‏ Luke 12

SERMON CVII. DE L’AVARICE a.

ANALYSE. – Il est ici question, non pas de l’avarice qui consiste à s’approprier le bien d’autrui, mais de l’avarice qui s’attache à conserver avec passion son sien propre. En refusant d’établir le partage qui lui est demandé, Jésus-Christ condamne cette seconde espèce d’avarice. À quoi bon entasser d’inutiles biens dont là mort doit bientôt nous dépouiller ? Cet attachement aux richesses peut d’ailleurs porter à faire bien du mal et les petits et les grands. Ah ! ne tenons pas tant à nos biens et unissons-nous étroitement à Jésus-Christ, dont nul ne saurait nous dépouiller.

1. Vous qui craignez Dieu, je ne doute pas que vous n’écoutiez sa parole avec crainte et que vous ne l’accomplissiez avec joie, afin d’espérer, pour l’obtenir ensuite, l’objet de ses promesses. Nous venons d’entendre le Seigneur ; d’entendre Jésus-Christ, le Fils de Dieu, nous intimer un ordre. Cet ordre vient de la Vérité même, de la Vérité quine trompe ni ne se trompe : écoutons, craignons, soyons sur nos gardes. Quel est cet ordre ? « Je vous le dis, abstenez-vous de toute avarice. » Pourquoi « de toute avarice ? » Pourquoi « toute ? » Pourquoi avoir ajouté ce mot ? Le Sauveur aurait pu dire en effet : évitez l’avarice ; mais il a voulu ajouter : « Toute », et dire : « Abstenez-vous de toute avarice. »

2. En nous faisant connaître la circonstance qui lui a donné lieu de parler ainsi, le saint Évangile nous explique pourquoi cette addition. Quelqu’un, en effet, en avait appelé à lui contre son propre frère, qui s’était approprié tout le patrimoine, sans vouloir céder à son cohéritier la part qui lui revenait. Voyez combien était juste la cause de cet appelant. Il ne cherchait pas à usurper le bien d’autrui, il réclamait seulement ce que lui avaient laissé ses parents, et il le réclamait par l’intermédiaire et d’après la sentence du Seigneur lui-même. Son frère était injuste, mais contre l’injustice de ce frère il invoquait un juge plein de justice. Pour soutenir une cause aussi bonne que la sienne, devait-il ne profiter pas de la présence de ce Juge ? Qui d’ailleurs pourrait inviter son frère à restituer ce qu’il lui devait, si le Christ ne le faisait en personne ? Le Christ était-il un juge que pussent corrompre les présents de ce frère enrichi par l’injustice ? Dans le malheur qui l’a dépouillé de l’héritage paternel, cet homme est donc heureux de rencontrer un juge si grand et si intègre ; il s’approche de lui, l’interpelle, le supplie, lui expose en très-peu de mots son affaire. Avait-il besoin d’un plaidoyer véritable quand il parlait à Celui qui voyait à nu le cœur même ? « Seigneur, dit-il, commandez à. mon frère de partager avec moi l’héritage. » Le Seigneur ne répondit pas : Fais venir ton frère ; il ne l’envoya pas quérir non plus et ne dit pas à l’appelant : Prouve devant lui la justice de ta plainte. L’appelant demandait moitié d’un héritage, moitié d’un héritage sur la terre ; et le Seigneur lui offrait au ciel un héritage entier ; il lui offrait plus que lui ne demandait.

3. « Ordonnez à mon frère de partager avec moi l’héritage. » La cause est juste et s’explique en peu de mots. Mais prêtons l’oreille à la voix du Juge et du Maître. « Homme » dit-il, « ô homme ; » es-tu en effet autre chose qu’un homme, puisque tu fais si grand cas de cet héritage ? Le Seigneur voulait donc faire de lui plus qu’un homme. Mais que voulait-il faire de lui, en cherchant à le délivrer de l’avarice ? Que voulait-il faire de lui ? Le voici : « J’ai dit : Vous êtes des dieux, vous êtes tous les Fils du Très-Haut b. » Voilà ce qu’il voulait faire de lui, il voulait le mettre au nombre des dieux en le dépouillant de son avarice. « Homme, qui a fait de moi un diviseur entre vous ? » Son serviteur et son Apôtre, Paul ne voulait pas non plus servir de diviseur quand il disait : « Je vous conjure, mes frères, de n’avoir tous qu’un même tan« gage et de ne pas souffrir de divisions parmi vous. » Comme on recourait à son nom pour diviser le Christ, il s’écriait encore. « Chacun de vous dit : Moi je suis à Paul, et moi à Apollo, et moi à Céphas, et moi au. Christ. Le Christ est-il divisé ? Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous ? ou est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ? c » Combien donc sont pervers ces hommes qui veulent diviser Celui qui n’a point voulu servir de diviseur et qui a dit : « Qui a fait de moi un diviseur entre vous ?  »

4. Tu demandais une faveur : voici un conseil. « Je vous le déclare, éloignez-vous de toute avarice. » Peut-être regarderais-tu cet homme comme un avare et un cupide, s’il convoitait le bien d’autrui ; mais moi je te défends de rechercher avec avarice et avec cupidité ton propre bien. Voilà ce que signifie toute dans ces mots « Abstenez-vous de toute avarice. » Cette obligation est importante, et s’il est des hommes trop faibles pour en soutenir le poids, qu’ils prient Celui qui leur impose ce fardeau de vouloir bien leur donner des forces. Ah ! mes frères, quand Notre-Seigneur, quand notre Rédempteur et notre Sauveur, quand Celui qui est mort pour nous et qui pour nous racheter a donné son sang comme le prix de notre délivrance, quand Celui qui est en même temps notre avocat et notre juge, nous dit : « Abstenez-vous ; » il ne faut point passer légèrement sur cette recommandation. Il sait combien l’avarice est funeste ; nous l’ignorons, nous ; rapportons-nous-en donc à lui. « Gardez-vous », dit-il. De quoi ? « De toute avarice. » – Mais je me borne à conserver mon bien, je n’usurpe pas le bien d’autrui. « Gardez-vous de toute avarice. » On n’est pas seulement avare pour prendre le bien d’autrui ; on l’est encore pour conserver le sien avec cupidité. – Ah ! si l’on mérite un tel reproche pour conserver son bien avec trop d’attachement, quelle condamnation ne mérite pas celui qui enlève le bien d’autrui ? « Gardez-vous, dit le Seigneur, de toute avarice, car, dans l’abondance même, la vie de chacun ne dépend pas de ce qu’il possède. » Cet homme amasse beaucoup ; mais à ce tas combien prend-il pour vivre ? Qu’il y prenne et qu’il en ôte en quelque sorte par la pensée ce qui lui suffit pour vivre, pour qui sera le reste ? Considère bien, car en conservant de quoi vivre tu pourrais amasser de quoi te donner la mort. Ainsi parle le Christ, ainsi parle la Vérité, la Sévérité même. « Gardez-vous », dit la Vérité. « Gardez-vous », dit la Sévérité. Si tu n’aimes pas la vérité, crains la sévérité. « Dans l’abondance même, la vie de chacun ne dépend pas de ce qu’il possède. » Crois cette parole, elle ne te trompe point. Diras-tu, au contraire, que dans l’abondance la vie de chacun dépend de ce qu’il a ? Tu te trompes sûrement ; car le Christ ne te trompe point.

5. Voilà donc l’occasion qui a fait exprimer au Sauveur cette sentence : le plaignant ne réclamait que sa part, il ne cherchait point à envahir le bien de son frère ; et non content de dire « Gardez-vous de l’avarice, le Seigneur ajouta : toute avarice. » Il fait plus ; il met en scène un riche dont le domaine avait prospéré.« Il y avait, dit-il, un homme riche dont le domaine avait prospéré. » Qu’est-ce à dire avait prospéré ? Le domaine qu’il possédait avait produit des fruits en abondance, et en telle abondance qu’il ne savait où les mettre ; ainsi la richesse même mit tout-à-coup dans la gêne ce vieil avare. Combien d’années s’étaient déjà écoulées sans que ses greniers fussent trop étroits ? Il avait donc fait une récolte si riche que ce qui avait suffi ne lui suffisait plus. Dans sa détresse il cherche donc, nos pas comment il dépensera, mais comment il conserve la cette abondance extraordinaire. Or, à force d’y réfléchir, il trouva un moyen. Ce moyen découvert lui fit croire qu’il était sage. J’ai réfléchi avec prudence, j’ai découvert avec sagesse, disait-il. Qu’a-t-il découvert dans sa sagesse ? « Je renverserai mes greniers, dit-il, j’en ferai de plus grands, je les remplirai et je dirai à mon âme. » Que lui diras-tu ? « Mon âme, tu as beaucoup de bien en réserve pour plusieurs années ; repose-toi, mange, bois, fais grande chère. » Voilà ce que dit à son âme ce sage bien avisé.

6. « Dieu lui dit â son tour ; » car Dieu ne dédaigne pas d’adresser la parole aux insensés eux-mêmes. Mais, dira peut-être quelqu’un d’entre vous, comment Dieu s’est-il entretenu avec cet insensé ? O mes frères, à combien d’insensés ne parle-t-il pas quand on lit l’Évangile ? Car écouter l’Évangile, quand on le lit, sans le pratiquer, n’est-ce pas être insensé ? Que lui dit donc le Seigneur ? Comme cet avare s’applaudissait encore de la mesure qu’il venait de découvrir : « Insensé », lui dit le Sauveur ; « Insensé », qui te crois sage ; « Insensé », qui as dit à ton âme : « Tu as beaucoup de biens en réserve pour plusieurs années ; aujourd’hui même on te redemande ton âme. » Tu lui as dit : « Tu possèdes beaucoup de bien ; » et on te la redemande, et elle ne possède plus rien. Ah ! qu’elle méprise cette sorte de biens et soit bonne en elle-même, afin qu’elle se présente avec sécurité lorsqu’on la redemandera. Et qu’y a-t-il de plus inique que de chercher à posséder beaucoup de biens sans vouloir être bon ? Tu es indigné de rien avoir, toi qu’il ne veux pas être ce que tu cherches à posséder. Voudrais-tu que ton champ fût mauvais ? Non sans doute, tu veux qu’il soit bon. Que ta femme fut mauvaise ? Non, mais qu’elle soit, bonne. Voudrais tu enfin d’une habitation mauvaise, d’une mauvaise chaussure ? Pourquoi n’y a-t-il que ton âme que tu veuilles mauvaise ? À cet insensé occupé de vains projets et construisant des greniers sans faire attention aux besoins des pauvres, le Sauveur ne dit point : Ton âme aujourd’hui sera entraînée dans l’enfer ; il ne dit pas cela, mais : « On te la redemande. » Je ne te fais pas connaître où elle ira ; je te dis seulement que bon gré, malgré toi, elle quittera ces lieux où la tiens pour elle tant de biens en réserve. Comment, ô insensé, as-tu songé à renouveler et à agrandir tes greniers ? Ne savais-tu que faire de tes récoltes ?

7. Cet avare peut-être n’était pas chrétien. Pour nous, tues frères, qui avons foi à l’Évangile qu’on nous lit ; pour nous qui en adorons l’auteur et qui portons au front et dans le cœur son symbole sacré, écoutons ce qu’il dit. Il importe extrêmement de savoir si ce signe du Christ est gravé sur le front seulement, ou s’il l’est en même temps au front et dans le cœur. Vous avez entendu ce que nous lisions aujourd’hui dans le saint prophète Ézéchiel, comment le Seigneur, avant d’envoyer l’ange exterminateur, envoya d’abord un autre ange pour désigner ceux qui seraient épargnés. « Va, lui dit-il, et grave un signe sur le front de ceux qui gémissent et qui pleurent sur les péchés de mon peuple, sur les péchés qui se commettent au milieu d’eux. » Il n’est pas dit : qui se commettent en dehors, mais au milieu d’eux
Cette réflexion, comme plusieurs autres que l’on rencontre dans ce discours, et dans d’autres, est dirigée contre les Donatistes qui croyaient devoir se séparer des pécheurs.
. Ils en gémissent toutefois et ils en pleurent : aussi sont-ils arqués au front, non pas au front du visage ruais au front de la conscience. Ne voit-on pas en effet le front rougir quelquefois lorsque la conscience est émue ? La honte et la crainte s’y peignent tour à tour. Il y a donc une espèce de front dans la conscience, et c’est là que furent marqués les élus pour échapper au glaive. Sans doute ils n’empêchaient point les péchés qui se commettaient au milieu d’eux, mais ils en gémissaient ; cette douleur les séparait des pécheurs, les en séparait devant Dieu, quoiqu’aux yeux des hommes ils y fussent mêlés. Et cette invisible marque les préserve d’une mort visible. Vient ensuite l’Ange exterminateur, et Dieu lui dit en l’envoyant : « Va, porte la destruction, n’épargne ni petit ni grand, ni homme ni femme ; mais n’approche point de ceux qui sont marqués au front e. » Quelle assurance vous trouvez là, vous, mes frères, qui êtes au milieu de ce peuple, mais en gémissant et en déplorant, sans y prendre part, les, iniquités qui se commettent parmi vous !

8. Or, afin d’éviter ces iniquités, « Gardez-vous de toute avarice. » Je vais assigner à ces mots : « Toute avarice », un sens encore plus étendu. Le voluptueux est avare, quand une seule épouse ne lui suffit pas. L’idolâtre même est avare, avare au regard de la divinité, puisqu’il ne se contente pas du Dieu unique et véritable. Mais s’il faut être avare pour se faire plusieurs dieux, ne faut-il pas l’être aussi pour se faire de faux martyrs ? « Gardez-vous de toute avarice. » Tu aimes ce qui est à toi et tu te vantes de ne chercher pas le bien d’autrui : vois combien tu fais mal en n’écoutant pas cet avertissement du Christ : « Gardez-vous de toute avarice. » Tu aimes ce qui est à toi et tu ne prends point le bien d’autrui : ce que tu possèdes est le fruit de ton travail, tu ne blesses pas la justice ; tu as recueilli un héritage, une donation faite par quelqu’un que tu as su gagner ; ou bien encore, tu as traversé les mers, tu t’es exposé à la mort, tu n’as trompé personne, tu n’as point prêté serment au mensonge, tu n’as acquis que ce qu’il a plu à Dieu ; et parce que tes richesses n’ont pas une origine d’iniquité et que tu n’ambitionnes pas ce qui appartient à autrui, ta conscience ne te reproche pas la passion avec laquelle tu les conserves. Mais si tu es sourd à cette recommandation divine : « Gardez-vous de toute avarice », écoutez à combien de crimes vont t’exposer les richesses. Tu as obtenu, par exemple, une charge de juge. Tu ne te laisses pas corrompre puisque tu ne cherches pas le bien d’autrui, et pour te porter à condamner son adversaire, nul ne te fait de présent. Non, et qui pourrait t’y déterminer, puisque tu renonces complètement à ce qui ne t’appartient pas ? Considère néanmoins à quelle iniquité t’expose ton attachement à ce que tu possèdes. Cet homme qui te demande une sentence injuste contre son adversaire, est peut-être un puissant du siècle qui peut te traduire lui-même et te faire perdre ta fortune. D’un côté tu songes à sa puissance, tu y réfléchis avec attention ; et tu vois d’un autre côté ces biens que tu conserves, que tu aimes et auxquels tu t’es malheureusement lié, plutôt que d’en rester le maître. Tu songes donc à cette glu qui ne permet plus de se déployer aux ailes de la vertu et tu te dis en toi-même : Si, je fiche cet homme, comme il est aujourd’hui puissant, il sèmera sur mon compte des accusations funestes, on me proscrira et je perdrai tout ce que je possède. – Ainsi tu porteras une sentence injuste, non pour t’approprier le bien d’autrui, mais pour conserver le tien.

9. Supposons maintenant un homme qui ait entendu et entendu avec crainte cet avertissement du Christ : « Gardez-vous de toute avarice. » Que cet homme ne me dise pas : Je suis pauvre, je suis un homme du peuple, du commun, confondu dans la foule ; comment pourrais-je espérer de devenir juge ? je n’ai pas à redouter la tentation dont vous venez d’exposer les dangers ; car je vais faire connaître, à ce pauvre aussi, ce qu’il a à redouter. Le voici. Un riche, un puissant du monde t’invite à déposer en sa faveur un faux témoignage. Que feras-tu ? Dis-le-moi. Tu as une honnête épargne c’est le fruit de ton travail et de tes économies. Mais ce puissant te presse : Fais pour moi, dit-il, ce faux témoignage, et je te donne tant, et tant encore. – Toi qui ne cherches pas ce qui est à d’autres : Dieu m’en garde, réponds-tu ; je ne demande pas, je n’accepte pas ce qu’il n’a pas plu à Dieu de me donner ; laisse-moi en paix. – Tu ne veux pas de ce que je t’offre ? Je vais te dépouiller de ce que tu as. — C’est maintenant qu’il faut t’examiner, te sonder. Pourquoi me regarder ? Regarde au dedans de toi, regarde, examine avec attention. Assieds-toi en face de toi-même, établis-toi en face de toi, étends-toi en quelque sorte sur le chevalet divin, sur les divins commandements, applique-toi, sans te flatter, la torture de la crainte, et réponds-toi. Oui, si on te menaçait ainsi, que ferais-tu ? – Je t’enlève ce qui t’a demandé tant de travail, si tu ne fais pour moi un faux témoignage. – Ah ! considère Celui qui a dit. « Gardez-vous de toute avarice. » O mon serviteur, te répondra-il, toi que j’ai racheté et affranchi, toi que j’ai fait mon frère, d’esclave que tu étais, et que j’ai placé comme un membre dans mon corps sacré, écoute-moi : Que cet homme te dépouille de ce que tu as gagné, Il ne pourra te dépouiller de moi. C’est pour éviter la mort que tu conserves ton bien. Ne t’ai-je pas dit : « Gardez-vous de toute avarice ? »

10. Mais tu te troubles, tu t’agites ; ton cœur est comme un navire battu par la tempête. Le Christ y est endormi ; réveille-le et tu ne seras point victime de cet affreux danger. Réveille-le ; il n’a rien voulu posséder ici-bas et il s’est donné à toi tout entier ; pour toi il est allé jusqu’au gibet, et pendant que tout nu il était suspendu à la croix, on l’insultait et on comptait ses os ; ainsi garde-toi de toute avarice.C'est peu d’éviter l’attachement à l’argent, évite aussi l’attachement à la vie. Que cet attachement est à craindre, qu’il est redoutable ! On rencontre parfois des hommes qui pour ne pas faire un faux témoignage méprisent ce qu’ils possèdent. – Tu n’en fais pas ? leur dit-on ; j’enlève ce que tu as. – Enlève-le ; mais tu ne peux rien sur mon trésor intérieur. Non, cet ancien n’était pas pauvre, lorsque dépouillé de tout il disait : « Le Seigneur adonné, le Seigneur a ôté ; comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait ; ainsi, que le nom du Seigneur soit béni ; je suis sorti nu du sein de ma mère ; je rentrerai nu dans la terre f. » Extérieurement il était dépouillé ; mais à l’intérieur quels riches vêtements ! Il ne portait plus ces étoffes qui s’usent, et pourtant il n’était point sans vêtement. Quel était ce vêtement ? « Que vos prêtres, est-il écrit, soient revêtus de justice g. » Si donc, témoin de ton mépris pour la fortune, on te disait : Je te mets à mort ; réponds, si tu es fidèle au Christ : Tu me mettras à mort ? Eh bien, j’aime mieux que tu tues mon corps que de tuer mon âme par le mensonge. Que peux-tu contre moi ? Tuer ma chair ; mais l’âme en sortira pleine de liberté pour s’y réunir à la fin des siècles après l’avoir sacrifiée maintenant. Ainsi que peux-tu contre moi ? Mais moi, en faisant pour toi un faux témoignage, je me tue par là même, et je me tue, non pas corporellement, car « la bouche menteuse donne la mort à l’âme h. » – Peut-être, hélas ! ne tiens-tu pas ce langage. Pourquoi ne le tiens-tu pas ? C’est que tu veux vivre. Quoi ! vivre plus que Dieu ne veut ? Est-ce te garder de toute avarice ? Dieu voulait que tu vécusses jusqu’au moment où ce tentateur s’est approché de toi. Il pourra te mettre à mort et faire de toi un martyr. N’aie pas la passion de vivre pour mourir éternellement. Vous voyez donc que partout où nous recherchons plus qu’il n’est nécessaire, cette funeste avarice nous conduit au péché. Gardons-nous de toute avarice, si nous voulons jouir de l’éternelle sagesse.

SERMON CVIII. RÉCOMPENSE ET MÉRITE i.

ANALYSE. – Quoique toujours présent parmi nous, Jésus-Christ viendra récompenser les bons au dernier jour et pour leur accorder cette récompense, il demande qu’ils évitent le mal et fassent le bien. Que ne nous empressons-nous de mériter cette récompense, puisqu’ici tout nous échappe, puisqu’ici nous ne saurions trouver le bonheur ? Peut-on dire qu’elle soit mise à des conditions trop difficiles ?

1. Jésus-Christ Notre-Seigneur est venu parmi les hommes ; il les a quittés ensuite pour revenir vers eux. Déjà il était ici quand il y est venu, et en s’en allant il ne nous a pas quittés, puisqu’avant de revenir vers nous il nous a dit « Voici, je suis avec vous jusqu’à la consommation du siècle j. » C’est dont en qualité de serviteur, tel qu’il s’est fait pour nous, qu’il est né dans le temps, qu’il a été mis à mort, qu’il est ressuscité, qu’il ne meurt plus, et que la mort n’aura plus d’empire sur lui k ; et c’est comme Dieu, comme étant égal à son Père, qu’il, était dans ce monde, que le monde a été fait par lui et que le monde ne l’a point connu l. Or à propos de ce dernier avènement, vous venez d’entendre comment il nous avertit, dans l’Évangile ; d’être sur nos gardes, de nous tenir toujours prêts et disposés à nos derniers moments, afin qu’a ces derniers moments, redoutables au point de vue de ce siècle ; succède un repos sans fin. Heureux quiconque y sera admis ! Alors seront sans crainte ceux qui craignent maintenant, et ceux qui ne tremblent pas aujourd’hui trembleront alors. C’est dans cette vue dernière et dans cette espérance que nous sommes devenus chrétiens. Notre espoir en effet n’est-il pas en dehors de ce siècle ? N’aimons pas ce siècle ; de l’amour de ce siècle nous avons été appelés à aimer et à espérer un autre monde. Nous devons ici nous abstenir de tout désir coupable, c’est-à-dire, noirs ceindre les reins ; être remplis d’ardeur et de lumière pour faire le bien ; en d’autres termes, tenir nos lampes allumées ; car le Seigneur lui-même dit expressément dans un autre endroit de l’Évangile « Quand on allume un flambeau, on ne le met pas sous un boisseau, mais sur un chandelier, afin qu’il éclaire tous ceux qui sont dans la maison. » Et pour faire comprendre sa pensée, il ajoute : « Que votre lumière luise devant les hommes, de façon qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux m. »

2. C’est dans ce sens qu’il nous commande d’avoir les reins ceints et les flambeaux allumés. Que signifient les reins ceints ? « Évite le mal. » Que signifie luire, avoir des flambeaux allumés ? Cela veut dire : « Et fais le bien. » Comment entendre aussi ce qu’ajoute le Sauveur : « Et soyez semblables à des hommes qui attendent que leur Maître revienne des noces ? » N’est-ce pas le même sens que dans les paroles suivantes du même psaume : « Cherche la paix et poursuis-la ? » Ces trois idées, s’abstenir du mal, faire le bien et espérer l’éternelle récompense, sont rappelées dans ce passage des Actes des Apôtres où il est écrit que Paul enseignait « la continence, la justice et l’espoir de l’éternelle vie n. » La continence est dans ces mots : « Ayez les reins ceints ; » la justice dans ceux-ci « Et les lampes allumées ; » l’attente du Seigneur se confond avec l’espoir de la vie éternelle. Ainsi donc s’abstenir du mal, c’est pratiquer la continence et avoir les reins toujours ceints ; faire le bien, c’est accomplir la justice et tenir ses lampes allumées ; chercher la paix et la poursuivre, c’est attendre le siècle à venir, c’est être semblable aux hommes qui attendent que leur Maître revienne des noces.

3. Comment donc, après avoir reçu de tels avertissements et de telles promesses, cherchons-nous encore sur la terre ces jours heureux que nous ne saurions y trouver ? Car, je le sais, vous les cherchez, soit quand vous êtes malades, soit quand vous êtes sous le poids des afflictions qui sont si multipliées en ce monde. Quand l’âge est sur son déclin, ne voit-on pas le vieillard privé de toute jouissance et rempli de chagrins ? Il est vrai, pourtant au milieu des souffrances qui accablent l’humanité, les hommes ne demandent que des jours heureux ; ils cherchent constamment, sans pouvoir y parvenir, à allonger leur vie. Qu’est-ce en effet que la vie la plus longue, comparée à l’étendue des siècles ? N’est-elle pas aussi petite qu’une goutte d’eau dans l’Océan ? Ah ! qu’est-ce donc que la vie, que la vie, vie même que l’on dit longue ? On l’appelle longue, quoiqu’en face des siècles elle soit si courte, et, comme je l’ai déjà observé, elle est remplie de gémissements jusqu’à la suprême vieillesse. Dans son ensemble même, elle est donc très-peu de chose. Avec quelle ardeur, néanmoins, ne la recherche-t-on pas ? A quelle activité, à quel labeur, à quels soins, à quelle vigilance, à quels travaux ne se dévoue-t-on pas pour vivre ici longtemps et parvenir.à la vieillesse ? Et pourtant qu’est-ce qu’une vie longue, sinon une longue course vers la mort ? Tu étais hier et tu veux être demain ; mais lorsque ce demain sera passé, un jour de moins encore. Quoi ! tu appelles le lever de l’aurore pour approcher du terme où tu ne veux pas aboutir ? Tu donnes une fête à tes amis, tu les entends alors te souhaiter une longue vie et tu souhaites l’accomplissement de leurs vœux. Ainsi tu veux que les années succèdent aux années, et tu ne veux pas que la dernière arrive ? Voilà des désirs contradictoires, c’est vouloir marcher sans vouloir arriver.

4. Mais, comme je l’ai dit encore, si l’on est si empressé de se consacrer chaque jour à de rudes et continuels travaux pour mourir un peu plus tard, avec quelle sollicitude ne devrait-on pas travailler à ne mourir jamais ? Personne toutefois n’y veut songer. On cherche ici, sans relâche, des jours heureux qu’on n’y trouve pas ; et l’on ne veut pas vivre de façon à parvenir au lieu où on les trouve ! L’Écriture a donc raison de s’écrier : « Quel « est l’homme qui veut vivre et qui aime à avoir des jours heureux ? » Elle sait en adressant cette question, ce qui y sera répondu ; elle sait que tous les hommes cherchent à vivre et à vivre heureux. Elle leur demande donc ce qu’ils désirent, elle entend en quelque sorte tous les cœurs lui répondre : C’est moi ; et c’est dans ce dessein qu’elle s’écrie : « Quel est l’homme qui veut vivre et qui aime à avoir des jours heureux ? » C’est ainsi que dans ce moment même où je vous parle, où vous m’entendez répéter : « Quel est l’homme qui veut vivre et qui aime à voir des jours heureux ? » vous me répondez tous dans votre cœur : C’est moi. Moi qui vous parle, j’aime aussi la vie et des jours heureux ; ce que vous cherchez, je le cherche comme vous.

5. Si nous avions tous besoin d’or, si je voulais en trouver avec vous ; s’il y en avait dans l’une de vos terres, dans un lieu qui vous appartint ; si je vous y voyais fouiller et que je vous demandasse : Que cherchez-vous ? Vous me répondriez : De l’or. Je vous dirais de mon côté Vous cherchez de l’or ; j’en cherche comme vous ; mais vous ne cherchez pas où nous en pourrons trouver. Apprenez donc de moi où il s’en rencontre. Je ne veux pas vous le ravir, mais vous montrer l’endroit où il est ; ou plutôt, suivons tous Celui qui sait où se trouve ce que nous cherchons. Ainsi en est-il aujourd’hui : Vous êtes désireux de vivre et d’avoir des jours heureux ; nous ne pouvons vous détourner de ce désir, mais nous vous disons : Ne cherchez pas dans ce monde cette vie ni ces jours heureux, car les jours n’y sauraient être heureux et la vie même n’y ressemble-t-elle pas à la mort ? Ces jours passent en courant ; aujourd’hui fait disparaître hier, et demain ne paraîtra que pour faire disparaître aujourd’hui ; ils ne s’arrêtent pas, et conduit par eux tu voudrais t’arrêter ? Ah ! je suis loin de comprimer, j’enflamme plutôt en vous le désir de la vie et des jours heureux. Oui, cherchez la vie et des jours heureux ; mais cherchez-les où ils se trouvent.

6. Voulez-vous prendre avec moi conseil de Celui qui sait où se rencontrent et cette vie en ces jours heureux ? Écoutez, non, pas moi, mais lui avec moi. Il nous est dit par quelqu’un : « Venez mes enfants, écoutez-moi. » Courons et arrêtons-nous, prêtons l’oreille et comprenons le langage du Père qui nous dit : « Venez, mes enfants, écoutez-moi. Je vous enseignerai la crainte du Seigneur », ajoute-t-il. Voilà donc ce qu’il veut nous apprendre. – Mais à quoi sert cette crainte ? Le voici dans les paroles qui suivent : « Quel est l’homme qui veut vivre et qui aime à avoir des jours heureux ? » Nous répondons tous : C’est nous. Écoutons alors ce qui vient ensuite : « Préserve ta langue du mal, et tes lèvres de toute parole artificieuse. » Ici encore réponds : Je le veux. Quand je disais tout à l’heure : « Quel est l’homme qui veut vivre et qui aime à voir des jours heureux ? » nous répondions tous : C’est moi. Qu’ici donc on me réponde aussi : C’est moi. À ces mots : « Préserve ta langue du mal, et tes lèvres, de toute parole artificieuse », réponds donc également : Je le veux. Quoi ! tu veux la vie et des jours heureux, et tu refuses de préserver ta langue du mal et tes lèvres des paroles frauduleuses ? Vif pour la récompense, tu es si lent pour le travail ! Qui donc, sans travailler, obtient une récompense ? Plut à Dieu que chez toi l’ouvrier fut toujours récompensé 1 Je sais que tu ne donnes rien à qui ne travaille pas. Pourquoi ? Parce que tu ne lui dois rien, Dieu aussi nous offre une récompense. Laquelle ? « La vie et les jours heureux » après lesquels nous soupirons tous et que tous nous essayons de nous procurer. Après l’avoir promise, il accordera aussi cette récompense, la récompense de la vie et des jours heureux. Et en quoi consistent ces jours heureux ? Dans une vie sans fin, dans un repos sans fatigue.

7. La récompense est grande ; à quelles conditions la met-il ? Voyons-le, et pleins d’ardeur pour de telles promesses, préparons, pour lui obéir, toutes nos forces, et nos mains et nos bras. Va-t-il nous commander de porter des fardeaux énormes, de creuser la terre ou de dresser quelque puissante machine ? Il n’ordonne rien de si laborieux ; il te commande seulement de dompter le plus agile de tes membres : « Préserve, dit-il, ta langue du mal. » Il n’en coûte pas de bâtir une demeure, et il en coûte de retenir sa langue ! « Préserve ta langue du mal ; » évite le mensonge, évite les accusations, évite les calomnies, évite les faux témoignages, évite les blasphèmes : « Préserve ta langue du mal. » Considère comment tu te fâches quand on parle mal de toi. Eh bien ! comme tu te fâches contre qui parle mal de toi, fâche-toi contre toi-même quand tu parles mal d’autrui. « Préserve tes lèvres de toute parole artificieuse. » Exprime simplement ce que tu as dans le cœur ; qu’il n’y ait pas dans l’esprit autre chose que ce qui est sur la langue. « Évite le mal et pratique le bien. » Eh ! comment dire à quelqu’un : Donne des vêtements à ce pauvre qui en manque, s’il cherche à dépouiller celui qui en a ? Comment recueillir un étranger, quand on tourmente un concitoyen ? L’ordre donc le demande : « Évite le mal, puis fais le bien ; » ceins-toi les reins d’abord, puis allume ta lampe. Tu pourras alors attendre tranquillement « la vie et les jours heureux. Cherche « la paix et la poursuis o ; » et tu diras avec confiance au Seigneur : J’ai fait ce que vous m’avez commandé, accomplissez ce que vous m’avez promis.

SERMON CIX. FAIRE PÉNITENCE p.

ANALYSE. – Ce qui nous oblige à faire pénitence, c’est que : 1° notre mort est proche ; 2° il est nécessaire, pour échapper aux derniers supplices, de nous entendre pendant la vie avec notre adversaire, c’est-à-dire, de nous conformer à la parole de Dieu ; 3° nos jours ne font que s’écouler.

1. En entendant l’Évangile, nous avons vu le Seigneur accuser des hommes qui savent juger d’après l’aspect du ciel, et qui ne savent pas découvrir le temps où la foi montre l’approche du royaume des cieux. Il s’adressait aux Juifs ; mais ces paroles s’appliquent aussi à nous. Ce divin Seigneur Jésus-Christ commença ainsi la prédication de l’Évangile : « Faites pénitence car le royaume des cieux approche q. » Son précurseur, Jean-Baptiste, commença de même : « Faites pénitence, car le royaume des cieux approche r. » Aujourd’hui encore le Sauveur blâme ceux qui à cette approche du royaume des cieux refusent de faire pénitence. Il dit en effet : « Le royaume des cieux ne viendra pas de manière à être remarqué ; » et encore : « Le royaume des cieux est au dedans de vous s. » A chacun donc d’accueillir, comme la prudente l’exige, les avertissements du Sauveur et de ne pas perdre le temps où il fait miséricorde, où il pardonne au genre humain. Pourquoi en effet épargner l’homme, sinon pour l’amener à se convertir et à ne mériter pas la condamnation ? Dieu sait quand viendra la fin du siècle ; mais ce temps est pour nous le temps de la foi. Quelqu’un d’entre nous sera-t-il encore ici à la fin du monde ? Je l’ignore, et il est possible que non. Mais la vie de chacun de nous touche à sa fin, car nous sommes mortels et nous marchons au milieu des périls. Nous en aurions moins à redouter, si nous étions de verre. Qu’y a-t-il de plus fragile qu’un vase de verre ? On le conserve néanmoins pendant des siècles ; et si on craint pour lui des accidents, il n’est exposé ni à la vieillesse ni à la fièvre. Ne sommes-nous pas plus fragiles et plus faibles ? Nous avons à craindre chaque jour, pour notre fragilité, les dangers qui se multiplient autour de nous ; si nous y échappons, le temps nous entraîne. On évite un coup, évite-t-on la mort ? On se soustrait aux accidents extérieurs, échappe-t-on aux maladies qui naissent au dedans ? Ce sont tantôt des vers et tantôt des indispositions subites, et si longtemps que l’on soit épargné, la vieillesse finit par venir, il faut partir sans délai.

2. Ainsi donc écoutons le Seigneur, accomplissons fidèlement ce qu’il ordonne, et voyons quel est cet adversaire dont il nous menace quand il dit : « Lorsque tu vas avec ton adversaire devant un prince, tâche de te dégager de lui en chemin ; de peur qu’il ne te livre au prince et le prince à l’exécuteur, et que l’exécuteur ne te jette en prison ; car tu n’en sortirais point sans avoir payé jusqu’à la dernière obole. » Quel est donc cet adversaire ? Est-ce le diable ? Mais nous sommes déjà dégagés d’entre ses mains, et quelle rançon n’a pas été donnée pour notre rachat ! C’est de cette rançon que parle l’Apôtre quand il dit, à propos de notre rédemption, que Dieu « nous a arrachés, de la puissance des ténèbres et transférés dans le royaume de son Fils bien-aimé t. » Ainsi nous avons été rachetés, nous avons renoncé au diable ; comment donc travailler à nous en délivrer ? Quand nous péchons, peut-il nous asservir de nouveau ? Il n’est pas l’adversaire dont nous parle le Seigneur.— Ce qui le prouve encore, c’est la manière dont un autre Évangéliste traduit ailleurs la pensée du Seigneur : il suffit de rapprocher et de comparer les deux textes sacrés pour comprendre de quel adversaire il est ici question. Dans le, passage que nous examinons, que lisons-nous ? « Lorsque tu vas avec ton adversaire devant un prince, tâche de te dégager de lui en chemin. » Ce que l’autre Évangéliste traduit ainsi : « Accorde-toi au plus tôt avec ton adversaire, tant que tu chemines avec lui ; » le reste du texte : « De peur que ton adversaire ne te livre au juge, et le juge à l’exécuteur, et que l’exécuteur ne te jette en prison », est identique à ce que nous avons déjà vu u. Ainsi les deux auteurs expriment la même pensée. « Tâche de te dégager de lui en chemin », dit l’un. « Accorde-toi avec lui », dit l’autre. Sans cet accord en effet, tu ne saurais recouvrer ta liberté. Veux-tu donc te tirer d’entre ses mains ? « Accorde-toi avec lui. » Or, est-ce avec le diable que doit s’accorder un chrétien ?

3. Ainsi donc cherchons cet adversaire avec lequel nous devons tomber d’accord, si nous ne voulons pas qu’il nous livre au juge et que le juge nous livre à l’exécuteur ; cherchons-le et nous entendons avec lui. Si tu pèches, la parole de Dieu ne devient-elle pas ton adversaire ? Si, par exemple, tu aimes à t’enivrer, ne te crie-t-elle pas : Garde-toi de le faire ? Tu aimes les spectacles et les vains divertissements, ne dit-elle pas encore : Abstiens-toi ? Abstiens-toi de l’adultère, crie-t-elle à celui qui y court ; et quelques péchés que tu veuilles commettre pour suivre ta volonté, toujours elle répète : abstiens-toi, s’opposant ainsi à ta volonté, pour assurer ton salut. Quel bon, quel utile adversaire : Il cherche, non pas ce qui nous plaît, mais ce qui nous sert ; il n’est notre ennemi qu’autant que nous sommes nos ennemis nous-mêmes. Oui, si tu es ton propre ennemi, tuas un ennemi encore dans la parole de Dieu ; deviens ton ami, et tu seras d’intelligence avec elle. « Tu ne commettras point d’homicide », dit-elle ; écoute-la et tu es en paix. « Tu ne déroberas point ; » écoute et tu es en paix. « Tu ne seras point adultère », écoute encore et la paix est faite. « Tu ne feras point de faux témoignage ; » sois-y fidèle, et tu es d’accord. « Ne convoite point l’épouse de ton prochain ; » écoute et tu es en paix. « Ne convoite pas non plus son bien v ; » écoute encore et tu es en paix. Or en t’accordant sur tous ces points, qu’as-tu perdu ? Non-seulement tu n’as rien perdu, mais tu t’es sauvé toi-même de la perdition où tu t’étais égaré. Le chemin désigne cette vie ; si nous sommes d’accord, si nous nous entendons avec notre adversaire, une fois au terme de la route, nous ne redouterons ni le juge, ni l’exécuteur, ni le cachot.

4. Mais quand arrive-t-on au terme ? Tous n’arrivent pas à la même heure ; chacun a la sienne pour y parvenir. Le chemin est cette vie, avons-nous dit ; et le terme du chemin est la fin de la vie. Ainsi nous marchons, et vivre, c’est avancer. Vous imagineriez-vous au contraire que le temps avance et que nous sommes immobiles ? C’est chose impossible. Si le temps avance nous avançons aussi, et au lieu de croître nos années décroissent. Comme on se trompe en disant : Cet entant n’est pas encore suffisamment sage, la prudence lui viendra à mesure que lui viendront les années. Quoi ! à mesure que lui viendront les années ? Mais au lieu de venir elles s’en vont. Ce qu’il est bien facile de prouver. Supposons par exemple que nous connaissions combien d’années doit vivre cet enfant, à dater de sa naissance : admettons eh sa faveur qu’il vivra quatre-vingts ans, qu’il parviendra à cette vieillesse. Retiens quatre-vingts ans. Il a un an. Combien avais-tu ? combien devait-il vivre en tout ? Quatre-vingts. Retranchez donc une année. S’il a vécu dix ans, il ne lui en reste que soixante-dix. S’il en a vécu vingt, soixante. Ainsi donc en avançant, nos années ne font que s’en aller ; non, elles ne marchent que pour s’en aller. Elles ne viennent pas pour s’arrêter en flous ; elles passent en nous pour nous user et amoindrir de plus en plus nos forces. Tel est donc le chemin où nous marchons.

Et qu’avons-nous à faire avec cet adversaire mystérieux, avec la parole de Dieu ? Accorde-toi avec lui car tu ignores à quel moment tu seras au terme de ta course, et à ce terme on rencontre et le juge et l’exécuteur et la prison. Mais si ta volonté se maintient bonne et conforme à celle de ton adversaire ; au lieu d’un juge tu trouveras un père, au lieu de l’exécuteur sans entrailles, un ange qui te portera dans le sein d’Abraham, et le paradis pour prison. Quel merveilleux changement pour t’être entendu le long du chemin avec ton adversaire !

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