Luke 19
QUARANTE-SIXIÈME SERMON. SUR ZACHÉE.
ANALYSE. —1. Le publicain Zachée est appelé à donner l’hospitalité à Jésus-Christ. —2. Il rend le bien usurpé et donne du sien propre. —3. Il devient enfant d’Abraham. —4. Exhortation à l’imiter dans son repentir. 1. « Jésus étant entré à Jéricho parcourait « cette ville, et voici qu’un homme appelé « Zachée, etc. a » Nous venons d’entendre dans l’Évangile l’histoire de Zachée, dans laquelle nous admirons l’excellence de ses dispositions et la libéralité sans borne de NotreSeigneur Jésus-Christ. Zachée monte sur un arbre afin de suppléer à la petitesse de sa taille qui ne lui aurait pas permis d’apercevoir le Sauveur ; il désire contempler les traits de Celui qu’il aimait déjà dans son cœur ; il veut voir de ses yeux Celui qu’il n’avait vu que par la pensée. Il se tenait debout sur l’arbre, mais quelque chose lui disait déjà que Jésus-Christ s’offrirait comme victime sur l’arbre de la croix. Zachée vit le Seigneur qui passait, mais il fut encore mieux regardé par le Sauveur lui-même, qui ne craignit pas de lui offrir ce qu’il n’osait pas demander. La majesté divine l’aperçut et lui dit : « Zachée, descendez promptement, parce qu’il me faut demeurer aujourd’hui chez vous b ». Déjà en possession du cœur de Zachée, le Seigneur veut encore aller prendre possession de sa demeure. Il y vient, trouve Zachée préparant un festin spirituel, admire sa foi et se dispose à la proposer comme modèle à tous les assistants. Zachée reçut le Sauveur avec les démonstrations de la foi la plus vie ; le Sauveur, après être entré dans son cœur, entra dans sa maison. 2. O bonheur du bienheureux Zachée ! Il possède maintenant, devenu son hôte, Celui dont la vue seule lui procurait naguère tant de joie. Mais admirons ce qu’il offre comme présent de bonne venue : « Voici », dit-il, « la moitié de mes biens, je la donne aux « pauvres ; et si j’ai fait tort à quelqu’un, je lui rendrai quatre fois autant c ». Zachée offrit tout ce qu’il possédait. O dévouement admirable ! Il fit de son bien deux parts, l’une destinée aux œuvres de miséricorde et l’autre aux réparations exigées parla justice. Il ne veut conserver aucune richesse injustement acquise, afin de s’assurer un jugement plus favorable au tribunal de Jésus-Christ, en obtenant le pardon de ses injustices et en méritant la gloire de promise aux œuvres de miséricorde. Ne nous étonnons donc pas que Jésus-Christ fasse son éloge, qu’il exalte sa foi et qu’il applaudisse à la libéralité. « En vérité, je vous le dis, aujourd’hui le salut est venu de Dieu dans cette maison, et celui-ci est véritablement le fils d’Abraham d ». Cette maison reçut par la foi le salut qu’autrefois elle avait perdu par la rapine. 3. Zachée, louez et tressaillez, car c’est en montant sur le sycomore que vous avez mérité ce bienfait ; le sycomore est une espèce d’arbre très-peu connu en Afrique ; le fruit qu’il produit ressemble assez à la figue sauvage. Pourquoi donc Zachée a-t-il vu Jésus-Christ ? Parce qu’il n’a pas eu peur des opprobres de la croix : un Dieu suspendu à la croix, un Dieu crucifié, c’est une folie aux yeux des hommes ; mais pour Zachée, c’est un objet d’admiration, car : « Ce qui nous paraît une folie en Dieu, est en réalité pour les hommes le comble de la sagesse e ». Zachée devint enfant d’Abraham par la foi, et non par la race ; par son mérite et non par la naissance ; par sa piété et non par le sang. Il éprouva d’abord un violent désir de voir le Seigneur, et il le vit comme il l’avait désiré. C’est ainsi qu’« Abraham votre père a désiré voir mon jour, il l’a vu et s’est senti comblé de joie f ». Zachée a reçu le Seigneur comme Abraham l’avait reçu ; mais Abraham le reçut avec les anges, tandis que Zachée le reçut avec les Apôtres ; alors le Seigneur se dirigeait vers Sodome ; aujourd’hui il parcourait la Judée. La bénédiction divine donna un fils à Abraham, tandis que par cette même bénédiction Zachée fut mis au nombre des enfants d’Abraham. Abraham offrit son fils au Seigneur, Zachée lui offrit ses biens ; celui-là donna son héritier, celui-ci donna son héritage ; celui-là immola le gage qu’il avait de la postérité qui lui avait été promise, celui-ci offrit la substance de son patrimoine. Zachée voulut d’abord partager son patrimoine avec Jésus-Christ, et c’est alors qu’il fut proclamé enfant d’Abraham. Si donc Zachée est digne d’éloge parce qu’il partagea son patrimoine avec Jésus-Christ avant d’avoir reçu sa récompense, que dut-il éprouver lorsqu’il se vit, justifié et racheté par le sang de Jésus-Christ ? 4. Après avoir entendu mes paroles, il ne vous reste plus qu’à imiter ce beau modèle, si vous voulez appartenir à votre Père ; faites ce qu’a fait Zachée, et vous mériterez ce qu’il a mérité lui-même. La ressemblance des devoirs produit la ressemblance des mérites ; la filiation véritable exclut la différence des actes ; on ne saurait porter le même nom quand les œuvres sont directement contraires. Comment vous attribuer un nom que n’autorisent ni vos œuvres ni votre nature ? Comment vous flatter du nom de fils, quand vous ne prouvez cette filiation ni par votre foi, ni par votre origine, ni par votre famille ? Dans sa libéralité. Dieu vous a donné le pouvoir de devenir son fils, parce que vous pouvez le vouloir ; Zachée a pu le devenir par la grâce de Dieu, parce que sa volonté s’est conformée à celle de Dieu. Donnons de nos biens à ceux qui ne possèdent rien, et que personne ne s’excuse en disant : « Je n’ai ni or ni argent g ». Rejetez ces vains prétextes ; une légère aumône recevra une magnifique récompense ; en donnant un peu de pain à celui qui a faim, un peu d’eau à celui qui a soif, pourvu que vous le fassiez au nom du Seigneur, vous aurez droit à la même récompense que Zachée.TREIZIÈME SERMON. SUR CES PAROLES DE L’ÉVANGILE SELON SAINT LUC (XIX, 1) : « JÉSUS ÉTANT ENTRÉ DANS JÉRICHO, LE TRAVERSAIT ; ET VOICI QU’UN HOMME APPELÉ ZACHÉE, ET QUI ÉTAIT CHEF DES PUBLICAINS, ETC. »
ZACHÉE.
ANALYSE. —1. Zachée cherche à voir Jésus. —2. Il monte sur un arbre.—-3. Jésus l’aperçoit et lui ordonne de descendre.—4. Il reçoit Celui qui vient pour le recevoir lui-même ; les murmures de la foule sont sans fondement et tout à fait déplacés.—5. Paroles de Zachée converti. —6. Le Sauveur lui accorde son pardon. 1. Dernièrement, le bienheureux Évangéliste, en racontant la vie et la mort d’un riche inhumain, fit naître à la fois dans nos âmes un sentiment de pitié et un sentiment de tristesse profonde ; mais aujourd’hui il nous remplit d’une joie toute céleste et nous transporte d’admiration par la peinture qu’il nous fait du caractère humain et généreux et de la foi du riche Zachée. « Et Jésus », dit-il, « étant entré dans la ville de Jéricho, la traversait h ». Pourquoi est-il dit qu’il traversait cette ville, et non pas qu’il en parcourait les rues ? Parce que le peuple que Moïse mettait seulement sur la voie, est introduit par le Christ dans le repos de la demeure promise. « Il traversait Jéricho » ; Jéricho est précisément cette ville que les saints livres nous montrent renversée par Jésus Navé au bruit des sept trompettes. Mais le Christ, venu pour sauver ce qui avait péri, entre dans Jéricho afin de relever, par le bruit de ses saintes prédications, ce que les cris et les clameurs de la loi terrestre avaient détruit. « Voici qu’un homme, appelé Zachée, chef des Publicains et possesseur de grandes richesses i ». Dans cette ville perdue de Jéricho, Zachée, chef des Publicains, nous est représenté comme marchant au premier rang dans l’œuvre de perdition et de ruine ; mais le lieu de sa résidence, sa profession, ses actes, par là même qu’ils nous révèlent la multitude et l’énormité de ses crimes, servent aussi à rendre plus manifeste et plus éclatante l’étendue ou plutôt l’immensité de la miséricorde dont le Sauveur usera à son égard. « Et voici qu’un homme, appelé Zachée, chef des Publicains et possédant de grandes richesses, cherchait à voir Jésus ». Quiconque cherche à voir le Christ porte ses regards vers le ciel, d’où le Christ tire son origine ; non pas vers la terre, dans le sein de laquelle on puise l’or. Le riche, dont les regards sont fixés en haut, ne porte plus ses richesses, mais il les foule aux pieds ; au lieu de demeurer courbé sous le fardeau écrasant des biens de la fortune, il s’en sert comme d’un piédestal ; bien loin de se laisser dominer par l’avarice et de subir le plus honteux des esclavages, il use librement de ses richesses pour répandre des bienfaits autour de lui. L’avare, en effet, est l’esclave, non pas le maître de ses trésors ; celui, au contraire, qui aime à répandre des aumônes dans le sein des pauvres, montre par là qu’il a autant d’esclaves que de pièces de monnaie. « Zachée cherchait à voir Jésus, et il ne le pouvait pas à cause de la foule, parce qu’il était très-petit de taille j ». Cet homme était aussi grand par son esprit et par son cœur qu’il paraissait petit de corps ; son esprit atteignait jusqu’au ciel, alors que la taille de son corps demeurait inférieure à celle des autres hommes. Que nul donc ne se préoccupe de la petitesse de son corps, auquel il ne lui est pas possible de riels ajouter ; mais que chacun s’efforce de grandir chaque jour davantage et de s’élever jusqu’aux cieux par la foi. 2. « Courant donc en avant, il monte sur un arbre k ». Par quels degrés pensez-vous qu’il parvint jusqu’aux branches d’un arbre très-élevé ? Il prend d’abord un élan vigoureux pour s’élever au-dessus de la terre ; après avoir franchi ensuite l’or et l’avarice comme deux degrés d’un même piédestal, il réussit à se dresser sur l’édifice de la richesse, et de là, s’élançant sur l’arbre du pardon, il y demeure suspendu comme un fruit de miséricorde ; ainsi élevé de corps, mais profondément humilié d’esprit et de cœur, il pourra apercevoir et même contempler le dispensateur de l’indulgence. « Il monta sur un sycomore ». Adam avait emprunté à un arbre de quoi couvrir la nudité de son corps, Zachée est suspendu aux branches d’un autre arbre au moment où il est purifié des souillures de l’avarice. « Il monta sur un sycomore, afin de voir Jésus qui devait passer par là l ». Oui, Jésus devait véritablement passer par là ; car s’il était entré dans la voie des souffrances et des travaux auxquels tous les hommes sont assujettis sur cette terre, il y était entré, non pas pour y demeurer, mais seulement pour y passer. 3. « Et lorsqu’il fut arrivé en cet endroit, Jésus levant les yeux l’aperçut m». Est-ce donc que le Christ ne l’aurait point vu, s’il n’eût tourné les yeux de ce côté, lui qui, étant absent et éloigné à une grande distance, vit Nathanaël sous un arbre de même espèce ? Gardons-nous de le croire ; cette manière de parler signifie que le Sauveur aperçut Zachée pour lui accorder son pardon, qu’il le vit pour lui conférer la grâce, qu’il fixa sur lui son regard pour lui donner la vie, qu’il le contempla pour lui procurer le bienfait du salut. Dieu se plaît, pour ainsi dire, à considérer cet homme qui n’a jamais cessé d’être présent à ses regards et à sa pensée, et il le considère d’une manière d’autant plus attentive, qu’il veut lui procurer une gloire plus grande. « Il l’aperçut et lui dit : Zachée, descends en toute hâte, car il faut qu’aujourd’hui je loge dans ta maison n ». Si Zachée a fait un acte si louable en montant, pourquoi le Sauveur lui ordonne-t-il maintenant de descendre ? L’Évangéliste a dit tout à l’heure que « courant au-devant, il monta sur un arbre o » ; le serviteur courait en avant dans la même voie que devait suivre le Seigneur, Zachée montait sur un arbre avant que son maître montât sur la croix ; c’est pour cela qu’il lui fut dit : « Descends en toute hâte » ; en d’autres termes : Hâte-toi de descendre de l’arbre mystique et n’y monte pas avant le Seigneur, si tu veux y monter après que le Seigneur aura souffert le supplice de la croix. « Quiconque », dit le Sauveur en un autre endroit, « n’aura point porté sa croix et ne m’aura point suivi… p ». Il ne dit point : Quiconque ne m’aura point précédé. Descends donc et viens déposer à mes pieds le fardeau de tes fraudes, ces trésors qui sont comme un poids qui t’écrase, parce qu’ils sont les fruits maudits de l’usure et de ton insatiable cupidité ; abjure ce titre de chef de Publicains et cette primauté dans l’exercice des plus cruelles exactions ; revêts ensuite la robe de la pauvreté, fais-toi humble disciple de la miséricorde, livre-toi aux exercices de la piété et de la mortification, pratique toutes les vertus avec une ardeur qui aille toujours croissant, applique-toi à la contemplation des grandeurs de la Divinité, supporte avec résignation toutes les épreuves de cette vie, que chacun de tes jours soit un acte de préparation à la mort, et quand tu auras ainsi atteint le sommet de la perfection, tu pourras monter au sommet de l’arbre de la vie. « Descends, car il faut qu’aujourd’hui je loge dans ta maison q ». Lorsque Pierre eut dit au Seigneur : « Vous « ne me laverez point les pieds r », le Seigneur lui répondit : « Laisse-moi faire, c’est ainsi qu’il faut… s » ; aujourd’hui le Sauveur dit de même : « Il faut que je loge dans ta maison ». Il faut, car celui dans la maison de qui le Christ ne sera point entré, celui-là ne participera point à la passion divine ; et celui à la table de qui le Christ ne se sera point assis, ne sera point admis à la table céleste, 4. Etant donc descendu, il reçut Celui qui venait pour le recevoir lui-même, il nourrit Celui qui venait pour être son pasteur ; par cet acte d’hospitalité généreuse, il inclina le cœur de son Juge à se montrer indulgent, malgré l’énormité de ses crimes ; par suite de la nourriture et du breuvage qu’il lui offrit, ce Juge devint à la fois son débiteur et son protecteur ; et ainsi ce publicain ne perdit pas réellement les richesses qu’il avait acquises par des voies injustes, il les échangea seulement contre des biens d’une valeur infiniment plus grande. « Et tous ceux qui furent témoins de cela murmuraient de ce que le « Seigneur était allé loger chez un pécheur t ». Celui même qui est sans péché et sans souillure se rend indigne de pardon par le fait seul qu’il demande pourquoi Dieu est venu vers les pécheurs. Ce ne sont point les péchés, mais l’homme que le Seigneur recherche alors ; il désire punir le péché qui est l’œuvre de l’homme, et sauver l’homme qui est son œuvre à lui. Écoutez le Prophète : « Détournez, Seigneur, détournez vos regards de mes péchés u », c’est-à-dire, de mes œuvres. Parlant ailleurs de lui-même, il ajoute « Ne détournez point les yeux avec mépris de l’ouvrage de vos mains v ». Quand le juge veut pardonner, il considère l’homme, non point les péchés de l’homme ; quand un père veut user de miséricorde, il oublie les fautes de son fils pour se souvenir seulement de l’amour que ce même fils lui a parfois témoigné ; ainsi Dieu oublie les œuvres de l’homme, pour se souvenir seulement que l’homme est son propre ouvrage. O homme, quel est donc ici l’objet de ta censure, de tes murmures ? Est-ce l’entrée du Christ dans la maison d’un pécheur ? Mais cette démarche du Sauveur vous montre quelle est la voie du salut, elle vous offre un exemple du pardon que Dieu accorde aux pécheurs, elle vous apprend à espérer vous-mêmes en cette divine miséricorde ; tels sont, dis-je, les fruits de salut que vous devez recueillir de cette démarche, bien loin d’y trouver seulement une occasion de blasphémer. Où ira un médecin, sinon près du malade ? « Ce ne sont point ceux qui se portent bien, mais ceux qui sont malades, qui ont besoin du médecin w ». Où court le pasteur empressé et hors d’haleine, sinon après la brebis perdue ? A quel moment voit-on le roi dans les rangs ennemis, sinon lorsqu’il veut délivrer un captif ? Et celui quia perdu une perle précieuse craint-il de pénétrer dans les lieux les plus infects, a-t-il horreur de la rechercher même dans la fange ? Ou bien, qu’est-ce donc qui pourrait rendre une mère insensible à la perte de son fils ? Dieu a créé l’homme à son image et à sa ressemblance, et on lui reproche de rechercher l’homme jusque dans la fange du péché ! Que ferez-vous donc quand vous le verrez, à cause de ce même homme, descendre jusque dans les ténèbres du Tartare ? 5. Voyez cependant quels avantages procure à ce pécheur l’entrée de Jésus dans sa maison. « Zachée se tenant debout », dit le texte sacré x. Voyez-vous comme il se tient droit et ferme, cet homme qui tout à l’heure était gisant ? Le vice nous renverse à terre et nous tient gisants et opprimés, comme un poids qui nous écrase ; mais nous nous relevons dès que notre volonté se détermine résolument à pratiquer le bien. « Zachée se tenant debout, dit : Seigneur, je vais donner la moitié de mes biens aux pauvres y ». Celui-là croit devoir vivre encore après sa mort, qui envoie pour ainsi dire devant lui, dans le séjour de la vie future, la moitié de ses biens. Sans doute celui-là est parfait, qui envoie d’avance tout ce qu’il possède là où il doit vivre éternellement. Mais on n’est pas pour cela étranger à la vertu, on ne laisse pas d’avoir part à la sagesse et à la foi, quand on donne à Dieu la moitié de ses biens ; seulement tout ce qui ne lui est pas donné demeure perdu pour l’homme. Et en vérité, mes frères, de même que celui-là se croit destiné à vivre éternellement, qui envoie son bien devant lui dans le séjour de l’éternité, de même aussi celui-là ne partage point cette croyance, qui ne se prépare rien dont il puisse jouir dans ce séjour. Car si nous nous résignons si difficilement à subir la pauvreté temporelle, qui donc supportera d’être mendiant pendant toute l’éternité ? Quel soldat n’envoie pas dans sa patrie tout ce qu’il acquiert au prix de ses sueurs et de son sang, afin de trouver dans les jouissances de sa vieillesse une compensation aux fatigues de sa jeunesse ? Et le chrétien appelé à combattre durant tout le temps de son existence ici-bas, comment ne songerait-il pas, lui aussi, à se préparer, par des offrandes volontaires, une compensation éternelle aux épreuves de sa vie terrestre ? Quant à la manière dont le chrétien doit agir en cette circonstance, Zachée nous l’apprend à la fois par ses paroles et par son exemple : « Je donne la moitié de mes biens aux pauvres, et si j’ai acquis quelque chose injustement, je rends quatre fois autant z ». Celui qui fait l’aumône avec le bien d’autrui, commet par cet acte de libéralité un nouveau larcin plus odieux encore que le premier ; bien loin que les gémissements de ses victimes soient apaisés par là, ils n’en deviennent que plus éclatants et plus amers. Pourquoi ne le dirais-je pas ? Quand on offre à Dieu le fruit de la rapine, bien loin que la souillure de l’âme soit effacée, on ne fait que renouveler et rendre plus vivant le souvenir de ses crimes ; car, dans une telle offrande, Dieu ne voit que la dépouille de ses pauvres, et il n’a aucun égard pour le sentiment de compassion auquel on obéit. C’est en vain que cet homme implore la miséricorde divine, si ses supplications ont été précédées de larmes et de justes prières adressées à Dieu contre lui par un autre homme. La parole de Dieu est formelle : « Si tu as dérobé la tunique de ton frère, rends-la-lui avant le coucher du soleil, de peur qu’il ne crie vers moi, et que je ne l’exauce dans ma miséricorde ». « Avant le coucher du soleil aa » ; de même que la lanterne du voleur sert à le faire reconnaître, de même aussi le soleil est comme un témoin qui dépose contre tout homme qui commet un larcin. 6. Si donc nous voulons offrir nos biens à Dieu, rendons d’abord ce qui appartient à autrui ; si, dis-je, nous voulons jouir auprès de Dieu de ce qui nous appartient réellement, et si nous voulons entendre, nous aussi, des paroles semblables à celles que Zachée entendit : « Celui-ci même est un enfant d’Abraham ab ». Le riche inhumain, quoique né du sang d’Abraham, devint le fils de l’enfer ; Zachée, d’abord fils de la rapine et du vol, mérita, en donnant son propre bien et en restituant le bien d’autrui, d’être adopté et mis au rang des enfants d’Abraham. N’allez pas croire cependant que, parce qu’il offrit seulement la moitié de son bien, il n’ait pas atteint le sommet de la perfection ; car en réalité il se donna au Seigneur, lui et tous ses biens, de telle sorte que, en retour du repas libéralement servi par lui, il mérita d’être appelé de sa table de publicain à la table du corps du Sauveur et, après s’être dépouillé des richesses trompeuses du siècle, il trouva dans la pauvreté embrassée volontairement pour l’amour du Christ les véritables richesses du ciel. Puissions-nous les obtenir nous-mêmes de la miséricorde de Celui qui vit et règne dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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