‏ 1 Corinthians 12:2

SERMONS INÉDITS. DEUXIÈME SUPPLÉMENT.

DIX-NEUVIÈME SERMON. SUR CES PAROLES DE L’APÔTRE : « JE VOUS ENSEIGNE UNE VOIE BEAUCOUP PLUS RELEVÉE [1 Cor 12, 31]
On lit dans le manuscrit, fol. 64 : « Sermon de saint Augustin, évêque, sur la charité ».— C’est un beau traité contre les Donatistes, dont la deuxième partie est historique. Possidius, dans son Indic. Opp, c. 9, fait mention de deux traités sur la charité.
 ».

ANALYSE. —1. La charité surpasse tous les autres dons que l’on pourrait avoir sans elle. —2. Prophétie sans charité en Saül et en sa garde. —3. Prophétie sans la charité en Caïphe. —4. La foi sans la charité chez les démons.—5. Exemple de la charité réciproque dans les membres du corps humain. —6. Diverses dignités dans les membres, et surtout la santé qu’il faut considérer. —7. Les Donatistes, membres malades, sont retranchés.—8. Condamnation de Crispions, et auparavant des Donatistes dans la cause de Cécilien et de Majorin.—9. Ces membres retranchés peuvent revenir à l’Église. —10. L’Église répandue dans tout l’univers est catholique, vraie. —11. Le don des langues, accordé aux premiers fidèles, signifiait que l’Église les parlerait toutes. —12. Il engage les Donatistes à opérer leur retour.

1. À ceux qui aiment la charité, il est bon de parler de cette vertu qui fait aimer comme il convient tout ce que l’on aime. C’est dans la charité, en effet, que se trouve la voie la plus relevée dont a parlé l’Apôtre. On le lisait tout à l’heure, et nous l’avons entendu. « Je vous montre », dit-il, « une voie bien plus relevée b ». Il énumère ensuite plusieurs dons, des plus éclatants, et qu’on ne saurait dédaigner ; et toutefois il déclare qu’ils ne servent de rien aux hommes, s’ils n’ont la charité. Parmi ces dons il fait mention de parler la langue des hommes et des anges, de posséder toute prophétie, toute science, toute foi, jusqu’à transporter les montagnes, jusqu’à distribuer tous ses biens aux pauvres, jusqu’à livrer son corps pour être brûlé c. Tout cela sans doute est grand, est divin ; mais à la condition d’avoir pour base la charité, de grandir sur la racine de la charité. Qu’il y ait eu beaucoup de chrétiens pour posséder beaucoup de ces dons sans avoir en môme temps la charité, c’est ce que je n’oserais dire, si l’exemple de certains hommes, non pas les premiers venus, ni pris au hasard, mais choisis dans les saintes écritures, ne nous apprenait que nul ne saurait avoir la charité, s’il n’a d’abord la foi. Mais parmi les principaux, que nous y rencontrons, c’est un grand don que la prophétie ou la foi. Que dire du reste ? S’il ne sert de rien à personne de posséder le don de prophétie, sans avoir aussi la charité ; si nul, même avec la foi, ne saurait sans la charité arriver au royaume de Dieu, que dirons-nous du reste ? Parler diverses langues, qu’est-ce que cela auprès de la prophétie et de la foi ? Qu’est-ce, auprès de la prophétie, que distribuer son bien aux pauvres et livrer son corps pour être brûlé ? Des téméraires, des hommes sans retenue, font souvent cela. Il y a donc là deux dons, et des plus grands, et il y aurait de quoi nous étonner si nous pouvions trouver un homme possédant le don de prophétie sans avoir la charité, ou bien ayant la foi sans avoir aussi la charité.

2. Pour la prophétie, nous en trouvons un exemple dans le livre des Rois d : Saül persécutant David qui était saint. Or, dans ces poursuites, il envoya des gardes pour le prendre et le faire mourir ; et ces gardes envoyés pour amener David au supplice, le trouvèrent parmi les Prophètes, avec qui était aussi Samuel, ce saint enfant d’Anne, autrefois stérile, qui avait demandé au Seigneur d’être mère, qui l’avait reçu du Seigneur, et l’avait consacré au Seigneur dès sa naissance. Samuel était donc là en même temps que David, Samuel, ce Prophète par excellence et qui donna à David l’onction royale. Ainsi lorsque David était poursuivi par Saül, il chercha un asile auprès de Samuel, comme ferait aujourd’hui un homme poursuivi au-dehors, et qui chercherait un refuge dans l’église. David était donc venu auprès de Samuel, et cet éminent Prophète n’était point seul, mais beaucoup d’autres Prophètes étaient auprès de lui. Ce fut donc au milieu d’eux, quand ils prophétisaient, que vinrent les envoyés de Saül pour prendre David et le mener au supplice. L’Esprit de Dieu les saisit, et voilà qu’ils commencèrent à prophétiser, eux qui venaient ravir par le glaive, et emmener du milieu des Prophètes le juste, le saint de Dieu. Les voilà tout à coup plein de l’esprit de Dieu, et devenus Prophètes. Peut-être ceux-ci étaient-ils innocents, puisqu’ils n’étaient point venus d’eux-mêmes pour prendre David, mais sur un ordre du roi. Peut-être venaient-ils, à la vérité, où était David, mais sans le dessein d’exécuter les ordres de Saül. Peut-être devaient-ils demeurer en ce lieu. Car tout cela arrive encore aujourd’hui. Le pouvoir suprême envoie un héraut enlever un homme de l’église. Cet envoyé n’ose agir contre Dieu, et pour ne pas encourir la peine du glaive, demeure dans cette église, où il a été envoyé. Quelqu’un dira dans son étonnement que ces envoyés sont tout à coup devenus Prophètes, parce qu’ils étaient innocents, et que cette innocence est prouvée par la prophétie elle-même. Ils sont venus sur l’ordre qui leur a été donné, mais ils n’eussent pas exécuté l’ordre injuste. Croyons-le de ceux-ci. D’autres sont envoyés, et voilà que l’esprit de Dieu s’en empare, et ils prophétisent à leur tour. Accordons encore à ceux-ci l’innocence comme aux premiers. D’autres sont envoyés en troisième lieu, et il en fut de même. Tous étaient innocents. Comme ils tardaient à venir, et que l’ordre de Saül ne s’accomplissait point, il vint lui-même. Était-il innocent, lui aussi ? Était-il envoyé à son tour par quelque puissance d’en haut, et n’obéissait-il point à sa coupable volonté ? Et néanmoins il fut à son tour saisi de l’esprit de Dieu et se mit à prophétiser. Voilà donc Saül qui a le don de prophétie, mais qui n’a pas la charité. Il a été un instrument qu’a touché l’Esprit-Saint, mais sans le purifier.

3. Car l’Esprit-Saint touche en effet, par le don de prophétie, certains cœurs qu’il ne purifie point. Mais les toucher sans les purifier, n’est-ce point pour l’Esprit-Saint se souiller à son tour ? Il est de la substance divine de toucher à tout sans contracter aucune souillure. Et ne soyez point étonnés que cette lumière qui nous vient du ciel touche à toutes les immondices répandues çà et là, sans en être obscurcie le moins du monde. Or, il n’en est pas seulement ainsi de la lumière qui nous vient du ciel, mais de la lumière qui vient d’une lampe : quiconque porte cette lumière, passera parfois dans un cloaque et en sera maculé ; mais la lumière de cette lampe qu’il porte passera sur toutes sortes d’objets sans contracter la moindre souillure. Or, si Dieu a pu donner un tel privilège à des corps lumineux, lui qui est la lumière véritable, éternelle, inaltérable, pourra-t-il être maculé quelque part ? ou bien la lumière de Dieu peut-elle faire défaut quelque part, quand il est dit d’elle, « qu’elle atteint d’une extrémité à l’autre avec force, et dispose toutes choses avec douceur ? e » Elle touche donc ce qu’elle veut, et purifie ce qu’elle veut. Sans purifier tout ce qu’elle touche, elle touche ce qu’elle a purifié. L’Esprit de Dieu n’avait donc point purifié Saül, mais l’avait touché dans le sens prophétique. Caïphe, prince des prêtres, persécutait le Christ, et néanmoins il prophétisa, quand il dit : « Il vous est bon qu’un homme meure, et non a pas que toute la nation périsse f ». L’Évangéliste, après nous avoir donné le mot prophétique, poursuit : « Or, il ne dit point cela de lui-même, mais étant grand prêtre de cette année, il prophétisa g ». Caïphe donc prophétisa, Saül prophétisa. Ils avaient la prophétie, sans avoir néanmoins la charité. Avait-il en effet la charité, ce Caïphe persécuteur du Fils de Dieu, venu parmi nous par la charité ? Avait-il la charité, ce Saül qui persécutait celui dont la vaillante main l’avait délivré de ses ennemis, lui, non-seulement jaloux, mais ingrat ? La prophétie peut donc se trouver chez un homme qui n’a pas la charité : nous en avons fait la preuve. Chez ceux-là le don de prophétie ne sert de rien, selon cette parole de l’Apôtre : « Si je n’ai point la charité, je ne suis rien h ». Il ne dit point : la prophétie n’est rien, ou la foi n’est rien ; mais bien : Je ne suis rien, si je n’ai la charité. Bien qu’il ait de grands dons, et quels que soient ces dons, il n’est rien. Car ces dons éminents qu’il possède, au lieu de le soutenir, servent pour son jugement. C’est un avantage de n’avoir point de grands dons, mais bien user des grands dons que l’on possède est un avantage aussi. Or, c’est n’en pas bien user, que n’avoir point la charité. Car il n’y a que la volonté vraiment bonne qui puisse faire d’une chose un bon usage ; or, il n’y a pas de volonté vraiment bonne sans charité.

4. Que dire de la foi ? Où trouver un homme qui ait la foi sans la charité ? Il en est beaucoup qui croient sans aimer. Sans compter les hommes, il y a les démons qui croient ce que nous croyons, sans aimer ce que nous aimons. Car l’apôtre saint Jacques blâmait ceux qui se persuadaient qu’il leur suffit de croire, et qui refusaient de vivre régulièrement, ce qui n’est possible que par la charité ; car une vie régulière est du domaine de la charité, et l’on ne peut avoir la charité et mal vivre, puisque bien vivre n’est autre chose que se laisser diriger par la charité. Quelques-uns donc se vantaient de croire en Dieu, et ne voulaient point mener une vie régulière et conforme à la sainteté de cette foi qu’ils avaient embrassée, et l’Apôtre les compare à des démons et s’écrie : « Tu dis qu’il n’y a qu’un Dieu unis que, c’est bien croire ; mais les démons croient aussi et tremblent i ». Si donc tu as la foi sans la charité, tu as cela de commun avec les démons. Pierre dit : « Vous êtes le Fils de Dieu », et il lui est répondu : « Tu es bienheureux, Simon, fils de Jean, parce que la chair et le sang ne te l’ont point révélé, mais mon Père qui est dans les cieux j ». Nous voyons que les démons dirent aussi : « Qu’y a-t-il de commun entre vous et nous, ô Fils de Dieu ? k » Les Apôtres donc le proclament Fils de Dieu, et les démons aussi le proclament Fils de Dieu. La confession est égale, mais la charité inégale. Les premiers croient et aiment, les autres croient et tremblent. L’amour attend sa récompense, la crainte son châtiment. Nous le voyons donc, il est possible d’avoir la foi sans avoir la charité. Que nul ne se vante de posséder quelque don dans l’Église, surtout s’il n’est élevé dans l’Église qu’à l’occasion de ce privilège, mais qu’il considère s’il a la charité. Le même apôtre saint Paul, qui a parlé de ces dons si divers d’en haut, qui les a énumérés parmi les membres du Christ ou dans l’Église, dit que chacun a le don qui lui est propre, et qu’il est impossible que tous aient le même don. Toutefois, nul ne demeurera sans quelque don. L’Apôtre énumère les Prophètes, les docteurs, les interprètes, le don de parler, le don de guérir les maladies, le don d’assistance, le don de gouvernement, le don de parler diverses langues. Voilà ce qu’il énumère, et nous voyons que tel a cette vertu, tel autre une autre vertu. Que nul donc ne s’afflige de n’avoir point le don qu’il trouve dans les autres. Qu’il ait la charité, et sans rien envier à celui qui possède, il aura ce que celui-ci possède. Tout ce qui est en effet chez mon frère, si je ne lui porte point envie, si j’ai la charité, tout cela est à moi ; si je ne l’ai point en moi, je l’ai en lui. Mais ce ne serait point à moi, si nous n’étions dans un même corps et sous une même tête.

5. Que ta main droite, par exemple, qui fait partie de ton corps, ait un anneau, sans que ta main gauche en ait un aussi. Est-ce que cette dernière est tout à fait sans ornement ? Vois chacune des mains, et tu verras un anneau à l’une, rien à l’autre. Vois l’enchaînement des parties du corps, parmi lesquelles ces deux mains, et vois que l’une, qui n’a pas d’anneau, en a un néanmoins dans celle qui l’a. Tes yeux voient où l’on va ; tes pieds vont où voient tes yeux, et néanmoins tes pieds ne sauraient voir, ni tes yeux marcher. Mais le pied te répond : J’ai la lumière, non pas en moi, mais dans l’œil. Car l’œil ne voit pas pour lui seul ; il voit pour moi. Les yeux disent à leur tour : Nous marchons, non par nous-mêmes, mais bien par les pieds ; car les pieds ne se portent point seuls, mais nous avec eux. Donc chacun des membres agit selon la faculté qui lui est départie, et selon que l’esprit le dirige. Toutefois ces membres constitués en un même corps et tenant à l’unité sans s’arroger pour chacun d’eux ce qu’ont les autres membres, et qu’ils n’ont point, ne se regardent point comme frustrés de ce qui est dans un même corps, et dont ils jouissent également. Enfin, mes frères, qu’un membre du corps vienne à souffrir, quel autre membre lui refusera son secours ? Dans l’homme, quoi de plus éloigné que le pied, et dans le pied quoi de plus éloigné que la plante ? Et dans cette plante, quoi de plus éloigné que la peau qui foule la terre ? Et toutefois cette extrémité de tout le corps tient si bien à l’unité, que si une épine la vient meurtrir quelque part, tous les membres viennent à son secours pour arracher, cette épine. Les jarrets se plient à l’instant, on courbe l’épine, non pas celle qui a meurtri le pied, mais celle qui soutient notre dos ; on s’assied afin d’arracher l’épine maudite. Mais s’asseoir pour en agir ainsi, c’est l’œuvre de tout le corps. Combien est rétréci l’endroit qui souffre ! C’est un endroit bien étroit que celui qu’une épine peut meurtrir, et à cette extrémité ; et néanmoins tout le corps ne dédaigne pas de soulager une souffrance dans un endroit si restreint. Les autres membres, sans souffrir en eux-mêmes, souffrent néanmoins dans cet unique endroit. De là vient que l’Apôtre a pris là un exemple de charité, en nous exhortant à nous aimer, les uns les autres, de cet amour qui est entre les membres d’un même corps. « Si quelque membre vient à souffrir », nous dit-il, « tous les autres souffrent en lui ; et si un membre reçoit de l’honneur, tous les autres se réjouissent en lui. Vous êtes le corps du Christ et ses membres l ». S’il y a de l’amour entre ces membres qui ont leur chef sur la terre, comment se doivent aimer des membres qui ont leur chef dans le ciel ? Assurément, ils ne s’aiment point eux-mêmes, s’ils sont abandonnés de leur chef. Mais ce chef, vraiment chef, est élevé en gloire, est placé à la droite de Dieu, dans le ciel, de manière, néanmoins, à souffrir sur la terre, non en lui-même, mais dans ses membres, au point de dire au dernier jour : « J’ai eu faim, j’ai eu soif, j’ai été étranger » ; et quand on lui demandera : « Quand est-ce que nous vous avons vu avoir faim ou soit ? » il semblera répondre : Pour moi je suis la tête et j’étais dans le ciel, mais sur la terre mes membres avaient soif ; il ajoutera enfin : « Ce que vous avez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait » ; et à ceux qui ne l’auront point soulagé : « N’avoir rien fait pour le moindre des miens, c’est n’avoir rien fait pour moi ? m » Ce n’est donc que par la charité que l’on s’unit à un tel chef.

6. Nous voyons en effet, mes frères, que dans nos membres chacun a un office qui lui est propre : c’est à l’œil de voir, et non d’agir ; à la main, au contraire, d’agir et non de voir ; à l’oreille, d’entendre, sans voir et sans agir ; à la langue, de parler sans entendre et sans voir ; et, bien que chacun de ces membres ait son office à part, ils n’en forment pas moins un seul et même corps, ayant quelque chose de commun à tous. Les offices sont divers, la santé est la même. La charité sera donc pour les membres du Christ ce qu’est la santé aux membres du corps humain : L’œil occupe la plus haute place, l’endroit le plus éminent ; il est placé à dessein dans une citadelle, d’où il peut découvrir, voir et montrer. L’œil a l’honneur d’occuper un lieu plus élevé, d’être un sens plus vif, d’avoir une agilité, une certaine force qu’on ne retrouve point dans les autres sens. Aussi la plupart des hommes jurent-ils par leurs yeux, plutôt que par tout autre membre. Nul ne dit à un autre : Je t’aime comme mes oreilles ; quoique le sens de l’ouïe soit presque égal à celui des yeux, et tout rapproché. Que dirai-je des autres ? Chaque jour on dit : Je t’aime comme mes yeux. Et l’apôtre saint Paul témoigne que nous avons pour nos yeux plus d’amour que pour les autres membres, quand il exprime ainsi l’attachement des Églises pour lui : « Je vous rends ce témoignage que vous étiez prêts à vous arracher les yeux, s’il eût été possible, pour me les donner n ». Dans le corps humain donc, la place la plus élevée, la plus honorable, est pour les yeux, et dans ce même corps, rien n’est plus éloigné que le dernier doigt du pied. Et toutefois, dans un corps humain, un doigt qui est sain est plus avantageux que l’œil qui est chassieux et obscurci. Car, la santé qui est commune à tous les membres du corps, est plus précieuse néanmoins quand il s’agit de l’office de chacun. De même, tu vois dans l’Église un homme peu élevé, mais qui a reçu quelque don, et qui a la charité ; un autre homme est plus élevé dans l’Église par un don supérieur, mais il n’a pas la charité. Que l’un soit pour nous le dernier doigt, et l’autre l’œil. Celui-là est plus lié au corps, qui jouit d’une santé plus complète. Enfin ce qu’il y a de malade en un corps, est nuisible à tout autre corps, et tous les membres s’appliquent à guérir une partie malade, et souvent y parviennent. Mais si l’on ne peut la guérir, et qu’elle soit gangrenée au point de ne plus guérir, on garantit les autres membres, en retranchant cette partie de l’unité du corps.

7. Que le premier venu, que Donat, par exemple, soit comme l’œil dans le corps humain ; qu’il soit donc l’œil, car nous ne savons ce qu’il a été, mais qu’il soit l’homme doué, comme son nom l’indique ; de quoi lui a servi la supériorité de l’honneur et de la gloire ? Il n’a pu conserver la santé, parce qu’il n’avait pas la charité. Ensuite, ces membres-là sont tellement gangrenés, qu’il a fallu de toute nécessité les retrancher, et ceux qu’ils se vantent d’avoir gagnés sont des vers de pourriture. Ce sont des vers retranchés, et qui ne sauraient arriver à la santé. Car un membre peut revenir à la santé, tant qu’il fait partie du corps, sans en être retranché. Des membres sains, en effet, peut découler la santé sur un endroit blessé. Mais qu’un membre soit retranché et souffre d’une blessure, il n’y a plus pour lui ni canal, ni source, d’où la santé puisse arriver jusqu’à lui. Aussi sont-ils comparés à des sarments retranchés, dans notre Évangile, lequel est d’accord avec l’épître de l’Apôtre. Là aussi, le Seigneur ne nous a recommandé, pour demeurer en lui, rien de si efficace que la charité : « Pour moi », dit-il, « je suis la vigne, vous êtes les branches, et mon Père le vigneron. Tout sarment qui rapporte du fruit en moi, il l’émonde, afin qu’il en rapporte davantage ; mais il retranche tout ce qui ne rapporte aucun fruit en moi o ». Or, le fruit vient de la charité ; car le fruit ne vient que sur la racine. Et l’Apôtre a dit « Soyez enracinés et fondés sur la charité p ». La racine est donc là d’où sort tout fruit. Quiconque en est séparé, bien qu’il paraisse y tenir, ou bien est déjà retranché secrètement, ou bien le sera au grand jour : il ne peut donc rapporter aucun fruit. Ceux-là étaient jadis dans l’unité, on les a retranchés ; d’où retranchés ? de l’unité. Mais, c’est vous, disent-ils, qui êtes retranchés. Que faire ? Moi je vous dis : Vous êtes retranchés ; vous, de votre côté, me dites : C’est vous qui êtes retranchés. Que le Seigneur en juge. C’est donc remettre la cause, pour la porter au jugement de Dieu ? Point du tout. Bien souvent nous en agissons ainsi, quand le jugement de Dieu ne s’est point encore manifesté. Mais quand il apparaît, saisissons-le, et nulle remise. J’ouvre les Écritures, et je vois qui est retranché de l’Église. Si l’Écriture, en effet, rend témoignage au parti de Donat, à quelque Église établie sur une certaine partie de la terre, comme le parti de Donat est établi en Afrique, qu’ils disent que nous sommes retranchés, qu’ils disent que ce sont eux qui sont sur la racine. Mais si l’Écriture ne rend témoignage qu’à l’Église qui est répandue par toute la terre, à quoi bon plaider notre cause au tribunal d’un homme ? Nous avons Dieu pour juge ; et s’il ne siège pas sur un tribunal, il siège dans l’Évangile.

8. Naguère on a jugé Crispinus comme hérétique
L’an 401, voyez l’histoire de saint Augustin et saint Augustin en plusieurs endroits.
. Mais qu’a-t-il dit ? Suis-je donc condamné par l’Évangile ? alléguant ainsi qu’il n’est point condamné, puisque c’est le proconsul et non le Christ qui s’est prononcé contre lui. Lui-même a importuné le proconsul, pour lui demander une sentence ; lui-même a dit : Écoutez-moi. Je ne suis point un hérétique. Tu déclines maintenant le jugement que tu as toi-même invoqué ? Pourquoi ? Parce qu’il est contre toi. Qu’il soit en ta faveur, et il serait bon ; mais dès qu’il est contre toi. il est mauvais. Avant de prononcer, il était compétent ce juge à qui tu as dit : Je ne suis point hérétique, écoutez-moi ; mais, dit-il encore, le proconsul a prononcé d’après la loi des empereurs, et non d’après les lois de l’Évangile. Soit, que le proconsul ait jugé d’après les lois des empereurs ; mais si les empereurs ont tort de te condamner, pourquoi du proconsul en appeler aux empereurs ? Les lois des empereurs étaient-elles déjà contre toi, ou non ? Si elles n’étaient pas contre toi, ce n’est point d’après ces lois qu’a prononcé le proconsul. Si elles étaient contre toi, les empereurs iront-ils, pour toi, juger contre leurs lois ? Mais je te demanderai ensuite : Quelles sont ces lois des empereurs qui sont contre toi ? Que s’est-il fait ? renseigne-moi. Il est évident, et personne ne le niera, qu’il y a contre ces gens beaucoup de lois impériales. D’où vient cela ? Comment cela s’est-il fait ? C’est nous peut-être qui sommes des persécuteurs et qui avons mal parlé de vous aux empereurs. Voilà ce qu’ils racontent à ces malheureux ignorants qu’ils parviennent à tromper. Car ils se gardent bien de dire à ces gens qu’ils veulent tromper comment s’est plaidée leur cause. Mais, en dépit de leurs efforts, voilà qu’on la déterre, qu’on la place au grand jour, qu’on la met sous les yeux mêmes de ceux qui les ferment et ne veulent pas voir. Qu’on fasse la lumière devant ceux qui ferment les yeux, qui ne veulent point voir la lumière. Qu’ils ne puissent cacher l’évidence ! Qu’ils ne se puissent détourner de ce qui est visible, ni obscurcir ce qui est clair. Je les poursuivrai avec la torche de la vérité. Vous avez sollicité le jugement de l’empereur. C’est faux, disent-ils. On en lit le monument public
La cause avait été jugée antérieurement sous Constantin le Grand, entre Majorin et Cécilien. Voyez la lettre du clergé d’Hippone, parmi les lettres de saint Augustin, lettre 88, et le saint docteur lui-même en plusieurs endroits.
. Les Donatistes du parti de Majorin, qui fut ordonné le premier, allèrent contre Cécilien au proconsul d’alors, Anullinus
Les bénédictins de Saint-Maur écrivent Anulinus, c’est mieux peut-être. Et, toutefois, on trouve, vers l’année199 de la Chron. P. Corn., Anulinus, et en l’année 216,Sext. Corn., Anullinus.
, et lui présentèrent des pièces d’accusation contre Cécilien, alléguant qu’elles étaient scellées dans les enveloppes, mais qu’ils avaient contre Cécilien des crimes consignés sur l’acte d’accusation, et le suppliant d’envoyer cette accusation à l’empereur, en son palais. Il existe encore, ce compte rendu du proconsul Anullinus, écrivant à l’empereur Constantin que des hommes du parti de Majorin étaient venus le trouver avec des pièces portant accusation contre Cécilien, le suppliant d’envoyer ces pièces à l’empereur, et disant qu’il a fait selon leur demande. L’empereur en écrivit à l’évêque Meltiade
C’est sans doute Melchiade ou Miltiade, souverain Pontife de Rome. Quel est ce Marc ? Est-ce le successeur de Melchiade dans le pontificat ? ou l’un des trois évêques des Gaules, qu’il s’adjoignit pour juger cette cause ?
et à Mareus, déclinant ainsi une cause ecclésiastique et la leur envoyant. Dans ces mêmes lettres l’empereur écrit qu’il envoie les pièces venues par Anullinus, et comme les lettres ne font point connaître les pièces, on le sait néanmoins par la relation d’Anullinus, consignée aujourd’hui dans les recueils publics. Ensuite Constantin écrit à Anullinus, lui enjoignant d’envoyer les parties à Rome, au jugement du souverain Pontife. Puis, Anullinus constate qu’il a envoyé les parties. C’est donc vous qui êtes allés à l’empereur, vous qui avez porté au tribunal d’un homme une cause de l’Église. L’empereur a mieux jugé que vous. Vous portiez devant lui une cause qu’il a déférée aux évêques. C’est donc d’après vos accusations, que la cause a été tout d’abord plaidée devant les évêques. La sentence a été en faveur de Cécilien. Mais eux, mécontents de cette sentence, murmurèrent et en appelèrent une seconde fois à l’empereur ; ils invoquèrent le jugement impérial après le jugement des évêques ; une seconde sentence lut rendue à Arles
En l’an 314, l’année d’après le jugement de Rome.
 : nouvel appel de leur part à l’empereur. Encore vaincu par leur importunité, il voulut lui-même évoquer leur cause et en connaître. Le voilà qui siège, qui instruit la cause, qui juge Cécilien tout à fait innocent, et qui renouvelle contre eux toutes les prescriptions des empereurs. Quoi d’étonnant ? Tu en appelles à un tribunal, puis tu oses bien récuser la sentence ? Pourquoi vouloir lui déférer ta cause ? Ton église était en Afrique, et non dans toute la terre ? Mais où donc allaient-ils, ceux qui déjà s’en étaient détachés ? Ils ne tenaient déjà plus à l’Église, mais il y tenait, cet empereur dont ils invoquaient le jugement. Ce fut donc par bienveillance qu’il fit juger la cause par des évêques, puis leur succéda pour juger lui-même. Delà ces lois qui sont contre vous ; voyez si vous n’êtes point contre elles. C’est vous qui avez attaqué les premiers, accusé les premiers ; appelé les derniers, et les derniers encore murmuré. Et toutefois, est-ce donc l’Évangile qui nous a condamnés, disent-ils ? Vous êtes condamnés au tribunal que vous avez choisi.

9. Mais nous ne récusons point le jugement de l’Évangile. Et quand notre adversaire ne le dirait point, nous lirions l’Évangile pour en tirer des citations, des preuves. Qu’on lise l’Évangile. Mais voyons où est l’Église, d’après Notre-Seigneur Jésus-Christ. Car assurément c’est à lui qu’il faut ouvrir et nos oreilles et nos cœurs. Écoutons-le. Qu’il nous dise où est l’Église. S’il nous dit que son Église est en Afrique, nous nous rangeons tous au parti de Donat. Mais s’il dit que l’Église est répandue dans l’univers entier, c’est aux membres retranchés à revenir à l’unité. Car ces rameaux ne sont point coupés de manière qu’une nouvelle insertion soit impossible. Nous avons l’apôtre saint Paul qui nous le dit : « Ces rameaux », diras-tu, « ont été brisés pour que je fusse inséré. Il est vrai. Mais ils ont été rompus à cause de leur incrédulité, et toi, c’est par la foi que tu es debout. Garde-toi de t’élever, mais crains. Car si Dieu n’a pas épargné les branches naturelles, il pourra bien ne te pas épargner v ». Ainsi donc les Juifs, qui étaient comme les branches naturelles, ont été brisés, et les gentils ont été insérés comme l’olivier sauvage sur l’olivier franc. Par ces rameaux insérés, par cet olivier sauvage ainsi enté, nous avons tous notre part à l’olivier. Mais selon cette menace que faisait l’Apôtre aux rameaux orgueilleux de l’olivier sauvage, nos adversaires sont devenus tels par leur orgueil, qu’ils ont mérité à cause de cet orgueil, d’être brisés à leur tour avec les rameaux naturels déjà retranchés. Or, que dit l’Apôtre ? « Pour eux », dit-il, « s’ils ne demeurent point dans leur incrédulité, ils seront insérés à leur tour w », de même que tu seras retranché, si tu ne demeures pas dans la foi. Que nul donc ne s’enorgueillisse dans la vigne, que nul ne désespère, en dehors de la vigne. En t’enorgueillissant dans la vigne, crains d’en être retranché. Que ceux qui sont en dehors de la vigne se prémunissent contre le désespoir, qu’ils osent espérer l’insertion. Cette insertion n’est pas l’œuvre de la main, puisque l’Apôtre, dit : « Dieu est assez puissant pour les enter de nouveau x ». Qu’ils ne disent point : Comment insérer de nouveau un rameau retranché, brisé ? Cela est impossible, sans doute, si l’on s’en tient aux forces de l’humanité ; mais non si l’on fait appel à la Majesté divine. Quoi donc ? Ce qui a été fait par le Seigneur, tout vigneron pourrait le faire ? Il prend un olivier sauvage, et il y insère l’olivier franc, et le sauvageon inséré sur l’olivier donne l’olive, et non des baies amères ? Qu’un homme le fasse aujourd’hui, qu’il ente le sauvageon sur l’olivier, et il verra qu’il n’en sortira que des baies sauvages. Dieu donc a la puissance d’enter, non l’olivier sur le sauvageon, mais bien le sauvageon sur le franc, de faire couler dans le sauvageon la succulence de l’olivier franc, de manière qu’il n’ait plus aucune amertume, mais une saveur agréable, et il ne pourrait t’insérer par l’humilité, toi qui es retranché à cause de ton orgueil ? C’est bien, dira notre homme, vous m’exhortez, mais il faut d’abord me montrer que je suis retranché, de peur que vous n’ayez à vous prêcher vous-même, afin de venir à moi, et non moi à me faire enter sur vous-même. J’ose bien dire : Écoute-moi, et néanmoins cet écoute-moi, je crains de le dire, je crains qu’il ne méprise l’homme en moi ; eh bien1 soit, qu’il méprise l’homme. Car s’il méprisait l’homme, il ne suivrait point le parti de Donat. Donat aussi était homme. Si donc nous parlons de nous-mêmes, qu’il nous méprise mais si nous parlons avec le Christ, qu’il entende celui qu’on n’entend point en vain, qu’on ne méprise point en vain. L’écouter, en effet, c’est mériter une récompense ; ne l’écouter point, c’est mériter le supplice. Écoutons-le donc, donnons la parole au Seigneur.

10. Il nous parle de l’Église en plusieurs endroits ; et pourtant j’en citerai un. Après sa résurrection, vous le savez, mes frères, il se montra à ses disciples, étala devant eux ses plaies, qu’il leur fit toucher et non-seulement voir. Eux, néanmoins, qui le voyaient, le touchaient, le reconnaissaient, hésitaient encore dans leur joie, comme nous l’apprend l’Évangile, qu’il nous faut croire, qu’il est criminel de révoquer en doute. Comme donc ils hésitaient dans leur joie, comme ils doutaient encore, le Sauveur les raffermit par les saintes Écritures, et leur dit. « Voilà ce que je vous disais quand j’étais avec vous : c’est qu’il faut que s’accomplisse tout ce qui est écrit à mon sujet dans la loi, dans les Prophètes et dans les psaumes. Il leur ouvrit alors l’intelligence, afin qu’ils entendissent les Écritures, puis il leur dit : Il fallait, selon qu’il a est écrit, que le Christ souffrît et qu’il ressuscitât le troisième jour, et qu’on prêchât a en son nom la pénitence et la rémission des a péchés à toutes les nations, en commençant a par Jérusalem y ». Tu n’es pas là, toi. Mais j’y suis, à quoi bon attendre qu’un homme prononce à ton sujet du haut d’un tribunal ? Écoute le Christ dans l’Évangile : « Dans toutes les nations », dit-il, « en commençant par Jérusalem ». Es-tu de cette Église ? Es-tu en communion avec toutes les nations ? En communion avec cette Église répandue parmi toutes les nations, en commençant par Jérusalem ? Si tu es en communion, tu es avec elle, dans la vigne, et non retranché. L’Église du Christ, en effet, n’est autre que cette vigne qui a pris de l’accroissement, qui a rempli toute la terre ; c’est le corps du Christ, dont la tête est au ciel. Mais si tu communiques seulement avec les Africains, et si de l’Afrique tu ne saurais envoyer qu’à la dérobée consoler quelques étrangers, ne vois-tu point que tu es seulement dans la partie, et en dehors du tout ? Qu’as-tu dit au jugement du proconsul ? Je suis catholique. Telle est en effet sa parole. On la trouve dans les Actes. Catholique, sois dans le tout. « Holon », en effet, signifie tout, et l’Église a été surnommée Catholique, parce qu’elle est partout. Est-ce bien Catamérique, son nom, et pas Catholique ? « Meros » veut dire, en effet, partie, et « Holon » le tout. Catholique vient du grec et signifie totalité. Te voilà donc en communion avec l’univers ? Non, répond-il. Donc tu es dans la partie, et dès lors comment seras-tu catholique ? Il y a bien de la différence entre le tout et la partie. D’où vient à l’Église le surnom de Catholique ? Tu as reçu ton nom du parti de Donat, elle se nomme catholique, de toutes les parties de la terre. Mais c’est nous qui nous disons dans toutes les contrées de la terre, et peut-être Dieu ne le dit-il pas ? Nous en avons appelé à l’Évangile, et cité ce passage de l’Évangile « Dans toutes les nations », dit-il, « en commençant par Jérusalem ». N’est-ce pas de là que l’Évangile est venu en Afrique ? S’il commence par Jérusalem, il est venu jusqu’à toi, en remplissant toute la terre, non en se desséchant quelque part. Qui donc viendra nous dire : On a conduit le ruisseau de manière à l’amener à moi, mais il s’est desséché en chemin et m’est arrivé. S’il s’est desséché sur la voie, par où a-t-il pu arriver à toi ? Il n’est arrivé jusqu’à toi qu’en remplissant toute la terre. Canal ingrat, pourquoi blasphémer contre la source ? Si elle ne coulait, tu ne serais pas rempli. Mais je crains pour toi le dessèchement. Car tout canal séparé de la source tarit nécessairement. Ils parlent contre l’Église avec une désolante sécheresse : ils auraient des paroles de douceur, s’ils étaient arrosés par elle. Je suis catholique, qu’est-ce qu’un catholique ? Un homme de Numidie ? Interroge au moins les Grecs ; car le mot catholique n’est point de langue punique, c’est un mot grec. Cherche un interprète. Il est bien juste que tu sois dans une erreur de langage, quand tu es en désaccord avec toutes les langues.

11. Quand l’Esprit-Saint vint du ciel, et remplit ceux qui croyaient en Jésus-Christ, ils parlèrent toutes les langues, et parler toutes les langues, c’était alors le signe que l’on avait reçu l’Esprit-Saint z. Mais, aujourd’hui, l’Esprit-Saint n’est-il donc plus donné ? Gardons-nous de le croire, autrement nous n’aurions plus l’espérance. Nos adversaires avouent, en effet, que l’Esprit-Saint est donné aux fidèles ; or, nous le disons aussi, nous le croyons, nous disons surtout que cela n’a lieu que dans l’Église catholique. Que nos adversaires soient catholiques, et l’Esprit-Saint est donné chez eux ; que nous soyons catholiques, et c’est chez nous qu’est donné l’Esprit-Saint. Pour le moment, ne cherchons point quelle est la différence et quels sont les catholiques ; il est évident que le Saint-Esprit est donné. Pourquoi tous ceux qui ont reçu l’Esprit-Saint ne parlent-ils point toutes les langues, si ce n’est parce que dans ce moment était figuré dans quelques-uns ce qui devait plus tard apparaître dans tous ? Que voulut prédire l’Esprit-Saint, en touchant les cœurs de ceux qu’il remplissait, et en leur apprenant toutes les langues ? A peine un homme apprend-il deux langues, ou trois, quatre tout au plus, soit par des maîtres, soit en se familiarisant avec le pays qu’il parcourt. Mais ceux qui reçurent l’Esprit-Saint les parlaient toutes, et tout à coup, sans les avoir apprises peu à peu. Que voulait donc nous enseigner l’Esprit-Saint ? Dis-moi, pourquoi ne le fait-il plus maintenant, sinon parce qu’il y avait là une figure ? Quelle était cette figure, sinon que l’Évangile serait prêché en toutes les langues ? J’ose l’affirmer. Et voilà que maintenant on le prêche en toute langue. C’est en toute langue que l’Évangile se fait entendre, et ce que je disais tout à l’heure des membres, je le dis maintenant des langues. Et de même que l’œil dit : Le pied marche pour moi ; que le pied dit à son tour L’œil voit pour moi ; de même je dis maintenant : La langue grecque est la mienne, la langue hébraïque est la mienne, la langue syriaque est la mienne. Car tous n’ont qu’une même foi, tous sont dans les liens de la même charité. Ce que le Seigneur a démontré, les Prophètes l’avaient prédit : « Leur voix a retenti dans toute la terre, et leurs paroles jusqu’aux extrémités du monde aa ». Ainsi l’Église a grandi, au point d’être appelée catholique, de l’univers entier. Et voyez que toutes les langues ont parcouru toutes les terres. « Il n’est point d’idiome, point de langage dans lequel on n’entende cette voix ab ».

12. Je suis donc dans cette Église, et toi tu n’y es pas. Si donc tu en es retranché, vois d’où tu es retranché ; reviens pour être inséré de nouveau, de peur que tu ne viennes à dessécher pour être jeté au feu. Ce sont les Prophètes, ce sont les Apôtres, c’est le Seigneur qui vous parle de l’Église répandue dans toute la terre. Tous portent ce jugement qui te condamne. Du proconsul, on va au tribunal de l’empereur ; mais de l’Évangile, à qui en appeler ? A Donat ? Donat jugera à l’encontre du Christ ? Que t’enseignera Donat ? J’ai mon Christ que j’ai prêché en Afrique. Que t’enseignera-t-il ? Dira-t-il : Je me suis exposé pour le Christ, et : j’ai succédé au Christ ? Tel est son unique parti : dire qu’il a osé retrancher des hommes du corps de l’Église, parce qu’il a succédé au Christ. Telle est la sentence da Christ, ainsi disent les Évangiles. « Dans toutes les nations », dit le Seigneur, « en commençant par Jérusalem ». C’est donc par Jérusalem que l’Évangile a commencé ; c’est là qu’est descendu le Saint-Esprit, là qu’étaient les Apôtres quand il est descendu sur eux, là que l’Évangile a commencé à être prêché pour passer de là en Afrique. Où donc est-il allé ensuite ? Les aurait-il abandonnés ? Il ne les a point abandonnés, s’ils ne le veulent point. Car nous aussi, nous sommes de l’Afrique. Et l’Évangile venu en Afrique est demeuré parmi les catholiques africains, comme il demeure chez toutes les nations. Parmi toutes les nations, en effet, il y a des hérétiques, les uns ici, les autres là, et ceux des autres nations ne sont point nés en Afrique. Ils ont été retranchés de la vigne, car la vigne catholique les connaît tous, tandis qu’eux-mêmes ne se connaissent point. Elle connaît les sarments, cette vigne d’où ils ont été retranchés ; elle les connaît tous, et ceux qui demeurent en elle, et ceux qui en sont retranchés, puisque l’Église catholique est répandue partout. Ces sarments sont demeurés à l’endroit même où ils ont été retranchés, ils n’ont pu se disperser çà et là dans le monde ; au lieu que cette vigne répandue partout alimente partout ses rameaux, et partout pleure ceux qui sont retranchés. Elle crie à tous de revenir, afin qu’on les insère de nouveau. Son appel n’est point toujours entendu, et toutefois les mamelles de sa charité ne se fatiguent point à épancher le lait de l’exhortation. Elle est dans l’anxiété pour ceux qui sont retranchés ; en Afrique, elle crie vers les Donatistes ; en Orient, vers les Ariens, vers les Photiniens, vers les autres, et ces autres encore. Répandue en effet partout, elle trouve partout à rappeler en elle ceux qui étaient ses branches et qui sont retranchés. Ce sont des sarments qui ont commencé par devenir stériles et qu’on a dû séparer. S’ils ne s’obstinent point dans l’infidélité, ils seront insérés de nouveau. Voilà, mes frères, ce qu’il nous faut écouter avec crainte, et sans orgueil ; avec charité, afin de prier pour eux. Adressons-nous au Seigneur, etc.

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