‏ 1 John 4:8

SEPTIÈME TRAITÉ.

DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES : « MES PETITS ENFANTS, VOUS ÊTES DE DIEU », JUSQU’À CES AUTRES : « NUL HOMME N’A JAMAIS VU DIEU ». (Chap 4, 4-12.)

DIEU EST AMOUR.

Les antéchrists, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas la foi soutenue par les œuvres de la charité, ne connaissent pas Dieu ; au lieu de l’écouter, ils prêtent l’oreille aux leçons d’un monde égoïste et vindicatif. Pour nous qui croyons et aimons, nous savons que Jésus-Christ vient de Dieu, que Dieu est amour, et que nous devons le payer de retour en aimant nos frères ; nous ne voyons pas Dieu, mais encore une fois il est amour ; son amour pour nous s’est montré par le don de son Fils ; notre amour doit aussi se manifester par les œuvres, et inspirer toute notre conduite pour lui donner du prix.

1. Pour tous les fidèles qui soupirent après la céleste patrie, le monde est ce qu’était le désert pour le peuplé d’Israël. Ils n’étaient pas encore arrivés au pays de leurs pères, ils voulaient y entrer ; mais sous la conduite de Dieu, ils ne pouvaient se tromper de chemin ; les ordres de l’Éternel leur servaient de guide. Quarante années durant, ils firent des marches et des contre-marches, s’arrêtèrent très peu le long de leur chemin ; tous le savent. Leur marche était sans cesse retardée, non que Dieu les abandonnât, mais parce qu’il les éprouvait. Ce que Dieu nous promet est d’une ineffable douceur ; cela est bon, nous dit l’Écriture, et vous nous avez entendus bien des fois vous rappeler « que l’œil de l’homme ne l’a point vu, que son oreille ne l’a pas entendu, que son cœur ne l’a jamais compris a ». Les maux du temps nous éprouvent ; nous puisons notre instruction dans les peines de la vie présente. Mais, si dans ce désert vous ne voulez point mourir de soif, désaltérez-vous à la source de la charité. Cette source, Dieu a voulu la placer ici-bas, afin que nous ne tombions pas de défaut dans le cours de notre voyage ; nous y puiserons plus abondamment encore lorsque nous serons parvenus à entrer dans la patrie. On vous a tout à l’heure donné lecture de l’Évangile ; relativement aux paroles qui terminaient cette leçon, je vous demanderai : De quoi avez-vous entendu parler, si ce n’est de la charité ? En effet, nous avons fait un pacte avec Dieu dans la prière, c’est de pardonner au prochain les torts qu’il peut avoir à notre égard, si nous voulons que le Seigneur nous pardonne à nous-mêmes nos offenses envers lui b. Qui est-ce qui nous les pardonne ? La charité seule. Ôte la charité du cœur humain, il n’y a plus en lui que haine ; il ne sait point pardonner. Que la charité s’y trouve, elle pardonne en toute sécurité, parce qu’elle ne sait pas se tenir à l’étroit. Cette Épître elle-même, que nous avons entrepris de vous expliquer, voyez si, d’un bout à l’autre, elle vous recommande autre chose que la charité, oui, la charité toute seule ? Il ne faut pas craindre de la faire détester en parlant souvent d’elle ; car qu’aimerait-on si l’amour venait à être haï ? Cette charité qui nous porte à aimer ardemment tout le reste, combien on doit la chérir elle-même ? C’est donc une chose qui ne doit jamais s’éloigner ni de notre cœur, ni de notre bouche.

2. « Mes petits enfants, vous êtes de Dieu, et vous l’avez vaincu » ; qui, sinon l’antéchrist ? Car l’Apôtre avait dit auparavant : « Quiconque divise Jésus-Christ et nie qu’il soit venu dans la chair, n’est pas de Dieu c ». Si vous vous en souvenez, nous vous avons fait voir que tous ceux-là nient que Jésus-Christ soit venu dans la chair, qui violent le précepte de la charité ; c’est, en effet, par charité, et non par nécessité, que Jésus s’est fait homme. Ainsi nous donne-t-il l’exemple de la charité qu’il nous recommande lui-même dans l’Évangile : « Personne ne peut témoigner un plus grand amour qu’en donnant sa vie pour ses amis d ». Mais comment le Fils de Dieu aurait-il pu donner sa vie pour nous, s’il ne s’était préalablement revêtu d’un corps capable de mourir ? Quoi qu’on puisse dire, si l’on viole le précepte de la charité, on nie donc, par sa conduite, que le Christ soit venu dans la chair ; et à cette condition, n’importe où l’on se trouve, n’importe où l’on soit entré, on est un antéchrist. Mais que dit l’Apôtre aux citoyens de ce pays qui est notre patrie et vers lequel se dirigent nos aspirations ? « Vous l’avez vaincu » : Et pourquoi l’ont-ils vaincu ? « Parce que Celui qui est en vous est plus grand que celui qui est dans le monde ». Jean veut les empêcher d’attribuer la victoire à leurs propres forces, et d’être eux-mêmes vaincus par l’enflure de l’orgueil ; car le démon se rend vainqueur de tous ceux qu’il rend orgueilleux ; il veut leur faire conserver l’humilité ; pour cela, quel langage leur tient-il ? « Vous l’avez vaincu ». À ces mots : « Vous l’avez vaincu », on redresse, on relève la tête, on prétend à des louanges. Ne te fais pas si grand à tes yeux ; vois qui est-ce qui a vaincu en toi. Pourquoi as-tu remporté la victoire ? « Parce que Celui qui est en vous est plus grand que celui qui est dans le monde ». Sois humble ; porte ton maître, sois la monture de ton cavalier ; il est bon pour toi qu’il te guide et te conduise. Car si tu ne l’as point pour cavalier, tu peux lever la tête, tu peux marcher ; néanmoins, malheur à toi ; sans conducteur, abandonné à toi-même, tu te serviras de ta liberté pour te jeter au milieu de bêtes féroces qui te dévoreront.

3. « Ils sont du monde ». Qui ceux-là ? Les antéchrists. Vous savez qui sont ceux qui sont antéchrists ; si vous ne l’êtes pas vous-mêmes, vous les connaissez ; quiconque l’est, ne les connaît pas. « Ils sont du monde, c’est pourquoi ils parlent le langage du monde, et le monde les écoute ». Qui sont ceux qui parlent le langage du monde ? Remarquez-le : ce sont les ennemis de la charité. Vous avez entendu le Seigneur vous dire : « Si vous remettez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous remettra aussi vos péchés. Mais si vous ne remettez point aux hommes leurs fautes, votre Père céleste ne vous remettra point non plus vos péchés e ». Tel est le verdict de la vérité ; et si ce n’est point là le langage de la vérité, donnes-en la preuve. Si tu es chrétien et que tu croies au Christ, rappelle-toi qu’il a dit : « Je suis la vérité f ». Cette parole est vraie, elle est à l’abri de toute attaque. Écoute maintenant les hommes qui parlent le langage du monde : et tu ne te vengeras pas ? et celui-là pourra se vanter qu’il a ainsi agi à ton égard ? Ah, que plutôt il sente qu’il a affaire à un homme ! Tous les jours, on entend parler de la sorte ; ils parlent le langage du monde ceux qui tiennent de pareils discours ; et le monde les écoute. Il n’y a pour s’exprimer ainsi que ceux qui aiment le monde, et de tous ceux qui les écoutent aucun ne déteste le monde ; et celui qui aime le monde, qui néglige l’exercice de la charité, celui-là, vous le savez pour l’avoir entendu dire, nie que Jésus-Christ soit venu dans la chair. Pendant sa vie mortelle, le Sauveur a-t-il agi à la manière du monde ? A-t-il cherché à se venger de ceux qui le souffletaient ? Pendant qu’il était attaché à la croix, n’a-t-il pas dit au contraire : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font g ? » Puisque, ayant le pouvoir de se venger, il ne s’est pas même laissé aller à des menaces, pourquoi en faire toi-même ? Pourquoi te mettre hors d’haleine ? N’es-tu pas sous la dépendance d’autrui ? Le Christ est mort quand il l’a voulu, et sans proférer une seule menace ; pour toi, tu ne sais quand tu mourras, et tu en profères ?

4. « Mais nous, nous sommes de Dieu ». Voyons pourquoi ; voyez si c’est pour un autre motif que celui de la charité ? « Mais nous, nous sommes de Dieu. Celui qui connaît Dieu, nous écoute ; celui qui n’est pas de Dieu, ne nous écoute point. C’est à cela que nous reconnaissons l’esprit de vérité et l’esprit d’erreur ». Car celui qui nous écoute, a l’esprit de vérité ; et celui qui ne nous écoute pas, a l’esprit d’erreur. Voyez ce que l’Apôtre nous recommande ; écoutons-le de préférence, puisqu’il nous parle en esprit de vérité, comme à des hommes qui ne sont ni des antéchrists, ni des amateurs du monde, ni le monde lui-même, si nous sommes nés de Dieu. « Mes bien-aimés », ajoute-t-il. Voyez ce qui précède : « Mais nous, nous sommes de Dieu. Celui qui connaît Dieu, nous écoute ; celui qui n’est pas de Dieu, ne nous écoute point ». Par là il nous rend attentifs ; puisque celui qui est de Dieu, écoute, tandis que celui qui n’en est pas, n’écoute point ; et voilà le moyen de distinguer l’esprit de vérité de l’esprit d’erreur. Voyons quel avis il va nous donner ; voyons en quoi nous devons l’écouter. « Mes bien-aimés, aimons-nous les uns les autres ». Pourquoi ? Parce que c’est un homme qui nous le recommande ? « Car l’amour vient de Dieu ». Beau titre de recommandation en faveur de l’amour ! « Il vient de Dieu ». Jean va aller plus loin ; écoutons-le attentivement. Tout à l’heure il a dit : « L’amour vient de Dieu » ; il ajoute : « Tout homme qui aime est de Dieu, et il connaît Dieu. Celui qui n’aime pas ne connaît pas Dieu ». Pourquoi ? « Parce que Dieu est amour ». Que pouvait-il dire de plus, mes frères ? Quand même nous ne trouverions aucun mot d’éloge à l’endroit de la charité, dans aucune des pages de cette Épître, quand même les autres Écritures resteraient complètement muettes à cet égard, quand même ce passage serait unique en ce sens, nous devrions l’écouter comme venant de l’Esprit de Dieu : « Parce que Dieu est amour ». Nous ne devrions rien chercher de plus.

5. Remarquez maintenant qu’agir contre la charité, c’est agir contre Dieu. Que personne ne dise : C’est un homme que j’offense, lorsque je n’aime pas mon frère : (attention !) il est facile de pécher contre un homme, sans pécher contre Dieu. – Comment, tu ne pèches pas contre Dieu, quand tu pèches contre la charité ? « Dieu est amour ». Est-ce nous qui le disons ? Ah ! si nous tenions nous-mêmes ce langage, quelqu’un d’entre vous pourrait se scandaliser et dire : Qu’a-t-il dit ? Qu’a-t-il voulu dire par ces mots : « Dieu est amour ? » Dieu nous a communiqué l’amour, Dieu nous a fait don de l’amour. « L’amour vient de Dieu : Dieu est amour ». Mes frères, vous avez entre les mains des Écritures divines ; cette épître est canonique ; on la lit chez tous les peuples ; on la conserve, parce qu’elle s’appuie sur l’autorité de l’univers ; elle a fondé le monde chrétien, l’Esprit-Saint vous y parle et vous dit : « Dieu est amour ». Si tu l’oses, déclare-toi contre Dieu, et n’aime pas ton frère.

6. Mais pourquoi l’Apôtre disait-il tout à l’heure : « L’amour vient de Dieu », et dit-il maintenant : « Dieu est amour ? » Le voici. Dieu est Père, Fils et Saint-Esprit : le Fils est Dieu de Dieu ; le Saint-Esprit est Dieu de Dieu, et ces trois sont un seul Dieu, et non trois dieux. Si le Fils est Dieu, si le Saint-Esprit est Dieu, si, enfin, celui-là aime en qui demeure le Saint-Esprit, l’amour est donc Dieu, mais Dieu parce qu’il est de Dieu. Tu lis, dans l’Épître de saint Jean, ces deux passages : « L’amour est de Dieu », et « l’amour est Dieu ». Du Père seul, l’Écriture n’a jamais dit qu’il est de Dieu. Lors donc que tu lis : « Est de Dieu », tu dois l’entendre du Fils ou de l’Esprit-Saint. Et quand l’Apôtre nous dit : « La charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné h », nous devons comprendre que dans l’amour se trouve l’Esprit-Saint ; c’est cet Esprit-Saint que les méchants ne peuvent recevoir ; il est cette source dont nous parle l’Écriture : « Que la source de tes eaux appartienne à toi seul, et qu’aucun étranger ne la partage avec toi i ». Car tous ceux qui n’aiment pas Dieu sont des étrangers, des antéchrists ; et quoiqu’ils fréquentent les basiliques, on ne saurait les ranger au nombre des enfants de Dieu ; à eux n’appartient pas cette source de vie. Un méchant peut être baptisé, il peut même avoir le don de prophétie. Nous voyons que le roi Saül prophétisait ; il persécutait le saint homme David, et, à ce moment-là même, il fut rempli de l’esprit de prophétie, et il commença à prophétiser j. Un méchant peut aussi recevoir le sacrement du corps et du sang du Seigneur, car c’est de telles gens qu’il est dit : « Celui a qui boit et qui mange indignement, boit et mange sa condamnation k». Il peut encore porter le nom du Christ ; c’est-à-dire, s’appeler chrétien ; c’est d’eux qu’il est écrit : « Ils profanaient le nom de leur Dieu l ». Quant à tous ces sacrements, un méchant même peut les avoir ; mais quant à la charité, il ne l’a pas ; c’est chose impossible pour lui. Elle est donc un don personnel ; c’est une source propre à chaque particulier. L’Esprit de Dieu vous exhorte à vous y désaltérer ; l’Esprit de Dieu vous engage à l’y puiser lui-même.

7. « Dieu a fait paraître son amour pour nous ». Voilà pour nous un motif d’aimer Dieu. Pourrions-nous l’aimer, s’il ne nous avait aimés le premier ? Si nous étions lents à l’aimer les premiers, soyons, du moins, empressés à le payer de retour. Il a été le premier à nous aimer ; et nous ne l’aimons pas de même. Il nous a aimés, quoique pécheurs, mais pour nous délivrer de nos fautes ; il nous a aimés, quoique pécheurs, mais il ne nous a pas réunis pour nous donner occasion de pécher. Il nous a aimés, bien que nous fussions malades ; mais s’il nous a visités, c’était afin de nous guérir. « Dieu est donc amour. Dieu a fait paraître son amour pour nous, en envoyant son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui ». Le Sauveur a dit lui-même : « Personne ne peut donner une plus grande preuve d’amour que de sacrifier sa vie pour ses amis ». Et la preuve que le Christ nous a aimés, c’est qu’il est mort pour nous. Comment le Père nous a-t-il témoigné son affection ? En envoyant son Fils unique mourir pour nous ; aussi, Paul nous dit-il : « S’il n’a pas épargné son propre Fils, et s’il l’a livré à la mort pour nous tous, que ne nous donnera-t-il pas après nous l’avoir donné m ? » Le Père a livré le Christ ; Judas l’a aussi livré ; n’ont-ils pas, en quelque sorte, agi l’un comme l’autre ? Judas a été un traître ; s’ensuit-il que Dieu le Père en ait été un ? Non, dis-tu. « Il n’a pas épargné son propre Fils, mais il l’a livré pour nous tous ». Ces paroles ne sont pas de moi, elles sont de l’Apôtre. Non-seulement le Père a livré son Fils, mais il s’est lui-même livré. Le même Apôtre dit encore : « Il m’a aimé et s’est livré pour moi n ». Puisque le Père a livré son Fils, et que le Fils s’est livré lui-même, qu’a fait Judas ? La tradition du Christ a été le fait du Père, comme elle a été le fait du Fils, et aussi celui de Judas : de la part de tous trois, acte unique ; mais quelle différence entre le Père qui livre son Fils, et le Fils qui se livre lui-même, et le disciple Judas qui livre son maître ? Le Père et le Fils ont agi par charité ; Judas s’est conduit en traître. Vous le voyez ; il ne suffit pas devoir ce que fait un homme, il importe surtout de savoir quelles sont ses intentions et sa volonté. Nous voyons concourir au même acte, d’un côté, Dieu le Père, de l’autre, Judas : nous bénissons Dieu le Père ; nous maudissons Judas. Pourquoi bénir le Père et maudire Judas ? Nous bénissons la charité, nous maudissons l’iniquité. Le Christ a été livré ; quel immense avantage, en a retiré le monde ? En livrant son Maître, Judas a-t-il songé à coopérer à ce bienfait ? Dieu s’est proposé de nous sauver en nous donnant de quoi nous racheter ; Judas a voulu s’approprier la somme d’argent pour laquelle il a vendu le Christ : Le Fils a eu en vue le prix qu’il a donné pour nous, et Judas a en vue le prix qu’il a retiré de son forfait. La différence d’intention a fait la différence d’action. L’acte était un ; mais si nous pesons la diversité des intentions qui l’ont produit, nous l’aimerons sous un rapport, et, sous l’autre, nous le condamnerons : nous le glorifierons sous un point de vue ; sous l’autre, nous le détesterons. Tant vaut la charité ! Remarquez-le, elle seule établit une différence entre les actions humaines ; elle seule les distingue les unes des autres.

8. Ce que nous venons de dire s’applique à des actions de même nature. S’il s’agit d’actions de nature différente, nous reconnaîtrons, par exemple, que la charité rend un homme sévère, et que l’iniquité en rend un autre flatteur. Un père frappe son enfant, un corrupteur l’approuve. À ne considérer que les coups et les flatteries, où est celui qui ne recherchera pas les caresses et n’évitera pas les coups ? Mais considère les personnes et, tu le verras, les coups sont l’effet de la charité, et les flatteries celui de l’iniquité. Faites bien attention à ceci : les actions humaines se discernent les unes des autres par le principe de la charité. Beaucoup peuvent se faire, qui aient les apparences de la bonté et qui, néanmoins, ne soient pas le fruit de la charité. Les épines mêmes ne fleurissent-elles pas ? Certains actes, au contraire, semblent durs et cruels, qui se font, par motif de charité, pour le règlement des mœurs. Une fois pour toutes, on t’impose un précepte facile : Aime, et fais ce que tu voudras. Soit que tu gardes le silence, garde-le par amour ; soit que tu cries, élève la voix par amour ; soit que tu corriges autrui, corrige-le par amour ; soit que tu uses d’indulgence, sois indulgent par amour ; aie dans le cœur la racine de l’amour, et de cette racine il ne pourra rien sortir que de bon.

9. « En cela consiste l’amour. Dieu a fait paraître son amour pour nous, en envoyant son Fils unique dans le mondé, afin que nous vivions par lui. Et voilà en quoi consiste cet amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés le premier ». Nous ne l’avons pas aimé les premiers, mais il nous a aimés, afin que nous l’aimions. « Et il a envoyé son Fils comme apaiseur pour nos péchés ». Apaiseur, sacrificateur. Il a offert une victime de propitiation pour nos péchés. Où a-t-il trouvé une hostie ? Où a-t-il trouvé la victime sans tache qu’il voulait offrir ? N’en trouvant pas d’autre, il s’est offert lui-même. « Mes bien-aimés, si Dieu nous a aimés de cette sorte, nous devons aussi nous aimer les uns les autres. « Pierre », dit le Sauveur, « m’aimes-tu ? » – Et il répondit : « Je vous aime ». – « Pais mes brebis o ».

10. « Nul homme n’a jamais vu Dieu ». Dieu est invisible : c’est avec le cœur, et non avec les yeux, qu’il faut chercher à le découvrir. Mais de même que, quand nous voulons considérer le soleil, nous nous lavons les yeux du corps à l’aide desquels il nous est possible de voir sa lumière ; ainsi devons-nous purifier l’œil qui peut nous faire apercevoir Dieu, lorsque nous voulons le contempler. Écoute l’Évangile : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu p». Que personne, toutefois, ne cherche à se faire une idée de Dieu, d’après la concupiscence des yeux ; car alors on se représenterait une forme immense, ou on projetterait dans l’espace les dimensions d’une incommensurable étendue, on les étendrait autant que possible, dans l’espace des champs, comme s’étendent les rayons de ce soleil que nous voyons au-dessus de nous ; ou l’on se figurerait avoir sous les yeux un vieillard à l’air vénérable. N’imagine rien de tout cela : Si tu veux voir Dieu, il y a une chose à laquelle tu es à même de penser : « L’amour est Dieu ». Quelle figure a l’amour ? Quelle forme ? Quelle taille ? Quels pieds ? Quelles mains ? Personne ne peut le dire : Il a pourtant des pieds, puisqu’ils conduisent à l’Église ; il a des mains, puisqu’elles donnent aux pauvres ; il a des yeux, puisqu’ils savent découvrir le nécessiteux. « Bienheureux », dit le Prophète, « celui qui veille sur le pauvre et l’indigent q ». Il a des oreilles ; le Seigneur en parle ainsi : « Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende r ». Il n’a pas de membres qui occupent des places différentes ; mais l’homme qui a la charité, voit tout en même temps avec les yeux de son âme. Habite en elle, elle habitera en toi ; demeure en elle, elle demeurera en toi. Eh quoi ! mes frères, peut-on aimer ce qu’on ne voit pas ? Alors, pourquoi vous redresser, élever la voix, battre des mains, quand on. prononce devant vous l’éloge de la charité ? Que vous ai-je montré ? Ai-je étalé devant vous quelque peinture ? Ai-je fait briller à vos yeux l’or et l’argent ? Ai-je tiré d’un trésor des pierres précieuses ? Qu’ai-je fait paraître de semblable en votre présence ? Les traits de mon visage se sont-ils altérés pendant que je vous parlais ? J’ai un corps ; je suis le même qu’au moment où je suis venu ici ; vous êtes ce que vous étiez, lorsque vous êtes entrés ; je fais l’éloge de la charité, vous élevez la voix. Certainement, vous ne voyez rien ; mais ce qui vous plaît lorsque vous applaudissez, puisse-t-i1 vous plaire toujours, afin que vous le conserviez dans votre cœur ! Car, mes frères, remarquez bien ce que je vous dis : autant que le Seigneur me le permets, je vous engage à vous procurer un inappréciable trésor. Si l’on vous montrait un vase ciselé, doré, artistement travaillé, si bien fait qu’il attire à lui les regards de votre corps, et toutes les puissances de votre âme, et vous fasse admirer le talent de l’ouvrier, le poids de l’argent, l’éclat du métal, chacun de vous ne s’écrierait-il pas : Oh, si j’avais ce vase ! Et vous parleriez inutilement, puisqu’il ne vous appartiendrait pas. Ou, si quelqu’un voulait l’avoir, il imaginerait le moyen de l’enlever de la maison étrangère où il se trouverait. Je vous fais l’éloge de la charité : si elle vous convient, ayez-la, possédez-la ; pas n’est besoin que vous la dérobiez à un autre, ou que vous pensiez à l’acheter ; elle est à votre disposition, et pour rien. Mettez la. main dessus ; saisissez-la ; rien de plus doux qu’elle. Et si vous la trouvez telle quand on vous en parle, que sera-ce quand vous la posséderez ?

11. S’il en est parmi vous, mes frères, pour vouloir conserver la charité, ils doivent avant tout ne pas la croire méprisable ou paresseuse ; il ne faudrait pas non plus s’imaginer que sa conservation est le résultat, non pas d’un peu de douceur, ou, plutôt, de la douceur, mais du relâchement ou de la négligence. Ne va pas t’imaginer que tu aimes ton serviteur, parce que tu ne le frappes jamais ; ou ton ;. fils, parce que tu lui ménages les sévérités. de, la discipline ; ou ton voisin, parce que tu ne le reprends point. Ce n’est pas là de la charité, c’est de la mollesse. La, charité doit être ardente à corriger, à ramener au bien ; mais si les mœurs d’autrui sont régulières, qu’on s’en réjouisse ; si elles sont dépravées, qu’on les redresse. Dans un homme, aime l’homme, et déteste l’erreur ; car l’homme est l’œuvre de Dieu, tandis que l’erreur est le fait de l’homme, Aime ce : que Dieu a fait, mais n’aime pas ce que fait l’homme. Aimer l’œuvre de Dieu, c’est l’élever ; la chérir, c’est la rendre meilleure ; et lors même que tu sévis, tu agis uniquement par le désir de corriger ; aussi la charité s’est-elle manifestée sous la forme de la colombe, qui est descendue sur le Sauveur s. C’est sous cette forme de colombe que le Saint-Esprit est descendu pour répandre la charité dans nos âmes. Pourquoi cela ? La colombe n’a pas de fiel ; cependant, elle emploie son bec et ses ailes à défendre son nid ; et si elle fait du mal, elle le fait sans amertume. Ainsi agit un père ; car il corrige ; son fils, il le corrige pour le ramener au bien. Comme je l’ai dit : le corrupteur veut vendre sa victime, et il met de l’amertume dans ses caresses : un père veut rendre meilleur, et il, châtie sans y mettre aucun fiel. Soyez tels pour tous. Voyez, mes frères, la grandeur de cet enseignement, la beauté de cette doctrine l Chacun a des enfants, ou désire. en avoir ; ou, si on a résolu, sans retour, de n’en point avoir selon la chair, on souhaite au moins d’en avoir selon l’esprit ; alors, où est le père qui ne corrige pas ses enfants ? Où est l’enfant qui n’est pas châtié par son père t ? Celui-ci, pourtant, semble faire du mal ; c’est l’amour, c’est la charité.qui, punit ; elle punit, pour ainsi dire, sans amertume, à la manière d’une colombe, et non comme un corbeau. À cette occasion, mes frères, il me vient à l’esprit de vous dire que ces violateurs du précepte de la charité ont fait schisme ; comme ils détestent la charité, de même ils haïssent la colombe. Mais la colombe les condamne. Elle descend du ciel ; les nuées s’ouvrent ; elle se repose sur la tête du Sauveur. Pourquoi cela ? Afin, qu’on entende : « C’est, lui qui baptise u ». Arrière, voleurs ; arrière, envahisseurs du patrimoine du Christ. Vous avez osé planter vos titres de dominations dans vos propriétés, partout où vous prétendez dominer. Le Christ connaît ses titres ; il réclame son bien ; il ne détruit pas d’inscriptions ; il entre, et, par là même, il possède. Ainsi, chez celui qui vient à la catholique on n’efface pas le baptême, pour ne pas effacer le titre du Maître. Mais que se passe-t-il dans la catholique ? On reconnaît une inscription ; le propriétaire entre sous l’égide de ses propres titres, là même où le voleur entrait à l’aide des titres d’autrui.

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