‏ Acts 9:4

QUARANTE-NEUVIÈME SERMON. SUR LA CONVERSION DE SAINT PAUL. (PREMIER SERMON.)

ANALYSE. —1. Ananie s’approche de Saul, comme la brebis du loup ravissant. —2. Il reçoit l’ordre d’aller trouver Saul, et paraît refuser cette mission. —3. Saul est baptisé par Ananie et reçoit le nom de Paul.

1. Vous venez d’entendre, mes frères, le récit d’un grand prodige opéré par le Tout-Puissant ; le nom seul des deux personnages qui en ont été l’objet et l’instrument nous en donnera l’explication. En hébreu, Ananie signifie brebis, et Saul signifie loup. Admirons la prescience divine et les profonds desseins de la Providence ; la brebis que le loup recherchait pour la dévorer a été choisie pour guérir le loup ! Saul, te voilà frappé d’un complet aveuglement ; maintenant que tu es plongé dans une complète obscurité, que feras-tu à la brebis ? Voilà devant toi la brebis que tu cherchais ; tout à l’heure tu frémissais de rage, pourquoi maintenant trembles-tu ? La brebis que tu espérais dévorer est venue elle-même pour te baptiser. Méchant, tu te promettais de la mettre en lambeaux, et en ce moment tu t’inclines humblement pour recevoir ses ordres.

2. Ananie avait dit au Seigneur : « Seigneur, j’ai appris tous les maux que cet homme a causés à vos saints dans la ville de Jérusalem, et il vient ici pour enchaîner tous ceux qui invoquent votre nom ! a ». En d’autres termes : Vous n’inspirez que le bien à votre serviteur, mais comme vous êtes mon maître, moi je suis votre serviteur ; si vous le voulez, les choses se passeront autrement. J’ai entendu David s’écriant dans l’un de ses psaumes : « Faites du bien, Seigneur, à ceux qui sont bons et droits de cœur b ». Je ferai du bien aux bons ; mais vous, dites, dites, que prescrivez-vous ? Seigneur, pourquoi me donnez-vous cet ordre ? Cet homme est un loup, et moi je ne suis qu’un agneau ; pourquoi donc ce qui vous plaît nous est-il à nous si contraire ? « Vous avez les clefs de David, c’est vous qui ouvrez, c’est vous qui fermez c », et jamais vous ne renfermez ; toutefois j’ignore en ce moment pourquoi vous renfermez le loup avec la brebis. Vous êtes le Seigneur, vous pouvez tout, rien ne vous est impossible. « Vous avez toute puissance sur la vie et sur la mort ». Toutes les portes vous sont ouvertes. « Vous avez éprouvé mon cœur et l’avez visité pendant la nuit d ». Pourquoi ces embarras me sont-ils survenus ? Je m’épuise à fuir la mort, et vous me dites Renfermez le loup dans la bergerie. Vous voyez que sur toute la ville, comme sur un vaisseau, souffle le vent de la mort, et vous voulez, sur cette mer déjà si agitée, déchaîner une tempête encore plus furieuse. Il ne faut pas que vous nous condamniez, mais vous savez comment la vergue se brise sous les coups de l’orage. Puisque vous voulez que personne ne meure dans le péché, soyez indulgent pour nos craintes et nos alarmes. Pourquoi laisseriez-vous l’agneau mourir sous les étreintes du loup ? Seigneur, vous nous avez donné la liberté, puisque vous avez permis à Moïse de lutter avec vous. Moïse craignit le turbulent Hébreu, et moi je ne craindrais pas Saul, le persécuteur des chrétiens ? O Seigneur, ô mon Dieu ! Vous avez fait un crime de l’homicide, pourquoi donc jetez-vous ainsi la brebis à la dent du loup ? Le Seigneur lui répondit : Pourquoi craignez-vous le coursier fougueux, frappé d’aveuglement ? Levez-vous, marchez avec moi, parce que je suis avec vous. Allez, visitez-le dans l’hôtellerie. Je veux vous honorer et je le dispose à marcher avec vous. Que vous le vouliez ou ne le vouliez pas, c’est moi qui dompte sa perfidie et sa ruse, quoiqu’il ait été habitué à s’engraisser aux dépens de mon troupeau. Mais je lui montrerai comment il sera vaincu par les renards.

3. Sur l’ordre du Seigneur, Ananie se présente devant Saul, la brebis devant le loup. Quoique ce loup eût été frappé d’aveuglement, il inspirait encore une si grande terreur à la brebis, que celle-ci invoque aussitôt avec le loup le nom même du pasteur. « Saul, mon frère », dit-il, « le Seigneur m’a envoyé vers vous ». – Quel est ce Seigneur ? « Celui qui vous est apparu ». Où ? « Sur le chemin que vous suiviez pour venir e ». Mais ne craignez pas, car je suis venu afin que vous puissiez le voir. O Ananie, vous êtes pour nous la cause d’une bien grande joie, car avec la douceur extérieure de la brebis, vous n’avez pas hésité à vous adresser au loup, qui naguère vous aurait fait fuir à travers les montagnes. Le Seigneur nous a montré par là tout l’amour qu’il prodigue à celui qui le sert, puisqu’il inspire à Ananie de donner au loup le nom de frère. Ainsi donc la brebis se tient devant le loup, et elle tremble de frayeur ; le loup s’abaisse devant la brebis et s’incline par respect. Ils s’étonnent de se rencontrer en face l’un de l’autre. Le loup s’arrête et sent faillir sa méchanceté ; la brebis se tient au-dessus du loup et crie. Bientôt la brebis sait entraîner le loup au fleuve du baptême, et le loup, contrairement à ses propres instincts, demande la lumière à la brebis. Et les œuvres du loup restèrent subitement suspendues, dès que la brebis eut versé sur le loup l’eau sainte du baptême. La nature alors subit une transformation des plus inattendues, à tel point que le monde connut clairement que Jésus-Christ est le maître de toute créature, puisque le loup laissait la brebis lui jeter sur les épaules le joug de la loi, et que le loup, bien loin de dévorer la brebis, devenait son défenseur et son appui. Cependant Ananie donne à Saul, la brebis confère au loup l’immense bienfait du baptême, et non-seulement Saul recouvre la lumière qu’il avait perdue, mais il trouve qu’un autre nom est substitué à celui qu’il portait. Saul descendit dans l’eau du baptême, mais c’est Paul qui en sortit. Le loup accablé sous le poids de ses péchés s’abîma dans les fonts sacrés, mais bientôt devenu agneau, il surnagea comme l’huile sur les eaux, et « lorsqu’Ananie lui eut imposé les mains, on vit comme des écailles s’échapper des yeux de Paul f ». Ananie prêta le ministère de ses mains, mais c’est Dieu lui-même qui illumina l’Apôtre. Or, dans le sens allégorique, ces écailles représentent ou bien la saleté des vêtements, ou bien l’enveloppe des poissons. L’imposition des mains dissipa l’aveuglement de Paul qui recouvra également ses forces, lorsque, après le baptême, il reçut de la nourriture ; en effet, dès que ses péchés lui furent remis, il mangea le pain des anges et reçut la mission de prêcher le royaume des cieux. g

CINQUANTIÈME SERMON. SUR LA CONVERSION DE SAINT PAUL. (DEUXIÈME SERMON.)

ANALYSE. —1. Puissance de la grâce de Jésus-Christ. —2. Histoire de la conversion de Saul. —3. Conclusion.

1. La sainte Écriture est pour nous une source continuelle d’enseignements et de salutaires conseils ; que le chrétien sache lui donner son assentiment et la recevoir avec affection, et, fût-il captif sous les liens si nombreux du péché, il pourra être sauvé. Car telle est la grâce de Jésus-Christ, que d’un loup elle sait faire un agneau en l’arrachant à l’abîme de ses vices. Aussi, comptant sur le secours des prières de nos pères et de votre charité, je vais essayer de vous montrer comment elle a changé les loups en brebis et comment elle a sauvé ceux mêmes qui étaient plongés dans l’abîme du péché.

2. Les Actes des Apôtres nous apprennent que Paul, alors appelé Saul, se présenta devant les princes des prêtres et leur demanda des lettres qui l’autorisassent à s’emparer de tous les chrétiens de Damas et à les ramener chargés de chaînes à Jérusalem. Mais écoutons ce qui advint à cet homme qui se déclarait ainsi l’ennemi de Jésus-Christ. Au moment où Saul se rendait à Damas pour s’emparer des chrétiens, « une lumière du ciel l’environna de toutes parts, et l’on entendit une voix d’en haut qui disait : Saul, Saul, pourquoi me persécutez-vous ? Saul répondit : Qui êtes-vous, Seigneur ? Et la « voix ajouta : Je suis Jésus de Nazareth, que vous persécutez. Saul s’écria : Seigneur, a que voulez-vous que je fasse ? Et la voix lui a dit encore : Levez-vous et entrez dans la ville, et là vous trouverez un homme appelé Ananie ; il priera pour vous, afin que vous voyiez et que vous soyez sauvé. Or, ceux qui l’accompagnaient le prirent par la main et le conduisirent dans la ville. D’un autre côté Ananie reçut une vision dans laquelle le Seigneur lui dit : Levez-vous et allez dans le bourg nominé Droit, et là vous trouverez un homme de Tharse appelé Saul h ». O puissance inénarrable de Dieu ! Ananie trouve un grand pécheur et il le rend juste ; il trouve un persécuteur des chrétiens, et il en fait un confesseur de la foi ; il trouve un vase souillé, et il en fait un vase précieux ; il trouve un orgueilleux, et il en fait un modèle d’humilité ; il trouve un blasphémateur, et il en fait un Apôtre ; il trouve le ministre des prêtres juifs devenus des bourreaux, et il en fait le frère des saints. Saul était porteur de lettres qui l’autorisaient à anéantir les chrétiens, et voici qu’aujourd’hui, dans le monde tout entier, ses admirables lettres sont lues avec respect et enfantent de nouvelles Églises à Jésus-Christ. O saint Paul, vous avez été véritablement converti, puisque vous avez été dignement glorifié. Vous avez été véritablement converti, puisque vous avez été associé aux Apôtres. Vous avez été véritablement converti, puisque vous êtes devenu le docteur des Églises. Vous avez été véritablement converti, puisque vous avez mérité d’entendre ces paroles : Mon frère Paul, excellent conseiller ; vous avez été véritablement converti, puisque vous avez mérité de prendre rang parmi les Apôtres. Vous avez été véritablement converti, puisque vous avez mérité d’occuper le douzième trône, selon cette parole de Jésus-Christ : « En vérité, en vérité, je vous le dis, à la résurrection, lorsque le Fils de l’homme siégera plein de majesté, vous aussi vous serez assis sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël i ».

3. Comment donc une langue humaine pourrait-elle se trouver digne de faire l’éloge de Paul, que le Seigneur a appelé « un vase d’élection », et vraiment un vase très-pur et très-précieux, dans lequel Jésus-Christ a daigné habiter. Aussi, mes frères, empressons-nous de marcher sur les traces des saints, et de mériter par Jésus-Christ le bonheur du ciel, parce que tout est possible à Dieu, et que nous pouvons tout avec le secours de celui qui vit et règne dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

CINQUANTE ET UNIÈME SERMON. SUR LA CONVERSION DE SAINT PAUL. (TROISIÈME SERMON.)

ANALYSE. – Paul, d’abord nommé Saul, persécuteur de Jésus-Christ. —2. Saul, frappant ses victimes le matin, et le soir partageant sa proie. —3. Saul, devenu Paul, persécuté pour Jésus-Christ. —4. Saul, aidé par la grâce de Jésus-Christ, supporte d’innombrables souffrances. —5. Saul, nom d’orgueil, Paul, nom d’humilité. —6. Paul, apôtre de l’Église des Gentils. — 7. Conclusion.

1. L’Apôtre saint Paul porta d’abord le nom de Saul, et surtout il fut l’ennemi déclaré de Jésus-Christ. Il persécuta cruellement les chrétiens, à l’époque où saint Étienne, premier martyr, fut lapidé. Il assistait à cette lapidation, et il gardait les vêtements des bourreaux. Il lui semblait que t’eût été trop peu pour lui de lapider de ses propres mains ; tandis qu’au contraire, il agissait par les mains de tous ceux dont il gardait les vêtements. Après le martyre de saint Étienne, le premier couronné du martyre comme l’indique la signification de ce mot grec, Paul sentant sa haine redoubler, reçut des princes des prêtres des lettres qui lui permettaient, en quelque lieu que ce fût, de s’emparer des chrétiens, de les charger de chaînes et de les conduire au supplice. Il se rendait donc à Damas, plein de fureur, altéré de sang et de meurtre ; mais « Celui qui habite dans les « cieux se jouait de lui, et le Seigneur le tournait en dérision j ». Pourquoi tant d’empressement à infliger à d’autres des tourments que bientôt tu subiras toi-même ? Avec quelle facilité le Seigneur convertit son ennemi, terrassa son persécuteur et le releva prédicateur et apôtre : « Saul », dit-il, « Saul, encore Saul, pourquoi me persécutez-vous ? k » Quelle condescendance, mes frères, transpire dans cette parole du Seigneur ! Qui donc pourra encore persécuter Jésus-Christ, déjà alors assis à la droite de son Père dans le ciel ? Mais si le chef régnait dans le ciel, les membres souffraient sur la terre. Lui-même, le Docteur des nations, le bienheureux apôtre Paul, nous apprend ce que nous sommes par rapport à Jésus-Christ : « Vous êtes », dit-il,« le corps de Jésus-Christ et ses membres » l, Jésus-Christ tout entier, c’est donc la tête et les membres réunis. Voyez une comparaison tirée de notre propre corps. Vous vous trouvez pressé dans la foule, et quelqu’un heurte légèrement votre pied ; aussitôt la tête crie pour le pied. Et que crie-t-elle ? Vous me foulez. « Saul, Saul, pourquoi me persécutez-vous n. Lorsque Saul persécutait les Évangélistes qui portaient le nom de Jésus-Christ dans toute la terre, il foulait réellement les pieds de Jésus-Christ. En effet, c’est dans la personne de ces Évangélistes que Jésus-Christ se transportait chez les Gentils ; c’est dans leur personne qu’il se répandait de toutes parts. Celui qui devait devenir le pied de Jésus-Christ, foulait ainsi les pieds de Jésus-Christ. Celui qui devait porter l’Évangile à tous les peuples de la terre, foulait ce qu’il devait être. N’a-t-il pas cité lui-même ces paroles du Prophète : « Qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix, qui annoncent tous les biens m ». Nous avons également chanté ces autres paroles du Psalmiste : « Le son de leur voix s’est répandu sur toute la terre ». Voulez-vous voir comment Jésus-Christ est venu, porté sur ces pieds ? « Et leur parole a retenti jusqu’aux confins de la terre n ».

2. Le Seigneur ordonnait à Ananie de se rendre auprès de Saul pour le baptiser. Ananie répondit : « Seigneur, j’ai appris de cet homme qu’il persécute partout vos serviteurs o ». En d’autres termes : Pourquoi envoyez-vous la brebis au loup ? Le mot hébreu Ananie se traduit en latin par un mot qui signifie brebis. Or, c’est à Saul, devant plus tard s’appeler Paul, et de persécuteur devant devenir Apôtre, que s’appliquent ces paroles du Prophète : « Benjamin, loup ravisseur p ». Pourquoi Benjamin ? Écoutez saint Paul lui-même : « Moi aussi je suis israélite, de la race d’Abraham, de la tribu de Benjamin q. Le loup rapace frappe le matin sa victime, et le soir il partagera sa proie r ». Il consommera d’abord, et seulement après il nourrira. En effet, devenu prédicateur, Paul savait distribuer la nourriture, il savait à qui la donner ; il connaissait l’alimentation propre à un malade, à un infirme, ou à un homme fort et vigoureux. C’est en distribuant ainsi la nourriture, qu’il s’écriait : « Et moi, mes frères, je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais seulement comme à des hommes charnels, à des enfants en Jésus-Christ. Je vous ai donné du lait, et lion une nourriture solide ; car vous ne pouviez alors et vous ne pouvez encore la supporter s ». Je partage donc la nourriture, je ne la jette pas indifféremment partout.

3. Ananie, timide brebis, avait entendu prononcer le nom de ce loup, et il tremblait entre les mains du pasteur. Le loup l’effrayait, mais le pasteur le rassurait, le consolait, l’affermissait et le protégeait. On lui dit des choses incroyables sur la personne de ce loup, et pourtant ce n’est que la vérité même qu’il reçoit des renseignements précis et fidèles. Écoutons la réponse que le Seigneur adresse à Ananie saisi de crainte : « Laissez, car cet homme est maintenant pour moi un vase d’élection, afin qu’il porte mon nom en présente des nations et des rois. Je lui montrerai ce qu’il lui faudra souffrir pour mon nom t. ». « Je lui montrerai ». Cette parole ressemble à une menace, et cependant elle est l’annonce de la couronne. Toutefois, que n’a pas souffert saint Paul, de persécuteur devenu Apôtre ? « Périls sur mer, périls sur les flots, périls dans la cité, périls dans le désert, périls de la part des faux frères, dans le travail et la privation, dans les veilles nombreuses, dans la faim et la soif, dans les jeûnes répétés, dans le froid et la nudité ; outre ces maux extérieurs, le soin que j’ai des Églises attire sur moi une foule d’affamés qui m’assiègent tous les jours. Qui est faible sans que je m’affaiblisse avec lui ? Qui est scandalisé, sans que je brûle ? u » Tel est ce persécuteur ; souffrez, attendez. Car vous souffrirez plus que vous n’avez souffert jusque-là. Mais gardez-vous de vous irriter ; vous avez reçu avec usure. Mais qu’attendait-il au sein de toutes ses souffrances ? Écoutez ce qu’il nous dit dans un autre passage : « Le léger fardeau de notre tribulation ». Pourquoi ce fardeau est-il si léger ? Parce « qu’il opère en nous un poids immense de gloire ; pourvu que nous considérions, non pas ce qui se voit, mais ce qui est « invisible. Car les choses qui se voient sont « temporelles, tandis que les choses qui ne se voient pas sont éternelles v ». Il brûlait de l’amour des choses éternelles, lorsqu’il supportait avec tant de courage ces maux de toute sorte qui pouvaient effrayer par leur intensité, mais dont la durée ne pouvait être que passagère. Dès qu’on nous promet une récompense sans fin, toute souffrance destinée à avoir une fin doit nous paraître légère.

4. Mes frères, si l’Apôtre eut à subir tant de souffrances pour les élus, disons hardiment que ce n’est pas à lui qu’il faut en attribuer la gloire ; car la vertu de Jésus-Christ habitait en lui. Jésus-Christ régnait en lui, Jésus-Christ lui procurait des forces, Jésus-Christ ne l’abandonnait pas, Jésus-Christ courait avec lui la carrière, Jésus-Christ le conduisait à la couronne. Je ne lui fais donc pas injure, quand je dis que ce n’est pas à lui que revient la gloire. Je le dis en toute confiance et j’y suis autorisé par saint Paul lui-même. Puis-je craindre de m’attirer son courroux, lorsque je cite ses propres paroles ? Paul, parlez, parlez, grand saint et glorieux Apôtre ; que lues frères sachent que je ne vous fais point injure. Que dit-il donc ? Comparant ses travaux à ceux de ses collègues dans l’apostolat, il n’a pas craint de dire : « J’ai plus travaillé qu’eux tous w ». Mais aussitôt il ajoute : Ce n’est point moi. Dites donc ce qui suit, dans la crainte qu’on attribue à l’orgueil ces premières paroles : « J’ai plus travaillé qu’eux tous ». Vous commenciez à vous irriter contre moi, mais voici que Paul lui-même prend ma défense et semble vous dire : Ne vous irritez pas. « Or, ce n’est pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi x ». De même, sur le point de souffrir le martyre dont nous célébrions hier l’anniversaire, que dit-il ? « Je suis déjà immolé, et le temps de ma dissolution approche. J’ai combattu le bon combat, j’ai consommé ma course, j’ai conservé la foi. Il ne me reste plus qu’à attendre la couronne de la justice, que le Seigneur me rendra en sa qualité de souverain Juge y ». Celui qui mérite la couronne est clairement désigné : « J’ai combattu le bon combat, j’ai consommé ma course, j’ai conservé la foi ». Le Seigneur rendra ce qui est dû, mais rien ne serait dû à personne, si Dieu lui-même n’avait commencé par nous donner ce qu’il ne nous devait pas. Vous venez d’entendre saint Paul, assuré de recevoir de Dieu ce qui lui est dû ; écoutez maintenant Jésus-Christ, traitant avec nous ; c’est l’Apôtre lui-même qui nous le montre nous comblant de bienfaits qui ne nous étaient dus à aucun titre. « Je ne suis pas digne d’être appelé Apôtre, puisque j’ai persécuté l’Église de Dieu z ». Cette parole doit vous faire comprendre ce que méritait celui pour qui vous voyez préparer une couronne. Considérez saint Paul, et voyez s’il n’a pas subi le châtiment qu’il méritait ; il a persécuté l’Église de Dieu, de quelle croix n’est-il pas digne ? Quels tourments n’a-t-il pas mérités ? « Je ne suis pas digne », dit-il, « d’être appelé Apôtre. Je sais ce qui m’était dû ; comment donc ai-je reçu l’Apostolat, moi qui ai persécuté l’Église de Dieu ? Voyez-vous donc l’Apôtre ? Mais c’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis aa ». O grâce de Dieu, donnée gratuitement et sans qu’elle puisse paraître en quoi que ce soit une récompense ! Cette grâce ne trouva dans Saul que des titres au châtiment, et elle opéra en lui des titres à la récompense.

5. Voyez ce qui suit : « C’est par la grâce de Dieu », dit-il, « que je suis ce que je suis, car je ne suis pas digne d’être appelé apôtre, moi qui ai persécuté l’Église de Dieu ? Je m’attendais à des supplices, et je trouve des récompenses. D’où me vient cette faveur ? Parce que c’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et la grâce de Dieu n’a pas été vaine en moi, car j’ai plus travaillé que tous les autres apôtres ». De nouveau vous commencez à vous élever ? « Ce n’est pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi ». Bien, très-bien, Paul et non plus Saul, petit et non plus orgueilleux. Saul était un nom d’orgueil, car c’était le nom du premier roi d’Israël, d’autant plus jaloux qu’il était plus célèbre, et qui persécuta le saint roi David ; c’est donc par un secret dessein de Dieu que l’Apôtre avait d’abord reçu le nom de Saul, c’est-à-dire le nom d’un persécuteur. Mais que signifie le mot Paul ? Paul signifie petit, très-petit. Pesez cette parole, vous qui connaissez les belles-lettres ; rappelez-vous également la coutume, vous qui n’entendez rien à la littérature. Paul est petit ; regardez-le donc ; ce n’est plus Saul altéré de sang et de carnage, c’est maintenant Paul, qui ne craint pas de se dire « le dernier d’entre les Apôtres ab ». Il en est le dernier, mais c’est lui qui a converti le plus grand nombre de pécheurs.

6. Rappelons-nous ce vêtement, peut-être le plus petit de tous ; en le touchant, une femme malade, image de l’église des Gentils, fut guérie d’une perte de sang. Or, c’est vers les Gentils que Paul fut envoyé pour leur porter le salut, quoiqu’il se crût le plus petit des Apôtres. Sachez également que cette femme qui toucha la robe du Sauveur, Jésus-Christ déclara qu’il ne la connaissait pas ; mais cette ignorance n’était que simulée. En effet, que pouvait ignorer Jésus-Christ véritablement Dieu ? Et cependant, parce que cette femme représentait l’église des Gentils, dans laquelle le Seigneur ne se trouvait que par ses Apôtres, et non point par une présence corporelle, dès que le Sauveur sentit toucher la frange de son vêtement, il s’écria « Qui m’a touché ? » Les Apôtres répondirent « La foule vous presse et vous écrase, et vous « demandez : Qui m’a touché ? » Jésus-Christ répliqua : « Quelqu’un m’a touché ac ». La foule accable, mais la foi touche. Mes frères, soyez de ceux qui touchent, et non pas de ceux qui accablent. « Qui m’a touché ; quelqu’un m’a touché ». Jésus-Christ feint l’ignorance ; ce n’est point un mensonge, mais une figure. Quelle est cette figure ? « Le peuple que je n’ai pas connu est devenu mon serviteur fidèle ad ».

7. Sur le point de souffrir le martyre, de terminer vos travaux et de recevoir la couronne, grand Apôtre, ne craignez pas de dire « Je me dissous déjà, le temps de ma mort approche ; j’ai combattu le bon combat, j’ai consommé ma course ae ». À quoi servirait le combat, s’il n’était pas suivi de la victoire ? Vous dites que vous avez combattu ; dites d’où vous est venue la victoire ; dans un autre passage il répond à cette question « Je rends grâces à Dieu qui nous a donné la victoire par Notre-Seigneur Jésus-Christ af. « J’ai consommé ma course ». Vous avez consommé votre course ? Reconnaissez-le « C’est l’œuvre non pas de celui qui veut, ou de celui qui court, mais de Dieu qui fait a miséricorde ag ». Vous dites encore : « J’ai conservé la foi ». Vous avez conservé la foi, vous l’avez gardée ? Mais : « Si le Seigneur ne construit pas la cité, c’est en vain que veillent ceux qui ; la gardent ah ». Si donc vous avez conservé la foi, c’est par le secours de Dieu ; c’est Dieu qui l’a conservée en vous, lui qui a dit à cet autre Apôtre martyrisé à Rome le même jour que vous : « J’ai prié pour toi, Pierre, pour que ta foi ne défaille point ai ». Demandez donc, car la récompense est toute prête ; dites : « J’ai combattu le bon combat », c’est vrai ; « J’ai consommé ma course », c’est vrai ; « J’ai conservé la foi », c’est vrai ; il ne me reste plus qu’à attendre la couronne de justice que le Seigneur me rendra en sa qualité de souverain Juge aj ». Exigez ce qui vous est dû. Votre couronne est toute prête ; mais souvenez-vous que vos mérites ne sont que des dons de Dieu.

CINQUANTE-DEUXIÈME SERMON. SUR LA CONVERSION DE SAINT PAUL. (QUATRIÈME SERMON.)

ANALYSE. —1. Les deux noms de saint Paul et sa conversion. —2. Effet admirable de la grâce de Dieu dans cette conversion. —3. De la grâce et des mérites dans la personne de saint Paul. — 4. Conclusion.

1. Mes frères, essayons de parler un peu de l’apôtre saint Paul. Arrêtons-nous d’abord à son nom ; car il s’est appelé Saul avant de s’appeler Paul ; le premier nom symbolisait l’orgueil, comme le second symbolise l’humilité ; le, premier était bien le nom d’un persécuteur. Saul vient du mot Saül. Saül fut ainsi désigné parce qu’il persécuta David, figure de Jésus-Christ qui devait sortir de la famille de David, par la Vierge Marie, selon la chair. Saul remplit le rôle de Saül, lorsqu’il persécuta les chrétiens ; il était animé d’une haine violente contre les disciples du Sauveur, comme il le prouva au moment du martyre de saint Étienne ; car il voulut garder les vêtements de ceux qui le lapidaient, comme pour faire entendre qu’ils n’étaient tous que ses propres instruments. Après le martyre de saint Étienne, les chrétiens de Jérusalem se dispersèrent portant partout la lumière et le feu dont le Saint-Esprit les embrasait. Paul, voyant la diffusion de l’Évangile de Jésus-Christ, fut rempli d’un zèle amer. Muni de pleins pouvoirs de la part des princes des prêtres et des docteurs, il se mit en mesure de châtier sévèrement tous ceux qui lui paraîtraient invoquer le nom de Jésus-Christ, et il allait respirant le meurtre et altéré de sang.

2. Ainsi désireux de s’emparer des chrétiens et de verser leur sang, il parcourait le chemin de Jérusalem à Damas, à la tête d’un certain nombre de ses complices, lorsqu’il entendit une voix du ciel. Mes frères, quels mérites avait acquis ce persécuteur ? Et cependant cette voix qui le frappe comme persécuteur, le relève apôtre ; voici Paul après Saul ; le voici qui prêche l’Évangile et il décline lui-même ses titres : « Je suis », dit-il, « le plus petit d’entre les Apôtres ak ». Que ce nom de Paul est bien choisi ! Ce mot, en latin, ne signifie-t-il pas petit, modique, moindre ? et cette signification, l’Apôtre ne craint pas de se l’appliquer à lui-même. Il se nomme le plus petit, rappelant ainsi la frange du vêtement de Jésus-Christ, que toucha une femme malade. Cette femme, affligée d’une perte de sang, figurait l’Église des Gentils ; et c’est vers ces Gentils que Paul, le plus petit des Apôtres, a été envoyé, car il est la frange du vêtement, la partie la plus petite et la dernière. En effet, ce sont là les qualités que l’Apôtre se donne ; il s’appelle le plus petit et le dernier. « Je suis le dernier des Apôtres ; je suis le plus petit des Apôtres ». Ce sont là ses propres paroles, et s’il en a prononcé d’autres, qu’il veuille bien nous les rappeler ; car nous ne voulons pas lui faire injure, quoique ce ne soit pas faire injure à Paul que d’exalter la grâce de Dieu. Toutefois, écoutons-le : « Je suis », dit-il, « le plus petit des Apôtres, je ne suis pas digne d’être appelé apôtre », ; voilà ce qu’il était ; « Je ne suis pas digne d’être appelé apôtre al » ; pourquoi ? « Parce que j’ai persécuté l’Église de Dieu ». Et d’où lui est venu l’apostolat ? « Mais c’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis ; et la grâce de Dieu n’a pas été vaine en moi, car j’ai plus travaillé que tous les Apôtres am ».

3. Mais, ô grand Apôtre, voici que des hommes inintelligents se figurent que c’est encore Saul qui parle et qui dit : « J’ai plus travaillé qu’eux tous » ; il semble se louer, et cependant son langage est plein de vérité. Il a remarqué lui-même que ce qu’il venait de dire pouvait tourner à sa louange ; aussi, après avoir dit : « J’ai plus travaillé qu’eux tous », s’empresse-t-il d’ajouter : « Non pas « moi, mais la grâce de Dieu avec moi a. Son humilité a connu, sa faiblesse a tremblé, sa parfaite charité a confessé le don de Dieu. O vous qui êtes rempli de grâce, qui êtes un vase d’élection, et qui avez été élevé à un rang dont vous n’étiez pas digne, dites-nous les secrets de la grâce en votre personne ; écrivez à Timothée et annoncez le jour de la justice. « Je suis déjà immolé », dit-il. Nous venons de lire l’épître de saint Paul ; ce sont bien là ses propres paroles : « Je suis déjà immolé ». En d’autres termes : l’immolation m’attend, car la mort des saints est un véritable sacrifice offert à Dieu. « Je suis immolé, et le moment de ma dissolution approche ; j’ai combattu le bon combat, j’ai consommé ma course, j’ai conservé la foi ; il ne me reste plus qu’à attendre la couronne de la justice, que Dieu me rendra en ce jour, en sa qualité de souverain juge ». Celui par qui nous avons mérité nous rendra selon nos mérites ; Paul a été fait apôtre sans l’avoir mérité, et il ne sera pas couronné qu’il ne l’ait mérité. Parlant de la grâce qu’il avait reçue d’une manière absolument gratuite, il s’écrie : « Je ne suis pas digne d’être appelé apôtre, mais c’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis ». Au contraire, quand il exige ce qui lui est dû, il s’exprime en ces termes : « J’ai combattu le bon combat ; j’ai consommé ma course, j’ai conservé la foi, il ne me reste plus qu’à attendre la couronne de la justice ». Cette couronne m’est due ; et afin que vous sachiez qu’elle m’est due, je déclare « que Dieu me la rendra ». Il ne dit pas : Dieu me la donne, ou m’en gratifie, mais : « Dieu me la rendra en ce jour, en sa qualité de souverain juge ». Il m’a tout donné dans sa miséricorde, il me rendra dans sa justice.

6. Je vois, ô bienheureux Paul, à quels mérites vous est due la couronne ; en regardant ce que vous avez été, reconnaissez que vos mérites eux-mêmes ne sont que des dons de Dieu. Vous avez dit : « Je rends grâces à Dieu, qui nous donne la victoire par Notre-Seigneur Jésus-Christ. J’ai combattu le bon combat ; mais tout me vient de Dieu, qui fait miséricorde ». Vous avez dit : « J’ai conservé la foi » ; mais vous avez dit également : « J’ai obtenu miséricorde, afin que je sois fidèle ». Nous voyons donc que vos mérites ne sont que des dons de Dieu, et voilà pourquoi nous nous réjouissons de votre couronne.

CINQUANTE-TROISIÈME SERMON. SUR LA CONVERSION DE SAINT PAUL. (CINQUIÈME SERMON.)

ANALYSE. —1. Grâce admirable de Dieu dans la conversion de saint Paul. —2. Effets prodigieux de conversion dans la personne de saint Paul. —8. Conclusion.

1. La lecture que l’on vient de faire des Actes des Apôtres nous a rappelé que Paul avait été terrassé par une voix du ciel. Animé d’une rage insatiable, disposé à déchirer et à persécuter le troupeau de Jésus-Christ, il se rendait à Damas, lorsqu’il entendit cette voix du ciel : « Saul, Saul, pourquoi me persécutez-vous ? n Pourquoi vous êtes-vous attaqué à mon nom ; pourquoi avez-vous lapidé mon martyr ? Je devais vous perdre à jamais, mais Étienne a prié pour vous. Paul répond : « Qui êtes-vous, Seigneur ? » Le Seigneur : « Je suis Jésus de Nazareth, que vous persécutez ». Le Chef réclame du haut du ciel en faveur de son membre. Parce qu’on persécute son corps, Jésus-Christ intervient du haut du ciel. « Saul », dit-il, « Saul, pourquoi me persécutez-vous ? » Le ciel se montre en courroux, toute l’armée céleste réprouve la cruauté de Paul ; mais n’est-ce pas afin que celui qui n’avait pas cru à la résurrection de Jésus-Christ se vît contraint de croire à son triomphe dans le ciel ? En effet, il est dit à Ananie : Allez le trouver, et marquez-le de mon sceau. Ananie répondit : « Seigneur, il m’a été dit de cet homme qu’il a fait beaucoup de mal à vos saints ». Le Seigneur répliqua : « Allez, car il est pour moi un vase d’élection ». O bienheureux Ananie, vous vous laisseriez facilement aller à la crainte, si vous ne sentiez que vous devez combattre pour Jésus-Christ. L’orgueil est ainsi terrassé, afin que la sainteté se relève plus éclatante. Ananie vint donc trouver Saul, le baptisa et le changea en Paul ; il baptisa le loup, qui alors devint agneau, et celui qui était persécuteur se trouva changé en prédicateur et en Apôtre.

2. Après avoir persécuté Jésus-Christ, Paul prêcha hautement sa divinité ; après avoir combattu contre lui, il se trouva disposé à tout souffrir pour lui ; Paul éprouva lui-même ce que Saul faisait d’abord éprouver aux autres. Saul lapida, Paul fut lapidé ; Saul frappa de verges les chrétiens, Paul reçut a pour Jésus-Christ cinq fois quarante coups de a verges, moins un » ; Saul persécuta l’Église de Dieu, Paul fut descendu de prison dans une corbeille ; Saul enchaîna, Paul fut enchaîné ; tandis que Saul cherche à diminuer le nombre des chrétiens, il se trouve adjoint lui-même au nombre des confesseurs ; après avoir semé la mort dans les rangs des chrétiens, il reçoit lui-même la mort pour Jésus-Christ ; après être entré comme un loup rapace dans la bergerie, il devient lui-même une brebis docile.

3. Quel homme pourrait donc désespérer à cause de la grandeur de ses crimes, ou de l’humiliation de sa naissance ? Pierre n’était qu’un pêcheur, et les empereurs se prosternent aujourd’hui à ses pieds, dans les sentiments du plus profond respect ; Paul n’avait été d’abord qu’un cruel persécuteur des chrétiens, et il est aujourd’hui honoré comme l’Apôtre des nations ; tant est puissante la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui vit et règne avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

CINQUANTE-QUATRIÈME SERMON. SUR L’APÔTRE SAINT PAUL.

ANALYSE. —1. Saint Paul, modèle du zèle pour le salut des âmes. —2. Eloge de saint Paul. —3. Paul prêche à tous le nom de Jésus-Christ. —4. Il ne vit que pour ses frères, et pour le Sauveur.

1. Si nous voulons, mes frères, rester sans souillure, suivons la doctrine de Pierre et de Paul, qui, après avoir obtenu de Jésus-Christ la grâce de la parole, de la sagesse et de l’administration ecclésiastique, a se sont faits tout o à tous, afin de gagner tous les hommes à a Jésus-Christ an ». Or, pour nous, nous n’avons d’autre devoir que de nous laisser gouverner et conduire par ceux qui ont mission de le faire. Quand il s’agit du salut des âmes, nous pourrions citer tous ceux qui y ont contribué par la législation, par la prophétie, par la lutte et le martyre ou de toute autre manière ; nous aurions Moïse, Aaron, Josué, Élie, Élisée, les Juges, Samuel, Daniel, la multitude des Prophètes, saint Jean-Baptiste, les Apôtres, et tous ceux qui avec eux ou par eux ont travaillé à la sanctification des peuples. Toutefois, nous faisons en ce moment abstraction de tous ces personnages, et il nous suffira de nommer saint Paul pour nous faire une idée précise de ce que sont dans l’Église le soin et la sollicitude des âmes, et ce que cette sollicitude suppose de travail et de prudence, d’efforts et de dévouement.

2. Voyons donc ce que Paul dit de Paul, et étudions dans sa personne le sujet qui nous occupe. Je passe sous silence les travaux et les veilles dans la soif et la faim, les misères supportées dans le froid et la nudité, Je passe sous silence les embûches extérieures et les résistances intérieures. Je passe sous silence les persécutions, les complots judaïques, les prisons, les chaînes, les accusateurs, les jugements, les mortifications de chaque jour et de chaque moment. « J’ai été descendu le long du mur à l’aide d’une corbeille, j’ai été lapidé, j’ai été frappé de verges ao ». Je passe sous silence les pérégrinations si lointaines et si nombreuses, « les dangers sur la mer, les dangers sur terre, les dangers du jour et de la nuit, le naufrage, les périls sur les fleuves, les périls de la part des brigands, périls de tout genre, périls de la part des faux frères » ; le travail manuel pour subvenir à son alimentation ap ; la gratuité absolue de ses prédications évangéliques aq ; il est donné en spectacle aux hommes et aux anges ar, lui qui se présentait comme intermédiaire entre Dieu et les hommes, supportant pour tous des luttes et des combats, afin de les ramener tous à Dieu. Outre ces merveilles, que pouvons-nous penser de sa vigilance continuelle sur les moindres détails, et de sa sollicitude pour toutes les Églises ? À l’égard de tous il était plein de miséricorde et d’une affection véritablement fraternelle. Il ressentait le contre-coup de toutes les souffrances de ses frères ; et si l’un d’eux était scandalisé, lui-même était brûlé as.

3. Ce que je rappellerai surtout, c’est son zèle infatigable à enseigner, et toutes les richesses de sa prédication ; je rappellerai sa douceur à la fois et sa sévérité, ou plutôt l’heureuse alliance de ces deux qualités dans sa personne, de telle sorte qu’il n’ulcéra jamais par sa sévérité, et ne faiblit jamais par excès de douceur. Il trace les devoirs des serviteurs et des maîtres, des princes et des sujets, des hommes et des femmes, des parents et des enfants, des époux et des célibataires, des chastes et des voluptueux, des sages et des insensés, des circoncis et des incirconcis, de l’Église et du monde, des veuves et des vierges, de l’esprit et de la chair. Il se réjouit avec les uns et rend grâce pour eux ; il châtie les autres et les reprend ; les uns sont sa joie et sa couronne, tandis que les autres sont flétris du nom d’insensés ; il court avec ceux qui courent la bonne voie, tandis qu’il enchaîne et retient ceux qui se précipitent dans la voie du mal ; il sépare celui-ci de l’Église et y reçoit les autres et les confirme dans la charité ; il pleure sur les uns, il se réjouit sur les autres ; tantôt sa doctrine est simple comme le lait pour les enfants, tantôt elle se plonge dans la profondeur des mystères ; tantôt il s’abaisse et se rapetisse avec les simples, tantôt il élève et exalte les humbles ; tantôt il fait preuve d’un grand esprit de mansuétude, tantôt il lève la verge de la puissance apostolique contre les orgueilleux et les arrogants ; tantôt il s’enflamme à l’égard des rebelles, tantôt, à l’égard des disciples soumis, il est bon « comme la nourrice qui réchauffe ses petits ». Tantôt il se dit le dernier des Apôtres, tantôt il affirme son autorité en s’appu.yant sur Jésus-Christ, qui parle dans sa personne ; tantôt il demande à mourir et à être avec Jésus-Christ, tantôt il prouve qu’il lui est nécessaire de demeurer dans la chair à cause de ceux qui ont besoin de son secours. Car « il ne cherche pas son avantage personnel, mais l’avantage des enfants qu’il a engendrés en Jésus-Christ » par l’Évangile. Cette conduite doit être spécialement méditée par les supérieurs spirituels, dont l’abnégation doit leur faire négliger et mépriser leur intérêt personnel toutes les fois que le bien spirituel des peuples le réclame.

4. L’apôtre saint Paul se glorifie, mais dans ses infirmités et ses tribulations, et la mortification de Jésus-Christ lui paraît le plus bel ornement. Il s’élève au-dessus de tout ce qui est charnel ; les choses spirituelles forment tout son bonheur et toute sa gloire ; la science ne lui est pas étrangère, et cependant il déclare ne voir qu’à travers un miroir et en énigme. Il se confie à l’esprit, et cependant il afflige son corps qu’il traite comme un adversaire clandestin qu’il faut détruire. Quelle leçon, quel enseignement ne ressort pas de cette conduite ? L’Apôtre pouvait-il nous montrer plus clairement l’obligation de ne pas mettre notre confiance dans les choses de la terre, de ne pas nous enorgueillir de notre science et de ne pas laisser la chair se révolter contre l’esprit ? Saint Paul combat donc pour tous ; il prie pour tous ; le salut de tous le dévore ; le zèle pour la gloire de Dieu l’embrase, et il donnerait son sang et sa vie pour ceux qui sont hors de la loi, comme pour ceux qui sont dans la loi. Établi l’Apôtre des Gentils et le défenseur des Juifs, il plaide en leur faveur au-delà même de ce qui est permis ; c’est-à-dire, si j’ose parler ainsi, il va au-delà du commandement de Dieu, car il aime son prochain, non pas autant que lui-même, mais plus que lui-même. Ne demande-t-il pas à être anathème, si cela était nécessaire pour sauver les hommes ? O grandeur d’âme vraiment sublime ! O feu céleste de l’Esprit-Saint ! Paul imite en cela Jésus-Christ qui « s’est fait malédiction pour nous at », qui « a porté nos infirmités et accepté nos langueurs au ». C’est ainsi que, poussant le dévouement au-delà de ses limites, l’Apôtre accepterait d’être anathématisé par Jésus-Christ, pourvu que les hommes fussent sauvés. Que dirai-je encore ? Il vit, non pas pour lui, mais pour Jésus-Christ et pour la prédication de la parole. Il proclame que le monde est crucifié pour lui et qu’il est crucifié pour le monde ; tout lui paraît vil et méprisable, tant est vif son désir de s’unir à Jésus-Christ. Depuis Jérusalem jusqu’à l’Illyrie il a semé l’Évangile dans toutes les contrées ; il a été ravi jusqu’au troisième ciel ; il a été transporté au ciel et y a entendu des paroles qu’il n’est pas permis à l’homme de redire ; et pourtant, malgré toutes ces faveurs, « il ne se glorifie que dans ses infirmités ». Tel est saint Paul, et tels sont aussi tous les hommes spirituels comme lui, si toutefois il en est sur la terre.

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