ab1Co 15, 42,55
amSir 34, 9-11
aqSir 27, 6
asDeu 13, 19-24
bqPsa 113, 16
chSir 3, 33
ciId 29, 15
ckSag 4, 20
cqSir 21, 1
cuSir 5, 5, 6
cxSag 1, 1
Matthew 6
LIVRE SECOND.
SECONDE PARTIE DU SERMON a.
CHAPITRE PREMIER.
POUR VOIR DIEU IL EST NÉCESSAIRE QUE LE CŒUR SOIT PUR.
1. Après la miséricorde, dont l’étude termine notre premier livre, vient la pureté du cœur, par où nous commençons le second livre. Or la pureté du cœur est en quelque sorte celle de l’œil destiné à voir Dieu, et que l’on doit avoir soin de tenir simple autant que l’exige la dignité de l’objet qu’il peut contempler. Mais il est difficile que dans cet œil en grande partie purifié, il ne se glisse pas quelque saleté provenant des choses mêmes qui accompagnent ordinairement nos bonnes actions, comme la louange humaine, par exemple. S’il est dangereux de mal vivre, qu’est-ce que bien vivre et renoncer à la louange ; sinon être ennemi du monde qui est d’autant plus misérable que la vie régulière lui déplaît davantage ? Si donc ceux parmi lesquels vous vivez ne vous louent pas quand vous faites le bien, ils sont dans l’erreur ; s’ils vous louent, vous êtes en danger, à moins que votre cœur ne soit si simple et si pur que, dans le bien que vous Mites, vous n’ayez point en vue les louanges des hommes ; que vous ne soyez plus disposé à féliciter ceux qui goûtent et approuvent le bien, qu’à vous féliciter vous-même, quoique vous meniez une vie régulière quand même on ne vous en louerait pas ; et enfin, à moins que vous ne compreniez crue l’éloge qu’on fait de vous n’est utile à celui qui le fait, qu’autant qu’il rapporte l’honneur de votre bonne conduite, non à vous mais à Dieu, dont toute âme fidèle est le temple très saint et qu’il veut accomplir ce que dit David : « Mon âme se glorifiera dans le Seigneur ; que ceux qui ont le cœur doux écoutent et soient dans l’allégresse b. » C’est donc le propre de celui qui a l’œil pur de faire le bien sans égard aux louanges des hommes, sans les avoir en vue dans le bien qu’il fait, c’est-à-dire de ne jamais faire le bien pour plaire aux hommes. En effet on pourra simuler le bien, si l’on se propose seulement d’être loué, car, l’homme ne pouvant lire au fond du cœur, ses éloges peuvent tomber à faux. Ceux qui agissent ainsi, c’est-à-dire qui simulent le bien, ont le cœur double. Celui-là a donc seul le cœur simple, c’est-à-dire pur, qui s’élève au-dessus des louanges humaines ; qui en faisant le bien, n’a en vue et ne cherche à plaire qu’à Celui qui pénètre les consciences. Et tout ce qui sort de sa conscience pure est d’autant plus louable qu’il a moins en vue les louanges humaines. 2. « Prenez donc garde, dit le Seigneur, de ne pas faire votre justice devant les hommes, pour être vus d’eux » c’est-à-dire prenez garde de pratiquer la justice pour que les hommes vous voient et de chercher là votre satisfaction. « Autrement vous n’aurez point de récompense de votre Père qui est dans les cieux » non pas précisément si vous êtes vus des hommes, mais si vous faites le bien pour en être vus. En effet qu’en serait-il de ce qui a été dit au commencement de ce sermon : « Vous êtes la lumière du monde ? une ville ne peut être cachée, quand elle est située sur une montagne ; et on n’allume point une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais sur un chandelier, afin qu’elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison ; qu’ainsi donc votre lumière luise devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres ? » Mais ce n’est point là que le Seigneur fixe le but, car il ajoute : « et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux c. » Et ici, comme il défend de se proposer ce but, c’est-à-dire de faire le bien pour être vu des hommes, après avoir dit : « Prenez garde de faire votre justice devant les hommes, pourra être vus d’eux » il n’ajoute rien : ce qui prouve qu’il n’a pas défendu de faire le bien devant les hommes, mais de le faire pour être vu d’eux, c’est-à-dire de viser à cette fin, de fixer là son but. 3. En effet l’Apôtre nous dit : « Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais point serviteur du Christ d » bien qu’il dise ailleurs Complaisez à tous en toutes choses, comme je le fais moi-même e. Pour ceux qui ne savent pas comprendre, il y a là une contradiction pourtant en disant qu’il ne plaît pas aux hommes, il veut dire qu’il ne fait pas le bien pour leur plaire, mais pour plaire à Dieu, à l’amour duquel il voulait amener tous les hommes en cherchant à leur plaire. Il avait donc raison de dire qu’il ne plaisait pas aux hommes, parce qu’en cela il n’avait en vue que de plaire à Dieu : et il n’avait pas moins raison de recommander de plaire aux hommes, non pour chercher là une récompense à de bonnes actions, mais parce qu’on ne peut plaire à Dieu sans se présenter comme modèle à ceux qu’on veut sauver, et que personne n’est tenté d’imiter celui qui ne lui plaît pas. Ainsi comme il ne serait point déraisonnable de dire : En prenant la peine de chercher un vaisseau, ce n’est pas un vaisseau, mais une patrie, que je, cherche ; de même l’Apôtre pouvait dire : En cherchant à plaire aux hommes, ce n’est pas aux hommes, mais à Dieu que je plais : car, mon but n’est pas là, mais je tends à être imité par ceux que je veux sauver. C’est ainsi qu’il dit en parlant des oblations faites pour les saints « Non que je recherche vos dons, mais je désire le fruit qui en résultera f » c’est-à-dire en recherchant vos dons, ce ne sont pas vos dons que je recherche, mais les fruits qui en résulteront pour vous. Car c’était là un indice du progrès qu’ils avaient faits dans les voies du Seigneur, puisqu’ils offraient de bon cœur ce que l’Apôtre leur demandait, non pour son plaisir, mais pour entretenir les liens de la charité. 4. Quant à ce que le Seigneur ajoute : « Autrement vous n’aurez point de récompense de votre Père qui est dans les cieux » cela prouve simplement que nous devons nous tenir en garde pour ne pas chercher la récompense de nos bonnes œuvres dans les louanges humaines, c’est-à-dire pour ne pas nous imaginer que nous puissions y trouver le bonheur.CHAPITRE II. HYPOCRISIE. – MAIN GAUCHE.
5. « Lors donc que tu fais l’aumône, ne sonne pas de la trompette devant toi, comme font les hypocrites dans les synagogues et dans les rues, afin d’être honorés des hommes. » C’est-à-dire ne cherche pas, comme les hypocrites, à te faire un noie. Or il est clair que l’hypocrite n’a point dans le cœur les sentiments qu’il affecte aux yeux, des hommes. Car il simule, joue, pour ainsi dire, le rôle d’un autre, comme les acteurs au théâtre. En effet celui qui représente, dans une tragédie, Agamemnon, par exemple, ou tout autre personnage historique ou fabuleux, n’est point ce personnage même ; mais il fait semblant de l’être' et on l’appelle comédien. Ainsi quiconque, dans l’Église ou dans toute condition humaine, veut paraître ce qu’il n’est pas, est un comédien. Il feint d’être juste, et ne l’est pas réellement, parce qu’il place tout, son profit dans la louange humaine, que, les hypocrites peuvent, obtenir en trompant ceux à, qui ils paraissent, bons et en recevant leurs éloges. Mais de tels hommes ne reçoivent, du, Dieu qui lit dans les cœurs, d’autre récompense que la punition due à la fourberie : car, dit le Saveur, « ils, ont reçu » des hommes « leur récompense ;» et c’est avec, grande raison qu’on leur dira : Retirez-vous de moi, ouvriers de fraude ; vous avez porté mon nom, mais vous n’avez pas fait mes œuvres. Ceux-là donc ont reçu leur, récompense, quine font l’aumône que pour être honorés des hommes ; non pas précisément parce qu’ils sont honorés, mais parce qu’ils ont agi pour être honorés, ainsi, que nous l’ayons exposé plus haut. En effet la, louange humaine ne doit, pas être recherchée, par celui qui fait le bien, mais l’accompagner ; pour le ; profit de ceux qui peuvent imiter ce qu’ils louent, et non, pour que celui qu’ils louent croie tirer quelque profit de leurs éloges. 6. « Pour toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta droite. » Si par main gauche vous entendez ici les infidèles, il vous semble qu’il n’y a pas de mal à chercher à plaire aux fidèles, bien : qu’on nous défende absolument de fixer, pour but et pour prix de nos bonnes œuvres, les louanges de qui que ce soit : Au, point de vue de l’imitation de la, part de ceux qui auront approuvé votre conduite, vous, ne devez pas être modèle pour les fidèles seulement, mais aussi pour les infidèles, afin que la vue de vos bonnes œuvres, objets de leurs éloges, les porte à honorer Dieu : et les attire au salut. Que si par main gauche vous entendez un ennemi, ce qui voudrait dire que votre ennemi doit ignorer votre aumône : pourquoi le Seigneur lui-même a-t-il guéri des hommes avec tant de bonté au milieu des Juifs ses ennemis ? Pourquoi l’apôtre Pierre, après avoir guéri par compassion le boiteux près de la porte appelée la Belle, a-t-il supporté la haine de ses entremis envers lui et envers les autres disciples du Christ g ? Enfin si notre ennemi doit ignorer notre aumône, comment la lui ferons-nous, à lui-même, en accomplissement de ce précepte : « Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui à boire h ? » 7. Il y a là-dessus une troisième opinion d’hommes charnels, mais tellement absurde, tellement ridicule, que je n’en parlerais pas si je ne savais qu’elle est admise par un grand nombre. Ceux-là prétendent que la main gauche désigne ici l’épouse ; parce que, disent-ils, la femme tenant davantage à l’argent au sein du ménage, il faut que les hommes fassent l’aumône à leur insu, pour éviter les discussions domestiques. Comme si l’homme seul était chrétien, et que le commandement de l’aumône ne regardât point la femme ! Quelle sera donc la main gauche à qui la femme devra cacher ses œuvres de miséricorde ? L’homme sera-t-il la main gauche de la femme ? Ce serait la plus grande des absurdités. Et si on prétend que les époux sont l’un pour l’autre cette main gauche, si toute aumône faite par l’un du bien domestique contrarie l’autre, ce n’est plus là un mariage chrétien ; il faudra que celui des deux qui voudra accomplir, bon gré malgré, le précepte divin de l’aumône, blesse en même temps la volonté de Dieu, et soit rangé parmi les infidèles : car il est prescrit, en pareil cas, au mari fidèle de gagner sa femme par sa bonne conduite et ses mœurs, et à la femme pareillement à l’égard de son mari ; par conséquent ils ne doivent point se cacher naturellement leurs bonnes œuvres, qui doivent au contraire devenir entre eux une sorte d’invitation réciproque, un moyen de s’attirer à la foi chrétienne. Il ne faut pas non plus voler pour se concilier l’amitié de Dieu. Et s’il est nécessaire de cacher quelque chose, par égard pour l’infirmité du conjoint encore incapable de voir l’aumône de bon œil, en quoi il n’y a ni injustice ni péché ; cependant cette interprétation du mot main gauche ne s’accommoderait guère à l’ensemble du chapitre qui va, du reste, nous apprendre ce que le Christ a entendu par là. 8. « Prenez garde, nous dit-il, à ne pas faire votre justice devant les hommes, pour être vus d’eux ; autrement vous n’aurez point de récompense de votre Père qui est dans les cieux. » Il parle ici de la justice en général, puis il entre dans les détails. En effet l’aumône est une partie de la justice, et c’est pourquoi il ajoute immédiatement : « Lors donc que tu fais l’aumône, ne sonne pas de la trompette devant toi, comme font les hypocrites dans la synagogue et dans les rues, afin d’être honorés des hommes » et ceci se rattache à ce qu’il a dit plus haut : « Prenez garde à ne pas faire votre justice devant les hommes, pour être vus d’eux. » De même ce qui suit : « En vérité je vous le dis, ils ont reçu leur récompense » se rapporte à ce texte précédent : « Autrement vous n’aurez point de récompense de votre Père qui est dans les cieux. » Puis il continue : « Pour toi, quand tu fais l’aumône. » Que signifient ces mots : Pour toi, si non : à la différence d’eux ? Que me commande-t-il donc ? Pour toi, quand tu fais l’aumône, « que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta droite. » Donc les hypocrites agissent de manière à ce que leur main gauche sache ce que fait leur droite. On vous défend par conséquent de faire ce qu’on blâme en eux. Or ce qu’on blâme en eux, c’est d’agir en vue des louanges des hommes. Le sens le plus naturel de ce mot, main gauche, semble donc être le plaisir d’être loué ; tandis que la droite signifie l’intention d’accomplir les préceptes divins. Donc quand la recherche de la louange humaine se glisse dans la conscience de celui qui fait l’aumône, la gauche sait ce que fait la droite. Par conséquent, « que ta main gauche ne sache ce que fait ta droite » c’est-à-dire que le désir de la louange humaine ne se glisse point dans votre conscience, quand vous cherchez à remplir le précepte divin de l’aumône. 9. « Afin que ton aumône soit dans le secret. » Qu’est-ce dans le secret, sinon dans la bonne conscience elle-même, qui ne peut ni être rendue visible aux yeux des hommes, ni être manifestée par des paroles ? En effet beaucoup mentent de bien des façons. Par conséquent si la main droite agit à l’intérieur et en secret, à la gauche appartient l’extérieur, tout ce qui est visible et temporel. Que votre aumône soit donc dans votre propre conscience, où beaucoup la font par leur bonne volonté, quand ils n’ont pas d’argent ni autre chose à donner au pauvre. Mais beaucoup aussi la font au-dehors, et non au dedans : ce sont ceux qui, par ambition ou par des vues temporelles, veulent paraître miséricordieux et en qui il faut croire que la gauche seule opère. D’autres tiennent une sorte de milieu entre ces deux extrêmes : ils font l’aumône en dirigeant leur intention vers Dieu, et cependant à ce but excellent se mêle un certain désir de la louange ou de toute autre chose fragile et passagère. Mais le Seigneur, qui ne veut pas même que la gauche se mêle en rien des œuvres de la droite, défend bien plus énergiquement de la laisser seule agir en nous ; afin que non seulement nous évitions de faire l’aumône uniquement par un motif temporel, mais encore qu’en la faisant, notre intention soit tellement dirigée vers Dieu qu’aucun désir d’avantages extérieurs ne vienne s’y mêler ou s’y joindre. Car il s’agit de purifier le cœur, qui ne peut être pur qu’à moins d’être simple. Or comment sera-t-il simple s’il sert deux maîtres, s’il ne purifie pas ses yeux parla contemplation des biens éternels, et les laisse s’obscurcir par l’amour des choses mortelles et fragiles ? Donc que ton aumône soit dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. » Rien de plus juste ni de plus vrai. En effet si vous attendez votre récompense de Celui qui lit seul dans la conscience, que le témoignage de votre conscience vous suffise pour mériter ce prix. Beaucoup d’exemplaires latins portent : « Et ton, Père, qui voit dans le secret, te le rendra devant les hommes » mais comme cette expression devant les hommes, ne se trouve pas dans les exemplaires grecs, qui.sontles plus anciens, nous n’avons pas cru devoir nous y arrêter.CHAPITRE III. DE LA PRIÈRE, SES CONDITIONS, SON UTILITÉ.
10. « Et lorsque tu pries, ne sois pas comme les hypocrites qui aiment à prier debout dans les synagogues et au coin des grandes rues, afin d’être vus des hommes. » Ici encore il n’est point défendu d’être vu par les hommes, mais d’agir pour être vu d’eux ; et il est, superflu de le répéter, puisque la règle est donnée, une fois pour toutes, non de craindre et d’éviter que les hommes sachent ce que nous faisons, mais de rien faire avec l’intention de rechercher leur approbation pour récompense. Le Seigneur lui-même emploie ici les mêmes expressions, en ajoutant, comme la première fois : « En vérité je vous le dis, ils ont reçu leur récompense » faisant voir par là qu’il condamne la récompense que les insensés cherchent dans les louanges humaines. 11. « Pour vous, quand vous priez, entrez dans votre chambre. » Or quelle est cette chambre, sinon le cœur lui-même, ainsi que le Psalmiste l’enseigne quand il dit : « Ce que vous dites dans votre cœur, repassez-le avec amertume sur votre couche i.— Et, les portes fermées, priez votre Père en secret. » C’est peu d’entrer dans sa chambre, si on en laisse la porte ouverte aux importuns, si les choses du dehors s’y introduisent et envahissent notre intérieur. Or nous avons dit que le dehors ce sont tous les objets temporels et visibles, qui pénètrent dans nos pensées par la porte, c’est-à-dire par les sens charnels, et troublent nos prières par une multitude de vains fantômes. Il faut donc fermer la porte, c’est-à-dire résister au sens charnel, en sorte que notre prière, toute spirituelle, s’élève vers le Père du fond du cœur où l’on prie le Père en secret. « Et votre Père qui voit dans le secret, vous le rendra. » C’est par là qu’il fallait terminer ; car le Seigneur n’a pas en vue ici de nous recommander de prier, mais de nous appendre comment il faut prier ; comme plus haut, ce n’était point l’aumône qu’il recommandait, mais l’esprit dans lequel il faut la faire ; puisqu’il s’agit de la pureté du cœur, qui ne s’obtient qu’en fixant son intention unique, simple, sur la vie éternelle, par le seul et pur amour de la sagesse. 12. « Or, en priant, ne parlez pas beaucoup, comme les païens ; ils s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés. » Comme le propre des hypocrites est de se donner en spectacle dans la prière et de n’en attendre d’autre fruit que l’approbation des hommes ; ainsi le propre des païens, c’est-à-dire des gentils, est de s’imaginer qu’à force de paroles ils seront exaucés. Et en effet toute abondance de paroles vient des gentils qui s’appliquent plus à exercer leur langue qu’à purifier leur cœur. Ils s’efforcent de transporter dans la prière ce ridicule verbiage, dans l’espoir de fléchir Dieu, et dans la conviction que Dieu se laisse, comme l’homme, séduire par des paroles. « Ne leur ressemblez donc pas » dite le seul et véritable Maître. « Car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez. » Si en effet il faut une multitude de paroles pour informer et instruire celui qui ne sait pas, qu’en est-il besoin avec Celui qui connaît tout, à qui tout ce qui est parle, par cela seul qu’il est, et se présente comme un fait accompli ; à la science et à la sagesse duquel l’avenir n’est point caché ; pour qui tout ce qui est passé et tout ce qui passera est immuablement présent ? 13. Mais comme il doit lui-même nous apprendre à prier par des mots, quoique en petit nombre, on peut demander quel besoin il y a de ce peu de mots avec Celui qui sait toutes choses avant qu’elles arrivent, et connaît, il le dit lui-même, ce qui nous est nécessaire avant que nous le lui demandions ? Nous répondons d’abord que ce n’est point par des paroles qu’il faut traiter avec Dieu pour obtenir ce que nous désirons, mais par ce qui se passe en notre âme, par la direction de notre pensée accompagnée d’amour pur et de simple affection ; et de plus que le Seigneur nous a appris les choses par les mots, afin que les mots, confiés à notre mémoire, nous rappellent les choses au moment de la prière. 14. On peut insister et dire : Qu’il faille prier par des choses ou par des mots, à quoi bon la prière, si Dieu sait ce qui nous est nécessaire ? Non répondons que l’attention même de la prière calme et purifie notre cœur et le rend plus apte à recevoir les dons célestes qui nous viennent spirituellement ; car ce n’est pas parce qu’il ambitionne des prières que Dieu nous exauce, lui qui est toujours prêt à nous donner sa lumière, non celle qui est visible, mais la lumière intelligible et spirituelle. Seulement nous ne sommes pas toujours disposés à la recevoir, quand nous nous portons d’un autre côté et que la convoitise des choses temporelles nous remplit de ténèbres. La prière tourne donc notre cœur vers Celui qui est toujours prêt à nous donner, si nous sommes capables de recevoir ses dons ; et dans ce mouvement, le regard intérieur se purifie par l’exclusion des désirs temporels, en sorte que l’œil du cœur simple puisse supporter la lumière simple qui brille d’en haut, sans déclin, sans changement ; et puisse la supporter non seulement sans incommodité, mais avec cette joie ineffable qui constitue véritablement et réellement le bonheur.CHAPITRE IV. ORAISON DOMINICALE : NOTRE PÈRE.
15. Mais il est temps de voir quelle prière nous impose Celui par qui nous apprenons ce que nous devons demander et nous obtenons ce que nous demandons. « C’est ainsi donc que vous prierez, nous dit-il : Notre Père, qui êtes dans les cieux, que votre nom soit sanctifié ; que votre règne arrive ; que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ; donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien, et remettez-nous nos dettes comme nous remettons nous-mêmes à ceux qui nous doivent, et ne nous induisez pas en tentation, mais délivrez-nous du mal. » Toutes les fois qu’on prie, il faut d’abord gagner la bienveillance do celui à qui on s’adresse, ensuite exposer l’objet de sa demande. Or, on gagne la bienveillance de celui qu’on prie, en faisant son éloge, et cet éloge le place ordinairement au commencement de la prière. Pour cela le Seigneur nous ordonne simplement de dire : « Notre Père qui êtes dans les cieux. À Bien des choses ont été dites à la louange de Dieu ; quiconque lit les saintes Écritures les y trouvera partout et sous des formes différentes ; et cependant on ne voit nulle part que le peuple d’Israël ait reçu ordre de dire Notre Père, ou de prier Dieu le Père ; on lui donne l’idée de Dieu comme d’un Maître commandant à des esclaves, c’est-à-dire à des hommes qui vivent encore selon la chair. Je parle du moment où ils recevaient les préceptes de la Loi avec l’ordre de les observer ; car les prophètes montrent que souvent notre Seigneur aurait pu être leur Père, s’ils ne s’étaient pas écartés de ses commandements. Tel est ce passage, par exemple : « J’ai engendré des enfants et je les ai élevés, et ils se sont révoltés contre moi j » et cet autre : « J’ai dit : vous êtes des dieux, vous êtes tous les enfants du Très-Haut k » et celui-ci encore : « Si je suis votre maître, où est votre crainte de moi ? Si je suis votre Père, où sont mes honneurs l ? » et une foule d’autres où l’on reproche aux Juifs prévaricateurs de n’avoir pas voulu être enfants de Dieu. Nous exceptons les textes qui s’appliquent prophétiquement au futur peuple chrétien en tant qu’il devait avoir Dieu pour Père, conformément à ces paroles évangéliques : « Il leur a donné le pouvoir d’être faits enfants de Dieu m. » De son côté, Paul l’Apôtre dit : « Tant que l’héritier est enfant, il ne diffère point d’un serviteur » puis il rappelle que nous avons reçu l’Esprit d’adoption dans lequel nous crions : Abba, Père n. » 16. Et comme notre vocation à l’héritage éternel, pour être cohéritiers du Christ et devenir enfants d’adoption, n’est point le fruit de nos mérites, mais l’effet de la grâce de Dieu : nous mentionnons cette grâce dès le début de la prière, en disant : Notre Père. Ce nom excite tout à la fois et l’amour, qu’y a-t-il de plus cher pour des enfants qu’un Père ? et l’affection dans la prière, puisque nous disons Notre Père ; et un certain espoir d’obtenir ce que nous allons demander, puisque, avant même de demander, Dieu nous accorde déjà une si grande faveur, la permission de lui dire : Notre Père. Que peut-il en effet refuser à la prière de ses enfants, quand il leur a déjà préalablement permis d’être ses enfants. Enfin quelle sollicitude ces mots : Notre Père, n’éveillent-ils pas dans le cœur, pour ne pas se montrer indigne d’un Père si grand ? En effet si un sénateur, d’un âge avancé, permettait à un homme du peuple de l’appeler son père, sans doute celui-ci, saisi de frayeur, l’oserait à peine, en réfléchissant à l’humilité de sa naissance, à sa pauvreté, à sa basse condition ; à combien plus forte raison, faut-il redouter d’appeler Dieu son Père, si l’âme est tellement souillée, si la conduite est tellement coupable qu’elles inspirent à Dieu une répulsion bien plus juste que celle qu’un sénateur éprouverait pour les haillons d’un mendiant ? Car, après tout, ce riche ne dédaigne dans un mendiant qu’une situation où il peut tomber lui-même par l’effet de la fragilité des choses de ce monde ; tandis que Dieu ne peut jamais tenir une mauvaise conduite. Grâces donc à la miséricorde de ce Dieu qui exige que nous l’ayons pour Père : ce qui peut s’obtenir sans aucune dépense et par le seul effet de la bonne volonté. Avis aussi aux riches, ou aux nobles selon ce siècle, devenus chrétiens, d’être sans hauteur vis-à-vis des pauvres ou des gens d’humble condition ; parce qu’ils disent avec tous les autres : Notre Père, ce qu’ils ne pourraient faire avec vérité et avec piété, s’ils ne se reconnaissaient frères des autres hommes.CHAPITRE V. QUI ÊTES AUX CIEUX. – QUE VOTRE NOM SOIT SANCTIFIÉ.
17. Que le peuple nouveau, appelé à l’héritage éternel, emprunte donc la voix du nouveau Testament et dise : « Notre Père qui êtes dans les cieux » c’est-à-dire dans les saints et dans les justes. Car Dieu n’est point renfermé dans l’espace. Les cieux sont sans doute les corps les plus excellents de ce monde, mais ce sont des corps et ils ne peuvent être que dans l’espace. Et si l’on s’imagine que Dieu y réside localement comme dans la partie la plus élevée de ce monde, il faudra dire que les oiseaux ont plus de valeur que nous : car ils vivraient plus près de Dieu. Or il n’est pas écrit. Dieu est près des hommes haut placés, ou qui habitent sur les montagnes ; mais bien : « Dieu est près de ceux qui ont le cœur contrit » et la contrition est le propre de l’humilité. Et comme on donne au pécheur le nom de terre, quand on lui dit : « Tu es terre et tu iras en terre o » ainsi, par contre, on peut appeler le juste, ciel. En effet on dit aux justes : « Car le temple de Dieu est saint et vous êtes ce temple p. » Donc si Dieu habite dans son temple, et si les saints sont ce temple, on a raison d’interpréter : « Qui êtes dans les cieux » par : qui êtes dans les saints. Et cette comparaison est d’autant plus juste qu’on peut dire qu’il y a spirituellement autant de distance entre les justes et les pécheurs, qu’il y en a matériellement entre le ciel et la terre. 18. C’est pour exprimer cette pensée que, lorsque nous prions, nous nous tournons vers f0rient, le point de départ du ciel ; non que Dieu y habite et ait quitté les autres parties du monde, lui qui est présent partout, non d’une manière locale, mais par la puissance de sa majesté ; seulement l’esprit est averti par là de se tourner vers la nature la plus parfaite, c’est-à-dire vers. Dieu, puisque son corps qui est terrestre est tourné vers le corps le plus parfait, qui est le ciel. Il est en effet convenable et même très avantageux au progrès de la religion, que tous, petit ; et grands, aient de Dieu de justes idées. Voilà pourquoi il faut supporter ceux qui étant encore captivés par les beautés visibles, ne pouvant se figurer rien d’incorporel, et estimant nécessairement le ciel plus que la terre, croient que Dieu, dont ils se forment encore une idée matérielle, habite dans le ciel plutôt que sur la terre ; afin que, quand ils sauront un jour que l’âme l’emporte en dignité jusque sur le ciel ils cherchent Dieu dans l’âme plutôt que dans un corps même céleste ; et que, quand ils sauront la distance qui sépare les justes des pécheurs, eux qui n’osaient pas, dans leurs idées charnelles, placer le séjour de Dieu sur la terre, mais dans le ciel, désormais plus éclairés dans leur foi et dans leur intelligence, le cherchent dans les âmes des justes plutôt que dans celles des pécheurs. C’est donc avec raison que ces paroles : « Notre Père qui êtes dans les cieux » s’entendent du cœur des justes, où Dieu habite comme dans son temple. Par là aussi celui qui prie désirera voir résider en lui Celui qu’a invoqué, et dans cette noble ambition, il sera fidèle à la justice : ce qui est le présent le plus propre à fixer Dieu dans une âme. 19. Voyons maintenant ce qu’il faut demander. Nous avons vu quel est celui qu’on invoque et où il habite. Or la première de toutes les demandes est celle-ci : « Que votre nom soit sanctifié » ce qui ne veut pas dire que le nom de Dieu n’est pas saint, mais on demande qu’il soit regardé comme saint par les hommes ; c’est-à-dire que les hommes connaissent tellement Dieu qu’ils n’estiment rien plus saint que lui, rien qu’il faille plus craindre d’offenser. Et parce qu’il est écrit : « Le Seigneur est connu en Judée, son nom est grand dans Israël q» il ne faut pas croire que Dieu est moins grand ici et plus grand là ; mais seulement que son nom est grand là où on le prononce avec le respect dû à sa grandeur et à sa majesté. Ainsi son nom est saint, là où on le nomme avec vénération et crainte de l’offenser, et c’est ce qui arrive maintenant, quand l’Évangile, en se répandant encore chez les diverses nations, fait respecter le nom du Dieu unique par l’entremise de son Fils.CHAPITRE VI. QUE VOTRE RÈGNE ARRIVE. – QUE VOTRE VOLONTÉ SOIT FAITE.
20. Seconde demande : « Que votre règne arrive. » Le Seigneur lui-même nous apprend que le jour du jugement viendra quand l’Évangile aura été prêché à toutes les nations r ; ce qui touche à la sanctification, du nom de Dieu. Ici ces mots : « que votre règne arrive » ne signifient pas que Dieu ne règne pas maintenant. Mais, dira-t-on peut-être, cela signifie : « qu’il arrive » sur la terre. Comme si Dieu ne régnait pas sur la terre et n’y avait pas régné depuis la création du monde. Ce mot : « qu’il arrive » signifie donc : qu’il soit manifesté aux hommes. Car comme la lumière, quoique présente, n’existe pas pour les aveugles ni pour ceux qui ferment les yeux ; ainsi le règne de Dieu, quoique permanent sur la terre, est absent pour ceux qui l’ignorent. Or il ne sera plus possible à personne d’ignorer le règne de Dieu quand son Fils unique viendra du ciel d’une manière non seulement spirituelle, mais encore visible et sous forme humaine, juger les vivants et les morts ▼▼Rét 1, ch. 19 n. 8
. Après ce, jugement, c’est-à-dire quand la séparation des bons et des méchants sera faite, Dieu habitera dans les justes de telle sorte qu’il n’auront plus besoin d’être instruits par un homme, mais que tous, comme il est écrit, « seront enseignés de Dieu t. » Ensuite la vie heureuse se complétera dans les saints pour l’éternité ; comme les anges du ciel très saints et très heureux, ils se sont éclairés de Dieu seul, et conséquemment sages et heureux, suivant que le Seigneur lui-même la promis aux siens : « A la résurrection, ils seront, dit-il, comme les anges dans le ciel u. » 21. Voilà pourquoi cette demande : « Que votre règne arrive » est suivie de celle-ci : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel » c’est-à-dire : comme votre volonté se fait dans les anges qui sont au ciel, de telle sorte qu’ils s’attachent à vous et jouissent de vous, saris qu’aucune erreur obscurcisse leur sagesse, sans qu’aucune misère trouble leur bonheur : ainsi se fasse-t-elle dans vos saints qui sont sur la terre, dont le corps est fait de terre et qui doivent être repris à la terre pour être transformés et rendus dignes d’habiter le ciel. C’est là aussi le sens de cette acclamation des anges : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté v » ils demandent que précédée de notre bonne volonté qui répond à l’appel, la volonté de Dieu s’accomplisse parfaitement en nous comme dans les anges du ciel, et qu’aucune adversité ne trouble notre bonheur qui est la paix. Ces paroles : « que votre volonté soit faite », s’entendent aussi très bien dans ce sens : qu’on obéisse à vos commandements, sur la terre comme au ciel, c’est-à-dire chez un homme comme chez un ange. Car faire la volonté de Dieu c’est obéir à ses commandements, comme le Seigneur lui-même nous ledit : « Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui ma envoyé w » et en plus d’un endroit : « Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé x : » et encore : « Voici ma mère et mes frères ; et quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, et ma mère et ma sœur y. » Donc la volonté de Dieu est certainement faite dans ceux qui accomplissent la volonté de Dieu ; non parce qu’ils font que Dieu veuille, mais parce qu’ils font ce qu’il veut, c’est-à-dire agissent selon sa volonté. 22. Il y a encore un autre sens : « que votre volonté soit faite dans la terre comme au ciel » c’est-à-dire chez les pécheurs, comme chez les saints et les justes. Et ceci peut aussi s’entendre de deux manières : ou que nous prions pour nos ennemis, car peut-on considérer autrement ceux contre le gré desquels le nom chrétien et catholique se propage ? en sorte que ces paroles : « que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel » veuillent dire que les pécheurs fassent votre volonté comme les justes, et qu’ils se convertissent. Ou bien : « que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel » signifie que chacun soit traité selon ses mérites : ce qui arrivera au dernier jugement, quand les justes seront récompensés et les pécheurs condamnés, quand les agneaux seront séparés des boucs z. 23. Une interprétation, qui n’est point déraisonnable, mais qui s’accommode au contraire parfaitement à notre foi et à notre espérance, c’est d’entendre, par ciel et terre, l’esprit et la chair. Quand l’Apôtre dit : « J’obéis par l’esprit à la loi de Dieu, et par la chair à la loi du péché aa » nous voyons la volonté de Dieu s’accomplir dans l’esprit, c’est-à-dire dans l’âme. Mais quand la mort aura été absorbée dans sa victoire, quand ce corps mortel aura revêtu l’immortalité, ce qui arrivera à la résurrection de la chair, lors du changement promis aux justes, selon l’enseignement du même Apôtre ab ; alors la volonté de Dieu sera faite sur la terre comme au ciel : c’est-à-dire, comme l’esprit ne résistera plus à Dieu, mais lui obéira et fera sa volonté ; de même le corps ne résistera plus à l’esprit ou à l’âme, qui est maintenant accablée par l’infirmité du corps et entraînée aux habitudes charnelles. Ce sera alors la paix parfaite dans la vie éternelle, en sorte que non seulement nous pourrons vouloir le bien, mais encore le faire. « Car maintenant, nous dit l’Apôtre, le vouloir réside en moi, mais accomplir le bien, je ne l’y trouve pas : » parce que la volonté de Dieu ne s’accomplit pas encore sur la terre comme au ciel, c’est-à-dire dans la chair comme dans l’esprit. Cependant la volonté de Dieu se fait dans notre misère, quand nous souffrons par la chair ce qui nous est dû en raison de la mortalité que notre nature a contractée par le péché : mais il faut demander que cette volonté se fasse sur la terre comme au ciel, c’est-à-dire que, comme notre cœur se complaît dans la loi, selon l’homme intérieur ac, ainsi, par la transformation de notre corps, aucune partie de nous-mêmes ne mette obstacle à cette complaisance, par des douleurs ou des plaisirs terrestres. 24. Nous pouvons encore, sans blesser la vérité, traduire ces paroles : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel » par celles-ci : dans l’Église, comme dans Notre Seigneur Jésus-Christ ; dans la femme qui lui a été fiancée, comme dans l’Époux quia accompli la volonté du Père. En effet le ciel et la terre peuvent, en quelque sorte, être considérés comme époux, puisque la terre est fécondée par l’influence du ciel. CHAPITRE VII. LE PAIN QUOTIDIEN.
25. La quatrième demande est : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien. » Le pain quotidien signifie ici ou tout ce qui nécessaire aux besoins de cette vie, à propos de quoi le Seigneur ajoute : « donnez-nous aujourd’hui » conformément à l’ordre tracé ailleurs : « Ne pense pas au lendemain » ou le sacrement du corps du Christ, que nous recevons tous les jours : ou la nourriture spirituelle dont le même Seigneur nous dit : « Travaillez, non en vue de la nourriture qui périt » et encore : « Je suis le pain de vie qui suis descendu du ciel ad. » Mais on peut examiner lequel de ces trois sens est le plus probable. Peut-être pourrait-on s’étonner que nous soyons obligés de prier pour obtenir ce qui est nécessaire à la vie du corps, comme la nourriture et le vêtement, par exemple, quand le Seigneur nous dit : « Ne vous inquiétez point de ce que vous mangerez, ni de quoi vous vous vêtirez. » Or, peut-on ne pas s’inquiéter de ce qu’on demande, alors que l’attention de l’esprit doit être fixée dans la prière sur l’objet de sa demande tellement que c’est à cela qu’il faut rapporter ce que le Sauveur a dit de la chambre dont on doit fermer les portes, et aussi ces paroles : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice et toutes ces choses vous seront données par surcroît ? » Évidemment le Seigneur n’a pas dit : cherchez d’abord le royaume de Dieu et cherchez ceci ensuite ; mais : « tontes ces choses vous seront données par surcroît. » Mais je ne vois donc pas comment on peut dire que quelqu’un ne cherche pas ce qu’il demande à Dieu avec la plus grande attention. 26. Quant au sacrement du corps du Seigneur pour ne pas soulever d’objection de la part des nombreux orientaux qui ne participent point chaque jour à la cène du Seigneur, bien qu’on l’appelle pain quotidien ; pour qu’ils gardent le silence, dis-je, et ne défendent pas leur opinion en s’appuyant sur l’autorité ecclésiastique, sous prétexte qu’ils font cela sans scandale, que les chefs des églises ne s’y opposent pas, et qu’on ne les taxe point de désobéissance, ce qui prouve que, dans ces contrées, ce n’est pas là le sens qu’on attache aux mots pain quotidien : autrement ceux qui ne le reçoivent pas tous les jours seraient regardés comme grandement coupables : pour ne pas discuter là-dessus, disons au moins que quiconque réfléchit doit voir clairement que le Seigneur nous a donné une forme de prière à laquelle nous ne pouvons, sans transgression, rien ajouter ni rien ôter. Cela étant, qui osera soutenir que nous ne devons réciter qu’une fois l’oraison dominicale ; ou que si nous devons la réciter deux ou trois fois, ce ne peut être que jusqu’à l’heure où nous participons au corps du Seigneur, et non pendant le reste du jour ? Car alors nous ne pourrions plus dire « donnez-nous aujourd’hui » ce que nous aurions déjà reçu, ou bien on pourrait nous obliger à recevoir ce sacrement vers la fin du jour. 27. Il ne nous reste donc plus qu’à entendre par pain quotidien la nourriture spirituelle, à savoir les préceptes divins, que nous devons méditer et accomplir tous les jours. Le Seigneur y fait allusion quand il dit : « Travaillez en vue de la nourriture qui ne périt pas. » Or cette nourriture s’appelle quotidienne maintenant, tant que cette vie mortelle se prolongera par la succession des nuits et des jours. En réalité tant que les affections de l’âme se portent. tour à tour en haut et en bas, c’est-à-dire tantôt aux choses spirituelles, tantôt aux inclinations charnelles ; comme un être qui est alternativement rassasié et pressé par la faim, elle a besoin d’un pain quotidien pour calmer la faim et restaurer ses forces abattues. Ainsi comme notre corps, tant qu’il est en cette vie, c’est-à-dire avant sa transformation, répare, par la nourriture, les forces qu’il a dépensées ; de même notre âme, souffrant une déperdition par les affections temporelles qui l’éloignent de Dieu, a besoin de se refaire par la nourriture des commandements. Or on dit : « Donnez-nous aujourd’hui » pendant tout le temps qu’on peut dire aujourd’hui, c’est-à-dire durant cette vie mortelle. Car après cette vie, la nourriture spirituelle nous rassasiera tellement pendant l’éternité, qu’on ne pourrait plus dire pain de chaque jour, vu que là, la mobilité du temps, qui fait succéder les jours aux jours et permet de dire chaque jour » n’existera plus. Il faut donc entendre ici ces mots : « Donnez-nous aujourd’hui » comme ces paroles du psaume : « Aujourd’hui si vous entendez sa voix ae » qui, selon l’interprétation de l’Apôtre dans son épître aux Hébreux, signifient : « Pendant ce qui est appelé aujourd’hui af. » Cependant, si quelqu’un veut entendre cette demande de la nourriture nécessaire au corps, ou du Sacrement du corps du Seigneur, il faudra qu’il admette en même temps les trois sens : c’est-à-dire que nous demandons en même temps notre pain quotidien, ce qui est nécessaire à notre corps et le sacrement visible et invisible du Verbe de Dieu.CHAPITRE VIII. RÉMISSION DES PÉCHÉS. – PARDON DES INJURES.
28. Vient ensuite la cinquième demande Et remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent. » Il est clair que dettes ici signifie péchés. On le voit parce que le Seigneur dit lui-même.« Vous ne sortirez point de là que vous n’ayez payé jusqu’au dernier quart d’un as ag » ou encore parce qu’il appelle débiteurs ceux dont on lui annonce la mort sous les ruines de la tour et ceux dont Hérode a mêlé le sang à leur sacrifice. Il dit en effet qu’on les croit plus débiteurs, c’est-à-dire plus pécheurs, que tous les autres, et il ajoute : « En vérité, je vous le dis : Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous de la même manière ah. » Ce n’est donc point ici un ordre de remettre à des débiteurs une dette d’argent, mais de pardonner à celui qui nous a offensés. Le commandement de remettre une dette pécuniaire se rattacherait plutôt à ce qui a été dit ci-dessus : « A celui qui veut t’appeler en justice pour t’enlever ta tunique, abandonne-lui encore ton manteau ai. » Et, d’après cela encore, ce n’est pas à tout débiteur pécuniaire qu’il faut remettre sa dette, mais seulement à celui qui ne veut pas rendre et autant qu’il est disposé à plaider : car, dit l’Apôtre, « il ne faut pas qu’un serviteur de Dieu dispute aj. » Il faut donc remettre une dette d’argent à celui qui ne veut la payer ni volontairement ni sur réclamation. En effet il ne refuse de payer que pour deux raisons : ou parce qu’il n’a pas de quoi, ou – parce qu’il est avare et avide du bien d’autrui. Or dans l’un et l’autre cas c’est indigence ; là, de biens, ici, de volonté. Ainsi remettre à un tel débiteur c’est remettre à un pauvre, c’est faire une œuvre chrétienne, en partant de cette règle fine : Qu’il faut être prêt à perdre ce qu’on nous doit. Mais si on emploie toutes les voies de modération et de douceur pour se faire rendre, non pas tant par vue d’intérêt que pour corriger un homme à qui il est certainement dangereux d’avoir de quoi rendre et de ne pas rendre ; non seulement on ne pêche pas, mais on rend un grand service. Car on empêche cet homme de perdre la foi en cherchant à s’approprier l’argent d’autrui : perte incomparablement plus grande. D’où il faut conclure que dans ces paroles : « Remettez-nous nos dettes », il n’est pas précisément question d’argent, mais de toutes les offenses que l’on peut commettre envers nous, même en matière pécuniaire. En effet celui-là vous offense, qui refuse de vous rembourser l’argent qu’il vous doit, quand il le peut. Et si vous ne lui remettez pas cette offense, vous ne pouvez pas dire : « Remettez-nous, comme nous remettons. » Si au contraire vous lui pardonnez, c’est que vous comprenez que cette prière impose le devoir de pardonner les offenses même en matière pécuniaire. 29. On pourrait sans doute encore ajouter que quand nous disons : « Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons » nous sommes convaincus de violer cette règle en refusant de pardonner à ceux qui nous le demandent, alors que nous demandons nous-mêmes pardon à un Père plein de bonté. Mais le commandement qui nous impose l’obligation de prier pour nos ennemis ak, ne s’applique pas à ceux qui nous demandent pardon : car dès lors ils ne sont plus nos ennemis. Or il est impossible de dire qu’on prie pour ceux à qui on ne pardonne pas. Il faut donc convenir qu’il est nécessaire de pardonner toutes les offenses commises contre nous, si nous voulons que notre Père nous pardonne celles dont nous sommes coupables envers lui. Quant à la vengeance, nous en avons, je pense, parlé assez longuement plus haut ▼▼Liv 1, ch. 19, XX
. CHAPITRE IX.
DE LA TENTATION.
30. Voici la sixième demande : « Et ne nous induisez pas en tentation. » Quelques exemplaires portent conduisez, ce qui à le même sens : car l’un et l’autre sont traduits du mot grec εἰςενέγκης. Beaucoup disent, en récitant la prière : « Ne permettez pas que nous soyons induits en tentation » afin de mieux expliquer le sens de cette expression, induisez. Car Dieu par lui-même n’induit point en tentation, mais il y laisse tomber celui à qui il a retiré son secours par un secret dessein et par punition. Souvent même c’est pour des causes manifestes que Dieu le juge digne de cet abandon et le laisse tomber dans la tentation. Mais autre chose est de succomber à la tentation, autre chose d’être tenté. Sans tentation personne ne peut-être éprouvé, ni pour lui-même suivant ce qui est écrit : « Celui qui n’a pas été tenté, que sait-il am ? » ni pour les autres, suivant la parole de l’Apôtre : « Et l’épreuve que vous avez éprouvée à cause de ma chair, vous ne l’avez point méprisée an ;» car si saint Paul a connu que les Galates étaient affermis, c’est que les tribulations qu’il avait éprouvées selon la chair, n’avaient point éteint en eux la charité. Mais Dieu, qui sait toutes choses avant qu’elles arrivent, nous connaît même avant les tentations. 31. Quant à ces paroles : « Le Seigneur vous tente pour savoir si vous l’aimez ao » il faut interpréter pour savoir, dans le sens de pour vous faire savoir. C’est ainsi que nous disons une joyeuse journée, pour une journée qui rend joyeux ; un froid paresseux, pour un froid qui rend paresseux ; et combien d’autres locutions de ce genre ou introduites par l’usage, ou employées par le langage des docteurs ou même usitées dans les saintes Écritures ! C’est ce que ne comprennent pas les hérétiques ennemis de l’ancien Testament, quand ils prétendent que ces paroles : « Le Seigneur votre Dieu vous tente » doivent être attribuées à l’ignorance ; comme si l’Évangile ne nous disait pas du Seigneur lui-même : « Or il disait cela pour l’éprouver, car pour lui il savait ce qu’il devait faire ap. » En effet si le Seigneur connaissait le cœur de celui qu’il éprouvait, qu’a-t-il voulu voir en l’éprouvant ? Évidemment c’était pour que celui qu’il éprouvait se connût lui-même et condamnât son propre découragement, en voyant la foule rassasiée d’un pain miraculeux, lui qui s’était imaginé qu’elle n’avait rien à manger. 32. On ne demande donc point ici de ne pas éprouver de tentation, mais de n’y pas succomber : à peu près comme un homme, devant subir l’épreuve du feu, demanderait non, pas que le feu ne le touchât pas, mais seulement qu’il ne le consumât pas. En effet, le feu éprouve les vases du potier, et l’atteinte de la tribulation, les hommes justes aq. Joseph a été tenté d’adultère, mais il n’y a point succombé ar ; Suzanne a été tentée, mais sans avoir été induite ni entraînée dans la tentation as ; et ainsi de beaucoup d’autres personnages de l’un et de l’autre sexe, et de Job surtout. Ces hérétiques ennemis de l’ancien Testament, en cherchant à tourner en dérision l’admirable fidélité de ce juste au Seigneur son Dieu, insistent particulièrement sur ce point : que Satan demanda permission de le tenter at. Ils demandent aux ignorants, à des hommes incapables de telles connaissances, comment Satan a pu parler à Dieu : ne voyant pas, et ils ne le peuvent : tant les superstitions et l’esprit de contention les aveuglent ! Ne voyant pas que Dieu n’est point un corps occupant un lieu dans l’espace, de manière à être ici et non là, à avoir ici une partie de lui-même et une autre ailleurs ; mais qu’il est présent partout par sa majesté, sans division de parties et parfait en tous lieux. S’ils prennent dans le sens matériel ce qui est dit : « Le ciel est mon trône et la terre l’escabeau de mes pieds au : » passage que le Seigneur lui-même confirme en disant : « Ne jurez ni par le ciel » parce qu’il est le trône de Dieu ; ni par la terre, « parce qu’elle est l’escabeau de ses pieds ▼ » qu’y a-t-il d’étonnant que le démon, étant sur la terre, se soit trouvé aux pieds de Dieu et lui ait parlé ? Quand pourront-ils comprendre qu’il n’y a pas une âme, tant perverse soit-elle, pourvu qu’elle reste capable d’un raisonnement, à qui Dieu ne parle par la voix de la conscience ? Car qui a écrit la loi naturelle dans le cœur de l’homme, sinon Dieu ? C’est de cette loi que l’Apôtre a dit : « En effet, lorsque les Gentils qui n’ont pas la loi, font naturellement ce qui est selon la loi ; n’ayant pas la loi, ils sont à eux-mêmes la loi : montrant ainsi l’œuvre de la loi écrite en leurs cœurs, leur conscience leur rendant témoignage, et leurs pensées s’accusant et se défendant l’une l’autre, au jour où Dieu jugera ce qu’il y a de caché dans les hommes aw. » Si donc, lorsqu’une âme raisonnable, même aveuglée par la passion, pense et raisonne, il ne faut point lui attribuer ce qu’il y a de vrai dans son raisonnement, mais bien à la lumière de la vérité, qui l’éclaire encore quoique faiblement et en proportion de sa capacité : faut-il s’étonner que l’âme perverse du démon, quoique égarée par la passion, ait appris par la voix de Dieu, c’est-à-dire par la voix d e la vérité même, tout ce qu’elle pensait de vrai sur cet homme juste, au moment où elle voulait le tenter ? Mais ce qu’il y avait de faux dans son jugement, doit être imputé à la passion même qui lui a fait donner le nom de diable, calomniateur. Du reste c’est ordinairement par le moyen de la créature corporelle et visible que Dieu a parlé soit aux bons soit aux méchants, étant le maître et l’administrateur de toutes choses et les réglant dans de justes proportions : comme aussi il s’est servi des anges qui ont apparu aux regards des hommes, et des prophètes qui avaient bien soin de dire : Voici ce que déclare le Seigneur. Comment donc, encore une fois, s’étonner si on nous dit que Dieu a parlé au démon, non plus par la voix de la conscience, mais au moyen de quelque créature appropriée à ce but ? 33. Et qu’on ne s’imagine pas que ce fût un acte de déférence de la part de Dieu pour le démon ou une récompense due aux mérites de celui-ci que Dieu lui ait parlé. Dieu a parlé à une substance angélique, quoique insensée et cupide, comme il parlerait à une âme humaine cupide et insensée. Que nos adversaires nous disent comment il a parlé à ce riche dont il voulait blâmer la stupide avarice, en lui disant : « Insensé, cette nuit même ne te redemandera-t-on ton âme ; et ce que tu as amassé à qui sera-t-il ax ? »Il est certain que le Seigneur dit cela dans l’Évangile, auquel il faut bien que ces hérétiques se soumettent, bon gré malgré. S’ils sont choqués de voir que Satan demande à Dieu la permission de tenter un juste, je ne me mets pas en peine d’expliquer le fait, mais je les requiers de me déclarer pourquoi le Seigneur lui-même dit dans l’Évangile à ses disciples : « Voilà que Satan vous a demandés pour vous cribler comme le froment » et ensuite à Pierre : « Mais j’ai prié pour que ta foi ne défaille pas ay ? » En s’expliquant là-dessus, ils se donneront à eux-mêmes la solution qu’ils me demandent. S’ils n’en peuvent venir à bout, qu’ils n’aient point la témérité de blâmer dans un autre livre ce qu’ils admettent sans difficulté dans l’Évangile. 34. Satan donc, tente non en vertu de sa propre puissance, mais par la permission de Dieu, qui veut ou punir les hommes de leurs péchés, ou les éprouver et les exercer dans des vues de miséricorde. Il importe aussi, beaucoup de distinguer la nature de la tentation. Celle où est Judas qui a vendu le Seigneur, n’est point celle où a succombé Pierre qui, par timidité, a renié son Maître. Il y a aussi ce me semble, des tentations humaines, quand par exemple, quelqu’un animé de bonnes intentions, échoue dans quelque projet, ou s’irrite contre un frère dans le désir de le corriger, mais un peu au-delà des bornes prescrites par la patience des chrétiens. C’est de celles-là que l’Apôtre dit : « Qu’il ne vous survienne que des tentations qui tiennent à l’humanité » puis il ajoute : « Dieu est fidèle et il ne souffrira pas que vous soyez tentés par-dessus vos forces ; mais il vous fera tirer profit de la tentation même, afin que vous puissiez persévérer az. » Par là il nous fait assez voir que nous ne devons pas demander d’être exempts de tentation, mais seulement de n’y pas succomber. Or nous succomberions, si elles étaient de nature à ne pouvoir être supportées. Mais comme ces tentations dangereuses, où la chute est funeste, prennent leur origine dans la prospérité ou l’adversité temporelle, celui qui n’est point séduit par les charmes de la prospérité, n’est point abattu par le coup de l’adversité. 35. Septième et dernière demande : « Mais délivrez-nous du mal. » Il faut demander non seulement d’être préservés du mal que nous n’avons pas, ce qui fait l’objet de la sixième demande ; mais encore d’être délivrés de celui où nous sommes déjà tombés. Cela fait, on n’aura plus rien à redouter ni à craindre aucune tentation. Mais nous ne pouvons espérer qu’il en soit jamais ainsi, tant que nous serons dans cette vie, tant que nous subirons la condition mortelle où la fraude du serpent nous a placés. Cependant nous devons compter que cela arrivera un jour, et c’est là l’espérance qui ne se voit pas, suivant le langage de l’Apôtre : « Or l’espérance qui se voit, n’est pas de l’espérance ba. » Toutefois les fidèles serviteurs de Dieu ne doivent pas désespérer d’obtenir la sagesse qui s’accorde même en cette vie, et qui consiste à éviter, avec une vigilance assidue, tout ce que nous savons, par la révélation de Dieu, devoir être évité ; et à embrasser, avec toute l’ardeur de la charité, ce qui doit, d’après la même révélation, faire l’objet, de notre ambition. C’est ainsi que quand la mort aura dépouillé l’homme de ce poids de mortalité, il jouira en son temps et sans réserve du bonheur parfait, commencé en cette vie, et à la possession duquel tendent parfois, dès ce monde, tous nos vœux et tous nos efforts.CHAPITRE X. LES TROIS PREMIÈRES ET LES QUATRE DERNIÈRES DEMANDES.
36. Mais il faut étudier et maintenir soigneusement la différence entre ces sept demande. Car, comme notre vie actuelle s’écoule dans le temps, que nous en espérons une éternelle, et que les choses éternelles l’emportent en dignité, bien qu’on n’y parvienne qu’en passant par les choses du temps : l’objet des trois premières demandes subsistera pendant toute l’éternité, quoi qu’elles aient leur commencement dans cette vie passagère, puisque la sanctification du nom de Dieu a commencé à l’humble avènement du Seigneur ; que l’avènement de son règne, quand il descendra au sein de la gloire, aura lieu, non après les temps, mais à la fin des temps ; que l’accomplissement de sa volonté, sur la terre comme au ciel, soit que par ciel et terre vous entendiez les justes et les pécheurs, ou l’esprit et la chair, ou le Christ et l’Église, ou tout cela à la fois, se complétera par la perfection de notre bonheur, et conséquemment par la fin des temps. En effet la sanctification du nom de Dieu sera éternelle, son règne n’aura point de fin et on nous promet une vie éternelle au sein de la parfaite félicité. Donc ces trois objets subsisteront, parfaits et réunis, dans la vie qui nous est promise. 37. Quant aux quatre autres demandes, elles me semblent se rapporter à la vie du temps. La première est : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien. » Par le fait même qu’on dit pain quotidien, que ce soit la nourriture spirituelle, ou la subsistance matérielle, cela concerne le temps, que le Sauveur appelle aujourd’hui. » Non que la nourriture spirituelle ne soit pas éternelle ; mais celle qu’on nomme ici quotidienne, se donne à l’âme ou par les Écritures ou par la parole ou par d’autres signes sensibles : toutes choses qui n’existeront plus quand tous seront instruits de Dieu bb, et participeront, non plus par le mouvement du corps, mais par le pur intellect, à l’ineffable lumière de la vérité puisée à sa source. Et peut-être emploie-t-on le mot de pain et non de boisson, parce que le pain se brise, se mâche et s’assimile comme aliment, de même que les Écritures s’ouvrent et se méditent pour nourrir l’âme ; tandis que le breuvage préparé d’avance, passe dans le corps en conservant sa nature ; en sorte que la vérité soit ici-bas le pain qu’on appelle quotidien, mais que, dans l’autre vie ; il n’y ait plus qu’un breuvage, puisé dans la vérité pure et visible, sans discussion pénible, sans bruit de paroles, sans qu’il soit besoin de briser et de mâcher. C’est ici-bas que nos offenses nous sont remises et que nous remettons celles qu’on nous a faites ; ce qui est l’objet de la seconde des quatre dernières demandes ; car dans l’autre monde il n’y a plus de pardon à demander, parce qu’il n’y a plus d’offenses. Les tentations tourmentent aussi cette vie passagère ; mais il n’y en aura plus, quand cette parole sera accomplie : « Vous les cacherez dans le secret de votre face bc. » Enfin le mal dont nous demandons à être délivrés et cette délivrance même, sont encore le partage de cette vie, que la divine justice a rendue mortelle par notre faute, et dont sa miséricorde nous délivre.CHAPITRE XI.
LES SEPT DONS DU SAINT-ESPRIT, LES SEPT DEMANDES DU PATER, ET LES SEPT BÉATITUDES.
38. Le nombre sept, que nous retrouvons dans ces demandes, me parait aussi concorder avec le nombre sept, par où a commencé tout ce sermon. Si en effet c’est la crainte de Dieu qui rend heureux les pauvres d’esprit, parce que le royaume des cieux est à eux ; demandons que le nom de Dieu soit sanctifié dans les hommes, par la chaste crainte qui subsiste dans les siècles des siècles bd. Si c’est la piété qui rend heureux ceux qui ont le cœur doux, parce qu’ils posséderont la terre en héritage ; demandons que le règne de Dieu arrive, soit en nous-mêmes pour que nous devenions doux et ne résistions plus à sa voix, soit du ciel en terre par le glorieux avènement du Seigneur, alors que nous nous réjouirons et nous féliciterons, quand il dira : « Venez, bénis de mon Père, prenez possession du royaume préparé pour vous depuis le commencement du monde be. – Mon âme, dit le prophète, se glorifiera dans le Seigneur ; que ceux qui ont le cœur doux m’entendent et partagent mon allégresse bf. » Si c’est la science qui rend heureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés ; demandons que la volonté de Dieu se fasse sur la terre comme au ciel, parce qu’une fois que le corps comme terre sera soumis à l’esprit comme ciel, dans une paix pleine et parfaite, nous ne pleurerons plus ; car la seule raison pour laquelle nous pleurons ici-bas, c’est ce combat intérieur qui nous force à dire : « Je vois dans mes membres une autre loi qui combat la loi de mon esprit » puis à exprimer notre tristesse par ce cri lamentable : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort bg ? » Si c’est la force qui rend heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés ; prions pour qu’on nous donne aujourd’hui notre pain quotidien, qui nous soutienne et nous fortifie, afin de pouvoir parvenir au parfait rassasiement. Si c’est le conseil qui rend heureux les miséricordieux, parce qu’ils obtiendront miséricorde ; remettons toute dette à nos débiteurs et prions pour que les nôtres nous soient remises. Si c’est l’entendement qui rend heureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu ; prions pour n’être point induits aux tentations, de peur d’avoir le cœur double en poursuivant les biens temporels et terrestres, au lieu de ne rechercher que le bien simple et de lui rapporter toutes nos actions. En effet les tentations, provenant de ce qui semble aux hommes pénibles et désastreux, n’ont de prise sur nous qu’autant qu’en ont les choses qui flattent et qui passent chez les hommes pour bonnes et heureuses. Si c’est la sagesse qui rend heureux les pacifiques, parce qu’ils seront appelés enfants de Dieu bh ; prions pour être délivrés du mal, car c’est cette délivrance qui nous rendra libres, c’est-à-dire enfants de Dieu, en sorte que nous crions, par l’esprit d’adoption : « Abba, Père bi. »CHAPITRE XII. DU JEUNE.
39. Il faut surtout bien remarquer que, parmi ces sept formules de prières que le Seigneur nous impose, il en est une sur laquelle il a jugé à propos d’attirer principalement notre attention : celle qui regarde le pardon des péchés, et par laquelle il veut nous rendre miséricordieux, ce qui est le seul moyen d’échapper à nos maux. En effet les autres demandes ne contiennent point, comme celle-là, une sorte de pacte avec Dieu ; car nous lui disons : « Pardonnez-nous comme nous pardonnons. » Si nous n’observons point la condition, toute notre prière est sans fruit. Et la preuve c’est que le Sauveur lui-même nous dit : « Car si vous remettez aux hommes leurs offenses, votre Père qui est dans le ciel vous remettra à vous-même vos péchés. Mais si vous ne les remettez point aux hommes, votre Père ne vous remettra point non plus vos péchés. » 40. Puis vient le précepte du jeûne, qui tient à cette même pureté du cœur dont il est maintenant question. Car ici il faut se tenir en garde contre toute ostentation, contre cette ambition de la louange humaine qui rend le cœur double, et lui ôte la pureté et la simplicité nécessaires pour comprendre Dieu. « Quand vous jeûnez, ne vous montrez pas tristes comme les hypocrites : car ils exténuent leur visage, pour que leurs jeûnes paraissent devant les hommes. En vérité je vous le dis : ils ont reçu leur récompense. « Pour vous, quand vous jeûnez, parfumez votre tête, et lavez votre visage, pour ne pas apparaître aux hommes jeûnant, mais à votre Père qui est présent à ce qui est en secret ; et votre Père qui voit dans le secret, vous le rendra. » Il est clair que ces recommandations tendent à diriger toute notre intention vers les joies intérieures, à nous empêcher de nous conformer à ce siècle en cherchant notre récompense au-dehors, et de perdre.lafélicité promise ; félicité d’autant plus solide, d’autant plus ferme qu’elle est plus intime, et en vertu de laquelle Dieu nous a choisis pour être conformes à l’image de son Fils bj. 41. Il faut surtout remarquer sur ce point que l’ostentation peut se loger, non seulement sous l’éclat et la pompe extérieure, mais aussi sous des vêtements sales et sous l’apparence du deuil ; elle est même alors d’autant plus dangereuse quelle prend le masque de la piété envers Dieu pour mieux tromper. Celui donc qui affecte un soin immodéré de son corps, le luxe dans les vêtements et dans les objets matériels, est par là même facilement convaincu d’être partisan des pompes du siècle ; il ne trompe personne sous une menteuse apparence de sainteté. Mais celui qui fait profession de christianisme, et qui attire sur lui les regards des hommes par une négligence et une malpropreté extraordinaires, et cela volontairement et sans nécessité, laisse voir par le reste de sa conduite, s’il est ma par un véritable mépris des superfluités de la vie ou par quelque secrète ambition : car, en nous ordonnant de nous défier des loups cachés sous des peaux de brebis, le Seigneur nous dit : « Vous les connaîtrez à leurs fruits. » En effet quand certaines épreuves les auront dépouillés ou privés de ce qu’ils ont obtenu ou espèrent obtenir par ces dehors hypocrites, il faudra bien qu’on voie s’il y avait, là, un loup sous une peau de brebis, ou une brebis dans sa peau. Car il ne faut pas qu’un chrétien flatte les regards des hommes par des ornements superflus, sous prétexte que souvent les hypocrites revêtent d’humbles dehors et se contentent du strict nécessaire pour tromper des yeux peu attentifs ; la brebis ne doit pas se dépouiller de sa peau, parce que quelquefois le loup s’en revêt. 42. On demande souvent ce que signifient ces paroles : « Pour vous, quand vous jeûnez, parfumez votre tête et lavez votre visage, pour ne pas apparaître aux hommes jeûnant. » Car on aurait tort de nous prescrire de parfumer notre tête quand nous jeûnons, bien que nous ayons l’habitude de nous laver le visage tous les jours. Si tous conviennent que ce serait là une chose très déplacée, nous devons appliquer à l’homme intérieur cet ordre de se parfumer la tête et de se laver la figure. Se parfumer la tête, indique la joie ; se laver la figure, marque la propreté ; par conséquent se réjouir intérieurement, par l’esprit et par la raison, c’est se parfumer la tête. Nous pouvons en effet donner le nom de tête à la faculté principale de l’âme, à celle qui règle et domine visiblement tout l’homme. Or c’est ce que fait celui qui ne cherche point la gloire extérieure, qui ne met point une complaisance charnelle dans les louanges des hommes. Car la chair, qui doit être sujette, n’est point du tout la tête de toute la nature humaine. Sans doute personne n’a jamais haï sa chair, n comme dit l’Apôtre, en parlant de l’amour d’un homme pour sa femme bk ; mais le chef de la femme c’est l’homme, et le chef de l’homme c’est le Christ bl. Ainsi, que celui qui veut parfumer sa tête selon l’ordre donné, se réjouisse intérieurement dans son jeûne, en tant qu’il se détourne par là des plaisirs du siècle pour se soumettre au Christ. De cette manière il lavera sa figure, c’est-à-dire il purifiera son cœur, pour voir Dieu en écartant le voile produit par l’infirmité née de la souillure du péché ; il sera ferme et solide, parce qu’il sera pur et simple. « Lavez-vous, dit le prophète, purifiez-vous, faites disparaître vos iniquités de vos âmes et de devant mes yeux bm. » Nous devons donc purifier notre visage des souillures qui blessent les regards de Dieu. Car, pour nous, contemplant à face découverte la gloire du Seigneur, nous serons transformés en la même image bn.CHAPITRE XIII. DÉSINTÉRESSEMENT ET PURETÉ D’INTENTION.
43. Souvent aussi le souci des nécessités de la vie blesse et, souille notre œil intérieur ; le plus souvent il rend notre cœur double, en sorte que ce que nous semblons faire de bien aux hommes, n’est plus animé du motif que Dieu exige, c’est-à-dire de l’esprit de charité, mais inspiré par l’intention d’obtenir d’eux quelque chose d’utile aux besoins de la vie présente. Or c’est leur salut éternel, et non un avantage propre et temporel, que nous devons avoir en vue dans le bien que nous leur faisons. Que Dieu incline donc notre cœur vers ses commandements, et le détourne de la cupidité ▼▼5
. Car la fin du précepte est la charité qui vient d’un cœur pur, d’une bonne conscience et d’une foi non feinte bp. Or celui qui rend service à un frère pour subvenir à ses propres besoins, n’agit évidemment pas par charité : ce n’est pas dans l’intérêt de celui qu’il doit aimer comme lui-même, mais dans son intérêt personnel qu’il agit ; ou plutôt ce n’est pas même à son profit : car il se fait par là un cœur double qui l’empêche de voir Dieu, et voir Dieu est pourtant le seul bonheur certain et durable. 44. C’est donc avec raison que Celui qui travaille avec tant d’instance à purifier notre cœur, continue à donner ses ordres, en disant : « Ne vous amassez point des trésors sur la terre, où les vers et la rouille rongent, et où les voleurs fouillent et dérobent ; mais amassez-vous des trésors dans le ciel, où ni les vers ni la rouille ne rongent, et où les voleurs ne fouillent ni ne dérobent. Où est en effet ton trésor, là est aussi ton cœur. » Donc si le cœur est sur la terre, c’est-à-dire si on agit dans le but d’acquérir des biens terrestres, ce cœur ne peut être, pur puisqu’il se vautre dans la boue. Mais s’il est dans le ciel, il est pur, parce que tout est pur dans le ciel. Tout ce qui se mêle à un objet de nature inférieure, quoique non impur dans son genre, devient impur lui-même ; ainsi l’or se souille en se mélangeant avec de l’argent pur. De même notre âme se salit par la convoitise des choses terrestres, quoique la terre ne soit pas immonde dans son espèce et dans le rang qu’elle occupe. Ici par ciel nous n’entendons pas le ciel matériel : le mot terre signifie tout ce qui est corps. Car c’est le monde entier que doit mépriser celui qui s’amasse des trésors dans le ciel. Nous devons donc placer notre trésor et notre cœur dans le ciel dont il est dit : « Le ciel des cieux appartient au Seigneur bq » c’est-à-dire dans le firmament spirituel ; non dans le firmament qui passera, mais dans celui qui subsistera à jamais. Or le ciel et la terre passeront br. 43. Le Seigneur fait voir que tous ces commandements se rapportent à la pureté du cœur quand il dit : « La lampe de votre cœur est votre œil. Si donc votre œil est simple, tout votre corps sera lumineux, mais si votre œil est mauvais, tout votre corps sera ténébreux. Si donc la lumière qui est en vous est ténèbres, les ténèbres elles-mêmes que seront-elles ? »Il faut entendre ce passage en ce sens : soyons bien convaincus que nos actions sont pures et agréables aux yeux du Seigneur, quand elles sont faites avec un cœur simple, c’est-à-dire dans une intention surnaturelle et finale de charité ; car l’amour est la plénitude de la loi bs. L’œil signifie ici l’intention même qui dirige toutes nos actions ; si elle est pure et droite, si elle a en vue ce qu’il faut avoir en vue, tout ce que nous ferons pour elle sera nécessairement bon. Et ce sont ces œuvres dans leur ensemble que le Seigneur appelle tout le corps ; comme l’Apôtre appelle nos membres certaines actions qu’il désapprouve, qu’il ordonne de faire mourir en disant : « Faites donc mourir vos membres qui sont sur la terre : la fornication, l’impureté l’avarice bt » et autres choses de ce genre. 46. Ce n’est donc pas à l’action, mais au motif de l’action, qu’il faut s’attacher. Et c’est là la lumière qui est en nous, parce que c’est là ce qui nous révèle que nous agissons avec une bonne intention : car tout ce qui se découvre est lumière bu. Mais en tant que nos actes ont rapport à la société humaine, leur résultat est incertain ; aussi le Seigneur les nomme-t-il ténèbres. En effet quand je donne l’aumône à un pauvre qui me la demande, je ne sais ce qu’il en fera, ce qui en résultera pour lui ; il peut arriver qu’il en abuse ou qu’il en éprouve quelque chose de fâcheux, que je ne voulais pas, qui était loin de ma pensée, lorsque je la lui donnais. Si donc j’ai agi avec bonne intention et avec conscience de cette bonne intention, c’est ce qu’on appelle la lumière : quelqu’en soit le résultat, mon action est éclairée ; l’incertitude et l’ignorance où je suis du résultat, voilà les ténèbres. Que si j’ai agi avec mauvaise intention, la lumière elle-même devient ténèbres. En effet il y a lumière, parce que chacun sait dans quel esprit il agit, même quand il agit dans un mauvais esprit ; mais la lumière devient ténèbres, parce que l’intention n’est pas simple ni dirigée en haut, mais ramenée en bas et qu’elle crée une sorte d’obscurité par la duplicité du cœur. « Si donc la lumière qui est en vous est ténèbres, les ténèbres elles-mêmes que seront-elles ? » c’est-à-dire : Si l’intention même du cœur, qui anime vos actions et que vous connaissez, est gâtée et aveuglée par la convoitise des choses terrestres et passagères : combien plus l’action elle-même, dont le résultat est incertain, sera-t-elle impure et ténébreuse ? Et quand même ce que vous faites avec une intention qu : n’est ni pure ni droite, profiterait à un autre, ce n’est pas ce profit, mais le motif même de votre action qui vous sera imputé. SERMON LX. DE L’AUMÔNE bv.
ANALYSE. – En se reportant aux secousses douloureuses qui agitaient le monde Romain lorsque prêchait Saint Augustin, on comprendra mieux l’effet saisissant que dut produire ce discours. Dans les graves embarras de la vie, dit le saint Docteur, on aime prendre conseil. Or 1°tout aujourd’hui va mal dans le monde ; tout est bouleversé. L’homme cependant cherche encore à acquérir des richesses, certain de n’en pouvoir jouir lui-même, puisqu’il ne les emportera pas en mourant ; incertain même si sa postérité pourra en, profiler et si elles ne seront pas enlevées par la ruse ou la violence. Que faire dans an tel état de choses ? Consulter Jésus-Christ, la sagesse même. – 2° Jésus-Christ veut que nous mettions, au ciel, nos richesses en sûreté en les distribuant aux pauvres Pour absoudre ou pour condamner au jugement dernier il ne fera mention que de l’aumône faite ou négligée ; car l’aumône est le moyen de racheter nos péchés et de répondre à l’amour de Dieu pour nous. – Donc ayons soin, en donnant l’aumône, de faire de dignes fruits de pénitence. 1. Quiconque est dans la peine et embarrassé sur ce qu’il a à faire, s’adresse à un homme prudent, polir lui demander conseil et obtenir de lui mie règle de conduite. Considérons le monde entier comme un seul homme. Il cherche à se garantir du mal, il lui en coûte de faire le bien ; ses tribulations augmentent alors et il ne sait que faire. Lui est-il possible, pour prendre conseil, de rencontrer quelqu’un qui soit plus prudent que le Christ ? Qui, s’il en trouve un meilleur, qu’il suive ses avis. Mais si la chose est impossible, qu’il vienne donc à lui, et qu’en quelque lieu qu’il le rencontre, il le consulte, accepte son sentiment et obéisse à ses salutaires préceptes pour échapper à de grands maux. Car les maux présents, ces maux temporels que les hommes redoutent si vivement, et sous le poids desquels ils murmurent, offensant ainsi Celui qui par ce moyen veut les corriger et l’empêchant d’être leur Sauveur ; ces maux présents ne sont sans aucun doute que des maux passagers ; car ils passent avant nous, ou nous passons avant eux ; ils passent lorsque nous sommes encore en vie, ou nous y échappons en mourant. Mais quel mal peut-on appeler grand quand il doit durer si peu ? Toi qui te préoccupes du jour de demain, tu as donc oublié le jour d’hier ? Ce demain ne sera-t-il pas devenu hier, quand nous serons à après-demain ? Ah ! si pour se soustraire à des souffrances temporelles qui passent ou plutôt qui s’envolent, les hommes se consument de tant de soucis ; que ne doit-on pas imaginer pour se dérober à des calamités qui persévèrent et durent éternellement ? 2. Cette vie mortelle est une grosse affaire. Qu’est-ce que naître, sinon entrer dans une carrière laborieuse, et les pleurs de l’enfant ne témoignent-ils pas des peines qui nous y attendent ! Personne n’est exempt de ce fâcheux breuvage ; il faut boire la coupe présentée par Adam. Nous sommes l’œuvre des mains de Dieu ; mais le péché nous a jetés sur un théâtre de vanité. Nous sommes faits à l’image de Dieu bw ; mais la prévarication a défiguré en nous cette image. Aussi lisons-nous dans un psaume et ce que nous étions et ce que nous sommes devenus.« Quoique l’homme, y est-il dit, marche à l’image de Dieu. » Voilà ce qu’il était. Mais qu’est-il devenu ? Écouté ce qui suit : « Il ne se troublera pas moins vainement. » Il marche avec l’image de la vérité, et il se trouble sous l’inspiration de la vanité. Et en quoi consiste son trouble ? Reconnais-le, et dans cette espèce de miroir regarde-toi avec confusion. « Quoique l’homme marche à l’image de Dieu ; » quoique l’homme soit ainsi une grande chose ; « il ne s’en troublera pas moins vainement. » Et comme si nous disions : Mais de quoi, je te prie, se troublera-t-il vainement ? « Il amasse des trésors, poursuit l’auteur sacré, et il ignore pour qui bx. » Voilà l’homme, voilà, comme un seul homme, le genre humain tout entier qui faiblit dans son devoir, il perd l’esprit et s’égare loin du bon sens : « Il amasse des trésors sans savoir pour qui. » Est-il rien de plus déraisonnable, rien de plus malheureux ? Est-ce pour lui que l’homme amasse ? Non. Pourquoi non ? Parce qu’il doit mourir, parce que la vie est courte, parce que le trésor reste tandis que celui qui l’amasse disparaît rapidement. Aussi, pénétré de compassion pour ce malheureux qui marche à l’image de. Dieu, qui publie la vérité tout en s’attachant à la vanité ; « il se troublera vainement, dit le prophète. » Je le plains ; « il amasse des trésors sans savoir pour qui. » Est-ce pour lui ? Non, car il meurt et laisse son trésor. Pour qui donc ? Tu sais quel parti prendre ? Enseigne-le-moi. Si tu ne peux me l’enseigner, c’est que tu ne le sais pas toi-même, et puisque nous ne le savons ni l’un ni l’autre, cherchons, apprenons et étudions tous deux. On se trouble donc, on amasse des trésors, on s’inquiète, on travaille, on se livre à des soucis qui éloignent le sommeil ; on se consume de fatigues pendant le jour et on se livre la nuit à toutes sortes de craintes ; pour grossir son trésor on condamne son âme à la fièvre des soucis. 3. Je le vois donc et j’en gémis ; tu te troubles, et comme s’exprime l’infaillible Vérité, tu te troubles en vain. En effet tu veux thésauriser, et pour réussir dans tout ce que tu entreprends, sans compter les pertes que tu fais, les dangers effroyables que tu cours et la mort que tu subis, non dans le corps mais dans l’âme, à chaque gain réalisé par toi, pour acquérir de l’or tu perds la foi, pour un vêtement extérieur tu sacrifies les ornements de l’âme. Mais ne parlons pas de tout cela ni de plusieurs autres, choses ; oublions les accidents et ne songeons qu’aux succès. Voilà donc que tu amasses des trésors, tu gagnes de tout côté, l’on roule chez toi comme l’eau des fontaines, rien ne te manque et l’abondance est partout. N’as-tu pas entendu cette parole : « Si vos richesses se multiplient, n’y attachez pas votre cœur by ? » Tu amasses donc et tu ne parais pas t’agiter inutilement ; cependant tu te troubles en vain. – Et pourquoi, demanderas-tu ? Je remplis mes coffres, mes appartements ont peine à contenir ce que j’amasse ; comment dire que je me trouble vainement ? C’est que tu amasses sans savoir pour qui. Et si tu le sais, dis-le-moi, je t’en conjure ; je t’écouterai avec plaisir. Pour qui donc ? Oui, si ton agitation n’est pas vaine, dis-moi pour qui tu travailles. – Pour moi, réponds-tu. – Tu oses l’affirmer et tu dois mourir ? – C’est pour mes enfants, reprends-tu. – Tu oses l’affirmer et ils doivent mourir ? Quand un père amasse pour ses enfants, il fait preuve d’une grande bonté, ou plutôt d’une grande vanité : mortel il entasse pour des mortels. Et qu’amasses-tu en amassant pour toi, puisque tu laisseras tout à la mort ? On en peut dire autant si c’est pour tes fils ; car ils doivent se succéder et non posséder toujours. Je pourrais te demander encore : Sais-tu quels seront tes fils ? Sais-tu si la débauche ne dissipera point les épargnes de l’avarice ? Si quelqu’un d’eux ne sacrifiera point dans la mollesse, ce que tu as acquis par torr travail ? Mais je n’en dis rien. Je suppose que tes fils seront bons et étrangers à la débauche ; ils conserveront ce que tu leur as laissé, ils ajouteront à ce que tu leur as gardé, ils ne perdront point ce que tu leur as acquis. S’ils agissent ainsi, si en cela ils imitent leur père, ils sont aussi vains que toi et je leur dis ce que je te disais. À ce fils donc pour qui tu épargnes, je dirai : Tu amasses sans savoir pour qui. Père, tu l’ignorais, il ne le sait pas non plus ; et s’il est vain comme toi, la Vérité ne le stigmatise-t-elle pas également ? 4. Je pourrais dire encore : Sais-tu si même durant ta vie un voleur n’enlèvera point ce que tu amasses ? Une nuit donc il vient et il rencontre sous sa main ce qui t’a demandé tant de jours et tant de nuits. N’est-ce pas pour un larron, n’est-ce pas pour un bandit que tu t’épuises ? C’est assez, je ne veux ni rappeler ni renouveler de cuisantes douleurs. Combien de choses réunies par une sotte vanité, sont tombées sous la main d’une brutale cruauté ! Loin de moi de pareils désirs ! Mais tous doivent craindre. Que Dieu éloigne de nous ces fléaux ; nous sommes assez frappés. Demandons-lui tous de les écarter. Ah ! qu’il nous pardonne, nous l’en conjurons. Si néanmoins il nous demande pour qui nous travaillons, que répondrons-nous ? Toi donc, mon ami, et ici j’entends tous les hommes, toi qui thésaurises en vain, quel conseil me donnes-tu, quand j’examine, quand je cherche avec toi ce que je dois faire dans cette difficulté qui nous est commune ? Tu répliquais tout-à-l’heure : J’amasse pour moi, pour mes enfants, pour ma postérité. N’ai-je pas indiqué déjà ce que l’on peut avoir à craindre pour les enfants mêmes ? Je ne ferai pas observer ici qu’ils peuvent vivre pour le tourment de leur père et réaliser ainsi les vœux de son ennemi. Je suppose qu’ils se conduisent au gré de ce père. Mais combien de riches ont été dépouillés ! J’ai rappelé leurs malheurs ; tu en as frémi, et sans en profiter. Qu’as-tu enfin à répondre ? Que peut-être tu n’éprouveras point leur sort ; tu ne saurais répondre autre chose. Moi aussi j’ai dit : Peut-être ; peut-être pour un voleur, pour un larron, pour un bandit. Je n’ai pas dit : Sûrement ; j’ai dit : Peut-être. Peut-être oui ; peut-être non : tu ne sais donc ce qui arrivera ; et n’est-ce pas s’agiter en vain ? Ainsi tu comprends combien est vrai le langage de la Vérité et combien s’agite vainement la vanité. Tu le comprends, tu le saisis ; car en disant : C’est peut-être pour mes fils, et en n’osant dire : C’est assurément pour eux, tu ignores pour qui. Ainsi donc encore, comme je l’exprimais, lit ne sais comment te conduire, tu ne vois pas comment me répondre. Mais à mon tour je ne sais quelle réponse te faire. 5. Par conséquent cherchons tous deux, tous deux demandons conseil. Nous avons pris de nous, non pas un sage mais la Sagesse même. Écoutons le Christ : « Scandale pour les Juifs et folie pour les Gentils, il est pour ceux qui sont appelés, soit Juifs soit Gentils, le Christ de Dieu, la Vertu et la Sagesse de Dieu bz. » Pourquoi chercher des remparts afin de garder tes richesses ? Écoute la Vertu de Dieu : rien n’est plus fort. Pourquoi chercher des arguments afin de les conserver ? Écoute la Sagesse de Dieu ; rien n’est plus prudent. Si je te parlais de moi-même, peut-être te scandaliserais-tu, peut-être ferais-tu le Juif, car pour le Juif le Christ est scandale. Peut-être encore, si je te parlais de moi-même, mon langage te paraîtrait-il folie et ferais-tu le Gentil, puisque le Christ est folie pour les Gentils. Mais tu es Chrétien, tu es appelé ; et pour ceux qui sont appelés, Juifs ou Gentils, le Christ est la Vertu et la Sagesse de Dieu. Ne prenez pas en mal ce que je dirai, ne vous en scandalisez pas, n’insultez point avec dérision à ce que vous appelleriez mon extravagance. Prêtons l’oreille. C’est le Christ qui a dit ce que je vais répéter. Tu méprises le héraut, crains le juge. Que vais-je donc dire ? Mais le lecteur de l’Évangile vient de m’ôter cet embarras. Je ne lis pas, je rappelle ce quia été lu. Dans la difficulté où tu te trouves, tu demandais conseil. Vois ce que t’apprend la source même du bon conseil, la source qui te jette ses flots sans que tu aies à craindre d’y puiser le poison. 6. « Ne vous amassez point de trésors sur la terre, où la rouille et les vers rongent, et où les voleurs fouillent et dérobent ; mais amassez-vous des trésors dans le ciel, où n’entre pas le voleur, où les vers ne rongent pas. En effet, là où est ton trésor, là aussi est ton cœur ca. » Qu’attends-tu davantage ? La chose est claire. Le conseil est manifeste ; mais l’avarice se cache, ou plutôt, ce qui est plus déplorable, loin de se cacher elle se découvre. Elle ne cesse ni d’étendre ses rapines, ni de multiplier ses fraudes, ni de se parjurer avec fine infernale malice. Et pourquoi tout cela ? Pour faire des trésors. Et où les placer ? Dans la terre. Il convient en effet que ce qui vient de la terre retourne à la terre. Quand eut péché cet homme à qui nous devons, comme je l’ai dit, la coupe d’amertume, Dieu lui dit : « Tu es terre et tu retourneras en terre cb. » Il est donc juste qu’ayant le cœur dans la terre tu y mettes ton trésor. Pourquoi dire alors que nous tenons ce cœur élevé vers Dieu ! Vous qui avez compris, gémissez ; et si vous gémissez, corrigez-vous. Pourquoi toujours louer et ne rien faire ? J’ai dit vrai, rien n’est plus vrai que ce que j’ai dit. Agissez donc, en conséquence, nous adorons le vrai Dieu et nous ne changeons pas ! Ici encore ne voulons-nous pas nous agiter en vain ? 7. Ainsi, « ne vous amassez point de trésors sur la terre ; » soit que vous ayez éprouvé déjà comment on perd ce que l’on y cache, soit que ne l’ayant pas éprouvé vous craigniez au moins de le ressentir. Si vous ne profitez, pas des avis, profitez de l’expérience. On ne sort pas, on ne fait pas un pas qu’on n’entende dire de tous cotés ; Malheur à nous ! le monde s’écroule ! S’il s’écroule, pourquoi n’en sors-tu pas ? Si un architecte t’annonçait que ta maison va tomber, n’en sortirais-tu pas avant de te livrer aux murmures ! L’architecte du monde te dit que ce monde va finir, et tu ne le crois pas. Prête l’oreille à ses prédictions, prête l’oreille à ses conseils. Voici sa prédiction : « Le ciel et la, terre passeront ? » Voici son conseil : « Ne vous amassez point de trésors sur la terre. cc » Si donc tu crois à ces prédictions, si tu ne dédaignes pas ces conseils, fais ce que dit le Seigneur même. Il ne te trompe pas en te donnant a conseil. Tu ne perdras point ce que tu lui offres, tu iras toi-même où tu envoies tes trésors. Je t’en préviens donc : « Donne aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel. » Tu n’en seras point privé ; mais ce que tu gardes avec inquiétude sur la terre, tu le posséderas avec pleine sécurité dans le ciel. Sors, suis mon conseil ; ainsi tu garderas tout sans rien perdre. « Tu auras, dit-il, un trésor dans le ciel ; viens ensuite et suis-moi cd. » car je te conduis vers ton trésor. Ce n’est point perdre, c’est gagner. O hommes, éveillez-vous, maintenant au moins que vous avez expérimenté ce que vous avez à craindre, écoutez et faites ce qui doit vous laisser sans aucune crainte, montez au ciel. Tu mets du blé sur la terre ; voici venir ton ami ; il sait quelle est la nature du blé et quelle est la nature de la terre, il te montre que tu as fait une faute, il le dit : Qu’as-tu l’ais ? Tu as placé ton blé sur la terre, dans un lieu bas ; cet endroit est humide, ton blé pourrit ; tu vas perdre le fruit de tes travaux. – Que faire ? reprends-tu. – Change-le de place, réplique-t-il, mets-le au grenier. Tu suis ce conseil que te donne ton ami quand il s’agit de ton blé, et tu ne tiens pas compte de l’avis que Dieu même te donne quand il est question de ton cœur ! Tu crains de mettre ton blé sur la serre et tu y mets ton cœur pour le perdre ! C’est le Seigneur ton Dieu qui te dit en effet : « Là où est ton trésor, là aussi est ton cœur. » Élève, dit-il, ton cœur au ciel, et ne le laisse pas pourrir sur la terre. Ah ! c’est un conseil pour le conserver et non pour le perdre. 8. Cela étant ainsi, combien se repentent amèrement ceux qui n’ont pas suivi ce conseil ! Que se disent-ils aujourd’hui ? Nous conserverions au ciel ce que nous avons perdu sur, la terre. L’ennemi a forcé l’entrée de nos maisons ; forcerait-il l’entrée du ciel ? Il a tué le serviteur qui gardait nos richesses, tuerait-il également le Seigneur qui nous les conserverait ? « Près de lui le voleur n’a pas accès ni les vers ne corrompent. » Combien s’écrient : Là nous posséderions, là nous garderions nos trésors, pour les suivre bientôt avec sine entière sécurité ! Pour quoi n’avons-nous méprisé les avis de notre Père, si près d’être envahis par un cruel ennemi ? Ah ! mes frères, si c’est là un conseil et ; un bon conseil, ne tardons pas à le suivre ; et si nos biens doivent passer en d’autres mains, transportons-les dans ce sanctuaire où nous ne les perdrons pas. Que sont les pauvres à qui nous faisons l’aumône ? Ne sont-ils pas les portefaix que nous employons à porter nos richesses de la terre au ciel ? Faire l’aumône, c’est donner à ton portefaix, et il monte au ciel ce que tu lui remets – Mais comment, dis-tu, le porte-t-il au ciel ? Ne le vois-je pas manger et consumer ce qu’il reçoit ? Il est vrai, et ce n’est pas en le conservant, c’est en le mangeant qu’il le transporte. As-tu oublié : « Venez, bénis de mon Père, possédez le royaume ; car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ? » As-tu oublié encore : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de mes petits, c’est à moi que vous l’avez fait ? » Si tu n’as point repoussé le mendiant, considère à qui a été remis ce que tu as donné. « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de mes petits, dit le Seigneur, c’est à moi que vous l’avez fait. » Ce que tu as donné a donc été reçu par le Christ, par Celui qui t’a donné de quoi donner ; par Celui qui finalement se donnera lui-même à toi ▼▼Voir ci-dessus Serm 18, n. 4 ; Serm 38, n. 9
. » 9. Déjà, mes fières, j’ai fait cette considération à votre charité ; je l’avoue, c’est une des vérités de l’Écriture dont je suis le plus ému, et je dois vous la rappeler souvent. Réfléchissez donc je vous prie, à ce que dira Notre-Seigneur Jésus-Christ, lorsqu’il viendra pour nous juger à la fin des siècles. Il rassemblera sous ses yeux tous les peuples, il séparera tous les hommes en deux parties, plaçant les uns à sa droite et les autres à sa gauche : Aux premiers il dira : « Venez, bénis de, mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde. » Et aux seconds : « Allez au feu éternel, qui fut allumé pour Satan et pour ses anges. » Pourquoi une telle récompense : « Recevez le royaume ; » et pourquoi un tel supplice : « Allez au feu éternel ? » Pourquoi les uns recevront-ils ce royaume ? « C’est que j’ai eu faim, et vous m’avez donnée à manger. » Pourquoi les autres iront-ils au feu éternel ? « C’est que j’ai eu faim, et vous ne m’avez pas donné à manger cf. » Méditons cela ; je vous prie. Ceux qui doivent recevoir le royaume, je le remarque, ont donné comme de bons et fidèles chrétiens ; ils n’ont pas dédaigné les enseignements du Seigneur et ils ont donné en espérant avec une ferme confiance l’accomplissement de ses promesses ; s’ils n’avaient pas agi de la Sorte, leur stérilité n’eût pas été en rapport avec la régularité de leur vie. Sans doute ils étaient chastes, ne trompaient personne, ne s’adonnaient pas au vin et s’abstenaient de toute action mauvaise. En n’ajoutant pas à cela les bonnes œuvres, ils n’en fussent pas moins demeurés stériles ; Ils auraient observé le précepte : « Abstiens-toi du mal ; cg » mais non cet autre. « Et fais le bien ». Le Christ toutefois ne leur dit pas : Venez, recevez le royaume, car vous avez été chastes, vous n’avez trompé personne, vous n’avez opprimé personne, vous n’avez pas envahi les droits d’autrui et nul n’a été victime de vos serments. Il ne dit pas cela, il dit : « Recevez le royaume ; parce que j’ai eu faim et que vous m’avez donné à manger. » Combien cette œuvre est excellente, puisque sans rien dire de toutes les autres, le Seigneur ne fait mention que de celle-là ! Il dit de même aux autres : « Allez au feu éternel qui fut préparé pour Satan et pour ses anges. » Que n’aurait-il pu reprocher à ces impies, s’ils lui avaient demandé : Pourquoi nous condamnez-vous au feu éternel ? Que demandes-tu, adultère, assassin, fripon, sacrilège, blasphémateur, incrédule ? Rien de tout cela ; mais « Parce que j’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger. » 10. Je vous vois saisis comme je le suis moi-même. Et de fait il y a ici quelque chose d’étonnant. Or je cherche à pénétrer, autant que j’en suis capable, la raison de ce mystère, et je ne vous la cacherai pas. Il est écrit : « Comme l’eau éteint le feu, ainsi l’aumône éteint le péché ch. » Il est écrit encore : « Renferme l’aumône dans le cœur du pauvre et elle priera le Seigneur pour toi ci. ». Il est également écrit : « Écoute mon conseil, ô Roi, et rachète tes péchés par des aumônes cj. » Il y a dans les livres divins beaucoup de passages qui servent à prouver combien l’aumône a d’efficacité pour éteindre les pêches et les anéantir. Aussi quand il s’agit de condamner et plus encore lorsqu’il s’agit de couronner, le Seigneur ne prend en considération que les aumônes. C’est comme s’il disait : En vous examinant, en vous pesant, en sondant vos œuvres avec une parfaite exactitude, il m’est difficile de ne pas vous trouver condamnables ; mais « allez dans mon royaume, car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger. » Vous n’y allez donc pas pour n’avoir pas péché ; mais pour avoir racheté vos péchés par des aumônes. En s’adressant aux réprouvés : « Allez, leur dit-il, au feu éternel qui fut préparé pour Satan et pour ses anges. » Convaincus et coupables depuis longtemps, ils tremblent trop tard et trop tard font attention à leurs iniquités. Comment oseraient-ils avancer qu’ils sont condamnés injustement et qu’injustement cette sentence est lancée contre eux par le Juge qui est la justice même ? En écoutant le cri de leurs consciences, en considérant toutes les blessures faites par eux à leur âme, comment oseraient-ils s’écrier : Nous sommes injustement condamnés ? Longtemps auparavant il a été dit d’eux au livré de la Sagesse : « Leurs iniquités se soulèveront contre eux pour les accuser ck. » Sûrement donc ils reconnaîtront qu’ils sont justement condamnés pour leurs péchés et leurs crimes. Mais il semble que le Seigneur leur dise : Non, ce n’est pas pour cela, ne le croyez pas ; mais « c’est parce que j’ai eu faim et que vous ne m’avez pas donné à manger. » Si renonçant à ces actes coupables et vous unissant à moi, vous eussiez racheté par, des aumônes vos crimes et vos péchés, ces aumônes vous délivreraient aujourd’hui et vous déchargeraient du fardeau de tant d’iniquités. « Heureux en effet les miséricordieux, car il leur sera fait miséricorde cl. » Maintenant donc « allez au feu éternel. — Le jugement est sans miséricorde pour celui qui n’a pas exercé la miséricorde cm. » 11. Ce que je vaudrais vous recommander, mes frères, c’est de donner le pain de la terre et de solliciter le pain du ciel. Le Seigneur est ce pain. « Je suis, dit-il, le pain de vie cn. » Mais comment te donnera-t-il, si tu ne donnes pas à l’indigent ? Un autre a besoin de toi et tu as besoin d’un autre ; donc celui qui a besoin de toi a besoin d’un indigent, tandis que Celui dont lu as besoin n’a besoin de rien lui-même. Fais donc ce que tu veux que l’on fasse pour toi, Il arrive parfois à des amis de se reprocher en quelque sorte leurs bienfaits réciproques. Je t’ai rendu ce service, dit celui-ci ; et moi cet autre, reprend celui-là. Mais Dieu ne veut pas que nous lui donnions pour le dédommager de ce qu’il nous a donné. Il n’a besoin de rien, ce qui le rend véritablement Seigneur. « J’ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu, parce que voies n’avez aucun « besoin de mes biens co. » Il est donc Seigneur, véritablement Seigneur et n’a aucun besoin de nos biens. Afin toutefois que nous puissions faire pour lui quelque chose, il daigne souffrir de la faim dans la personne de ses pauvres. « J’ai eu faim, dit-il, et vous m’avez donné à manger, — Seigneur, quand vous avons-nous vu souffrir la faim ? – Quand vous avez donné à l’un de mes petits, vous m’avez donné à moi-même. » Que l’on apprenne donc par ce peu de mots et que l’on considère avec l’attention convenable combien il y a de mérite à nourrir le Christ dans sa faim et combien on est coupable de ne pas le faire. On s’améliore, il est vrai, parle repentir de ses péchés ; mais la pénitence même semble inutile lorsqu’elle ne produit pas des œuvres de miséricorde. C’est ce qu’atteste la Vérité même par la bouche de Jean. À ceux qui s’adressaient à lui, le Précurseur disait effectivement. « Race de vipères, qui vous a montré à fuir la colère qui vous menace ? Faites donc de dignes fruits de pénitence ; et ne dites pas : nous avons pour père Abraham. Car je vous déclare que de ces pierres mêmes Dieu peut susciter des enfants à Abraham. Déjà la cognée a été mise à la racine des arbres. Ainsi tout arbre qui ne porte pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu. » Il a déjà parlé de ces fruits : « Faites de dignes fruits de pénitence. » Si donc on ne porte pas de ces fruits, c’est à tort que l’on espère obtenir par une stérile pénitence la rémission de ses péchés. Mais quels sont ces fruits ? Saint Jean le fait connaître ensuite. Comme les foules l’interrogeaient après son discours et lui demandaient : « Que ferons-nous donc ? » c’est-à-dire : quels sont ces fruits que tu nous engages à produire, avec menaces ? il leur répondait : « Que celui qui a deux tuniques en donne une à celui qui n’en a pas ; et que celui qui a de quoi manger fasse de même cp. ». Est-il rien, mes frères, de plus clair, de plus certain, de plus formel ? Et ces paroles. « Tout arbre qui ne porte pas de bon fruit sera coupé et jeté au feu », ne rappellent-elles point ce qui sera dit aux réprouvés : « Allez au feu éternel ; car j’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger ? » C’est donc trop peu de renoncer au péché, il faut encore réparer le passé. Il est écrit : « Mon fils as4qpéché ? Ne pèche plus désormais. » Et pour ne laisser pas croire que cela suffit, l’écrivain sacré ajouté : « Prie encore pour tes fautes anciennes, afin qu’elles te soient pardonnées. cq » Or que te servira-t-il de prier si tu ne te rends digne d’être exaucé en faisant de dignes fruits de pénitence ? Arbre stérile, tu seras coupé et jeté au feu. Si donc vous voulez être entendus lorsque voies priez pour vos péchés « Pardonnez et on vous pardonnera ; donnez et on vous donnera. cr » CHAPITRE XIV. ON NE PEUT SERVIR DIEU ET LE DÉMON.
47. Quant aux paroles qui suivent : « Personne ne peut servir deux maîtres » il faut encore les rapporter à l’intention. Le Sauveur lui-même les explique en disant : « Car ou il haïra a l’un et aimera l’autre, on il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. » Il faut soigneusement méditer ce passage ; et le Seigneur lui-même indique quels sont ces deux maîtres, en disant : « Vous ne pouvez pas servir Dieu et Mammon. » Les Hébreux donnent, dit-on, aux richesses le nom de Mammon. En langue punique, le mot a le même sens ; car Mammon signifie gain. Or servir Mammon, c’est être l’esclave de celui que sa perversité a mis à la tête des choses terrestres et que le Seigneur appelle prince de ce siècle cs. Donc ou l’homme le haïra et aimera l’autre » c’est-à-dire Dieu ; « ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. » En effet quiconque est esclave des richesses, s’attache à un maître dur et funeste ; car enchaîné par la cupidité, il est soumis au démon ; et il ne l’aime pas, car et qui peut aimer le démon mais cependant il le supporte ; comme dans une grande maison, celui qui est uni à une servante étrangère, subit à cause de sa passion un rude esclavage, bien qu’il n’aime pas celui dont il aime la servante. 48. « Ou il méprisera l’autre » le Seigneur ne dit pas : il haïra ; car personne peut-être ne peut sérieusement haïr Dieu ▼▼Rét.l. 1, ch. 19 n. 3
; mais il le méprise, c’est-à-dire ne le craint plus, comme s’il se rassurait sur sa bonté. L’Esprit-Saint cherche à nous tirer de cette négligence et de cette fatale sécurité, quand il nous dit : « Mon fils, n’ajoute pas péché sur péché et ne dis pas : La miséricorde de Dieu est grande cu » et encore : « Ignorez-vous que la patience de Dieu vous invite à la pénitence cv ? » Qui trouverez-vous d’aussi miséricordieux que Celui qui pardonne tous leurs péchés à ceux qui se convertissent et qui donne la fertilité de l’olivier au rejeton sauvage ? Et qui trouverez-vous d’aussi sévère que Celui qui n’a pas épargné les branches naturelles, mais les a brisées à cause de leur infidélité cw ? Donc que celui qui veut aimer Dieu et éviter de l’offenser, ne s’imagine pas qu’il peut servir deux maîtres ; mais qu’il purifie son intention et garantisse son cœur de toute duplicité ; alors il aimera Dieu dans sa bonté et le cherchera dans la simplicité de son cœur cx. CHAPITRE XV. SOLLICITUDES SUPERFLUES.
49. « C’est pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez point pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous vous vêtirez. » De peur que peut-être, sans chercher le superflu, le cœur ne devienne double à la recherche du nécessaire, que notre intention ne se détourne vers nos propres intérêts, quand nous paraissons faire œuvre de miséricorde à l’égard du prochain ; c’est-à-dire de peur que tout en voulant rendre service à un autre, nous n’avions bien plutôt nos propres avantages en vue ; puis que nous nous croyions innocents, parce que nous ne cherchons pas le superflu, mais le simple nécessaire. Le Seigneur veut que nous nous rappelions qu’en nous créant et en nous composant d’une âme et d’un corps, Dieu nous a donné beaucoup plus que la nourriture et le vêtement, et il ne veut pas que le souci de ces nécessités rende notre cœur double. « L’âme, dit-elle, n’est-elle pas plus que la nourriture ? » Pour vous faire entendre que Celui qui vous a donné la vie, vous donnera bien plus facilement encore la nourriture. « Et le corps plus que le vêtement ? » c’est-à-dire est davantage : également pour que vous compreniez que Celui qui vous a donné votre corps, vous donnera plus facilement encore de quoi le vêtir. 50. On demande ici quel rapport a la nourriture avec l’âme, puisque l’une est incorporelle et l’autre matérielle. Mais, âme est mis ici pour vie, et c’est la nourriture matérielle qui entretient la vie. C’est en ce sens qu’on a dit : « Celui qui aime son âme, la perdra cy » Si âme ne signifiait pas cette vie présente qu’il faut perdre pour acquérir le royaume de Dieu, comme évidemment les martyrs l’ont fait, il y aurait contradiction avec cet autre passage : « Que sert à l’homme de gagner le monde entier, s’il vient à perdre son âme cz ? » 51. « Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, ni n’amassent dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit ; n’êtes-vous pas plus qu’eux ? » c’est-à-dire, vous valez davantage. En effet un animal doué de raison, comme l’homme, est placé plus haut dans l’ordre de la nature que des animaux privés de raison, comme sont les oiseaux. « Or qui de vous, en s’inquiétant beaucoup, peut ajouter à sa taille une seule coudée ? » C’est-à-dire celui qui, par sa puissance et sa volonté, a fait croître votre corps jusqu’à la taille qu’il a, saura bien aussi, par les soins de sa Providence, lui procurer des vêtements. Or vous comprendrez que votre taille n’est point votre ouvrage par cela que, malgré toutes vos inquiétudes et vos désirs, vous ne pourriez y ajouter une seule coudée ; laissez donc le soin de vêtir votre corps à Celui qui lui a donné sa taille. 52. Il fallait donner un exemple pour le vêtement comme pour la nourriture. Aussi le Seigneur ajoute-t-il : « Voyez les lis des champs ; comme ils croissent ; ils ne travaillent ni ne filent. Or je vous dis que Salomon même dans toute sa gloire, n’a jamais été vêtu comme l’un d’eux. Que si l’herbe des champs qui est aujourd’hui et qui demain sera jetée dans le four, Dieu la vêtit ainsi, combien plus vous, hommes de peu de foi ? » Mais nous n’avons pas à discuter ces exemples comme allégories, ni à chercher ce que signifient ici les oiseaux du ciel et les lis des champs : car on nous propose simplement des objets d’une nature inférieure pour nous faire entendre des choses d’un ordre plus élevé. Telle est dans un autre endroit, la comparaison du juge qui ne craignait pas Dieu, n’avait point d’égards pour l’homme, et néanmoins céda aux instances de la veuve, non par sentiment de piété ou d’humanité, mais pour se débarrasser de ses importunités. Car ce juge inique ne représente Dieu en aucune façon, même allégoriquement ; mais le Seigneur a voulu nous faire comprendre combien Dieu, qui est bon et juste, a soin de ceux qui le prient, puisque même un homme injuste ne peut repousser ceux qui le fatiguent de leurs réclamations, ne fût-ce que pour se soustraire à l’ennui de les entendre da.CHAPITRE XVI. NE PAS ÉVANGÉLISER POUR VIVRE, MAIS VIVRE POUR ÉVANGÉLISER.
53. « Ne vous inquiétez donc point disant Que mangerons-nous ou que boirons-nous, ou de quoi nous vêtirons nous ? Car ce sont toutes choses que les païens recherchent ; mais votre Père sait que vous en avez besoin. Cherchez donc premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît. » Le Seigneur nous montre ici très clairement qu’on ne doit point rechercher ces biens de façon à les avoir en vue dans les bonnes actions ; mais que pourtant ils sont nécessaires. Il nous fait voir aussi quelle différence il y a entre le bien qu’il faut rechercher, et le nécessaire qu’il faut recevoir ; quand il nous dit : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît. » Le royaume de Dieu et sa justice : voilà donc notre bien, ce que nous devons rechercher, où nous devons placer notre fin dernière, le but en vue duquel il faut faire tout ce que nous faisons. Mais comme nous luttons en cette vie pour pouvoir arriver à ce royaume, et que ces choses nous sont indispensables pour vivre, le Seigneur ajoute : « Toutes ces choses vous seront données par surcroît. » Mais cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice. » En disant : « premièrement » il indique que le reste est à ta seconde place, non pour le temps, mais pour l’importance. L’un doit être recherché comme notre bien propre, l’autre comme une nécessité ; mais celui-ci en vue de celui-là. 54. Ainsi, par exemple, nous ne devons pas évangéliser pour manger, mais manger pour évangéliser ; car évangéliser pour manger, ce serait mettre l’Évangile au dessous des aliments ; ceux-ci seraient notre bien et celui-là notre nécessaire. Et c’est ce que l’Apôtre défend ; en disant qu’il a droit d’user de la permission accordée par le Seigneur, à ceux qui annoncent l’Évangile de vivre de l’Évangile, c’est-à-dire d’en tirer ce qui est nécessaire à la vie ; mais que pourtant il n’a point abusé de ce pouvoir. Car il y avait alors bien des hommes qui cherchaient l’occasion d’acheter et de vendre l’Évangile ; et pour supprimer cet abus, l’Apôtre pourvoyait à sa nourriture de ses propres mains db. C’est d’eux qu’il dit ailleurs : « Pour ôter l’occasion à ceux qui cherchent l’occasion dc. » Du reste si, comme les vrais Apôtres, il eût vécu, de l’Évangile suivant la permission du Seigneur, la nourriture n’eût pas été pour lui le but de la prédication, mais bien la prédication le but de la nourriture ; c’est-à-dire il n’eût pas évangélisé pour gagner ses aliments et les autres objets nécessaires à la vie, mais il eût usé de ceux-ci pour évangéliser par amour et non par besoin, ce dont il ne veut pas quand il dit : « Ne savez-vous pas que les ministres du temple mangent de ce qui est offert dans le temple, et que ceux qui servent à l’autel ont part à l’autel ? Ainsi le Seigneur lui-même a prescrit à ceux qui annoncent l’Évangile de vivre de l’Évangile. Pour moi je n’ai usé d’aucun de ces droits. » Par là il fait voir que c’est une permission et non un ordre ; autrement il serait coupable de désobéissance à la loi du Seigneur. Puis il continue et dit : « Je n’écris donc pas ceci pour qu’on use ainsi envers moi ; car j’aimerais mieux mourir que de laisser quelqu’un m’enlever cette gloire. » Il dit cela parce qu’il avait déjà résolu de gagner lui-même sa vie, à cause de ceux qui cherchaient l’occasion. « Car si j’évangélise, dit-il, la gloire n’en est pas à moi » c’est-à-dire si j’évangélise pour qu’on en use ainsi envers moi, c’est-à-dire encore, si j’évangélise pour obtenir ces choses, j’aurai placé le but de la prédication dans la nourriture, la boisson et le vêtement. Mais pourquoi la gloire n’en est-elle pas à lui ? Ce m’est une nécessité » répond-il ; c’est-à-dire il faudra alors que j’évangélise parce que je n’ai pas de quoi vivre, ou pour retirer un profit temporel de la prédication des vérités éternelles : par là en effet je ne prêcherai plus volontairement l’Évangile, mais par nécessité. « Et malheur à moi, ajoute-t-il, si je n’évangélise dd » Mais comment doit-il évangéliser ? En cherchant sa récompense dans l’Évangile même et dans le royaume de Dieu : de cette manière ce ne sera plus par nécessité, mais de bonne volonté qu’il pourra évangéliser. « Car si je le fais de bon cœur, j’aurai la récompense : mais si je ne le fais qu’à regret, je dispense seulement ce qui m’a été confié de » c’est-à-dire si je prêche l’Évangile parce que j’y suis forcé pour subvenir aux nécessités de la vie, d’autres en recueilleront le profit en s’attachant à l’Évangile que je prêche ; et moi je n’en retirerai rien, parce que je n’aime pas l’Évangile même, mais les avantages temporels qui en font le prix à mes yeux. Et c’est un crime de ne pas annoncer l’Évangile comme un fils, mais comme un esclave qui dispense ce qui lui est confié ; de le répandre comme un bien étranger, sans en retirer autre chose que des aliments qui n’ont rien de commun avec le royaume de Dieu, mais sont purement extérieurs et destinés à prolonger un misérable esclavage. Ce n’est pas que l’Apôtre ne se donne ailleurs le nom de dispensateur. En effet, un serviteur élevé à la dignité de fils adoptif, peut parfaitement dispenser à ses semblables ce qu’il a reçu en qualité de cohéritier. Mais en disant : « Si je ne le fais qu’à regret, je dispense seulement ce qui m’a été confié » l’Apôtre désigne cette espèce de dispensateur qui se contente de distribuer le bien d’autrui sans en rien retirer lui-même. 55. Donc tout objet recherché en vue d’un autre objet est incontestablement au dessous de celui-ci ; par conséquent la supériorité appartient à l’objet qu’on a en vue, et non à celui par lequel on cherche à atteindre le but. Donc, si nous cherchons l’Évangile et le royaume de Dieu en vue de la nourriture, nous donnons à celle-ci la prééminence sur ceux-là, en sorte que si la nourriture ne nous fait pas défaut, nous laisserons de côté le royaume de Dieu : c’est là chercher premièrement la nourriture et ensuite le royaume de Dieu, c’est-à-dire donner à celle-là la priorité sur celui-ci. Si au contraire nous ne cherchons notre nourriture qu’en vue d’obtenir le royaume de Dieu, nous remplissons le précepte : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît. »CHAPITRE XVII. À CEUX QUI CHERCHENT LE ROYAUME DE DIEU RIEN NE MANQUE.
56. En effet quand nous cherchons premièrement le royaume de Dieu et sa justice, c’est-à-dire quand nous les mettons au-dessus de tout le reste au point de ne chercher dans tout le reste qu’un moyen de les obtenir, alors nous ne devons pas craindre de manquer de ce qui est nécessaire en cette vie pour parvenir au royaume de Dieu. Car plus haut le Seigneur a dit : « Votre Père sait que vous en avez besoin. » Aussi, après avoir dit : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice » il n’ajoute point : cherchez ensuite ces choses ; bien qu’elles soient nécessaires ; mais il dit : « Et toutes ces choses vous seront données par surcroît » c’est-à-dire vous arriveront, si vous les cherchez sans, vous en mettre en peine ; pourvu qu’en les cherchant, vous ne vous détourniez point du but ; que vous ne vous proposiez point deux fins, d’abord le royaume de Dieu pour lui-même et ensuite ces choses nécessaires, mais que vous cherchiez celles-ci en vue de celui-là : dans ce cas, elles ne vous feront point défaut. La raison en est que vous ne pouvez servir deux maîtres. Or c’est servir deux maîtres que de chercher le royaume de Dieu comme un grand bien, puis ces objets temporels. On ne peut avoir l’œil simple, ni servir Dieu comme seul maître, si on ne rapporte tout le reste, même le nécessaire, à ce but unique, c’est-à-dire au royaume de Dieu. Mais comme tout soldat reçoit une ration et une solde, ainsi tous ceux qui évangélisent reçoivent la nourriture et le vêtement. Seulement tous les soldats ne se battent pas pour le salut de la république ; il en est qui ont en vue leur salaire. Ainsi tous les ministres de Dieu ne se proposent par le salut de l’Église : il en est qui cherchent les avantages temporels, comme qui dirait leur ration et leur solde ; ou même se proposent les deux buts à la fois. Mais on l’a dit plus haut : « Vous ne pouvez pas servir deux maîtres. » Nous devons donc faire du bien à tous avec un cœur simple, seulement en vue du royaume de Dieu, et non pour nous procurer des avantages temporels soit uniquement, soit conjointement avec le royaume de Dieu : avantages que le Seigneur renferme sous le nom de lendemain, quand il nous dit : « Ne soyez point inquiets du lendemain. » Car ce mot n’a d’application que dans le temps, où l’avenir succède au passé. Par conséquent, quand nous faisons quelque chose de bien ; ne songeons point aux choses du temps, mais à celles de l’éternité ; alors l’œuvre sera bonne et parfaite. « En effet, continue le Seigneur, le jour de demain sera inquiet pour lui-même » c’est-à-dire prenez votre nourriture, votre boisson, votre vêtement quand il faudra, quand la nécessité s’en fera sentir. Car tout se trouvera là, puisque notre Père sait que nous en avons besoin. « A chaque jour, dit le Seigneur, suffit son mal » c’est-à-dire il suffit que la nécessité vous force à user de ces choses. Quant au mot de mal, je pense qu’il a été choisi pour nous indiquer que c’est une punition pour nous, puisque c’est le résultat de la fragilité et de la mortalité que nous nous sommes attirées par le péché ▼▼Rét 1, ch. XIX. n. 6
. N’aggravez donc pas encore le poids de ce châtiment ; en ne vous contentant pas de subir des besoins temporels, mais en cherchant dans le service de Dieu les moyens d’y satisfaire. 57. Cependant il faut bien prendre garde ici d’accuser de désobéissance au divin précepte et d’inquiétude pour le lendemain, un serviteur de Dieu que nous voyons attentif à se pourvoir des choses nécessaires, ou pour lui ou pour ceux dont le soin lui est confié. Car le Seigneur lui-même, servi par les anges dg, a daigné, pour l’exemple, pour que personne ne se scandalise de voir un de ses serviteurs se procurer les choses nécessaires, a daigné, dis-je, avoir une bourse avec de l’argent, pour fournir aux besoins de la vie ; bourse dont Judas, qui le trahit, fut tout à la fois le gardien et le voleur, comme cela est écrit dh. Et l’Apôtre Paul aussi pourrait passer pour avoir eu souci du lendemain, lui qui écrit : « Quant aux aumônes que l’on recueille pour les saints, faites, vous aussi, comme je l’ai réglé pour les églises de Galatie. Qu’au premier jour de la semaine, chacun de vous mette à part chez lui et serre ce qui lui plaira, afin que ce ne soit pas quand je viendrai que les collectes se fassent. Lorsque je serai présent, j’enverrai ceux que vous aurez désignés par vos lettres, porter vos charités à Jérusalem. Que si la chose mérite que j’y aille moi-même, ils viendront avec moi. Or je viendrai chez.vous lorsque j’aurai traversé la Macédoine ; car je passerai par la Macédoine. Peut-être m’arrêterai-je chez vous et y passerai-je même l’hiver, afin que vous me conduisiez partout ou j’irai. Car ce n’est pas seulement en passant que je veux vous voir cette fois ; j’espère demeurer quelque temps avec vous, si le Seigneur le permet. Je demeurerai à Ephèse jusqu’à la Pentecôte di. » Nous lisons également dans les Actes des Apôtres qu’on s’était procuré des vivres dans l’attente d’une famine prochaine. « Or, en ces jours-là, des prophètes vinrent de Jérusalem à Antioche, et il y eut une grande joie. Et quand nous fûmes assemblés, l’un d’eux, nommé Agabus, se levant, annonçait, par l’Esprit-Saint, qu’il y aurait une grande famine dans tout l’univers ; laquelle, en effet, arriva sous Claude César. Et les disciples résolurent d’envoyer, chacun suivant ce qu’il possédait, des aumônes aux frères qui habitaient dans la Judée. Ce qu’ils firent en effet, les envoyant aux anciens par les mains de Barnabé et de Saul dj. » Or, lorsque Paul se mit en mer, les provisions qu’on lui offrit paraissent avoir été bien au de là du besoin d’un seul jour dk. Quant à ce passage d’une de ses épîtres : « Que celui qui dérobait ne dérobe plus, mais plutôt qu’il s’occupe en travaillant de ses mains à ce qui est bon, pour avoir de quoi donner à qui est dans le besoin dl » ceux qui le comprennent mal croient y voir une contradiction avec le précepte du Seigneur : « Regardez les oiseaux du ciel ; ils ne sèment ni ne moissonnent ni n’amassent dans des greniers » et encore : « Voyez les lis des champs, comme ils croissent ; ils ne travaillent ni ne filent » tandis que l’Apôtre veut qu’on travaille de ses mains pour avoir de quoi donner aux autres. Et lorsque, parlant de lui-même, il dit qu’il a travaillé de ses mains pour n’être à charge à personne dm ; et qu’on écrit de lui qu’il s’était joint à Aquila pour travailler avec lui et gagner sa vie dn, il ne semble pas qu’il ait imité les oiseaux du ciel ni les lis des champs. Mais par ces passages des Écritures et beaucoup d’autres du même genre on voit assez que Notre-Seigneur ne désapprouve pas celui qui se procure ces ressources par des moyens humains ; mais seulement le ministre de Dieu qui travaille en vue d’obtenir des avantages temporels et non le royaume de Dieu. 58. Donc tout le commandement se réduit à cette règle : Qu’on s’occupe du royaume de Dieu même en se pourvoyant des choses matérielles, et qu’on ne songe point aux choses matérielles lorsqu’on combat pour le royaume de Dieu. Par là, quand même ces ressources nous feraient défaut, ce que Dieu permet souvent pour nous exercer, non seulement notre résolution n’en serait point ébranlée, mais elle n’en serait qu’éprouvée et affermie. « Car, dit l’Apôtre, nous nous glorifions dans les tribulations, sachant que la tribulation produit la patience ; la patience, la pureté ; et la pureté l’espérance. Or l’espérance ne confond point, parce que la charité est répandue en nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné do. » Or, parmi les tribulations et les souffrances qu’il passe en revue, Paul ne mentionne pas seulement les prisons, les naufrages et les autres épreuves de ce genre, mais aussi la faim et la soif, le froid et la nudité dp. Ne nous figurons pas toutefois en lisant cela, que le Seigneur ait manqué à ses promesses, parce que, en cherchant le royaume de Dieu et sa justice, l’Apôtre a souffert la faim, la soif et la nudité, bien qu’on nous ait dit : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît. » Le médecin à qui nous nous sommes confiés sans réserve, de qui nous tenons les promesses de la vie présente et de la vie future, sait quand il doit, dans notre intérêt, nous accorder ou nous retirer ces ressources, lui qui nous gouverne et nous dirige en cette vie à travers les consolations et les épreuves, pour nous établir solidement ensuite dans le repos éternel. Et l’homme lui-même, en retirant souvent la nourriture à sa bête de charge, ne la néglige pas pour autant, mais travaille à lui rendre la santé.
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