‏ Sir 5

SIXIÈME SÉRIE.

SERMONS INÉDITS

TROISIÈME SERMON.

DÉLAI DE LA CONVERSION. « NE TARDEZ PAS À VOUS CONVERTIR AU SEIGNEUR », (Sir 5, 2)

ANALYSE. —1. Les bonnes œuvres sont nécessaires avec la foi. —2. Reproches mérités par ceux qui remettent de jour en jour. —3. Remède au désespoir et à la présomption. —4. Nécessité de se convertir sur-le-champ. —5. Conclusion.

1. Les fréquentes exhortations que nous adressons à nos frères sur les bonnes œuvres, nous ont appris que, parmi eux, les uns sont lents pour la justice et pour l’aumône, tandis que d’autres sont très-prompts à la luxure et à l’avarice. Ces dispositions nous portent à croire que ceux qui les possèdent ont cessé de craindre le jugement futur. Et, en effet, mes frères, à la vue de ces chrétiens lâches et négligents qui n’évitent même pas le péché et n’ont aucun souci de s’assurer par les bonnes œuvres la récompense éternelle, ne sommes-nous pas naturellement tentés de conclure qu’ils n’ont même plus la foi aux récompenses pour les bons, ni aux châtiments pour les méchants, récompenses et châtiments qui sont pourtant les conséquences nécessaires du jugement de Dieu ? Si donc, mes frères, la crainte du jugement de Dieu réside encore réellement quelque part, c’est uniquement dans le cœur de ceux qui s’appliquent aux bonnes œuvres. Quant à ceux qui négligent les bonnes œuvres, la lecture, la prière, ou ne s’y livrent que pour la forme, qu’importe qu’ils se flattent d’avoir la foi, si leur affirmation est démentie par leur conduite ? Qu’ils écoutent ces paroles de l’apôtre saint Jacques « Que servira-t-il à quelqu’un de dire qu’il a la foi, s’il n’a pas les œuvres ? La foi pourra-t-elle le sauver ? Que si l’un de vos frères et l’une de vos sœurs n’ont point de quoi se vêtir, et qu’ils manquent de ce qui leur est nécessaire chaque jour pour vivre ; et que quelqu’un d’entre vous leur dise : Allez en paix, je vous souhaite de quoi vous couvrir et de quoi manger, sans leur donner néanmoins de quoi satisfaire aux nécessités de leur corps, à quoi serviront vos souhaits ? Ainsi la foi qui n’est point accompagnée des œuvres, est morte en elle-même a ». C’est à ces hommes que Dieu s’adresse, c’est leur infidélité qu’il condamne en ces termes: O hommes incrédules, si vous ne croyez pas à mes promesses, considérez que j’ai fait le ciel et la terre. « J’ai dit, et tout a été fait b ». Vous, à qui s’adressent mes promesses, vous n’étiez pas, et vous avez été fait. Un homme qui n’existe pas, je le crée, et après l’avoir créé, je le tromperais ! Recueillez donc avec attention mes paroles, et croyez qu’à votre égard j’accomplirai toujours mes promesses.

2. Oh ! qu’elle est donc faible et malade, malheureuse et ignorante, criminelle et impuissante, cette disposition intérieure et funeste qui entasse devant une âme tous les obstacles possibles à la conversion et ne laisse de passage que pour le mal et le péché ! Aujourd’hui se passe, le lendemain se passe, le lendemain s’ajoute au lendemain, et, remettant de jour en jour votre conversion, vous ne craignez pas d’être saisi tout à coup par la mort subite. Vous qui remettez toujours et différez de faire pénitence, et qui feignez de chercher la divine miséricorde, ignorez-vous donc que beaucoup d’hommes meurent subitement ? Vous avouez qu’il est bien de reconvertir ; mais si c’est bien, faites-le donc sur-le-champ ; si c’est bien de recevoir dans peu, est-ce donc un mal de recevoir à l’instant ? Veuillez me dire pourquoi vous ne vous empressez pas de recevoir ce que vous avouez être bon ? Vous me répondrez peut-être que Dieu lui-même vous met en sûreté. Comment cela, je vous prie ? N’est-il pas écrit : « Au jour où le pécheur se convertira, j’oublierai toutes ses iniquités c ? » Voilà comment Dieu me laisse en sûreté. Hier j’avais dix péchés, aujourd’hui j’en ai quinze, demain peut-être j’en aurai vingt. Or, m’appuyant sur le témoignage infaillible de Dieu, je sais que, le jour où je me convertirai, il oubliera mes péchés passés et mes iniquités. Pourquoi donc essayez-vous de m’effrayer ? Dieu me promet le pardon, et vous me poussez au désespoir ? Je ne puis nier que Dieu ne nous ait fait cette promesse. Pourquoi donc ne vous convertissez-vous pas aujourd’hui ? Parce que, si tard que je me convertisse, Dieu me promet de me pardonner alors un grand nombre de péchés, comme il m’en pardonnerait aujourd’hui un petit nombre. O vaine sécurité ! Pourtant c’est là tout ce qui me tranquillisait. Je vois bien que Dieu a daigné vous promettre le pardon ; mais qui donc vous a promis le jour de demain ? Voilà pourquoi je demande que chacun se convertisse au Seigneur, selon cette autre parole : « Convertissez-vous, cherchez le Seigneur, et lorsque vous l’aurez trouvé, que l’impie abandonne sa voie d ». Convertissez-vous, car c’est sur une fausse espérance que vous vous reposez. En effet, deux excès entraînent le genre humain à sa perte : les uns périssent en espérant, et les autres en désespérant. Ce qui vous étonne peut-être, c’est qu’on puisse périr en espérant.

3. Examinons donc brièvement quels sont ceux qui périssent en espérant et ceux qui périssent en désespérant, et voyons pour tous le remède que Dieu leur présente. Il périt par désespoir, celui qui dit : Je connais mes péchés, je connais mes crimes. Est-il possible que Dieu me pardonne toutes les fautes que j’ai commises ? Il périt aussi par désespoir, celui qui dit : Que m’importent toutes vos exhortations ? Je ferai bien tout ce que je puis, mais je perds tout ce que je ne fais pas. Si le Seigneur doit me condamner pour un seul péché, comment ne me condamnerait-il pas pour plusieurs ? Si donc je ne dois pas posséder la vie éternelle, du moins je ne veux pas perdre la vie présente. Pourquoi ne pas accomplir mes désirs, ne pas satisfaire mes passions ? Celui-là périt par désespoir. Un autre, pour échapper à l’horreur du désespoir, va chercher sa perte dans la présomption. Comment la présomption ? Le jour où je me convertirai, dit-il, le Seigneur promet de me pardonner tous mes péchés ; j’espère donc de sa miséricorde qu’il oubliera toutes mes iniquités. Et fort de cette présomption, il diffère de jour en jour ; mais tout à coup la mort le frappe, toute espérance s’évanouit, il ne lui reste plus que la damnation. L’Écriture a pour eux des avertissements salutaires. Vous vouliez périr par désespoir, écoutez cette parole du Seigneur : « Je ne veux pas la mort de l’impie, mais son retour et sa vie e » ; vous vouliez mourir, revenez et vivez ; si Dieu voulait votre mort, il vous frapperait à l’instant même où vous péchez, en ce moment même où vous avez tant péché. Mais par cela même qu’il vous laisse la vie, il vous invite à la pénitence. Vous n’espérez pas ; écoutez donc : « Je ne veux pas la mort du pécheur ». Vous voulez votre mort, moi je ne la veux pas ; vous n’êtes pas l’auteur de votre vie, et vous voulez la perdre dans le désespoir. Lorsque vous n’étiez pas, Dieu vous a créé ; vous vous étiez perdu dans le péché et Dieu vous a cherché, il vous a trouvé par le sang de son Fils, il vous a racheté et il vous offre le remède à tous vos maux. Sortez du gouffre du désespoir : « Parce que je ne veux pas la mort de l’impie, mais son retour et sa vie ».

4. Vous alliez à votre perte, vous êtes sortis de l’abîme du désespoir, mais tenez-vous dans un juste milieu ; ne vous jetez pas dans l’excès contraire, et si vous ne désespérez plus de votre pardon, du moins ne comptez pas sur une plus longue existence. Convertissez-vous donc. Vous répondez : Je me convertirai demain. Pourquoi pas aujourd’hui ? Et quel mal d’attendre à demain ? Et quel mal de le faire aujourd’hui ? Mais je suis assuré que ma vie sera longue. Moi je sais que Dieu ne vous l’a pas promis. Peut-être cette promesse vous a-t-elle été faite par quelque devin cherchant quelqu’un qui partage sa damnation ? Eh bien ! je porte les choses à l’extrême : votre vie sera longue ; si elle doit être longue, qu’elle soit bonne ; si elle est courte, que du moins elle soit bonne. Quelle haine portez-vous donc à votre vie, que vous ne vouliez pour elle que le mal, afin que vous soyez mauvais au milieu de tous vos biens ? Mais dites-moi, mon frère, savez-vous combien de temps vous vivrez ? où donc avez-vous lu que vous serez pardonné, sans même vous corriger ? Avez-vous lu quelque part qu’une longue vie vous soit promise, ou par hasard auriez-vous fait un pacte avec la mort ? J’espère que vous vivrez cent ans ; ajoutez-y encore dix siècles ; et puis après ? Supposé qu’Adam ait vécu jusqu’aujourd’hui, sa vie même aurait été courte, puisqu’elle serait terminée.

5. Soyez donc toujours sans péché, soyez toujours prêt, et vous n’aurez pas à craindre le grand jour du jugement, « qui viendra comme un voleur assaillir ceux qui seront endormis f ». Vous donc qui voulez périr par désespoir, écoutez ce que vous dit l’Écriture : « Je ne veux pas la mort de l’impie, mais son retour et sa vie ». Si vous êtes sorti du désespoir, écoutez encore une autre parole qui vous arrachera à votre perversité et vous établira dans une espérance légitime. Écoutez ce que dit le Seigneur à celui qui vit dans une fausse espérance et diffère de jour en jour sa conversion : « Ne tardez pas à revenir à Dieu, et ne différez pas de jour en jour g ». Ce n’est pas moi qui parle ainsi, c’est Dieu lui-même ; c’est lui qui nous dit, à vous et à moi : « Ne tardez pas à revenir à Dieu ». Demain, répondez-vous, (cras !) O véritable cri de corbeau ! Le corbeau sorti de l’arche n’y revint pas, et vieillit en répétant Cras, cras. Cri de corbeau, tête blanche et cœur noir. Le corbeau sorti de l’arche n’y revint pas ; la colombe, au contraire, s’empressa d’y rentrer. Que le cri du corbeau périsse donc, et qu’on n’entende plus que le gémissement de la colombe. Le Seigneur, pour vous consoler, ne cesse de vous dire : « Ne tardez pas à revenir à Dieu, et ne différez pas de jour en jour, car sa colère éclate subitement, et il vous rejettera au temps de sa vengeance ». Frères bien-aimés, méditez ces paroles avec crainte et tremblement, et avec la grâce de Dieu, ramenez vos âmes aux remèdes de la pénitence et de l’aumône, afin que vous puissiez vous présenter au tribunal de Jésus-Christ, non pas pour y être condamnés, mais pour y recevoir la couronne immortelle.

SERMON XXXIX. LE DÉTACHEMENT DU MONDE ET L’AUMÔNE. h.

ANALYSE. – Si le jour de la mort est incertain pour nous, c’est afin de nous tenir constamment prêts à mourir. Comment donc s’attacher aux biens du monde, que l’on est toujours exposé à quitter ? Comment rechercher avec tant d’avidité les richesses, si remplies de périls ? Comment ne les pas distribuer en larges aumônes ? N’est-ce pas le moyen de les conserver sûrement, puisque l’aumône s’adresse à Jésus-Christ même ? Faites l’aumône chacun selon vos moyens, et dans l’intention d’obtenir les grâces nécessaires au salut.

1. Frères, nous l’avons entendu, le Seigneur nous dit par l’organe du prophète : « Ne tarde point de te convertir à Dieu et ne remets point de jour en jour ; car sa colère viendra soudain et il te perdra au moment de la vengeance. » Il t’a promis qu’au jour de la conversion il oublierait tous tes péchés passés ; mais a-t-il promis que tu vivras demain ? Ou bien, Dieu ne l’ayant pas promis, l’astrologue te l’aurait-il assuré pour te faire condamner, avec lui ? Il est utile que Dieu ait laissé dans l’incertitude le jour de la mort ; chacun doit méditer avec avantage sur son dernier jour. C’est par miséricorde que le Seigneur cache à chacun le moment où il mourra ; et si l’on ignore le dernier, c’est pour que l’on sanctifie tous les jours,

2. Mais le monde fait obstacle ; partout il flatte et il attire ; on aime la grandeur de la fortune, l’éclat des honneurs, le respect qu’impose la puissance. On aime tout cela ; que néanmoins on écoute l’Apôtre : « Nous n’avons rien apporté dans ce monde, dit-il, et nous n’en pouvons rien emporter. » C’est aux honneurs de te chercher, non à toi de chercher les honneurs. Car tu dois prendre la dernière place, afin que celui qui t’a invité te fasse monter à une place plus honorable i. S’il ne le fait pas, mange où tu es, puisque tu n’as rien apporté dans ce monde. Est-ce peu pour toi de manger le bien d’autrui ? Reste donc en quelque lieu que ce soit et mange. Tu diras : Je mange mon bien. Écoute l’Apôtre « Nous n’avons rien apporté dans ce monde. » En y venant tu as trouvé une table servie. Mais au Seigneur appartient la terre et tout ce qu’elle renferme j.

3. « Ceux en effet qui veulent devenir riches », dit l’Apôtre. Il ne dit pas : Ceux qui sont riches ; mais : « Ceux qui veulent le devenir », c’est la passion, qu’il condamne, non la richesse. « Ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation et dans beaucoup de désirs inutiles et nuisibles qui plongent les hommes dans la ruine et la perdition. » Tu aimes l’argent, et tu ne crains pas cela ? C’est une bonne chose que la fortune, une bonne chose qu’une grande fortune. Mais « ils tombent dans la tentation : » tu ne crains pas ? « Ils tombent dans beaucoup de désirs inutiles et nuisibles : » tu n’as point peur ? Crains où mènent ces désirs. Et où mènent-ils ? « Ils plongent les hommes dans la ruine et la perdition. » Et tu restes sourd ? Tu ne crains pas la ruine et la perdition ? Dieu tonne si fort et tu dors si profondément ?

4. A ceux qui sont déjà riches l’Apôtre donne encore un conseil. « Commande, dit-il, aux riches de ce siècle de ne s’enfler, pas d’orgueil. » L’orgueil est le ver rongeur produit par les richesses. Il est difficile au riche de n’être pas superbe. Supprime l’orgueil, les richesses n’ont rien de nuisible. Mais que dois-tu en faire pour ne laisser pas inutiles les largesses du Seigneur ? Tu dois « ne pas t’enfler D’orgueil ; » à bas ce vice ; « n’espérez pas aux richesses fragiles ; » à bas ce vice encore. Après avoir écarté ces désordres, exerce-toi aux bonnes œuvres. Auxquelles ? Écoute : « Qu’ils soient riches en bonnes œuvres, continue l’Apôtre, et qu’ils n’espèrent point aux richesses incertaines. » En quoi espéreront-ils ? « Au Dieu vivant qui nous donne « tout abondamment pour en jouir. » Il donne le monde au pauvre, il le donne également au riche. Celui-ci, pour être riche, a-t-il deux corps à nourrir ? Considérez et remarquez comme les pauvres dorment quand ils sont rassasiés des dons de Dieu. Celui qui vous nourrit, les nourrit aussi par vous.

5 Ainsi donc que l’on n’aime pas la fortune mais si on en a, voici ce qu’il en faut faire. Vous qui en avez, enrichissez-vous. En quoi ? « En bonnes œuvres. Qu’ils donnent aisément, dit l’Apôtre, qu’ils partagent. » Je vois d’ici l’avarice se contracter en entendant ces mots : « Qu’ils donnent aisément, qu’ils partagent ; » on dirait qu’arrosée d’eau froide elle se raidit et se serre le sein en disant : Je ne perds pas, moi, le fruit de mes travaux infortunés, tu ne veux pas perdre le fruit de tes travaux ; mais tu mourras ; tu n’as rien apporté dans ce monde, tu ne saurais non plus en rien emporter ; et n’en rien emporter, n’est-ce pas perdre le fruit de tous tes travaux ? Écoute donc le conseil de Dieu, même. Ne t’effraie point d’avoir entendu : « Qu’ils donnent aisément, qu’ils partagent. » Écoute encore ce qui suit, attends, ne me ferme pas la porte ni l’entrée de ton cœur, attends. Veux-tu savoir qu’en donnant aisément, qu’en partageant tu ne perdras pas et que même tu ne conserveras que ce que tu auras donné ? « Qu’ils s’amassent, est-il dit ensuite, un trésor qui soit pour l’avenir un solide fondement, afin d’acquérir la vie éternelle k », Elle est donc fausse cette vie qui te charme ; tu vis ici comme dans un songe. Si cette vie est un songe, la mort en sera le réveil ; qu’auras-tu alors dans les mains ? Vois-tu dormir ce mendiant ? Il voit en songe un héritage lui advenir, rien n’est plus heureux que lui avant le réveil. Il croit avoir au moins de riches vêtements, des vases précieux, d’or et d’argent ; il croit prendre possession de beaux et vastes domaines et voir à ses pieds de nombreuses familles : mais il s’éveille et pleure ; il accuse celui qui l’a éveillé comme nous accuserions celui qui nous aurait dépouillés. Un psaume parle manifestement de ceci. « Ils ont dormi leur sommeil, dit-il, et tous ces hommes de richesses n’ont rien trouvé dans leurs mains l », après s’être éveillés.

6. Ainsi donc tu n’emporteras rien, puisque tu n’as rien apporté. Veux-tu ne rien perdre ? Envoie là-haut ce que lu as rencontré ; donne au Christ, car le Christ consent à recevoir ici. Donne au Christ et tu ne perdras pas. Tu ne perds point en confiant à ton esclave ce que tu as gagné ; et tu perdrais en confiant à ton Seigneur ce que tu as reçu de lui-même ? Le Christ veut bien être ici dans l’indigence ; mais c’est à cause de nous. Il pouvait nourrir tous ces pauvres que vous voyez, comme il a nourri Élie, par le ministère d’un corbeau. Cependant il a ôté le corbeau à Élie même en faisant nourrir ce prophète par une veuve, c’est une grâce qu’il accordait non à Élie mais à cette veuve m. Ainsi donc, quand pieu fait des pauvres, en ne voulant pas qu’ils possèdent, quand Dieu fait des pauvres, il éprouve les riches, car il est dit : « Le pauvre et le riche se sont rencontrés. » Où se sont-ils rencontrés ? Dans cette vie. L’un est né, l’autre aussi, ils se sont trouvés, ils se sont rencontrés. Et qui les a faits tous deux ? Le Seigneur n. Il a fait le riche pour aider le pauvre, et le pauvre pour éprouver le riche. Que chacun agisse selon ses moyens ; nous ne disons pas qu’on aille jusqu’à se mettre à la gêne. C’est ton superflu dont un autre a besoin. Vous avez entendu tout à l’heure, quand on lisait l’Évangile : « Quiconque donnera à l’un de ces petits un verre d’eau froide à cause de moi, ne perdra point sa récompense o. » Le Sauveur met en vente le royaume des cieux et il l’adjuge pour un verre d’eau froide. Mais c’est quand celui qui fait l’aumône est pauvre qu’il doit verser des charités de verre d’eau froide. Celui qui a plus doit donner davantage. Cette veuve donna deux oboles p ; Zachée donna une moitié de tous ses biens, et il réserva l’autre moitié pour réparer ses injustices q.L’aumône profite à qui a chante de vie. Quand en effet tu donnes au Christ indigent, c’est pour racheter tes péchés passés. Car si tu donnais pour obtenir de pouvoir pécher toujours impunément, ce ne serait point nourrir le Christ ; ce serait essayer de corrompre ton juge. Faites donc l’aumône pour demander que vos prières soient exaucées et que Dieu vous aide à améliorer votre vie. Oui, en changeant de vie, améliorez votre vie, afin d’obtenir, par vos aumônes et vos prières, que vos péchés soient effacés et que vous parveniez aux biens à venir et éternels.

SERMON XL. CONTRE LE DÉLAI DE LA CONVERSION r.

ANALYSE. – Notre devoir est de servir Dieu avec une patience et une confiance inaltérables. Combien donc ils se trompent ceux qui ne veulent point revenir à lui, soit par désespoir soit par présomption ! Combien se méprennent aussi ceux qui diffèrent de se convertir ! – En effet, 1° fussent-ils sûrs de se convertir plus tard, pourquoi mener une vie mauvaise quand ils peuvent la rendre bonne ? 2° Qu’ils montrent le passage de l’Écriture qui leur promet de vivre demain : partout au contraire ils y sont pressés de se convertir. 3° Donc qu’ils regardent comme un bienfait mes instances importunes à les tirer de leur sommeil. 4° Que leur servirait-il d’être rassurés par moi si Dieu me désavoue ? – Ainsi tous demandons avec ferveur notre conversion et la parfaite sanctification de nos âmes.

1. Souvent, mes frères, nous avons chanté avec le Psalmiste : « Attends le Seigneur, agis avec courage ; fortifie ton cœur et attends le Seigneur s. » Que veut dire : « Attends le Seigneur ? » Que tu reçoives quand il donnera, que tu n’exiges point quand il te plaît. L’époque de ses récompenses n’est point encore arrivée ; attends-le, puisqu’il t’a attendu. Mais qu’ai-je dit : Attends-le puisqu’il t’a attendu ? Si déjà tu vis dans la justice, si déjà tu es converti, si tes anciens péchés te déplaisent, si tu es déterminé à mener dans la pratique du bien une vie nouvelle ; ne te hâte point d’exiger la récompense. Dieu a attendu que tu corrigeasses la perversité de ta vie ; attends qu’il en couronne la vertu. Car si lui-même n’attendait encore, il n’y aurait personne à qui il pût donner. Attends donc, puisqu’on t’a attendu.

2. Pour toi, qui ne veux pas té corriger, oh ! qui que tu sois qui refuses de revenir à Dieu ; hélas ! je parle comme s’il n’y en avait qu’un seul et j’aurais dû dire plutôt : Qui que vous soyez ici ; cependant toi qui es ici et qui n’es point résolu de te corriger, et pour parler comme s’il n’y en avait qu’un ; qui que tu sois qui ne veux pas te convertir, que te promets-tu ? Est-ce le désespoir ou la présomption qui te perd ? Victime du désespoir, tu dis en ton cœur, qui que tu sois Mon péché m’accable, mes iniquités me dévorent, quel espoir ai-je de vivre ? Écoute le prophète. « Je ne veux pas la mort de l’impie, je veux seulement que l’impie se convertisse de sa voie détestable et qu’il vive t. » Et toi que perd la présomption, tu dis aussi dans ton cœur Dieu est bon, Dieu est miséricordieux, il pardonne tout, il ne rend pas le mal pour le mal. Mais écoute l’Apôtre : « Ignores-tu, dit-il, que la patience de Dieu t’invite à la pénitence ? u. »

3. Qu’as-tu donc encore à répondre ? Si nous avons gagné sur toi quelque chose, si tu as saisi ce que je viens de rappeler, je vois ce que tu m’objecteras. J’en conviens, diras-tu ; mais je ne m’abandonne ni au désespoir pour en être victime, ni à la présomption pour en être également accablé. Je ne répète pas : mon iniquité m’écrase, je n’ai plus d’espoir. Je ne dis pas non plus : Dieu est bon, il ne châtie personne. Je m’abstiens de ces deux extrêmes, également pressé par l’autorité dit Prophète et par l’autorité de l’Apôtre. — Alors que dis-tu ? – Je vivrai encore un peu de temps à ma fantaisie. – Voilà ceux qui nous fatiguent ; ils sont nombreux et importuns. – Je vivrai encore un peu de temps à ma fantaisie, je me corrigerai ensuite ; et comme la vérité est dans ces paroles du prophète : « Je ne veux pas la mort de l’impie, je veux seulement qu’il sorte de sa voie perverse et qu’il vive » quand je me serai converti, Dieu effacera toutes mes fautes. Pourquoi n’ajouter pas à mes plaisirs et ne pas suivre mes désirs aussi longtemps que je veux, puisque je dois ensuite me convertir au Seigneur ?

4. – pourquoi ce langage, mon frère, pourquoi ? – Parce que Dieu m’a promis le pardon si je change. – Je le vois, je le sais, Dieu a promis le pardon. Il le promet par son saint prophète, il le promet par moi-même, le dernier de ses serviteurs ; il est bien vrai qu’il le promet, il l’a promis encore par son Fils unique. Mais pourquoi vouloir joindre des jours mauvais à de mauvais jours ? Qu’à chaque jour suffise son mal v. Le jour d’hier était mauvais, celui-ci l’est encore, demain le sera aussi. Crois-tu bons en effet les jours où tu satisfais tes passions, où tu plonges ton cœur dans l’a débauche, où tu tends des pièges à la pudeur, où tu aigris le prochain par la fraude, où tu nies un dépôt, où pour une pièce de monnaie tu fais un faux serment ? Le bonheur du jour consiste-t-il pour toi dans un bon repas ? Eh ! comment le jour serait-il bon pour toi si tu es mauvais ? À de mauvais jours tu veux donc ajouter des jours mauvais ?

5. – Qu’on me laisse donc un peu, dit ce pécheur. – Pourquoi ? – Parce que Dieu m’a promis le pardon. – Mais personne ne t’a promis de vivre demain. Tu lis bien dans le Prophète, dans l’Évangile et dans l’Apôtre que Dieu effacera tes iniquités lorsque tu te seras converti montre-moi mais de la même manière quel est le texte sacré qui t’assure du lendemain, et demain je te permettrai de faire le mal. Mais non, mon frère, je ne puis t’adresser ce langage. Peut-être cependant ta vie sera-t-elle longue. Si elle est longue, qu’elle soit donc bonne. Pourquoi chercher une vie à la fois longue et mauvaise ? Mais si elle n’est pas longue, aime alors cette autre vie qui sera vraiment longue, puisqu’elle n’aura pas de fin. Si d’ailleurs elle est longue, comment te repentir d’avoir mené une vie bonne et longue en même temps ? Voudrais-tu mal vivre pendant longtemps ? Voudrais-tu ne pas bien vivre ? Personne toutefois ne t’a promis de lendemain. Corrige-toi, écoute l’Écriture. « Ne diffère pas, dit-elle, de te convertir à Dieu. » Ces paroles ne sont pas de moi et elles sont à moi. Elles sont à moi, si je les aime aimez-les, et elles seront également pour vous. Elles viennent de la sainte Écriture ; méprise-les, elles seront pour toi l’ennemi, l’ennemi avec lequel, dit le Seigneur, il faut t’empresser de te mettre d’accord w. Que tous soient attentifs, je répète ici les paroles de l’Écriture divine. Malheureux qui diffères, malheureux ami du jour de demain, écoute le Seigneur quand il parle, écoute l’Écriture quand elle prédit. Je suis ici une sentinelle avancée. « Ne tarde pas de te convertir au Seigneur et ne diffère pas de jour en jour. » — N’est-il pas ici question, n’est-ce pas ici le caractère de ceux qui disent : c’est demain que je commence à bien vivre, je vis mal aujourd’hui ? Demain encore tu tiendras le même langage. « Ne tarde pas de te convertir à Dieu et ne diffère pas de jour en jour. Car sa colère viendra soudain et il te perdra au jour de la vengeance. » Est-ce moi qui ai écrit cela ? Puis-je l’effacer ? et si je l’efface ne serai-je pas effacé ? Je puis le taire sans doute, mais je crains ce silence. Je suis contraint de publier cette vérité, et je communique la crainte qu’elle m’inspire. Partagez ma crainte pour partager ma joie. « Ne tarde pas de te convertir à Dieu. » Voyez, Seigneur, ce que je dis ; vous savez, Seigneur, que vous m’avez effrayé à la lecture de votre prophète. Vous connaissez, Seigneur, l’effroi dont alors j’étais glacé sur cette chaire. Écoutez, je répète encore : « Ne tarde pas de te convertir à Dieu et ne diffère pas de jour en jour ; car sa colère viendra soudain et il te perdra au jour de la vengeance. » Or je ne veux pas qu’il te perde.

6. Ne me dis pas : Je veux périr ; car je ne veux pas, moi. Mon refus est préférable à ton vouloir. Je suppose que ton père malade soit tombé en léthargie ; il est entre tes bras et c’est toi qui, jeune encore, dois assister ce vieillard. Le médecin te dit : Ton père est en danger ; ce sommeil est un appesantissement mortel. Attention ! ne le laisse pas dormir ; si tu le vois céder, au sommeil, excite-le ; si c’est peu, va jusqu’à le pincer ; si c’est peu encore, emploie l’aiguillon pour le dérober à la mort. N’est-il pas vrai que malgré ta jeunesse tu ne craindrais point de te rendre importun à sa vieillesse ? Il se laisserait aller aux douceurs d’un sommeil maladif, dans ce lourd assoupissement il fermerait les yeux et tu lui crierais : Ne t’endors pas. Laisse-moi, je veux dormir, répondrait-il. Mais le médecin a dit, répliquerais-tu, qu’il ne faut point te laisser dormir. – Je t’en conjure, reprendrait-il, laisse-moi, je veux mourir. – Et moi je ne le veux pas, dit le fils à son père, à son père qui appelle la mort. Toi donc, tu veux retarder cette mort, tu veux vivre un peu plus longtemps encore avec ce vénérable vieillard condamné pourtant à mourir. Maintenant le Seigneur te crie lui-même : Ne t’endors point pour ne pas dormir toujours, éveille-toi pour vivre avec moi et posséder en moi un père dont tu ne conduiras point le deuil. Tu l’entends et tu es sourd.

7. Sentinelle avancée, qu’ai-je fait ? J’agis libéralement, je ne, vous veux point de mal. Je sais néanmoins que plusieurs diront : Que prétend-il ? Il nous a effrayés, accablés, condamnés. Ah ! j’ai voulu plutôt vous sauver de la condamnation. Il serait pour moi hideux, honteux, pour ne pas dire coupable, dangereux et funeste ; donc il serait pour moi honteux de vous tromper, puisque Dieu ne me trompe pas.

Le Seigneur menace de la mort les impies, les débauchés, les trompeurs, les scélérats, les adultères, les chercheurs de plaisirs, les contempteurs d’eux-mêmes, ceux qui se plaignent des temps sans changer de mœurs ; le Seigneur les menace de la mort, il les menace de la géhenne, il les menace de la ruine éternelle. Pourquoi veulent-ils que je leur promette ce que Dieu ne promet point ? En vain le régisseur te laisse en paix : quel, service te rend-il si le père de famille n’y consent pas ? Je suis ici régisseur, serviteur moi-même. Tu veux que e te dise : Vis à ta fantaisie et Dieu ne te perdra point ? Ce serait une assurance de régisseur, assurance inutile. Ah ! mieux vaudrait qu’elle te vînt du Seigneur et que l’inquiétude vint de moi. L’assurance du Seigneur aurait son effet malgré moi ; la mienne serait sans valeur malgré lui. Or, mes frères, quelle peut être ma sécurité ou la vôtre, sinon d’écouter avec attention et avec soin les ordres du Seigneur et d’attendre ses promesses avec confiance ? Ce travail nous fatigue, parce que nous sommes hommes : donc implorons son secours, élevons jusqu’à lui nos gémissements. Ne prions pas pour obtenir les biens du siècle qui passent, qui fuient, qui s’évanouissent comme une vapeur ; prions pour obtenir l’accomplissement de la justice et la sainteté au nom du Seigneur ; non pour la défaite d’un voisin, mais pour la défaite de la cupidité ; non pour la guérison du corps, mais pour la ruine de l’avarice. Prions ainsi ; la prière alors nous fortifiera intérieurement dans la lutte et nous couronnera dans la victoire.

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