‏ Matthew 27

CHAPITRE VII. JUGEMENT DU MATIN. – JÉRÉMIE CITÉ AU LIEU DE ZACHARIE.

27. Nous lisons dans saint Matthieu : « Le lendemain, de grand matin, tous les princes des prêtres et les anciens du peuple tinrent conseil contre Jésus, pour le livrer à mort. Puis ils le garrottèrent, l’emmenèrent enchaîné, et le remirent au gouverneur Ponce-Pilate a. » Saint Marc raconte ainsi le même fait : « Dès le matin, les princes des prêtres tinrent conseil avec les anciens du peuple et tout le sanhédrin, conduisirent Jésus enchaîné et le livrèrent à Pilate b. » Après avoir raconté le reniement de Pierre, saint Luc récapitule ce qui s’est fait dès le matin à l’égard de Jésus et lie ainsi sa narration. « Ceux qui le gardaient se mirent à l’insulter et à le maltraiter ; ils lui voilèrent la tête et le frappant au visage ils lui disaient : « Prophétise ; quel est celui qui t’a frappé ? Et ils ajoutaient à cela beaucoup d’autres blasphèmes. Et dès que le jour fut venu, les anciens du peuple, les princes des prêtres et les Scribes se réunirent et le conduisirent au conseil, en disant : Si tu es le Christ, dis-le-nous. Jésus leur répondit : Si je vous le dis, vous ne me croirez pas, et si je vous interroge, vous ne me répondrez rien et vous ne me renverrez pas. Mais désormais, le Fils de l’homme sera assis à la droite de la majesté divine. Ils lui dirent tous : Tu es donc le Fils de Dieu ? Il leur répondit : Vous le dites et je le suis. Ils s’écrièrent : Qu’avons-nous encore besoin d’autre témoignage, car nous venons d’entendre ses propres paroles ? Toute la multitude se leva et ils le conduisirent à Pilate c. » Tel est le narré de saint Luc ; c’est la confirmation de ce qui est rapporté par saint Matthieu et par saint Marc sur l’interrogation adressée au Seigneur au sujet de sa filiation divine : « Je vous déclare, répond le Sauveur, que vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la majesté divine et venant sur les nuées du ciel. » Ceci dut se passer au lever du jour, suivant cette parole de saint Luc : « Dès qu’il fut jour. » Du reste son récit est le même que celui des autres évangélistes, excepté qu’il mentionne certains détails sur lesquels les autres gardent le silence. Toujours est-il que tout ce qui regarde les dépositions des faux témoins s’est passé pendant la nuit ; on peut en lire le récit dans saint Matthieu et saint Marc ; quant à saint Luc, omettant ce qui concerne les faux témoins, il nous a raconté ce qui s’est passé le matin. Les deux premiers, après avoir suivi les événements jusqu’au matin, nous ont rapporté le reniement de saint Pierre, puis ils ont repris la suite de leur récit sans mentionner les faits du matin d. Quant à saint Jean, après avoir raconté ce qui concerne le Seigneur et le reniement de saint Pierre, il ajoute : « Ils conduiront donc Jésus au prétoire devant Caïphe. Or c’était le matin e. » De là nous sommes portés à conclure, ou bien que quelque raison avait forcé Caïphe de se trouver au prétoire, au lieu d’être présent à l’assemblée des princes des prêtres ; ou bien qu’il y avait un prétoire dans sa maison. Toujours est-il que le Seigneur, arriva enfin près de lui et que dès le principe on voulait le lui présenter. Quoi qu’il en soit, les ennemis du Sauveur le considèrent comme un accusé convaincu ; de son côté Caïphe depuis longtemps croit qu’il doit mourir ; rien n’empêchait dès lors de le conduire immédiatement à Pilate, pour le condamner au dernier supplice. Voici comment saint Matthieu raconte ce qui s’est passé au tribunal de Pilate.

28. Il débute par le triste sort de Judas, dont il a été seul à parler : « Alors Judas, dit-il, qui l’avait livré, voyant que Jésus avait été condamné, rapporta, poussé parle repentir, les trente pièces d’argent aux princes des prêtres et aux anciens du peuple, en leur disant : J’ai péché en livrant le sang innocent. Mais ils lui répondirent : Que nous importe ? c’est ton affaire. Jetant alors les pièces d’argent dans le temple, il s’en alla et se pendit. Mais les princes des prêtres après avoir recueilli l’argent se dirent : Il n’est pas permis de le mettre dans le trésor du temple, parce que c’est le prix du sang. Ayant donc délibéré à ce sujet, ils achetèrent le champ d’un potier, pour la sépulture des étrangers. C’est pour cela que ce champ fut appelé Haceldama, c’est-à-dire le champ du sang, nom qu’il porte encore aujourd’hui. Alors fut accomplie cette parole du prophète Jérémie : Ils ont reçu les trente pièces d’argent, « somme donnée pour le paiement de celui qui a été mis à prix par les enfants d’Israël, et ils en ont acheté le champ d’un potier, ainsi que le Seigneur me l’a fait entendre.

29. Peut-être va-t-on se laisser ébranler par cette considération que ce passage ne se trouve nulle part dans les prophéties de Jérémie et dès lors qu’on ne peut plus ajouter foi à la véracité évangélique. Mais d’abord il ne faut pas oublier que le mot : Jérémie, ne se trouve pas dans tous les exemplaires des Évangiles ; on n’y voit que le mot prophète. Pourquoi ne pas admettre qu’on ne doit regarder en ce point, comme dignes de confiance, que les exemplaires qui ne portent pas le nom de Jérémie ? En effet, ce texte se trouve réellement dans la prophétie de Zacharie. Il suit de là que les exemplaires qui portent le nom de Jérémie ont été interpolés ; car ou bien ils doivent porter le nom de Zacharie, ou bien ils doivent ne parler que d’un prophète en général, et ce prophète c’est Zacharie. Ceux à qui ce moyen de défense sourit, peuvent s’en servir : pour moi il ne me sourit point, précisément parce que je rencontre un trop grand nombre d’exemplaires qui portent le nom de Jérémie. De plus, les auteurs qui ont fait des manuscrits grecs une étude particulière, ont trouvé que même les plus anciens portaient ce nom de Jérémie. Or, quel avantage pouvait-il y avoir à commettre une interpolation mensongère, dans ce cas en particulier ? Au contraire l’impossibilité où l’on était de vérifier ce texte dans Jérémie a pu déterminer une ignorance audacieuse à effacer le nom de ce prophète afin d’enlever ainsi toute la difficulté.

30. Il est bien plus sage de voir dans ce fait un secret dessein de la providence divine, qui dirige l’intelligence des évangélistes. Il a pu se faire, en effet, que saint Matthieu en écrivant son Évangile ait vu se présenter à son esprit le nom de Jérémie au lieu de celui de Zacharie. Mais comment admettre qu’il n’ait pas corrigé sa faute, ou qu’il n’ait pas été averti de la corriger par quelqu’un des lecteurs, sous les yeux de qui son Évangile dut tomber de son vivant, s’il n’avait été retenu par cette pensée qu’en écrivant il était sous la direction du Saint-Esprit, que ce n’était pas sans raison que le nom d’un prophète avait été substitué à celui d’un autre, puisque Dieu l’avait ainsi permis ? Or, Dieu peut l’avoir permis pour faire briller davantage le caractère divin des prophéties qui, dirigées par un seul et même Esprit, se réunissent toutes dans un accord parfait bien plus admirable qu’il ne serait si toutes ces prophéties étaient l’œuvre d’un seul écrivain. Avec cette diversité de prophètes, le Saint-Esprit nous apparaît dictant leurs révélations comme si chacune d’elles était l’œuvre de tous et comme si toutes étaient l’œuvre de chacun. Il suit de là que les prophéties écrites par Jérémie, sont autant de Zacharie que de Jérémie, et celles de Zacharie autant de Jérémie que de Zacharie. Pourquoi, dès lors, saint Matthieu eût-il attaché tant d’importance à corriger le nom d’un prophète, qu’il avait cité pour un autre ? N’était-il par préférable que, se soumettant d’une manière absolue à la direction du Saint-Esprit, dont il sentait plus que nous l’action puissante, il laissât écrit ce qui était écrit, pour nous rappeler qu’il règne entre tous les prophètes une concordance telle, que loin devoir un absurdité on ne vit qu’une haute convenance à attribuer à Jérémie, ce qui avait été réellement dit par Zacharie ? Je suppose qu’aujourd’hui un auteur, voulant citer les paroles d’un autre, se trompe de nom et prenne pour le nom de l’auteur véritable, le nom d’un homme qui lui est très-lié par l’amitié et parles idées. S’apercevant de sa méprise, il se recueille et pour toute correction, il s’écrie je ne me suis pas trompé, en ce sens du moins qu’il a voulu prononcer qu’il y avait une telle similitude de pensées entre le nom cité et celui de l’auteur réel, que l’un est censé avoir dit ce que l’autre a dit réellement. Une telle réponse ne donnerait que plus de force à son témoignage. Or, combien cela n’est-il pas plus vrai encore des prophètes, puisque les livres de chacun doivent être envisagés par nous comme étant les livres d’un seul, ce qui leur donne un caractère bien plus frappant d’unité et de véracité qu’ils n’en auraient s’ils étaient réellement l’œuvre d’un seul ? Laissons donc aux infidèles et aux ignorants le soin de profiter de cette circonstance pour publier le désaccord des saints Évangiles ; que les fidèles et les chrétiens instruits y voient clairement l’unité divine des saintes prophéties.

31. Pour expliquer pourquoi l’Esprit-Saint a permis, ou plutôt a prescrit de substituer le nom de Jérémie à celui de Zacharie, il y a une autre raison ; je la développerai avec plus de soin ailleurs, car je sens le besoin de terminer ce livre. Nous lisons dans Jérémie qu’il acheta le champ du fils de son frère et lui en donna l’argent. Il ne s’agit pas ici, sans doute, du prix dont il est parlé dans Zacharie, c’est-à-dire de trente pièces d’argent ; mais ce dernier prophète ne parle pas davantage de l’achat du champ, en sorte que c’est uniquement l’Évangéliste qui, interprétant la prophétie a réuni et l’achat du champ et les trente pièces de monnaie qui furent le prix de la trahison du Sauveur. Nous trouvons ici l’accomplissement d’une double prophétie, celle de Jérémie parlant de l’achat du champ, et celle de Zacharie parlant des trente pièces d’argent. Si donc, après, avoir lu l’Évangile et y avoir rencontré le nom de Jérémie, on est tenté de lire la prophétie elle-même, on n’y trouvera aucune mention des trente pièces d’argent, mais bien de l’achat du champ ; le lecteur n’aura plus qu’à réunir ces différents passages et à en chercher l’accomplissement dans la personne du Sauveur. Qu’on n’oublie pas toutefois qu’on ne doit pas s’attendre à lire soit dans Zacharie, soit dans Jérémie ces paroles qui terminent le passage de saint Matthieu : « Celui qui a été mis à prix par les enfants d’Israël, et ils en ont acheté le champ d’un potier, ainsi que le Seigneur me fa fait entendre. » Nous devons donc voir, dans ces paroles, une interprétation élégante et mystique de la prophétie, interprétation inspirée divinement et appliquant à Jésus-Christ le prix dont parle le prophète. En lisant Jérémie nous voyons que le prix d’achat du champ doit être jeté dans un vase de terre f ; ici le prix de la trahison du Sauveur sert à acheter le champ d’un potier, lequel champ est destiné à la sépulture des étrangers ; image du repos réservé à ceux qui, dans le voyage de cette vie, auront été ensevelis en Jésus-Christ par le baptême. Aussi le Seigneur fait-il entendre à Jérémie que l’achat de ce champ désignait le séjour qu’on ferait, même après la délivrance, sur la terre étrangère. Tels sont les points de vue que je tenais à esquisser pour inviter à examiner plus attentivement ces témoignages prophétiques en les rapprochant l’un de l’autre et en les comparant au récit évangélique. – Voilà ce qu’a dit saint Matthieu du traître Judas.

CHAPITRE XVI. BLASPHÈMES DES LARRONS.

53. Nous lisons en saint Matthieu : « Les larrons eux-mêmes, qui étaient crucifiés avec lui, « le couvraient d’invectives g. » ceci est aussi rapportée par saint Marc, quoique dans des termes un peu différents. La narration de saint Luc présenterait quelque opposition, si l’on oubliait une manière de parler assez fréquente. « L’un des deux voleurs, attachés comme lui à la croix, dit saint Luc, lui adressait ces blasphèmes : Si tu es le Christ, sauve-toi, et nous aussi. Mais l’autre se mit à réprimander son complice et à lui dire : Ni toi, non plus, tu n’as donc aucune crainte de Dieu, toi qui subis la même condamnation. Et encore pour nous c’est justice, car nous n’avons que ce que nous avons mérité ; pour lui, il n’a fait aucun mal. Et il disait à Jésus : Seigneur, souvenez-vous de moi, lorsque vous serez entré dans votre royaume. Jésus lui répondit : En vérité, je te le dis, tu seras aujourd’hui avec moi dans le paradis h. » Saint Matthieu avait dit : « Les voleurs qui étaient crucifiés avec lui, le blasphémaient ; » saint Marc : « Et ceux qui étaient crucifiés avec lui, lui adressaient des injures ; » comment donc se peut-il que saint Luc nous dise qu’un seul des deux le blasphémait et que l’autre garda le silence et crut en lui ? Ne devons-nous pas croire que saint Matthieu et saint Marc, dans le but d’abréger le récit, emploient le pluriel pour le singulier ? Nous trouvons également, dans l’épître aux Hébreux, cette forme plurielle Ils fermèrent la gueule des lions », quand il n’est question que de Daniel ; nous y lisons également : « Ils ont été sciés i », quand il ne s’agit que d’Isaïe. Les paroles mises au pluriel par le psalmiste : « Les rois de la terre se sont levés et les princes se sont réunis », etc, se retrouvent au pluriel dans es Actes des Apôtres, quand l’idée exigeait le singulier ; car les rois y désignent Hérode, Pilate est désigné par le mot princes j. Au lieu donc de calomnier l’Évangile, que les païens se rappellent comment leurs auteurs ont fait parler les Phèdre, les Médée et les Clytemnestre, qui auraient du s’exprimer au singulier. Quoi de plus ordinaire, par exemple, que d’entendre dire. à quelqu’un : Les paysans m’insultent, quand il n’y en a qu’un pour l’insulter ? Saint Luc serait assurément en contradiction avec les autres en disant qu’un seul voleur lança des blasphèmes, si des paroles des autres auteurs on était forcé de conclure que tous deux blasphémèrent Jésus. Mais il faut remarquer que dans l’un il n’est question que des voleurs, et dans l’autre, de ceux qui étaient crucifiés avec lui, sans addition du mot : « Tous deux. » Sans doute cette formule aurait suffi dans le cas où tous deux auraient réellement blasphémé ; mais l’usage a permis aussi d’employer la forme plurielle quoiqu’un seul ait commis ce crime.

CHAPITRE XVII. DU BREUVAGE OFFERT À JÉSUS.

54. Saint Matthieu continue : « Or depuis la sixième heure jusqu’à la neuvième, toute la terre fut couverte de ténèbres k. » Ce fait nous est également attesté par les deux autres évangélistes l. Saint Luc explique même la cause de ces ténèbres, c’est-à-dire que le soleil s’obscurcit. Saint Matthieu ajoute : « Vers la neuvième heure Jésus poussa un grand cri en disant : Eli, Eli, lamina, sabactani ; ce qui veut dire : Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’avez-vous abandonné ? Quelques-uns de ceux qui étaient là présents, entendant ces paroles, disaient : Voilà qu’il appelle Élie. » Saint Marc n’emploie pas exactement les mêmes mots, mais il exprime exactement la même pensée. Saint Matthieu reprend : « Et l’un deux accourant, trempa une éponge dans du vinaigre, la fixa au bout d’un roseau et lui offrait à boire. » Saint Marc s’exprime ainsi : « L’un d’entre eux accourant, remplit une éponge de vinaigre, la fixa sur un jonc et lui offrait à boire en disant : Attendons et voyons si Élie viendra le délivrer. » Ce n’est pas sur les lèvres de celui qui présentait l’éponge que saint Matthieu met ces paroles, mais sur les lèvres des assistants : « Et les autres disaient : laisse, voyons si Élie viendra le délivrer ; » de là nous pouvons conclure que tous ont tenu ce langage. Saint Luc avant de raconter les insultes du voleur rapporte cette circonstance du vinaigre : « Ils se raillaient de lui, dit-il, et les soldats s’approchant lui offrirent du vinaigre en disant : Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même m. » Il voulait ainsi exprimer ce qui avait été dit et fait par les soldats. Peu importe du reste qu’il n’ait pas spécifié que ce vinaigre ne lui fut offert que par un seul soldat ; nous avons vu plus haut que la coutume permettait d’employer le pluriel pour le singulier. Saint Jean parle aussi du vinaigre : « Ensuite Jésus sachant que tout le reste était accompli, et voulant accomplir l’Écriture s’écria : J’ai soif. Et il y avait là un vase plein de vinaigre ; aussitôt ils en remplirent une éponge qu’ils fixèrent autour d’une tige d’hyssope et l’approchèrent de sa bouche n. » Saint Jean rapporte de Jésus cette parole : « J’ai soif », et parle d’un vase rempli de vinaigre ; si les autres ont gardé le silence sur ces détails, il n’y a pas là de quoi nous étonner.

CHAPITRE XVIII. DES DERNIÈRES PAROLES DU SAUVEUR.

55. Nous lisons dans saint Matthieu : « Jésus poussant de nouveau un grand cri, rendit l’esprit o. » Saint Marc dit également : « Jésus ayant jeté un grand cri, expira p. » Saint Luc nous fait connaître les paroles prononcées par le Sauveur en jetant ce grand cri : « Et jetant un grand cri, Jésus dit : Mon Père je remets mon âme entre vos mains, et en disant ces mots il expira q. » Saint Jean ne parle pas de ces premières paroles prononcées par Jésus et rapportées par saint Matthieu et par saint Marc : « Eli, Eli ; » il omet également ces mots rapportés par saint Luc : « Mon Père, je remets mon âme entre vos mains ; » ce cri du reste n’est que celui dont parlent saint Matthieu et saint Marc, sans préciser les paroles qui furent prononcées ; et pour nous le faire comprendre, saint Luc a eu soin de dire que Jésus prononça ces mots avec un grand cri. Mais saint Jean est le seul qui nous cite cette parole proférée par le Sauveur après avoir trempé ses lèvres dans le vinaigre : « Tout est consommé. » Voici comment s’exprime saint Jean : « Jésus, ayant pris le vinaigre, dit : Tout est consommé, puis il inclina sa tête et rendit l’esprit r. » C’est après avoir dit : « Tout est consommé » et avant d’incliner la tête, que fut jeté ce grand cri, omis par saint Jean, et cité par les trois autres évangélistes. En effet, l’ordre naturel nous indique assez clairement que le Sauveur dut prononcer ce mot : « Tout est consommé », quand se furent accomplies en lui toutes les prophéties dont il était l’objet et dont il attendait l’accomplissement avant de mourir, lui qui mourait quand il le voulait ; ce n’est qu’alors que se recommandant à son Père il rendit l’esprit. Mais quel que soit l’ordre que l’on croit devoir établir, il faut avant tout se garder avec soin de voir entre les évangélistes la moindre opposition, parce que l’un tait ce que l’autre dit, ou parce que l’un dit ce que l’autre tait.

CHAPITRE XIX. LE VOILE DÉCHIRÉ.

56. « Et voici, dit saint Matthieu, que le voile du temple se déchira en deux parties, de haut en bas s. » Saint Marc dit de même : « Et le voile du temple se déchira en deux, depuis le haut jusqu’en bas t. » Saint Luc dit aussi Et le voile du temple se déchira dans le milieu u ; » mais cet évangéliste ne suit pas le même ordre que les autres. En effet, voulant ajouter le miracle au miracle, après avoir dit que le soleil s’obscurcit, il ajoute aussitôt : « Et le voile du temple se rompit par le milieu. » Il anticipe ainsi sur ce qui se passa au moment de la mort du Sauveur et dont il fait une récapitulation générale, embrassant tout à la fois et le breuvage de vinaigre, et le grand cri et la mort elle-même, toutes choses qui arrivèrent avant le déchirement du voile du temple, après la diffusion des ténèbres. En effet, saint Matthieu après avoir dit : « Jésus jetant de nouveau un grand cri rendit l’esprit », ajoute aussitôt : « Et voici que le voile du temple se rompit ; » c’était affirmer assez clairement que le voile ne se brisa que quand Jésus eut rendu l’esprit. S’il n’eût pas dit : « Et voici ; » s’il se fût contenté de dire : Et le voile du temple se rompit », on ne saurait si le texte de saint Matthieu et de saint Marc ne sont pas une simple récapitulation, tandis que saint Luc aurait suivi l’ordre naturel, ou vice versa ; mais ces expressions dissipent tous les doutes.

CHAPITRE XX. DE L’ÉTONNEMENT DU CENTURION.

57. Saint Matthieu continue : « Et la terre trembla, des rochers se fendirent, des sépulcres s’ouvrirent, et les corps de plusieurs saints qui y étaient endormis ressuscitèrent ; et étant sortis de leurs tombeaux ils vinrent à la ville sainte après sa résurrection et se firent voir de plusieurs. » Quoique saint Matthieu soit le seul qui nous rapporte ces circonstances, nous n’avons pas à craindre qu’il soit en contradiction avec les autres évangélistes. Il ajoute : « Quant au Centurion et ceux qui gardaient Jésus avec lui, à la vue du tremblement de terre et de tout ce qui se passait ils éprouvèrent une grande crainte et s’écrièrent : Il était vraiment le Fils de Dieu v. » Saint Marc s’exprime ainsi : « Le Centurion, qui se tenait en face, voyant que Jésus était mort en jetant un aussi grand cri, se dit : Vraiment cet homme était le Fils de Dieu w. » Saint Luc : « Le Centurion voyant ce qui s’était passé, glorifia Dieu en disant : Vraiment cet homme était un juste x. » D’après saint Matthieu la cause de l’admiration du Centurion et de ceux qui l’accompagnaient ce fut le tremblement, de terre ; d’après saint Luc, ce fut d’entendre Jésus pousser un grand cri en expirant, ce qui montrait que le moment de sa mort était en son plein pouvoir. Or, je dis qu’il n’y a en tout cela aucune ombre de contradiction ; en effet, saint Matthieu ne mentionne pas seulement le tremblement de terre, il ajoute : « Et ce qui s’était passé. » Or rien ne pouvait mieux confirmer le récit de saint Luc, puisque si, d’après ce dernier, le Centurion admira la mort du Sauveur, c’est que cette mort devait compter parmi les merveilles qui s’étaient passées. Saint Matthieu ne détaille pas tous ces prodiges, admirés par le centurion et par les soldats ; mais les narrateurs n’étaient-ils pas libres de signaler à leur gré tel miracle plutôt que tel autre ? Quelle contradiction peut-il y avoir si l’un nous parle de tel prodige et l’autre de tel autre, puisque ce sont tous ces prodiges qui ont soulevé l’admiration ? Selon saint Matthieu le centurion dit : « Vraiment il était le Fils de Dieu ; » selon saint Marc, il se serait écrié : « Cet homme était vraiment le Fils a de Dieu. » Mais il est facile de remarquer qu’il n’y a pas plus de contradiction ici que nous n’en avons trouvé dans beaucoup de passages examinés précédemment et que peut se rappeler le lecteur ; que ces paroles expriment la même pensée et qu’elle ne change pas, quoiqu’un des évangélistes dise cet homme, tandis que l’autre ne le dit pas. Mais n’y a-t-il pas une opposition véritable entre ces deux évangélistes et saint Luc qui prête au Centurion les paroles suivantes : « Celui-ci était juste », sans lui faire dire qu’il était le Fils de Dieu ? Et d’abord rien n’empêche de croire que le Centurion a réellement dit du Sauveur qu’il était juste et aussi Fils de Dieu, quoique chaque évangéliste ait omis de citer ces paroles tout entières. Ou bien on peut répondre aussi que saint Luc a voulu donner la raison qui a fait dire au Centurion que Jésus était Fils de Dieu. Peut-être en effet qu’il ne le croyait pas égal à son Père et qu’il ne voyait en lui qu’une filiation spirituelle et morale à cause de sa sainteté même, comme on dit de beaucoup de justes qu’ils sont les enfants de Dieu. D’un autre côté, saint Luc par cette expression générale : « Le Centurion voyant ce qui s’était passé », résume tous les prodiges qui venaient de s’accomplir à l’heure même. Si donc il n’en spécifie qu’un, c’est qu’il les regarde tous comme ne formant qu’un seul et même tout. Saint Matthieu adjoint au Centurion les soldats qui l’accompagnaient, tandis que les autres gardent le silence sur ce point ; mais nous avons déjà dit, que sans impliquer aucune contradiction, l’un peut dire ce que l’autre tait. Enfin saint Matthieu dit des assistants qu’ils furent saisis d’une grande crainte, tandis que saint Luc dit du Centurion qu’il glorifia Dieu ; mais il est facile de comprendre que c’est par sa crainte elle-même, qu’il glorifia Dieu.

CHAPITRE XXI. LES SAINTES FEMMES AU CALVAIRE.

58. Selon Saint Matthieu : « Il y avait aussi là, mais éloignées, plusieurs femmes qui étaient venues de la Galilée avec Jésus, pour le servir ; de ce nombre étaient Marie-Magdeleine, Marie mère de Jacques et de Joseph, et la mère des fils de Zébédée y. » Selon saint Marc : Il y avait là des femmes qui regardaient de loin ; de ce nombre étaient Marie-Magdeleine, Marie mère de Jacques le mineur et de Joseph et Salomé. Pendant qu’il était dans la Galilée elles le suivirent pour le servir ; et plusieurs autres encore qui étaient venues avec Jésus à Jérusalem z. » Je ne vois pas que l’on puisse relever la moindre contradiction entre ces deux textes, car qu’importe que tel auteur se contente de constater la présence de certaines femmes, tandis qu’un autre les désigne par leur nom ? La vérité n’a rien à y voir. Voici le récit de saint Luc : « Et la foule de ceux qui assistaient à ce spectacle et qui voyaient ce qui ce passait, s’en allait en se frappant la poitrine. Tous ceux qui étaient de la connaissance de Jésus se tenaient aussi présents, ainsi que les femmes qui l’avaient suivi depuis la Galilée, et tous contemplaient ce spectacle aa. » On voit que sur la présence des femmes, saint Luc est parfaitement d’accord avec les deux évangélistes précédents, quoique aucune d’elles ne soit ici désignée par son nom. Quant à la foule de ceux qui étaient présents et qui se frappaient la poitrine, saint Luc est d’accord, en cela, avec saint Matthieu, quoique ce dernier ne parle que du centurion et de ceux qui étaient avec lui. Il n’y a qu’un seul point qui particularise le récit de saint Luc, c’est celui où il parle des connaissances ou amis de Jésus ; quant aux femmes, il avait précédemment constaté leur présence, avant la mort du Sauveur : « Auprès de la croix de Jésus, se tenaient, dit-il, la mère, de Jésus et la sœur de sa mère, Marie de Cléophas et Marie-Magdeleine. En apercevant devant lui sa mère et le disciple qu’il aimait, il dit à sa mère : Femme, voilà votre Fils. Ensuite il dit au disciple : Voilà ta mère ; et dès cette heure le disciple la prit avec lui ab. » Si saint Matthieu et saint Marc n’avaient pas désigné nominativement Marie-Magdeleine, nous pourrions dire que parmi ces femmes les unes se tenaient au loin et les autres assez près de la croix de Jésus ; du reste saint Jean est le seul qui mentionne la présence de la Sainte Vierge. Mais comment admettre avec saint Matthieu et saint Marc que Marie-Magdeleine se tenait au loin près des autres femmes, et avec saint Jean, qu’elle se trouvait au pied de la croix ? À moins qu’on n’admette que ces femmes étaient tout près, parce qu’elles étaient assez rapprochées pour voir Jésus et en être vues, et qu’elles étaient éloignées en comparaison de la foule qui, avec le Centurion, environnait la croix ? On pourrait peut-être dire aussi que les femmes qui accompagnaient la mère du Sauveur, se retirèrent dès que Jésus eut recommandé Marie à son disciple, pour se soustraire à la pression de la foule et contempler de plus loin ce qui se passait. Voilà ce qui nous explique pourquoi les autres évangélistes qui ont parlé de ces femmes après la mort du Sauveur, nous les représentent debout, assez loin de la croix.

CHAPITRE XXII. JOSEPH D’ARIMATHIE.

59. Saint Matthieu continue : « Quand le soir fut venu, un homme riche de la ville d’Arimathie, nommé Joseph et qui était aussi disciple de Jésus, vint trouer Pilate et lui demanda le corps de Jésus ; Pilate commanda qu’on le lui donnât ac. » Voici le texte de saint Marc : « Quand le soir fut venu, comme on était à la préparation qui précède le sabbat, arriva Joseph d’Arimathie, noble décurion, qui, lui aussi, attendait le royaume de Dieu. Il alla sans crainte trouver Pilate et lui demanda le corps de Jésus. Or, Pilate s’étonnait que Jésus fût déjà mort ; il appela donc le centurion et lui demanda si la mort était bien réelle ; sur l’affirmation du centurion il donna le corps à Joseph ad. » Saint Luc raconte ainsi le même fait : « Et voici qu’un homme appelé Joseph, lequel était décurion, homme de bien et juste et n’avait pas consenti à leurs desseins et à leurs actions, né à Arimathie, ville de Judée et attendant, lui aussi, le royaume de Dieu, alla trouver Pilate et lui demanda le corps de Jésus ae. » Après avoir parlé du brisement des jambes infligé à ceux qui avaient été crucifiés avec le Seigneur, et du coup de lance porté au côté du Sauveur, saint Jean, qui seul nous apprend ces détails, rapporte en ces termes la suite des événements : « Après cela Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret, parce qu’il craignait les Juifs, vint demander à Pilate l’autorisation d’enlever le corps de Jésus. Il vint donc et enleva ce corps af. » Dans tout cela il n’y a lieu à aucune contradiction. Mais peut-être serait-on tenté de demander pourquoi saint Jean seul fait la remarque que Joseph d’Arimathie n’était que secrètement le disciple de Jésus, parce qu’il craignait les Juifs : en effet s’il en était ainsi, on s’étonne qu’il ait eu la hardiesse de demander le corps du Sauveur, ce que n’osa faire aucun de ceux qui étaient ses disciples déclarés. Or cette démarche s’explique facilement, si on se rappelle que la dignité dont il était revêtu, lui donnait un libre accès auprès de Pilate : d’un autre côté, comme il ne s’agissait que de rendre les derniers devoirs à un mort, il ne se crut obligé d’avoir aucun souci des Juifs, dont il craignait la haine, toutes les fois qu’il s’agissait, pour lui, d’aller entendre les prédications de Jésus.

CHAPITRE XXIII. SÉPULTURE DE JÉSUS.

60. Saint Matthieu ajoute : « Ayant reçu le corps, Joseph l’enveloppa dans un linceul propre et le plaça dans un sépulcre neuf qu’il avait taillé dans la pierre ; il approcha ensuite une grande pierre de l’ouverture du tombeau et se retira ag. » Voici saint Marc : « Joseph acheta un linceul, en enveloppa le corps, qu’il déposa ainsi dans un tombeau, taillé dans la pierre ; puis il en ferma l’entrée avec une pierre ah. » Selon saint Luc : « Joseph ayant descendu le corps, l’enveloppa d’un linceul et le plaça dans un tombeau taillé, qui n’avait encore servi à personne ai. » Tous ces textes sont dans une harmonie parfaite ; cependant saint Jean nous apprend que Joseph fut aidé dans l’œuvre de la sépulture, par Nicodème. Voilà pourquoi il commence ainsi son récit : « Nicodème qui, dès le commencement, était venu trouver Jésus pendant la nuit, vint aussi, apportant environ cent livres d’une composition de myrrhe et d’aloès. » Parlant ensuite des deux à la fois il continue : « Ils prirent ensemble le corps de Jésus, et l’enveloppèrent de linceuls, avec des aromates, ainsi que les Juifs ont coutume d’ensevelir. Or dans le lieu où Jésus avait été crucifié se trouvait un jardin et dans ce jardin un sépulcre tout neuf, où nul n’avait encore été mis. Comme c’était le jour de la préparation des Juifs pour le sabbat, et que ce sépulcre était proche, ils y placèrent Jésus aj. » Quelle contradiction peut-on trouver dans ce texte ? Les Évangélistes, quine parlent pas de Nicodème, ne disent pas non plus que Joseph d’Arimathie ait été seul pour ensevelir le Sauveur. À moins qu’on ne prétende que, quand Joseph eut enveloppé le corps dans un linceul, Nicodème se présenta à son tour, avec un nouveau linceul et l’employa également ; c’est là en effet ce qui semble indiqué par saint Jean, quand il parle des linceuls ou linges. Mais en supposant qu’on n’eût employé qu’un seul linceul, saint Jean aurait pu encore mettre le mot linge au pluriel ; car outre le linceul il y avait le suaire qui cachait la tête et les bandelettes qui enveloppaient le corps tout entier et qui toutes devaient être de lin. De là le mot latin lintea, linges.

CHAPITRE XXIV. CIRCONSTANCES DE LA RÉSURRECTION.

64. Nous lisons en saint Matthieu : « Or il y avait là Marie-Magdeleine et l’autre Marie, assises contre le sépulcre ak. » Saint Marc raconte ainsi le même fait : « Or Marie-Magdeleine et Marie de Joseph regardaient où on plaçait Jésus al. » C’est absolument la même pensée sans des termes différents.

62. Saint Matthieu continue : « Le lendemain, qui était le jour du Sabbat, les princes des prêtres et les pharisiens se réunirent auprès de Pilate et lui dirent : Seigneur, nous nous sommes rappelé que cet imposteur a dit, lorsqu’il était encore en vie : Je ressusciterai après trois jours. Commandez donc que le sépulcre soit gardé jusqu’au troisième jour, dans la crainte que, peut-être, ses disciples ne viennent dérober son corps, et ne disent ensuite au peuple : Il est ressuscité d’entre les morts, et qu’ainsi il ne s’accrédite une erreur pire que la première. Pilate leur répondit : Vous avez une garde, allez donc et faites-le garder comme vous l’entendrez. « Ils s’en allèrent ainsi, et s’assurèrent du sépulcre en scellant la pierre qui en fermait l’entrée et en y laissant des gardes am. » Saint Matthieu seul nous fait connaître cette circonstance, mais les autres Évangélistes ne disent rien qui puisse contredire.

63. Le même auteur ajoute : « Cette semaine étant passée, lorsque le premier jour de la semaine suivante commençait à luire, Marie-Magdeleine et l’autre Marie vinrent pour visiter le sépulcre. Et voilà qu’il se fit un grand tremblement de terre, car un Ange du Seigneur descendit du ciel, vint renverser la pierre et s’assit dessus. Son visage était brillant comme un éclair et ses vêtements blancs comme la neige. Et les gardes en furent saisis de frayeur et devinrent comme morts. Mais l’Ange s’adressant aux femmes, leur dit : Pour vous, ne craignez point, car je sais que vous cherchez Jésus qui a été crucifié. Il n’est point ici ; il est ressuscité, comme il l’avait dit. Venez voir le lieu où le Seigneur avait été mis. Puis hâtez-vous d’aller dire à ses disciples : Il est ressuscité et il vous précède en Galilée, c’est là que vous le verrez. Voilà ce que je vous annonce. Elles sortirent aussitôt du sépulcre, saisies de crainte et transportées de joie, et elles coururent porter ces nouvelles à ses disciples. Et voilà que Jésus se présenta à elles et leur dit : Je vous salue. Et elles s’approchèrent de lui, embrassèrent ses pieds et l’adorèrent. Alors Jésus leur dit : Ne craignez point : « allez, dites à mes frères qu’ils se rendent en Galilée : c’est là qu’ils me verront. Quand et les furent parties, quelques-uns des gardes vinrent à la ville et rapportèrent aux princes des prêtres tout ce qui s’était passé. Et s’étant assemblés avec les anciens, et ayant délibéré ensemble, ils donnèrent une grosse somme d’argent aux soldats et leur dirent : Publiez que ses disciples sont venus la nuit, et l’ont dérobé pendant que vous dormiez. Si cela vient à la connaissance du gouverneur, nous l’apaiserons et nous vous mettrons en sûreté an. » Saint Marc raconte le même fait ao. Mais on peut demander comment, selon saint Matthieu, l’ange se tenait assis sur la pierre du sépulcre après qu’elle eut été renversée. En effet, saint Marc nous dit que les saintes femmes entrèrent dans le sépulcre et y virent un jeune homme assis, vêtu d’une robe blanche, et qu’elles furent saisies d’étonnement. On peut d’abord supposer que saint Matthieu ne dit rien de ce second ange qu’elles virent en entrant, et que saint Marc ne dit rien de celui qu’elles virent assis hors du tombeau. Dans cette interprétation il faudrait admettre la présence de deux anges, qui tous deux leur parlèrent de Jésus, l’un assis en dehors sur la pierre et l’autre assis à droite du sépulcre dans l’intérieur du tombeau. Au moment où elles allaient entrer, l’ange qui était assis au-dehors les encouragea en ces termes : « Venez et voyez le lieu où le Seigneur avait été placé. » Etant donc entrées, elles virent l’autre ange dont saint Matthieu ne parle pas et qui, selon saint Marc, était assis à droite et devait leur adresser à peu près le même lamage. Quoi qu’il en soit, il est certain que la pierre dans laquelle avait été creusé l’endroit de la sépulture, était précédée d’une sorte de barrière à travers laquelle on arrivait au tombeau ; de cette manière l’auge que saint Marc nous représente assis à droite du sépulcre peut fort bien être celui que saint Matthieu nous représente assis sur la pierre que le tremblement de terre avait renversée à l’entrée du tombeau c’est-à-dire du sépulcre qui était creusé dans la pierre.

64. On peut aussi se, demander comment saint Marc a pu dire, en parlant des saintes femmes n Elles s’enfuirent hors du tombeau ; car la crainte et la frayeur les avait saisies ; elles ne parlèrent à personne parce qu’elles étaient tremblantes de crainte. » Saint Matthieu dit, au contraire : « Elles sortirent aussitôt du sépulcre, saisies de crainte et d’une grande joie et coururent tout annoncer aux disciples. » Mais il nous semble que l’on concilie parfaitement ces deux passages, en admettant que ces femmes n’osèrent rien répondre à ce que les anges leur disaient, ni rien dire aux gardiens qu’elles voyaient morts de frayeur. Quant à cette joie dont parle saint Matthieu, elle peut se concilier facilement avec la crainte dont parle saint Marc nous devons admettre que ces deux sentiments envahirent simultanément leur cœur, lors même que saint Matthieu ne parlerait pas de la crainte, ce qui n’est pas ; car il dit expressément : « Elles sortirent aussitôt du sépulcre saisies de crainte et d’une grande joie. » Cette question est ainsi parfaitement résolue.

65. Il y a aussi à examiner une importante question relative à l’heure de l’arrivée des femmes au tombeau. Voici le texte de saint Matthieu : « Le soir du sabbat, lorsque le premier jour de « la semaine suivante commençait à luire, Marie-Magdeleine et l’autre Marie vinrent pour visiter le sépulcre. » Saint Marc dit au contraire : « Et le premier jour de la semaine, de grand matin, elles viennent au tombeau, au moment où le soleil se levait. » Les deux autres Évangélistes, saint Luc et saint Jean formulent la même pensée : « De grand matin », dit saint Luc ; « Le matin, quand les ténèbres régnaient encore », dit saint Jean. C’est absolument le sens de ces paroles de saint Marc : « De grand matin, quand le soleil se levait », c’est-à-dire, quand le ciel commençait à blanchir du côté de l’Orient ; c’est ce qui a lieu à l’approche du soleil, quand se produit le phénomène de l’aurore. Saint Jean a donc pu dire : « Quand les ténèbres régnaient encore », car ce n’est qu’à mesure que le soleil monte à l’horizon, que les ténèbres se dissipent insensiblement et disparaissent. Ces paroles : « De grand matin », ne doivent donc pas s’entendre en ce sens que le soleil eût déjà été sur la terre. C’est ainsi que nous parlons quand nous voulons que quelque chose se fasse de très-bonne heure. Si nous disons le matin, nous entendons que ce soit avant que le soleil darde pleinement ses rayons sur la terre ; nous ajoutons de grand matin, quand nous désignons le moment où le ciel commence seulement à blanchir. De même après que le coq a fait entendre tous ses chants du matin, nous disons ; il est matin ; mais quand le soleil ne fait encore que rougir ou blanchir, nous disons, de grand matin. Il importe donc peu que saint Marc ait dit : « le matin : » Saint Luc : « au premier rayon du jour », ou qu’ils aient ajouté de grand matin, quand le jour commençait seulement à poindre. Saint Jean a parfaitement exprimé cette pensée en disant : « Le matin, quand les ténèbres n’avalent pas encore disparu, au lever du soleil », c’est-à-dire quand, à son lever, le ciel commence à s’éclairer. Mais comment concilier avec ces passages, celui de saint Matthieu qui sans parler du matin se contente de dire : « Le soir du sabbat, quand le premier jour de la semaine suivante commençait à luire ? » Si saint Matthieu mentionne la première partie de la nuit, c’est pour signifier la nuit même à la fin de laquelle les femmes vinrent au tombeau. Et s’il donne ce nom à la nuit tout entière, c’est que dès le soir il était permis d’apporter des aromates, puisque le sabbat était passé. Comme elles ne pouvaient en apporter durant le sabbat, n’était-il pas naturel de faire commencer la nuit au moment où elles reprenaient le droit de faire ce qu’elles voulaient que fût d’ailleurs l’instant précis où elles le feraient ? Ces mots : « Le soir du sabbat », signifient donc la nuit du sabbat ou la nuit qui suivit le jour du sabbat. C’est ce qu’exprime parfaitement le texte : « Le soir du sabbat, quand le premier jour de la semaine suivante commençait à luire. » Ce texte n’a de sens qu’autant qu’il désigne la nuit tout entière et pas seulement le commencement de la nuit ; car ce n’est pas au commencement de la nuit mais à la fin que commence à luire le premier jour de la semaine. D’ailleurs, comme le commencement de la seconde moitié de la nuit est la fin de la première moitié, ainsi le jour termine la nuit entière. Il en résulte donc encore qu’à moins d’entendre par soir la nuit qui finit avec le jour, on ne peut dire que le soir finit quand le jour commence à luire. » De plus il est assez ordinaire, dans le langage de la Sainte Écriture, de prendre la partie pour le tout ; de prendre le soir du jour précédent pour la nuit tout entière qui se termine par le point du jour. Or, c’est au premier point du jour que les femmes vinrent au tombeau, et par là même durant la nuit désignée par le soir. Ce mot, nous l’avons dit, désigne la nuit tout entière ; c’était donc venir pendant cette nuit que de venir à quelque moment que ce fût de la nuit. Elles vinrent dans la seconde partie. Or le soir qui finit à l’aube du premier jour de la semaine désignant la nuit tout entière, en venant durant cette nuit, elles vinrent le soir ; et elles vinrent cette nuit, puisqu’elles vinrent durant la dernière partie de cette nuit même.

66. N’en est-il pas ainsi des trois jours qui s’écoulèrent depuis la mort jusqu’à la résurrection du Sauveur ? Pour que l’on puisse les compter ; il faut, suivant l’usage assez ordinaire, prendre la partie pour le tout. Jésus-Christ avait dit en personne : « Comme Jonas a été trois jours et trois nuits dans le ventre du poisson, de même le Fils de l’homme sera trois jours et trois nuits dans le sein de la terre ap. » Que l’on compte depuis le moment de sa mort ou de sa sépulture, on n’arrive pas à trouver les trois jours entiers. Mais il en est autrement si on suit la règle déjà si souvent exposée : le jour intermédiaire ou le sabbat forme un jour tout entier, la veille du sabbat ou préparation et le premier jour de la semaine ou le dimanche sont également comptés comme deux jours, parce qu’on prend la partie pour le tout. Ce principe résout sur le champ les difficultés inextricables que rencontrent tous ceux qui veulent s’en tenir à la rigueur de la lettre et qui ignorent combien de difficultés fait disparaître dans l’Écriture-la locution qui prend la partie pour le tout. Ainsi, d’après. eux, la première nuit comprendrait les trois heures, depuis la sixième jusqu’à la neuvième, pendant lesquelles le soleil s’est obscurci ; les trois autres heures, depuis la neuvième jusqu’au coucher du soleil, et durant lesquelles cet astre se montra de nouveau à la terre constitueraient le premier jour. Vient ensuite la nuit qui précède le sabbat, puis le sabbat tout entier, ce qui constitue déjà deux nuits et deux jours. Après le sabbat vient la nuit du premier jour de la semaine ou du dimanche, le jour même où le Sauveur est ressuscité ; cela fait seulement deux nuits, deux jours et une nuit, quand même on prendrait cette nuit dans toute son intégrité et quand nous n’aurions pas démontré que le point du jour de la résurrection en est la dernière partie. Ainsi donc, sans tenir compte des six heures de la passion, pendant trois desquelles le soleil s’obscurcit, pour briller pendant les trois autres, on obtiendra mieux les trois jours et les trois nuits. Car, en prenant, avec l’Écriture, la partie pour le tout, nous comptons la fin du jour de la mort et de la sépulture ou du vendredi avec la partie de la nuit qui précède le sabbat, pour un jour et une nuit ; nous avons ensuite le sabbat avec son jour tout entier et sa nuit tout entière ; enfin la 'nuit du dimanche qui suit le samedi et commence le jour du dimanche, qui forme le troisième jour, et ainsi nous obtenons trois jours et trois nuits. Nous trouvons quelque chose de semblable dans une circonstance de la vie du Sauveur, quand il monte sur la montagne. Saint Matthieu et saint Marc nous disent : « Six jours après », ils ne tiennent pas compte des parties de jours ; saint Luc en tient compte et dit : « Huit jours après
Ci-dessus, liv. 2, ch. 56. n. 113.
. »

67. Occupons-nous maintenant de considérer comment tout le reste concorde avec saint Matthieu. Saint Luc affirme clairement que les femmes virent deux anges, au moment où elles vinrent au tombeau. Les deux autres Évangélistes nous en ont mentionné chacun un ; saint Matthieu parle de celui qui était assis en dehors du tombeau, et saint Marc de celui qui était assis à droite dans l’intérieur du sépulcre. Voici maintenant le récit de saint Luc : « Or, ce jour était celui de la préparation, et le sabbat allait commencer. Les femmes qui étaient venues de Galilée avec Jésus, virent le sépulcre et comment on y avait placé le corps de Jésus. Et s’en étant retournées, elles préparèrent des aromates et des parfums et elles se tinrent en repos le jour du sabbat, selon la loi. Mais le premier jour de la semaine, ces femmes vinrent au tombeau de grand matin, et apportèrent les parfums qu’elles avaient préparés. Et elles virent que la pierre qui était au-devant du sépulcre en avait été ôtée. Et étant entrées, elles ne trouvèrent point le corps du Seigneur Jésus. Elles en étaient dans la consternation, quand deux hommes parurent tout-à-coup devant elles avec des robes éclatantes. Et comme elles étaient saisies de frayeur, et qu’elles se tenaient le front courbé vers la terre, ils leur dirent : Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ? Il n’est point ici, il est ressuscité. Souvenez-vous de quelle manière il vous a parlé, lorsqu’il était encore en Galilée, et qu’il disait : Il faut que le Fils de l’homme soit livré entre les mains des pécheurs, qu’il soit crucifié et qu’il ressuscite le troisième jour. Et elles se ressouvinrent en effet des paroles de Jésus. Et étant revenues du sépulcre, elles racontèrent tout ceci aux onze et à tous les autres ar. » Comment donc ces deux anges furent-ils vus assis, l’un au-dehors, selon saint Matthieu et l’autre à droite dans l’intérieur, selon saint Marc, tandis que saint Luc nous les représente tous les deux en face des saintes femmes, quoique tenant à peu près le même langage ? Nous pouvons admettre qu’en arrivant auprès du tombeau elles virent, assis au-dehors, sur la pierre, l’ange dont nous parle saint Matthieu ; puis franchissant la barrière qui faisait au tombeau une sorte de vestibule, et en séparait l’entrée du tombeau lui-même, elles pénétrèrent dans le vestibule et aperçurent l’ange assis à droite sur la pierre qui avait fermé le sépulcre, c’est l’Ange de saint Marc ; enfin elles examinèrent attentivement le lieu où avait été déposé le corps du Sauveur et alors, tout à fait dans l’intérieur, elles aperçurent deux autres anges qui leur parlèrent à peu près de la même manière, pour soutenir leur courage et affermir leur foi ; ce sont les deux anges dont parle saint Luc.

68. Reste maintenant à voir si le texte de saint Jean peut s’accorder avec ce qui précède. Le voici : « Le premier jour de la semaine, Marie-Magdeleine vint au sépulcre de grand matin, lorsqu’il faisait encore obscur ; et elle vit que la pierre avait été ôtée. Elle courut donc et vint trouver Simon Pierre et cet autre disciple que Jésus aimait et elle leur dit : Ils ont enlevé le Seigneur du sépulcre, et nous ne savons où ils l’ont mis. Pierre sortit aussitôt, pour aller au sépulcre et cet autre disciple avec lui. Ils couraient tous deux ensemble ; mais cet autre disciple devança Pierre et arriva le premier au tombeau. Et s’étant baissé, il vit les linceuls qui étaient à terre ; mais il n’entra pas. Simon. Pierre qui le suivait, arriva et entra dans le sépulcre ; il vit aussi les linceuls qui y étaient, et le suaire qu’on lui avait mis sur la tête, lequel n’était pas avec les linceuls, mais lié dans un lieu à part. Alors cet autre disciple qui était arrivé le premier au sépulcre y entra aussi ; et il vit et il crut. Car ils ne savaient pas encore, comme l’Écriture l’enseigne, qu’il fallait qu’il ressuscitât d’entre les morts. Les disciples après cela rentrèrent chez eux. Mais Marie se tenait dehors, près du sépulcre, versant des larmes, Comme elle pleurait ainsi, elle se baissa et regardant dans le sépulcre, elle vit deux anges vêtus de blanc, assis au lieu où avait été le corps de Jésus, l’un à sa tête et l’autre aux pieds. « Ils lui dirent : Femme, pourquoi pleures-tu ? Elle leur répondit : Parce qu’ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais où ils l’ont mis. Ayant dit cela, elle se retourna et elle vit Jésus qui se tenait là, sans qu’elle sût que ce fût lui. Jésus lui dit : Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? Elle, croyant que c’était le jardinier, lui dit : Seigneur, si c’est vous qui l’avez enlevé, « dites-moi où vous l’avez mis, et je l’emporterai. « Jésus lui dit : Marie. Elle, se retournant, lui répondit : Rabboni ; c’est-à-dire Maître. Jésus lui dit : Ne me touche point, car je ne suis pas encore monté vers mon Père ; mais va trouver mes frères et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. Marie-Magdeleine vint donc dire aux disciples J’ai vu le Seigneur et il m’a dit ces choses as. » Dans ce narré de saint Jean, tout est parfaitement d’accord quant au jour et au temps ou l’on vint au sépulcre ; comme saint Luc, il nous parle aussi de deux anges. Néanmoins saint Jean nous les représente debout, tandis que saint Luc nous les montre assis ; en outre il y a dans ce récit de saint Jean bien des circonstances dont ne parlent pas les autres évangélistes, la suite des événements ne paraît pas la même ; sans un examen plus approfondi on pourrait croire qu’il y a là contradiction.

69. Ainsi donc, ne faisant qu’un seul récit des quatre Évangiles combinés, indiquons, autant que le Seigneur nous en fera la grâce, dans quel ordre a pu se succéder tout ce qui est arrivé dans les premiers moments qui ont suivi la résurrection. Tous s’accordent à dire que c’est le premier jour de la semaine et de grand matin, que l’on vint au tombeau. À ce moment s’était déjà accompli ce qui ne nous est rapporté, que par saint Matthieu, le tremblement de terre, le renversement de la pierre et la frayeur qui se saisit des gardes et les jeta à demi-morts contre terre. D’après saint Jean on vit accourir au tombeau Marie-Magdeleine, sans aucun doute la plus ardente de toutes les femmes qui avaient servi le Sauveur ; c’est pour ce motif sans doute que saint Jean ne nomme qu’elle et ne parle pas de celles qui l’accompagnaient. Elle vint donc et bientôt elle s’aperçut que le tombeau était ouvert ; sans chercher à se rendre un compte plus exact de l’état des choses, bien persuadée qu’on a enlevé le corps de Jésus, elle court l’annoncer à Pierre et à Jean. Saint Jean est en effet le disciple que Jésus aimait. Ces deux Apôtres coururent aussitôt au sépulcre ; saint Jean arriva le premier, se baissa, reconnut les linceuls, mais n’entra pas. Pierre se présenta bientôt après, pénétra dans le tombeau, vit les linceuls et à côté d’eux le suaire qui avait été placé sur la tète de Jésus. Saint Jean entra ensuite, remarqua les mêmes circonstances, et crut, comme Marie-Magdeleine, que le corps de Jésus avait été enlevé. « Car ils ne savaient pas encore, comme l’enseigne l’Écriture, qu’il fallait qu’il ressuscitât d’entre les morts. Ils retournèrent ainsi dans leur demeure.

Mais Marie-Magdeleine se tenait auprès du sépulcre en versant de larmes. » Elle n’avait pas quitté cet endroit qui précédait le sépulcre de pierre et dans lequel elles étaient entrées. Or, il. y avait là un, jardin, comme saint Jean nous l’atteste. C’est alors qu’elles virent un ange assis à droite sur la pierre qui avait fermé le tombeau ; c’est de cet ange que nous parlent saint Matthieu et saint Marc. « Il leur dit : Pour vous, « ne craignez rien ; car je sais que vous cherchez Jésus qui a été crucifié ; il n’est point ici ; il est ressuscité comme il l’a dit ; venez et voyez le lieu où le Seigneur avait été placé. Allez vite et dites à ses disciples qu’il est ressuscité, voilà qu’il vous précède en Galilée, c’est là que vous le verrez, je vous l’assure. » Saint Marc s’exprime à peu près de la même manière. À ces paroles Marie, qui pleurait, se courba, jeta ses regards sur le tombeau et, comme le rapporte saint Jean, elle aperçut deux anges, assis et vêtus de blanc ; l’un était à la tète et l’autre au pied du sépulcre où Jésus avait été déposé. « Ils lui dirent : Femme, pourquoi pleures-tu ? Elle leur répond : Parce qu’ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais où ils l’ont mis. » On doit croire qu’alors les anges s’étaient levés, en sorte qu’ils apparaissaient debout, comme saint Luc nous l’atteste. Or, comme ces femmes étaient saisies de crainte et courbées vers la terre : « Pourquoi, leur dirent les anges, cherchez-vous parmi les morts, celui qui est plein de vie ; il n’est point ici, mais il est ressuscité : rappelez-vous ce qu’il vous a dit, quand il était encore en Galilée : Il faut que le Fils de l’homme soit livré entre les mains des pécheurs et qu’il soit crucifié, mais il ressuscitera le troisième jour. Et le souvenir de ces paroles leur revint à l’esprit. – C’est alors que Magdeleine se retourna et aperçut Jésus, comme nous le dit saint Jean, et elle ne savait pas que ce fût Jésus. Le Sauveur lui dit : Femme, pourquoi pleures-tu ? qui cherches-tu ? Pensant que c’était le jardinier, elle lui dit : Seigneur, si c’est vous qui l’avez enlevé, dites-moi où vous l’avez mis et je l’emporterai. Jésus lui dit : Marie. Se retournant aussitôt, elle répondit : Rabboni ; c’est-à-dire : Maître. Jésus lui dit : Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté à mon Père ; va trouver mes frères et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. »

Elle sortit alors du tombeau, c’est-à-dire du lieu particulier formé de la partie du jardin qui était en avant de l’ouverture pratiquée dans la pierre. Elle fut suivie des autres femmes, que saint Marc nous représente en proie à la crainte et à la frayeur, et elles gardaient un profond silence. C’est alors, selon saint Matthieu, que Jésus se présenta à leur rencontre et leur dit Je vous salue. Elles s’approchèrent de lui, saisirent ses pieds et l’adorèrent. » Ainsi nous pensons que ces femmes ouïrent deux fois les anges et deux fois Jésus ; une première fois quand Magdeleine le prit pour le jardinier, et la seconde, quand il se présenta à leur rencontre, voulant par là les affermir dans la foi et dissiper leur crainte. « Il leur dit alors : Ne craignez rien, allez, dites à mes frères de se rendre en Galilée, c’est là qu’ils me verront. – Marie-Magdeleine courut donc annoncer aux disciples qu’elle avait vu le Seigneur et leur rapporta ses paroles ; » les autres femmes en firent autant, car, selon saint Luc, « elles annoncèrent tout cela aux onze et à tous les autres. Or les disciples ne virent dans tout cela que des rêveries de femmes et ils refusaient d’y croire : » Saint Marc confirme tout cela. En effet, après avoir raconté qu’elles sortirent toutes tremblantes du sépulcre et dans le plus profond silence, il ajoute que le premier jour de la semaine, dès le matin, le Seigneur apparut d’abord à Marie-Magdeleine qu’il avait délivrée de sept démons ; qu’ensuite elle alla tout raconter aux disciples encore plongés dans les larmes et la douleur ; mais qu’en apprenant que Jésus vivait et qu’il avait apparu à Magdeleine, les disciples refusèrent d’y croire.

Saint Matthieu ajoute qu’après le départ des femmes qui avaient tout vu et tout entendu, un certain nombre de gardes qui avaient été jetés contre terre, à demi-morts, rentrèrent dans la ville et annoncèrent aux princes des prêtres tout ce qui s’était passé, c’est-à-dire tout ce dont ils avaient pu s’apercevoir ; qu’aussitôt les princes des prêtres et les anciens tinrent conseil, donnèrent une grosse somme d’argent aux soldats, à condition qu’ils diraient que les disciples étaient venus et qu’ils avaient profité de leur sommeil pour enlever son corps ; qu’en même temps ils leur promirent qu’ils s’emploieraient auprès du gouverneur pour leur épargner tout châtiment ; que les soldats reçurent l’argent, firent exactement ce qui leur avait été recommandé ; et que ce fait est encore publié aujourd’hui parmi les Juifs.

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