Numbers 16
XXVI. (Ib 16, 13, 14.) Sur la révolte de Dathan et d’Abiron. – Dathan et Abiron, révoltés et rebelles à la voix de Moïse, lui adressent cette réponse aussi outrageante que superbe : « N’est-ce pas assez que tu nous aies entraînés vers une terre où coulent le lait et le miel, pour nous faire périr dans le désert ? Car tu es à notre tête, tu règnes sur nous : et tu nous as conduits dans une terre où coulent des ruisseaux de lait et de miel, et tu nous as donné en partage des champs et des vignes. » Ils ajoutent : « Tu aurais arraché les yeux à ces hommes : nous ne montons pas. » Quel est le sens de ces mots ? De qui veulent parler Dathan et Abiron ? Est-ce du peuple d’Israël ? Alors le sens serait celui-ci : Si tu avais procuré au peuple ces bienfaits, tu lui aurais arraché les yeux, c’est-à-dire, il aurait pour toi tant d’affection, qu’il s’arracherait les yeux pour te les donner. Au jugement de l’Apôtre lui-même, c’est là une grande marque d’amour : « Car, dit-il aux Galates, s’il était possible, vous vous seriez arraché les yeux, pour me les donner a. » Ce qu’ils ajoutent met le comble à leur révolte : « Nous ne montons pas » c’est-à-dire : Nous n’irons point, car Moïse les avait fait appeler. Ces rebelles faisaient peut-être, au contraire, allusion dans leur réponse aux ennemis qu’on leur avait dépeints si forts et si terribles ; le sens reviendrait alors à ceci : Quand même tu leur aurais arraché les yeux, nous ne t’obéirions point ; un temps du verbe serait mis pour un autre, « Nous ne montons pas » au lieu de, Nous ne monterions point, par un tour de phrase particulier à l’Écriture. XXVII. (Ib 16, 20, 21.) Dieu sépare les bons des méchants, quand il punit ces derniers. – « Le Seigneur parla à Moïse et à Aaron et leur dit : « Retirez-vous du milieu de cette assemblée. » Chose remarquable ! lorsque la vengeance divine est sur le point d’éclater contre les méchants, le Seigneur veut qu’une séparation soit établie entre les personnes ; c’est ainsi que Noé se sépare avec sa maison des hommes condamnés à périr dans le déluge b ; que Loth et les siens se séparent des habitants de Sodome destinés à être consumés par le feu du ciel c ; que le peuple d’Israël lui-même s’éloigna des Égyptiens quand les flots de la mer allaient les engloutir d ; et qu’enfin, dans la circonstance présente, Moïse et Aaron se séparent de Choré, Dathan et Abiron, les premiers instigateurs de la scission et de là révolte : ces saints personnages, vivant et demeurant au milieu de ces rebelles et de ceux que Dieu réprouvait, comme il le dit lui-même en les reprenant, ne cédèrent point cependant à l’entraînement de leurs mauvais exemples ; le Seigneur ne leur donna pas non plus l’ordre de se séparer des coupables, tout le temps qu’il différait sa vengeance, ou que celle qu’il tirait d’eux laissait les innocents à l’abri de tout péril et de toute atteinte : ainsi en fut-il de la morsure des serpents, ainsi en fut-il du grand massacre dans lequel Dieu frappait celui qu’il voulait et comme il voulait, sans toucher aux autres ; alors ce n’était plus comme l’eau du déluge, ou la pluie de feu, ou les flots de la mer, ou enfin la terre entrouverte, qui pouvaient engloutir toute espèce de personnes à la fois ; sans doute, même dans ces circonstances, Dieu aurait pu conserver les siens ; mais qu’était-il besoin d’opérer un miracle et de commander à l’eau, au feu ou à l’abîme de dévorer toutes les victimes qu’ils trouveraient, dès lors que la séparation d’avec les méchants était possible ? C’est ainsi qu’à la fin le froment sera séparé de l’ivraie : les méchants brûleront dans les flammes, et les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père e. XXVIII. (Id 16, 30.) Sur le sens de : in visione. – Moïse dit, à propos de Choré, Abiron et Dathan, que : « Dieu montrera manifestement, in visione, et que la terre s’entrouvrant, les dévorera. » Quelques-uns ont traduit : « Le Seigneur montrera dans l’abîme ouvert ; » je pense qu’ils ont lu khasmati à la place du mot phasmati qui signifie : manifestation ; en sorte que le sens de la phrase est que le prodige frappera tous les yeux. In visione ne signifie donc point dans ce passage les visions qui apparaissent dans le sommeil ou dans l’extase : mais, comme je l’ai dit, une éclatante manifestation. Plusieurs prenant le mot grec dans une autre acception, ont voulu le traduire par « fantôme ; » mais cette expression est si opposée aux habitudes de notre langage, que nous l’employons presque exclusivement pour signifier les illusions dont le sens de la vue est victime ; il est vrai que, selon l’étymologie, il pourrait signifier la vue d’un objet véritable ; mais, je le répète, l’usage a prévalu de se servir d’un autre mot. XXIX. (Ib 16, 32,33.) Que faut-il entendre par l’enfer où furent précipités Choré, Dathan et Abiron? – « Et ils descendirent vivants aux enfers, avec tout ce qui leur appartenait. » Il faut observer qu’il s’agit ici de l’enfer terrestre, en d’autres termes, des entrailles de la terre. Car ce nom d’enfer revient souvent dans l’Écriture et avec des acceptions très-différents, suivant l’objet auquel il se rapporte ; on l’emploie surtout en parlant des morts. Mais comme l’Écriture rapporte que ces hommes descendirent vivants aux enfers, et que le récit fait assez entendre ce que cela signifie, il est évident que les parties inférieures du sol reçoivent ici le nom d’enfer, par opposition avec cette partie de la terre dont la surface est habitée : c’est ainsi que l’Écriture dit, par opposition avec le ciel supérieur où demeurent les saints Anges, que les Anges prévaricateurs furent précipités dans les ténèbres de l’air et en quelque sorte réservés aux châtiments des cachots de l’enfer. « Car si Dieu, dit-elle, n’a point épargné les Anges qui ont péché, mais, les ayant refoulés dans les cachots ténébreux de l’enfer, les a livrés afin qu’ils fussent tenus en réserve pour être punis au jugement f ; l’Apôtre Paul n’appelle-t-il point aussi le démon « prince de la puissance de l’air, qui agit maintenant dans les âmes incrédules g ? »
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