, parce qu’une femme, jusque-là stérile, a enfanté un fils, et parce qu’un père, frappé de mutisme, a recouvré la parole. Le flambeau est envoyé avant le soleil, le serviteur avant le maître, l’ami avant l’époux, le héraut avant le juge, la voix avant le Verbe. Voilà pourquoi saint Jean a dit de lui-même : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert an ». Les autres Prophètes n’ont annoncé que longtemps auparavant la venue du Messie ; saint Jean, qui l’avait annoncé dans le sein de sa mère, l’a montré après sa naissance ; il a proclamé la présence sur la terre de Celui à qui appartiennent la gloire et l’empire ; dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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