Matthew 15
CHAPITRE XLVIII. TERRE DE GÉNÉSAR ET CAPHARNAUM
102. On lit ensuite dans saint Matthieu Ayant passé l’eau ils vinrent dans la terre de Génésar. Or, les habitants ayant connu que c’était Jésus, envoyèrent dans tout le pays et on lui présenta tous les malades en le priant de permettre qu’ils touchassent seulement la frange de sa robe. Et tous ceux qui la touchèrent furent guéris. Alors des Scribes et des Pharisiens venus de Jérusalem s’approchèrent de lui en disant : Pourquoi vos disciples violent-ils la tradition des anciens ? Car ils ne se lavent pas les mains quand ils prennent leur repas », et le reste, jusqu’aux mots : « Un homme n’est pas souillé pour manger sans s’être lavé les mains a. » Saint Marc raconte les mêmes choses sans la moindre contradiction b. Partout où l’un diffère de l’autre pour les termes, il ne laisse pas d’exprimer la même pensée. Mais tout occupé selon sa coutume des discours du Seigneur, saint jean quitte la barque où le Sauveur était monté en marchant sur les eaux, et après avoir parlé de son arrivée à l’autre bord, il rapporte un entretien long et véritablement divin, dont le récent miracle des pains fournit l’occasion, puis il porte son vol de différents côtés c. Cependant, si différente qu’elle soit, sa marche ne contredit point l’ordre indiqué par saint Marc et saint Matthieu. Quelle difficulté de comprendre que le Sauveur guérit les malades dont parlent ces deux Évangélistes et qu’il adresse au peuple venu à sa suite sur l’autre bord les discours reproduits par saint Jean, puisque la ville de Capharnaüm, vers laquelle naviguaient les disciples, selon le texte du même saint Jean, est tout proche du lac de Génésareth, sur les bords duquel ils débarquèrent, d’après saint Matthieu ?SERMON LXXVII. LA CHANANÉENNE OU L’HUMILITÉ d.
ANALYSE. – Si Notre-Seigneur a différé d’exaucer l’ardente prière de cette femme qui n’était pas d’Israël, c’est qu’il voulait nous donner en elle un beau modèle d’humilité. – Mais avant de contempler cette humilité, examinons dans quel sens le Sauveur dit qu’il n’est envoyé que vers les brebis perdues de la maison d’Israël. Évidemment c’est en ce sens, que personnellement il voulait évangéliser les Juifs afin de sauver par eux les Gentils, du nombre desquels était la Chananéenne. – Foi merveilleuse que celle de cette femme ! C’est surtout l’humilité qui en fait le mérite, comme ce fut l’humilité du Centurion qui attira sur lui les louanges et les bénédictions du Sauveur. – Ne vous représentez pas comme un festin matériel le banquet promis par le Sauveur aux élus qui partageront la foi du Centurion. Nos aliments et nos richesses ne sont que des moyens de retarder notre inévitable mort. Mais au ciel plus de mort à craindre. C’est le bonheur parfait. – Pour le mériter prenons modèle sur l’humilité de la Chananéenne et gardons-nous de l’orgueil qui perdit les Juifs incrédules. 1. Cette femme Chananéenne dont l’Évangile vient de nous faire l’éloge, est pour nous un exemple d’humilité et un modèle de piété ; elle nous apprend à nous élancer de bas en haut. Elle était, comme on voit, non pas du peuple d’Israël, dont faisaient partie les patriarches, les prophètes, les ancêtres de Notre-Seigneur Jésus-Christ, dont faisait partie la Vierge Marie elle-même, la mère du Christ. Cette femme n’appartenait donc pas à ce peuple mais aux gentils. En effet, comme nous venons de l’entendre, le Seigneur s’étant retiré du côté de Tyr et de Sidon, une femme sortit de ces contrées et lui demandait avec les plus vives instances une grâce ; la guérison de sa fille cruellement tourmentée par le démon. Tyr et Sidon n’étaient pas des villes d’Israël, mais de la gentilité, quoique fort rapprochées du peuple juif. Cette femme criait donc avec un ardent désir d’obtenir la grâce qu’elle demandait. Le Seigneur feignait de ne pas l’entendre, mais ce n’était point pour lui refuser sa miséricorde, c’était pour enflammer encore son désir ; et non-seulement pour enflammer son désir, mais encore, je l’ai déjà dit, pour mettre en relief son humilité. Elle criait donc comme si le Seigneur ne l’eût pas entendue ; mais le Seigneur préparait en silence ce qu’il allait faire. Les disciples mêmes intercédèrent pour elle auprès de lui. « Renvoyez-la, dirent-ils, car elle crie derrière nous. » Mais lui : « Je ne suis envoyé que vers les brebis perdues de la maison d’Israël. » 2. Ici, à, propos de ces paroles, s’élève une question : Si le Christ n’a été envoyé que vers les brebis perdues de la maison d’Israël, comment sommes-nous entrés de la gentilité dans son bercail ? Que signifie un si profond mystère ? Le Seigneur savait pour quel motif il venait, c’était pour établir son Église parmi tous les gentils ; et il dit n’être envoyé que pour les brebis perdues de la maison d’Israël ! Ceci nous fait comprendre qu’il devait montrer à ce peuple sa présence corporelle, sa naissance, ses miracles et la puissance qu’il fit éclater à sa résurrection ; ainsi le voulaient les dispositions antérieures, l’arrêt éternel, les anciennes prophéties. C’est aussi ce qui se réalisa, car Jésus-Christ Notre-Seigneur vint au milieu du peuplé juif, pour s’y faire voir, être mis à mort et gagner les âmes connues de sa prescience : Cette nation ne fut point réprouvée, mais secouée. Il y avait là beaucoup de paille, mais aussi de précieux grains méconnus ; il y avait de quoi brûler, mais aussi de quoi remplir le grenier. Eh ! d’où viennent les Apôtres, sinon de là ? D’où vient pierre ? D’où viennent les autres ? 3. D’où vient aussi Paul ; Paul, c’est-à-dire l’humble, car auparavant il se nommait Saül, ou le superbe ? Ce nom de Saul en effet lui venait de Saül, roi orgueilleux qui persécutait l’humble David dans ses États e. Lors donc que Paul portait le nom de Saul ; lui aussi était arrogant, persécutait les innocents et dévastait l’Église. Enflammé de zèle pour la synagogue et de haine contre le nom Chrétien, il avait reçu des prêtres l’autorisation écrite de livrer aux supplices tous les Chrétiens qu’il pourrait rencontrer. Il court, il respire la mort, il a soif de sang ; mais du haut du ciel la voix du Christ abat ce persécuteur qui se relève Apôtre f. Ainsi se vérifie cette prédiction : « Je frapperai et je guérirai g. » Dieu frappe dans l’homme ce qui s’élève en lui contre la majesté suprême. Un médecin est-il dur quand il porte dans un abcès ou le fer ou le feu ? Il fait souffrir, oui ; mais c’est pour rendre la santé. Il est importun ; mais s’il ne l’était, quel service rendrait-il ? D’un mot donc ; le Christ renversa Saul et releva Paul, en d’autres termes, renversa l’orgueilleux et releva l’humble. Quel autre motif avait celui-ci de vouloir changer de nom et substituer le nom de Paul à celui de Saul, si ce n’est la connaissance que ce nom de Saul porté par lui à l’époque où il était persécuteur, était un nom d’orgueil ? Il préféra pour cela prendre un nom d’humilité et s’appeler Paul, c’est-à-dire petit ; car Paul vient de parvus, petit. Aussi, heureux de ce nom, il nous donnait un bel exemple d’humilité en disant : «Je suis le plus petit des Apôtres h. » Mais d’où est sorti cet Apôtre, sinon du sein du peuple juif ? C’est de là aussi qu’avec Paul sont issus les autres Apôtres et ceux dont Paul assiste qu’ils ont vu le Seigneur après sa résurrection. Il dit en effet qu’ « environ cinq cents frères le virent ensemble, dont beaucoup vivent encore aujourd’hui et dont quelques-uns se sont endormis i. » 4. De ce peuple étaient issus encore ceux qui entendant Pierre, tout rempli de l’Esprit-Saint, prêcher la passion, la résurrection et fa divinité du Christ, au moment même où après avoir reçu l’Esprit de Dieu, les disciples parlaient les langues de tous les peuples, se sentirent touchés de componction et cherchèrent des moyens de salut. Ils comprenaient qu’ils étaient coupables du sang du Christ ; coupables pour avoir crucifié 'et mis à mort Celui au nom duquel ils voyaient s’accomplir de tels prodiges et descendre visiblement le Saint-Esprit. 5. Ils cherchaient donc des moyens de salut et il leur fut répondu : « Faites pénitence et que chacun de vous reçoive le baptême au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et vos péchés vous seront remis. » Qui désespérerait du pardon quand le pardon est accordé aux meurtriers mêmes du Christ ? Ces Juifs se convertirent donc, ils se convertirent et furent baptisés. Ils s’approchèrent de la table sainte et burent avec foi le sang qu’ils avaient répandu avec fureur. Combien d’ailleurs leur conversion rie fut-elle pas sincère et parfaite ? On peut s’en l’aire une idée par le livre des Actes. On y voit qu’ils vendirent tous leurs biens et en apportèrent la valeur aux pieds des Apôtres. On distribuait à chacun suivant les besoins de chacun ; personne ne réclamait rien en propre et tout était commun entre eux. « Et ils n’avaient, est-il écrit, qu’une âme et qu’un cœur en Dieu j. » Voilà les ouailles dont le Sauveur disait : « Je ne suis envoyé que vers les brebis perdues de la maison d’Israël. » C’est à eux qu’il se montra, pour eux qu’il pria du haut de la croix où on l’outrageait. « Mon Père, disait-il, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font k. » Médecin généreux, il avait en vue ces frénétiques qui dans leur aveuglement tuaient leur médecin et qui sans le savoir se préparaient un remède dans la mort qu’ils lui faisaient subir. C’est à la mort du Seigneur que nous sommes tous redevables de notre guérison, nous sommes rachetés par son sang et l’aliment de son corps sacré apaise notre faim. Le Christ donc se montra visiblement aux Juifs, et en disant : « Je ne suis envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël ;» il faisait entendre qu’il leur devait sa présence corporelle, sans mépriser toutefois et sans délaisser les brebis qu’il possédait parmi les gentils. 5. Il ne visita pas lui-même les gentils, mais, il leur envoya ses disciples ; et ce fut l’accomplissement de cette prophétie : « Le Peuple que je n’ai pas connu m’a servi l. » Remarquez combien cette prédiction est profonde, évidente et expresse. « Le peuple que je n’ai pas connu ; » c’est-à-dire que je n’ai pas visité corporellement, « m’a servi. » Comment ? Le voici : « Il m’a prêté une oreille docile m : » en d’autres termes : ils ont cru, non pas en voyant mais en entendant. C’est la grande gloire des gentils. Les Juifs ont vu le Christ et l’ont mis à mort : les gentils ont entendu parler de lui et y ont cru. Or, ce fut pour répondre à ces paroles que nous venons de chanter : « Rassemblez-nous du milieu des gentils, afin que nous célébrions votre nom et que nous mettions notre bonheur à publier vos louanges ; n » pour appeler et rassembler les gentils, que le même Apôtre Paul fut envoyé. Ce petit devenu grand, non par sa propre puissance, mais par la grâce de Celui qu’il avait persécuté, fut envoyé vers les gentils, et de larron il devint pasteur, brebis, de loup qu’il était. Ce dernier des Apôtres fut adressé aux gentils, il travailla immensément parmi eux et les amena à la foi, comme l’attestent ses Épîtres. 6. Il y a de ceci une figure auguste dans l’Évangile même. La fille d’un chef de Synagogue était morte ; son père suppliait le Seigneur de venir près d’elle, car il l’avait laissée malade et en danger. Le Seigneur allait donc visiter et guérir cette malade. Pendant ce temps on annonce sa mort et on dit à son père : « Cette enfant est morte, ne tourmentez plus le Maître. » Le Seigneur se sentait capable de ressusciter les morts, et rassurant ce père désespéré : « Ne crains pas, lui dit-il, crois seulement ; » et il poursuivit sa route. Mais voilà que sur le chemin une femme se glissa comme elle put au milieu des foules. Elle souffrait d’une perte de sang et durant cette longue maladie elle avait dépensé vainement tout son bien pour les médecins. Or, dès qu’elle eut touché la frange de la robe du Sauveur, elle fut guérie. « Qui m’a touché? » demanda le Seigneur. Les disciples surpris, ignorant ce qui venait d’arriver, voyant d’ailleurs que leur Maître était pressé par la foule et qu’il s’occupait d’une femme qui l’avait touché légèrement, répondirent : « La foule vous presse, et vous demandez : Qui m’a touché ? – Quelqu’un m’a touché », reprit-il. C’est qu’en effet les uns le pressent et une autre le touche. Beaucoup pressent importunément le corps du Christ et peu le touchent utilement. « Quelqu’un m’a touché ; car j’ai connu qu’une vertu était sortie de moi. » – Reconnaissant alors qu’elle était découverte, cette femme tomba à ses pieds et avoua ce qui s’était fait. Jésus poursuivit ensuite sa route, arriva où il allait et trouvent morte la fille du Chef de Synagogue, il la ressuscita o. 7. Ce faitout lieu tel qu’il est rapporté. Cependant les actions mêmes du Seigneur sont comme clés paroles qui se voient et signifient quelque chose. Ce qui te montre surtout, c’est qu’un joui-, quand ce n’en était pas la saison, il alla chercher des fruits sur un arbre, et n’en trouvant point il jeta sur lui une malédiction qui le fit sécher p. Si ce trait ne renfermait pas quelque signification mystérieuse, n’y aurait-il pas eu folie, premièrement, à chercher des fruits sur un arbre lorsque ce n’en était pas la saison ? Et d’ailleurs, quand même t’eût été le temps des fruits, comment reprocher à un arbre de n’en avoir pas produits ? Mais le Seigneur, voulait faire sentir qu’il demandait, non-seulement des feuilles, mais encore des fruits, non-seulement des paroles, mais encore des actes, et en desséchant l’arbre où il ne rencontre que des feuilles, il indique à quels châtiments sont réservés ceux qui peuvent bien dire sans vouloir bien faire. Ainsi en est-il ici ; car ici encore il y a un mystère. Celui qui sait tout d’avance demande « Qui m’a touché ? » Le Créateur n’a-t-il pas l’air d’un ignorant ? Il questionne quand il sait ce qu’il demande et que d’avance il connaît même tout le reste ? Le Christ veut assurément nous apprendre quelque chose par ce mystère. 8. Cette fille du Prince de Synagogue représentait donc le peuple juif pour qui était venu le Christ, lui qui a dit : « Je ne suis envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. » Et la femme qui souffrait d’une perte de sang figurait l’Église des gentils, que le Christ ne devait pont faire jouir de sa présence corporelle. Il allait vers la première, avait en vue son salut ; la seconde intervient, elle touche la frange de son vêtement sans qu’il paraisse s’en apercevoir ; elle est donc guérie comme par un absent. « Qui m’a touché ? » demande le Seigneur. C’est comme s’il eût dit : Je ne connais pas ce peuple. « Un peuple que je n’ai pas connu m’a servi. – Qui m’a touché ? Car j’ai senti qu’une vertu s’échappait de moi », c’est-à-dire que l’Évangile allait au loin et remplissait tout l’univers. La frange touchée est le bord et une mince partie du vêtement. Faites des Apôtres comme le vêtement du Christ. Paul en était la frange ; il était le dernier et le moindre d’entre eux, comme il le confesse lui-même : « Je suis, dit-il, le dernier des Apôtres ? q » Effectivement, il fut appelé et il crut après tous les autres et néanmoins travailla plus qu’aucun d’eux. Le Seigneur n’était donc envoyé que vers les brebis égarées de la maison d’Israël. Mais comme il devait être servi par un peuple qu’il n’avait pas connu, comme ce peuple devait lui prêter une oreille docile, il ne l’oublia pas non plus au milieu des Juifs, car il – dit quelque part J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de ce bercail ; il faut que je les amène aussi, afin qu’il n’y ait qu’un seul troupeau et qu’un seul pasteur r. » 9. De ce nombre était la Chananéenne ; aussi Jésus ne la dédaignait pas, mais il différait de l’exaucer. « Je ne suis envoyé, disait-il, qu’aux brebis égarées de la maison d’Israël. » Et elle insistait par ses cris, elle continuait et elle frappait comme si déjà il lui eût été dit : Demande et reçois ; cherche et tu trouveras ; frappe et il te sera ouvert. Elle insista, elle frappa. Avant de dire : « Demandez et vous recevrez ; frappez et il vous sera ouvert ; » le Seigneur avait dit : « Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, dans la crainte qu’ils ne les foulent aux pieds et que se retournant ils ne vous déchirent s ; » dans la crainte qu’après avoir méprisé vos perles ils ne vous tourmentent vous-mêmes. – Gardez-vous, donc de jeter devant eux ce qu’ils n’apprécient pas. 10. Mais comment distinguer, dira-t-on, les pourceaux et les chiens ? Nous le voyons dans l’histoire de la Chananéenne. Comme elle insistait, le Seigneur lui répondit : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens. » Tu es une chienne, tu es du nombre des gentils, tu adores les idoles. Or l’habitude des chiens n’est-elle pas de lécher les pierres ? « Il n’est donc pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens. » Si elle s’était éloignée, après ces paroles, elle se serait retirée chienne comme elle était venue ; mais en frappant elle cessa d’être un chien pour devenir un homme, Car elle redoubla ses demandes et l’humiliation même qu’elle endura fit éclater son humilité et lui obtint miséricorde. Elle ne s’émut point, elle ne se fâcha point d’avoir été traitée de chienne quand elle demandait une grâce, quand elle implorait la miséricorde. « C’est vrai, Seigneur », répondit-elle ; vous m’avez traitée de chienne ; je le suis réellement, je reconnais mon nom, c’est la vérité même qui parle ; je ne dois pas pour cela être exclue de vos faveurs. Hélas ! oui, je suis une chienne ; « mais les chiens eux-mêmes mangent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. » Je ne désire qu’une faveur bien petite et bien mince, je ne me jette pas sur la table, je cherche seulement des miettes. 11. Voyez combien cette humilité ressort. Le Seigneur l’avait traitée de chienne ; elle ne renie pas ce titre, elle dit : c’est vrai. Et pour cet aveu « O femme ! dit aussitôt le Seigneur, ta foi est grande ! Qu’il te soit fait comme tu as demandé. » Tu reconnais que tu es urne chienne, et moi je déclare que tu es un homme. « O femme ! que ta foi est grande ! » Tu as demandé, tu as cherché, tu as frappé ; reçois, trouve, qu’il te soit ouvert. Remarquez bien, mes frères, comment dans cette femme qui était Chananéenne, c’est-à-dire issue de la gentilité et qui était un type ou une figure de l’Église, ressort surtout l’humilité. Si le peuple juif a été exclu de l’Évangile, c’est qu’il était enflé d’orgueil, pour avoir mérité de recevoir la loi, d’être la souche des patriarches, des prophètes, de Moïse même, ce grand serviteur de. Dieu qui fit en Égypte les prodiges éclatants dont nous parlent les psaumes, qui conduisit le peuple à travers la mer Rouge après en avoir fait retirer les eaux, et qui enfin reçut de Dieu même la loi qu’il donna à sa nation t. Voilà de quoi s’enorgueillissait le peuple juif, et ce fut cet orgueil qui l’empêcha de se soumettre au Christ, l’auteur de l’humilité et l’ennemi de la fierté, le médecin divin qui s’est fait homme, tout Dieu qu’i était, afin d’amener l’homme à s’avouer homme. Quel remède ! Ah ! si ce remède ne guérit pas l’orgueil, je ne sais qui pourra y mettre lin terme. Jésus est Dieu et il se fait homme ! Il écarte sa divinité, c’est-à-dire il met de côté, il cache sa propre nature pour montrer sa nature empruntée. Tout Dieu qu’il est il se fait homme, et l’homme ne se reconnaît pas homme, c’est-à-dire ne se reconnaît pas mortel, ne se reconnaît pas fragile, ne se reconnaît pas pécheur, ne se reconnaît pas malade pour recourir au moins comme tel à son médecin, mais ce qui est fort dangereux, il croit jouir de la santé ! 12. Voilà donc le motif, motif d’orgueil, pour lequel ce peuple ne s’est point attaché au Sauveur, et pour lequel les rameaux naturels, c’est-à-dire les Juifs que rendait stériles l’esprit d’orgueil, ont été retranchés du tronc de l’olivier ou du peuple des gentils. L’Apôtre enseigne effectivement que l’olivier sauvage a été enté sur l’olivier véritable, dont les rameaux naturels ont été abattus. L’orgueil a fait abattre ceux-ci et l’humilité a fait enter celui-là u. Cette humilité éclatait dans la Chananéenne quand elle disait : Oui, Seigneur, je suis une chienne, et je cherche à ramasser des miettes. Cette humilité encore fit le mérite du Centurion. Il désirait que le Seigneur guérit son valet, et le Seigneur répondant : « J’irai et je le guérirai ; Seigneur ; répliqua-t-il, je ne suis pas digne que vous entriez dans ma demeure, mais dites seulement une parole, et mon serviteur sera guéri. » Je ne suis pas digne de vous recevoir dans ma demeure, et déjà il l’avait reçu dans son cœur. Plus il était humble, plus aussi il avait de capacité et plus il était rempli. L’eau tombe des collines et remplit les vallées. Mais après que le Centurion eût dit : « Je ne suis pas digne que vous entriez dans ma demeure », qu’est-ce que le Seigneur adressa à ceux qui le suivaient ? « En vérité je vous le déclare, je n’ai pas trouvé tant de foi dans Israël. » Tant de foi, c’est-à-dire une foi si grande. Et qui la rendait si grande ? La petitesse, c’est-à-dire l’humilité. « Je n’ai pas trouvé tant de foi ; » elle ressemble au grain de sénevé, d’autant plus actif qu’il est plus petit. Déjà donc alors le Seigneur greffait le sauvageon sur l’olivier véritable ; il le faisait au moment où il disait : « En vérité je vous le déclare, je n’ai pas trouvé tant de foi dans Israël. » 13. Voyez enfin ce qui suit. « Aussi », parce que « Je n’ai pas trouvé dans Israël ; » tant d’humilité dans la foi, « pour cela donc je vous le déclare, beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident et auront place avec Abraham, Isaac et Jacob au festin du royaume des cieux v. – Ils auront place au festin », ils reposeront. Car nous ne devons point nous figurer, dans ce royaume, de banquets charnels ni y désirer rien de semblable ; ce serait, non pas changer nos vices en vertus, mais nous appuyer sur eux. Autre chose est de désirer le royaume des cieux en vue de là sagesse et de l’éternelle vie ; et autre chose d’y aspirer en vue de la félicité terrestre qu’on y attendrait plus abondante et plus grande. Compter sur l’opulence dans ce royaume, ce n’est pas détruire la cupidité, c’est lui donner un autre objet. On y sera riche, toutefois, on ne sera même riche que là : N’est-ce pas l’indigence qui mendie tant ici ? Pourquoi les riches possèdent-ils beaucoup ? Parce que leurs besoins sont nombreux. Plus la pauvreté est grande, plus elle cherche. Là au contraire il n’y aura plus de pauvreté ; on y sera vraiment niché parce qu’on n’y aura besoin de rien. Parce que l’ange ne possède ni montures, ni équipages, ni domestiques, ne le crois pas pauvre en comparaison de toi. Pourquoi ? C’est qu’il n’a aucun besoin, c’est qu’il manque d’autant moins qu’il est plus fort. Là donc sont les richesses et les richesses véritables. N’y transporte par les festins de la terre. Ces festins en effet ne sont que des remèdes à prendre chaque jour et indispensablement nécessaires à une sorte de maladie que nous apportons en naissant, et que chacun sent s’il vient à laisser passer l’heure de son repas. Veux-tu savoir combien cette maladie est sérieuse ? Considère que comme une fièvre aiguë elle donne la mort dans l’espace de sept jours : Ne crois pas que tu jouisses de la santé. La santé véritable c’est l’immortalité, et la santé actuelle n’est qu’une longue maladie. Parce que tu luttes contre cette infirmité par des remèdes de chaque jour, tu n’y crois pas : mets de côté ces remèdes et tu sauras ce dont tu es capable. 14. Dès notre naissance il est nécessaire que nous mourions. C’est une maladie qui conduit fatalement à la mort. En examinant l’état des malades, il arrive souvent aux médecins de dire, par exemple : C’est un hydropique, il est condamné à mort, ce mal est incurable. C’est un lépreux ; incurable également ; un phtisique, qui entreprendra de le guérir ? Il est nécessaire qu’il succombe, il mourra inévitablement. Mais lors même que le médecin à dit : C’est un phtisique, il ne peut que mourir, il arrive quelquefois que la phtisie, que l’hydropisie même et que la lèpre ne sont pas suivies de la mort ; au lieu que la naissance y mène nécessairement. C’est donc une maladie dont on meurt et dont on meurt inévitablement. L’ignorant le prédit comme le médecin ; et lors même que la mort se ferait attendre, s’ensuit-il qu’elle ne viendra point? Où donc se trouve la vraie santé, sinon où se rencontre l’immortalité véritable ? Mais l’immortalité véritable est exempte d’altération et de défaillance. Qu’a-t-elle alors besoin d’aliments ? C’est pourquoi, lorsque tu entends : « Ils auront place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob », ne pense pas à ton corps, mais à ton âme. Tu seras rassasié, car l’âme aussi a sa nourriture, et c’est de l’âme qu’il est dit : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés w ; » si bien rassasiés que jamais plus ils ne ressentiront la faim. 15. Déjà donc le Seigneur entait-le sauvageon quand il disait : « Beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident et prendront place avec Abraham Isaac et Jacob ait festin du royaume des cieux ; » c’est-à-dire qu’ils seront entés sur l’olivier véritable, dont les racines sont Abraham, Isaac et Jacob ; tandis que « les enfants du royaume », ou les Juifs incrédules, « iront dans les ténèbres extérieures x. » Rameaux naturels ils seront coupés afin de faire place à l’olivier sauvage. Comment ont-ils mérité d’être ainsi abattus ? Par leur orgueil. Et n’est-ce pas l’humilité qui leur a substitué le sauvageon ? Aussi la Chananéenne disait-elle : « Oui, Seigneur, car les chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. » Ce qui lui mérite cet éloge : « O femme ! ta foi est grande ! » Le Centurion disait aussi : « Je ne suis pas digne que vous entriez dans ma demeure », et il lui fut également répondu : « Je vous le déclare en vérité, je n’ai pas rencontré tant de foi dans Israël. » Formons-nous donc ou conservons-nous dans l’humilité. Si nous ne l’avons pas encore, acquérons-la, et ne la perdons point si nous l’avons, Acquérons-la, si nous ne l’avons pas, afin d’être greffés ; et pour n’être pas retranchés, conservons-la si nous l’avons.CHAPITRE XLIX. LA CHANANÉENNE.
103. Après avoir rapporté le discours où Notre-Seigneur répond aux Pharisiens sur le reproche de ne se pas laver les mains avant le repas, saint Matthieu continuant à suivre dans son récit l’ordre des faits, comme la transition l’indique, reprend de cette manière : « Jésus, étant parti de ce lieu-là, se retira du côté de Tyr et de Sidon. Or, une femme Chananéenne, qui était sortie de ce pays, s’écria : Seigneur, Fils de David, ayez pitié de moi ; ma fille est misérablement tourmentée par le démon. Mais il ne lui répondit pas un seul mot ; » et le reste, jusqu’à l’endroit où nous lisons : « O femme, ta foi est grande ; qu’il te soit fait comme tu le désires. Et sa fille fut guérie à l’heure même y. » Saint Marc rapporte ce trait sans une ombre de contradiction, et en suivant le même ordre. Toute la différence, c’est que d’après son récit, le Sauveur était entré dans une maison lorsque cette femme vint le prier pour sa fille z. On pourrait s’expliquer facilement que saint Matthieu n’ait rien dit de cette circonstance, tout en rapportant le même fait. Mais comme il nous apprend que les disciples disaient au Seigneur : « Renvoyez-la, car elle crie derrière nous ; » ne faut-il pas conclure que cette femme suivait Jésus sur le chemin en faisant entendre ses cris suppliants ? Comment alors était-ce dans une maison ? Il est vrai, saint Marc nous dit de la Chananéenne qu’elle entra où était Jésus, après avoir dit que lui-même était entré dans une maison. Mais le texte de saint Matthieu porte que Jésus » tout d’abord ne répondit pas un seul mot. » Ce qui donne à connaître une chose qui n’est rappelée ni par l’un ni par l’autre ; c’est que sans rompre son silence, Notre-Seigneur sortit de cette maison. Dès lors tout le reste se lie facilement dans les deux récits et n’offre plus la moindre opposition. Car saint Marc, en faisant répondre au Seigneur qu’il ne fallait pas jeter aux chiens le pain des enfants, laisse place aux particularités relevées par saint Matthieu, savoir, que les disciples intercèdent pour cette femme, que Jésus répondit n’avoir été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël, qu’elle-même vint près de lui, le suivit, l’adora et lui dit : « Seigneur, aidez-moi. » À partir de là, ce sont les mêmes circonstances dans les deux Évangélistes.CHAPITRE L. MULTIPLICATION DES SEPT PAINS.
104. Saint Matthieu reprend ainsi : « Jésus étant sorti de là, vint près de la mer de Galilée ; puis ayant gagné le haut d’une montagne il s’y assit. Or de grandes troupes de peuple vinrent le trouver, amenant des muets, des aveugles, des boiteux, des estropiés et beaucoup d’autres malades, qui furent mis aux pieds de Jésus ; et il les guérit. De sorte que tout le monde était dans l’admiration en voyant que les muets parlaient, que les boiteux marchaient, que les aveugles avaient recouvré la vue ; et tous rendaient gloire au Dieu d’Israël. Mais Jésus ayant appelé ses disciples leur dit : J’ai compassion de ce peuple, « parce que déjà depuis trois jours il demeure avec moi et n’a rien à manger ; » et le reste, jusqu’à l’endroit où nous lisons : « Or le nombre de ceux qui mangèrent était de quatre mille hommes, sans compter ni les petits enfants ni les femmes aa. » Ce nouveau miracle d’une foule nombreuse nourrie avec sept pains et quelques poissons, saint Marc le rappelle aussi, et à-peu-près dans le même ordre ; seulement il en fait précéder le récit d’une action dont nul autre que lui ne dit rien ; c’est la guérison du sourd à qui Notre Seigneur ouvrit les oreilles en crachant et en disant : « Effet, ouvrez-vous ab. » 105. À propos de ce miracle des sept pains, raconté par deux évangélistes, saint Matthieu et saint Marc, il ne sera pas inutile de faire observer, que si l’un d’eux en avait parlé sans avoir rien dit de celui des cinq pains, on le croirait en opposition avec les autres. Aussi bien qui n’aurait pas alors l’idée qu’il s’agit d’un seul et même fait, rapporté d’une manière inexacte soit par un des évangélistes, soit par les trois autres, soit par tous en même temps ? Qui ne croirait que celui-ci a dit sept pains au lieu de cinq, ou ceux-là cinq au lieu de sept, ou enfin que tous ensemble ont voulu tromper ou ont été trompés par une mémoire infidèle ? pour le nombre des corbeilles, les uns en comptant douze et l’autre sept, on estimerait aussi qu’il y a contradiction ; on ferait de même pour le nombre des hommes qui, suivant les uns, serait de cinq mille et suivant l’autre de quatre mille. Mais, comme les évangélistes qui ont rapporté ce miracle des sept pains n’ont p as omis celui des cinq pains, il ne peut y avoir de difficulté, et tout le monde comprend qu’il s’agit d’un double miracle. Nous faisons cette remarque, afin que si l’on trouve ailleurs, entre deux évangélistes, et pour certains faits de la vie du Sauveur, la même apparence de contradiction et qu’il soit également impossible de la faire disparaître, on comprenne qu’il s’agit alors de deux choses distinctes, dont chacune est rapportée séparément par un des écrivains sacrés. C’est ce que nous avons déjà dit plus haut, quand il a été question des groupes de cinquante et de cent personnes, parce que là aussi nous pourrions croire opposés l’un à l’autre les évangélistes, si l’un en faisant mention des groupes de cent, ne parlait encore des groupes de cinquante ▼▼Ci-dessus, ch. 46.
. SEPTIÈME SERMON. SUR CES PAROLES DE L’ÉVANGILE SELON SAINT MATTHIEU (XV, 21-28) : « JÉSUS, ÉTANT PARTI DE LÀ, SE RETIRA DU CÔTÉ DE TYR ET DE SIDON. ET VOICI QU’UNE FEMME CHANANÉENNE SORTIE DE CES CONTRÉES S’ADRESSA À LUI EN CRIANT : SEIGNEUR, FILS DE DAVID, « AYEZ PITIÉ DE MOI ; MA FILLE EST CRUELLEMENT TOURMENTÉE PAR LE DÉMON, ETC. » LA CHANANÉENNE.
ANALYSE. —1. Aveuglement et endurcissement des Juifs. —2. Foi de la chananéenne. —3. Explication de la prière adressée par elle à Jésus-Christ. —4. Réponse du Sauveur exauçant cette prière. Conclusion. 1. La miséricorde de notre Seigneur et Sauveur montre à tous également la voie du salut ; il ne veut pas que personne soit délaissé, mais il exhorte chacun à venir à lui, et il ne cesse de rappeler ceux qui se perdent. Et cependant l’endurcissement du cœur de ceux-ci est devenu tel qu’ils refusent de suivre celui qui désirait si ardemment les ramener de leur erreur, celui qui est descendu afin précisément de les empêcher de périr. Le Seigneur, ô peuple juif, n’a pas encore cessé de veiller sur toi et de courir à ta poursuite avec une sollicitude paternelle, et toi, tu refuses de chercher un Dieu qui te cherche lui-même avec tant de tendresse. Ils sont perdus sans ressource, ceux qui ne sentent pas que leur perte est un fait déjà en voie d’accomplissement ; il faut avoir l’esprit singulièrement troublé et abruti, pour ne plus reconnaître même que l’on est dans le chemin de l’erreur, et pour mépriser les avertissements de celui qui nous rappelle à la voie de la vérité. Votre Dieu pouvait-il faire davantage pour vous, que de venir personnellement pour vous retirer de l’abîme de perdition où vous étiez plongé ? Il a compris que la perversité de votre cœur était extrême, qu’il n’était au pouvoir d’aucune créature de la guérir, et il n’a point voulu envoyer un autre que lui-même, afin qu’il ne vous fût pas possible de douter de l’efficacité du remède. Il est venu en personne, et vous ne croyez point ; vous criez que vous êtes tombé au fond de l’abîme, et vous ne voulez point en sortir. Voyez donc combien est immense la miséricorde du Sauveur. À quoi tendaient tous les efforts de l’Homme-Dieu, sinon à obtenir que son peuple, déjà dispersé, ne pérît pas entièrement ? Il voulait le rétablir dans sa gloire et sa puissance d’autrefois ; mais, ne pouvant l’amener à lui par les avertissements et les exhortations, il employa, pour le rappeler, les miracles les plus éclatants. Et cependant, ce moyen ne les touche pas davantage. « C’est un Samaritain, « disaient-ils, et un possédé du démon ad ». O longanimité inépuisable de la divine miséricorde ! Il reçoit les outrages les plus injurieux, et il ne s’émeut point. Qui ne reconnaît à ce trait la grandeur d’âme, le dévouement d’un vrai libérateur ? Il ne te suffit pas, ô multitude en délire, de refuser opiniâtrement de reconnaître ton Seigneur ; tu ne veux pas même voir un bienfait dans cette longanimité inépuisable ! Telle est la mesure de ton ingratitude ! C’est bien avec raison que le Prophète s’écriait : « O race méchante et perverse, voilà comment vous témoignez au Seigneur votre reconnaissance ae ». Où trouver une malice, une perversité aussi grande ! Ils se sont égarés de leur chemin ; ils ont abandonné Dieu, et ils repoussent la main qui leur présente le remède. 2. Il faut donc laisser de côté ce peuple qui veut persévérer éternellement dans sa perfidie. Il est une autre race d’hommes à qui il est plus urgent d’annoncer la bonne nouvelle. Voici venir une femme chananéenne qui, adoucissant la férocité habituelle à sa race barbare, confesse la vérité. Oubliant soudainement sa férocité naturelle, elle s’écrie : « Ayez pitié de moi, fils de David ? af » Elle confesse hautement que, dans sa croyance, il n’existe aucun autre moyen pour obtenir la délivrance de sa fille. Née d’un sang barbare, elle proclame Fils de David Celui que le peuple refusait de reconnaître comme tel, et, dans l’ardeur de sa foi, cette femme ne demande pas autre chose que d’entendre une parole de la bouche du Sauveur. Elle estime que sa fille pourra être guérie par cette seule parole. Car elle dit : « Ma fille ne pourra être a guérie, à moins que je n’aie le bonheur d’obtenir une réponse de votre bouche ». Jésus ne lui adresse d’abord aucune parole ; mais il ne méprise pas, pour cela, sa confiance et sa foi. Il veut, au contraire, que cette foi s’accroisse en elle de plus en plus. Enfin, après un long silence, Jésus laisse s’échapper de ses lèvres ces paroles : « Il n’est pas convenable de prendre le pain des a enfants et de le jeter aux chiens ag ». Dans cette réponse le mot enfants désigne le peuple d’Israël ; car, dans le langage sacré, le peuple de Dieu conservait encore ce titre, bien qu’il eût depuis longtemps perdu cette qualité et l’affection immense dont cette qualité le rendait l’objet. Israël perd le nom même de fils, le jour où il refuse de reconnaître son Père. Vous ne savez point, ô peuples insensés ; vous laisser vaincre par cette parole qui guérit et qui sauve. En reniant votre Père, vous renoncez à la qualité de fils, alors même que vous prétendriez en conserver le nom. Jésus a déclaré que ses pains ne doivent pas être jetés aux chiens. Dès que vous aurez perdu le nom de fils, les chiens se trouveront être meilleurs que vous. Voyez combien est grande la miséricorde du Seigneur : il conserve en vous le trésor de la foi. Prenez garde de vous laisser vaincre par les chiens. Le Seigneur a donné ce nom à une femme de Chanaan ; et celle-ci, cependant, n’a point rougi outre mesure de cette qualification ; car la nature elle-même ne forme pas tous les chiens de la même sorte. Il existe, parmi les différentes variétés d’animaux de cette espèce, telle race plus douce et plus intelligente, qui reconnaît son maître et, parfois, suit ses traces sans se laisser dérouter par quoi que ce soit ; si cet animal sent qu’il est l’objet d’une certaine affection, il garde le seuil de son maître avec une attention qui ne se dément point, avec un zèle que la faim ne refroidit pas et que les coups ne sauraient éteindre. Il pousse, en recherchant son maître, des cris que l’on croirait salariés ; il est obéissant à sa manière il ne saurait traduire ses impressions dans un langage articulé, mais il sait bien se faire comprendre par son regard humble et son attitude suppliante. « Ayez pitié de moi », s’écrie celle que le Seigneur qualifie du nom de cet animal. 3. Elle ajoute ensuite : « Pourquoi, de votre a bouche adorable, m’adressez-vous une réprimande aussi rigoureuse ? Les chiens, du moins, peuvent ordinairement jouir du bienfait des restes de leurs maîtres ; car de la table de ceux-ci tombent des miettes que les chiens, aussi attentifs qu’ils sont affamés, ne laissent pas parvenir jusqu’à terre. Vous me qualifiez du nom de ces animaux ; je ne réclame point le pain des enfants, mais je désire seulement recevoir quelques paroles de votre miséricorde ; je ne suis point en proie à un transport furieux qui me pousse à tourner contre Dieu le venin qui me dévore. Le nom de chien me convient, je l’avoue ; l’écho de mes aboiements a dû bien des fois, déjà, arriver jusqu’à vous ; j’abois, mais sans rien obtenir, quoique la lumière de mon intelligence ne soit point obscurcie par un accès de rage violente ; je ne demande pas, comme vous l’avez dit, le pain de vos enfants ». C’est ici, en effet, le cas de répéter cette parole du Prophète : « J’ai engendré et élevé des enfants, et ces enfants m’ont méprisé ah » ; car les hommages que ces enfants rendent au Seigneur consistent à oublier tant et de si grands bienfaits qu’ils ont reçus de lui, et à porter le mépris et l’arrogance jusqu’à nier l’autorité et la puissance de leur père. Cette femme donc parle ainsi : « Aussi longtemps qu’il vous plaira, Seigneur, appelez-moi chienne ; vous n’aurez pas moins à subir l’impudence de mes aboiements, vous ne serez pas moins obligé d’assouvir ma faim par une parole de votre bouche ; et, si vous me méprisez à cause de la race à laquelle j’appartiens, je ne cesserai pas, néanmoins, de brûler pour vous de cet amour qui n’a jamais pu vous déplaire. Alors même que vous me repousseriez, je ne cesserais de m’attacher à vos pas. Je vous invoquerai alors sous le titre de Maître de toute la nature ; je proclamerai votre divinité ; et si ma langue était impuissante à exprimer les sentiments de mon cœur, je m’efforcerais encore de vous offrir intérieurement l’hommage de ma foi, de mes adorations, de ma vénération profonde et de mon ardente prière. C’est déjà par un effet de votre miséricorde que je continue à solliciter un bienfait de votre part, que je n’ai point encore cessé d’aboyer. Je ne réclame qu’un mot de votre bouche ; ce mot seul pourra éteindre le feu de mes désirs. Je vous prie, je vous supplie avec une confiance sans bornes ; ma fille est en proie à une vive douleur. Votre divinité est pour moi une chose tellement certaine, que je ne doute point qu’une seule parole tombée de vos lèvres ne rende la santé à celle que la science d’aucun homme n’a pu guérir. Les exemples de votre miséricorde m’encouragent et me contraignent à me montrer importune. Je me souviens que vous avez dit : « Demandez, et il vous sera donné ai. Après de telles promesses, qui n’aurait recours à vous ? qui ne solliciterait les récompenses promises par vous à la prière ? Je vous en supplie donc, accordez-moi l’objet de ma demande ». 4. Notre-Seigneur, donc, et Sauveur, touché de cette prière et voyant la foi de celle qui la lui adressait, se contenta de lui donner cette réponse : « O femme, votre foi est grande, qu’il vous soit fait selon votre foi aj ». Le Seigneur ne dit point : Je vous donnerai ce que vous demandez ; il ne met d’autres bornes à sa libéralité que les bornes mêmes que cette femme a mises à ses désirs ; elle reçoit tout ce que sa foi l’a déterminée à demander. Et nous aussi, mes frères, croyons avec une foi telle que nous méritions d’obtenir tout ce que nous demanderons avec de semblables dispositions.
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