eSir 15,9
qOse 25,10
aeSag 11,21
agId 101,27-28
aoMat XLX, 16-26
bePsa XLX, 8-9
bgId 146,11
cpSir 4,36
dvSag 8,1
dwId 7,22
dySag 9,15
elPsa 148,17

‏ Psalms 147

DISCOURS SUR LE PSAUME 146

SERMON AU PEUPLE, PRÊCHÉ PROBABLEMENT A CARTHAGE.

LA VIE DU JUSTE.

Il est bon de chanter des psaumes au Seigneur, qui peut nous récompenser, et s’il n’accorde pas toujours ce qu’on lui demande, c’est qu’il est père et connaît ce qui doit nous être utile. Louer Dieu, ce n’est point simplement chanter en son honneur : le Prophète veut ici un psaume, et le psaume s’exécute sur un instrument de musique, ce qui exige l’action des doigts, et nous figure les œuvres. Une œuvre bonne est donc une louange, et le péché devient un silence ; le tort que l’on médite, un silence aussi. Toute action faite pour obéir à Dieu est donc une louange ; elle est un blasphème dès qu’elle est en dehors des bornes prescrites ; car la louange n’est pas bonne dans la bouche du pécheur, la licence est un ton faux, et Dieu est attentif aux œuvres plus qu’à la voix. L’Apôtre nous dit que nous devons louer Dieu, parce que le Christ est mort pour tous, et le Psalmiste, parce que Dieu bâtit Jérusalem, nous rassemble à la voix des Apôtres, guérit les cœurs brisés par le repentir ; or, ces cœurs brisés qui sont un sacrifice agréable à Dieu, sont les cœurs humbles, qui confessent leurs péchés, les châtient sur eux-mêmes. C’est l’œuvre de la rédemption. Mais la guérison ne sera parfaite que dans l’autre vie. En attendant le Seigneur bande nos plaies, quand il nous redresse par ses préceptes, et – nous aide par ses sacrements, qui sont comme des appareils et qu’il lèvera dans l’autre vie. – C’est Dieu qui compte les étoiles ou les flambeaux qui nous éclairent pour la vie éternelle ; tous ces flambeaux ne sont point marqués cependant pour la vie éternelle, et Dieu appelle par leurs noms ceux qui auront la charité et se tiendront unis à lui.

Dieu est grand, on ne saurait mesurer sa sagesse, qui est le nombre même, la mesure. Nous aurons part à cette mesure immuable, quand nous habiterons Jérusalem. Demandons à Dieu qu’il bande nos plaies, et dans les difficultés de l’Écriture, frappons à la porte avec humilité. Dieu renverse tous ceux que leur orgueil fait regimber. Les Manichéens ont regimbé contre les Écritures, et Dieu les a jetés à terre. Or, la terre pour eux, c’est la chair, et ils n’ont eu sur Dieu que des pensées grossières. Pour arriver au Seigneur, accusons-nous tout d’abord, puis faisons de bonnes œuvres, et nous nous rapprocherons de Dieu en reformant en nous son image que le méchant a effacée ; de là cette expression, qu’il est loin de Dieu. C’est ce même Dieu qui couvre le ciel de nuages, ou ses Écritures de mystères, et prépare à la terre, les pluies de l’intelligence et de la grâce ; qui fait croître l’herbe sur les montagnes, c’est-à-dire qui amène les grands du monde, comme Zachée, à la pratique des bonnes œuvres, qui prépare l’herbe pour les hommes en servitude, ou pour les ministres de l’Église qui ont droit à leur nourriture. Dépensons en bonnes œuvres, au moins la dîme de nos revenus, car nous devons être plus parfaits que les Pharisiens.

Ces petits des corbeaux qui invoquent le Seigneur, c’est nous les fils des Gentils, convertis à la foi. Dieu ne met point ses complaisances dans la puissance du cheval ou dans l’orgueilleux qui lève la tête, ni dans les tabernacles de l’homme, c’est-à-dire dans l’hérésie, mais dans son Église. Espérons en lui, non comme Judas qui douta de sa miséricorde.

1. Nous avons écouté avec attention chanter notre psaume ; mais l’entendre tous, n’était pas le comprendre bus. Quelle attention ne devons-nous pas y apporter maintenant, si, comme je l’espère et le désire, Dieu touché des prières de tous ces auditeurs, nous dévoile ce qu’il y a d’obscur, de manière que votre attention à m’écouter vous soit profitable, et que nul ne s’en retourne sans fruit ? Que dit le psaume en commençant ? « Louez le Seigneur ». Voilà ce qui nous est dit, et non seulement à nous, mais encore à toutes nations. Cette voix que des lecteurs font entendre çà et là, est recueillie par des Églises particulières ; mais la grande voix de Dieu qui domine toutes les autres, ne cesse de nous exhorter à le louer. Or, comme si nous demandions au Seigneur pourquoi nous devons louer Dieu, voyez quelle raison il nous donne : « Louez le Seigneur », nous dit-il, « parce qu’il est bon de lui chanter des psaumes ». Est-ce donc là tout ce qui nous en reviendra ? Louons le Seigneur. Pourquoi ? « Parce qu’il est bon de lui chanter des psaumes ». Je voudrais bien, dira-t-on, louer le Seigneur, mais s’il payait ma louange de quelque récompense. Comment louer gratuitement, ne serait-ce qu’un homme ? On ne loue donc les hommes que dans l’espoir d’une récompense ; mais quiconque loue Dieu, ne saurait-il en attendre aucune récompense, ni demander, ni espérer ? On loue un homme faible et avec espérance ; on loue le Tout-Puissant et il n’aurait rien à donner ? Serait-il impuissant à donner ce qu’on lui demande ? Que peut désirer l’homme, qui ne soit sous la main de Dieu ? Quand on loue un homme, il arrive que l’on désire ce qu’il ne saurait donner. Mais pour Dieu, tu peux le louer en toute sécurité ; nul ne saurait dire qu’il est impuissant à donner ce que l’on attend de lui. Nous devons donc louer le Seigneur en nous proposant quelque récompense, bien qu’il ne nous accorde pas toujours ce que nous désirons. Il est père, en effet, et ne donne point à des méchants fils ce qu’ils désirent. Bénissons-le donc, avec espérance et même avec désir, non point de telle ou telle faveur, mais de celle que juge à propos de nous accorder Celui que nous louons. Et il sait ce qui nous convient, c’est à nous d’attendre ce qui nous est utile. L’Apôtre l’a dit : « Nous ne savons ce qu’il convient de demander a ». Et le même saint Paul croyait qu’il lui serait avantageux d’être délivré de l’aiguillon de la chair, de cet ange de Satan qui le souffletait, selon ses aveux, et il dit : « Trois fois j’ai prié le Seigneur de m’en délivrer, et il m’a dit : « Ma grâce te suffit, car la vertu se perfectionne dans la faiblesse b ». Il désirait donc une faveur, que Dieu ne lui accorda point à sa volonté, afin de lui procurer la sainteté. Qu’est-ce donc que l’on nous propose ici ? « Louez le Seigneur », dit le Prophète. Pourquoi louer le Seigneur ? Parce qu’il est bon de lui chanter des hymnes. Ces hymnes sont la louange du Seigneur. C’est dire alors : Louez le Seigneur, parce qu’il est bon de le louer. Ne passons point légèrement sur cette parole : Louez le Seigneur. Elle est dite, et la voilà passée ; c’est fini, et nous rentrons dans le silence ; après avoir loué Dieu, nous nous sommes tus ; après le chant, le repos. Nous passons à ce qui nous reste à faire, et quand il se présente une autre occupation, cesserons-nous pour cela de louer Dieu ? Point du tout ; si la louange n’est qu’un moment sur ta langue, elle doit être continuellement dans ta vie. De là cette excellence du psaume.

2. Le psaume est un chant, non pas un chant quelconque, mais un chant sur le psaltérion. Or, le psaltérion est un instrument de musique, du genre de la lyre, de la harpe et d’autres semblables. Chanter le psaume n’est donc pas seulement chanter de la voix, mais unir la main à la voix sur l’instrument que l’on appelle psaltérion. Veux-tu donc chanter un psaume ? Non seulement que ta voix fasse retentir les louanges de Dieu mais que tes œuvres soient d’accord avec ta voix. Si tu ne chantes que de la voix, il y aura des silences, mais que ta vie soit une mélodie sans silences Tu es en affaires, et tu médites la ruse ; voilà un silence dans la louange de Dieu : et ce qui est plus grave, non seulement tu cesses de louer Dieu, mais tu tombes dans le blasphème. Quand on loue Dieu à cause du bien que tu fais, c’est ta bonne œuvre qui est une louange pour Dieu ; mais quand on blasphème Dieu à cause de tes œuvres, tes œuvres sont un blasphème. Que ta voix dès lors se fasse entendre pour stimuler l’oreille, mais que ton cœur ne se taise point, que ta voix ne soit jamais silencieuse. Ne méditer aucun tort dans les affaires, c’est chanter à Dieu. Quand tu manges, quand tu bois, chante, non point en flattant les oreilles par de suaves mélodies, mais en buvant, en mangeant avec sobriété, avec tempérance. Car voici ce que dit l’Apôtre : « Soit que vous buviez, soit que vous mangiez, soit que vous fassiez toute autre chose ; faites tout pour la gloire de Dieu c ». Si donc tu fais bien de manger et de boire, pour soutenir ton corps et réparer tes forces, en rendant grâces à celui qui soutient ainsi la faiblesse d’un mortel ; boire et manger sont pour toi louer Dieu. Mais si une avide intempérance te pousse au-delà des bornes prescrites par la nature, si tu vas jusqu’à te gorger de vin, boire et manger sont pour toi un blasphème. Après avoir bu et mangé, tu cherches le repos et le sommeil ; que ta couche n’accuse rien de honteux, rien de ce qui dépasse les bornes tracées par Dieu ; sois chaste même avec ton Épouse, et si tu veux en avoir des enfants, n’obéis point à une luxure effrénée. Jusque dans ton lit, respecte une Épouse ; puisque tous deux vous êtes membres du Christ, tous deux créés parle Christ, et rachetés par le sang du Christ. Agir ainsi, c’est louer Dieu, et rien dès lors n’interrompt ta louange. Mais quand viendra le sommeil ? Même pendant le sommeil, qu’une – conscience coupable ne te réveille point ; un sommeil innocent loue aussi le Seigneur Si donc tu bénis Dieu, chante non seulement de la langue, mais prends aussi le psaltérion des bonnes œuvres ; parce que ce psaltérion est bon. C’est donc louer Dieu que travailler à ses affaires, louer Dieu que boire et manger, louer Dieu que prendre son repas, louer Dieu que dormir ; quand cesse-t-on de louer Dieu ? Cette louange sera parfaite quand nous arriverons à la cité des saints, quand nous seront semblables aux anges de Dieu d ; quand il n’y aura plus à subir de nécessité corporelle, quand nous ne sentirons ni la faim, ni la soif, ni le poids de la chaleur, ni l’engourdissement du froid, ni les tourments de la fièvre, ni la destruction de la mort. Exerçons-nous par avance à cette louange parfaite, en louant Dieu par nos bonnes œuvres.

3. Aussi, après avoir dit : « Louez le Seigneur, parce qu’il est bon de le louer sur le psaltérion », le Prophète ajoute : « Que votre louange soit agréable à notre Dieu ». Comment cette louange sera-t-elle agréable à notre Dieu, sinon quand nous le bénirons par une vie pure ? Écoute bien comment cette louange peut lui être agréable. Il est dit ailleurs : « La louange n’est point belle dans la bouche du pécheur e ». Si donc la louange n’est point belle dans la bouche du pécheur, elle n’est point agréable ; car il n’y a d’agréable que le beau. Veux-tu que ta louange soit agréable à Dieu ? Ne gâte point tes chants mélodieux par les tons faux d’une vie licencieuse. « Que votre louange soit agréable à Dieu ». Qu’est-ce à dire ? Menez une vie pure, ô vous qui louez Dieu. La louange des méchants ne peut que le blesser. Dieu s’arrête plus à considérer ta vie, qu’à écouter le son de ta voix. Assurément tu veux avoir la paix avec ce Dieu que tu chantes, mais comment l’avoir avec lui quand tu es en désaccord avec, toi-même ? Quel désaccord avec moi-même, diras-tu ? C’est que ta langue rend un son, ta vie un autre son. « Que votre louange soit agréable à Dieu ». Un homme peut s’éprendre d’une louange, quand il entend louer avec une voix mélodieuse, des périodes arrondies et de fines pensées ; mais « que votre louange soit agréable à Dieu », qui a l’oreille non plus à notre voix, mais à notre cœur, qui n’écoute point l’harmonie des paroles, mais celle de nos bonnes œuvres.

4. Qui est notre Dieu, pour que notre louange lui soit agréable ? Il veut être doux pour nous, il veut se faire aimer de nous ; rendons grâces à sa miséricorde. Il daigne s’offrir à notre amour, non qu’il puisse recevoir quelque chose de nous, mais bien plus pour nous donner lui-même. Comment donc Dieu veut-il se poser devant nous ? Écoutez l’apôtre saint Paul : « Dieu fait éclater son amour envers vous ». Comment Dieu fait-il éclater cet amour ? Que l’Apôtre nous le dise, afin qu’on le compare avec notre psaume « Dieu », dit-il, « fait éclater son amour envers nous ». Comment le fait-il éclater ? « C’est que nous étions pécheurs, et alors le Christ est mort pour nous f ». Que réserve donc à ceux qui le bénissent un Dieu qui signale ainsi son amour envers des pécheurs ? Ainsi, voilà l’Apôtre qui nous dit que Dieu fait éclater son amour envers nous, au point que le Christ est mort pour les pécheurs ; non pour les laisser dans leur impiété, mais afin que la mort du juste les guérît de leur injustice ; maintenant écoute notre psaume, que dit-il après ces paroles « Que notre louange soit agréable à Dieu ? » Voyons s’il nous en donne une raison qui s’accorde avec celle de l’Apôtre : « Que le Christ est mort pour les impies ». C’est, dit le Psalmiste, « qu’il bâtit Jérusalem et qu’il rassemble ceux d’Israël qui sont dispersés g ». Voilà que le Seigneur bâtit Jérusalem et qu’il rassemble son peuple épars. Le peuple d’Israël est, en effet, le peuple de Jérusalem, et il y a une Jérusalem éternelle, dont les citoyens sont les anges mêmes. Que signifie donc ici Israël ? Si par Israël nous entendons ce petit-fils d’Abraham, appelé aussi Jacob, comment ce nom d’Israël conviendra-t-il aux anges ? Mais si nous examinons le sens de ce nom, car à Jacob le nom fut échangé contre celui d’Israël h, ce nom d’Israël convient mieux à cette cité bienheureuse, et puissions-nous à notre tour être ensuite Israël. Que veut dire. Israël, en effet ? Qui voit Dieu. Donc, les habitants de cette cité des cieux voient Dieu, et ce spectacle de Dieu même fait leur joie dans cette ville si grande et si auguste. Quant à nous, le péché nous a bannis de cette heureuse patrie, il nous a empêchés d’y demeurer, et le poids de notre mortalité nous empêche d’y retourner. Dieu a regardé notre exil, et lui qui rebâtit Jérusalem, en relève la partie tombée. Comment relever cette partie tombée ? « En rassemblant ce qui est dispersé d’Israël ». Une partie d’Israël est tombée, en effet, devenue étrangère ; et cette étrangère, Dieu l’a regardée avec miséricorde, et a recherché ceux qui ne le cherchaient point. Comment les a-t-il cherchés ? Qui a-t-il envoyé dans notre captivité ? Il a envoyé un rédempteur selon cette Parole de l’Apôtre : « Dieu a signalé son amour envers nous, et quand nous étions encore dans le péché, le Christ est mort pour nous i ». C’est donc son Fils qu’il a envoyé pour nous racheter de notre captivité. Porte un sac avec toi, lui a-t-il dit, et mets-y le prix des captifs. Il a donc revêtu notre chair mortelle, où était le sang qu’il devait répandre pour nous racheter. Tel est le sang qui rassemble les enfants d’Israël qui sont dispersés. Or, si jadis il rassembla ceux qui étaient dispersés, combien faut-il s’appliquer à rassembler ceux qui le sont aujourd’hui ? Si les dispersés d’autrefois furent rassemblés afin que la main de l’Architecte les taillât de manière à les faire entrer dans l’édifice, comment aujourd’hui faut-il rassembler ceux que leur agitation a fait tomber des mains de l’architecte ? « C’est le Seigneur qui bâtit Jérusalem ». Tel est le Dieu que nous louons, et que nous devons louer pendant toute notre vie : « Le Seigneur qui bâtit Jérusalem, et qui rassemble ceux d’Israël qui sont dispersés ».

5. Comment les rassembler ? Que fait-il pour cela ? « C’est lui qui guérit ceux dont le cœur est brisé j ». C’est ainsi que l’on rassemble ceux d’Israël qui sont dispersés, afin de guérir ceux dont le cœur est brisé. Ceux dont le cœur n’est point brisé, ne sont point guéris. Qu’est-ce alors que briser son cœur ? Je vous le dirai, mes frères, afin que vous puissiez être guéris. Cette expression se trouve en beaucoup d’endroits dans l’Écriture, et principalement dans celui où le Psalmiste disait en notre nom : « Si vous aviez voulu un sacrifice, je vous l’eusse donné assurément mais les holocaustes ne vous sont point agréables ». Quoi donc ? Nous faudra-t-il demeurer sans sacrifice ? Entends celui que Dieu veut qu’on lui offre. Le Prophète continue en disant : « Le sacrifice agréable à Dieu est une âme affligée, le Seigneur ne dédaignera point un cœur brisé et humilié k. Il guérit donc les cœurs brisés » : parce qu’il s’approche d’eux pour les guérir ; comme il est dit ailleurs : « Le Seigneur est proche de ceux qui ont brisé leur cœur l ». Quels cœurs sont brisés ? Les cœurs humbles, Quels cœurs ne le sont point ? Les orgueilleux. Uni cœur brisé sera guéri, un cœur élevé sera brisé. Car il n’est brisé sans doute, que pour être guéri ensuite. Que notre cœur donc, mes frères, ne s’élève point avant d’être droit. On s’élève pour sa perte, quand on ne s’est point redressé tout d’abord.

6. « Il guérit ceux dont le cœur est brisé, il bande leurs plaies ». Dieu donc guérit ceux dont le cœur est brisé, et dès lors il guérit ceux qui s’humilient, ceux qui confessent leurs fautes, ceux qui se punissent eux-mêmes, ceux qui exercent contre eux-mêmes un jugement sévère, afin de sentir ensuite sa miséricorde. Voilà ceux que Dieu guérit, mais leur guérison sera parfaite seulement quand cette mortalité sera passée, quand ce corps corruptible sera revêtu d’incorruption, ce corps mortel, d’immortalité m ; quand la chair souillée n’aura plus pour nous aucune sollicitation, non seulement quand nous n’y succomberons plus, mais quand elle n’aura pires même aucune suggestion. Maintenant en effet, mes frères, combien d’attraits coupables pour notre âme ! Sans doute nous y résistons, et nos membres obéissent à la justice et non à l’iniquité ; et toutefois le plaisir que nous causent ces sollicitations, bien qu’il n’y ait aucun consentement, est loin de la santé parfaite. Tu seras donc guéri, oui, tu seras guéri si ton cœur est brisé. Ne rougis plus de briser ton cœur ; ceux-là, Dieu les guérit. Mais que puis-je faire maintenant, diras-tu ? « Selon l’homme intérieur, en effet, je trouve du plaisir dans la loi de Dieu ; mais je sens dans mes membres une autre loi qui combat contre la loi de mon esprit, et qui me tient captif sous la loi du péché ». Que faire ? dis-tu. Brise ton cœur, confesse tes fautes, et dis avec l’Apôtre : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ? » afin qu’il te soit répondu : « La grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur n ». Comment nous délivrera cette grâce dont nous avons reçu maintenant les arrhes ? Écoute le même Apôtre : « Le corps est mort sans doute à cause du péché, mais l’esprit est vie à cause de la justice. Si donc l’esprit de celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts rendra aussi la vie à vos corps mortels, à cause de sou esprit qui habite en vous o ». Telles sont donc les arrhes qu’a reçues notre esprit, afin que nous commencions par la foi à servir Dieu, à être appelés justes par la foi, « puisque c’est de la foi que vit le juste p ». Tout ce qui nous résiste encore, tout ce qui nous est contraire vient de la mortalité de notre chair, et sera guéri. « Car Dieu rendra la vie à vos corps mortels, par l’esprit qui habite en vous ». C’est pour cela qu’il nous témoigne, par un gage, qu’il veut accomplir ce qu’il nous a promis. Mais maintenant dans cette vie, où nous confessons nos fautes, sans rien posséder encore, dans cette vie qu’arrivera-t-il ? Comment être guéri ? « Le Seigneur guérit ceux dont le cœur est brisé » ; mais la guérison parfaite arrivera quand nous l’avons dit ; toutefois, en cette vie qu’arrive-t-il ? « Il bande leurs plaies ». Celui-là, dit le Prophète, qui guérit ceux dont le cœur est brisé, et dont la santé parfaite n’arrivera qu’à la résurrection des morts, celui-là bande aujourd’hui leurs plaies.

7. Comment bander ces plaies ? Comme les médecins bandent les fractures. Souvent, en effet, que votre charité veuille bien comprendre ce que comprennent ceux qui l’ont remarqué, ou l’ont appris des médecins : souvent les médecins brisent de nouveau afin de mieux redresser un membre mal replacé, ou mal affermi ; ils font une blessure nouvelle, parce qu’une guérison défectueuse devient nuisible. « Les voies du Seigneur sont droites », a dit l’Écriture, « mais l’homme au cœur dépravé y trouve des scandales q ». Qu’est-ce que l’homme au cœur dépravé ? L’homme qui a le cœur tortueux. Un tel homme ne voit que du louche dans les paroles de Dieu, que des défauts dans ses actes ; tous les jugements de Dieu lui déplaisent, surtout ceux qui doivent le châtier. Le voilà qui s’assied, qui montre que Dieu est en défaut parce qu’il n’agit point selon la corruption de son mur. C’est donc peu pour un cœur dépravé de ne point se redresser selon Dieu ; il prête à Dieu sa difformité. Que dit le Seigneur du haut du ciel ? C’est toi qui es tortueux, moi qui suis droit ; si tu étais droit, tu reconnaîtrais que je le suis. Posez un bois tortueux sur un pavé bien uni, il ne saurait s’y appliquer : il branle, il est peu solide ; et cela ne vient pas de l’inégalité du pavé, mais de la difformité du bois. C’est ce qu’a dit l’Écriture : « Que le Dieu d’Israël est bon à ceux dont le cœur est droit r ! » Mais cet autre cœur est tortueux, comment le redresser ? Il est tortueux et endurci ; qu’on brise alors ce cœur tortueux et endurci, qu’on le brise et qu’on le redresse. Tu ne saurais redresser ton cœur mais c’est à toi de le briser, Dieu le redressera. Comment le briser, le rendre contrit ? En confessant tes péchés, en les châtiant toi-même. Que veut-on dire autre chose, en se frappant la poitrine ? À moins peut-être de croire que nous frappons nos poitrines parce que toutes sont coupables. Mais non, c’est dire par là que nous brisons nos cœurs afin que Dieu les redresse.

8. « Dieu donc guérit ceux dont le cœur est brisé », contrit. Et cette guérison du cœur sera parfaite, quand notre corps sera complètement réparé, selon la promesse que nous en avons. Que fait cependant le médecin ? Il bande tes blessures, afin que tu puisses arriver à la santé pleine et entière, et que tout ce qui a été brisé et bandé redevienne solide. Quelles bandes nous seront appliquées ? Les sacrements de cette vie. Ces sacrements qui nous consolent, sont autant de bandages qui guérissent nos meurtrissures ; ce que nous disons en vous parlant, ces exhortations qui frappent vos oreilles et qui passent, tout ce que l’on fait ici-bas dans l’Église, tout cela est appareil pour vos plaies. De même qu’après la parfaite guérison le médecin enlève tout appareil, de même dans la cité de Jérusalem, quand nous serons semblables aux anges, pensez-vous que nous recevrons encore ce que nous recevons ici ? Aurons-nous besoin de lire l’Évangile pour affermir notre foi ? Les pasteurs nous imposeront-ils les mains ? Tous ces appareils de nos meurtrissures disparaîtront, quand la santé sera parfaite ; mais il n’y aurait point de guérison sans ces appareils. « Il guérit ceux dont le cœur est brisé, il bande leurs meurtrissures ».

9. « Il compte la multitude des étoiles, et les appelle par leurs noms s ». Qu’y a-t-il de grand pour Dieu à compter les étoiles ? Les hommes ont essayé de les compter ; à eux de voir s’ils ont réussi ; et toutefois ils n’en feraient point l’essai, s’ils n’espéraient y parvenir. Laissons-les, avec tout ce qu’ils ont pu faire, et au point qu’ils ont pu atteindre ; mais pour Dieu, rien de grand à compter toutes les étoiles. Repassera-t-il ce nombre dans sa mémoire, de peur de l’oublier ? Est-il bien étonnant que Dieu compte les étoiles quand il compte les cheveux de notre tête t ? Il est évident, mes frères, que Dieu veut nous montrer un sens caché dans ces paroles : « Il compte la multitude des étoiles, et les appelle par leurs noms ». Ces étoiles sont les flambeaux de l’Église, qui nous consolent dans cette nuit terrestre, et dont l’Apôtre a dit : « C’est au milieu d’eux que vous apparaissez, comme des flambeaux dans ce monde ». « Dans cette nation tortueuse et perverse », nous dit-il, « vous apparaissez au milieu d’eux comme des flambeaux dans le monde, portant en vous la parole de vie u ». Telles sont les étoiles comptées par le Seigneur ; il connaît et il compte ceux qui doivent régner avec lui, être unis au corps de son Fils unique. Il ne compte point celui qui en est indigne. Beaucoup ont embrassé la foi, ou plutôt beaucoup se sont unis à son peuple avec une ombre, une apparence de foi ; mais il sait ce qu’il doit compter et ce qu’il doit vanner. L’Évangile est parvenu à un point qui justifie cette parole : « J’ai annoncé et parlé : et ils se sont multipliés au-delà du nombre v ». Il y a donc parmi les peuples, des surnuméraires en quelque sorte. Comment surnuméraires ? C’est-à-dire plus nombreux ici-bas que dans le ciel. Le peuple qui est dans cette enceinte est plus nombreux qu’il ne sera dans le royaume de Dieu, dans la Jérusalem du ciel ; voilà les surnuméraires. Que chacun examine s’il brille dans les ténèbres, s’il est insensible aux séductions des ténèbres et des iniquités de ce monde : s’il n’est ni séduit ni vaincu, il sera comme une étoile que compte le Seigneur.

10. « Il appelle toutes les étoiles par leurs noms » ; c’est là toute notre récompense. Nous avons des noms devant Dieu, et que Dieu connaisse ces noms, c’est ce qu’il nous faut désirer ; c’est là que doivent tendre nos actions et nos efforts, autant qu’il nous est possible : n’ayons de joie pour rien autre chose, pas même pour un don spirituel. Que votre charité veuille bien m’écouter : les dons sont nombreux dans l’Église, comme l’a dit l’Apôtre : « L’un reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec sagesse ; l’autre reçoit du même Esprit le don de parler avec science ; un autre le don de la foi par le même Esprit ; un autre le don de guérir les maladies ; un autre le don de discerner les esprits », c’est-à-dire de juger entre les bons esprits et les méchants ; « un autre le don des langues, un autre le don de prophétie w ! » Que n’a-t-il pas énuméré ! Combien ces dons sont nombreux ! Et pourtant beaucoup qui auront fait de ces dons un mauvais usage entendront à la fin : « Je ne vous connais pas ». Et que répondront à la fin ceux à qui l’on dira : « Je ne vous connais pas ? – Seigneur, n’avons-nous pas prophétisé en votre nom, et en votre nom chassé les démons, et en votre nom encore opéré de grands prodiges ? » Tout cela en votre nom. Et que leur dira le Seigneur ? « En vérité, je ne vous connais point, retirez-vous de moi, ouvriers d’iniquité x ». Quel avantage donc à être une lumière du ciel, éclairant les autres sans se laisser vaincre par la nuit ? « Je vous enseigne une voie bien supérieure encore », dit l’Apôtre y. « Quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges, si je n’ai point la charité, je suis un airain sonnant, une cymbale retentissante ». Quel don de parler les langues des anges et des hommes ! « Et pourtant si je n’ai pas la charité, je ne suis qu’un airain sonore, qu’une bruyante cymbale. Quand je pénétrerais tous les mystères, toute la science, quand j’aurais le don de prophétie et une foi capable de transporter les montagnes » (quels dons éminents, mes frères !), « si je n’ai la charité, je ne suis rien ». Combien grand encore le don du martyre, et de donner son bien aux pauvres ! Et toutefois « quand même », poursuit l’Apôtre, « quand même je distribuerais mon bien aux pauvres, quand je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai la charité, tout cela ne me sert de rien z ». Quiconque, dès lors, n’a point la charité, peut bien posséder ces dons pour un temps, mais ils lui seront ôtés ; on lui ôtera ce qu’il a parce qu’il lui manque quelque chose ; et ce qui lui manque est précisément ce qui lui assurerait la possession du reste, et l’empêcherait de périr lui-même. Que nous dit maintenant le Seigneur ? « A celui qui possède, on donnera encore ; et à celui qui n’a point, on ôtera même ce qu’il a aa ». Donc, pour celui qui n’a pas, on lui ôtera même ce qu’il possède. Il a la grâce de posséder quelque don, mais il n’a pas la charité qui en use. Aussi voulut-il inculquer cette charité à ses disciples, afin de les faire marcher dans le ciel comme des étoiles dans la voie suréminente, celui qui compte les étoiles et les appelle par leurs noms. En effet, un jour ces disciples revinrent de la mission qu’il leur avait confiée, et dans leur joie ils s’écriaient : « Seigneur, voilà que les esprits immondes nous sont soumis à cause de votre nom ». « Mais celui qui compte les étoiles, et les appelle par leurs noms », sachant bien que plusieurs diront : N’avons-nous pas chassé les démons en votre nom ? et qu’on leur répondra au dernier jour : « Je ne vous connais point », parce qu’il ne les avait point comptés parmi les étoiles, ni appelés par leurs noms, celui-là, dis-je, leur répondit : « Ne vous réjouissez point de ce que les esprits vous sont soumis, mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans le ciel ab. C’est lui qui compte les étoiles si e nombreuses et les appelle par leurs noms. »

11. « Notre Dieu est grand ». Le Prophète est plein de joie, il la répand d’une manière ineffable. Impuissant à parler, il avait du moins la pensée autant qu’il en était capable. « Notre Seigneur est grand, grande est sa puissance, et sa sagesse n’a point de nombre ac ». On ne saurait compter celui qui suppute le grand nombre des étoiles. « Grand est notre Dieu, grande sa puissance, et osa sagesse n’a point de nombre ». Qui pourrait exposer le sens de ces paroles ? Qui pourrait même comprendre d’une manière convenable cette parole : « Et sa sagesse n’a point de nombre ? » Dieu veuille se répandre lui-même dans vos âmes, et suppléer dans sa puissance à notre faiblesse, éclairant lui-même vos esprits, afin que vous compreniez ce que signifie « La sagesse n’a point de nombre ». Peut-on, mes frères, compter les grains de sable ? Impossible à nous, Dieu seul le peut. Lui qui a compté les cheveux de notre tête ad, peut aussi compter les grains de sable. Tout ce qu’il y a d’infini dans ce monde, peut bien être infini pour les hommes, et non toutefois pour Dieu ; c’est peu dire, pour Dieu, les anges peuvent le compter : « Son intelligence n’a point de nombre ». Au-dessus de tous les calculs est son intelligence, et nous ne saurions la compter. Qui peut compter le nombre même ? C’est du nombre que l’on se sert pour compter, et quel que soit votre calcul vous prenez le nombre ; mais qui comptera le nombre même ? il est tout à fait innombrable. Qu’est-ce donc en Dieu que ce nombre, par lequel il a tout fait, et où il a tout fait, pour qu’on lui dise : « Vous avez réglé toutes choses avec mesure, avec nombre et avec poids ae ? » Qui pourrait évaluer le nombre, supputer la mesure, peser la pesanteur où Dieu a tout réglé ? « Son intelligence donc n’a point de nombre ». Que la voix de l’homme se taise, que sa pensée devienne muette ; que les hommes ne s’efforcent peint de comprendre ce qui est incompréhensible ; qu’ils tâchent seulement d’y avoir une part, puisque nous y aurons part un jour. Nous ne serons point ce que nous comprenons, et nous ne pourrons le comprendre entièrement, mais nous en ferons partie ; car il est dit de Jérusalem, dont Dieu rassemble les débris dispersés, il est dit une parole d’un grand sens : « Jérusalem qui est construite comme une cité, et dont les habitants participent à ce qui est le même af ». Or, qu’est-ce à dire, ce qui est le même, sinon ce qui ne change point ? Tout ce qui est créé peut être d’une manière ou d’une autre ; mais celui qui a tout créé ne saurait être de telle ou telle manière. Celui-là est donc le même ; aussi est-il dit : « Vous les changerez, et ils seront changés ; mais vous êtes toujours le même, et vos années ne finiront point ag ». Si donc Dieu est toujours le même, s’il ne peut changer ; en participant à sa divinité, nous deviendrons immortels à notre tour, et pour la vie éternelle. Et tel est le gage qu’il nous a donné en son Fils, comme je le disais tout à l’heure à votre sainteté, qu’avant de nous donner part à son immortalité, il a voulu prendre part à notre mortalité. Et comme il était mortel, non par sa propre substance, mais par la nôtre ; de même nous serons immortels, non par notre substance, mais par la sienne. Nous aurons donc part en Dieu ; que nul n’en doute ; l’Écriture nous l’affirme. Et quelle part aurons-nous en Dieu, comme si Dieu était en plusieurs parts indivisibles ? Qui pourra m’expliquer comment plusieurs pourront avoir part en celui qui est un, qui est simple ? N’exigez pas de moi que je vous explique ce qui est inexplicable, vous le voyez ; mais revenez au remède que vous offre le Sauveur ; brisez vos cœurs, brisez la dureté de l’âme, domptez ce qu’elle a d’inflexible, qu’elle confesse le mal qu’elle a fait, et renaisse dans le bien. Lui-même nous redressera, bandera nos blessures, affermira notre santé, et alors nous ne rencontrerons plus d’impossibilité dans ce qui nous est impossible aujourd’hui. Il est bon, en effet, de confesser sa faiblesse, quand on veut parvenir à la divinité. « Et son intelligence n’a point de nombre ».

12. Aussi dans cette impossibilité de comprendre, le Prophète vient te montrer ce que tu dois faire, et te dit : « Le Seigneur reçoit ceux qui sont doux ». Tu ne comprends rien par exemple aux choses de Dieu, ou tu les comprends peu, ou tu ne saurais les pénétrer ; rends honneur à son Écriture, honneur à sa parole, fût-elle voilée ; attends pieusement que tu puisses comprendre. Loin de toi la témérité d’accuser l’Écriture ou d’obscurité ou de perversité. Il n’y a rien de mauvais, mais il y a de l’obscur, non que Dieu te veuille rien refuser, mais il veut te stimuler avant de te le donner. Si donc il y a de l’obscurité, c’est le médecin qui l’a voulu, afin de te forcer à frapper à la porte ; il l’a voulu afin de t’exercer quand tu frappes, il l’a voulu, afin de n’ouvrir qu’à tes efforts ah. Frapper sera pour toi un exercice, et cet exercice dilatera ton cœur, et ton cœur dilaté sera plus capable de recevoir ses dons. Loin donc de t’irriter de ces obscurités, sois doux, plein de mansuétude. Garde-toi de regimber contre, ces obscurités, et de dire : Il ferait mieux de s’exprimer de la sorte. Depuis quand peux-tu dire ou juger de quelle manière on eût dû s’exprimer ? Dieu a parlé comme il convenait de parler. Ce n’est point au malade à réformer les remèdes qu’on lui donne, le médecin sait les tempérer ; crois-en à celui qui travaille à te guérir. Aussi, que dit le Prophète ? « Le Seigneur reçoit ceux qui sont doux ». Garde-toi donc de résister aux secrets de Dieu, afin qu’il te reçoive. Si tu veux résister, écoute ce qui suit : « Il abat les pécheurs jusqu’à terre ». Il y a des pécheurs de beaucoup de sortes ; mais quels sont ces pécheurs qu’il humilie jusqu’à terre, sinon ceux qui sont opposés aux hommes doux ? Dire en effet du Seigneur : « Qu’il reçoit les hommes doux et qu’il abat jusqu’à terre les pécheurs », c’est désigner par cette douceur, de quels pécheurs il est question. Ici nous entendons par pécheurs ceux qui manquent de douceur et de mansuétude. Pourquoi les humilier jusqu’à terre, sinon parce qu’en regimbant contre les choses spirituelles, ils n’auront plus que des sentiments terrestres ?

13. C’est ainsi qu’il a traité les hommes qui voulaient se rire de la loi avant de la connaître, et qui ont manqué de docilité. Que votre charité comprenne bien ceci. Il s’est élevé une secte dépravée, celle des Manichéens, qui a tourné en dérision les Écritures qu’on lit dans l’Église, et dont on respecte l’autorité ; qui a osé condamner ce qu’elle n’entendait pas, et en jetant le blâme sur des questions qu’elle soulevait sans les comprendre, elle en a pris beaucoup dans ses filets. Pour les châtier de cette audace, Dieu les humilia jusqu’à terre ; il ne leur permit pas de comprendre les choses d’en haut, et dès lors ils n’eurent du goût que pour les choses terrestres. On n’entend dans leurs fables que des blasphèmes, que des imaginations de fantômes corporels : ils ont voulu connaître Dieu, et une fois arrivés à la pensée de cette lumière visible, ils n’ont pu aller au-delà. Alors ils ont imaginé, dans le royaume de Dieu, de vastes plaines d’une lumière semblable à celle du soleil visible, dont ils ont fait un fruit de cette lumière. Or, tout ce que l’on touche par la terre de cette chair, est terre aux yeux de Dieu. Nous avons des moyens de voir, d’entendre, de flairer, de goûter, de toucher. C’est par ces messagers appelés nos cinq sens, que cette chair peut connaître seulement ce qui est corporel ; quant aux choses intelligibles et spirituelles, nous les connaissons par l’esprit. Comme donc ces orgueilleux ont tourné en dérision les obscurités des saintes Écritures, qui n’étaient pour eux une porte close qu’afin de les exercer en frappant à cette porte, et non pour en refuser l’entrée aux humbles, voilà qu’ils sont abattus sur la terre, au point de ne pouvoir élever leurs pensées au-delà de ce que la terre nous fait connaître. Et que faut-il entendre par cette terre ? La chair. Pour eux, en effet, la terre est cette chair faite de la terre. Tout ce que l’on connaît par les yeux est terrestre ; tout ce que nous rapportent les oreilles, l’odorat, le goût, le toucher, tout cela est terrestre, parce que nous ne le connaissons que par la terre. Ils n’ont donc pu comprendre cette intelligence qui est sans nombre. C’est pourquoi ils ont condamné les saintes Écritures qui couvrent les vérités de certains voiles, afin d’exercer utilement les humbles, et ce blâme les a jetés dans une indocilité opposée à la douceur, et ils ont été humiliés jusqu’à terre, en sorte qu’ils n’ont pu comprendre Dieu qui est incorporel, et que leurs pensées sur Dieu n’étaient rien moins que corporelles et grossières.

14. « Dieu donc abat les pécheurs jusqu’à terre ». Que nous faut-il faire dès lors, si nous ne voulons être humiliés jusqu’à terre ? li est difficile de s’élever aux choses qui sont purement d’intelligence, difficile d’arriver à ce qui est spirituel, difficile d’élever son cœur de manière à comprendre qu’il y a quelque chose qui ne s’étend point selon les lieux, ne varie point avec le temps. Quelle idée, en effet, se fera-t-on de la sagesse ? Quelle forme lui donner ? Une forme longue ? une forme carrée ? une forme ronde ? Est-elle tantôt ici, et tantôt là ? Un homme réfléchit sur la sagesse dans l’Orient, un autre dans l’Occident ; à un tel intervalle, elle est présente à chacun d’eux, s’ils se la représentent convenablement. Que dis-je ici ? Qui peut le comprendre ? Qui peut se faire une idée de cette nature immuable et en quelque sorte divine ? Ne te hâte point trop, tu pourras la comprendre. Écoute ce qui suit : « Commencez devant le Seigneur par la confession ai ». C’est par là qu’il te faut commencer, si tu veux arriver à connaître parfaitement la vérité ; si tu veux arriver, par la foi à la claire vue, commence par la confession. Accuse-toi tout d’abord, et après cette accusation bénis le Seigneur. Invoque celui que tu ne connais point encore, qu’il vienne et se fasse connaître ; non point qu’il vienne lui-même sans doute, mais qu’il te conduise jusqu’à lui. Comment vient-il là d’où il ne se retire jamais ? Telle est, en effet, la sagesse parfaite, qu’elle est partout et loin des méchants. Oui, dis-je, elle est par tout, et néanmoins elle est loin des méchants qui sont partout. Mais je vous le demande, comment être éloignée de quelques-uns et néanmoins être partout ? Qu’est-ce que cet éloignement, sinon que les méchants ne ressemblent point à Dieu, et qu’ils effacent en eux-mêmes son image ? Ils se sont retirés de Dieu parce qu’ils ont perdu la ressemblance avec lui ; qu’ils se réforment afin de se rapprocher de lui. Comment nous réformer, diront-ils, et quand nous réformer ? « Commencez devant Dieu par la confession ». Et après cette confession ? Faites des bonnes œuvres. « Chantez à notre Dieu sur la harpe ». Qu’est-ce à dire, sur la harpe ? Je vous l’ai dit déjà chanter sur la harpe a le même sens que chanter un psaume sur le psaltérion ; c’est bénir le Seigneur non seulement de la voix, mais aussi par les œuvres. « Chantez à notre Dieu sur la harpe ».

15. Ainsi donc confessez vos fautes, faites des œuvres de miséricorde, voilà ce que veut dire : « Chantez des psaumes à notre Dieu ». Quel est votre Dieu ? « Celui qui couvre le ciel de nuages aj ». Qu’est-ce à dire qu’il couvre le ciel de nuées ? Qui couvre ses Écritures de figures et de mystères. Celui qui abat les pécheurs jusqu’à terre, qui adopte les humbles, « couvre aussi le ciel de nuages ». Et comment voir le ciel que des nuages nous dérobent ? Loin de toi toute crainte, écoute ce qui suit : « Celui qui couvre le ciel de nuages, et qui prépare des pluies à la terre ». À cette parole : « Qui couvre le ciel de nuages », tu as été dans la stupeur, tu as craint de ne point voir le ciel ; mais quand la pluie sera venue, tu produiras des fruits, et tu verras le ciel serein. « C’est lui qui couvre le ciel de nuages, qui prépare à la terre des pluies ». Voilà ce qu’a fait le Seigneur notre Dieu. Si l’obscurité des saintes Écritures ne nous en fournissait l’occasion, nous ne vous dirions pas ces vérités qui vous réjouissent. C’est peut-être cette pluie qui vous réjouit. Notre langue n’aurait pu la répandre sur vous, si Dieu n’avait couvert le ciel des saintes Écritures de nuages figuratifs. Il couvre donc le ciel de nuages, afin de préparer la pluie à la terre. Il a voulu que les prophéties fussent obscures, afin qu’en les expliquant les serviteurs de Dieu eussent ainsi le moyen de les verser dans l’oreille et dans le cœur des hommes qui peuvent recevoir de ces nuées la surabondance des joies spirituelles, « C’est lui qui couvre le ciel de nuages, qui prépare à la terre des pluies ».

16. « C’est lui qui fait croître le foin sur les montagnes, et l’herbe pour l’usage des hommes ». C’est là le produit de la pluie. « Il fait croître le foin sur les montagnes ». Ne croît-il pas aussi dans les vallées ? Mais ce qui est plus à remarquer, c’est sur les montages. Le Prophète appelle montagnes les grands du monde ; il te faut donc entendre par ces montagnes ceux qui sont élevés en dignité. Et il n’y a ici rien d’étonnant. Une veuve déposa dans le trésor deux pièces de monnaie ak ; c’est la terre basse, la terre humble qui produit du fruit ; mais une montagne en produisit aussi, ce fut Zachée, le chef des publicains al. C’est ce qui était plus admirable, qu’une montagne produisît du foin. Plus les hommes sont élevés en dignité, plus leur avarice est grande, et plus ils sont grands en ce monde, plus ils aiment les richesses. De là vient qu’il s’en alla triste, ce jeune homme qui demandait à Jésus-Christ ce qu’il devait faire pour gagner la vie éternelle, en l’appelant bon Maître, et en disant : « Pour avoir la vie éternelle, que ferai-je ? » Et le Sauveur : « Observe les commandements ». « Quels commandements ? » Et le Sauveur : Les commandements de la loi. « Je les ai observés dès ma jeunesse. Il te manque un point cependant : veux-tu être parfait ? Va, vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; puis viens et suis-moi ». Que dit ainsi le Sauveur ? Tu es une montagne, reçois la pluie, et produis du foin. Que pourrais-tu produire, sinon du foin ? Qu’est-ce, en effet, que du foin, que tous ces dons que font les riches aux Églises, pour subvenir aux besoins de ceux qui servent Dieu ? Tout cela est charnel et n’apparaît que pour un temps ; mais la récompense que l’on gagne ainsi n’est point charnelle. Vois en effet ce que tu peux acheter au prix de biens si méprisables. L’Apôtre nous l’indique en nous montrant que tout cela n’est que du foin : « Si nous avons semé parmi vous les biens spirituels, est-ce une grande chose « que nous récoltions quelque peu de vos biens temporels am ? » Or, comprends que les biens charnels ne sont que du foin. « Toute chair n’est que du foin, et toute sa gloire tombera comme la fleur du foin an ». Ce jeune homme donc s’en alla triste, et le Sauveur de s’écrier : « Combien difficilement un riche entrera dans le royaume des cieux ! » Ce qui est donc admirable, c’est que Dieu fasse croître le foin sur les montagnes. Et comment le fait-il croître, si ce riche s’en va triste, dès qu’il entend qu’il doit donner son bien aux pauvres ? Que répond le Sauveur aux Apôtres contristés ? « Ce qui est difficile pour l’homme est facile à Dieu ao ». C’est donc celui à qui tout est facile qui fait croître le foin sur les montagnes. Rien n’est plus stérile, en effet, que les roches des montagnes. Mais Dieu les arrose, lui qui « fait croître le foin sur les montagnes, et l’herbe pour les hommes tenus à la servitude ». Quelle servitude ? Écoutez saint Paul. « Nous sommes », dit-il, « vos serviteurs à cause de Jésus-Christ ap ». Voilà qu’il s’appelle serviteur, celui qui disait : « Est-ce une grande chose, qu’après avoir semé parmi vous les biens spirituels, nous récoltions quelque peu de vos biens charnels ? » Nous sommes en effet des serviteurs pour vous, mes frères. Que nul d’entre nous ne se dise plus grand que vous. Nous serons plus grands si nous sommes plus humbles. « Quiconque d’entre vous veut être le plus grand, sera votre serviteur aq », c’est la sentence du divin Maître. Donc, « il fait croître le foin sur les montagnes, et l’herbe pour les hommes de service ». L’apôtre saint Paul vivait du travail de ses mains, préférant l’indigence au foin des montagnes ; et toutefois les montagnes produisaient du foin. Mais parce qu’il n’en voulait point recevoir, les montagnes devaient-elles n’en point donner et demeurer stériles ? Le fruit est dû après la pluie ; on doit la nourriture au serviteur, comme l’a dit le divin Maître : « Mangez de ce qui est à eux ». Et de peur que ceux-ci ne crussent donner du leur : « Tout ouvrier », ajoute le Sauveur, « est digne de sa récompense » ar.

17. C’est pourquoi, mes frères, de même que déjà nous avons saisi l’occasion de vous parler à ce sujet, nous vous en parlons encore aujourd’hui, et d’autant plus librement, que nous ne vous demandons rien de ce genre. Et si nous vous demandions, nous chercherions en cela plutôt votre avantage, plutôt votre sanctification que vos richesses. Toutefois, encore un mot, mais bien court, j’ai déjà été bien long, et il est temps de finir. Si vous ne voulez être stériles, si la pluie a produit en vous la fécondité, si vous craignez que Dieu ne condamne en vous la stérilité, (car Dieu menace du feu la terre stérile qui ne produit que des épines as, comme il prépare ses greniers pour celle qui est féconde) efforcez-vous d’exiger de vous-mêmes ce qui est dû à Dieu ; soyez pour vous de sévères exacteurs. Le Christ l’exige en silence, et cette voix peu bruyante n’en est que plus grande, puisqu’il nous parle dans son Évangile. Ce n’est point se taire complètement que dire : « Faites-vous des amis avec la monnaie de l’iniquité, afin qu’ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels at ». Il ne garde point le silence, écoutez sa voix. Nul ne saurait vous presser à ce sujet, à moins peut-être que ceux qui vous servent dans le ministère de l’Évangile n’en soient réduits à vous demander, Mais si vous les forcez à vous demander, prenez garde que vous n’obteniez point ce que vous-mêmes demandez à Dieu. Soyez donc vos propres exacteurs, de peur que ceux qui vous servent dans l’Évangile n’en soient réduits, je ne dis pas à demander, car ils ne demandent point, quelque besoin qu’ils éprouvent ; mais de peur que leur silence ne soit pour vous une condamnation. De là cette parole du Prophète : « Heureux celui qui comprend le pauvre et l’indigent au ». Dire qu’il comprend le pauvre et l’indigent, c’est dire qu’il n’attend point qu’on lui demande. L’un te cherche parce qu’il n’a rien ; mais toi, tu dois chercher un autre pauvre. L’Écriture nous recommande l’un et l’autre, mes frères ; ici : « Donne à quiconque te demande av », nous l’avons lu tout à l’heure ; et dans un autre endroit : « Que l’aumône sue dans ta main, jusqu’à ce que tu trouves un juste à qui la donner ». Celui-ci te demande, mais pour l’autre tu dois le chercher. Ne renvoie pas les mains vides celui qui te cherche : « Donne à quiconque te demande » ; mais il en est un autre que tu dois toi-même chercher : « Que ton aumône sue dans ta main, jusqu’à ce que tu rencontres un juste, à qui tu la donneras ». C’est ce que vous ne pourrez pratiquer, si vous ne mettez en réserve quelque peu de vos revenus, ce que chacun voudra, et selon que lui permet sa fortune, comme il ferait d’un argent dont il serait débiteur envers le fisc. Car le Christ a aussi fisc, à moins qu’il n’ait point son gouvernement. Vous savez en effet ce qu’est le fisc, ou fiscus: c’est un grand panier ; de là viennent fiscella, petit panier, et fiscina, corbeille. Ne vous imaginez pas que ce mot fiscus soit quelque dragon, parce qu’on n’entend parler qu’avec terreur d’un collecteur du fisc. Le Seigneur avait aussi son fisc ou sa cassette, quand sur la terre il portait ses deniers, et ces deniers étaient confiés à Judas aw. Le Sauveur souffrait avec lui ce traître, ce voleur, pour nous donner en cela un modèle de patience. Toutefois, ceux qui donnaient cet argent le donnaient pour le Sauveur ; car ne croyez pas que le Sauveur ait couru çà et là, ait mendié, ou ait été dans le besoin, lui que servaient les anges, et qui avec cinq pains rassasia tant de milliers d’hommes. Pourquoi donc voulut-il éprouver le besoin, sinon pour donner l’exemple aux montagnes, qui ont dû produire du foin, et non demeurer stériles sous l’action de la pluie ? Retranchez quelque peu, jetez dans les coffres de Jésus-Christ une somme déterminée que vous déduirez des revenus de chaque année, ou du gain de chaque jour. Car on dirait que tu donnes de ton fonds, et dès lors ta main tremble nécessairement quand elle s’étend à ce que tu n’as point résolu de donner. Retranche donc une partie de tes revenus. Est-ce la dîme ? Eh bien ! donne la dîme, quoique ce soit bien peu. Car il est marqué dans l’Évangile que les Pharisiens donnaient la dîme. « Je jeûne deux fois la semaine », disait l’un deux, « je donne la dîme de tout ce que je possède ax ». Et que dit le Seigneur : « Si votre justice ne surpasse de beaucoup celle des Scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux ay ». Et pourtant, cet homme que tu dois surpasser en justice donne la dîme ; et toi tu n’en donnes pas la millième partie. Comment le surpasser, quand tu ne saurais même l’égaler ? « C’est Dieu qui couvre le ciel de nuages, qui prépare des pluies à la terre, qui fait croître le foin sur les montagnes, et l’herbe pour ceux des hommes qui servent les autres ».

18. « Il donne aux troupeaux leur nourriture az ». Ces troupeaux sont les troupeaux du Seigneur, qui ne prive point son bercail de cette nourriture que lui servent les hommes, et à ces hommes qui servent les autres il fait croître l’herbe. De là cette parole de l’Apôtre : « Celui qui fait paître le troupeau, ne mangera-t-il pas de son lait ba ? C’est lui qui donne leur nourriture aux troupeaux et aux petits des corbeaux qui l’invoquent ». Allons-nous croire que les corbeaux invoquent le Seigneur pour recevoir de lui leur nourriture ? Gardez-vous de croire qu’un animal sans raison invoque le Seigneur, il n’y a pour l’invoquer que l’âme raisonnable. Il y a donc ici une figure, et ne croyez pas, comme l’ont dit certains impies, que l’âme de l’homme retourne après la mort dans les bestiaux, dans les chiens, les porcs, les corbeaux. Loin de vous, loin de votre foi ces pensées. L’âme de l’homme est faite à l’image de Dieu bb, et Dieu ne donnera point son image à un chien, à un pourceau. Que signifie donc : « Et aux petits des corbeaux qui lui demandent leur nourriture ? » Quels sont ces petits des corbeaux ? Les Israélites se vantaient d’être les seuls justes, parce qu’ils avaient reçu la loi, et ils regardaient comme pécheurs les hommes des autres nations. Et en effet toutes les autres nations étaient plongées daims le péché, dans l’idolâtrie, dans le culte de la pierre et du bois ; mais y sont-ils demeurés ? Et si nos pères, qui étaient des corbeaux, n’invoquaient pas Dieu, nous, les fils de ces corbeaux, ne l’invoquons-nous point ? « Il donne aux troupeaux leur nourriture, et aux petits des corbeaux qui l’invoquent ». C’est bien aux petits des corbeaux que saint Pierre a dit : « Ce n’est point par des objets corruptibles, comme l’or et l’argent, que vous avez été rachetés de la vie pleine de vanité que vous suiviez à l’exemple de vos pères bc ». Car ces petits des corbeaux qui semblaient adorer les idoles de leurs pères se sont convertis à Dieu ; et aujourd’hui le petit du corbeau n’invoque et n’adore qu’un seul Dieu. Quoi donc ? diras-tu à ce petit du corbeau : As-tu bien pu quitter ton père ? Oui, tout à fait ; car le corbeau n’invoquait pas Dieu, et moi, le petit du corbeau, j’invoque le Seigneur. « Et aux petits des corbeaux qui l’invoquent ».

19. « Il ne met pas sa complaisance dans la puissance du cheval bd ». Cette puissance du cavalier, c’est l’orgueil. On dirait que le cheval est né afin de porter l’homme et de l’élever plus haut ; de là cette encolure qui, chez cet animal, témoigne de sa fierté, Que les hommes ne se glorifient point de leurs dignités, qu’ils ne se croient point élevés par les honneurs qu’ils reçoivent, qu’ils prennent garde qu’ils n’en soient précipités comme d’un cheval fougueux. Vois en effet ce que dit un autre psaume : « Ceux-ci se glorifient de leurs chariots, ceux-là de leurs chevaux ; mais nous, c’est dans le nom du Seigneur notre Dieu ». C’est-à-dire, les uns se glorifient de leurs honneurs temporels, mais nous du nom du Seigneur que nous adorons. Aussi, que leur est-il arrivé ? Voyez ce qui suit : « Leurs pieds se sont embarrassés, et ils sont tombés ; mais nous nous sommes relevés et tenus debout be #Rem. Car le Seigneur ne met point sa complaisance, et ne met point ses délices dans les tabernacles de l’homme ». « Dans les tentes de l’homme », dit le Psalmiste ; car la tente de Dieu c’est l’Église répandue par toute la terre. Les hérétiques, en se séparant des tabernacles de l’Église, ont élevé des tentes pour eux-mêmes, et c’est dans ces tabernacles de l’homme que Dieu ne met point ses complaisances. Mais écoute le petit du corbeau qui dit : « J’ai choisi l’abjection dans la maison du Seigneur, plutôt que d’habiter dans les tentes des pécheurs » bf Qu’un homme de bien, qu’un homme pieux qui connaît sa faiblesse, que ce petit du corbeau qui invoque le Seigneur, vienne à être sans dignité temporelle dans l’Église, il ne s’en sépare point pour cela, il ne se fait point en dehors de l’Église une tente en laquelle Dieu ne mettrait point ses complaisances. Mais que dit-il ? « J’ai choisi l’abjection dans la maison du Seigneur, plutôt que d’habiter dans les tabernacles des pécheurs ; et Dieu ne fera point ses délices des tabernacles de l’homme ».

20. Que dit encore le Prophète ? « Il mettra ses complaisances dans ceux qui le craignent, et dans ceux qui espèrent en sa miséricorde bg ». Dieu se plaît dans ceux qui le craignent. Mais craint-on Dieu comme on craindrait un voleur ? On craint en effet le voleur, on craint la bête féroce, on craint beaucoup l’homme injuste et puissant. « Le Seigneur mettra ses complaisances dans ceux qui le craignent ». Mais comment le craignent-ils ? « En mettant leur espérance dans sa miséricorde ». Judas qui trahit le Christ craignait Dieu, mais sans espérer dans sa miséricorde. Il se repentit d’avoir livré le Seigneur et s’écria : « J’ai péché en livrant le sang du juste. Craindre Dieu était bien, mais il fallait espérer dans la miséricorde de ce Dieu que tu craignais. Le désespoir l’emporta et il alla se pendre bh. Crains donc le Seigneur, mais en espérant dans sa miséricorde. Si tu crains un voleur, tu attends aussi du secours, mais non de l’homme que tu crains. C’est à l’homme que tu ne crains pas que tu demandes protection contre celui que tu crains. Si tu crains Dieu, et si tu le crains parce que tu es pécheur, qui te protégera contre Dieu ? Où aller ? Que faire ? Veux-tu échapper à Dieu ? Cherche en lui un refuge. Veux-tu fuir sa colère ? Cherche un refuge dans sa clémence. Tu le rendras clément si tu espères dans sa miséricorde. Du reste, évite le péché à l’avenir, et quant aux fautes passées, supplie le Seigneur de te les pardonner. À lui sont l’honneur et la puissance, en union avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !

DISCOURS SUR LE PSAUME 147

SERMON AU PEUPLE.

LA VOCATION A LA JÉRUSALEM DU CIEL.

Dimanche dernier, le passage relatif au jugement dernier nous a empêché de nous occuper de ce psaume, en nous jetant dans la crainte, et toutefois que pouvons-nous craindre, puisque notre juge nous aime et sera juste ? Il y a dans notre psaume un passage relatif à la neige, au brouillard, au cristal, qui a besoin d’être bien compris ; et néanmoins, entre le psaume et l’Évangile de dimanche, une certaine analogie ; car le jugement annoncé par cet Évangile nous ouvrira la Jérusalem du ciel dont nous parle notre psaume. La crainte que nous inspire le jugement est salutaire, puisqu’elle nous prémunit contre l’amour de la vie et tient en éveil la foi dans nos cœurs.

Ce psaume fut composé pendant la captivité de Jérusalem, qui était une figure de notre captivité, car tel est notre état ici-bas, et le nombre de 70 années, un nombre septénaire, est la figure du temps qui s’écoule, sept jours par sept jours. Que tous les élus bénissent donc le Seigneur, car telle sera leur occupation, puisqu’il n’y aura plus alors besoin des œuvres extérieures le miséricorde ; et les hommes de Jérusalem sont ceux qui ne mettent point leur bonheur ici-bas, ou rougissent et se repentent d’avoir pris part à ses pompes. Sion et Jérusalem signifient vision, ce qui nous montre que si les mondains ont leurs spectacles ici-bas, nous aurons les nôtres dans les cieux. Nous louons Dieu ici-bas au milieu des défections, là-haut il n’y en aura plus, on ne pourra sortir, Dieu a consolidé les serrures. Cherchons à y entrer comme les vierges qui ont de l’huile dans leurs lampes. Elles sont vierges et au nombre de cinq, symbole des cinq sens qui sont vierges s’ils sont exempts de corruption ; il en est de môme des autres qui sont vierges aussi, ou sans corruption, mais aussi sans huile, au sans piété intérieure, et cherchant les applaudissements du dehors. Elles allument leurs lampes, ou fout éclater lus œuvres, s’endorment parce que tous doivent passer par la mort. Les vierges sages sont humbles, et craignent de n’avoir pas en suffisance l’huile de la piété intérieure. Faisons toujours des œuvres de miséricorde, et remettons pour qu’il nous soit remis ; la veuve achète le ciel avec deux deniers ; et l’on se servira à notre égard de la mesure que nous aurons employée. C’est Dieu qui nous tend la main, et Dieu qui nous a donné.

C’est Dieu qui a béni en Sion les enfants qui y demeurent dans le giron de la charité ; qui établit la paix sur ses confins, Or, cette paix n’est point pour l’hérésie, qui condamne sans connaître, qui ne croit ni à Moïse, ni aux Prophètes, ni au Christ ; puisqu’elle se prétend la véritable Église, tandis que cette Église doit être universelle. La voilà incrédule couse les frères du mauvais riche, qui n’en eussent pas cru même à celui qui serait ressuscité d’entre les morts, puisqu’elle n’en croit point au Christ ressuscité, qui dit que la pénitence et la rémission des péchés seront prêchées en son nom, c’est bien là l’Épouse ou l’Église, et prêchées par toute la terre, c’est bien là sa catholicité, et à partir de Jérusalem, ou de cette ville de la terre, image de la Jérusalem du ciel. De là encore le don des larmes après la descente du Saint-Esprit, parce que l’Église devait être prêchée en toutes les langues ; ce don n’existe plus parce que la prophétie est réalisée, et que l’Église parle toutes les langues des peuples.

Remercions Dieu d’avoir part un jour à cette Jérusalem, où nous aurons la moelle du froment, Dieu nous aidant à nous élever à lui en nous envoyant son Verbe qui est rapide, qui se revêt, comme d’une laine, de cette neige qui est froide, au de ces hommes froids d’abord et qui se convertissent, qui appellent ces hommes à la pénitence symbolisée par la cendre en les faisant passer par le brouillard, symbole de nos ténèbres, qui fait fondre Saul, cristal si dur, et par lui donne aux fidèles, le lait et le pain de la doctrine. Ce Verbe de Dieu peut donc dissoudre la glace la plus dure, son souffle en fait couler ces eaux de la vie éternelle.

Il enseigne sa parole à Jacob, ou ses desseins de miséricorde, en lui montrant par la lutte que le ciel souffre violence. Il n’y a que Jacob à qui tout cela ait été annoncé d’une manière efficace, car ceux qui le comprennent sont Jacob et Israël, par Isaac, et par Abraham.

1. Votre charité s’en souvient, nous avons remis à vous parler aujourd’hui du psaume que l’on vient de chanter. C’est lui, en effet, qu’on vous a lu dimanche, et que j’avais même entrepris de vous exposer. Mais la lecture de l’Évangile nous effraya, et cette crainte ainsi que le bien que nous en espérions pour vous, nous forcèrent de nous arrêter sur les paroles du Seigneur à propos du dernier jour, et sur la vigilance, sur les précautions avec lesquelles nous devons attendre son arrivée. Il nous effrayait par des exemples, pour ne point nous condamner en son jugement, nous disait qu’il en serait à l’avènement du Fils de l’homme, de même qu’aux jours de Noé : « Les hommes alors mangeaient et buvaient, ils achetaient, ils vendaient, ils mariaient leurs filles, épousaient des femmes, jusqu’à ce que Noé entra dans l’arche, et que le déluge vint les perdre tous bi ». Pris d’inquiétude et frappé de crainte (qui peut en effet croire à ces choses sans trembler ?) nous avons appuyé sur ce sujet, autant que possible, nous avons parlé sur la pureté de vos mœurs, sur la vie régulière, qui doit être la nôtre à tous, afin que nous puissions non seulement voir arriver sans crainte, mais encore désirer ce jour si terrible. Car si nous aimons le Christ, nous devons appeler de nos vœux son avènement. Craindre l’avènement de celui que nous aimons, et néanmoins lui dire dans nos prières « Que votre règne arrive bj », quand nous redoutons d’être exaucés, c’est un contre-sens tel que je ne saurais y croire. Pourquoi craindre, en effet ? Parce que notre juge viendra ? Mais est-il donc injuste ? Est-il malveillant ? Est-il jaloux ? Est-ce par autrui qu’il doit connaître ta cause, et peux-tu redouter que celui que tu as chargé de ce soin, ou ne te trahisse dans sa duplicité, ou ne manque d’éloquence et d’habileté pour démontrer ton innocence ? Rien de cela n’est à redouter. Qui donc viendra ? Pourquoi ne point te réjouir ? Qui doit venir te juger, si mon celui qui est venu pour être jugé à cause de toi ? Ne crains pas pour accusateur celui dont le Sauveur lui-même a dit : « Le prince de ce monde a été chassé dehors bk ». Ne redoute pas un avocat peu habile tu as pour avocat celui qui sera ion juge. Il n’y aura que lui, et toi, et ta cause ; le plaidoyer de ta cause sera le témoignage de ta conscience. Si donc tu crains le juge à venir, redresse dès aujourd’hui ta conscience. Est-ce peu pour toi qu’il ne recherche point dans le passé ? Il te jugera sans plus te laisser de temps ; mais maintenant qu’il commande, quel espace de temps ne laisse-t-il pas écouler ? Alors il ne te sera plus possible de te corriger. Mais qui t’en empêche maintenant ? Voilà tout ce que nous représentions avec tant de force dimanche dernier, parce que c’est une vérité, parce qu’il n’y a que cela en quelque manière à vous représenter, un temps bien long s’écoula, et nous dûmes remettre pour aujourd’hui le psaume que nous avions entrepris d’expliquer. Le voici maintenant ; qu’il fixe notre attention, ou plutôt écoutons le Seigneur qui, dans sa miséricorde, a bien moulu nous faire dicter par son Esprit ces paroles saintes, selon le besoin qu’il nous connaît dans notre faiblesse. Quel malade, en effet, voudrait donner des conseils au médecin ?

2. À la lecture du psaume, vous avez remarqué, je pense, que tous les versets, ou du moins un grand nombre, veulent, pour être compris, que l’on frappe à la porte ; surtout quand il est dit que « Dieu donne la neige comme la laine, qu’il répand les frimas comme la poussière, qu’il jette son cristal comme des morceaux de pain. Qui pourra résister à la rigueur de son froid bl ? » À ces paroles, quiconque les entend à la lettre, porte sa pensée sur les œuvres de Dieu. Qui donne la neige, si ce n’est Dieu ? Qui répand les frimas, si ce n’est Dieu ? Qui durcit le cristal, si ce n’est lui encore ? Or, ces trois phénomènes ont avec des objets bien différents de frappantes analogies. La neige, en effet, ressemble quelque peu à la laine, comme la poussière au frimas, comme un morceau de pain blanc à la blancheur et à l’éclat du cristal. Car on appelle cristal une espèce de verre, mais blanc. Ceux qui savent ces choses et du témoignage desquels nous pouvons douter d’autant moins que l’Écriture, qui est très certaine, les vient appuyer, ceux, dis-je, qui savent ces choses, nous disent que le cristal vient d’une neige durcie pendant de longues années sans se fondre, et qui se congèle au point qu’elle ne saurait plus se résoudre. L’été qui arrive dissout facilement les neiges d’un hiver qui s’écoulent, parce qu’elles n’ont pas eu le temps de se durcir. Mais que des neiges viennent s’amonceler pendant beaucoup d’années, et que cet amas vienne à résister aux chaleurs de l’été, et non d’un seul été, mais d’étés nombreux, surtout dans cette partie de la terre qui forme la plage du nord, et où le soleil, même en été, n’est pas très brûlant, cette dureté que le temps a fortifiée produit ce que l’on appelle cristal. Que votre charité soit attentive. Qu’est-ce donc que le cristal ? Une neige que la glace a durcie durant de longues années, de sorte que le soleil ni le feu ne peuvent la dissoudre facilement. Nous donnons cette explication un peu longue, parce que beaucoup l’ignorent ; quant à ceux qui la savent, qu’ils écoutent sans peine ce que l’on dit, non pour eux, mais pour ceux qui pourraient ignorer ce que nous disons. Lors donc que le lecteur récitait ce passage, je ne doute pas que vous vous soyez laissés aller à bien des pensées, que quelques-uns aient dit, et avec vérité : Que les œuvres du Seigneur sont grandes, quoique l’on n’en rapporte ici qu’une partie, encore est-ce une partie terrestre, et que tout le monde connaît comme la neige que Dieu fait descendre, le frimas qu’il répand, le cristal qu’il durcit. D’autres se sont dit : Est-ce bien sans raison que cela se trouve dans les saintes Écritures, et le sens littéral de ces paroles est-il bien le véritable sens ? N’y a-t-il pas un sens caché sous cette neige que l’on compare à la laine, sous ce frimas comparé à la poussière, sous ce cristal comparé au pain ? Mais pourquoi l’Écriture a-t-elle voulu employer ces voiles et ces comparaisons ? Ne vaudrait-il pas mieux s’exprimer plus clairement ? Pourquoi faut-il chercher le sens de ces paroles, et le chercher en hésitant ? Pourquoi ne puis-je les écouter sans heurter contre des difficultés ? Pourquoi même, après avoir entendu le psaume, n’en savoir pas davantage le puis souvent ? C’est là ce que je vous disais tout à l’heure : Laisse-toi guérir, c’est ainsi qu’il faut te soigner. Un malade est bien orgueilleux, bien impatient quand il donne des avis au médecin, ce médecin ne fût-il qu’un homme. Où est donc ce malade assez téméraire pour conseiller son médecin ? Quand le malade est l’homme, et Dieu le médecin, c’est une grande disposition à la guérison, que cette piété qui nous fait croire que Dieu a dû parler de la sorte, avant même que nous sachions ce qui est dit. Car cette piété te rendra capable de chercher le sens des paroles, de le trouver après l’avoir cherché, et de te réjouir de l’avoir trouvé. Que vos prières aient donc devant le Seigneur notre Dieu ce degré de ferveur, et si ce n’est pour nous, que du moins, en votre considération, il daigne nous découvrir ce qu’il y a de caché sous ces voiles. Supposez donc que je vous ai assigné un jour pour vous donner un spectacle tout divin, et qu’en prononçant ces versets sans les expliquer, je vous ai fait entrevoir seulement quelques richesses de celui qui nous donnera ces divins spectacles. Ces richesses nous sont montrées sous une enveloppe, afin de nous en faire désirer la découverte ; pour vous, tenez-vous prêts, non seulement à les regarder, mais encore à vous en revêtir.

3. Nous disions dimanche, et il doit vous en souvenir, vous qui étiez présents, que la lecture de l’Évangile, qui nous arrêta si longtemps, au point qu’il nous fallut remettre l’explication de notre psaume, avait beaucoup d’analogie avec le psaume lui-même. Nous l’avons dit alors, mais sans pouvoir le démontrer, puisqu’il fallut différer l’exposition du psaume. C’est aujourd’hui qu’il nous faut établir cette analogie. La lecture de l’Évangile nous effraya au sujet du dernier jour ; mais cette frayeur est la mère de la sécurité, car cette frayeur nous met sur nos gardes, et la sécurité vient de la vigilance. De même qu’une sécurité mal fondée nous jette en un plus grand effroi, de même une crainte sage amène la sécurité. La crainte qui nous saisit alors nous détourne de nous attacher à cette vie qui nous échappe, qui passe et s’évanouit, de l’aimer comme s’il n’y en avait point d’autre pour nous ; car s’il n’y en a point d’autre, aimons celle-ci. S’il n’est point d’autre vie, ceux qui ont passé la nuit à l’amphithéâtre sont plus heureux que nous. Que dit en effet l’Apôtre : « Si notre espérance dans le Christ n’est que pour cette vie, nous sommes les plus misérables de tous les hommes ». Il est donc une autre vie, Que chacun dans sa foi interroge le Christ ; mais la foi est endormie. Te voilà donc justement agité par les flots, parce que le Christ est endormi dans la barque. Car Jésus dormait dans la barque, et cette barque était battue par les flots, et par toutes sortes de tempêtes. Notre cœur est dans l’agitation quand le Christ dort. Et néanmoins le Christ veille toujours. Que signifie donc le sommeil du Christ ? Le sommeil de la foi. Pourquoi te laisser encore agiter par les flots du doute ? Éveille donc le Christ, éveille ta foi : envisage des yeux de la foi cette vie future pour laquelle tu as cru, pour laquelle tu as été marqué du signe de celui qui est venu en cette vie tout exprès, afin de te montrer combien est méprisable cette vie que tu aimes, combien il faut espérer l’autre vie en laquelle tu ne croyais point. Si donc tu éveilles ta foi, pour diriger ton regard sur tes fins dernières, sur ce siècle futur qui doit faire notre joie après l’autre avènement du Seigneur, après l’arrêt du jugement, après que les saints seront mis en possession du royaume des cieux ; si, dis-je, ta pensée s’arrête sur cette vie, sur le repos toujours agissant dont nous jouirons alors, et dont nous vous avons parlé souvent, mes bien-aimés, notre action ne sera plus agitée ; ce sera une et action dans un repos plein de douceur, une action que ne troublera aucune peine, que n’interrompra aucune fatigue, ni aucun nuage d’ennui. Quelle sera donc alors toute notre œuvre ? De louer Dieu, de l’aimer et de le louer ; de le louer en l’aimant, de l’aimer en le louant. « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous loueront dans e les siècles des siècles bm ». Pourquoi, sinon parce qu’ils vous aimeront aussi dans les siècles des siècles ? Pourquoi, sinon parce qu’ils vous verront dans les siècles des siècles ? Quel spectacle pour nous, mes frères, quel spectacle de voir Dieu ! Que les hommes voient un chasseur dans l’amphithéâtre, ils en tressaillent de joie. Malheur à ces misérables, s’ils ne se corrigent ! Ces mêmes hommes qui tressaillent de joie à la vue d’un chasseur, pâliront de tristesse à la vue du Sauveur. Quoi de plus misérable que ces hommes que le Sauveur ne sauvera point ? Rien donc d’étonnant qu’ils ne trouvent point leur salut dans un Dieu qui délivre, ceux qui mettent leurs délices dans un homme qui combat. Quant à nous, mes frères, s’il nous souvient que nous sommes ses membres, si nous l’aimions, si nous persévérons en lui, nous le verrons et il sera notre joie. Sa cité sera pure, et dans ses citoyens purifiés on ne trouvera ni séditieux, ni turbulent ; cet ennemi qui nous porte envie et nous barre le passage vers cette patrie bienheureuse, ne pourra plus nous y tendre des embûches ; on ne lui en permet pas même l’entrée. Si dès ici-bas il est banni du cœur des fidèles, comment ne serait-il point exclu de la terre des vivants ? Que sera-ce, mes frères, je vous le demande, que sera-ce d’habiter cette ville, quand en parler nous cause tant de joie ? Préparons nos cœurs pour cette vie future, et quiconque lui réserve son cœur, dédaigne tout ce qui est ici-bas ; et ce mépris lui fait attendre avec sécurité ce grand jour, dont l’expectative nous a effrayés dans la bouche du Seigneur.

4. Dès lors que notre psaume chante cette vie future dont il nous entretient, et que l’Évangile nous effraie au sujet de celle-ci, le psaume nous fait aimer l’avenir et l’Évangile haïr le présent. Le Nouveau Testament ne garde point le silence au sujet du bonheur à venir, et nous en parle d’autant mieux qu’il nous expose sans voile ce que nous devons comprendre ; mais il nous en parle clairement, afin de nous faire comprendre ce qui est dit ici en figures. L’Évangile donc nous disait : Prenez garde au dernier jour qui viendra, au jour de l’avènement du Fils de l’Homme bn : parce qu’il surprendra dans leur malheur ceux qui sont aujourd’hui en sécurité, et précisément parce que c’est là une fausse sécurité, puisqu’ils se croient en sécurité dans les voluptés du siècle, tandis que leur sécurité devrait naître du silence de leurs convoitises du siècle. C’est à cette vie que nous prépare l’Apôtre dans ces paroles que j’ai citées alors : « Du reste, mes frères, le temps est court, il reste donc à ceux qui ont des femmes d’être comme s’ils n’en avaient point ; à ceux qui achètent, comme s’ils n’achetaient point ; à ceux qui se réjouissent, comme s’ils ne se réjouissaient point ; à ceux qui pleurent, comme s’ils ne pleuraient point ; à ceux qui usent des choses de ce monde, comme s’ils n’en usaient point ; car la figure du monde passe, et je désire que vous soyez sans inquiétudes bo ». Quiconque a mis toute sa joie, toute sa félicité à manger, à boire, à se marier, à acheter, à vendre, à jouir du monde, est aussi sans inquiétude ; mais, comme tel, il est hors de l’arche, et malheur à lui, à cause du déluge. Quant à l’homme, qui mange, qui boit, qui fait toutes ses actions pour la gloire de Dieu bp, s’il est triste pour quelque sujet du temps, il pleure, mais conserve au dedans la joie de l’espérance ; si les affaires du temps lui causent de la joie, il se réjouit, mais son cœur nourrit une crainte spirituelle, en sorte qu’il ne se laisse ni corrompre par la prospérité ni abattre par le malheur. C’est là, en effet, pleurer comme si l’on ne pleurait point, et se réjouir comme si l’on ne se réjouissait point. Quiconque a une femme, et, par compassion pour sa faiblesse, rend le devoir sans l’exiger, ou ne cherche dans le mariage qu’un remède à sa propre faiblesse, et pleure de n’avoir pu se passer d’une femme, plutôt qu’il ne met en elle sa complaisance ; quiconque vend son bien, parce qu’il sait que ce bien, même en lui demeurant, ne le rendrait pas heureux ; quiconque achète et sait bien que cela passera, qui ne met point sa confiance dans ses biens, quelle qu’en soit l’abondance, et même la surabondance, qui du bien qu’il a, fait l’aumône à, celui qui n’a pas, afin de recevoir ce qu’il n’a pas de celui à qui tout appartient ; quiconque en est là peut attendre avec sécurité le dernier jour, parce qu’il n’est point hors de l’arche ; mais il fait partie de ces bois incorruptibles dont l’arche est construite bq1. Qu’il ne craigne donc point l’avènement du Sauveur, mais plutôt qu’il l’espère et le désire ; car il ne viendra point pour lui infliger un châtiment, mais pour mettre fin à ses misères. Or, tout cela se fait par le désir que nous avons de cette cité sainte. Les avertissements de l’Évangile se réalisent dès lors dans nos soupirs vers cette Jérusalem que chante notre psaume, et de là vient l’accord de l’Évangile avec ce chant du Prophète.

5. Écoutons quelle est la cité que chante le psaume. Écoutons et chantons ; notre joie, en l’écoutant, est elle-même un cantique en l’honneur de notre Dieu. Car chanter n’est pas seulement répéter un cantique avec le bruit de la voix et des lèvres ; il est aussi un chant intérieur, parce qu’un autre a l’oreille dans notre intérieur. Chantons de la voix pour nous stimuler, chantons du cœur afin de lui plaire. Ce psaume est intitulé : « Psaume d’Aggée et de Zacharie br ». Or, Aggée et Zacharie furent des Prophètes, et ces Prophètes vivaient au temps de la captivité de cette Jérusalem qui était la figure de la Jérusalem du ciel. Or, pendant la captivité de cette ville, comme ils étaient à Babylone, ils prophétisèrent au sujet de Jérusalem, annonçant que le peuple sortirait de la captivité bs, que sur les ruines de l’ancienne serait bâtie une cité nouvelle. Or, nous connaissons cette captivité, si nous connaissons véritablement la nôtre. Dans ce monde, en effet, dans ces tribulations du siècle, au milieu de ces scandales sans nombre, nous sommes dans une sorte de captivité, mais nous en serons délivrés ; on nous prédit une vie nouvelle semblable à celle-ci. Après la promesse des Prophètes s’accomplit d’une manière visible tout ce qui devait faire de cette cité une image de la cité invisible. Jérusalem fut rebâtie après soixante et dix ans de captivité. Ce nombre de soixante et dix était précisé par Jérémie, qui nous montre, sous la figure du nombre septénaire, le temps présent qui s’écoule ; puisque nos jours, vous le savez, s’écoulent sept par sept, nombre qui passe pour revenir invariablement. Or, Jérémie, en prophétisant que Jérusalem serait rebâtie après soixante et dix ans, couvrait sous cette image une prophétie de l’avenir ; car il veut nous faire entendre qu’après l’écoulement de ces jours qui se comptent par sept, notre ville sera construite pour l’éternité, qui n’est qu’un aujourd’hui, puisque dans cette demeure le temps ne passe plus, parce que ses citoyens ne meurent point. Telle est la cité que les Prophètes voyaient en esprit ; c’est elle qu’ils voyaient quand ils parlaient de la cité d’ici-bas. Mais ils disaient au sujet de celle d’ici-bas ce qu’ils rapportaient à celle d’en haut : et tout ce qui se faisait dans le temps par le mouvement des corps et par les actions des hommes, devenait autant de signes et de prédictions pour l’avenir. bt

6. Écoutons donc ce que l’on dit de cette ville ; élevons-nous jusqu’à elle. C’est elle que nous fait estimer l’Esprit-Saint, en répandant l’amour de cette cité dans nos cœurs, afin d’y faire monter nos soupirs, et que gémissant dans cet exil, nous ayons hâte d’arriver en la ville sainte. Aimons-la, mes frères, l’aimer c’est y aller. Aimons-la d’après cette bouche sacrée, cette bouche prophétique de l’Esprit de Dieu qui nous dit : « Jérusalem loue le Seigneur bu ». Dans cette captivité les Prophètes voient ces troupeaux ou plutôt l’unique troupeau de tous les citoyens rassemblés de toutes les contrées, pour former la cité sainte. Ils voient la joie de cette masse qui ne craint plus rien, qui n’a rien à souffrir, puisqu’elle est dans le grenier céleste après avoir été foulée et vannée ; et comme ils sont encore sur cette terre au milieu de tant d’afflictions, ils se font précéder par la joie de l’espérance, ils soupirent après cette patrie, s’unissant ainsi de cœur aux anges de Dieu, et à ce peuple qui doit demeurer avec eux dans une sainte joie : « Loue le Seigneur, Jérusalem ». Quelle sera ton occupation, ô Jérusalem ? Car tout labeur, tout gémissement passera. Quelle sera donc ton occupation ? De labourer, de semer, de planter, de naviguer, de faire le négoce ? Quelle sera ton occupation ? Te faudra-t-il encore t’exercer dans ces œuvres, quelque bonnes qu’elles soient, et qui viennent de la miséricorde ? Considère le nombre de tes enfants, vois de toutes parts ceux qui forment la société : vois s’il en est un homme qui ait faim et à qui tu donnes du pain, qui ait soif et à qui tu puisses donner un verre d’eau froide ; vois s’il est un étranger à qui tu puisses donner l’hospitalité, s’il est un malade à visiter, s’il y a des plaideurs que tu puisses concilier bv ; s’il est un moribond que tu puisses ensevelir. Que feras-tu donc ? « Jérusalem, loue le Seigneur ». Voilà quelle sera ton occupation. De même que l’on écrit sur un titre : Fais-en bon profit, je te répéterai « Jérusalem, loue le Seigneur ».

7. Soyez tous Jérusalem ; souvenez-vous de ce qu’il est dit : « Seigneur, vous réduirez leur image au néant dans votre ville bw ». Ce sont les hommes qui maintenant font leurs délices de ces vaines pompes, ceux qui ne sont point venus aujourd’hui parce qu’on leur fait une largesse. À qui profite cette largesse ? Qui en supporte le contre-coup ? D’où vient la libéralité ? D’où vient le dommage ? Ce n’est point seulement à ceux qui donnent ces spectacles, qu’ils sont coûteux, mais ils le sont bien plus à ceux qui y mettent leur joie. Aux uns ils coûtent l’or de leurs coffres, aux autres les richesses de justice qui ornaient leurs cœurs. Ceux qui donnent ces spectacles pleurent bien souvent quand il faut vendre leurs terres, et combien doivent pleurer des pécheurs qui perdent leurs âmes ? Quand le Seigneur nous criait dimanche : « Veillez », était-ce donc pour que l’on veillât ainsi aujourd’hui ? Je vous en supplie, ô vous citoyens de Jérusalem, je vous en conjure par la voix de Jérusalem, par celui qui est le Rédempteur, l’architecte, le directeur de Jérusalem, offrez à Dieu pour eux vos supplications. Qu’ils voient, qu’ils comprennent la futilité de ces divertissements, et qu’après avoir été attentifs à ces sortes de spectacles qui font leurs délices, ils soient à eux-mêmes leurs spectacles, et spectacles de tristesse. C’est ce qui est arrivé pour beaucoup, à notre grande joie ; nous-mêmes avons jadis pris part à ces assemblées, à ces folies, Et combien de ceux qu’on voit maintenant, seront un jour chrétiens, et même évêques ? Le passé nous est une garantie de l’avenir : et ce que Dieu a déjà fait nous dit ce qu’il doit faire encore. Que vos prières veillent donc, mes frères, ce n’est pas inutilement que vous gémissez. Ils sont exaucés ceux qui, ayant échappé au péril, implorent le Seigneur en laveur de ceux qui y sont encore engagés, parce qu’ils ont couru les mêmes dangers, et Dieu tirera son peuple de la captivité de Babylone, et il le rachètera, le sauvera, et alors sera parfait le nombre des élus qui portent son image. Mais ils n’y seront point ceux dont le Seigneur doit mépriser et anéantir l’image dans sa ville sainte, parce qu’eux-mêmes ont anéanti son image dans leur cité, c’est-à-dire dans Babylone. Tel est le peuple qui louera Dieu, le peuple qu’annonce par avance son esprit prophétique ; il nous dit de tressaillir dans l’espérance, d’aspirer à la réalité. « Loue de concert le Seigneur, ô Jérusalem ; Sion, bénis ton Dieu ». « Loue de concert », parce que tu es formée d’un grand nombre de citoyens ; « bénis », parce que tu n’es qu’une seule ville. « Nous sommes plusieurs », dit l’Apôtre, « et néanmoins nous sommes un en Jésus-Christ bx ». Louons donc de concert, parce que nous sommes plusieurs, et louons parce que nous ne sommes qu’un. Nous sommes à la fois, et plusieurs et un seul, parce que celui en qui nous avons l’unité, est toujours un.

8. Pourquoi, dira cette Jérusalem, louer de concert le Seigneur, et moi Sion, pourquoi louer mon Dieu ? Sion n’est qu’une avec Jérusalem. Ces deux noms tiennent à deux causes différentes : Jérusalem signifie vision de la paix, et Sion contemplation. Voyez si ces deux noms désignent autre chose que des spectacles ; que les païens ne s’applaudissent point alors de leurs spectacles, comme si nous n’avions point les nôtres. Quelquefois, quand on ferme le théâtre ou l’amphithéâtre, et qu’il sort de ces gouffres une foule d’hommes corrompus qui ont l’esprit tout occupé de vains fantômes, repaissant leur mémoire de souvenirs non seulement inutiles, mais pernicieux, s’applaudissant de ces plaisirs qui ont une douceur, mais douceur empoisonnée ; ils voient, et même souvent, passer les serviteurs de Dieu qu’ils reconnaissent ou bien à leurs vêtements, ou bien à leur maintien, ou même à leur figure, et ils disent en eux-mêmes : Combien ces gens sont malheureux ! que n’ont-ils pas perdu aujourd’hui ! Prions Dieu, mes frères, de récompenser leur bienveillance ; car ils prennent cela pour un bien. C’est par bonté qu’ils nous plaignent ; mais celui qui aime l’iniquité, hait son âme by. Et s’il hait son âme, comment pourrait-il aimer la mienne ? Toutefois, c’est par une bienveillance et perverse, et vaine, et futile, si l’on peut appeler cela bienveillance, qu’ils nous plaignent de perdre ce qu’ils aiment. Prions à notre tour, afin qu’ils ne perdent point ce que nous aimons. Voyez quelle est cette Jérusalem que le Prophète exhorte à louer Dieu, ou plutôt dont il prédit la louange. Ce ne sera point quand nous verrons Dieu, et quand nous l’aimerons, quand nous le louerons, que le Prophète aura besoin d’en gager, de stimuler cette ville à louer le Seigneur ; mais les Prophètes nous parlent de la sorte, afin de nous porter à goûter, autant que possible, en cette chair fragile, ces joies futures des bienheureux, et en jetant dans nos oreilles le trop plein de leur âme, d’allumer en nous l’amour de cette cité divine. Que nos désirs soient donc fervents ; loin de nous tout cœur tiède.

9. Mais voyez quelle est cette Jérusalem que le Prophète invite à louer Dieu, et pourquoi elle doit le louer. C’est parce que son bonheur sera parfait. « Loue de concert le Seigneur, ô Jérusalem ; ô Sion, loue ton Dieu ». Et comme si Jérusalem demandait : Comment louer Dieu avec une telle sécurité ? « C’est », dit le Prophète, « parce qu’il a fortifié les barrières de tes portes bz ». Redoublez d’attention, mes frères. « Il a fortifié les barrières de tes portes ». On affermit les barrières non des portes ouvertes, mais des portes closes. De là vient qu’on lit dans plusieurs exemplaires : « Il a fortifié les serrures de tes portes ». Que votre charité comprenne ceci. Le Prophète dit que c’est une Jérusalem bien fermée qui loue le Seigneur. « Loue de concert le Seigneur, Ô Jérusalem ; Sion, loue ton Dieu ». Nous louons maintenant le Seigneur, nous le louons de concert, mais au milieu des scandales. Beaucoup entrent parmi nous contre notre volonté, beaucoup s’en vont, en dépit de nos efforts ; de là tant de scandales. « Et comme l’iniquité abonde », a dit la Vérité, « la charité refroidit chez plusieurs ca », à cause de ceux qui entrent et que nous ne saurions juger, et de ceux qui sortent sans que nous puissions les retenir. Pourquoi ? parce que la perfection n’est point d’ici-bas, ni le bonheur d’ici-bas. Pourquoi encore ? Parce que nous sommes dans l’aire et non dans le grenier. Que faire alors, sinon d’être sans crainte pour l’avenir ? « Loue de concert le Seigneur, ô Jérusalem ; loue ton Dieu, ô Sion : parce qu’il a fortifié les barrières de tes portes ». « Il a fortifié », dit le Prophète, et non seulement il a mis des barrières. Que nul ne sorte plus, que nul n’entre plus. Que nul ne sorte, c’est ce qui nous réjouit ; que nul n’entre plus, c’est ce qu’il nous faut craindre. Mais sois sans crainte, on ne parlera de la sorte que quand tu seras entré. Sois seulement au nombre de ces vierges qui prirent avec elles de l’huile cb.

10. Ces vierges, en effet, désignent les âmes. Elles n’étaient pas seulement au nombre de cinq, mais ces cinq marquent des milliers. Dans ce nombre cinq sont donc renfermés des milliers non de femmes seulement, mais d’hommes aussi ; car ce mot de femme désigne les deux sexes à cause de, l’Église ; puisque l’Église, qui renferme les deux sexes, est appelée vierge. « Je vous ai fiancée à l’unique Époux, pour vous présenter à Jésus-Christ comme une Épouse chaste cc ». Peu sont vierges de corps, mais tous doivent l’être de cœur. La virginité du corps consiste dans une chair intacte, la virginité du cœur, dans une foi pure. On dit de toute l’Église qu’elle est vierge, et au masculin on la nomme peuple de Dieu : or, les deux sexes forment le peuple de Dieu, un seul peuple, un peuple unique ; de même qu’il n’y a qu’une seule Église, une seule colombe ; et dans cette virginité, des saints par milliers. Ces cinq vierges dès lors désignent toutes les âmes qui doivent entrer dans le ciel : et le nombre cinq n’est point employé sans raison, puisque le corps est doué de cinq sens, comme chacun sait. Rien ne passe du corps dans l’âme que par ces cinq portes, car toute convoitise mauvaise nous vient soit des yeux, soit de l’odorat, soit du goût, soit des oreilles, soit du tact. Quiconque n’a point laissé entrer la corruption par ces cinq portes, est mis au nombre des cinq vierges. Or, la corruption est la fille des désirs illicites ; et l’Écriture nous fait voir de toutes parts ce qui est permis ou ce qui ne l’est point. Il est donc nécessaire que tu sois au nombre de ces cinq vierges, et tu n’auras pas à craindre cette parole : Que nul n’ose entrer. C’est en effet ce qui est écrit et ce qui sera exécuté ; à ton entrée, toutefois, nul ne viendra te barrer le passage ; mais quand tu seras entré, on fermera les portes de Jérusalem, et l’on en fortifiera les barrières, si tu ne veux pas être vierge de cœur, ou si, quoique vierge, tu prends place parmi les vierges folles, pour demeurer au-dehors et frapper vainement à la porte.

11. Quelles sont ces vierges folles ? Elles aussi sont au nombre de cinq ; et quelles sont ces vierges, sinon les âmes qui gardent la continence de la chair, afin d’éviter la corruption qui nous vient par tous les sens que nous énumérions tout à l’heure ? Elles évitent la corruption, n’importe d’où elle vienne, sans porter dans leur conscience et sous les yeux de Dieu seul, le bien qu’elles font ; elles veulent plaire aux hommes et s’arrêter à leur jugement. En quête des faveurs vulgaires, elles s’avilissent en voulant plaire à ceux qui les voient ; leur conscience ne leur suffit point. C’est donc avec raison que, selon l’Évangile, elles ne portent pas d’huile avec elles ; car l’huile, à cause de son éclat, de sa netteté, signifie la gloire. Mais que dit l’Apôtre ? Vois dons sa parole ces vierges sages qui portent l’huile avec elles. « Que chacun éprouve son œuvre, et il aura de quoi se glorifier en lui-même et non dans un autre cd ». Voilà les vierges sages. Quant aux vierges folles, elles allument leurs lampes à la vérité, leurs œuvres paraissent avec éclat ; mais elles doivent mourir et s’éteindre, parce qu’elles n’ont point d’huile intérieure. Les voilà qui s’endorment toutes parce que l’Époux tarde à venir ; quelle que soit en effet celle de ces deux catégories que choisissent les hommes, ils s’endorment du sommeil de la mort ; et les vierges sages et les vierges folles, en attentant l’avènement du Seigneur, passent par cette mort du corps, mort visible, que l’Écriture appelle un sommeil, comme tout chrétien le sait. L’Apôtre dit en effet : « C’est pourquoi, parmi vous, beaucoup sont infirmes, languissants, et beaucoup sont endormis ce » ; endormis, dit-il, ou plutôt morts. Mais voilà que l’Époux va venir, et tous vont se lever, mais non tous entrer. Voilà que s’évanouiront les œuvres de ces vierges folles, qui n’ont point l’huile de la bonne conscience. Elles ne trouveront plus, pour leur en acheter, ces flatteurs qui leur vendaient la louange. Car il y a de l’ironie plutôt que de la jalousie dans cette parole « Allez en acheter ». Ces vierges folles en avaient demandé aux vierges sages, et leur avaient dit : « Donnez-nous de votre huile, parce que nos lampes s’éteignent ». Que répondent les vierges sages ? « Non, de peur que nous n’en ayons pas suffisamment pour vous et pour nous ; allez plutôt à ceux qui en vendent, et achetez-en pour vous ». C’était leur dire sous la forme d’un avis : De quoi vous servent maintenant ceux dont vous achetez la louange ? « Et pendant qu’elles y allaient », dit l’Évangile, « voilà que les autres « entrèrent, et la porte fut close cf ». Pendant qu’elles y vont de cœur, pendant qu’elles s’occupent de ces pensées, qu’elles s’éloignent dans ce dessein, qu’elles se ressouviennent de leur vie passée, elles vont en quelque sorte vers ceux qui vendent l’huile, et ne les trouvent plus favorables ; elles ne trouvent plus d’applaudissements chez ceux qui les flattaient, elles qui s’excitaient au bien, non par le mouvement d’une bonne conscience, mais par le stimulant des langues étrangères.

12. Cette réponse des vierges sages : « De peur qu’il n’y en ait pas suffisamment pour nous », témoigne aussi d’un grand sentiment d’humilité. Car l’huile que nous portons dans notre conscience, c’est le jugement que nous portons sur nous-mêmes, et qui nous fait voir tels que nous sommes ; or, il est difficile de se juger, de juger parfaitement de son état. Mes frères, quels que soient les progrès d’un homme dans la vertu ; tant qu’il se jette en avant et oublie ce qui est derrière cg ; s’il se dit : c’est bien ; Dieu aussitôt tire de ses trésors la règle inflexible, et procède à un sévère examen. Or, qui se glorifiera d’avoir un cœur pur ? Qui osera dire qu’il est sans péché ch ? Mais que dit l’Écriture ? « Il y aura un jugement sans miséricorde pour celui qui n’a pas fait miséricorde ci ». Quels que soient tes progrès, tu espéreras donc dans la miséricorde. Car si la miséricorde ne vient tempérer la justice, tout homme se trouvera condamnable en quelque point. Or, quel passage de l’Écriture va nous consoler ? Celui-là même qui nous exhorte à la miséricorde, afin que nous nous appliquions à donner notre superflu. Car nous avons beaucoup de superflu, si nous nous en tenons au strict nécessaire ; mais rien ne nons suffira, si nous recherchons ce qui est futile. Cherchez donc, mes frères, ce qui suffit à l’œuvre de Dieu, et non ce qui suffit à vos désirs ; car votre désir n’est point l’œuvre de Dieu ; mais votre forme, votre âme, votre corps, voilà toute l’œuvre de Dieu. Cherche donc ce qui suffit pour cela, et tu verras qu’il faut peu de chose. Il ne fallut à la veuve de l’Évangile que deux deniers, pour faire une œuvre de miséricorde cj, deux deniers pour acheter le royaume de Dieu. Pour habiller des acteurs, quelle dépense ne fait point un donneur de spectacles ? Voyez non seulement qu’il faut peu pour vous suffire, mais aussi combien peu vous demande le Seigneur. Cherche avec soin ce qu’il t’a donné, prends-en ce qui te suffit ; quant au reste, qui est superflu pour toi, c’est le nécessaire des autres ; le superflu du riche est le nécessaire du pauvre. C’est posséder le bien d’autrui que posséder du superflu.

13. C’est quand tu feras miséricorde, et particulièrement celle-ci que l’on fait gratuitement : « Remettez-nous, comme nous remettons ck » ; et où l’on ne fait d’autre dépense que celle de la charité, laquelle s’accroît à proportion qu’on la dépense ; c’est, dis-je, quand tu feras avec ferveur des œuvres de miséricorde, bonnes œuvres, avons-nous dit, qui ne seront plus nécessaires dans l’autre vie, puisqu’il n’y aura plus aucun malheureux à qui l’on puisse faire miséricorde
Voir Discours sur le Psa 84, n. 8,11
, c’est alors que tu attendras en toute sécurité le jugement, non pas dans la sécurité de la justice, mais dans la sécurité de la divine miséricorde, puisque toi-même auras été miséricordieux. « Le jugement sera sans miséricorde pour celui qui n’aura point fait miséricorde. Et la miséricorde », ajoute le même Apôtre, « l’emporte sur le jugement cm ». Gardez-vous de croire, mes frères, que le Seigneur n’est point juste, ou qu’il s’écarte de la justice, quand il n’a point pitié de nous. Il est juste quand il nous damne, et juste encore quand il nous prend en pitié. Quoi de plus juste de faire miséricorde à celui qui l’implore ? Quoi de plus juste aussi, que d’user envers nous de la mesure dont nous nous serons servis cn ? Donne à ton frère qui a faim. À quel frère ? Au Christ. Si donc faire la charité à ton frère c’est la faire au Christ, et si le Christ est Dieu béni par-dessus tout dans les siècles co, c’est un Dieu qui a voulu avoir besoin de toi, et ta main se retire ? Tu tends la main à Dieu pour lui demander : écoute l’Écriture : « Que ta main ne soit point ouverte pour recevoir, et fermée pour donner cp ». Dieu veut qu’on lui donne de ce qu’il a donné. Que pourrais-tu donner, en effet, qu’il ne t’ait point donné ? « Qu’as-tu, que tu n’aies point reçu cq ? » Et même, sans parler de Dieu, à qui pourrais-tu donner de ce qui est à toi ? Tu donnes de ce qui appartient à celui qui te commande de donner. Sois donc véritablement dispensateur, et non usurpateur. C’est en agissant de la sorte, et en disant avec humilité de cette huile : « De peur qu’il n’y en ait pas suffisamment pour nous cr », que tu entreras, et que la porte ne te sera point fermée. Écoute ce mot de l’Apôtre : « Peu m’importe d’être jugé par vous cs ». Comment pourriez-vous, en effet, juger ma conscience ? Comment verriez-vous l’intention qui me dirige dans toutes mes actions ? Quel jugement les hommes peuvent-ils porter sur un autre homme ? L’homme peut beaucoup mieux se juger, mais Dieu peut mieux encore juger l’homme, que l’homme ne peut se juger lui-même. Si donc tu es tel que nous disons, tu entreras, tu seras au nombre de ces cinq vierges, et les vierges folles seront exclues. C’est ce que nous dit l’Évangile ; la porte sera fermée, elles seront là, heurtant à cette porte et criant : « Ouvre-nous ct » ; et on ne leur ouvrira point, parce « que le Seigneur a fortifié les barres de vos portes ». Oui, dit le Prophète, il a fortifié les barres de tes portes, sois en toute sécurité, chante avec assurance, et chante sans fin. Tes portes sont solidement closes, nul ami ne sort, nul ennemi ne peut entrer. « Il a consolidé les barrières de tes portes ».

14. « Il a béni tes enfants en toi ». Ils ne sont ni vagabonds au-dehors, ni exilés ; ils s’applaudissent dans ton enceinte, c’est là qu’ils chantent le Seigneur, là qu’ils sont bénis ils n’endurent plus les douleurs de l’enfantement, parce qu’ils n’ont plus à enfanter. Ils sont vos enfants, vos saints ; et ces enfants, ces saints, sont dans l’allégresse, dans la louange ; la charité à ressenti pour eux les douleurs de l’enfantement, et les a enfantés ; la charité les renferme dans son giron. Écoute la charité qui les enfante : c’est elle qui donnait à Paul non seulement un cœur de père, mais un cœur de mère, pour ses enfants : « Mes petits enfants », dit-il, « que j’enfante une seconde fois cu ». Or, Paul qui enfante, c’est la charité qui enfante ; et la charité qui enfante, c’est l’Esprit de Dieu qui enfante. « La charité, en effet, est répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné cv ». Qu’elle rassemble donc ceux qu’elle a enfantés avec douleur, ceux qu’elle a mis au monde. Ils sont déjà dans l’intérieur, ils sont en sûreté. Ils ont pris leur essor du nid de la crainte, ils ont pris leur essor pour les cieux, pour les tabernacles éternels ; rien de temporel n’est à redouter pour eux.

15. « Il a béni tes fils en toi ». Qui a béni ? « Celui qui a mis la paix sur tes frontières cw ». Quelle n’est point la joie universelle à cette parole ? Aimez-la, mes frères. Nous éprouvons une grande joie quand l’amour de la paix éclate ainsi du fond de vos cœurs. Quelle joie cette parole a suscitée ! Je n’avais rien dit encore, je n’avais rien expliqué, je prononce le verset et vos cris partent. Qu’est-ce qui a crié en vous ? L’amour de la paix. Qu’ai-je mis sous vos yeux ? Pourquoi ces cris, si vous ne ressentez cet amour ? D’où vient cet amour, si vous ne voyez rien ? La paix est invisible. Où est l’œil qui l’a vue pour l’aimer ? Et toutefois, on ne pousserait aucun cri si on ne l’aimait. Ce sont là, mes frères, les spectacles invisibles que Dieu nous présente. De quelle beauté l’idée seule de la paix n’a-t-elle point frappé vos cœurs ? Que dire encore dola paix, et comment la louer ? Votre allégresse a dépassé toutes mes paroles. Je n’achève point, je ne saurais, je suis trop faible. Remettons donc l’éloge de la paix, jusqu’à ce que nous soyons dans la patrie de la paix. C’est là que nous pourrons la louer plus pleinement, en jouir plus pleinement. Si nous l’aurions ainsi quand elle commence, quelles louanges lui donner quand elle sera parfaite ? Jugez-en vous-mêmes, ô fils bien-aimés, fils de la paix, citoyens de Jérusalem, car Jérusalem est la vision de la paix ; et tous ceux qui aiment la paix sont bénis dans son enceinte, ils peuvent y entrer et les portes se ferment, et les barrières sont consolidées. Cette paix dont le nom seul fait éclater votre amour, cultivez-la, recherchez-la sincèrement ; aimez-la dans vos maisons, aimez-la dans vos affaires, aimez-la dans vos Épouses, aimez-la dans vos enfants, aimez-la dans vos serviteurs, aimez-la dans vos amis, aimez-la dans vos ennemis.

16. Telle est la paix que n’ont point les hérétiques. Quelle est l’œuvre de cette paix, dans les perplexités de ce monde, dans l’exil de notre mortalité, où nul n’est connu d’un autre, ou nul ne connaît le cœur de son voisin ? Que fait la paix ? Elle ne juge pas de ce qui est incertain, et n’affirme rien d’inconnu. Elle est plus inclinée à croire le bien d’un homme, qu’à en soupçonner le mal. Elle ne s’afflige point de s’être trompée en croyant bon l’homme qui est méchant ; mais elle se croit coupable d’avoir cru au mal chez l’homme de bien. Je ne le connais point, dit-elle, que perdrai-je à croire qu’il est bon ? Si cela est incertain, il est permis d’agir avec précaution, car peut-être n’est-ce pas vrai ; mais garde-toi de condamner comme si tu étais certain. C’est le précepte de la paix. « Cherche la paix », dit le Prophète, « et poursuis-la cx ». Que dit l’hérésie au contraire ? Elle condamne sans connaître, et condamne le monde entier ; tout le monde a péri, il n’y a plus un seul chrétien, l’Afrique seule est demeurée. Bien jugé. Mais de quel tribunal peux-tu condamner le monde entier ? Sur quel forum le monde a-t-il comparu devant toi ? Que l’on ait s’en rapporte pas à moi, j’y consens ; mais pas à toi non plus. Qu’on en croie au Christ, à l’Esprit de Dieu, qui a parlé par les Prophètes, qu’on en croie à la loi de Moïse. Qu’a dit Moïse des temps futurs qui sont les nôtres ? « En ta postérité », fut-il dit à Abraham, « toutes les nations seront bénies cy ». As-tu des doutes sur cette race d’Abraham ? Il n’y a plus de doute à conserver quand l’Apôtre a parlé ; ou si tu n’en crois point à l’Apôtre, pourquoi dire : La paix, la paix, quand il n’y a point de paix cz ? Que dit l’Apôtre ? « Les promesses de Dieu sont faites à Abraham et à sa postérité. L’Écriture ne dit point : « Et à ceux qui naîtront de lui, comme s’ils eussent dû être plusieurs ; mais comme en parlant d’un seul, elle dit : Et à celui qui naîtra de toi, qui est le Christ da ». Il y a des milliers d’années qu’il fut dit à Abraham : « Les nations seront bénies en ta postérité ». Or, ce qui a été prédit il y a tant de siècles, et ce qu’un seul a cru, nous le voyons accompli aujourd’hui. D’un côté nous lisons la promesse, de l’autre nous voyons l’accomplissement, et tu viens à la traverse résister à la vérité ? Que vas-tu dire ? Garde-toi de croire. De croire à qui ? À l’esprit de Dieu ? A Dieu qui parle à Abraham ? À qui croirai-je alors ? À toi ? Ce n’est point là ce que je dis, répondras-tu. Tu ne le dis point ? Comment, tu ne dis pas : Crois-en plutôt à moi qu’à l’Esprit. Saint, qu’à Dieu qui s’adresse à Abraham ? Que viens-tu me dire alors ? Tel a livré les livres saints, tel autre encore les a livrés. Est-ce un passage de l’Évangile que tu rapportes là, ou des Apôtres, ou des Prophètes ? Examine toutes les Écritures, et lis-moi cette parole, dans ceux en qui repose ma foi ; car je ne crois pas en toi. Où donc liras-tu cela ? C’est ce que m’a dit mon père, me répond-il, ce que m’a dit mon aïeul, mon frère, mon évêque. Mais voici la parole du Seigneur à Abraham : « Les nations seront bénies en celui qui naîtra de toi ». Un seul homme entendit cette parole et y crut, et après de longs siècles, elle s’accomplit dans des millions d’hommes. On croit à cette promesse, quand elle se fait, et on en doute quand elle s’accomplit ? Voilà donc ce qu’a dit Moïse ; donnons maintenant la parole aux Prophètes. Vois le prix de notre rédemption : le Christ suspendu à la croix. Considère le prix qu’il donne, et tu comprendras ce qu’il achète. Il veut faire un achat, et tu ne sais encore quel achat ; vois alors, vois la grandeur du prix, et tu comprendras l’importance de l’achat. Il répand tout son sang, c’est au prix de son sang qu’il achète, du sang de l’Agneau sans tache, du sang du Fils unique de Dieu. Que peut-on donc acheter au prix du sang du Fils unique de Dieu ? Encore une fois, considère à quel prix. Longtemps avant l’accomplissement, le Prophète a dit : « Ils ont percé mes « mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os ». Je vois la grandeur du prix, ô Christ, faites que je voie aussi ce que vous avez acheté : « Toutes les extrémités de la terre s’en souviendront, et se tourneront vers le Seigneur ». Dans le même psaume, je vois tout ensemble et l’acheteur, et le prix, et la possession. Cet acheteur c’est le Christ, le prix est son Sang, et la possession, l’univers entier. Écoutons les paroles du Prophète, qui contredisent les chicanes des hérétiques. Voilà ce que possède mon Dieu. Je lis son droit dans le psaume : « Ils en garderont la mémoire, et tous les confins de la terre se tourneront vers le Seigneur, toutes les familles de la terre se prosterneront en sa présence db ». L’Acheteur est donc le Christ, et non l’apostat Donat. « Ils l’adoreront ». Très-bien : « Toutes les familles de la terre se prosterneront en sa présence ». Pourquoi très bien ? « Parce que l’empire est au Seigneur, et il dominera sur toutes les nations ». Voilà ce qu’on lit dans Moïse, dans les Prophètes, et mille autres témoignages semblables. Qui pourrait compter les passages de l’Écriture au sujet de l’Église qui sera répandue dans toute la terre ? Qui les comptera ? Il y a moins d’hérésies contre l’Église, que la loi n’a de témoignages en sa faveur. Quelle page ne dit point son triomphe ? Quel verset ne l’a point consigné ? Tout parle de concert en faveur de cette unité, qui est au Seigneur, parce qu’il a mis la paix dans les confins de Jérusalem. Et c’est contre tout cela que tu viens aboyer, ô hérétique ? C’est avec raison que l’on applique à cette cité sainte ce mot consigné dans l’Apocalypse : « Loin d’ici les chiens dc ». C’est contre tout cela que tu viens aboyer. Comme je le disais tout à l’heure, oses-tu bien condamner le monde entier ? Quel est ton tribunal, sinon la présomption de ton cœur ? Tribunal bien haut sans doute, mais ruineux. Voilà ce qu’a dit Moïse, ce qu’ont dit les Prophètes ; et des hommes qui veulent passer pour chrétiens ne le croient pas encore.

17. Le mauvais riche était dans les tourments de l’enfer, et l’ardeur des flammes lui fit désirer qu’une goutte d’eau tombât du doigt du pauvre qu’il avait autrefois méprisé à sa porte. Comme ce rafraîchissement lui était refusé, puisqu’on doit « juger sans miséricorde celui qui n’aura point fait miséricorde dd », comme donc on le lui refusait « Père Abraham », s’écrie-t-il, « envoyez Lazare dans la maison de mon père, où j’ai cinq autres frères ; qu’il leur dise combien je souffre, afin qu’ils ne viennent point aussi dans ce lieu de tourments ». Que répond Abraham ? « Ils ont Moïse et les Prophètes ». Et celui-ci : « Mon père Abraham, mais si quelqu’un ressuscitait d’entre les morts, ils le croiraient ». Et Abraham : « S’ils n’écoutent ni Moïse, ni les Prophètes ils ne croiront pas quand même quelqu’un ressusciterait d’entre les morts de ». De qui dit-il, qu’« ils ont Moïse et les Prophètes ? » De ces frères assurément qui vivaient encore, qui avaient pour se corriger un long espace de temps, qui n’étaient point encore dans ces lieux de tourments. « Ils ont Moïse et les Prophètes, qu’ils les écoutent », dit Abraham. Ils ne croient point en eux, « mais ils croiraient si quelqu’un ressuscitait d’entre les morts. S’ils n’écoutent ni Moïse, mi les Prophètes, ils ne croiront pas même mi celui qui ressusciterait d’entre les morts ». C’est la décision d’Abraham. En quel endroit et de quel endroit Abraham l’a-t-il prononcée ? D’un certain lieu élevé, d’un lieu plein de repos et de joie. Que voyait en élevant les yeux cet infortuné qui souffrait dans l’enfer ? Il voyait aussi dans son sein, c’est-à-dire dans son secret, le pauvre qui tressaillait de joie. Voilà quel est ce tribunal. C’est là qu’habite le Seigneur, puisque Dieu habite dans les saints. Delà vient ce désir que l’Apôtre nous exprime ainsi : « Mourir pour être avec le Christ serait de beaucoup préférable df ». Il fut dit aussi au bon larron : « Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis dg ». C’est le Seigneur qui est avec Abraham et en Abraham qui a porté cette sentence : « Ils ont Moïse et es Prophètes ; s’ils ne les écoutent point, ils n’écouteraient point non plus celui qui ressusciterait d’entre les morts ». O hérétiques, vous avez ici Moïse et les Prophètes, et vous vivez encore, et vous pouvez encore écouter, et vous pouvez encore vous corriger, dompter votre fureur, et embrasser la vérité : examinez avec vous-mêmes s’il faut en croire Moïse et les Prophètes, qui ont rendu à leur foi de si grands témoignages, quand nous voyons les événements du monde arriver selon leurs prédictions. Pourquoi hésiter encore à en croire à Moïse et aux Prophètes ? Pourquoi cette hésitation ? Attendriez-vous par hasard qu’un homme ressuscité d’entre les morts s’en vienne vous parler de son Église ? C’est ce que voulait le mauvais riche dans l’enfer ; il voulait que l’on envoyât vers ses frères dh quelqu’un d’entre les morts ; on le reprend de cette exigence parce que Moïse et les Prophètes devaient suffire à ses frères. Sa prière fut vaine, afin que cet exemple vous profitât, et que vous ne fussiez point tourmenté comme lui, pour avoir fait trop tard de vaines prières. Écoutez Moïse et les Prophètes. Que dit Moïse ? « Dans ta postérité seront bénies toutes les nations di ». Qu’ont dit les Prophètes ? « Tous les confins de la terre se souviendront, et se tourneront vers le Seigneur dj ». Et tu viendras me dire encore qu’un homme se lève d’entre les morts, je ne croirai que quand on viendra de là me parler ! Bénie soit votre miséricorde, ô mon Dieu ! vous avez voulu mourir, afin qu’un homme se levât des morts, et cet homme n’est point un homme quelconque, mais c’est la Vérité qui est sortie des enfers. Il pourrait dire la vérité sur les effets, sans être sorti des enfers ; et néanmoins, à cause de ces voix méchantes et ignorantes, il a voulu mourir et se lever d’entre les morts. Que dis-tu, ô hérétique, que dis-tu ? J’écouterai tes raisons, tu n’a plus d’excuses ; quand tu aurais les exigences du riche dans les enfers, voilà que le Christ est ressuscité d’entre les morts ; daigneras-tu l’écouter lui-même ? Tu as conçu en ta vie le désir de ce riche après sa mort, et voilà que le Christ est revenu des enfers ; ce n’est ni ton père, ni ton aïeul, ils ne sont point ressuscités des morts, ceux qui ont accusé je ne sais qui d’entre nous d’avoir livré les saints livres. Mais accordons qu’ils n’aient point calomnié, qu’ils aient dit vrai. Veux-tu savoir combien cela m’importe peu ? Écoutons ensemble ce qu’a dit celui qui est ressuscité d’entre les morts. À quoi bon tant discourir ? Écoutons, ouvrons l’Évangile, lisons ce qui s’est fait comme s’il s’accomplissait maintenant : remettons sous nos yeux le passé afin de nous mettre en mesure contre l’avenir. Voilà que le Christ ressuscité d’entre les morts se montre à ses disciples. Voici ses noces, il est l’Époux, l’Église et l’Épouse. Cet Époux que l’on disait mort, exterminé, anéanti, est ressuscité plein de vie, le voilà qui se montre aux yeux des disciples, qui se laisse toucher de leurs mains, ils touchent en effet ses plaies, ses meurtrissures qui leur avaient fait perdre l’espérance. Il se fait voir à leurs yeux, et en le touchant des mains ils le prennent pour un esprit, car ils ont perdu tout espoir qu’il pût être sauvé. Il les exhorte, les affermit dans la foi « Touchez et voyez, car un esprit n’a ni chair, ni os, comme vous voyez que j’en ai » dk. Ils le touchent, ils sont dans la joie, dans l’étonnement. « Comme ils étaient encore dans le trouble de la joie », est-il écrit dans l’Évangile. Quelquefois on ne croit que difficilement ce qui donne de la joie, quelle qu’en soit la certitude. Un certain doute qui nous rend tardifs à croire assaisonne le bonheur qui nous vient alors. Plus nous avons désespéré de ce qui nous arrive, plus notre bonheur est grand ; et ce fut pour rendre leur bonheur plus doux et plus grand que le Sauveur ne voulut pas être connu tout d’abord. Il ferma les yeux de ces deux disciples qu’il rencontra parlant ensemble de leur peu d’espérance et se disant : « Nous espérions qu’il serait le Rédempteur d’Israël ». Ils l’avaient pensé, et ne le pensaient déjà plus. L’espérance n’était plus en eux, et le Christ était avec eux ; mais pour se rendre à eux, et leur ramener l’espérance. Ce fut donc seulement après, et quand ils l’eurent reconnu à la fraction du pain, qu’il se montra aux autres disciples qui le prenaient pour un esprit, qu’il leur dit : « Touchez et voyez, car un esprit n’a pas de chair et d’os, comme vous voyez que j’en ai ». Et comme la joie les troublait : « Avez-vous, ajouta-t-il, quelque chose à manger ? Il prit ce qu’ils présentèrent, le bénit, en mangea, et leur en donna ». Il parut alors qu’il avait réellement un corps, et toute crainte d’erreur disparut aussitôt. Que fit-il ensuite ? « Ne saviez-vous donc pas qu’il fallait que s’accomplît en moi tout ce qui est écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, dans les Prophètes et dans les Psaumes ? » Or, comme ils croyaient aux Prophètes et à Moïse ; car il est vrai de dire avec Abraham : « S’ils n’en croient point à Moïse et aux Prophètes, ils n’en croiront point à celui qui ressusciterait d’entre les morts » ; comme ils en croyaient à Moïse et aux Prophètes, et n’étaient point de ceux que reprend Abraham, ils écoutèrent ce que dit le Seigneur : « Ne saviez-vous pas qu’il fallait que s’accomplît en moi ce qui est écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, dans les Prophètes et dans les Psaumes ? » Les voilà qui en croient à Moïse et aux Prophètes, voyez comment sur leur témoignage ils croient à celui qui est ressuscité d’entre les morts. « Alors il leur ouvrit l’intelligence, afin qu’ils comprissent les Écritures, et il leur dit : Il fallait, selon qu’il est écrit, que le Christ souffrit et qu’il ressuscitât d’entre les morts le troisième jour ».

18. Tu vois déjà l’Époux de l’Église. Ni Moïse, ni les Prophètes, n’ont gardé le silence à propos du Christ qui devait ressusciter le troisième jour, qui devait souffrir. On nous a décrit l’Époux afin de nous faire éviter toute erreur. Mais parce que nous n’avons aucune erreur à propos de l’Époux, il s’est trouvé certains hommes qui semblent croire ce que nous croyons au sujet de l’Époux, et qui nous viennent dire, pour nous séparer de ses membres : Sans doute, le même Époux que vous croyez est le même que nous croyons ; mais l’Épouse n’est point cette Église dont vous êtes les membres. Quelle est donc cette Épouse ? C’est le parti de Donat. Voilà ton affirmation, mais est-ce bien toi qui parles, ou bien est-ce l’Époux ? Est-ce toi qui le dis, ou Dieu qui l’a dit par Moïse ? Moïse me montre l’Église ; car Moïse a dit : « Toutes les nations seront bénies en ta postérité ». Est-ce toi qui le dis, ou l’Esprit de Dieu par les Prophètes ? Les Prophètes me montrent l’Église, car un Prophète m’a dit : « Toutes les nations de la terre se souviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui ». J’ai donc pour moi le témoignage de la loi et des Prophètes ; écoutons encore celui qui est ressuscité d’entre les morts. Il montre qu’il est l’Époux, nous en avons la certitude. Il nous en a convaincus par des témoignages visibles. Car Moïse et les Prophètes avaient dit que de « Christ devait souffrir, et se lever d’entre les morts ». Ces paroles nous indiquent l’Époux à vous et à moi ; et dès lors ces paroles t’amèneront à croire à Moïse et aux Prophètes : croyons de même en celui qui est ressuscité d’entre les morts. Qu’il continue donc et dise : Seigneur, c’en est fait, je crois que le Christ est l’Époux. Que nul ne me sépare des membres de votre Épouse, car si je ne faisais partie de ses membres vous ne seriez point ma tête, Parlez-moi aussi de votre Épouse ; car je ne doute plus de l’Époux. Écoute ce qui est dit de l’Église ; voilà que l’Époux continue en disant que l’on doit « prêcher en son nom la pénitence et la rémission des péchés ». Rien de plus vrai ; la pénitence et la rémission des péchés sont prêchées en son nom. Mais où ? Ici, disent les uns ; là, disent les autres. Mais lui, que dit-il ? « Ne les croyez point : il s’élèvera de faux Christs et de faux Prophètes, qui diront : C’est ici, c’est là dl ». Ce n’est point du chef qu’ils disent : « c’est ici, c’est là » ; on sait que le Christ est dans le ciel, mais c’est de l’Église en laquelle est le Christ qui a dit : « Voilà, je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles dm ». Or, le Seigneur a dit : « Ne les croyez point ». Dire en effet : « C’est ici, c’est là », c’est vous montrer des parties ; or, j’ai acheté le tout. Que l’Évangile me tienne encore ce langage : Dites cela vous-mêmes dans l’Évangile, vous Seigneur, qui êtes ressuscité d’entre les morts, afin qu’ils croient aussi en vous, ceux qui croient à Moïse et aux Prophètes ; dites-moi cela vous-même. Je vous écoute. « Il fallait que le Christ souffrît et ressuscitât le troisième jour, et qu’en son nom la pénitence et la rémission des péchés fussent prêchées parmi toutes les nations, en commençant par Jérusalem dn ». Que vas-tu répondre, ô hérétique ? Quand je citais Moïse, quand je citais les Prophètes, tu en appelais à celui qui devait ressusciter d’entre les morts. Voilà qu’il est ressuscité, qu’il a parlé ; l’Église du Christ, l’Épouse du Christ n’est pas plus douteuse que n’est douteux le corps du Christ que voyaient, que touchaient ses disciples. Celui qui est ressuscité d’entre les morts nous a montré l’un et l’autre ; il nous a montré la tête, montré les membres, montré l’Époux et montré l’Épouse. Ou crois ces deux articles avec moi, ou n’en crois qu’un seul, mais pour ta damnation. Crois-tu, en effet, qu’il se soit levé d’entre les morts, et levé dans le même corps ? C’est bien ; puisqu’il a montré ses meurtrissures, puisqu’il s’est montré tel qu’il a été à la croix, et au sépulcre, tu as raison de croire ; écoute la parole de celui en qui tu as mis ta foi : « Il faut que la pénitence et la rémission des péchés soient prêchées en son nom ». Où prêchées ? Dans l’étendue des terres. Si je parlais ainsi moi-même, dans ma polémique, dans ma lutte contre les hérétiques, dans mes conflits sur une telle question, je ne pourrais parler contre les hérétiques d’aujourd’hui avec autant de précision que le Christ contre ceux de l’avenir. Que veux-tu de plus ? Où prêche-t-on la rémission des péchés au nom du Christ ? Où ? « Dans toutes les nations ». À Partir d’où ? « A partir de Jérusalem ». Entre dans la communion de cette Église. Pourquoi disputer encore ? C’est dans la Jérusalem de la terre que l’Église a pris naissance, afin de se réjouir en Dieu dans la Jérusalem céleste. Elle commence à l’une pour se terminer à l’autre. Elle sera tout entière dans la Jérusalem du ciel, mais c’est dans celle de la terre qu’elle a commencée à croire.

19. Vois dans les Actes des Apôtres, si je ne me trompe, comment les disciples étaient assemblés à Jérusalem, quand le Saint-Esprit descendit. Tu comprendras alors le sens de cette parole : « A partir de Jérusalem », quand tu verras ces mêmes hommes sur qui le Saint-Esprit est descendu do parlant toutes les langues. Pourquoi ne veux-tu point parler la langue de tous les peuples ? Voilà bien que toutes les langues se font entendre, ô Jérusalem. Pourquoi celui qui reçoit maintenant le Saint-Esprit ne parle-t-il point toutes les langues ? C’était alors le signe que le Saint-Esprit descendrait sur les hommes, et qu’ils parleraient la langue de tous. Que vas-tu répondre, ô hérétique ? Que l’on ne donne plus l’Esprit-Saint. Je ne demande pas où on le donne, mais le donne-t-on ? Si on ne le donne point, que prétendez-vous faire, en parlant, en baptisant, en bénissant ? Que faites-vous ? d’inutiles cérémonies ? Diras-tu qu’on le donne ? Alors pourquoi ceux qui le reçoivent ne parlent-ils point toutes les langues ? Le don de Dieu est-il en défaut, son fruit a-t-il diminué ? L’ivraie a poussé sans doute, mais aussi le froment. « Laissez croître l’une et l’autre jusqu’à la moisson dp ». Le Sauveur n’a point dit : Que l’ivraie croisse, et que le froment diminue ; ils croissent l’un et l’autre. Pourquoi le Saint-Esprit ne se fait-il point voir dans le don des langues ? Que dis-je ? il se montre maintenant dans toutes les langues ; l’Église alors n’était point répandue par toute la terre, de manière que ses membres pussent parler chez tous les peuples. Dieu alors accomplissait dans un seul homme ce qui était annoncé pour tous. Aujourd’hui le corps du Christ parle toutes les langues, et il parlera celles qu’il ne parle pas encore ; car l’Église croîtra jusqu’à ce qu’elle occupe toutes les langues du monde. Quel n’est point l’accroissement de cette Église que vous avez abandonnée ! Possédez avec nous ce qu’elle possède, afin d’arriver avec nous jusqu’où elle doit s’étendre. Je parle toutes les langues, et j’ose bien vous dire : Je suis parmi les membres du Christ, dans l’Église du Christ ; si le corps de Jésus-Christ parle toutes les langues, je suis aussi dans toutes les langues ; je parle grec, je parle syriaque, je parle hébreux, je parle la langue de tous les peuples, parce que je suis dans l’unité de tous les peuples.

20. L’Église donc, mes frères, a commencé par Jérusalem, pour se répandre dans toutes les contrées. Qu’y a-t-il de plus clair que ces témoignages de la loi, des Prophètes, et du Seigneur lui-même ? Partout retentissent les voix des Apôtres qui rendent témoignage à notre espérance dans l’unité du corps de Jésus-Christ. Tressaillez d’être parmi le froment, supportez l’ivraie, gémissez sous le fléau, aspirez au grenier. Viendra le temps où nous nous réjouirons dans Jérusalem, dont Dieu aura fortifié les barrières. Qu’il entre, celui qui doit y entrer. Quiconque doit y entrer au grand jour, n’entre point ici sous un déguisement. Celui qui entre ici à la dérobée, demeure au-dehors ; le voilà dehors, sans le savoir : le van le lui montrera, les serrures le lui apprendront. Quiconque est maintenant à l’intérieur, vraiment à l’intérieur, y sera là d’une manière inébranlable ; celui qui est ici-bas à l’intérieur, et en souffrance, y sera là dans la joie. Car les confins de Jérusalem sont la paix, puisque Dieu u a établi la paix « sur ses frontières ». Nous aspirons maintenant à la paix que nous ne possédons qu’en espérance. Qu’est-ce, en effet, que cette paix que nous avons en nous-mêmes ? « La chair conspire contre l’esprit, et l’esprit contre la chair dq ». Est-il un seul homme pour jouir d’une paix parfaite ? Or, quand un seul homme aura la paix parfaite, elle sera parfaite aussi pour tous les citoyens de Jérusalem. Or, quand sera-t-elle parfaite ? Quand ce corps corruptible sera revêtu d’incorruption, ce corps mortel, revêtu d’immortalité dr ; nous aurons alors une paix entière, une paix parfaite ; rien dans l’homme ne se soulèvera contre l’âme, ni elle-même contre elle-même, puisqu’elle ne sera plus meurtrie ; elle ne souffrira ni de la fragilité de la chair, ni des nécessités du corps, ni de la faim, ni de la soif, ni du froid, ni de la chaleur, ni de la fatigue, ni de l’indigence, ni d’aucune querelle, ni même des soucieuses précautions d’éviter un ennemi et de l’aimer. Tout cela, en effet, mes frères, conspire contre nous-mêmes ; la paix est loin d’être entière, d’être parfaite. Ces cris que vous poussiez tout à l’heure, au nom de la paix, viennent du désir que vous en avez : c’est le cri d’une âme qui a besoin, mais non qui est satisfaite ; car la justice ne sera parfaite qu’avec la paix parfaite. Maintenant nous avons faim et soif de la justice « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés ds ». Comment seront-ils rassasiés ? Quand nous jouirons de la paix. C’est pourquoi, après ces paroles : « Il a établi la paix dans tes confins » ; le Prophète ajoute : « Et il te rassasie de froment », parce que nous serons rassasiés sans éprouver aucun besoin.

21. Comme cette paix dont nous parlons, mes frères, n’est pas complètement en nous, c’est-à-dire n’est point parfaite en chacun de nous, peut-être votre âme se plaît-elle à nous écouter encore ; et pourtant, bien que le corps ne s’y refuse point, nous finirons le psaume. Je ne vous vois jamais fatigués, et néanmoins, Dieu le sait, je crains de vous être à charge ou à quelques-uns de nos frères : j’en vois plusieurs d’entre vous qui exigent de moi ce travail, et j’ai cette confiance dans le Seigneur, que mes sueurs ne seront point sans fruit. J’éprouve une grande joie, en vous voyant goûter dans la parole de Dieu un tel plaisir, que cette ardeur louable du bien, et qu’enfante le bien, l’emporte sur l’ardeur des insensés qui sont dans – l’amphithéâtre. Y pourraient-ils demeurer debout aussi longtemps ? Écoutons donc le reste, mes frères, puisque tel est votre désir. Que le Seigneur me vienne en aide, qu’il soutienne mon esprit et mes forces. Le Prophète, s’adressant à la Jérusalem du ciel, lui dit : « Il a établi la paix dans tes confins, et il te rassasie de la moelle du froment ». La faim et la soif de la justice passeront, et nous serons rassasiés. Quelle sera en effet la moelle du froment, sinon le pain qui est descendu du ciel vers nous dt ? Comment nous rassasiera-t-il dans la patrie, celui qui nous a ainsi nourris dans notre exil ?

22. Le Prophète va nous entretenir de cet exil, d’où nous passons à cette Jérusalem, où nous chanterons le Seigneur tous ensemble, où nous bénirons le Seigneur notre Dieu, nous qui serons Jérusalem et Sion, quand les serrures de nos portes seront consolidées. Que fait pour nous, dans cet exil, celui qui nous rassasiera de la moelle du froment ? Il fait ce qui suit : « Il envoie son Verbe à la terre ». Nous sommes ici-bas dans le labeur, en butte à la fatigue, à la langueur, à la mollesse, à la tiédeur : quand nous serait-il possible de nous élever, jusqu’à nous rassasier de la moelle du froment, si Dieu n’envoyait son Verbe à cette terre, dont le poids nous accable, à cette terre qui nous empêche de retourner à la patrie ? Loin de nous abandonner au désert, il nous a envoyé son Verbe, il a fait pleuvoir la manne du ciel. « C’est lui qui a envoyé son Verbe à la terre ». Comment l’a-t-il envoyé ? quel est ce Verbe ? « Son Verbe court jusqu’à la rapidité ». Il ne dit point que ce Verbe est rapide, mais « qu’il court jusqu’à la vitesse même ». Comprenons, mes frères ; le Prophète ne pouvait choisir un terme plus propre. Avoir chaud, c’est l’effet de la chaleur ; avoir froid, l’effet du froid, et marcher rapidement, un effet de la rapidité. Mais qu’y a-t-il de plus chaud que la chaleur, qui échauffe tout ce qui est chaud, de plus froid que ce même froid que subit tout ce qui se refroidit, de plus rapide que cette rapidité que subit tout ce qui va rapidement ? On peut dire de beaucoup de choses qu’elles vont rapidement, les unes plus, les autres moins ; et une chose est plus rapide à mesure qu’elle participe plus à la rapidité. Plus sa part est grande, plus grande est sa rapidité ; moins sa part est grande, moins grande est sa rapidité. Dès lors, quoi de plus rapide que la rapidité elle-même ? Comment donc se répand cette parole : « Jusqu’à la rapidité ? » Renchéris autant qu’il te plaira sur la rapidité du Verbe ; dis, si tu le veux, qu’il est plus rapide que tel ou tel objet, plus rapide que les oiseaux, que les vents, que les anges. Y a-t-il rien qui s’élance avec rapidité, comme la rapidité elle-même ? « Jusqu’à la rapidité », dit le Prophète. Qu’est-ce, mes frères, que la vitesse ? Elle est partout, et n’est point dans quelque partie séparée. Or, c’est le propre du Verbe de Dieu, de n’être point dans quelque partie séparée, d’être partout le Verbe et par lui-même, d’être le vertu de Dieu et la sagesse de Dieu du avant d’avoir pris notre chair. Si nous nous représentons Dieu dans la forme de Dieu, le Verbe est égal au Père ; il est cette sagesse dont il est dit : « La sagesse atteint d’une extrémité à l’autre avec force dv ». Quelle vitesse ! « Elle atteint d’une extrémité à l’autre avec force ». Mais c’est peut-être sans se mouvoir qu’elle y atteint. Si elle ressemblait à un vaste bloc de pierre qui occupe un espace, on dirait qu’elle atteint d’une extrémité à l’autre de cet espace, et sans mouvement. Que disons-nous donc ? Ce Verbe est-il sans mouvement, et cette sagesse est-elle stupide ? Que devient alors ce qui est dit de l’Esprit de sagesse ? Car au nombre des qualités qu’on lui donne, il est écrit qu’il est « délié, mobile, certain, incorruptible dw ». Donc la sagesse de Dieu est mobile. Si donc elle a de la mobilité, quand elle touche un objet, n’en touche-t-elle pas un autre ? ou abandonne-t-elle celui-là pour toucher celui-ci ? Où serait alors la vitesse ? Car telle est la vitesse, qu’elle est partout en tout lieu, et renfermée nulle part. Mais pour élever jusque-là nos pensées, nous avons trop de lenteur dans l’esprit. Qui peut concevoir ces choses ? J’en ai dit, mes frères, ce que j’ai pu, si tant est que j’y aie pu comprendre quelque chose, et vous avez compris comme vous l’avez pu. Mais que dit l’Apôtre ? « Gloire à celui qui peut faire au-delà de ce que nous demandons, ou de ce que nous pouvons comprendre dx ». Que veut-il nous montrer par là ? Que toutes les fois que nous comprenons une chose, nous ne la comprenons pas telle qu’elle est. Pourquoi ? C’est que « le corps corruptible appesantit l’âme dy ». Donc sur la terre nous demeurons froids, tandis que la vitesse n’est que chaleur ; que tout ce qui a plus de chaleur a plus de vitesse, comme tout ce qui est plus froid est aussi plus pesant. Nous sommes lents, donc nous sommes froids. Quant à la sagesse, elle court jusqu’à la rapidité. Elle est donc toute de feu, et « nul ne se dérobe à sa chaleur dz ».

23. Pour nous que le froid du corps a ralentis, qui ployons sous la chaîne de cette vie corruptible, n’avons-nous donc nulle espérance d’avoir notre part à ce Verbe qui court jusqu’à la vitesse ? Ou même nous aurait-il délaissés, quand le poids du corps nous entraîne si bas ? N’est-ce point ce même Verbe qui nous a prédestinés avant notre naissance en un corps lourd et mortel ? C’est donc celui qui nous a prédestinés qui a donné à la terre la neige, ou nous-mêmes. Arrivons à ces versets obscurs du psaume ; déroulons ces voiles qui les couvrent, puisque votre avidité pour la parole de Dieu s’accroît à mesure que nous vous parlons. Nous voici donc lents sur la terre, et en quelque sorte gelés ici-bas. Il en est de nous comme de la neige, qui gèle dans les hauteurs et descend en bas ; de même, à mesure que la charité se refroidit ea, la nature humaine descend sur cette terre, et sous l’enveloppe d’un corps tardif devient semblable à la neige. Mais dans cette neige il y a des fils prédestinés de Dieu. Car Dieu « donne la neige comme la laine ». Qu’est-ce à dire : comme la laine ? C’est-à-dire qu’il doit tirer parti de cette neige qu’il a donnée, de ces hommes froids et lents d’esprit qu’il a prédestinés. La laine est la matière d’un vêtement ; en voyant la laine on comprend qu’elle est destinée à vêtir. Donc parce que Dieu a prédestiné ceux qui pour un temps sont froids et rampent sur la terre, qui n’ont point encore la ferveur de l’esprit de charité (car le Prophète encore ici parle de prédestination), Dieu a fait de ces hommes une laine dont il se fera un vêtement C’est donc avec raison que, sur la montagne, les vêtements du Christ brillèrent comme la neige eb. La robe du Christ devint blanche comme la neige, comme si déjà il se fût fait une robe de cette neige qu’il a donnée comme la laine, ou de ceux qui languissaient encore, quoique prédestinés. Mais attendez quelque peu ; vois ce qui suit : Parce qu’il les a donnés comme la laine, il s’en fait un vêtement. On dit en effet de l’Église qu’elle est la robe du Christ, comme on dit qu’elle est le corps du Christ ; de là cette parole de l’Apôtre : « Afin de faire paraître devant lui une Église pleine de gloire, sans tache et sans ride ec ». Oui, qu’il montre devant lui une Église pleine de gloire, sans tache et sans ride ; qu’il se fasse une robe de cette laine, qu’il a prédestinée quand elle était neige encore. De ces hommes encore incrédules, froids et pesants, qu’il se fasse un vêtement, un vêtement de cette laine ; afin qu’il en lave les taches et la purifie par la foi ; et pour en effacer les rides, qu’il l’étende sur la croix. « Il donne la neige comme la laine ».

24. S’ils sont prédestinés, il faut qu’ils soient appelés. « Car il a appelé ceux qu’il a prédestinés ed ». Comment sont-ils appelés, et tirés de la langueur de ce corps dont ils font partie, pour recouvrer la santé ? Comment sont-ils appelés ? Écoute l’Évangile : « Ce ne sont point « les justes, mais les pécheurs, que je suis venu appeler à la pénitence ee ». Cette prédestination, quand il est neige encore, porte l’homme à connaître sa torpeur, à confesser son péché ; cette vocation l’amène à la pénitence. Dieu dès lors, « qui donne la laine comme la neige », pour s’en faire un vêtement, appelle aussi à la pénitence, et « répand les frimas comme la cendre ». Qui donc répand les frimas comme la cendre ? Celui qui donne la neige comme la laine. Il appelle à la pénitence les prédestinés, car ceux qu’il a prédestinés, dit l’Apôtre, il les a aussi appelés. Or, la cendre est le symbole de la pénitence. Écoute celui qui appelle à la pénitence, dans les, reproches qu’il fait à quelques villes : « Malheur à toi, Corozaïn ! « Malheur à toi, Bethsaïda ! Car si les prodiges accomplis au milieu de vous avaient été accomplis autrefois dans Tyr et dans Sidon, elles auraient fait pénitence dans le cilice et dans la cendre ef ». C’est donc lui qui répand les frimas comme la cendre. Qu’est-ce à dire, qu’il répand les frimas comme la cendre ? Quand on appelle un homme à connaître Dieu, et qu’on lui dit : Goûte la vérité, il commence à vouloir goûter cette vérité, mais il n’y suffit point, il se voit dans une obscurité qu’il ne remarquait point auparavant. Ce frimas ou brouillard t’apprend d’abord que tu ne sais rien, afin de t’apprendre ce qu’il faut savoir, et de te montrer que tu es trop faible pour comprendre ce qu’il est nécessaire de connaître. Car si, nonobstant ce brouillard, tu as la présomption de croire que tu sois quelque chose, l’Apôtre te dira : « Quiconque se flatte de savoir quelque chose, ne sait pas même comment il doit savoir eg » Tu n’as donc rien compris encore, tu es encore dans le brouillard. Mais il ne t’abandonne pas, celui qui allume pour toi le flambeau de sa chair. Pour ne pas errer dans le brouillard, suis-le par la foi. Mais parce que tu essaies de voir sans en être capable encore, repens-toi de tes péchés ; voilà que le brouillard est répandu comme la cendre. Conçois enfin un repentir de ton obstination coutre Dieu, conçois un vif regret d’avoir suivi tes voies dépravées. Tu sens combien il est difficile d’arriver à la vision bienheureuse ; et il te deviendra salutaire, ce brouillard que Dieu répand comme la cendre. Tu es encore un brouillard, mais comme la cendre ; car les pénitents se roulent dans la cendre, témoignant ainsi, mes frères, qu’ils ressemblent à cette poussière, et disant à leur Dieu : « Je ne suis que cendre ». On lit en effet quelque part dans l’Écriture : « Je me suis méprisé, et j’ai rougi de moi, en me comparant à la boue et à la cendre eh ». Telle est l’humilité du pénitent. Quand Abraham parle à son Dieu, et qu’il veut qu’on lui découvre l’embrasement de Sodome : « Je ne suis », dit-il, « que terre et que cendre ei ». N’est-ce point toujours cette humilité que l’on retrouve dans les grandes âmes et dans les saints ? Donc le Seigneur répand le brouillard comme la cendre ; pourquoi ? « Parce qu’il appelle ceux qu’il a prédestinés ej, lui qui n’est point « venu pour appeler à la pénitence les justes, mais les pécheurs ek ».

25. « Il envoie son cristal comme des morceaux de pain ». Il n’est pas besoin de nous fatiguer encore à expliquer ce qu’est le cristal. Nous en avons dit un mot, que sans doute votre charité n’a point oublié. Que signifie donc : « Il envoie son cristal comme des morceaux de pain el ? » De même que la neige vient de lui parce qu’elle désigne les prédestinés ; de même que le brouillard vient de lui, parce qu’il désigne ceux qu’il appelle à la pénitence après les avoir prédestinés ; ainsi le cristal lui appartient en quelque sorte. Qu’est-ce que le cristal ? Un corps très dur, fortement congelé, et qu’on ne saurait dissoudre facilement comme la neige. Cette neige de plusieurs années, durcie pendant de longs siècles, prend le nom de cristal ; et voilà ce que Dieu envoie comme des morceaux de pain. Que veut dire tout ceci ? Des pécheurs très endurcis ne sauraient plus être comparés à la neige, mais bien au cristal ; et toutefois ils sont prédestinés et appelés, quelques-uns même l’ont été de manière à nourrir les autres, à leur être utiles. Et qu’est-il besoin de vous citer ici tel ou tel que nous connaissons ? Chacun de vous peut se rappeler combien étaient endurcis, et se roidissaient contre la vérité quelques hommes qu’il a connus, et qui prêchent aujourd’hui cette même vérité ; les voilà devenus des morceaux de pain. Quel est ce pain unique ? « Quoique nous soyons plusieurs », dit l’Apôtre, « nous ne sommes qu’un en Jésus-Christ em. Nous ne sommes tous qu’un seul pain, un seul corps en ». Si donc le corps du Christ est un seul pain, ses membres sont des morceaux de pain. Il change en ses membres quelques cœurs endurcis, qu’il fait servir à la nourriture des autres. Pourquoi chercher si loin des exemples ? Il en est un bien connu, celui de l’apôtre saint Paul. Rien n’est plus connu que ce grand homme, rien de plus doux, rien de plus familier dans les saintes Écritures. S’il en est d’autres qui soient devenus du pain après avoir été endurcis comme lui, qu’au nom de saint Paul ils vous reviennent à la mémoire comme des exemples, afin d’expliquer le sens de cette parole : « Il envoie son cristal comme des morceaux de pain ». L’apôtre saint Paul était donc un cristal, un cristal dur, rebelle à la vérité, déclamant contre l’Évangile, comme pour s’endurcir contre le soleil. Il était dur ce nourrisson de la loi, disciple du docteur de la loi Gamaliel eo. Il n’écoutait ni Moïse, ni les Prophètes, qui annonçaient le Christ. Quelle dureté ! Les nations, il est vrai, n’écoutaient point les Prophètes, n’écoutaient point Moïse, elles étaient froides, mais n’étaient pas un cristal. Il était bien plus endurci, cet homme croyant aux paroles qui annoncent le Christ, et ne croyant point au Christ qu’il avait devant lui. Donc, parce qu’il était un cristal, il paraissait net et brillant, mais il était dur et fortement congelé. Comment paraissait-il net et brillant ? « Hébreu, et fils d’Hébreux, et Pharisien en ce qui regarde la loi ». C’est l’éclat du cristal. Vois maintenant combien il est dur « Quant au zèle pour le judaïsme, persécuteur de l’Église du Christ ep ». Il était, cet homme endurci, et plus endurci peut-être que tous les autres, il était parmi ceux qui lapidaient le martyr saint Étienne. Il gardait les habits de ceux qui le lapidaient, le lapidant ainsi par les mains de tous.

26. Nous comprenons donc, et la neige, et le brouillard, et le cristal : Dieu veuille souffler et les dissoudre. S’il ne le fait, s’il ne dissout lui-même une glace si dure, « qui pourra subsister sous la rigueur de son froid ? » En face de son froid ; du froid de qui ? de Dieu. D’où vient qu’il est le froid de Dieu ? Qu’il abandonne le pécheur, qu’il ne l’appelle point, qu’il ne lui ouvre point l’esprit, qu’il ne répande pas en lui sa grâce, que l’homme dissolve, s’il le peut, les glaces de sa folie. Il ne le peut. Pourquoi ne le peut-il ? « Qui pourra se maintenir en présence de son froid ? » Vois-le se durcir comme une glace, et dire : « Je sens dans mes membres une autre loi qui est contraire à la loi de l’esprit, et qui me retient captif sous la loi des péchés qui est dans mes membres. Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ? » Voilà que le froid me saisit et me glace ; quelle chaleur viendra me délier, afin de prendre ma cause ? « Qui me délivrera du corps de cette mort ? Qui pourra se maintenir en présence de son froid ? » Qui pourra se délivrer si Dieu ne le délivre ? D’où vient la délivrance ? « De la grâce de Dieu par Notre-Seigneur Jésus-Christ eq ». Écoute la grâce de Dieu, dans notre psaume : « Il envoie son cristal comme des morceaux de pain : qui pourra se maintenir en présence de son froid ? » Faut-il donc désespérer ? Loin de là. Car le Prophète continue : « Il enverra son Verbe, qui va les dissoudre er ». Arrière donc tout désespoir, et pour la neige, et pour le brouillard, et pour le cristal. La neige est en effet comme la laine dont on fait un vêtement. Le brouillard trouve le salut dans la pénitence ; puisque « Dieu appelle ceux qu’il a prédestinés es ». Quel que soit l’endurcissement des prédestinés, bien que le temps ait endurci leur glace, et les ait changés en cristal, ils ne seront point trop durs pour la divine miséricorde. « Dieu enverra son Verbe, qui va les dissoudre ». Qu’est-ce à dire, « les dissoudre ? » Ne donnons pas à cette expression une interprétation défavorable, elle signifie que Dieu les fondra, les rendra liquides. C’est en effet l’orgueil qui les endurcit ; et l’on donne avec raison à l’orgueil le nom d’engourdissement ; car tout ce qui est engourdi est froid. Or, les hommes qui ont ressenti un froid vif nous disent tous les jours : Je suis engourdi. Donc l’orgueil est un engourdissement. « Dieu enverra son Verbe et les fera couler ». Et de fait, des amas de neige se liquéfient et s’abaissent sous l’action de la chaleur. Le froid donc élève un monceau de neige, et l’orgueil élève les insensés. « Dieu enverra son Verbe, et les rendra liquides ». Voilà donc Saul qui est un cristal endurci après la mort et la lapidation d’Étienne ; son endurcissement le rendit insensible contre le Christ, et il vient demander aux prêtres des lettres contre les chrétiens, ne respirant que le meurtre. Le voilà endurci, c’est un glaçon en face du feu de Dieu. Quels que soient néanmoins son endurcissement et sa glace, voilà que celui qui envoie son Verbe, et qui les rend liquides, s’écrie avec feu du haut du ciel : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter et ? » Parole unique, et néanmoins ce cristal si dur est dissous. « Il enverra son Verbe, et les rendra liquides ». Ne désespérons pas du cristal, encore moins de la neige, ou du brouillard, Non, que le cristal ne nous désespère point. Écoutez une parole de ce même cristal : « J’ai été d’abord blasphémateur, persécuteur, insulteur ». Mais pourquoi Dieu a-t-il liquéfié ce cristal ? Pour que la neige ne désespère point d’elle-même. Car le même cristal ajoute : « J’ai obtenu miséricorde, afin que le Christ fît éclater en moi toute sa patience, et que je servisse d’exemple à ceux qui doivent croire en lui pour la vie éternelle eu ». Tel est donc le cri de Dieu aux nations : J’ai fondu le cristal, venez, ô vous qui êtes la neige. « Il enverra son Verbe, et les rendra liquides, son esprit soufflera, et les eaux couleront ». Voilà que le cristal et les neiges se dissolvent, et s’en vont en eaux ; qu’ils viennent, ceux qui ont soif, et qu’ils boivent. Saul était dur comme le cristal, et il persécuta Étienne jusqu’à la mort ; et voilà que Paul, devenu eau vive, invite les nations aux véritables sources. « Son esprit soufflera, elles eaux couleront. C’est un esprit de chaleur, et de là vient cette parole d’un autre psaume : « Seigneur, changez notre captivité, comme les torrents au souffle du Midi ev ». Jérusalem captive à Babylone était gelée en quelque sorte au souffle du Midi ; cette glace de la captivité s’est fondue, et la ferveur de la charité s’est élancée vers Dieu. « Son esprit soufflera et les eaux couleront. Il se formera en eux une source d’eau qui jaillira jusqu’à la vie éternelle ew ».

27. « Il annonce sa parole à Jacob, ses décrets et ses jugements à Israël ex ». Quels décrets et quels jugements ? Il déclare que toutes les douleurs endurées par les hommes, quand ils n’étaient que neige, ou frimas, ou cristal, est le juste châtiment de leur orgueil et de leur révolte contre Dieu, Remontons à l’origine de notre chute, et voyons combien le psaume a dit vrai quand il chante : « J’ai péché avant d’être humilié ey ». Mais celui qui dit : « J’ai péché avant d’être humilié », dit aussi « C’est pour mon bien que vous m’avez humilié, afin que j’apprenne les moyens de votre justice ez ». Ces moyens de justice, Dieu les a enseignés à Jacob, en mettant Jacob en lutte avec un ange ; et dans la personne de cet ange le Seigneur luttait lui-même. Jacob le retint, lui fit violence pour le retenir, et parvint à le retenir en effet. Dieu se laissa retenir par miséricorde, et non par faiblesse. Jacob lutta donc, et prévalut, et retint le Seigneur : et il pria celui qu’il semblait avoir vaincu, de le bénir fa. Quelle idée se faisait-il de cet adversaire contre qui il luttait, et qu’il retenait ? Pourquoi le retenir, et user ainsi de violence ? « C’est que le royaume des cieux souffre violence, et que les violents seuls peuvent le ravir fb ». Pourquoi donc lutter, sinon parce qu’il faut de grands efforts ? Pourquoi ne recouvrons-nous qu’avec peine ce que nous perdons si facilement ? C’est afin que cette peine à le recouvrer nous apprenne à ne point le perdre. Que l’homme donc s’efforce de conserver ; et il sera plus ferme à conserver ce qu’il n’aura recouvré qu’avec peine. Donc le Seigneur manifesta ses desseins à Jacob, à Israël ; et pour parler plus clairement, c’est par un juste décret du Seigneur que les justes doivent subir ici-bas les fatigues, les dangers, les chagrins et les douleurs. Celui-là seul peut dire qu’il a souffert sans sujet, bien que ce ne soit pas absolument sans sujet, puisque c’était pour nous, qui seul peut dire aussi : « Je payais ce que je n’avais point enlevé fc », qui seul peut dire : « Voici venir le prince de ce monde, et il ne trouvera rien en moi ». Comme si quelqu’un lui disait : Pourquoi donc souffrez-vous ? il ajoute : « Mais afin que tous comprennent que j’accomplis là volonté de mon Père, levez-vous, sortons d’ici fd ». Quant aux autres, qui souffrent tous pour leurs péchés, par un juste jugement de Dieu, et quand même ils souffriraient pour la justice, qu’ils ne s’arrogent pas l’honneur de souffrir innocemment comme le Christ. Écoute l’apôtre saint Pierre « Il est temps que le jugement commence par la maison du Seigneur ». Quand il exhorte les martyrs, les témoins de Dieu, à supporter avec patience les menaces et les fureurs du monde, il leur dit : « Il est temps que le jugement commence par la maison du Seigneur ; si donc il commence par nous quelle sera la fin de ceux qui ne croient point à l’Évangile ? Si le juste est à peine sauvé, où paraîtront le pécheur et l’impie fe ? Le Seigneur annonce à Jacob sa parole, ses décrets et ses justices à Israël ».

28. « Il n’a point traité ainsi toutes les nations ». Que nul ne vienne vous tromper ; on n’a prêché à aucun peuple ce secret de Dieu’ qui condamne à la douleur le juste et l’injuste, ni comment tous l’ont mérité, ni comment la grâce de Dieu délivre le juste, et non pas ses mérites. Que faisons-nous donc, si ce décret n’a été prêché à aucun peuple, mais seulement à Jacob, seulement à Israël ? Où serons-nous ? Dans Jacob, dans Israël. « Il ne leur a point manifesté ses jugements ». À qui ? À tous les peuples. Pourquoi toutes les neiges ont-elles été appelées après que le cristal a été fondu ? Comment toutes les nations ont-elles été appelées après que Paul a été justifié ? Comment, sinon afin qu’elles fussent dans Jacob ? On a coupé l’olivier sauvage pour le greffer sur l’olivier franc ff. Ils appartiennent maintenant à l’olivier ; on ne doit plus les nommer les nations, mais une seule nation en Jésus-Christ, la nation de Jacob, le peuple d’Israël. Pourquoi la nation de Jacob, la nation d’Israël ? Parce que Jacob est issu d’Isaac, et Isaac d’Abraham. Or, que fut-il dit à Abraham ? « En ta postérité seront bénies toutes les nations fg ». Cette même parole a été répétée à Isaac et à Jacob. Nous appartenons donc à Jacob, puisque nous appartenons à Isaac, nous appartenons à Abraham. Car la postérité d’Abraham, ce n’est ni moi qui le dis, ni aucun autre homme, c’est saint Paul qui le dit, cette postérité c’est le Christ. Et il ajoute : « L’Écriture ne dit point : Et dans ceux qui naîtront de vous, comme s’il y avait plusieurs ; mais elle dit, comme en parlant d’un seul : En celui qui naîtra de vous, et c’est le Christ fh ». Si donc il n’y a qu’une seule postérité, qu’un seul Jacob, qu’un seul Israël, tous les peuples ne sont qu’un seul peuple en Jésus-Christ. Ce que Dieu a révélé à Jacob et à Israël appartient donc aux nations : et l’on doit regarder comme appartenant aux autres peuples ceux-là seulement qui refusent de croire au Christ, refusent d’abandonner l’olivier sauvage et d’être entés sur l’olivier franc. Elles demeureront dans les forêts, ces branches amères et stériles. Mais que Jacob soit dans la joie. Qu’est-ce que Jacob ? Le supplantateur, car Jacob supplanta son frère fi. « Une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement, jusqu’à ce que soit entrée la plénitude des nations fj ». Jacob est donc devenu Israël. Qu’est-ce à dire Israël ? Écoutons ceci, nous tous qui sommes Israël, écoutons ; soit vous qui êtes ici parmi les membres du Christ, soit ceux qui sont au-dehors, sans être dehors néanmoins, soit ceux qui sont parmi les peuples, partout au-dehors et partout à l’intérieur. Qu’Israël écoute lui-même ce Jacob devenu Israël, Que signifie Israël ? Qui voit Dieu. Où verra-t-il Dieu ? Dans la paix. Dans quelle paix ? La paix de Jérusalem ; car c’est Dieu qui a établi tes confins dans la paix. C’est là que nous louerons le Seigneur, nous tous qui ne serons qu’un seul dans un seul et pour un seul, puisque désormais nous ne serons plus dispersés.
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