‏ Luke 14

SERMON CXII. OBSTACLES A LA CONVERSION a.

ANALYSE. – En expliquant la parabole du festin nuptial, saint Augustin montre que les prétextes alléguées par les invités qui refusent de s’y rendre, se réduisent aux trois concupiscences signalées par l’Apôtre saint Jean, savoir : l’orgueil de la vie, la curiosité sensuelle et la convoitise de la chair.

1. Ces saintes lectures nous sont faites, et pour que nous y prêtions l’oreille, et pour que nous y puisions, avec l’aide du Seigneur, un sujet d’entretien. Le texte de l’Apôtre rend grâces à Dieu de la foi des gentils, et avec raison, car elle est son œuvre. Nous répétions en chantant le Psaume : « Dieu des vertus, attirez-nous, montrez-nous votre face et, nous serons sauvés b. »

Quant à l’Évangile il nous a invités au festin, ou plutôt il en a invité d’autres, puisque, sans nous y inviter, il nous y a menés, nous a même forcés d’y prendre part. Voici en effet ce que nous venons d’entendre : « Un homme fit un grand festin. » Quel est cet homme, sinon Celui qui est médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus homme c ? Il envoya ensuite chercher les invités, car l’heure était venue pour eux de se rendre au banquet. Quels sont ces invités, sinon ceux qu’avaient conviés les Prophètes envoyés par lui ? Quand les avaient-ils invités ? Depuis longtemps, car les Prophètes n’ont cessé depuis que Dieu les envoie, de convier au festin du Christ. Envoyés donc vers le peuple d’Israël et envoyés fréquemment, ils ont sans relâche pressé ce peuple de venir pour le moment du repas. Mais tout en recevant les Prophètes qui les invitaient, les Juifs refusèrent de se rendre au festin. Qu’est-ce à dire : tout en recevant les Prophètes qui les invitaient, ils refusèrent de se rendre au festin ? C’est-à-dire que tout en lisant les prophètes ils mirent le Christ à mort. Or, en le mettant à mort, ils nous ont, sans s’en douter, préparé un festin ; et quand ce festin a été préparé, quand le Christ a été immolé, quand, après la résurrection du Christ, le banquet mystérieux que connaissent les fidèles, a été institué par lui, consacré par ses mains et par ses paroles, les Apôtres ont été envoyés vers ces mêmes hommes à qui avaient d’abord été adressés les Prophètes. Venez au festin.

2. Mais en refusant ils apportèrent des excuses. Quelles excuses ? Trois. « L’un dit : J’ai acheté une métairie, je vais la voir, excusez-moi. Un autre dit : J’ai acheté cinq paires de bœufs, je vais les essayer ; excusez-moi, je vous prie. Un troisième dit : J’ai pris une femme, excusez-moi, je ne puis venir. » Ne sont-ce pas là, croyez-vous, les prétextes qui retiennent quiconque refuse de se rendre au divin banquet ? Examinons, sondons, comprenons ces prétextes, mais pour les éviter.L'achat de la métairie est un signe de l’esprit de domination. Ici donc le Sauveur flagelle l’orgueil, car c’est par orgueil qu’on aime à avoir, à garder, à conserver des domaines et à y entretenir des serviteurs que l’on se plaît à commander. Vice désastreux ! vice primordial ! Car en refusant d’obéir, le premier homme voulut commander. Et qu’est-ce que commander, sinon relever de sa propre autorité ? Au-dessus de nous toutefois est une autorité plus haute ; soyons-lui soumis, afin de pouvoir être en sûreté. « J’ai acheté une métairie; excusez-moi. » C’est l’orgueil qui empêche de se rendre à l’invitation.

3. « Un autre dit : J’ai acheté cinq paires de bœufs. » Ne suffisait-il pas de dire : J’ai acheté des bœufs ? Sans aucun doute, il y a ici quelque mystère qui par son obscurité même nous invite à l’étudier et à le pénétrer. C’est une porte close qui nous appelle à frapper. Ces cinq paires de bœufs sont les cinq sens corporels. Chacun le sait effectivement, nos sens sont au nombre de cinq, et s’il en est qui ne l’aient pas remarqué encore, il suffit pour les leur faire connaître, d’éveiller leur attention. Nos sens sont donc au nombre de cinq : la vue qui réside dans les yeux ; l’ouïe, dans les oreilles ; l’odorat, dans les narines ; le goût, dans la bouche ; le toucher, dans tout le corps. C’est la vue qui distingue ce qui est blanc et noir, ce qui est coloré d’une manière quelconque, ce qui est clair et obscur. L’ouïe discerne les sons rauques et les voix harmonieuses. À l’odorat de sentir ce qui exhale bonne ou mauvaise odeur. Le goût distingue ce qui est doux et ce qui est amer. Le toucher enfin reconnaît ce qui est dur ou tendre, âpre ou poli, chaud ou froid, pesant ou léger. Ainsi ces sens sont au nombre de cinq. J’ajoute : De cinq paires. Ce qu’il est facile d’observer dans les trois premiers, puisque nous avons deux yeux, deux oreilles et deux narines Voilà trois paires. Dans la bouche aussi, considérée comme sens du goût, on remarque 'encore le nombre deux, puisqu’il faut, pour goûter, la langue et le palais. Le plaisir charnel du toucher réside aussi dans une espèce de couple, quoique d’une façon moins apparente, car il est à la fois intérieur et extérieur ; double par conséquent. Pourquoi dire paires de bœufs ? C’est que ces sens charnels s’occupent de ce qui est terrestre, comme les bœufs de retourner la terre. Il y a en effet des hommes qui n’ont pas la foi et qui se donnent, s’appliquent tout entiers aux choses de la terre et aux plaisirs du corps, refusant de croire autre chose que ce que leur montrent les sens et prenant leurs inspirations pour seules règles de conduite. Je ne crois que ce que je vois, disent-ils. Ceci est blanc, cela est noir ; voilà qui est rond, voilà qui est carré, voilà telle et telle couleur ; je le sais, je le sens, j’en suis sûr, la nature même me l’enseigne ; je ne suis pas forcé de croire ici ce que tu ne saurais me montrer. J’entends une voix ; je sens bien que c’est une voix elle chante bien, elle chante mal, elle est rauque, elle est douce ; je le sais, j’en suis sûr, elle me frappe l’oreille. Cette odeur est agréable, celle-ci est désagréable ; je le sais, car je la sens. Ceci est bon, cela est amer, ceci est salé, cela est fade. Que peux-tu me dire de plus ? C’est au toucher que je constate ce qui est dur et ce qui est mou, ce qui est rude et ce qui est poli, ce qui est chaud ou froid. Que peux-tu me montrer davantage ?

4. Tels étaient les liens qui enchaînaient notre Apôtre saint Thomas lui-même, lorsqu’au sujet même du Christ Notre-Seigneur, c’est-à-dire de sa résurrection, il ne voulait s’en rapporter qu’au témoignage de ses yeux. « Si je ne mets mes doigts à la place même des clous et dans ses plaies, et si je ne mets ma main dans son côté, je ne croirai point. » Le Seigneur aurait pu ressusciter sans conserver aucune trace de ses blessures ; mais il garda ses cicatrices, afin que l’Apôtre incertain pût les toucher et guérir ainsi la plaie faite à son cœur. Ce qui toutefois ne l’empêchera point de dire, pour réfuter d’avance ceux qui refuseraient son invitation en alléguant les cinq paires de bœufs : « Heureux ceux qui croient sans voir d. » Pour nous, mes frères, nous n’avons point vu là d’obstacle à répondre à l’invitation divine. Avons-nous en effet désiré voir maintenant le Seigneur dans sa chair ? Avons-nous désiré entendre sensiblement sa voix, ou flairer les parfums précieux que répandit sur lui une sainte femme et dont fut embaumée toute la maison e ? Nous n’étions point là, nous n’avons pas senti ces parfums, et pourtant nous croyons. Après avoir consacré les aliments mystérieux, le Sauveur les distribua de ses propres mains à ses disciples nous n’étions pas à ce festin, et la foi néanmoins nous y fait prendre part chaque jour. N’enviez pas comme un grand bonheur, d’avoir assisté, sans avoir la foi, à ce banquet servi de ses mains divines. La foi d’ensuite ne fut-elle pas préférable à la perfidie d’alors ? Paul n’y était point et il crut ; Judas y était, et il trahit son Maître. Aujourd’hui encore, quoiqu’ils n’aient vu ni la table sur laquelle le Seigneur consacra, ni le pain qu’il présenta de ses mains adorables et quoiqu’ils n’aient pas mangé ce pain lui-même, combien, au moment du repas sacré, mangent et boivent leur jugement f, car le repas qui se prépare maintenant est le même.

5. Quelle fut pour le Seigneur l’occasion de parler de ce festin ? C’est qu’à un festin où le Sauveur avait été invité, un des convives s’était écrié : « Heureux ceux qui mangent du pain dans le royaume de Dieu ! » Ce pain après lequel soupirait ce convive lui paraissait loin d’être à sa portée, et il était à table devant lui. Quel est en effet le pain du royaume de Dieu, sinon Celui qui dit : « Je suis le Pain vivant, descendu du ciel g ? » N’ouvre pas la bouche, mais le cœur. Voilà ce qui donne tant de valeur à ce festin. Nous croyons au Christ et nous le recevons avec foi. Nous savons, en mangeant, de quoi nourrir notre esprit. Nous prenons peu et notre âme s’engraisse. Ce qui nous fortifie n’est pas ce qui se révèle aux sens, mais ce que montre la foi. Ainsi nous n’avons pas cherché le témoignage des sens extérieurs et nous n’avons pas dit : A eux de croire, puisqu’ils ont vu de leurs yeux et touché de leurs mains le Seigneur ressuscité, si néanmoins l’histoire rapporte la vérité ; pour nous qui ne le touchons point, comment croirions-nous ? Avoir de telles idées, ce serait prétexter les cinq paires de bœufs pour ne nous rendre pas au festin. Et pour vous convaincre, mes frères, que ce qui est signalé par les cinq sens qui figurent ici, ce n’est pas la volupté ni le plaisir charnel, mais une espèce de curiosité, remarquez qu’il n’est pas dit : « J’ai acheté cinq paires de bœufs », je vais les mener paître, mais : « je vais les essayer. » Vouloir les essayer, ce n’est pas vouloir rester dans le doute, c’est en vouloir sortir comme voulut en sortir saint Thomas, par le témoignage des sens. Je veux voir, toucher, porter les doigts, disait-il. « Oui, reprit Jésus, mets le doigt dans mon côté, et ne sois plus incrédule. » Pour toi j’ai été mis à mort, et pour te racheter j’ai répandu mon sang par l’ouverture que tu veux sonder ; et si tu ne me touches, tu doutes encore de ma parole ! Eh bien ! ce que tu veux de plus, le voilà, je te l’offre ; touche, mais crois ; sonde mes plaies et guéris les tiennes.

6. « J’ai pris une femme. » C’est ici l’obstacle de la volupté charnelle. Ah ! combien elle en éloigne de Dieu ! Si seulement ce n’était qu’en dehors de nos rangs ? Beaucoup s’écrient en effet On n’est pas bien sans les joies de la chair ; et ils répètent, comme l’a observé l’Apôtre : «Mangeons et buvons car demain nous mourrons h. » Et qui est revenu d’entre les morts ? Qui nous a redit ce qui se passe parmi eux ? Nous n’emportons avec nous que les jouissances que nous prenons maintenant. Parler ainsi, c’est avoir pris femme, c’est étreindre la chair, c’est goûter les joies de la chair. On s’excuse alors de venir au festin, mais ne va-t-on pas mourir de la faim intérieure? Écoutez saint Jean, Apôtre et Évangéliste « N’aimez, dit-il, ni le monde, ni ce qui est dans le monde. » O vous qui vous rendez au banquet divin, « n’aimez ni le monde, ni ce qui est dans le monde. »

Saint Jean ne dit point : Ne possédez pas, mais : « N’aimez pas. » Toi, tu possèdes, tu t’attaches, tu aimes : cet amour des choses de la terre est comme une glu pour les ailes de l’âme. La convoitise même te lie. Qui te donnera des ailes comme à la colombe ? Quand prendras-tu ton essor pour le séjour du repos véritable i, dès qu’ici tu cherches, dans de coupables attachements, un repos trompeur ? « N’aimez point le monde.» c’est le cri de la trompette céleste et cette trompette divine fait aussitôt retentir aux oreilles de l’univers entier : « N’aimez ni le monde ni ce qui est dans le monde. Quiconque aime le monde, l’amour du Père n’est pas en lui ; car ce qui est dans le monde est convoitise de la chair, convoitise des yeux et ambition du siècle j. » Cet Apôtre commence par où finit l’Évangile ; le premier caractère indiqué par lui est le dernier que montre l’Évangile. Ainsi la convoitise de la chair : « j’ai pris une femme ; » la convoitise des yeux : « j’ai acheté cinq paires de bœufs ; » l’ambition du siècle, « j’ai acheté une métairie.»

7. Si nous voyons ici la partie pour le tout, et les yeux pour les autres sens, c’est qu’ils sont les principaux. Aussi la vue étant la fonction propre des yeux, le mot voir s’applique à l’action de tous les sens. Comment ? Ne disons-nous pas d’abord, en parlant des yeux eux-mêmes : Vois comme cet objet est blanc, regarde et vois comme il est blanc ? Voilà pour les yeux. Nous disons – encore : Écoute et vois combien cette voix est harmonieuse. Pouvons-nous dire réciproquement : Écoute et vois comme cet objet est blanc ? Ce mot Vois exprime ainsi l’action de tous les sens, ce qu’on ne peut pas dire du terme propre à chaque sens. Écoute et vois combien ce chant est harmonieux ; flaire et vois comme c’est parfumé ; goûte et vois comme c’est bon ; touche et vois comme c’est doux. Puisqu’il s’agit ici de l’action des sens, ne devrait-on pas dire plutôt : Écoute et sens comme ce chant est harmonieux ; flaire et sens comme c’est parfumé ; goûte et sens comme c’est chaud ; palpe et sens comme c’est poli, comme c’est doux ? Nous ne parlons pourtant pas ainsi. Le Seigneur lui-même, en apparaissant, après sa résurrection, à ses disciples qu’il voyait chancelants encore dans la foi et persuadés qu’ils étaient en présence d’un esprit, leur dit : « Pourquoi doutez-vous, et pourquoi ces pensées s’élèvent-elles dans votre cœur ? Voyez mes mains et mes pieds. » Non content d’avoir dit : « Voyez », il ajoute : « Touchez, palpez, et voyez k. » Regardez et voyez, palpez et voyez ; les yeux seuls voient et pourtant on voit par tous les sens. Afin d’obtenir l’assentiment intérieur de la foi, le Sauveur se montrait aux sens extérieurs de ses disciples. Et nous, pour nous attacher à lui nous n’avons rien demandé à ces sens corporels ; notre oreille a entendu et notre cœur à cru ; et ce que nous avons entendu, nous l’avons entendu, non pas de sa bouche, mais de la bouche de ses prédicateurs, de la bouche de ces hommes qui assis au festin nous y invitaient en nous en disant les douceurs.

8. Par conséquent, loin de nous les excuses vaines et funestes, rendons-nous à ce banquet pour y nourrir notre âme. Ne nous laissons arrêter ni par l’orgueil qui pourrait nous enfler, ni par une curiosité coupable qui pourrait s’effrayer et nous éloigner de Dieu, ni par les voluptés charnelles qui nous priveraient des délices du cœur. Venons et puisons des forces. Mais quels furent ceux qui se rendirent alors au festin ? N’était-ce pas des mendiants, des malades, des boiteux, des aveugles ? On n’y vit ni les riches, ni les bien portants, ni ceux qui croyaient marcher droit ou avoir la vue pénétrante, présumant beaucoup d’eux-mêmes et d’autant plus désespérés qu’ils étaient plus superbes. Accourez, mendiants, car l’invitation vient de Celui gui pour nous s’est fait pauvre quand il était riche, afin de nous enrichir par sa pauvreté l. Accourez, malades, car le médecin n’est pas nécessaire à qui se porte bien mais à qui a mal m. Accourez, boiteux et dites-lui : « Affermissez mes pas dans vos sentiers n. » Accourez, aveugles, pour lui dire encore : « Éclairez mes yeux, de peur que Je ne m’endorme un jour dans la mort o. »

SERMONS INÉDITS. DEUXIÈME SUPPLÉMENT.

DIX-SEPTIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES MACHABÉES (I)
ft Dans le Codex, fol. 40, page 2, on lit : « Sermon de saint Augustin, évêque, pour la naissance des saints Machabées ». – Après le commentaire sur les chapitres 14, 28, de saint Luc, et 19, 16, de saint Matthieu, après avoir excité les fidèles à la persévérance, ce beau sermon contient des invectives contre les spectacles. Saint Augustin le prêcha à Balla-Regio à la prière de l’évêque. Notre ami, dit en effet Possidius, vitae cap. 8, ne prêchait pas seulement dans un seul pays, mais partout, sur l’invitation qu’on lui en faisait.
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ANALYSE. —1. Les paroles de l’Évangile regardent tous les âges. —2. Exposition de la parabole de la construction de la tour, et des deux rois. —3. Le jeune homme riche qui veut se joindre au Christ. —4. Après les apôtres, beaucoup de Juifs convertis, et beaucoup de chrétiens ont renoncé à leurs biens. —5. Comment nous devons faire preuve de notre foi au Christ, même dans ce qui est de chaque jour. —6. Les promesses doivent nous exciter à faire preuve de notre foi. —7. Combat des Machabées avec les spectacles profanes. —8,9. Éloignement qu’il faut avoir pour les spectacles profanes.

1. L’Évangile, la parole vive du Seigneur, qui pénètre au vif de l’âme, qui s’adresse au plus intime du cœur, s’offre à nous tous pour notre salut, et ne revient à l’homme, qu’à la condition que l’homme revienne à lui-même. Voilà que, devant nous, se pose comme un miroir dans lequel nous devons nous considérer, et si notre visage accuse à nos regards quelque tache, il nous la faut essuyer avec grand soin, de peur qu’un second retard ne nous oblige de rougir. La foule suivait le Seigneur, comme nous l’avons entendu à la lecture de l’Évangile, et il se tourne vers ceux qui le suivaient, pour leur parler. Car s’il n’eût adressé qu’aux seuls apôtres les enseignements qu’il donna, chacun de nous eût pu dire : C’est pour eux, et non pour nous qu’il a parlé. Autres, semble-t-il, sont les enseignements adressés aux pasteurs, autres ceux qui s’adressent aux troupeaux. Le Sauveur s’est adressé à ceux qui le suivaient, donc à vous tous, et à nous tous. Et parce que nous n’étions pas encore, il ne faut pas croire qu’il n’a point parlé pour nous. Nous croyons en effet en ce même Dieu qu’ils ont vu ; nous tenons, par la foi, à celui qu’ils ont considéré des yeux ; l’important n’était pas de voir le Christ des yeux de la chair ; autrement la nation juive serait arrivée la première au salut, puisqu’il est certain que les juifs l’ont vu et néanmoins l’ont méprisé, et, de plus, après l’avoir vu et méprisé, l’ont mis à mort. Mais nous, assurément, nous ne l’avons pas vu, et néanmoins nous croyons en lui, et néanmoins notre cœur fait accueil à celui que n’ont point vu nos yeux. De là cette parole adressée à l’un des siens qui était parmi les douze : « Parce a que tu as vu, tu as cru. Bienheureux ceux qui ne voient point, et qui croient q ». Que Jésus-Christ notre Seigneur et Sauveur soit maintenant devant nous en sa chair et garde le silence, que nous en reviendra-t-il ? Mais si sa parole a été utile, il parle maintenant, quand on nous lit l’Évangile. Toutefois, comme Dieu il nous procure de grands avantages par sa présence. Où donc n’est pas Dieu, et quand serait-il éloigné ? Toi, ne t’éloigne pas de Dieu, et Dieu sera avec toi. L’important, c’est qu’il nous a fait une promesse, et que nous tenons cette promesse écrite comme une cédule. « Voilà que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles r ». C’est nous qu’il avait en vue, c’est à nous qu’il promettait.

2. Revenons donc à notre sujet, écoutons ses paroles, et, comme je l’ai déjà dit, considérons-nous, afin d’essuyer avec soin tout ce que nous verrons faire tache à notre beauté, qui plaît à ses yeux. Et comme nous ne saurions suffire, implorons son secours. Qu’il nous réforme celui qui nous a formés, que le Créateur nous crée de nouveau, afin que, ayant semé en nous le froment, il récolte en nous aussi un froment parfait. Voici donc ses paroles : « Quel homme, voulant bâtir une tour, ne se rend pas compte auparavant de la dépense nécessaire, pour savoir s’il peut l’achever ? De peur que, s’il jette les fondements et ne puisse terminer, ceux qui passeront par là ne disent : Voilà un homme qui a commencé à bâtir sans pouvoir achever. Ou bien, quel est encore le roi qui, voulant combattre un autre roi, n’examine pas, auparavant, s’il peut marcher avec dix mille hommes contre celui qui en a vingt mille ? Et, s’il ne le peut, il lui envoie demander la paix quand il est encore loin ». Et voici la conclusion qu’il donne à ces deux comparaisons : « De même, tout homme qui ne renonce point à tout ce qu’il possède ne saurait être mon disciple s ». Or, s’il n’y a que les disciples présents pour porter ce nom, ces paroles ne s’adressent point à nous. Mais comme, selon le témoignage de l’Écriture, tous les chrétiens sont disciples du Christ : « Car vous « n’avez qu’un seul maître qui est le Christ » t, que celui-là seul renonce à être disciple du Christ, qui ne veut point le Christ pour maître. Ce n’est point, en effet, parce que nous vous parlons d’un lieu plus élevé, que nous sommes des maîtres pour vous. Car c’est le maître de tous qui a sa chaire par-dessus tous les cieux, et vous et nous sommes condisciples ; seulement, nous sommes des moniteurs, comme les plus élevés en classe. Il y a donc une tour et des dépenses, la foi et la patience. La tour c’est la foi, les dépenses sont la patience. Quiconque ne saurait supporter les peines de cette vie, est au-dessous des dépenses. Le roi méchant qui marche avec vingt mille hommes, c’est le diable ; et celui qui marche avec dix mille, c’est le chrétien. Un contre deux ; la vérité contre le mensonge, la simplicité contre la duplicité ; sois simple de cœur ; loin de toi toute hypocrisie, qui montre une chose et en fait une autre, et tu vaincras la duplicité qui se transforme en ange de lumière. D’où viennent et où sont ces dépenses ? Où est cette simplicité parfaite, absolument stable et inébranlable dans sa persévérance ? Dans la parole qui suit et qui nous paraît dure : c’est-à-dire, comme nous l’avons avancé, que la parole, de Dieu n’est flatteuse pour personne. Celle-ci, par exemple : « Quiconque ne renonce point à tout ce qu’il possède, ne saurait être mon disciple ». Beaucoup l’ont fait et se sont anéantis avant d’être pressés par la persécution, et ont renoncé à tout ce qu’ils avaient au monde pour suivre le Christ. Ainsi en fut-il des Apôtres, qui dirent : « Voilà que nous avons tout abandonné pour vous suivre u ». Toutefois eux-mêmes n’ont pas abandonné de grands biens, puisqu’ils étaient pauvres ; mais, à nos yeux, vaincre toutes les convoitises, c’est abandonner de grandes richesses.

3. Enfin, les disciples tinrent ce langage au Seigneur, quand s’en alla, tout triste, le jeune homme riche qui avait recueilli de la bouche du Maître le plus véridique, le conseil de la vie éternelle qu’il avait demandé. Un jeune homme riche était venu en effet trouver le divin Maître, et lui avait dit : « Bon Maître, quel bien dois-je faire pour acquérir la vie éternelle ? » On dirait que parmi les interminables délices de ses richesses, il ressentait l’aiguillon de la mort à venir, et séchait de dépit ; car il savait qu’il n’emporterait rien avec lui de ses grands biens, et son âme dénuée de tout gémissait au milieu des richesses du temps. Environné de biens, il disait, ce semble, en lui-même : Tout cela est bien, tout cela est beau, tout cela est délicieux, tout cela est agréable ; mais quand viendra l’heure unique, l’heure dernière, il faudra tout abandonner, rien de tout cela ne s’emporte. Il ne reste que la vie et la conscience ; oui, après le corps, la vie de l’âme, et uniquement la conscience. Et si la conscience est mauvaise, ce n’est plus une vie, mais une autre mort, qu’il faut appeler, et la pire des morts. Rien en effet n’est pire que la mort, sinon cette mort qui ne meurt point. Telles étaient, au milieu de ses délices, les pensées de ce jeune homme si riche qui vient trouver le Sauveur. Il se disait donc : Si je puis avoir la vie éternelle après ces grandes richesses, quel bonheur surpassera le mien ? De là cette inquiétude qui le porte à interroger et à dire : « Bon Maître, que ferai-je pour acquérir la vie éternelle ? v » Et le Seigneur lui répondit tout d’abord : « Pourquoi m’appeler bon ? Il n’y a de bon que Dieu seul w ». Ce qui revient à dire : Nul ne peut te rendre heureux, que Dieu seul. Les biens que possèdent les riches sont des biens, à la vérité, mais qui ne rendent pas bons leurs possesseurs. Si ces biens rendaient bons, l’homme serait d’autant supérieur en bonté, qu’il l’est en richesses. Mais quand nous les voyons d’autant plus mauvais qu’ils sont plus ripes, assurément il nous faut chercher d’autres biens qui nous fassent bons. Ce sont les biens que ne peuvent avoir les méchants : la justice, la piété, la tempérance, la religion, la charité, le culte de Dieu, et Dieu enfin. Tel est le bien qu’il nous faut rechercher, et nous ne pourrons l’avoir qu’en méprisant les autres.

4. Est-ce à moi de vous ménager, quand l’Évangile n’a de ménagements ni pour vous, ni pour nous ? Je me borne à exalter votre charité, mes frères, selon cette parole de l’Apôtre : « Le temps est court. Il faut, dès lors, que ceux qui ont des femmes soient comme n’en ayant pas, et ceux qui pleurent, comme ne pleurant point, et ceux qui se réjouissent, comme ne se réjouissant pas, et ceux qui achètent comme n’achetant point, et ceux qui usent des choses de ce monde, comme n’en usant pas x ». Les Apôtres donc abandonnèrent tout ce qu’ils possédaient, et de là cette parole de Pierre : « Voilà que nous avons tout abandonné ». Qu’as-tu abandonné, Pierre ? Une barque, un filet ? J’ai abandonné l’univers entier, me répondrait-il, puisque je ne me suis rien réservé. La pauvreté chez tous, c’est-à-dire chez tous les pauvres, n’a que peu de biens, mais elle a de grands désirs. Et Dieu ne regarde pas ce qu’elle possède, mais ce qu’elle désire. C’est notre volonté qui est jugée, et que sonde invisiblement celui qui est invisible. Ils ont donc tout abandonné, et abandonné l’univers entier, parce qu’ils ont renoncé à toute espérance dans ce monde, et qu’ils ont suivi celui qui a créé le monde et cru en ses promesses, ainsi que beaucoup l’ont fait dans la suite. Est-il étonnant, mes frères, que des hommes l’aient fait ? Ceux-là mêmes l’ont fait, qui ont mis à mort le Sauveur. Là, dans Jérusalem, après que le Seigneur fut monté aux cieux, et eut, dix jours après, accompli sa promesse par l’envoi du Saint-Esprit, les disciples, remplis de l’Esprit-Saint, parlèrent les langues de toutes les nations y. Alors beaucoup de Juifs qui étaient à Jérusalem, et qui les entendaient, pleins d’admiration poux ces dons de la grâce du Sauveur, et se demandant avec stupeur d’où venait ce prodige, reçurent des Apôtres cette réponse, que celui qui opérait ces prodiges par son Esprit-Saint, était celui-là même qu’ils avaient mis à mort, et demandèrent comment ils pourraient être sauvés. Ils étaient en effet saisis de désespoir, et ne pensaient point qu’ils pussent obtenir le pardon de ce crime énorme, d’avoir mis à mort le Maître de toutes créatures. Or, les Apôtres les consolèrent, leur promirent le pardon, et cette promesse du pardon leur fit embrasser la foi, et devenus d’autant meilleurs qu’ils avaient eu plus de crainte, ils vendaient leurs biens pour en apporter le prix aux pieds des Apôtres. La crainte leur extorqua leurs délices. Voilà ce que firent ceux qui avaient mis à mort le Seigneur ; beaucoup d’autres l’ont fait depuis, et le font encore. Nous le savons, nous en avons des exemples, beaucoup nous donnent cette consolation, beaucoup cette joie, parce que la parole du Seigneur n’est point inutile pour eux, puisqu’ils l’écoutent avec foi. Mais quelques-uns qui n’agirent point ainsi, n’ont-ils pas été éprouvés par la persécution ? Oui, parce qu’ils usaient de ce monde comme n’en usant pas. Non-seulement des hommes du peuple, non-seulement des artisans, non seulement des pauvres, des indigents, des gens médiocres, mais des grands, mais des riches, mais des sénateurs, mais des femmes illustres, en face de la persécution, ont su renoncer à leurs biens, afin d’élever leur tour et de vaincre, par la simplicité du courage et de la piété, la duplicité et les artifices du diable.

5. Jésus-Christ donc, Notre-Seigneur, nous exhortant au martyre, a dit : « De même, celui qui ne renonce point à tout ce qu’il possède, ne saurait être mon disciple ». C’est donc à toi que je m’adresse, ô âme chrétienne ! Si je te répète ce qui fut dit au riche : « Va, et toi aussi vends ce que tu as, et tu posséderas un trésor dans le ciel, puis viens et suis le Christ », t’en iras-tu avec tristesse ? Car le jeune homme de l’Évangile s’en alla triste. Et pourtant, il n’y a que le chrétien pour comprendre ces paroles. Or, pendant qu’on lisait l’Évangile, as-tu bien pu boucher tes oreilles, contrairement à ton salut ? Tu as entendu ceci : « Quiconque ne renonce à tout ce qu’il possède ne saurait être mon disciple z ». Réfléchis donc en toi-même : Te voilà devenu fidèle, tu es baptisé, tu as embrassé la foi. Tu n’as pas abandonné tes biens, mais j’en appelle à ta foi. Comment as-tu pu croire ? Voici pour ta foi le danger. On te dit : Si tu persistes, je saisis ton bien. C’est ton âme que j’interroge ; si tu dis en ton âme : Qu’il prenne ce que je possède, mais je n’abandonne point ma foi1 tu possèdes et tu as néanmoins renoncé. Et tu possèdes sans être possédé. Ce n’est pas posséder qui est un mal, mais bien être possédé. Oui, le mal est d’être possédé. Toutefois, il n’y a point de persécution, et tu n’as aucun moyen de prouver à Dieu la fidélité à tes promesses ? Les affaires de chaque jour sont pour l’homme une épreuve. Mais qu’arrivera-t-il, si quelqu’un t’excite au faux témoignage, un homme puissant, que l’on puisse craindre ici-bas, s’il te menace, et s’il peut réellement nuire, qu’arrivera-t-il s’il te vient demander un faux témoignage ? Il ne te dit point : Renonce au Christ ; car c’est contre cela que tu étais prêt. Mais, dans sa duplicité, il s’insinue chez toi d’une manière que tu n’attendais pas et à laquelle tu n’étais point préparé. Fais-moi, dit-il, ce faux témoignage. Si tu ne le fais, je m’en vengerai de telle ou telle manière. Il menace de la proscription, de la mort. C’est là qu’il te faut éprouver, qu’il faut veiller sur toi. Feras-tu le faux témoignage ? C’est renier le Christ qui a dit : « Je suis la vérité aa ». Tu as fait un faux témoignage, tu, as donc parlé contre la vérité, et dès lors renié le Christ. Or, que pouvait te faire cet homme en te menaçant de la proscription ? Te rendre pauvre ? Mais de quoi peux-tu manquer, si Dieu est avec toi ? Mais sa menace était plus grave. Comment plus grave ? Il menaçait de te tuer. Ta chair, est-ce ton âme ? Tu considères la menace, et non ce que tu dois faire. Cet adversaire menaçait de tuer ta chair. « Or, la bouche qui ment tue l’âme ab », est-il dit. Vous voilà deux, ton ennemi et toi ; et toutefois, c’est un homme comme toi. Vous avez tous deux une chair corruptible, tous deux une âme immortelle, tous deux vous passerez dans le temps, et n’êtes sur la terre que des étrangers et des pèlerins. Lui te menace de la mort, ne sachant pas s’il ne mourra point avant d’avoir accompli sa menace ; et toutefois, admettons que cette menace il l’accomplisse : examinons lequel des deux, lui ou toi, est plus ennemi de toi-même. Il prend une hache pour tuer ta chair, et toi la langue du mensonge pour tuer ton âme. Quel glaive a frappé ? lequel a donné une mort plus déplorable ? lequel a pénétré plus avant ? L’un a pénétré jusqu’aux os, jusqu’aux entrailles, toi jusqu’au cœur. Or, tu n’as plus rien d’intact dès que ton cœur est perdu. « La bouche qui ment tue », est-il dit, non le corps, mais l’âme.

6. Tels sont journellement les efforts des hommes. Quand on se trouve en face de l’iniquité, sur le point, ou de commettre l’iniquité, ou d’endurer ce qu’il plaît à Dieu de nous faire endurer en cette vie, vois dès lors le double ennemi, vois les défenses de cette tour. Mais la pensée te fait défaillir ; invoque alors celui qui a donné des préceptes. Qu’il aide ses préceptes en toi, et il te rendra de lui-même ce qu’il a promis. Or, que t’a promis Dieu ? Que dirai-je, mes frères, pour stimuler nos désirs ? Que dirai-je ? Est-ce de l’or ? Est-ce de l’argent ? Des domaines, des honneurs ? Tout ce que nous connaissons sur la terre ? Tout cela est vil. Mais « l’œil n’a point vu, l’oreille n’a point entendu, le cœur de l’homme n’a jamais compris ce que Dieu a préparé à ceux qui l’aiment ac » ; en un mot, ce ne sont plus des promesses, c’est Dieu lui-même. Il est plus grand que tout, celui qui a tout créé. Il est plus beau que tout, celui qui a donné à chaque objet sa beauté. Il est plus puissant que tout, celui qui a donné la force à tout ce qui est fort. Donc, tout ce que nous aimons sur la terre, n’est rien en comparaison de Dieu. C’est peu dire, tout ce que nous aimons n’est rien, mais nous-mêmes ne sommes rien. Celui qui aime doit se mépriser en comparaison de ce qu’il doit aimer. Telle est la charité qui nous est ordonnée : « De tout notre cœur, de toute « notre âme, de tout notre esprit ». Mais le Seigneur ajoute : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Ces deux préceptes résument toute la loi et les Prophètes ad ». Ce qui te laisse à comprendre qu’aimer le Seigneur c’est t’aimer toi-même ; et que ne pas aimer le Seigneur, au contraire, c’est ne point t’aimer. Si donc tu aspires à t’aimer en aimant le Seigneur, élève ton prochain jusqu’à Dieu, afin de jouir du bien, et de ce grand bien qui est Dieu.

7. Tout à l’heure nous avons eu en spectacle ce grand combat des sept frères et de leur mère. Noble lutte, mes frères, si nos esprits ont su la considérer ! Comparez à ce saint combat les plaisirs voluptueux des théâtres. Là, les yeux sont souillés ; ici, les cœurs purifiés ; ici, il y a gloire pour le spectateur, s’il devient imitateur ; là, honte pour le spectateur, et infamie pour l’imitateur. Enfin j’aime les martyrs et je considère les martyrs. Quand on lit les souffrances des martyrs, je regarde. Dis-moi : Sois martyr, c’est un éloge. Pour toi, vois le mime, vois le pantomime ; et je te dirai : Sois semblable, et ne t’en fâche pas. Que si cette parole : Sois semblable, vient à t’irriter, voilà que tu es accusé non par mes paroles, mais par ta colère. Ta colère fait juger de toi-même ; car tu aimes ce que tu redouterais d’être. Le spectacle des saints Machabées, dont nous solennisons aujourd’hui la victoire, nous vient à propos afin de dire un mot à votre charité, au sujet des spectacles du théâtre. O mes frères de Bulla
Bulla, ville située entre Hipponne et Carthage.
 ! dans toutes les villes qui vous environnent, la licence qui règne chez vous consterne la piété. Ne rougissez-vous point d’être les derniers à donner asile à ces vénales turpitudes ? Sur ces marchés romains, dans ces grands encans, où vous achetez le blé, le vin, l’huile, des animaux, du bétail, y a-t-il donc un charme pour vous à trafiquer de la honte, à l’acheter ou à la vendre ? Et quand les étrangers viennent dans ces contrées, pour ces échanges, si on leur disait : Que cherchez-vous ? des mimes ? des prostituées ? vous en trouverez à Bulla ; serait-ce pour vous un honneur, pensez-vous ? Pour moi, je ne vois point de plus grande infamie. Oui, mes frères, c’est la douleur qui me fait parler, mais toutes les villes qui vous environnent vous condamnent et devant les hommes et au jugement de Dieu. Quiconque veut suivre le mal prend exemple sur vous dans notre Hippone, où tout cela est fini depuis longtemps ; c’est de votre ville que l’on nous amène ces infamies. Mais, direz-vous, en cela nous ressemblons à Carthage 2 y a sans doute à Carthage un peuple saint et religieux, mais la foule est si nombreuse dans cette grande cité, que chacun peut rejeter cela sur les autres. Ce sont des païens, ce sont des Juifs qui agissent ainsi, peut-on dire à Carthage, mais ici il n’y a que des chrétiens, et des chrétiens agissent de la sorte ! C’est avec une douleur bien vive que je vous parle ainsi. Puissiez-vous un jour, en vous corrigeant, guérir la blessure de notre cœur ! Nous le disons à votre charité : Nous connaissons au nom du Seigneur, et votre ville et les villes voisines, nous savons quelle en est la population, quel en est le peuple. Pouvez-vous n’être point connus de celui qui est constitué pour vous dispenser la parole de Dieu et les sacrements ? Qui peut se disculper de cette honte ? Voici des spectacles. Que les chrétiens s’abstiennent, et nous verrons si le vide n’est pas tel, qu’il fera rougir la turpitude elle-même. Voyons si ces personnages infâmes ne finiront point par secouer leurs chaînes pour se tourner vers Dieu, ou abandonner cette ville, s’ils veulent persévérer dans leur honteux métier. Procurez-vous cet honneur, ô chrétiens ; ne hantez plus les théâtres.

8. Mais je ne vous vois ici qu’en petit nombre. ##Rem voici que viendront les jours de la passion du Christ, que viendra Pâques, et ces lieux seront trop étroits pour votre multitude. Ils occuperont donc ces places, ces mêmes hommes qui remplissent aujourd’hui les théâtres ? Ah ! comparez les lieux, et frappez vos poitrines. Vous direz peut-être : s’abstenir, c’est bien pour vous, qui êtes clercs, qui êtes évêques ; mais nous sommes laïques. Quelle justesse voyez-vous donc dans cette excuse ? Eh ! que sommes-nous si vous venez à périr ? Autre est ce que nous sommes pour nous, et autre ce que nous sommes pour vous. C’est pour nous que nous sommes chrétiens, pour vous seulement que nous sommes clercs et évêques. Ce n’est ni aux clercs ni aux évêques, ni aux prêtres que s’adressait l’Apôtre quand il disait : « Vous êtes les membres du Christ af » ; c’est à la multitude, c’est aux fidèles, c’est aux chrétiens qu’il disait. « Vous êtes les membres du Christ ». Voyez de quel corps vous êtes les membres, voyez sous quelle tête vous vivez dans l’union d’un même corps. Je reprends donc les paroles de l’Apôtre : « Prendrai-je les membres du Christ, pour en faire les membres d’une prostituée ? » Et nos chrétiens non-seulement aimeront, mais encore établiront des prostituées ? Non-seulement ils aiment celles qui l’étaient, mais ils en font de celles qui ne l’étaient point, comme si ces femmes n’avaient point une âme, comme si le sang du Christ n’eût pas été répandu pour elles, comme s’il n’était pas dit : « Les prostituées et les publicains entreront avant vous dans le royaume des cieux ag ». Et dès lors, quand il nous faut les gagner à la vie, on choisit de périr avec elles, et c’est là le fait des chrétiens ! je n’oserais dire des fidèles. Un catéchumène se méprisant lui-même, nous dira : Je ne suis qu’un catéchumène. Comment, tu es catéchumène ? Oui, catéchumène. Autre est donc ton front marqué du signe du Christ, et autre ton front pour aller au théâtre ? Tu veux y aller ? Change ton front, et va ensuite. Mais ce front que tu ne saurais changer, garde-toi de le perdre. Le nom du Seigneur est invoqué sur toi, le nom du Christ est invoqué sur toi, Dieu est invoqué sur toi, le signe de la croix du Christ a été marqué, peint sur ton front. C’est vous tous que j’exhorte, mes frères, à vous tous que je m’adresse. Vous verrez combien le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ sera bien plus glorieux pour vous.

9. Oserai-je vous dire : Imitez la ville qui vous avoisine ? Imitez la ville de Simittu
La ville de Simittu est à quelques milles de Bulle. On voit dans Vict. vit, parmi des noms d’évêques :Deuterius Simminensis, et Florentiu Seminensis ; l’un des deux doit appartenir à cette ville.
qui est proche ? Je n’en dis pas davantage. Ou plutôt parlons plus clairement au nom du Seigneur Jésus. Là nul n’entre au théâtre nul libertin n’est resté là. Un légat voulut y rétablir ces obscénités ; nul homme de la haute ni de la basse classe n’y mit le pied ; pas un juif n’y entra. N’y a-t-il pas là des habitants honorables ? n’y a-t-il pas là une cité ? Cette colonie n’est-elle pas d’autant plus honorable qu’il y a moins de ces obscénités ? Je ne vous tiendrais pas ce langage, si j’entendais dire de vous le même bien. Mais je crains que mon silence n’attire sur moi une semblable condamnation. Dieu donc a voulu, mes frères, que je vinsse à passer par ici. Mon frère m’a retenu
L’évêque de Simittu
, m’a commandé, m’a supplié, m’a forcé de vous prêcher. Que dire, sinon ce que je redoute le plus ? Que dire, sinon ce qui m’est le plus douloureux ? Ne savez-vous point que moi, que nous tous, nous rendrons compte à Dieu de vos louanges ?
Saint Augustin, à son arrivée, paraît avoir été reçu avec pompe.
 » Croyez-vous que ces éloges soient un honneur pour nous ? C’est une charge plus qu’un honneur. Il nous sera demandé un compte sévère de ces louanges, et je crains sérieusement que le Christ ne nous dise au jour de son jugement : Mauvais serviteur, vous receviez volontiers les acclamations de mon peuple, et vous gardiez sur leur mort un coupable silence. Mais le Seigneur notre Dieu nous accordera d’entendre à l’avenir du bien de vous, et dans sa miséricorde, il nous consolera par votre conversion. Ma joie sera d’autant plus grande alors que aujourd’hui ma tristesse est plus profonde.

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