‏ Romans 7

SERMON CLIII. CONTRE LES MANICHÉENS ET LES PÉLAGIENS a.

ANALYSE. – Dans leur opposition violente à l’ancienne loi, les Manichéens prétendaient s’appuyer sur l’autorité de saint Paul même. Saint Augustin les réfute en montrant premièrement que s’ils lisaient tout le passage de saint Paul ils y trouveraient la défense formelle et, la justification de la loi qu’ils condamnent. Secondement, s’ils remarquaient dans le même texte de saint Paul, que la loi condamne la concupiscence, accuseraient-ils cette loi ? mauvaise pour condamner le vice ? Elle le condamne si ostensiblement, que l’Apôtre même, avant de l’avoir étudiée, ignorait que la concupiscence fût un vice. Troisièmement, si saint Paul reconnaît que cette connaissance du vice, donnée par la loi, fut pour lui une occasion de péché, c’est qu’il présumait de ses propres forces, lui-même l’indique et nous fait connaître ainsi le besoin que nous avons de la grâce, de cet attrait divin, si doux pour les cœurs purs. Le précepte est bien une arme pour nous défendre, mais la présomption tourne cette arme contre nous. Ayons donc pleine confiance dans la grâce de Dieu. Elle combat en nous l’inclination originelle au mal et elle est due à Jésus-Christ Notre-Seigneur.

1. Nous avons entendu chanter ; et nos cœurs en unisson aussi, bien que nos voix, nous avons chanté nous-mêmes devant notre Dieu : « Heureux l’homme que vous enseignez, Seigneur, et que vous instruisez de votre loi b ».

Faites silence, et vous m’entendrez ; la sagesse ne saurait pénétrer là où fait défaut la patience. – C’est nous qui parlons, mais c’est Dieu qui enseigne ; c’est nous qui parlons, mais c’est Dieu qui instruit. À qui est donné le titre d’heureux ? Ce n’est pas à celui que l’homme enseigne ; mais à celui que vous instruisez, Seigneur ». Nous pouvons bien planter et arroser ; mais c’est à Dieu de donner l’accroissement c. Planter et arroser, c’est travailler à l’extérieur ; donner l’accroissement, c’est agir à l’intérieur.

Le passage de l’épître du saint Apôtre, dont on vient de nous demander l’explication, est fort difficile, fort obscur, dangereux même si on ne le comprend pas ou si on le comprend mal : c’est ce que vous avez remarqué, mes frères, je n’en doute pas, j’en suis certain, lorsqu’on nous en faisait lecture. Aussi j’ai vu inquiets ceux d’entre vous qui ont remarqué simplement ces difficultés ; quant à ceux, s’il en est, qui ont compris toute la pensée de l’Apôtre, ils voient sûrement combien il est malaisé de la saisir. C’est pourtant ce passage, avec toutes ses obscurités et tous ses embarras, que nous entreprenons de discuter, avec l’aide de la miséricorde divine, parce qu’il renferme un sens qu’il est fort salutaire de pénétrer. Nous avons, je le sais, des dettes envers votre charité, et je sens que vous voulez être payés. Eh bien ! puisque nous demandons pour vous la grâce de bien comprendre, implorez pour nous celle de bien expliquer ; car si nos vœux s’unissent, Dieu vous accordera d’entendre comme il convient ; et à nous d’expliquer comme nous le devons.

2. « Lorsque nous étions dans la chair, dit donc l’Apôtre, les passions du péché, qui sont occasionnées par la loi, agissaient dans nos membres de manière à leur faire produire des fruits pour la mort ». N’est-ce pas blâmer et accuser la loi de Dieu ? et si l’on ne saisit pas la pensée de l’Apôtre, ce sens qui se présente d’abord n’est-il pas un danger formidable ? – Quel chrétien, dira-t-on, aurait jamais cette idée ? Ne faudrait-il pas plus que de la folie pour concevoir sur l’Apôtre un pareil soupçon ? – Et pourtant, mes frères, ces paroles mal comprises ont servi à exercer le délire et la folie des Manichéens. Car les Manichéens soutiennent que la loi mosaïque ne vient pas de Dieu, et ils prétendent qu’elle est contraire à l’Évangile. Se met-on à discuter avec eux ? Ils s’emparent, sans les comprendre, de ces paroles de l’Apôtre saint Paul, et cherchent à gagner par là des catholiques, plus négligents peut-être encore qu’inintelligents. Est-il donc bien difficile, quand on a entendu les accusations de ces hérétiques, de lire au moins le contexte dans l’épître même ? Il ne faudrait qu’un peu de zèle et bientôt on serait en mesure d’arrêter le babil de ces adversaires, d’abattre ces ennemis qui s’insurgent contre la loi. Eût-on de la peine à pénétrer la pensée de l’Apôtre ; on verrait sûrement en lui l’éloge formel de la loi divine.

3. Commencez par le reconnaître vous-mêmes. « Lorsque nous étions dans la chair, dit-il, les passions du péché, qui sont occasionnées par la loi, agissaient dans nos membres ». Ici déjà se dresse le manichéen, il lève fièrement la tête et s’élance impétueusement contre toi : Voilà, dit-il, « les passions du péché qui sont occasionnées par la loi ». Comment peut être bonne cette loi qui occasionne en nous les passions du péché, ces passions qui agissent dans nos membres afin de porter des fruits pour la mort ? Lis donc, lis un peu plus loin, lis le passage entier, sinon avec intelligence du moins avec patience. Tu aurais peine sans doute à comprendre ces mots : « Les passions du péché, qui sont occasionnées par la loi, agissaient dans nos membres » ; mais commence parfaire avec moi l’éloge de la loi, tu mériteras ainsi de comprendre. Quoi ! tu tiens ton cœur fermé et tu t’en prends à ta clef ? Eh bien ! mettons de côté, pour le moment, ce que nous ne saisissons pas, et lisons premièrement l’éloge formel de la loi.

« Les passions des péchés qui sont occasionnées parla loi, dit l’Apôtre, agissaient dans nos membres afin de leur faire porter des fruits pour la mort. Mais maintenant nous sommes affranchis de la loi de mort où nous étions retenus, pour servir dans la nouveauté de l’esprit et non dans la vétusté de la lettre ». Ici encore l’Apôtre semble blâmer, accuser, condamner, repousser la loi, même avec horreur ; mais c’est qu’on ne le comprend pas. Oui, ces paroles : « Lorsque nous étions dans la chair, les passions du péché qui sont occasionnées par la loi, agissaient dans nos membres de manière à leur faire porter des fruits pour la mort ; mais nous sommes affranchis de la loi de mort où nous étions retenus, pour servir, dans la nouveauté de l’esprit et non dans la vétusté de la lettre », paraissent une accusation et une condamnation de la loi. L’Apôtre s’en est aperçu lui-même, il a senti qu’il n’était pas compris et que l’obscurité de son langage jetait la confusion dans l’esprit du lecteur et l’éloignait de sa pensée ; il a vu ce que tu pourrais répliquer, ce que tu pourrais objecter, et pour t’empêcher de le dire, il l’a dit d’abord.

4. « Que dirons-nous donc ? » s’écrie-t-il immédiatement après les paroles précédentes ; « Que dirons-nous donc ? la loi péché ? loin de là ». Ce seul mot suffit pour absoudre la loi et pour condamner celui qui l’accuse. Tu t’appuyais contre moi, ô Manichéen, sur l’autorité de l’Apôtre, et pour dénigrer la loi tu me disais : Écoute, lis l’Apôtre : « Les passions du péché, occasionnées par la loi, agissaient dans nos membres de manière à leur faire porter des fruits pour la mort ; mais aujourd’hui nous sommes affranchis de la loi de mort qui pesait sur nous pour obéir dans la nouveauté de l’esprit et non dans la vétusté de la lettre ». Ainsi te vantais-tu ; tu criais, tu disais : Écoute, lis, vois, et tournant promptement le dos, tu cherchais à t’échapper. Attends : je t’ai écouté, écoute-moi ; ou plutôt ne nous écoutons ni l’un ni l’autre, mais tous deux écoutons l’Apôtre : vois comme en – se justifiant il te condamne.

« Que dirons-nous donc ? » demande-t-il : « La loi péché ? » C’est ce que tu prétendais ; tu disais réellement que la loi est péché ». Oui, voilà ce que tu soutenais, voici maintenant ce qu’il te faut soutenir. Tu, accusais donc de péché la loi de Dieu, quand tu la censurais en aveugle et en téméraire. Tu t’égarais ; Paul s’en est aperçu, et il a pris ton langage. « Que dirons-nous donc ? La loi est-elle péché ? » Disons-nous comme toi que la loi est péché ? loin de là ». – Si donc tu t’attachais à l’autorité de l’Apôtre, pèse ces mots et avise ensuite. Écoute : « La loi péché ? loin de là ». Écoute ce « loin de là ». Oui, si tu es disciple de cet Apôtre, si tu as une haute idée de son autorité, écoute ce loin de là », et éloigne toi-même ton sentiment. « Que dirons-nous donc ? » Que conclurons-nous ? Si j’ai dit : « Les passions du péché, occasionnées par la loi, agissaient dans nos membres, afin de leur faire porter des fruits pour la mort » ; si j’ai dit : « Nous sommes affranchis de la loi de mort qui pesait sur nous » ; si j’ai dit : « Obéissons dans la nouveauté de l’esprit et non dans la vétusté de la lettre », s’ensuit-il que « la loi est péché ? loin de là ». Pourquoi donc, ô Apôtre, avoir dit tout ce que vous venez de dire ?

5. Non, la loi n’est pas péché. « Toutefois je n’ai connu le péché que par la loi ; car je ne connaîtrais pas la concupiscence, si la loi ne disait : Tu ne convoiteras point ». À mon tour maintenant de t’interroger, Manichéen ; je t’interroge, réponds-moi. Comment appeler mauvaise une loi qui dit : « Tu ne convoiteras point ? » Un débauché même, l’homme le plus dégradé ne l’affirmera jamais. Les libertins en effet ne rougissent-ils pas quand on les reprend, et ne craignent-ils pas de s’abandonner à leurs infamies au sein d’une compagnie honnête ? Ah ! si tu condamnes cette loi qui crie : « Tu ne convoiteras point », c’est que tu voudrais convoiter impunément ; tu ne l’accuses que parce qu’elle réprime tes passions. Mes frères, quand nous n’entendrions pas ces mots de l’Apôtre : « La loi péché ? loin de là » ; mais seulement cette citation de la loi : « Tu ne convoiteras pas » ; oui, quand même il ne ferait pas l’éloge de la loi, nous devrions le faire ; nous devrions la louer et nous condamner. N’est-ce pas cette loi, n’est-ce pas cette autorité divine qui crie aux oreilles de l’homme : « Tu ne convoiteras point ? » – « Tu ne convoiteras pas » ; blâme cela, si tu le peux, et si tu ne le peux, mets-le en pratique. « Tu ne convoiteras point » ; tu n’oses condamner cette défense. Elle est donc bonne, et la concupiscence est mauvaise. Ainsi la loi interdit le mal, la loi te défend ce qui ferait ton mal. Oui la loi défend la convoitise comme un mal et comme ton mai. Fais ce qu’elle ordonne, évite ce qu’elle défend, garde-toi de la concupiscence.

6. Que dit pourtant encore l’Apôtre ? Je ne connaîtrais pas la concupiscence, si la loi ne disait : Tu ne convoiteras point ». J’allais à la remorque de ma convoitise, je courais où elle m’entraînait, et je regardais comme un grand bonheur de jouir de ses séductions et de ses embrassements charnels. La loi même ne dit-elle pas : « On glorifie le pécheur des désirs de son âme, et on bénit l’artisan d’iniquités d ? » – Voici un homme qui se livre en esclave et tout entier aux passions charnelles ; partout il guette le plaisir, la fornication et l’ivresse : je n’en dis pas davantage, j’énumère simplement la fornication et l’ivresse, ce qu’interdit la loi de Dieu et ce que n’interdisent pas les lois humaines. Qui jamais, en effet, fut traduit devant un juge pour avoir pénétré dans la demeure d’une prostituée ? Qui jamais a été accusé devant les tribunaux de s’être livré à la débauche et à l’impureté avec ses actrices ? Quel mari a été dénoncé pour avoir violé sa servante ? Je parle de la terre et non du ciel, des lois du monde et non des lois du Créateur du monde. On va même jusqu’à proclamer heureux ces voluptueux, ces débauchés et ces infâmes, à cause des plaisirs qu’ils se procurent en abondance, et des délices dont ils jouissent. Que dis-je ? S’ils se gorgent de vin, si sans mesure ils boivent des mesures, on ne se contente pas de ne les pas accuser, on vante leur courage ; hommes, hélas ! d’autant plus abjects qu’ils tremblent moins sous le poids de la boisson.

Or, pendant qu’on les loue de tels actes, pendant qu’on vante leur félicité, leur grandeur, leur bien-être ; pendant que loin de regarder tout cela comme coupable, on ose le considérer soit comme une faveur du ciel, soit au moins comme un bien agréable, délicieux et innocent, apparaît tout à coup la loi de Dieu qui s’écrie : « Tu ne convoiteras point ». Cet homme donc qui considérait comme un grand bien, comme une grande félicité de ne refuser à la concupiscence rien de ce qu’il pouvait lui accorder et de suivre tous ses attraits, entend alors cette défense : « Tu ne convoiteras pas », et il apprend que la convoitise est un péché. Dieu a parlé, l’homme a entendu, il a cru, il connaît le péché, il considère comme mal, ce qui était bien à ses yeux ; il veut réprimer la convoitise, n’en être plus l’esclave ; il se retient, il fait effort, mais le voilà vaincu. Hélas ! il ne connaissait pas son mal, et il ne l’a appris que pour être plus honteusement vaincu, car il est non-seulement pécheur, mais encore prévaricateur. Sans doute il péchait auparavant ; mais il ne se croyait pas pécheur avant d’entendre la loi. La loi lui a parlé, il connaît le péché ; en vain il travaille à vaincre, il est battu, il est renversé, et de pécheur qu’il était à son insu, le voilà prévaricateur de la loi. C’est la doctrine contenue dans ces mots de l’Apôtre : « La loi péché ? loin de là. Cependant je n’ai connu le péché que par la loi ; car je ne connaîtrais pas la concupiscente, si la loi ne disait : Tu ne convoiteras point ».

7. « Or, prenant occasion du commandement, le péché a opéré en moi toute concupiscence ». La concupiscence était moindre quand, avant la loi, tu péchais sans inquiétude ; maintenant que la loi dresse devant toi ses digues, ce fleuve de convoitise semble contenu tant soit peu ; hélas ! il n’est point à sec, et les vagues qui t’entraînaient avant qu’il y eût des digues, grossissant de plus en plus, rompent les digues et t’engloutissent. Oui la concupiscence était moindre en toi quand elle ne faisait que te porter au plaisir ; n’est-elle pas à son comble, maintenant qu’elle foule aux pieds la loi même ? Veux-tu avoir une idée de sa violence ? Vois comme elle se joue de cette défense : « Tu ne convoiteras point ! » Cette défense toutefois ne vient pas d’un homme, d’un être quelconque ; elle vient de Dieu même, du Créateur, du juge éternel. Respecte-la donc. Tu n’en fais rien. Remarque que le législateur est aussi ton juge. Mais que feras-tu devant lui, malheureux ? Si tu n’as pas vaincu, c’est que tu t’es confié en toi.

8. Aussi bien remarque les paroles qui précèdent et qui te semblaient obscures : « Lorsque nous étions dans la chair ». Oui remarquez bien ces paroles, les premières de ce passage qui nous paraissait obscur : « Lorsque nous étions dans la chair, les passions du péché, occasionnées par la loi ». Comment étaient-elles occasionnées par la loi ? Parce que nous étions dans la chair. Qu’est-ce à dire, « nous étions dans la chair ? » Nous présumions de la chair. En effet, lorsque l’Apôtre tenait ce langage, avait-il déjà quitté cette chair ou s’adressait-il à des hommes que la mort en eût fait sortir ? Non sans doute, mais lui et eux étaient dans cette chair comme on y est durant cette vie. Que signifie alors : « Lorsque nous étions dans cette chair », sinon lorsque nous présumions de la chair, autrement, de nous-mêmes ? N’est-ce pas à des hommes, à tous les hommes que s’adressaient ces mots : « Toute chair verra le Sauveur envoyé par Dieu e ? » Or que veut dire : « Toute chair », sinon tout homme ? Que veut dire également : « Le Verbe s’est fait chair f », sinon : Le Verbe s’es, fait homme ? Le Verbe en effet n’a pas pris une chair sans âme ; la chair désigne l’homme datas cette phrase : « Le Verbe s’est fait chair ». Ainsi donc, « lorsque nous étions dans la chair », en d’autres termes, lorsque nous nous livrions aux convoitises de la chair et que nous placions tout notre espoir dans la chair ou dans nous, « les passions du péché, occasionnées par la loi », durent à la loi même un nouvel accroissement. La défense de la loi n’a servi qu’à rendre prévaricateur, et on est devenu prévaricateur pour ne s’être pas appuyé sur Dieu. « Elles agissaient donc dans nos membres, afin de leur faire porter du fruit, pour qui ? pour la mort ». Mais si le pécheur devait être condamné, que peut-il espérer, une fois devenu prévaricateur ?

9. Si donc, ô mortel, tu es vaincu par la concupiscence, si tu es vaincu par elle, c’est que tu occupais un terrain désavantageux ; tu étais dans ta chair, voilà pourquoi tu as été battu. Quitte ce poste funeste. Que crains-tu ? Je ne te dis pas : Meurs. Ne crains pas, si je t’ai dit : Quitte la chair. Je ne te dis pas de mourir, et pourtant je t’invite à mourir. Si vous êtes morts avec le Christ, cherchez ce qui est en haut. Tout en vivant dans la chair, ne reste pas dans la chair. « Toute chair n’est que de l’herbe, tandis que le Verbe de Dieu subsiste éternellement g ». Réfugie-toi dans le sein du Seigneur. La concupiscence s’élève, elle te presse, elle acquiert de nouvelles forces, la défense même de la loi redouble sa vigueur, tu as affaire à un ennemi terrible : ah ! réfugie-toi dans le sein du Seigneur, qu’il soit pour toi, en face de l’ennemi, une forte tour de défense h. Ne reste donc pas dans ta chair, mais vis dans l’Esprit. Qu’est-ce à dire ? Place en Dieu ta confiance. Eh ! si tu la plaçais en ton esprit d’homme, cet esprit retomberait bientôt dans la chair pour n’avoir pas été confié par toi à celui qui peut le soutenir ; car il rie peut se soutenir si on ne le soutient. Ne reste pas en toi, monte au-dessus de toi et te place dans celui qui t’a fait. Avec la confiance en toi-même, tu deviendras prévaricateur de la loi qui te sera donnée. L’ennemi effectivement te trouve sans asile et il se jette sur toi ; prends garde qu’il ne t’enlève comme un lion dévorant, sans que personne t’arrache à lui i ; sois attentif à ces paroles où, tout en louant la loi, l’Apôtre s’accuse, se reconnaît coupable sous l’autorité de la loi, et te représente peut-être dans sa personne : « Je n’ai connu, te dit-il, le péché que par la loi ; car je ne connaîtrais pas la concupiscence, si la loi ne disait : « Tu ne convoiteras point. Or, prenant occasion du commandement, le péché a excité en moi toute concupiscence ; car, sans la loi, le péché était mort ». Que signifie cette mort ? Que le péché est inconnu, qu’on n’en voit point, qu’on n’y pense pas plus qu’à un cadavre enseveli. « Mais quand est venu le commandement, le péché a revécu ». Qu’est-ce à dire encore ? Que le péché a commencé à se montrer, à se faire sentir, à s’insurger contre moi.

10. « Et moi je suis mort ». Qu’est-ce à dire ? Je suis devenu prévaricateur. « Et il s’est trouvé que ce commandement qui devait me donner la vie ». Remarquez cet éloge de la loi : « le commandement qui devait me donner la vie ». Quelle vie, d’être sans convoitise ! Oh ! quelle douce vie ! Il y a du plaisir dans la convoitise, c’est vrai, et les hommes ne s’y abandonneraient pas s’ils n’y en trouvaient. Le théâtre, les spectacles, les amours lascifs, les chants efféminés plaisent à la convoitise ; la convoitise y trouve des jouissances, des agréments, des délices ; mais les impies m’ont parlé de leurs plaisirs, et ils ne sont pas comme votre loi, Seigneur j ». Heureuse l’âme qui goûte ces délices de la loi divine, où rien de honteux ne souille, où le pur éclat de la vérité sanctifie.

Celui toutefois qui aime ainsi la loi de Dieu et qui l’aime au point de dédaigner tous les plaisirs charnels, ne doit pas s’attribuer les délices de cet amour : « C’est le Seigneur qui répandra la suavité k ». Laquelle demanderai-je, Seigneur ? Dirai-je indistinctement l’une ou « l’autre ? Vous êtes doux, Seigneur, et dans votre suavité enseignez-moi vos justices l ». Enseignez-moi dans votre suavité ; car vous m’enseignez alors, et lorsque vous m’enseignez ainsi dans votre suavité, j’apprends véritablement à pratiquer. Il est vrai, quand l’iniquité a pour l’âme encore des attraits et des charmes, la vérité semble amère. Oh ! « enseignez-moi avec votre suavité » ; et pour me faire aimer la vérité, que votre onction si douce me remplissez de mépris pour l’iniquité. Il y a dans la vérité infiniment plus de valeur et plus de charmes ; mais pour goûter ce pain délicieux, il faut jouir de la santé. Est-il rien de meilleur et de plus précieux que le pain céleste ? Il faut néanmoins que l’iniquité n’ait point agacé les dents. « Comme le raisin vert est aux dents et la fumée aux yeux, dit l’Écriture, ainsi le péché à ceux qui s’y abandonnent m ». Que vous sert donc de louer le pain du ciel, si vous vivez mal ; puisqu’en le louant vous n’en mangez pas ? Il est bien d’écouter la parole sainte, d’écouter et de louer la parole de justice et de vérité : il est mieux encore de la pratiquer. Pratique-la, puisque tu en fais l’éloge. Diras-tu : Je le voudrais, mais je ne le puis ? Pourquoi ne le peux-tu ? C’est que tu n’as pas la santé. Mais comment l’as-tu perdue, sinon en offensant le Créateur par tes crimes ? Afin donc de pouvoir manger avec plaisir et conséquemment en pleine santé ce pain divin que tu vantes, écrie-toi : « J’ai dit : Seigneur, ayez pitié de moi ; guérissez mon âme, car j’ai péché contre vous n ».

Voilà dans quel sens « il s’est trouvé que le commandement qui devait me donner la vie, m’a causé la mort ». Le pécheur, avant le commandement, ne se connaissait pas ; depuis, il est devenu ostensiblement prévaricateur. Ainsi a-t-il rencontré la mort dans ce qui devait lui communiquer la vie.

11. « Ainsi le péché, prenant occasion du commandement, m’a séduit, et par lui m’a tué ». C’est ce qui est arrivé d’abord dans le paradis. « Le péché m’a séduit en prenant occasion du commandement ». Remarque le langage insinuant du serpent à la femme. Il lui demande ce que Dieu leur a prescrit. « Dieu nous a dit, répond-elle : Vous mangerez de tous les arbres qui sont dans le paradis, mais vous ne toucherez pas à l’arbre de la science du bien et du mal ; autrement, vous mourrez de mort ». Tel est le précepte divin. Le serpent, au contraire : « Non », dit-il, « vous ne mourrez pas de mort. Car Dieu savait que le jour où vous mangerez du fruit de cet arbre, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux o – Ainsi, « prenant occasion du commandement, le péché m’a trompé, et par lui m’a tué ». Ton ennemi t’a mis à mort avec l’épée que tu portais ; avec tes propres armes il t’a vaincu, avec elles il t’a égorgé. Reprends en main ce commandement, et sache que c’est une arme pour ôter la vie à ton ennemi et non pour être abattu par lui. Mais garde-toi de présumer de tes forces. Vois le petit David en face de Goliath, l’enfant en face du géant. Cet enfant se confie au nom du Seigneur. « Tu viens à moi, dit-il, avec le bouclier et la lance ; pour moi je t’aborde au nom du Seigneur tout-puissant p ». Voilà, voilà par quel moyen il renverse ce colosse, il n’en triomphe pas autrement, et cet homme qui s’appuie sur sa force tombe avant même de combattre.

12. Remarquez cependant, mes bien-aimés, remarquez de plus en plus que l’apôtre Paul, pour condamner l’aveuglement des Manichéens, fait l’éloge le plus manifeste de la loi divine. Il ajoute en effet : « Ainsi la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon ». Que se peut-il ajouter à cet éloge ? Par ce mot : « Loin de là », saint Paul avait précédemment repoussé une accusation, mais sans louer la loi ; autre chose effectivement est de réfuter un reproche et autre chose de décerner des louanges méritées. Voici le reproche : « Que dirons-nous donc ? La loi péché ? » En voici la réfutation : « Loin de là ». Ce seul mot suffit pour soutenir la vérité, attendu la grande autorité du défenseur. Pourquoi en dirait-il davantage ? C’est assez de prononcer : « Loin de là ! » – « Voulez-vous, dit-il ailleurs, faire l’expérience de Celui qui parle en moi, du Christ q ? » Il fait maintenant davantage : « Ainsi la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon ».

13. « Ce qui est bon est donc devenu pour moi la mort ? Loin de là » ; car ce qui est bon n’est pas la même chose que la mort. « Mais le péché, pour se montrer péché, a, par ce qui est bon, opéré pour moi la mort ». Ce n’est pas la loi, c’est le péché qui est la mort. Il avait dit précédemment : « Sans la loi le péché est mort » ; et je vous faisais observer que le péché mort signifiait ici le péché caché, le péché inconnu. Avec quelle exactitude dit-il maintenant, au contraire : « Le péché, pour se montrer péché ! » Comment, « pour se montrer péché? » C’est que j’ignorerais la concupiscence, si la loi ne disait : « Tu ne convoiteras point ». Nous ne lisons pas. Je ne ressentirais point la concupiscence, mais : « J’ignorerais la concupiscence ». Ici également nous ne lisons pas : Le péché pour exister, mais : « Le péché, pour se montrer péché, a, par ce qui est bon, opéré pour moi la mort ». Quelle mort ? De sorte que c’est pécher au-delà de toute mesure, puisque c’est pécher par le commandement même ». Remarquez : « C’est pécher au-delà de toute mesure ». Pourquoi « au-delà de toute mesure ? » Parce que c’est ajouter la prévarication au péché, « la prévarication n’existant pas, quand il n’y a point de loi r ».

14. Aussi considérez, mes frères, considérez que le genre humain prend sa source dans cette première mort du premier homme, car c’est par le premier homme que « le péché est entré dans ce monde, et par le péché la mort qui a passé à tous les hommes s ». Remarquez bien cette expression : « qui a passé » ; examinez-en le sens avec attention. « La mort a passé à tous les hommes » ; voilà ce qui rend coupable le petit enfant : il n’a point commis, mais il a contracté le péché. Le premier péché, effectivement, ne s’est pas arrêté à sa source, « il a passé », non pas à celui-ci ou à celui-là, mais « à tous les hommes ». Le premier pécheur, le premier prévaricateur a engendré des pécheurs condamnés à mort. Le Sauveur pour les guérir est né d’une Vierge. Il n’est donc pas venu à toi par le chemin que tu as suivi, puisqu’il n’est pas né de l’union des sexes, de l’esclavage de la concupiscence. « L’Esprit-Saint surviendra en toi », fut-il dit à la Vierge. Il lui fut dit avec toute la chaleur de la foi et non avec les ardeurs de la convoitise charnelle : « L’Esprit-Saint surviendra en toi, et la vertu du Très-Haut te couvrira de son ombre t ». Comment, sous un tel ombrage, brûler des flammes de la passion ? Eh bien ! c’est précisément parce qu’il n’est pas venu dans ce monde par la même route que toi, que le Sauveur te peut délivrer. En quel état t’a-t-il trouvé ? Tu étais vendu comme esclave au péché, frappé de la même mort que le premier homme, enveloppé dans son péché et coupable avant d’avoir ton libre arbitre. Voilà en quelle situation ton Rédempteur t’a trouvé quand tu étais tout petit encore. Mais aujourd’hui tu n’es plus enfant ; tu as grandi, tu as ajouté de nombreux péchés au premier péché ; la loi t’a été donnée et tu es devenu prévaricateur.

Prends garde pourtant au découragement Où le péché a abondé, a surabondé la grâce u ».

Tournons-nous vers le Seigneur, etc. (Voir tom. 6, serm. I.)

SERMONS DE SAINT AUGUSTIN.

PREMIÈRE SÉRIE. SERMONS DÉTACHÉS SUR DIVERS PASSAGES DE L’ÉCRITURE SAINTE. (SUITE).

SERMON CLI. LUTTER CONTRE LA CONVOITISE DE LA CHAIR v.

ANALYSE. – Il importe de bien comprendre le passage où l’Apôtre saint Paul enseigne qu’il ne fait pas le bien qu’il veut et qu’il fait le mal qu’il ne veut pas ; car plusieurs en abusent et se perdent. Rappelons-nous donc que pour être éternellement couronnés, nous devons faire maintenant la guerre. En quoi consiste cette guerre ? À ne pas consentir, à résister aux mouvements désordonnés que produisent en nous soit les habitudes mauvaises, soit le péché originel. Il serait mieux de ne sentir pas ces mouvements de convoitise, car en eux-mêmes ils sont pervers, ils sont un mal. Mais dans l’impossibilité de les éteindre ici-bas, il faut n’y pas consentir, à l’exemple de l’Apôtre ; car ce sont ces mouvements qu’il ressentait malgré lui et qu’il ne parvenait pas à étouffer. Or, pour les combattre il faut lutter et prier. Ainsi méritera-t-on la couronne.

1. Toutes les fois qu’on répète cette divine leçon de l’une des épîtres de saint Paul, il est à craindre qu’on ne la comprenne mal et qu’elle ne soit un sujet de scandale pour ceux qui en cherchent l’occasion. Les hommes, hélas ! sont si portés au mal, qu’ils y résistent difficilement. Aussi beaucoup s’y livrent-ils quand ils ont entendu ces paroles de l’Apôtre

Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je hais ». Humiliés ensuite d’avoir fait le mal, ils se rassurent au souvenir de ces mots apostoliques : « Je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je hais ». Comme on lit ces paroles de temps en temps, nous sommes alors obligés de les examiner à fond : on pourrait en les prenant mal changer en poison cet aliment salutaire. Que votre charité se montre donc attentive, pendant que je vous dirai ce que le Seigneur me suggérera ; et si vous me voyez embarrassé dans l’explication de quelques paroles difficiles et obscures, secondez-moi par vos sentiments de piété.

2. Rappelez-vous d’abord, comme on vous le répète souvent par la grâce de Dieu, que la vie présente du juste est un combat et non pas encore le triomphe. Plus tard viendra le triomphe assuré à cette guerre. Aussi lit-on dans l’Apôtre et les cris de guerre et les chants de triomphe. Les cris de guerre, nous venons de les entendre encore : « Je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je hais. Or, si je fais le mal que je hais, j’acquiesce à la loi comme étant bonne. Le vouloir w réside en moi, mais en moi je ne trouve pas à accomplir le bien. Et je vois dans mes membres une autre loi qui combat la loi de mon esprit et me captive sous la loi du péché, laquelle est dans mes membres ». Ces mots de combat et de captivité ne désignent-ils pas la guerre ?

Ce ne sont donc pas encore les chants de triomphe, mais ils viendront un jour, et c’est ce que nous apprend l’Apôtre en ces termes : « Il faut que ce corps corruptible revête l’incorruptibilité, et que ce corps mortel revête l’immortalité. Alors », voici le chant de triomphe, s’accomplira cette parole de l’Écriture : La mort est abîmée dans sa victoire ». Criez, triomphateurs : « O mort, où est ton ardeur guerrière x ? » Ainsi nous prononcerons ces mots, nous les prononcerons un jour, et ce jour n’est pas éloigné, car le monde ne durera plus autant qu’il a duré.

Tel sera alors notre langage ; mais aujourd’hui, pendant que nous sommes en guerre, il est à craindre que ce langage mal compris ne soit pour l’ennemi et non pour nous le cri de la trompette et n’excite son ardeur au lieu de préparer sa défaite. Examinez-le donc avec soin, mes frères, et vous qui luttez, luttez toujours. Car pour vous qui ne combattez point, vous ne me comprendrez pas : je ne serai entendu que de ceux d’entre vous qui combattent. Ma voix se fera entendre au-dehors ; une autre voix vous parlera silencieusement au dedans.

Rappelez-vous d’abord un passage de l’épître aux Galates qui peut jeter beaucoup de lumière sur celui-ci. L’Apôtre s’adresse aux fidèles à ceux qui ont reçu le baptême et dont par conséquent tous les péchés avaient été effacés dans ce bain salutaire ; mais ils combattaient encore et saint Paul leur dit : « Je vous le déclare : marchez selon l’Esprit et n’accomplissez pas les désirs de la chair ». Il ne dit point : N’éprouvez pas ; mais : « N’accomplissez pas ». Pourquoi « n’accomplissez pas ? » Le voici dans ce qui suit : « Car la chair convoite contre l’Esprit, et l’Esprit contre la chair ; ils sont opposés l’un à l’autre, et vous ne faites pas ce que vous voulez. Que si vous êtes conduits par l’Esprit, vous n’êtes plus sous la loi y » ; non, mais sous la grâce. « Si vous êtes conduits par l’Esprit », qu’est-ce à dire ? Être conduit par l’Esprit, c’est suivre les ordres de l’Esprit de Dieu et non les convoitises de la chair. La chair toutefois continue à convoiter et à résister ; elle veut une chose et tu n’en veux pas ; continue à n’en pas vouloir.

3. Tu dois cependant désirer devant Dieu de ne ressentir pas cette concupiscence à laquelle il te faut résister. Remarquez bien cette pensée. Oui, tu dois désirer devant Dieu de ne ressentir plus cette concupiscence à laquelle tu es obligé de résister. Tu y résistes sans doute, et en n’y consentant pas tu es vainqueur : mieux vaudrait toutefois n’avoir pas d’ennemi que de le vaincre. Un jour tu n’auras plus celui-ci. Rappelle-toi, pour t’en convaincre, ce chant de triomphe : « O mort, où est ton ardeur guerrière ? » Elle n’en aura plus. « O mort, où est ton aiguillon ? » Tu en chercheras la place sans la trouver. Considérez, en effet, considérez avec grand soin que le mal n’est pas en nous une seconde nature, comme le rêve la folie manichéenne. Le mal est une maladie, un défaut de notre nature ; ce n’est point quelque chose qui subsiste à part, car une fois guéri il n’existera nulle part.

« N’accomplissez donc pas les désirs de la chair ». Mieux vaudrait sans doute n’en avoir point, comme le recommande la loi z, car cette absence de convoitise est la suprême vertu, la justice parfaite, la palme de la victoire. Mais puisqu’on ne peut maintenant y arriver, qu’on soit fidèle au moins à cette recommandation de l’Écriture : « Ne suis pas tes convoitises aa » : il serait préférable de n’en pas avoir, mais comme tu en as, garde-toi d’aller à leur remorque. Elles refusent de te suivre ; ne les suis pas. Si elles voulaient t’obéir, c’en serait fait d’elles, puisqu’elles ne se soulèveraient plus contre ton esprit. Elles se soulèvent, soulève-toi : elles t’attaquent, attaque-les : elles luttent, lutte aussi ; prends garde seulement d’être vaincu par elles.

4. Pour jeter plus de lumière sur ce sujet, je vais faire une supposition. Vous savez qu’il y a des hommes sobres, hier, peu, il est vrai, mais pourtant il en est. Vous savez aussi qu’il y a des ivrognes, trop nombreux, hélas ! Un homme sobre vient de recevoir le baptême ; sous le rapport de l’ivrognerie il n’a point de combat à livrer ; mais il en a sous d’autres rapports. Afin de te faire une idée de ces luttes à soutenir contre d’autres passions, assistons ici à la guerre que te fait l’une d’elles. Un ivrogne donc vient aussi de recevoir le baptême ; il a appris et appris avec crainte qu’au nombre des vices qui ferment aux pécheurs l’entrée du royaume de Dieu, figure l’ivrognerie. En effet dans le passage où il est dit « que ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les abominables, ni les voleurs ne posséderont le royaume de Dieu », il est dit aussi : « Ni les ivrognes ab ». Il a donc entendu cela avec frayeur. Le voilà baptisé ; tous ses anciens péchés d’ivrognerie lui sont pardonnés : mais il lui reste la mauvaise habitude et il doit après sa régénération lutter contre elle. Tout dans le passé lui est remis : à lui maintenant d’être sur ses gardes, de veiller et de combattre pour ne plus s’enivrer. Mais voici de nouveau le désir de boire, il frappe au cœur, il dessèche le palais, il se fait sentir partout, il veut même, s’il le peut, franchir la muraille sous laquelle le baptisé se tient à l’abri, afin de l’entraîner captif. Il t’attaque, attaque-le à ton tour. Ah ! si seulement il n’était plus ! C’est l’habitude mauvaise qui l’a formé, l’habitude contraire le détruira. Garde-toi de le satisfaire, de lui rien céder pour l’apaiser : résiste plutôt pour l’abattre. Tant qu’il existera, c’est un ennemi pour toi. Si tu ne l’écoutes pas, si jamais tu ne t’enivres, il ira s’affaiblissant chaque jour. C’est en t’y soumettant que tu le fortifies ; oui, si tu cèdes et que tu te laisses aller à l’ivresse, tu lui donnes des forces ; est-ce contre moi et non contre toi ?

Pour moi, je crie, j’avertis, j’instruis du haut de ce siège, je préviens les ivrognes des maux qui les menacent. Tu ne pourras pas dire : Je n’ai pas entendu ; tu ne pourras pas dire : À celui qui ne m’as pas averti de rendre compte de mon âme à Dieu. Il est vrai, tu as du mal pour avoir donné de la vigueur à ton ennemi par l’habitude perverse à laquelle tu t’es laissé aller. Pour le nourrir tu n’as point pris de peine : prends-en pour le vaincre ; et si tu n’es pas de taille à lutter contre lui, adresse-toi à Dieu. Si néanmoins il ne triomphe pas de toi, si tout en combattant contre toi l’habitude perverse ne parvient pas à te vaincre, en toi se réalise cette recommandation de l’apôtre Paul : « N’accomplissez point les désirs de la chair ». La convoitise s’est bienfait sentir en toi ; mais en ne buvant pas tu n’as point accompli ses désirs.

5. Ce que j’ai dit de l’ivrognerie s’applique à tous les vices, à toutes les passions. Il en est que nous avons apportées en naissant, la coutume nous en a formé d’autres. C’est à cause des premières qu’on baptise les enfants ; on veut les décharger de la culpabilité transmise par la naissance et non pas contractée par l’habitude perverse, puisqu’ils ne l’ont point. Aussi faut-il combattre toujours, attendu que cette funeste convoitise originelle ne saurait jamais disparaître durant la vie présente : on peut l’affaiblir chaque jour, on ne saurait l’anéantir. C’est elle qui fait nommer notre corps un corps de mort ; c’est d’elle que parle l’Apôtre quand il dit : « Je me complais dans la loi de Dieu selon l’homme intérieur ; mais je vois dans mes membres une autre loi qui combat la loi de mon esprit et me captive sous la loi du péché, laquelle est dans mes membres ».

Or cette loi s’est produite à la transgression de la loi première. Je me répète : cette loi s’est produite quand on a méprisé et transgressé la loi première. Qu’est-ce que la loi première ? C’est la loi que reçut l’homme dans le paradis. Ce couple n’était-il pas nu, sans en rougir ? Mais pourquoi était-il nu sans en rougir, sinon parce qu’il ne sentait pas encore dans ses organes cette loi qui combat la loi de l’esprit ? L’homme, hélas ! a fait un acte digne de châtiment, et voilà aussitôt des mouvements qui le couvrent de confusion. Ces deux premiers humains violèrent la défense divine en mangeant ; aussitôt leurs yeux s’ouvrirent. Est-ce donc à dire qu’ils erraient auparavant dans le paradis en aveugles ou les yeux fermés ? Nullement. Comment en effet Adam aurait-il pu donner des noms aux oiseaux et aux animaux des champs, lorsqu’ils furent amenés en sa présence ac ? Comment leur donner des noms, s’il ne les voyait pas ? De plus, il est dit que « la femme regarda l’arbre et qu’à ses yeux il était agréable à voir ». Ils avaient donc les yeux ouverts ; et pourtant ils étaient nus sans en rougir. Si donc leurs yeux s’ouvrirent, c’est qu’ils sentirent quelque chose de nouveau, quelque chose qui ne leur avait pas fait peur encore dans les mouvements de leur corps. Ainsi leurs yeux s’ouvrirent pour remarquer et non pour voir ; et sitôt qu’ils sentirent la confusion, ils s’empressèrent de la couvrir. « Ils entrelacèrent des feuilles de figuier et s’en firent des ceintures ad ». Le mal était dans ce qu’ils couvrirent. De là vient le péché originel ; de là vient que personne ne naît exempt de péché. De là vient que le Seigneur ne voulut pas être conçu comme nous, mais d’une Vierge. Exempt de ce péché, il nous en délivre, car il ne vient pas de ce principe. Voilà pourquoi deux Adams : l’un donne la mort et l’autre donne la vie ; le premier tue et le second ressuscite. Pourquoi le premier tue-t-il ? parce qu’il n’est qu’un homme. Pourquoi le second rend-il la vie ? parce qu’il est un Homme-Dieu.

6. C’est ainsi que l’Apôtre ne fait pas ce qu’il veut. Il voudrait ne sentir pas de convoitise, il en sent ; ce qu’il veut, il ne le fait donc pas. Mais cette convoitise funeste traînait-elle l’Apôtre, comme un esclave, aux fornications et à l’adultère ? Loin de là ; ah ! que de telles pensées ne s’élèvent pas dans notre cœur. Il combattait, mais il ne portait pas le joug ; et s’il disait : « Je ne fais pas ce que je veux », c’est qu’il aurait voulu n’avoir pas à lutter. Je ne veux pas de convoitise et j’en ressens. Ainsi je ne fais pas ce que je veux, et pourtant je ne consens pas aux désirs coupables. Dirait-il : « N’accomplissez pas les désirs de la chair », si lui-même les accomplissait ? » Il t’a donc mis devant les yeux la lutte qu’il soutenait, afin de te préserver de la peur quand tu combats toi-même. Si ce bienheureux Apôtre ne l’avait pas fait, peut-être qu’en voyant, tout en n’y consentant pas, la convoitise s’élever dans tes organes, tu te désespérerais et tu t’écrierais : Ah ! je n’éprouverais pas cela, si j’appartenais à Dieu. Considère l’Apôtre : il combat ; garde-toi du découragement. « Dans mes membres, « dit-il, je vois une autre loi qui combat la loi de mon esprit ». Mais je voudrais qu’elle ne combattît point ; car c’est ma chair, c’est moi, c’est une partie de moi-même. De là vient que je ne fais pas ce que je veux, mais le mal que je hais » ; je ressens la concupiscence.

7. Quel est alors le bien que je fais ? C’est de ne consentir pas à la passion. Je fais le bien, sans l’accomplir ; et sans accomplir le mal aussi, la passion qui me persécute fait le mal. Comment puis-je dire que je fais le bien sans l’accomplir ? Je fais le bien en ne consentant pas à la passion déréglée ; mais je ne l’accomplis pas, puisque je ressens encore la passion. Comment, à son tour, cette passion ennemie fait-elle le mal sans l’accomplir ? Elle fait le mal, puisqu’elle l’excite en moi ; elle ne l’accomplit pas, puisqu’elle ne me le fait pas commettre.

Les saints passent toute leur vie dans ces combats. Que penser alors des pécheurs qui ne luttent même pas ? Ce sont des esclaves qu’on entraîne : ou plutôt on ne les entraîne pas, car ils suivent avec plaisir. Les saints donc s’appliquent à ces combats, et jusqu’à son dernier soupir, chacun est exposé dans cette mêlée. Mais à la fin de la vie, au moment où on triomphera après avoir remporté la victoire, que dira-t-on, ou plutôt que dit l’Apôtre en vue de ce triomphe ? Alors s’accomplira cette parole de l’Écriture : La mort est anéantie dans sa victoire. O mort, « où est ton ardeur guerrière ? » C’est le chant des triomphateurs. « O mort, où est ton aiguillon ? Le péché est l’aiguillon de la mort », puisque sa blessure a causé la mort. Le péché est comme un scorpion, il nous a percés de son dard, et nous sommes morts. Mais quand on s’écriera : « O mort, où est ton aiguillon ? » l’aiguillon qui t’a engendrée et non l’aiguillon que tu as produit ; quand donc on criera : « O mort, où est ton aiguillon ? » il n’y en aura plus, puisqu’il n’y aura plus de péché. « Le péché est l’aiguillon de la mort ». Dieu a donné sa loi pour le combattre ; mais la loi est la force du péché ae ». Comment la loi la force du péché ? « C’est que la loi est venue pour multiplier le péché ». De quelle manière ? Avant la loi l’homme sans doute était pécheur ; la loi donnée, il la transgressa et devint ainsi prévaricateur. Le péché rendait les hommes coupables ; la prévarication de la loi les rendit plus coupables encore.

8. Où espérer encore, sinon dans ce qui suit : « Où le péché a abondé, a surabondé la grâce af ». Aussi considère cet habile soldat, ce soldat pleinement exercé à ce genre de lutte et si expérimenté qu’il est devenu général : au moment où il faisait effort dans la mêlée contre l’ennemi et qu’il disait : « Je vois dans mes membres une autre loi qui combat contre la loi de mon esprit et qui m’assujettit sous la loi du péché, laquelle est dans mes organes », loi honteuse, loi dégradante, espèce de langueur et de plaie livide ; il ajoutait : « Misérable homme, qui me délivrera du corps de cette mort ? » Ses gémissements furent entendus, on vint à son aide. Comment ? Le voici : « Ce sera la grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur ». Oui tu seras délivré de la loi de cette mort, en d’autres termes, du corps de cette mort, par la grâce de Dieu au nom de Jésus-Christ

Notre-Seigneur ». Et quand auras-tu un corps complètement exempt de toute concupiscence ? Lorsque ce corps se sera revêtu, « mortel, d’immortalité, corruptible, d’incorruptibilité », et qu’il sera dit à la mort : « O mort, où est ton ardeur guerrière ? » sans qu’elle en ait encore ; ô mort, où est ton aiguillon ? » sans qu’elle en ait jamais plus ag.

Mais aujourd’hui que dire ? Ainsi j’obéis moi-même par l’esprit à la loi de Dieu, et par la chair à la loi du péché ». – « J’obéis par l’esprit à la loi de Dieu », en ne consentant pas au mal ; « et par le corps à la loi du péché », en ressentant la convoitise. Oui, par l’esprit à la loi de Dieu, et par la chair à a la loi du péché ». Je me complais dans l’une et je convoite conformément à l’autre, sans toutefois être vaincu par elle ; elle excite les désirs, elle tend des pièges, elle pousse et cherche à y faire tomber : « Malheureux homme, qui me délivrera du corps de cette mort ? » Je n’aspire pas à vaincre toujours, je voudrais enfin obtenir la paix.

Désormais donc, mes frères, suivez cette ligne de conduite : obéissez par l’esprit à la loi de Dieu et par la chair seulement à la loi du péché, mais parce que vous y êtes forcés ; en ce sens seulement que vous ressentez la convoitise sans y consentir. Perfide convoitise qui fait quelquefois éprouver aux saints durant leur sommeil ce dont elle est incapable pendant qu’ils veillent. Pourquoi tous applaudissez-vous, sinon parce que vous comprenez tous ? J’aurais honte d’en dire davantage, mais n’hésitons pas à prier Dieu pour ce sujet.

Tournons-nous vers le Seigneur, etc. (Voir tom. 6, serm. 1.)

SERMON CLIV. PRONONCÉ AU TOMBEAU DE SAINT CYPRIEN. LA PERFECTION DERNIÈRE ah.

ANALYSE. – Après avoir résumé ce qu’il a dit dans le discours précédent, saint Augustin répète que la loi nous a été donnée pour nous faire connaître nous-mêmes à nous-mêmes. Or, que révèle-t-elle en nous ? Saint Paul se plaint douloureusement d’être asservi au péché, c’est-à-dire à la concupiscence. Mais est-ce de lui-même que parle saint Paul ? On ne peut en douter en rapprochant du texte que nous expliquons d’autres passages de ses Épîtres. Il n’était donc ni entièrement charnel, puisqu’il ne consentait pas au péché, ni entièrement spirituel, puisqu’il ressentait encore des mouvements déréglés, mais spirituel et charnel tout à la fois. Ainsi en est-il des hommes les plus saints : ils doivent lutter toute leur vie, et c’est après la mort seulement, c’est après la résurrection, qu’ils parviendront à la perfection suprême et ne ressentiront plus les attraits de la concupiscence.

1. Vous qui étiez hier au sermon, vous avez entendu la lecture qu’on y a faite dans une épître de l’Apôtre saint Paul. La lecture d’aujourd’hui est prise immédiatement après celle-là ; c’est toujours ce passage difficile et dangereux que nous avons résolu d’expliquer et d’éclaircir devant vous, avec l’aide que le Seigneur daigne m’accorder et qu’il proportionne à l’affection pieuse qui vous fait intercéder près de lui en ma faveur. Que votre charité m’écoute avec patience, et si j’ai peine à exposer ces obscures questions, que je puisse au moins me faire entendre aisément. Ne serait-il pas trop laborieux de lutter en même temps contre ces deux obstacles ? Plaise à Dieu néanmoins que nos efforts ne soient pas stériles ! Afin donc de les rendre profitables, écoutez avec patience.

L’Apôtre ne condamne pas la loi : nous l’avons, je crois, montré suffisamment hier à ceux qui nous ont suivi. Voici en effet ses paroles : « Que dirons-nous donc ? Que la loi est un péché ? Loin de là. Mais je n’ai connu le péché que par la loi ; car je ne connaîtrais point la concupiscence, si la loi ne disait Tu ne convoiteras pas. Or, prenant occasion du commandement, le péché a excité en moi toute concupiscence ; car le péché, sans la loi, est mort » ; il est endormi, ne se montre point. « Et moi je vivais autrefois sans la loi. Mais quand est venu le commandement, le péché a revécu. Et moi je suis mort, et il s’est trouvé que ce commandement qui devait me donner la vie (qu’y a-t-il en effet de plus propre à la donner que ces mots : « Tu ne convoiteras pas ?), m’a causé la mort. Ainsi le péché, prenant occasion du commandement, m’a séduit et par lui m’a tué ». Celui-ci menaçait la concupiscence, mais ne l’éteignait pas ; il la menaçait, mais sans la réprimer, faisant craindre le châtiment et non pas aimer la justice. « Ainsi donc, poursuit-il, la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon. Ce qui est bon est donc devenu pour moi la mort ? Loin de là ». Ce n’est pas la loi, mais le péché qui est la mort. Et à l’occasion du commandement que s’est-il produit ? Le péché, pour se montrer péché » ; car il était inconnu quand on le disait mort ; « « le péché a, parce qui est bon, opéré la mort, de sorte qu’ » à cause de la prévarication qui s’y ajoute, « le pécheur dépasse toute mesure puisqu’il pèche par le commandement même ». De fait, s’il n’y avait pas de commandement, la prévarication ne mettrait pas le comble au péché. L’Apôtre ne dit-il pas ailleurs expressément : « Il n’y a pas de prévarication, quand il n’y a pas de loi ai ? »

Pourquoi maintenant, pourquoi douter encore que si la loi a été donnée, c’est afin d’apprendre à l’homme à se connaître ? L’homme s’ignorait quand Dieu ne lui interdisait pas le mal ; il n’a senti sa langueur qu’en entendant la proclamation de la défense. C’est alors qu’il s’est reconnu, plongé dans le mal. Mais où se fuir, puisqu’il se porte partout avec lui ? Que lui sert, hélas ! de se connaître, puisqu’il ne voit en lut que des plaies ?

2. Voici donc ; dans la lecture d’aujourd’hui, le langage d’un homme qui a appris à se connaître. « Nous savons, dit-il, que la loi est spirituelle ; et moi je suis charnel, vendu comme esclave au péché. Aussi j’ignore ce que je fais ; car le bien que je veux, je ne le fais pas, mais je fais le mal que je hais ».

La question qui s’agite ici avec beaucoup d’application est de savoir si c’est de l’Apôtre même qu’il s’agit ici, ou de quelqu’autre qu’il personnifierait en lui, comme il le faisait quand il disait ailleurs : « Au reste j’ai représenté cela en moi et dans Apollo, à cause de vous, afin de vous instruire aj ». Mais si c’est l’Apôtre qui parle ici, et personne n’en doute, si c’est de lui et non pas d’un autre qu’il dit : « Je ne fais pas ce que je veux, et je fais ce que je hais », à quoi nous arrêter, mes frères ? Serait-il vrai que tout en ne voulant pas commettre d’adultère, par exemple, l’apôtre Paul s’y laissait aller ? qu’il était avare sans vouloir être avare ? Qui d’entre nous oserait se charger d’un tel blasphème, avoir une telle idée de cet Apôtre ? Peut-être donc est-il ici question de quelque autre, de toi, de lui, de moi. Or, s’il en est ainsi, prêtons l’oreille à ce qu’il semble s’attribuer, pour nous amender sans nous irriter. Et si c’est de lui-même qu’il s’agit, car il est possible qu’il s’en agisse, ne comprenons pas ces mots : « Je ne fais pas ce que je veux, mais ce que je hais », dans ce sens qu’il voudrait être chaste, et serait adultère ; miséricordieux, et serait cruel ; pieux, et serait impie. Non, n’entendons pas ainsi ces mots : « Je ne fais pas ce que je veux, mais ce que je hais ».

3. Alors, que veut-il dire ? Je veux ne convoiter pas et je convoite. Que contient la loi ? Tu ne convoiteras pas ». L’homme a entendu cette défense, il a reconnu sa faute, il a déclaré la guerre au vice, mais il s’en est trouvé l’esclave. – Un homme, je le conçois, mais ce n’est pas l’Apôtre. – Que répondre, mes frères ? Que l’Apôtre ne ressentait dans sa chair aucune passion dont il n’aurait pas voulu, sains toutefois consentir à ses impressions, à ses suggestions, à ses entraînements, à ses ardeurs et à ses tentations ? Je le déclare devant votre charité : pour se persuader que l’Apôtre n’éprouvait absolument aucune de ces impressions maladives de concupiscence qu’il devait combattre, il faudrait être hardi. Je voudrais pourtant qu’il en fût ainsi ; car loin de porter envie aux Apôtres, nous devons les imiter. Cependant, mes chers amis, j’entends l’Apôtre avouer lui-même qu’il n’est point parvenu encore à toute la perfection de sainteté que la foi nous révèle dans les anges ; dans les anges dont nous espérons néanmoins devenir les égaux, si nous parvenons au terme de nos désirs. Le Seigneur nous promet-il autre chose pour le moment de la résurrection, quand il dit : « Les hommes, à la résurrection, ne prendront point de femmes, ni les femmes de maris ; car ils ne mourront plus, mais ils seront égaux aux anges de Dieu ak ? »

4. Pour toi, me dira-t-on, comment sais-tu que l’Apôtre Paul n’était point parvenu encore à la justice et à la perfection des anges ? – Ce n’est pas en outrageant cet apôtre, c’est en ne m’en rapportant qu’à lui-même, qu’à son témoignage, sans. m’inquiéter des soupçons ou des louanges immodérées dont il peut être l’objet. Parlez-nous donc de vous-même, ô saint Apôtre, et dans un passage où personne ne doute qu’il s’agisse de vous ; puisqu’il est des hommes qui prétendent qu’en écrivant : « Je ne fais pas ce que je veux, mais ce que je hais », vous personnifiiez en vous le travail, les défaillances, la défaite et l’esclavage de je ne sais quel autre que vous. Parlez-moi de vous, dans un passage où, de l’aveu de tous, il est bien question de vous.

« Mes frères, dit cet Apôtre, je ne crois pas que j’ai atteint le but ». Que faites-vous donc ? « Une chose : oubliant ce qui est en arrière et m’avançant vers ce qui est en avant, je tends au terme », je n’y suis pas parvenu ; je tends au terme, à la palme de la vocation céleste de Dieu dans le Christ Jésus al ». Il venait de dire aussi : « Non que déjà j’aie atteint jusque-là, ou que déjà je sois parfait am ».

Mais voici de nouvelles objections. L’Apôtre en parlant ainsi, dit-on, faisait entendre qu’il n’était point arrivé encore à l’immortalité, il n’exprimait point qu’il n’avait pas atteint la perfection de la justice. Il était dès lors aussi juste que les anges, mais il n’était pas immortel comme eux. Et il est bien sûr, bien sûr, soutiennent-ils, que telle était sa pensée. – Tu viens de nous dire : L’Apôtre était aussi juste que les anges, mais il n’était pas encore immortel comme eux. Ainsi donc il possédait la sainteté dans toute sa perfection, mais en courant après la palme céleste il cherchait l’immortalité glorieuse.

5. Faites-nous donc connaître, saint Apôtre, un autre passage plus clair encore où vous confessez vos faiblesses sans parler de vos aspirations à l’immortalité. – Ici encore j’entends des murmures, des objections, il me semble lire dans la pensée de plusieurs. Il est vrai, me dit-on, je sais le passage que tu vas citer ; l’Apôtre y avoue des faiblesses, mais ce sont les faiblesses de la chair et non de l’esprit, du corps et non de l’âme : or c’est dans l’âme et non dans le corps qu’habite la perfection de la justice. Qui ne sait effectivement que l’Apôtre avait un corps fragile, un corps mortel ? Ne dit-il pas lui-même : « Nous portons ce trésor dans des vases d’argile an ». Eh ! que t’importe ce vase d’argile ? Parle du trésor qu’il y portait. – Cherchons par conséquent s’il lui manquait quelque chose, et s’il pouvait ajouter encore à l’or divin de sa sainteté. Pour ne paraître pas lui manquer de respect, interrogeons-le lui-même.

« Et de peur, dit-il, que la grandeur de mes révélations ne m’élève ». Ici, sans aucun doute, tu reconnais l’Apôtre à la grandeur de ses révélations et à la crainte de tomber dans l’abîme de l’orgueil. Or pour savoir que ce même Apôtre, qui voulait sauver les autres, était encore en traitement lui-même ; pour savoir, dis-je, qu’il était encore en traitement, ne considère pas seulement les honneurs dont il était comblé ; apprends quel remède le médecin suprême lui faisait prendre contre l’enflure de l’orgueil ; apprends-le, non pas de moi, mais de lui. Entends son aveu, pour connaître sa doctrine. Écoute donc : « Et dans la crainte que la grandeur de mes révélations ne m’élève ». Mais quoi ! puis-je lui dire, vous avez peur de vous élever, ô saint Apôtre ? Il vous faut prendre garde encore à l’orgueil, le craindre encore ? Il faut, pour vous préserver de cette maladie, chercher encore quelque remède ?

6. Que me dis-tu là, reprend-il ? Sache donc qui je suis, et tremble au lieu de t’élever. Apprends avec quelles précautions doit marcher le petit agneau, quand le bélier est exposé à tant de périls. « De peur donc, poursuit-il, que la grandeur de mes révélations ne m’élève, il m’a été donné un aiguillon dans ma chair, un ange de Satan pour m’appliquer des soufflets ». – De quel orgueil n’était-il pas menacé pour avoir été astreint à un si violent remède ? Dis-nous maintenant encore que la justice était en lui aussi parfaite que dans les saints anges. Est-ce qu’au ciel les saints anges ressentent aussi cet aiguillon, cet ange de Satan leur appliquant des soufflets pour leur faire évider l’orgueil ? A Dieu ne plaise que nous concevions de tels soupçons sur les saints anges ! Nous sommes hommes ; reconnaissons que les saints apôtres étaient hommes aussi ; vaisseaux d’élection, sans doute, mais fragiles encore, voyageurs sur la terre sans être encore triomphateurs dans la patrie du ciel, De plus l’Apôtre ayant demandé par trois fois au Seigneur d’être délivré de cet aiguillon charnel, sans être exaucé selon ses désirs, parce que Dieu avait plutôt en vue sa guérison ao, est-il étrange qu’il ait dit : « Nous savons que la loi est spirituelle ; mais moi je suis charnel ? »

7. Quoi ! cet Apôtre disait aux autres : « Vous qui êtes spirituels, instruisez les faibles en esprit de douceur », et il serait charnel lui-même ? Il traite les autres d’hommes spirituels, et il serait charnel encore ? – Cependant, que dit-il à ces spirituels ? Ils n’avaient pas atteint encore la perfection du ciel et des anges, ils ne goûtaient pas encore le tranquille repos de la patrie, mais éprouvaient toujours les sollicitudes et les anxiétés du voyage. que leur dit-il donc ? Oui, il les appelle spirituels : « Vous qui êtes spirituels, instruisez ces faibles avec l’esprit de douceur » ; mais il ajoute Prenant garde à toi, dans la crainte que toi aussi tu ne sois tenté ap ». Ainsi pour ce chrétien même qu’il nomme spirituel, il redoute la faiblesse et la chute ; il craint que la tentation n’ait prise sur ce spirituel en agissant directement sur sa chair, sinon sur son esprit. Si cet homme est spirituel, c’est qu’il vit conformément à l’esprit ; mais son corps mortel le rend charnel encore, de sorte qu’il est à la fois spirituel et charnel. Spirituel : « J’obéis par l’esprit à la loi de Dieu ». Charnel : « Mais par la chair à la loi du péché ». Il est donc bien vrai qu’il est en même temps spirituel et charnel ? C’est chose incontestable pour tout le temps que dure sa vie sur cette terre.

8. Ne t’étonne pas de ceci, toi, qui que tu sois, qui consens et te laisses aller aux convoitises charnelles, qui peut-être les crois innocentes et destinées à assouvir ta passion pour les plaisirs, ou qui tout en les condamnant, t’y abandonnes en esclave et suis leurs inspirations honteuses ; tu es entièrement charnel. Oui, qui que tu sois, tu es charnel, charnel tout entier. Pour toi qui malgré cette défense de la loi : « Tu ne convoiteras pas aq », ressens des impressions de convoitise, sans pourtant violer cette autre défense de la loi : « Ne te livre pas à tes passions ar » ; si d’une part tu es charnel, tu es spirituel d’autre part. Car il est bien différent de ressentir la convoitise ou de s’y laisser aller. Pour ne la point ressentir, il faut être parvenu à la perfection suprême, et pour ne s’y pas laisser aller, il faut combattre, lutter, souffrir.

Mais comment désespérer de la victoire quand on combat avec ardeur ? Or, quand la remportera-t-on ? Quand la mort sera anéantie dans son triomphe. Alors en effet se feront entendre les chants des vainqueurs et non les cris laborieux des combattants. Et quels seront ces chants, au moment où ce corps aura revêtu, corruptible, l’incorruptibilité, et mortel, l’immortalité ? Voici le vainqueur, écoute ses chants d’allégresse, prête l’oreille à ses acclamations triomphales. « Alors s’accomplira cette parole de l’Écriture : La mort est anéantie dans sa victoire. O mort, où est ton ardeur ? O mort, où est ton aiguillon as ? » – Où est-il ? » Il était, mais il n’est plus.

« O mort, où est ton ardeur ? » La voici pour le moment : « Je ne fais pas ce que je veux ». La voici encore : « Nous savons que la loi est spirituelle ; pour moi je suis charnel ». Or, si c’est de lui-même que parle l’Apôtre ; si c’est de lui-même, je le suppose et ne l’affirme pas ; si donc il dit de lui-même : « Nous savons que la loi est spirituelle, pour moi je suis charnel » ; ce qui indique que par le corps il est charnel et spirituel par l’esprit : quand sera-t-il spirituel tout entier ? Lorsque « semé corps animal, ce corps ressuscitera spirituel at ». Maintenant donc que la mort travaille avec ardeur, « je ne fais pas ce que je veux » ; je suis en partie spirituel et charnel en partie, spirituel dans la meilleure moitié de moi-même, et charnel dans la moitié inférieure. Je suis dans la mêlée encore, je n’ai pas vaincu, et c’est beaucoup pour moi de ne pas être défait. « Je ne fais pas ce que je veux, je « fais ce que je hais ». Que fais-tu ? Je convoite. Sans doute, je ne consens pas à la convoitise, je ne m’abandonne pas à mes passions ; je convoite néanmoins encore, et cette partie qui convoite tient de moi aussi.

9. Car je ne suis pas un autre dans mon esprit et un autre dans ma chair. Que suis-je donc ? « C’est partout moi », moi dans ma chair et moi dans mon esprit. Je ne suis pas deux natures contraires, mais un seul homme composé de deux natures, car Dieu qui m’a fait homme est un aussi. « Ainsi donc c’est moi », c’est bien moi « qui obéis par l’esprit à la loi de Dieu, et à la loi du péché par la chair ». Mon âme n’acquiesce pas à la loi du péché, je voudrais même qu’elle ne se fît point sentir dans mes organes. Mais comme mon vouloir ne s’accomplit pas, il s’ensuit que « je ne fais pas ce que je veux » ; « je convoite » malgré moi ; et que « je fais ce que je hais ». Qu’est-ce que je hais ? La concupiscence. Oui, je hais la concupiscence, et nonobstant elle est dans ma chair, tout en n’étant pas dans mon esprit. Ainsi je fais ce que je hais ».

10. « Or, si je fais ce que je ne veux pas, « j’acquiesce à la loi comme étant bonne ». Que signifie : « Si j’étais ce que je ne veux pas, j’acquiesce à la loi comme étant bonne ? » Sans doute, tu acquiescerais à la loi, si tu faisais ce qu’elle veut : tu fais ce qu’elle défend, et tu y acquiesces encore ? – Il est bien vrai, « si je fais ce que je ne veux pas, j’acquiesce à la loi comme étant bonne ». – De quelle manière ? – La loi dit : « Tu ne convoiteras pas ».

Et moi, que voudrais-je ? Ne convoiter pas. Je veux donc ce que veut la loi et « j’acquiesce à la loi comme étant bonne ». Si la loi disait : « Tu ne convoiteras pas », et que je voulusse convoiter, je n’y acquiescerais pas et cette dépravation de ma volonté me mettrait en guerre avec elle. Y acquiescerais-je, si je voulais convoiter quand elle dit : « Tu ne convoiteras pas ? » Maintenant au contraire ? Que dis-tu, ô loi ? – « Tu ne convoiteras pas ». – Je ne veux pas non plus convoiter, non, je ne veux pas. Je ne veux point ce que tu ne veux pas ; ainsi je suis bien d’accord avec toi. Ma faiblesse, sans doute, n’accomplit pas toujours la loi ; mais ma volonté la bénit. Voilà pourquoi, tout en ne faisant pas ce que je veux », je suis d’accord avec elle ; d’accord en ne voulant pas ce qu’elle ne veut pas, et non pas en faisant ce que je ne veux point. Je le fais, en convoitant, sans toutefois consentir à la convoitise.

Ainsi pour pécher et donner le mauvais exemple, nul ne doit s’autoriser de l’exemple de l’Apôtre. « Je ne fais pas ce que je veux ». Que dit en effet la loi ? « Tu ne convoiteras pas ». Je ne veux donc pas convoiter ; et pourtant je convoite, tout en ne consentant pas à ma convoitise, tout en ne m’y livrant pas. J’y résiste effectivement, j’en détourne mon esprit, je lui refuse des armes, je veille sur mes sens. Hélas ! néanmoins, il se fait en moi ce que je ne veux pas. Ce que la loi ne veut pas, je ne le veux pas avec elle ; je refuse ce qu’elle refuse, ainsi nous sommes d’accord.

11. Il est vrai, je suis en même temps dans ma chair et dans mon esprit ; mais je suis plus moi dans mon esprit que dans ma chair ; car je suis dans mon esprit comme dans la partie qui commande, attendu que le corps est gouverné par l’esprit, et il y a plus de moi dans ce qui commande que dans ce qui est commandé en moi. Or, puisqu’il y a plus de moi dans mon esprit, je puis dire : « Maintenant donc, ce n’est plus moi qui fais cela ». – « Maintenant », c’est-à-dire, « maintenant que je suis affranchi », après avoir été vendu en esclave au péché, maintenant que j’ai reçu du Sauveur la grâce de me complaire dans la loi de Dieu, « ce n’est plus moi qui fais cela, mais le péché qui habite en moi ; car je sais que le bien n’habite pas en moi ». En moi, encore une fois ; dans quelle partie de moi-même ?

« En moi, c’est-à-dire dans ma chair ; car en moi-même réside le vouloir ». « Je sais », dis-tu. Que sais-tu ? « Que le bien n’habite pas en moi, autrement dans ma chair ». Tu viens de dire pourtant Je ne sais ce que je fais ». Si tu ne sais, comment sais-tu ? Tu dis : « Je ne sais » ; et puis : « Je sais » : à mon tour, je ne sais ce que je dois croire. Serait-ce ceci ? Dans cette phrase : « Je ne sais ce que je fais », je ne sais signifierait je n’approuve pas, je n’agrée pas, il ne me plaît pas, je ne consens pas, je n’applaudis pas. C’est ainsi qu’au Christ ne seront pas inconnus sans doute ceux à qui il dira : « Je ne vous connais point au ». Oui, c’est dans ce sens que je comprends ces mots : « Je ne sais ce que je fais ». Je ne fais pas en effet ce que je ne sais pas. « Or, ce n’est pas moi qui fais cela, mais le péché qui habite en moi ». C’est ce qui me fait dire que je ne fais pas ; comme il est dit du Seigneur qu’il ne connaissait pas le péché av ». Comment, il ne le connaissait pas ? » Ne connaissait-il pas ce qu’il condamnait ? Ne connaissait-il pas ce qu’il châtiait ? Mais s’il ne l’avait pas connu, le châtiment n’eût-il pas été injuste ? Le châtiment étant juste, il connaissait donc le péché, et s’il est dit qu’il ne le connaissait pas, c’est pour indiquer qu’il ne le commettait pas. « Ainsi je ne sais ce que je fais ; car je ne fais pas ce que je veux, mais ce que je hais. Or, si je fais ce que je hais, j’acquiesce à la loi comme étant bonne. Maintenant donc », que j’ai reçu la grâce, « ce n’est pas moi qui fais cela ». Mon âme est libre et ma chair est esclave. « Ce n’est pas moi qui fais cela, mais le péché qui habite en moi. Car je sais qu’en moi, c’est-à-dire dans ma chair, le bien ne réside pas ».

12. « En effet, le vouloir est en moi, mais je n’y trouve pas à accomplir le bien ». Je puis le vouloir, je ne puis l’accomplir. Il n’est pas dit : Je ne puis pas le faire, mais l’accomplir. Tu ne saurais dire, hélas ! que tu ne fais rien. La convoitise s’élève et tu la réprimes. Voici les charmes d’une femme étrangère, tu n’y cèdes pas, tu détournes l’esprit, tu rentres dans le sanctuaire de ton âme. Voici encore de bruyants attraits, tu les condamnes, tu préfères la pureté de ta conscience. Non, dis-tu, je n’y consens pas. – Mais comme c’est délicieux. – Je n’en veux point, j’ai d’autres plaisirs ; je me complais selon l’homme intérieur dans la loi de Dieu ». Pourquoi tant faire avec ce corps ? Pourquoi me prôner si haut ces plaisirs insensés, passagers, éphémères, vains, nuisibles, et me les vanter avec une si creuse faconde ? Les impies m’ont parlé de leurs délices ». Comme eux la convoitise fait miroiter ses jouissances devant moi, « mais ce n’est pas comme votre loi, Seigneur aw. – Car je me complais dans la loi de Dieu », non par ma vertu, mais par la grâce divine. O convoitise, agite-toi dans mon corps, tu ne t’assujettis pas pour cela mon esprit. « Je me confierai en Dieu, je ne craindrai pas les tentatives de la chair ax ». En vain la chair fait bruit quand je ne donne pas mon consentement, le consentement de ma volonté. « Je me confierai en Dieu ; je ne redouterai point les assauts de la chair » ; de la mienne comme de celle d’autrui. Or, n’est-ce rien faire que de faire tout cela ? C’est faire beaucoup, c’est faire énormément, mais ce n’est pas accomplir. Qu’est-ce que accomplir ? C’est être en état de dire : « O mort, où est ton ardeur ? »

Voilà donc le sens de ces mots : « Le vouloir réside en moi, mais je n’y trouve pas à accomplir le bien ».

13. « Effectivement, je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je ne veux pas ». Il répète : « Or, si je fais le mal que je ne veux pas », en ressentant la convoitise, « ce n’est plus moi qui le fais, mais le péché qui habite en moi. J’approuve donc la loi, quand je veux faire le bien ». Je la trouve bonne ; oui, elle est quelque chose de bien. Comment l’approuve-je ? En voulant l’accomplir. « J’approuve donc la loi, quand je veux faire le bien ; car le mal réside en moi ». Ici encore :

en moi, car ma chair ne m’est pas étrangère ; elle n’est ni d’une autre personne, ni d’un autre principe, mon âme venant de Dieu, et mon corps de la race ténébreuse. Assurément non. La maladie est contraire à la santé. Je suis l’homme laissé sur le chemin à demi-mort ay ; on me traite encore, on travaille à guérir toutes mes langueurs az.

Je ne fais pas ce que je veux, mais ce que je hais. Or, si je ne fais pas ce que je veux, j’approuve la loi quand je veux faire le bien et que le mal réside en moi ». Quel mal ?

14. « Je me complais dans la loi de Dieu selon l’homme intérieur ; mais je vois dans mes membres une autre loi qui combat la loi de mon esprit et qui m’assujettit à cette loi du péché, laquelle est dans mes membres ». Il est donc captif, mais dans sa chair ; captif, mais dans une partie seulement de lui-même ; car son âme résiste au mal et s’attache à la loi de Dieu. Tel est bien le sens que nous devons donner à ces mots, si nous les entendons de l’Apôtre même. D’où il suit que si la volonté ne consent ni aux tentations, ni aux inspirations, ni aux caresses du péché ; si elle préfère à ces jouissances les jouissances qu’elle goûte intérieurement et avec qui les premières n’ont rien de comparable ; si elle n’y consent pas, il y a en nous de la vie et de la mort ; la mort travaille, mais l’esprit vit et résiste. La mort même n’est-elle pas en toi ? Est-ce que cette partie morte ne fait point partie de toi-même ? Tu as donc à lutter encore. Et qu’as-tu à espérer ?

15. « Misérable homme que je suis ! » Oui, misérable dans mon corps, sinon dans mon esprit, car je suis également et dans l’un et dans l’autre, nul ne haïssant jamais sa chair ba. « Misérable homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ? » Que signifie ce langage, mes frères ? L’Apôtre semble vouloir n’avoir plus de corps. Mais pourquoi cet empressement ? Si tu n’aspires qu’à être séparé de ton corps, la mort viendra, et ton dernier jour t’éloignera de ton corps sans aucun doute. Est-il si nécessaire de gémir ? Pourquoi donc dire. « Qui me délivrera? » Un mortel, un mourant peut-il parler ainsi ? Oui, ton âme se séparera enfin du corps : la vie étant courte, cette séparation n’est pas éloignées l’époque même en est incertaine, à cause des accidents qui surviennent chaque jour. Ainsi qu’on hâte ou qu’on ralentisse le pas, toute vie humaine est de courte durée. Est-il donc besoin de gémir et de t’écrier : « Qui me délivrera du corps de cette mort ? »

16. Il ajoute : « C’est la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur » : Ainsi les païens, qui n’ont pas la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur, seront exempts de la mort ? Jamais, pas même au dernier jour, ils ne quitteront leur corps ? – Ils ne seront pas ce jour-là affranchis du corps de cette mort ? Pourquoi donc attribuer, comme une si grande faveur, à la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur, d’être délivré du corps de cette mort ? – Si nous avons bien saisi le sens de l’Apôtre, ou plutôt, comme il est sûr que nous l’avons bien saisi, avec l’aide du Seigneur, voici ce que te répond l’Apôtre : Je sais ce que je dis. Tu prétends que les païens seront délivrés du corps de cette mort, parce que viendra pour eux le dernier jour de la vie et qu’il les en séparera. Mais viendra également le jour « où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront aussi la voix » du Christ, « et où tous ceux qui ont fait le bien sortiront pour ressusciter à la vie » : ils seront ainsi délivrés du corps de cette mort ; alors aussi « ceux qui ont fait le mal sortiront pour ressusciter à leur condamnation ». Les voilà donc rentrés dans le corps de cette mort ; ce corps sera rendu à l’impie pour ne le plus quitter ; et ce sera, non pas l’éternelle vie, mais l’éternelle mort ou la peine éternelle.

17. Pour toi donc, chrétien, prie de toutes tes forces, écrie-toi : « Misérable homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ? » On te répondra : Ton salut viendra, non de toi, mais de ton Seigneur, du gage divin que tu as reçu. Espère que tu posséderas avec le Christ le règne même du Christ ; n’as-tu pas son sang pour gage ? Dis donc, dis toujours : « Qui me délivrera de ce corps de mort ? » afin qu’on te réponde : « La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur ». L’affranchissement du corps de cette mort ne consistera pas à ne l’avoir plus : tu l’auras, mais il ne sera plus de cette mort. Ce sera donc lui et ce ne sera plus lui. Ce sera lui, attendu que ce sera la même chair ; et ce ne sera plus lui, parce qu’il ne sera plus mortel. Oui cet affranchissement consistera en ce que ce corps mortel revêtira l’immortalité, en ce que corruptible, il revêtira l’incorruptibilité. De qui et par qui lui viendra cette transformation ? « De la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur ».

Ainsi par un homme est venue la mort, « et par un homme la résurrection des morts. « Et comme tous meurent en Adam » ; c’est le motif de nos larmes : « comme tous meurent en Adam » ; c’est le sujet de nos gémissements, c’est la cause de nos luttes contre la mort ; c’est le principe de ce corps de mort ; tous aussi revivront dans le Christ bb ». Tu revivras en te réunissant à ton corps devenu immortel, et tu pourras dire alors : « O mort, où est ton ardeur ? » Tu seras donc affranchi du corps de cette mort, non pas grâce à toi, mais « grâce à Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur ». Tournons-nous avec un cœur pur, etc.

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