jSir 5,8-9
lSir 30, 28
nLuc 33, 34
auGal 1, 22-34
bcTob 2, 21, 22
bdTob 4, 11
blMat 13, 24-30, 36-43
bvExo 32, 31, 32
Matthew 20
SERMON LXXXVII. LES OUVRIERS DE LA VIGNE OU LE DÉLAI DE LA CONVERSION a.
ANALYSE. – Non-seulement nous honorons Dieu ou nous le, cultivons, comme disent les Latins, mais lui aussi nous cultive, puisqu’il nous appelle sa vigne. Les ouvriers qu’il emploie à la culture de cette vigne désignent ses différents ministres ; ils désignent même chacun de nous, et le dernier donné à tous pour salaire figure l’éternité du bonheur. Pourquoi ne pas répondre à son appel immédiatement ? Dirons-nous que nous ne l’avons pas entendu ? Mais l’univers entier est plein du bruit et de l’éclat de l’Évangile. Dirons-nous que nous avons toujours le temps, puisque la même récompense est assurée à tous, quelle que soit l’heure où ils commencent à travailler ? Le désespoir est à craindre ; la présomption n’est pas moins redoutable. Tremblerons-nous devant la désapprobation de certains amis puissants ? Mais ils ne nous empêcheraient pas de réclamer les soins d’un médecin habile qu’ils n’aimeraient pas et par qui nous sérions sûrs de recouvrer la santé. Courons tous au grand Médecin des âmes, gardons-nous, si nous ne le connaissons pas encore, de nous mettre en fureur contre lui ; prenons garde aussi à la léthargie ou à l’indifférence spirituelle et considérons comme un grand service les importunités pressantes qui ont pour but de nous en faire sortir. 1. On vient de vous lire dans le saint Évangile une parabole convenable à cette saison. Il y est question d’ouvriers qui travaillent dans une vigne, et nous sommes au temps des vendanges, des vendanges matérielles ; car il y a aussi des vendanges spirituelles, durant lesquelles Dieu se réjouit de voir le fruit de sa vigne. Si nous rendons à Dieu un culte, Dieu aussi nous cultive. Nous ne le cultivons pas pour le rendre meilleur, puisque notre culte consiste dans l’adoration et non dans le labour. Mais lui nous cultive comme fait un laboureur de son champ ; aussi cette culture nous améliore comme celle du laboureur rend son champ plus fertile ; et le fruit que Dieu nous demande consiste dans son culte même. Il montre qu’il nous cultive en ne cessant, d’arracher par sa parole, de nos mœurs les germes funestes, de nous ouvrir l’âme avec le soc de ses instructions, et d’y répandre ta semence de ses préceptes pour en attendre des fruits de piété. Quand en effet nous laissons ce laboureur céleste travailler nos cœurs et que nous lui rendons le culte qui lui est dû, nous ne nous montrons pas ingrats ; envers lui et nous lui présentons des fruits qui sont sa joie ; ces fruits ne le rendent pas plus riche, mais ils accroissent notre bonheur. 2. Voici maintenant la preuve que Dieu nous cultive, ainsi que je me suis exprimé. Il n’est pas nécessaire de démontrer devant vous que nous rendons un culte à Dieu ; chacun répète que l’homme rend à Dieu ce culte. Mais on est tout surpris d’entendre dire que Dieu cultive les hommes ; le langage humain ne se sert pas habituellement de ces termes, – tandis qu’on répète souvent que les hommes rendent un culte à Dieu. Montrons par conséquent que Dieu cultive les hommes ; on pourrait croire, sans cela, qu’il nous est échappé un mot inexact et murmurer intérieurement contre nous, nous accuser même, pour ne savoir pas ce que nous disons. Je veux donc et je dois vous montrer que Dieu nous cultive et qu’il nous cultive comme on cultive une terre, afin de nous rendre meilleurs. Le Seigneur dit dans l’Évangile : « Je suis le cep, vous en êtes les branches et mon Père est le vigneron b. » Que fait un vigneron ? À vous qui l’êtes, je demande : Que fait un vigneron ? Sans doute il cultive sa vigne. Si donc Dieu notre Père est vigneron, il a sûrement une vigne qu’il cultive et dont il attend la récolte. 3. Il a planté cette vigne, ainsi que le dit notre Seigneur Jésus-Christ lui-même, et il l’a louée à des vignerons qui devaient lui en rendre les fruits aux époques convenables. Afin donc de les leur réclamer, il envoya vers ceux ses serviteurs. Les vignerons les outragèrent, en tirèrent même quelques-uns et dédaignèrent de payer. Il en envoya d’autres : mêmes traitements. Ce père de famille qui avait cultivé le champ, planté et loué sa vigne, se dit alors« Je leur enverrai mon Fils unique ; peut-être au moins le respecteront-ils. Et il leur envoya son Fils en personne. Voici l’héritier, dirent-ils en eux-mêmes, venez, mettons-le à mort, et son héritage sera pour nous. » Effectivement ils le mixent à mort, et le jettent hors de la vigne. Que fera, en venant, le Manne de la vigne à ces mauvais vignerons ? On répondit à cette question : « Il fera mourir misérablement ces misérables et louera sa vigne à d’autres vignerons en recevoir le fruit eu son temps. c » Cette vigne fut plantée lorsque la loi fut gravée dans le cœur des Juifs. Dieu ensuite envoya les Prophètes pour en recueillir tes fruits, pour exiger la sainteté ; les Prophètes furent couverts d’outrages et mis à mort. Le Fils unique du Père de famille, le Christ vint ensuite ; c’est l’héritier qu’ils ont tué. Aussi ont-ils perdu son héritage ; leur dessein criminel a tourné contre eux-mêmes. Ils ont tué l’héritier pour accueillir sa succession et pour l’avoir tué ils ont tout perdu. 4. Tout à l’heure encore vous avez entendu dans le saint Évangile cette autre parabole. « Il en est du royaume des cieux comme d’un père de famille qui sortit afin de louer des ouvriers pour sa vigne. » Il sortit le matin, prit ceux qu’il trouva et convint avec eux du salaire d’un denier. Il sortit encore à la troisième heure et il en trouva d’autres qu’il conduisit travailler à sa vigne. À la sixième et à la neuvième heure il en fit autant. Il sortit enfin à la onzième heure, presque au déclin du jour, il rencontra quelques hommes debout dans l’oisiveté. Pourquoi restez-vous ici ? leur dit-il ; pourquoi ne travaillez-vous pas à la vigne ? Parce que personne ne nous a loués, répondirent-ils. Vous aussi, venez, ajouta le Père de famille, et je vous donnerai ce qui conviendra. Il s’agissait d’un denier pour salaire. Mais comment ces derniers, qui ne devaient travailler qu’une heure, auraient-ils osé l'espérer ? Ils étaient heureux néanmoins de compter encore sur quelque chose ; et pour une heure on les mena au travail. Le soir venu, le Père de famille ordonna de payer tout le monde, des derniers aux premiers. Il commença donc par ceux qui étaient venus à la dernière heure, et il leur fit donner un denier. En les voyant recevoir et denier, dont on avait convenu avec eux, les premiers arrivés comptèrent sur davantage ; en arriva enfin à eux, et ils reçurent un denier. Ils murmurèrent alors contre le Père de famille. Nous avons, dirent-ils, porté le poids du jour et de la chaleur brûlante, et vous ne nous traitez que comme ceux qui ont travaillé une bure seulement dans votre vigne ? Le Père de famille, s’adressant à l’un d’eux, lui fit cette réponse pleine de justice : Mon ami, dit-il, je ne viole pas ton droit, c’est-à-dire je ne te trompe pas : je te donne ce qui est convenu. Je ne te trompe pas, puisque je suis fidèle à mon engagement. Je n’ai pas dessein de payer celui-ci, mais de lui donner. Ne puis-je faire de mon bien ce que je veux ? Ton œil est-il jaloux, parce que je suis bon ? Si je prenais à quelqu’un ce qui ne m’appartient pas, je serais avec raison traité de voleur et d’homme injuste ; je mériterais également d’être accusé de friponnerie et d’infidélité si je ne payais pas ce que je dois. Mais quand j’acquitte mes dettes et que de plus je donne à qui il me plaît, celui que je paie ne saurait me reprocher rien, et celui à qui je donne doit ressentir une joie plus vite. – Il n’y avait, rien à répliquer. Tous ainsi furent égaux ; des derniers devinrent les premiers et les premiers les derniers, c’est-à-dire qu’il y eut égalité et non primauté. Que signifie en effet : Les premiers furent les derniers et les derniers les premiers ? Qu’ils reçurent autant les uns que tes autres. 5. Pourquoi, alors, commença-t-on par payer les derniers ? N’avons-nous pas lu que la récompense sera donnée à tous en même temps ? Car d’après un autre passage de l’Évangile que nous avons lu aussi, le Sauveur dira à tous ceux qui seront placés à sa droite : « Venez, les bénis de mon Père, recevez le Royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde d. » Si donc tous les élus le doivent recevoir en même temps, comment expliquer que les ouvriers de la onzième heure ont été récompensés avant ceux de la première ? Vous rendrez grâces à Dieu si je parviens à m’exprimer de manière à vous le faire bien saisir. C’est à lui en effet que vous devez rendre grâces, puisque c’est lui qui vous donne par votre ministère, ce que nous distribuons ne venant pas de nous. Si deux hommes avaient reçu une grâce, l’un après une heure d’attente, et l’autre après douze, lequel des deux aurait reçu le premier ? Chacun répondrait que celui qui l’a reçue après une heure seulement, l’a reçue avant celui à qui elle n’a été octroyée qu’après douze heures. Ainsi donc, quoique tous aient été récompensés au même moment, si les uns l’ont été après une heure et les autres après douze, on peut dire que ceux qui n’ont attendu qu’un instant ont été servis avant les autres. Les premiers justes, tels qu’Abel et Noé, ont été en quelque sorte appelés à la première heure ; mais ils ne parviendront qu’avec nous à la gloire de la résurrection. Les autres justes qui les suivirent, Abraham, Isaac, Jacob et leurs contemporains, ont été appelés à la troisième heure, et ce n’est qu’avec nous encore qu’ils seront heureusement ressuscités. Avec nous seulement aussi ressusciteront, dans la félicité, d’autres justes, Moïse, Aaron et tous les autres qui avec eux ont été invités vers la sixième heure. Au même moment encore ressusciteront glorieusement les saints Prophètes, appelés à la neuvième heure ; et à la fin du monde, tous les Chrétiens, appelés à la onzième heure seulement, jouiront avec eux du même bonheur. Tous le recevront en même temps ; mais voyez combien auront attendu les premiers. Ceux-ci auront attendu beaucoup et nous bien peu ; et tout en recevant à la même heure, ne semblera-t-il point que notre récompense ne souffrant aucun retard, nous la recevrons les premiers ? 6. Sous ce rapport donc nous serons tous égaux, les premiers au niveau des derniers et les derniers au niveau des premiers. Le denier d’ailleurs est la vie éternelle, et l’éternité est égale pour tous. La diversité des mérites établira sans aucun doute une diversité de gloire ; la vie éternelle cependant, considérée en elle-même, ne saurait être inégale pour personne. Il n’y a ni plus ni moins de longueur dans ce qui est également éternel ; ce qui n’a pas de fin n’en a ni pour toi ni pour moi. Mais la chasteté conjugale brillera d’une autre manière que la pureté des vierges, et la récompense des bonnes œuvres paraîtra autrement que la couronne du martyre. La forme sera diverse ; mais en ce qui concerne l’éternelle durée, l’un n’aura pas plus que l’autre ; puisque tous vivent sans fin, quoique chacun avec la gloire qui lui est propre, et cette vie sans fin est le denier de l’éternelle vie. Ainsi donc celui qui l’a reçu plus tard ne doit pas murmurer contre celui qui l’a reçu plutôt. On rend à l’un ce qui lui est dû, on fait un don à l’autre et pour tous deux le don a le même objet. 7. Il y a aussi dans la vie présente quelque chose d’analogue, et sans préjudice à l’interprétation qui nous montre Abel et ses contemporains appelés à la première heure, Abraham et les siens appelés à la troisième, à la sixième Moïse, Aaron et les autres justes de cette époque, à la neuvième les Prophètes et les justes de ce temps, à la onzième, c’est-à-dire à la dernière époque du monde, tous les Chrétiens ; sans préjudice donc à cette interprétation, la même parabole peut s’appliquer aussi à notre vie actuelle. À la première heure paraissent appelés ceux qui deviennent chrétiens au sortir du sein maternel ; les enfants à la troisième ; à la sixième les jeunes gens ; ceux qui ont passé l’âge mûr à la neuvième, et à la onzième seulement les vieillards entièrement épuisés : tous néanmoins recevront le même denier de la vie éternelle. 8. Mais observez et, comprenez, mes frères, que personne ne doit différer de se rendre à la vigne, sous prétexte qu’à quelque moment qu’il y vienne, il est sûr de recevoir ce denier mystérieux. Il est sûr que ce denier lui est offert ; mais lui ordonne-t-on d’ajourner ? Quand le Père de famille sortait pour chercher des ouvriers, est-ce que ceux-ci différèrent ? Ceux qu’il appela à la troisième heure, par exemple, lui répondirent-ils : Attendez, nous n’irons qu’à la sixième ? Ceux qu’il trouva à la sixième lui dirent-ils : Nous irons à la neuvième? Et ceux de la neuvième reprirent-ils : À la onzième seulement nous irons ? Puisqu’il doit donner à tous le même denier, pourquoi nous fatiguer plus longtemps. Dieu a déterminé dans son conseil, ce qu’il doit donner et ce qu’il doit faire ; pour toi, viens quand il t’appelle. Oui, la même récompense est assurée à tous ; mais le moment de se rendre au travail est singulièrement décisif. Faisons une supposition. On appelle à la sixième heure ces jeunes gens dont l’ardeur est aussi bouillante que la chaleur au milieu du jour ; s’ils répondaient : Attendez ; l’Évangile nous apprend que tous nous recevrons une même récompense, nous irons donc à la onzième heure, quand nous serons parvenus à la vieillesse ; pourquoi tant travailler, puisqu’il n’est pas question de recevoir davantage ? On leur dirait sans aucun doute : Tu refuses le travail ; sans savoir si tu arriveras à la vieillesse ? On t’appelle à la sixième heure, viens. Le Père de famille t’a promis le denier, lors même que tu ne viendrais qu’à la onzième heure ; mais personne ne t’a assuré que tu vivrais une heure encore ; je ne dis pas, que tu vivrais jusqu’à onze heure, mais jusqu’à sept. Et sûr de la récompense mais incertain de la vie, tu remets à plus tard l’invitation qui t’est faite ! Ah ! prends garde de perdre en différant ainsi ce, que t’assure la divine promesse. On peut parler ainsi, soit à la première enfance appelée à la première heure ; soit à la seconde, invitée à la troisième ; soit à la jeunesse, qui a toute la chaleur de la sixième ; à l’extrême vieillesse on peut donc dire avec bien plus de raison encore : Il est onze heures, et tu restes dans l’oisiveté ? et tu hésites de venir ? 9. Le Père de famille ne serait-il pas sorti pour t’inviter ? Mais s’il n’est pas sorti, comment parlons-nous ? Car nous sommes les serviteurs de la maison, et c’est nous qu’il envoie chercher des ouvriers. Pourquoi rester là ? Tu es au terme de tes ans ; hâte-toi de mériter le denier. En effet, le Père de famille sort quand il se fait connaître. N’est-il pas vrai que celui qui reste dans sa demeure n’est pas vu de ceux qui sont dehors ; et que ceux-ci le voient quand il en sort ? Ainsi le Christ semble rester dans son sanctuaire lorsqu’on ne le connaît pas ; mais il le quitte pour louer des ouvriers, lorsqu’on commence à le connaître, puisqu’il passe en quelque sorte du connu à l’inconnu. Or il est connu maintenant, on le prêche partout, et tout sous le ciel publie sa gloire. Il fut pour les Juifs un objet de dérisions et de blâmes ; on le vit, au milieu d’eux, humble et couvert de mépris ; il cachait alors sa majesté et montrait la faiblesse hautaine ; et l’on outrageait ce que l’on voyait, sans connaître ce qu’il tenait dans le mystère. S’ils l’avaient connu, ils n’auraient point crucifié « le Seigneur de la gloire e. » Aujourd’hui qu’il trône au ciel, peut-on le dédaigner comme il fut dédaigné quand il était suspendu à une croix ! Ses bourreaux secouaient la tête, et debout devant sa croix, allant à lui comme au fruit qu’y avait attaché leur cruauté barbare, ils lui disaient pour l’outrager : « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de la croix. Il a sauvé les autres et il ne peut se sauver lui-même ? Qu’il descende de la croix, et nous croyons en lui f ». Il n’en descendait point, parce qu’il restait caché. S’il put sortir vivant du sépulcre, il pouvait bien plus facilement descendre de la croix. Mais pour notre instruction il souffrait avec patience, ajournait l’exercice de sa puissance et il resta méconnu. C’est qu’alors il ne sortait point pour louer des ouvriers, il ne sortait point, ne se manifestait point. Trois jours après, il ressuscita, se montra à ses disciples, monta au ciel, et le cinquantième jour après sa résurrection, le dixième qui suivit son ascension, il envoya l’Esprit-Saint. Dans un seul cénacle se trouvaient réunies cent vingt personnes ; l’Esprit-Saint les remplit toutes g ; et comblés de ses dons, ces hommes se mirent à parler les langues de tous les peuples. C’était l’invitation qui se faisait, le Père de famille qui allait chercher des ouvriers. Tous alors commencèrent à connaître la puissance de la vérité. On voyait un seul et même homme parler toutes les langues, et aujourd’hui encore l’unité, qui fait de l’Église comme un seul homme, les parle toutes. En quelle langue ne s’exprime pas la religion chrétienne ? À quelles extrémités du monde n’est-elle point parvenue ? Il n’est plus personne qui se dérobe à la chaleur de ses rayons h ; et ce vieillard parvenu à la onzième heure diffère encore ! 10. C’est donc une chose évidente, mes frères, et entièrement indubitable, croyez-la, soyez-en bien sûrs : lorsque renonçant à une vie inutile ou profondément, corrompue, un homme se convertit à la foi chrétienne, Jésus-Christ notre Dieu lui remet tous ses anciens péchés, et effaçant en quelque sorte toutes ses dettes, il fait avec lui comme table rase. Tout lui est pardonné, et personne ne doit craindre qu’il reste quoique ce soit sans l’être. Mais aussi personne ne doit se laisser aller à une sécurité funeste. Une espérance téméraire tue l’âme aussi bien que le désespoir. Un mot sur ces deux vices. Comme une saine et légitime espérance contribue au salut, ainsi nous abuse une espérance déréglée. Comprenez d’abord comment on est victime du désespoir. Il est des hommes qui en réfléchissant au mal qu’ils ont fait, estiment le pardon impossible, et en regardant le pardon comme impossible, ils laissent aller leur âme, ils périssent de désespoir et disent en eux-mêmes : Nous n’avons plus d’espérance ; il est impossible qu’on nous remette ou qu’on nous pardonne tant de péchés commis par nous ; pourquoi, alors, ne pas satisfaire nos passions ? Sans récompense à attendre dans l’avenir, jouissons au moins de tous les plaisirs du temps présent. Faisons ce qui nous convient, fût-il défendu, afin de goûter au moins quelques délices passagères, puisque nous n’en méritons point d’éternelles. Le désespoir les fait ainsi périr, soit avant d’être parvenu complètement à la foi, soit après que devenus chrétiens ils sont tombés clans quelques fautes ou dans quelques crimes attirés par leur négligence. Devant eux se présente le Maître de la vigne, et pendant que livrés au désespoir ils lui tournent le dos, il les appelle, il frappe et crie parla bouche du prophète Ézéchiel : « En quelque jour qu’un homme renonce à ses désordres, j’oublierai toutes ses iniquités i. » En entendant ces paroles et en y ajoutant foi, ils se sauvent de leur désespoir et se relèvent au-dessus du sombre et profond abîme où ils étaient plongés. 11. Ils ont maintenant à craindre de tomber dans un autre précipice et de mourir d’une espérance déréglée après avoir résisté à la mort du désespoir. Leurs pensées deviennent bien différentes, mais non moins pernicieuses ; ils disent donc de nouveau en eux-mêmes : S’il est vrai qu’en quelque jour que je renonce à mes désordres, la miséricorde de Dieu doive oublier mes iniquités, ainsi que me l’a promis par la bouche du Prophète son infaillible véracité, pourquoi me convertir aujourd’hui et non pas demain ? Pourquoi aujourd’hui et non pas demain ? Qu’aujourd’hui se passe comme s’est passé hier, qu’il se jette dans la débauche, se plonge dans le gouffre des passions, se roule dans les plaisirs qui donnent la mort : je me convertirai demain et ce sera fini. – Qu’est-ce qui sera fini ? – Le cours de mes iniquités. – C’est bien, sois heureux de ce que demain auront fini tes iniquités. Et si avant le jour de demain tu avais fini toi-même ? J’en conviens, tu as raison de te réjouir en voyant que Dieu a promis de te pardonner tes fautes lorsque tu te convertirais ; mais personne ne t’a promis d’aller jusqu’à demain. Peut-être cependant un astrologue t’a-t-il donné cette assurance, mais nn astrologue, ce n’est pas Dieu ! Combien ont été trompés par les astrologues et ont perdu quand ils comptaient gagner ! Devant ces malheureux, livrés à un fol espoir, se présente aussi le Père de famille. En s’adressant aux premiers qui s’étaient malheureusement abandonnés au désespoir et y avaient rencontré leur perte, il les a rappelés à l’espérance ; et en paraissant devant les seconds qui cherchent aussi la mort dans une espérance déréglée, il leur dit par l’organe d’un autre livre sacré ; « Ne tarde pas de te convertir au Seigneur. » Il a dit aux uns : « En quelque jour que l’impie renonce à ses désordres, j’oublierai toutes ses iniquités ; » et il les a sauvés du découragement où ils s’étaient laissés aller pour leur perte, désespérant complètement du pardon ; et en s’avançant vers les autres, qui cherchent leur ruine dans la présomption et le délai, il leur dit d’un air de réprimande : « Ne tarde pas de te convertir au Seigneur, et ne diffère pas de jour en jour ; car sa colère éclatera soudain, et au jour de la vengeance il te perdra j. » Ainsi ne remets pas et ne ferme pas la porte, ouverte devant toi. C’est l’auteur même du pardon qui t’ouvre cette porte ; que tardes-tu ? Tu devrais être comblé de joie si tu frappais et qu’il t’ouvrît enfin ; tu ne frappes pas, il l’ouvre, et tu restes dehors ? N’hésite donc pas. L’Écriture dit quelque part, à propos des œuvres de miséricorde : « Ne réponds pas : Va et reviens, demain je te donnerai ; quand à l’instant même tu peux rendre service k ; » tu ignores en effet ce qui peut arriver le lendemain. Tu connais ce commandement, de ne pas ajourner la miséricorde envers autrui, et en différant tu te montres cruel envers toi-même ? Tu ne dois mettre aucun retard lorsqu’il s’agit de donner du pain, et tu en mets lorsqu’il s’agit de recevoir ton pardon ? Si tu n’ajournes point ta pitié pour autrui, prends aussi, pour plaire à Dieu, compassion de ton âme l. Fais aussi l’aumône à cette âme, non pas précisément en lui donnant, mais en ne repoussant pas la main qui lui donne. 12. Ce qui fait quelquefois le grand malheur de beaucoup d’hommes, c’est qu’ils craignent de déplaire à d’autres hommes. Il y a de grandes ressources dans les bons amis pour le bien, et dans les mauvais pour le mal. Aussi pour nous engager à mépriser, en vue de notre salut, l’amitié des puissants, le Seigneur n’a pas fait son choix parmi les sénateurs, mais parmi les pêcheurs. Quel témoignage de miséricorde dans l’auteur de notre être ! Il savait qu’en choisissant le sénateur, il le porterait à dire : C’est ma dignité qui est préférée ; que s’il choisissait d’abord des riches, les riches diraient : à ma fortune la préférence ; que si son choix tombait d’abord sur l’Empereur, celui-ci dirait-on a égard à ma puissance ; et que de même, s’il appelait en premier lieu des orateurs ou des philosophes, l’orateur dirait : voilà le fruit de mon éloquence ; et le philosophe : voilà le mérite de ma sagesse. Remettons à plus tard ces orgueilleux, dit alors le Sauveur, en eux quelle enflure ! Il ne faut pas confondre l’enflure avec la grandeur. L’une et l’autre occupent beaucoup de place, mais elles ne sont pas également saines. Qu’on ajourne donc ces orgueilleux ; il faut, pour les guérir, leur donner plus de consistance. À moi d’abord ce pêcheur, dit Jésus. Viens, pauvre, suis-moi. Tu n’as rien, lune sais rien, suis-moi. Suis-moi, pauvre ignorant ; il n’y a rien en toi qui effraie, mais il y a beaucoup a remplir. La source est abondante, qu’on y présente ce vaisseau vide. Le pêcheur alors abandonna ses flets, le pécheur reçut sa grâce et il devint un orateur divin. Voilà l’ouvrage de Dieu, et l’Apôtre en parle en ces termes : « Dieu a choisi ce qui est faible pour confondre ce qui est fort ; Dieu a choisi ce qui est vil et ce qui n’est pas, comme s’il était, afin de détruire les choses qui sont m. » Aujourd’hui enfin, pendant qu’on lit ce qu’ont écrit ces pêcheurs, on voit se soumettre les épaules des orateurs. Ah ! qu’on se débarrasse de tous ces vents stériles ; qu’on se débarrasse de cette fumée qui s’évanouit en montant ; que pour se sauver on foule aux pieds tout cela. 13. Supposons qu’il y ait dans une ville un malade et en même temps un fort habile médecin, ennemi des amis puissants. du malade ; supposons que quelqu’un soit atteint dans une ville d’une maladie dangereuse et qu’il y ait dans cette même ville un médecin fort habile, mais ennemi, comme je l’ai remarqué, des amis puissants du malade ; supposons que ceux-ci disent à leur ami : N’emploie pas ce médecin, il ne sait rien ; supposons que ce ne soit pas le jugement, mais l’envie qui leur dicte ce langage : ce malade, pour recouvrer la santé, n’enverrait-il pas promener ces vains propos de ses puissants amis, et pour vivre quelques jours de plus ne recourrait-il pas, au risque de les offenser, et pour se délivrer de son mal, à celui que l’opinion lui a représenté comme le plus capable ? Le genre humain est aujourd’hui malade, non du corps mais de l’âme. Je vois ce grand malade gisant dans tout l’univers, de l’Orient à l’Occident, et pour te guérir un médecin tout-puissant est descendu du ciel. Pour approcher en quelque sorte du lit du malade, il s’est abaissé jusqu’à prendre une chair mortelle. Il donne des avis salutaires : les uns le méprisent et ceux qui l’écoutent sont guéris. Ceux qui le méprisent sont ces amis puissants qui répètent : Il ne sait rien. Ah ! s’il ne savait rien, il ne remplirait pas le monde de sa puissance. Ah ! s’il ne savait rien, il n’existerait pas avant de s’être montré parmi nous. Ah ! s’il ne savait rien, il n’aurait pas envoyé levant lui les Prophètes. Et ne voyons-nous pas aujourd’hui l’accomplissement de ce qu’ils ont prédit ? Ce médecin, en accomplissant leurs promesses, ne témoigne-t-il pas de la puissance de son art ? N’est-il pas vrai que dans tout l’univers succombent de funestes erreurs et que les châtiments qui pèsent sur le monde en abattent les passions ? Que nul ne dise : Le monde autrefois était meilleur qu’aujourd’hui : et depuis que ce médecin commence à y exercer,-nous y voyons une multitude de choses affreuses. Ne t’en étonne pas. Si, près du médecin, le sang ne paraissait pas, c’est qu’il n’avait pas entrepris encore la guérison du malade. À ce spectacle donc, renonce aux vaines délices et cours au médecin ; voici le temps de se guérir et non de s’abandonner à la volupté. 14. Soignons-nous donc, mes frères. Si nous ne connaissons pas encore le mérite du médecin, ne nous emportons pas contre lui comme des furieux, et comme des léthargiques ne nous eh éloignons pas. Beaucoup en effet se sont perdus en s’emportant contre lui, et beaucoup en s’endormant. Appelons furieux ceux qui ne s’endorment pas mais s’emportent, et léthargiques ceux qui se laissent accabler sous un sommeil de plomb. Combien d’hommes sont ainsi malades ! Les uns voudraient frapper sur ce médecin, et comme il est au ciel sur son trône, ils persécutent sur la terre ses membres ou les fidèles. Il sait guérir 'cette espèce de malades ; beaucoup d’entre eux se sont convertis, et d’ennemis, ils sont devenus ses amis, de persécuteurs, les prédicateurs de son nom. Tels étaient les Juifs acharnés contre sa personne pendant, qu’il vivait sur cette terre ; il guérit ces furieux et c’est pour eux qu’il pria du haut de la croix : « Mon Père, dit-il, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font n. » Dans beaucoup donc, d’entre eux la fureur se calma, comme une agitation.phrénétique qui s’arrête, et ils reconnurent Dieu, ils reconnurent le Christ. Lorsqu’après l’ascension il envoya l’Esprit-Saint, ils s’attachèrent à Celui qu’ils avaient crucifié et ils burent avec foi, dans son sacrement, le sang qu’ils avaient répandu dans leur fureur. 15. Nous ne manquons pas d’exemples. Le Sauveur était déjà assis dans le ciel, et Saul persécutait ses membres ; il les persécutait avec une fureur de frénétique, un aveuglement étrange, une passion sans bornes. « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » Ces seuls mots descendus du ciel abattirent ce furieux, le guérirent et le relevèrent : le persécuteur était mort et un ardent prédicateur venait de recevoir la vie o. Beaucoup de léthargiques guérissent aussi. Ce sont ces malades qui sans s’emporter contre le Christ ni faire de mal aux Chrétiens, diffèrent leur conversion avec une sorte de langueur qui se révèle dans des paroles d’assoupissement ; ils sont indolents à ouvrir les yeux à la lumière, et on leur devient importun en cherchant à les éveiller. Laisse-moi, dit ce léthargique dans sa langueur, je t’en conjure, laisse-moi. – Pourquoi ? – Je veux dormir. – Mais ce sommeil te fera mourir. – Et, par attrait pour le sommeil je veux mourir, répond-il. – Et moi je ne le, veux pas, reprend plus haut la charité. Il n’est pas rare de voir un fils donner ces témoignages d’affection à son père déjà vieux, et dont la mort viendra dans quelques jours, puisqu’il est au terme de sa carrière. Ce père est en léthargie, le fils apprend du médecin que telle est la maladie qui accable son père ; le médecin lui dit même : Réveille-le et si tu veux prolonger sa vie, ne le laisse pas dormir. Voyez ce jeune homme près du vieillard : il le secoue, il le pince, il le pique, son affection le tourmente, il ne veut pas le laisser mourir si vite quoique la vieillesse doive le lui enlever bientôt : et s’il parvient à le rappeler à la vie, ce jeune homme est heureux de passer quelques jours encore avec ce père qui doit lui laisser sa place. Avec combien plus de charité ne devons-nous pas importuner nos amis, puisqu’il s’agit de vivre avec eux, non pas quelques jours dans ce monde, mais éternellement dans le sein de Dieu ! Qu’ils nous aiment donc, qu’ils fassent ce que nous leur disons et qu’ils cultivent celui que nous cultivons afin de recevoir aussi ce que nous espérons. Tournons-nous vers le Seigneur, etc. ▼▼Serm. I
. CHAPITRE LXIV. PRÉDICTION DE LA PASSION. – LA MÈRE DES FILS DE ZÉBÉDÉE.
124. Saint Matthieu continue ainsi : « Or Jésus montant à Jérusalem prit à part les douze disciples et leur dit : Voilà que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l’homme sera livré aux princes des prêtres et aux Scribes, et ils le condamneront à mort, et ils le livreront aux Gentils, pour être moqué, et flagellé, et crucifié ; et le troisième jour il ressuscitera. Alors la mère des fils de Zébédée s’approcha de lui avec ses fils, l’adorant et lui demandant quelque chose, et le reste, jusqu’à ces mots : « Comme le fils de l’homme n’est point venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie pour la rédemption d’un grand nombre q. » C’est en suivant cet ordre que saint Marc fait dire aux fils de Zébédée ce qu’en saint. Matthieu ils expriment non point par eux-mêmes mais par leur mère, lorsque celle-ci expose leur désir au Seigneur. Aussi saint Marc, pour abréger, les fait-il parler plutôt que leur mère, et dans saint Matthieu comme dans saint Marc, c’est à eux plutôt qu’à la mère que le Seigneur répond. Quant à saint Luc, il rapporte dans le même ordre les prédictions faites aux douze disciples sur la Passion et la Résurrection ; mais il omet ce qui vient à la suite dans les autres, qui après ces détails se retrouvent avec lui devant Jéricho r. Ce que saint Matthieu et saint Marc disent des chefs des nations qui dominent leurs sujets, tandis qu’il n’en sera pas ainsi parmi eux où le plus grand devra être le serviteur des autres, saint Luc, le rapporte dans les mêmes termes, mais non pas au même endroit s, et la marche même indique suffisamment que le Seigneur a exprimé cette pensée à deux reprises différentes.CHAPITRE LXV. AVEUGLES DE JÉRICHO.
125. Saint Matthieu continue : « Lorsqu’ils sortaient de Jéricho une grande foule le suivit : et voilà quo deux aveugles, assis sur le bord du chemin, entendirent que Jésus passait. Et ils élevèrent la voix, disant : Seigneur, fils de David, ayez pitié de nous, ». etc, jusqu’à, ces paroles : « Et aussitôt ils recouvrèrent la vue, et le suivirent t. » Saint Marc rapporte le même fait, mais ne mentionne qu’un seul aveugle u. À cette difficulté nous répondrons, comme déjà nous avons répondu, au sujet des deux possédés que tourmentait une légion de démons au pays des Géraséniens ▼▼Ci-dessus ch. 24, 56
. De ces deux aveugles qui paraissent ici, l’un était en effet très-connu dans la ville, son nom était dans toutes les bouches ; c’est ce que saint Marc donne à entendre en le nommant ainsi que son père ; ce qui s’est fait rarement, car malgré le grand nombre de malades précédemment guéris parle Seigneur, l’Évangile n’appelle par son nom que Jaïre, dont Jésus ressuscita la fille w : et ceci confirme notre sentiment, puisque ce chef de synagogue était un grand du pays. Donc sans aucun doute, ce Bartimée fils de Timée avait été autrefois dans la prospérité, et la misère dans laquelle il était tombé avait eu un grand retentissement, non-seulement parce qu’il était devenu aveugle, mais parce qu’il était assis demandant l’aumône. Tel est le motif pour lequel saint Marc n’a désigné que lui par son nom. Le miracle qui lui rendait la vue dût avoir d’autant plus d’éclat, que son malheur était partout connu. 126. Quoique saint Luc raconte un fait entièrement semblable, il faut cependant croire qu’il s’agit d’un autre miracle, accompli dans les mêmes circonstances, mais sur un autre personnage. En effet, saint Luc dit que le prodige eut lieu lorsqu’on approchait de Jéricho x ; et les autres, quand on en sortait. D’après le nom de la ville et la parfaite ressemblance du fait on pourrait croire à un seul miracle, mais ce serait établir une contradiction entre les Évangélistes, puisque l’un dit : « Lorsqu’il approchait de Jéricho », elles autres : « Lorsqu’il sortait de Jéricho. » Il n’y aurait pour le croire que ceux qui préfèrent trouver l’Évangile en défaut, plutôt que de convenir que Jésus a fait dans les mêmes circonstances deux miracles parfaitement semblables. Mais tout enfant fidèle de l’Évangile saura facilement ce qu’il doit croire, ce qui est plus conforme à la vérité ; et celui qui aime à contester devra se taire devant ces explications ou au moins réfléchir s’il ne sait garder le silence. SERMON LXXXVIII. L’AVEUGLEMENT SPIRITUEL y.
ANALYSE. – Pour nous amener à la foi et nous guérir de nos maux, le Christ a dû faire pendant sa vie des miracles corporels. Il fait aujourd’hui beaucoup plus de miracles dans l’ordre spirituel et toute notre occupation doit être d’obtenir qu’il daigne nous guérir en particulier de notre aveuglement spirituel. Afin de savoir comment peut s’opérer cette guérison, étudions les circonstances de la guérison des deux aveugles de Jéricho. – Jésus passait quand ils eurent recours à lui ; il fallait aussi, pour se mettre à notre portée, qu’il fit des choses transitoires, c’est-à-dire des actions humaines. Ces aveugles à guérir étaient au nombre de deux : Jésus avait à agir également sur deux peuples distincts, les Juifs et les Gentils. Les aveugles crient vers le Sauveur : nous devons crier, nous, par nos bonnes actions. La foule les empêche ; mais ils n’en crient pas moins : la foule, même des chrétiens censure aussi la vie qui veut devenir sainte ; il faut dédaigner ce blâme. Jésus s’arrête devant les aveugles et cet arrêt figure sa divinité toujours immuable et éternelle ; c’est aussi à elle qu’il faut nous attacher pour obtenir de pouvoir contempler cette lumière dont l’éclat tourmente l’œil malade. – Courage ! En persévérant dans le bien on obtiendra même les éloges de ceux qui ont commencé par critiquer. Il y aura toujours dans le monde des bons et des méchants. S’il est dit aux bons de se séparer des méchants, ce n’est pas comme l’entendent les Donatistes, qu’il faille les quitter corporellement. On doit ne pas consentir au mal qu’ils font, les en reprendre, les en reprendre avec humilité. Est-ce que les prophètes se sont jamais séparés extérieurement du peuple dont ils censuraient les désordres ? 1. Votre sainteté tonnait parfaitement, comme nous, que notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ est notre médecin pour le salut éternel, et que s’il s’est revêtu des infirmités de notre nature, c’est pour empêcher les nôtres de durer toujours. Il a pris un corps mortel afin de tuer la mort ; « et quoiqu’il ait été crucifié selon « notre faiblesse, il vit néanmoins par la puissance de Dieu z », ainsi que s’exprime l’Apôtre. Le même Apôtre dit aussi « qu’il ne meurt plus et que la mort n’aura plus sur lui d’empire aa. » Votre foi connaît parfaitement ces vérités. Donc aussi nous devons savoir que tous les miracles qu’il a faits sur les corps ont pour but de nous instruire et de nous faire parvenir à ce qui ne passe pas, à ce qui n’aura jamais de fin. Il a rendu les yeux aux aveugles, et la mort devait encore les leur fermer ; il a ressuscité Lazare, et Lazare devait encore mourir. Tout ce qu’il a fait pour la guérison des corps ne tendait pas à les rendre immortels, quoique néanmoins il doive finir par assurer aux corps mêmes une éternelle santé : mais comme on ne croyait pas aux invisibles réalités, il a voulu, par le moyen d’actions visibles et passagères, élever la foi vers les choses invisibles. 2. Que nul donc, mes frères, ne s’avise de dire que Notre-Seigneur Jésus-Christ rie fait maintenant rien de semblable, et que pour ce motif les premiers temps de l’Église étaient préférables à ceux-ci. Notre-Seigneur lui-même ne préfère-t-il pas quelque part ceux qui croient ans avoir vu à ceux qui croient parce qu’ils voient ? Telle était durant sa vie la faiblesse chancelante de ses disciples que non contents de l’avoir vu ressuscité, ils voulaient encore, pour croire à sa résurrection, le toucher de leurs mains. Le témoignage de leurs yeux ne leur suffisait pas, ils voulaient de plus palper son corps sacré et toucher les cicatrices encore fraîches de ses blessures : et ce n’est qu’après s’être assuré par lui-même de la réalité de ces cicatrices, que l’apôtre incrédule s’écria : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Ainsi les traces de ses plaies le révélaient et il avait guéri toutes les blessures d’autrui. Ne pouvait-il ressusciter sans ces marques sanglantes ? Ah ! c’est qu’il voyait, dans le cœur de ses disciples, des plaies qu’il voulait fermer en conservant les cicatrices de son corps. Et quand Thomas eut enfin confessé sa foi en s’écriant : « Mon Seigneur et mon Dieu ! C’est pour m’avoir vu, dit le Seigneur, que tu as cru : heureux ceux qui croient sans voir ab. » N’est-ce pas nous, mes frères, que regardent ces dernières paroles ? N’est-ce pas nous et ceux qui nous suivront ? Peu de temps en effet après qu’il se fut dérobé aux regards mortels pour affermir la foi dans les cœurs, ceux qui croient en lui le firent sans avoir vu, et le mérite de leur foi fut considérable, et afin d’acquérir cette foi ils approchèrent de lui leur cœur pour l’aimer et non la main pour le toucher. 3. Les œuvres miraculeuses du Sauveur étaient donc une invitation à la foi. Cette foi brille aujourd’hui dans l’Église répandue par tout l’univers ; y produisant ces guérisons d’un ordre plus élevé qu’il avait en vue quand il ne dédaignait point de s’abaisser à des guérisons moins considérables. Car autant l’âme l’emporte sur le corps, autant la santé spirituelle est préférable à la santé corporelle. Si maintenant le corps d’un aveugle n’ouvre pas les yeux sous la main puissante du Seigneur ; combien de cœurs non moins aveugles ouvrent les yeux à sa parole ! Si l’on ne voit pas aujourd’hui ressusciter un cadavre, de nouveau destiné à la mort ; combien ressuscitent d’âmes ensevelies dans un cadavre vivant ! Si les oreilles d’un sourd ne s’ouvrent pas aujourd’hui ; combien de cœurs fermés s’épanouissent à l’action pénétrante de la parole de Dieu, et passent de l’incrédulité à la foi, du désordre à une vie réglée, de l’insubordination à l’obéissance ! Un tel est devenu croyant, disons-nous ; et nous sommes dans l’admiration, car il est du nombre de ceux dont nous connaissions la dureté. Mais pourquoi t’étonner de sa foi, de son innocence et de sa fidélité à Dieu ? N’est-ce point parce que tu vois éclairé celui que tu savais aveugle, vivant celui que tu savais mort ; n’est-ce pas aussi parce que ce sourd entend ? Considérez en effet ces autres morts dont parlait le Seigneur, quand à un jeune homme qui différait de le suivre afin de pouvoir ensevelir son père, il répondait : « Laisse les morts ensevelir leurs morts. ac » Pour ensevelir les morts il ne faut pas assurément être mort soi-même ; comment un cadavre pourrait-il ensevelir un cadavre ? Le Sauveur néanmoins suppose que des morts peuvent ensevelir : comment sont-ils morts, suce n’est spirituellement ? De même en effet qu’on voit souvent, dans une maison où rien ne manque, le maître de la maison étendu sans vie ; ainsi est-il beaucoup d’hommes dont le corps est sain et dont l’âme est morte. Ce sont ces morts que cherche à réveiller l’Apôtre quand il dit : « Toi qui dors, lève-toi ; lève-toi d’entre les morts et le Christ t’éclairera ad. » Il l’éclairera en le ressuscitant ; car c’est sa voix que fait retentir l’Apôtre aux oreilles du mort : « Toi qui dors, lève-toi. » Ce mort en ressuscitant ouvrira les yeux à la lumière. Combien aussi le Seigneur ne voyait-il pas de sourds devant lui lorsqu’il disait : « Entende, celui qui a des oreilles pour entendre ae » Eh ! qui donc était alors sans oreilles devant lui ? Il demandait, par conséquent, l’attention de l’oreille intérieure. 4. De quels yeux parlait-il aussi en s’adressant à des hommes qui corporellement n’étaient pas aveugles ? « Seigneur, lui disait Philippe, montrez-nous votre Père et cela nous suffit. » Ah ! il avait bien raison de dire que la vue du Père pourrait nous suffire ! Comment toutefois le Père lui aurait-il suffi, puisque l’Égal du Père ne lui suffisait point ? Pourquoi ? Parce qu’il ne le voyait pas. Et pourquoi ne le voyait-il pas ? C’est que l’œil qui aurait pu le lui découvrir n’était pas encore suffisamment guéri. Il voyait dans l’humanité du Seigneur ce qui se révélait aux yeux du corps, ce que voyaient en lui, non-seulement les fidèles disciples, mais encore les Juifs ses bourreaux. Mais Jésus demandait qu’on le vit autrement ; il cherchait d’autres regards. Aussi après avoir entendu ces mots : « Montrez-nous votre Père et cela nous suffit ; » il répondit : « Je suis depuis si longtemps avec tous, et vous ne me connaissez pas ? Philippe, celui qui me voit, voit aussi mon Père. » Afin donc de guérir les yeux de la foi, il adresse à la foi des avertissements qui pourront la mettre en état d’arriver à la claire vue. Car pour détourner de Philippe l’idée qu’il y a en Dieu ce qu’il voyait dans le corps de Jésus-Christ Notre-Seigneur, il ajouta aussitôt : « Ne crois-tu pas que je suis dans mon Père et que mon Père est en moi af. » Il avait dit auparavant : « Eu me voyant on voit mon Père ; » mais l’œil de Philippe n’était pas encore en état de voir le Père ; ni par conséquent de voir le Fils égal au Père ; et le regard de son âme étant malade encore et incapable de fixer une si vive lumière, le Seigneur entreprenait de le guérir et de le fortifier en y appliquant le remède et le collyre de la foi. Dans ce but il disait : « Ne crois-tu pas que je suis dans mon Père et que mon Père est en moi ? » Ainsi donc ; si l’on est incapable encore de contempler ce que le Seigneur doit mettre à découvert, au lieu de chercher d’abord à voir pour croire, il faut s’appliquer à croire et à guérir par ce moyen l’œil qui permettra de voir. Le regard corporel ne voyait dans le Sauveur que sa nature d’esclave. Égal à Dieu sans avoir rien usurpé, s’il avait pu être considéré dans cette égalité même par les hommes qu’il venait guérir, quel besoin aurait-il eu de s’anéantir et de prendre cette nature de serviteur ag ? Mais incapables devoir Dieu nous pouvions voir l’homme ; c’est pourquoi celui qui était Dieu s’est fait homme, afin que ce qu’on voyait en lui mit en état devoir ce qu’on n’y voyait pas. Aussi bien dit-il ailleurs : « Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu ah. » Philippe aurait pu répondre sans doute : Mais je vous vois, Seigneur ; le Père est-il donc comme ce que je vois en vous ? Pourquoi alors avez-vous dit : « Qui me voit, voit aussi mon Père ? » Avant donc que Philippe fît cette réponse ou même en eut l’idée, le Sauveur après avoir dit « Qui me voit, voit ; aussi mon Père », ajouta incontinent : « Ne crois-tu pas que je suis dans mon Père et que mon Père est en moi ? » L’œil intérieur de l’Apôtre ne pouvait voir ni le Père, ni le Fils égal au Père, et pour l’en rendre capable il fallait le laver avec l’eau de la foi. Toi donc aussi, afin de voir un jour ce dont tu es incapable aujourd’hui, crois ce que tu ne vois pas encore. Pour arriver à la claire vue, marche par la foi ; car si la foi ne nous soutient sur la route, la claire vue ne fera pas notre bonheur dans la patrie. « Tant que nous sommes dans ce corps, dit en effet l’Apôtre, nous voyageons loin du Seigneur : » et pour expliquer comment nous voyageons loin du Seigneur, tout croyants que nous sommes, il ajoute aussitôt : « Car c’est par la foi que nous marchons et non par la claire vue ai. » 5. Aussi, mes frères, toute notre application durant cette vie doit être de nous mettre en état de voir Dieu, en guérissant l’œil du cœur. Tel est le but qu’on se propose dans la célébration des saints mystères, dans la prédication de la parole de Dieu, dans les exhortations morales ; c’est-à-dire dans les exhortations adressées par l’Église pour porter à l’amendement des mœurs, à la correction des convoitises charnelles et pour déterminer à renoncer au siècle non-seulement de vive voix, mais aussi par le changement de la vie ; tout le dessein que poursuivent les divines Lettres est de purifier notre intérieur de tout ce qui nous empêche d’arriver à contempler Dieu. L’œil du corps est destiné à voir cette lumière sensible, lumière céleste sans doute, mais pourtant matérielle et sensible ; l’œil est destiné à voir cette lumière, non seulement l’œil des hommes, mais encore l’œil des plus vils animaux, c’est bien pour cela qu’il est formé. Si néanmoins on y jette ou s’il y tombe quelque chose qui l’obscurcisse, il devient étranger à la lumière. La lumière en vain l’environne et se presse autour de lui ; il s’en détourne, il en est comme séparé. Non-seulement il y devient alors étranger, il y trouve même un supplice ; et pourtant il a été formé pour la contempler. C’est ainsi qu’une fois obscurci et blessé, l’œil du cœur se détourne de la lumière de justice, sans oser, sans pouvoir même la considérer. 6. Qu’est-ce qui trouble l’œil du cœur ? Cet œil est troublé, fermé, éteint par la cupidité, l’avarice, l’injustice, l’amour du siècle : et quand il est blessé, comme on court au médecin, comme on s’empresse de le faire ouvrir, nettoyer et guérir afin de pouvoir jouir encore de la lumière ! Qu’une petite paille vienne à y tomber, plus de repos, on court et on s’empresse. C’est Dieu assurément qui a fait ce soleil que nous cherchons à voir quand nous n’avons pas les yeux malades. L’auteur de cet astre est donc beaucoup plus brillant ; mais sa splendeur, destinée à l’œil de l’âme, n’est pas de même nature que l’éclat du soleil. Cette divine lumière est l’éternelle sagesse.O homme ! Dieu t’a fait à son image. Quoi ! il t’a fait à son image, et en t’accordant de voir ce soleil qu’il a fait, il ne te donnerait point de le voir, lui, l’auteur de ton être ? Non, il ne t’a pas refusé non plus ce pouvoir, il t’a donné l’un et l’autre. Hélas ! néanmoins, autant tu tiens à tes yeux extérieurs, autant tu négliges le regard intérieur il est en toi flétri et blessé ; et c’est pour toi un supplice que ton Créateur veuille se montrer : oui c’est un supplice pour ton œil avant d’être pansé et guéri. Après avoir péché dans le paradis même, Adam ne se cacha-t-il pas loin de la face de Dieu ? Ah ! quand il avait le cœur et la conscience pure, la présence de Dieu faisait son bonheur. Mais quand le péché eut flétri son œil intérieur, il se mit à redouter la lumière divine, s’enfonçant dans les ténèbres et dans l’épaisseur des bois, transfuge de la vérité et passionné pour les ombres. 7. Conclusion, mes frères : puisque c’est de lui que nous descendons, puisque, d’après l’Apôtre, « tous meurent en Adam aj ; » tous étant en effet issus de deux premiers parents ; si nous avons refusé d’obéir au médecin pour nous préserver du mal, obéissons-lui pour en être délivrés. Quand nous avions la santé, il nous a donné des conseils, il nous a fait des prescriptions pour pouvoir nous passer de lui. « Le médecin, dit le Seigneur, n’est pas nécessaire à ceux qui se portent bien, mais à ceux qui sont malades ak. » Avant de tomber malades, nous avons dédaigné ses conseils, et une douloureuse expérience nous a fait sentir combien ce mépris tournait à notre malheur. Maintenant donc nous sommes malades, nous souffrons, nous sommes sur un lit de douleur mais pas de désespoir. Nous ne pouvions aller au médecin ; il a daigné venir à nous. Avant d’être malades nous l’avions méprisé ; lui ne nous a pas méprisés dans notre malheur, et il a fait de nouvelles prescriptions à cet infirme qui n’avait pas tenu compte des premières, destinées à le préserver de l’infirmité. Ne semble-t-il pas qu’il lut tient ce langage ! Tu sens certainement aujourd’hui combien j’avais raison de te dire : Ne touche pas à cela. Ah ! guéris donc enfin et reviens à la vie. Je me charge de ton mal : prends cette coupe. Elle est amère ; mais c’est toi qui as rendu si difficiles ces préceptes, qui étaient si doux quand je te les ai donnés et que tu avais la santé. Tu les as foulés aux pieds et tu es tombé malade ; et maintenant tune saurais guérir sans boire cette coupe amère, cette coupe des épreuves, car cette vie en est pleine, cette coupe d’afflictions, d’angoisses et de douleurs. Bois donc, poursuit-il, bois pour recouvrer la vie. Et pour détourner le malade de lui répondre : Je ne le puis, j’en suis incapable, je ne boirai point ; pour l’engager à boire sans hésitation, ce Médecin compatissant a bu le premier tout en jouissant d’une pleine santé. Qu’y a-t-il, en effet, qu’y a-t-il d’amer en cette coupe qu’il ne l’ait bu ? Est-ce l’outrage ? Mais n’est-il pas le premier qui en chassant les démons ait entendu crier qu’il était possédé par le démon al, et qu’il les chassait au nom de Béelzébud am ? De là vient qu’il disait à ses malades, pour les consoler : « S’ils ont appelé Béelzébud le père de famille, combien plus ceux de sa maison an ? » Est-ce là souffrance qui est amère ? Mais il a été enchaîné, et flagellé, et cloué à la croix. Est-ce la mort ? Il est mort aussi. Est-ce un genre particulier de mort que redoute notre faiblesse ? Rien alors n’était plus ignominieux que la mort de la croix ; et ce n’est pas sans raison que pour célébrer son obéissance l’Apôtre faisait cette remarque : « Il s’est montré obéissant jusqu’à la mort et jusqu’à la mort de la croix ao. » 8. Néanmoins, comme il devait à la fin des siècles glorifier ses fidèles, il a mis dans ce siècle même sa croix en honneur ; et les princes de la terre qui croient en lui ont interdit de condamner aucun coupable au supplice de la croix ; et l’instrument de mort auquel les Juifs ses bourreaux ont attaché le Seigneur avec tant d’insolence, est porté maintenant sur le front et avec beaucoup de gloire par ses serviteurs et par les rois mêmes ; en sorte que l’on ne voit plus autant combien était humiliante la mort qu’il daigna endurer pour nous et à laquelle fait allusion l’Apôtre quand il dit : « Pour nous il s’est fait a malédiction ap. » Lorsque l’aveugle fureur des Juifs lui insultait jusque sur la croix, il pouvait sans doute en descendre, puisque s’il ne l’avait voulu, on ne l’y aurait point attaché : mais il était mieux de sortir vivant du tombeau que de descendre de la croix. Par ces œuvres divines et ces souffrances humaines, par ces miracles sensibles et cette patience dans les douleurs corporelles, le Sauveur nous presse de croire et de nous guérir, afin de pouvoir contempler ces invisibles réalités, étrangères à l’œil de la chair. C’est dans ce but qu’il a guéri les aveugles dont il vient d’être question dans la lecture de l’Évangile. Mais voyez ce qu’enseigne cette guérison à l’âme malade. 9. Observez d’abord le fait en lui-même et la suite des circonstances. Ces deux aveugles étaient assis sur le chemin et entendant passer le Seigneur ils criaient pour éveiller sa compassion. Mais la foule qui l’accompagnait leur imposait silence ; ce qui, croyez-le bien, n’est pas sans mystère. Et plus la foule leur imposait silence, plus ils continuaient de crier. Ils voulaient être entendus du Seigneur, comme si lui-même n’eût connu d’avance leurs pensées – mêmes. Ainsi ces deux aveugles criaient pour se faire entendre de lui, et les efforts de la foule ne purent les empêcher. Le Seigneur passait, et eux criaient ; le Seigneur s’arrêta, et ils furent guéris ; car il est écrit : « Le Seigneur Jésus s’arrêta, puis il les appela et leur dit : Que voulez-vous que je fasse pour vous ? Que nos yeux s’ouvrent, répondirent-ils. » Le Seigneur fit ce que demandait leur foi et leur rendit des yeux. Si déjà nous avons vu une âme malade, une âme sourde, une âme morte, examinons si elle n’est pas aveugle aussi. L’œil du cœur est donc fermé, et Jésus passe pouf nous exciter à crier. Jésus passe, qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire qu’il fait des choses temporelles. Jésus passe, qu’est-ce à dire ! C’est-à-dire qu’il fait des actes passagers. Examinez et reconnaissez combien de ses actes sont de cette nature. Il est né de la Vierge Marie ; en naît-il toujours ! Enfant il a pris son lait ; le prend-il encore ? Il a grandi à chaque âge jusqu’à la maturité ; sou corps se développe-t-il toujours ? En lui la seconde enfance a succédé à la première, l’adolescence à la seconde et la jeunesse à l’adolescence ; ses âges ont passé, ils ont disparu. Ses miracles mêmes ont passé. On les lit et on y croit, et s’il a fallu les écrire pour permettre de les lire, c’est qu’ils passaient en s’accomplissant. Mais ne nous arrêtons pas à tout : il a été crucifié ; est-il toujours attaché à la croix ? Il a été enseveli, il est ; ressuscité, il est monté au ciel, il ne meurt plus, et la mort n’aura plus d’empire sur lui, et sa divinité demeure éternellement, et l’immortalité même de son corps n’aura jamais de fin. Il n’en est pas moins vrai que tout ce qu’il a fait dans le temps est passé. On l’a écrit pour le faire lire et on le prêche pour amener à y croire. Dans tout cela donc c’est Jésus qui passe. 10. Et que représentent ces deux aveugles près du chemin, sinon les deux peuples que Jésus est venu guérir ? Montrons ces deux peuples dans les saintes Écritures.« J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie, est-il dit dans l’Évangile ; il faut aussi que je les amène, afin qu’il n’y ait qu’un troupeau et qu’un pasteur aq. » Quels sont donc ces deux peuples ? L’un est le peuple juif, et l’autre le peuple des gentils. « Je ne suis envoyé, dit encore le Sauveur, que vers les brebis égarées de la maison d’Israël. » À qui parlait-il ainsi ? À ses disciples, et cela au moment même où cette femme de Chanaan qui avoua qu’elle n’était qu’un chien, criait pour obtenir les miettes tombées de la table de ses maîtres. Elle les obtint : d’est-ce pas ce qui fait connaître les deux peuples que venait sauver Jésus ? Le peuple juif n’est-il pas désigné pas ces mots : « Je ne suis envoyé que vers les brebis perdues de la maison d’Israël ? » Et la gentilité n’était-elle pas représentée par cette femme que le Seigneur avait d’abord repoussée en lui disant : « Il ne convient pas de jeter aux chiens le pain des enfants ; » et qui lui avait répondu : « Il est vrai Seigneur ; mais les chiens se nourrissent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres ; » pour entendre ensuite : « O femme ! ta foi est grande ; qu’il te soit « fait comme tu désires ar. » De la gentilité faisait aussi partie ce Centurion de qui le Seigneur disait : « En vérité je vous le déclare, je n’ai pas rencontré autant de foi dans Israël. » C’est que ce Centurion s’était écrié : « Je ne suis pas digne que vous entriez dans ma demeure : mais dites seulement une parole et mon serviteur sera guéri as. » Ainsi donc avant même sa passion et la diffusion de sa gloire, le Seigneur désignait ces deux peuples. Vers l’un il était venu par suite des promesses adressées aux Patriarches ; et sa miséricorde ne lui permettrait pas de repousser l’autre c’était encore l’accomplissement de cette parole « Dans ta race, avait-il été dit à Abraham, toutes les nations seront bénies at. » C’est pour ce motif qu’après la résurrection du Seigneur et son ascension, l’Apôtre se voyant méprisé par les Juifs s’adressa aux gentils, sans toutefois garder le silence devant les Églises formées par les Juifs devenus croyants. « J’étais, dit-il, inconnu de visage aux Églises de Judée qui sont dans le Christ. Seulement elles avaient ouï dire : Celui qui autrefois nous persécutait, annonce maintenant la foi qu’il s’efforçait alors de détruire ; et elles glorifiaient Dieu à mon sujet, poursuit-il au. » C’est dans ce sens que Jésus-Christ est appelé la pierre angulaire, car de deux choses il en a fait une av. La pierre angulaire, en effet, réunit deux murs qui vont en sens divers. Et qu’y a-t-il de plus divers que la circoncision et la gentilité ? Ce sont deux murs qui viennent, l’un de la Judée, et l’autre du milieu des nations, et ils se joignent à la pierre angulaire ; à cette pierre « qui fut d’abord repoussée par les constructeurs et qui est devenue la pierre de l’angle aw. » Mais il n’y a d’angle dans un édifice qu’autant que se joignent, pour constituer fine espèce d’unité, deux murailles de direction différente. Or ces deux murailles sont figurées par les deux aveugles qui criaient vers le Seigneur. 11. Remarquez maintenant, mes bien-aimés. Le Seigneur passait et les aveugles criaient. Il passait, qu’est-ce à dire ? Il faisait des œuvres passagères, ainsi que nous l’avons déjà observé, et par ces œuvres passagères il construisait l’édifice de notre foi. Car nous ne croyons pas seulement au Fils de Dieu considéré comme Verbe de Dieu et Créateur de toutes choses. Si toujours il était resté avec sa nature divine et son égalité avec Dieu, il ne se serait pas anéanti en prenant la forme d’esclave, et les aveugles, ne sentant point sa présence, n’auraient pas pu crier. Mais quand il s’appliquait à des œuvres qui passent, en d’autres termes, quand il s’humiliait et se faisait obéissant jusque la mort, et la mort de la croix, les deux aveugles crièrent : « Ayez pitié de nous, Fils de David. » C’est que déjà, Seigneur et Créateur de David, Jésus voulut devenir en même temps son fils : c’était encore une œuvre du temps, une œuvre qui passait. 12. Maintenant, mes frères, qu’est-ce que crier vers le Christ, sinon répondre par ses bonnes œuvres à la grâce du Christ ? Ce que je remarque, mes frères, afin que nous évitions d’être bruyants en paroles et silencieux en bonnes actions. Quel est donc celui qui crie vers le Christ pour obtenir d’être guéri de l’aveuglement intérieur à son passage ? A son passage, c’est-à-dire pendant que nous distribuons les sacrements qui passent et qui portent à s’attacher aux choses qui ne passent point. Quel est, dis-je, celui qui crie vers le Christ ? Crier vers le Christ, c’est mépriser le monde. Crier vers le Christ, c’est fouler aux pieds les plaisirs du siècle. Crier vers le Christ, c’est dire, non en parole, mais par toute sa vie : « Le monde m’est crucifié, et je le suis au monde ax. » Distribuer et donner aux pauvres pour obtenir la justice qui subsiste à jamais ay, c’est aussi crier vers le Christ. Car entendre et entendre sans être sourd ce divin conseil : « Vendez vos biens et les donnez aux pauvres. Faites-vous des bourses que le temps n’use point, un trésor qui ne vous fasse pas défaut dans le ciel az ; » c’est en quelque sorte entendre le bruit que fait le Christ en passant. Ah ! c’est alors qu’il faut crier vers lui, c’est-à-dire suivre cet avis. Que la voix de chacun soit dans sa conduite, que chacun se mette à mépriser le monde, à donner son bien à l’indigent, à regarder comme un néant ce qui passionne les mortels, à dédaigner les injures, sans aucun désir de vengeance, à présenter la joue aux soufflets, à prier pour ses ennemis, à ne réclamer pas ce dont on a été dépouillé, et si on a dépouillé quelqu’un, à lui rendre quatre fois autant. 13. Mais commence-t-on à vivre de la sorte ? Bientôt s’émeuvent les parents, les alliés, les amis. Quelle folie ! s’écrient-ils. Quel homme extrême ! Les autres ne sont-ils pas chrétiens ? C’est une vraie folie, c’est de la démence. Voilà les propos que crie la foule pour empêcher les aveugles de crier. Là foule aussi voulait alors imposer silence, mais elle n’étouffait pas les cris de ces aveugles. Vous qui voulez guérir, apprenez ici ce que vous avez à faire.D'un côté sont ceux qui honorent Dieu du bout des lèvres, tandis que leur cœur est loin de lui ba. D’autre part je vois près du chemin des cœurs blessés à qui le Seigneur fait ses prescriptions. Toutes les fois en effet qu’on lit devant nous les actions temporelles du Seigneur, nous voyons en quelque sorte passer Jésus, et jusqu’à la fin du monde il y aura de aveugles assis près du chemin. C’est à ceux-ci de crier. La, foule qui accompagnait le Seigneur voulait empêcher de crier ces malheureux qui demandaient la guérison de leurs yeux. Mes frères, comprenez-vous ma pensée ? Je ne sais comment m’exprimer ; moins encore je ne sais comment me taire. Voici donc ma pensée, et je l’énonce hautement ; car je crains Jésus, soit qu’il passe, soit qu’il demeure, et pour ce motif je ne saurais me taire. Les bons chrétiens, les chrétiens vraiment zélés qui cherchent à accomplir les divins préceptes consignés dans l’Évangile, rencontrent un obstacle dans les chrétiens mauvais et tièdes. C’est la foule, accompagnant le Seigneur, qui les empêche de crier, c’est-à-dire qui les empêche de faire le bien, de persévérer et conséquemment de guérir. Mais qu’ils crient, sans se lasser, sans se laisser entraîner par l’autorité de la foule, sans imiter ces mauvais chrétiens qui les précèdent et qui leur portent envie à cause de leurs vertus. Qu’ils se gardent de dire : Vivons comme eux, ils sont en si grand nombre ! – Pourquoi ne vivre pas plutôt comme le veut l’Évangile Pourquoi vouloir écouter les reproches de la foule qui arrête et ne marcher pas sur les traces du Seigneur qui passe ? Ils t’insulteront, ils te blâmeront, ils te détourneront ; mais crie, crie jusqu’à ce que tu sois entendu de Jésus. Si en effet l’on continue à pratiquer ce qu’a prescrit le Sauveur, sans faire attention aux clameurs de la multitude, sans s’inquiéter de ce qu’on y semble suivre le Christ, puisque l’on y porte le nom de chrétiens ; si d’ailleurs on estime la lumière que doit rendre le Sauveur, plus qu’on ne redoute le blâme du public ; non, Jésus ne délaissera point, il s’arrêtera et guérira. 14. Mais comment guérir cet œil intérieur ? – La foi nous montre le Christ passant pour la dispensation temporelle de ses grâces, que la foi nous le montre aussi s’arrêtant dans l’immuable éternité. La guérison de la vue intérieure consiste donc à fixer la divinité du Christ. Que votre charité le comprenne bien, remarquez d’ailleurs le mystère profond que je vais indiquer. Toutes les actions temporelles de Jésus-Christ Notre-Seigneur contribuent à nous donner la foi. Nous croyons au Fils de pieu ; nous voyons en lui, non-seulement le Verbe qui a tout fait, mais encore le Verbe fait chair pour habiter au milieu de nous, le Christ né de la Vierge Marie ; nous croyons aussi tous les évènements que la foi nous enseigne de lui et qui se sont accomplis ostensiblement comme pour nous montrer le Christ à son passage et afin qu’en entendant le bruit de ses pas, les aveugles se mettent à crier par leurs œuvres, à répondre par leur vie à leur profession de foi. Jésus alors s’arrête pour les guérir ; car c’est voir Jésus s’arrêter que de dire : « Eussions-nous connu le Christ selon la chair ; maintenant nous ne le connaissons plus ainsi bb ; » car c’est voir sa divinité autant qu’il est possible en ce monde. Dans le Christ en effet il y a la divinité et il y a l’humanité. La divinité s’arrête, l’humanité passe. La divinité s’arrête ; qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire qu’elle ne change point, que rien ne l’ébranle, que rien ne l’altère. En venant à nous elle ne s’est pas éloignée du Père et en remontant vers lui, elle n’a pas changé de lieu. Le Christ considéré dans sa chair a changé de lieu ; mais la divinité qui s’est unie au corps n’en a point changé, puisqu’aucun lieu ne saurait la circonscrire. Que le Christ donc s’arrête ainsi et nous touche pour nous rendre la vue. Nous rendre la vue, pourquoi ? Parce que nous crierons à son passage, c’est-à-dire parce que nous ferons le bien, éclairés par cette foi qui a été annoncée dans le temps pour l’instruction des petits. 15. Et ces yeux une fois guéris, nous sera-t-il possible, mes frères, de posséder jamais un plus riche trésor ? On est heureux de voir cette lumière créée qui tombe du ciel ou que répandent les flambeaux ; combien semblent malheureux ceux qui ne sauraient en jouir ! Mais pourquoi vous parler ainsi, pourquoi vous faire cette réflexion, si ce n’est pour vous exciter à crier, au passage de Jésus. Je voudrais faire aimer à votre sainteté une lumière que peut-être vous ne voyez pas encore. Croyez donc, puisque vous ne la voyez pas, et criez pour obtenir de la voir. On déplore l’infortune d’être privé de la vue de cette lumière sensible. Un homme est-il aveugle ? On dit aussitôt : Il a Dieu contre lui, il a fait quelque méchante action. C’est ce que répétait à Tobie son épouse. Tobie criait pour un chevreau, craignant qu’il n’eût été dérobé ; il ne voulait pas souffrir dans sa maison l’idée même du larcin. Son épouse, pour se défendre, outrageait son mari. L’un disait : S’il est mal acquis, rendez-le ; et l’autre avec insulte : Que sont devenues tes bonnes œuvres bc ? Comme elle était aveugle, de défendre son larcin ! Et comme lui voyait clair en commandant de restituer ! Extérieurement elle marchait à la lumière du soleil ; et lui, intérieurement, à la lumière de la justice. Laquelle des deux lumières était préférable ? 16. C’est, mes frères, à l’amour de cette lumière que nous exhortons votre charité. Quand le Seigneur passe, criez par vos bonnes œuvres, faites entendre votre foi, afin que Jésus s’arrête, afin que la Sagesse divine, toujours immuable, afin que le Verbe de Dieu, qui a fait toutes choses, vous ouvre enfin les yeux. C’est l’avis que donnait ce même Tobie à son Fils ; il l’invitait à crier, c’est-à-dire à faire de bonnes œuvres. Il lui recommandait de donner aux pauvres, il lui ordonnait de faire l’aumône aux indigents et lui disait : « Les aumônes, mon fils, ne laissent pas tomber dans les ténèbres bd. » Ainsi un aveugle donnait le moyen de voir la lumière et d’en jouir. « Les aumônes, disait-il, ne laissent pas tomber dans les ténèbres. » Mais si le fils étonné lui eût répondu : Quoi ! mon père, n’avez-vous pas fait l’aumône ? et pourtant… Vous geai me dites : « Les aumônes ne laissent pas tomber dans les ténèbres », n’y êtes-vous point ? Mais le père savait de quelle lumière il parlait à son fils, il connaissait la lumière qui brillait dans son âme, et si le fils donnait la main au père pour le conduire sur la terre, le père la donnait au fils pour le conduire au ciel. 17. En deux mots, mes frères, car il faut conclure ce discours par ce qui nous touche et nous tourmente le plus, reconnaissez qu’il y a une foule pour s’opposer aux cris des aveugles ; et vous tous qui, dans cette foule, cherchez votre guérison, ne vous laissez pas effrayer. Beaucoup portent le nom de chrétiens et mènent la conduite d’impies ; que ceux-là ne vous détournent pas de faire le bien. Criez au milieu de cette foule qui vous impose silence, qui vous rappelle en arrière, qui vous insulte et qui vit dans le désordre ; car ce n’est pas de la voix seulement que les mauvais chrétiens tourmentent les bons, c’est aussi par leurs actions perverses. Un bon Chrétien refuse d’aller au théâtre, et par ce refus même qui met un frein à sa passion, il crie après le Christ, il crie pour obtenir d’être guéri. D’autres y courent ; mais ce sont peut-être des païens ou des juifs ; que dis-je ? ils se trouveraient si peu nombreux au théâtre que la honte même les en ferait sortir, si des chrétiens ne s’y rendaient avec eux. Ces chrétiens y courent donc aussi et y portent pour leur malheur un caractère sacré. Pour toi, crie en n’y allant pas ; comprime en ton cœur cette passion volage, et criant toujours avec autant de force que de persévérance, approche-toi de l’oreille du Sauveur, détermine Jésus à s’arrêter et à te guérir. Au milieu même de la foule, crie, sans désespérer d’être entendu de lui. Est-ce que nos aveugles criaient du côté où n’était pas la foule, pour être entendus où ne se rencontrait aucun obstacle ? Ils criaient au sein de la multitude, et le Seigneur ne laissa pas de les entendre. Vous aussi, du milieu même des pécheurs et des voluptueux, du milieu des hommes, passionnés pour les folies du siècle, criez, criez pour obtenir votre guérison du Seigneur. N’allez pas d’un autre côté crier vers lui, n’allez pas vous mêler aux hérétiques pour crier de là vers le Sauveur. Songez, mes frères, que les aveugles furent guéris au sein de la foule qui les empêchait vainement de crier. 18. Votre sainteté remarquera aussi ce qu’obtient la persévérance à crier de cette sorte. Écoutez ce que plusieurs ont expérimenté avec moi par la grâce du Christ, car l’Église ne cesse de lui donner de tels fils. Un chrétien se met-il à mener une vie réglée, à être zélé pour les bonnes œuvres, et à mépriser le monde ? Dès le début il rencontre dans les chrétiens glacés des opposants et des contradicteurs. Mais persévère-t-il ? triomphe-t-il d’eux par sa patience et sans se relâcher de ses bonnes œuvres ? Bientôt ils l’encouragent au lieu de le détourner comme auparavant. Ils le censurent donc, l’inquiètent et le tourmentent, tout le temps qu’ils espèrent pouvoir le gagner. Et s’ils sont vaincus parla constance qu’on met à avancer, les voilà qui changent de langage. C’est un grand homme, un saint homme, répètent-ils ; homme heureux que Dieu favorise. Ils l’honorent et le félicitent, ils le louent et le bénissent. Ainsi faisait encore la foule qui accompagnait le Seigneur. Elle empêchait d’abord les aveugles de crier, mais une fois que ceux-ci eurent crié, jusqu’à mériter d’être exaucés et d’obtenir miséricorde du Seigneur, la même foule commença à leur dire : « Jésus vous appelle. » Les voici donc excités par ceux mêmes qui auparavant leur imposaient silence. Et qui n’est pas appelé par le Seigneur ? Celui-là seulement qui ne souffre pas dans ce siècle. Mais qui ne souffre en cette vie de ses fautes et de ses iniquités ? Si donc tous ont à souffrir, c’est à tous qu’il a été dit : « Venez à moi, vous tous qui souffrez be ? » Et si ce langage s’adresse à tous, pourquoi rejeter ta faute sur Celui qui t’appelle ainsi ? Viens donc. Ne crains pas d’être à l’étroit dans sa demeure ; le royaume de Dieu est possédé tout entier par tous et par chacun. Le nombre de ceux qui en jouissent n’en diminue pas l’étendue, car il ne se partage pas ; chacun le possède tout entier, car tous y vivent dans une heureuse concorde. 19. Cependant, mes frères, nous découvrons, dans les mystérieuses profondeurs de l’Évangile de ce jour, une vérité qui brille d’un vif éclat dans d’autres parties des livres sacrés ; c’est qu’il y a dans l’Église des bons et des méchants, du froment et de la paille, comme souvent nous disons. Que personne ne quitte l’aire prématurément, qu’on souffre d’être mêlé à la paille pendant que se fait le battage ; qu’on souffre d’y être mêlé sur l’aire, car au grenier on n’aura plus rien à souffrir. Viendra le grand Vanneur et il séparera les méchants d’avec les bons, car il y aura alors, pour les corps-mêmes une séparation que prépare aujourd’hui la division des esprits. Toujours séparez-vous des méchants à l’intérieur, mais extérieurement conservez avec prudence l’union avec eux. Ne négligez pas toutefois de reprendre ceux qui relèvent de vous, ceux qui sont, à quelque titre, commis à votre sollicitude ; ayez soin de les avertir, de les instruire, de les encourager et de les effrayer. Agissez sur eux de toutes les manières possibles ; et puisque vous rencontrez, dans les Écritures ou dans la vie des saints antérieurs ou postérieurs à l’avènement du Seigneur, qu’au sein de l’unité les bons ne se sont point souillés au contact des méchants, ne négligez point de corriger ceux-ci. Pour n’être pas souillé par le méchant, il faut deux choses : ne pas consentir et réprimander. Ne pas consentir, c’est ne pas prendre part à ses œuvres, car on y prend part en s’y associant par la volonté ou en les approuvant : Voici l’avertissement que donne l’Apôtre à ce sujet : « Gardez-vous de prendre part aux œuvres stériles des ténèbres ; bf » et comme il ne suffirait point de n’y pas consentir si on négligeait de les réprimer « Reprochez-les plutôt. » continue l’Apôtre. « Observez le double devoir tracé ici : Gardez-vous d’y prendre part ; reprochez-les plutôt. » Qu’est-ce à dire : « Gardez-vous d’y prendre part ? » Gardez-vous d’y consentir, de les louer de les approuver. Et que signifie : « Reprochez-les plutôt ? » Réprimandez-les, corrigez-les et les réprimez. 20. Il faut aussi, en corrigeant ou en réprimant les fautes d’autrui, éviter de s’enorgueillir, et méditer cette sentence apostolique : « Ainsi donc, que celui qui se croit debout, prenne garde de tomber bg. » Faites retentir avec force et avec terreur le bruit de la réprimande ; mais conservez intérieurement la douceur de la charité. « Si un homme est tombé par surprise dans quelque faute, dit encore le même Apôtre, vous qui êtes spirituels, instruisez-le en esprit de douceur, regardant à toi-même pour éviter, toi aussi, d’être tenté. Portez les fardeaux les uns des autres, et c’est ainsi que vous accomplirez la loi du Christ bh. » Il dit encore ailleurs : « Il ne faut pas que le serviteur de Dieu dispute, mais qu’il soit doux envers tous, capable d’enseigner, patient, reprenant avec modestie ceux qui pensent différemment, dans l’espoir que Dieu leur donnera un jour l’esprit de pénitence pour qu’ils connaissent la vérité et se dégagent des liens du diable qui les tient captifs sous sa volonté bi. » Ainsi donc ne soyez ni complices des méchants pour les approuver, ni négligents pour les réprimander, ni orgueilleux pour les censurer avec hauteur. 21. Mais quitter l’unité c’est rompre la charité, et si grands dons que l’on possède, quand on a rompu la charité, on n’est rien. On parlerait en vain les langues des hommes et des anges, on connaîtrait en vain tous les mystères ; en vain aurait-on toute la foi, jusqu’à transporter les montagnes, distribuerait-on aux pauvres tous ses biens et livrerait-on son corps aux flammes ; si l’on n’a pas la charité, on n’est rien bj. Inutilement on possèderait tout, si l’on manquait de la seule chose qui rend le reste utile. Embrassons donc la charité, en nous appliquant à maintenir l’unité d’esprit avec le lien de la paix bk. Ne nous laissons pas séduire par ceux qui ont des idées trop charnelles et qui en provoquant une séparation matérielle se séparent eux-mêmes, par un sacrilège spirituel, du pur froment de l’Église répandu par tout l’univers. Ce pur froment en effet, a été semé par tout le monde. C’est le Fils de l’homme qui l’a répandu non seulement en Afrique mais aussi partout ; et c’est l’ennemi qui est venu ensuite semer l’ivraie. Or, que dit le Père de famille ? « Laissez, croître, l’un et l’autre jusqu’à la moisson. » Croître, où ? Sans doute dans le champ. Et quel est ce champ ? L’Afrique ? Non. Quel est-il donc ? Ne le disons pas nous-même, laissons le Seigneur interpréter sa pensée, et que personne ne se permette de soupçons arbitraires. Les disciples dirent donc à leur Maître : « Expliquez-nous la parabole de l’ivraie. » Et le Seigneur l’expliqua ainsi : « La bonne semence désigne les fils du royaume, et l’ivraie, les enfants du mal. » Qui a semé cette ivraie ? « L’ennemi qui a. semé l’ivraie, c’est le diable. » Quel est le champ ? « Le champ, c’est le monde. » Et la moisson ? « La moisson est la fin du siècle. » Et les moissonneurs ? « Les moissonneurs sont les anges bl. » Mais l’Afrique est-elle le monde ! Sommes-nous au temps de la moisson et Donat est-il le moissonneur ? Oui, c’est partout l’univers qu’il vous faut attendre la moisson c’est par tout l’univers qu’il vous faut croître pour mûrir, c’est par tout l’univers qu’il vous faut laisser l’ivraie jusqu’à l’époque de la moisson. Ah ! ne vous laissez point séduire par les méchants, pailles légères qui s’envolent de l’aire avant l’arrivée du divin Vanneur : ne vous laissez pas séduire par eux ; arrêtez-les à cette parabole de l’ivraie, elle suffit pour les confondre et ne leur laissez plus dire. Un tel a livré les Écritures. – Non, c’est celui-là qui les a livrées. Quel que soit d’ailleurs celui qui les a livrées, est-ce que l’infidélité de ces traditeurs rendra vaine la fidélité de Dieu ? Et quelle est cette fidélité de Dieu ? Celle que Dieu a promise à Abraham quand il lui a dit : « Dans ta race seront bénies toutes les nations. bm » Quelle est-elle encore ? « Laissez croître l’un et l’autre jusqu’à la moisson. » Croître, où ? Dans le champ. Qu’est-ce à dire, dans le champ ? C’est-à-dire dans le monde. 22. Ici on nous arrête. On avait vu, dit-on, le bon grain et l’ivraie croître dans le monde ; mais il n’y a plus guère de froment ; il n’y en a plus que dans notre pays et au milieu de nous, si peu nombreux que nous soyons. – Le Seigneur ne te permet pas de donner l’interprétation qui te plaît. C’est lui qui t’a expliqué cette parabole, et il te ferme la bouche, bouche sacrilège, bouche impie, bouche souillée, bouche qui se contredit et qui contredit en même temps le divin Testateur, les dispositions qui t’appellent à son héritage. Comment te ferme-t-il la bouche ? En disant : « Laissez l’un et l’autre croître jusqu’à la moisson. » Si donc le temps de la moisson est arrivé, croyons qu’il n’y a plus guère de froment ; et pourtant même alors on ne pourra dire qu’il n’y en a guère puisqu’il sera serré dans le grenier. Voici en effet ce qui est écrit : « Recueillez d’abord l’ivraie et mettez-la en gerbes pour la brûler ; quant au froment enfermez-le dans mon grenier. » Mais s’ils doivent croître jusqu’à la moisson et être ensuite enfermés, quand donc, tête opiniâtre et impie, les verra-t-on diminuer ? Comparé en même temps à l’ivraie et à la paille, le bon grain, je l’accorde est en petite quantité ; cependant il croît jusqu’à la moisson aussi bien que l’ivraie. Lors en effet que l’iniquité se multiplie, la charité se refroidit dans un grand nombre, l’ivraie croît et la paille aussi. Mais le bon grain ne saurait manquer partout, puis qu’en persévérant jusqu’à la fin il assure sa conservation bn ; il s’ensuit que jusqu’à la moisson il croît avec l’ivraie. D’autre part, si la multitude des méchants a fait dire : « Penses-tu que le Fils de l’homme, en venant sur la terre, y trouvera encore de la foi bo ? » (et ce mot de terre désigne tous ceux qui en violant la loi se rendent les imitateurs de celui à qui il a été dit : « Tu es terre, et tu retourneras « en terre ; bp ») il est dit aussi, à cause du grand nombre des bons et en considération du patriarche à qui s’adressait cette promesse : « Ta postérité se multipliera comme les étoiles du ciel et comme le sable de la mer bq ; » il est donc dit que « beaucoup viendront d’Orient et d’Occident et prendront place avec Abraham et Isaac dans le royaume de Dieu br. » Donc, encore une fois, le bon grain et l’ivraie croissent jusqu’à la moisson ; et s’il y a dans les Écritures des passages particuliers qui s’appliquent à l’ivraie ou à la paille, il en est d’autres pour le bon grain. Ne pas les comprendre, c’est tout confondre et mériter d’être confondu ; c’est se laisser tellement emporter aux aboiements d’une passion aveugle, que l’éclat même de la vérité ne saurait imposer silence. 23. Voici, reprennent-ils, des paroles d’un prophète : « Éloignez-vous, sortez de là, ne touchez point ce qui est impur bs. » Comment souffrir les méchants pour conserver la paix, puisqu’il nous est commandé de sortir, et de nous éloigner, d’eux pour ne toucher pas ce qui est impur ? Nous, mes frères, nous entendons cet éloignement dans un sens spirituel, et eux, dans un sens matériel. Moi aussi je crie avec le prophète ; quoique nous soyons, Dieu nous emploie comme des instruments à votre service, et nous vous crions, nous vous disons : « Éloignez-vous, sortez de là, ne touchez pas ce qui est impur ; » évitez de le toucher, non de corps, mais de cœur. Qu’est-ce que toucher ce qui est impur, sinon consentir aux péchés d’autrui ? Et qu’est-ce qu’en sortir, sinon faire ce que réclame la correction des méchants, et autant que chacun en est capable dans sa dignité et son rang, et sans altérer la paix ? Tu es fâché de voir cet homme pécher : tu n’as point touché ce qui est impur. Tu l’as réprimandé, tu l’as corrigé, tu l’as averti, tu as même eu recours, selon le besoin, à un châtiment convenable mais sans rompre l’unité : tu en es sorti. Examinez ce qu’ont fait les saints, car nous ne voulons point paraître vous donner ici notre interprétation particulière, et nous devons entendre ce passage comme ils l’ont entendu. « Sortez de là », dit le prophète. J’explique d’abord cette parole d’après le sens qu’on lui donne habituellement ; je montre ensuite que ce n’est pas un sentiment qui me soit personnel. Il arrive souvent que des hommes soient accusés, et qu’étant accusés ils se défendent. Or lorsqu’un accusé s’est défendu en s’appuyant sur la raison et sur la justice, ceux qui l’ont entendu se disent : Il en est sorti. Comment est-il sorti ? En s’appuyant sur la raison, en faisant une défense pleine de justice. N’est-ce pas ce que faisaient les saints en secouant la poussière de leurs pieds contre ceux qui n’acceptaient point la paix qu’ils leur annonçaient bt ? Elle en est sortie cette sentinelle à qui il avait été dit : « Je t’ai établi comme une sentinelle pour la maison d’Israël. Si tu parles à l’impie et qu’il ne renonce ni à l’iniquité, ni à sa voie, cet impie mourra dans son iniquité et tu délivreras ton âme bu. » Si elle agit ainsi, elle en sort, non en se séparant extérieurement, mais en faisant ce qui lui sert de défense. Cette sentinelle a rempli son devoir, bien que l’impie n’ait pas obéi comme il aurait dû. La sentinelle en est donc sortie. 24. Ainsi nous crient de sortir et Moïse, et Isaïe, et Jérémie et Ézéchiel. Voyons si eux-mêmes sont sortis en abandonnant le peuple de Dieu et en se réfugiant au milieu des autres nations. Combien de fois et avec quelle véhémence Jérémie ne s’est-il pas élevé contre les pécheurs et coutre les impies dans Israël ! Il vivait néanmoins au milieu d’eux, entrait dans le même temple et célébrait les mêmes mystères ; oui, il vivait au milieu de ce mélange d’hommes pervers ; mais il en sortait en criant contre leurs désordres. Sortir de là, ne pas toucher ce qui est impur, signifie donc que la volonté ne doit pas consentir au mal, ni la bouche l’épargner. Que dirai-je de Jérémie, d’Isaïe, de Daniel, d’Ézéchiel et des autres prophètes ? Ils n’ont pas quitté ce peuple pervers ; craignant de se séparer des bons mêlés aux méchants, parmi lesquels eux-mêmes aussi étaient parvenus à se sanctifier. Au moment même où Moïse recevait la loi au sommet de la montagne, vous savez, mes frères, que le peuple resté au bas se fit une idole. C’était le peuple de Dieu, le peuple conduit à travers les flots dociles de la mer rouge qui avait englouti l’armée égyptienne poursuivant Israël : eh bien ! après tant de prodiges et de si étonnants miracles qui avaient semé en Égypte des châtiments et la mort, protégé et sauvé les Hébreux, ceux-ci ne laissèrent pas de demander une idole, de l’obtenir par violence, de la fabriquer, de l’adorer, de lui sacrifier même. Dieu fait connaître ce crime à son serviteur et lui annonce en même temps qu’il va faire disparaître les coupables de devant sa face. Moïse intercède avant de rejoindre ce peuple. C’était bien l’occasion de s’éloigner de ce milieu, comme disent les Donatistes, afin de ne pas toucher ce qui est impur, de ne vivre pas au milieu des coupables : mais il n’en fit rien. Et pour empêcher de croire que sa conduite fût inspirée par le besoin plutôt que par la charité, Dieu lui offrit un autre peuplé : « Je ferai de toi, lui disait-il, une grande nation ; » afin de pouvoir anéantir cette race coupable. Moise n’accepte point, il demeure uni à ces pécheurs, il prie pour eux. Et comment prie-t-il ? Ah ! mes frères, quel témoignage d’affection ! Comment prie-t-il ? Reconnaissez ici cette charité en quelque sorte maternelle dont il a été entre nous si souvent question. En entendant le Seigneur menacer ce peuple sacrilège, les tendres entrailles de Moïse s’émurent, et il s’offrit pour eux à la colère divine. « Seigneur, dit-il, si vous voulez leur pardonner cette faute, pardonnez-la ; sinon effacez-moi de votre livre que vous avez écrit bv. » Quelles entrailles paternelles et maternelles tout à la fois ! Avec quelle tranquillité il parlait ainsi, l’œil fixé sur la justice et la miséricorde de Dieu ; car Dieu étant juste il ne pouvait perdre le juste, et miséricordieux ; il devait pardonner aux pécheurs. 25. Maintenant donc, sans aucun doute, votre prudence voit manifestement quel sens il faut donner à tous ces passages tirés des Écritures ; et que l’Écriture nous criant de nous éloigner des méchants, c’est simplement l’ordre de nous éloigner d’eux par les dispositions du cœur ; car en nous séparant des bons nous ferions plus de mal que nous n’en éviterions en demeurant au milieu des méchants ; témoin les Donatistes. Ah S’ils étaient vraiment bons, si par conséquent ils faisaient des observations eux méchants au lieu de diffamer méchamment les bons, qui donc ne supporteraient-ils pas, après qu’ils ont reçu comme parfaitement innocents les Maximinianistes, auparavant condamnés par eux comme de grands coupables ? Oui, sans aucun doute, un prophète a dit : « Éloignez-vous et sortez de là, ne touchez pas ce, qui est impur. » Mais pour comprendre ses paroles, j’interroge sa conduite ; celle-ci m’explique celles-là. « Éloignez-vous », dit-il. À qui parle-t-il ? Aux justes certainement. De qui veut-il qu’ils s’éloignent ? Des pécheurs et des impies. Mais lui, s’en est-il éloigné ? Je le cherche et je découvre que non. Par conséquent, il comprenait différemment. N’aurait-il pas fait le premier ce qu’il exigeait ? Mais il s’est séparé de cœur, il a adressé des observations, des reproches ; en s’abstenant de consentir au mal, il n’a point touché ce qui est impure et en faisant des réprimandes, il est sorti innocent aux yeux de Dieu ; et si Dieu ne lui a point reproché de péchés personnels, c’est qu’il n’en a pas fait ; les péchés d’autrui, c’est qu’il ne les a pas approuvés ; de négligence, c’est qu’il n’a pas omis de parler ; d’orgueil enfin, c’est qu’il a demeuré dans l’unité. Vous donc aussi, mes frères, tout ce que vous connaissez au milieu de vous d’hommes encore appesantis sous l’amour du siècle, d’avares, de parjures, d’adultères ; de passionnés pour les vains spectacles ; ceux qui consultent les astrologues, les fanatiques ; les augures ; les aruspices ; tous ce que vous connaissez d’ivrognes, de voluptueux, tous ceux enfin qui font le mal au milieu de vous, désapprouvez-les de toutes vos forces afin de vous séparer d’eux par le cœur, reprenez-les, afin d’en sortir ; et gardez-vous de consentir, afin de ne pas toucher ce qui est impur.
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