eJn 11, 66
Matthew 26
CHAPITRE LXXVIII. JÉSUS ARRIVE À BÉTHANIE.
152. Saint Matthieu continue : « Or il arriva que Jésus, ayant achevé tous ces discours, « dit à ses disciples : Vous savez que la Pâque se fera dans deux jours et que le Fils de l’homme sera livré pour être crucifié. a » Saint Marc et saint Luc se trouvent ici d’accord avec lui, et suivent exactement la même marche b. Toutefois ils ne mettent point ces paroles dans la bouche du Seigneur ; au lieu de les citer, ils parlent d’eux-mêmes. « Or c’était la Pâque, dit saint Marc, et les azymes deux jours après. » Et saint Luc : « Cependant approchait la fête des azymes qu’on appelle la Pâque. » Elle approchait, puisque c’était deux jours après, comme le disent clairement les deux autres. Saint Jean à trois reprises différentes nous annonce que cette fête est proche : deux fois précédemment, en mentionnant d’autres faits ; la troisième fois son récit parait être arrivé à l’époque où nous ont conduits les trois autres Évangélistes, c’est-à-dire aux approches de la passion de notre Seigneur c. Les moins attentifs pourraient voir ici une contradiction ; car saint Matthieu et saint Marc, ayant dit que la Pâque était deux jours après, font arriver Jésus à Béthanie, où ils parlent d’un parfum précieux : saint Jean dit au contraire que six jours avant la Pâque Jésus vint à Béthanie, puis il parle du même parfum d. Comment donc, d’après les premiers, la Pâque pouvait-elle arriver deux jours après, puisqu’après l’avoir affirmé, ils se retrouvent avec saint Jean à Béthanie pour l’histoire du parfum, et que d’après ce dernier la fête devait seulement arriver dans six jours ? Nous ne ferons qu’une observation à ceux que cette difficulté pourrait arrêter. Saint Matthieu et saint Marc parlent du parfum de Béthanie, comme d’une chose passée ; elle n’a point eu lieu après qu’ils ont annoncé que la Pâque arrivait dans deux jours, mais auparavant, lorsqu’il y avait encore six jours d’intervalle jusqu’à cette fête. Car ni l’un ni l’autre, après avoir annoncé la Pâque dans deux jours, ne donne comme la suite de ce qu’il vient de rapporter les événements de Béthanie. Ils ne disent point : Après cela, lorsqu’il était à Béthanie. On lit, il est vrai, dans saint Matthieu Comme Jésus était à Béthanie ; n et en saint Marc : « Comme il était à Béthanie. » Mais il y était déjà avant les événements qui précédèrent de deux jours la fête de Pâque. D’après le récit de saint Jean, Jésus arriva donc à Béthanie six jours avant la Pâque. Là eut lieu le festin, où il est question du parfum précieux. Il se rendit ensuite à Jérusalem, monté sur un ânon ; puis vient le récit des événements accomplis après son arrivée en cette ville. Par conséquent, depuis le jour où il arrive à Béthanie et où il est question du parfum, jusqu’à celui où s’accomplissent les événements qui nous occupent, nous voyons, sans que les évangélistes nous le disent, qu’il s’écoule un intervalle de quatre jours alors nous arrivons au moment où ils écrivent que la Pâque arrive dans deux jours. Saint Luc, en disant ;: « Cependant la fête des azymes approchait » ne mentionne pas l’intervalle de deux jours, mais ses paroles touchant la proximité de la fête, ne peuvent s’entendre que de ce court intervalle. Quant à saint Jean, lorsqu’il écrit que, la Pâque des Juifs était proche e, il n’est point question de ces deux jours, mais bien de six jours avant la fête Aussi, après ces mots, il rapporte quelques événements ; puis voulant fixer avec plus de précision cette proximité de la fête de Pâque, il ajoute : « Jésus donc, six jours avant la Pâque, vint à Béthanie, où était mort Lazare, que Jésus avait ressuscité. On lui prépara là un souper f. » C’est cette dernière circonstance que saint Matthieu et saint Marc rappellent en passant, après avoir dit que la fête de Pâque arrivait dans deux jours. De cette manière, ils reviennent au moment où l’on était à Béthanie six jours avant cette fête, et rappellent en peu de mots le festin et le parfum mentionnés en saint Jean. De là Jésus devait venir à Jérusalem accomplir ce qui est ensuite raconté, puis arrivait le second jour avant la Pâque. C’est en ce jour qu’ils suspendent leur récit, pour dire brièvement ce qui s’est passé à Béthanie à l’occasion du parfum. Cela fait, ils reprennent le cours un instant interrompu de leur narration, et relatent le discours que prononça le Seigneur deux jours avant la fête de Pâque. En effet, supprimons un instant les événements de Béthanie, rapportés comme en passant et rétablissons la suite du récit un moment suspendu ; voici comment tout s’enchaîne dans saint Matthieu : « Vous savez que la Pâque se fera dans deux jours et que le Fils de l’homme sera livré pour être crucifié. Alors les princes des prêtres et les anciens du peuple s’assemblèrent dans la salle du grand-prêtre appelé Caïphe, et tinrent conseil pour se saisir de Jésus par ruse, et le faire mourir. Mais ils disaient que ce ne fût pas au jour de la fête, « de peur qu’il ne s’élevât du tumulte parmi le peuple. Alors un des douze, appelé Judas Iscariote, alla vers les princes des prêtres », etc. Entre ces mots : « De peur qu’il ne s’élevât du tumulte parmi le peuple », et les autres : « Alors un des douze, appelé Judas Iscariote, s’en alla », se trouvent rappelés, en passant, les faits accomplis à Béthanie ; nous les avons supprimés dans ce nouveau récit, afin de prouver que la suite des événements ne présente rien de contradictoire. Si nous supprimons également dans saint Marc le même festin de Béthanie, qu’il reprend aussi de plus haut, nous aurons les faits dans le même ordre : « Or, c’était la Pâque et les azymes deux jours après, et les princes des prêtres et les Scribes cherchaient comment ils se saisiraient de lui par ruse et le feraient mourir. Mais ils disaient que ce ne fût pas au jour de la fête, de peur qu’il ne s’élevât quelque tumulte parmi le peuple… Alors Judas Iscariote, un des douze, alla trouver les princes des prêtres g, », etc. Et, après ces paroles : « De peur qu’il ne s’élevât quelque tumulte parmi le peuple », que nous faisons suivre de ces autres : « Alors Judas Iscariote, un des douze », se trouve également intercalée l’histoire de Béthanie, reprise de plus haut. Saint Luc ne dit rien de Béthanie. Nous avons donné ces explications, parce que saint Jean, en racontant ce qui s’est passé à Béthanie, dit que ce fut six jours avant la Pâque ; tandis que saint Matthieu et saint Marc, après avoir rapporté qu’on était au second jour avant la fête, rappellent cette histoire de Béthanie mentionnée en saint Jean.CHAPITRE LXXIX. FESTIN DE BÉTHANIE.
154. Saint Matthieu continue ainsi le passage déjà cité à la fin de l’examen que nous venons de faire : « Alors les princes des prêtres et les anciens du peuple s’assemblèrent dans la salle du grand-prêtre appelé Caïphe, et tinrent conseil pour se saisir de Jésus par ruse et le faire mourir. Mais ils disaient que ce ne fût pas au jour de la fête, de peur qu’il ne s’élevât du tumulte parmi le peuple. Or, comme Jésus était à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux, vint auprès de lui une femme ayant un vase d’albâtre plein d’un parfum de grand prix, et elle le répandit sur sa tête lorsqu’il était à table », etc, jusqu’à ces mots : « On dira même, en mémoire d’elle, ce qu’elle vient de faire h. » Examinons maintenant l’histoire de cette femme qui vint à Béthanie, avec son parfum d’un grand prix. Saint Luc raconte un fait semblable ; c’est le même nom donné à celui chez qui vint manger le Seigneur, il l’appelle Simon. Mais s’il n’est point impossible ni contraire à l’usage que le même homme porte deux noms à la fois, il est moins étonnant encore que le même nom soit donné à deux hommes différents. Aussi me paraît-il plus probable que Simon, dont parle saint Luc, n’est point le même que le lépreux chez qui eut lieu la scène de Béthanie. En effet, saint Luc ne dit nullement que ce qu’il raconte se passait en cette localité, et quoiqu’il ne désigne aucune autre ville, ni aucun autre bourg, son récit lui-même semble indiquer un endroit différent. C’est tout ce que je veux démontrer. Mais il ne faudrait pas voir une autre femme dans cette pécheresse qui vint aux pieds de Jésus, les baisa, les arrosa de ses larmes, les essuya avec ses cheveux, et y répandit son parfum, alors que le Seigneur, par la parabole des deux débiteurs, déclara que beaucoup de péchés lui avaient été remis, parce qu’elle avait beaucoup aimé. La même femme, Marie, répandit deux fois des parfums ; la première fois, lorsque, comme saint Luc le raconte, son humilité et ses larmes lui méritèrent le pardon de ses péchés i. Saint Jean ne rapporte point, comme saint Luc, les circonstances de ce fait, mais il fait connaître également que cette femme était Marie. En commençant l’histoire de la résurrection de Lazare, et avant de nous faire arriver à Béthanie ; il s’exprime ainsi : « Or, il y avait un certain malade ; Lazare de Béthanie, du bourg où demeuraient Marie et Marthe sa sœur. Marie était celle qui oignit le Seigneur de parfums, et lui essuya les pieds avec ses cheveux ; or, Lazare, alors malade, était son frère j. » Saint Jean confirme ainsi le récit de saint Luc, qui place le fait dans la maison d’un Pharisien nommé Simon. Ainsi donc Marie avait déjà répandu des parfums ; elle en répandit de nouveau à Béthanie, et il n’y a rien de commun entre le récit de saint Luc et ce qui est ensuite raconté par les trois autres évangélistes, saint Jean, saint Matthieu et saint Marc k. 155. Examinons donc s’il règne un accord parfait entre ces trois différents récits de saint Matthieu, de saint Marc et de saint Jean ; car c’est bien le même fait, qui eut lieu à Béthanie, où le : disciples, d’après les trois évangélistes, murmurèrent contre cette femme de ce qu’elle prodiguait inutilement un parfum d’un si grand prix. Saint Matthieu et saint Marc font répandre ce parfum sur la tête du Seigneur, saint Jean sur ses pieds ; mais une telle différence n’implique aucune contradiction, comme déjà nous l’avons démontré au sujet des cinq pains dont fut nourrie la multitude. De ce que dans l’un il est dit qu’on s’assit par groupes de cinquante et de cent, et dans l’autre par groupes de cinquante, les deux passages ne peuvent se contredire. L’un aurait dit qu’ils étaient par centaines, et l’autre par cinquantaines, qu’il eût encore fallu en` conclure qu’on avait formé ces deux sortes de groupes. Ce fait nous apprend, comme je l’ai fait observer alors, que si les évangélistes racontent, celui-ci un fait, celui-là un autre, nous devons en conclure que les deux faits ont eu lieu ▼▼Ci-dessus 46, 98
. Disons donc aussi que cette femme répandit son parfum, non seulement sur la tête du Seigneur, mais encore sur ses pieds. Il est vrai que d’après saint Marc elle brisa son vase pour oindre la tête : voudra-t-on, pour ce motif, pousser l’absurdité jusqu’à nier que dans un vase brisé il puisse rester assez de parfum pour oindre les pieds ? Si pourtant un soutenait, afin de mettre en défaut le récit évangélique, que le vase fut tellement brisé, qu’il n’en resta rien ; un autre ne montrerait-il pas plus de logique, et plus de vraie piété, en soutenant, pour appuyer la véracité des Évangiles, qu’après que le vase fut brisé tout ne fut pas immédiatement répandu ? Enfin, si l’on s’opiniâtrait dans cette lutte aveugle et de mauvaise foi, et qu’on voulût en brisant le vase, briser l’accord des évangélistes, je répondrais L’onction des pieds eut lieu avant que le vase fut brisé, et il était encore intact, quand on répandit le parfum sur la tête ; alors seulement le vase fut, brisé, et tout fut entièrement répandu. Sans doute il est dans l’ordre de commencer par la tête ; mais c’est agir également avec ordre de monter des pieds à la tête. 156. Le reste de l’histoire ne peut soulever aucune difficulté. D’après les autres évangélistes, ce sont les disciples qui se plaignent de voir ainsi répandu un parfum d’aussi grand prix, tandis que saint Jean attribue cette plainte à Judas, parce qu’il était voleur. Or, il est évident, selon moi, que Judas se trouve désigné par ce nom de disciples au pluriel. C’est une manière de parler que nous avons déjà signalée dans l’histoire des cinq pains au sujet de l’apôtre Philippe, où le pluriel est employé pour le singulier ▼▼Ci-dessus n. 96.
. On pourrait croire aussi que les autres Apôtres ont pensé ou parlé comme lui, ou bien encore se sont laissé persuader par Judas, et qu’ainsi saint Matthieu et saint Marc ont pu mettre cette réflexion dans la bouche de tous, comme l’expression de leur conviction ; que Judas a parlé parce qu’il était voleur, et les autres, par compassion pour les pauvres, et que saint Jean, en ne désignant que celui-là, a voulu faire connaître à cette occasion sa funeste habitude de dérober. CHAPITRE LXXX. DISCIPLES ENVOYÉS POUR PRÉPARER LA PÂQUE.
157. Saint Matthieu continue : « Alors un des douze, appelé Judas Iscariote, alla vers les princes des prêtres ; et il leur dit : Que voulez-vous me donner, et je vous le livrerai ? Et ceux-ci lui assurèrent trente pièces d’argent », etc, jusqu’à ces mots : « Et les disciples firent comme Jésus leur commanda, et ils préparèrent la Pâque n. » Rien dans ce passage ne paraît contredire le récit de saint Marc ni celui de saint Luc, qui contiennent tous deux le même fait o. Quand saint Matthieu dit : « Allez dans la ville, « chez un tel, et dites-lui : Le Maître dit : Mon temps est proche ; je veux faire chez toi la Pâque avec mes disciples », il désigne évidemment celui que saint Marc et saint Luc appellent le père de famille, le maître de la maison dans laquelle on leur montra une salle pour y préparer la Pâque. Si donc saint Matthieu dit : « chez un tel », c’est évidemment une expression qu’il emploie de lui-même pour abréger le récit. Car s’il eût fait ainsi parler le Seigneur : Allez à la ville, et dites-lui : Mon temps est proche, je veux faire la Pâque chez toi ; on aurait certainement pu croire que ceci s’adressait à la ville même. Il ne prête donc point cette parole au Seigneur, en rapportant ses ordres, mais il dit de lui-même que le Seigneur ordonna l’aller vers un tel. Cette expression lui paraît suffisante pour faire connaître ce que Jésus commanda, sans répéter toutes ses paroles. En effet, on ne dit jamais réellement : Allez vers un tel ; qui pourrait le contester ? Si le Seigneur eût dit : Allez vers le premier venu, vers qui vous voudrez, ces mots auraient exprimé par eux-mêmes une idée complète, mais ils ne désignaient point vers qui il les envoyait ; tandis que saint Marc et saint Luc font parfaitement connaître cet homme sans désigner son nom. Car le Seigneur savait bien vers qui il les envoyait ; et afin qu’ils le pussent trouver eux-mêmes, il leur indique à quel signe ils le reconnaîtront. C’est un homme portant une cruche ou une amphore remplie d’eau : c’est lui qu’ils doivent suivre jusqu’à la maison qu’il veut occuper : On ne pouvait donc pas dire ici : Allez vers le premier venu : le sens de la phrase eût été complet, mais la pensée ainsi exprimée n’était plus vraie ; et en disant : Allez vers un tel, n’était-ce pas se servir d’une expression encore plus vague et moins admissible ? Évidemment les disciples ne furent point envoyés vers le premier venu, mais vers tel homme, c’est-à-dire, vers un homme qui leur fut clairement désigné. L’Évangéliste pouvait donc, sans citer textuellement, faire ainsi connaître et en son nom, ce qui avait été dit : Il les envoya vers un tel, pour lui dire : Je veux faire la Pâque chez toi. Il eût pu aussi écrire : Il les envoya vers un tel, en disant : Allez et dites-lui : Je veux faire la Pâque chez toi. Il fait donc parler le Sauveur, il cite ses paroles : « Allez dans la ville », puis il ajoute : « vers un tel ; » non pas que le Seigneur ait dit ce mot, mais l’évangéliste nous fait entendre, par là, qu’il y avait dans la ville un homme dont il ne cite point le nom, vers qui furent envoyés les disciples du Seigneur, afin de préparer la Pâque. L’auteur écrit donc ici deux mots de lui-même, puis il reprend la suite des paroles du Seigneur : « Et dites-lui : Le Maître dit. » Si quelqu’un voulait savoir à qui, on pourrait lui répondre : À un homme vers qui l’évangéliste indique clairement qu’ils furent envoyés, quand il dit : « Vers un tel. » Cette manière de parler est peu usitée ; mais elle a ici un sens complet : Peut-être la langue hébraïque, dans laquelle on prétend qu’écrivit saint Matthieu, permet-elle de mettre toutes ces expressions dans la bouche du Seigneur, sans violer les règles : ceux qui connaissent cette langue, peuvent s’en rendre compte. On eût encore pu s’exprimer ainsi en latin : Allez dans la ville, vers celui que vous désignera un homme venant à vous portant une cruche d’eau : car un ordre semblable pourrait s’exécuter sans embarras. Si l’on disait également : Allez dans la ville, vers tel homme, qui demeure à tel ou tel endroit, dans cette maison, ou dans une autre, la désignation du lieu ou de la maison ferait comprendre ces paroles ; on pourrait faire ce qu’elles expriment. Mais si on ne donnait pas ces signes distinctifs, ou d’autres semblables, et qu’on dît : Allez vers un tel, et dites-lui ; on ne pourrait être compris ; car on voudrait, par ces mots : vers un tel, désigner quelqu’un en particulier sans rien exprimer qui le distingue. Si donc nous regardons cette expression comme venant de l’évangéliste lui-même, elle pourra paraître un peu obscure, en énonçant plus brièvement la pensée ; mais elle renfermera un sens complet. Si saint Marc appelle lagène ce que saint Luc nomme amphore, l’un indique l’espèce de vase, l’autre la manière de le porter ; mais tous deux rendent exactement le fond de la pensée. 158. Saint Matthieu continue : « Le soir donc étant venu, il était à table avec ses douze disciples, et pendant qu’ils mangeaient, il dit : En vérité, je vous déclare qu’un de vous doit me trahir. Alors grandement contristés, ils commencèrent à lui demander chacun en particulier : Est-ce moi, Seigneur ? » etc, jusqu’à ces mots : « Mais prenant la parole, Judas, qui le trahit, dit : Est-ce moi, Maître ? Il lui répondit Tu l’as dit p. » Si nous voulons examiner ce passage, nous n’y rencontrerons aucune difficulté, non plus que dans les trois autres évangélistes qui rapportent le même fait q.LIVRE TROISIÈME. De la Cène à l’Ascension.
PROLOGUE.
1. Dans cette dernière partie du récit des évangélistes, nous devons trouver, comme précédemment, l’accord le plus parfait, sauf certaines divergences qui consistent uniquement dans le silence gardé par tel auteur sur un événement ou une parole relatés par les autres. Afin de mieux faire ressortir cet accord ; il m’a paru plus naturel et plus simple de fondre ces quatre narrés en un seul, où seront coordonnés les témoignages de chaque évangéliste. De cette manière on jutera mieux de l’ensemble et de l’harmonie générale.CHAPITRE PREMIER. LA CÈNE ET LE TRAÎTRE DÉVOILÉ.
2. Voici d’abord les paroles de Saint Mathieu : « Pendant qu’ils mangeaient, Jésus prit du pain, le bénit, le rompit, le donna à ses disciples et dit : Prenez et mangez ; ceci est mon corps r. » Saint Marc et Saint Luc s’expriment de la même manière s. Il est à remarquer cependant que saint Luc parle deux fois du calice ; la première avant que le Sauveur donnât le pain, et la seconde après. La première fois qu’il en parle, c’est en intervertissant l’ordre, ce qui arrive fréquemment ; la seconde fois, c’est en rapportant au moment où elles ont été prononcées les paroles qu’il n’avait point relatées d’abord ; ces deux citations réunies présentent le même sens que chez les autres évangélistes. Saint Jean garde ici le silence le plus absolu sur le corps elle sang du Seigneur ; mais il avait rapporté au long les paroles du Sauveur sur le même sujet, dans un autre endroit de son Évangile t. Quand donc Il a raconté ici que le Seigneur s’est levé de table et a lavé les pieds à ses disciples ; quand il a même formulé la raison de ce profond abaissement de son maître, sans oublier les passages de l’Écriture qui annonçaient la trahison de Judas, il arrive à cette circonstance, insinuée seulement par les trois autres évangélistes : « Jésus, dit-il, ayant ainsi parlé, fut troublé dans sors esprit, manifesta complètement sa pensée et dit : En vérité, je vous l’affirme, l’un d’entre vous me trahira. Or, « ajoute saint Jean, les apôtres se regardaient les uns les autres, ne sachant de qui Jésus parlait u. » Ou bien, comme le rapportent saint Matthieu et saint Marc : « Ils furent plongés dans la consternation et se mirent à dire les uns après les autres : Est-ce que c’est moi ? Jésus », continue saint Matthieu, « leur répondit : Celui qui met avec moi la main dans le plat, celui-là me trahira : » Le même évangéliste ajoute : « Pour ce qui est du Fils de l’homme, il s’en va, selon ce qui a été écrit de lui ; mais malheur à l’homme par qui le Fils de l’homme sera trahi il eût été mieux pour lui de n’être pas né. » Saint Marc présente ici avec saint Mathieu une similitude parfaite. Ce dernier ajoute : « Là-dessus Judas, qui fut celui qui le trahit, s’écria : Maître, est-ce que c’est moi ? C’est toi qui l’as dit, lui répondit Jésus. » Mais ces dernières paroles ne révélaient pas clairement que Judas fut le traître. En effet, ne pouvait-on pas les interpréter comme si le Sauveur avait répondu : Je n’ai pas dit cela ? Du reste il est permis de supposer que les autres Apôtres restèrent étrangers à cet échange de paroles, entre le Seigneur et Judas. 3. C’est après cela que saint Matthieu, comme saint Marc et saint Luc, nous montre Jésus donnant à ses disciples son corps et son sang. À peine le Sauveur avait-il présenté le calice, qu’il parla de nouveau du traître qui devait le livrer ; saint Luc s’exprime ainsi : « Voici que la main de celui qui me trahit est avec moi sur cette table. « Quant au Fils de l’homme, il s’en va, ainsi que cela a été décidé ; mais malheur à l’homme par qui il sera livré ! » Il faut observer que ces paroles furent suivies de celles que saint Jean rapporte et qui sont omises par les autres évangélistes. De son côté, saint Jean en omet quelques-unes qui nous sont rapportées par eux. Lors donc qu’après avoir donné le calice le Seigneur eut dit, comme le rapporte saint Luc Cependant voici que la main de celui qui me trahit est avec moi sur cette table, etc », il faut ajouter immédiatement ces paroles de saint Jean : « Cependant un des disciples était penché sur le sein de Jésus ; c’était celui que Jésus aimait. Simon Pierre lui fit signe et lui dit : De qui veut-il donc parler ? Ce disciple, étant penché sur le sein de Jésus, lui dit : Seigneur, qui est-ce ? Jésus lui répondit : C’est celui à qui je présenterai le pain que j’aurai trempé. Et quand il eut trempé le pain, il le donna à Judas, fils de Simon Iscarioth. Et après qu’il eut pris une bouchée, Satan entra en lui. » 4. Il semble que ces dernières paroles sont en contradiction avec celles de saint Luc, qui nous dit, que Satan entra dans le cœur de Judas, quand il conclut son pacte avec les Juifs et s’engagea à leur livrer son maître pour de l’argent, Il y a plus, car dans ces mêmes paroles saint Jean semble se mettre en contradiction avec lui-même. En effet, quelques versets plus haut, avant que Judas eut pris ce pain qui lui était présenté, saint Jean avait déjà dit de lui : « Et le repas étant fini, quand déjà le démon s’était emparé du cœur de Judas pour le porter à livrer son maître. » Comment, en effet, le démon entre-t-il dans le cœur des méchants, si ce n’est en les remplissant de desseins et de pensées criminelles ? Pour concilier ces deux passages, il suffit de dire que cette seconde fois Judas fut complètement possédé du démon. N’est-il pas vrai, de même que, après avoir reçu le Saint-Esprit à la suite de la résurrection, quand le Sauveur souffla sur eux en leur disant : « Recevez le Saint-Esprit v », les Apôtres plus tard le reçurent de nouveau le jour de la Pentecôte, dans toute sa plénitude ? Donc après le repas, Satan entre en Judas et, suivant le texte de saint Jean, Jésus lui dit : « Ce que tu fais ; fais-le au plus tôt, : Mais aucun de ceux qui étaient à table ne comprit pourquoi il lui avait ainsi parlé. Parce que Judas portait la bourse, quelques-uns pensèrent que par ces paroles Jésus avait voulu lui dire : Achète ce dont nous avons besoin pour le jour de la fête, ou bien qu’il lui commandait de distribuer quelque chose aux pauvres. Pour Judas, il sortit aussitôt qu’il eut pris ce morceau, mais alors il faisait nuit. Et quand il fut sorti, Jésus leur dit : Voici que le Fils de l’homme va être glorifié et Dieu a été glorifié en lui. Et si Dieu a été glorifié en lui, Dieu le glorifiera aussi en lui-même, et c’est de suite qu’il va le glorifier. »CHAPITRE II. PRÉDICTION DU RENIEMENT DE SAINT PIERRE.
5. « Mes chers petits enfants, je ne suis plus que pour peu de temps avec vous. Vous me chercherez ; et comme je l’ai dit aux Juifs, vous ne pouvez venir où je vais. Je vous fais un commandement nouveau, c’est que vous vous aimiez réciproquement, et qu’ainsi que je vous ai aimés, vous vous aimiez les uns les autres. Simon Pierre lui dit : Seigneur, où allez-vous ? Jésus lui répondit : Là où je vais, tu ne peux venir maintenant, mais tu y viendras plus tard. Pierre ajouta : Pourquoi ne pourrais-je vous suivre maintenant ? je donnerai ma vie pour vous. Jésus lui répondit : Tu donneras ta vie pour moi ? En vérité, en vérité je te le dis, le coq n’aura pas encore chanté que tu m’auras renié trois fois w. » Cette prédiction du reniement de saint Pierre, formulée par saint Jean dans les termes que je viens de rapporter, est aussi mentionnée par les trois autres évangélistes x. Il faut reconnaître, cependant, que dans tous ces auteurs, cette prédiction n’est pas faite dans la même circonstance. Ainsi, saint Matthieu et saint Marc qui se suivent ici absolument, ne font mention de cette prophétie que quand le Sauveur fut sorti du cénacle même. Mais on peut facilement tout concilier en supposant que saint Matthieu et saint Marc ne font que récapituler ce qui s’était dit précédemment. Ne pourrait-on pas supposer aussi, en voyant les protestations de Pierre précédées de paroles et de réflexions si diverses faites par le Sauveur, que frappé des prédictions de son maître, Pierre lui attesta, par trois fois différentes, qu’il était disposé à donner sa vie pour lui ou avec lui, et qu’à chacune de ses attestations présomptueuses, le Sauveur lui répondit, qu’avant le chant du coq il aurait trois fois renié son maître ? 6. En effet tout porte à croire que dans trois moments différents, quoique peu séparés, Pierre fut victime de la présomption comme il devait par trois fois différentes, renier Jésus-Christ, et que, trois fois il reçut du Seigneur une réponse pareille ; comme après la résurrection il s’entendit demander par trois fois s’il aimait, et par trois fois, sans qu’aucune autre parole fut échangée, il reçut l’ordre de paître les agneaux et les brebis y. Dans cette interprétation, on s’explique parfaitement l’espèce de variété que l’on remarque dans les récits évangéliques, au sujet des paroles de saint Pierre et de celles du Sauveur, paroles citées assez diversement et dans des circonstances différentes. Rappelons-nous la suite du récit, tel que nous le trouvons en saint Jean : « Mes chers petits enfants, je ne suis plus que pour peu de temps avec vous. Vous me chercherez ; et comme j’ai déjà dit aux Juifs : vous ne pourrez venir où je vais, je vous le dis maintenant à vous-mêmes. Je vous fais un commandement nouveau, c’est que vous vous aimiez réciproquement, et qu’ainsi que je vous ai aimés, vous vous aimiez les uns les autres. Chacun pourra reconnaître que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres. Simon Pierre lui dit : Seigneur, où allez-vous ? » Rien de si naturel que ce mouvement qui pousse saint Pierre à demander : « Seigneur, où allez-vous ? » puisqu’il venait d’entendre ces mots : « Où je vais, vous ne pouvez pas venir vous-mêmes. » Jésus lui répondit : « Là où je vais, tu ne peux me suivre maintenant, mais tu me suivras plus tard. » Et Pierre de répliquer : « Pourquoi ne pourrais-je pas vous suivre maintenant ? je donnerai ma vie pour vous. » À cette présomption, le Sauveur répond en lui prédisant son – renoncement. Quant à saint Luc, il rappelle d’abord ces paroles de Jésus-Christ : « Simon, voici que Satan vous à convoités pour vous cribler, comme on crible le froment. Mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Lors donc que tu seras revenu, confirme tes frères. » Puis, il ajoute que saint Pierre répondit : « Seigneur, je suis prêt à aller avec vous et en prison et à la mort. Jésus lui dit : Je t’affirme, Pierre, qu’avant que le coq ait chanté aujourd’hui, tu me renieras trois fois. » On voit que ce qui a provoqué la présomption de Pierre, est bien différent dans le récit de saint Jean et dans celui de saint Luc. Voici maintenant le texte de saint Matthieu : « Et l’hymne étant achevée, ils se rendirent à la montagne des Oliviers. Alors Jésus leur dit : Cette nuit, vous serez tous scandalisés à mon sujet, car il est écrit : Je frapperai le pasteur et les brebis du troupeau seront dispersées. Mais lorsque je serai ressuscité, je vous précéderai en Galilée. » C’est à peu près le texte de saint Marc. Or quelle ressemblance trouver entre ce texte et le langage présomptueux de Pierre dans saint Jean ou dans saint Luc ? Saint Matthieu continue : « Et Pierre répondit : Lors même que tous seraient scandalisés à votre sujet, pour moi, je ne le serai jamais. Jésus lui répliqua : Je te dis, en vérité, que dans cette nuit même, avant que le coq chante, tu me renieras trois fois. Pierre lui répondit : Quand il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renierai pas. Les autres disciples en dirent autant. » 7. Saint Marc se sert à peu près des mêmes expressions, mais avec plus de précision encore sur la manière dont les choses devront se passer : « En vérité je te déclare, dit le Seigneur, que toi-même, aujourd’hui, dans cette nuit, avant que le coq ait chanté deux fois, tu m’auras renié trois fois. » Les autres évangélistes avaient annoncé que Pierre renierait son maître avant le chant du coq, sans préciser combien de fois le coq chanterait. Saint Marc est le seul qui se soit montré aussi explicite. De là certains auteurs ont prétendu que saint Marc était en désaccord avec les autres écrivains sacrés ; mais cette prétention ne peut être que l’effet, ou d’une grande légèreté, ou d’un profond aveuglement, fruit de leur haine contre l’Évangile. En effet, il est certain que Pierre renia trois fois son Maître. Il resta sous la peur dont il était saisi, et dans sa résolution de nier jusqu’au moment où le Sauveur lui rappelant ce qui lui avait été prédit, il trouva sa guérison dans des larmes amères et dans le repentir du cœur. Or, si ce triple reniement n’eut lieu qu’après le premier chant du coq, les trois Évangélistes peuvent être accusés d’erreur. Saint Matthieu dit : « En vérité je te déclare que, dans cette nuit, avant que le coq ait chanté, tu me renieras trois fois. » Saint Luc : « Je te dis, Pierre, qu’avant que le coq chante aujourd’hui, tu me renieras trois fois ; » et saint Jean : « En vérité, en vérité je t’affirme que le coq ne chantera pas que tu ne me renies trois fois. » On voit que ce n’est pas dans les mêmes termes ni dans le même ordre, que les évangélistes rapportent cette sentence du Sauveur, annonçant qu’avant le chant du coq Pierre l’aurait renié trois fois. Or pourquoi préciser les deux chants du coq, si le triple reniement devait être accompli avant le premier, et, par là même, avant le second, avant le troisième et avant tous les autres chants du coq durant cette nuit ? Observons qu’avant le premier chant du coq, la série des reniements était commencée ; or les trois évangélistes ne se sont pas proposé de nous dire à quel moment saint Pierre compléta cet acte de lâcheté ; il leur a suffi de nous révéler l’heure avant laquelle il le commença, et le nombre de fois qu’il le renouvela. Il le renouvela trois fois et il le commença avant le chant du coq. Bien plus, il est certain que dans sa pensée il consomma son crime avant le premier chant du coq ; qu’importe alors qu’il ait commencé, avant le premier chant, sa triple négation, et qu’il ne l’ait achevée qu’avant le second chant ? Sa faute était voulue et consommée avant le premier chant du coq. Qu’importe aussi que ses négations eussent été séparées par des intervalles plus ou moins longs ? Avant le premier chant, il était tellement victime de la crainte et de la lâcheté, qu’il était disposé à renier son maître, une première, une seconde, une troisième fois si on l’interrogeait encore. Il réalisait une parole du Sauveur qui déclare que jeter, sur une femme, un regard adultère, c’est déjà avoir commis l’adultère dans son cœur z. Par la même raison, quand Pierre exhalait dans ses paroles cette crainte étrange, à laquelle il était en proie, et dont il subit l’influence jusqu’à une seconde et une troisième négation, on peut dire que tout son crime lui devint imputable, au moment même où il se laissa dominer par cette frayeur qui devait le faire apostasier trois fois. En admettant dès lors, que ce ne fut qu’après le premier chant du coq, que tourmenté par les questions qui lui étaient faites, il commença cette triste série de dénégations, même alors serait-il donc si absurde de dire qu’il a renié trois fois avant le chant du coq, puisque avant ce chant du coq il était déjà tout entier sous le coup de cette crainte qui devait l’amener à un triple reniement ? Or cette assertion est d’autant plus naturelle que ce reniement fut commencé réellement avant le premier chant du coq, quoiqu’il n’ait été complet qu’avant le second. Je dis à quelqu’un : cette nuit, avant que le coq chante, tu m’écriras une lettre dans laquelle tu m’insulteras trois fois. Aurai-je fait une fausse prophétie, parce que cette lettre, commencée avant le premier chant du coq, n’a été terminée qu’après ? Toute la différence présentée par saint Marc vient donc de l’énonciation formelle des intervalles qui marquèrent les protestations de l’Apôtre infidèle : « Avant que le coq ait chanté deux fois, « tu me renieras trois fois. » Du reste, quand nous serons en face du récit lui-même, nous montrerons le parfait accord des évangélistes. 8. Chercher à connaître toutes les paroles que le Seigneur adressa à Pierre, est une prétention vaine et inutile. Il suffit de connaître la pensée générale, qui fut comme le résumé de ces paroles ; et cette pensée nous est révélée dans les différents récits des évangélistes. Soit donc qu’on admette que ce fut à diverses reprises, pendant les discours du Seigneur, que Pierre ému laissa échapper cette triple et présomptueuse protestation qui provoqua la triple prophétie de son reniement, et c’est là le plus probable ; soit que l’on coordonne le récit des Évangélistes, de telle manière, qu’il en résulte que le Seigneur ne prédit qu’une seule fois à Pierre, trop présomptueux, qu’il le renierait la nuit même ; toujours est-il que l’on ne peut surprendre dans ces textes différents aucune contradiction ; et en effet il n’y en a aucune.CHAPITRE III. DISCOURS APRÈS LA CÈNE.
9. Suivons maintenant, autant que nous le pourrons, l’ordre chronologique d’après tous les évangélistes. Après avoir rapporté la triste prédiction faite à Pierre, saint Jean nous représente le Sauveur continuant à s’entretenir avec ses apôtres et leur disant : « Que votre cœur ne se trouble point ; vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Il y a bien des demeures dans la maison de mon Père ; », etc. Le texte de ce discours sublime et magnifique va jusqu’à cet endroit où le Seigneur s’écrie : « Père juste, le monde ne vous connaît pas, mais moi je vous connais, et ceux-ci savent que vous m’avez envoyé, et je leur ai fait connaître votre nom et je le leur ferai connaître encore, afin que l’amour dont vous m’avez aimé soit en eux et que je sois aussi en eux aa. – Or, comme le raconte saint Luc, il s’éleva entre eux une contestation sur la question de savoir lequel d’entre eux devait être considéré comme le plus grand. Mais Jésus leur dit : Les rois des nations exercent sur elles leur autorité, et ceux qui les dominent prennent le nom de bienfaiteurs. Il n’en sera pas ainsi pour vous ; il faut que le plus grand soit comme le plus petit, et celui qui est à la tête comme celui qui obéit. Et en effet, lequel est le plus grand, de celui qui est à table ou de celui qui le sert ? Mais pourtant me voici au milieu de vous dans l’attitude de celui qui sert. Pour vous, vous êtes demeurés fermes avec moi au milieu de mes tentations. Et voici que je vous prépare le royaume comme mon Père me l’a préparé, afin que vous y mangiez et que vous y buviez à ma table, « et que vous y soyez assis sur des trônes pour juger les douze tribus d’Israël. Or, ajoute saint Luc, le Seigneur dit à Simon : Voilà que Satan vous a convoités pour vous cribler comme on crible le froment ; mais j’ai prié pour toi, afin que la foi ne défaille point ; toi donc, lorsque tu seras revenu, confirme tes frères. Pierre lui répondit : Seigneur, je suis prêt à aller avec vous et en prison et à la mort. Et le Seigneur lui dit : Je te l’assure, Pierre, le coq n’aura pas chanté aujourd’hui, que déjà tu m’auras renié trois fois. Puis il leur dit à tous : Quand je vous ai envoyés sans sac de voyage, sans bourse et sans chaussure, est-ce que quelque chose vous a manqué ? Non, répondirent-ils. Le Seigneur ajouta : Mais, maintenant, que celui qui a un sac le prenne, qu’il prenne aussi sa bourse, « et que celui qui n’en a point, vende sa tunique pour acheter une épée. Car je vous assure qu’il faut encore que l’on voie s’accomplir en moi cette parole de l’Écriture : Il a été mis au rang des criminels, et ce qui me concerne touche à son accomplissement. Ils lui dirent : Voici deux épées, Seigneur. C’est assez, leur répondit-il ab. Et l’hymne étant dite, ajoutent saint Matthieu et saint Marc, ils se rendirent au mont des Oliviers. Alors Jésus leur dit : Vous serez tous scandalisés cette nuit, à mon sujet, car il est écrit : Je frapperai le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées ; mais quand je serai ressuscité, je vous précéderai en Galilée. Pierre prenant la parole lui dit : Lors même que tous seraient scandalisés à votre sujet, moi je ne me scandaliserai jamais. Jésus lui répondit : « Je te déclare en vérité, que dans cette nuit, « avant que le coq ait chanté, tu me renieras trois fois. Pierre répliqua : Lors même qu’il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renierai pas. Les autres disciples en dirent autant ac. » Nous avons inséré ici les paroles de saint Matthieu, mais saint Marc s’exprime d’une manière à peu près identique ad; la seule différence est celle que nous avons signalée plus haut, relativement au chant du coq.CHAPITRE V. ON SE SAISIT DE JÉSUS.
15. « Le Sauveur parlait encore, disent saint Matthieu et saint Marc, et voici que Judas, l’un des douze, se présenta, accompagné d’une foule nombreuse, armée de glaives et de bâtons, et envoyée par les princes des prêtres et par les anciens du peuple. Or, celui qui le livra, leur avait donné ce signal : Celui que j’embrasserai, c’est lui-même, emparez-vous de lui. Et s’approchant de Jésus, il lui dit : Je vous salue, maître, et il l’embrassa ae. » La première parole que Jésus prononça, c’est celle-ci, rapportée par saint Luc : « Judas, tu trahis le Fils de l’homme par un baiser af ; » la seconde est celle de saint Matthieu : « Mon ami, pourquoi est tu vend ? » Enfin une troisième parole nous est conservée par saint Jean : « Qui cherchez-vous ? Ils lui répondirent : Jésus de Nazareth. Jésus leur dit : C’est moi. Or, au milieu d’eux se trouvait Judas, qui le livrait. Quand donc il leur eut dit : C’est moi ; ils allèrent à la renverse et tombèrent à terre. Après cela, il leur demanda encore une fois : Qui cherchez-vous ? Ils lui dirent : Jésus de Nazareth. Jésus leur répondit : Je vous ai dit que c’est moi. Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez aller ceux-ci. Afin que cette parole qu’il avait prononcée, fut accomplie : Je n’ai perdu aucun de ceux que vous m’avez donnés ag. » 16. « Or, dit saint Luc, ceux qui l’environnaient, voyant ce qui allait arriver, lui dirent : Seigneur, si nous – frappions de l’épée ? Et l’un d’eux », les quatre évangélistes sont unanimes sur ce point, « frappa un serviteur du grand-prêtre et lui coupa l’oreille droite », disent saint Luc et saint Jean. Or, selon saint Jean, celui qui frappa ainsi, ce fut saint Pierre, et celui qu’il frappa, se nommait Malchus. D’après saint Luc, « Jésus élevant la voix leur dit : Laissez aller jusque-là », et d’après saint Matthieu il continua ainsi : « Remets ton épée dans le fourreau. Car tous ceux qui auront pris l’épée, périront par l’épée. Crois-tu que je ne puisse pas prier mon Père, qui m’enverrait aussitôt plus de douze légions d’anges ? Comment donc s’accompliront les Écritures, qui ont annoncé qu’il doit en être ainsi ? » On peut ajouter à cela ce que rapporte saint Jean : « Ce calice que mon Père m’a donné, ne veux-tu pas que je le boive ? » Saint Luc continue son récit en disant que Jésus toucha l’oreille de celui qui avait été frappé, et le guérit. 17. On soulève des difficultés au sujet de ce passage de saint Luc, où le Seigneur interrogé par ses apôtres, s’ils devaient frapper de l’épée, répondit : « Laissez aller jusque-là », comme s’il eût approuvé ce qui venait de se passer, tout en défendant d’aller plus loin. Dans saint Matthieu, au contraire, on voit clairement que ce coup de hardiesse de saint Pierre a déplu au Sauveur. Voici la vérité, je crois. À cette question des apôtres : « Maître, si nous frappions de l’épée ? » le Sauveur répondit : « Laissez aller jusque-là », c’est-à-dire, ne vous opposez point à ce qui va arriver, car je dois permettre à mes ennemis de pousser la haine envers moi, jusqu’à s’emparer de ma personne, afin que les Écritures s’accomplissent. Mais dans l’intervalle qui suivit la demande et précéda la réponse, Pierre, saisi d’un enthousiasme plus vif pour son Maître et du désir de le défendre, frappe le serviteur du grand-prêtre. Or, il est évident qu’il fallut plus de temps pour poser la question et y répondre qu’il n’en fallut a saint Pierre pour frapper son ennemi. En effet, le texte porte : « Et Jésus répondit », c’était donc à la question qu’il répondit et non à l’acte de Pierre. Saint Matthieu, seul, nous fait connaître la pensée du Sauveur, sur l’empressement de son disciple. Dans ce passage, saint Matthieu ne dit pas de Jésus : « Il répondit à Pierre : Remets ton épée dans le fourreau ; » nous lisons : « Alors il dit à Pierre : Remets ton épée ; » ce qui n’a pu être dit qu’après l’acte de Pierre. Si saint Luc porte : « Jésus répondit. Laissez aller jusque-là ; » cette réponse dut évidemment être faite à ceux qui l’avaient interrogé ; mais parce que, comme nous l’avons observé, le coup fut porté dans l’intervalle de la demande et de la réponse, l’écrivain sacré, polir suivre l’ordre des faits, a cru devoir mentionner l’action entre la demande et ta réponse. Il n’y a donc aucune contradiction à tirer de ces paroles de saint Matthieu : « Tous ceux qui prendront l’épée, qui en feront usage périront par l’épée. » Il en serait autrement si le Seigneur, dans sa réponse, avait paru approuver l’usage spontané du glaive, ne fût-ce que pour une seule blessure, et ne fût-elle pas mortelle. Enfin, rien ne s’oppose à ce que l’on applique à saint Pierre la réponse tout entière, telle que nous la trouvons dans saint Luc et saint Matthieu : « Laissez aller jusque-là ; remets a ton glaive dans le fourreau. Tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée, etc. » J’ai expliqué le sens de ces expressions : « Laissez aller jusque-là ; » si l’on peut en donner une meilleure interprétation, j’y consens ; Pourvu cependant qu’on n’ébranle pas la vérité ni l’accord des récits évangéliques. 18. Saint Matthieu continue, et met sur les lèvres du Sauveur ces autres paroles, prononcées à l’heure même : « Vous êtes venus, armés d’épées et de bâtons, pour me prendre, comme un larron. Cependant, je me suis trouvé tous les jours au milieu de vous, siégeant et enseignant dans le temple ; et vous n’avez pas mis la main sur moi. Mais, selon le texte de saint Luc, voici votre heure et celle de la puissance des ténèbres. Or, selon saint Matthieu, tout cela se passa afin que toutes les prophéties fussent accomplies. Alors tous les disciples l’abandonnèrent et s’enfuirent », comme l’atteste aussi saint Marc, qui continue ainsi : « Jésus était suivi par un jeune homme couvert d’un linceul ; et comme on voulait le saisir, il abandonna son linceul aux mains de ceux qui le tenaient et s’enfuit sans aucun vêtement. »CHAPITRE VI. JÉSUS DEVANT LE PRINCE DES PRÊTRES. – RENIEMENT DE SAINT PIERRE.
19. « Ces gens, s’étant donc saisis de Jésus, le conduisirent chez Caïphe, prince des prêtres, où les Scribes et les anciens du peuple s’étaient rassemblés ah. » Mais, d’après saint Jean, Jésus fut d’abord conduit chez Anne beau-père de Caïphe ai. Saint Marc et saint Luc ne désignent pas le nom du pontife aj. Or Jésus frit conduit garrotté, parce que, d’après saint Jean, il y avait dans la foule un tribun, une cohorte et les ministres des Juifs. « Cependant Pierre le suivait de loin, jusque dans la cour du palais du grand-prêtre, et étant entré il se tenait assis au milieu des serviteurs, afin de voir le dénouement. » À ce récit de saint Matthieu, saint Marc ajoute, que « Pierre se chauffait auprès du feu. » Saint Luc signale le même fait : « Pierre suivait de loin, dit-il ; or, il y avait du feu allumé au milieu de la cour, une grande foule s’assit tout autour, et Pierre était au milieu d’eux. » D’après saint Jean : « Pierre le suivait de loin, ainsi qu’un autre disciple. Or ce disciple était de la connaissance du grand-prêtre, et il entra avec Jésus dans la cour du pontife. « Quant à Pierre, il demeura en dehors, à la porte. Alors cet autre disciple qui était commis du grand-prêtre, sortit, parla à la portière et introduisit Pierre dans la cour. » Voilà ce qui nous explique pourquoi saint Pierre pénétra dans l’intérieur de la cour, comme nous l’attestent les autres évangélistes. 20. « Or, dit saint Matthieu, les princes des prêtres et tout le conseil, cherchaient un faux témoignage contre Jésus, afin de pouvoir le livrer à la mort. Mais il ne s’en trouvait point. « Il se présenta bien plusieurs faux témoins qui déposaient mensongèrement contre lui, mais leurs dépositions ne s’accordaient pas. » C’est saint Marc qui en fait l’observation, en rapportant ce passage. « Enfin il se trouva deux faux témoins, dit saint Matthieu, qui déposèrent contre lui en ces termes : Il a dit : Je puis détruire le temple de Dieu et je le relèverai après trois jours. » Saint Marc signale d’autres témoins qui dirent. « Nous l’avons entendu s’écriant : Je renverserai ce temple, fait de main d’homme, et après trois jours j’en bâtirai un autre, qui ne sera pas fait de main d’homme, et il n’y avait pas accord dans leurs dépositions. Alors le grand-prêtre se leva et dit à Jésus. Vous n’avez rien à répondre à ce que ces gens déposent contre vous ? Mais Jésus gardait le silence. Et le prince des prêtres lui dit : Je vous adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si vous êtes le Christ, Fils de Dieu. « Jésus lui répondit : Vous l’avez dit. » Ces paroles sont de saint Matthieu. Saint Marc exprime les mêmes pensées avec d’autres termes, seulement il ne parle pas de l’adjuration portée par le grand-prêtre ; mais cette réponse du Sauveur : « Tu l’as dit », revient à celle-ci : « Je le suis. » Cet auteur ajoute : « Jésus lui répondit : Je le suis, et vous verrez le Fils de l’homme, assis à la droite de la puissance divine, venir sur les nuées du ciel. » Saint Matthieu s’exprime de même, mais il ne dit pas que Jésus eut répondu : « Je le suis. Alors le grand-prêtre déchira ses vêtements en s’écriant : Il a blasphémé ; qu’avons-nous encore besoin de témoins ? » Après ces paroles, saint Matthieu ajoute : « Vous venez d’entendre son blasphème. Que vous en semble ? Et tous de répondre : Il est digne de mort. » Saint Marc s’exprime de même, et saint Matthieu continue : « Alors ils lui crachèrent au visage et l’accablèrent de soufflets. D’autres lui portant des coups sur la face, lui disaient : Christ, prophétise, et dis-nous qui t’a frappé. » Saint Marc ajoute à cela qu’ils lui voilèrent la face. Saint Luc s’exprime de la même manière. 21. Cette scène d’outrages se passa dans la maison du grand-prêtre, où le Sauveur avait d’abord été conduit et dura jusqu’au matin ; et c’est pendant ce même temps que Pierre fut tenté. Quant à cette tentation, qui eut lieu pendant que le Seigneur était couvert d’outrages, les évangélistes ne la racontent pas tous dans le même ordre : Saint Matthieu et saint Marc décrivent d’abord toutes les injures lancées à Jésus-Christ ; puis seulement ils racontent la tentation. Saint Luc parle d’abord de cette tentation ; de là il passe aux souffrances du Seigneur. Quant à saint Jean, il commence à décrire la tentation, puis il intercale quelque chose des humiliations du Sauveur chez Anne, ensuite il nous le montre conduit chez Caïphe. Avant de nous dire ce qui se passa devant ce second tribunal, il revient sur ses pas, pour reprendre la description déjà commencée de la tentation de Pierre dans la maison où il avait d’abord été conduit ; puis il remonte à la suite naturelle des événements, en commentant par l’arrivée du Sauveur chez Caïphe. 22. Saint Matthieu continue : « Or, Pierre était assis au-dehors dans la cour, une servante s’approcha de lui, en disant : Et toi aussi lu étais avec Jésus de Nazareth ? Pierre nia en face de toute la foule, en disant : Je ne sais ce que tu dis. Il sortit alors et comme il franchissait la porte, une autre servante le vit et dit à ceux qui étaient là : Celui-ci était aussi avec Jésus de Nazareth. Il nia de nouveau avec serment, « et dit : Je ne connais pas – cet homme. Peu de temps après, ceux qui étaient d’abord assis s’approchèrent et dirent à Pierre : Assurément tu es de ces gens-là, car ton accent te fait assez connaître. Alors Pierre se prit à faire des exécrations et des serments, et dit qu’il ne connaissait pas cet homme. Et aussitôt le coq chanta. » Il ne faut pas oublier que quand Pierre sortit et eut nié une première fois, le coq chanta aussi pour la première fois ; saint Matthieu n’en dit rien, mais saint Marc signale expressément cette circonstance. 23. Remarquons aussi qu’il n’y eut aucun reniement prononcé en dehors de la cour, mais bien dans l’intérieur et quand Pierre fut revenu près du feu. Il est vrai qu’il n’est pas dit à quel moment Pierre y rentra ; mais quel besoin y avait-il de nous marquer ce détail ? Voici le narré de saint Marc : « Il sortit en dehors de la cour et le coq chanta. Il fut aperçu de nouveau par une servante, qui se mit à dire à ceux qui étaient là : Celui-ci est aussi d’avec eux. Et Pierre protesta de nouveau. » Cette servante n’est pas la même que la première, saint Matthieu en fait la remarque. Cela se comprend d’autant mieux que dans le second reniement, Pierre fut interpellé par deux témoins ; d’abord par la servante dont parlent saint Matthieu et saint Marc, et aussi par un autre témoin mentionné par saint Luc. Voici comment ce dernier s’exprime : « Or, Pierre suivait de loin. On avait allumé du feu dans la cour, la foule prit place auprès, et Pierre se tenait parmi eux. Une servante le voyant assis près du foyer, le fixa attentivement et s’écria : Celui-ci était aussi à sa suite. Pierre le renia en disant : Femme, je ne le connais pas. Peu de temps après, un autre homme l’aperçut et lui dit : Toi aussi tu es d’avec eux. » C’est pendant cet intervalle, mentionné par saint Luc, que Pierre était sorti et qu’on avait entendu le premier chant du coq ; il était rentré aussitôt, s’était rapproché du foyer, et c’est là qu’il était, quand, comme le dit saint Jean, il énonça sa seconde protestation. Dans le premier reniement de Pierre, saint Jean ne dit pas que le coq ait chanté ni même qu’une servante ait reconnu l’Apôtre auprès du feu ; il se contente de dire : « La portière dit à Pierre : n’es-tu pas aussi l’un des disciples de cet homme ? Non, répondit-il. » Ensuite cet évangéliste nous raconte ainsi ce qu’il a cru devoir rapporter de ce qui se passa à l’égard de Jésus, dans cette même maison : « Or les serviteurs se tenaient auprès du feu et se chauffaient, parce qu’il faisait froid ; Pierre était avec eux et se chauffait aussi. » Il faut supposer qu’avant ceci Pierre était sorti et rentré ; avant sa sortie il était assis auprès du feu ; après son retour il se tenait debout. 24. On m’objectera peut-être qu’il n’était pas sorti, mais qu’il s’était levé pour sortir. Pour soutenir cette assertion, il faut admettre que ce fut en dehors de la cour que Pierre fut interrogé et répondit – pour la seconde fois. Voyons la suite du récit de saint Jean : « Or, le grand-prêtre interrogea Jésus au sujet de ses disciples et de sa doctrine ; Jésus lui répondit : J’ai parlé publiquement au monde, j’ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le temple où tous les Juifs se rassemblent, et je n’ai rien dit en secret. Pourquoi m’interroges-tu ? Interroge ceux qui ont entendu ce que je leur ai dit : ceux-ci savent ce que j’ai dit. Il avait à peine prononcé ces paroles, que l’un des serviteurs lui donna un soufflet en disant : Est-ce ainsi que tu réponds au grand-prêtre ? Jésus lui dit : Si j’ai mal parlé, rends témoignage du mal que, j’ai dit ; mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? Anne le fit donc garrotter et conduire à Caïphe. » On voit ici qu’Anne était grand-prêtre, car Caïphe n’était pas là, quand il fut dit au Sauveur : « Est-ce ainsi que tu réponds au grand-prêtre ? » Saint Luc, au commencement de son Évangile, parle aussi d’Anne et de Caïphe comme étant tous deux grands-prêtres ak. Après ces paroles, saint Jean reprend le récit du reniement de saint Pierre et nous reporte ainsi à la maison où tout ce qu’il vient de dire s’est passé, et d’où Jésus fut envoyé chez Caïphe, vers qui on le conduisait dès le début, au rapport de saint Matthieu. Après avoir fait une sorte de récapitulation, saint Jean complète ainsi le narré du troisième reniement : « Or, Simon Pierre se tenait debout et se chauffait. Ils lui dirent : N’es-tu pas aussi l’un de ses disciples ? Pierre nia et répondit : Je ne le suis pas. » Il suit de là que ce n’est pas au-dehors, mais auprès du feu qu’eut lieu cette seconde négation ; et puisqu’il était sorti, il avait donc dû rentrer. Ce n’est pas après sa sortie et au-dehors, que la servante le vit, c’est quand il était déjà levé pour sortir ; c’est alors qu’elle l’aperçut et dit à ceux qui étaient là, c’est-à-dire auprès du feu dans la cour : « Celui-ci était aussi avec Jésus de Nazareth. » Pierre qui sortait alors, entendant cette apostrophe, rentra et dit avec serment à ceux qui l’entouraient, et prenaient parti pour la servante : « Je jure que je ne connais pas cet homme. » Saint Marc, parlant de la même servante, raconte qu’elle dit à ceux qui étaient là : « Celui-ci est du nombre de ses disciples. » Ce n’est pas à Pierre qu’elle s’adressait, mais à ceux qui pendant son départ restaient, et elle le disait de manière que l’apôtre pût entendre. Pierre rentra, s’approcha du feu sans s’asseoir et réfutait les attaques par des négations. Saint Jean raconte : « Ils lui dirent : N’es-tu pas un de ses disciples ? » Au moment où cette question lui était faite, Pierre rentrait et se tenait debout, et voilà ce qui nous explique pourquoi à cette seconde question il n’y avait pas seulement la servante dont parlent saint Matthieu et saint Marc, mais encore un autre accusateur signalé par saint Luc. Saint Jean écrit de même : « Ils lui dirent. » On peut donc admettre que ce fut après le départ de saint Pierre, que la servante dit à ceux qui étaient avec elle dans la cour : « Celui-ci est un des disciples », parole qui fit rentrer saint Pierre pour se justifier de l’accusation portée contre lui ; mais il est plus vraisemblable de penser qu’il n’entendit pas ce que l’on disait et que ce ne fut qu’après son retour, qu’une servante et une autre assistant, dont parle saint Luc, lui dirent : « N’es-tu pas un de ses disciples ? Non, répondit-il ; » l’autre insista plus fortement et lui dit : « Mais tu es un d’entre eux. O homme, je n’en suis pas, répliqua Pierre. » Quoi qu’il en soit ; il est un point qui résulte clairement du contexte des Évangiles, c’est que ce ne fut pas en dehors de la cour, mais dans l’intérieur, et auprès du feu, que Pierre formula sa seconde négation. Si donc saint Matthieu et saint Marc ont mentionné sa sortie, sans relater son retour, c’est uniquement pour éviter les longueurs. 25. Examinons maintenant la troisième négation que nous n’avons rapportée que d’après saint Matthieu. Voici le récit de saint Marc : « Peu de temps après, ceux qui étaient là, disaient à Pierre : Assurément tu es un des disciples, car tu es Galiléen. Et Pierre se prit à répéter, avec force anathèmes et serments : Je ne connais pas cet homme dont tu parles. Et aussitôt le coq chanta pour la seconde fois. » Saint Luc raconte : « Et après une heure environ d’intervalle, un autre affirmait et disait : Assurément tu es son disciple, car tu es Galiléen. O homme, répondit Pierre, je ne sais ce que tu dis. Et il parlait encore quand le coq chanta. » Saint Jean s’explique ainsi, sur cette troisième négation : « Un des serviteurs du grand-prêtre, et parent de celui à qui Pierre avait coupé l’oreille, lui dit : Est-ce que je ne t’ai pas vu dans le jardin avec lui ? Pierre nia de nouveau et aussitôt le coq chanta. » Saint Matthieu et saint Luc se contentent de dire : « Peu de temps après ; » saint Luc mesure cet intervalle en disant qu’il fut d’une heure à peu près. Saint Jean n’en dit rien. De même saint Matthieu et saint Marc supposent que la troisième interrogation fut faite par plusieurs personnes ; saint Luc n’énonce qu’un interrogateur, et saint Jean le désigne, en disant qu’il était parent de celui à qui Pierre coupa l’oreille. Or, cette apparente diversité s’explique facilement, ou en admettant que saint Matthieu et saint Marc ont suivi l’usage, assez général, de prendre le pluriel pour le singulier ; ou en supposant que l’un des témoins, par ce qu’il avait vu et qu’il connaissait, commençait l’attaque à laquelle les autres prenaient part aussitôt ; deux évangélistes ont suivi la première voie, les autres ont voulu seulement signaler celui qui paraissait le plus ardent. Enfin saint Matthieu affirme qu’il fut dit à Pierre : « Assurément tu es un des disciples, car ton langage te fait connaître ; » saint Jean assure qu’il fut dit à Pierre : « Est-ce que je ne t’ai pas vu dans le jardin avec lui ? » Saint Marc raconte que les assistants se disaient : « Il est vraiment un d’entre eux, car il est aussi Galiléen ; » de même, saint Luc nous représente un Juif disant, non pas à Pierre, mais de lui : « Un autre affirmait et disait : Assurément il était avec lui, car il est Galiléen. » Cela nous fait entendre qu’on s’est attaché à la pensée seulement en rapportant que Pierre avait été apostrophé ; en effet quand on parlait de lui, et devant lui, c’était comme si on se fût adressé à lui-même. On peut dire également que ses accusateurs tantôt s’adressaient à lui directement, tantôt échangeaient entre eux leurs accusations. Chacune des deux interprétations peut être admise. Quant au chant du coq qui suivit le troisième reniement, saint Marc nous dit expressément que c’était la seconde fois qu’il se faisait entendre. 26. Saint Matthieu poursuit ainsi : « Et Pierre se souvint de là parole que Jésus avait dite : Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois ; et étant sorti il pleura amèrement. » Saint Marc écrit : « Pierre se souvint de la parole que Jésus avait dite : Avant que le coq chante deux fois, tu me renieras trois fois : et il commença à pleurer. » D’après saint Luc : « Le Seigneur s’étant retourné, regarda Pierre, et Pierre se souvint de la parole du Seigneur qui avait dit : Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois ; et étant sorti, Pierre pleura amèrement. » Saint Jean ne dit rien ni du souvenir ni des larmes de Pierre. Mais ce qui mérite une attention particulière, ce sont ces paroles de saint Luc : « Et Jésus, s’étant retourné, regarda Pierre. » Quoiqu’il y ait aussi des cours intérieures, c’était dans la cour extérieure que Pierre était avec les Juifs alors occupés à se chauffer. Or, on ne peut pas supposer que Jésus était entendu dans cette cour extérieure par les Juifs, ni par conséquent que son regard ait été un regard corporel. Écoutons plutôt le récit de saint Matthieu : « Alors ils lui crachèrent au visage et le couvrirent de soufflets ; d’autres le frappèrent en disant : Prophétise maintenant, ô Christ, et dis-nous quel est celui qui t’a frappé. » Puis il ajoute immédiatement : « Or Pierre se tenait au-dehors dans la cour. » Il faut nécessairement en conclure que Jésus était à l’intérieur. 2 faudrait même croire, d’après saint Marc, que Jésus était dans la partie la plus élevée de l’habitation. En effet, voici ce que dit saint Marc après avoir rapporté la scène décrite par saint Matthieu : « Et comme Pierre se tenait dans la cour en bas. » En disant : « Pierre se tenait au-dehors, dans la cour », saint Matthieu indique clairement que la scène d’outrages avait lieu dans l’intérieur ; de même en disant : « Et comme Pierre était dans la cour en bas », saint Marc montre que les faits qu’il vient de raconter, se sont passés dans la partie supérieure. Comment donc le regard du Seigneur sur Pierre a-t-il pu être un regard corporel ? Aussi me semble-t-il que ce regard ne fut qu’un regard divin qui rappelait à l’apôtre le nombre de ses reniements, la prédiction du Sauveur ; et, par l’infinie miséricorde de Dieu, ce regard amenait Pierre à la pénitence, et la lui rendait salutaire. C’est ainsi que chaque jour nous disons : Seigneur regardez-moi ; celui que le Seigneur a regardé a été délivré par la miséricorde divine du danger, ou de la souffrance. De même donc que nous lisons : « Regardez et exaucez-moi al », et encore : « Tournez-vous, « Seigneur, et délivrez mon âme am », dans le même sens il a été dit : « Le Seigneur s’étant retourné regarda Pierre, et Pierre se souvint de la parole de Jésus. » Il est à remarquer, enfin, que tandis que les évangélistes emploient plus souvent le nom de Jésus que celui de Seigneur, saint Luc emploie ici cette dernière expression : « Le Seigneur s’étant retourné regarda Pierre, et Pierre se souvint de la parole du Seigneur. » Comme saint Matthieu et saint Marc gardent le silence sur ce regard, il n’est pas étonnant de leur entendre dire que Pierre se souvint de la parole, non pas du Seigneur, mais de Jésus. Ne devons-nous donc pas comprendre que ce regard de Jésus fut tout divin et nullement charnel ?
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