bfSir 39,20-21
clSag 9,15
doSir 40,1
efSag 6,21
fcSag 9,15
hbSir 1,2-3
hiSir 1,2-12
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aaaPsa 60,18

‏ Psalms 119

PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LE VRAI BONHEUR.

Le psaume débute par une invitation au bonheur dont le désir nous est naturel et que nous recherchons même par le péché, quoique ce bonheur ne consiste qu’à marcher dans la voie de Dieu, à nous attacher à lui. Étudier les témoignages de Dieu pour vivre plus saintement, c’est une perfection ; les étudier pour la science en elle-même, ce n’est point chercher le Seigneur de manière à devenir juste. Toutefois le bonheur dans la recherche de Dieu, n’est ici-bas qu’une espérance, comme celui qui consiste à souffrir persécution pour la justice.

AVANT-PROPOS.

Jusqu’ici, avec le secours de Dieu, j’ai expliqué soit en parlant au peuple, soit en dictant, et autant que je l’ai pu, tous les psaumes que nous savons renfermés dans le livre des psaumes, et que l’Église appelle communément le psautier. Mais pour le psaume cent-dix-huitièmes, j’en différais l’explication moins encore à cause de sa longueur, qu’à cause de sa profondeur accessible au petit nombre seulement. Mes frères, néanmoins, voyant avec peine que dans mes ouvrages et en ce qui regarde l’explication des psaumes, celui-ci manquait seul, et me pressant vivement d’acquitter ma dette, j’ai différé longtemps de me rendre à leurs prières et à leurs instances ; car toutes les fois que je m’en occupais, je trouvais la tâche au-dessus de mes forces. Plus il paraît clair, en effet, et plus j’y trouvais de profondeur ; au point que cette profondeur même échappait à mes démonstrations. Dans les autres qui sont difficiles à comprendre, bien que l’obscurité nous en dérobe le sens, on voit au moins qu’ils sont obscurs ; mais ici l’obscurité n’est pas même apparente : à la surface il nous paraît facile au point de n’avoir aucun besoin d’interprète, mais seulement d’un lecteur et d’un auditeur. Et maintenant que j’entreprends enfin ce travail, j’ignore complètement si je pourrai l’achever ; je compte néanmoins sur le secours de Dieu qui m’aidera à en expliquer quelque chose. C’est ainsi qu’il m’a aidé, quand j’ai interprété d’une manière suffisante quelques passages qui m’avaient paru d’abord difficiles et en quelque sorte impossibles à comprendre et à expliquer. J’ai résolu de traiter le psaume dans des discours prêchés au peuple, discours que les Grecs appellent homélies. C’est la manière qui me paraît la plus convenable, afin que les réunions des fidèles ne soient point privées de l’intelligence d’un psaume qu’elles entendent chanter avec joie comme tous les autres. Mais terminons ici cet avis, et parlons du psaume auquel nous avons cru devoir ces préliminaires.

1. Ce long psaume, dès le commencement, mes frères bien-aimés, nous convie au bonheur, que nul ne s’abstient de désirer. Pourrait-on, en effet, a-t-on pu, et pourra-t-on jamais rencontrer un homme qui n’aspire point au bonheur ? À quoi bon, dès lors, nous stimuler pour un bien que le cœur humain convoite si naturellement ? Quiconque en stimule un autre, ne se propose que d’activer sa volonté, de la pousser vers l’objet qu’il exhorte à désirer. Pourquoi donc nous engager à vouloir ce qu’il nous est impossible de ne vouloir point, sinon parce que tout homme à la vérité désire le bonheur, mais beaucoup ignorent de quelle manière on y arrive ? Aussi le Psalmiste nous l’enseigne-t-il, en disant : « Heureux les hommes irréprochables dans leur voie, qui marchent dans la loi du Seigneur » a. Comme s’il nous disait O homme, je connais ton désir, tu cherches le bonheur : si donc tu veux être heureux, sois pur d’abord. Tous veulent du bonheur, mais peu veulent de cette pureté sans laquelle on ne saurait parvenir à ce bonheur convoité par tous. Mais où donc l’homme peut-il être sans tache, sinon dans sa voie ? Et quelle est cette voie, sinon la loi du Seigneur ? Cette parole dès lors : « Bienheureux les hommes irréprochables dans leur voie, qui marchent dans la loi du Seigneur », n’est plus une parole superflue, c’est pour nos cœurs une exhortation bien nécessaire. Elle nous montre combien est avantageux ce qui est si généralement négligé, c’est-à-dire de marcher sans reproche dans cette voie qui est la loi du Seigneur ; elle proclame bienheureux ceux qui en agissent ainsi, afin que pour atteindre ce bonheur auquel tout homme aspire, nous nous déterminions à faire ce que tant d’hommes ne veulent point faire. Être heureux, est en effet un si grand bien, que les bons et les méchants le désirent. Il n’est pas étonnant que les bons soient tels pour y arriver ; mais ce qui est étrange, c’est que les méchants ne sont méchants que pour être heureux. Tout voluptueux, tout homme perdu de débauche ne s’abandonne à ces infâmes jouissances, que pour chercher le bonheur dans ces désordres, et il se croit malheureux quand il ne saurait atteindre la voluptueuse joie qu’il convoite, il vante son bonheur s’il y parvient. Quiconque est en proie aux désirs brûlants de l’avarice, n’amasse par tout moyen des richesses que pour être heureux ; quiconque cherche à répandre le sang de ses ennemis, quiconque veut dominer les autres, quiconque donne en pâture à sa cruauté le malheur des autres, ne cherche que le bonheur dans tous ces crimes. Ce sont donc ces âmes égarées, qu’une véritable misère force à chercher un faux bonheur, que cette voix divine rappelle dans le chemin si l’on veut l’entendre : « Bienheureux les hommes irréprochables dans leur voie, qui marchent dans la loi du Seigneur » ; comme s’il leur disait : Où allez-vous, infortunées ? Vous allez à la mort sans le savoir. Ce n’est point par là que l’on peut aller où vous prétendez arriver : vous aspirez au bonheur, mais les chemins où vous vous précipitez sont pleins de misère, et conduisent à une misère plus profonde encore. Ne cherchez point un si grand bien par de si grands maux ; si vous voulez y parvenir, venez par ici, suivez cette route. Quittez ces routes perverses, vous qui ne pouvez quitter le désir du bonheur. En vain vous vous épuisez pour aller où vous ne sauriez arriver sans être corrompus. Non, non, ils ne sont point heureux, ces criminels égarés qui marchent dans la corruption du siècle ; mais « ceux-là sont heureux qui sont irréprochables dans leur voie, qui marchent dans la loi du Seigneur ».

2. Voyez en effet ce qu’il ajoute : « Bienheureux ceux qui étudient ses témoignages, qui le recherchent de tout leur cœur b ». Ces paroles ne me paraissent point désigner un genre de bonheur autre que celui dont il est question auparavant. Car approfondir les témoignages du Seigneur, et le rechercher de toute son âme, c’est être sans reproche dans la voie, marcher dans la loi du Seigneur. Enfin le Prophète continue en disant : « Ceux qui commettent l’iniquité ne marchent point dans ses voies c ». Si donc marcher dans la voie, c’est-à-dire dans la loi du Seigneur, c’est approfondir ses ordonnances et le rechercher de toute son âme, assurément commettre l’iniquité ce n’est point sonder ses ordonnances. Et toutefois, nous connaissons des artisans d’iniquité qui approfondissent les ordonnances du Seigneur parce qu’ils préfèrent la science à la justice ; nous en connaissons d’autres qui étudient ces mêmes témoignages du Seigneur, non qu’ils vivent déjà saintement, mais afin d’apprendre comment ils sont obligés de vivre. Ceux-là donc ne sont pas encore sans tache dans la voie du Seigneur, et dès lors n’ont point encore le bonheur. Comment donc faut-il entendre : « Bienheureux ceux qui approfondissent ses témoignages », puisque nous voyons que des hommes qui ne sont point heureux parce qu’ils ne sont point purs encore, étudient néanmoins ces témoignages ? Ces Scribes, en effet, comme ces Pharisiens qui s’asseyaient sur la chaire de Moïse, et dont le Sauveur a dit : « Faites ce qu’ils disent, mais ne faites pas ce qu’ils font ; car ils disent et ne font point d », approfondissaient les ordonnances du Seigneur, mais avec la droiture dans leurs discours et l’iniquité dans leurs, œuvres. Mais laissons ces hommes dont on pourrait nous dire avec raison qu’ils ne sondent point les témoignages du Seigneur, puisque en réalité ce ne sont point ces témoignages qu’ils recherchent, et qu’ils poursuivent par ces témoignages un tout autre but, c’est-à-dire la gloire aux yeux des hommes, et la richesse. Car ce n’est pas étudier les témoignages du Seigneur, que n’aimer point ce qu’ils prescrivent et ne vouloir point arriver où ils nous conduisent, c’est-à-dire à Dieu. Si l’on veut néanmoins que ces hommes approfondissent les témoignages du Seigneur, bien qu’ils ne l’y recherchent point lui-même, mais un tout autre but qu’ils veulent atteindre par ce moyen ; assurément ils ne recherchent point Dieu de tout leur cœur, et nous voyons que cette condition qu’ajoute le Prophète n’est point superflue. L’Esprit de Dieu, qui nous parle ici, sachant qu’il en est beaucoup qui étudient les saintes Écritures dans un autre but que celui que Dieu, nous prescrit, ne dit pas seulement : « Bienheureux ceux qui approfondissent ses témoignages » ; mais il ajoute : « Qui le recherchent de tout leur cœur », comme pour nous enseigner de quelle manière, et dans quel but nous devons étudier ces témoignages du Seigneur. Ensuite, au livre de la Sagesse, voici ce que dit la Sagesse elle-même : « Les méchants me cherchent sans me trouver, car ils haïssent la Sagesse e ». Qu’est-ce à dire, sinon qu’ils me haïssent moi-même ? Ceux donc qui me haïssent, dit le Seigneur, me cherchent sans me trouver. Comment peut-on dire qu’ils cherchent ce qu’ils haïssent, sinon parce que ce n’est point là ce qu’ils se proposent, mais un tout autre but ? Car ce n’est point pour la gloire de Dieu qu’ils veulent être sages, mais ils veulent paraître sages pour acquérir de la gloire aux yeux des hommes. Comment ne haïraient-ils point la Sagesse qui nous enseigne à mépriser ce qu’ils aiment, et nous en fait un précepte ? « Bienheureux dès lors les hommes irréprochables dans leur voie, qui marchent dans la loi du Seigneur. Bienheureux ceux qui étudient ses témoignages, qui le recherchent de tout leur cœur ». Car c’est en étudiant ses témoignages de manière à le chercher de tout leur cœur, qu’ils marchent irréprochables dans la loi du Seigneur. Et toutefois, ne sondait-il pas ses témoignages, et ne le cherchait-il pas, celui qui disait : « Bon maître, quel bien me faut-il faire pour u avoir la vie éternelle ? » Mais comment aurait-il cherché Dieu de tout son cœur, cet homme qui préférait les richesses à ses conseils, et qui s’en allait tristement après l’avoir entendu f ? Le Prophète Isaïe dit à son tour : « Cherchez le Seigneur, et après l’avoir trouvé, que l’impie abandonne ses voies, et l’homme d’iniquité, ses pensées g ».

3. Donc les impies et les pécheurs cherchent Dieu, afin de n’être plus ni impies ni pécheurs après qu’ils l’auront trouvé. Comment donc sont-ils heureux parce qu’ils approfondissent les témoignages du Seigneur, et quand ils le cherchent, puisque les impies, puisque les hommes d’iniquité peuvent le faire ? Quel homme serait assez impie, assez inique, pour affirmer que les impies, que les hommes d’iniquité sont heureux ? Ce bonheur des justes est donc en espérance, ainsi qu’il est dit : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice h » ; heureux non pour le présent, puisqu’ils sont dans la douleur, mais pour l’avenir, puisque le royaume des cieux est à eux. Et encore : « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice i », non parce qu’ils ont faim, parce qu’ils ont soif, mais à cause de ce qui suit : « Parce qu’ils seront rassasiés ». Et encore : « Bienheureux ceux qui pleurent » ; non parce qu’ils pleurent, mais à cause de ce qui suit : « Parce qu’ils seront dans la joie j ». Donc, bienheureux ceux qui étudient ses témoignages, « qui le recherchent de tout leur cœur » ; non point parce qu’ils étudient et recherchent, mais parce qu’ils doivent trouver un jour ce qu’ils cherchent maintenant. Ils cherchent en effet de tout leur cœur, et non point avec négligence. Si donc ils sont heureux par l’espérance, peut-être aussi ne sont-ils purs qu’en espérance. Car en ce qui est de cette vie, bien que nous marchions dans la voie du Seigneur, bien que nous examinions ses ordonnances et que nous le cherchions de tout notre cœur, « si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est point en nous k ». Mais examinons avec plus de soin. Le Psalmiste continue en effet : « Ceux qui commettent l’iniquité ne marchent point dans ses commandements ». D’où nous pouvons voir que ceux qui marchent dans la voie du Seigneur, c’est-à-dire dans sa loi, en étudiant ses témoignages, en le recherchant de tout leur cœur, peuvent déjà être purs, c’est-à-dire exempts de péchés, à cause de ces paroles qui suivent : « Ce ne sont point en effet ceux qui commettent l’iniquité qui marchent dans ses voies. Or, celui qui commet le péché, commet l’iniquité » ; dit saint Jean qui ajoute « Et le péché est l’iniquité l ». Mais il faut terminer notre discours, et nous ne pouvons restreindre une si grande question au peu de temps qui nous reste.

DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LA VOIE DU SEIGNEUR.

Celui qui commet l’iniquité ne marche pas dans la voie du Seigneur. Or, tout homme est pécheur et le péché c’est l’iniquité ; donc nul homme ne marche dans cette voie. Croire en effet que nous sommes sans péché, c’est le comble de l’orgueil ; dire que nous sommes en état de péché, sans le croire, c’est l’hypocrisie. Toutefois les saints marchent dans les voies du Seigneur, et néanmoins ils ont l’iniquité, puisque saint Paul faisait le mal qu’il ne voulait pas. Ainsi le péché habitait en lui, et néanmoins il marchait dans la voie du Seigneur.

1. Il est écrit dans notre psaume, nous le lisons, et c’est une vérité, que « ceux qui commettent l’iniquité ne marchent pas « dans les voies du Seigneur m ». Mais, avec le secours de Dieu, entre les mains de qui nous sommes, ainsi que nos discours n, faisons en sorte qu’une parole si vraie ne vienne pas à troubler le lecteur ou l’auditeur qui la comprendrait mal : Ce sont en effet tous les saints qui nous tiennent ce langage : « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous o ». Il nous faut éviter dès lors, ou de les regarder comme en dehors des voies du Seigneur, parce que le péché c’est l’iniquité, et que ceux qui commettent l’iniquité ne marchent point dans ses voies, ou parce qu’il n’est pas douteux qu’ils marchent dans les voies du Seigneur, de croire qu’ils n’ont aucun péché, ce qui est faux. Ce n’est point en effet pour réprimer notre arrogance ou notre orgueil qu’il est écrit : « C’est nous séduire que dire que nous sommes sans péché ». Autrement l’Apôtre n’aurait pas ajouté : « Et la vérité n’est point en nous » ; mais il dirait : « L’humilité n’est point en nous » ; surtout que le texte suivant donne au sens sa plus grande clarté et vient lever toute espèce de doute. À ces paroles en effet, saint Jean ajoute : « Mais si nous confessons nos fautes, Dieu est fidèle et juste pour nous remettre nos péchés et nous purifier de toute iniquité p ». Que peut répondre, que peut opposer à cette parole la plus orgueilleuse impiété ? Si c’est pour confondre notre orgueil, et non pour proclamer une vérité, que les saints ne se disent pas sans péché, pourquoi cette confession, afin de mériter le pardon et la justification ? Est-ce encore là un moyen d’éviter l’orgueil ? Comment alors une confession mensongère leur obtiendrait-elle une véritable rémission des fautes ? Silence donc à cette feinte orgueilleuse, mort à cette plainte chétive qui se séduit elle-même, qui vient sous le voile de l’humilité dire à l’oreille des hommes qu’elle est en péché, tandis qu’un orgueil impie lui fait dire au fond de son âme qu’elle est sans faute. Tenir ce langage, c’est nous séduire nous-mêmes, c’est n’avoir point en nous la vérité. Parler ainsi devant les hommes, non seulement c’est nous séduire nous-mêmes, c’est encore séduire les autres en les infestant d’une doctrine si corrompue. Mais tenir ce langage dans le secret de leur cœur, c’est là se séduire soi-même, c’est n’avoir point en soi-même la vérité ; c’est mettre dans son propre cœur la séduction, et dès lors c’est perdre au fond de son âme la lumière de la vérité. Dès lors, que la famille du Christ, famille sainte, qui fructifie et s’accroît dans le monde, qui est vraiment dans la vérité et vraiment dans l’humilité, que celte famille s’écrie : « Si nous disons que nous n’avons aucun péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est point en nous. Si nous allons jusqu’à confesser à Dieu nos fautes, il est juste et fidèle, au point de nous pardonner nos péchés et de nous purifier de nos fautes ». Puisse notre cœur le sentir, comme notre langue le profère. Car l’humilité n’est véritable que quand elle ne consiste pas seulement en paroles, de manière que, selon la parole de saint Paul, « sans nous élever à des pensées trop hautes, nous nous accommodons à ce qu’il y a de plus humble q ». L’Apôtre ne dit point que nous parlions, il dit que nous nous accommodions, ce qui n’est point l’affaire de la langue, mais celle du cœur. Ainsi donc, ô hypocrite, dire que tu es en péché, sans le croire dans ton cœur, c’est feindre l’humilité au-dehors, et à l’intérieur embrasser la vanité. C’est donc n’avoir la vérité ni dans la bouche, ni dans le cœur. De quoi te servira que tes paroles soient humbles aux yeux des hommes, si Dieu voit l’enflure dans tes pensées ? Que l’oracle divin crie à ton oreille : Loin de toi toute parole orgueilleuse : tu mériterais néanmoins d’être condamné si les paroles de ta bouche étaient humbles devant les hommes, tandis que devant. Dieu les paroles de ton cœur seraient pleines d’enflure. Mais quand il dit formellement : « Au lieu de t’enorgueillir, crains plutôt r », il n’est point question ici de langage, mais plutôt de sentiments ; pourquoi l’humilité ne serait-elle point dans le cœur, comme le sentiment est dans le cœur ? L’enflure de l’âme ne couvrirait-elle donc, dans notre langage, qu’une humilité menteuse ? Tu lis, ou plutôt tu entends : « Au lieu de t’enorgueillir, crains plutôt » ; et tu t’élèves dans tes sentiments, au point de te croire sans péché ; et pour ne point en passer par la crainte, tu n’as d’autre ressource que l’orgueil.

2. Mais, diras-tu, pourquoi donc est-il écrit : « Tous ceux en effet qui commettent l’iniquité, ne marchent pas dans ses voies ? » Eh ! les saints du Seigneur ne marchent-ils pas dans les voies du Seigneur ? S’ils marchent dans ses voies, ils ne commettent point d’iniquité ; s’ils ne commettent point d’iniquité, ils n’ont aucun péché ; car « c’est l’iniquité qui est le péché s ». Ah ! levez-vous pour me secourir, Seigneur Jésus, et qu’à l’hérétique orgueilleux je puisse opposer l’humble aveu de l’Apôtre. Où est donc cet homme qui fait le vide en lui-même pour n’être plein que de vous ? Écoutons-le, saies frères, interrogeons-le sur cette question, s’il vous plaît, ou mieux, parce qu’il vous plaît. Dites-nous donc, ô bienheureux Paul, si vous marchiez dans les voies du Seigneur, lorsque vous viviez encore en cette chair ? Mais, nous répond-il, pourquoi m’écriais-je alors « Toutefois, marchons dans la voie où nous sommes arrivés t ? » Pourquoi dire encore : « Tite vous a-t-il donc circonvenus ? N’avons-nous pas marché dans le même esprit et suivi les mêmes traces u ? » Pourquoi dire : « Tant que nous habitons dans ce corps, nous sommes loin du Seigneur, car nous n’allons à lui que par la foi, et nous ne le voyons pas à découvert v ? » Quelle voie nous conduit plus sûrement au Seigneur, que la foi dont vit le juste en ce monde w ? Dans quelle autre voie pouvais-je marcher quand je disais : « En tous cas, oubliant ce qui est derrière moi, je m’avance vers ce qui est devant moi, je m’efforce d’atteindre le but, pour remporter le prix auquel Dieu m’a appelé d’en haut par Jésus-Christ x ? » Enfin, dans quelle voie pouvais-je courir quand je disais : « J’ai combattu un bon combat, j’ai achevé ma carrière y ? » Que ces citations nous suffisent pour montrer que l’apôtre saint Paul marchait dans la voie du Seigneur ; mais interrogeons-le sur un autre point. Dites-nous, ô saint Apôtre, je vous en supplie, quand vous viviez dans la chair, marchant dans les voies du Seigneur, aviez-vous quelque péché, ou viviez-vous sans péché ? Voyons s’il se séduira lui-même, ou bien s’il sera d’accord avec le bienheureux Jean, apôtre comme lui ; car la vérité était en eux z. Voici donc sa réponse : N’avez-vous point lu cet aveu que j’ai fait : « Ce que je fais, ce n’est point le bien que je veux, mais le mal que je ne veux pas aa ? » Voilà ce que nous entendons ; mais demandons ensuite : Comment donc marchiez-vous dans les voies du Seigneur, si vous faisiez précisément le mal que vous ne vouliez pas ; puisque la parole du psaume est formelle : « Ceux qui commettent l’iniquité ne marchent point dans ses voies ? » Écoutons maintenant sa réponse dans la pensée suivante : « Or, si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est plus moi qui agis de la sorte, mais le péché qui habite en moi ab ». Voilà comment ceux qui marchent dans la voie du Seigneur ne commettent point l’iniquité, bien qu’ils ne soient point sans péché ; car s’ils ne le commettent point eux-mêmes, le péché néanmoins habite en eux.

3. Mais, dira-t-on, comment, d’une part, l’Apôtre faisait-il le mal qu’il ne voulait pas, et comment, d’autre part, n’était-ce point lui qui le commettait, mais le péché qui habitait en lui ? En attendant que nous répondions, une difficulté est déjà résolue, et il devient évident par l’autorité de l’Écriture sainte, qu’il est possible que nous marchions dans les voies du Seigneur, sans être exempts de péché, bien que nous ne le commettions point nous-mêmes. « Ceux qui commettent l’iniquité », c’est bien là le péché, puisque le péché est une iniquité, « ceux-là ne marchent point dans les voies du Seigneur ». Maintenant, comme il faut finir ce discours, réservons pour un autre à expliquer comment c’est l’homme qui commet le péché à cause de ce corps de mort soumis à la loi du péché, et comment il ne le commet point dès qu’il marche dans les voies du Seigneur.

TROISIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LE PÉCHÉ DANS L’HOMME JUSTE.

Si saint Paul marche dans la voie du Seigneur, quoique le péché habite en lui, il suit de là que le péché stimule en nous les désirs déréglés, mais que le consentement seul nous rend coupables. Ce péché ne cessera d’habiter en nous que quand notre corps sera devenu immortel. Toutefois, ceux-là mêmes qui sont dans les voies du Seigneur, implorent la rémission de leurs dettes, c’est-à-dire des fautes de surprise, qui sont fréquentes. Les voies de Dieu se résument dans la foi : donc l’incrédulité est le péché de ceux qui ne marchent point dans ces voies. Qu’ils reviennent au Seigneur, et ils trouveront en lui miséricorde et vérité.

1. Cette parole de notre Psaume : « Ceux qui commettent l’iniquité, ne marchent « point dans ses commandements ac », comparée à cette autre de saint Jean, que « le péché c’est l’iniquité », a soulevé une question difficile à résoudre. Comment les saints qui sont en cette vie peuvent-ils, d’une part, n’être point sans péché, puisqu’il est vrai de dire : « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est point en nous ad » ; et d’autre part, marcher néanmoins dans les voies du Seigneur, dans lesquelles ne marchent point ceux qui commettent l’iniquité ? Telle est la question résolue par ce mot de saint Paul : « Ce n’est point moi qui agis de la sorte, mais le péché qui habite en moi ae ». Comment peut être sans péché celui en qui habite le péché ? Saint Paul est néanmoins dans la voie du Seigneur, dans laquelle ne marchent point ceux qui commettent l’iniquité ; car ce n’est point lui qui commet le mal, mais le péché qui habite en lui. Toutefois, cette question n’est résolue que pour en faire naître une plus grave. Comment un homme peut-il faire ce qu’il ne fait pas ? Car l’Apôtre a dit l’un et l’autre : « Ce n’est point ce que je veux, que je fais » ; et : « Ce n’est point moi qui le fais, mais le péché qui habite en moi af ». D’où il nous faut comprendre que quand le péché agit en nous, ce n’est point nous qui agissons, dès lors que notre volonté n’y donne aucun consentement, et retient même les membres de notre corps, de peur qu’ils n’obéissent à ses désirs. Que peut faire en nous le péché malgré nous, sinon stimuler seulement des désirs déréglés ? mais si nous n’y donnons aucun assentiment, c’est une aspiration soulevée en nous, mais qui n’obtient aucun effet. C’est là le précepte que nous donne saint Paul : « Que le péché ne règne point en votre corps mortel, jusqu’à vous faire obéir à ses désirs déréglés, afin que vous n’abandonniez plus vos membres au péché comme des instruments d’iniquités ag ». Il est en effet certains désirs du péché auxquels il nous défend d’obéir. Ces désirs opèrent donc le péché, et pour nous, y obéir, c’est commettre le péché ; et toutefois si, conformément à l’avis de l’Apôtre, nous n’y cédons point, ce n’est point nous qui agissons ah, mais le péché qui habite en nous. Et, si nous n’éprouvions aucun de ces désirs, il ne se commettrait aucun mal en nous, ni de notre part, ni de la part du péché. Mais quand se soulèvent en nous de ces désirs illicites qui nous laissent inactifs, si nous n’y obéissons point, il est dit néanmoins que c’est nous qui agissons, parce qu’ils ne sont point l’effet d’une force étrangère, mais des faiblesses de notre nature, faiblesses dont nous serons entièrement délivrés, quand notre corps sera devenu immortel aussi bien que notre âme. Donc, d’une part, dès lors que nous marchons dans les voies du Seigneur, nous n’obéissons point aux désirs du péché, et d’autre part, comme nous ne sommes point sans péché, nous en avons les désirs. Ce n’est donc point nous qui formons ces désirs, puisque nous n’y obéissons point, mais ils sont l’œuvre du péché qui habite en nous et qui les soulève. « Car ils ne marchent point dans les voies du Seigneur, ceux qui commettent l’iniquité », c’est-à-dire qui se laissent aller aux désirs du péché.

2. Mais, cherchons encore ce que nous demandons à Dieu de nous pardonner, quand nous disons : « Remettez-nous nos dettes ai » ; sont-ce les fautes que nous commettons en obéissant aux désirs du péché, ou bien voulons-nous qu’il nous pardonne ces désirs, qui ne viennent point de nous, mais du péché qui habite en nous ? Autant que j’en puis juger, tout ce qu’il y a de coupable dans cette faiblesse qui soulève en nous ces convoitises déréglées, que saint Paul nomme péché, est effacé par le sacrement de baptême, ainsi que toutes les fautes que nous avons commises en y obéissant dans nos actes, dans nos paroles, dans nos pensées, et quoique cette faiblesse demeurât en nous, elle ne nous serait point nuisible, si nous n’obéissions jamais à ses désirs, ni en actions, ni en paroles, ni par un secret assentiment, jusqu’à ce qu’elle soit parfaitement guérie quand s’accomplira cette prière : « Que votre règne arrive » ; ou bien : « Délivrez-nous du mal aj ». Mais, comme la vie de l’homme sur la terre est une épreuve ak ; bien que nous soyons fort éloignés du crime, nous ne manquons pas d’occasions néanmoins d’obéir aux désirs du péché, ou en actions, ou en paroles, ou en pensées, lorsque, prenant garde aux grandes fautes, nous sommes surpris par des fautes plus légères ; et toutes ces fautes rassemblées contre nous, pourraient, sinon nous briser chacune par leur poids, du moins toutes ensemble nous accabler par leur masse. De là vient que ceux-là mêmes qui marchent dans la voie du Seigneur, disent aussi : « Remettez-nous nos dettes al » ; car à ces voies du Seigneur appartiennent aussi la prière et la confession, quoique les péchés ne leur appartiennent pas.

3. C’est pourquoi dans ces voies du Seigneur, toutes renfermées dans la foi, par laquelle on croit en Celui qui justifie l’impie am, et qui dit encore : « Moi je suis la voie an », nul ne commet le péché, mais chacun le confesse. Tout pécheur s’écarte donc de la voie, et dès lors on ne saurait attribuer à la voie le péché commis par celui qui s’en écarte ; mais dans le chemin de la foi, on regarde comme ne péchant point ceux à qui Dieu n’impute aucun péché. C’est de ces hommes que saint Paul, en relevant la justice qui vient de la foi, nous montre qu’il est écrit dans le psaume : « Bienheureux ceux dont les iniquités sont remises, et dont les péchés sont couverts : bienheureux l’homme à qui le Seigneur n’impute aucun péché ao ». Voilà ce que l’on rencontre dans la voie du Seigneur ; et dès lors, comme « le juste vit de la foi ap », cette iniquité qui consiste dans l’infidélité nous éloigne de la voie du Seigneur. Quiconque dès lors marche dans cette voie, c’est-à-dire dans une foi pieuse, ou ne commet aucune faute, ou s’il en commet quelqu’une en s’égarant quelque peu, elle ne lui est pas imputée à cause de cette même voie, et il est comme s’il n’en avait commis aucune. Ainsi donc, dans cet oracle du Prophète : « Ce n’est point dans ses voies qu’ils marchent, ceux qui commettent l’iniquité », on doit entendre par iniquité, ou s’écarter de la foi ou ne point s’en approcher. C’est en ce sens que le Seigneur a dit des Juifs : « Si je n’étais venu, ils n’auraient aucun péché aq ». Et toutefois, ils n’étaient pas sans péché avant que le Christ vînt en sa chair, et ils ne sont point demeurés sans péché depuis son avènement, mais le Sauveur a voulu caractériser un péché spécial, c’est-à-dire l’infidélité, parce qu’ils n’ont pas cru en lui. De même ceux qui commettent l’iniquité, non point toute iniquité, mais celle qui consiste dans l’infidélité, ne marchent point dans ses voies ; car « toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité ar » ; l’une et l’autre sont dans le Christ, et nulle part en dehors du Christ. « Or », nous dit saint Paul, « je déclare que le Christ a été ministre pour le peuple circoncis, afin de vérifier la parole de Dieu, et de confirmer les promesses faites à nos pères, que les Gentils doivent glorifier Dieu de sa miséricorde as ». Il y a donc miséricorde en ce qu’il nous a rachetés ; il y a vérité en ce qu’il a accompli ce qu’il a promis, et qu’il accomplira ce qu’il promet encore. « Ceux donc qui commettent l’iniquité », c’est-à-dire qui sont incrédules, « n’ont pas marché dans ses voies », puisqu’ils n’ont point cru au Christ. Donc, qu’ils se convertissent et qu’ils croient humblement en Celui qui justifie l’impie at, et dès lors ils retrouveront en lui toutes les voies du Seigneur, c’est-à-dire la miséricorde par le pardon de leurs péchés, et la vérité par l’accomplissement des promesses divines ; car, marchant dans ces voies, ils ne commettront point l’iniquité, parce qu’ils éviteront toute infidélité pour embrasser la foi qui agit par amour au, et à laquelle Dieu n’impute aucun crime.

QUATRIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

L’OBÉISSANCE AUX PRÉCEPTES.

Les Grecs ont dit avec raison « rien de trop », quand il s’agit de régler notre vie. Mais quand le Prophète veut que l’on garde les préceptes de Dieu « à l’excès », cela signifie : complètement ; il implore ensuite la grâce du Seigneur afin d’obéir à ses décrets, qu’il ne lui suffit pas de connaître pour les accomplir, et qui seraient pour lui un sujet de confusion, s’il ne les accomplissait point. Les accomplir, ce sera une confession glorieuse, aussi Dieu ne l’abandonnera-t-il point complètement.

1. Quel est, mes frères, celui qui dit au Seigneur : « C’est vous qui avez ordonné que l’on gardât à l’excès vos préceptes ; puissent mes voies se redresser, en sorte que j’obéisse à vos décrets ; je ne serai point confondu quand j’aurai considéré vos commandements ? » av Qui donc parle de la sorte, sinon tout membre du Christ, ou plutôt le corps entier du Christ ? Mais que signifie cette parole : « Vous avez ordonné que l’on gardât vos commandements à l’excès ? » Cette expression à l’excès signifie-t-elle, ou que Dieu a ordonné à l’excès, ou qu’il faut les garder à l’excès ? Quel que soit le sens que nous lui donnions, elle paraît contradictoire à cette fameuse et admirable maxime que les Grecs relèvent dans leurs sages avec des éloges auxquels ont applaudi les Latins : « Ne quid nimis, Rien de trop
Térence, Andr. Act 1, sc. 1
 ». S’il est vrai en effet qu’il ne faut rien de trop, comment se vérifiera ce qui est dit ici : « Vous avez ordonné que l’on gardât vos préceptes à l’excès ? » Eh ! comment y aurait-il excès ou dans l’ordre de Dieu, ou dans l’accomplissement de ses commandements, si tout excès était blâmable ? Nous dirions donc volontiers que les sages de la Grèce n’ont aucune autorité sur nous, en face de cette parole de l’Écriture : « Dieu n’a-t-il pas convaincu de folie la sagesse de ce monde ax » ; et ne serions-nous pas disposés à rejeter comme faux cet adage : « Rien de trop », plutôt que cette parole sainte que nous lisons et que nous chantons : « Vous avez ordonné que l’on gardât vos commandements à l’excès » ; si nous n’en étions détournés plus encore par la droite raison que par la futilité des Grecs ? Cette expression en effet, nimis, trop, exprime tout ce qui dépasse le nécessaire. Le peu et le trop sont deux opposés. Peu est au-dessous du nécessaire, et trop est au-dessus. Entre ces deux extrêmes, on peut intercaler assez. Or, comme il est très utile pour régler notre vie et nos mœurs de ne rien faire au-delà du nécessaire, nous devons adopter comme expression de la vérité cet adage : Rien de trop, et non le rejeter comme faux. Mais souvent la langue latine abuse de cette expression, et souvent, dans les saintes Écritures, « trop » signifie beaucoup, et dans nos sermons nous lui donnons le même sens. Ici en effet : « Vous avez ordonné que l’on gardât vos commandements à l’excès », l’expression à l’excès ou trop, signifie complètement. Nous disons aussi : Je vous aime trop, en parlant à quelqu’un qui nous est cher, non que nous l’aimions plus qu’il ne faut, mais seulement pour exprimer une grande affection. Enfin, dans la maxime grecque, on ne lit point l’expression que nous trouvons ici ; cette maxime porte agan qui signifie trop : tandis qu’il y a ici sphodra, qui signifie beaucoup. Mais, comme nous l’avons dit, on trouve l’expression nimis, trop, qui a ici le sens de valde, beaucoup, et nous la répétons en ce sens. De là ’vient que plusieurs exemplaires latins, au lieu de nimis portent valde: « Vous avez ordonné que l’on gardât vos ordonnances parfaitement ». Dieu donc l’a parfaitement ordonné, et ses préceptes doivent être parfaitement accomplis.

2. Mais voyez ce qu’ajoute l’humble piété ou la pieuse humilité, et la foi qui n’est point oublieuse de ses bienfaits « Puissent mes voies se redresser, afin que j’obéisse à vos décrets » ay. Quant à vous, Seigneur, vous avez ordonné, mais puissiez-vous m’accorder de faire ce que vous avez ordonné. Cette expression « puissent » doit te désigner un désir, et devant un désir tu dois déposer tout orgueilleuse présomption. Comment exprimer le désir de ce qui serait tellement au pouvoir de notre libre arbitre, que nous pourrions l’obtenir sans aucun secours ? Si donc l’homme souhaite ce que Dieu ordonne, il doit demander à Dieu qu’il nous fasse accomplir ses préceptes. De qui pourrions-nous l’obtenir, sinon de celui qui est u le Père des lumières, de qûi nous u viennent toute grâce excellente et tout don « parfait az », comme le dit l’Écriture ? Mais à l’encontre de ceux qui s’imaginent que le secours divin, pour accomplir toute justice, se borne à nous faire connaître les préceptes du Seigneur, en sorte que ces préceptes une fois connus, s’accomplissent, sans aucune grâce de Dieu, mais par les seules forces de notre volonté, le Prophète ne désire le redressement de ses voies pour accomplir les préceptes divins, qu’après avoir appris ces mêmes préceptes, par le divin législateur. Car c’est dans ce dessein qu’il dit tout d’abord : « C’est vous qui avez ordonné que l’on gardât vos préceptes d’une manière parfaite ». Or, vos préceptes sont saints, justes et bons ; mais à l’occasion de ce qui est bon, le péché me cause la mort ba, si je n’ai le secours de votre grâce : « Puissent dès lors mes voies se redresser, afin que je garde vos décrets ».

3. « Je ne serai point couvert de confusion, tant que je serai attentif à tous vos préceptes bb ». Qu’on lise ou qu’on repasse dans sa mémoire les commandements de Dieu, il faut les regarder comme un miroir, selon cette parole de l’apôtre saint Jacques : « Si quelqu’un écoute la parole, sans l’accomplir, il ressemble à un homme qui regarde sa face dans un miroir ; il s’est regardé et il s’en va, oubliant à l’heure même ce qu’il était ; mais l’homme qui inédite la loi parfaite, la loi de liberté, e n’écoutant pas seulement pour oublier aussitôt, mais faisant ce qu’il écoute, celui-là sera heureux en ses œuvres bc ». Voilà ce que veut être notre interlocuteur, regarder les préceptes de Dieu comme dans un miroir, afin de n’être point confondu : il ne veut point seulement les entendre, mais encore les accomplir. C’est pour cela qu’il redresse ses voies, afin de garder les commandements de Dieu, Comment les redresser, sinon par la grâce de Dieu ? Autrement il n’aurait point dans la loi de Dieu un sujet de joie, mais un sujet de confusion, s’il étudiait les préceptes sans les pratiquer.

4. « Je vous confesserai, ô mon Dieu, dit le Prophète, dans la droiture de mon cœur, quand j’aurai appris les jugements de votre justice bd ». Ce n’est point là une confession de péché, mais une confession de louange, dans le même sens que parlait celui qui était sans péchés et qui disait : « Je vous confesse, ô mon Père, Seigneur de la terre et du ciel be » ; et comme il est écrit au livre de l’Ecclésiastique : « Vous direz dans votre confession : Toutes les œuvres du Seigneur sont parfaitement bonnes bf. « Je vous confesserai », dit le Psalmiste, « dans la droiture de mon cœur ». Assurément, si mes voies sont redressées, je vous confesserai, parce que ce sera votre ouvrage, et qu’à vous en sera due la gloire, et non à moi. C’est alors que « je vous confesserai parce que j’aurai appris les jugements de votre justice », si mon cœur est droit, c’est-à-dire si mes voies sont redressées pour garder vos ordonnances. De quoi me servirait en effet de les avoir apprises, si mon cœur perverti me fait marcher dans les voies de l’erreur ? Car elles ne feront point ma joie, mais ma condamnation.

5. Le Prophète ajoute « Je garderai vos préceptes bg ». Paroles qui sont amenées par ce qui précède : « Puissent mes voies se redresser pour garder vos préceptes : alors je ne serai point confondu tant que je serai attentif à vos commandements ; je vous confesserai dans la droiture de mon cœur, et je garderai vos préceptes ». Mais que veut dire cette autre parole : « Ne m’abandonnez pas entièrement » ou « à l’excès », comme dans certains exemplaires qui ont nimis, à l’excès, au lieu de valde, totalement ; car la même expression grecque, sphodra se trouve encore ici : le Prophète voudrait-il être abandonné de Dieu, mais pas « totalement ? » Loin de là. Mais comme Dieu avait abandonné te monde à cause du péché, il aurait de même abandonné « totalement » l’interlocuteur, s’il n’eût profité de ce remède ineffable, c’est-à-dire de la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur. Mais maintenant, à cause de cette prière que lui fait le corps entier du Christ, Dieu ne l’a point abandonné totalement, puisque « Dieu était dans le Christ se réconciliant le monde bh ». On peut encore considérer ces paroles comme l’aveu d’un homme qui aurait dit dans son abondance et dans sa confiance en lui-même : « Je ne serai point ébranlé éternellement bi » et alors, pour lui montrer que s’il est établi dans sa beauté et dans sa force, ce n’est point par son mérite, mais par un effet de la bonté divine, Dieu a détourné de lui sa face et t’a jeté dans la confusion bj. Il se reconnaît, et sans présumer de lui-même, il s’écrie : « Ne m’abandonnez point totalement ». Si vous m’abandonnez de manière à laisser voir ma faiblesse, ne m’abandonnez pas complètement, de peur que je ne périsse. « C’est donc vous qui avez ordonné que l’on gardât vos préceptes parfaitement ». Je ne puis me couvrir de mon ignorance. Mais comme je suis infirme : « Puissent mes voies se redresser, afin que je garde vos préceptes. Alors je ne serai point confondu, tant que je serai attentif à vos ordonnances ; et je vous confesserai dans la droiture de mon cœur, quand j’aurai appris les jugements de votre justice, et alors je garderai vos ordonnances » ; et si vous m’abandonnez, afin que je ne me glorifie plus en moi-même, ne m’abandonnez pas entièrement ; et alors, justifié par vous, je me glorifierai en votre bonté.

CINQUIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LE REDRESSEMENT DE NOS VOIES.

Le jeune homme redresse ses voies en gardant les préceptes de Dieu. Ici homme désigne le genre humain ; la jeunesse est mise en avant comme le temps le plus convenable, ou peut-être par allusion prophétique au prodigue de l’Évangile, ou parce que tout homme redressant ses voies est jeune par la grâce, qui nous est nécessaire pour observer la loi de Dieu si disproportionnée à nos forces. Aussi le Prophète supplie-t-il le Seigneur de lui enseigner ses préceptes comme les savent ceux qui les pratiquent.

1. Considérons, mes Frères, les versets suivants, et tâchons d’en pénétrer le sens autant que Dieu nous en fera la grâce : « Comment la jeunesse redressera-t-elle ses voies ? En gardant vos paroles bk ». Le Prophète s’interroge et se répond à lui-même : « En quoi la jeunesse corrige-t-elle ses voies ? » Voilà l’interrogation. Voici la réponse « En gardant vos paroles ». Mais, ici, garder les paroles de Dieu, doit s’entendre de l’accomplissement de ses préceptes. En vain les garderait-on dans sa mémoire, si on ne les gardait aussi dans les mœurs. Il est des hommes en effet qui savent les préceptes de Dieu, et travaillent à ne point les oublier, mais ne travaillent point à vivre de manière à se corriger. Or, le Prophète ne dit point Comment la jeunesse exerce-t-elle sa mémoire ? Mais « En quoi la jeunesse corrige-t-elle ses voies ? » Et à cette question il répond : « En gardant vos paroles ». Or, on ne saurait dire que la voie est redressée quand la vie est perverse.

2. Mais que vient faire ici la jeunesse ? Car le Prophète eût pu dire : « En quoi l’homme corrige-t-il sa voie ? » et se servir du mot homo ou vir. L’Écriture en use souvent ainsi pour désigner le genre humain par le sexe qui est le plus noble, et dans cette manière de parler, elle exprime le tout par la partie. Car on ne saurait dire qu’une femme ne soit point heureuse, dès lors qu’elle n’a point assisté au conseil des méchants ; et toutefois, le Prophète a dit : « Bienheureux l’homme » bl. Mais ici il n’emploie ni le mot homo ni le mot vir; mais seulement le plus jeune. Faut-il donc désespérer du vieillard ? Ou bien ce vieillard redresserait-il ses voies, autrement qu’en gardant les préceptes du Seigneur ? Ne serait-ce point là une indication du temps où ce redressement doit principalement avoir lieu, selon qu’il est écrit ailleurs « Mon fils, dès ta jeunesse reçois l’instruction, et tu obtiendras la sagesse jusqu’en tes derniers jours bm ? » On peut néanmoins, dans un autre sens, reconnaître ici le plus jeune fils de l’Évangile, qui avait fui son père pour s’en aller dans une région lointaine, pour dissiper son bien en vivant avec des femmes débauchées, et qui, après avoir fait paître les pourceaux, cédant à la faim et à la misère, rentre en lui-même et dit : « Je me lèverai et j’irai à mon Père ». En quoi a-t-il redressé ses voies, sinon en gardant les préceptes du Seigneur, dont il était affamé comme du pain de la maison paternelle ? Ce n’était point son frère aîné qui corrigeait ses voies, lui qui disait à son père « Voilà tant d’années que je vous sers, et je n’ai jamais violé vos préceptes ». Ce fut donc le plus jeune qui corrigea ses voies, quand il reconnut qu’il les avait détournées et perverties et qu’il dit « Je ne suis pas digne désormais d’être appelé votre fils bn ». Il me vient encore un troisième sens, et qui, selon moi, serait préférable aux deux premiers. Par le vieillard entendons le vieil homme, et par le plus jeune, l’homme nouveau ; le vieil homme porte l’image de l’homme terrestre, et le jeune homme l’image de l’homme céleste ; car u le premier n’est point le spirituel, mais le « corps animal vient, et ensuite le spirituel bo ». Qu’un homme donc soit fort avancé en âge, qu’il arrive même à la décrépitude corporelle, il est jeune devant Dieu dès que la conversion l’a renouvelé dans la grâce c’est en cela qu’il corrige sa voie, en gardant les préceptes du Seigneur, c’est-à-dire la parole de foi que nous prêchons bp, et telle est la foi qui agit par la charité bq.

3. Mais ce peuple qui est le plus jeune, ce fils de la grâce, cet homme nouveau qui chante un cantique nouveau, cet héritier du Nouveau Testament, ce plus jeune qui n’est point Caïn, mais Abel ; non point Ismaël, mais Isaac ; non point Esaü, mais Israël ; non point Manassès, mais Ephraïm ; non point Héli, mais Samuel ; non plus Saül, mais David, écoutez ce qu’il ajoute : « Je vous ai cherché de tout mon cœur », dit-il à Dieu, « ne me repoussez point de votre loi br ». Le voilà qui implore du secours pour garder les paroles de Dieu qu’il nous donnait comme le moyen pour le jeune homme de corriger ses voies. Tel est en effet le sens de cette parole « Ne me rejetez point de vos préceptes ». Être rejeté de Dieu, qu’est-ce à dire, sinon ne recevoir de lui aucun secours ? La loi de Dieu si juste, si relevée, est trop disproportionnée à la faiblesse humaine, pour que nous l’observions, si Dieu dans sa bonté ne nous prévenait de son aide. Et ne point nous aider, c’est réellement nous repousser, c’est l’épée de flammes qui empêche l’homme devenu indigne de toucher à l’arbre de vie bs. Mais qui est digne d’être aidé, depuis que par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort qui a passé en tous les hommes par ce seul homme en qui tous ont péché bt ? Or, cette misère qui nous est due, est guérie par la miséricorde que Dieu ne nous doit point. Car notre interlocuteur qui nous dit ici : « Je vous ai cherché de tout mon cœur » bu ; comment le pourrait-il, si Dieu lui-même ne l’avait appelé à lui, quand il se détournait ; lui à qui le Prophète a dit : « Convertissez-nous, Seigneur, et donnez-nous la vie » ; s’il ne cherchait lui-même celui qui est perdu, s’il ne rappelait celui qui s’égare, lui qui a dit : « Je rechercherai ce qui était perdu, « je rappellerai dans la voie ce qui était égaré bv ».

4. C’est ainsi que notre interlocuteur redresse ses voies en gardant la parole de Dieu, sous la direction et sous l’action de Dieu ; ce qu’il ne pourrait faire de lui-même ; aussi Jérémie nous fait-il cet aveu : « Je sais, ô mon Dieu, que la voie de l’homme n’est point à lui, et que par lui-même il ne saurait marcher ni diriger ses pas bw ». C’est là ce que demandait plu& haut celui qui s’écriait : « Puissent mes voies se redresser » ; et ici encore quand il dit : « J’ai caché vos paroles dans mon cœur, afin de ne point pécher contre vous bx » ; il se hâte d’implorer le secours divin, de peur qu’il n’eût caché inutilement cette parole divine dans son cœur, si elle ne produisait des œuvres de justice. Aussi, quand il ajoute : « Béni êtes-vous, Seigneur ; enseignez-moi vos ordonnances by » ; enseignez-les-moi, dit-il, comme les savent ceux qui les pratiquent, non ceux qui s’en souviennent simplement afin de pouvoir en parler, Déjà il avait dit en effet : « J’ai caché vos paroles dans mon cœur, afin de ne point pécher contre vous » ; pourquoi veut-il encore apprendre ces mêmes paroles qu’il tient déjà cachées dans son cœur ? Ce qu’il n’aurait pu faire si déjà il ne les eût apprises. Pourquoi donc ajouter : « Enseignez-moi vos voies », sinon parce qu’il veut les apprendre en les accomplissant, et non les retenir dans sa mémoire ou en parler ? Comme donc il est dit dans un autre psaume : « Celui qui a donné la loi donnera aussi la bénédiction bz » ; le Prophète nous dit ici : « Béni êtes-vous, Seigneur, enseignez-moi vos ordonnances ». Puisque j’ai caché votre parole dans mon cœur afin de ne point pécher contre vous, vous m’avez donné la loi ; donnez-moi aussi la bénédiction de la grâce, afin que j’apprenne en la pratiquant ce que vous m’avez commandé en m’instruisant, Que cela vous suffise et nourrisse votre esprit sans le surcharger. La suite exige un nouveau discours.

SIXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LE CHRIST EST LA VÉRITABLE VOIE.

Comment le Prophète a-t-il pu prononcer les jugements de Dieu qui sont insondables, et demande-t-il à Dieu de lui faire connaître les justifications qu’il faut pratiquer ? Le Prophète personnifie l’Église qui connaît les jugements de Dieu, et qui les connaît tous en Jésus-Christ, bien que l’homme ne puisse les sonder, et les connaître que par les lumières de l’Église. La voie des témoignages, si délicieuse pour le Prophète, c’est Jésus-Christ, gage de l’amour de Dieu, amour que l’Église médite et prêche.

1. Dans le psaume que nous expliquons, nous commençons notre discours par ce verset : « Mes lèvres ont prononcé tous les jugements de votre bouche ca ». Qu’est-ce à dire, mes bien-aimés ? Que veut dire cette parole ? Qui peut énoncer tous les jugements de Dieu, quand il ne saurait même les découvrir ? Hésiterons-nous à nous écrier avec l’Apôtre : « O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! que ses jugements sont incompréhensibles, et ses voies impénétrables cb ! » Le Seigneur dit aussi : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne sauriez les porter maintenant cc ». Et bien qu’il ait promis aux disciples de leur apprendre toute vérité par l’Esprit-Saint, le bienheureux Paul s’écrie néanmoins : « Nous ne connaissons qu’en partie » ; afin de nous montrer que sans aucun doute c’est l’Esprit-Saint, dont nous avons reçu le gage, qui nous conduit à la pleine vérité ; mais seulement quand nous serons dans l’autre vie, alors qu’après avoir vu ici-bas en énigme et comme dans un miroir, nous verrons Dieu face à face cd. Comment donc notre interlocuteur nous dit-il : « Mes lèvres ont prononcé tous les jugements de votre bouche ? » Et il nous parle de la sorte, après avoir dit au verset précédent : « Enseignez-moi vos préceptes ». Oui, comment a-t-il pu énoncer tous les jugements de la bouche de Dieu, lui qui veut encore en étudier les préceptes ? Connaissait-il déjà les jugements, et voulait-il de plus connaître les préceptes du Seigneur ? Mais il devient plus étonnant qu’il ait connu ce qu’il y a d’insondable en Dieu, sans connaître ce que Dieu nous ordonne de pratiquer. Car ces justifications, justificationes, ou moyens de devenir justes, ne sont pas des paroles, mais des actes de justice, ce sont les œuvres des justes commandées par Dieu. Ces œuvres sont appelées divines, bien que nous les accomplissions, parce que sans le secours de Dieu, nous ne pourrions les faire. Mais ou appelle jugements de Dieu, ceux qu’il exerce maintenant sur le monde jusqu’à la fin des siècles. Or, comme la parole de Dieu s’entend de ses justifications et de ses jugements tout à la fois, pourquoi le Prophète veut-il étudier les justifications, puisqu’il dit qu’il a renfermé dans son cœur toutes les paroles de Dieu ? Voici en effet ce qu’il dit : « J’ai caché vos paroles dans mon cœur afin de ne point pécher contre vous » ; puis il ajoute : « Béni êtes-vous, mon Dieu ; enseignez-moi vos justifications ». Puis ensuite : « Mes lèvres ont énoncé tous les jugements de votre bouche ». Il semble qu’il n’y ait ici rien de contradictoire, qu’il y ait même une liaison très naturelle entre cacher les paroles de Dieu dans son cœur, et prononcer ensuite des lèvres tous les jugements de Dieu ; « car c’est par le cœur que l’on croit à la justice, et par la bouche que l’on fait cette profession qui nous sauve ce » : mais entre ces deux actes le Prophète intercale cette parole : « Béni êtes-vous, Seigneur ; enseignez-moi vos justifications », et l’on ne voit point comment elle peut convenir à l’homme qui renferme dans son cœur les paroles de Dieu, qui a énoncé de ses lèvres les jugements de Dieu, et qui veut ensuite étudier la justification de Dieu, à moins de comprendre qu’il veut les apprendre en les pratiquant, et non plus en les retenant de mémoire ou en les énonçant ; et il nous montre que nous devons demander cette grâce à Dieu sans qui nous ne pouvons rien faire. C’est là un point que nous avons traité dans le discours précédent ; maintenant comment le Prophète nous dit-il qu’il a énoncé de ses lèvres tous les jugements de la bouche de Dieu, quand ils sont qualifiés d’insondables, eux dont la profondeur a fait dire ailleurs : « Vos jugements sont un profond abîme cf » ; voilà ce que nous voulons exposer avec le secours de Dieu.

2. Écoutez donc notre pensée à ce sujet. L’Église ignore-t-elle les jugements de Dieu ? Elle les connaît parfaitement. Car elle sait à quels hommes le juge des vivants et des morts dira un jour : « Venez, bénis de mon Père, et recevez le royaume » ; et à quels autres il dira : « Allez au feu éternel cg ». Elle sait, dis-je, que ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les autres qu’énumère saint Paul, ne posséderont le royaume de Dieu ch. Elle sait que la colère et l’indignation, la tribulation et l’angoisse deviendront le partage de tout homme qui fait le mal, du Juif d’abord, du Gentil ensuite ; que la gloire, l’honneur, la paix, sont pour tout homme qui fait le bien, pour le Juif d’abord, pour le Gentil ensuite ci. Ces jugements de Dieu et d’autres encore évidemment exprimés dans l’Écriture, l’Église les connaît ; mais ce ne sont point là tous les jugements de Dieu, puisqu’il en est d’insondables, de profonds comme l’abîme et qui échappent à nos connaissances. Toutefois ne seraient-ils point connus des principaux membres de cet homme qui est avec son chef et Sauveur le Christ tout entier ? Ils seraient alors proclamés impénétrables à l’homme, parce que ses propres forces ne lui permettent pas de les pénétrer. Mais pourquoi tout homme qui aurait reçu les lumières de l’Esprit-Saint ne le pourrait-il point ? Ainsi, par exemple, il est dit que « Dieu habite une lumière inaccessible cj », et pourtant il nous est dit encore : « Approchez de lui, et vous serez éclairés ck », On répond à cette difficulté que Dieu est inaccessible à nos forces, mais que nous approchons de lui par sa grâce. À la vérité, tant que le corps corruptible appesantit l’âme cl, nul d’entre les saints ne saurait comprendre tous les jugements de Dieu, puisque nul n’a l’esprit pesant ou la marche boiteuse, sans un jugement de Dieu. Je vous cite ces exemples pour vous donner une idée de l’immensité de ces jugements : toutefois l’Église, ce peuple que Dieu s’est acquis, peut dire en toute vérité : « J’ai énoncé de mes lèvres tous les jugements de votre bouche », c’est-à-dire je n’ai tu aucun de ces jugements que vous m’avez fait connaître par vos paroles sacrées, mais je les ai tous énoncés de mes lèvres. Telle est l’interprétation que semble nous indiquer le Prophète, qui ne dit point tous vos jugements, mais « tous les jugements de votre bouche », c’est-à-dire tous ceux que vous m’avez fait connaître : en sorte que par le mot de bouche nous devrions entendre la parole, que Dieu nous a fait entendre dans les nombreuses révélations des saints, et dans les deux Testaments ; or, ces jugements, l’Église ne cesse de les proclamer de ses lèvres.

3. Le Prophète ajoute : « Je trouve dans la voie de vos témoignages autant de délices que dans toutes les richesses cm ». Cette voie des témoignages de Dieu, nous ne pouvons l’entendre d’une manière plus facile, plus certaine, plus courte, plus relevée que du Christ, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse, et de la science cn. C’est pourquoi le Prophète nous dit qu’il a trouvé dans cette voie, des joies et des délices « comme dans toutes les richesses ». Car ces témoignages de Dieu sont les preuves qu’il veut bien nous donner de son amour. Or, Dieu nous signale cet amour dans « cette mort que le Christ a endurée pour nous, lorsque nous étions encore pécheurs co ». Donc, puisqu’il nous dit lui-même : « Je suis la voie cp », et que les saints abaissements de sa naissance et de sa passion deviennent des témoignages évidents de son amour pour nous, nul doute que le Christ ne soit la voie des témoignages de Dieu. Ces témoignages que nous voyons accomplis en lui nous font espérer pour l’avenir l’accomplissement des promesses qu’il nous a faites, « Dès lors que Dieu n’a point épargné son Fils unique, mais qu’il l’a livré pour nous tous, que ne nous donnera-t-il point après nous l’avoir donné cq ? »

4. « Je m’entretiendrai de vos préceptes », dit ensuite le Prophète, « je méditerai vos voies cr ». Ce que les Grecs traduisent par adolesxesen, les traducteurs latins le rendent par garriam, je gloserai, ou par exercebor, je m’appliquerai, qui paraissent avoir un sens différent ; mais si l’on entend, par s’appliquer, l’attention de l’esprit, jointe à un certain plaisir de discussion, on peut accorder ces deux expressions, en les modifiant l’une par l’autre, en sorte que converser et méditer ne soient nullement disparates. On appelle causeurs ceux qui aiment à converser ; or, l’Église s’applique à la méditation des commandements de Dieu, de manière à être causeuse dans les discussions nombreuses de ses docteurs contre les ennemis de la foi chrétienne et catholique discussions qui sont utiles à leurs auteurs, s’ils ne considèrent en cela que les voies du Seigneur, qui sont, d’après l’Écriture : « Miséricorde et vérité », et dont la plénitude se trouve en Jésus-Christ. C’est encore dans ces suaves entretiens que s’accomplit ce qu’ajoute le Prophète : « Je méditerai sur vos ordonnances, je n’oublierai point vos paroles ». Car je les méditerai de manière à ne point les oublier. De là vient qu’au premier psaume, celui-là est appelé heureux qui médite la loi de Dieu le jour et la nuit.

5. Dans tout ce que nous venons d’exposer selon notre pouvoir, souvenons-nous, mes frères, que celui qui renferme en son cœur les paroles de Dieu, qui énonce de ses lèvres tous les jugements de la bouche du Seigneur, qui trouve dans ses témoignages autant de délices que dans toutes ses richesses, qui s’entretient et qui s’exerce dans ses commandements, qui considère ses voies, qui médite ses ordonnances de peur d’oublier ses paroles, qui témoigne par là qu’il est instruit de la loi et des enseignements de Dieu, ne laisse pas néanmoins de prier le Seigneur et de dire : « Béni êtes-vous, Seigneur, enseignez-moi vos ordonnances ». Ce qui nous donne à comprendre qu’il ne demande par là que le secours de la grâce, et veut connaître par des œuvres ce que lui ont enseigné les paroles.

SEPTIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LA FOI ET LA GRÂCE.

L’Église demande à Dieu la vie, et dès lors la vie de la foi qui agit par la charité. Or, cette foi nous vient de Dieu, qui seul donne la victoire. Mais demander la vie comme le fait le Prophète, c’est l’avoir déjà, et dès lors il demande à Dieu de la lui conserver afin qu’il comprenne les merveilles de ses préceptes ou la charité.

1. Si vous vous souvenez, mes Frères, de ce que nous avons déjà dit au sujet de ce psaume, cela doit vous aider à en comprendre la suite. Les interlocuteurs qui parlent comme parlerait un seul homme, sont les membres du Christ, qui ne forment qu’un seul corps sous un seul chef. Le Prophète dit plus haut : « En quoi le jeune homme corrige-t-il sa voie ? en gardant vos paroles ». Et maintenant, peur garder cette parole il implore du secours : « Rendez à votre serviteur », dit-il ; « que je vive, et je garderai vos paroles » cs. Si c’est le bien pour le bien qu’il demande, il a donc déjà gardé la parole de Dieu. Toutefois il ne dit point Rendez à votre serviteur, parce que j’ai gardé vos paroles : comme s’il demandait à Dieu que son obéissance fût récompensée ; mais il dit : « Rendez à votre serviteur ; que je vive, et je garderai vos paroles ». Qu’est-ce à dire, sinon que les morts ne les peuvent garder ? et ces morts sont les infidèles, dont il est dit : « Laissez aux morts à ensevelir leurs morts ct ». Si donc les morts sont pour nous les infidèles, et les vivants les fidèles ; puisqu’il est dit « Le juste vit par la foi cu », on ne peut garder la parole de Dieu que par cette foi qui agit au moyen de la charité cv ; telle est la foi que le Prophète demande à Dieu en disant : « Rendez à votre serviteur ; que je vive, et je garderai vos paroles ». Et comme avant la foi, il n’est dû à l’homme que le mal pour le mal, et que, par une grâce tout à fait gratuite, Dieu néanmoins nous a rendu le bien pour le mal, telle est la faveur que sollicite le Prophète, quand il dit : « Rendez à votre serviteur ; que je vive, et je garderai vos paroles ». Il est, en effet, quatre manières de rendre : ou bien le mal pour le mal, comme Dieu rendra aux méchants le feu éternel ; ou le bien pour le bien, comme il rendra aux justes un royaume sans fin ; ou le bien pour le mal, comme le Christ justifie l’impie cw par sa grâce ; ou le mal pour le bien, comme Judas et les Juifs ont dans leur malice persécuté le Sauveur. De ces quatre manières de rendre, les deux premières appartiennent à la justice, comme rendre le mal pour le mal, ou le bien pour le bien ; la troisième, qui rend le bien pour le mal, est un acte de miséricorde ; la quatrième est inconnue à Dieu, car il ne rend à personne le mal pour le bien. Quant à celle que nous avons mise au troisième rang, elle nous est très nécessaire, puisque si Dieu ne rendait point le bien pour le mal, on ne trouverait personne qui rendît le bien pour le bien.

2. Écoute à ce sujet Saul, qui devint Paul ensuite : « Ce n’est point », nous dit-il, « à cause des œuvres de justice que nous avons faites, mais en vertu de sa miséricorde que Dieu nous a sauvés par le bain de la régénération cx ». Et encore : « J’ai été d’abord un blasphémateur, un persécuteur, un véritable ennemi ; mais Dieu m’a fait miséricorde, parce que j’ai fait tous ces maux par ignorance, n’ayant pas la foi cy » Et encore : « Je donne ce conseil comme ayant reçu du Seigneur la grâce de la foi cz », c’est-à-dire la grâce de vivre, puisque « le juste vit de la foi da ». Avant de vivre par la grâce de Dieu, il était donc mort par sa propre injustice. Et, en effet, voici comme il avoue qu’il était mort : « Le commandement étant survenu, le péché a commencé à revivre ; pour moi, je suis mort, et il s’est trouvé que le précepte qui aurait dû me donner la vie, m’a donné la mort db ». Dieu donc lui a rendu le bien pour le mal, la vie pour la mort ; Dieu l’a traité comme le Prophète le demande ici : « Rendez à votre serviteur ; que je vive, et je garderai vos paroles ». Il a vécu, en effet, et a gardé la parole de Dieu, et dès lors s’est trouvé au rang de ceux à qui Dieu rend le bien pour le bien ; ce qui lui fait dire : « J’ai combattu un bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé ma foi ; il me reste à recevoir la couronne de justice que le Seigneur, comme un juste juge, me donnera au grand jour dc ». En ce cas, Dieu est juste en rendant le bien pour le bien : lui qui, d’abord miséricordieux, a rendu le bien pour le mal. Toutefois, la justice qui rend le bien pour le bien n’est pas sans miséricorde, puisqu’il est écrit : « C’est lui qui vous couronne dans sa grâce et dans sa miséricorde dd ». Comment celui qui a dit : « J’ai combattu un bon combat », aurait-il pu vaincre sans le secours de Celui dont il dit : « Je rends grâces à Dieu qui nous a donné la victoire par Notre-Seigneur Jésus-Christ de ? » Lui qui a achevé sa course, comment eût-il pu courir, et fût-il arrivé sans l’assistance de Celui dont il a dit : « Ce n’est donc point l’affaire de celui qui veut ou de celui qui court, mais l’affaire de Dieu qui fait miséricorde df ? » Lui qui a conservé sa foi, comment l’eût-il conservée, si, comme il l’a dit lui-même, il n’eût reçu miséricorde afin de croire dg ?

3. Que l’orgueil humain ne s’élève donc jamais : c’est aux dons de Dieu que nous devons le bénéfice de ses récompenses. Toutefois, celui qui prie dans notre psaume, et qui s’écrie : « Rendez à votre serviteur ; que je vive », ne prierait point s’il était mort complètement. Mais le commencement d’un bon désir lui vient de celui à qui il demande la vie pour lui obéir. Ils avaient déjà une certaine foi, ceux qui disaient au Seigneur : « Augmentez en nous la foi dh ». Mais il confessait son incrédulité, sans néanmoins désavouer sa foi, celui à qui le Seigneur demandait s’il croyait, et qui répondait : « Je crois Seigneur, mais aidez mon incrédulité di ». Il commence à vivre et supplie le Seigneur qu’il le fasse vivre, celui qui croit et qui demande l’obéissance ; qui demande non point que Dieu le récompense de l’avoir conservée, mais qu’il l’aide à la conserver. Celui qui se renouvelle chaque jour dj, vit aussi de plus en plus chaque jour, à mesure que la vie s’augmente.

4. Mais le Prophète, sachant qu’on ne saurait garder fidèlement les paroles du Seigneur, à moins d’en avoir l’intelligence, ajoute aussitôt à sa prière : « Ôtez le voile de mes yeux, et je considérerai les merveilles de votre loi » ; puis encore : « Je suis un locataire en cette vie » ; ou, comme on lit en certains exemplaires : « Je suis un étranger en cette vie, ne me cachez pas vos commandements dk ». Dans ces paroles : « Ne me cachez pas vos commandements », il répète ce qu’il a dit plus haut : « Otez le voile de mes yeux ». Et « vos commandements », c’est la répétition de ce qu’il a dit ailleurs : « Les merveilles au sujet de votre loi ». Or, la plus grande merveille dans les commandements de Dieu est cette parole : « Aimez vos ennemis » dl ; c’est-à-dire, rendez le bien pour le mal. Mais ne passons pas légèrement sur ce point, que le Prophète se regarde comme un locataire ou comme un étranger ici-bas ; et comme nous ne pouvons en parler dans ce discours, nous en parlerons dans un autre avec le secours de Dieu.

HUITIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LES DÉLICES DE LA LOI DE DIEU.

Dès lors que notre âme n’est point d’ici-bas, que nous sommes bannis du paradis, et que nous cherchons une patrie meilleure, nous sommes ici des étrangers comme nos pères ou les saints. L’infidèle au contraire n’est pas étranger. Or, nous allons à la véritable patrie par les commandements de Dieu qui se réduisent à l’amour de Dieu et du prochain ; ce qui est facile à comprendre, et le Prophète supplie le Seigneur de lui en donner cette connaissance qui consiste à se plaire dans l’accomplissement de ces préceptes.

1. Dans ce psaume qui est le plus long, je dois répondre à votre attente, et vous parler à partir de ce verset : « Je suis un locataire », ou, comme on trouve en d’autres manuscrits, « un étranger ici-bas, ne me dérobez pas vos e préceptes » dm. L’expression grecque paroikos, est traduite en effet tantôt par inquilinus, locataire, tantôt par incola, étranger, souvent même par advena, nouvel arrivant. Les locataires n’ayant point une demeure en propre, habitent les maisons des autres ; les étrangers, les nouveaux-venus, sont évidemment gens de passage. Alors s’élève une grave question au sujet de l’âme. Car ce n’est point de notre corps que l’on peut dire qu’il est étranger, ou nouveau-venu, ou de passage sur la terre, puisqu’il tire de la terre son origine. Mais sur une question aussi difficile, je n’oserais rien décider. Car le Prophète a pu se dire, ou locataire, ou étranger, ou nouveau-venu, sur cette terre, soit à cause de son âme, (Dieu me préserve de la regarder comme terrestre) soit dans le sens de l’homme tout entier, qui fut jadis habitant du paradis, où n’était déjà plus celui qui nous parlait de la sorte ; soit même, ce qui nous parait hors de toute contestation, que tout homme ne puisse tenir ce langage, mais celui qui souscrit à la promesse d’une patrie éternelle dans les cieux. Ce qu’il y a de certain, c’est que la vie de l’homme sur la terre est une épreuve dn, et qu’un lourd fardeau pèse sur les enfants d’Adam do. J’aime mieux entendre ces paroles en ce sens que nous sommes des locataires ou des étrangers ici-bas, parce que nous recherchons cette patrie céleste d’où nous avons reçu des gages, et où nous devons arriver pour ne plus en sortir. Car celui qui dans un autre psaume dit à Dieu : « Je ne suis à vos yeux qu’un locataire, qu’un étranger, comme tous mes ancêtres dp » ; ne dit pas : ainsi que tous les hommes ; mais en disant, comme tous mes ancêtres, il veut nous faire comprendre sans aucun doute les justes qui l’ont précédé par le temps, et qui dans ce pèlerinage ont gémi, ont poussé vers la céleste patrie de pieux soupirs. C’est d’eux qu’il est dit aux Hébreux : « Tous ces saints sont morts dans la foi, n’ayant point reçu les biens que Dieu leur avait promis, mais les voyant, et comme les saluant de loin, et confessant qu’ils sont étrangers, et voyageurs sur la terre. Car parler ainsi, c’est montrer que l’on cherche une patrie. Et s’ils s’étaient souvenus de celle d’où ils étaient sortis, ils avaient certainement le temps d’y retourner. Mais ils en désiraient une meilleure, qui est le ciel. Aussi Dieu ne rougit point d’être appelé leur Dieu, car il leur a préparé une cité dq ». Et cette parole : « Tant que nous sommes dans un corps, nous sommes éloignés du Seigneur dr », peut aussi s’entendre des fidèles, et non de tous. « Car la foi n’est point l’apanage de tous ds ». Remarquons en effet ce que saint Paul joint à ces paroles. Après avoir dit : « Tant que nous sommes dans un corps, nous sommes éloignés du Seigneur : c’est par la foi, reprend-il, que nous marchons, et non par la claire vue dt » ; afin de nous montrer que ceux-là seulement qui vivent dans la foi sont ici-bas en exil. Quant aux infidèles que Dieu dans sa prescience n’a point prédestinés à devenir conformes à l’image de son Fils du, ils ne peuvent, dans la force de la vérité, se dire étrangers sur la terre, puisqu’ils sont dans le lieu où ils sont nés selon la chair ; ils n’ont point de patrie ailleurs, et dès tors ils ne sont plus étrangers sur la terre, mais ils en sont les citoyens. De là vient que l’Écriture a dit d’un homme : « Il a placé sa maison dans la mort, et sa u demeure dans les enfers avec les habitants de la terre dv ». Ceux-là encore sont des locataires, des étrangers non pour cette terre, mais pour le peuple de Dieu, dont ils sont séparés. De là cette parole de l’Apôtre aux fidèles qui commencent à prendre pour patrie la cité sainte qui n’est point de ce monde : « Vous n’êtes plus des étrangers ni des exilés, mais les concitoyens des saints, dans la maison de Dieu dw ». Ceux-là donc sont citoyens de la terre, qui sont étrangers au peuple de Dieu ; mais ceux qui sont citoyens du peuple de Dieu, sont étrangers à cette terre ; parce que tout ce peuple, pendant qu’il est dans un corps, est étranger au Seigneur. Qu’il s’écrie dès lors : « Je suis un étranger sur la terre, ne me dérobez point vos commandements ».

2. Mais, quels sont donc les hommes à qui Dieu dérobe ses commandements ? Dieu n’a-t-il pas voulu qu’ils fussent prêchés partout ? Plût à Dieu qu’ils soient chers au grand nombre, comme ils sont clairs pour le grand nombre ! Quoi de plus clair en effet que cette parole : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit, et tu aimeras ton prochain comme toi-même ; ces deux commandements renferment la loi et les Prophètes dx ? » Quel est l’homme pour qui ces commandements soient cachés ? Tout fidèle les connaît, et même la plupart des infidèles. Pourquoi donc un fidèle vient-il demander à Dieu qu’il ne lui cache point ce qu’il voit que Dieu ne cache pas aux infidèles ? Parce qu’il est difficile de connaître Dieu, est-il aussi difficile de comprendre : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu », et peut-on craindre ici d’égarer son amour ? Quant au prochain, il paraît plus facile de le connaître. Car tout homme est le prochain d’un autre homme, et il est inutile de considérer l’éloignement de parenté, quand la nature est commune. Toutefois, il ne connaissait pas son prochain, celui qui disait au Seigneur : « Et qui est mon prochain dy ? » Quand on lui parla d’un homme qui tomba entre les mains des voleurs, en descendant de Jérusalem à Jéricho, lui, qui faisait cette question, jugea que le prochain de cet homme n’était autre que celui qui avait usé de miséricorde envers lui ; et il devint évident, que dans les actes de miséricorde, celui qui aime son prochain ne doit regarder personne comme étranger. Mais il en est beaucoup qui ne se connaissent point eux-mêmes : car il n’appartient pas à tous les hommes de se connaître, comme un homme doit se connaître. Comment donc aimer son prochain comme soi-même, quand on ne se connaît point soi-même ? Ce n’est pas en vain que ce plus jeune des deux fils qui s’en était allé dans une région lointaine, dissiper son bien en vivant dans la débauche, rentra d’abord en lui-même avant de dire : « Je me lèverai, et j’irai vers mon père dz » ; il était allé si loin, qu’il était sorti de lui-même. Et toutefois, il ne fût point rentré en lui-même, s’il se fût complètement ignoré ; et il n’eût point dit : « Je me lèverai, et j’irai à mon père », s’il eût complètement ignoré Dieu. Les paroles de Dieu nous sont donc connues jusqu’à un certain point, et afin de les connaître davantage, nous avons raison de demander à Dieu qu’il nous les fasse connaître. Aussi pour savoir comment nous devons aimer Dieu, il nous faut d’abord connaître Dieu ; et pour que l’homme sache aimer son prochain comme lui-même, il doit d’abord s’aimer lui-même en aimant Dieu ; et comment le pourrait-il s’il ne connaît ni Dieu, ni lui-même ? Le Psalmiste a donc raison de dire à Dieu. « Je suis un étranger sur la terre, ne me dérobez point vos préceptes ». Il est très juste que Dieu les cache à ceux qui ne sont pas étrangers sur la terre : car en les écoutant ils ne les goûtent point, ils n’ont goût qu’aux choses terrestres. Mais ceux dont la conversation est dans le ciel ea, ne conversent ici-bas que comme des étrangers. Qu’ils supplient donc le Seigneur de ne point leur dérober ces commandements qui les délivreraient de cet exil, parce qu’ils aimeraient Dieu avec lequel ils habiteront éternellement, et leur prochain afin qu’il soit où ils seront eux-mêmes.

3. Mais, dans notre amour, que pouvons-nous aimer, si nous n’aimons l’amour lui-même ? De là vient que cet étranger sur la terre, après avoir demandé à Dieu de ne point lui dérober ses commandements, dont le but unique ou du moins le but principal est l’amour, proclame aussitôt qu’il veut aimer l’amour lui-même, et s’écrie : « Mon âme aspire continuellement à désirer vos justifications eb ». C’est là un désir louable que Dieu ne condamnera point. Ce n’est point de ce désir qu’il est dit : « Tu ne convoiteras point ec » ; mais c’est du désir que la chair oppose à l’esprit ed. Quant à cette convoitise que l’esprit oppose à la chair ee, vois ce qui est écrit, et tu trouveras : « Le désir de la sagesse nous conduit au royaume ef ». Beaucoup d’autres endroits nous montrent qu’il y a une bonne convoitise. Toutefois il y a cette différence, que l’on mentionne l’objet désiré, quand on prend la convoitise en bonne part ; et que quand l’objet n’est point mentionné, quand on ne désigne que la concupiscence, on ne saurait la prendre qu’en mauvaise part. Ainsi dans le passage cité plus haut : « La concupiscence de la sagesse nous conduit au royaume », si le texte n’ajoutait : de la sagesse, on ne saurait dire : La concupiscence conduit au royaume. Au contraire, quand l’Apôtre nous dit : « Je ne connaissais point la convoitise, si la loi n’eût dit : Vous ne convoiterez point eg » ; il ne désigne point l’objet de la convoitise, ou ce que l’on ne doit point convoiter ; car il est certain qu’en pareil cas on ne comprend qu’une convoitise illicite. Quelle est donc chez l’interlocuteur la convoitise de son âme ? « C’est », dit-il, « de désirer toujours vos justifications ». Sans doute, qu’il ne les désirait point encore, puisqu’il souhaitait de les désirer. Or, ces justifications sont des actions justes, ou des œuvres de justice. Mais, dès lors que désirer c’est n’avoir point encore, combien en est éloigné celui qui souhaite seulement de les désirer ? Et combien plus éloignés ceux qui ne forment pas même ce désir ?

4. Il est étrange toutefois que nous souhaitions un désir, sans avoir en nous l’objet que nous souhaitons. Car cet objet n’est rien de corporel et de beau, comme l’or, ou comme une chair séduisante, choses que l’on peut désirer sans les avoir, puisqu’elles sont hors de nous, et non point en nous. Mais qui ne sait que la convoitise est en nous, que le désir est en nous ? Pourquoi donc souhaiter de l’avoir, comme s’il était en dehors de nous ? Ou même comment peut-on le convoiter sans l’avoir, puisqu’il n’est autre que la convoitise ? Car désirer, c’est assurément convoiter. Quelle est donc cette langueur merveilleuse et inexplicable ? Et toutefois elle existe. Qu’un malade, en effet, soit atteint du dégoût, il veut sortir de ce fâcheux état ; et, pour lui, aspirer à n’avoir point ce dégoût, c’est aspirer à désirer la nourriture : mais ce dégoût, c’est une maladie du corps. La convoitise, au contraire, qui lui fait aspirer à désirer la nourriture, ou à se guérir du dégoût, est une affection de l’âme et non du corps : elle n’est dans l’agrément ni du palais, ni de l’estomac, agrément qui disparaît devant le dégoût ; mais elle consiste dans sa raison de recouvrer la santé, et de se délivrer du dégoût de toute nourriture. Il n’est donc plus étonnant que l’esprit souhaite que le corps désire, puisque l’esprit désire, sans que le corps désire en même temps. Mais quand il ne s’agit que de l’esprit, et quand il y a désir dans l’un et dans l’autre cas, pourquoi souhaiter le désir des justifications de Dieu ? Comment dans un seul et même esprit qui est le mien, aspirer à ce désir, et n’avoir pas ce désir même ? Pourquoi aspirer au désir des justifications, et ne pas aspirer à ces justifications, plutôt qu’à leur désir ? Ou comment puis-je aspirer au désir de ces justifications, sans aspirer à ces justifications elles-mêmes, puisque je n’aspire à les désirer, que parce que je les désire ? S’il en est ainsi, c’est donc elles-mêmes que je désire. Pourquoi donc en souhaiter le désir, puisque je l’ai, et que je sens que je l’ai ? Car je ne pourrais aspirer au désir de la justice, qu’en désirant la justice. N’est-ce point là ce que j’ai dit plus haut, qu’il nous faut aimer jusqu’à cet amour par lequel on aime ce qu’il faut aimer ; comme on doit haïr cet amour dont on environne ce qu’il ne faut pas aimer ? Car nous haïssons cette convoitise qui est en nous, et que la chair oppose à l’esprit eh. Et qu’est-ce que cette convoitise, sinon un amour dépravé ? Nous aimons aussi cette aspiration qui est en nous, et que l’esprit oppose à la chair. Or, quelle est cette aspiration, sinon un amour légitime ? Mais dire que l’on doit aimer cet amour, n’est-ce point dire qu’on doit le désirer ? Si donc il est bon d’aspirer aux justifications de Dieu, il est bon d’aimer l’amour de ces justifications. Ou bien la concupiscence diffère-t-elle du désir ? Non que le désir ne soit une concupiscence, mais parce que toute concupiscence n’est pas un désir. La concupiscence a pour objet ce que nous possédons et ce que nous ne possédons pas ; c’est par elle qu’un homme jouit de ce qu’il a : mais le désir a pour objet des choses absentes. Mais alors qu’est-ce que le désir, sinon la concupiscence de ce que nous n’avons pas ? Et comment les justifications de Dieu peuvent-elles être loin de nous, sinon quand nous les ignorons ? Sont-elles vraiment absentes, quand nous les connaissons sans les observer ? Que sont en effet des justifications, sinon des œuvres de justice, et-non de simples paroles ? Il peut arriver dès lors que notre âme soit assez faible pour ne point les désirer, et qu’en même temps la raison lui en démontrant l’utilité et la sainteté, lui en fasse souhaiter le désir. Souvent en effet, nous voyons ce qu’il faut faire, et ne le faisons pas, parce que nous n’avons point d’attrait pour le faire, et que nous voudrions y en trouver. L’esprit vole ; mais notre faiblesse nous retient, notre amour languissant ne suit qu’avec lenteur, et parfois même ne suit point. Le Prophète souhaitait donc de désirer ce qu’il trouvait bien ; il voulait trouver de l’attrait dans ce qu’il voyait de raisonnable.

5. Il ne dit point : Mon âme souhaite ; mais : « Mon âme a souhaité désirer vos justifications ». Peut-être cet homme étranger sur la terre était-il arrivé au terme de ses souhaits, et désirait-il déjà ce qu’autrefois il aurait tant voulu désirer. Mais s’il désirait les justifications, comment ne les avait-il point ? Il n’y a rien qui nous empêche d’avoir les justifications du Seigneur, comme ne pas les désirer, alors que nous ne ressentons aucun amour pour elles, bien qu’on en voie la lumière éclatante. Le Prophète ne les avait-il point déjà, ne les pratiquait-il point ? Car il nous dit un peu après : « Quant à votre serviteur, il s’exerçait dans vos justifications ei1 ». Mais il nous montre quels sont en quelque sorte les degrés pour y arriver. Le premier, est de voir combien elles sont avantageuses et honorables ; ensuite d’en souhaiter le désir ; enfin à mesure que s’augmentent en nous la lumière et la force, il faut que nous ressentions dans l’accomplissement de ces œuvres de justice, le goût que nous inspirait la seule méditation. Mais ce discours est déjà bien long ; réservons alors ce qui suit pour l’exposer plus facilement dans un autre avec le secours de Dieu.

NEUVIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LA VIE EN ÉCHANGE DE LA MORT.

C’est l’orgueil qui nous détourne de Dieu comme il en détourna le premier homme. Il tourne en dérision les enfants de Dieu qui demandent à être délivrés des opprobres, non pour eux, mais pour le préjudice que se font à eux-mêmes les insulteurs. Et ces blasphémateurs s’abstiennent comme aujourd’hui. Le Christ a prié pour ceux qui s’élevaient contre lui, et leur a ainsi communiqué la vie en échange de cette mort qu’ils donnaient à ses membres.

1. Les versets que nous allons expliquer dans notre psaume nous font souvenir de la cause de nos misères. Car le Prophète dit : « Mon âme a souhaité de désirer vos justifications en tout temps ej » ; c’est-à-dire et dans la prospérité, et dans l’adversité ; puisque dans les travaux et dans les souffrances de cette vie nous devons trouver goût dans la justice ; non, nous ne devons pas en faire nos délices exclusivement dans les moments paisibles, de manière à l’abandonner dans les temps de trouble ; elle doit nous être chère en tout temps ; maintenant il ajoute : « Vous avez châtié les superbes ; maudits soient ceux qui s’écartent de vos préceptes ek ». Ce sont les superbes qui s’écartent des préceptes de Dieu. Or, autre chose est de ne point les accomplir à cause de notre faiblesse ou de notre ignorance, et autre chose de s’en détourner par orgueil, comme l’ont fait ceux qui nous ont engendrés pour mourir. Ils prirent goût à cette parole : « Vous serez comme des dieux el », et dans cette pensée orgueilleuse, ils se détournèrent du précepte du Seigneur, qu’ils connaissaient formellement, et qu’ils pouvaient très facilement accomplir, puisque nulle faiblesse ne les en détournait, n.e les empêchait, ne les retardait. Et voilà que toute cette vie si pénible, si calamiteuse de l’homme devenu mortel, est comme un châtiment héréditaire de l’orgueil. Quand le Seigneur dit à Adam : « Où es-tu ? » em il n’ignorait point où il était ; mais il lui reprochait son orgueil : sa question ne venait point du désir de connaître où il était, c’est-à-dire dans quelle misère il était tombé, mais de l’en avertir par un reproche. Voyez comme le Prophète, après avoir dit : « Vous avez réprimandé les superbes », n’ajoute point : Malédiction à ceux qui ont abandonné vos préceptes, de peur qu’on n’arrête sa pensée uniquement sur le péché du premier homme ; mais il dit : « Malédiction à ceux qui abandonnent ». Car il voulait par cet exemple jeter l’effroi chez tous les hommes, leur apprendre à ne point se détourner des préceptes du Seigneur, à aimer la justice en tout temps, et à recouvrer par le travail de cette vie ce que nous avons perdu dans les délices du paradis.

2. Mais comme ces reproches si sévères ne font point courber la tête aux orgueilleux, comme le supplice de la mort et du travail qui pèse sur eux ne réprime point leur insolence, comme ils imitent le ton hautain de ceux qui tombent, et tournent en dérision l’humilité de ceux qui se relèvent, voilà que le corps du Christ intercède en leur faveur et s’écrie : « Eloignez de moi l’opprobre et le mépris, parce que j’ai recherché vos témoignages » en. En grec, ces testimonia, ou témoignages s’appellent martyria, expression qui a passé dans le latin. De là vient que nous ne donnons plus le nom de « témoins », comme nous pourrions dire en latin testes, mais le nom grec de martyrs à ceux qui ont enduré divers tourments pour rendre témoignage au Christ. Cette expression étant donc plus familière et plus élégante, entendons ces paroles comme si le psaume portait : « Éloignez de moi l’opprobre et le mépris, parce que j’ai recherché vos martyres ». Mais quand le corps du Christ nous tient ce langage, croirons-nous qu’il regarde comme une peine d’entendre les outrages et les insultes des impies et des superbes ; quand c’est là un moyen de hâter sa couronne ? Pourquoi donc demander à Dieu d’en être délivré comme d’un fardeau pénible et insupportable, sinon, comme je l’ai dit, parce que le Prophète prie pour ses ennemis, en voyant combien il leur est dangereux de faire aux chrétiens un crime du nom béni de Jésus-Christ ; de n’avoir comme les Juifs que des sarcasmes pour la croix, remède suprême qui produit dans les âmes l’humilité chrétienne, laquelle peut seule guérir cet orgueil dont l’enflure a produit notre chute, et que nourrissent et font croître nos chutes journalières ? Que le corps de Jésus-Christ prie donc en leur faveur, lui qui déjà sait aimer ses ennemis eo ; qu’il dise au Seigneur : « Éloignez de moi l’outrage et le mépris, parce que j’ai recherché vos martyres » ; c’est-à-dire, délivrez-moi de ces outrages que j’entends, de ce mépris que j’endure par cet unique motif que j’ai recherché vos martyres, Car mes ennemis que vous m’ordonnez d’aimer, qui courent de plus en plus à la mort et à leur perte, en méprisant vos martyres, et en me chargeant de calomnies, revivront et reviendront de leurs égarements, s’ils révèrent en moi vos témoignages. Voilà ce qui est arrivé, ce que nous voyons. Voilà que le témoignage du Christ, loin d’être un opprobre aux yeux des hommes et du monde, est devenu un grand honneur : voilà que la mort des justes est précieuse, non seulement devant Dieu ep, mais encore devant les hommes ; voilà que ses martyrs, loin d’être en butte au mépris, sont au contraire comblés d’honneur ; le plus jeune des deux fils qui déchirait son héritage, dans le petit nombre des chrétiens qui le possédaient avant lui, en vue des pourceaux qu’il faisait paître, ou plutôt des démons qu’il adorait, voilà que maintenant il relève les martyrs devant ces peuples si grands et si nombreux, il prêche ce qu’il insultait, il comble d’honneurs ceux qu’il méprisait, il était mort, et le voilà ressuscité, il était perdu et le voilà retrouvé eq. Tel est le grand succès de conversion, d’amélioration et de rédemption de ses ennemis pour lequel le corps du Christ disait : « Éloignez de moi, Seigneur, l’opprobre et le mépris ». Et comme si on lui demandait pour quel motif il est outragé et méprisé, il ajoute : « Parce que j’ai recherché vos martyres ».

3. Où est donc maintenant cet opprobre ? Où est ce mépris ? Tout est passé, tout s’est évanoui ; et comme ceux qui étaient perdus sont retrouvés, les mépris ont disparu. Mais quand l’Église faisait cette prière, elle souffrait effectivement ces douleurs. « Voilà que les u princes se sont assis », dit le Prophète, « et ils ont parlé contre moi er ». La violence de la persécution venait de ce qu’elle était décrétée par des princes qui étaient assis, c’est-à-dire élevés sur les tribunaux de la justice. Applique ces paroles à notre chef, et tu trouveras que les princes des Juifs s’assirent, cherchant entre eux les moyens de perdre le Christ es. Applique ces paroles au corps, ou à l’Église, et tu verras que les rois ont médité, ont ordonné la ruine des chrétiens sur la terre. « Voilà que les princes se sont assis, et ont parlé contre moi ; quant à votre serviteur, il s’exerçait dans vos ordonnances et ». Si tu veux connaître quel était cet exercice, vois ce qu’ajoute le Prophète : « Car vos témoignages sont ma préoccupation, et vos justifications sont tout mon conseil ». Souviens-toi que ces témoignages, comme nous l’avons dit, sont des martyres ; souviens-toi également que dans les justifications du Seigneur, la plus admirable comme la plus difficile est d’aimer ses ennemis. Tels étaient donc les exercices du corps de Jésus, qu’il méditait son témoignage, et qu’il aimait ceux qui le poursuivaient eu de leurs outrages, et de leurs injures à cause des témoignages qu’il rendait au Christ. Car ce n’était point pour lui qu’il suppliait, nous l’avons déjà remarqué, mais bien plutôt pour eux qu’il disait : « Éloignez de moi tout opprobre et tout mépris. Voilà que les princes se sont assis, et ils parlaient contre moi ; mais votre serviteur s’exerçait dans vos justifications ». En quelle manière ? « Car vos témoignages sont ma préoccupation, et vos justifications sont tout mon conseil ev ». Conseil contre conseil : le conseil des princes qui étaient assis fut de perdre les martyrs que l’on trouvait ; et le conseil des martyrs, de retrouver leurs ennemis qui se perdaient. Les premiers rendaient le mal pour le bien, les seconds le bien pour le mal. Faut-il s’étonner après cela, si les uns ont succombé en donnant la mort, et les autres triomphé en mourant ? Faut-il, dis-je, s’étonner que, sous le feu de la persécution païenne, les martyrs aient souffert avec tant de patience la mort du temps, et que les païens, à la prière des martyrs, aient pu arriver à la vie éternelle ? Le corps du Christ n’est-il point exercé de manière qu’il médite les témoignages du Seigneur et qu’il appelle sur les persécuteurs des témoins, les biens du ciel, en échange de leur malice ?

DIXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LE GOÛT DES BONNES ŒUVRES.

Comme le Prophète s’est attaché à la poussière, c’est-à-dire à la terre, ou même à ces affections du corps dont les convoitises sont contraires à celles de l’esprit, et dont il désire l’affaiblissement, il demande à Dieu, à cause de sa parole, ou de sa promesse qui fait de nous des enfants d’Abraham, de s’élever de plus en plus à la hauteur de la charité Pour n’en pas déchoir, il demande à Dieu la loi de la vie ou de la foi, puis s’applaudit de ce que Dieu a dilaté son cœur pour courir dans ses commandements, c’est-à-dire lui a donné le goût des œuvres saintes.

1. Voici ce que nous donne la suite de ce grand psaume qu’il nous faut considérer et expliquer selon qu’il plaît à Dieu : « Mon âme s’est attachée à la poussière, donnez-moi la vie selon votre parole ew ». Qu’est-ce à dire « Mon âme s’est attachée à la poussière ? » Car en disant ensuite : « Vivifiez-moi selon votre parole », le Prophète montre qu’il avait énoncé d’abord pour quel motif il demandait la vie, lorsqu’il disait : « Mon âme s’est attachée à la poussière ». Si donc il demande la vie, parce que son âme s’est attachée au sol, l’on peut prendre cette expression dans un sens favorable. Toute la pensée en effet se réduit à dire Je suis mort, donnez-moi la vie. Quel est donc ce sol, cette poussière ? Si nous voulons regarder le monde entier comme un vaste palais, nous verrons que le ciel en est comme le dôme, et que le pavé sera la terre. Le Prophète alors demande à être délivré de la terre afin de dire comme saint Paul « Notre conversation est dans le ciel ex ». Donc s’attacher aux choses terrestres, c’est la mort de l’âme, et dès lors dire : « Vivifiez-moi », c’est demander la vie contraire à cette mort.

2. Mais il faut voir si ces paroles ainsi entendues peuvent convenir à celui qui parlait tout à l’heure, de manière à se montrer plus attaché à Dieu qu’à la terre ; celui-là peut-il demander que sa conversation soit moins des choses de la terre que des choses du ciel ? Eh ! comment comprendre qu’il se soit attaché aux choses terrestres, celui qui dit de lui-même : « Votre serviteur s’exerçait dans vos œuvres e de justice, car vos témoignages sont l’objet « de mes méditations, et vos justifications sont « mon conseil ? » Telles sont en effet les paroles qui précèdent, et auxquelles il ajoute « Mon âme s’est attachée au pavé ». Nous faut-il comprendre par là que tant qu’un homme ait fait de progrès dans les voies du Seigneur, il ne laisse pas d’avoir en sa chair quelques affections terrestres en quoi consiste pour lui sur la terre ey l’épreuve de la vie humaine ; et qu’à mesure qu’il avance, il passe tous les jours de la mort à la vie, par la grâce vivifiante de celui qui renouvelle chez nous, de jour en jour, l’homme intérieur ez ? Et en effet, quand l’Apôtre disait : « Tant que nous habitons dans ce corps, nous marchons hors du Seigneur fa » ; il souhaitait alors d’être dégagé des liens du corps, et d’être avec le Christ fb et son âme s’était attachée à la poussière. Donc on peut fort bien, par le pavé, entendre le corps lui-même qui est terrestre et qui appesantit l’âme parce qu’il est corruptible fc ; ce qui nous rait gémir et dire à Dieu : « Mon âme s’est attachée à la poussière ; donnez-moi la vie selon votre parole ». Car il n’est pas dit que ce sera dans nos corps que nous serons toujours avec le Seigneur fd ; mais nous les aurons quand ils ne seront plus corruptibles, quand ils n’appesantiront plus l’âme, et, à bien prendre, quand nous ne serons point en eux, quand ils seront en nous, et nous en Dieu. De là vient qu’un autre psaume a dit : « Pour moi, mon bien est de m’attacher à Dieu fe » ; afin que nos corps vivent de nous, en s’attachant à nous, et que nous vivions de Dieu, parce qu’il est bon de nous attacher à lui. Quant à cet attachement dont il est dit : « Mon âme s’est attachée à la poussière », il ne me paraît point désigner l’union de la chair avec l’âme, bien que plusieurs l’aient compris en ce sens, mais bien plutôt cette affection de l’âme qui fait que la chair conspire contre l’esprit ff. Si tel est le vrai sens, le Prophète en disant : « Mon âme s’est attachée à la poussière, vivifiez-moi selon votre parole », ne demande point d’être délivré de ce corps de mort, par la destruction de ce même corps : ce qui aura lieu au dernier jour de notre vie, et qui ne peut tarder beaucoup, tant la vie est courte ; mais le Prophète alors demanderait que les convoitises de la chair contre l’esprit s’affaiblissent en lui de plus en plus, que les aspirations de l’esprit contre la chair se fortifient, jusqu’à ce que les premières se consument en nous, et que les secondes soient consommées par l’Esprit-Saint qui nous a été donné.

3. Aussi le Prophète ne dit-il point : « Donnez-moi la vie » selon mes mérites, mais bien, donnez-moi la vie selon votre parole » : et qu’est-ce à dire, sinon selon votre promesse ? Il veut être un fils de la promesse, et non un fils de l’orgueil ; afin que la promesse demeure ferme selon la grâce à tout enfant d’Abraham. Voici en effet cette parole de la promesse : « C’est d’Isaac que ta postérité prendra son nom ; c’est-à-dire, ce ne sont point les enfants d’Abraham selon la chair qui sont les enfants de Dieu, mais les enfants de la promesse qui sont réputés de la race d’Abraham fg ». Le Prophète nous dit en effet dans le verset suivant ce qu’il était par lui-même : « Je vous ai déclaré mes voies et vous m’avez exaucé fh ». On trouve dans plusieurs manuscrits : « Vos voies », mais la plupart, surtout les grecs, portent « Mes voies », c’est-à-dire mes voies mauvaises. Car il me paraît dire : Je vous ai confessé mes péchés, exaucez-moi, c’est-à-dire pardonnez-les. « Enseignez-moi vos œuvres de justice ». Je vous ai confessé mes voies, vous les avez effacées enseignez-moi les vôtres. Enseignez-les-moi, de telle sorte que je les pratique ; et non seulement de manière que je sache ce qu’il faut faire. De même qu’il est dit du Seigneur, qu’il ne connaissait point le péché fi, et que l’on comprend qu’il ne le commettait point de même on doit dire que celui-là connaît vraiment la justice, qui la met en pratique. Telle est donc la prière d’un homme en progrès. Car s’il n’eût point pratiqué la justice, il n’eût point dit plus haut : « Votre serviteur « s’exerçait dans les œuvres de justice ». Ce n’est donc point celles dans lesquelles il s’exerçait qu’il veut apprendre du Seigneur ; mais il veut de celles-ci s’élever à d’autres, et aller de progrès en progrès.

4. Il ajoute ensuite : « Insinuez-moi le chemin de vos justifications fj » ; ou comme l’on trouve dans certains exemplaires : « Instruisez-moi de cette voie ». Le grec est plus expressif : « Faites-moi comprendre
Grec, sunetison me
 ». « Elle m’exercera dans vos merveilles ». Le Prophète appelle merveilles de Dieu ces œuvres plus élevées auxquelles il veut atteindre dans ses progrès. Il y a donc des justifications de Dieu si admirables que l’infirmité des hommes ne croit point pouvoir les atteindre, si déjà l’on n’en a fait l’expérience. Aussi le Psalmiste, sous le poids de ce labeur, et en quelque sorte accablé par ces difficultés, nous dit-il : « Mon âme s’est assoupie d’ennui, affermissez-moi dans vos paroles fl ». Qu’est-ce à dire « s’est « assoupie », sinon que s’est refroidie cette espérance qu’elle avait conçue de pouvoir atteindre ces hauteurs ? Mais « affermissez-moi », dit-il, « dans vos paroles », de peur qu’en demeurant dans ce sommeil, je ne vienne à déchoir de la hauteur à laquelle je me sens parvenu ; affermissez-moi donc dans ces mêmes paroles, auxquelles je suis arrivé par la pratique, afin que par elles je puisse monter à d’autres plus élevées.

5. Mais où est l’obstacle qui entrave notre marche dans la voie des justifications de Dieu, de manière que l’homme ne s’élève que difficilement à ces merveilles ? Quel obstacle pouvons-nous croire, sinon celui dont il prie Dieu de le délivrer dans le verset suivant : « Éloignez de moi la voie de l’iniquité fm ». Et parce que la loi des œuvres est survenue pour faire abonder le péché fn, le Prophète continue en disant : « Et par votre loi prenez-moi en pitié ». Par quelle loi, sinon par la loi de la foi ? Écoute l’Apôtre : « Où est donc votre glorification ? Elle est anéantie. Par quelle loi ? celle des œuvres ? Non, mais par la loi de la foi fo ». C’est donc par cette loi de la foi que nous croyons, et que nous sollicitons le don de la grâce, afin de faire ce que nous ne saurions faire par nous-mêmes ; de peur que méconnaissant la justice de Dieu, et voulant établir la nôtre, nous ne manquions de soumission pour la justice de Dieu fp. Ainsi donc dans la loi des œuvres, c’est la justice de Dieu qui ordonne ; et dans la loi de la foi, c’est sa miséricorde qui nous soutient.

6. Après avoir dit : « Dans votre loi, ayez pitié de moi », il semble prendre acte, si l’on peut s’exprimer ainsi, des bienfaits du Seigneur, pour obtenir de lui d’autres grâces qu’il n’a point encore. « J’ai choisi », dit-il, « la voie de la vérité ; je n’ai point oublié vos jugements. Je me suis attaché à vos témoignages, ne me couvrez point de confusion. J’ai choisi la voie de la vérité », afin d’y courir : « Je me suis attaché à vos témoignages », tandis que j’y courais : « Seigneur, ne me couvrez point de confusion fq » : que je m’avance vers mon but, que j’y arrive enfin ; car le tout ne dépend ni de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu, qui fait miséricorde fr. Enfin : « J’ai couru dans la voie de vos commandements », dit le Prophète, « lorsque vous avez dilaté mon cœur fs ». Je ne pourrais courir, si vous n’aviez dilaté mon cœur. Ce verset nous explique très bien ce qui est dit plus haut : « J’ai choisi la voie de la vérité, je n’ai point oublié vos jugements, je me suis attaché à vos témoignages ». Telle est en effet la marche dans la voie des commandements de Dieu. Et comme l’interlocuteur fait valoir auprès de Dieu les bienfaits qu’il a reçus de lui plutôt que ses propres mérites, comme si on lui disait : Comment as-tu pu courir dans cette voie, la choisir, ne pas oublier les jugements de Dieu, et t’attacher à ses témoignages ? L’as-tu pu par toi-même ? Non, répond-il. Comment donc ? « J’ai couru dans la voie de vos préceptes », nous dit-il, « parce que vous avez dilaté mon cœur ». Ce n’est donc point par ma propre volonté, et sans aucun besoin de votre secours ; mais quand il vous a plu de « dilater mon cœur ». Cette dilatation du cœur, c’est la joie dans les œuvres de justice ; et cette joie est un don de Dieu, qui nous fait observer ses préceptes, non dans les angoisses de la crainte, mais dans le délicieux amour de la justice. Et telle est la dilatation du cœur que Dieu nous promet, quand il dit : « J’habiterai en eux, je marcherai au milieu d’eux ft ». Combien on doit être au large où. Dieu se promène ! C’est dans cette latitude que la charité se répand dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné fu. De là cette parole de l’Écriture : « Que vos eaux coulent dans vos places publiques fv ». Le mot place publique, ou platea, vient d’un mot grec exprimant l’étendue ; car platu, en grec, signifie large. C’est au sujet de ces eaux que le Seigneur s’écrie : « Qu’il vienne à moi celui qui a soif. Si quelqu’un croit en moi, des fleuves d’eau vive jailliront de ses entrailles fw » ; et l’Évangéliste nous donne cette explication : « Il parlait ainsi à propos de l’Esprit-Saint, que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui ». On pourrait discourir longuement à propos de cette dilatation du cœur, mais je m’aperçois que ce discours est déjà bien long.

ONZIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LE PROGRÈS DANS LA PIÉTÉ.

Le Prophète qui a déjà couru dans la voie des commandements, supplie le Seigneur de lui poser comme une loi la voie de ces mêmes commandements, ou de l’aider à y courir jusqu’à ce qu’il arrive à la palme promise, Il recherche toujours cette voie, en s’efforçant de pratiquer ces préceptes, et comme cette voie est la vérité, il la possédera à jamais. Il ne veut pas connaître la loi selon la lettre seulement, mais encore selon ta pratique ; alors il supplie Dieu de le conduire en inclinant son cœur vers les préceptes, et non vers les convoitises qui firent tomber le vieil Adam.

1. Dans notre psaume si étendu, voici ce qu’il nous faut considérer et exposer avec le secours du Seigneur. « Faites-moi, Seigneur, une loi de la voie de vos commandements, et que je la recherche toujours fx ». L’Apôtre nous dit : « La loi n’est pas établie pour le juste, mais pour les injustes et les rebelles », et le reste, puis il conclut ainsi : « Et pour tout ce qui est opposé à la saine doctrine, laquelle est selon l’Évangile de la gloire du Dieu de béatitude, qui m’a été confié fy ». Or, celui qui nous dit : « Faites-moi, Seigneur, une loi », était-il de ceux pour qui saint Paul a dit que la loi était faite ? Loin de là. S’il en était, il n’aurait pas dit plus haut : « J’ai couru dans la voie de vos commandements, quand vous avez dilaté mon cœur ». Pourquoi donc demander que Dieu lui impose une loi, puisqu’il n’est point de loi pour le juste ? Ou bien n’y aurait-il pas de loi pour le juste, dans le même sens qu’elle est établie pour le peuple rebelle, sur des tables de pierre fz, et non sur des tables de chair, qui sont les cœurs ga ; selon l’Ancien Testament, du mont Sinaï qui engendre pour la servitude gb et non selon le Testament Nouveau, dont le prophète Jérémie a dit : « Voilà que viennent les jours, dit le Seigneur, et j’établirai une nouvelle alliance avec la maison d’Israël et la maison de Juda : non pas l’alliance que j’ai formée avec leurs pères, dans les jours où je les pris par la main, pour les tirer de la terre d’Égypte et parce qu’ils ne sont pas demeurés dans cette alliance, je les ai punis, dit le Seigneur. Voici, en effet, l’alliance que j’ai faite avec la maison d’Israël : après ces jours-là, dit le Seigneur, je graverai mes lois jusque dans leurs entrailles, et je les écrirai dans leurs cœurs gc ». C’est ainsi qu’il supplie le Seigneur de lui imposer une loi, non plus comme aux injustes et aux rebelles qui n’appartiennent pas au Nouveau Testament, une loi sur des tables de pierre ; mais une loi qui convienne à la sainte génération de l’Épouse libre, ou de la Jérusalem céleste, aux enfants de la promesse, aux fils de l’héritage éternel, dans le cœur desquels Dieu écrit sa loi, de son doigt par le Saint-Esprit ; non plus pour qu’ils en conservent la mémoire pendant qu’ils la négligeront dans la pratique ; mais afin qu’ils la connaissent pour la comprendre, qu’ils la pratiquent en l’aimant d’un cœur dilaté par la charité, et non resserré par la crainte. Agir, en effet, par la crainte du châtiment, et non par l’amour de la justice, c’est agir en quelque sorte malgré soi. Mais celui qui agit malgré lui, voudrait, s’il était possible, qu’il n’y eût point de commandement ; et dès lors il est l’ennemi, et non point l’ami de cette loi, qu’il souhaite qu’on ne lui ait point imposée ; son action, dès lors, ne saurait être pure, quand sa volonté est corrompue. On ne saurait dire alors ce que dit le Prophète dans les versets précédents : « J’ai couru dans la voie de vos commandements, quand vous avez dilaté mon cœur » ; puisque cette dilatation signifie la charité, qui est, selon l’Apôtre, la plénitude de la loi gd.

2. Pourquoi donc le Prophète veut-il encore qu’on lui impose une loi, puisque si cette loi ne lui eût déjà été donnée, il n’aurait pu, dans la dilatation de son cœur, courir dans la voie des commandements de Dieu ? Mais comme l’interlocuteur s’avance dans la vertu, comme il sait que cet avancement il le doit à la grâce de Dieu ; demander qu’une loi lui soit imposée, qu’est-ce autre chose que demander d’y faire de nouveaux progrès ? Car, présentez, par exemple, une coupe toute pleine à l’homme qui a soif, il la boit et l’épuise, et en demande encore. Quant aux injustes ge, aux rebelles, qui n’ont reçu la loi que sur des tables de pierre, cette loi en a fait des prévaricateurs, et non des enfants de la promesse. Mais s’en souvenir et ne pas l’aimer, c’est être également coupable ; car la mémoire est en quelque sorte une pierre écrite, et qui est plutôt un fardeau qu’un ornement : c’est un poids et non un titre d’honneur. Cette loi, le Prophète l’appelle une voie des justifications de Dieu, et elle ne diffère en rien de la voie des préceptes de Dieu, que le Prophète nous dit avoir parcourue dans la dilatation de son cœur. Il a donc couru, il court encore, jusqu’à ce qu’il atteigne cette manne céleste, à laquelle Dieu l’a appelé d’en haut. Enfin, après avoir dit : « Donnez-moi, Seigneur, pour loi, la voie de vos justifications » ; le Prophète ajoute : « Et que je la recherche toujours ». Pourquoi demander ce qu’il a déjà, sinon parce qu’il possède cette loi en l’accomplissant, et qu’il en cherche les progrès ?

3. Mais que signifie « toujours ? » N’y aura-t-il point de fin à ses recherches ? En est-il de même que dans ces paroles : « Sa louange e sera toujours en ma bouche gf », parce qu’il n’y aura point de fin à la louange de Dieu ? Car nous ne cesserons las de le louer quand nous serons parvenus au royaume éternel, puisque nous lisons : « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous loueront dans les siècles des siècles gg ! » Ou bien « toujours » doit-il s’entendre du temps de la vie, parce que c’est alors que l’on avance dans la vertu, et qu’après cette vie, celui qui aura fait des progrès sera parfait ? Cette expression reviendrait à ce que nous dit saint Paul de certaines femmes qu’« elles apprennent toujours » ; mais c’est alors en mauvaise part, puisqu’il ajoute qu’« elles n’arrivent jamais à la science de la vérité gh ». Celui au contraire qui va toujours en progressant arrive enfin où il s’est efforcé d’arriver, et où il n’y a plus de progrès, parce qu’on demeure éternellement dans cette perfection. Toutefois en disant de ces femmes qu’« elles apprennent toujours », saint Paul n’a point prétendu qu’après leur mort elles continueront à étudier des choses vaines et sans profit, puisqu’à ces doctrines succéderont, non plus des études, mais les supplices éternels. Rechercher donc la loi de Dieu en cette vie, c’est y faire des progrès par sa science et par l’amour ; dans l’autre vie, au contraire, il n’y aura plus à chercher cette loi dans sa plénitude, mais à en jouir. Mais voici ce qui est dit encore : « Cherchez toujours sa face gi ». Où sera-ce « toujours », sinon en cette vie ? Car en l’autre nous ne chercherons pas la face de Dieu, puisque nous le verrons face à face gj. Si néanmoins on peut dire que l’on cherche toujours une chose parce qu’on l’aime sans dégoût, et qu’on le fait pour ne point la perdre, nous rechercherons sans fin la loi de Dieu, c’est-à-dire la vérité de Dieu ; car il est dit dans ce même psaume : « Et votre loi est la vérité gk ». On la cherche maintenant pour la posséder ; alors on la possédera pour ne point l’abandonner ; selon qu’il est écrit de l’Esprit de Dieu, qu’il pénètre tout, même les profondeurs de Dieu gl : non point pour apprendre ce qu’il ne connaît point, mais parce qu’il n’y a rien qu’il ne connaisse.

4. C’est donc proclamer bien haut la grâce de Dieu, que demander au Seigneur de nous poser une loi, comme le fait le Prophète qui connaissait la loi selon la lettre. Mais parce que la lettre tue, et que l’esprit vivifie gm, il demande à faire par l’esprit ce qu’il savait par la lettre, de peur que cette connaissance d’un précepte négligé ne le rende coupable d’une prévarication nouvelle. Toutefois, connaître une loi comme on doit la connaître, c’est-à-dire comprendre ce qu’elle ordonne, pourquoi elle a été donnée à ceux qui ne devaient point l’observer ; quelle en était l’utilité en cela même qu’elle est survenue pour faire abonder le péché gn, c’est ce que ne saurait faire un homme, à moins que Dieu ne lui en ait donné l’intelligence. Aussi le Prophète a-t-il ajouté : « Donnez-moi l’intelligence, et je sonderai votre loi, et je la garderai de tout mon cœur go ». Lorsqu’en effet un homme a sondé la loi, qu’il est arrivé à ces hauteurs qui en font toute l’essence, il doit alors aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit, et son prochain comme lui-même. Ces deux commandements renferment la loi et les Prophètes gp. Voilà ce qu’il semble promettre à Dieu, quand il dit : « Et je la garderai de tout mon cœur ».

5. Mais comme il n’en saurait venir là par ses propres forces, et sans le secours de celui qui fait ce commandement, voilà que le Prophète supplie le Seigneur de lui faire accomplir ce qu’il ordonne : « Conduisez-moi dans les sentiers de vos commandements, car c’est là que je me plais gq ». C’est peu de ma volonté, si vous-même ne me conduisez où je veux aller. Or, c’est bien là le sentier, la voie des commandements rie Dieu, où il avait couru, disait-il, dans la dilatation de son cœur ; et s’il l’appelle un sentier, c’est qu’elle est étroite, cette voie qui conduit à la vie gr ; et comme elle est étroite, on ne saurait y courir, si le cœur n’est dilaté.

6. Mais parce qu’il s’avance toujours, qu’il court toujours ; et c’est ce qui lui fait implorer le secours d’en haut qui doit le faire aboutir, ce qui n’appartient ni à la course ni à la volonté, mais à la divine miséricorde gs ; enfin, parce que c’est Dieu qui produit en nous le vouloir gt, et que le Seigneur même nous prépare la volonté, le Prophète continue : « Inclinez mon cœur vers vos préceptes, et non vers l’avarice gu ». Qu’est-ce à dire, avoir le cœur incliné vers un objet, sinon le vouloir ? Il a donc voulu déjà, et il demande de vouloir encore. Il a voulu, quand il a dit : « Conduisez-moi dans le sentier de vos commandements, car c’est là que je me plais » ; il demande de vouloir encore, quand il dit : « Inclinez mon cœur vers vos témoignages, et non vers l’avarice ». Ce qu’il demande alors, c’est que sa volonté soit de plus en plus forte. Or, quels sont les témoignages de Dieu, sinon ceux par lesquels il se rend témoignage à lui-même ? C’est avec le témoignage que l’on fait une preuve, et dès lors, c’est par des témoignages que Dieu prouve ses œuvres de justice et ses préceptes ; par ses témoignages qu’il nous persuade ce qu’il lui plaît ; et c’est vers ces témoignages que le Prophète le supplie d’incliner son cœur, et non vers l’avarice. C’est par ces témoignages que Dieu nous amène à lui rendre un culte gratuit, ce que ne permettrait point l’avarice, qui est la racine de tous les maux. Il y a dans le texte grec un mot qui désigne l’avarice en général ou le désir excessif, car pleon signifie en latin plus ou davantage, et exis désigne ce que l’on possède, en latin habere. Ainsi donc, avoir plus a fait pleonexia, que plusieurs interprètes latins ont traduit ici par emolumentum, profit, d’autres par utilitas, avantage, d’autres mieux encore, par avaritia, avarice. L’Apôtre nous dit donc que u l’avarice est la racine de tous les « maux gv ». Mais dans le grec, d’où ces paroles ont été traduites dans notre langue, l’Apôtre ne s’est point servi de pleonexia, que nous lisons dans notre psaume, il a employé celui de philaguria qui désigne l’amour de l’argent. Il faut voir dans cette expression l’espèce pour le genre, et dans l’amour de l’argent, cette convoitise universelle qui est véritablement la racine de tous les maux. Nos premiers parents n’eussent point été séduits et renversés par le serpent, s’ils n’avaient voulu avoir plus qu’ils n’avaient, être plus qu’ils n’étaient. C’est là en effet ce que leur avait promis le serpent : « Vous serez comme des dieux gw », leur avait-il dit. Telle fut donc la pleonexia qui les fit succomber. Voulant avoir plus qu’ils n’avaient, ils perdirent ce qu’ils avaient reçu. Le droit civil nous montre une lueur de cette vérité répandue partout, dans cette clause qui déboute celui qui demande plus que son droit ; c’est-à-dire qui fait perdre même ce que l’on doit à celui qui réclame plus qu’il ne lui est dû. Or, c’est retrancher de nous toute avarice, que rendre à Dieu un culte gratuit. C’est de là que cet ennemi tirait une accusation contre Job, dans le rude combat de l’épreuve, quand il dit « Est-ce gratuitement que Job sert le Seigneur gx ? » Le diable croyait en effet que dans le culte qu’il rendait à Dieu, cet homme juste avait le cœur incliné vers l’avarice, qu’il ne servait Dieu que pour ces grands avantages des biens temporels, dont le Seigneur l’avait comblé, comme le mercenaire qui cherche une semblable récompense mais dans cette épreuve il montra qu’il servait Dieu gratuitement. Si donc notre cœur n’est point enclin à l’avarice, nous ne servons Dieu que pour Dieu, en sorte qu’il est lui-même la récompense de notre culte. Aimons-le en lui-même, aimons-le en nous, aimons-le dans le prochain que nous aimons comme nous-mêmes, soit qu’il possède le Seigneur, soit afin qu’il le possède. Et comme c’est par sa grâce que ce bien nous arrive, le Prophète lui dit : « Inclinez mon cœur vers vos témoignages, et non vers l’avarice ». Remettons la suite à un autre discours.

DOUZIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LA VANITÉ ET L’ENVIE.

Ici-bas nous sommes assujettis à la vanité, et le Psalmiste en veut détourner ses yeux, c’est-à-dire, ou qu’il veut être du nombre de ceux qui en seront délivrés, ou peut-être voudrait-il n’avoir jamais ni la vanité pour but de ses actions, c’est-à-dire la louange qui vient des hommes, ni mène le bien-être de cette vie, autrement il n’y aurait plus de martyrs. Faire cette prière, c’est reconnaître le besoin de a grâce ; aussi le Prophète veut-il être affermi dans la crainte qui sanctifie.

Éloigner de lui l’opprobre du soupçon signifierait le détourner de soupçonner le mal chez les autres, ce qui est le propre de l’envie ; et dès lors il veut être vivifié dans la justice de Dieu, ou dans la charité qui est le Christ.

1. Dans le psaume que nous avons entrepris d’expliquer, le Prophète continue : « Détournez mes yeux, afin qu’ils ne voient pas la vanité ; vivifiez-moi dans votre voie gy ». Vanité et venté sont fort opposées. L’amour de ce monde est vanité, mais le Christ qui nous délivre de ce monde est vérité. Il est la voie dans laquelle notre Prophète veut être vivifié, parce qu’il est aussi la vie ; il a dit en effet : « Je suis la voie la vérité et la vie gz ». Mais qu’est-ce à dire : « Détournez mes yeux, afin qu’ils ne voient point la vanité ? » Est-ce que l’on peut dérober à nos yeux la vanité pendant notre séjour sur la terre ? « Toute créature, en effet, est soumise à la vanité ha » ; ce que l’on entend de la vanité qui est dans l’homme ; et encore : « Tout est vanité : quel est pour l’homme le profit du labeur qu’il s’impose sous le soleil hb ? » Le Prophète voudrait-il demander à Dieu que sa vie ne soit point sous le soleil, où but est vanité, mais eu celui dans lequel il veut être vivifié ? Car celui-là s’est élevé non seulement au-dessus du soleil, mais « par-dessus tous les cieux, afin de remplir toutes choses hc ». Et c’est plus en lui que sous le soleil que vivent ceux qui n’écoutent pas en vain cette parole de saint Paul : « Cherchez ce qui est en haut, où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu ; n’ayez du goût que pour les choses d’en haut, et non pour celles d’ici-bas, car vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ hd ». Et dès lors, si notre vie est où est aussi la vérité, elle n’est point sous le soleil, où est la vanité. Mais nous ne possédons un si grand bien que par l’espérance, et non en réalité. Et l’Apôtre n’a tenu ce langage que selon l’espérance ; car, après avoir dit de la créature qu’elle est assujettie à la vanité, il ajoute que c’est contre son gré, et à cause de celui qui l’y a soumise dans l’espérance. C’est donc dans l’espérance de demeurer un jour fixés à la contemplation de la vérité, que nous sommes en attendant soumis aux choses vaines. Car la créature spirituelle, et animale et corporelle, se trouve dans l’homme, ou plutôt est l’homme lui-même. Elle a péché de son plein gré, et dès lors est devenue ennemie de la vérité ; et son juste châtiment est d’être assujettie à la vanité contre son gré. Enfin l’Apôtre ajoute un peu plus loin : « Non seulement ces créatures, mais nous aussi, qui possédons les prémices de l’Esprit he », c’est-à-dire nous qui sommes soumis à Dieu, et non à la vanité, non pas assurément dans tout ce que nous sommes, mais dans la supériorité que nous avons sur les animaux, ou par les prémices de l’esprit : « Nous gémissons en nous-mêmes dans l’attente de l’adoption qui sera la délivrance de notre corps. Nous sommes sauvés en effet, mais par l’espérance ; car l’espérance que l’on voit n’est plus une espérance ; comment espérer ce qu’on voit déjà ? Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par la patience ». Aussi longtemps que nous sommes dans un corps dont nous espérons avec patience être délivrés par l’adoption divine, nous sommes assujettis à la vanité, en ce qu’il y a de nous sous le soleil. Comment donc serions-nous en état de ne point voir la vanité, à laquelle nous sommes assujettis en espérance ? Pourquoi dès lors le Prophète nous dit-il : « Détournez mes yeux, afin qu’ils ne voient point la vanité ? » Voudrait-il demander, non point que s’accomplisse en cette vie ce qui est l’objet de notre espérance, mais qu’il soit au nombre de ceux en qui cette espérance pourra s’accomplir aussitôt qu’« ils seront délivrés de la corruption » dans l’esprit, dans l’âme et dans le corps, pour être admis à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu, où ils ne verront plus la vanité ?

2. On peut entendre ainsi ces paroles et demeurer dans les règles de la foi : mais il est un antre sens qui, je l’avoue, me sourit davantage. Le Seigneur dit dans l’Évangile : « Si votre œil est pur, tout votre corps sera lumineux ; mais si votre œil est mauvais, tout votre corps sera ténébreux. Si donc la lumière qui est en vous est ténèbres, combien grandes seront les ténèbres elles-mêmes hf ? » Dès lors ce qui devient très important dans nos actions, c’est le motif qui nous fait agir. Car une action ne doit pas être pesée par l’action elle-même, mais par l’intention ; c’est-à-dire qu’il ne faut pas considérer si elle est bonne en elle-même seulement, mais surtout si elle est bonne dans l’intention qui nous fait agir. Or, ces yeux par lesquels nous examinons ce qui nous fait agir, le Prophète demande à Dieu de les détourner afin qu’ils ne voient point la vanité ; c’est-à-dire, afin qu’il ne se propose point la vanité, quand il fait une bonne action. Or, ce qui vient au premier rang dans cette vanité, c’est l’amour des louanges humaines, qui a été le mobile de tant de grandes actions dans ceux à qui le monde a décerné le nom de grands, et que les villes païennes ont comblés de tant de louanges. Ils cherchaient, non la gloire qui vient de Dieu, mais celle qui vient des hommes ; et pour cette gloire ils vivaient dans une sorte de prudence, de courage, de tempérance, de justice ; obtenir cette gloire, c’était obtenir leur récompense, vain salaire d’une vaine ambition. C’est d’une telle vanité que le Seigneur veut détourner nos yeux, quand il nous dit : « Gardez-vous de te faire votre justice devant les hommes, afin qu’ils vous voient ; autrement vous n’aurez pas de récompense de votre Père qui est dans les cieux hg ». Puis énumérant quelques parties de cette justice, comme l’aumône, la prière, le jeûne, il avertit de ne faire aucune de ces œuvres en vue d’une gloire humaine, et partout il dit que ceux qui agissent de la sorte, ont reçu leur récompense, non point cette récompense éternelle que nous réserve notre Père avec les saints, mais cette récompense temporelle qu’ils recherchent en se proposant la vanité dans les œuvres qu’ils accomplissent. Sans doute il ne faut pas incriminer la louange humaine (qu’y a-t-il en effet de plus désirable parmi les hommes que l’agrément dans ce qu’ils doivent imiter ?) mais agir en vue de cette louange, c’est envisager la vanité dans ses actions, Quelque louange que l’homme de bien reçoive de la part des hommes, elle ne doit pas être la fin de ses bonnes œuvres, mais il doit la reporter à Dieu pour qui seul le véritable juste fait le bien, car il ne le fait point de lui-même, mais par le secours de Dieu. Aussi le Sauveur avait-il déjà dit dans le même discours : « Que votre lumière brille aux yeux des hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux hh ». C’est là qu’il nous donne comme fin la gloire de Dieu, que nous devons toujours nous proposer, quand nous faisons une bonne œuvre, si nos yeux se détournent de la vanité. Dans nos bonnes œuvres dès lors, ne nous proposons jamais les louanges des hommes, redressons au contraire ces louanges, et rapportons-les à la gloire de Dieu, qui nous donne ce que l’on peut louer en nous sans erreur. Or, s’il y a vanité à faire le bien pour en être loué par les hommes, combien sera-t-il plus frivole encore de le faire pour acquérir, pour grossir, pour retenir des trésors ou tout autre bien temporel qui nous vient de l’extérieur ? Car « tout est vanité, et quel avantage revient à l’homme de tout ce labeur qu’il s’impose sous le soleil hi ? » Nous ne devons pas même faire nos bonnes œuvres pour la santé de cette vie, mais bien plutôt pour le salut éternel, où nous jouirons d’un bien immuable, qui nous viendra de Dieu, ou mieux qui sera Dieu lui-même. Si, en effet les saints n’eussent eu dans leurs bonnes œuvres d’autre but que la santé de cette vie, jamais les martyrs n’eussent perdu cette vie pour l’œuvre glorieuse de confesser le Christ. Mais ils ont reçu le secours au milieu de la tribulation, ils n’ont point envisagé la vanité, car le salut qui vient des hommes n’est que vanité hj ; ils n’ont point désiré les jours de l’homme hk, parce que l’homme est assimilé à la vanité, et que ses jours passent comme l’ombre hl.

3. Mais demander à Dieu ce qui paraît en notre pouvoir, c’est-à-dire qu’il nous donne de détourner nos yeux de la vanité, n’est-ce pas proclamer le besoin de sa grâce ? Plusieurs en effet n’ont pas détourné leurs yeux de celte vanité, ils ont cru par eux-mêmes devenir justes et bons, et ils ont préféré la gloire des hommes à celle de Dieu hm : car ils sont hommes aussi, et ont mis en eux-mêmes leur complaisance, et ont trop présumé des forces de leur libre arbitre. Mais là encore il y a vanité et présomption d’esprit hn. Aussi, après avoir dit : « Détournez mes yeux de peur qu’ils ne voient la vanité ; donnez-moi la vie dans votre voie ho » ; comme cette voie n’est pas la vanité, mais la vérité, le Prophète ajoute : « Affermissez votre parole dans votre serviteur, afin qu’il vous craigne hp ». Qu’est-ce dire autre chose que, donnez-moi d’accomplir ce que vous ordonnez ? Car cette parole n’est pas affermie dans ceux qui l’ébranlent en eux-mêmes en faisant ce qui lui est contraire ; mais être affermie chez un homme, c’est y être immobile. Dieu donc a affermi sa parole dans la crainte, chez tous ceux à qui il domine l’esprit de crainte. Or, telle n’est pas la crainte qui a fait dire à l’Apôtre : « Vous n’avez point reçu l’Esprit de servitude pour agir encore par la crainte hq » ; puisque cette crainte est bannie par la charité hr ; mais la crainte dont il est ici question est celle que le Prophète appelle Esprit de crainte de Dieu hs ; crainte qui est chaste, qui demeure dans le siècle des siècles ht, crainte qui n’ose déplaire à celui qu’on aime. Autre est en effet la crainte que l’Époux inspire à l’Épouse adultère, autre celle de l’Épouse chaste ; l’une craint qu’il ne vienne, l’autre qu’il ne s’éloigne.

4. « Éloignez de moi l’opprobre que je soupçonne, parce que vos jugements sont pleins de douceur hu ». Qui donc a des soupçons au sujet de son opprobre, et qui ne le connaît pas plus parfaitement que l’opprobre d’aucun autre ? On peut avoir des soupçons quand il s’agit des autres, mais non quand il s’agit de soi-même ; car soupçonner c’est encore ignorer. Or, on ne soupçonne point son opprobre, on en a une science certaine, puisque la conscience parle. Que signifie donc cette parole : « Mon opprobre que je soupçonne ? » C’est dans les versets précédents que nous en pourrons découvrir le sens. Tant qu’un homme ne détourne point ses yeux pour qu’ils ne voient pas la vanité, il soupçonne chez les autres ce qu’il sent en lui-même ; et il croit facilement que dans le culte qu’il rend à Dieu, dans les bonnes œuvres qu’il fait, tel autre a le même but qu’il se propose lui-même. Les hommes en effet peuvent voir nos actions ; mais le dessein qui nous fait agir est caché : de là le soupçon, et chez un homme l’audace de juger des secrets des autres, d’en juger souvent à faux, et toujours témérairement, quand même le soupçon toucherait à la vérité. C’est pourquoi le Seigneur, en parlant de l’intention qui doit nous faire agir dans nos bonnes œuvres, et voulant détourner nos yeux de la vanité, nous avertit de ne pas faire le bien à cause des louanges des hommes, en disant : « Gardez-vous de faire votre justice devant les hommes afin d’en être vus hv ». Il nous avertit aussi de ne les point faire par le désir de l’argent, en disant : « Ne vous amassez point des trésors sur la terre hw » ; et encore « Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent hx ». Il nous détourne encore d’agir en vue de la nourriture et du vêtement, en disant : « Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez hy ». Après nous avoir donné tous ces avis, comme nous pouvons soupçonner de pareilles intentions chez ceux dont nous voyons les œuvres de justice sans voir leurs desseins, le Sauveur ajoute : « Ne jugez point, de peur d’être jugés hz ». C’est pourquoi, après avoir dit : « Éloignez de moi l’opprobre que je soupçonne », le Prophète ajoute : « Parce que vos jugements sont pleins de douceur » ; c’est-à-dire, parce que vos jugements sont vrais. Quiconque aime la vérité, proclame la douceur de ce qui est vrai. Quant aux jugements des hommes sur les secrets des cœurs, ils ne sont point doux à cause de leur témérité. Il appelle donc son opprobre celui qu’il soupçonne dans les autres ; car l’Apôtre l’a dit : « En se comparant eux-mêmes à eux-mêmes ia », ils se jettent dans l’erreur, et l’homme en effet soupçonne facilement chez les autres ce qu’il sent en lui. C’est pourquoi le Prophète supplie le Seigneur d’éloigner de lui cet opprobre qu’il sentait en lui-même et qu’il soupçonnait chez les autres, afin de ne point ressembler au diable qui avait soupçonné les motifs cachés du saint homme Job. Il ne croyait point que Job servît Dieu gratuitement, et demanda le pouvoir de le tenter, afin de trouver en lui la faute qu’il lui reprochait ib.

5. Mais, il n’y a que l’envie qui soupçonne le mal chez les autres ; dans son impuissance à dénigrer une bonne action, car ce qui est extérieur s’affirme de soi-même, elle s’en prend à l’intention qui est secrète, et ne s’affirme point ; quiconque dès lors peut la soupçonner mauvaise, parce qu’il ne voit pas ce qui se dérobe, et qu’il porte envie à ce qui est évident. À cette inclination perverse, qui nous porte à soupçonner chez les autres un mal que nous ne voyons point, il faut opposer la charité qui n’est point jalouse ic, et que le Seigneur nous recommande si particulièrement quand il dit : « Je vous donne un commandement nouveau, c’est de vous aimer les uns les autres id » ; et encore : « Tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres ». Et au sujet de l’amour de Dieu et du prochain, « toute la loi », nous dit-il, « est renfermée dans ces deux commandements, ainsi que les Prophètes ie ». Aussi le Prophète, contrairement à ce soupçon, dont il veut être délivré, dit-il à Dieu : « Voilà que j’ai désiré vos commandements, vivifiez-moi dans votre justice if ». Voilà que j’ai désiré de vous aimer de tout mon cœur, de toute mon âme, de tout mon esprit, et mon prochain comme moi-même ; « vivifiez-moi dans votre justice », et non dans la mienne, ou plutôt comblez-moi de celte charité que j’ai désirée. Soutenez-moi dans l’accomplissement de ce que vous recommandez, donnez-moi vous-même ce que vous m’ordonnez. « Vivifiez-moi dans votre justice » ; car j’ai en moi de quoi mourir, mais ce n’est qu’en vous que je trouve de quoi vivre. « Votre justice, c’est le Christ qui nous a été donné par Dieu comme notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption ; afin que, selon qu’il est écrit, celui qui se glorifie ne se glorifie que dans le Seigneur ig ». C’est en lui que je trouve votre loi que je désire, afin que vous me donniez la vie dans votre justice, ou plutôt en lui-même. Car c’est lui qui est le Verbe Dieu, et le Verbe s’est fait chair, afin d’être aussi mon prochain ih.

TREIZIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LA VIE DANS LE CHRIST.

Le Prophète supplie le Seigneur de le vivifier dans la justice ou dans le Christ, et c’est là un acte de miséricorde et de salut envers les enfants de la promesse. Alors il répondra une parole à ceux qui lui reprochent une parole. Cette parole, c’est le Christ, que nous reprochent ceux que la croix scandalise ; c’est le Christ encore, que répondent les martyrs, et ceux qui après une chute Sont revenus à lui comme Pierre : cette parole n’a donc pas été pour jamais ôtée de leur bouche. C’est alors que le Prophète gardera la loi de Dieu en cette vie et en l’autre.

1. Au sermon d’hier il faut joindre celui-ci sur les versets suivants du plus long des psaumes. Voici ces versets : « Et que votre miséricorde, ô mon Dieu, vienne sur moi ii ». Ces paroles semblent se rapporter aux précédentes ; car le Prophète ne dit point : « Que votre miséricorde vienne sur moi » ; mais : « Et que votre miséricorde ». Or, voici les paroles qui précèdent : « Voilà que j’ai désiré vos commandements ; vivifiez-moi dans votre justice ». Puis il continue : « Et que votre miséricorde, ô mon Dieu, descende sur moi ». Que demande le Prophète, sinon d’accomplir par la divine miséricorde les préceptes qu’il a désirés ? Il explique en quelque sorte le sens de ces paroles : « Vivifiez-moi dans votre justice », quand il ajoute : « Et que votre miséricorde, ô mon Dieu, descende sur moi, ainsi que votre salut selon votre parole » ; c’est-à-dire, selon votre promesse. De là vient que saint Paul veut que nous nous regardions comme les fils de la promesse ij, afin que nous rapportions tout ce que nous sommes à la grâce de Dieu, sans nous en rien attribuer à nous-mêmes. « Car le Christ nous a été donné par Dieu, comme notre sagesse, notre justice et notre sanctification, notre rédemption, afin que, selon qu’il est écrit, celui qui se glorifie, ne se glorifie que dans le Seigneur ik ». Quand donc le Prophète nous dit : « Vivifiez-moi dans votre justice », il demande la vie dans le Christ, et telle est la miséricorde qu’il supplie Dieu de faire descendre sur lui. C’est aussi le Christ qui est le « salut de Dieu » ; et ce mot nous fait voir quelle miséricorde voulait appeler sur lui le Prophète, quand il disait ; « Et que votre miséricorde, ô mon Dieu, descende sur moi ». Si nous voulons savoir quelle est cette miséricorde, écoutons ce qui suit « Votre salut, selon votre parole u. Voilà ce qui nous est promis par Celui qui appelle ce qui n’est point encore, comme s’il était déjà il ». Il n’y avait personne encore à qui il pût faire des promesses, afin que nul ne se glorifiât de ses mérites. Et ceux à qui la promesse a été faite ont été promis eux-mêmes, afin que tout le corps du Christ pût dire : « Par la grâce de Dieu, je suis ce que je suis im ».

2. « Et je répondrai », dit le Prophète, « à ceux qui me reprochent une parole in ». On ne sait s’ils me reprochent une parole, ou si je répondrai une parole ; mais l’un et l’autre nous désignent le Christ. C’est lui que nous reprochent ceux pour qui la croix est un scandale ou une folie io ; qui ne savent point que le Verbe s’est fait chair et a demeuré parmi nous, et que ce Verbe était au commencement en Dieu, était Dieu ip. Mais, quand même ils ne nous reprocheraient point ce Verbe qu’ils ignorent, puisqu’ils n’en reconnaissent point la divinité, eux qui ont méprisé sa faiblesse à la croix, nous leur répondons néanmoins ce Verbe, notas disons que leurs reproches ne nous inspirent ni frayeur, ni confusion. « S’ils eussent en effet con nu le Verbe, « ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire iq ». Mais pour répondre le Verbe à ceux qui nous font des reproches, il faut que la divine miséricorde soit descendue sur nous, que son salut soit venu pour nous protéger, et non pour nous briser. Car il viendra, pour les briser, sur quelques-uns qui méprisent maintenant son humilité, et qui seront broyés en se heurtant contre lui. Voici ce qu’il dit dans l’Évangile : « Quiconque heurtera cette pierre s’y brisera, elle écrasera celui sur qui elle tombera ir ». Nous reprocher le Christ, c’est donc le heurter et s’y briser. Pour nous, mes frères, loin de nous heurter et de nous briser contre lui, loin de craindre leurs injures, répondons-leur une parole, « parole de la foi que nous prêchons. Car si tu crois en ton cœur que le Christ est le Seigneur, et si tu confesses de bouche que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, tu seras sauvé. Car on croit de cœur pour être juste, et l’on confesse de bouche pour être sauvé is ». C’est donc peu d’avoir le Christ dans son cœur, et de ne point le confesser par crainte des injures ; mais à ceux qui nous le rejettent comme un opprobre, il faut répondre hautement le Verbe. Afin que les martyrs pussent le faire, voici ce qui leur fut promis : « Ce n’est point vous qui parlez, mais l’Esprit de votre Père qui parle en vous it ». Aussi, après avoir dit : « Je répondrai une parole à ceux qui m’injurient », le Prophète a-t-il ajouté : « Parce que j’ai espéré en vos paroles » ; c’est-à-dire, en vos promesses.

3. Mais comme plusieurs, tout initiés qu’ils étaient au corps du Christ, qui parle ici, accablés sous le poids des persécutions, n’ont pu supporter ces opprobres, et sont tombés en reniant le Christ, le Prophète continue : « N’ôtez pas à jamais de ma bouche la parole de vérité iu ». N’ôtez pas de ma bouche, est-il dit, car c’est l’unité de tout le corps qui parle, et l’on compte parmi ses membres ceux qui ont failli, renégats d’un instant, mais sont ressuscités par la pénitence, ou bien ont regagné, par une confession nouvelle, cette palme du martyre qu’ils avaient d’abord perdue. Ainsi ce ne fut pas « à jamais », usque valde, ou « pour toujours », usquequaque, comme on trouve en certains manuscrits, c’est-à-dire d’une manière absolue, que la parole fut retirée à saint Pierre, alors type de l’Église. Bien que troublé par la crainte il ait un moment renié son Dieu, il se releva par ses larmes iv, et mérita par une glorieuse confession la couronne glorieuse. C’est donc tout le corps de Jésus-Christ, l’Église entière, qui parle ici ; et dans ce corps entier, la parole n’a pas été ôtée à jamais de sa bouche, soit parce que devant l’apostasie d’un grand nombre d’autres demeuraient forts, et combattaient jusqu’à la mort pour la vérité, soit parce que dans ces renégats beaucoup se relevaient. Quand nous entendons dire à Dieu : « N’ôtez pas », il nous faut comprendre : Ne souffrez pas que l’on m’ôte ; dans le même sens que nous disons dans notre prière : « Ne nous induisez pas en tentation iw ». Le Seigneur lui-même dit à Pierre : « J’ai prié pour toi, afin que ta foi ne vienne point à défaillir ix » ; c’est-à-dire, afin que la parole de vérité ne fasse point défaut dans ta bouche « pour toujours ». « Parce que j’ai espéré dans vos jugements », dit le Prophète ; ou comme il y a plus expressément dans le grec, « j’ai surespéré
Grec, epelpisa.
 » ; expression moins usitée, mais qui répond à la nécessité d’interpréter la vérité. Il nous faut donc examiner avec attention le sens de ces paroles, afin de comprendre avec le secours de Dieu ce que signifie : « J’ai espéré dans vos paroles, j’ai surespéré dans vos jugements ». « Je répondrai », dit le Prophète, « je répondrai à mes insulteurs une parole, parce que j’ai espéré en vos paroles » ; c’est-à-dire, parce que vous m’avez fait cette promesse : « Et n’ôtez pas à jamais de ma bouche la parole de la vérité, parce que j’ai surespéré dans vos jugements » ; c’est-à-dire, parce que ces jugements que vous exercez en me redressant et en me châtiant, non seulement ne m’ôtent point l’espérance, mais l’affermissent en moi ; car le Seigneur corrige celui qu’il aime, et il flagelle celui qu’il reçoit parmi ses enfants. Or, voilà que les saints, les humbles de cœur, en mettant leur espoir en vous, n’ont point failli dans les persécutions : ceux mêmes qui sont tombés en s’appuyant sur eux-mêmes, et qui néanmoins appartiennent à votre corps, ont pleuré en reconnaissant leur misère, et ont retrouvé une grâce d’autant plus ferme qu’ils ont déposé leur orgueil. Donc u n’ôtez pas à jamais « de ma bouche votre parole, parce que vos jugements sont toute mon espérance ».

4. « Et je garderai toujours votre loi ». C’est-à-dire, si vous n’ôtez pas de ma bouche la parole de la vérité, « je garderai votre loi, toujours, et dans les siècles des siècles ». Le Prophète nous donne ici la signification de « toujours ». Souvent, en effet, « toujours » signifie pendant la vie d’ici-bas ; mais alors ce n’est point « dans le siècle et dans les siècles des siècles » ; toutefois la traduction vaut mieux que celle de certains exemplaires qui portent : « Dans l’éternité, et dans les siècles des siècles », parce qu’ils n’ont pu dire : « Et dans l’éternité de l’éternité ». Il faut donc entendre par la loi, celle dont l’Apôtre a dit : « L’amour est la plénitude de la loi iz ». Telle est la loi que garderont les saints dont la bouche ne cessera de dire la vérité, c’est-à-dire l’Église du Christ qui la gardera non seulement dans le siècle, c’est-à-dire pendant la durée du monde, mais encore dans l’autre vie, que l’on appelle ici le « siècle du siècle ». Là, en effet, nous n’aurons point à garder les préceptes de la loi, comme ici-bas, mais la plénitude de la loi, que nous garderons sans craindre de l’offenser, parce que nous aimerons Dieu plus parfaitement quand nous le verrons, ainsi que notre prochain, puisque Dieu sera tout en tous ja, et que nous n’aurons aucune occasion de soupçonner faussement le prochain, parce que nul ne sera inconnu aux autres.

QUATORZIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LES EFFETS DE LA GRÂCE.

Après avoir prié, le Prophète raconte le bien qu’il a fait, comme pour nous dite qu’il a été exaucé. Il a marché dans la voie large par la charité, parce qu’il s’appliquait à suivre les préceptes du Seigneur avec le secours de la prière, et cette prière est avivée par l’Esprit-Saint qui demeure en nous. Ensuite il a publié sans rougir les témoignages du Seigneur, comme les martyrs, parce qu’il méditait les préceptes elle pratiquait.

1. Les versets précédents de ce long psaume contenaient une prière ; ceux que nous avons à traiter maintenant sont une narration. L’homme de Dieu implorait en effet le secours de la grâce, quand il disait : « Vivifiez-moi dans votre justice, et que votre miséricorde, ô mon Dieu, descende sur moi » ; ainsi des autres versets qui précèdent ou qui suivent. Maintenant il s’écrie : « Et je marchais dans la voie spacieuse, parce que j’ai cherché vos commandements. J’annonçais vos témoignages en présence des rois, sans en rougir. Je méditais vos préceptes qui font mes délices. Et j’ai levé mes mains vers vos commandements, objet de mon amour, et je m’exerçais dans les œuvres de votre justice jb ». Ce langage est d’un homme qui raconte, et non d’un homme qui prie ; il a, ce semble, obtenu de Dieu ce qu’il demandait, et reconnaît en louant Dieu ce qu’a fait de lui cette miséricorde, qu’il appelait sur lui-même. Il ne cherche pas à relier ces paroles à ce qui précède, et ne dit pas : Et n’ôtez point à ma bouche votre parole à jamais, parce que j’ai espéré en vos jugements, et je garderai toujours votre loi dans le siècle, et dans le siècle des siècles, et je marcherai dans la voie spacieuse, parce que j’ai recherché vos commandements. Et je parlerai de vos témoignages en présence des rois, sans en rougir ; et ainsi de suite : alors on eût compris qu’il rattachait ce qui suit à ce qui précède ; mais il dit : « Et je marchais dans la voie spacieuse », phrase inconséquente, puisque la particule copulative : « Et » ne lie absolument rien ; car il ne dit pas : « Et je marcherai », comme il disait : « Et je garderai toujours votre loi ». Ou bien, s’il est dit au mode optatif : Custodiam, « Que je garde votre loi » ; il n’est pas dit : Que je marche dans la voie large, comme si le Prophète eût fait un souhait et une prière. Mais il dit : Ambulabam, « je marchais dans la voie large » ; et si l’on ne voyait ici une conjonction, si la phrase sans se rattacher à ce qui précède eût été absolue : Je marchais dans la voie large ; rien d’extraordinaire n’eût forcé le lecteur à voir ou à chercher ici un sens caché. Il nous laisse donc à entendre ce qu’il n’a pas dit, c’est-à-dire qu’il a été exaucé : et il nous montre l’état où nous a mis la grâce de Dieu, comme s’il disait : Quand je faisais cette prière, vous m’avez exaucé : « Et je marchais dans la voie spacieuse », et le reste que nous lisons ensuite.

2. Que signifie donc : « Et je marchais dans la voie large », sinon je marchais dans la charité, « qui a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné jc ? » C’est dans cette voie large que marchait celui qui disait : « O Corinthiens, ma bouche vous est ouverte, et mou cœur se dilate jd ». Or, cette charité est renfermée complètement dans les deux préceptes de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain, qui renferment à leur tour la loi et les Prophètes je. Aussi, après avoir dit : « Et je marchais dans la voie large, le Prophète nous en donne-t-il la raison : « C’est », dit-il, « parce que j’ai cherché vos préceptes ». Dans plusieurs exemplaires, on voit, non point, « vos préceptes, mais, vos témoignages » : plus souvent, néanmoins, nous avons lu, « vos préceptes » surtout chez les Grecs, et qui ferait difficulté de s’en tenir à cette traduction d’où est venu le texte latin ? Si donc nous voulons savoir comment le Prophète a cherché ces commandements, ou comment il faut les chercher, écoutons ce que nous dit le divin maître, qui nous enseigne et nous domine ce que nous devons demander : « Demandez et vous recevrez ; cherchez et vous trouverez ; frappez et l’on vous ouvrira ». Et un peu après : « Si donc vous qui êtes méchants, savez donner ce qui est bon à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il ce qui est bon à ceux qui le lui demandent jf ? » Par là il nous montre évidemment que ces paroles : « Demandez, cherchez, frappez », ne sont qu’une recommandation de prier avec instance. Mais un autre Évangéliste ne dit point : « Il donnera des biens à ceux qui les lui demandent », ce qui peut avoir plusieurs sens et se rapporter aux biens corporels, ou aux biens spirituels ; mais il retranche tout le reste et nous montre d’une manière précise ce que le Seigneur veut que nous demandions avec ardeur et avec instance : « A combien plus forte raison », dit-il, « votre Père du ciel donnera-t-il l’Esprit à ceux qui l’invoqueront jg ? » C’est ce même Esprit qui répand la charité dans nos cœurs, afin que nous accomplissions les commandements par l’amour de Dieu et du prochain. C’est par ce même Esprit que nous crions : Père, Père jh. C’est lui dès lors qui nous fait demander ce que nous voulons recevoir, qui nous fait chercher ce que nous désirons trouver, qui nous fait frapper où nous essayons d’arriver. Voilà ce qu’enseigne l’Apôtre qui, après nous avoir dit que le Saint-Esprit nous fait crier : Père, Père, ajoute dans un autre endroit : « Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie : Abba, mon Père ji ». Comment est-ce nous qui crions, si lui-même crie en nous, sinon parce qu’il nous fait crier, quand il commence d’habiter en nous ? li le fait encore dès qu’il est en nous, afin qu’en demandant, en cherchant, en frappant, on le demande, et on le reçoive plus abondamment. Soit en effet que l’on demande à Dieu une vie sainte, soit que l’on vive déjà saintement, tous ceux qui sont dirigés par l’Esprit de Dieu sont enfants de Dieu jj. Donc : « Je marchais », dit le Prophète, « dans la voie large, parce que j’ai cherché vos préceptes ». Il avait cherché et il avait trouvé, parce qu’il avait demandé et reçu l’Esprit-Saint, par lequel, devenu bon lui-même, il avait fait des bonnes œuvres, par la foi qui opère par la charité jk.

3. « Et je parlais de vos témoignages en présence des rois, sans en rougir » ; non plus que celui qui avait demandé et obtenu la faveur de répondre à ceux qui lui reprocheraient le Verbe, et à la bouche duquel ne devait pas être dérobé le Verbe de la vérité. Il combat donc pour elle jusqu’à la mort et ne rougit point de la proclamer en présence des rois. Ces témoignages, en effet, qu’il nous dit avoir proclamés, s’appellent en grec « martyres », expression que nous avons adoptée en latin ; et de là vient que nous avons appelé martyrs ceux à qui Jésus a prédit qu’ils le confesseraient en présence des rois jl.

4. « Et je méditais », dit le Prophète, « vos commandements qui font mes délices. Et j’ai levé les mains vers vos préceptes, objet de mon amour jm ». D’autres ont traduit dilexi valde, que j’ai aimés beaucoup, d’autres nimis, « à l’excès », d’autres encore vehementer, « avec violence », cherchant à rendre ainsi le grec sphodra. Il aimait donc les commandements de Dieu, dès lors qu’il marchait dans la voie large, par ce même Esprit-Saint qui a répandu dans nos cœurs la charité, et qui dilate les cœurs des fidèles jn. Or, il les a aimés en les méditant et en les pratiquant. Quant à la méditation, il nous dit : « Je réfléchissais à vos œuvres » ; et quant à la pratique : « Je levais les mains vers vos préceptes ». Et à chacun de ces versets, il ajoute : quae dilexi, « que j’ai aimés ». « Or, la fin de tout précepte, c’est la charité émanant d’un cœur jo ». Quand c’est dans cette fin, c’est-à-dire d’après cette considération que l’on accomplit les préceptes de Dieu, alors l’œuvre est bonne, et on élève les mains, parce que c’est vers Dieu qu’on les élève. Aussi l’Apôtre voulant parler de la charité, nous dit-il : « Je vous indique une voie bien supérieure jp » ; et ailleurs, « afin », dit-il, « de connaître l’amour de Jésus-Christ envers nous, lequel surpasse toute connaissance ». Car accomplir les commandements de Dieu en vue d’un bonheur terrestre, c’est abaisser les mains plutôt que les élever ; puisque c’est rechercher par une semblable intention, non plus les récompenses d’en haut, mais celles d’ici-bas. À la méditation et à l’accomplissement des préceptes appartient ce qui suit : « Et je m’exerçais dans vos œuvres de justice jq » : ce que plusieurs ont traduit ainsi de préférence à laetabar, « je me réjouissais », ou à garriebam, « je m’entretenais », comme l’ont fait plusieurs à cause du grec edolesxoun. Celui en effet qui aime les commandements de Dieu, et qui fait ses délices de les méditer et de les pratiquer, s’exerce dans ces commandements avec joie, en parle avec plaisir.

QUINZIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LES EFFETS DE LA GRÂCE.

Le Prophète supplie Dieu de se souvenir de sa promesse, non que le Seigneur oublie, mais parce que lui-même désire ardemment ce qu’il demande Cette parole d’espérance l’a consolé dans les épreuves de l’humiliation, l’en a fait triompher en lui donnant la vie du bien, en le soutenant contre l’apostasie dans la persécution. Celui qui est ainsi consolé, c’est l’homme tombé du paradis et relevé par la promesse du Rédempteur. Depuis le commencement il a pu se soutenir par la méditation des Jugements de Dieu, par sa miséricorde ; et dans la nuit du péché, il s’est souvenu de Dieu, ce qui l’a fortifié contre les assauts du démon.

1. Considérons, avec le secours de Dieu, et expliquons ces versets de notre psaume « Souvenez-vous de votre parole à votre serviteur, et qui m’a donné l’espérance. Cette espérance m’a consolé dans mon humilité, car votre parole m’a donné la vie jr ». Est-ce que l’oubli est aussi chez Dieu, comme chez les hommes ? Pourquoi donc le Prophète lui dit-il : « Souvenez-vous ? » Il est vrai qu’en d’autres endroits de l’Écriture on retrouve cette même expression : « Pourquoi m’avez-vous oublié js ? » et : « Pourquoi oublier notre misère jt ? » et Dieu lui-même nous dit par son Prophète : « J’oublierai toutes ses iniquités ju » et beaucoup d’autres exemples semblables. Mais ces paroles ne doivent point s’entendre de Dieu comme on les entend des hommes. De même en effet qu’on dit de Dieu qu’il se repent, quand contrairement à l’espérance des hommes, il change le cours des choses, sans néanmoins changer son dessein, puisque le dessein du Seigneur demeure éternellement jv ; ainsi on dit qu’il oublie, quand il semble différer son secours, ou l’effet de sa promesse, ou ne peut châtier les pécheurs comme ils le méritent, ou toute autre chose semblable ; comme si ce que l’on espère, ou que l’on redoute, avait échappé à sa mémoire parce qu’on n’en voit pas l’accomplissement. C’est une manière morale de se mettre au niveau des hommes, quoique Dieu agisse de la sorte, avec une disposition fixe, sans aucun défaut de mémoire, sans obscurcissement d’intelligence, sans changement de volonté, Dès lors, dire au Seigneur : « Souvenez-vous », c’est montrer, c’est stimuler un désir dans celui qui réclame l’effet de la promesse, mais non rappeler au Seigneur ce qu’il aurait oublié. « Souvenez-vous », dit le Prophète, « de votre parole à votre serviteur » ; c’est-à-dire, accomplissez ce que vous avez promis à votre serviteur ; c’est-à-dire encore, cette parole qui contenait une promesse et qui m’a fait espérer.

2. « C’est elle qui m’a consolé dans mon humilité jw » : elle, c’est-à-dire cette espérance qui a été donnée aux humbles, comme le dit l’Écriture : « Dieu résiste aux superbes, et donne la grâce aux humbles jx ». De là cette maxime sortie de la bouche du Sauveur lui-même : « Quiconque s’élève sera abaissé ; quiconque s’abaisse sera élevé jy ». Et par cet abaissement nous n’entendons pas cette humilité de quiconque avoue ses péchés et ne s’arroge point la justice ; mais celle d’un homme qui est tombé dans la tribulation ou dans quelque mépris dont Dieu a voulu châtier son orgueil, ou exercer sa patience et la mettre à l’épreuve Aussi le Psalmiste nous dit-il un peu plus loin : « Avant d’être humilié, j’ai commis le péché ». Et encore au livre de la Sagesse : « Demeure en paix dans la douleur ; et au temps de l’humiliation, garde la patience ; car l’or et l’argent s’épurent par la flamme, mais les hommes que Dieu accepte passent par le feu jz ». En disant que Dieu accepte ces hommes, il nous donne cette espérance qui console dans l’humilité. Et quand le Seigneur Jésus prédisait aux disciples que ces humiliations leur viendraient de la part des persécuteurs, il ne les abandonna point sans espérance, mais il leur donna celle-ci qui doit les consoler : « Vous posséderez vos âmes par votre patience ka ». Quant à votre corps que vos ennemis peuvent tuer, et en quelque sorte anéantir, un cheveu de votre tête ne périra point kb », nous dit-il. Telle est l’espérance donnée au corps du Christ, ou à l’Église, pour la consoler dans son humilité. C’est à propos de cette espérance que l’apôtre saint Paul nous dit : « Si nous ne voyons pas ce que nous espérons, nous l’attendons par la patience kc ». Mais cette espérance regarde les biens éternels. Or, il y a une autre espérance très propre à nous consoler dans l’abaissement de la tribulation, et qui a été donnée aux saints dans la parole de Dieu qui leur promet la grâce, de peur qu’ils ne viennent à succomber. C’est de cette espérance que l’Apôtre nous dit : « Dieu est fidèle, et ne permettra point que vous soyez tentés au-dessus de vos forces ; mais il vous fera profiter de la tentation, afin que vous puissiez persévérer kd ». Telle est encore l’espérance que nous donnait la bouche du Sauveur : « Cette nuit Satan a demandé à vous cribler comme le froment, et j’ai prié pour toi, Pierre, afin que la foi ne t’abandonne point ke ». C’est encore cette espérance qu’il nous donne dans la prière qu’il nous a enseignée et où il nous fait dire : « Ne nous induisez pas en tentation kf ». C’était en quelque-sorte promettre aux siens qui seraient en danger ce qu’il veut qu’ils lui demandent. C’est donc de cette espérance qu’il nous est mieux d’entendre cette parole du psaume : « C’est elle qui m’a consolé dans mon humilité, car votre parole m’a donné la vie kg ». D’autres avec plus de fidélité ont traduit, non point Verbum ou « parole », mais Eloquium ou langage. Il y a en effet dans le grec logion ou Eloquium, tandis que c’est logos qui signifie Verbum.

3. Nous lisons ensuite : « Les superbes me provoquaient sans cesse par l’iniquité ; mais je n’ai point abandonné votre loi kh ». Par ces superbes, il veut nous faire entendre les persécuteurs des saints ; c’est pourquoi il ajoute : « Mais je n’ai point abandonné votre loi », car c’était à une telle apostasie que tendait la persécution. C’est avec raison qu’il les accuse d’avoir sans cesse commis l’iniquité ; car, non seulement ils étaient impies, mais ils poussaient les saints à l’impiété. Or, dans cette humilité, ou plutôt dans cette affliction, se trouve la consolation de l’espérance, qui nous a été donnée dans la parole de Dieu, promettant des secours aux martyrs, de peur que leur foi ne vienne à défaillir : on trouve aussi la présence de l’Esprit-Saint qui répare les forces de ceux qui souffrent, afin qu’ils puissent échapper au filet des chasseurs, et dire « Sans la présence du Seigneur parmi nous, ils nous auraient dévorés tout vivants ki ».

4. Quand il dit : « Cette espérance m’a consolé dans mon humiliation », n’entendrait-il point cette humiliation de celle où tomba l’homme, quand il fut condamné à la mort à cause du péché si malencontreusement commis dans le paradis de délices kj ? C’est en effet par cette humiliation que l’homme est devenu semblable à la vanité, elle qui a fait passer ses jours comme l’ombre kk ; c’est elle qui a fait de nous tous des enfants de colère, et pour toujours, si ceux qui avant la création du monde kl ont été prédestinés pour le salut éternel, ne sont réconciliés avec Dieu par le Médiateur ; et c’est en ce Médiateur que les anciens justes mettaient leur espérance, quand l’esprit de prophétie le leur montrait venant en sa chair. Alors la promesse faite à nos pères au sujet d’un médiateur, pourrait être cette promesse dont il est ici question si nous leur prêtons ce langage au sujet de la même promesse : « Souvenez-vous de votre parole à votre serviteur, et dans laquelle vous m’avez donné l’espérance ». C’est elle qui m’a consolé dans mon humiliation, c’est-à-dire dans ma mortalité : « Car cette parole m’a donné une vie nouvelle » : en sorte que, destiné à la mort, j’ai néanmoins conçu l’espoir de vivre. « Quant aux superbes, ils agissaient toujours d’une manière criminelle » : car l’assujettissement à la mort n’a pas dompté leur orgueil. « Mais je n’ai point apostasié votre loi km », comme les superbes voulaient m’y contraindre.

5. « Je me suis souvenu, Seigneur, de vos jugements, depuis le commencement, et j’ai été consolé » : ou, comme on lit en certains exemplaires, exhortatus sum, j’y ai trouvé de l’encouragement. Le verbe grec parekleten peut avoir ces deux significations, Depuis le commencement donc, à l’origine de la race humaine, « je me suis souvenu de vos jugements au sujet des vases de colère destinés a la perdition kn » ; et j’ai été consolé, parce que là aussi j’ai compris les trésors de votre gloire pour les vases de votre miséricorde.

6. « La défaillance m’a saisi, quand j’ai vu les pécheurs abandonner votre loi. Vos oracles étaient mes cantiques dans le sein de mon exil ko » : ou, comme d’autres ont traduit, « dans le lieu où j’étais étranger ». Telle est l’humiliation de l’homme banni du paradis, de la Jérusalem d’en haut, exilé dans ce lieu où il est mortel ; c’est de Jérusalem que descendait à Jéricho cet homme qui tomba entre les mains des voleurs ; mais à cause de la miséricorde que montra pour lui le samaritain kp, il chanta dans le lieu de son exil les oracles de Dieu. Et toutefois, la vue des pécheurs qui abandonnaient la loi divine, redoublait son ennui, car il lui fallait converser avec eux, au moins pour un temps, jusqu’à ce que le vent ait passé dans l’aire. On peut aussi accorder ces deux versets avec chaque partie du verset précédent ; en sorte que ces paroles : « Je me suis souvenu, ô Dieu, de vos jugements depuis le commencement », peuvent se rapporter à celles-ci : « La défaillance m’a saisi à la vue des pécheurs qui abandonnent votre loi » ; et ce mot : « Je me suis consolé », à ces paroles : « Dans le lieu de mon exil, je chantais vos oracles ».

7. « Pendant la nuit, je me suis souvenu de votre nom, ô mon Dieu, et j’ai gardé votre loi kq ». Cette nuit est l’humiliation avec l’ennui de la mortalité. Il y a nuit pour ces méchants qui commettent sans cesse l’iniquité, nuit encore dans cette défaillance à la vue des pécheurs qui abandonnent la loi de Dieu ; nuit enfin dans ce lieu d’exil, jusqu’à ce que vienne le Seigneur pour éclairer ce qu’il y a de plus caché dans les ténèbres, manifester les pensées des cœurs, et alors chacun recevra de Dieu la louange kr. Dans cette nuit donc l’homme doit se souvenir du nom du Seigneur, afin que celui qui se glorifie, ne se glorifie que dans le Seigneur ks, aussi est-il écrit : « Ce n’est point à nous, Seigneur, ce n’est point à nous, mais à votre nom qu’il faut donner la gloire kt ». Car ce n’est point en cherchant sa propre gloire, mais celle de Dieu, comme ce n’est point par sa propre justice, mais par celle de Dieu, celle qui est un don de Dieu, que chacun garde la loi du Seigneur, ainsi que l’a dit le Prophète : « Je me suis souvenu de votre nom, Seigneur, et j’ai gardé votre loi ». Il ne l’eût point gardée, s’il s’était appuyé sur sa propre vertu, oubliant le nom du Seigneur. « Car c’est dans le nom du Seigneur qu’est notre secours ku ».

8. Aussi le Prophète nous dit-il ensuite : « Elle m’est arrivée, parce que j’ai recherché vos justices kv » ; oui, vos justices par lesquelles vous justifiez l’impie, et non les miennes, qui, loin de me rendre juste, me donnent de l’orgueil. Car le Prophète n’était point de ceux qui ignorent la justice venant de Dieu, et qui en voulant établir la leur, n’aboutissent qu’à se soustraire à celle de Dieu kw. Ces justices, dès lors, qui rendent justes gratuitement et par la grâce ceux qui ne peuvent le devenir par eux-mêmes, ont été nommées plus à propos justifications : car le grec ne porte point dikaiosunas, ou justices, mais dikaiomata, ou justifications. Mais que veut dire le Prophète dans ces paroles : « Elle m’est arrivée ? » Qui, elle ? la loi peut-être ? Car il avait dit : « J’ai gardé votre loi » ; et c’est à cette phrase qu’il joint cette autre : « Elle a été pour moi », comme s’il disait : Cette loi a été la mienne. Mais ne nous arrêtons point à montrer comment la loi de Dieu est devenue la sienne, car le mot grec, traduit en latin, nous indique suffisamment qu’il ne s’agit point de loi dans cette parole : « elle est devenue pour moi ». Car le mot loi est masculin dans cette langue, et c’est à propos d’un nom féminin qu’il est dit : celle-ci est devenue pour moi. Il faut donc chercher plus haut ce qui lui a été fait, puis comment « celle-ci », quelle qu’elle soit, est devenue pour lui. « Celle-ci », dit-il, « est devenue pour moi » : or, ce n’est point cette loi, sens qui est rejeté par le grec. C’est peut-être cette nuit, car dans le verset supérieur il est dit : « Toute la nuit je me suis souvenu de votre nom, ô mon Dieu, et j’ai gardé votre loi » ; puis il continue : « Celle-ci est devenue pour moi kx » ; or, si ce n’est pas la loi, c’est la nuit qui est devenue pour lui. Mais que signifie alors, cette nuit m’est arrivée parce que j’ai recherché vos justifications ? C’est plutôt la lumière qui a été faite pour lui, et non la nuit, parce qu’il a recherché les justifications de Dieu. On peut aussi entendre, elle est devenue pour moi, dans le sens de elle a été faite pour moi, elle m’est devenue utile, Car si l’on entend par nuit, comme on le peut très bien, l’humiliation de cette vie mortelle, où les cœurs se dérobent mutuellement, et où ces ténèbres produisent des tentations graves et sans nombre, en sorte que pendant cette nuit passent et repassent les bêtes des forêts, les lionceaux rugissants qui demandent à Dieu leur nourriture ; ce même lion rugissant et cherchant sa nourriture, et dont le Seigneur a dit ce que nous avons déjà rappelé : « Cette nuit Satan a demandé à vous cribler comme le froment ky » ; c’est-à-dire, pendant cette nuit où passent et repassent les bêtes des forêts, le lion gigantesque a demandé à Dieu sa nourriture : assurément, cette humiliation dans ce lieu d’exil, que l’on peut bien appeler nuit, devient utile à ceux qui y sont à l’épreuve, et qui apprennent à ne point s’élever par l’orgueil ; crime pour lequel nous sommes plongés dans cette nuit. « Le commencement de l’orgueil chez l’homme, c’est de se séparer de Dieu kz ». Mais comme il est justifié gratuitement, et afin de s’avancer dans l’humilité, dans toutes ces tentations auxquelles il est exposé pendant cette nuit, maintenant qu’il a reçu l’intelligence, qu’il répète ce verset du psaume que nous lirons bientôt : « Il m’est bon que vous m’ayez humilié, afin que j’apprenne vos œuvres de justice la ». Dire en effet : « Il m’est bon que vous m’ayez humilié », qu’est-ce autre chose que dire de cette humilité, qui est appelée nuit : « Elle a été pour moi », c’est-à-dire, elle m’a été avantageuse ? Mais pourquoi ? parce que j’ai recherché votre justice, et non la mienne.

9. Nous pouvons encore donner un autre sens à ces mots : « Celle-ci est devenue pour moi ». Ce ne serait alors ni la loi ni la nuit que désignerait le pronom « celle-ci », mais il aurait le sens que nous avons donné à cette expression d’un autre psaume : Unam petii, sans dire ce que signifie « une », ou quelle est cette « une », dont il dit, « je la demanderai encore ». Le genre féminin est ici mis pour le neutre ; car il est contre notre usage de dire : Unam petii, j’ai demandé une seule, saris marquer à quoi se rapporte cette « seule ». On dirait mieux : Unum petii. J’ai demandé cela « seulement », d’habiter dans la maison du Seigneur. Dans ces espèces d’adjectifs neutres latins, on n’exige pas le nom neutre qui demeure sous-entendu, comme un bien, un don, ou quelque chose de semblable ; mais cette expression neutre peut désigner soit un nom masculin, soit un nom féminin, soit même ce que l’on veut désigner sans distinction de genre, et dans le langage ordinaire. Le Prophète a donc pu dire en cet endroit : « Celle-ci m’est arrivée », comme il aurait dit : « Ceci m’est arrivé ». Mais si nous demandons quoi, voyons ce qui a été dit auparavant : « Je me suis souvenu pendant la nuit de votre nom, ô mon Dieu, et j’ai recherché votre loi ». Ceci m’est arrivé, c’est-à-dire de garder votre loi, non par moi-même, mais cela m’est arrivé par vous, parce que j’ai recherché vos justices, et non les miennes. « C’est Dieu, en effet », dit l’Apôtre, « qui opère en nous le vouloir et le faire selon sa bonne volonté lb ». Et le Seigneur dit encore par son Prophète : « Et je ferai que vous marchiez dans mes justifications, et que vous observiez et pratiquiez mes jugements lc ». Quand donc le Seigneur nous dit : « Je ferai en sorte que vous observiez et que vous pratiquiez mes jugements », le Prophète a raison de dire : Ceci m’est arrivé ; et à celui qui voudrait savoir ce qui lui est arrivé, il peut répondre ce qu’il a dit plus haut : « De garder la loi de Dieu ». Mais ce sermon est déjà bien long, il est mieux, dès lors, de réserver la suite à un autre discours, avec la grâce de Dieu.

SEIZIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

L’UNION A DIEU.

Tout homme qui garde la loi du Seigneur, a le Seigneur en partage. Mais comme il ne saurait garder cette loi sans le secours de l’Esprit-Saint, il doit l’invoquer. Fortifié par ce secours, il se détournera de l’iniquité, ne craindra ni les embûches du démon, ni les scandales des hommes, et confessera plus hautement le Seigneur à mesure que s’élèvera la persécution. Alors le Christ s’unit à son serviteur, et par une faveur nouvelle, il en fait un serviteur par amour, et non par crainte.

1. Dans notre long psaume nous entreprenons d’expliquer, avec le secours de Dieu, les versets suivants : « Le Seigneur est ma portion », ou, comme d’autres ont traduit : « Seigneur, vous êtes mon héritage ld ». Ces deux expressions signifient-elles que tout homme a sa part en Dieu, dès lors qu’il s’attache à lui, selon cette parole : « Il m’est bon de m’attacher au Seigneur le ? » Ce n’est point en effet parce qu’un homme existe qu’il est dieu, mais il le devient par sa participation à celui qui est seul et vrai Dieu. Ou bien le Seigneur est-il notre portion à la manière dont les hommes se choisissent ici-bas, ou obtiennent par le sort, celui-ci telle portion, celui-là telle autre qui le fait vivre ; et qu’en un certain sens le partage des justes serait le Seigneur qui leur donne la vie éternelle ? Ces deux sens n’ont rien d’absurde. Mais écoutons ce qui suit : « Je l’ai dit, c’est de garder votre loi ». Qu’est-ce à dire : « Ma portion, Seigneur, je l’ai dit, c’est de garder votre loi », sinon que le Seigneur sera notre héritage à mesure que nous garderons sa loi ?

2. Mais comment la peut-il garder sans le don et le secours de l’Esprit qui vivifie, de peur que la lettre ne tue lf, et que le péché à l’occasion du précepte ne soulève dans l’homme toute concupiscence lg ? Il faut donc invoquer cet Esprit, et c’est alors que la foi obtient de lui ce qu’ordonne la loi : quiconque en effet invoquera le nom du Seigneur sera sauvé lh. Aussi voyez ce qu’ajoute le Prophète : « J’ai imploré votre présence du fond de mon cœur ». Et pour montrer comment il a prié : « Ayez pitié de moi », dit-il, « selon votre parole ». Et comme il a été exaucé et secouru par celui qu’il avait invoqué : « J’ai réfléchi », nous dit-il, « à mes voies, et j’ai ramené mes pieds dans le sentier de vos préceptes li ». Je les ai ramenés de mes voies qui m’ont déplu, et je les ai fait marcher dans vos préceptes qui seront leur sentier. Dans plusieurs exemplaires, on ne lit point : « Parce que j’ai réfléchi », comme dans quelques-uns, mais simplement : « j’ai réfléchi ». Cette phrase encore : « J’ai détourné mes pieds », se lit ailleurs : « Parce que j’ai réfléchi et que vous avez détourné mes pieds », pour attribuer plutôt à la grâce de Dieu une telle conversion, selon cette parole de l’Apôtre : « C’est Dieu qui agit en vous lj » ; c’est à lui que l’on dit : « Détournez mes yeux afin qu’ils ne voient point la vanité ». Si donc il détourne les yeux afin qu’ils ne voient point la vanité, pourquoi ne détournerait-il pas les pieds de peur qu’ils ne s’égarent ? C’est encore pour cela qu’il est écrit : « Mes yeux sont toujours fixés sur le Seigneur, parce qu’il détournera tues pieds des embûches lk ». Mais qu’on lise : vous avez détourné mes pieds, ou bien j’ai détourné mes pieds, nous ne pouvons le faire que par celui dont le Prophète a imploré la présence de tout son cœur, et à qui il a dit : « Ayez pitié de moi, selon votre parole », c’est-à-dire selon votre promesse. Car ce sont les fils de la promesse qui composent la postérité d’Abraham ll.

3. Enfin, après avoir obtenu ce bienfait de la grâce : « Je suis prêt », dit le Prophète, « et rien ne une trouble dans l’accomplissement de vos préceptes lm ». Quelques-uns ont traduit : « Pour garder vos préceptes » ; d’autres, « afin de garder » ; d’autres encore, « à garder », d’après le grec tou phulaxastai.

4. Pour montrer combien il est prêt à garder les préceptes du Seigneur, le Prophète ajoute : « Les filets des pécheurs m’ont environné, mais je n’ai point oublié votre loi ln ». Ces filets des pécheurs sont les obstacles des ennemis, soit spirituels, comme le diable et ses anges, soit charnels, comme les incrédules, en qui le démon agit comme il lui plaît lo. Car ces funes peccatorum du latin, ne signifient point filets des péchés, mais bien filets des pécheurs, comme on le voit par le grec
Amartolon
. Quand par leurs menaces ils effraient les justes, et les détournent de souffrir pour la loi de Dieu, ils les environnent de leurs filets, et les retiennent, pour ainsi dire, de leurs cordes. Ils traînent en effet leurs péchés comme une longue chaîne lq, dont ils s’efforcent de garrotter les saints, et quelquefois Dieu le permet. Mais enlacer le corps ce n’est point enlacer l’âme, puisque notre interlocuteur n’a point oublié la loi de Dieu, et en effet la parole de Dieu n’est point enchaînée lr.

5. « Au milieu de la nuit », dit le Prophète, « je me levais pour vous rendre témoignage, à cause des jugements de votre justice ls ». Car c’est par un jugement de la justice divine que les liens des pécheurs environnent le juste. C’est ce qui a fait dire à l’apôtre saint Pierre que voici le temps auquel « Dieu doit commencer son jugement par sa propre maison. Et s’il commence par nous », dit-il, « quelle sera la fin de ceux qui ne croient point à l’Évangile ? Et si le juste à peine est sauvé, que deviendront le pécheur et l’impie lt ? » Or, il parlait ainsi des persécutions qu’endurait l’Église, quand les filets des pécheurs l’environnaient de toutes parts. Dès lors, par milieu de la nuit, on doit entendre, je crois, le plus terrible moment de la persécution. « Je me levais », dit l’interlocuteur, parce que la persécution l’affligeait, sans l’abattre ; elle l’exerçait au contraire et le faisait lever : c’est-à-dire que la tribulation lui donnait des forces pour confesser le Seigneur avec plus de courage.

6. Mais commue tout cela ne s’opère qu’au moyen de la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur, voilà que tians cette prophétie le Sauveur va joindre sa voix à la voix de son corps mystique. Car c’est bien le chef, je crois, que nous entendons dans ces paroles : « Je u suis associé à tous ceux qui vous craignent et u qui gardent vos préceptes lu ». Ainsi qu’il est marqué dans l’Epître aux Hébreux : « Celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés viennent tous d’un seul. C’est pourquoi il ne rougit point de les appeler ses frères ». Et un peu après : « Comme donc les enfants sont revêtus de chair et de sang, lui-même aussi en a été revêtus lv ». Mais qu’est-ce dire autre chose sinon qu’il leur est associé ? Nous ne pourrions en effet participer à sa divinité, si lui-même ne participait à notre nature mortelle. Dans un autre endroit de l’Évangile cette participation à la divinité est ainsi énoncée : « Il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu à ceux qui croient en son nom, qui ne sont point nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu lw ». Et comme, pour nous accorder cette faveur, il a pris part à notre mortalité, l’Évangéliste continue : « Et le Verbe s’est fait chair, et a demeuré parmi nous ». Cette participation nous donne la grâce de craindre Dieu d’une crainte chaste, et d’accomplir ses commandements. C’est donc Jésus-Christ qui parle dans cette prophétie : mais certaines paroles appartiennent à ses membres dans l’unité du corps, qui ne forme qu’un seul homme répandu dans l’univers entier, et qui s’accroît avec le cours des siècles ; d’autres paroles appartiennent au chef lui-même. C’est ce qu’il nous marque dans ces mots : « Je suis associé à tous ceux qui vous craignent, et qui gardent vos préceptes ». Et comme il a pris part avec ses frères, Dieu avec les hommes, l’immortel avec les mortels, voilà que le grain est tombé en terre, afin d’y mourir et de produire ainsi beaucoup de fruits ; et c’est de ces fruits qu’il nous dit aussitôt : « La terre est pleine de la miséricorde du Seigneur ». Et comment, sinon parce que l’impie est devenu juste ? Et afin d’avancer rapidement dans la science de la grâce, le Prophète ajoute : « Enseignez-moi vos ordonnances ».

DIX-SEPTIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LES BIENS DE LA GRÂCE.

Le Prophète remercie le Seigneur de lui avoir donné l’amour qui bannit la crainte. Il demande au surplus la douceur ou l’attrait que l’on goûte à faire le bien, la discipline ou l’intelligence des leçons que Dieu nous donne par l’affliction, et la science qui devient utile quand elle est unie à la piété. Les deux premières s’acquièrent par l’expérience, mais la science ne s’acquiert pas sans l’intelligence qui vient de Dieu, ainsi que la force d’accomplir ce que nous savons, qui est la foi efficace. Adam devenu pécheur fut humilié, et Dieu lui donna les moyens de redevenir juste : tels sont les moyens que nous devons étudier et pratiquer en dépit des orgueilleux.

1. Les versets de notre psaume, que nous voulons exposer avec le secours de Dieu, commencent par celui-ci : « Seigneur, vous avez signalé votre bonté envers votre serviteur, selon votre parole, ou plutôt selon votre promesse lx ». Mais l’expression grecque Chrestoteta, est tantôt traduite par « douceur », tantôt par « bonté ». Toutefois, comme il peut se trouver une douceur dans le mal, quand on met son plaisir dans ce qui est illicite et honteux ; comme il peut s’en trouver dans les plaisirs charnels dont l’usage est permis, nous devons donner à cette « douceur », appelée par les grecs Chrestoteta, le sens d’une faveur spirituelle. C’est pour cela que nos interprètes ont traduit « bonté », et dès lors : « Vous avez fait un acte de douceur envers votre serviteur », n’aurait d’autre sens, à mon avis, que celui-ci : Vous m’avez fait aimer le bien. Car c’est une grande faveur de Dieu que ce plaisir qu’on trouve dans le bien. Mais qu’une bonne œuvre commandée par la loi ne soit faite que par la crainte du châtiment, et non par l’amour de la justice, parce que l’on craint Dieu, et non parce qu’on l’aime, c’est une œuvre servile et non une œuvre libre. « Or, l’esclave ne demeure pas éternellement dans la maison, mais le fils y demeure éternellement ly », car la charité parfaite chasse la crainte lz. « Vous avez donc fait, ô mon Dieu, un acte de douceur envers votre serviteur », en faisant un fils de celui qui était esclave : « Selon votre parole », c’est-à-dire selon votre promesse, afin que pour tout enfant d’Abraham ma votre promesse soit affermie par la foi.

2. « Enseignez-moi la douceur, la discipline, la science », dit le Prophète, « car j’ai cru à vos commandements mb ». Il demande alors l’accroissement et la perfection de ces dons en lui ; autrement, après avoir dit : « Vous avez agi avec douceur envers votre serviteur », comment pourrait-il ajouter : « Enseignez-moi la douceur », sinon pour connaître de plus en plus la grâce divine par la douceur du bien ? Ils avaient la foi, en effet, ceux qui disaient : « Seigneur, augmentez en nous la foi mc ». Et tant que l’on vit en ce monde, ce doit être là le refrain de ceux qui avanceront dans la vertu. À la douceur le Prophète ajoute « et l’instruction », ou, comme on lit dans plusieurs manuscrits, « et la discipline ». Mais ce mot discipline que les grecs appellent paideian, se met dans les saintes Écritures pour exprimer une science qui s’acquiert péniblement, comme on le voit dans ces paroles : « Le Seigneur châtie celui qu’il aime, il frappe de verges tous ceux qu’il reçoit au nombre de ses enfants md ». Cette instruction s’exprime dans les saintes Écritures par disciplina qui est la traduction du grec paideia. Tel est le mot que nous trouvons dans le grec de l’Epître aux Hébreux, et que le traducteur latin a exprimé par disciplina: « Toute discipline, quand on la reçoit, semble causer de la tristesse, et non de la joie ; mais ensuite elle donne à ceux qui ont combattu de recueillir en paix les fruits de la justice me ». Celui donc sur qui Dieu verse sa douceur, c’est-à-dire celui à qui il inspire le goût du bien ; et pour m’expliquer plus clairement, celui à qui Dieu donne l’amour de Dieu et du prochain à cause de Dieu, doit prier avec ferveur, afin que ce don s’accroisse en lui, et lui fasse non seulement mépriser pour lui les autres plaisirs, mais endurer pour lui toutes les douleurs. C’est pourquoi le mot discipline est convenablement uni au mot douceur. Car il faut la désirer et la demander, non seulement pour une douceur ou une bonté médiocre, laquelle serait toutefois la sainte charité ; mais cette charité, fût-elle si grande que la violence du châtiment, loin de l’éteindre, ne fît que l’animer en la frappant, comme le vent anime la flamme ; pour elle encore la discipline est désirable. C’était donc peu de dire : « Vous avez fait un acte de douceur envers votre serviteur », si le Prophète ne demandait à Dieu de lui enseigner la douceur, et une telle douceur qu’il pût souffrir avec patience la plus sévère discipline. En troisième lieu vient la science car si la science est plus grande que la charité, loin d’édifier, elle produit l’enflure mf. C’est donc lorsque la science qui accompagne la douceur est suffisante pour résister sans s’éteindre aux afflictions qui accompagnent la discipline, c’est alors qu’elle devient utile, cri montrant à l’homme ce qu’il a mérité, les dons qu’il a reçus de Dieu, dons qui lui font comprendre qu’il peut alors ce qu’il ne croyait point pouvoir et ce qu’il ne pouvait en effet par lui-même.

3. Pourquoi, néanmoins, le Prophète ne dit-il pas : Donnez-moi ; mais : « Enseignez-moi ? » Comment enseigner la douceur, si elle ne se donne point ? Il en est beaucoup en effet qui savent ce qui ne leur est point agréable ; ils en ont la connaissance, mais n’y trouvent aucune douceur. Car on ne saurait apprendre la douceur, si l’on ne trouve de la douceur à l’apprendre. Il en est de même de la discipline, qui est une peine propre à nous corriger ; elle ne s’apprend que quand on l’éprouve ; c’est-à-dire que ce n’est ni l’attention, ni la lecture, ni la réflexion qui nous la donne, mais l’expérience. Pour ce qui est de la science, dont le Prophète nous parle en troisième lieu quand il dit : « Enseignez-moi », ce n’est qu’en nous instruisant que Dieu nous la donne. Qu’est-ce en effet qu’instruire, sinon donner la science ? Ce sont là deux choses tellement corrélatives, que l’une ne saurait exister sans l’autre. Nul en effet n’est instruit s’il n’apprend, et nul n’apprend si on ne l’instruit. Et dès lors qu’un disciple n’est point capable de comprendre ce que son maître enseigne, le maître ne saurait dire : Je lui ai enseigné, mais il n’a rien appris ; il peut dire au contraire : J’ai dit ce qu’il fallait dire, mais il n’a pas appris, parce qu’il n’a pu rien percevoir, rien saisir, rien comprendre. Car le disciple aurait appris, si le maître l’eût instruit. Aussi, quand le Seigneur veut nous instruire, il nous donne d’abord l’intelligence, sans laquelle un homme ne saurait apprendre ce qui tient à la doctrine d’en haut ; c’est pour cela que le Prophète va dire à Dieu : « Donnez-moi l’intelligence, afin que j’apprenne vos commandements mg ». Aussi bien, quand un homme en veut instruire un autre, il peut dire ce que le Sauveur après sa résurrection disait à ses disciples ; mais il ne saurait faire ce qu’il fit : l’Évangile nous dit en effet : « Alors il leur ouvrit l’esprit afin qu’ils comprissent les Écritures, et il leur dit mh ». Nous lisons dans l’Évangile ce qu’il leur dit alors ; mais s’ils comprirent ses paroles, c’est qu’il leur ouvrit l’esprit qui comprend. Dieu donc nous apprend la douceur en nous inspirant un charme secret ; il nous enseigne la discipline, en nous ménageant l’affliction ; il nous enseigne la science, en nous donnant la connaissance. Mais il y a des choses que nous apprenons seulement pour les connaître, d’autres pour les faire, et quand Dieu nous les enseigne, il le fait de telle sorte que nous sachions ce qu’il faut savoir, en nous découvrant la vérité, et que nous fassions ce qu’il faut faire, en nous inspirant la douceur. Car ce n’est pas en vain que le Prophète lui dit : « Enseignez-moi, afin que j’accomplisse votre volonté mi ». Enseignez-moi de telle sorte que je l’accomplisse, non content de la savoir. Car cette volonté saintement accomplie, c’est le fruit que nous devons rendre au laboureur qui nous cultive. Mais l’Écriture nous dit ensuite : « Le Seigneur donnera la douceur, et notre terre donnera son fruit mj ». Quelle est cette terre, sinon celle dont il est dit à celui qui donne la douceur : « Mon âme est pour vous une terre sans eau mk ».

4. Après avoir dit : « Enseignez-moi la douceur, la discipline et la science », le Prophète ajoute : « Parce que j’ai cru à vos commandements » ; et l’on pourrait demander avec quelque raison pourquoi il ne dit point : J’ai obéi ; mais : J’ai cru. Autres en effet sont les commandements, et autres les promesses. Nous recevons les commandements pour les accomplir et mériter par là de recevoir les promesses. Aux promesses donc la foi, aux préceptes l’obéissance. Que signifie dès lors, « j’ai cru à vos commandements », sinon j’ai cru que ces commandements ne viennent point d’un homme, mais de vous, bien que vous les ayez annoncés par le ministère des hommes ? Donc, parce que j’ai cru que ces préceptes viennent de vous, que cette foi m’obtienne la grâce d’observer ce que vous avez commandé. Qu’un homme vienne me donner cet ordre à l’extérieur, me donnerait-il intérieurement la force de l’accomplir ? Enseignez-moi donc la douceur en m’inspirant la charité ; enseignez-moi la discipline en me donnant la patience ; enseignez-moi la science en éclairant mon esprit. « Parce que j’ai cru à vos préceptes ». J’ai cru, ô mon Dieu, que vous-même les avez intimés, et que vous donnez à l’homme la force d’accomplir ce que vous lui commandez.

5. « J’ai péché avant d’être humilié, c’est pourquoi j’ai gardé votre parole ml », ou d’une manière plus expressive : « J’ai gardé votre promesse », afin de n’être plus humilié. Par cette humiliation il est mieux d’entendre celle que dut subir Adam, en qui toute créature humaine fut comme viciée dans sa racine, et soumise à la vanité mm, parce qu’elle ne voulut pas être soumise à la vérité. Et cette expérience a servi aux vases de miséricorde à rejeter l’orgueil, à embrasser l’obéissance, à faire disparaître pour jamais nos misères.

6. « Vous êtes doux, ô mon Dieu » ; ou, comme on lit dans plusieurs exemplaires « C’est vous qui êtes doux, ô mon Dieu mn ». D’autres encore : « Vous êtes doux » ; d’autres : « Vous êtes bon » : dans le sens que nous avons assigné plus haut à cette expression. « Et dans votre douceur, enseignez-moi vos justifications ». C’est avoir une véritable volonté d’accomplir les ordonnances du Seigneur, que vouloir les apprendre, dans la douceur, de ce même Dieu à qui il dit : « C’est vous, ô mon Dieu, qui êtes doux ».

7. Enfin il poursuit : « L’iniquité des superbes s’est multipliée envers mois mo » ; c’est-à-dire, l’iniquité de ceux à qui n’a servi de rien l’humiliation de l’homme après le péché. « Mais moi, je m’attacherai, de tout mon cœur, à sonder vos commandements ». Quelque nombreuse que soit l’iniquité, dit-il, la charité ne se refroidira point en moi mp. Il peut parler de la sorte, celui qui apprend les ordonnances de Dieu dans sa douceur. Plus il y a de douceur dans les préceptes de celui qui nous aide à les accomplir, et plus aussi celui qui les aime les étudie, afin de les pratiquer à mesure qu’il les connaît, et de les mieux connaître par la pratique ; car les accomplir est le moyen de les mieux connaître.

8. « Leur cœur s’est épaissi comme le lait mq ». De qui, sinon de ces orgueilleux dont il dit que l’iniquité s’est multipliée envers lui ? Par cette expression le Prophète veut ici désigner les cœurs endurcis. On peut l’entendre quelquefois aussi dans un sens favorable, car, au psaume soixante-septième, une montagne épaisse, montagne fertile mr, signifie fertilisée par la grâce. Plusieurs en effet ont traduit mons coagulatus, comme ici lac coagulatum. Mais vois ce que le Prophète oppose de son côté a la dureté de leur cœur : « Pour moi », dit-il, « j’ai médité votre loi ». Quelle loi ? Cette loi, la plus juste et la plus miséricordieuse, dont il parlait en disant : « Ayez pitié de moi selon votre loi ». Il résiste aux superbes, afin qu’ils tombent dans l’endurcissement ; Il donne la grâce aux humbles ms, afin qu’ils aiment l’obéissance et reçoivent la gloire par excellence. C’est en méditant cette loi que l’on se soumet volontairement au joug de l’humilité, pour ne pas encourir le châtiment de l’humiliation dont le Prophète va nous parler.

9. « Il m’est bon d’avoir été humilié par vous, afin d’apprendre vos justifications mt ». Tout a l’heure il avait dit dans le même sens : « Avant D’être humilié, j’avais péché ; c’est pourquoi j’ai gardé votre parole ». Un tel avantage fait ressortir le bien de l’humiliation, et connaître en même temps la cause de cette humiliation qui est le péché commis auparavant. Mais quand il dit ici : « C’est pourquoi j’ai gardé votre parole », là, afin « que j’apprenne vos ordonnances » : il nous indique suffisamment que connaître ces préceptes c’est les accomplir, comme les accomplir c’est les connaître. On ne saurait dire, en effet, que le Christ ne connaissait point ce qu’il blâmait, et néanmoins il blâmait le péché, tandis qu’il est dit de lui qu’« il ne connaissait pas le péché mu ». Il le connaissait en un sens, et dans un autre sens il l’ignorait. Il en est de même des préceptes du Seigneur : beaucoup les apprennent sans les apprendre. Ils les connaissent d’une manière, et d’une autre manière ils les ignorent, parce qu’ils ne les pratiquent point. Il nous faut donc entendre ces paroles du Prophète : « Afin que « j’apprenne vos ordonnances », de manière a les pratiquer.

10. Mais cette pratique est un effet de l’amour, qui procure des délices a celui qui accomplit la loi de Dieu ; aussi est-il dit : « Dans votre douceur enseignez-moi vos ordonnances » ; et le verset suivant nous en donne la raison : « La loi de votre bouche « est plus précieuse pour moi que l’or et l’argent mv » ; ainsi la charité a plus d’ardeur pour la loi de Dieu que la cupidité pour les monceaux d’or et d’argent.

DIX-HUITIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LES BIENFAITS DE LA GRACE.

Dieu nous a faits de ses mains ou dans sa sagesse et dans sa puissance, mais dans un même esprit. Non seulement Adam peut parler ainsi, mais tout homme né par la génération, puisque rien n’est produit en dehors de la force active de Dieu. Le Prophète demande à Dieu l’intelligence, que nous avons en naissant, il est vrai, mais il entend par là cette foi qui purifie nos cœurs, qui nous fait comprendre la loi de Dieu d’une manière efficace, et comprendre que cette intelligence même est une faveur de Dieu ; qu’elle nous vienne par un ange ou autrement, c’est Dieu qui nous la donne.

1. Quand Dieu forma l’homme de poussière et l’anima de son souffle, il n’est point marqué qu’il le forma de ses mains mw. Je ne vois donc point pourquoi quelques-uns ont cru que Dieu, ayant fait tout le reste de sa parole, fit de ses mains l’homme qui serait alors supérieur ; à moins peut-être qu’en lisant que Dieu forma de poussière le corps humain, on ne s’imagine que cela n’est possible que par les mains. Mais c’est là oublier que cette parole de l’Évangile, à propos du Verbe de Dieu, que « tout a été fait par lui mx », n’est plus vraie, si le corps de l’homme n’a été aussi formé par le Verbe. Mais on s’appuie sur les paroles de notre psaume, et on nous dit : Voici l’homme qui s’écrie avec la dernière évidence : « Vos mains m’ont fait et m’ont donné la forme my ». Comme s’il n’était pas dit clairement encore : « Je verrai les cieux qui sont l’ouvrage de vos mains mz » ; et non moins clairement : « Et l’ouvrage de vos mains, c’est le ciel na » ; et beaucoup plus clairement : « Et ses mains ont formé la terre nb ». La main de Dieu, c’est donc la puissance de Dieu. Que si le nombre pluriel étonne, s’il n’est pas dit votre main, mais vos mains, qu’on entende par les mains de Dieu, la puissance et la sagesse de Dieu, que saint Paul a dit être Jésus-Christ seul nc, lui qui est encore le bras de Dieu dans ce passage de l’Écriture : « Et à qui le bras du Seigneur a-t-il été montré nd ? » Ou bien, qu’ils entendent par les mains de Dieu le Fils et le Saint-Esprit, puisque le Saint-Esprit agit conjointement avec le Père et le Fils. De là cette parole de l’Apôtre : « C’est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses ne ». Il dit formellement que c’est un seul et un même Esprit, de peur qu’on n’imagine autant d’esprits que d’ouvrages, et non que le Saint-Esprit agit conjointement avec le Père et le Fils. Nous pouvons donc entendre comme il nous plaira ces mains de Dieu, pourvu qu’on ne refuse point au Verbe ce qu’il fait de ses mains ; ou à ses mains ce qu’il fait par son Verbe ; pourvu que ces mains ne fassent point croire à une forme corporelle, ou même à une droite et à une gauche ; ni que le Verbe ne fasse croire à un son, ou même à un mouvement transitoire dans les œuvres de Dieu.

2. Il s’est rencontré des hommes qui ont établi cette distinction entre les verbes faire et former, que l’âme serait « faite » par Dieu et le corps « formé », parce que Dieu a dit de l’âme : « C’est moi qui ai fait tout souffle nf » ; et qu’on lit à propos du corps : « Et Dieu forma l’homme de la terre ng » ; comme si Dieu faisait tout ce qu’il forme, sans néanmoins former tout ce qu’il fait. Alors on dirait de l’âme qu’elle est faite plutôt que formée, parce qu’elle est un esprit et non pas un corps ; comme s’il n’était pas dit que Dieu a formé dans l’homme l’esprit de l’homme nh. Toutefois, comme ces deux expressions sont employées à propos de l’homme dans un même endroit de l’Écriture, et comme on ne saurait nier que chaque substance de l’homme, c’est-à-dire l’âme et le corps, ne soient l’ouvrage de Dieu, il n’est point sans élégance d’attribuer à chacune de ces substances une de ces expressions, et de dire que l’âme a été faite, que le corps a été pétri, ou formé, ou façonné. Quelques interprètes, en effet, n’ont pas voulu traduire finxerunt me, m’ont formé, et ont dit plasmaverunt me, m’ont façonné, préférant dans la langue latine s’éloigner du grec, pour ne pas employer le mot finxerunt, qui s’emploie quelquefois pour la dissimulation.

3. Mais est-ce bien en Adam que nous pouvons tenir ce langage ? Et parce que tous les hommes viennent de lui, dès lors qu’il fut créé, tout homme ne peut-il pas dire qu’il a été fait à raison de son origine et de sa génération ? Ou bien pouvons-nous dire : « Vos mains m’ont fait et m’ont formé », parce que nul, sans l’œuvre de Dieu, ne saurait naître de ses parents, qui sont alors générateurs, et Dieu créateur ? Otez, en effet, aux choses de ce monde la puissance active de Dieu, elles périront bien vite ; et rien ne se produit soit des éléments, soit des parents, soit d’une semence quelconque, si Dieu n’opère en eux. Aussi le Seigneur dit-il au prophète Jérémie : « Je t’ai connu avant de te former au sein de ta mère ni ». Mais Dieu a-t-il formé sans intelligence soit le premier homme, soit chacun de ceux qui naissent en cette vie, pour que le Prophète lui dise : « Vos mains m’ont fait et m’ont formé, donnez-moi l’intelligence ? » L’intelligence ne fait-elle point partie de la nature humaine, pour la distinguer de la brute ? Ou bien cette nature serait-elle déformée par le péché au point que Dieu doive même la réformer en cela ? Et n’est-ce point pour ce motif que saint Paul disait à ceux qui ont eu part à la régénération : « Renouvelez-vous dans l’intérieur de votre âme nj ». Or, c’est dans l’âme qu’est l’intelligence. Puis il dit de nouveau : « Qu’il y ait une transformation dans votre esprit nk ». Quant à ceux qui n’ont aucune part à cette régénération : « Je vous avertis », leur dit-il, « et vous conjure par le Seigneur de ne plus marcher comme les Gentils, qui s’avancent dans la vanité de leurs pensées, qui ont l’esprit plein de ténèbres, entièrement éloignés de la voie de Dieu, par l’ignorance qui est en eux à cause de l’aveuglement de leur cœur nl ». C’est donc à cause de ces yeux intérieurs, dont l’aveuglement consiste à ne pas comprendre, c’est afin qu’ils soient ouverts, et qu’ils deviennent sereins de plus en plus, que nos cœurs sont purifiés par la foi nm. Il est vrai que l’homme, s’il n’a aucune intelligence, ne saurait croire en Dieu ; et néanmoins la foi le guérit, et dilate son intelligence. Il est, en effet, des choses que nous ne croyons qu’à la condition de les comprendre, d’autres que nous ne comprenons qu’à la condition de les croire. La foi vient, en effet, de ce que nous entendons, et nous entendons la prédication nn de la parole du Christ a, mais dès lors, pour ne rien dire de plus, comment peut croire à celui qui lui prêche la foi un homme qui n’entend pas même la langue du prédicateur ? Ensuite s’il n’y avait certaines choses que nous ne pouvons comprendre avant de les croire tout d’abord, le Prophète ne nous dirait point : « Si vous n’avez la foi, vous n’aurez point l’intelligence no ,
selon les LXX
 ». Ainsi donc notre intelligence doit s’accroître pour comprendre ce qu’elle croit, et notre foi pour croire les choses qu’elle doit croire : et l’âme pour le comprendre de plus en plus croit aussi en intelligence. Tout cela, néanmoins, ne s’accomplit point par nos propres forces, mais bien par la faveur et le secours de Dieu, comme c’est par l’effet de la chirurgie, et non de la nature, que l’œil, une fois blessé, recouvre la faculté de voir. Dire à Dieu dès lors : « Donnez-moi l’intelligence, afin que j’apprenne vos préceptes », ce n’est pas être dépourvu de toute intelligence comme l’animal, ni mériter d’être mis au nombre de ceux « qui s’avancent dans la vanité de leurs pensées, qui ont l’esprit plein de ténèbres, et qui sont entièrement éloignés de la voie de Dieu nq ». S’il en était ainsi, l’interlocuteur ne tiendrait pas ce langage. Car il n’appartient pas à une intelligence médiocre de savoir à qui l’on doit demander l’intelligence. Il nous reste à réfléchir sur la profondeur des commandements de Dieu, quand, pour les connaître, celui-là demande encore l’intelligence, qui a déjà une si grande pénétration, et qui nous disait tout à l’heure qu’il a gardé les paroles de Dieu.

4. Ce que nos traducteurs ont rendu par : « Donnez-moi l’intelligence », est exprimé plus succinctement en grec par sunetison me: car ce seul mot sunetison exprime ce qui en demande plusieurs en latin : comme si l’on ne pouvait dire en latin, en un seul mot, guérissez-moi, et que l’on eût recours à la circonlocution, donnez-moi la santé ; ainsi le Prophète a dit ici : Donnez-moi l’intelligence, ou rendez-moi sain, comme on pourrait dire : Rendez-moi intelligent. Un ange aurait pu le faire aussi ; car un ange dit à Daniel : « Je suis venu vous donner l’intelligence nr » ; et dans le grec on trouve le même verbe qui est ici, sunetisai se, comme si le latin disait rendre la santé, quand le grec porterait, te guérir. Le traducteur latin n’aurait point recours à une circonlocution, pour dire, vous donner l’intelligence ; si l’on pouvait dire, vous « intelligencier », comme on dit, vous guérir. Mais si l’ange peut accorder cette grâce, pourquoi le Prophète a-t-il recours à Dieu pour obtenir cette faveur ? Est-ce que Dieu avait commandé à l’ange de le faire ? Oui, certainement, car on comprend que ce fut le Christ qui fit cette injonction à l’ange ; et les paroles du Prophète en font foi : « Or, lorsque je voyais, moi Daniel, la vision, et que j’en cherchais l’intelligence, voilà que s’arrêta devant moi comme la ressemblance d’un homme, et j’entendis la voix d’un homme dans Ubal, et il appela, et dit : Fais-lui comprendre cette vision ns ». Or, le grec a le même verbe que nous trouvons dans notre psaume, c’est-à-dire sunetison. Dieu donc, qui est la lumière, illumine par lui-même les saintes âmes nt, afin qu’elles comprennent les choses divines qu’on leur annonce ou qu’on leur montre. Mais s’il a recours pour cela au ministère d’un ange, l’ange peut agir sur l’esprit de l’homme, de manière qu’il comprenne la lumière de Dieu, et que cette lumière lui donne l’intelligence ; mais on dit alors qu’il donne l’intelligence à l’homme, ou qu’il le rend intelligent, comme on dit d’un architecte qu’il éclaire une maison, ou lui donne de la lumière, quand il y ouvre une fenêtre. Ce n’est point sa propre lumière qu’il y fait entrer pour l’éclairer, il ouvre seulement une entrée à la lumière. Le soleil qui, par l’ouverture de la fenêtre, éclaire cette maison, n’a point créé la maison, non plus que l’architecte qui a ouvert la fenêtre : il n’a ni commandé de construire cette maison, ni aidé à la construire, il n’a même rien fait pour pratiquer l’ouverture afin de répandre sa lumière. Dieu, au contraire, a fait à l’homme une âme raisonnable et intelligente, capable de recevoir la lumière qui vient de lui ; il a fait l’ange capable d’agir sur l’esprit de l’homme, de telle sorte que celui-ci pût recevoir la lumière ; il aide notre esprit et le dispose aux opérations de l’ange ; et par lui-même il éclaire l’esprit de manière non seulement à voir ce que la vérité lui montre, mais à contempler la vérité elle-même. Mais après avoir donné des éclaircissements nécessaires, autant que j’en puis juger, quoique peut-être un peu longs, finissons ce discours, et remettons à un autre jour les versets suivants de notre psaume.

DIX-NEUVIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LA JOIE DANS LE SERVICE DE DIEU.

C’est à Dieu, qui nous a créés, qu’il appartient de nous créer encore, en nous donnant de comprendre ses préceptes. Ceux-là craignent qui sont dans le Christ et dans l’Église. Or, ils verront un jour cette Église qui est le corps du Christ, et dont ils font partie, mais qu’ils ne voient point dans sa splendeur ici-bas, à cause de la crainte inhérente à notre situation actuelle. Le Prophète appelle sur lui les divines miséricordes et la vie, c’est-à-dire la vie heureuse, car celle d’ici-bas est plutôt une mort. Cette vie s’obtient par la méditation des préceptes, méditation qui nous met en communion avec Jésus-Christ par la pureté du cœur, qu’il nous faut demander instamment.

1. Dans ce psaume, Jésus-Christ Notre-Seigneur, parlant au nom de son corps qui est l’Église, a demandé, comme pour lui-même, que Dieu lui donnât l’intelligence, afin de comprendre ses commandements. Car la vie de son corps, c’est-à-dire de son peuple, est cachée avec la sienne en Dieu nu, et lui-même dans ce même corps souffre de l’indigence, et demande ce qui est nécessaire à ses membres. « Vos mains », dit-il, « m’ont fait et m’ont formé, donnez-moi l’intelligence afin que j’apprenne vos commandements nv », Puisque vous m’avez formé, dit-il, formez-moi de nouveau, afin que dans le corps de Jésus-Christ s’accomplisse la parole de saint Paul : « Qu’il se fasse en vous une transformation dans le renouvellement de votre esprit nw ».

2. « Ceux qui vous craignent », dit-il, « me verront et seront dans la grâce » ; ou, comme plusieurs ont traduit : « Seront dans l’allégresse, parce que j’ai espéré en votre parole nx » ; c’est-à-dire, dans les serments que vous avez faits, afin de vous former ce peuple de la promesse, cette race d’Abraham, en qui seront bénies les nations ny. Or, quels sont les hommes qui craignent Dieu, et quel est celui qu’ils verront, qui les réjouira, parce qu’il a espéré en la parole de Dieu ? Si c’est le corps de Jésus-Christ ou l’Église qui parle ici par Jésus-Christ, ou si c’est le Christ qui parle d’elle et en elle comme de lui-même ; ceux qui craignent Dieu ne sont-ils pas dans le Christ et dans l’Église ? Qui donc verront-ils pour être dans la joie ? Est-ce parce que le peuple se voit lui-même et en est dans la joie, qu’il est dit : « Ceux qui vous craignent vous verront, et seront dans la joie, parce que j’ai espéré eu vos paroles » ; ou, comme d’autres ont traduit plus justement : « J’ai surespéré
Grec, epelpisa
 » ; comme s’il disait : « Ceux qui vous craignent verront » votre Église « et ils seront dans la joie, parce que j’ai surespéré en vos paroles » ; puisqu’ils sont eux-mêmes l’Église, ceux qui voient l’Église et en sont ravis ? Mais alors pourquoi ne pas dire : Ceux qui vous craignent me voient, et en sont ravis ; tandis que craignent est au présent, et que verront et seront dans la joie sont des paroles au futur ? Serait-ce parce que maintenant il y a crainte, tant que « la vie de l’homme est une épreuve sur la terre oa » ; et que cette joie dont il est question ici ne s’épanouira que quand les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur père ob ? De là vient qu’on lit encore dans un autre psaume : « Combien est grande, ô mon Dieu, la douceur que vous avez cachée à ceux qui vous craignent oc ? » Tandis qu’ils craignent, ils ne voient pas encore ; mais ils verront et seront dans la joie ; ce qui a rapport à la parole suivante : « Vous l’avez accomplie dans ceux qui espèrent en vous od » ; comme il est dit ici : « Parce que j’ai espéré ou surespéré dans vos paroles ». Ici le traducteur a composé son verbe, afin de nous faire mieux comprendre que « Dieu est assez puissant pour faire au-delà de ce que nous pouvons demander ou comprendre oe » ; et que s’il dépasse la portée de nos prières et de notre intelligence, ce serait peu d’espérer, il nous faut un surcroît d’espérance.

3. Ainsi donc, parce que l’Église ici-bas est encore dans la crainte, et ne se voit point dans ce royaume où elle jouira d’une entière sécurité, mais qu’elle est au milieu des périls et des épreuves de ce monde, où elle entend cette parole : « Que celui qui se croit debout, prenne garde de tomber of » ; elle jette les yeux sur la misère de cette vie mortelle où les enfants d’Adam sentent le joug pesant qui les accable, depuis le jour qu’ils ont quitté le sein maternel, et qui s’étend sur chacun d’eux jusqu’au jour où ils retourneront au sein de la terre leur mère commune og ; elle voit que même après la régénération, la convoitise de la chair contre l’esprit oh leur arrache des gémissements contre cette oppression ; et à cette vue elle s’écrie : « J’ai connu, Seigneur, que la justice est dans vos jugements, et que c’est dans votre vérité que vous m’avez humiliée. Consolez-moi par le retour de votre miséricorde, et selon la promesse faite à votre serviteur oi ». La miséricorde et la justice sont tellement liées dans les saintes Écritures, et particulièrement dans les psaumes, que même en certains passages on lit : « Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité oj ». Dans celui qui nous occupe, nous trouvons d’abord cette vérité qui nous a humiliés jusqu’à la mort par la sentence de Celui dont les jugements sont justice : vient ensuite la miséricorde qui nous rétablit dans la vie selon la promesse de Celui dont les bienfaits constituent la grâce. Aussi est-il dit : « Selon votre parole à votre serviteur » ; c’est-à-dire, selon la promesse faite à votre serviteur. Dès lors, bien que la régénération, ou si l’on veut, la foi, l’espérance et la charité, trois vertus qui s’affermissent en nous, soient un don de la divine miséricorde, elles ne sont néanmoins, dans cette vie d’orages et de misères, que le soulagement du malheur, et non le comble de la félicité. C’est pourquoi il est dit : « Que votre miséricorde s’étende sur moi pour me consoler ».

4. Mais comme c’est après ces misères, et même par ces misères que nous viendra le bonheur à venir, le Prophète poursuit « Que vos miséricordes viennent sur moi, et que je vive ok ». Je vivrai en effet quand je n’aurai plus rien à craindre, pas même la mort. Ce que l’on nomme la vie sans rien ajouter, ne peut s’entendre que de la vie éternelle et bienheureuse, comme si elle seule pouvait être appelée vie, et qu’en comparaison d’elle celle d’ici-bas méritât plutôt le nom de mort que le nom de vie. C’est ainsi qu’il est dit dans l’Évangile « Si tu veux arriver à la vie, observe les commandements ol ». Le Sauveur a-t-il dit vie éternelle ou vie bienheureuse ? De même, en parlant de la résurrection de la chair : « Ceux qui auront fait le bien ressusciteront pour la vie om », il n’ajoute ni heureuse ni éternelle. De même ici le Prophète s’écrie : « Que vos miséricordes viennent, afin que je vive », sans parler de vie éternelle ni de vie heureuse comme s’il n’y avait aucune différence entre vivre, et vivre sans fin ou sans calamité. Mais comment mériter cette vie ? « Parce que votre loi est le sujet de mes pensées », dit le Prophète Et si cette méditation n’était pas selon la foi qui agit par la charité on, nul homme ne pourrait jamais arriver à cette vie. J’ai cru devoir le dire, afin que nul ne s’imagine qu’il lui suffit de confier toute la loi à sa mémoire, de s’en souvenir souvent, de la chanter, de ne pas taire ce qu’elle ordonne, sans le faire néanmoins, pour dire à bon droit : « Votre loi est l’objet de mes pensées », et croire ensuite qu’il obtiendra par là ce qui est marqué dans les versets précédents, et que le Prophète sollicitait en vertu de cette méditation, quand il disait : « Que votre miséricorde s’étende sur moi, et que je vive ». Cette méditation est la pensée d’un cœur qui aime, et qui aime avec tant d’ardeur, que ce feu de méditation ne se refroidit point, quelque nombreuses que soient les iniquités qui l’environnent oo.

5. Le Prophète continue : « Confusion aux superbes, parce qu’ils m’ont injustement maltraité ; pour moi, je m’exercerai dans vos commandements op ». Voilà ce que fait la méditation de la loi de Dieu, ou plutôt qui est la loi.

6. « Qu’ils se tournent vers moi, ceux qui vous craignent, et qui connaissent vos oracles oq ». Dans certains exemplaires et grecs et latins, on lit : « Qu’ils se tournent à moi », ce qui revient, ce me semble, à se tourner vers moi. Mais qui donc parle ainsi ? nul homme n’oserait tenir ce langage, et l’osât-il on ne devrait point l’écouter. C’est donc celui qui, plus haut, parlait encore en son nom, quand il disait : « Je suis associé à tous ceux qui vous craignent ». Comme il a pris part à notre mortalité pour nous donner part à sa divinité, nous avons aussi part à la vie en lui seul, comme il a eu part à la mort en plusieurs. C’est en effet vers lui que se tournent tous ceux qui craignent Dieu, qui connaissent ces témoignages que les Prophètes lui ont rendus si longtemps d’avance et qu’il a vérifiés par sa présence autorisée par tant de miracles.

7. « Que mon cœur », dit-il ensuite, « soit sans tache dans vos ordonnances, afin que je ne sois pas confondu or ». Voici de nouveau la parole du corps mystique, ou du peuple saint, qui demande à Dieu un cœur pur, c’est-à-dire le cœur de tous ses membres ; et cela par les justifications de Dieu, non par leurs propres forces. Il ne présume point de lui-même, il supplie. Ce qu’il ajoute : « Afin que je ne sois point confondu », nous l’avons déjà vu dans les premiers versets de notre psaume : « Puissent mes voies se redresser pour garder vos préceptes, alors je ne serai point confondu en méditant vos préceptes ». Cette expression « puissent », qui est un optatif, reparaît plus clairement encore dans la prière que fait le Prophète : « Que mon cœur soit sans tache ». Ni dans l’une ni dans l’autre de ces pensées, qui sont identiques au fond, nous ne trouvons la présomption du libre arbitre s’élevant contre la grâce. Cette expression : « Alors j’échapperai à la confusion », il la répète ici : « Afin que j’échappe à la confusion ». Ainsi donc, pour le corps et pour les membres du Christ, le cœur devient pur, au moyen de la grâce de Dieu, par le chef de ce corps, c’est-à-dire par Jésus-Christ Notre-Seigneur, dans le bain de la régénération, où toutes nos fautes anciennes sont effacées os ; par le secours de l’Esprit qui nous donne des désirs contraires à ceux de la chair, de peur que nous ne succombions dans la lutte ot ; par l’effet de la prière dominicale et où nous disons : « Remettez-nous nos dettes ou ». Dès lors que notre âme a reçu le don de la régénération, est soutenue dans sa lutte, et répand sa prière, notre cœur devient pur, afin que nous ne soyons point confondus car c’est là un des points des ordonnances et des justifications de Dieu, puisque, parmi les préceptes, il nous dit : « Remettez et il vous sera remis, donnez et l’on vous donnera ov ».

VINGTIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LES SOUPIRS DE L’ÉGLISE PERSÉCUTÉE.

Le roi défaillance employé par le Prophète n’est qu’une sainte impatience vers le salut. Toujours ce désir a été exalté dans l’Église ; sous l’ancienne loi les saints soupiraient après le Christ incarné ; ils soupirent aujourd’hui après Jésus qui viendra nous juter. Telle est la langueur de l’Église, qui fait monter vers le ciel de brûlants soupirs ; et ces soupirs éloignent les convoitises charnelles et avivent la charité. Elle demande sa délivrance, et néanmoins elle subsistera jusqu’à la fin du monde ; elle répudie les fables que débitent les hérétiques ses persécuteurs, elle demande pour ses martyrs et obtient le secours du ciel qui les soutient.

1. Avec le secours de Dieu nous devons considérer et exposer cette partie de notre long psaume qui commence ainsi : « Mon âme est en défaillance dans l’attente de votre salut ; je n’espère qu’en votre parole ow ». La défaillance n’est pas toujours une faute ou un châtiment : il est une défaillance louable et désirable. Comme ces deux termes progrès et défaillance sont opposés l’un à l’autre, il est plus ordinaire de prendre le progrès en bonne part et la défaillance en mauvaise part, quand on ne précise ou qu’on ne sous-entend pas en quoi il y a défaillance ou progrès. Mais un mot que l’on ajoute peut donner au progrès un sens défavorable, et un sens favorable à la défaillance. L’Apôtre nous dit ouvertement : « Evitez les discours nouveaux et profanes, dont les progrès sont rapides vers l’impiété ox ». Et en parlant de quelques-uns : « Ils feront des progrès dans le mal oy ». La défaillance qui va du bien au mal est donc mauvaise ; elle est bonne, quand elle va du mal au bien. C’est, en effet, une louable défaillance qui a fait dire au Prophète : « Mon âme languit, elle soupire après vos tabernacles, ô mon Dieu oz ». Aussi le Prophète ne dit-il point : Mon âme a failli à votre salut ; mais bien : « Mon âme est dans la défaillance parle désir de votre salut ». Cette défaillance est donc louable ; elle marque le désir d’un bien qu’on ne possède point encore, mais que néanmoins on souhaite avec un violent désir. Mais qui peut exhaler ces soupirs, sinon la race choisie, le royal sacerdoce, la nation sainte, le peuple conquis pa et depuis l’origine du monde jusqu’à la fin, soupirant au Christ, dans ceux qui ont vécu, ceux qui vivent, et ceux qui vivront ici-bas au temps marqué parle Seigneur ? Témoin le saint vieillard Siméon, qui s’écria en recevant dans ses bras le divin enfant : « Maintenant, Seigneur, vous laissez mourir en paix votre serviteur, selon votre promesse ; car mes yeux ont vu votre salut ». Il avait reçu d’en haut l’assurance de ne point mourir avant d’avoir vu l’oint du Seigneur pb. Tel nous voyons le désir de ce saint vieillard, et tel était, nous devons le croire, le désir des saints dans les temps les plus reculés. De là cette parole du Sauveur à ses disciples : « Beaucoup de Prophètes et de rois ont voulu voir ce que vous voyez, et ne e l’ont point vu ; entendre ce que vous entendez, et ne l’ont point entendu pc » ; en sorte qu’on peut aussi leur attribuer cette parole : « Mon âme languit après votre salut ». Ni alors, ni aujourd’hui ces désirs des saints n’ont cessé dans le corps du Christ, qui est l’Église ; ils doivent durer jusqu’à la fin des siècles, jusqu’à l’avènement du Désiré des nations pd, selon la promesse du Prophète. Aussi l’Apôtre nous dit-il : « Il me reste à recevoir la couronne de justice que me rendra en ce jour le Seigneur qui est un juste juge ; et non seulement à moi, mais à tous ceux qui aiment son avènement pe ». C’est pourquoi le désir dont nous parlons vient du désir de son avènement, dont saint Paul a dit encore : « Lorsque paraîtra le Christ, qui est votre vie, vous aussi vous paraîtrez avec lui dans la gloire pf ». Ainsi donc, les premiers temps de l’Église qui ont précédé l’enfantement de la Vierge, ont eu des saints qui soupiraient après l’incarnation ; les temps qui s’écoulent depuis qu’il est remonté au ciel ont leurs saints qui aspirent après sa manifestation quand il viendra juger les vivants et les morts. Depuis l’origine du monde jusqu’à la fin, ce désir n’a pas été interrompu un instant, sinon pendant le temps si court que le Christ a vécu avec ses disciples ; en sorte que c’est à tout le corps du Christ qui gémit ici-bas que l’on peut attribuer ces paroles : « Mon âme languit après votre salut, et j’ai mis mon espoir dans votre parole », c’est-à-dire dans votre promesse ; et cette espérance nous fait attendre avec patience ce que nous croyons sans le voir pg. Encore ici nous lisons dans le grec
Grec, epelpisa.
le verbe que nos traducteurs ont rendu par « surespéré », sans doute parce que cette espérance est au-dessus de toute expression.

2. « Mes yeux ont langui après votre parole ; ils ont dit : Quand me consolerez-vous pi ? » Voici encore dans les yeux, mais dans les yeux intérieurs cette heureuse et louable défaillance, qui ne vient pas d’une faiblesse de cœur, mais d’un ardent désir des promesses de Dieu. Car c’est votre parole, dit le Prophète, qui les fait languir ; mais comment de tels yeux peuvent-ils dire : « Quand me consolerez-vous », s’il n’y a une prière et un gémissement dans cette espérance toujours attentive ? C’est la langue en effet qui parle, et non les yeux. Toutefois une prière fervente serait en quelque sorte la parole des yeux. Mais ce cri du Prophète : « Quand me consolerez-vous ? » nous montre qu’il souffre de cette attente. De là encore cette autre parole : « Mais vous, Seigneur, jusques à quand pj ? » Dieu use parfois de délai pour nous rendre plus douce la joie différée : on peut dire aussi que pour un cœur qui aime, le temps même le plus court est toujours bien long. « Or, le Seigneur sait quand il doit faire toute chose, lui qui règle tout avec nombre, avec poids et mesure pk ».

3. Or, la ferveur de ces désirs spirituels éteint, sans aucun doute, les désirs charnels c’est pourquoi l’interlocuteur poursuit : « Je suis devenu comme une outre exposée aux frimas, mais je n’ai point oublié vos préceptes pl ». Par outre il entend cette chair mortelle, et par frimas cette grâce d’en haut qui refroidit et paralyse nos concupiscences. De là vient que nous n’oublions point les commandements de Dieu, puisque nous n’avons point d’autres pensées, et que s’accomplit en nous le mot de l’Apôtre : « Ne cherchez point à contenter les désirs de la chair pm ». Aussi, après avoir dit : « Je suis devenu comme l’outre sous les frimas », le Prophète a-t-il ajouté : « Je n’ai point oublié vos ordonnances ». C’est-à-dire, je ne les ai point oubliées, parce que j’ai été réduit en cet état. L’ardeur des désirs s’est glacée, pour donner à la mémoire la ferveur de la charité.

4. « Combien de jours doit compter encore votre serviteur ; quand me ferez-vous justice de ceux qui me persécutent pn ? » Tel est dans l’Apocalypse le cri des martyrs, et la patience leur est recommandée jusqu’à ce que le nombre de leurs frères soit au complet po ». Le corps du Christ demande alors à Dieu combien de jours il doit passer en ce monde, Et de peur que tel homme ne vienne à s’imaginer que l’Église ne subsistera point jusqu’à la fin du monde, qu’il s’écoulera un certain espace de temps où l’Église n’existera plus sur la terre, aussitôt qu’elle s’enquiert du nombre de ses jours, le Prophète nous parle de jugement, pour nous montrer que cette Église demeurera sur la terre jusqu’au jugement qui la vengera de ses persécuteurs. Et si l’on s’étonne qu’elle fasse la même question que les disciples, quand le Maître leur répondit : « Il ne vous appartient pas de connaître les temps que le Père a réservés dans sa puissance pp », pourquoi ne verrions-nous pas dans cet endroit du psaume une prophétie de cette question, et ce cri de l’Église prophétisé si longtemps d’avance, accompli dans l’interrogation des disciples ?

5. Quant à ces paroles : « Les impies m’ont raconté leurs fables, mais elles ne sont point comme votre loi, ô mon Dieu pq » ; le mot grec adoleskias ;ne saurait jusqu’à présent se rendre en latin par un seul mot ; ceux-ci l’ont traduit par deleclationes, ceux-là par fabulationes; nous pouvons regarder cela comme des paraboles étudiées, mais qui ont certain charme dans la conversation. Or, ces jeux d’esprit nous les trouverons dans les divers genres de la littérature profane, et même dans les livres juifs que l’on nomme deuterostes, et qui, étrangers aux saintes Écritures, renferment des fables par milliers. On les trouve aussi chez les hérétiques, si féconds en vaines paroles. Ces conteurs, le Prophète les appelle des impies, et leurs contes, adoleskias, c’est-à-dire des puérilités, des jeux de mots, « mais qui ne ressemblent point, Seigneur, à votre loi », parce que dans cette loi, c’est la vérité, et non l’expression, qui a pour moi des attraits.

6. Enfin il ajoute : « Quant à vos préceptes ils sont tous vérité ; aidez-moi contre leurs injustes poursuites pr ». Le sens de ces paroles dépend de ces autres qui précèdent : « Combien de jours doit compter votre serviteur ; quand me ferez-vous justice de ceux qui me persécutent ? » C’était me persécuter que me raconter leurs fables ineptes ; mais je leur ai préféré votre loi, qui avait pour moi plus de charmes, parce que « tous vos préceptes sont la vérité », et n’ont rien de cette vanité qui règne dans leurs discours. Et « ils m’ont persécuté injustement », en ce sens qu’ils ont persécuté en moi la vérité. Donc, « secourez-moi », afin que je combatte pour la vérité jusqu’à la mort, puisque tel est votre commandement, et qu’en cela consiste la vérité.

7. En accomplissant ce précepte, l’Église endura ce que dit le Prophète : « Ils m’ont presque anéantie sur la terre ps », en massacrant tant de martyrs qui confessaient et prêchaient la vérité. Mais comme l’Église n’avait pas dit en vain : « Aidez-moi », elle ajoute : « Pour moi, je n’ai pas abandonné vos préceptes ».

8. Afin de pouvoir persévérer jusqu’à la fin, « vivifiez-moi, dit-elle, selon votre miséricorde, et je garderai les témoignages de votre bouche pt », ce que le grec appelle martyria. N’oublions pas cette remarque à la louange du mot de martyrs qui nous est si doux. Or, dans cette violence de la persécution, qui fit presque disparaître de la terre l’Église de Dieu, ils n’auraient pu garder les témoignages du Seigneur, si Dieu n’eût exaucé en eux cette prière : « Donnez-moi la vie selon votre miséricorde ». Dieu leur donna la vie en effet, de peur que l’amour d’une vie ne leur fît perdre la véritable vie, et qu’en reniant la vie, ils ne perdissent la vie. Par là ceux qui n’échangèrent pas la vérité contre la vie trouvèrent la vie en mourant pour la vérité.

VINGT-UNIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

SOUPIRS DE L’ÉGLISE VERS LE CIEL.

Le Prophète aspire au ciel où demeure éternellement la parole de Dieu, puis il se rabat sur la terre où il voit passer les générations qui se transmettent sa parole. Ces deux générations sont l’Ancien et le Nouveau Testament, et ceux de l’Ancien qui se sont sanctifiés appartenaient au Nouveau, étaient fondés sur Jésus-Christ, qui est le véritable jour. Afin de ne point périr tians son abaissement, le Prophète médite la loi de Dieu ; il est à Dieu, et non à lui-même ; les exemples des pécheurs l’eussent perdu, s’il n’eût compris par les témoignages de Dieu qu’il vaut mieux mourir qu’abandonne cette loi.

1. Il semble que l’interlocuteur de notre psaume est pris d’ennui à cause de l’inconstance des hommes, qui nous fait de la vie une source de tentations. Environné par la tribulation qui lui fait dire : « Les injustes m’ont persécuté » ; et encore : « Peu s’en faut qu’ils ne m’aient anéanti sur la terre », il s’enflamme d’un saint désir pour la Jérusalem céleste, et élevant les yeux en haut il s’écrie : « C’est pour l’éternité, Seigneur, que votre parole demeure dans les cieux pu » ; c’est-à-dire dans les saints anges qui gardent, sans la déserter jamais, la milice éternelle.

2. Après le ciel, le verset suivant nous parle de la terre, car il est encore un des huit qui appartiennent à cette lettre de l’alphabet. À chacune de ces lettres, en effet, sont joints huit versets jusqu’à la fin de ce long psaume. « Votre vérité passe de génération en génération ; vous avez fondé la terre qui demeure toujours ». Donc, après le ciel, il jette sur la terre un regard de foi ; il y trouve des générations qui ne sont point dans le ciel, et il s’écrie : « Votre vérité passe de génération en génération ». Cette répétition peut signifier toutes les générations, tantôt plus, tantôt moins fécondes en saints, chez qui s’est trouvée la vérité de Dieu. Selon la diversité des temps passés ou à venir, le Prophète peut même avoir en vue deux générations, l’une embrassant la loi et les Prophètes, l’autre embrassant les temps de l’Évangile. Expliquant ensuite pourquoi la vérité ne manque jamais à ces deux générations, « vous avez fondé la terre », dit le Prophète, « et elle demeure » ; appelons terre ceux qui habitent la terre. « Or, nul ne saurait poser un fondement autre que celui qui est posé, et qui est Jésus-Christ pv ». Car cette génération, qui embrasse la loi et les Prophètes, n’en avait pas moins pour fondement Jésus-Christ, à qui la loi et les Prophètes rendaient témoignage pw. Ou bien, faudrait-il ranger Moïse et les Prophètes parmi les fils de cette servante qui engendre pour l’esclavage, et non parmi les fils de l’Épouse libre qui est notre mère px, à qui un homme dit : Sion, vous êtes ma mère ; et cet homme a été fait en elle, et il est lui-même le Très-Haut qui l’a fondée py ? Il est en effet le Très-Haut en son Père, et à cause de nous il s’est fait très humble en cette mère ; celui qui était Dieu au-dessus d’elle, a été fait homme en elle. Tel est, Seigneur, le fondement sur lequel vous avez basé la terre, et elle demeure ; car, solidifiée sur un tel fondement, elle ne sera pas ébranlée dans le siècle des siècles pz ; elle demeurera dans ceux à qui vous donnerez la vie éternelle. Quant à ceux qui sont nés de la servante, qui appartiennent à l’Ancien Testament dont les ombres couvraient le Nouveau, ils n’ont eu du goût que pour les choses terrestres, et ne demeureront point, « car le serviteur ne demeure point toujours dans la maison du maître, mais le Fils y demeure éternellement qa ».

3. « Le jour se maintient dans votre loi qb ». Tout ce qui vient d’être marqué est un jour, et ce jour est celui que le Seigneur a fait : soyons dans la joie, livrons-nous à l’allégresse qc, et marchons dans la décence comme au grand jour qd. « Tout vous est assujetti ». Tout, c’est-à-dire tout ce qui tient à ce jour, tout ce dont on vient de parler, tout cela vous est assujetti. Mais les impies dont il est dit : « J’ai comparé votre mère à la nuit qe ,
selon les LXX
 », ne servent point le Seigneur.

4. Le Prophète examine ensuite de quel état la terre sera délivrée, afin de demeurer affermie ; il ajoute : « Si je n’eusse médité votre loi, j’eusse probablement péri dans mon abaissement qg ». Cette loi est celle de la foi ; non d’une foi stérile, mais d’une foi qui opère au moyen de la charité qh. C’est par elle que l’on obtient la grâce qui nous donne la force dans les tribulations du temps, de peur que nous ne périssions dans l’humiliation de cette vie mortelle.

5. « Je n’oublierai jamais », dit-il, « vos ordonnances, parce qu’en elles vous m’avez donné la vie qi ». De là vient qu’il n’a point péri dans son humiliation. Car, si Dieu ne nous vivifiait, que serait-ce que l’homme qui peut se dérober à la vie, mais non se la donner ?

6. Ensuite il ajoute : « Je suis à vous, sauvez-moi, car je recherche vos justifications qj ». Ne passons point légèrement sur cette parole : « Pour moi, je suis à vous ». Qu’est-ce qui n’est pas à Dieu ? Et parce qu’on dit que Dieu est dans le ciel, faut-il croire qu’il y ait sur la terre quelque chose qui ne soit point à lui ; quand surtout nous chantons dans un autre psaume : « La terre est au Seigneur, et tout ce qu’elle contient, l’univers entier et tous ceux qui l’habitent qk ? » Pourquoi donc l’interlocuteur a-t-il voulu se recommander tout particulièrement à Dieu, en disant : « Pour moi, je suis à vous, sauvez-moi », sinon afin de nous prévenir que, pour son malheur, il a voulu être à lui-même, par la désobéissance qui est le premier et le plus grand mal ? Comme s’il nous eût dit : J’ai voulu être à moi, et je me suis perdu. « Je suis à vous », reprend-il, « sauvez-moi, parce que j’ai recherché vos justifications » ; non plus ces volontés par lesquelles j’étais à moi, mais vos justifications, afin d’être à vous.

7. « C’est moi », dit-il, « que les pécheurs ont attendu pour me perdre ; mais j’ai compris vos commandements ql ». Qu’est-ce à dire, « ont attendu pour me perdre ? » Lui auraient-ils tendu des embûches, attendant son passage pour le tuer ? Craignait-il donc la mort du corps ? Loin de là. Que signifient donc ces paroles : « Ils m’ont attendu », sinon qu’ils ont voulu le porter au mal ? Ils l’eussent alors perdu. Or, il nous montre pourquoi il n’a point péri : « J’ai compris vos témoignages », nous dit-il. Mais l’expression grecque : « J’ai compris vos martyres », est plus familière dans l’Église. Et quand ils eussent puni de mort ma résistance à leurs impiétés, ce n’est point périr que vous rendre témoignage. Mais ceux qui attendaient mon assentiment pour me perdre, me tourmentaient quand je vous confessais : et toutefois il n’abandonnait point ce qu’il avait compris ; il envisageait et voyait cette fin qui serait sans fin, s’il persévérait jusqu’à la fin.

8. Le Prophète continue : « J’ai vu la dernière consommation de toutes choses, votre loi est d’une étendue infinie qm ». Il avait pénétré dans le sanctuaire de Dieu, et avait compris la fin des choses qn. Or, par consommation, il faut, je crois, entendre ici, combattre à mort pour la vérité qo, endurer tous les maux pour le bien le plus réel et le plus grand ; et la fin de cette consommation serait d’être élevé en gloire dans le royaume du Christ, qui n’a point de fin, d’y posséder, sans craindre la mort ou la douleur, une vie souverainement glorieuse, une vie acquise par la mort, par les douleurs et les opprobres de cette vie. Cette loi d’une étendue infinie, je ne saurais l’entendre que de la charité. De quoi servirait en face de la mort la plus atroce, et au milieu des plus affreux supplices, de rendre témoignage à la vérité, si la charité ne dictait cette confession ? Écoutons l’Apôtre : « Quand je livrerai mon corps pour être brûlé, si je n’ai point la charité, tout cela ne me sert de rien qp. Or, cet amour de Dieu a été répandu « dans nos cœurs, par le Saint-Esprit qui nous a été donné qq ». Mais cette effusion nous met au large, et si nous sommes au large, nous parcourons sans peine la voie étroite, avec la grâce de ce même Dieu à qui nous disons : « Vous avez élargi la voie sous mes pieds, et mes démarches n’ont pas été affaiblies qr ». Il est donc large ce commandement de la charité, et il est double, puisqu’il nous fait aimer Dieu et le prochain. Pourrait-elle être plus vaste quand elle renferme la loi et les Prophètes qs ?

VINGT-DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

L’INTELLIGENCE DE LA LOI.

C’est la foi agissant par la charité qui nous facilite l’accomplissement des préceptes divins, et cette foi vient de la grâce de Dieu qui nous éclaire, qui nous dispose à l’accomplissement de la loi or, cette loi qui se résume dans la charité durera éternellement, puisque dans le ciel nous ne cesserons d’aimer Dieu. Celui qui surpasse en intelligence les docteurs et les anciens, c’est le Christ, et tout homme qui se pénètre de l’esprit plus que de la lettre de l’Évangile. Cet homme se détourne du sentier du mal, ou plutôt résiste à ses convoitises, goûte la parole divine comme un miel exquis ; et ce miel est dans l’intelligence qui lui est venue par les préceptes, ou plutôt par l’obéissance aux préceptes.

1. Nous vous l’avons dit souvent, mes frères, par cette voie large, dans laquelle on accomplit sans difficulté la loi de Dieu, il faut entendre la charité. Aussi, dans notre long psaume, après avoir dit : « Votre loi est d’une merveilleuse largeur », le Prophète nous donne-t-il ensuite raison de cette largeur : « Combien, Seigneur, j’ai aimé vos lois qt ! » L’amour est donc l’étendue de la loi. Comment en effet pourrions-nous aimer le Dieu qui ordonne, sans aimer le commandement qu’il fait ? Or, telle est la loi. « Tout le jour », dit le Prophète, « elle est ma méditation ». Voilà que je l’aime au point de la méditer tout le jour. Le latin dit tota die, le grec totam diem, olen ten emeran, ce qui marque une méditation continuelle ; or, qui dit tout le temps, dit toujours. Cette charité détruit la concupiscence qui nous détourne souvent d’obéir à la loi, à cause des révoltes de la chair contre l’esprit ; mais l’esprit à son tour se révoltant contre la chair qu, doit aimer la loi de Dieu au point de la méditer tout le jour. Or, saint Paul dit : « Où est donc votre glorification ? Elle est anéantie. Et par quelle loi ? Par la loi des œuvres ? Non, mais par la loi de la foi qv ». Telle est la foi qui agit par la charité, parce qu’en cherchant, en demandant, en frappant, elle obtient l’Esprit-Saint qw par lequel la charité est répandue dans nos cœurs qx. Tous ceux qui sont conduits par cet Esprit, sont fils de Dieu qy, admis pour se reposer avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux qz, d’où sera banni l’esclave qui ne demeure pas éternellement dans la maison ra ; c’est-à-dire cet Israël rb, selon la chair à qui il est dit : « Vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, ainsi que tous les Prophètes dans le royaume de Dieu, et vous en serez chassés. Ils viendront de l’Orient et de l’Occident, de l’Aquilon et du Midi, pour se reposer dans le royaume de Dieu. Et voilà derniers ceux qui « étaient premiers, et premiers ceux qui étaient derniers rc ». Quant aux Gentils, ainsi que l’a dit le Vase d’élection, « ceux qui ne cherchaient point la justice ont embrassé la justice, c’est-à-dire la justice qui vient de la foi ; tandis qu’Israël qui recherchait la loi de la justice, n’est point parvenu à la loi de la justice. Pourquoi ? Parce qu’ils ne l’ont point recherchée par la foi, mais par les œuvres, et qu’ils ont heurté contre la pierre du scandale rd ». Et de la sorte ils sont devenus les ennemis de Celui qui parle dans notre psaume.

2. Il ajoute : « Plus qu’à tous mes ennemis vous m’avez fait connaître votre loi, parce que je l’ai embrassée pour jamais re ». Ils ont à la vérité le zèle de Dieu, mais non selon la science. Ne connaissant point en effet la justice de Dieu, et s’efforçant d’établir leur propre justice, ils ne se sont point soumis à la justice de Dieu rf. Mais l’interlocuteur, devenu par la loi de Dieu plus sage que ses ennemis, veut être, ainsi que saint Paul, trouvé en Jésus-Christ, n’ayant point une justice qui lui soit propre, mais une justice qui lui vienne de Dieu par la foi rg. Ce n’est point que la loi que lisent ses ennemis ne soit aussi de Dieu, mais ils ne la goûtent point comme la goûte celui qui est plus sage que ses ennemis, qui s’attache à cette pierre contre laquelle ils se sont heurtés rh. Car le Christ est la fin de la loi pour justifier ceux qui croiront ri, afin qu’ils soient justifiés gratuitement par sa grâce rj ; non point comme ceux qui s’imaginent accomplir la loi par leurs propres forces, cherchant, dans la loi de Dieu, il est vrai, mais leur propre justice : ils veulent ressembler au contraire au fils de la promesse, qui a faim et soif de cette justice rk, qui cherche, qui demande, qui frappe, qui mendie en quelque sorte auprès du Père rl, afin d’être adopté et d’obtenir par le Fils unique. Mais quand eût-il pu goûter ainsi la loi de Dieu, s’il n’eût reçu ces dispositions de Celui à qui il dit : « Vous m’avez fait goûter votre loi d’une manière bien supérieure à mes ennemis ? » Or, ces ennemis, ces fils d’Agar, nés dans l’esclavage rm, n’ont cherché dans cette loi que des récompenses temporelles : de là vient qu’elle n’a pu être pour eux une loi éternelle, comme elle l’est pour celui-ci. La traduction, « pour l’éternité », est préférable en effet à celle qui a dit « pour le siècle », comme si une fois le siècle écoulé, il n’y ait plus de préceptes de la loi. Il n’y en aura plus en effet d’écrite sur les tables et les livres visibles ; mais l’amour de Dieu et du prochain demeure éternellement dans le livre du cœur ; et ce double précepte renferme la loi et les Prophètes rn ; le législateur lui-même sera la récompense de ceux qui auront gardé ces préceptes ; Dieu que nous aimons sera le prix de notre amour quand il sera tout en tous ro.

3. Mais que signifie cette parole suivante : « J’ai surpassé en intelligence tous ceux qui m’instruisaient rp ? » Quel est cet homme plus intelligent que ceux qui l’instruisent ? Quel est celui qui ose mettre son intelligence au-dessus de celle des Prophètes lesquels, non contents d’instruire par leur parole ceux qui vivaient de leur temps, enseignaient encore par leurs écrits et avec une si sainte autorité, ceux qui sont venus après eux ? Salomon, sans doute, reçut de Dieu une sagesse qui le mit bien au-dessus de tous ses prédécesseurs rq ; mais il n’est pas croyable que ce soit lui que David son père veuille prophétiser ici ; surtout qu’on ne saurait lui appliquer cette parole de notre psaume : « J’ai défendu à mes pieds toute voie perverse ». Si donc, comme il est plus probable, David nous parle ici du Christ, qu’il prophétiserait tantôt comme chef, ou Sauveur, tantôt au nom de son corps mystique ou de l’Église, et néanmoins ne composant qu’un seul et même tout, à cause du grand sacrement ainsi formulé : « Ils seront deux dans une seule chair rr » ; je reconnais qu’en effet il a été plus intelligent que tous ceux qui l’instruisaient, quand, à douze ans, l’enfant Jésus demeura à Jérusalem, alors qu’après trois jours ses parents le trouvèrent dans le temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant ; tandis que tous ceux qui l’entendaient étaient dans l’admiration à cause de sa sagesse et de ses réponses rs. Or, ce n’est pas sans raison, puisque longtemps auparavant il avait dit par la bouche du Prophète : « J’ai surpassé en intelligence ceux qui m’instruisaient ». Il entend par là tous les hommes, et non Dieu le Père, dont le Fils a dit : « Je parle selon que mon Père m’a enseigné ». Ce qu’il est difficile d’entendre du Verbe, à moins de comprendre comme on le pourra que, pour le Fils, être Instruit par le Père, c’est être engendré. Celui, en effet, pour qui être ne diffère point d’être enseigné, mais qui est instruit par là même qu’il est, reçoit assurément l’instruction de celui qui lui donne l’être. Si nous envisageons le Christ dans son humanité et sous la forme de l’esclave, il est plus facile de comprendre qu’il a reçu de son Père ce qu’il a dit : en le voyant en effet sous cette forme d’esclave, et jeune enfant, les hommes ont pu croire que d’autres plus âgés l’instruisaient ; mais celui que le Père a enseigné a mieux compris que tous ceux qui l’instruisaient. « Parce que vos témoignages », dit-il, « sont l’objet de mes méditations ». Il était donc plus intelligent que tous ses maîtres, parce qu’il méditait les témoignages du Seigneur, et qu’il connaissait mieux ceux qui le concernaient que ceux à qui il disait : « Vous avez envoyé vers Jean, et il a rendu témoignage à la vérité ; pour moi, je ne reçois point témoignage d’aucun homme, mais je vous parle ainsi afin de vous sauver. Il était une lampe ardente et brillante, et pour un peu de temps vous avez voulu vous réjouir à sa lumière. Mais moi j’ai un témoignage plus grand que celui de Jean ». Tels étaient les témoignages qu’il méditait, quand il surpassait en intelligence tous ceux qui l’enseignaient.

4. Il ne serait point hors de propos d’entendre par ces docteurs, ces mêmes anciens dont il nous dit ensuite : « J’ai compris mieux que les vieillards ». Et selon moi, le but de cette répétition serait de nous rappeler l’âge du Christ mentionné dans l’Évangile ; enfant par l’âge, il siégeait parmi les anciens ; jeune, parmi les vieillards, et son intelligence devançant celle de ses maîtres, D’ordinaire, en comparant les petits avec les grands, on dit les jeunes et les anciens, quoique souvent ni les uns ni les autres n’approchent de la vieillesse. Si néanmoins nous voulons rechercher dans l’Évangile ce nom des vieillards au-dessus desquels s’élevait son intelligence, nous le trouvons quand les scribes et les pharisiens lui dirent : « Pourquoi vos disciples sont-ils violateurs de la tradition des vieillards ? car ils ne lavent point leurs mains avant de manger ». Voilà qu’on lui oppose une faute contre la tradition des vieillards. Mais écoutons la réponse de Celui qui comprenait mieux que les vieillards : « A votre tour, pourquoi transgressez-vous le précepte du Seigneur, à cause de votre tradition ? » Puis un peu plus loin, afin de nous montrer que non seulement la tête, mais aussi le corps et les membres auraient une intelligence supérieure à celle des vieillards, dont on lui objectait la tradition sur la coutume de laver les mains, il assemble autour de lui la foule, et s’écrie : « Écoutez et comprenez », comme s’il disait : Vous aussi, comprenez mieux que ces vieillards, afin qu’il devienne évident que c’est de vous aussi que le Prophète a dit : « J’ai compris mieux que les vieillards » ; que ce n’est pas seulement de la tête, mais de tout le corps, et qu’ainsi elle s’applique au Christ tout entier. « L’homme n’est point souillé par ce qui entre dans sa « bouche, mais il est souillé par ce qui sort de sa bouche ». Voilà ce que n’avaient pas compris les vieillards, qui avaient donné comme importante la prescription de se laver les mains. Les membres mêmes de ce chef divin, comprenant mieux que les vieillards, n’avaient pas encore compris ce qu’il avait dit, Aussi Pierre lui dit-il un peu après : « Expliquez-nous cette parabole ». Il prenait encore pour une parabole ce que le Seigneur avait dit sans figure. Mais le Sauveur lui dit : « Vous aussi, êtes-vous sans intelligence ? Ne comprenez-vous pas que tout ce qui entre dans la bouche va dans les entrailles, et tombe dans un lieu secret ? Mais ce qui sort de la bouche vient du cœur, et c’est là ce qui souille l’homme rt ! » Vous aussi, seriez-vous sans intelligence, et ne comprenez-vous pas mieux que ces vieillards ? Mais maintenant, après avoir entendu un tel maître qui est notre chef, chacun de nous peut dire : J’ai compris mieux que les anciens. Ce qui suit, en effet, convient aussi au corps : « Parce que j’ai recherché vos préceptes ». « Vos préceptes », et non ceux des hommes ; « vos préceptes », et non ceux des anciens qui veulent être docteurs de la loi, bien qu’ils n’entendent ni ce qu’ils disent, ni ce qu’ils affirment ru. C’est à bon droit qu’à propos des préceptes divins que nous devons rechercher afin d’avoir plus d’intelligence que ces vieillards, le Sauveur répondit à ceux qui préféraient l’autorité de ces anciens à la vérité : « A votre tour, pourquoi transgressez-vous le précepte de Dieu, pour établir vos traditions ? »

5. Les paroles suivantes paraissent moins convenir au chef qu’aux membres : « J’ai détourné mes pieds de tout sentier du mal, afin de garder vos paroles rv ». Le Christ, en effet, qui est notre chef et Sauveur de son corps, n’est porté dans le sentier du mal par aucune convoitise charnelle, et n’a pas besoin de l’interdire à ses pieds, comme s’ils y allaient de leur propre mouvement, ainsi que nous le faisons quand nous interdisons la voie du mal à nos désirs dépravés, que le Sauveur n’a point ressentis. Le moyen, en effet, d’accomplir les commandements de Dieu, est de ne point suivre nos concupiscences perverses rw, de ne leur permettre jamais d’arriver au mal qu’elles convoitent, mais de les refréner par les désirs de l’esprit contre la chair rx, de peur qu’elles ne nous emportent, nous entraînant dans les sentiers du mal.

6. « Je ne me suis point écarté de vos jugements, parce que vous m’avez posé une loi ry ». Le Prophète nous dit ici le sujet de ses craintes et pourquoi il détournait ses pieds de tout sentier du mal. Que signifie en effet : « Je ne me suis point écarté de vos jugements », sinon ce qu’il a dit ailleurs : « J’ai craint au sujet de vos jugements ? » J’y ai cru d’une foi persévérante : « Parce que vous m’avez posé une loi ». Vous, plus intérieur que tout ce qui est intérieur en moi, c’est vous qui avez gravé dans mon cœur une loi par votre esprit comme par votre doigt, non point afin que je la craigne sans l’aimer comme l’esclave, mais afin qu’une crainte chaste me la fasse aimer, qu’un amour chaste me la fasse craindre.

7. Aussi, voyez ce qui suit : « Combien votre parole est douce à ma bouche rz » ; ou, comme dans le grec, d’une manière plus expressive : « Vos promesses ». Elles surpassent le miel et le rayon de miel. Telle est la douceur que le Seigneur fait descendre, afin que notre terre donne son fruit sa » ; c’est-à-dire, afin que nous fassions le bien d’une manière qui soit bonne ; en d’autres termes, non plus par la crainte d’un mal temporel, mais par l’attrait du bien spirituel. Dans plusieurs exemplaires, on ne lit point favum, rayon de miel, mais il se trouve en d’autres. Le miel serait alors le symbole d’une doctrine sage et évidente. Le rayon de miel marquerait celle que l’on tire des mystères les plus cachés, comme d’autant de cellules de cire, que l’on nous expliquerait en les pressant de la dent. Mais cela n’est doux qu’à la bouche du cœur, et non à la bouche charnelle.

8. Mais que signifie cette parole : « Vos préceptes m’ont donné l’intelligence ? » Autre est en effet : J’ai compris vos préceptes, et autre : Vos préceptes m’ont fait comprendre. Il y a donc je ne sais quelle autre chose dont il reconnaît que les préceptes de Dieu lui ont donné l’intelligence : autant que j’en puis juger, il dit qu’en pratiquant les préceptes du Seigneur il est arrivé à connaître, à comprendre ce qu’il désirait savoir. Aussi est-il écrit : « Si tu désires la sagesse, observe les commandements, et le Seigneur te la donnera sb » ; ce qui, chez l’homme qui n’a pas encore pratiqué l’humilité de l’obéissance, refoule toute prétention à s’élever jusqu’à la hauteur de la sagesse, à laquelle il ne saurait atteindre que par degrés. Qu’il écoute ce qui est dit ailleurs : « Ne cherche point ce qui est au-dessus de toi, n’examine point curieusement ce qui dépasse tes forces, mais que ta pensée soit toujours occupée des ordres du Seigneur sc ». C’est ainsi que par l’obéissance aux préceptes l’homme arrive à la science des vérités les plus cachées. Après avoir dit : « Que votre pensée s’occupe des ordres du Seigneur », l’écrivain sacré ajoute semper, « toujours », parce qu’il faut observer l’obéissance pour garder la sagesse, et qu’après avoir acquis la sagesse il ne faut pas négliger l’obéissance. Ce sont donc les membres spirituels du Christ qui disent : « J’ai compris par vos commandements ». C’est en effet le langage que peut tenir le corps du Christ dans ceux qui ont observé les commandements de Dieu et acquis ainsi une sagesse supérieure. « C’est pourquoi j’ai eu en horreur toute voie d’iniquité », dit le Prophète ; et en effet, l’amour de la justice c’est la haine de tout mal ; amour qui s’accroît à mesure qu’il est enflammé par la douceur de la sagesse, et Dieu la donne à quiconque lui obéit et s’instruit par ses commandements.

VINGT-TROISIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LA VÉRITABLE LUMIÈRE.

On appelle flambeau ce qui ne s’allume qu’à la véritable lumière qui est le Christ. Cette parole qui est un flambeau, c’est la parole de l’Évangile prédite par les Prophètes, prêchée par les Apôtres. Elle a déterminé le Prophète à garder les décrets de la justice, par celte foi si persécutée, et pour laquelle il demande à Dieu la vie selon sa parole, c’est-à-dire la vie de l’âme par une pureté toujours croissante. Il veut que cette âme soit entre es mains de Dieu ; il l’offre afin qu’elle échappe aux pièges des pécheurs. Ces témoignages acquis par héritage lui viennent de Dieu notre Père, à qui nous devons rendre témoignage par la charité qui est éternelle.

1. Il faut avec la grâce de Dieu approfondir et vous exposer quelques versets de notre psaume dont le premier est celui-ci : « Votre parole est un flambeau qui guide mes pas, une lumière dans mon sentier sd ». Le mot « flambeau » est répété dans « lumière », et « mes pas » répété « dans mon sentier ». Que signifie cette parole ou ce Verbe ? Est-ce bien ce Verbe qui, dès le commencement, était Dieu et en Dieu, ce Verbe par qui tout a été fait se ? Point du tout ; car ce Verbe est la lumière, et non un flambeau, et tout flambeau est créature, et non Créateur ; il ne s’allume qu’au contact de l’immuable lumière. C’est là ce qu’était Jean, dont le Verbe de Dieu a dit : « Il était une lampe ardente et brillante sf ». Toutefois cette lampe était aussi lumière, et néanmoins, en comparaison du Verbe dont il est dit : « Le Verbe était Dieu », il n’était point la hum ère, mais seulement envoyé pour rendre témoignage à la lumière. La lumière véritable n’était point celle qui reçoit la lumière d’ailleurs, à l’imitation des hommes, mais celle qui éclaire tout homme sg. Et cependant, si le flambeau n’était aussi lumière, le Sauveur ne dirait point aux Apôtres : « Vous êtes la lumière du monde sh ». Mais de peur que cette parole ne leur persuadât qu’ils étaient lumière dans le même sens qu’il avait dit de lui : « Je suis la lumière du monde si », voilà qu’il leur dit d’eux-mêmes : « Une ville placée sur une montagne ne saurait être cachée, et on n’allume point un flambeau pour le placer sous le boisseau, mais sur un candélabre, afin qu’il éclaire tous ceux qui sont dans la maison ; ainsi que votre lumière brille devant les hommes sj » ; il voulait qu’ils se considérassent comme des flambeaux allumés à cette lumière qui ne change point. Nulle créature, en effet, pas même celle qui est raisonnable et intelligente, ne saurait s’éclairer par elle-même ; elle ne s’allume que par la participation à la vérité éternelle, bien que souvent on l’appelle jour : ce jour n’est point le Seigneur, mais le jour que le Seigneur a fait. Aussi le Prophète lui dit-il : « Approchez de Dieu afin d’en être éclairés sk ». C’est à cause de cette participation que le Médiateur est dans son humanité appelé une lampe dans l’Apocalypse sl. Mais c’est là une prérogative particulière, car il n’est point d’homme, quelque saint qu’il soit, dont il soit dit d’en haut, et dont on puisse dire : « Le Verbe s’est fait chair sm » ; c’est uniquement du Médiateur de Dieu et des hommes sn. Si donc l’on appelle lumière ce Verbe unique égal à celui qui l’engendre ; si l’on appelle lumière cet homme éclairé par le Verbe que l’on nomme aussi flambeau, tel que Jean, tels que les Apôtres, bien que nul d’entre eux ne soit le Verbe, et que ce Verbe qui les éclaire ne soit point une lampe ; qu’est-ce dès lors que ce Verbe qui est tout à la fois lumière et flambeau (car « votre Verbe, nous dit le Prophète, est un flambeau qui guide mes pas, une lumière dans mes sentiers »), si nous n’entendons par là ce Verbe, cette parole donnée aux Prophètes, prêchée par les Apôtres, non pas la parole qui est le Christ, mais la parole du Christ, dont il est écrit : « La foi vient de ce qu’on entend, et on entend la parole du Christ so ? » Saint Pierre, à son tour, comparant à une lampe la parole des Prophètes : « Nous avons », dit-il, « une preuve plus frappante dans les oracles des Prophètes, sur lesquels vous faites bien d’arrêter les yeux, comme sur un flambeau qui luit dans un lieu obscur sp ». Alors ce que le Prophète nous dit ici : « Votre parole est un flambeau pour mes pieds, une lumière dans mon sentier », s’entend de la parole contenue dans les saintes Écritures.

2. « J’ai juré, j’ai résolu de garder les décrets de votre justice sq ». Cette parole est d’un homme qui suit fidèlement cette lumière divine, et qui marche dans les droits sentiers.

Le second verbe explique ce qu’avait commencé le précédent ; comme si nous lui demandions ce que signifie « je l’ai juré », il ajoute « et je l’ai résolu ». Il appelle jurement ce qu’ila confirmé par un serment ; car l’âme doit être tellement déterminée à garder les jugements de la justice divine, que sa résolution soit un véritable serment.

3. Or, c’est par la foi que l’on garde les décrets de la justice divine ; cette foi vive qui nous persuade que sous un Dieu juste, il n’y a nulle bonne œuvre sans récompense, ni crime sans châtiment ; mais comme cette foi a valu au corps du Christ de graves et nombreuses persécutions, le Prophète s’écrie : « J’ai été humilié à l’excès sr ». il ne dit point : Je me suis humilié, en sorte qu’on doive entendre ces paroles de l’humilité qui est de précepte ; mais il dit : « J’ai été humilié à l’excès », endurant la plus affligeante persécution ; parce qu’il a juré, résolu de garder les décrets de la justice divine, Et de peur que la foi ne l’abandonne dans une si grande humiliation, il ajoute : « Seigneur, donnez-moi la vie selon votre parole », c’est-à-dire, selon votre promesse. Car cette parole des saintes promesses est un flambeau pour mes pieds, une lumière pour mes sentiers. C’est ainsi que plus haut, dans la persécution qu’il endurait, il a demandé à Dieu de le vivifier, en disant : « Peu s’en est fallu qu’ils ne m’anéantissent sur la terre ; et pour moi je n’ai point abandonné vos préceptes ; vivifiez-moi selon votre miséricorde, et je garderai vos témoignages ou vos martyres ». Ce qui nous fait comprendre que si Dieu ne nous vivifiait en nous dominant la patience, selon cette parole : « Vous posséderez vos âmes dans votre patience ss » ; et c’est encore de lui qu’il est dit : « Que la patience vient de lui st », la persécution pourrait bien ne pas tuer le corps, mais l’âme mourrait pour n’avoir point gardé les martyres ou les décrets de la justice divine.

4. « Agréez, Seigneur, les offrandes volontaires de ma bouche su » ; c’est-à-dire, puissent-elles vous plaire, ne les rejetez point, mais approuvez-les. Or, par ces sacrifices de la bouche, peuvent très bien s’entendre les sacrifices de louanges qu’exhale un cri d’amour et non la crainte d’une servile nécessité. De là cette autre parole : « Je vous offrirai des sacrifices volontaires sv ». Mais pourquoi ajouter : « Et enseignez-moi vos jugements ? » Le Prophète n’avait-il pas dit plus haut : « Je ne me suis point écarté de vos jugements ? » Comment l’a-t-il pu, s’il ne les connaissait point ? Et s’il les connaissait, comment dit-il ici : « Enseignez-moi vos jugements ? » En est-il ici comme de ces autres paroles : « Vous avez fait acte de douceur envers votre serviteur », après lesquelles il dit : « Enseignez-moi votre douceur ? » paroles que nous avons expliquées comme le cri d’une âme qui progresse, et qui demande que l’on ajoute encore à ce qu’elle a déjà reçu.

5. « Mon âme est toujours entre vos mains sw ». On lit dans plusieurs exemplaires, « entre mes mains » ; mais dans le plus grand nombre, « entre vos mains », et le sens est clair les âmes des justes, en effet, sont entre les mains de Dieu sx ; et nous-mêmes sommes entre ces mains ainsi que nos paroles sy. « Et je n’ai point oublié votre loi », dit le Prophète ; comme si ces mains de Dieu entre lesquelles est son âme aidaient sa mémoire à ne point oublier la loi de Dieu. Mais je ne sais en quel sens il faudrait dire : « Mon âme est entre mes mains ». Ce langage n’est point celui de l’injuste, mais du juste qui retourne à son Père, et non qui s’en éloigne. On pourrait dire que le prodigue de l’Évangile voulait avoir son âme entre ses mains, quand il disait à son Père : « Donnez-moi la portion de bien qui doit m’échoir sz ». Mais telle fut la cause de sa mort, la cause de sa perdition. Ou bien cette expression : « Mon âme est entre mes mains », signifierait-elle que le Prophète offre son âme à Dieu afin qu’elle soit vivifiée ? Elle reviendrait alors à cette autre : « J’ai levé mon âme vers vous ta ». Car le Prophète a dit plus haut : « Vivifiez-moi ».

6. « Les pécheurs », poursuit-il, « m’ont tendu un piège, et je n’ai point dévié de vos préceptes tb ». D’où vient cette fidélité, sinon de ce que son âme est entre les mains de Dieu, ou qu’il l’offre de ses mains à Dieu afin qu’il la vivifie ?

7. « J’ai acquis vos témoignages comme un héritage éternel tc ». Quelques-uns, pour imiter le grec, et renfermer tout en un mot, ont traduit, haereditavi; mais cette expression, quoique latine, semble désigner plutôt celui qui donne en héritage, que celui qui accepte ; en sorte que haereditavi, signifierait j’ai enrichi. Le sens est donc plus exact dans ces deux expressions : « J’ai acquis par héritage », ou « possédé par héritage » ; mais « par héritage », et, non un héritage. Et si l’on se demande ce qu’il a acquis par héritage, « ce sont vos témoignages », répond-il. Que veut-il dire, sinon qu’il a reçu du Père, dont il est héritier, la faveur d’être son témoin, de confesser ses témoignages, c’est-à-dire d’être le martyr de Dieu, de le confesser comme le font ses martyrs ? Beaucoup, en effet, l’ont voulu et ne l’ont pu ; mais nul ne l’a pu s’il n’a voulu ; car ils n’eussent rien pu, s’ils eussent voulu renier à Dieu son témoignage. Encore est-ce le Seigneur qui a ainsi disposé leur volonté td. Voilà ce qu’il déclare qu’il a reçu en héritage, et cela « pour jamais » ; parce qu’on ne retrouve pas dans ces témoignages cette gloire passagère des hommes qui recherchent la vanité, mais cette gloire éternelle qui échoit à ceux qui souffrent un moment ici-bas, et qui doivent régner sans fin. De là ce qu’ajoute le Prophète : « Parce qu’ils font les délices de mon cœur ». Ils peuvent affliger le corps, mais ils sont la joie du cœur.

8. « J’ai incliné mon cœur », dit-il ensuite, « afin d’accomplir éternellement vos préceptes, en vue de la récompense te ». Celui qui dit ici : « J’ai incliné mon cœur », avait déjà dit : « Inclinez mon cœur vers vos témoignages », afin de nous faire comprendre que c’est là l’œuvre de Dieu et de notre volonté tout ensemble. Mais devons-nous accomplir éternellement les préceptes du Seigneur ? Les œuvres par lesquelles nous soulageons les besoins du prochain ne sauraient être éternelles, non plus que ces besoins ; mais si nous ne les faisons par charité, elles ne peuvent nous justifier ; si nous agissons par charité, comme la charité est éternelle, une récompense éternelle lui est réservée. C’est en vue de cette récompense éternelle qu’il a, dit-il, incliné son cœur pour accomplir les préceptes de Dieu, afin qu’en l’aimant éternellement, il mérite de posséder éternellement l’objet de son amour.

VINGT-QUATRIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

IMPORTUNITÉ DES MÉCHANTS.

Haïr les méchants ne peut, selon la charité, s’entendre que de leurs œuvres. Le Prophète les éloigne de lui afin d’approfondir la loi du Seigneur, dont il est détourné par leurs affaires du temps, par leurs querelles. Il demande à Dieu ce soutien qui est vie, c’est-à-dire vie éternelle, car Dieu réduit au néant ceux qui s’éloignent de lui. Tous ceux qui pèchent sont-ils prévaricateurs ?

1. Le passage de notre psaume, qu’il nous faut exposer selon la volonté de Dieu, commence ainsi : « J’ai haï les méchants, et aimé votre loi tf ». Le Prophète ne dit point : J’ai haï les méchants, et aimé les justes ; ou bien : J’ai haï l’iniquité et aimé votre loi ; mais après avoir dit : « J’ai haï les méchants », le Prophète en donne la raison dans ce qu’il ajoute : « Et aimé votre loi » pour nous montrer qu’il ne hait point dans les méchants cette nature qui en fait des hommes, mais bien l’iniquité qui les rend ennemis de cette loi qu’il aime.

2. « Vous êtes mon soutien et mon protecteur », ajoute le Prophète. « Soutien » pour faire le bien, protecteur pour éviter le mal. Mais ajouter : « J’ai mis tout mon espoir dans votre parole tg », c’est parler en fils de la promesse.

3. Mais que signifie le verset suivant : « Méchants, retirez-vous de moi, et j’approfondirai les commandements de Dieu th ? » Il ne dit point : j’accomplirai ; mais, j’approfondirai. C’est donc pour les connaître plus parfaitement qu’il veut éloigner de lui les méchants, et même qu’il les force à se retirer de lui. Car les méchants, qui nous servent à la vérité à suivre les préceptes de Dieu, nous empêchent de les étudier, non seulement quand ils nous persécutent, ou qu’ils prétendent nous quereller, mais aussi lorsqu’ils sont d’accord avec nous et nous témoignent de l’estime, ils nous pressent de leur donner notre temps, de les aider dans leurs affaires temporelles, dans leurs convoitises vicieuses ; ou bien ils oppriment les faibles, qu’ils forcent de porter leurs plaintes vers nous, alors que nous n’osons leur dire : « O homme, qui m’a établi entre vous juge ou arbitre ti ? » L’Apôtre lui-même a établi des ecclésiastiques pour connaître de ces causes, et défendu aux chrétiens de plaider au forum tj. À ceux qui, sans ravir le bien d’autrui, revendiquent le leur avec trop d’âpreté, nous ne disons pas même : Gardez-vous de toute convoitise, en leur remettant devant les yeux cet homme à qui l’on dit dans l’Évangile : « O insensé, cette nuit ton âme te sera ôtée, et à qui seront ces biens que tu as amassés tk ? » Car lorsque nous leur tenons ce langage, ils ne nous quittent point, ils ne s’éloignent point ; mais ils persistent, ils pressent, supplient avec bruit, et nous forcent à nous appliquer à ce qu’ils désirent plutôt qu’à étudier les commandements de Dieu que nous aimons. Quel profond ennui des embarras de ce monde, et quel désir des saintes paroles a fait dire : « Méchants, éloignez-vous de moi, et je sonderai les préceptes de mon Dieu ? » Qu’ils me pardonnent, ces fidèles si pleins de déférence, qui nous requièrent si rarement pour leurs affaires temporelles, qui acceptent nos jugements avec une si grande docilité, qui nous consolent par leur obéissance, loin de nous fatiguer de leurs procès. Mais pour ces opiniâtres, qui ont des querelles sans fin, qui oppriment les bons en se riant de nos sentences, qui nous font perdre uni temps que nous devrions donner aux choses divines ; pour ceux-là, dis-je, qu’il nous soit permis de nous écrier ici avec le corps du Christ : « Retirez-vous, ô méchants, et j’approfondirai les préceptes de mon Dieu ».

4. Après que le Prophète a pour ainsi dire chassé de ses yeux ces mouches qui l’importunaient, il revient à celui à qui tout à l’heure il disait : « Vous êtes mon soutien et mon protecteur, j’ai espéré en votre parole » ; et continuant cette prière : « Protégez-moi », dit-il, « selon votre parole, et je vivrai, et ne me confondez point dans mon attente tl ». Lui, qui avait dit : « Vous êtes mon soutien », implore de plus en plus cette protection et veut arriver à ce bien suprême pour lequel il a tant souffert ici-bas : il est plein de la confiance d’y trouver une vie plus réelle, qu’au milieu des fantômes d’ici – bas. Car c’est à propos de l’avenir qu’il est dit : « Et je vivrai », comme si l’on ne vivait point dans ce corps mortel, puisque ce corps est mort par le péché. Pleins de confiance dans la délivrance de notre corps, nous sommes sauvés par l’espérance, et cet objet de l’espérance que nous ne voyons pas, nous l’attendons par la patience tm. Mais cette espérance n’est point vaine, si l’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné tn. Et c’est pour le recevoir avec plus d’abondance que le Prophète s’écrie en parlant au Père : « Ne me confondez point dans mon attente ».

5. Et comme si ou lui eût répondu silencieusement : Veux-tu n’être point confondu dans ton espérance ? médite sans cesse mes ordonnances, le Prophète sent que la tiédeur de l’âme est un obstacle à cette méditation, et il s’écrie : « Soutenez-moi et je serai sauvé, et je méditerai sans cesse vos ordonnances to ».

6. « Vous avez méprisé », ou, pour traduire le grec plus exactement : « Vous avez réduit au néant tous ceux qui s’écartent de vos préceptes, parce que leur pensée est injuste tp ». Si donc il s’écrie : « Soutenez-moi et je serai sauvé, et je méditerai vos ordonnances », c’est que Dieu réduit au néant tous ceux qui s’éloignent de ses préceptes. D’où vient cet éloignement ? De l’injustice de leur pensée. C’est par la pensée que l’on approche, par elle que l’on s’éloigne de Dieu. Toute action, en effet, soit bonne, soit mauvaise, vient de la pensée ; c’est par la pensée que l’homme est innocent, comme par la pensée il est coupable. Aussi est-il écrit : « Une sainte pensée te sauvera tq » comme on lit ailleurs : « Ce sont les pensées de l’impie que l’on examinera tr ». Et l’Apôtre nous dit à son tour que les pensées nous accusent ou nous défendent ts. Où est le bonheur pour l’homme qui est misérable dans sa pensée, et comment ne serait point misérable celui qui est réduit à néant ? Car l’iniquité est un vide étrange ; et c’est avec raison qu’il est dit : « Qu’ils soient confondus, ces méchants qui font des choses vaines tt » ; c’est-à-dire, qui travaillent aussi vainement que s’ils étaient anéantis.

7. « J’ai regardé », dit ensuite le Prophète, ou « j’ai estimé », ou « j’ai envisagé comme prévaricateurs tous les pécheurs de la terre tu ». On a traduit en effet de plusieurs manières ce verbe grec, elogisamen ; mais la pensée est profonde, et si Dieu nous vient en aide, nous tâcherons de l’étudier avec plus de soin dans un autre discours. Car ce que le Prophète ajoute : « C’est pour cela que j’ai aimé vos préceptes à jamais », lui donne encore plus de profondeur. L’Apôtre nous dit : « La loi produit la colère » ; et pour nous donner raison de cette parole, il nous dit : « Où n’est pas la loi, il n’y a point de prévarication tv », et nous montre ainsi que tous ne sont point prévaricateurs, puisque tous n’ont pas reçu la loi. Or, ce passage nous indique clairement que tous n’ont pas reçu la loi : « Ceux qui ont péché sans la loi, périront sans la loi tw ». Que signifie donc cette parole : « J’ai regardé comme prévaricateurs tous les pécheurs de la terre ? » Mais qu’il nous suffise d’avoir posé cette question, que nous éclaircirons dans un autre discours, de peur que celui-ci ne devienne trop long et ne nous oblige de la resserrer trop, sans y donner la clarté suffisante.

VINGT-CINQUIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LA PRÉVARICATION.

Tous les pécheurs de la terre sont prévaricateurs, dit le Prophète, non pas tous contre la loi mosaïque, puisque tous ne l’ont pas reçue ; mais comme cette loi n’est qu’un développement ou une restauration de la loi naturelle, les Juifs qui la violent sont plus coupables, et les Gentils, violateurs de la loi naturelle sont coupables à leur tour. Donc tout pécheur est violateur au moins de la loi naturelle. Quelques-uns ont voulu condamner sans remède ceux qui ont vécu en dehors de la loi, et simplement à être jugés ceux qui ont péché sous la loi. Erreur ! Le Christ est la base de toute sanctification, et les Juifs incrédules seront jugés plus sévèrement. Au nombre des pécheurs mettons les enfants, puisqu’ils ont la tache originelle, et que tous dès lors ont besoin de la grâce de Dieu ceux qui ont la raison doivent agir, non par la crainte servile qui laisse le désir du péché, mais par la crainte de la charité, oui redoute simplement de déplaire à Dieu.

1. Cherchons, si Dieu nous fait la grâce de le trouver, comment il nous faut comprendre dans ce long psaume ce qui est dit de « ceux qui ont violé », ou plutôt de ceux qui « violent la loi », car le grec porte parabainontas, au participe présent, et non parabatas, au passé. Nous cherchons donc la manière de comprendre : « J’ai regardé comme prévariquant tous les pécheurs de la terre ». L’Apôtre nous dit : « Où n’est pas la loi, il n’y a point de prévarication ». Mais il parlait ainsi pour établir une distinction entre la loi et les promesses. Pour rétablir en effet le sens plus complet d’après ce qui précède : « Ce n’est point par la loi », dit-il, « mais par la justice de la foi, que s’accomplit la promesse faite à Abraham, ou à sa postérité, d’avoir le monde pour héritage. En effet, si ceux qui appartiennent à la loi sont les héritiers, la foi devient vaine, et les promesses sont abolies. Parce que la loi produit la colère, où n’est pas la loi, il n’y a point de prévarication. Ainsi c’est par la foi que nous sommes héritiers, afin que nous le soyons par la grâce, et que la promesse demeure ferme pour toute la postérité d’Abraham, non seulement pour ceux qui ont reçu la loi, mais encore pour ceux qui suivent la foi d’Abraham, le père de nous tous tx ». Pourquoi ce langage de l’Apôtre, sinon pour nous montrer que sans la promesse de la grâce, non seulement la loi n’ôte point le péché, mais ne fait que l’augmenter ? De là cet autre mot de saint Paul : « La loi est entrée, en sorte que le péché a abondé ty ». Mais comme la grâce nous remet toutes nos fautes, non seulement celles que l’on a commises sans la loi, mais aussi celles que l’on a commises avec la loi, l’Apôtre ajoute : « Mais où le péché a abondé, a surabondé la grâce ». L’Apôtre n’appelle donc pas prévaricateurs tous les pécheurs, mais il ne donne ce nom de prévaricateurs qu’aux violateurs de la loi. « Là où n’est pas la loi, il n’y a point de prévarication ». D’où il suit que, d’après l’Apôtre, tout prévaricateur est un pécheur, puisqu’il pèche contre la loi qu’il a reçue ; mais tout pécheur n’est pas prévaricateur, puisqu’il en est qui pèchent sans la loi : « Or, où n’est pas la loi, il n’y a point de prévarication ». Mais si nul ne péchait sans la loi, l’Apôtre ne dirait point : « Quiconque a péché sans la loi, périra sans la loi ». Si donc, selon notre psaume, tous les pécheurs de la terre sont prévaricateurs, il n’est aucun péché sans prévarication ; or, il n’y a point de prévarication sans la loi, donc il n’est aucun péché sans la loi. Celui donc qui dit ici : « J’ai regardé comme prévaricateurs tous les pécheurs de la terre », ne veut sans doute regarder comme pécheurs que ceux qui ont transgressé la loi, et il est en désaccord avec celui qui a dit : « Ceux qui ont péché sans la loi périront sans la loi ? ». Car selon lui il en est qui sont pécheurs sans être prévaricateurs, c’est-à dire qui ont péché sans la loi : « Où n’est pas la loi, il n’y a point de prévarication » ; et selon le Psalmiste, il n’est aucun pécheur sans prévarication, puisqu’il regarde comme prévaricateurs tous les pécheurs de la terre. Donc, selon lui, nul n’a péché sans la loi, car : « Où n’est pas la loi, il n’y a point de prévarication ». Nous faudra-t-il dire qu’à la vérité sans loi il n’y a pas de prévarication, mais qu’il n’est pas vrai que plusieurs aient péché sans loi ; ou bien, qu’il est vrai que plusieurs ont péché sans loi, mais qu’il n’est pas vrai qu’il n’y ait pas de prévarication là où n’est pas la loi ? Mais l’Apôtre a dit l’un et l’autre, donc l’un et l’autre sont vrais, puisque c’est la Vérité qui le dit par sa bouche. Comment donc sera vrai ce que la même Vérité nous dit indubitablement dans ce psaume : « J’ai regardé comme prévaricateurs tous les pécheurs de la terre ? ». Car on nous répondra : Quels sont donc ceux qui, selon l’Apôtre, ont péché sans la loi ? Puisque l’on ne saurait mettre aucun d’eux au rang des prévaricateurs ; car, selon le même Apôtre, il n’y a pas de prévarication où n’est pas la loi.

2. Mais quand l’Apôtre disait : « Tous ceux qui ont péché sans la loi périront sans la loi », il parlait de cette loi que Dieu a donnée au peuple d’Israël par son serviteur Moïse. Voilà ce que prouvent les paroles du contexte. L’Apôtre parlait des Juifs, puis des Grecs ou des Gentils qui n’appartenaient point à la circoncision, mais qui étaient incirconcis ; et il dit que ces derniers sont sans la loi, parce qu’ils n’avaient point reçu cette loi dont les Juifs se glorifiaient, ainsi qu’il le leur reproche : « Mais toi qui portes le nom de Juif, qui te reposes sur la loi, et te glorifies en Dieu ». Voyons toutefois comment il en vient à cette conclusion : « Tous ceux qui ont péché sans la loi périront sans la loi ». « Colère », dit-il, « et indignation, tribulation et angoisse pour l’âme de tout homme qui fait le mal, du Juif premièrement, puis du Gentil. Mais gloire, honneur et paix à tout homme qui fait le bien, au Juif d’abord, puis au Gentil. Car Dieu ne fait acception de personne ». Puis il ajoute ce qui a soulevé notre difficulté : « Ainsi tous ceux qui ont péché sans la loi périront sans la loi, et tous ceux qui ont péché dans la loi seront jugés dans la loi tz ». Par les uns il veut assurément désigner les Juifs, et par les autres les Gentils, car c’est d’eux qu’il est question ; il montre que tous sont soumis au péché, afin qu’ils confessent les uns et les autres qu’ils ont besoin de la grâce ; c’est pourquoi il ajoute : « Il n’y a point de distinction, tous ont péché, et ont besoin de la grâce de Dieu ils sont justifiés gratuitement par sa grâce, par la rédemption qui vient de Jésus-Christ ua ». Mais de qui l’Apôtre dit-il que tous ont péché, sinon des Juifs et des Gentils, et dont il avait dit : « Il n’y a nulle différence ? » Car c’est d’eux qu’il disait un peu auparavant : « Nous avons convaincu les Juifs et les Gentils d’être tous dans le péché ub ». Ainsi « tous ceux qui ont péché sans la loi », c’est-à-dire sans cette loi dont se glorifient les Juifs, « périront sans la loi ; et tous ceux qui ont péché sous la loi », c’est-à-dire les Juifs, « seront jugés par la loi » ; ce qui ne les empêchera pas de périr, s’ils ne croient en Celui qui est venu chercher ce qui a péri uc.

3. Quelques auteurs, même catholiques, peu attentifs aux paroles de l’Apôtre, leur ont donné un sens qu’elles ne comportent pas, en disant que ceux-là périront qui ont péché sans la loi, et que ceux qui ont péché sans la loi seront simplement jugés, mais ne périront pas : comme si nous devions croire qu’ils seront purifiés par des peines passagères, comme celui dont il est dit : « Quant à lui il sera sauvé, mais comme par le feu ud ». Mais il est clair que celui dont l’Apôtre parlait alors ne devait être sauvé que par le mérite du fondement qui est le Christ : « Comme un sage architecte, j’ai posé le fondement, un autre bâtit. Que chacun prenne garde à ce qu’il construit. Car nul ne saurait établir u de fondement autre que celui qui est posé, lequel est Jésus-Christ ue » ; et le reste, jusqu’à cet endroit où l’Apôtre dit qu’il sera sauvé, mais comme par le feu, celui qui aura bâti sur ce fondement, non avec de l’or, de l’argent, ou des pierres précieuses, mais avec du bois, du foin ou de la paille, et qui ne refuse point de recevoir ce fondement divin, ou qui ne l’abandonne pas après l’avoir reçu ; qui le préfère à tous les plaisirs terrestres, quand se présente l’alternative ou de les abjurer, ou d’abjurer Jésus-Christ ; s’il ne préférait alors le Christ, il n’aurait plus de fondement, car ce fondement doit toujours venir avant toute autre partie de l’édifice. Je ne pense pas qu’ils se soient imaginé que ceux-là ne périront point dont il est dit : « Ils seront jugés par la loi », à moins qu’ils n’aient le Christ pour fondement. Ils ont donc peu examiné ce que nous venons de démontrer : et l’Écriture elle-même nous dit bien clairement que l’Apôtre parle ainsi des Juifs qui n’ont pas le Christ pour base. Or, où est le chrétien qui ne condamnerait point à périr, mais seulement à être jugé, tout Juif qui ne croit point au Christ ? quand le Christ lui-même nous affirme qu’il est venu chez ce peuple afin de sauver les brebis qui ont péri uf ; et que Sodome, qui a péché sans la loi, sera traitée avec plus de douceur au jour du jugement que les cités juives qui n’ont pas cru en lui quand il faisait tant de miracles ug.

4. Si donc saint Paul entendait parler de la loi que Dieu donna par Moïse au peuple d’Israël, mais non aux autres peuples, quand il a dit que ces autres peuples étaient sans la loi uh ; que devons-nous comprendre lorsque le psaume nous dit : « J’ai regardé comme prévaricateurs tous les pécheurs de la terre », sinon qu’il est une loi que Moïse n’a point donnée, et d’après laquelle sont prévaricateurs tous les pécheurs des autres peuples ? Car « où n’est pas la loi, il n’y a point de prévarication ». Or, quelle est cette loi, sinon peut-être celle dont l’Apôtre a dit : « Les Gentils qui n’ont pas la loi font naturellement ce que la loi commande ; n’ayant point de loi, ils sont à eux-mêmes la loi ui ? » Ainsi donc d’après cette parole : Ils n’ont point la loi, ils ont péché sans la loi, et ils périront sans la loi ; mais d’après cette autre : Ils sont à eux-mêmes la loi, ce n’est point sans raison que le Prophète regarde comme prévaricateurs tous les pécheurs de la terre. Car nul ne fait injure à un autre sans être fâché qu’on lui fasse injure ; et dès lors il est violateur de la loi naturelle qu’il ne saurait ignorer, en faisant ce qu’il ne veut point qu’on lui fasse. Mais cette loi naturelle n’était-elle point aussi pour Israël ? Assurément, puisque les Israélites étaient hommes. S’ils avaient pu être en dehors du genre humain, ils n’auraient point eu cette loi naturelle. À plus forte raison ils sont devenus prévaricateurs après avoir reçu cette loi divine, qui rétablissait, ou développait, ou confirmait cette loi naturelle.

5. Si donc, comme il est très possible, dans ces pécheurs de la terre on entend aussi les enfants, à cause des liens du péché originel, qui les atteint comme la transgression d’Adam uj, nous pouvons dire qu’ils ont part aussi à cette prévarication, qui fut commise contre la loi donnée dans le paradis uk ; et dès lors, sans aucune exception tous les pécheurs de la terre peuvent être envisagés comme des prévaricateurs. « Car tous ont péché, tous ont besoin de la gloire de Dieu ul ». La grâce de Jésus-Christ n’a donc trouvé sur la terre que des prévaricateurs, les uns plus, les autres moins. Plus en effet est grande la connaissance de la loi, moins la faute est excusable ; et moins le péché est excusable, plus la prévarication est manifeste. Nous n’avions donc nulle ressource que dans la justice, non de chacun de nous, mais dans la justice de Dieu, et cette justice nous est donnée. De là ce mot de l’Apôtre : « C’est par la loi que l’on connaît le péché » ; non point qu’on l’efface, mais qu’on le connaît. « Au lieu que maintenant », nous dit-il, « la justice de Dieu nous est donnée sans la loi, affirmée par la loi et par les Prophètes um ». C’est pourquoi l’interlocuteur ajoute : « Et dès lors j’ai aimé vos témoignages ». Comme s’il disait : Puisque la loi, soit intimée dans le paradis, soit gravée naturellement dans le cœur, soit promulguée dans les saintes Écritures, a rendu prévaricateurs tous les pécheurs de la terre : « c’est pour cela que j’ai aimé vos témoignages », qui sont dans votre loi et qui concernent votre grâce ; en sorte que ce n’est point ma justice, mais la vôtre qui est en moi. Car la loi est utile en ce qu’elle nous envoie à la grâce. Non seulement par le témoignage qu’elle rend à la manifestation future de la justice de Dieu qui est au-dessus de la loi, mais par cela même qu’elle tait des prévaricateurs, et que la lettre tue, elle nous frappe de crainte et nous force à recourir à l’esprit qui vivifie un, seul capable d’effacer nos fautes, de nous inspirer l’amour du bien : « C’est pour cela », dit le Prophète, « que j’ai aimé vos témoignages ». Dans certains exemplaires, on lit semper, « toujours » ; d’autres ne l’ont pas. Mais s’il faut mettre « toujours », on doit l’entendre tant que l’on vit ici-bas. C’est ici-bas en effet que nous avons besoin que les témoignages de la loi et des Prophètes nous viennent garantir cette justice de Dieu qui nous justifie gratuitement ; c’est ici-bas encore que nous avons besoin de ces témoignages, pour lesquels les martyrs ont donné avec joie la vie de ce monde.

6. Après nous avoir fait connaître la grâce de Dieu, qui seule nous délivre du péché où nous fait tomber la connaissance de la loi, le Prophète continue par cette prière : « Que votre crainte soit comme des aiguillons qui percent ma chair uo ». C’est ainsi qu’ont traduit les Latins, pour donner plus d’expression à ce que les Grecs ont exprimé en un seul mot, katheloson. D’autres l’ont rendu par confige, percez, sans ajouter clavis, « avec des clous » ; et dès lors en voulant rendre le mot grec par un seul mot latin, ils ont affaibli la pensée ; car dans le mot confige, les clous ne sont point rendus, tandis qu’il est impossible de séparer de ces aiguillons le mot katheloson, que l’on ne saurait dès lors exprimer en latin sans ces deux mots confige clavis, percez de clous. Qu’est-ce à dire, sinon comme le demandait saint Paul : « A Dieu ne plaise que je me glorifie, sinon en la croix de Jésus-Christ Notre-Seigneur, par qui le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde up ? » Et encore : « Je suis », dit-il, « attaché à la croix avec le Christ, je vis, non pas moi, mais le Christ vit en moi uq ? » Qu’est-ce à dire encore, sinon qu’elle n’est plus en moi cette justice qui venait de la loi, et cette loi m’a rendu prévaricateur ; mais c’est la justice de Dieu, c’est- à-dire celle qui me vient de Dieu ur, et non de moi ? C’est ainsi que ce n’est pas moi, mais le Christ qui vit en moi : « Lui qui nous a été donné de Dieu, comme notre sagesse, notre justice, notre sanctification, notre rédemption, afin que selon qu’il est écrit : Que celui qui se glorifie le fasse dans le Seigneur us ». C’est lui qui dit encore : « Ceux qui sont au Christ ont crucifié leur chair, avec ses passions et ses convoitises ut ». Or, ici il est dit qu’ils ont crucifié leur chair, et dans notre psaume le Prophète prie Dieu qu’il la perce lui-même de sa crainte, comme avec des aiguillons ; afin que nous comprenions que tout le bien que nous faisons doit être attribué à la grâce de Dieu, « qui opère en nous le vouloir et le faire, selon sa bonne volonté uu ».

7. Mais après avoir dit : « Que votre crainte perce ma chair, comme des aiguillons », pourquoi ajouter : « J’ai craint vos jugements ? » Que signifie : « Pénétrez-moi de votre crainte, car j’ai craint ? » S’il avait craint déjà, ou s’il craignait, pourquoi demandait-il à Dieu de crucifier sa chair ? Voulait-il que Dieu augmentât cette crainte et la rendit si forte qu’elle fût suffisante pour crucifier sa chair, c’est-à-dire ses convoitises avec ses affections charnelles ; comme s’il eût dit : perfectionnez en moi votre crainte, car je redoute vos jugements ? Mais il est un sens plus relevé, que l’on peut, avec le secours de Dieu, tirer des entrailles mêmes de ce passage. « Que votre crainte pénètre ma chair, comme des aiguillons ; car j’ai craint vos commandements » ; c’est-à-dire, qu’une crainte chaste, qui demeure éternellement uv, vienne coin primer en moi les désirs charnels ; car j’ai craint vos jugements, sous la menace de cette loi qui ne pouvait me donner la justice. Mais la charité parfaite bannit cette crainte qui redoute seulement la peine ; elle nous rend libres, non par la crainte du châtiment, mais par l’amour de la justice. Car cette crainte qui nous fait, non point aimer la justice, mais redouter le châtiment, est une crainte servile et charnelle, qui ne crucifie pas la chair. Elle laisse vivre en nous la volonté du péché, qui se manifeste quand nous comptons sur l’impunité ; qui demeure cachée, mais vivante néanmoins, quand elle compte sur la peine qui suivra. Elle voudrait se donner, elle regrette qu’elle ne se puisse donner ce que la loi défend ; elle n’a aucun goût pour le bien que promet cette loi, mais elle craint vivement la peine dont elle menace. La charité, au contraire, qui bannit cette crainte, a pourtant une crainte chaste du péché ; elle ne croit pas qu’une faute soit impunie, puisque l’amour de la justice lui fait du péché même un châtiment. Telle est la crainte qui crucifie notre chair ; parce que le goût des biens spirituels surmonte l’amour des biens charnels que la lettre de la loi nous défend sans nous les faire éviter, et que cette victoire devenant complète en nous, éteint ces vains plaisirs. Donc, ô mon Dieu, « que votre crainte perce ma chair comme des aiguillons, car j’ai redouté vos jugements ». C’est-à-dire, donnez-moi cette crainte chaste, que la crainte servile de cette loi m’a conduit, comme un maître, à vous demander, en me remplissant de frayeur à l’idée de vos jugements.

VINGT-SIXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LA VRAIE CHARITÉ.

Quand le Prophète parle ici du jugement, ce mot doit être entendu dans un sens favorable, dans le même sens que la justice dont l’acte produit le jugement. Toutefois il craint que ses ennemis ou les démons ne le poussent au désordre, et il supplie le Seigneur de l’en délivrer ; loin de compter sur lui-même, il en appelle à Dieu qui donne la force et la patience. Or, cette patience nous est nécessaire, pour nous maintenir contre les calomnies de nos ennemis de toutes sortes. Le Prophète veut être au service de Dieu par amour, et comme l’ancienne loi s’est effondrée sous le grand nombre des prévarications, le Prophète soupire après l’acte suprême de Dieu, c’est-à-dire après le Christ qui nous justifie par la grâce, et nous redresse en nous faisant agir par la charité.

1. Nous entreprenons aujourd’hui d’approfondir et d’exposer les versets suivants de notre long psaume « J’ai gardé le jugement et la justice, ne me livrez point à ceux qui me nuisent uw ». Il n’est pas étonnant qu’il ait gardé le jugement et la justice, celui qui avait demandé à Dieu de pénétrer ses chairs d’une crainte chaste, c’est-à-dire de meurtrir comme d’aiguillons nos convoitises charnelles, dont l’effet ordinaire est de nous détourner d’un jugement droit ; bien que selon l’usage de notre langue on appelle ainsi tout jugement, soit jugement droit, soit jugement dépravé, selon cet avis que l’Évangile donne aux hommes : « Ne jugez point selon l’apparence, mais portez un jugement droit ux » ; toutefois, dans notre passage, le mot jugement est employé de telle sorte que, si ce jugement n’est point droit, il ne mérite point d’être appelé jugement ; autrement il ne suffirait pas de dire : « j’ai gardé le jugement » ; mais il faudrait dire : J’ai gardé le jugement droit. C’est dans ce sens que parlait Notre-Seigneur Jésus-Christ, quand il disait : « Vous abandonnez ce qu’il y a de plus important dans la loi, le jugement, la miséricorde et la foi uy ». Ici encore le mot de jugement est employé comme s’il n’y avait point de jugement dès lors qu’il est corrompu. Dans plusieurs endroits des saintes Écritures, il a cette acception : ici, par exemple : « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre jugement uz ». Et dans cet autre passage d’Isaïe : « J’attendais d’Israël le jugement, et il a fait l’iniquité va ». Le Seigneur ne dit point : J’attendais un jugement droit, et il a été perverti ; mais il se sert du mot jugement, comme s’il désignait l’équité, comme s’il n’y avait plus de jugement dès lors qu’il y a injustice. Quant à la justice, on ne dit point une bonne ou une mauvaise justice, comme on dit un jugement équitable ou un jugement injuste, mais elle est bonne par là même qu’elle est justice. Ainsi dans le langage habituel on dira un bon jugement, un mauvais jugement, comme on dit un bon juge, et un mauvais juge ; mais on ne dit pas une bonne justice, ou une mauvaise justice, comme on ne dit pas non plus un bon juste, ou un mauvais juste, car tout homme est bon dès lors qu’il est juste. La justice est donc une vertu de l’âme que l’on peut appeler bonne et louable, et dont nous n’avons plus à nous occuper ; quant au jugement, dès qu’on le prend en bonne part, il est l’acte que produit cette vertu. Car celui qui a la justice porte un jugement droit, ou plutôt, dans le sens rigoureux, avoir la justice c’est juger, car porter un jugement faux ce n’est point juger. Et ici, sous le nom de justice nous n’entendons pas seulement une vertu, mais l’acte de cette vertu. Et en effet qui produit la justice dans l’homme, sinon celui qui justifie l’impie, c’est-à-dire qui, par sa grâce, le rend juste d’impie qu’il était ? De là ce mot de l’Apôtre : « Nous sommes justifiés gratuitement par sa grâce vb ». Celui donc qui a en lui la justice ou l’œuvre de la grâce, fait la justice ou l’œuvre de la justice.

2. « J’ai fait le jugement et la justice », dit le Prophète, « ne me livrez pas à ceux qui me nuisent » ; c’est-à-dire, j’ai porté un jugement juste, ne me livrez point à ceux qui me persécutent pour ce jugement. Ou, comme on lit dans quelques exemplaires : « Ne me livrez u point à mes persécuteurs ». L’expression grecque, en effet, tois antidikousi; se traduit par nocentibus, ceux qui me nuisent, par persequentibus, ceux qui me persécutent, par calumniantibus, ceux qui me calomnient ; je m’étonne de n’avoir lu, dans aucun des exemplaires que j’ai pu me procurer, adversantibus, mes adversaires, bien que le mot grec antidikos se traduise sans hésitation par adversarius, adversaire. Quand le Prophète supplie le Seigneur de ne point le livrer à ses ennemis, quel est le sens de sa prière, sinon le même que quand nous disons : « Ne nous induisez pas en tentation vc ? » Car saint Paul nous montre quel est notre adversaire, quand il dit : « De peur que le tentateur ne vous ait tentés vd ». Dieu nous livre à lui quand Dieu nous abandonne. Car le tentateur ne saurait tromper celui que Dieu n’abandonne pas, lui qui, dans sa bonne volonté, donne à l’homme la beauté comme la force. Quant à celui qui a dit dans son abondance : « Je ne serai jamais ébranlé ve ». Dieu en détourne sa face, et lui se trouble en se voyant tel qu’il est. Celui, dès lors, dont la chair est crucifiée par la crainte chaste du Seigneur, et qui, pur de toute convoitise charnelle, fait le jugement et l’œuvre de la justice, doit demander de n’être point livré à ses adversaires, c’est-à-dire de ne point céder aux persécuteurs, et de ne faire point le mal en craignant de souffrir un mal. Le même Dieu qui lui donne de vaincre ses convoitises, et de ne pas céder aux voluptés, lui donne aussi la force de la patience et le soutient contre la douleur. Celui dont il est dit : « Le Seigneur donnera la douceur vf », est aussi celui dont il est dit encore : « C’est de lui que vient ma patience vg ».

3. Enfin : « Affermissez votre serviteur dans le bien, que les superbes ne me calomnient pas vh ». Ils me poussent afin de me faire succomber au mal ; pour vous, affermissez-moi dans le bien. Ceux qui ont traduit : Non calumnientur me, au lieu de mihi, ont suivi le mot grec, moins usité dans la langue latine. Ou peut-être : Non calumnientur me aurait-il la même énergie que si l’on disait : Qu’ils ne me surprennent point par leurs calomnies ?

4. Or, les superbes peuvent jeter le mépris sur l’humilité chrétienne par bien des calomnies ; mais la plus grande est d’entendre ces hommes superbes nous accuser d’adorer un mort. Car c’est la mort du Christ qui nous prêche, qui relève à nos yeux l’humilité d’une manière divine. Or, cette calomnie nous vient des deux peuples infidèles, des Juifs et des Gentils. Les hérétiques ont aussi leurs calomnies propres à chacune des sectes : ils ont les leurs, tous ces schismatiques séparés par leur orgueil de l’unité des membres du Christ. Or, quelle effrayante calomnie ne lança point le diable lui-même contre le juste, quand il s’écria : « Est-ce donc gratuitement que Job sert le Seigneur vi ». Mais un regard plein de vigilance et de piété sur Jésus crucifié, dissipe ces calomnies des superbes comme la bave empoisonnée des serpents. C’était lui que voulait figurer Moïse quand, sur l’ordre de Dieu, il planta dans le désert la figure d’un serpent au haut d’un arbre vj, afin de nous montrer que la ressemblance de la chair du péché, qui était dans le Christ, serait attachée à la croix. C’est en fixant nos regards sur cette croix salutaire que nous chassons tout le venin de nos calomniateurs ; c’est elle que le Prophète fixait en quelque sorte avec une profonde attention, quand il disait : « Mes yeux s’affaiblissent dans l’attente de votre salut et des paroles de votre justice vk ». Car Dieu a revêtu son Christ d’une chair semblable à notre chair de péché vl, et l’a fait péché pour nous, afin qu’en lui nous fussions la justice de Dieu vm ». Le Prophète nous dit donc que ses yeux se sont affaiblis à attendre cette parole de la justice divine, lorsque sentant jusqu’où va la faiblesse humaine, il a une soif ardente de cette divine grâce qu’il considère dans le Christ.

5. De là cette prière du Prophète : « Agissez avec votre serviteur selon votre miséricorde vn », et non, selon ma justice. « Et enseignez-moi vos justifications » ; sans doute ces moyens par lesquels Dieu fait les justes, qui ne le deviennent point par eux-mêmes.

6. « Je suis votre serviteur ». Car je ne me suis pas bien trouvé d’être libre, et non à votre service. « Donnez-moi l’intelligence, afin que je sache vos témoignages vo ». Il ne faut jamais cesser de faire à Dieu cette prière, car il ne suffit pas d’avoir reçu l’intelligence, d’avoir appris les préceptes de Dieu ; il faut recevoir toujours cette intelligence, et en quelque sorte boire à la source de la lumière éternelle. Car plus un homme a d’intelligence, et plus il connaît les témoignages du Seigneur.

7. « Quant au Seigneur, il est temps qu’il agisse vp ». C’est ainsi qu’on lit en plusieurs exemplaires, et non comme en d’autres : Seigneur, il est temps d’agir. Quel est donc ce temps, ou que doit faire le Seigneur selon le Prophète ? Ce qu’il avait demandé un peu auparavant : « Agissez envers votre serviteur, selon u votre miséricorde vq ». Voilà ce que le Seigneur doit faire, il en est temps. Et que désignent ces paroles, sinon la grâce qui nous a été révélée en son temps par Jésus-Christ ? Et de quel temps parle saint Paul, ici : « Lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils vr » ; et dans un autre endroit, citant une parole des Prophètes, où Dieu dit : « Je vous ai exaucé au temps favorable, et secouru au jour de salut ? voici, dit l’Apôtre, le temps favorable, voici les jours de salut vs ». Mais pourquoi le Prophète, voulant nous montrer que pour le Seigneur il était temps d’agir, a-t-il ajouté : « Ils ont dissipé votre loi ? » Comme si pour le Seigneur le temps d’agir était celui où les orgueilleux ont dissipé sa loi, eux qui, ne connaissant point la justice de Dieu, et voulant établir leur propre justice, n’ont pas été soumis à celle de Dieu vt ? Qu’est-ce à dire en effet : « Ils ont dissipé votre loi », sinon que dans leurs iniques prévarications ils ne l’ont point observée entièrement ? Il fallait donc à ces âmes orgueilleuses, trop présomptueuses de leur liberté, imposer une loi, afin qu’après avoir violé cette loi, ceux qui s’humilieraient dans la componction eussent recours par la foi et non par la loi, à la grâce qui s’offrait à eux. Mais la loi ayant été anéantie, vint le temps de la divine miséricorde par le Fils unique de Dieu. Car la loi est entrée dans le monde pour faire abonder le péché, et le péché ayant anéanti la loi, le Christ est venu à temps pour faire surabonder la grâce, où le péché avait abondé vu.

8. « C’est pour cela », dit le Prophète, « que j’ai aimé vos préceptes plus que l’or et la topaze vv ». La grâce nous fait accomplir par la charité ces préceptes de Dieu que nous ne pouvions accomplir par la crainte. « Car c’est par la grâce de Dieu que la charité est répandue dans nos cœurs en vertu de l’Esprit-Saint qui nous a été donné vw ». Aussi le Seigneur nous dit-il : « Je ne suis point venu pour abolir la loi, mais pour l’accomplir vx ». Et l’Apôtre à son tour : « La charité est la plénitude de la loi vy ». De là vient que le Prophète l’aime plus que l’or et la topaze ; et dans un autre psaume, plus que l’or et les pierres les plus précieuses vz ; on dit en effet que la topaze est une pierre des plus rares. Mais les Juifs ne comprenant point cette loi cachée dans l’Ancien Testament, et recouverte comme d’un voile, ce qui était figuré par cette face de Moïse qu’ils ne pouvaient regarder wa, n’accomplissaient les préceptes du Seigneur qu’en vue d’une récompense terrestre et charnelle, et dès lors ne l’accomplissaient point ; car ce n’étaient point les préceptes, mais la récompense qu’ils aimaient. De là vient que leurs œuvres n’étaient point des œuvres volontaires, mais plutôt des œuvres forcées. Mais pour celui qui aime les préceptes plus que l’or et les pierres les plus riches, toute récompense terrestre devient vile auprès de ces commandements, et l’on ne saurait établir aucune comparaison entre les autres biens de l’homme et ces biens qui le rendent bon lui-même.

9. « C’est pour cela que je me dirigeais selon vos préceptes wb ». Je me redressais, parce que je les aimais ; et comme ils sont droits, je me redressais en m’y attachant par l’amour, ce qui a pour conséquence la parole suivante : « J’ai haï », dit le Prophète, « toute voie d’iniquité ». Comment en effet ne point haïr le chemin tortueux, dès lors qu’il aimait le chemin droit ? De même en effet que s’il avait eu la passion de l’or et des pierres précieuses, il eût haï tout ce qui aurait pu lui faire perdre ces biens, de même, pour lui, aimer les préceptes du Seigneur, c’était haïr la voie de l’iniquité, comme cet impitoyable écueil que l’on rencontre dans un voyage sur la mer, et où le naufrage nous ferait perdre des biens inestimables. Pour éviter ce malheur, il dirige ailleurs ses voiles, ce pilote prudent qui s’est embarqué sur le bois de la croix, avec les précieuses marchandises des préceptes divins.

VINGT-SEPTIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LE SECOURS DE LA GRÂCE.

Étudier à fond les témoignages du Seigneur, c’est là une tâche difficile à un homme, et toutefois il est bon d’étudier ce qu’il y a d’admirable, d’étonnant dans sa loi. Cette loi, œuvre d’un Dieu bon, ne donnait ni la justice, ni la vie ; le Prophète en a recherché ta cause, et il a trouvé que cette loi se bornait à indiquer le péché, afin de nous humilier, et de nous démontrer qu’il nous faut le secours de Dieu, et de nous le faire demander. Voilà ce qu’a compris le Prophète, et il invoque le Seigneur qui nous a aimés le premier, lui demandant de le servir par amour, de résister aux persécutions qui le détournaient du service de Dieu, de connaître la loi d’une manière pratique ; il s’humilie à cause de ses fautes.

1. Voici les versets du psaume que nous allons vous exposer avec le secours de Dieu : « Vos témoignages sont admirables, et c’est pourquoi mon âme les a sondés wc ». Qui peut énumérer au moins sommairement les témoignages de Dieu ? Le ciel et la terre, les œuvres visibles, et les œuvres invisibles, sont en quelque manière le témoignage de sa bonté, comme de sa grandeur ; ce cours si régulier et si répété de la nature, le temps qui entraîne dans son cours toutes sortes de créatures quoique passagères et mortelles, tout cela que l’habitude nous rend moins sensibles, n’en rend pas moins témoignage au Créateur, quand on le considère avec une pieuse attention. Qu’y a-t-il dans ces créatures qui ne soit point admirable, quand on en juge, non d’après l’usage, mais d’après la raison ? Et si nous embrassons comme d’un seul regard tout cet ensemble, ne se vérifie-t-elle point cette parole du Prophète : « J’ai considéré vos œuvres, et j’en ai été dans l’extase wd ? » Et toutefois notre interlocuteur n’est point hors de lui-même en admirant ces ouvrages ; mais il nous dit qu’il a dû les étudier avec tant de soin parce qu’ils sont admirables. Après cette exclamation en effet : « Combien sont admirables les témoignages du Seigneur », il ajoute : « C’est pour cela que mon âme les a sondés » ; comme si la difficulté de les sonder avait stimulé sa curiosité. Plus un effet est caché dans sa cause, et plus il est admirable.

2. Qu’un homme donc s’en vienne dire qu’il étudie les témoignages du Seigneur, parce qu’il les trouve admirables ; ne pourrions-nous pas, en voyant que toutes les créatures qui se révèlent ou qui se dérobent à nos yeux, sont pleines de ces témoignages, l’arrêter en disant : « Ne cherche point au-dessus de toi, et ne sonde point ce qui est plus fort que toi, mais repasse toujours en ton esprit ce que Dieu t’a commandé we ? » Mais il nous répond en disant : Ces préceptes du Seigneur, que vous me recommandez de méditer, sont ces mêmes témoignages que je trouve admirables, car ils nous attestent que c’est le Seigneur qui commande, et qu’il est grand et bon dès lors qu’il donne de semblables préceptes : oserions-nous dès lors le détourner d’étudier ces commandements, et ne serions-nous pas les premiers à l’exciter à s’adonner de toutes ses forces à un travail si important ? Ou bien en viendrons-nous à confesser que les préceptes du Seigneur sont des témoignages de sa bonté, tout en niant qu’ils soient admirables ? Qu’y a-t-il d’admirable, en effet, qu’un Dieu qui est bon commande le bien ? Ce qui est tout à fait étonnant, au contraire, c’est qu’un Dieu qui est bon et qui ordonne le bien, ait néanmoins donné une loi qui est bonne à des hommes qu’elle ne pouvait justifier, puisque cette loi, quelque bonne qu’elle fût, ne leur donnait point la justice ? « Car si la loi qui a été donnée pouvait donner la vie, la justice viendrait de la loi wf ». Pourquoi donc en donner une qui ne pouvait ni donner la vie, ni donner la justice ? Voilà ce qui doit nous étonner, nous effrayer. Voilà ce qu’il y a d’admirable dans les témoignages de Dieu : et l’âme du Prophète les a sondés, parce que l’on ne saurait lui dire à ce sujet : « Ne sonde pas ce qui est plus fort que toi, mais repasse toujours en ton esprit ce que Dieu t’a commandé wg » ; puisque c’est cela même que le Seigneur a commandé, et que dès lors on doit toujours méditer. Voyons plutôt ce qu’a trouvé l’âme du Prophète après avoir sondé.

3. « La révélation de vos promesses répand la lumière et donne l’intelligence aux petits wh ». Quels sont ces petits, sinon les humbles et les faibles ? Loin de toi donc tout orgueil ! arrière toute présomption de tes forces qui sont nulles, et tu comprendras pourquoi Dieu a donné une loi qui était bonne, sans pouvoir néanmoins donner la vie. Car le but de la loi était de rabattre ta grandeur pour te faire petit, de te montrer que tu n’as pas en toi-même la force d’accomplir la loi, de te forcer dans ton indigence et ton dénuement à recourir à la grâce et de t’écrier : « Ayez pitié de moi, Seigneur, à cause de ma faiblesse wi ». Voilà que la méditation a fait comprendre au Prophète, qui est petit, cette vérité que nous montre celui qui se dit le moindre des Apôtres, saint Paul, lequel se fait petit enfant, c’est-à-dire qu’une loi impuissante à nous vivifier nous a été donnée : « Parce que l’Écriture a tout renfermé sous le péché, afin que la promesse faite par Dieu fût accomplie par la foi en Jésus-Christ à l’égard de ceux qui croiront wj ». Ainsi soit-il, Seigneur ! Oui, ainsi soit-il, Dieu de miséricorde ! commandez ce qu’on ne saurait accomplir, ou plutôt commandez ce qu’on ne saurait accomplir que par votre grâce, afin que cette impuissance des hommes à rien faire par leurs propres forces « leur ferme la bouche », et que nul ne croie plus à sa grandeur. Que tous deviennent petits, tous coupables devant vous. « Parce que nul homme ne sera justifié devant Dieu par les œuvres de la loi ; car la loi ne donne que la connaissance du péché. Maintenant la justice que Dieu donne sans la loi nous a été découverte, attestée par la loi et par les Prophètes wk ». Tels sont vos admirables témoignages qu’a sondés l’âme de cet humble enfant, et il les a découverts, parce qu’il s’est fait humble et petit. Qui pourrait accomplir vos préceptes comme on doit les accomplir, c’est-à-dire par la foi qui opère dans la charité wl, si votre Esprit-Saint ne répandait lui-même cette charité dans les cœurs wm ?

4. Voilà ce que proclame cet interlocuteur devenu humble : « J’ai ouvert ma bouche », nous dit-il, « et j’ai attiré l’esprit, parce que je brûlais d’ardeur pour vos commandements wn ». Que désirait-il, sinon d’accomplir ces préceptes ? Mais, faible et petit, il ne pouvait accomplir des œuvres fortes et grandes ; il a ouvert la bouche, confessant ainsi ce qu’il ne pouvait faire de lui-même, et il a attiré la force de le faire ; il a ouvert la bouche en demandant, en cherchant, en frappant wo ; dans sa soif, il a puisé l’esprit de sainteté qui lui a fait accomplir ce qu’il ne pouvait par lui-même, c’est-à-dire une loi sainte, et juste, et bonne wp. Si nous, en effet, quoique méchant, nous savons donner ce qui est bon à nos enfants, à combien plus forte raison Dieu donnera-t-il du ciel l’Esprit de sainteté à ceux qui le demandent wq ? Ce ne sont point ceux qui agissent par leur sens propre, mais tous ceux qui sont dirigés par l’Esprit de Dieu, qui sont fils de Dieu wr ; non qu’eux-mêmes ne fassent rien, mais de peur qu’ils ne fassent rien de bon, c’est la bonté même qui les fait agir. Car chacun devient de plus en plus enfant de Dieu, à mesure que Dieu répand plus largement en lui l’Esprit de sainteté.

5. Enfin le Prophète continue à prier. Il a ouvert la bouche et attiré l’Esprit, mais il frappe encore à la porte du Père céleste ; il cherche encore. Il a bu ; mais plus il a goûté de délices, et plus ardente est sa soif. Écoutez les paroles de celui qui a soif : « Jetez les yeux sur moi », dit-il, « et prenez-moi en pitié, selon vos décrets envers ceux qui aiment votre nom ws » ; c’est-à-dire, selon votre décret envers ceux qui aiment votre nom ; afin qu’ils vous aiment, vous les aimez le premier. C’est ce que dit saint Jean : « Nous aimons Dieu », dit-il ; et comme si nous lui demandions le motif de cet amour, il ajoute : « Parce qu’il nous a aimés le premier wt ».

6. Vois encore ce que nous dit clairement le Prophète : « Dirigez mes pas selon vos préceptes, et que l’iniquité n’exerce point sur moi son empire wu ». Qu’est-ce dire autre chose que : Donnez-moi la droiture et la liberté selon votre promesse ? Plus en effet l’amour de Dieu règne dans une âme, et moins l’iniquité y domine. Quel est donc l’objet de sa prière, sinon d’aimer Dieu par le secours de Dieu ? En aimant Dieu il s’aime lui-même, afin de pouvoir saintement aimer son prochain comme lui-même, double précepte que renferment la loi et les Prophètes wv : sa prière ne se réduit-elle pas à demander que Dieu lui fasse accomplir par sa grâce les préceptes qu’il lui impose ?

7. Mais que signifie cette parole : « Délivrez-moi des calomnies des hommes, afin que je garde vos commandements ww ? » Si les reproches des hommes sont vrais, il n’y a point calomnie ; s’ils sont faux, à quoi bon demander la délivrance de ces calomnies ou de ces fausses récriminations qui ne sauraient lui être nuisibles ? Car une fausse imputation ou une calomnie ne rend un homme coupable qu’au tribunal d’un homme ; mais au tribunal de Dieu, il n’y a pas de fausse imputation, elle serait plutôt nuisible à l’accusateur qu’à l’accusé. N’est-ce point là par avance la prière de l’Église et de tout le peuple chrétien qui a été délivré des calomnies dont les hommes le flétrissaient de toutes parts à cause de ce nom de Chrétiens ? Mais est-ce bien à cause de cette délivrance qu’il garde les commandements de Dieu ? Ne les gardait-il pas au milieu des calomnies, et n’était-il pas plus glorieux pour lui d’obéir aux préceptes de Dieu, en dépit des tribulations, et de résister aux persécuteurs qui le poussaient à l’impiété ? Ces paroles donc : « Délivrez-moi des calomnies des hommes, afin que je garde vos commandements », signifient, répandez en mon âme votre Esprit-Saint, de peur que cédant à la crainte et aux calomnies des hommes, je ne me détourne de leurs préceptes pour adopter leurs vices. Si vous en agissez ainsi avec moi, c’est-à-dire si vous me délivrez des calomnies en m’accordant la patience, afin que je ne redoute aucunement leurs récriminations, je garderai vos préceptes au milieu même des calomnies.

8. « Faites briller sur votre serviteur la lumière de votre face wx ». C’est-à-dire, manifestez votre présence en me fortifiant de vos grâces, « et enseignez-moi vos préceptes », de telle sorte que je les pratique ; ce qui est dit plus clairement dans un autre psaume : « Enseignez-moi, Seigneur, à faire votre volonté wy ». N’allons pas croire en effet qu’ils ont appris la loi, ceux qui l’ont entendue et retenue de mémoire, sans la pratiquer. La Vérité a dit elle-même : « Quiconque a ouï le Père et a eu l’intelligence, vient à moi wz ». Donc, il n’a rien appris celui qui ne vient pas, c’est-à-dire qui ne pratique pas.

9. Rappelant en son âme la douloureuse pénitence qu’il fit de son péché, le Prophète s’écrie : « Mes yeux ont versé des torrents de larmes, parce qu’ils n’ont point gardé votre loi xa », c’est-à-dire mes yeux. On lit en effet dans certains exemplaires : « Parce que je n’ai point gardé votre loi, mes yeux ont descendu des torrents de larmes ». Comme on dirait, mes pieds ont descendu la montagne, et non à travers la montagne, ou par la montagne, comme on dit encore descendre une échelle, et non le long d’une échelle. On dit encore en latin, piscinam descendit, descendre la piscine ; et non descendit in piscinam, descendre dans la piscine. Le Prophète se sert admirablement du mot descendre, pour marquer l’humiliation dans la pénitence ; ses yeux étaient montés en effet quand un orgueil obstiné les avait dirigés en haut. Ils se croyaient fort élevés, lorsque dans leur ignorance de la justice de Dieu, ils prétendaient établir leur propre justice xb ; mais fatigués de ces efforts et confus des violations de la loi, ils sont descendus de ces hauteurs, et ont versé des larmes pour obtenir la justice de Dieu par la pénitence. Dans certains exemplaires, au lieu de descendendit, on lit transierunt, mes yeux ont surpassé les torrents d’eau ; ce qui serait une exagération pour dire que ses larmes ont surpassé l’eau des fontaines, et nous donnerait à comprendre par ces torrents d’eau que ses larmes ont été plus abondantes que l’eau des fleuves. Mais, pourquoi pleurer ainsi, parce qu’on n’a point gardé la loi, sinon afin d’obtenir la grâce qui efface le péché de l’homme pénitent, et qui soutient la volonté du fidèle ?

VINGT-HUITIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LE PLUS JEUNE PEUPLE.

Le Prophète pleure sa faute à cause de la justice de Dieu, et dans la ferveur de son amour il veut le faire partager à ceux qui lui rendent le mal pour le bien ; il veut leur faire goûter les délices de sa pénitence. Il semble regretter que ses ennemis plus avancés en âge, et qui sont la figure de l’ancien peuple, aient oublié la loi de Dieu, tandis que lui, peuple nouveau, est resté fidèle à cette loi de Dieu au milieu des persécutions. Au milieu de ses angoisses, il demande l’intelligence, c’est-à-dire de connaître combien est méprisable ce que la persécution peut lui enlever ; alors il vivra pour rendre témoignage à Dieu.

1. Qui pourrait douter que cet appel à Dieu que l’on fait dans la prière ne soit un son des plus vains, quand il est simplement le retentissement de la voix, sans que le cœur soit tourné vers Dieu ? Mais, s’il vient du cœur, quand même la voix se tairait, il peut être inconnu à l’homme, jamais à Dieu. Soit donc que la voix se fasse entendre quand cela est nécessaire, soit que l’on prie Dieu en silence, c’est le cœur qui doit parler dans la prière. Or, ce cri du cœur est une forte application de la pensée ; et quand cette application se trouve dans la prière, elle marque dans celui qui prie un désir tel qu’il ne désespère point d’obtenir ce qu’il demande. Mais on crie à Dieu de tout son cœur, quand on n’a pas d’autre pensée. De telles prières sont rares chez beaucoup, fréquentes seulement chez le petit nombre ; et je ne sais chez qui elles sont habituelles. Telle est, au dire de notre interlocuteur, la prière qu’il a faite : « J’ai crié de tout mon cœur, exaucez-moi, ô mon Dieu xc ». Puis il nous marque aussitôt ce que produira son cri : « Je rechercherai vos ordonnances ». Voilà donc ce qui le faisait crier vers Dieu de tout son cœur : rechercher ses ordonnances, telle est la grâce qu’il demandait à Dieu. Prions dès lors le Seigneur de nous faire chercher ce qu’il nous ordonne. Mais combien est encore éloigné de la pratique, celui qui ne fait encore que rechercher ! Trouver n’est pas toujours la conséquence de chercher, ni pratiquer la conséquence de trouver ; mais on ne saurait pratiquer sans avoir trouvé, ni trouver sans avoir cherché. Il y a toutefois une grande espérance dans cette parole du Seigneur Jésus : « Cherchez, et vous trouverez xd ». La sagesse, qui n’est autre que lui-même, nous dit cependant : « Les méchants me chercheront sans me trouver ». Ce n’est donc pas aux méchants, mais aux bons, qu’il est dit : « Cherchez, et vous trouverez ? » Il l’a dit à ceux-là mêmes à qui, un peu plus haut, il adresse ces paroles : « Si donc vous, tout méchants que vous êtes, vous savez donner à vos enfants ce qui est bon xe ». Comment dire aux méchants : « Cherchez et vous trouverez » ; quand il dit aussi : « Les méchants me chercheront sans me trouver ? » Le Seigneur voulait-il que l’on cherchât autre chose que la sagesse, quand il faisait à ceux qui chercheraient la promesse qu’ils trouveraient ? Car la sagesse renferme tout ce que doivent chercher ceux qui aspirent au bonheur. Là donc se trouvent les ordonnances de Dieu. Il nous reste dès lors à conclure que tous les méchants ne trouveraient point la sagesse quand même ils la chercheraient ; c’est-à-dire ceux qui poussent la malice jusqu’à la haïr. Car voici cette parole de la sagesse : « Les méchants me chercheront sans me trouver ; car ils haïssent la sagesse xf ». C’est donc leur haine qui les empêche de la trouver. Mais avec cette haine, comment la chercheront-ils, à moins qu’ils ne la cherchent, non pour elle, mais pour quelque avantage précieux aux méchants, et qu’ils espèrent acquérir plus facilement au moyen de la sagesse ? Il en est beaucoup en effet qui recherchent avec soin les paroles de la sagesse, qui la veulent montrer dans leurs discours, mais non dans leur vie ; qui ne cherchent point à parvenir à la lumière de Dieu, qui est la véritable sagesse, en réglant leurs mœurs d’après ses maximes, mais qui veulent se faire applaudir par les hommes, et telle est la vaine gloire. Ils ne cherchent donc point la sagesse même en la recherchant, puisque ce n’est point elle qu’ils cherchent, autrement ils en feraient la règle de leur vie ; mais ils veulent être enflés de ses paroles ; et plus ils en recherchent l’enflure, plus ils s’en éloignent xg. Or, en implorant de Dieu ce que Dieu lui-même nous commande, en lui demandant de faire ce qu’il ordonne que nous fassions ; car c’est Dieu qui dans sa bonté, opère en nous le vouloir et le faire !: « J’ai crié », dit le Psalmiste, « j’ai crié de tout mon cœur ; exaucez-moi, ô mon Dieu : je chercherai vos ordonnances » ; c’est-à-dire pour les accomplir, et non seulement pour les connaître, afin de ne point ressembler à ce serviteur endurci, qui n’obéira point même après avoir compris xh.

2. « J’ai crié, sauvez-moi xi » ; ou, comme on trouve dans quelques exemplaires et grecs et latins. « Je vous ai crié, sauvez-moi ». Qu’est-ce à dire, « je vous ai crié », sinon je vous ai invoqué par mes cris ? Mais après avoir dit : Sauvez-moi, qu’a-t-il ajouté ? « Et je garderai vos témoignages », de peur de vous renier par faiblesse. Car la santé de l’âme consiste à remplir le devoir que l’on connaît, et à combattre pour la vérité des témoignages divins, jusqu’à la mort, si la dernière tentation va jusque-là. Si l’âme n’a point cette santé, elle succombe de faiblesse, et abandonne la vérité.

3. Mais ce qui suit renferme une certaine obscurité, qu’il nous faut expliquer un peu plus longuement. « J’ai devancé dans une nuit intempestive, et j’ai crié xj ». Dans plusieurs manuscrits on ne trouve pas, « au milieu de la nuit », intempesta nocte, mais immaturitate, une nuit peu avancée. C’est à peine si l’on en trouve un seul avec la double préposition, c’est-à-dire in immaturitate, dans la nuit peu avancée. L’expression immaturitas désigne ici le temps de la nuit, qui n’est point mûr encore ; c’est-à-dire une nuit qui ne permet pas encore le travail à l’homme éveillé ce que l’on appelle vulgairement l’heure indue. Une nuit, intempesta, se dit encore du milieu de la nuit, quand on doit se reposer, et ce nom « d’intempestive », lui vient assurément de ce qu’elle est peu favorable au travail. Car les anciens appelaient tempestivum ce qui est favorable, et intempestivum ce qui est défavorable, et cette expression a pour racine le temps, et non cette tempête qui désigne ordinairement en latin la perturbation du ciel. Toutefois les historiens emploient volontiers cette expression, et au lieu de eo tempore, ils disent ea tempestate, en ce temps ; et dans ce vers d’un grand maître :

Unde haec tam clara repente
Tempestas
Virgil. AEn 9,19-20. D’où vient que tout à coup le ciel est si serein ?
 ?

le mot tempestas ne signifie point un ciel troublé par les vents et les orages, mais un ciel tout à coup brillant et splendide. Ce que le grec a donc exprimé par en aoria, non point en un seul mot, mais en deux, la préposition et le nom, les traducteurs l’ont rendu par une « nuit intempestive », d’autres par immaturitate, non point eu deux mots, mais en un seul, dont le nominatif est immaturitas; d’autres encore en deux mots, comme dans le grec : In immaturitate; car aoria, signifie immaturitas, et en aoria,in immaturitate, comme pour donner à intempesta nocte le même sens qu’avec sa double préposition, in intempesta, en sorte que l’une de ces prépositions indique l’heure, tandis que l’autre fait partie du nom lui-même. Toutefois peu importe, quand on indique le chant du coq pour l’heure d’une action, que l’on dise, galli cantu, ou bien in galli cantu. De même, pour nous dire qu’il a crié dans la nuit peu avancée, peu importe que le Psalmiste se serve de intempesta nocte, ou de in intempesta nocte. Le grec cependant à dit : Dans une nuit non écoulée, ce qui revient à dire une nuit peu mûre, c’est-à-dire, dans le moment où la nuit n’est point achevée. Mais c’est assez disputer sur une expression obscure ; voyons quel en est le sens.

4. « J’ai prévenu, dans le milieu de la nuit, et j’ai crié : j’ai mis mon espoir en vos paroles ». Si nous rapportons ces paroles à chaque fidèle, en les prenant à la lettre, il arrive souvent qu’à ce point de la nuit l’amour de Dieu veille, et, dans ce sentiment de ferveur pour la prière, il ne saurait attendre le chant du coq ou l’heure de la prière, mais il le prévient. Mais si nous appelons nuit toute la vie d’ici-bas, c’est bien avant qu’elle soit achevée que nous crions vers Dieu, et nous en prévenons la maturité, ou la fin, alors que Dieu nous rendra ce qu’il nous a promis, cmme on lit ailleurs : « Prévenons sa force par un humble aveu xl ». Toutefois, si par le temps non écoulé de la nuit nous entendons les siècles écoulés avant la plénitude des temps, c’est-à-dire que la maturité serait la manifestation du Christ en sa chair xm, l’Église alors n’est point demeurée en silence ; mais elle a prévenu cette maturité des temps, elle a crié par les Prophètes, elle a espéré dans les paroles de ce Dieu assez puissant pour accomplir ses promesses, et bénir toutes les nations dans la race d’Abraham xn.

5. C’est elle qui dit ce qui suit : « Mes yeux ont devancé le point du jour, afin de méditer vos paroles xo ». Appelons matin ce moment où la lumière s’est levée pour ceux qui étaient assis à l’ombre de la mort xp ; les yeux de l’Église n’ont-ils pas devancé ce matin, dans la personne des saints qui étaient auparavant sur la terre, et qui ont ainsi devancé l’avenir en méditant les promesses que Dieu avait faites alors ; et qui annonçaient dans la loi et les Prophètes ce qui arriverait aux hommes ?

6. « Exaucez ma voix, Seigneur, selon votre miséricorde ; vivifiez-moi selon votre jugement xq ». Dieu, dans sa miséricorde, commence par abroger la peine due aux pécheurs ; puis, quand ils sont devenus justes, il leur donne la vie ; car ce n’est pas sans raison que le Prophète a suivi cet ordre : « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre jugement », bien que le temps de la miséricorde ne soit point séparé du jugement, dont l’Apôtre a dit : « Que, si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions point jugés par Dieu. Mais lorsque nous sommes jugés, c’est le Seigneur qui nous reprend, afin que nous ne soyons point condamnés avec le monde xr ». Et son collègue dans l’apostolat : « Voici le temps où Dieu va commencer son jugement par sa propre maison ; et s’il commence par nous, quelle sera la fin de ceux qui ne croient point l’Évangile de Dieu xs ? » De même le dernier jugement ne sera point sans miséricorde, « car Dieu vous couronne », dit le Psalmiste, « dans sa miséricorde et sa bonté xt ». Il est vrai qu’il y aura un jugement sans miséricorde, mais seulement pour ceux – qui seront à gauche et n’auront point fait miséricorde xu.

7. « Ils m’ont approché, ceux qui me persécutent par l’injustice xv », ou « injustement », comme on lit en certains manuscrits. C’est approcher de la part des persécuteurs, que pousser la persécution jusqu’à déchirer notre chair, lui donner la mort. De là cette parole du psaume vingt-unième, qui est une prophétie de la passion du Christ : « Ne vous éloignez pas, car la persécution est proche xw » ; ce qui était dit non sous la menace, mais sous le coup même de la passion. Il dit que l’affliction qu’il souffrait dans sa chair est proche, parce que pour l’âme rien n’est plus proche que la chair dont elle est revêtue. Donc ces persécuteurs se sont approchés en affligeant la chair de leurs victimes. Mais écoute la suite : « Ils se sont éloignés de votre loi ». Plus ils approchent des justes pour les persécuter, plus ils s’éloignent de la justice. Mais quel mal ont-ils fait à ceux dont ils s’approchaient ainsi, puisque le Seigneur, qui ne les abandonne jamais, s’approchait d’eux intérieurement ?

8. Aussi voyez la suite. « Mais vous êtes près de moi, Seigneur, et toutes vos voies sont vérité ». Au milieu de leurs souffrances les saints confessent ordinairement la vérité de Dieu, et proclament qu’ils souffrent avec justice. Ainsi en fut-il de la reine Esther, ainsi de Daniel, ainsi des trois enfants dans la fournaise, ainsi de tous leurs émules en sainteté. Mais on peut demander comment il est dit : « Toutes vos voies sont vérité », quand il est dit ailleurs : « Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité ». À l’égard des saints toutes les voies du Seigneur sont miséricorde, comme toutes les voies du Seigneur sont vérité, car il les soutient même en les jugeant, et ainsi la miséricorde ne fait point défaut, et dans sa miséricorde il leur donne ce qu’il a promis, de peur de manquer à sa vérité. Quant à l’universalité des hommes, à ceux qu’il délivre, comme à ceux qu’il condamne, toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité : et dès que sa miséricorde est à bout, il fait voir la vérité de ses vengeances. Il en sauve plusieurs qui ne l’ont point mérité, il n’en condamne point qui ne le méritent.

9. « Dès le commencement », dit le Prophète, « j’ai connu par vos témoignages que vous les avez fondés pour l’éternité ». Ce que le grec a exprimé par catarxas, dès le commencement, les nôtres l’ont traduit par initio, ou bien par ab initio, et même par ab initiis. Mais en traduisant par le pluriel, « dès les commencements », on rend le grec avec plus de fidélité. Toutefois, dans la langue latine, on rencontre plus fréquemment initio, ou ab initio, ce que les Grecs expriment au pluriel, quoique d’une manière adverbiale, par catarxas. En latin cependant nous trouvons par exemple :Alias hoc facio, « plus tard, voici ce que je ferai », où nous semblons employer un pluriel féminin, et qui est simplement un adverbe, lequel signifie, dans un autre temps. Que signifie donc cette parole : « J’ai a connu dès le commencement », ab initio, ou bien d’une manière adverbiale, initio, « J’ai connu dès le commencement, à propos de vos témoignages, que vous les avez fondés ? » Il dit qu’il a connu par les témoignages du Seigneur que ces témoignages sont fondés pour l’éternité ; il affirme qu’il l’a connu dès le commencement, et qu’il ne l’a pas connu par une autre voie que par ces mêmes témoignages. Or, quels sont ces témoignages, sinon la promesse que Dieu a faite de donner à ses enfants un royaume éternel ? et comme il avait promis de le donner par son Fils unique, dont il est dit que « son royaume n’aura point de fin xx », le Prophète nous dit que ces témoignages sont fondés pour l’éternité, parce que l’objet de la promesse divine est éternel. Car en eux-mêmes les témoignages ne seront plus nécessaires, quand sera vu à découvert ce qui a besoin de témoignage pour obtenir notre adhésion. Aussi le Prophète a-t-il dit avec justesse : « Vous les avez fondés », puisque c’est en Jésus-Christ que l’on en découvre la vérité. Or, « nul ne saurait poser un fondement autre que celui qui a été posé, et qui est Jésus-Christ xy ». Comment donc le Prophète a-t-il compris cela dès le commencement, sinon parce que c’est l’Église qui parle ici, et que, dès l’origine du genre humain, l’Église n’a pas fait défaut au monde, elle qui eut pour prémices de sainteté Abel immolé, lui aussi xz, pour être un témoignage du sang du Médiateur, qu’un frère impie devait répandre ? C’est au commencement en effet que fut prononcée cette parole : « ils seront deux dans une seule chair ya » et saint Paul a dit à ce sujet : « Ce sacrement est grand, oui, dans le Christ et dans l’Église yb ».

TRENTIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LA GRÂCE DE DIEU.

Cette loi que le Prophète n’a point oubliée, est celle qui élève les humbles, et abaisse les orgueilleux ; or, l’élévation des saints, c’est la vie éternelle, due à la grâce qui nous sépare des pécheurs. Cette grâce a produit dans l’Église la force en face des persécuteurs : de là tant de martyrs ; et la charité qui pleure les apostasies, en même temps qu’elle raffermit dans la parole divine.

1. Nul d’entre les membres du Christ ne regardera comme étrangère pour lui cette parole, que répète le corps mystique du Christ, tout entier dans l’humilité, et qui commence, dans notre psaume, notre lecture d’aujourd’hui : « Voyez mon humiliation et délivrez-moi, car je n’ai point oublié votre loi yc ». Nous ne pouvons entendre ici nulle autre loi de Dieu que le décret qui astreint irrévocablement à être humilié quiconque s’élève, et quiconque s’humilie, à être élevé yd. Le superbe est donc en proie aux misères afin d’en être humilié, et l’humble en est délivré afin d’être élevé.

2. « Jugez ma cause », dit le Prophète, « et rachetez-moi ye ». C’est là une répétition de la pensée précédente. Car « voyez mon humiliation », revient à « jugez ma cause » ; et « délivrez-moi », revient à « rachetez-moi ». Enfin cette parole qui précède : « Je n’ai point oublié votre loi », a rapport à cette autre qui suit : « Donnez-moi la vie à cause de votre parole ». Car cette parole est la loi de Dieu, qu’il n’a point oubliée, afin de s’humilier pour être ensuite élevé. Or, à cette élévation revient cette parole : « Donnez-moi la vie » ; car l’élévation des saints est la vie éternelle.

3. « Loin des pécheurs est le salut, parce qu’ils n’ont point recherché vos justifications yf ». Qui te sépare en effet, ô toi, qui proclames « que loin des pécheurs est le salut », qui te sépare de ces pécheurs, de sorte que ce salut ne soit point éloigné de toi, mais avec toi ? Ce discernement vient peut-être de ce que tu as fait ce qu’ils n’ont point fait, c’est-à-dire recherché les justifications de Dieu. « Qu’as-tu que tu n’aies pas reçu ? » N’est-ce pas toi qui disais un peu plus haut « J’ai crié de tout mon cœur : exaucez-moi, mon Dieu, je chercherai vos ordonnances ? » C’est donc de celui à qui tu en appelais que tu as reçu de les chercher. C’est donc lui qui t’a séparé de ceux qui sont éloignés du salut, par cela même qu’ils n’ont point recherché les ordonnances de Dieu.

4. Voilà ce qui n’a point échappé au Prophète. Et moi je ne le verrais point si je ne le voyais en lui, si je n’étais en lui. Car ces paroles sont du corps de Jésus-Christ, dont nous sommes les membres. Voilà, dis-je, ce qu’il a vu, et aussitôt il ajoute : « Seigneur, vos miséricordes sont grandes ». Et ces recherches que nous faisons de vos ordonnances ne sont qu’un effet de vos miséricordes. « Vivifiez-moi selon votre jugement yg ». Car je sais que votre jugement sur moi ne sera point sans miséricorde.

5. « Mes persécuteurs et mes ennemis deviennent de plus en plus nombreux, je ne me suis point détourné de vos oracles yh ». C’est là un fait : nous le savons, nous nous en souvenons, nous le proclamons. Toute la terre a été rougie du sang des martyrs ; les couronnes des martyrs embellissent le ciel, les Églises sont illustrées par les temples élevés aux martyrs, les fêtes des martyrs viennent rehausser les jours de l’année, et chaque jour on voit des guérisons par les mérites des martyrs. D’où viennent tous ces honneurs, sinon parce que s’est accomplie à l’égard de cet homme répandu dans l’univers entier cette prophétie : « Mes persécuteurs et mes ennemis deviennent de plus en plus nombreux, et je ne me suis point détourné de vos oracles ? » Nous le reconnaissons et en rendons à Dieu des actions de grâces. Car c’est bien toi, ô homme, c’est toi qui as dit dans un autre psaume : « Si le Seigneur ne nous eût assistés, les hommes nous auraient dévorés tout vivants yi ». Voilà pourquoi tu n’as point dévié de ces témoignages, et pourquoi, environné de cette foule de persécuteurs et d’ennemis, tu as pu néanmoins cueillir la palme céleste à laquelle Dieu t’appelait.

6. « J’ai vu les insensés, et j’ai séché de dépit », ou comme on lit en d’autres exemplaires, et c’est la version la plus commune « J’ai vu ceux qui n’observaient point votre pacte yj ». Mais quels sont les violateurs du pacte, sinon ceux qui se sont éloignés des témoignages de Dieu, et qui n’ont pu supporter les nombreuses persécutions ? Et le pacte c’est la couronne décernée au vainqueur. Ce pacte, ils l’ont violé, ceux qui succombant aux persécutions, se sont éloignés par l’apostasie des témoignages du Seigneur. Voilà ceux qu’a vus le Prophète, et il en séchait de dépit parce qu’il les aimait. Or, ce zèle est ban, il vient de l’amour et non de l’envie. Le Prophète nous montre ensuite en quoi ces apostats ont violé le pacte du Seigneur : « C’est », dit-il, « parce qu’ils n’ont point gardé vos paroles ». Ils les ont reniées au milieu des souffrances.

7. Pour montrer combien il diffère de ces apostats, le Prophète s’écrie : « Voyez, Seigneur, combien j’ai aimé vos préceptes ». Il ne dit point : J’ai renié vos paroles ou vos témoignages, comme on voulait y contraindre les martyrs, dont la fidélité était accablée de douleurs si violentes, mais il nous signale tout l’avantage des souffrances : car en vain je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité cela ne me sert de rien yk. Telle est la charité dont il s’applaudit : « Voyez, Seigneur, combien j’ai aimé vos préceptes ». Puis il demande sa récompense : « Seigneur, donnez-moi la vie dans votre miséricorde ». Ceux-là me donnent la mort, vous, donnez-moi la vie. Mais s’il demande à la miséricorde le prix que lui doit la justice, combien plus doit-il à cette miséricorde cette victoire même qui mérite une récompense !

8. « Le principe de vos paroles est la vérité, et tous les jugements de votre justice sont éternels yl ». C’est de la vérité, dit-il, que découlent vos paroles, et dès lors elles sont vraies ; sans jeter personne dans l’erreur, elles assurent la vie au juste, la damnation à l’impie. Tels sont les jugements de Dieu qui subsistent dans l’éternité.

TRENTE-UNIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

INJUSTES PERSÉCUTIONS CONTRE L’ÉGLISE.

Rien ne motivait les persécutions contre l’Église, puisque l’Évangile ordonne la soumission aux pouvoirs terrestres, c’est à Dieu que s’est attachée l’Église pour triompher et remporter les dépouilles ou convertir ses persécuteurs. De là ce redoublement d’amour pour la loi de Dieu qu’on craint de violer, et cette prière faite sept fois le jour, ou un nombre complet. L’amour de la loi de Dieu nous préserve des chutes, mais le salut nous vient du Christ annoncé, parla loi, en des témoignages qui font notre espérance. Aussi le Prophète nous dit-il que ses voies sont en Dieu, en Dieu qui regarde les méchants, qui voit aussi les justes, c’est-à-dire qu’il a voulu marcher selon la volonté de Dieu.

1. Nous savons quelles persécutions les rois de la terre ont infligées au corps du Christ, c’est-à-dire à la sainte Église. Reconnaissons donc ses plaintes dans les paroles suivantes : « Les princes m’ont persécuté sans sujet, et mon cœur ne craint que votre parole ym ». Qu’avaient fait aux royaumes de la terre, ces chrétiens à qui leur roi avait promis le royaume des cieux ? En quoi ces promesses blessaient-elles des royaumes terrestres ? Ce roi qu’ils servent a-t-il défendu à ses soldats de rendre et de payer aux rois de la terre ce qui leur est dû ? Quand les Juifs le calomniaient à ce sujet, ne dit-il point : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu yn ? » « Ne prit-il pas, dans la gueule d’un poisson, de quoi payer lui-même le tribut ? Son précurseur dit-il aux soldats de ce royaume, qui lui demandaient ce qu’ils devaient faire pour acquérir la vie éternelle : Quittez le baudrier, jetez vos armes, abandonnez votre roi, afin d’entrer dans la milice du Seigneur ? Nullement, « mais gardez-vous de toute violence, de toute injure, et que votre solde vous suffise yo ». Un des soldats les plus affectionnés de ce roi, son compagnon fidèle, ne dit-il pas à ses frères d’armes, et en quelque sorte aux fourriers du Christ : « Que toute âme soit soumise aux puissances supérieures ? » Et un peu plus loin : « Rendez à chacun ce qui lui est dû ; le tribut à qui vous devez le tribut, l’impôt à qui vous devez l’impôt, la crainte à qui vous devez la crainte, l’honneur à qui l’honneur est dû. Ne soyez redevables envers personne, sinon de l’amour qui est dû à tous yp ? » N’a-t-il pas ordonné à son Église de prier pour les rois ? En quoi donc les chrétiens ont-ils pu offenser ces rois ? De quel devoir sont-ils en demeure ? En quoi les chrétiens ont-ils désobéi aux rois de la terre ? C’est donc réellement sans sujet que les rois de la terre ont persécuté les chrétiens ? Mais écoute la suite : « Et mon cœur a tremblé à cause de vos paroles ». Assurément les paroles de ces hommes étaient effrayantes ; bannissement, proscription, mort, déchirer avec des ongles de fer, brûler vif, condamner aux bêtes, déchirer les membres ; mais j’ai redouté vos paroles plus encore : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et ne peuvent plus rien ensuite ; mais craignez celui qui ala puissance de jeter en enfer le corps et l’âme yq ». Voilà vos paroles qui m’ont saisi de frayeur : et j’ai méprisé l’homme qui me persécutait, vaincu le diable mon séducteur.

2. Il est dit ensuite : « Je me réjouirai de vos oracles comme celui qui a remporté de riches dépouilles yr ». Les paroles qui l’ont fait craindre l’ont rendu victorieux ; car c’est aux vaincus que l’on enlève les dépouilles ; et voilà qu’il a été dépouillé comme un vaincu, celui dont il est dit dans l’Évangile : « Nul n’entre dans la maison du fort, pour enlever ce qui lui appartient, si tout d’abord il n’enchaîne ce fort ys ». Mais il se trouva beaucoup de dépouilles, quand, pris d’admiration pour les martyrs, les persécuteurs eux-mêmes embrassèrent la foi ; quand ceux qui voulaient détruire notre roi en égorgeant ses soldats, vinrent eux-mêmes grossir ses rangs. Tout homme dès lors qui cède à la parole de Dieu, et craint d’être vaincu dans le combat, tressaille dans ces paroles qui l’ont rendu victorieux.

3. Mais de peur que nous n’en venions à croire que cette crainte a jeté dans son âme quelque haine contre la parole de Dieu, le Prophète qui avait déjà dit : « Vos paroles m’ont fait tressaillir », langage qu’il n’eût pu tenir, s’il eût eu de la haine, ajoute néanmoins : « J’ai eu l’injustice en horreur, en abomination ; mais j’ai aimé votre loi yt ». Ainsi, cette crainte qu’il ressentait pour la parole de Dieu, loin de lui en inspirer la haine, la lui a fait au contraire aimer plus parfaitement, car il n’y a point de différence entre la loi et les paroles de Dieu. À Dieu ne plaise que la crainte bannisse l’amour, quand cette crainte est chaste ! Un fils pieux a pour son père de la crainte et de l’amour ; une chaste Épouse craint son Époux, de peur d’en être abandonnée ; elle l’aime, afin de le posséder. Si donc l’on doit craindre et aimer ùn père qui est un homme, un Époux qui est un homme, combien plutôt doit-on craindre et aimer notre Père qui est dans les cieux yu ; cet Époux plus beau que les enfants des hommes, non d’une beauté corporelle, mais d’une beauté spirituelle ! Eh ! qui aime la loi de Dieu, sinon l’homme qui aime Dieu ? Et pour un fils bien né, qu’a de fâcheux la loi d’un père ? Est-ce parce qu’il châtie tous ceux qu’il aime, et qu’il frappe tout homme qu’il reçoit parmi ses enfants yv ? Mépriser ces décrets de Dieu, c’est renoncer à ses promesses. Il nous faut donc louer les jugements de Dieu même sous son fouet, si nous voulons jouir des récompenses qu’il promet.

4. C’est là ce que fait autre interlocuteur : « Sept fois le jour », dit-il, « je vous ai loué sur la justice de vos décrets yw ». « Sept fois le jour », c’est-à-dire toujours. Ce nombre, en effet, désigne ordinairement une totalité ; c’est pourquoi, après les six jours de la création, Dieu donna le septième au repos yx ; et la révolution de sept jours forme les temps et les siècles. Tel est encore le motif qui a fait dire : « Le juste tombera sept fois en un jour, et se relèvera » ; c’est-à-dire, le juste ne périt point, quelles que soient ses humiliations, pourvu qu’il ne pèche point, autrement il ne serait plus juste. Alors cette expression : il tombe sept fois, désigne ici toutes les tribulations qui affligent le juste, et comme dans toutes ces tribulations il trouve un accroissement de justice. Il est dit : Il se relèvera. Les paroles suivantes nous indiquent suffisamment le sens de celles-ci ; on lit en effet : « Quant aux impies, le mal les affaiblira yy ». Dès lors, pour le juste, tomber et se relever signifie n’être point affaibli par le malheur. C’est donc avec raison que l’Église a loué Dieu sept fois le jour sur les jugements de sa justice, puisqu’au temps où Dieu commença le jugement par sa propre maison yz, loin d’être affaiblie par les persécutions, elle fut glorifiée par les couronnes des martyrs.

5. « Paix abondante à ceux qui aiment votre loi ; pour eux elle n’est point un scandale za ». Est-ce la loi qui n’est point scandale à ceux qui aiment la loi, ou pour ceux qui aiment cette loi n’y a-t-il scandale d’aucune part ? Ces deux sens conviennent à ces paroles. Aimer en effet la loi de Dieu, c’est respecter dans cette loi ce que l’on ne comprend point, et si le juste y trouve un sens qui lui paraît absurde, il croit plutôt que son intelligence est en défaut, et qu’il y a là un grand mystère qui lui échappé. La loi de Dieu n’est donc point un scandale pour lui. Mais pour ne trouver absolument aucun sujet de scandale, qu’il ne jette point les yeux sur les hommes, quelque sainte que soit leur profession, de peur qu’en voyant tomber ceux dont il appréciait la vertu, il ne périsse lui-même par le scandale ; mais qu’il aime la loi de Dieu, et il aura une paix profonde sans aucun scandale, car il peut l’aimer en toute sûreté, puisqu’elle ne connaît point le péché, quelque pécheurs que soient ceux qui l’ont embrassée.

6. « J’attendais votre salut, ô mon Dieu, et j’ai aimé vos préceptes zb ». De quoi eût servi aux justes de l’ancienne loi d’aimer les préceptes du Seigneur, si le Christ, qui est le soleil de Dieu, ne les eût délivrés, lui dont l’Esprit leur donnait de pouvoir aimer la loi ? Si donc ils attendaient le salut de celui dont ils aimaient les préceptes, combien plus était nécessaire Jésus, c’est-à-dire le salut de Dieu, pour sauver ceux qui n’aimaient point ses préceptes ? On peut, en effet, voir dans cette parole prophétique les saints d’aujourd’hui, depuis que l’Évangile est prêché ; car ceux qui aiment les commandements attendent le Christ, afin qu’à l’apparition du Christ, qui est notre vie, nous aussi nous apparaissions aussi dans la gloire zc.

7. « Mon âme », dit-il, « a gardé vos témoignages, je les ai aimés souverainement zd » ; ou comme on lit en certains exemplaires « elle les a aimés », c’est-à-dire « mon âme » les a aimés ; c’est garder les témoignages de Dieu que ne point y renoncer. Tel est le devoir des martyrs, puisque martyres et témoignages sont identiques. Mais comme il ne sert de rien d’endurer les flammes pour les témoignages de Dieu, si l’on n’a point la charité ze, le Prophète ajoute : « Je les ai aimés souverainement ». Auparavant il avait dit : « J’ai aimé vos commandements » ; puis, au verset suivant : « J’ai gardé et aimé vos commandements » ; puis ensuite, ce sont les témoignages et les préceptes qu’il a gardés. Voici le texte : « J’ai gardé vos préceptes et vos témoignages zf ». Celui qui les aime les garde pleinement et avec joie. Mais il arrive souvent qu’en gardant les préceptes de Dieu, nous avons pour ennemis ceux qui ne veulent point qu’on les garde ; c’est alors qu’il faut les garder avec plus de courage, de peur que la persécution ne fasse apostasier.

8. Après avoir proclamé ce qu’il a fait, le Prophète l’attribue à Dieu qui lui en a donné la force, et s’écrie : « Toutes mes voies, ô mon Dieu, sont en votre présence ». Ce qui m’a fait garder vos préceptes et votre témoignage, c’est que toutes mes voies sont en votre présence. Comme si le Prophète disait à Dieu : « Si vous aviez détourné de moi votre face, j’eusse été troublé, et je n’aurais gardé ni vos témoignages ni vos préceptes. Si donc je les ai gardés, c’est que toutes mes voies sont en votre présence ». Il veut nous faire comprendre que Dieu regarde ses voies d’un œil propice et secourable ; tel est le sens de cette prière : Ne détournez point de moi votre face zg. Car si la face du Seigneur est sur tous ceux qui font le mal, c’est afin de perdre leur mémoire zh. Ce n’est point en ce sens que notre interlocuteur dit que Dieu regarde ses voies, mais dans le sens qu’il a dit que Dieu connaît la voie des justes zi, et que le Seigneur dit à Moïse : « Je te connais entre tous les autres zj ». S’il ne trouvait, dans cette croyance, que le Seigneur a les yeux sur ses voies, il ne dirait point qu’il a gardé les préceptes et les témoignages du Seigneur, parce que toutes ses voies sont en présence de Dieu. Il comprend cette parole : « Servez le Seigneur dans la crainte, et réjouissez-vous en lui avec tremblement ; embrassez la discipline, de peur que la colère du Seigneur ne vous fasse dévier de la voie des justes zk ». Mais cette voie ne serait point celle de la justice, si elle n’était en présence du Seigneur. Telle est la crainte que veut nous inculquer saint Paul, quand il dit : « Opérez votre salut avec crainte et avec tremblement » ; et pour nous donner raison de cette recommandation, « c’est Dieu », nous dit-il, « qui opère en nous le vouloir et le faire selon sa volonté zl ». Ainsi les voies des justes sont sous le regard du Seigneur, afin qu’il redresse leurs pas, et c’est de ces voies qu’il est dit dans les Proverbes : « Ce sont les voies de droite que connaît le Seigneur, mais les voies perverses sont à gauche zm » ; afin de nous faire comprendre que le Seigneur ne connaît point ces dernières, puisqu’il dira aux méchants : « Je ne vous connais point zn ». Or, afin de nous montrer combien il est avantageux que Dieu connaisse les voies droites, ou les voies des justes, le Prophète ajoute : « C’est lui qui doit redresser vos pas, et conduire vos voies en paix zo ». C’est pourquoi le même Prophète ajoute encore : « J’ai gardé vos préceptes et vos témoignages ». Et comme si nous lui demandions comment il l’a pu : « C’est », répond-il, « parce que toutes mes voies sont en votre présence, ô mon Dieu ».

TRENTE-DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118

LA FORCE DANS L’ÉGLISE.

Elle convient à l’Église cette prière qui demande le salut, qui a pour objet de connaître les ordonnances, puis de les publier, au milieu des contradictions. Afin de ne rien craindre, l’interlocuteur s’attache aux préceptes de Dieu qui veut bien arracher son âme dans la personne des martyrs, vivifier l’Église par cette mort. Il est lui-même la brebis égarée que cherche le bon pasteur.

1. Écoutons maintenant la voix de la prière, car nous connaissons celui qui prie, et nous devons nous reconnaître parmi ses membres, si nous ne sommes point réprouvés. « Que ma prière s’approche de vous, ô mon Dieu zp ». C’est-à-dire, qu’elle s’approche de vous, cette prière que je fais en votre présence. Car le Seigneur est proche de ceux qui ont le cœur contrit zq. « Donnez-moi l’intelligence selon « votre parole u : il demande à Dieu l’effet de sa promesse. Car il dit, selon votre parole, comme il dirait, selon votre promesse. Or, c’est là ce que le Seigneur a promis en disant : « Je vous donnerai l’intelligence zr ».

2. « Que ma prière s’élève en votre présence, ô mon Dieu, délivrez-moi selon votre parole ». Il reprend en quelque sorte sa prière. Car il avait dit d’abord : « Que ma prière s’approche de vous, ô mon Dieu » supplication semblable à celle-ci : « Que ma prière, Seigneur, s’élève en votre présence zs » ; et cette autre partie du verset supérieur : « Donnez-moi l’intelligence », revient à celle-ci : « Délivrez-moi selon votre parole ». Recevoir en effet l’intelligence, c’est être délivré, pour celui à qui son ignorance est un piège.

3. « Mes lèvres », dit-il, « publieront vos louanges, quand vous m’aurez enseigné vos ordonnances zt ». Nous savons comment le Seigneur instruit ceux qui écoutent ses leçons. Quiconque, en effet, a ouï le Père et a appris, vient à celui qui justifie l’impie zu ; afin de garder les ordonnances du Seigneur, non seulement par la mémoire, mais aussi par la pratique. C’est ainsi que tout homme qui se glorifie, ne se glorifie point en lui-même, mais dans le Seigneur zv, et chante une hymne à sa louange.

4. Mais dès qu’il est instruit, et qu’il en a béni Dieu, il veut à son tour enseigner, « Ma langue », dit-il, « publiera vos paroles, parce que vos préceptes sont la justice zw ». Dire qu’il publiera ces paroles, c’est se faire ministre de la parole de Dieu. Bien que le Seigneur, en effet, nous instruise intérieurement, la foi vient cependant de ce que l’on entend, et comment pourrait-on entendre parler, si quelqu’un ne prêche zx ? Quoique Dieu seul donne l’accroissement zy, il ne faut point négliger de planter et d’arroser.

5. Le Prophète sait bien, et quelles persécutions et quelles contradictions s’élèveront contre lui quand il prêchera la parole de Dieu ; aussi a-t-il ajouté : « Que votre main s’étende pour me sauver ; car j’ai choisi vos commandements pour mon partage zz ». Afin, dit-il, de ne rien craindre, et d’avoir vos paroles, non seulement dans le cœur, mais aussi sur les lèvres : « J’ai choisi vos préceptes », et l’amour a étouffé la crainte. Que votre main dès lors s’étende sur moi, et me sauve des mains étrangères. Or, Dieu a sauvé les martyrs en arrachant leur âme à la mort ; car sauver seulement le corps de l’homme, est un salut futile aaa. Cette parole : « Que votre main se fasse », pourrait encore s’entendre du Christ qui est la main de Dieu, selon cette parole d’Isaïe : « Et à qui le bras de Dieu a-t-il été révélé aab ? » Le Fils unique de Dieu n’a pas été fait, puisque tout a été fait par lui aac ; mais il a été fait de la race de David aad, afin d’être Jésus, ou Sauveur, lui qui était déjà créateur. Mais comme cette expression : « Que votre main se fasse », ou « la main du Seigneur se fit », se lit souvent dans l’Écriture, je ne sais pas si l’on pourrait dans tous ces endroits lui assigner le sens dont nous parlons. Assurément, quand nous entendons ce qui suit : « J’ai désiré, Seigneur, votre salut aae », en dépit de tous nos ennemis nous devons l’entendre du Christ qui est le salut de Dieu. C’est lui que les anciens appelaient de leurs soupirs, ils le proclamaient sincèrement ; c’est après lui que soupirait l’Église, quand il devait sortir du sein de sa mère ; c’est lui encore qu’elle appelle de la droite de son Père. À cette pensée le Prophète ajoute : « Et votre loi a fait mes délices ». Car la loi rend témoignage au Christ.

6. Mais devant cette foi, qui nous fait croire de cœur pour la justice, et confesser de bouche pour être sauvés aaf, que les nations frémissent, que les peuples forment de vains projets, que l’on tue le corps pendant qu’il vous prêche ; du moins, « l’âme vivra, et vous louera, et vos jugements seront mon soutien ». Ces jugements en effet devaient commencer par la maison du Seigneur aag, le temps en était venu. Mais, dit le Prophète, ils seront mon appui. Et quel aveugle pourrait ne point voir combien le sang de l’Église a aidé l’Église ? Quelle riche moisson une telle semence a fait germer dans toute la terre ?

7. Enfin l’interlocuteur se découvre, et nous montre celui qui parle dans tout le psaume. « J’ai erré », dit-il, « comme une brebis perdue ; cherchez votre serviteur, parce que je n’ai point oublié vos préceptes aah ». Dans certains exemplaires, on trouve, non pas cherchez, mais vivifiez : ces deux expressions, en grec, ne diffèrent que d’une syllabe, Zeson et Zeteson; aussi trouve-t-on des différences dans les manuscrits grecs eux-mêmes. Quoi qu’il en soit, cherchons cette brebis égarée, qu’on donne la vie à cette brebis perdue ; c’est pour la chercher aai que le bon pasteur abandonne les quatre-vingt-dix-neuf autres sur les montagnes, et se fait déchirer par les épines des Juifs. Mais on la cherche encore ; oui, qu’on la cherche toujours, et après l’avoir trouvée en partie, qu’on la recherche encore aaj. Elle semble trouvée quand le Prophète nous dit : « Je n’ai point oublié vos préceptes » ; mais ceux qui ont choisi comme leur partage les préceptes du Seigneur, qui les aiment, qui les méditent, ceux-là cherchent toujours cette brebis, et la trouvent dans toutes les contrées de la terre, par la vertu du sang que son pasteur a versé pour son salut.

8. Ce long psaume, je l’ai parcouru, expliqué autant que je l’ai pu, autant que Dieu m’en a fait la grâce. D’autres plus habiles et plus intelligents ont fait mieux, à coup sûr, ou feront mieux ; mais pour cela, je n’ai point dû me dispenser de l’entreprendre, surtout devant les sollicitations de mes frères, à qui je suis comptable de ce ministère. Je n’ai rien dit de l’alphabet hébreu, qui partage tout le psaume en sections de huit versets pour chacune des lettres ; et il n’y a là rien d’étonnant : c’est que cette manière de procéder ne m’a rien suggéré, et ce psaume n’est pas le seul dans ce genre de composition. Disons seulement à ceux qui ne trouvent point ces caractères dans les versions grecques et latines, parce qu’on ne les y a point conservés, que dans l’hébreu, chacun des huit versets commence par la lettre qu’ils ont en tête, comme nous l’assurent ceux qui connaissent l’hébreu, Cela s’est fait ici bien plus exactement, que nos auteurs, soit latins soit puniques, ne l’ont fait dans les psaumes appelés abécédaires, Car ils ne commencent point par la même lettre, tous les versets d’une même strophe, mais seulement les premiers versets.

FIN DU TOME NEUVIÈME.

QUATRIÈME SÉRIE

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