‏ Matthew 21

CHAPITRE LXVI. L’ÂNESSE ET SON ANON.

127. Saint Matthieu continue : « Lorsqu’ils approchèrent de Jérusalem et qu’ils furent venus à Bethphagé, près du mont des Oliviers, Jésus envoya deux disciples, leur disant : Allez au village qui est devant vous, et soudain vous trouverez une ânesse attachée, et son ânon avec elle ; » etc, jusqu’à ces paroles : « Béni celui qui vient au nom du Seigneur a. » Saint Marc suit la même marche dans son récit b. Saint Luc s’arrête à Jéricho et raconte ce que les autres ont ici passé sous silence, savoir l’histoire de Zachée, chef des publicains, et quelques paraboles : puis avec eux il parle de l’ânon sur lequel s’assit Jésus c. Ne soyons point embarrassés de ce qu’il y a dans saint Matthieu une ânesse et son ânon, tandis que les autres ne font aucune mention de l’ânesse. Mais rappelons-nous la règle que nous avons indiquée plus haut, au sujet des personnes que l’on fit asseoir par groupes de cent et de cinquante, lorsque la foule fut nourrie avec cinq pains
Ci-dessus 46, 98.
. Le lecteur guidé par cette règle ne devra éprouver aucune difficulté, quand même saint Matthieu aurait passé l’ânon sous silence comme les autres y ont passé l’ânesse. Si l’un avait seulement désigné celle-ci, et l’autre celui-là, on ne devrait y voir aucune contradiction. La difficulté ne sera-t-elle pas moindre encore, si l’un nomme l’ânesse dont les autres ne font point mention et désigne en même temps l’ânon mentionné par ceux-ci ? Dès lors que deux choses ont pu avoir lieu en même temps, il n’y a plus d’objection à faire si l’un raconte la première et l’autre la seconde ; à plus forte raison si l’un raconte l’une des deux et l’autre toutes les deux à la fois.

128. Saint Jean ne dit point comment le Seigneur envoya chercher ces deux animaux ; cependant il indique en peu de mots qu’il y avait un ânon, et cite le passage du prophète également rapporté par saint Matthieu e. Si donc le texte du prophète présente une légère différence avec celui des Évangélistes, on peut dire que la pensée n’est point différente. Mais la difficulté est plus sérieuse, parce que saint Matthieu fait paraître l’ânesse dans le passage qu’il cite du prophète, tandis qu’il n’en est pas question dans la même citation qu’en fait saint Jean, ni dans les manuscrits dont se servent les Églises. On peut, je crois, expliquer cette différence, par la raison que saint Matthieu, comme on le sait, écrivit en hébreu son Évangile. Or il est certain que la version des Septante ne s’accorde pas toujours avec le texte hébraïque, comme ont pu le constater ceux qui connaissent cette langue et qui ont entrepris de traduire chacun en particulier ces mêmes livres écrits en hébreu. Veut-on savoir encore la raison de cette différence, et chercher pourquoi cette version des Septante, qui jouit d’une si grande autorité, s’écarte en tant d’endroits du sens rigoureux exprimé dans les manuscrits hébraïques ? Voici la raison qui me parait la plus probable. Les Septante ont été inspirés dans ce travail par le même Esprit qui a révélé les vérités contenues dans le texte à traduire : la preuve en est dans leur accord si admirable, attesté par l’histoire. Aussi, malgré quelques variétés d’expressions, comme ils ne se sont point écartés de la pensée divine, écrite en ces livres et à laquelle doit se plier le langage, ils nous offrent un nouvel exemple de ce que nous admirons aujourd’hui dans le récit à la fois si varié et si uniforme des quatre évangélistes, car on ne peut accuser de fausseté un auteur dont les expressions diffèrent de celles d’un autre, s’il ne s’écarte point de sa pensée lorsqu’il doit exprimer les mêmes faits, les mêmes idées. Ce principe, très-utile dans le cours de la vie pour éviter ou condamner l’imposture, ne l’est pas moins en matière de foi. Ne croyons pas, en effet, que la vérité soit attachée à des sons qui seraient comme consacrés et que Dieu nous recommande les mots comme la pensée qu’ils doivent exprimer : bien loin de là, les vérités sont tellement supérieures aux formes de langage qui doivent les reproduire, que nous ne devrions point nous mettre en peine de chercher ces formes, si nous pouvions, sans elles, connaître la vérité comme Dieu la connaît et comme les anges la connaissent en lui.

CHAPITRE LXVII. VENDEURS ET ACHETEURS CHASSÉS DU TEMPLE.

129. Saint Matthieu continue, ainsi : « Lorsqu’il fut entré dans Jérusalem, toute la ville s’émut, demandant : Qui est celui-ci ? Et la multitude répondait : C’est Jésus, le Prophète, de Nazareth en Galilée. Et Jésus entra dans le temple de Dieu, et chassa tous ceux qui vendaient et achetaient dans le temple », etc, jusqu’à cet endroit : « Mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs. » Tous les évangélistes parlent de cette troupe de vendeurs chassés du temple, mais saint Jean suit un ordre bien différent f. Après avoir rapporté le témoignage que saint Jean-Baptiste rendit à Jésus, il fait aller le Seigneur en Galilée, où il change l’eau en vin ; puis, après s’être arrêté quelques jours à Capharnaüm, le Seigneur vient à Jérusalem, au temps de la Pâque des Juifs, et là, ayant fait un fouet avec des cordes ; il chasse les vendeurs du temple. D’où il faut conclure que le fait n’eut pas lieu une seule fois, et que le Seigneur le renouvela ensuite. Saint Jean raconte le premier de ces événements, et les autres le dernier.

CHAPITRE LXVIII. FIGUIER MAUDIT.

130. Saint Matthieu continue ainsi : « Et des aveugles et des boiteux s’approchèrent de lui dans le temple, et il les guérit. Mais les princes des prêtres et les Scribes, voyant les merveilles qu’il faisait, et les enfants qui criaient dans le temple et disaient : Hosanna au fils de David, s’indignèrent et lui dirent : Entendez-vous ce que disent ceux-ci ? Jésus leur répondit : Oui. « N’avez-vous jamais lu : C’est de la bouche des enfants et de ceux qui sont à la mamelle, que vous avez tiré la louange la plus parfaite ? Et les ayant quittés, il s’en alla hors de la ville, à Béthanie, et s’y arrêta. Le lendemain matin, comme il revenait à la ville, il eut faim. Or apercevant un figuier près du chemin, il s’en approcha, et n’y trouvant rien que des feuilles, il lui dit : Que jamais fruit ne naisse de toi à l’avenir. Et à l’instant le figuier sécha. Ce qu’ayant vu, les disciples s’étonnèrent, disant Comment a-t-il séché sur le champ ? Alors Jésus, prenant la parole, leur dit : En vérité, je vous le déclare, si vous avez de la foi, et que vous n’hésitiez point, non-seulement vous ferez comme à ce figuier, mais môme si vous, dites à cette montagne : Lève-toi, et jette-toi à la mer, cela se fera : et tout ce que vous demanderez avec foi dans la prière, vous l’obtiendrez g. »

131. Nous retrouvons le môme fait dans saint Marc, mais il n’y est point raconté dans le même ordre. D’abord saint Matthieu fait entrer Jésus dans le temple, d’où il chasse les vendeurs et les acheteurs : saint Marc, sans parler de cette circonstance, dit qu’ayant regardé toutes choses, comme le soir était venu, il se retira à Béthanie avec les douze. Le lendemain, comme il sortait de Béthanie, il eut faim, et maudit le figuier c’est ce que dit saint Matthieu ; mais saint Marc ajoute qu’étant vent à Jérusalem et étant entré dans le temple, il en chassa les vendeurs et les acheteurs, comme si le fait avait eu lieu ce jour-là et non la veille h. Saint Matthieu précise mieux la suite des événements : « Et les ayant quittés, dit-il, il s’en alla hors de la ville à Béthanie, et s’y arrêta ; » et c’est en revenant le lendemain à la ville, qu’il maudit le figuier. C’est donc saint Matthieu qui parait avoir mieux fixé le moment véritable où les acheteurs furent chassés du temple. En effet, lorsqu’il dit : « Et les ayant quittés, il s’en alla dehors », ces mots : « les ayant quittés », ne peuvent s’entendre que de ceux à qui il venait de parler, et qui s’indignaient d’entendre les enfants crier : « Hosanna au fils de David. » Saint Marc a donc passé sous silence ce qui avait eu lieu le premier jour, lorsque Jésus entra dans le temple ; mais se l’étant ensuite rappelé, il le raconte après avoir dit que Jésus n’avait trouvé sur le figuier que des feuilles ; ce qui arriva le second jour, comme tous deux l’affirment. L’étonnement des disciples à la vue de l’arbre desséché, et la réponse du Seigneur sur la foi qui transporte les montagnes, ne se rapportent point au second jour, où il est dit à l’arbre : « Que jamais personne ne mange plus de fruit venant de toi ; » mais bien au troisième jour. En effet, le même saint Marc fait au second jour l’histoire des vendeurs chassés du temple, laquelle appartient évidemment au premier. Et en ce même jour il dit expressément que, le soir étant venu, Jésus sortit de la ville, et comme le lendemain matin ses disciples passaient, ils virent le figuier desséché jusqu’à la racine ; c’est alors que Pierre se souvenant de ce qui s’était passé, dit au Seigneur : « Maître, comme a séché le figuier que vous avez maudit ! » Alors Jésus lui parla de la puissance de la foi. D’après saint Matthieu on pourrait croire que tout ceci s’est passé le second jour, quand il fut dit à l’arbre : « Jamais fruit ne naîtra de toi à l’avenir ; » qu’à l’instant cet arbre sécha, et que, comme les disciples le voyaient et s’en étonnaient, ils entendirent immédiatement la réponse sur la puissance de la foi.

Il faut conclure de tout ceci que saint Marc a rapporté au second jour ce qu’il avait omis dans le récit du premier, l’histoire des vendeurs et des acheteurs chassés du temple. Saint Matthieu, de son côté, ayant dit que le figuier avait été maudit le second jour, quand le matin Jésus retournait de Béthanie à la ville, passe sous silence ce qu’ajoute saint Marc, savoir que le Seigneur vint encore à la ville, qu’il en sortit de nouveau le soir, et que le lendemain matin, en passant, les disciples s’étonnèrent de voir cet arbre desséché. Mais ayant rapporté ce qui avait eu lieu le second jour, la malédiction prononcée contre le figuier, il ajoute immédiatement ce qui n’eut lieu que le troisième, l’étonnement des disciples en le voyant desséché, et la réponse du Seigneur sur la puissance de la foi. Ces faits sont tellement rapprochés, que sans le récit de saint Marc qui fixe notre attention, on ne pourrait découvrir ni les faits omis par saint Matthieu, ni l’époque où ils se sont accomplis. Voici d’ailleurs comment ce dernier s’exprime, « Et les ayant quittés, il s’en alla hors de la ville à Béthanie, et s’y arrêta. Le lendemain matin, comme il revenait à la ville, il eut faim. Or, apercevant un figuier près du chemin, il s’en approcha ; et n’y trouvant rien que des feuilles il lui dit : Que jamais fruit ne naisse de toi à l’avenir. Et à l’instant le figuier sécha. » Puis, omettant les autres événements du jour, il ajoute : « Ce qu’ayant vu, les disciples s’étonnèrent, disant : Comment a-t-il séché sur le champ ? » quoique ceux-ci n’aient remarqué et admiré cela qu’un autre jour. On le comprend ; l’arbre ne s’est point desséché quand ils l’ont vu, mais aussitôt après qu’il fut maudit, car ils ne le virent point se dessécher, mais complètement desséché, et ils comprirent qu’il avait commencé à sécher à la parole du Seigneur.

SERMON LXXXIX. LE FIGUIER MAUDIT i.

ANALYSE. – Ce figuier maudit par Notre-Seigneur désigne la partie stérile de la Synagogue réprouvée par lui, comme la montagne qu’il donne à ses Apôtres le pouvoir de jeter dans la mer, figure la foi chrétienne qui devait s’implanter au sein des vagues de la gentilité. La preuve que Jésus avait en vue autre chose que le figuier, c’est que la malédiction lancée sur cet arbre serait autrement inexplicable, car si Jésus n’y trouva pas de fruits, un Évangéliste, observe que la saison des fruits n’était pas arrivée. – Il ne faut donc pas prendre à la lettre ce qui est dit du Sauveur, qu’il alla vers cet arbre pour y cueillir du fruit. J’oserai affirmer qu’il feignit de vouloir cri cueillir, comme il feignit, devant les disciples d’Emmaüs, de vouloir aller plus loin. De même en effet qu’il y a des paroles que l’on doit prendre dans le sens littéral, d’autres qui ne s’expliquent que dans le sens figuré, d’autres enfin qui comportent l’un et l’autre sens ; ainsi il y a des actions qui s’expliquent par elles-mêmes, il en est d’autres que fou doit regarder uniquement comme des symboles, et d’autres enfin qui sont à la fois historiques et figurées. Celles qui sont simplement symboliques peuvent être nommées des fictions. Telles sont la recherche des fruits sur le figuier et la volonté d’aller plus loin, à Emmaüs.

1. La dernière lecture qu’on vient de nous faire, du saint Évangile, est une invitation formidable à ne pas porter des feuilles sans fruits. Si le fait est rapporté en peu de mots, c’est sans doute afin qu’il n’y ait pas abondance de paroles et disette d’actions ! Quel sujet de frayeur ? Et qui ne craindrait en voyant des yeux du cœur, dans le récit sacré, un arbre desséché tout-à-coup, et desséché au point qu’on lui dit : « Que jamais ; qu’éternellement fruit ne naisse de toi ? » Que cette frayeur nous corrige et une fois corrigés portons des fruits : Sans aucun doute, effectivement, le Christ Notre Seigneur avait en vue une espèce d’arbre qui méritait d’être desséché pour avoir porté des feuilles sans fruits. Cet arbre est la Synagogue, non pas la Synagogue élue, mais la Synagogue réprouvée. Car c’est de la Synagogue que sortait le vrai peuple de Dieu, ce peuple qui attendait réellement et sincèrement le salut de Dieu, Jésus-Christ prédit dans les prophètes. Aussi pour l’avoir fidèlement attendu, mérita-t-il de jouir de sa présence. De là venaient les Apôtres et toute cette foule qui précédaient le Seigneur sur sa monture et qui s’écriaient : « Hosanna au Fils de David ! Béni Celui qui vient au nom du Seigneur j ! » Car il y avait un grand nombre de Juifs fidèles, oui un grand nombre de Juifs qui croyaient au Christ avant même que pour eux il eut versé son sang. Était-ce en vain qu’il n’était venu en personne que vers les brebis perdues de la maison d’Israël k ? D’autres lui offrirent, quand il fut crucifié et monté au ciel, des fruits de pénitence. Il ne dessécha point ceux-là, au contraire il les cultiva avec soin dans son champ et les arrosa de l’eau de sa parole. De ce nombre étaient les quatre mille Juifs qui crurent en lui au moment où ils virent ses disciples et ceux qui les accompagnaient, remplis du Saint-Esprit et parlant les langues de tous les peuples ; don des langues qui annonçait en quelque sorte la future propagation de l’Église dans tout l’univers. Ces Juifs crurent donc alors ; aussi faisaient-ils encore partie des brebis perdues de la maison d’Israël que le Fils de l’homme retrouva également, parce qu’il était venu chercher et sauver ce qui était perdu l. Au milieu de quels buissons n’avaient-elles pas été entraînées et cachées par les loups ravissants ? Aussi le Sauveur ne parvient à les découvrir qu’en se faisant déchirer par les épines de la passion. Il y parvint cependant, il les trouva et les racheta. Ces malheureux dans leur fureur s’étaient donné la mort autant qu’à lui : ils durent leur salut au sang répandu pour eux. Car ils furent contrits en entendant les Apôtres ; ils avaient percé le Sauveur d’une lance, ils se sentirent blessés dans la conscience. Sous ce sentiment de componction ils demandèrent conseil, ce conseil leur fut donné, ils le reçurent, firent pénitence, trouvèrent grâce et burent avec foi le sang versé par eux avec fureur. m C’est ce qui reste aujourd’hui de cette race, maudite et stérile jusqu’à la fin des siècles, qui a été figuré par cet arbre. Tu viens à eux et tu y trouves tous les écrits des prophètes. Mais ce ne sont que des feuilles. Le Christ a faim, le Christ cherche du fruit ; mais il n’en trouve point là, parce qu’il ne s’y trouve pas. Car c’est être sans fruit que de n’être pas attaché au Christ ; et c’est n’être pas attaché au Christ que de n’être pas attaché à l’unité du Christ, que de n’avoir pas la charité ; d’où il suit que de manquer de charité, c’est être sans fruit. Écoute l’Apôtre : « Le fruit de l’Esprit, dit-il, c’est la charité. » Il la montre comme une belle grappe, comme un beau fruit. « Le fruit de la charité, dit-il donc, est la charité, la joie, la paix, la patience n. » Après avoir vu la charité venir la première, ne t’étonne pas de ce qui la suit.

2. Aussi voyant ses disciples surpris en présence de cet arbre desséché tout-à-coup, il leur recommanda la foi et leur dit : « Si vous aviez une foi qui n’exceptât rien ; » en d’autres termes : Si pour tout vous aviez foi en Dieu, sans dire : Il peut ceci, il peut cela ; si vous aviez confiance en la toute-puissance du Tout-Puissant ; non-seulement vous feriez cela, mais encore « vous diriez à cette montagne : Lève-toi et te jette dans la mer, et elle le ferait. De plus, tout ce que vous demanderiez dans la prière avec foi, vous l’obtiendriez. » Nous lisons que les disciples du Sauveur ont lait des miracles, ou plutôt que le Sauveur en a faits par eux, puisqu’il leur a dit : « Vous ne pouvez rien faire sans moi o. » Le Seigneur en effet pouvait beaucoup sans ses disciples, mais sans lui ses disciples ne pouvaient rien ; et lorsqu’il travailla à les former, il ne fut pas certainement aide par eux. Or en parcourant les miracles des Apôtres, nous ne voyons nulle part ni qu’ils aient desséché un arbre, ni qu’ils aient transporté une montagne dans la mer. Cherchons donc comment cette promesse s’est accomplie, attendu que les paroles du Seigneur ne sauraient être vaines. Or, si l’on ne considère que les arbres ordinaires et les montagnes connues, la promesse ne s’est point exécutée. Mais si l’on considère l’arbre mystérieux dont j’ai parlé, et cette montagne du Seigneur dont un prophète a dit : « On verra dans les derniers jours la montagne du Seigneur à découvert p ; » si dis-je, l’on considère et l’on comprend ce sens, la promesse s’est accomplie et accomplie par les Apôtres. L’arbre donc désigne la nation juive, mais je le répète, la partie de cette nation réprouvée et non élue ; cet arbre ainsi rappelle la nation juive ; et la montagne, d’après l’autorité du prophète, figure le Seigneur même. L’arbre desséché, c’est le peuple Juif sans la gloire du Christ ; et la mer est le monde de la gentilité tout entière. Écoute maintenant les Apôtres s’adressant à cet arbre pour le dessécher et lançant la montagne en pleine mer. On les voit, au livre des Actes, parler aux Juifs contradicteurs et rebelles à la parole de vérité ; en d’autres termes à l’arbre chargé de feuilles mais dépouillé des fruits. « Il fallait, leur disent-ils, vous annoncer la divine parole ; mais puisque vous la repoussez ; » puisque vous répétez les paroles des prophètes sans reconnaître Celui qui fut annoncé par eux, c’est-à-dire puisque vous n’avez que des feuilles : « Voici que nous nous tournons du côté des gentils q. » Le prophète d’ailleurs l’avait prédit ainsi : « Voici que je t’ai établi pour être la lumière des gentils et leur salut jusqu’aux extrémités de la terre r. » Ainsi l’arbre est desséché, et le Christ annoncé aux nations est la montagne transportée dans la mer. Comment d’ailleurs l’arbre ne sècherait-il point, attendu qu’il est placé, dans une vigne dont il a été dit : « Je défendrai à mes nuées de répandre la pluie sur elle s ? »

3. Le Seigneur a voulu nous montrer avec évidence qu’il agissait ainsi d’une manière prophétique, qu’il n’entendait pas simplement l’aire un miracle sur cet arbre, mais faire un miracle qui présageât l’avenir. Plusieurs circonstances nous disent, nous prouvent, nous forceraient même à avouer malgré nous que telle fut son intention. Et d’abord, cet arbre avait-il péché pour n’être pas alors couvert de fruits ? Fût-on au temps des fruits, il n’était point répréhensible de n’en point porter. Quelle faute peut-on reprocher à un arbre insensible ? Ajoutez, comme le rapporte expressément un autre Évangéliste, que « ce n’était pas le temps des figues t. » C’était le moment où le figuier pousse ces feuilles délicates qui précèdent toujours les fruits, nous le savons et ce qui le démontre, c’est d’une part que l’on était proche de la passion, et nous savons d’autre part à quelle époque le Seigneur l’endura ; mais ne fissions-nous pas attention à cette circonstance, nous devons croire à l’Évangile ; or l’Évangile dit : « On n’était pas au temps des figues. » Ah ! si le Seigneur n’avait voulu faire qu’un miracle, s’il n’avait pas eu dessein de nous donner une figure prophétique de quelque évènement futur, il eût agi d’une manière beaucoup plus douce et plus digne de sa miséricorde, et s’il avait rencontré un arbre mort, il lui eût rendu la vie, comme il se plaisait à guérir les malades, à purifier les lépreux, à ressusciter les morts. Comment expliquer ici une conduite en apparente aussi contraire aux règles ordinaires de sa bonté ? Il rencontre un arbre bien vert ; cet arbre ne porte pas encore de fruits ; mais ce n’en est pas la saison, mais il n’en refuse pas à celui qui le cultive, et le Seigneur le dessèche ! N’était-ce pas dire à chacun de nous : Je n’ai pas pris plaisir à faire mourir cet arbre, mais j’ai voulu t’avertir que je n’ai pas agi sans motif et te porter à réfléchir avec plus de soin à ce que je viens de faire ? Je n’ai pas maudit cet arbre, je n’ai pas entendu infliger de châtiment à un être insensible ; mais j’ai voulu t’inspirer une frayeur salutaire et te porter, si tues attentif, à ne mépriser pas le Christ quand il a faim et à chercher plutôt à être couvert de fruits que chargé d’un sombre feuillage.

4. Voilà une première circonstance destinée à nous montrer que le Seigneur avait en vue quelque signification mystérieuse. En est-il une autre ? – Il a faim, il s’approche de l’arbre et il y cherche du fruit. Ignorait-il que ce n’en était pas encore la saison ? Le Créateur de cet arbre ne savait-il pas ce que savait le jardinier ? Le voilà donc qui cherche sur cet arbre un fruit qui n’y est pas encore. Cherche-t-il réellement, ou plutôt ne feint-il pas de chercher ? Car s’il cherche réellement, il se trompe, et loin de nous une idée semblable ! Alors il feint ? Mais tu crains de l’avouer. Tu confesses donc qu’il se trompe ? Tu ne peux l’admettre encore et tu. te rejettes sur la feinte. Nous voici tourmentés, agités, nous nous desséchons. Dans cette fièvre d’anxiété, demandons la pluie du ciel pour nous rendre la vie, et gardons-nous de rien dire qui soit indigne du Seigneur, ce serait nous vouer à la mort. Le texte de l’Évangile porte : « Le Seigneur alla vers cet arbre et n’y trouva pas de fruit. » Nous ne lirions pas cette expression : « Il n’y trouva point », s’il n’y avait cherché ou feint de chercher les fruits qu’il savait n’y être pas. Point de doute à cet égard, le Christ assurément ne s’est point trompé. Il a donc feint ? Mais le dirons-nous et comment sortir de cet embarras ? Voyons si quelque Évangéliste n’a pas dit ailleurs ce que de nous-mêmes nous n’oserions affirmer. Reproduisons d’abord ce qu’a dit cet Évangéliste, et travaillons à le comprendre après l’avoir reproduit. Mais pour le comprendre croyons-le d’abord. « Si vous ne croyez, vous ne comprendrez pas », dit en effet un prophète u. Le Seigneur Jésus, après sa résurrection, voyageait avec deux de ses disciples, et saris en être encore reconnu, il cheminait avec eux comme un troisième voyageur. On arriva à l’endroit où allaient les deux premiers ; mais Jésus dit l’Évangéliste, « feignit d’aller plus loin. » Eux le retenaient par politesse, lui disaient qu’il était déjà tard et le priaient de rester avec eux. Il accepte l’hospitalité, prend du pain, le bénit, le rompt ; et on le reconnaît. Pourquoi donc craindre de dire qu’il feignit de chercher du fruit, puisqu’il est écrit qu’il feignit d’aller plus loin ? Mais voici surgir une autre question. Nous avons hier soutenu pendant longtemps la véracité des Apôtres ; et dans le Seigneur lui-même nous rencontrerions aujourd’hui quelque feinte ? Ici donc, mes frères, nous devons vous exposer, vous expliquer, dans la faible mesure des forces que Dieu nous donne pour vous servir ; nous devons enfin vous faire comprendre la règle qui doit vous diriger dans l’interprétation de toutes les Écritures. Toute parole ou toute action y doit être entendue soit dans un sens propre, soit dans un sens figuré, soit en même temps dans l’un et l’autre sens. Voilà une triple distinction ; appuyons-la sur des exemples, et des exemples tirés des Lettres divines. Expressions prises dans le sens propre : Le Seigneur a souffert, il est ressuscité et monté au ciel ; nous ressusciterons aussi à la fin des siècles, et si nous ne le dédaignons pas, nous régnerons éternellement avec lui voilà un langage qu’il faut prendre à la lettre ; prends-le dans le sens propre sans y chercher de figures ; les choses sont réellement telles qu’elles sont exprimées. Voici des faits : l’Apôtre monta à Jérusalem pour y voir Pierre ; il y monta réellement, cet acte doit être aussi entendu dans le sens propre v ; c’est le récit d’un fait, d’un fait où il n’y a rien de figuré. Voici maintenant du figuré : « La pierre rejetée par les constructeurs est devenue la tête de l’angle w. » Si nous prenons à la lettre ce terme de pierre, de quelle pierre est-il dit que rejetée par les constructeurs elle est devenue la pierre de l’angle ? Et si à la lettre encore nous entendons le terme d’angle, de quel angle cette pierre est-elle devenue la tête ? En supposant au contraire qu’il y a un sens figuré et en s’y attachant, on voit le Christ dans cette pierre angulaire et dans cette tête d’angle le Chef de l’Église. Mais comment l’Église est-elle comparée à un angle ? Parce qu’elle attire à elle, d’un côté les Juifs et d’un autre côté les Gentils ; ils sont comme deux murs qui viennent de directions différentes, qui se réunissent en elle et dont elle maintient l’union par la grâce qui produit la paix dans son sein. « Car le Christ est notre paix, et de deux choses il en a fait une seule x. »

5. Voilà donc des actes et des expressions dans le sens propre, ainsi que des paroles dans le sens figuré. Vous demandez maintenant des exemples d’actions figuratives. Il en est beaucoup. Citons provisoirement le trait que nous rappelle ce que nous venons de dire de la pierre angulaire. C’est l’onction que fit Jacob à la pierre qu’il avait placée sous sa tête durant ce sommeil mystérieux où il vit des échelles qui allaient de la terre au ciel, des hommes qui montaient et descendaient, et le Seigneur debout au sommet de ces échelles. Cette dernière circonstance lui fit comprendre ce que devait signifier cette pierre, et pour nous démontrer qu’il n’était point étranger au sens de cette vision, de cette révélation sublime, il répandit sur cette pierre l’onction destinée à rappeler qu’elle figurait le Christ y. Pourquoi t’étonner de cette onction ? N’est-ce pas d’onction que vient en grec le nom de Christ ? Ce même Jacob est donc appelé dans l’Écriture un homme sans artifice ; il y porte aussi le nom d’Israël, vous le savez. N’est-ce pas pour cela qu’il est écrit dans l’Évangile qu’en voyant Nathanaël le Seigneur s’écria : « Voici vraiment un Israélite en qui il n’y a point d’artifice ? » Mais ne sachant encore qui lui adressait la parole, cet Israélite répliqua : « D’où me connaissez-vous ? « — Lorsque tu étais sous le figuier, répondit le Seigneur, je t’ai vu ; » c’est-à-dire, lorsque tu étais encore dans les ombres du péché, je t’ai prédestiné. Mais lui, se rappelant avoir été sous un figuier quand le Seigneur n’était point présent, reconnut sa divinité et s’écria : « C’est vous le Fils de Dieu, c’est vous le Roi d’Israël. » C’est ainsi, c’est ainsi qu’en reconnaissant le Christ, il n’était point devenu une figue sèche tombée sous le figuier. Le Seigneur ajouta : « Parce que j’ai dit t’avoir vu lorsque tu étais sous le figuier, tu crois : tu verras de plus grandes choses. » Quelles sont-elles ? Rappelle-toi d’un côté qu’il s’agit ici d’un Israélite sans artifice ; souviens-toi aussi qu’il est dit de Jacob qu’il était également sans artifice, et que le Seigneur fait allusion à la pierre qu’il avait sous la tête, à ce qu’il vit dans son sommeil, aux échelles qui allaient de la terre au ciel, et aux anges qui montaient et qui descendaient. Tu comprendras alors le sens de la réponse que fait le Sauveur à cet Israélite sans artifice. « En vérité je vous le déclare, dit donc Jésus ; vous verrez le ciel ouvert : » Nathanaël, sans artifice, écoute bien ce que rit Jacob, sans artifice également : « vous verrez le ciel ouvert, et les anges montant et descendant : » vers qui ? « Vers le Fils de l’homme z. » Le Fils de l’homme était donc la pierre mystérieuse, qui soutenait le chef de Jacob ; et de fait si l’homme est le chef de la femme, le Christ à son tour est le chef de l’homme aa. Si le Sauveur ne dit pas que les Anges montaient au-dessus du Fils de l’homme et descendaient vers lui, c’est pour ne pas laisser croire qu’il fût seulement au ciel et seulement sur la terre. « Ils monteront et descendront vers le Fils de l’homme. » Car il est au ciel et c’est lui qui crie : « Saul, Saul. » Il est aussi sur la terre, et c’est pourquoi il ajoute« Pourquoi me persécutes-tu ab ? »

6. J’ai cité des expressions à prendre dans le sens propre : nous ressusciterons; des actes pris également à la lettre : Paul monta à Jérusalem pour y voir Pierre; des expressions figurées : la pierre réprouvée par les constructeurs; un acte figuratif aussi : l’onction de la pierre placée sous la tête de Jacob. Je dois maintenant, pour vous satisfaire, produire un trait qui soit en même temps littéral et figuré. Nous savons tous qu’Abraham eut deux fils, l’un de la servante, et l’autre de la femme libre voilà tout à la fois un évènement et un récit à entendre dans le sens propre. Mais qu’y a-t-il de figuré ? « Ce sont là les deux alliances ac. » Des expressions figurées sont donc des espèces de fictions. Mais comme elles finissent par avoir une signification, et une signification conforme à la vérité, on ne saurait les accuser de mensonge. Un semeur s’en alla semer, et pendant qu’il semait, la semence tomba une partie dans le chemin, une partie dans des endroits pierreux, une autre au milieu des épines, une autre enfin sur une bonne terre. Quel est ce semeur ? Quand s’en alla-t-il ? Quelles sont les épines ? Quelles sont les pierres ? Quel est le chemin ? Quel est le champ où il jeta sa semence ? Si tu vois ici une fiction, comprends assurément qu’elle signifie quelque chose. Or, c’est bien une fiction. Si d’ailleurs il s’agissait ici d’un semeur véritable qui eût répandu sa semence dans les différents endroits dont il vient d’être parlé, ce ne serait pas à la vérité une fiction, mais ce ne serait pas non plus un mensonge. Il y a ici fiction, mais il n’y a pas non plus de mensonge. Pourquoi ? Parce que c’est une fiction qui désigne quelque chose et qui ne trompe pas. Elle demande à être comprise, mais n’induit pas en erreur.

C’est ce qu’avait en vue le Christ lorsqu’il chercha des fruits sur le figuier ; c’était une fiction, mais une fiction figurative et non pas trompeuse, et conséquemment une fiction honnête et irrépréhensible ; une fiction qui ne jette point dans l’erreur si on l’examine, mais qui découvre la vérité lorsqu’on en approfondit le sens.

7. Je sais ce qu’on demandera encore : Explique-nous, dira quelqu’un, ce que voulait faire entendre le Sauveur, lorsqu’il feignit d’aller plus loin ; car s’il n’avait pas prétendu faire connaître quelque chose, c’eût été tromper et mentir. – Les principes et les règles qui nous guident avec tant d’exactitude serviront à vous faire comprendre ce que signifiait cette feinte, de vouloir aller plus loin.

Le Sauveur feint donc de vouloir aller plus loin et on le retient, on l’en empêche. N’est-il pas vrai qu’on le croyait absent de corps ? Or cette absence présumée était comme l’éloignement du Seigneur Jésus. Pour toi, retiens-le fidèlement, retiens-le au moment de la fraction du pain. Que dirai-je encore ? La connaissez-vous ? Si vous la connaissez, vous savez que le Christ est là. Mais il ne faut pas en dire davantage du sacrement redoutable. Ceux qui diffèrent de s’en instruire, laissent le Seigneur bien éloigné d’eux. Ah ! qu’ils l’apprennent au plus tôt et ne perdent pas le trésor ; qu’ils offrent l’hospitalité, et on les invite au ciel.

CHAPITRE LXIX. QUESTION CAPTIEUSE.

132. Saint Matthieu continue ainsi : « Or quand il fut dans le temple, les princes des prêtres et les anciens du peuple s’approchèrent de lui tandis qu’il enseignait, et dirent : Par quelle autorité faites-vous ces choses ? Et qui vous a donné ce pouvoir ? Jésus répondant leur dit : Je vous ferai, moi aussi, une demande ; si vous y répondez, je vous dirai par quelle autorité je fais ces choses. Le baptême de Jean, d’où était-il ? » etc ; jusqu’à ces mots : « Ni moi non plus je ne vous dirai par quelle autorité je fais ces choses ad. » Tout ceci est rapporté presque dans les mêmes termes en saint Marc et en saint Luc ae ; il n’y a dans leur récit que quelques légères différences. Comme je viens de le faire remarquer, saint Matthieu, en passant sous silence quelques faits du second jour, a tellement enchaîné son récit qu’on pourrait, si l’on n’y prenait garde, le croire encore à ce second jour, tandis que saint Marc est arrivé au troisième. Saint Luc semble ne pas distinguer les jours : il trace l’histoire des vendeurs et des acheteurs chassés du temple, mais il passe sous silence les différentes courses de la ville à Béthanie, et de Béthanie à la ville, le figuier maudit, l’étonnement des disciples et la réponse sur la puissance de la foi ; il dit seulement ceci : « Il enseignait tous les jours dans le temple Cependant, les princes des prêtres les Scribes et les principaux du peuple cherchaient à le perdre ; mais ils ne trouvaient pas que lui faire, parce que tout le peuple était ravi en l’écoutant. Or il arriva qu’un de ces jours-là, comme il enseignait le peuple dans le temple, et qu’il annonçait l’Évangile, les princes des prêtres et les Scribes y vinrent avec les anciens. Et ils lui adressèrent la parole en disant : Dites-nous par quelle autorité vous faites ces choses ? », etc. C’est ce que nous retrouvons dans les autres évangélistes. Évidemment il n’y a ici rien à reprendre dans l’ordre suivi, puisque si l’un affirme que le fait s’est passé un de ces jours-là », on peut le rapporter, au jour fixé par les deux autres qui rapportent le même événement.

CHAPITRE LXX. DEUX FILS ENVOYÉS PAR LEUR PÈRE À LA VIGNE. – VIGNE LOUÉE À D’AUTRES VIGNERONS.

133. Saint Matthieu continue ainsi : « Mais que vous en semble ? Un homme avait deux fils ; s’approchant du premier, il lui dit : Mon fils, va aujourd’hui travailler à ma vigne. Celui-ci, répondant, dit : Je ne veux pas. Mais après, touché de repentir, il y alla. S’approchant ensuite de l’autre, il dit de même. Et celui-ci répondant, dit : « J’y vais, Seigneur, et il n’y alla point », etc, jusqu’à ces paroles : « Celui qui tombera sur cette pierre se brisera ; et celui sur qui elle tombera, elle l’écrasera af. » Ni saint Marc, ni saint Luc ne parlent de ces deux fils qui reçurent l’ordre d’aller à la vigne, pour y travailler. Saint Matthieu fait ensuite l’histoire de la vigne louée à des vignerons, raconte les mauvais traitements qu’ils font subir aux serviteurs envoyés vers eux, et le meurtre du fils bien-aimé qu’ils jettent hors de la vigne. Le deux autres évangélistes mentionnent ces faits exactement dans le même ordre ag; c’est-à-dire, après que les Juifs, interrogés sur le baptême de Jean, furent réduits au silence et que Jésus leur eut dit : « Ni moi non plus je ne vous dirai point par quelle autorité je fais ces choses. »

134. Il n’y a donc ici aucune apparence de contradiction. Il est vrai qu’en saint Matthieu, après que le Seigneur eut fait cette question aux Juifs : « Lorsque le maître de la vigne viendra, « que fera-t-il à ces vignerons ? » ceux-ci lui répondirent aussitôt : « Il fera mourir misérablement ces misérables, et il louera la vigne à d’autres vignerons, qui lui en rendront le fruit en son temps. » Saint Marc, au contraire, ne met point cette réponse dans la bouche des Juifs ; c’est le Seigneur qui parle ainsi, comme se répondant à lui-même : « Que fera donc le maître de la vigne ? Il viendra, exterminera les vignerons, et donnera la vigne à d’autres. » Mais il faut admettre, ou bien que c’est leur réponse même qui a été insérée sans être précédée de ces mots : Ils dirent, ou : Ils répondirent ; ou bien encore que cette réponse est attribuée au Seigneur parce que les Juifs, disant la vérité, n’étaient que les interprètes de la Vérité même.

135. Mais il y a une difficulté plus sérieuse non-seulement saint Luc ne fait point ainsi répondre les Juifs, et comme saint Marc il attribue au Seigneur les paroles qui nous occupent, mais il leur prête une réponse tout à fait contraire et leur fait dire : « À Dieu ne plaise ! » Voici d’ailleurs son texte : « Que leur fera donc le maître de la vigne ? Il viendra et perdra ces vignerons, et donnera la vigne à d’autres. Ce qu’ayant entendu, ils lui dirent : À Dieu ne plaise ! Mais Jésus les regardant, dit : Qu’est-ce donc que ce qui est écrit : La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue un sommet d’angle ? » Comment ceux à qui s’adressent ces paroles peuvent-ils dire en saint Matthieu : « Il fera mourir misérablement ces misérables, et il louera sa vigne à d’autres vignerons, qui lui en rendront le fruit en son temps ; » tandis qu’en saint Luc ils contredisent ces mêmes paroles et disent : « À Dieu ne plaise ? » D’ailleurs ce qui suit, ce que dit le Seigneur de la pierre mise de côté par ceux qui bâtissent et devenue un sommet d’angle, est destinée à réfuter les ennemis de cette parabole ; aussi saint Matthieu suppose-t-il que le Seigneur avait affaire à des contradicteurs, lorsqu’il lui fait dire : « N’avez-vous jamais là dans les Écritures : La pierre rejetée par ceux qui bâtissaient est devenue un sommet d’angle ? » Car que signifient ces mots : « N’avez-vous jamais lu », si ce n’est que ces hommes avaient répondu le contraire de ce qu’il avait dit ? Saint Marc l’indique également en citant ainsi les mêmes paroles : « N’avez-vous pas lu dans l’Écriture : La pierre rejetée par ceux qui bâtissaient est devenue un sommet d’angle ? » Cette réflexion d’ans saint Luc vient plus naturellement au moment où ils ont réclamé en s’écriant : « À Dieu ne plaise ! » Elle équivaut en effet à ces expressions qu’on lit dans son texte : « Qu’est-ce donc que ce qui est écrit : La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue un sommet d’angle ? » Qu’on dise : « N’avez-vous jamais lu », ou bien : « N’avez-vous pas lu », ou encore : « Qu’est-ce donc que ce qui est écrit ? » c’est toujours la même pensée.

136. Nous devons donc reconnaître que dans la foule des auditeurs, quelques-uns répondirent, comme le rapporte saint Matthieu : « Il fera mourir misérablement ces misérables, et il louera sa vigne à d’autres vignerons ; » d’autres, le mot qu’on trouve en saint Luc : « À Dieu ne plaise ! » Quand donc les premiers eurent répondu au Seigneur, ces autres leur répliquèrent : « A Dieu ne plaise ! » Si saint Marc et saint Luc mettent dans la bouche du Seigneur la réponse de ceux à qui on répliqua : « À Dieu ne plaise ! » c’est que, comme je l’ai déjà dit, la Vérité même parlait par eux ; soit à leur insu, s’ils étaient mauvais, comme Caïphe qui prophétisa sans le savoir, lorsqu’il était grand-prêtre ah ; soit à bon escient, s’ils comprenaient et avaient la foi. Car parmi eux se trouvait aussi la multitude qui avait accompli cette prédiction du prophète, en venant avec grande pompe à la rencontre du Fils de Dieu, et en criant : « Hosanna au fils de David. »

137. Voici une autre circonstance qui ne doit soulever aucune difficulté. D’après saint Matthieu, les princes des prêtres et les anciens du peuple s’approchèrent du Seigneur et lui demandèrent au nom de qui il agissait, et qui lui avait donné ce pouvoir ; il leur demanda à son tour d’où était le baptême de Jean, du ciel ou des hommes ; et comme ils lui dirent qu’ils ne le savaient pas, il répondit : « Ni moi non plus je ne vous dirai par quelle autorité je fais ces choses. » Immédiatement il ajoute : « Que vous en semble ? Un homme avait deux fils, », etc. Le récit de saint Matthieu continue ainsi sans changer ni les interlocuteurs, ni le lieu de la scène, jusqu’au moment où il est question de la vigne louée aux vignerons. Or, on pourrait en conclure que tout ceci a été dit aux princes des prêtres et aux anciens du peuple qui l’avaient questionné sur sa puissance. Cependant s’ils venaient vers lui comme des ennemis pour le tenter, comment les compter parmi ceux qui avaient cru et rendu au Seigneur le témoignage prédit par le prophète ; parmi, ceux aussi qui avaient pu répondre, non par ignorance, mais avec la lumière de la foi : « Il perdra misérablement ces misérables, et il louera sa vigne à d’autres vignerons ? » Tout ceci, dis-je, ne doit nullement nous embarrasser, ni nous faire supposer que dans cette foule qui écoutait les paraboles du Seigneur, il n’y ait eu personne pour croire en lui. En effet, saint Matthieu pour abréger a omis ce que nous trouvons dans saint Luc, savoir, que cette parabole s’adressait non-seulement à ceux qui l’avaient questionné sur sa puissance, mais encore à tout le peuple. Voici comment s’exprime ce dernier : « Alors il se mit à dire au peuple cette parabole : Un homme planta une vigne, », etc. Il faut donc croire que parmi ce peuple il y en avait pour l’écouter, comme il y en avait eu pour dire auparavant : « Béni celui qui vient au nom du Seigneur ; » et que ce furent eux ou quelques-uns d’entre eux qui répondirent : « Il perdra misérablement ces misérables, et il louera sa vigne à d’autres vignerons. »

Si saint Marc et saint Luc attribuent cette réponse au Seigneur, ce n’est pas seulement parce qu’étant la Vérité même, il parle quelquefois par la bouche des méchants qui l’ignorent, lorsqu’il dispose secrètement leur esprit sans que leur vertu l’ait mérité, et par un effet de sa Toute-Puissance : mais encore, parce qu’il pouvait y avoir là des hommes en état d’être considérés déjà comme les membres de son corps. À ce titre leurs paroles étaient les siennes. D’ailleurs, il avait déjà baptisé un plus grand nombre d’hommes que Jean ai ; des disciples le suivaient en foule, comme l’attestent souvent les évangélistes ; parmi eux se trouvaient les cinq cents frères à qui il apparut après sa résurrection, d’après le témoignage de l’Apôtre saint Paul aj. Ajoutons à l’appui de ceci qu’en saint Matthieu ces paroles : Aiunt illi, ne doivent pas s’entendre comme si illiétait au pluriel, pour indiquer que c’était la réponse de ceux qui l’avaient questionné sur sa puissance. Mais dans: Aiunt illi, illi est au singulier ; ce qui signifie : « On lui répond ; » on répond au Seigneur ; les manuscrits grecs ne laissent là-dessus aucun doute.

139. Il y a dans l’évangéliste saint Jean un discours du Seigneur qui aidera à saisir ma pensée ; le voici : « Jésus disait donc à ceux des Juifs qui croyaient en lui : Pour vous, si vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples ; et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. Ils lui répondirent : Nous sommes la race d’Abraham, et nous n’avons jamais été esclaves de personne : comment dis-tu, toi : Vous serez libres ? Jésus leur répartit : En vérité, en vérité je vous le dis, quiconque commet le péché est esclave du péché. Or, l’esclave ne demeure point toujours dans la maison, mais le fils y demeure toujours. Si donc le Fils vous met en liberté, vous serez vraiment libres. Je sais que vous êtes fils d’Abraham ; mais vous cherchez à me faire mourir, parce que ma parole ne prend point en vous ak. » Assurément il n’adressait point ces mots : « Vous cherchez à me faire mourir », à ceux qui déjà croyaient en lui, et à qui il venait de dire : « Pour vous, si vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples. » C’était aux premiers croyants qu’il disait ceci ; mais parmi la foule qui était là, il y avait aussi beaucoup d’ennemis, et quoique l’évangéliste ne désigne point les différents interlocuteurs, on voit assez par le caractère de ce qu’ils disent, et par la réplique de Jésus, à quel genre de personnes il faut attribuer chacune de ces réponses. Or, de même que dans cette foule dont parle saint Jean, il y en avait qui croyaient en Jésus, d’autres qui cherchaient à le faire mourir ; ainsi dans celle dont il est ici question, les uns demandaient malicieusement au Seigneur au nom de qui il agissait ainsi ; il y en avait aussi qui s’étaient écriés, non pas avec hypocrisie, mais avec toute la sincérité de leur foi : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur », et qui conséquemment animés du même esprit pouvaient dire encore « Il les perdra, et donnera sa vigne à d’autres. » On peut ajouter que cette réponse est du Seigneur, soit parce qu’il est lui-même la vérité qu’elle exprime, soit à cause de l’union des membres avec leur chef. Il y en avait enfin qui disaient à ces derniers : « À Dieu ne plaise ! » parce qu’ils sentaient que cette parabole était à leur adresse.

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