1 Timothy 1:15-16
SERMON CLXXIV. LA GRÂCE ET LE BAPTÊME DES ENFANTS a
Prononcé dans la basilique de Célérine un jour de dimanche.
ANALYSE. – C’est pour nous sauver par sa grâce que le Fils de Dieu s’est fait homme. Or, 1° sans cette grâce, nous, ne pouvons faire aucun bien méritoire. L’humanité du Sauveur a-t-elle mérité à être unie dans sa personne à la divinité ? Zachée, comme Nathanaël, n’a-t-il pas été regardé par Jésus-Christ avant de pouvoir le contempler ? 2° Cette grâce prévenante n’est pas moins indispensable aux enfants ; autrement Jésus ne serait pas pour eux Jésus. lis sont d’ailleurs souillés par le péché originel qu’efface en eux le baptême, pourvu qu’on le leur donne avec foi. 1. Nous venons d’entendre le bienheureux Apôtre Paul nous dire : « Une vérité humaine et digne de toute confiance, c’est que Jésus-Christ est. venu au monde sauver les pécheurs, dont je suis le premier ». – « Une vérité humaine et digne de toute confiance ». Pourquoi humaine et non pas divine ? Cette vérité, sans aucun doute, ne mériterait pas toute confiance, si elle n’était divine en même temps qu’humaine. Elle est donc à la fois divine et humaine, comme le Christ est en même temps Dieu et homme. Si néanmoins nous avons raison de dire que cette vérité est humaine et divine tout à la fois ; pourquoi l’Apôtre a-t-il mieux aimé l’appeler humaine que de l’appeler divine ? Non, il ne mentirait pas en l’appelant divine ; il a donc eu quelque motif de l’appeler plutôt humaine. Eh bien ! il a choisi de préférence le rapport de cette vérité avec le Christ descendant parmi nous. C’est en qualité d’homme qu’il est venu dans ce monde ; car en tant que Dieu n’y. est-il pas toujours ? Où Dieu n’est-il pas, puisqu’il remplit, dit-il, et « le ciel et la terre b ? » Le Christ est indubitablement la Vertu et la Sagesse de Dieu. Or il est dit d’elle « qu’elle atteint avec force d’une extrémité à l’autre et qu’elle dispose tout avec douceur c ». Aussi « était-il dans le monde, et le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a point connu d ». Il était ici, et il y est venu ; il y était avec la majesté divine, et il y est venu avec la faiblesse humaine. Or, c’est parce qu’il y est venu avec la faiblesse humaine, qu’en parlant de son avènement l’Apôtre a dit : « C’est une vérité humaine ». Non, le genre humain ne serait pas délivré, si la Vérité divine n’avait daigné se faire humaine. N’appelle-t-on pas humain, d’ailleurs, un homme qui sait se montrer homme, surtout en donnant l’hospitalité ? Ah ! si on appelle humain celui qui reçoit un homme dans son logis, combien ne l’est pas Celui qui a reçu l’homme en lui-même ? 2. Ainsi « une vérité humaine et digne de toute confiance, c’est que Jésus-Christ est venu au monde pour sauver les pécheurs ». Consulte l’Évangile ; il y est écrit : « Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu ». Si donc l’homme ne s’était perdu, le Fils de l’homme ne serait pas venu. Mais l’homme s’étant perdu, le Fils de l’homme est venu et l’a retrouvé. L’homme s’était perdu par sa liberté, Dieu fait homme est venu le délivrer par sa grâce. Veux-tu savoir ce que peut la liberté pour le mal ? Rappelle-toi les péchés des hommes. Veux-tu savoir aussi quel secours nous apporte l’Homme-Dieu ? Considère en lui la grâce libératrice. Afin de connaître ce que peut la volonté humaine livrée à l’orgueil pour éviter le mal sans le secours divin, il n’est pas de moyen plus efficace que de la voir dans le premier homme, Or, ce premier homme s’est perdu, et que serait-il devenu sans l’avènement d’un autre homme ? C’est à cause du premier que le second est venu : aussi c’est « la Vérité humaine » ; et nulle part ne se révèlent les douceurs de la grâce et la générosité de la toute-puissance divine avec autant d’éclat que dans la personne du Médiateur établi entre Dieu et les hommes, que dans Jésus-Christ fait homme e. Où voulons-nous en venir, mes frères ? Je parle à des âmes élevées dans la foi catholique ou reconquises à la paix catholique. Nous savons donc et nous sommes sûrs que le Médiateur établi entre Dieu et les hommes, que Jésus-Christ fait homme est, comme homme, de même nature que nous. Sa chair en effet n’est pas d’une autre nature que notre chair, ni son âme d’une autre nature que notre âme. Il s’est uni à la nature même qu’il a cru devoir sauver ; il a pris cette nature tout entière, mais non le péché, en sorte que cette nature est en lui toute pure. Elle n’y est pas seule toutefois. En lui est encore la divinité, le Verbe de Dieu ; et comme on distingue en toi l’âme et le corps, ainsi l’on voit dans le Christ la divinité et l’humanité. Or, qui oserait dire que la nature humaine de ce divin Médiateur a commencé de mériter, par son libre arbitre, d’être unie à la divinité et de former ainsi, par l’alliance hypostatique de l’humanité et de la divinité, l’unique personne de Jésus-Christ ? Nous pourrions soutenir que par nos vertus, que par notre conduite et nos mœurs nous avons mérité, nous, de devenir enfants de Dieu ; nous pouvons nous écrier : Une loi nous a été donnée, et nous serons admis au nombre des enfants de Dieu, si nous l’observons. Mais en Jésus-Christ le Fils de l’homme a-t-il vécu séparément d’abord, pour mériter par sa sagesse de devenir ensuite le Fils de Dieu ? N’est-il pas vrai au contraire que son existence ne date que du moment même de l’incarnation ? Car il est écrit : « Le Verbe s’est fait chair, pour habiter parmi nous ». Oui, quand le Verbe de Dieu, quand le Fils unique de Dieu a pris une âme et un corps humains ; ni cette âme ni ce corps ne l’avaient mérité, ni n’avaient travaillé par leur énergie naturelle, à s’élever à un tel degré de gloire ; le Fils de Dieu agissait d’une manière tout à fait gratuite. Aucune partie de l’humanité du Sauveur n’a précédé l’incarnation ; elle s’est formée par l’incarnation même. Une Vierge a conçu le Fils de l’homme médiateur : existait-il avant d’être conçu ? Il n’a donc pas été d’abord un homme juste ; et comment eût-il été juste, puisqu’il n’existait pas ? Une Vierge l’a conçu, et le Christ a été formé par l’union du Verbe avec la nature humaine. Aussi est-il dit avec raison : « Nous avons vu sa gloire, comme la gloire que le Fils unique reçoit de son Père ; il est plein de grâce et de vérité f ». Tu aimes l’indépendance et tu voudrais dire à ton Père : « Donnez-moi l’héritage qui me revient g ? » Pourquoi t’abandonner ainsi à toi-même ? Ah ! Celui qui avant ta naissance a pu te donner l’être, est bien plus capable de te préserver. Reconnais donc le Christ ; il est plein de grâce et il veut répandre en toi ce qui déborde en lui. Il te dit : Recherche mes dons, oublie tes mérites ; jamais, si je faisais attention à tes mérites, tu n’obtiendrais mes faveurs. Ne t’élève pas ; sois petit, petit comme Zachée. 3. Tu vas me dire : Si je suis petit comme Zachée, la foule m’empêchera devoir Jésus. Ne t’afflige point : monte sur l’arbre où Jésus a été attaché pour toi, et tu verras Jésus. Sur quelle espèce d’arbre monta Zachée ? C’était un sycomore. Nos pays ne produisent pas ou reproduisent que rarement des sycomores ; mais cet arbre et son fruit sont communs dans ces contrées de l’Orient. Le fruit du sycomore ressemble à la figue, sans pourtant|85}} se confondre avec elle, comme le savent ceux qui en ont vu ou goûté ; et à en croire l’étymologie du mot, le fruit du sycomore est une figue folle. Arrête maintenant les yeux sur mon modèle Zachée ; considère, je t’en prie, avec quelle ardeur il voudrait voir Jésus du milieu de la foule, et ne le peut. C’est qu’il était petit, et cette foule orgueilleuse ; aussi cette foule, ce qui du reste arrive d’ordinaire, s’embarrassait elle-même et ne pouvait bien voir le Sauveur. Zachée. donc sort de ses rangs, et ne rencontrant plus cet obstacle, il contemple Jésus. N’est-ce pas la foule qui dit, avec ironie, aux humbles, à, ceux qui marchent dans la voie de l’humilité, qui abandonnent à Dieu le soin des outrages qu’ils reçoivent et qui ne veulent pas se venger de leurs ennemis : Pauvre homme désarmé, tu ne saurais même te défendre ? Ainsi empêche-t-elle de voir Jésus ; si heureuse et si fière d’avoir pu se venger, cette foule ne permet pas de voir Celui qui disait sur la croix : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font h ». Aussi Zachée, le type des humbles, ne resta point, pour le voir, au milieu de cette multitude gênante ; il monta sur le sycomore, l’arbre qui produit, avons-nous dit, comme des fruits de folie. Mais l’Apôtre n’a-t-il pas dit : « Pour nous, nous prêchons le Christ crucifié : pour les Juifs c’est un scandale, et pour les Gentils une folie i ? » voilà comme le sycomore. De là vient que les sages de ce monde prennent acte de la croix du Christ pour nous insulter. Quel cœur avez-vous, nous disent-ils, pour adorer un Dieu crucifié ? – Quel cœur avons-nous ? Nous n’avons pas votre cœur, assurément ; car la sagesse de ce monde est folie aux yeux de Dieu j. Nous n’avons pas votre cœur. C’est le nôtre, dites-vous encore ; qui est insensé. Dites ce qu’il vous plaira ; nous allons monter sur le sycomore pour voir Jésus ; car si vous autres ne pouvez le voir, c’est que vous rougiriez de monter sur cet arbre. O Zachée, saisis le sycomore ; homme humble, monte sur la croix. Ce n’est pas assez d’y monter : pour ne pas rougir de la croix, imprime-la sur ton front, le siège de la pudeur ; oui, c’est sur cette partie du corps qui rougit, qu’il te faut graver le signe dont nul ne doit rougir. Tu te ris de mon sycomore, ô gentil ; mais grâce à lui je vois Jésus. Tu t’en ris pourtant, mais parce que tues homme ; or la folie de Dieu est préférable à toute la sagesse des hommes. 4. Le Seigneur aussi vit Zachée. Ainsi il vit et on le vit ; mais il n’aurait pas vu, si on ne l’avait vu d’abord. Dieu n’a-t-il pas appelé ceux qu’il a prédestinés k ? Et quand Nathanaël rendait déjà une espèce de témoignage à l’Évangile et disait : « De Nazareth que peut-il sortir de bon ? » le Seigneur ne lui répondit-il pas : « Avant que Philippe t’appelât, lorsque tu étais encore sous le figuier, je t’ai vu l ? » Vous savez avec quoi les premiers pécheurs, Adam et Eve, se firent des ceintures ; c’est avec des feuilles de figuier qu’après leur péché ils voilèrent leurs parties honteuses m ; car le péché même y avait imprimé la honte. Ainsi c’est avec des feuilles de figuier que les premiers pécheurs se firent des ceintures pour couvrir ces parties honteuses qui sont comme la source empoisonnée qui nous a donné la mort en nous donnant la vie, et cette mort a appelé Celui qui est venu chercher et sauver ce qui est perdu. Que signifie alors : « Quand tu étais sous le figuier, je t’ai vu ? » N’est-ce pas comme si le Sauveur eût dit : Tu n’accourrais pas à Celui qui efface les péchés, si d’abord il ne t’avait vu sous l’ombre même du péché ? Ainsi pour voir, nous avons été regardés ; pour aimer, nous avons été aimés. C’est mon Dieu, sa miséricorde me préviendra n. 5. Donc, après avoir fait entrer Zachée dans son cœur, le Seigneur daigna entrer lui-même dans sa maison et il, lui dit : « Zachée, descends vite, car il faut qu’aujourd’hui même je loge chez toi ». Cet homme regardait comme un grand bonheur de voir le Christ ; c’était pour lui une immense et ineffable faveur de le voir, même en passant ; et tout à coup il mérite de lui donner l’hospitalité. C’est la grâce qui se répand en lui, c’est la foi qui agit par amour ; le Christ entre dans sa demeure, mais il habitait déjà son cœur. « Seigneur, s’écria alors Zachée, je donne aux pauvres moitié de mes biens, et si j’ai fait tort à quelqu’un, je lui rends quatre fois autant ». En d’autres termes : Si je conserve moitié, ce n’est pas pour garder, c’est pour restituer. Voilà ce qui s’appelle accueillir Jésus, l’accueillir dans son cœur. Ah ! le Christ était là, il était dans Zachée et c’est lui qui mettait sur les lèvres de celui-ci les paroles que cet homme lui adressait. L’Apôtre ne dit-il pas : « Que par la foi le Christ habite en vos cœurs o ? » 6. Mais c’était Zachée, c’était un chef de publicains, c’était un grand pécheur ; et comme si elle n’eût rien eu à se reprocher, cette foule qui empêchait de voir Jésus, s’étonna et blâma le Sauveur d’être entré chez ce pécheur. C’était blâmer le Médecin d’être entré chez le malade. Aussi, pour répondre à ces pécheurs qui croyaient rire d’un pécheur, à ces malades qui se moquaient d’un homme guéri, le Seigneur s’écria : « Aujourd’hui cette maison est sauvée p ». Pourquoi y suis-je entré ? Le voilà : « Elle est sauvée ». Elle ne le serait pas, si le Sauveur n’y était entré. Pourquoi, malade, t’étonner encore ? Toi aussi, appelle Jésus, sans te croire en santé. Il y a espoir pour le malade que visite le Médecin ; il n’y en a point pour celui qui se jette comme un furieux contre lui. Mais quelle n’est pas la fureur de celui qui va jusqu’à le tuer ? Quelle bonté aussi, quelle puissance dans le Médecin qui fait avec son sang un remède pour le furieux qui l’a versé ? Car ce n’est pas en vain que du haut de la croix où il était monté en venant chercher et sauver ce qui était perdu, il s’écriait : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font ». Ils sont en délire, mais je suis leur Médecin ; qu’ils frappent, je supporte les coups ; je les guérirai, quand ils m’auront mis à mort. – Soyons donc du nombre de ceux qu’il guérit. « Une vérité humaine et digne de toute confiance, c’est que Jésus-Christ est venu au monde : pour sauver les pécheurs », grands et petits ; « pour sauver les pécheurs » ; car « le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu ». 7. Dire que dans l’enfance Jésus ne trouve rien à sauver, c’est nier que le Christ soit Jésus pour tous les enfants fidèles. Oui, dire que dans l’enfance il n’y a rien à sauver pour' Jésus, c’est dire absolument que le Christ Notre-Seigneur n’est pas Jésus pour les enfants fidèles, en d’autres termes, pour les enfants qui ont reçu son baptême. Qu’est-ce en effet que signifie Jésus ? Jésus signifie Sauveur. Donc le Christ n’est pas Jésus pour ceux qu’il ne sauve pas, parce qu’en eux il n’y a pour lui rien à sauver. Maintenant, si vous pouvez entendre dire que pour quelques-uns de ceux qui ont reçu le baptême le Christ n’est pas Jésus, je ne sais si votre foi est bien en règle. Ce sont des enfants, il est vrai, mais ils deviennent ses membres ; ce sont des enfants, mais ils reçoivent ses sacrements ; ce sont des enfants, mais ils partagent sa table pour avoir en eux la vie. Pourquoi me dire : Cet enfant a bonne santé, il est sans vice ? S’il est sans vice, pourquoi cours-tu le porter au Médecin ? Ne crains-tu pas que ce Médecin ne te réponde : Loin d’ici cet enfant, puisque tu le crois en bonne santé ? Le Fils de l’homme n’est venu chercher et sauver que ce qui était perdu. Pourquoi me l’apporter, s’il n’est pas perdu ? 8. « Une vérité humaine et digne de toute confiance, c’est que Jésus-Christ est venu au monde ». Pourquoi y est-il venu ? « Pour sauver les pécheurs ». Il n’est venu que pour ce motif ; ce ne sont pas nos mérites, mais nos péchés, qui l’ont attiré du ciel sur la terre. Il est donc venu réellement « pour sauver les pécheurs. – Tu l’appelleras Jésus », est-il dit. – Pourquoi « Jésus ? Parce que c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés q. – Tu l’appelleras Jésus ». Pourquoi « Jésus ? » Quel est le motif de cette dénomination ? Le voici : « Parce que c’est lui qui sauvera son peuple ». De quoi ? « De ses péchés. Son peuple, de ses péchés ». Or, de ce peuple que Jésus « sauvera de ses péchés », est-ce que ne font point partie les enfants ? Oui, oui, mes frères, ils en font partie. Croyez-le, soyez-en bien persuadés, c’est avec cette foi que vous devez présenter vos enfants à la grâce du Christ ; sans elle en effet, vous les mettriez à mort en répondant pour eux. Pourquoi, sans cette croyance, s’empresser de porter son enfant au baptême ? Ce n’est pas être sérieux, c’est dire : Il a bonne santé, il n’a ni vice ni défaut ; cependant je le présenterai au Médecin. Pourquoi ? Parce que c’est la coutume. Ne crains-tu pas ; que le Médecin ne te réponde : Sors d’ici avec lui ; « ce ne sont pas ceux qui se portent bien, mais ceux qui sont malades ; qui ont besoin du Médecin r ? » 9. Je voudrais avoir recommandé à votre charité la cause de ces petits, incapables de parler pour eux-mêmes. Tous, et ceux mêmes qui n’ont pas perdu leurs parents, doivent être considérés comme des orphelins ; et ces jeunes prédestinés, qui attendent leur salut du Seigneur, demandent le peuple de Dieu pour tuteur. Le genre humain tout entier a été empoisonné dans le premier homme par l’ennemi commun ; et nul ne passe du premier Adam au second sans le sacrement de baptême. Adam vit encore dans les petits enfants qui n’ont pas reçu le baptême ; le baptême leur a-t-il été conféré ? C’est Jésus-Christ qui vit en eux. Ne pas voir Adam en eux, lorsqu’ils viennent de naître, c’est se mettre dans l’impossibilité devoir en eux le Christ après leur renaissance. Pourquoi néanmoins, dit-on, un homme déjà baptisé et fidèle, à qui les péchés sont remis, engendrerait-il un enfant souillé par le péché du premier homme ? C’est que cette génération se fait par la chair et non par l’esprit. Or, ce qui naît de la chair est chair s. Sans doute, « si l’homme extérieur se corrompt en nous, l’homme intérieur se rajeunit de jour en jour t ». Mais la génération des enfants n’est pas l’œuvre de ce qui se rajeunit, elle est l’œuvre de ce qui se corrompt. C’est pour ne pas mourir éternellement que tu as eu le bonheur de renaître après ta naissance ; pour lui, il est né, mais il n’a pas eu encore le bonheur de renaître. C’est en renaissant que tu es arrivé à la vie ; laisse-le donc renaître pour qu’il vive aussi ; oui, laisse-le, laisse-le renaître. Pourquoi cette opposition ? Pourquoi essayer par ces disputes nouvelles de briser l’antique règle de foi ? Pourquoi dire que les petits enfants n’ont pas même le péché originel ? Pourquoi le dire, sinon pour les tenir éloignés de Jésus ? Jésus pourtant te crie : « Laisse venir à moi ces petits u ». Tournons-nous, etc.SERMON CLXXV. L’ESPÉRANCE DES PÉCHEURS v.
ANALYSE. – Jésus-Christ n’est venu au monde que pour sauver les pécheurs. Or, ce qui prouve combien les pécheurs doivent avoir en lui de confiance, c’est la grâce de conversion qu’il a daigné accorder aux Juifs en général et à saint Paul en particulier aux Juifs qui ont commis le plus grand crime en le mettant à mort dans leur fureur, et dont un grand nombre se sont convertis et sont devenus des saints quelques jours après ; à saint Paul, le premier, le plus grand des pécheurs, parce qu’il s’était montré le plus acharné des persécuteurs. Aussi dit-il lui-même que Dieu l’a converti, afin que nul ne désespère de sa conversion. 1. Ce qu’on vient de lire dans le saint Évangile est exprimé par ces paroles de l’Apôtre saint Paul : « Une vérité sûre et digne de toute confiance, c’est que Jésus-Christ est avenu au monde pour sauver les pécheurs, dont je suis le premier ». Le Christ n’avait, pour venir au monde, d’autre motif que celui de sauver les pécheurs. Qu’on supprime les maladies et les plaies ; à quoi bon la médecine ? Or, si un tel Médecin est descendu du ciel, c’est qu’il y avait sur la terre un grand malade étendu ; ce malade est le genre humain tout entier. Tous les hommes cependant n’ont pas la foi w ; mais le Seigneur connaît ceux qui sont à lui x. Les Juifs donc étaient orgueilleux, ils s’enflaient, avaient de hautes idées d’eux-mêmes, se croyaient justes ; ils allaient même jusqu’à faire un crime au Seigneur de ce qu’il appelait à lui les pécheurs. Aussi ces hommes hautains et fiers furent délaissés sur leurs montagnes, où ils font partie des quatre-vingt-dix-neuf y. Ils furent délaissés sur leurs montagnes, qu’est-ce à dire ? Qu’ils furent abandonnés à leur frayeur terrestre. Ils font partie des quatre-vingt-dix-neuf, qu’est-ce à dire encore ? Qu’ils ne sont pas à la droite, mais à la gauche ; car les quatre-vingt-dix-neuf représentent la gauche : un de plus, et les voilà à la droite. « Le Fils de l’homme est donc venu », comme lui-même le dit ailleurs, « pour rechercher et sauver ce qui était perdu z ». Mais c’est tout qui était perdu ; tout était perdu, depuis le péché de celui en qui tout était. Un autre est donc venu, exempt de tout péché, pour sauver du péché. Mais, ce qui est plus déplorable, ces orgueilleux, dans leur orgueil, étaient malades et se croyaient en santé. 2. La maladie est plus dangereuse, quand le travail de la fièvre a égaré l’esprit. On rit alors, tandis que pleurent ceux qui ont la santé. C’est le frénétique qui rit aux éclats. Hélas ! pourtant il est malade. Supposons que tu adresses cette double question : Vaut-il mieux rire ou pleurer ? Qui ne répondrait que pour lui il aime mieux rire ? De là vient que si le Seigneur, en vue des fruits salutaires que produit la douleur de la pénitence, a fait des larmes un devoir, il a présenté le rire même comme une récompense. Quand ? Au moment où il disait en annonçant l’Évangile : « Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils riront aa ». Il est donc bien vrai que notre devoir est de pleurer, et que le rire est la récompense due à la sagesse. Mais le rire est ici synonyme de la joie ; il signifie, non les bruyants éclats, mais l’allégresse du cœur. Nous disions que si tu adressais cette double question : Lequel vaut le mieux, de rire ou de pleurer, chacun répondrait qu’il ne voudrait pas pleurer, mais rire. Va plus loin maintenant, et personnifiant en quelque sorte la question que tu viens de faire, demande si l’on aimerait mieux le rire de l’insensé que les pleurs de l’homme sage ? Et chacun de répondre qu’il préférerait pleurer avec le sage, plutôt que de rire avec l’insensé. Oui, la santé de l’âme est de si haut prix, que toujours on l’appelle à soi, fût-elle accompagnée d’angoisses. La maladie des Juifs était donc d’autant plus dangereuse et d’autant plus désespérée qu’ils se croyaient en santé ; et cette maladie qui leur faisait perdre l’esprit, les portait en même temps à frapper le céleste Médecin. Que dis-je ! à le frapper ? Exprimons la vérité tout entière. Pour eux ce n’était pas assez frapper sur lui, ils le mettaient à mort. Mais lui, pendant qu’on le mettait à mort, n était pas moins Médecin ; on le déchirait, il guérissait ; il ressentait les coups du frénétique, et il n’abandonnait pas le malade ; s’emparait de lui, on le garrottait, on meurtrissait de soufflets ; on le blessait à coi de roseaux, on le couvrait de dérisions d’outrages, on le faisait comparaître pour condamner, on le suspendait au gibet et toutes parts on frémissait de rage autour lui ; mais il n’en était pas moins Médecin. 3. Tu ne connais que trop ces furieux, contemple les actes du Médecin. « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font ab ». Dans leur aveugle rage ils s’emportaient contre lui et répandaient son sang lui faisait avec son sang un remède pour guérir ; car ce n’est pas inutilement qu’il disait : « Mon Père, pardonnez-leur, ils savent ce qu’ils font ». Un chrétien prie et Dieu l’exauce ; le Christ prie, et il ne serait pas exaucé ? Il nous exauce avec son Père, parce qu’il est Dieu ; et comme homme il ne serait pas exaucé, parce qu’il s’est fait homme pour l’amour de nous ? Ah ! il l’a été sans aucun doute. Or ces cruels étaient là quand il priait, et ils se livraient à toute leur fureur. Dans ce nombre figuraient les dédaigneux le blâmaient et qui s’écriaient : « Le voilà qui mange avec les publicains et les pécheurs ac » Ils faisaient partie du peuple qui mettait à mort ce divin Médecin ; tandis que, celui-ci leur préparait avec son sang un contre-poison. Non-seulement en effet le Sauveur donnait son sang pour eux et acceptait la mort pour les guérir ; il voulut encore que sa résurrection fût l’image de celle qu’il leur promettait. Il souffrit pour que sa patience servît de modèle à la nôtre ; il ressuscite, aussi pour nous montrer quelle récompense mérite cette vertu. Dans ce but encore, vous le savez et nous le proclamons tous, il monta au ciel, puis envoya le Saint-Esprit, qu’il avait promis en disant à ses disciples : « Demeurez dans la ville, jusqu’à ce que vous soyez revêtu de la vertu d’en haut ad ». Cette promesse s’accomplit en effet, l’Esprit-Saint descendit, remplit les disciples, et ceux-ci se mirent à parler toutes les langues. C’était l’emblème de l’unité : l’Église dans son unité devait parler tous les idiomes, comme un même homme les parlait tous alors. Les témoins de cette merveille furent saisis d’effroi. Ils savaient que les disciples étaient sans instruction et ne connaissaient qu’une langue. Comment donc ne pas s’étonner, n’être pas surpris que des hommes qui ne connaissaient qu’une langue, deux tout au plus, s’exprimassent tout à coup dans tous les idiomes ? Frappés d’un tel prodige, leur orgueil s’abat, ces montagnes deviennent des vallées. Oui, en devenant humbles ils deviennent des vallées ; ils recueillent sans la laisser perdre la grâce qui se répand en eux. En tombant sur une cime altière, l’eau coule et se précipite ; mais elle reste, mais elle pénètre, quand elle descend sur un terrain bas et profond. C’est l’image de ce que devenaient ces esprits orgueilleux : l’étonnement et l’admiration prenaient en eux la place de la fureur. 4. Aussi se livrèrent-ils à la componction pendant que Pierre leur parlait, et l’on vit s’accomplir en eux cette prédiction d’un psaume : « Je me suis plongé dans la douleur, pendant que l’épine me pénétrait de son aiguillon ae ». Que signifie ici l’épine, sinon cette componction de la pénitence, dont il est parlé en termes formels dans ce passage sacré des Actes des Apôtres : « Ils furent touchés de componction au fond de leur cœur et dirent aux Apôtres : Que ferons-nous ? » Qu’y a-t-il dans ce mot : « Que ferons-nous ? » Nous savons, hélas ! ce que nous avons fait ; désormais « que ferons-nous ? » En considérant nos œuvres passées, nous ne pouvons que désespérer du salut ; ah ! s’il y a pour nous quelque espoir encore, donnez-nous un conseil. Nous savons ce que nous avons fait ; dites maintenant ce que nous avons à faire. Qu’est-ce, hélas ! que nous avons fait ? Ce n’est pas un homme quelconque que nous avons mis à mort ; et pourtant quelle iniquité déjà nous aurions commise en mettant à mort un innocent quel qu’il fût ! Mais nous avons sauvé le larron et donné la mort à l’Innocent ; nous avons opté pour le cadavre, et tué notre Médecin. Ah ! « que ferons-nous ? » veuillez nous l’apprendre. « Faites pénitence, répondit Pierre, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur ». Vous quitterez ainsi les quatre-vingt-dix-neuf pour faire partie du nombre cent. Quand vous étiez dans les quatre-vingt-dix-neuf, vous ne croyiez pas avoir besoin de pénitence, vous alliez même jusqu’à outrager le Sauveur pendant qu’il appelait à lui les pécheurs pour les porter à la pénitence. Maintenant donc que vous êtes pénétrés de componction à la vue de votre crime, « faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur » ; au nom de Celui que vous avez mis à mort, quoique innocent ; et vos péchés sont effacés. Ce langage rappela en eux l’espérance ; ils pleurèrent, ils gémirent, ils se convertirent et furent guéris af. C’était l’effet de cette prière : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font ». 5. Néanmoins, mes très-chers frères, en entendant dire que Notre-Seigneur Jésus-Christ n’est pas venu pour les justes, mais pour les pécheurs, que nul ne se plaise dans le péché ; que nul ne dise en soi-même : Si je suis juste, le Christ ne m’aime pas ; il m’aime au contraire si je suis pécheur, puisqu’il est descendu du ciel, non pas pour les justes, mais pour les pécheurs. On pourrait te répondre : Dès que tu vois en lui le Médecin, pourquoi ne redouter pas la fièvre ? Oui, il est le Médecin qui s’approche du malade ; mais il ne s’en approche que pour le guérir. Que penser alors ? que conclure ? que certifier ? Est-ce la maladie, n’est-ce. pas la santé que recherche le Médecin ? Ce qu’il aime, ce n’est pas ce qu’il rencontre, mais ce qu’il veut produire. Sans doute il s’approche du malade et non de celui qui a la santé : ce n’est pas toutefois ce qu’il faut considérer ; car il préfère réellement la santé à la maladie ; et pour vous en convaincre, adressez-vous cette simple question : Chercherait-il à rétablir la santé, s’il l’avait en horreur ? 6. Revenons à l’Apôtre : « Une vérité sûre et digne de toute confiance, c’est que Jésus-Christ est venu au monde pour sauver les pécheurs, dont je suis le premier » – « Dont je suis le premier ? » Comment ? Est-ce qu’avant lui il n’y eut point parmi les Juifs d’innombrables pécheurs ? Est-ce qu’il n’y en eut point un nombre immense au sein de l’humanité ? Est-ce que parmi tous les hommes il n’y en eut pas un seul d’assujetti à l’iniquité ? Le premier de tous les pécheurs, celui qui nous a livrés à la mort, Adam ne vécut-il pas avant saint Paul ? Que signifie alors : « Dont je suis le premier ? » L’Apôtre veut-il dire qu’il est le premier de ceux dont s’est approché le Sauveur ? Mais ce sens n’est pas vrai non plus ; car avant lui ont été appelés et Pierre et André ag, et les autres apôtres. Tu as, ô Paul, le dernier d’entre eux ; comment donc peux-tu dire : « Dont je suis le premier ? » Oui, il se dit le dernier des apôtres et le premier des pécheurs. Mais dans quel sens le premier des pécheurs ? Pierre n’a-t-il pas péché avant toi, en reniant jusqu’à trois fois son Maître ah ? Je pourrais dire aussi que si cet Apôtre ne se fût rencontré parmi les pécheurs, il n’aurait point passé de la gauche à la droite. 7. Mais enfin que veut dire : « Dont je suis le premier ? » Je suis le pire de tous ; premier est ici synonyme de pire. Que dit un architecte au milieu des ouvriers ? Il demande : Quel est ici le premier maçon ? quel est le premier charpentier ? Que dit également un malade qui veut guérir ? Quel est ici le premier, médecin ? On ne demande pas alors quel est le plus âgé ni le plus ancien dans sa profession, mais quel est le plus habile. Eh bien ! comme on appelle, premier le plus habile, Paul se nomme le premier pour exprimer qu’il est le plus grand pécheur. Or, comment est-il le plus grand pécheur ? Rappelez-vous ce qu’était Saul, et vous le comprendrez. Vous ne voyez que Paul, vous perdez Saul de vue ; vous ne voyez en lui que le pasteur, vous ne pensez plus au loup. N’est-il pas vrai que n’ayant pas assez de ses mains pour lapider Étienne ; il gardait les vêtements des autres bourreaux ? N’est-il pas vrai que partout il persécutait l’Église ? N’est-il pas vrai qu’il avait obtenu des lettres des princes des prêtres ? Ce n’était pas assez pour lui de sévir contre les chrétiens qui étaient à Jérusalem ; il voulait les découvrir ailleurs encore, et les enchaîner pour les traîner au supplice. N’est-il pas vrai qu’il courait et respirait le sang, lorsqu’il fut frappé du haut du ciel et qu’heureusement renversé par la foudre il entendit la voix du Seigneur, abattu sur le chemin et aveuglé pour recouvrer la vue ? Il fut ainsi le premier des persécuteurs ; nul autre ne le surpassa en fureur.. 8. Voici qui le fait mieux comprendre encore. Saul étant déjà abattu et déjà relevé, le Seigneur Jésus s’adressa en personne à Ananie et lui dit : « Va dans telle rue, tu y trouveras un nommé Saul, de Tarse en Cilicie, parle-lui ». Saul, au même moment, voyait Ananie s’approcher de lui et le baptiser. Mais à ce nom de Saul, Ananie trembla, quoiqu’il fût entre les bras du Médecin. Voici un trait plus doux. Vous vous rappelez sans doute d’où venait à Saul le nom qu’il portait ; je le dirai néanmoins en faveur de ceux qui ne s’en souviennent pas. Le roi Saül persécutait David ; or, David, représentait, figurait le Christ, comme Saül figurait Saul. Ne semble-t-il donc pas que c’était David qui criait à Saül du haut du ciel : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » Quant au nom d’Ananie, il signifie brebis : c’était donc le Pasteur qui s’adressait à sa brebis, et celle-ci redoutait la dent du loup ; car ce loup faisait au loin tant de bruit, que sous la main du Pasteur même, la brebis ne se croyait pas en sûreté ; elle tremblait donc en entendant la voix du Sauveur, et elle répondit : « Seigneur, j’ai appris combien cet homme a fait de maux à vos saints dans Jérusalem, et l’on dit que maintenant encore il a reçu, des princes des prêtres, des lettres qui l’autorisent à reconduire, après les avoir chargés de liens, tous ceux qu’il pourra saisir ». Où m’envoyez-vous ? N’est-ce pas la brebis que vous jetez à la gueule du loup ? – Le Seigneur n’admit pas cette excuse. Déjà il avait dit au petit nombre de ses timides brebis : « Voilà que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups ai ». Si j’ai envoyé mes brebis au milieu des loups, pourquoi craindre, Ananie, d’aborder cet homme qui n’est plus un loup ? C’est du loup que tu avais peur. Mais écoute le Seigneur ton Dieu : De ce loup, dit-il, j’ai fait une brebis, et de cette brebis je fais maintenant un pasteur. 9. Ah ! écoutez comment ce même homme, comment ce Saul, qui plus tard devait porter le nom de Paul, se félicite d’avoir obtenu de ; Dieu miséricorde, après avoir été le premier, c’est-à-dire le plus grand des pécheurs. « Et pourtant, dit-il, j’ai obtenu miséricorde, afin qu’en moi le Christ Jésus montrât toute sa patience, en faveur de ceux qui croiront en lui pour arriver à la vie éternelle » ; afin que tous se disent : Si Paul même a été guéri, pourquoi me décourager ? Si un malade aussi désespéré a pu être guéri par cet incomparable Médecin, pourquoi ne lui pas laisser panser mes blessures ? pourquoi ne courir pas me jeter entre ses bras ? C’est pour que chacun puisse tenir ce langage, que Dieu a fait un Apôtre de ce violent persécuteur aj. En effet, lorsqu’un médecin arrive quelque part, il cherche, pour le guérir, un malade désespéré ; que ce malade soit sans aucune ressource, peu lui importe, pourvu qu’il n’offre plus d’espoir ; ce n’est pas la récompense que le médecin a en vue ; il veut seulement mettre en relief son habileté. Revenons à notre idée. Paul donc se félicite d’avoir été choisi et guéri par le Christ, tout pécheur qu’il était ; il ne dit pas : Je veux demeurer dans le crime, puisque c’est pour moi et non pour les justes, que le Christ est venu au monde. Ne t’endors pas non plus dans ta mollesse, toi qui viens d’apprendre que le Fils de Dieu est descendu pour les pécheurs ; écoute plutôt ce cri du même Apôtre : « Lève-toi, toi qui dors ; lève-toi d’entre les morts et le Christ t’éclairera ak ». N’aime point à reposer sur cette couche de péché ; car il est écrit. « Vous avez bouleversé complètement le lit où sommeillait sa faiblesse al ». Lève-toi donc, guéris-toi, aime la santé, et dans ton orgueil ne va plus de la droite à la gauche, de la vallée à la montagne, de l’humilité à la fierté. Une fois guéri, quand tu auras commencé à vivre dans la justice, attribue ce bonheur, non pas à toi, mais à Dieu ; car ce n’est pas en te louant, mais en t’accusant que tu trouves le salut. Ta maladie deviendra même plus dangereuse, si tu t’exaltes avec orgueil. Quiconque s’élève, sera abaissé, et quiconque s’abaisse, sera élevé am. Tournons-nous avec un cœur pur, etc.SERMON CLXXVI. LA GRACE DE DIEU an.
ANALYSE. – Les trois saintes lectures que vous venez d’entendre se rapportent à la même vérité. Elles montrent 1° combien la grâce de Dieu est nécessaire à tous, même aux petits enfants ; 2° combien nous devons avoir confiance en elle, puisqu’elle sanctifie les plus grands pécheurs ; 3° enfin, avec quelle fidélité et quelle reconnaissance nous devons lui attribuer tout le bien qui peut se trouver en nous. 1. Ecoutez attentivement, mes frères, ce que le Seigneur daigne nous enseigner par ces divines lectures ; c’est de lui que vient la vérité, recevez-la par mon ministère. La première lecture est tirée de l’Apôtre : « Une vérité sûre et digne de toute confiance, dit-il, c’est que Jésus-Christ est venu au monde pour sauver ales pécheurs, dont je suis le premier. Mais j’ai obtenu miséricorde, afin que le Christ Jésus montrât en moi toute sa patience, pour a servir de leçon à ceux qui doivent croire en lui, en vue de la vie éternelle ». Voilà ce que nous a rappelé le texte de l’Apôtre. Nous avons ensuite chanté un psaume pour nous exciter les uns les autres ; d’une même voix et d’un même cœur nous y disions : « Venez, adorons le Seigneur, prosternons-nous et pleurons en présence du Dieu qui nous a créés » ; nous y disions encore : « Hâtons-nous d’accourir devant lui pour célébrer ses louanges, et chantons avec joie des cantiques à sa gloire ». Enfin l’Évangile nous a montré dix lépreux guéris, et l’un deux, il était étranger, rendant grâces à son Libérateur. Étudions ces trois textes, autant que nous le permet le temps dont nous pouvons disposer ; disons quelques mots sur chacun d’eux, évitant, avec la grâce de Dieu, de nous arrêter trop longuement sur l’un au détriment des autres. 2. L’Apôtre veut d’abord nous apprendre à rendre grâces. Or, souvenez-vous que dans la dernière leçon, celle de l’Évangile, le Seigneur Jésus loue le lépreux guéri qui le remercie, et blâme les ingrats qui conservent dans le cœur la lèpre qu’il a effacée de leur corps. Comment donc s’exprime l’Apôtre ? « Une vérité sûre et digne de toute confiance ». Quelle est cette vérité ? « C’est que Jésus-Christ est venu au monde ». Pourquoi ? « Pour sauver les pécheurs ». Et toi, qu’es-tu ? « Dont je suis le premier ». C’eût été de l’ingratitude envers le Sauveur, de dire : Je ne suis, je n’ai jamais été pécheur. Car il n’est aucun des descendants mortels d’Adam, il n’est aucun homme absolument qui ne soit malade et qui n’ait besoin pour guérir de la grâce du Christ. Que penser des petits enfants, si tous les descendants d’Adam sont malades ? Mais on les porte à l’Église ; ils ne peuvent y courir encore sur leurs propres pieds ; ils y courent sur les pieds d’autrui pour y chercher la guérison. L’Église notre mère leur prête en quelque sorte les pieds des autres pour marcher, le cœur d’autrui pour croire et, pour confesser la foi, la bouche d’autrui encore. Si la maladie qui les accable vient d’un péché qu’ils n’ont pas commis, n’est-il pas juste que la santé leur soit rendue par une profession de foi faite par d’autres en leur nom ? Que nul donc ne vienne murmurer à vos oreilles des doctrines étrangères. Tel est l’enseignement auquel l’Église s’est toujours attachée, qu’elle a professé toujours ; l’enseignement qu’elle a puisé dans la foi des anciens et qu’elle conserve avec persévérance jusqu’à la fin des siècles. Dès que le médecin n’est pas nécessaire à ceux qui se portent bien, mais à ceux qui sont malades, l’enfant, s’il n’est pas malade, a-t-il donc besoin du Christ ? Pourquoi, s’il a la santé, ceux qui l’aiment le portent-ils au Médecin ? S’ie pécheurs lorsqu'elle en fut purifiée par le déluge, et combien, depuis, se sont multipliés les pécheurs ! Coml était vrai qu’au moment où ils courent à lui entre des bras dévoués, ils n’eussent aucune souillure originelle, pourquoi ne dirait-on pas dans l’Église même à ceux qui les présentent : Loin d’ici ces innocents ; ceux qui se portent bien n’ont pas besoin de Médecin, mais ceux qui sont malades ; le Christ n’est pas venu appeler les justes, mais les pécheurs ao ? Jamais pourtant l’Église n’a tenu ce langage ; elle ne le tiendra jamais. Àe pécheurs lorsqu'elle en fut purifiée par le déluge, et combien, depuis, se sont multipliés les pécheurs ! Com chacun donc, mes frères, de dire ce qu’il peut en faveur de ces petits qui ne peuvent rien dire. Si l’on a soin de recommander aux évêques de veiller sur le patrimoine des orphelins ; avec combien plus de soin encore ne doit-on pas leur recommander de veiller sur la grâce des petits enfants ? Si pour empêcher les étrangers d’opprimer l’orphelin après la mort de ses parents, l’évêque s’en fait le tuteur ; quels cris d’alarmes ne doit-on pas pousser en faveur des petits, lorsqu’on craint que leurs parents mêmes ne les mettent à mort ? Ne doit-on pas répéter avec l’Apôtre : « Une vérité sûre et digne de toute confiance, c’est que Jésus-Christ est venu au monde » uniquement « pour sauver les pécheurs ? » Quiconque recourt au Christ a sans doute e pécheurs lorsqu'elle en fut purifiée par le déluge, et combien, depuis, se sont multipliés les pécheurs ! Comquelque infirmité à guérir ; pourquoi, si l’on n’a rien, courrait-on au Médecin ? Que les parents choisissent donc entre ces deux partis : avouer que le Christ guérit dans leurs enfants la maladie du péché, ou cesser de les lui offrir ; car ce serait conduire au Médecin celui qui est en pleine santé. Que présentes-tu ? – Quelqu’un à baptiser. – Qui ? – Un enfant. – À qui le présentes-tu ? – Au Christ. – Au Christ qui est venu au monde ? – Oui. – Pourquoi y est-il venu ? – « Pour guérir les pécheurs ». – L’enfant que tu présentes a donc en lui quelque chose à guérir ? Si tu dis oui, cet aveu sert à dissiper son mal ; il le garde, si tu dis non. 3. « Pour guérir les pécheurs, de pécheurs lorsqu'elle en fut purifiée par le déluge, et combien, depuis, se sont multipliés les pécheurs ! Comont je suis le premier ». N’y avait-il point de pécheurs avant Paul ? Mais Adam fut sûrement le premier de tous ; la terre était couverte de pécheurs lorsqu’elle en fut purifiée par le déluge, et combien, depuis, se sont multipliés les pécheurs ! Comment dire alors : « Dont je suis le premier ? » Il est le premier, non en date, mais en énormité. C’est l’énormité de son péché qui – lui a fait dire qu’il était le premier des pécheurs. Ne dit-on point, par exemple, qu’un homme est le premier des avocats, pour exprimer, non pas qu’il plaide depuis plus longtemps que les autres, mais qu’il l’emporte sur eux ? Aussi bien, voici comment il dit ailleurs qu’il était le premier des pécheurs : « Je suis le dernier des Apôtres, je suis indigne du nom d’Apôtre, parce que j’ai persécuté l’Église de Dieu ap ». Aucun persécuteur ne fut plus ardent, ni, conséquemment, aucun pécheur plus coupable. 4. « Cependant, poursuit-il, j’ai obtenu miséricorde ». Pour quel motif ? Il l’expose en ces termes : « Afin que le Christ Jésus montrât en moi toute sa patience pour l’instruction de ceux qui croiront en lui, en vue de la vie éternelle ». En d’autres termes : Le Christ voulait pardonner aux pécheurs qui se convertiraient à lui, fussent-ils ses ennemis ; or, il m’a choisi, moi, son plus ardent adversaire, afin que nul ne désespérât en me voyant guéri par lui. N’est-ce pas ce que font les médecins ? Arrivent-ils dans une contrée où ils sont inconnus ? ils choisissent d’abord, pour les guérir, des malades désespérés ; ils veulent ainsi exercer sur eux leur humanité et donner de leur habileté une haute idée ; ils veulent que dans cette contrée chacun puisse dire à son prochain malade : Adresse-toi à ce médecin, aie pleine confiance, il te guérira. Il me guérira ? reprend l’infirme, tu ne sais donc ce que je souffre ? Je connais tes souffrances, car j’en ai enduré de semblables. – C’est ainsi que Paul dit à chaque malade, fût-il porté au désespoir : Celui qui m’a guéri m’envoie près de toi ; il m’a dit lui-même : Cours vers ce désespéré, raconte-lui ce que tu souffrais, de quoi et avec quelle promptitude je t’ai guéri. Je l’ai appelé du haut du ciel ; avec une première parole je t’ai abattu et renversé ; avec une autre je t’ai relevé et j’ai fait de toi un élu ; je t’ai comblé de mes dons et envoyé prêcher avec une troisième ; avec une quatrième enfin, je t’ai sauvé et couronné aq. Va donc, dis aux malades, crie à ces désespérés : « Une vérité sûre et digne de toute confiance, c’est que Jésus-Christ est venu au monde pour sauver les pécheurs ». Que craignez-vous ? Que redoutez-vous ? « Je suis le premier » de ces pécheurs. Oui, moi qui vous parle, moi que vous voyez plein de santé, pendant que vous êtes malades ; debout, pendant que vous êtes renversés ; pénétré de confiance, pendant que vous vous abandonnez au désespoir : « Si j’ai obtenu miséricorde, c’est que le Christ Jésus voulait montrer en moi toute sa patience ». Longtemps il a souffert de mon mal, et c’est ainsi qu’il m’en a délivré ; tendre Médecin, il a patiemment supporté ma fureur, enduré mes coups, puis il m’a accordé le bonheur de souffrir pour lui. Vraiment « il a montré en moi toute sa patience pour l’édification de ceux qui croiront en lui en vue de la vie éternelle ». 5. Gardez-vous par conséquent de vous désespérer. Êtes-vous malades ? Allez à lui et vous serez guéris. Êtes-vous aveugles ? Allez à lui et vous serez éclairés. Avez-vous la santé ? Rendez-lui grâces. Vous surtout qui souffrez, courez à lui pour chercher votre guérison, et dites tous : « Venez, adorons-le, prosternons-nous devant lui et pleurons devant le Seigneur qui nous a créés », qui nous a donné la vie et la santé. S’il ne nous avait donné que l’existence, et que la santé fût notre œuvre, notre œuvre vaudrait mieux que la sienne, puisque la santé l’emporte sur la simple existence. Oui donc, si Dieu t’a fait homme et que tu te sois fait bon, tu as fait mieux que lui. Ah ! ne t’élève pas au-dessus de Dieu, soumets-toi à lui, adore-le, abaisse-toi, bénis Celui qui t’a créé. Nul ne rend l’être, que Celui qui l’a donné ; nul ne refait, que Celui qui a fait. Aussi lit-on dans un autre psaume e pécheurs lorsqu'elle en fut purifiée par le déluge, et combien, depuis, se sont multipliés les pécheurs ! Com: « C’est lui qui nous a faits, ce n’est pas nous ar ». Quand il t’a créé, tu n’avais de ton côté rien à faire ; mais aujourd’hui que tu existes, il en est autrement : il te faut recourir à ce Médecin qui est partout, l’implorer. Et pourtant c’est lui encore qui excite ton cœur à recourir à lui, qui t’accorde la grâce de le supplier. « Car c’est Dieu, est-il dit, qui produit en vous le vouloir et le faire, selon sa bonne volonté as ». Il a fallu en effet, pour t’inspirer bonne volonté, que sa grâce te prévînt. Crie donc « Mon Dieu, sa miséricorde me préviendra at ». Oui, c’est sa miséricorde qui t’a prévenu pour te donner l’être, pour te donner le sentiment, pour te donner l’intelligence, pour te donner la soumission ; elle t’a prévenu en toutes choses : préviens au moins, toi, sa colère en quelque chose. Comment ? reprends-tu, comment ? En publiant que de Dieu te vient ce qu’il y a de bon en toi, et de toi ce qu’il y a de mal. Garde-toi de le mettre de côté pour t’exalter à la vue de ce que tu as de bien ; de t’excuser pour l’accuser à la vue de ce qui est mal en toi c’est le moyen de le bénir réellement. Rappelle-toi aussi qu’après t’avoir ce pécheurs lorsqu'elle en fut purifiée par le déluge, et combien, depuis, se sont multipliés les pécheurs ! Comomblé d’abord de tant d’avantages, il doit venir à toi pour te demander compte de ses dons et de tes iniquités ; déjà il considère comment tu as usé de ses grâces. Mais s’il t’a prévenu de ses dons, examine comment à ton tour tu préviendras sa face quand il arrivera. Écoute le Psaume « Prévenons sa présence en le bénissant. – Prévenons sa présence » ; rendons-le-nous propice avant qu’il vienne ; apaisons-le avant qu’il se montre. N’y a-t-il pas un prêtre qui puisse t’aider à apaiser ton Dieu ? Et ce prêtre n’est-il pas en même temps Dieu avec son : Père et homme pour l’amour de toi ? C’est ainsi que tu chanteras avec allégresse des psaumes à sa gloire, que tu préviendras sa présence en le bénissant. Chante donc : préviens sa présence par tes aveux, accuse-toi ; tressaille en chantant, loue-le. Si tu as soin de t’accuser ainsi et de louer Celui qui t’a fait, Celui qui est mort pour toi viendra bientôt et te donnera la vie. 6. Attachez-vous à cette doctrine, persévérez-y. Que nul ne change, ne devienne lépreux ; car un enseignement qui varie, qui n’offre pas toujours le même aspect, est comme la lèpre de l’âme ; et c’est de cette lèpre que le Christ nous guérit. Peut-être as-tu changé de quelque manière et, après y avoir regardé de plus près, adopté un sentiment meilleur : tu aurais dans ce cas rétabli l’harmonie. Mais ne t’attribue pas ce changement heureux ; ce serait te mettre au nombre des neuf lépreux qui n’ont pas rendu grâces. Un seul vint remercier. Les premiers étaient des juifs, et celui-ci était un étranger ; il représentait les gentils et donna au Christ comme la dîme qui lui était due. Il est donc bien vrai que nous sommes redevables au Christ de l’existence, de la vie, de l’intelligence ; si nous sommes hommes, si nous nous conduisons bien, si nous avons l’esprit droit, c’est à lui encore que nous en sommes redevables. Nous n’avons, de nous, que le péché. Eh ! qu’as-tu, que tu ne l’aies reçu au ? O vous donc, vous surtout qui comprenez ce langage, après avoir purifié votre cœur de toute lèpre spirituelle, placez-le haut, sursum cor, pour le guérir de toute infirmité, et rendez grâces à Dieu.SERMON CLXXVII. CONTRE L’AVARICE av.
ANALYSE. – Deux sortes de personnes ont à se tenir en garde contre l’avarice : ceux qui ne sont pas riches et ceux qui le sont, sans vouloir le devenir davantage. I. Si l’on n’est pas riche, qu’on se garde de chercher à le devenir. Les païens ont blâmé ce désir ; mais nous avons, pour le condamner, des motifs plus pressants que les leurs. Ne sommes-nous pas les hommes de Dieu ? Or, quand on est d’un rang si haut, il est indigne de s’abaisser aux convoitises terrestres. De plus ce désir entrave notre marche et notre essor vers le ciel. Enfin il ne fait qu’accroître nos besoins et nos peines. II. Si l’on est riche, il faut, pour se préserver de l’avarice, éviter l’orgueil et la fierté ; ne pas s’appuyer sur les richesses, mais sur Dieu ; enfin donner généreusement pour acquérir un trésor dans la vie éternelle. 1. Le sujet de notre discours sera cette leçon de l’Apôtre : « Nous n’avons rien apporté dans ce monde et nous ne pouvons en emporter rien. Ayant donc la nourriture et le vêtement, contentons-nous ; car ceux qui veulent devenir riches, tombent dans la tentation, dans un filet, et dans beaucoup or de désirs nuisibles, lesquels plongent les hommes dans la ruine et la perdition. L’avarice est en effet la racine de tous les maux, aussi plusieurs y ayant cédé, ont dévié de la foi et se sont engagés dans beaucoup de chagrins ». Voilà de quoi vous rendre attentifs et nous déterminer à parler. Ces mots nous mettent en quelque sorte l’avarice devant les yeux ; elle comparaît à titre d’accusée ; que nul ne la défende, que tous au contraire la condamnent pour n’être pas condamnés avec elle. Je ne sais quelle influence exerce l’avarice dans le cœur ; car tous les hommes, ou, pour m’exprimer avec plus d’exactitude et de prudente, presque tous les hommes l’accusent dans leurs discours et la défendent par leurs actions. Beaucoup ont parlé longuement contre elle ; ils l’ont chargée de torts aussi sérieux que mérités ; poètes et historiens, orateurs et philosophes, écrivains de tout genre, tous se sont élevés contre l’avarice. Mais l’important est de n’en être pas atteint ; ah ! il vaut beaucoup mieux en être exempt que de savoir en montrer la laideur. 2. Toutefois, entre les philosophes, par exemple, et les Apôtres faisant le procès à l’avarice, n’y a-t-il pas quelque différence ? Quelle est cette différence ? En examinant la chose de près, nous découvrirons ici un enseignement qui n’est donné que par l’école du Christ. J’ai déjà cité ces mots : « Nous n’avons rien apporté dans ce monde, et nous ne saurions en emporter rien ; ayant donc la nourriture et le vêtement, contentons-nous ». Beaucoup d’autres que l’Apôtre ont fait cette réflexion. Il en est de même de celle-ci : « L’avarice est la racine de tous les maux ». Mais aucun profane n’a dit ce qui suit : « Pour toi, homme de Dieu, fuis ces choses et recherche la justice, la foi, la charité avec ceux qui invoquent le Seigneur d’un cœur pur aw ». Non, aucun des profanes n’a dit cela ; tant la piété solide est étrangère à ces bruyants parleurs ! Aussi, mes bien-aimés, c’est pour détourner de nous ou des hommes de Dieu, la pensée de regarder comme de grands hommes ces esprits, étrangers à notre société, qui ont jeté sur l’avarice leur condamnation et leur mépris, que l’Apôtre s’écrie : « Pour toi, homme de Dieu ». Veut-on essayer de les mettre en face de nous ? Rappelons-nous d’abord qu’un caractère qui nous distingue, c’est que nous agissons pour Dieu ; c’est que le culte du vrai Dieu est une réprobation de l’avarice et que nous devons nous porter avec bien plus de soin à ce qui est un devoir de piété. Quelle honte, quelle confusion et quelle douleur pour nous, si l’on voyait les adorateurs des idoles triompher de l’avarice, et les serviteurs du Dieu unique subjugués par elle, esclaves de cette passion quand un sang divin leur sert de rançon ! L’Apôtre disait encore à Timothée « Je t’ordonne devant Dieu, qui vivifie toutes choses, et devant le Christ Jésus, qui a rendu a sous Ponce-Pilate un si glorieux témoignage à la vérité » ; ici encore constate à quelle distance nous sommes des profanes ; « de garder inviolablement ce précepte jusqu’à l’avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que manifestera en son temps le bienheureux, le seul puissant, le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, qui seul possède l’immortalité et habite une lumière inaccessible, qu’aucun homme n’a vu ni ne saurait voir, et à qui sont l’honneur et la gloire pour les siècles des siècles. Ainsi soit-il ». C’est de la famille de ce grand Dieu que nous faisons partie, nous y sommes entrés par adoption, et grâces, non pas à nos mérites mais à sa bonté, nous sommes devenus ses enfants. Or, ne serait-il pas trop affreux, ne serait-il pas trop horrible d’être enchaînés sur la terre par l’avarice, quand nous disons : « Notre Père qui êtes dans les cieux ax », à ce Dieu dont l’amour fait tout pâlir ; quand aussi le monde où nous sommes nés est si peu fait pour nous, qu’une nouvelle naissance nous attache à Dieu ? Usons de ces créatures pour le besoin et non par amour pour elles ; que l’univers soit pour nous comme une hôtellerie où on passe et non comme un domaine que l’on habite. Restaure-toi et passe, voyageur, considère à qui tu vas rendre visite quelle grandeur en effet dans Celui qui t’a visité ! En quittant cette vie tu fais place à un autre qui y fait son entrée : n’est-ce pas ainsi qu’on sort d’une hôtellerie pour y être remplacé ? Mais tu voudrais arriver au séjour du repos parfait ; que Dieu donc ne s’éloigne pas de toi, car c’est à lui que nous disons : « Vous m’avez conduit dans les sentiers de votre justice par égard à votre nom », et non par égard à mes mérites ay. 3. Ainsi donc autres sont les voies de notre mortalité, et autres les voies de la piété. Les voies de la mortalité sont fréquentées par tous ; il suffit d’être né pour y marcher : on ne suit les voies de la piété qu’autant que l’on est régénéré. En marchant dans les premières on naît et on grandit, on vieillit et on meurt ; et conséquemment on a besoin du vêtement et de la nourriture. Mais qu’on se contente du nécessaire. Pourquoi te charger ? Pourquoi prendre, durant ce court voyage, non ce qui peut t’aider à parvenir au terme, mais ce qui ne saurait que t’accabler outre mesure ? Tes désirs ne sont-ils pas étranges au-delà de toute expression ? Pour voyager tu te charges, tu te charges encore ; tu es accablé sous le poids de l’argent, et plus encore sous la tyrannie de l’avarice. Mais l’avarice est l’impureté dans le cœur. Ainsi donc, de ce monde que tu affectionnes, tu n’emportes rien, rien que le vice auquel tu t’attaches. Et, en continuant à aimer ce monde ; tu seras tout immonde aux yeux de son Auteur. Si au contraire tu ne gardes avec modération que les ressources nécessaires au voyage, tu seras dans les bornes prescrites par ces mots de l’Apôtre : « N’aimez point les richesses et contentez-vous de ce qui suffit actuellement az ». Remarque ce qu’il place en première ligne. « N’aimez pas », dit-il. Touche-les, mais sans y attacher ton cœur. En attachant ton cœur aux richesses par les liens de l’amour, tu te plonges dans une infinité de chagrins ; est-ce d’ailleurs faire attention à ces paroles : « Pour toi, homme de Dieu, fuis ces malheurs ? » Il n’est pas dit : Laisse, abandonne ; il est dit : « Fuis », comme on fuit un ennemi. Tu cherchais à fuir avec ton or ; fuis l’or, que ton cœur s’en échappe et l’or devient ton esclave. Point d’avarice, non ; mais de la piété. Ah ! il y a moyen d’employer ton or, si tu en es le maître et non l’esclave. Maître de l’or, tu t’en sers pour le bien ; esclave, il t’applique au mal. Maître de l’or, tu donnes des vêtements qui font louer le Seigneur ; esclave, tu dépouilles et tu fais blasphémer Dieu. Or, c’est la passion qui t’en rend l’esclave, et la charité qui t’en affranchit. Fuis donc, sans quoi tu seras asservi. « Pour toi, homme de Dieu, fuis ». Point de milieu, on est ici fugitif ou captif. 4. Voilà bien ce que tu dois fuir ; mais tu as aussi quelque chose à rechercher, car on ne fuit pas dans le vide, on ne laisse pas pour ne rien saisir. « Recherche donc la justice, la foi, la piété, la charité » ; sache t’enrichir par là, ce sont des biens intérieurs dont n’approche pas le larron, à moins que la volonté mauvaise ne lui ouvre la porte. Garde avec soin ce coffre-fort, qui n’est autre que ta conscience ; richesses précieuses que ne pourront te ravir ni larron, ni ennemi, si puissant qu’il soit, ni les barbares, ni les envahisseurs, non, pas même le naufrage ; car en y perdant tout, tu sauverais tout. Quoique dépouillé de tout à l’extérieur, n’avait-il rien l’antique patriarche qui disait : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté ; comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait : que le nom du Seigneur soit béni ba ? » Quelle merveilleuse opulence ! quelles richesses immenses ! Il était privé de tout, mais rempli de Dieu ; privé de tout bien qui passe, mais rempli de la volonté de son Seigneur. Eh ! pourquoi tant de fatigues et de voyages à la recherche de l’or ? Aimez cette autre sorte de richesses, et à l’instant même vous en êtes comblés : ouvrez votre cœur, et la source s’y jette. Or c’est avec la clef de la foi que s’ouvre le cœur, et la foi le purifie en l’ouvrant. Ne le crois pas trop étroit pour contenir le divin trésor. Ce trésor n’est autre que ton Dieu et il élargit le cœur en y entrant. 5. Ainsi donc « n’aimez pas l’argent et contentez-vous de ce qui actuellement suffit ». Pourquoi « actuellement ? » Parce que « nous n’avons rien apporté dans ce monde et nous ne saurions en emporter rien ». Voilà pourquoi il faut se contenter, « de ce qui suffit actuellement », sans se préoccuper de l’avenir. Mais comment est-on séduit par les calculs de l’avarice ? – Eh ! dit-on, si je vis longtemps ? – Celui qui donne la vie, donne aussi de quoi la soutenir. Après tout, je veux bien qu’on ait des revenus ; pourquoi, de plus, chercher des trésors ? Si le négoce, si le travail, si le commerce donnent des revenus, pourquoi vouloir encore thésauriser ? Ne crains-tu pas de laisser ton cœur où tu placeras ton trésor, d’entendre sans profit et de répondre menteusement quand on t’invite à l’élever ? Quoi ! lorsque tu réponds – à cette parole sacrée, lorsque ta voix y applaudit, ne sens-tu pas en toi ton cœur même t’accuser ? Si déprimé et si accablé que soit ce cœur, ne te dit-il pas secrètement : Tu m’ensevelis sous terre, pourquoi mentir ? Ne te dit-il pas encore : Ne suis-je pas où est ton trésor ? Oui, tu mens. Mentirait-il le Maître qui a dit : « Où sera ton trésor, là aussi sera ton cœur bb ? » Tu oses dire qu’il ne sera pas là, quand la vérité affirme qu’il y sera ? Il ne sera pas là, reprends-tu, parce que je n’aime pas ce trésor. Montre-le par tes œuvres. Tu ne l’aimes pas, mais tu es riche. Ta réflexion et ta distinction sont justes ; car tu ne confonds pas celui qui est riche avec celui qui veut le devenir, et l’on ne peut nier qu’il n’y ait entre l’un et l’autre une différence sérieuse : d’un côté l’opulence, de l’autre la passion. 6. Aussi bien l’Apôtre lui-même ne dit-il pas Ceux qui sont riches ; mais : « Ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation, clans un piège, et dans beaucoup de désirs funestes ». C’est parce qu’ils veulent devenir riches, et non parce qu’ils le sont ; de là le mot « désirs » qu’emploie saint Paul ; car le désir s’applique à ce que l’on cherche et non à ce que l’on possède. Si insatiable que soit l’avarice, ceux qui possèdent beaucoup, désirent, non pas ce qu’ils ont, mais ce qu’ils veulent acquérir. Un tel possède cette campagne, il voudrait avoir encore celle-là et après elle une autre : ce qu’il désire n’est pas ce qu’il possède, mais ce qu’il n’a pas. Ainsi en voulant devenir riche il est en proie aux désirs et à une soif ardente, laquelle s’augmente, comme celle de l’hydropique, à mesure qu’il boit. L’avare a donc au cœur une sorte d’hydropisie qui ressemble merveilleusement à l’hydropisie proprement dite. Quoique rempli d’une eau qui met sa vie en danger, l’hydropique en demande toujours ; ainsi l’avare a d’autant plus de besoins qu’il est plus riche. Quand il possédait moins, il demandait moins ; il lui fallait moins pour le réjouir, quelques miettes faisaient ses délices ; depuis qu’il est comme rempli de biens, il semble qu’il n’a fait que se dilater pour aspirer à davantage. Il boit sans cesse et toujours, il a soif. Ah ! si j’avais cela, dit-il, je pourrais atteindre jusque-là ; je puis peu, parce que j’ai peu. – Au contraire, posséder davantage, ce serait vouloir encore plus, ce serait accroître, non pas ta puissance, mais ton indigence. 7. Je ne tiens pas à ce que j’ai, dis-tu, afin d’avoir le cœur élevé. D’accord ; si tu n’y tiens vraiment pas, ton cœur peut être haut placé ; quel obstacle empêcherait de s’élever un cœur libre ? Mais n’y tiens-tu pas ? Dis-le-toi fidèlement à toi-même, n’attends pas que je t’accuse, interroge-toi. – Non, je n’y tiens pas ; je suis riche, il est vrai, mais comme je le suis, sans vouloir le devenir, je n’ai pas à tomber dans la tentation ni dans un filet ni dans ces nombreux et funestes désirs qui plongent l’homme dans la perdition : mal dangereux, mal accablant, horrible et mortelle maladie ! – Je suis riche, dis – tu, je ne veux pas l’être. – Tu es riche et tu ne veux pas l’être ? – Non. – Et si tu ne l’étais pas, ne voudrais-tu le devenir ? – Non. – Donc, puisque tu l’es, puisqu’en te trouvant riche matériellement, la parole de Dieu t’a comblé des richesses intérieures, prends pour toi ce qui est dit aux riches. Ce n’est pas ce qui est exprimé dans ces paroles, : « Nous n’avons rien apporté dans ce monde et nous ne saurions en emporter rien ; ayant donc le vivre et le vêtement, contentons-nous ; car ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation », et le reste. Ces mots en effet : « Ceux qui veulent devenir riches », prouvent que l’Apôtre parlait à ceux qui ne le sont pas. Es-tu donc pauvre ? répète ce langage et tu es riche ; mais répète-le de tout cœur ; dis donc du fond du cœur : Je n’ai rien apporté dans ce monde et je ne saurais en emporter rien ; ayant donc le vêtement et la nourriture, je suis content. Car si je veux devenir riche, je tomberai dans la tentation et dans le piège. Parle ainsi, et reste ce que tu es. Garde-toi de te plonger dans les nombreux chagrins : ne te déchirerais-tu pas en cherchant à te dépouiller. Revenons : tu es donc riche ? Nous avons d’autres paroles à t’adresser ; ne t’imagines pas, ô riche, que l’Apôtre rie t’a rien dit. Il écrivait donc au même, à Timothée, pauvre comme lui. Mais qu’écrivait-il à ce pauvre concernant les riches ? Le voici, écoute : « Ordonne aux riches de ce siècle » ; c’est qu’il y a aussi des hommes qui sont les riches de Dieu ; ceux-ci sont même les seuls vrais riches, et tel était ce même Paul qui disait : « J’ai appris à être satisfait de l’état où je me trouve bc » ; tandis que l’avare n’est satisfait de rien. « Ordonne donc aux riches de ce siècle ». – Que leur dirai-je ? De ne chercher pas à devenir riches ? Mais ils le sont. Qu’ils écoutent ce qui s’adresse à eux ; c’est en premier lieu « de ne « pas s’enfler d’orgueil ». Quoi ! on a encore des richesses et on les aime éperdument ! Mais elles sont comme un nid où l’orgueil se développe et grandit, grandit, hélas ! non pour s’envoler, mais pour y rester. Avant tout donc le riche ne doit pas « s’enfler d’orgueil ». Ainsi sache, ô riche, persuade-toi et te rappelle que tu es mortel et que les pauvres, mortels comme toi, sont tes égaux. Qu’aviez-vous l’un et l’autre en paraissant sur la terre ? Sujets tous deux à la maladie, n’êtes-vous pas tous deux attendus par la mort ? Sur sa couche de terre le pauvre endure la souffrance, et le riche ne peut l’empêcher de venir à lui sur son lit d’argent. Ainsi donc « ordonne aux riches de ce monde de ne s’enfler pas d’orgueil ». Qu’ils voient dans les pauvres leurs égaux s’ils sont hommes, les pauvres le sont aussi ; l’habit est différent, le sang est le même : quoique le riche soit embaumé après sa mort, il n’est pas pour cela exempt de la corruption, elle vient plus tard ; pour venir plus tard, en vient-elle moins réellement ? Supposons toutefois que le riche et le pauvre ne pourrissent pas également, ne sont-ils pas sensibles l’un et l’autre ? « Ordonne aux riches de ce monde de ne s’enfler pas d’orgueil ». Non, qu’ils ne s’enflent pas d’orgueil, et ils seront en réalité ce qu’ils veulent paraître ; ils posséderont leurs richesses sans les aimer et conséquemment ils n’en seront pas les esclaves. 8. Considère encore ce qui suit : « De ne pas s’enfler d’orgueil et de n’espérer pas dans l’inconstance des richesses ». Tu aimes l’or ; peux-tu être sûr de n’avoir pas à craindre de le perdre ? Tu t’es amassé du bien ; peux-tu t’assurer la tranquillité ? « Et de n’espérer pas dans l’inconstance des richesses ». Détache donc ta confiance des objets où tu l’as placée. « Mais au Dieu vivant ». Fixe en lui ton espoir, jette en lui l’ancre qui retient ton cœur, afin que les tempêtes du siècle ne puissent t’en détacher. « Au Dieu vivant qui nous donne abondamment tout pour en jouir ». S’il nous donne tout, combien plus encore se donne-t-il lui-même ? Oui, il est bien vrai qu’en lui nous jouirons de tout. Aussi ce tout qu’il nous « donne abondamment pour en jouir », me semble-t-il n’être que lui. Autre chose est d’user et autre chose de jouir. Nous usons par besoin, nous jouissons par plaisir. Par conséquent Dieu nous donne les choses temporelles pour en user, et lui-même pour en jouir : Mais si c’est lui-même qu’il donne, pourquoi avoir dit tout, sinon parce qu’il est écrit « que Dieu doit être tout en tous bd ? » En lui donc place ton cœur pour jouir de lui, et ton cœur sera élevé. Détache-toi d’ici et attache-toi là-haut : quel danger pour toi de rester sans être fixé au milieu de toutes ces tempêtes ! 9. « De n’espérer pas dans l’inconstance des richesses » ; l’espoir pourtant n’est pas interdit ; « mais au Dieu vivant qui nous donne abondamment tout pour en jouir ». Où est tout, sinon en Celui qui a fait tout ? Il ne ferait pas tout, s’il ne connaissait tout. Qui oserait dire : Dieu a fait cela sans le savoir ? Il a fait ce qu’il savait. Cet objet était donc en lui, avant d’être fait par lui ; mais il était en lui d’une manière admirable ; il était en lui, non comme on le voit réalisé, à la façon de ce qui est temporel et passager, mais comme l’idée est dans l’artiste. Celui-ci porte en soi ce qu’il produit extérieurement ; et c’est ainsi que tout est en Dieu souverainement, immortellement, immuablement, toujours au même état, et que Dieu sera tout en tous ; mais c’est pour ses saints qu’il sera tout en tous. Lui donc et lui seul nous suffit ; aussi est-il écrit : « Montrez-nous votre Père, car il nous suffit. Quoi ! reprît alors le Sauveur, je suis avec vous depuis si longtemps et vous ne me connaissez pas ? Me voir, c’est voir mon Père be ». Dieu donc est tout, Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit ; et c’est avec raison que seul il nous suffit. Ah ! aimons-le, si nous sommes avares ; seul il pourra nous satisfaire, si nous convoitons les richesses, car il est dit de lui ; « Il comble de biens tes désirs bf ». Et le pécheur ne s’en contente pas ? Il n’a pas assez d’un bien si grand, si incomparable ? Hélas ! en voulant tout avoir, il a plutôt perdu tout, « l’avarice étant la racine de tous les maux », Aussi est-ce avec raison que par l’organe d’un Prophète le Seigneur adresse ces reproches à l’âme infidèle qui se prostitue loin de lui ; « Tu t’es imaginé que tu obtiendrais davantage en te séparant de moi ». Mais, comme ce fils puîné, te voilà réduite à paître des pourceaux bg ; tu as tout perdu, tu es restée dans la misère, et c’est bien tard que tu es revenue tout épuisée. Comprends enfin que ce que te donnait ton père était près de lui plus en sûreté. « Tu t’es imaginé que tu obtiendrais davantage en te séparant de moi ». O pécheresse, ô prostituée, ô âme couverte de honte, défigurée, ô âme immonde, tu es pourtant aimée encore. Pour recouvrer ta beauté, reviens donc à la beauté même ; reviens et dis à ce Dieu qui peut seul te satisfaire : « S’en aller « loin de vous, c’est se perdre ». De quoi donc ai-je besoin ? Ah ! « mon bonheur est de m’attacher à Dieu bh ». Donc élève ton cœur ; qu’il ne reste ni sur la terre, ni au milieu de trésors menteurs, ni dans des objets qui ne sont que pourriture. « L’avarice est la racine de tous les maux ». Ne l’a-t-on pas vu dans Adam même ? S’il a cherché plus qu’il n’avait reçu, c’est que Dieu ne lui suffisait point. 10. Mais que feras-tu de ce que tu possèdes, toi qui es riche ? Le voici. Tu ne t’enfles plus d’orgueil ; c’est bien. Tu n’espères plus dans l’inconstance des richesses, mais au Dieu vivant, qui nous donne tout abondamment pour en jouir ; à merveille. N’hésite donc pas à pratiquer encore ce qui suit : « Qu’ils soient riches en bonnes œuvres ». Méditons ces paroles et croyons ce que nous ne voyons pas encore. Tu disais : Je possède de l’or, mais sans affection. Remarque que ce défaut d’affection est en toi : si donc tu as pour moi quelque égard, daigne me le montrer aussi ; oui, montre à ton frère ce que tu ne dérobes point au regard de ton Dieu. Comment te le montrer, demandes-tu ? En voici le moyen : « Qu’ils soient riches en bonnes œuvres, qu’ils donnent aisément ». Fais consister ton opulence à donner aisément. En vain le pauvre voudrait donner, il ne le peut ; mais autant la chose lui est impossible, autant elle t’est facile. Mets donc pour toi l’avantage d’être riche à faire sans délai le bien que tu veux faire. « Qu’ils donnent aisément, qu’ils partagent ». Est-ce perdre ? « Qu’ils s’amassent un trésor qui soit un bon appui pour l’avenir ». Toutefois ne désirons point posséder alors ni or, ni argent, ni domaines, ni rien de ce qui charme ici-bas les regards humains. Quoiqu’on nous dise Transportez, placez là votre trésor, l’Apôtre tient à nous mettre en garde contre ces idées trop charnelles, et il nous dit : « Afin d’acquérir la vie véritable » ; non pas cet or qui reste à terre, non pas ces biens qui pourrissent et qui passent, mais « la vraie vie ». Il est vrai, nos biens émigrent en quelque sorte, lorsque d’ici ils montent là-haut ; là pourtant nous ne les aurons pas tels que nous les y envoyons. Le Seigneur notre Dieu veut donc faire de nous des espèces de commerçants ; lui-même échange avec nous. Nous donnons ce qui se trouve ici, partout, pour recevoir ce qui est près de lui en pleine abondance ; semblables à ces nombreux négociants qui échangent leurs marchandises, qui donnent ici une chose pour ailleurs en recevoir d’autres. Si, par exemple, tu disais à ton ami : Je t’offre ici de l’or, mais donne-moi de l’huile en Afrique, cet or voyagerait et ne voyagerait pas, mais tu aurais ce que tu désires. Telle est, mes frères, l’idée qu’il nous faut avoir de notre commerce spirituel. Que donnons-nous d’une part et que recevons-nous de l’autre ? Nous donnons ce que malgré la plus énergique volonté nous ne saurions emporter avec nous. Pourquoi le laisser périr ? Donnons ici ce qui est moins, pour recevoir ailleurs ce qui est plus. Nous donnons donc la terre pour le ciel, ce qui est temporel pour ce qui est éternel, ce qui se corrompt pour ce qui est inaltérable ; enfin nous donnons ce que Dieu nous a donné pour recevoir en échange Dieu lui-même. Ah ! ne nous lassons point de faire cet échange, d’exercer cet heureux et ineffable négoce. Mettons à profit notre existence sur la terre, notre naissance, notre exil ; ne demeurons pas indigents. 11. Ne laissons point entrer dans notre cœur une pensée funeste qui en serait comme le ver rongeur ; ne disons point : Je m’abstiendrai de donner, pour ne manquer pas demain. Ne songe pas tant à l’avenir, ou plutôt songes-y beaucoup, mais songe au dernier avenir. « Qu’ils s’amassent un trésor qui soit un bon appui pour l’avenir, afin d’acquérir la véritable vie ». Cependant il faut suivre cette règle de l’Apôtre : « Qu’il n’y ait pas, dit-il, soulagement pour les autres, et pour vous surcharge, mais égalité bi ». Possède donc ; garde-toi seulement d’aimer, de conserver, d’amasser, de couver tes trésors enfouis ; ce serait te confier à l’incertitude même. Combien se sont endormis riches pour s’éveiller pauvres ? Il y a donc une pensée mauvaise que l’Apôtre a voulu combattre après avoir dit : « N’aimiez pas l’argent, contentez-vous de ce qui suffit actuellement ». Cette pensée funeste est celle qui fait dire : Si je n’ai pas un trésor, qui me donnera lorsque j’aurai besoin ? Sans doute, j’ai abondamment de quoi vivre, j’ai assez ; mais si on tombe violemment sur moi, comment me délivrer ? Que faire, s’il me faut plaider ? Ou trouver des ressources ? – Hélas ! pendant que, sans y réussir, on cherche à calculer tous les maux qui peuvent affliger l’humanité, souvent un seul accident trouble tous les calculs, et il ne reste rien, absolument rien des ressources qu’on alignait. Aussi pour détruire ce ver rongeur, pour anéantir cette pensée, Dieu a-t-il placé dans son Écriture un enseignement qu’on peut comparer aux parfums destinés à éloigner l’artison des étoffes. Quel est cet enseignement ? Tu songeais aux malheurs qui peuvent tomber sur toi, sans penser peut-être au plus grand de tous ? Écoute : « N’aimez point l’argent, contentez-vous de ce qui actuellement suffit ». Car Dieu même a dit : « Je ne te laisserai ni ne t’abandonnerai bj ». Tu redoutais je ne sais quel accident, et pour y parer tu conservais ton or. Prends note de l’engagement sacré que Dieu même contracte. « Je ne te laisserai ni ne t’abandonnerai, dit-il ». Si un homme te faisait cette promesse, tu aurais confiance ; c’est Dieu, et tu doutes ? Oui, il t’a promis, il a écrit, il t’a donné caution, sois donc sûr. Relis sa promesse, tu l’as en main, tu as en main la caution ; tu as en main Dieu lui-même, devenu ton débiteur, quoique tu le supplies de te quitter tes dettes.
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