‏ Matthew 14:1-2

CHAPITRE XLIII. HÉRODE APPRENANT LES MIRACLES DE JÉSUS.

91. On lit ensuite dans saint Matthieu : « En ce temps-là Hérode le tétrarque apprit ce que l’on publiait de Jésus ; et il dit à ses serviteurs C’est Jean-Baptiste, c’est lui-même qui est ressuscité d’entre les morts ; et c’est pour cela qu’il se fait par lui tant de miracles a. » Saint Marc raconte la même chose et de la même manière, mais non dans le même ordre b. Car après avoir rappelé que Jésus envoya ses disciples, en leur recommandant de ne rien porter avec eux que le bâton, et après avoir terminé ce qu’il apporte de son discours, il relate le fait qui nous occupe ; mais sans obliger de croire que ce fait ait suivi d’une manière immédiate ce qui précède, non plus que saint Matthieu chez qui nous lisons : « En ce temps-là » et non : En ce jour-là, ni : À cette heure. Néanmoins, d’après saint Marc, ce ne fut pas Hérode mais d’autres qui disaient : « Jean-Baptiste est ressuscité d’entre les morts », tandis que d’après saint Matthieu ce fut Hérode qui le dit à ses serviteurs. » Tout en gardant ici le : même ordre que saint Marc, et sans obliger, non plus que lui, à croire que telle fut la suite des événements, saint Luc rapporte en ces termes le même fait : « Cependant Hérode le tétrarque entendit parler de tout ce que faisait Jésus, et il ne savait que penser, parce que les uns disaient Jean est ressuscité d’entre les morts ; d’autres : Élie est apparu ; et d’autres enfin : Un des anciens prophètes est ressuscité. Mais Hérode disait : J’ai décollé Jean ; quel est donc celui-ci, « de qui j’entends de si grandes choses ? Et il souhaitait de le voir c. » Ici l’évangéliste, de même que saint Marc, rapporte que ces paroles : « Jean est ressuscité d’entre les morts, furent prononcées par d’autres et non par Hérode. Mais quand saint Luc parle de l’hésitation d’Hérode et cite ensuite ces mots du tétrarque : J’ai décollé Jean ; quel est donc celui-ci, dont j’entends de si grandes choses ? » il faut comprendre qu’Hérode témoigna d’abord cette hésitation, puis, que persuadé de ce qu’on disait autour de lui, il dit à son tour ce, que nous lisons dans saint Matthieu : « C’est Jean-Baptiste, « c’est lui-même qui est ressuscité d’entre les morts ; et c’est pourquoi il se fait par lui tant de miracles. » Ou bien peut-être faut-il prononcer ces paroles sur le ton du doute. S’il y avait : Celui-ci n’est-il point, ou : Ne serait-il point Jean-Baptiste ? cette réflexion serait inutile, car on verrait de prime abord le doute et l’hésitation d’Hérode. Mais comme la forme interrogative manque dans les paroles du tétrarque, on peut ou la suppléer ou la négliger dans la prononciation ; et l’on est libre de comprendre ou bien que convaincu de ce qui se disait il parla comme n’ayant plus de doute, ou bien encore qu’il était dans l’hésitation marquée par le texte de saint Luc. D’ailleurs, après avoir rapporté que d’autres qu’Hérode disaient de Jean-Baptiste : Il est ressuscité d’entre les morts, saint Marc finit parfaire dire à Hérode lui-même : « Jean-Baptiste, à qui j’ai fait trancher la tête, est ressuscité d’entre les morts ; » et ces dernières paroles peuvent aussi être prononcées ou de manière à marquer la conviction, ou de manière à faire entendre le doute. Après avoir rapporté ce fait, saint Luc passe à un autre objet, mais saint Matthieu et saint Marc racontent à cette occasion comment Jean-Baptiste fut mis à mort par Hérode.

SIXIÈME SERMON. SUR CES PAROLES DE L’ÉVANGILE SELON SAINT MATTHIEU (XIV, 1-2). « HÉRODE LE TÉTRARQUE ENTENDIT LE BRUIT DE LA RENOMMÉE DE JÉSUS, ET IL DIT À SES SERVITEURS : « C’EST JEAN-BAPTISTE, C’EST LUI-MÊME QUI EST RESSUSCITÉ D’ENTRE LES MORTS, ET VOILA POURQUOI DES MIRACLES S’OPÈRENT PAR LUI, ETC. » LE MARTYRE.

ANALYSE.—1. Jean-Baptiste a été martyr.—2. Nous pouvons tous être martyrs avec lui. —3. Il ne faut point craindre un ennemi, alors même qu’il nous menace de la mort.—4. Ce n’est point le supplice, mais la cause pour laquelle on meurt, qui fait le martyr. —5. Il faut résister au démon et combattre pour la vérité jusqu’à la mort. —6. Exhortation à bien vivre.

1. Ce chapitre du saint Évangile que le Seigneur a daigné nous enseigner, mes bien chers frères, ne permet pas à l’Église chrétienne de douter en aucune manière que Jean doive être considéré comme un martyr et qu’il ait mérité cette couronne avant la passion du Seigneur. Sa naissance, sa passion ont été antérieures à la passion du Christ, et toutefois il n’a pas été l’auteur de notre salut, mais seulement le précurseur de notre Juge. Il précédait le Seigneur en s’attribuant à lui-même une humble sujétion et en réservant à son Maître céleste tout honneur et toute gloire. Mais pourquoi disons-nous que Jean a été martyr ? Est-ce qu’il a été saisi par les persécuteurs des chrétiens et emmené par eux ; puis interrogé par des juges devant lesquels il aurait confessé le Christ, et qui l’auraient ensuite envoyé au supplice ? Car ce sont là les circonstances qui ont concouru à faire les martyrs depuis la passion de Jésus-Christ. Comment donc Jean peut-il recevoir le titre de martyr ? Parce qu’il a eu la tête tranchée ? Mais c’est la cause pour laquelle on meurt, et non pas le supplice même, qui fait le martyr. Parce qu’il offensa une femme puissante ? Mais alors pour quel motif, à quelle occasion l’offensa-t-il ? Il l’offensa en disant la vérité au roi qui était devenu son mari incestueux ; en déclarant à ce roi qu’il ne lui était point permis d’avoir pour femme l’épouse de son frère. Il mérita la haine de cette femme en parlant le langage de la vérité, et en méritant cette haine il obtint d’être supplicié et de recevoir la couronne et tous les biens qui nous sont promis pour le siècle futur. Enfin la luxure danse, et l’innocence est condamnée ; mais en même temps que l’innocence est condamnée par les hommes, elle est couronnée par le Dieu tout-puissant.

2. Que personne donc ne dise : Je ne puis être martyr, puisque les chrétiens ne sont plus persécutés. « Vous venez d’entendre que Jean a souffert le martyre ; il vous est facile maintenant de comprendre qu’il a été réellement mis à mort pour Jésus-Christ. Comment, allez-vous me dire, a-t-il été mis à mort pour Jésus-Christ, puisqu’on ne l’a point interrogé sur sa foi en Jésus-Christ, et qu’on ne l’a point obligé à renier son titre de chrétien ? Entendez Jésus-Christ qui vous dit lui-même : « Je suis la voie, la vérité et la vie » d. Si le Christ est la vérité, on souffre donc pour lui dès que l’on est condamné pour la vérité, et par là même on a droit à la couronne du martyre. Ainsi, que personne ne cherche à s’excuser ; dans tous les temps on peut être martyr. Et qu’on ne vienne pas me répondre que les chrétiens ne sont plus persécutés. La maxime de l’apôtre saint Paul ne saurait être révoquée en doute, étant le langage de la vérité même. Le Christ, qui parlait par la bouche de cet homme, n’a point enseigné un mensonge. Or, voici cette maxime : « Tous ceux qui veulent vivre pieusement en Jésus-Christ, souffriront persécution e », il parle de tous, sans aucune exception ni réserve en faveur de qui que ce soit. Si vous voulez éprouver la vérité de cette parole, commencez par vivre pieusement dans le Christ, et la conviction, qui naît de l’expérience, ne tardera pas à pénétrer dans votre esprit. Parce que les rois de la terre ont laissé tomber le glaive et éteindre les bûchers de la persécution, s’ensuit-il que le démon a cessé de sévir ? La haine de cet ancien ennemi est toujours éveillée contre nous ; prenons garde de nous endormir. Tantôt il fait briller devant nos yeux des charmes séducteurs, ou il tend devant nos pas des pièges habilement dissimulés ; tantôt il insinue dans notre esprit des pensées mauvaises ; il a recours successivement aux promesses, aux menaces ; mais son but constant est de nous précipiter dans un abîme de plus en plus profond. Parfois même il se présente des circonstances également favorables aux projets du démon, et périlleuses pour l’homme ; des circonstances où il faut repousser avec un courage vraiment héroïque les suggestions mauvaises et accepter librement la mort qui se présente. Je m’explique, mes frères. Si un personnage quelconque, par exemple un homme d’un rang élevé, ayant en main l’autorité nécessaire pour vous envoyer à la mort, prétendait vous obliger à porter un faux témoignage, sans pourtant vous dire en termes exprès : Reniez le Christ ; quel parti choisiriez-vous, dites-moi ? Consentiriez-vous à rendre un témoignage contraire à la vérité, ou bien aimeriez-vous mieux mourir pour cette même vérité? Sachez d’abord que, sauf les mots, ce persécuteur d’un nouveau genre vous dirait réellement : Reniez le Christ. Car si, comme l’Évangile nous l’a appris tout à l’heure, si le Christ est la vérité, il s’ensuit nécessairement que nier la vérité, c’est nier le Christ. Or, tout homme qui ment, nie une vérité. Mais celui qui porte un faux témoignage, pourquoi le porte-t-il ? Est-ce par crainte ? Oui, certainement. Comment donc tous les chrétiens auraient-ils cessé d’être en butte à la persécution, alors que tous, au contraire, ont à lutter et à combattre pour la vérité ? Quel est celui qui n’a aucune épreuve à subir, aucune tentation, aucune souffrance à supporter ?

3. Mais enfin, cet homme qui vous menaçait de la mort et qui avait soif de votre sang, cet homme enflé de sa puissance et aveuglé par son orgueil insensé, cet ennemi qui vous a contraint à commettre un parjure et à porter un faux témoignage, que vous aurait-il fait en réalité ? J’entends déjà votre faiblesse répondre : Il m’aurait tué. – Non, il ne vous eût point tué. – Je sais parfaitement, moi, qu’il m’aurait tué. – Eh bien, s’il en est véritablement ainsi, je vous répliquerai à mon tour : Vous, mon frère, vous avez tué votre âme, quand vous avez rendu un témoignage contraire à la vérité. Votre ennemi, lui aussi, aurait tué, mais il aurait tué votre corps seulement. Qu’eût-il pu faire à votre âme ? Il aurait peut-être renversé la maison, mais il n’eût réussi qu’à procurer une couronne à l’habitant de cette maison. Voilà ce que votre ennemi vous eût fait, si vous aviez persévéré dans la vérité, si vous aviez résisté et refusé un faux témoignage. Oui, il aurait tué, mais il aurait tué votre corps, non point votre âme. Écoutez votre Seigneur, daignant vous apprendre le moyen de vivre toujours dans une sécurité parfaite : « Ne craignez point », dit-il, « ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent plus nuire ensuite ; mais craignez celui qui a le pouvoir de tuer le corps et l’âme et d’envoyer l’un et l’autre dans la géhenne. Oui, je vous le répète : Craignez celui-là f ». Jean le craignit, c’est pourquoi il ne voulut point taire la vérité, et il fut victime de la fureur des méchants. Une femme impudique attira sur lui la haine du roi, et il obtint la palme du martyre.

4. « Tous ceux donc qui veulent vivre pieusement en Jésus-Christ » sont en butte à des persécutions de ce genre. À la vérité, personne ici-bas n’est à l’abri de la persécution : le travail et les fatigues au prix desquelles on acquiert les biens de ce monde, la crainte qu’on éprouve de les perdre, les souffrances et les maladies inséparables de la vie présente, le spectre de la mort toujours dressé devant nous, voilà autant de persécutions dont nul homme n’est exempt. Mais il faut savoir distinguer quel est celui qui souffre et quel est le motif de ses souffrances. Ceux-là sont de vrais martyrs, qui combattent pour la vérité, en d’autres termes, pour Jésus-Christ, et ils recevront certainement la couronne due à leurs mérites. Ceux, au contraire, qui souffrent persécution pour l’amour de ce siècle, lequel est sous la puissance du malin esprit, ceux-là ne trouvent dans leurs souffrances temporelles qu’un châtiment juste et légitime.

5. Ainsi, mes frères, le passage de l’Évangile dont vous venez d’entendre la lecture, nous apprend à combattre jusqu’à la mort pour la vérité, à ne point porter de faux témoignage, à ne point violer nos serments, à affronter les périls les plus extrêmes, pour la défense des droits de la justice. Car il n’y a pas grand mérite à défendre la justice, quand cette défense ne trouble point notre sécurité, ou quand elle nous procure même des avantages temporels. Considérons que le démon, cotre tentateur et notre persécuteur, veille constamment pour nous perdre, et au nom et avec le secours du Seigneur notre Dieu, veillons, nous aussi, avec plus de ferveur, pour nous mettre en garde contre lui, de peur qu’il ne réussisse à nous rendre plus ou moins les malheureux esclaves de cette cupidité par laquelle il cherche ordinairement à nous entraîner dans l’abîme ; car où est celui qui n’a jamais cédé à la cupidité et à la crainte, ces deux traits les plus dangereux de l’ennemi ? Les hommes qui placent leurs espérances dans les choses de ce monde se trouvent enlacés dans des filets divers, et il leur devient impossible de découvrir la vérité. Il y a, pour ainsi dire, deux portes auxquelles le démon vient frapper et par lesquelles il cherche à entrer : la cupidité d’abord, et ensuite la crainte. S’il trouve ces deux portes tenues soigneusement fermées par les fidèles, il passe. Qu’est-ce donc que la cupidité ? me direz-vous. Qu’est-ce que la crainte ? Écoutez bien cette réponse : La première consiste à ne point porter vos désirs vers les choses qui passent ; la seconde, à ne point craindre ce qui est sujet à défaillir et à périr avec le temps. Quand nous agissons ainsi, le démon ne trouve plus dans notre cœur aucun nid où il puisse établir sa demeure. Notre destinée, en effet, c’est de combattre jusqu’à la fin ; non-seulement nous qui, debout ou assis, occupons ici un siège supérieur et vous enseignons la parole divine, mais tous les membres de Jésus-Christ sont appelés à combattre.

6. C’est pour cette raison que jusqu’aujourd’hui l’usage est, en Numidie, d’adjurer les serviteurs de Dieu par ces mots : Si tu remportes la victoire. Vous voyez que ce n’est point là une vaine formule, n’ayant rapport à aucun combat. Ici, à Carthage, où nous parlons, dans toute la province proconsulaire et dans la Byzacène, à Tripoli même, les serviteurs de Dieu ont coutume de s’adjurer réciproquement en ces termes : Par votre couronne. Personne, assurément, ne recevra cette couronne, sans avoir auparavant remporté la victoire. Je vous adjure donc, moi aussi, par votre couronne, et je vous convie à combattre de tout votre cœur contre le démon, et si nous remportons ensemble la victoire, ensemble aussi nous recevrons la couronne. Comment osez-vous nous dire : Par votre couronne, alors que votre conduite et votre vie sont mauvaises ? Que votre vie, que votre conduite soient conformes à la vertu, que tous vos actes, intérieurs et extérieurs, soient irrépréhensibles, et vous-mêmes vous serez notre couronne. C’est la pensée que l’Apôtre, s’adressant au peuple de Dieu, c’est-à-dire à vous-mêmes, exprimait en ces termes : « O vous qui êtes ma joie et ma couronne, persévérez dans le Seigneur g ». Si la fortune et les circonstances vous sourient, persévérez dans le Seigneur ; si, au contraire, vous n’éprouvez que déception et revers, demeurez encore inébranlables dans le Seigneur. Ne vous séparez jamais de celui qui demeure toujours debout et qui rend invincibles comme lui ceux qui combattent sous ses yeux, et avec son secours vous demeurerez fermes et invulnérables, et vous mériterez de vous approcher enfin de lui pour recevoir la couronne promise aux vainqueurs.

Copyright information for FreAug