‏ Exodus 3:9

SERMON VI. MOÏSE ET LE BUISSON ARDENT a.

ANALYSE. – Saint Augustin entreprend de montrer ici une vérité bien souvent exprimée par lui et par les docteurs des premiers siècles, savoir que Jésus-Christ est comme voilé dans tous les faits de l’ancien Testament et que partout l’œil pénétrant de la foi peut le contempler avec amour. Lorsque Dieu se révèle à Moïse au milieu du buisson ardent on peut considérer : 1° les circonstances principales de cet évènement ; 2° les miracles mêmes que le futur législateur opère auprès du buisson sacré. Or dans tout se montre le Fils de Dieu. – I. Jésus se révèle dans les circonstances mêmes de l’apparition. En effet : 1° Dieu ne se montre pas à Moïse dans sa nature divine, mais sous la forme sensible créée par lui : ainsi le Fils de Dieu a du se revêtir de notre nature pour se donner : à nous ; 2° le buisson épineux ne se consume pas : la loi ne pouvait abolir le péché, il fallait l’Incarnation du Sauveur : 3° Dieu prend devant Moïse un double nom : un nom qui représente l’immutabilité de sa nature et un nom qui rappelle ses communications paternelles avec les hommes. Ainsi, du sein de son éternité, le Verbe divin est descendu parmi nous. – II. Trois miracles surit opérés par Moïse, et tous trois reportent la pensée vers le Sauveur des hommes : 1° la verge ou le sceptre de Moïse désigne l’autorité. Pourquoi cette verge a-t-elle été changée en serpent ? N’est-ce pas ainsi que la suprême Majesté est devenue le vrai serpent d’airain pour nous guérir de nos blessures ? 2° Pourquoi la main lépreuse de Moïse recouvre-t-elle la santé quand il la porte sur son cœur, sinon pour indiquer que nous trouvons dans le cœur de. Jésus-Christ la délivrance de tous nos maux ? 3° L’eau est prise dans l’Écriture pour un symbole de sagesse. Que signifie l’eau changée en sang, sinon la Sagesse souveraine incarnée et répandant son sang pour l’amour de nous ?

1. Pendant qu’on faisait les saintes lectures, nous nous sommes spécialement appliqué à la première d’entre elles, et nous nous empressons de partager avec votre sainteté ce que le Seigneur nous suggère : si vous entendiez charnellement les divins mystères, il serait à craindre que vous ne reculiez au lieu d’avancer. Ce qui s’offre d’abord à notre esprit, c’est que Dieu apparut à Moïse. Quand il daigne apparaître dans sa substance et tel qu’il est, c’est seulement aux cœurs purs. « Heureux les cœurs purs, dit l’Évangile, car ils verront Dieu b. » Et s’il a voulu se montrer quelquefois aux yeux corporels de ses saints, ce n’est point dans sa nature même, c’est dans une forme visible, sensible, qui peut réellement tomber sous nos sens. Tantôt c’est une voix qui retentit aux oreilles, c’est tantôt le feu qui brille aux regards, c’est quelquefois un ange qui se révèle sous quelque visible apparence et qui fait le personnage de Dieu même. C’est ainsi, mes frères, que Dieu apparut à Moïse. Cette Majesté souveraine qui a fait le ciel et la terre, qui gouverne le monde entier et que les Anges avec leurs purs esprits s’attachent à contempler dans sa suprême beauté, il n’a pu se manifester aux regards mortels d’un homme sans avoir pris une forme visible et sensible qui pût frapper les yeux. Cette Sagesse divine elle-même, par qui tout a été fait, se montrerait-elle aux humains si elle n’avait pris une chair humaine ?

2. De même donc que le Verbe de Dieu, le Fils de Dieu a pris une chair pour se révéler à ; nos yeux, ainsi toutes les fois que Dieu a voulu se rendre sensible aux hommes, il a daigné j se couvrir de quelque forme visible. Mais les Actes des Apôtres disent expressément que ce fut un Ange qui apparut à Moïse dans le buisson c, Ce livre serait-il vrai et l’Exode serait-il faux ? Ou bien l’Exode serait-il faux et les Actes seraient-ils vrais ? Mais si nous sommes chrétiens, si notre foi est éclairée, chacun de, ces livres est également véridique. Et si tous deux sont vrais, comment l’un enseigne-t-il que ce l’ut Dieu qui apparut, et l’autre, que ce fut un Ange ? N’est-ce pas que le Saint-Esprit, en révélant dans les Actes qu’un Ange apparut, a expliqué l’Exode et fait connaître de quelle manière Dieu se montra ? Ce passage des Actes a porté la lumière dans ce qui restait ici d’obscur, et pour détourner de nous là pensée que Dieu ait apparu en lui-même, on nous dit que l’Ange, fut la forme créée sous laquelle il se manifesta. Mais, si c’est un Ange qui se montre pourquoi ces expressions : « Dieu dit ; Dieu appela Moïse qui s’approcha de lui ; Dieu dit à Moïse ? ». Parce que l’attention se porte, non sur le temple ou sur l’ange, mais sur celui qui l’habite, c’est-à-dire sur Dieu, dont l’Ange était le temple. Dieu daigne demeurer dans un homme, parler par sa bouche, et quand un prophète parle, on ne craint pas de dire : « Dieu a parlé. » Ne me parle-t-il pas bien mieux encore par la bouche d’un Ange ? Nous disons : « Dieu a parlé par Isaïe. » Qu’était donc Isaïe ? N’était-ce pas un homme revêtu de chair, comme nous, et comme nous ni d’un père et d’une mère ? Cet homme parle et que disons-nous de son langage ? « Voici ce que dit le Seigneur d » Si c’est Isaïe qui parle, comment est-ce Dieu ? L’unique moyen de l’expliquer, c’est de croire que Dieu a parlé, par Isaïe. Ainsi, dans le passage que nous commentons, si on attribue à Dieu ce qu’exprime l’Ange, n’est-ce point parce que Dieu s’énonce par l’organe de l’Ange ?

3. Cette question résolue, examinez la suivante : Qu’est-ce que Dieu a voulu figurer en choisissant, pour s’y révéler, ce buisson qui paraissait tout en feu, sans brûler, sans se consumer ? Ce buisson épineux peut-il désigner quelque chose de bon ? Si le feu en avait consumé les épines, on pourrait entendre que la parole de Dieu adressée aux Juifs a consumé leurs péchés et que la loi ancienne a mis un terme à leurs iniquités. Le feu dans le buisson représente la loi parmi les Juifs ; les épines représentent les péchés ; et si le feu ne brûle pas les unes, c’est que la loi n’a point effacé les autres.

4. Maintenant, Dieu dit à Moïse ; vous savez tout cela et le temps.nenous permet point de vous entretenir trop longuement ; Dieu donc dit : à Moïse : « Je suis l’Être ; l’Être m’a envoyé. » Moïse en effet cherchait à connaître le nom de Dieu, et il lui fut dit : « Je suis l’Être. Voici ce que tu feras entendre aux fils d’Israël : C’est l’Être qui m’a envoyé vers vous. » Quel nom ? Ô Seigneur ! Ô notre Dieu ! Quel nom vous donnez-vous ? Je m’appelle l’Être, répond-il. Qu’est-ce à dire ? Que je subsiste éternellement sans pouvoir changer. Ce qui change n’est point en tant qu’il change : Être c’est subsister. Ce qui change a été une chose et en sera une autre ; mais il n’est pas véritablement, car il est muable. C’est donc l’immuabilité divine qui a daigné se révéler elle-même dans cette parole : « Je suis l’Être. »

5. Mais pourquoi Dieu s’est-il donné ensuite un autre nom ? Il dit à Moïse : « Je suis le Dieu d’Abraham, et le Dieu d’Isaac, et le Dieu de Jacob : voilà mon nom pour l’éternité. » Comment se nommer, d’un côté, l’Être, et d’autre part : le Dieu d’Abraham et le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ? Le voici : Dieu en lui-même est immuable, mais il a tout fait par miséricorde, et le Fils de Dieu même a daigné prendre une chair muable, tout en demeurant Verbe de Dieu, pour venir au secours de l’homme. L’Être s’est ainsi revêtu d’une chair mortelle afin de pouvoir s’appeler le Dieu d’Abraham et, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob.

6. Expliquons ensuite les signes ou prodiges que Dieu accorda à Moïse d’opérer. « Si le peuple, dit Moïse, me fait cette objection : Dieu ne t’a pas envoyé, comment lui montrerai-je que c’est vous qui m’avez envoyé ? – Jette ta verge, lui fut-il répondu ; il jeta la verge qu’il portait à la main, elle devint un serpent et Moïse en eut peur. » Le Seigneur lui dit encore : « Saisis-la par la queue. Il la saisit et elle redevint ce qu’elle était. » Dieu lui donna un autre signe : « Mets ta main dans ton sein. Il l’y mit. « Retire-la. Et elle était blanche comme la neige, c’est-à-dire couverte de lèpre. » La blancheur de la peau est une maladie dans l’homme. « Mets-la de nouveau dans ton sein. Il l’y mit et elle recouvra sa couleur. » Voici un troisième signe : « Prends de l’eau du fleuve et répands-la dans un vase assez grand. Il en prit, l’y répandit et elle se changea en sang. À ces signes le peuple t’écoutera. Si le premier ne suffit pas, le second et le troisième suffiront pour que l’on t’écoute e. »

7. Essayons, avec l’aide de Dieu, d’expliquer ce qu’ils signifient. La verge est le symbole de l’autorité, et le serpent rappelle la mort ; car c’est le serpent qui a fait boire à l’homme la coupe empoisonnée et le Seigneur a daigné s’obliger à mourir. Quand donc la verge est jetée à terre où elle prend la forme d’un serpent, ne figure-t-elle pas l’autorité suprême, Notre-Seigneur Jésus-Christ, descendant, parmi nous et s’y revêtant de notre mortalité pour l’attacher à la croix ? Votre sainteté n’ignore pas que le peuple orgueilleux et opiniâtre murmura au désert contre Dieu et commença à être blessé à mort par des serpents. La miséricorde divine indiqua un remède ; ce remède rendait la santé pour le moment, et pour l’avenir il annonçait l’éternelle Sagesse. « Élève au milieu du désert un serpent d’airain attaché à une colonne de bois, dit le Seigneur, et déclare au peuple : Que tout homme blessé regarde ce serpent. Et les blessés regardaient ce serpent, et ils étaient guéris f. » Le Seigneur dans l’Évangile ne parle-t-il point d’un signe pareil ? « Comme Moïse a élevé le serpent au milieu du désert, ainsi doit être élevé le fils de l’homme, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle g. » Ce qui signifie : Quiconque est blessé par le péché comme par un serpent, doit regarder le Christ, et il recouvrera la santé avec le pardon de ses fautes. Voilà, mes frères, comment le Seigneur s’est revêtu de notre mortalité. Son corps mystique, dont le chef divin est un homme dans le ciel, doit la porter aussi. Cette mortalité est pour l’Église comme la blessure causée par le serpent trompeur ; car si nous mourons, c’est par la faute du premier homme, et toutefois, par les mérites de Jésus-Christ Notre-Seigneur, la mort nous fait passer à l’éternelle vie. Mais à qu’elle époque l’Église rentre-t-elle dans la vie et retourne-t-elle dans son royaume ? À la fin du siècle. Aussi pour ramener le serpent à son état primitif, Moïse le prit par la queue, c’est la fin.

8. Que signifie sa main ? Elle désigne certainement son peuple. Et qu’est-ce que le sein de l’homme ? Le sein de Moïse est le sanctuaire de Dieu. Quand nous étions dans ce divin sanctuaire, nous avions santé et bonne couleur. Nous en sommes sortis, Adam a quitté le paradis après avoir offensé son Créateur et il s’est couvert de vices ; la main est devenue lépreuse. Mais elle est rentrée dans le sein de Dieu, dans le, sein de Notre-Seigneur Jésus-Christ, elle y a repris sa couleur. Et cette eau ? Elle est le symbole, de la sagesse ; car l’Écriture désigne souvent la sagesse sous la figure de l’eau, ce qui a fait dire au Sauveur : « Elle deviendra en lui une fontaine d’eau jaillissante jusque dans la vie éternelle h. » Or cette eau ou cette sagesse, qui sur la terre s’est changée en sang, ne nous rappelle-t-elle pas le Verbe qui s’est fait chair et qui habite parmi nous ? Sans aucun doute. Tout est donc, pour le peuple chrétien, signe et mystère relatif à Notre-Seigneur Jésus-Christ. S’il est d’autres sacrements dans les anciennes Écritures, qu’on les comprenne ou qu’on ne les comprenne pas, il faut les étudier, non les mépriser. Pour obtenir qu’ils nous soient découverts, demandons, cherchons et frappons. Ces sacrements étaient pour les Juifs des prédictions, ils sont pour nous dans l’Église la réalité même.

SERMON VII. MOÏSE ET LE BUISSON ARDENT i.

ANALYSE. – Ce discours, plus étendu que le précédent, est un développement beaucoup plus long de ce qui en faisait simplement la première partie. Évidemment saint Augustin a ici en vue les Ariens et il s’attache à réfuter les objections qu’attiraient, contre la divinité de Jésus-Christ, de ce qu’ici il est parlé d’un Ange. Les trois circonstances de l’apparition, déjà expliquées précédemment, font comme les divisions de ce deuxième discours. 1. Pendant qu’on faisait la divine lecture, nous avons considéré de tout notre cœur l’étonnant miracle qui avait déjà rendu si attentif Moïse, le serviteur de Dieu. Nous aussi nous nous demandions comment le buisson paraissait tout en feu sans se consumer. Nous avons remarqué encore que d’après un autre livre sacré l’Ange du Seigneur s’était montré d’abord à Moïse dans ce buisson j ; et Moïse toutefois ne converse pas avec un Ange, mais avec le Seigneur même. Nous avons remarqué, en troisième lieu, que Moïse ayant demandé à, connaître le nom de Dieu, afin de pouvoir répondre aux fils d’Israël lorsqu’ils lui adresseraient cette question, et lui demanderaient qui l’a envoyé, il lui fut répondu : « Je suis, l’Être. » Cette réponse ne fut pas faite comme en passant ; afin d’en mieux faire sentir l’importance, elle fut renouvelée : « Tu diras donc aux fils d’Israël : c’est l’Être qui m’a envoyé vers vous. » Enfin, après avoir ainsi fait connaître son nom, le Seigneur ajouta : « Tu leur diras : Le Seigneur Dieu de vos pères, Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac et Dieu de Jacob, m’a envoyé vers vous, et tel est mon nom pour l’éternité k. » Entendez sur ces mystères ce que le Seigneur me communique. Ils sont grands, ils recèlent en quelque sorte de divins secrets, et si nous entreprenions de les développer comme il convient, nous n’en aurions ni le temps ni la force.

2. Ce que nous pouvons observer d’abord, c’est que si la flamme est dans le buisson sans le réduire en cendres, ce n’est pas en vain, ce n’est pas inutilement, ce n’est point sans indiquer une vérité cachée. Le buisson est une espèce d’épines ; mais produite pour punir l’homme de son péché, l’épine ne saurait être employée comme symbole de bonheur ; car ce fut seulement après la faute première qu’il fut dit : « La terre portera pour toi des épines et des chardons l. » Ce buisson qui ne brûle point, c’est-à-dire que la flamme ne saurait pénétrer, n’est pas – non plus un heureux indice. La flamme sans doute est de bon augure, puisque c’est un Ange ou le Seigneur même qui s’y montre ; puisqu’au moment où le Saint-Esprit descendit sur les Apôtres, ils virent des langues divisées comme des langues de feu. Il faudrait donc que ce feu nous pénétrât et que notre dureté ne l’empêchât point de nous enflammer. Mais ce buisson qui ne brûlait point, désignait le peuple qui résistait à Dieu et par conséquent le peuple coupable des Juifs à qui Moïse était envoyé. Si ce buisson résistait au feu, c’est que ce peuple, comme je l’ai dit, se révoltait contre la loi divine, et si ce peuple n’avait les épines pour symbole il n’en aurait point fait une couronne au Christ m.

3. Le personnage qui s’adressait à Moïse s’appelle en même temps le Seigneur et l’Ange du Seigneur. Lequel des deux est-il ? C’est.unegrande question. On ne doit pas se prononcer avec témérité, mais examiner avec soin. Or deux opinions peuvent s’élever sur ce point et quelle que soit la vraie chacune est orthodoxe. Quelle que soit la vraie, c’est-à-dire quelle qu’ait été la pensée de l’écrivain sacré ; car s’il nous arrive, en étudiant l’Écriture, de penser autrement que l’auteur, nous devons prendre garde de nous écarter de la règle de la foi, de la règle de la vérité. Je vais donc vous exposer ces deux opinions, sans nier qu’il y en ait une troisième que j’ignore, et vous choisirez celle que vous voudrez. Selon les uns ce personnage s’appelle le Seigneur et l’Ange du Seigneur, parce que c’était le Christ, nommé expressément par un prophète l’Ange du grand conseil n. Le mot Ange désigne l’office et non la nature, car en grec il signifie messager ; or ce terme de messager indique un être qui agit, qui annonce. Mais le Christ ne nous a-t-il point annoncé le royaume des cieux ? De plus, l’Ange ou le messager est envoyé par qui le charge d’annoncer quelque chose. Le Christ n’a-t-il pas été envoyé ? Ne dit-il pas souvent : « Je suis venu accomplir non pas ma volonté, mais la volonté de qui m’a envoyé o ? » Il est l’envoyé par excellence ; il est cette piscine mystérieuse de Siloë qui signifie envoyé. Aussi est-ce là qu’après avoir couvert de boue les yeux de l’aveugle-né, il lui commanda de se lever p. Nul en effet ne recouvre la vue s’il n’est purifié par le Christ. Ainsi l’Ange de Moïse peut être le Seigneur.

4. Mais voici un écueil à éviter. Il y a des hérétiques qui soutiennent qu’il y a des différences entre la nature du Père et la nature du Fils, et qu’ils n’ont pas une seule et même substance. La foi catholique croit au contraire que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un seul. Dieu, trois personnes en une même essence, inséparables, égales, sans mélange ni confusion, sans division ni séparation. Or pour prouver que le Fils n’a point la même nature que le Père, ils s’appuient sur ce que le Fils a apparu aux anciens. Mais le Père, disent-ils, ne leur a point apparu ; or une nature visible est différente d’une nature invisible. Aussi, poursuivent-ils, est-il dit du Père que « nul homme ne l’a vu ni ne peut le voir q. » Ils veulent conclure ainsi que celui qui s’est montré à Moïse et à Abraham, à Adam et aux autres patriarches, n’est pas Dieu le Père, mais plutôt le Fils et qu’il est une créature. Tel n’est point le langage de l’Église Catholique. Que dit-elle ? Le Père est Dieu, le Fils est Dieu ; le Père est immuable et le Fils immuable ; le Père est éternel, le Fils également éternel ; le Père est invisible et le Fils invisible : dire que le Père est invisible mais le Fils visible, ce serait distinguer, séparer même les natures. Comment trouver la grâce quand on perd la foi ? Voici donc comment se résout cette question. Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, est invisible dans sa propre nature. Il s’est montré quand il a voulu et à qui il a voulu, non tel qu’il est, mais comme il a voulu, car tout est à ses ordres. Ton âme est invisible dans ton corps, et pour se montrer elle prononce une parole. Mais cette parole où se révèle ton âme n’en est pas la substance, elle en diffère, et néanmoins ton âme se montre dans ce qu’elle n’est pas. Ainsi Dieu a pu se manifester dans le feu sans être le feu ; dans la fumée sans être la fumée ; et dans le bruit sans être le bruit. Rien de cela n’est Dieu, mais un témoignage qui le rappelle. En nous conformant à ces principes, il n’y a aucun danger à croire que le Fils de Dieu a pu apparaître à Moïse et se nommer à la fois le Seigneur et l’Ange du Seigneur.

5. La seconde opinion enseigne que c’était véritablement un Ange du Seigneur, non pas le Christ, mais un Ange envoyé par Dieu. Il faut donc lui demander pourquoi cet Ange est nommé le Seigneur. À c’eux qui soutiennent que c’était le Christ on demande pourquoi il est appelé Ange ; à ceux qui estiment que c’était un Ange il convient de demander aussi pourquoi il est désigné sous le nom de Seigneur. Je l’ai rappelé déjà, les premiers se tirent d’embarras en observant que s’il est appelé Ange, c’est qu’un prophète a dit expressément que le Christ Notre-Seigneur est l’Ange du grand conseil ; les seconds doivent donc expliquer également comment un Ange a pu être appelé le Seigneur. Or voici comment ils répondent : Quand un prophète parle dans l’Écriture, on dit que c’est le Seigneur qui parle, non que le Seigneur soit le prophète, mais parce que le Seigneur est dans le prophète. De la même manière, lorsque le Seigneur daigne s’exprimer par l’organe d’un Ange, comme il s’exprime par l’organe d’un Apôtre, d’un Prophète, cet Ange conserve, à cause de lui-même, son nom propre d’Ange, et on le nomme Seigneur, à cause de Dieu qui habite en lui. Paul assurément était un homme et le Christ est Dieu. Paul dit néanmoins : « Voulez-vous éprouver celui qui parle en moi, le Christ r ? » Un prophète dit aussi. « J’écouterai comment parlera, en moi le Seigneur Dieu s » Celui qui parle dans l’homme est le même qui parle dans l’Ange : Voilà pourquoi on peut soutenir que ce fut l’Ange du Seigneur qui apparût, à Moïse et qui dit : « Je suis l’Être. » Ce n’est pas la voix du temple, mais de celui qui l’habite.

6. Mais si ce personnage qui porte le nom d’Ange était le Christ parce qu’il se trouvait seul ; n’est-il pas vrai que trois Anges se montrèrent à Abraham ? Comment répondre ? Ils étaient trois, et comme si Abraham ne parlait qu’à un seul, il dit : Seigneur. Que répondre encore ? Pourquoi étaient-ils trois ? Était-ce alors la divine Trinité ? Mais pourquoi dire : Seigneur ? – Parce que la Trinité est un seul Seigneur, et non pas trois Seigneurs ; un seul Dieu et non trois ; une seule nature en trois personnes. Car le Père n’est pas le Fils, le Fils n’est pas le Père, et l’Esprit n’est ni le Père ni le Fils. Le Père n’a qu’un Fils, le Fils n’a qu’un Père et l’Esprit-Saint est l’Esprit du Père et du Fils. Il est vrai néanmoins,.quelques-uns prétendent que parmi les trois personnages l’un s’élevait au-dessus des autres ; c’est celui-là qu’Abraham appelait Seigneur, il apparaissait entre deux comme le Christ entre ses Anges. Mais quoi ? N’y en eut-il pas deux seulement qui furent envoyés à Sodome et qui apparurent à Lot frère d’Abraham ? Lot cependant reconnut en eux la divinité, et quoiqu’il en vit deux, il dit Seigneur, au singulier t. Ainsi dans les trois Anges, Abraham reconnaît le Seigneur, Lot le reconnaît également dans deux. Ne séparons pas la Trinité, ne faisons pas une dualité dans Sodome ; et il est mieux, je pense, de croire que nos Pères adoraient le Seigneur dans ses Anges l’habitant divin dans sa demeure ; ils rendaient gloire, non aux porteurs mais à Celui qu’ils portaient. Ce sentiment est confirmé par l’Épître aux Hébreux. Il y est dit : « Si la parole annoncée pas les Anges est demeurée ferme u. » L’auteur ici faisait mention du vieux Testament ; il le recommande en observant que les Anges y parlaient : mais on honorait Dieu dans ses Anges et l’on écoutait en eux Celui qui demeurait en eux. Étienne fournit aussi une preuve dans les Actes des Apôtres. Il accuse et réprimande les Juifs : « Durs de tête, leur dit-il, incirconcis de cœur et d’oreilles. » Durs de tête, épines incombustibles. « Toujours vous résistez à l’Esprit-Saint. » Si donc le buisson ne brûlait pas, c’est que ses épines, symboles d’iniquités, refusaient de s’enflammer sous le feu du Saint-Esprit. «Toujours ; vous résistez à l’Esprit-Saint. Lequel des prophètes vos pères n’ont-ils pas mis à mort ? De là vient que vous avez reçu la loi par le ministère des Anges et que vous ne l’avez point gardée v. » S’il disait de l’Ange et non des Anges; quelques-uns prétendraient qu’il s’agit du Christ appelé l’Ange du grand conseil. Le Christ peut être nommé un Ange, peut-il être nommé des Anges ? L’Apôtre Paul dit aussi que la race d’Abraham a été servie, « administrée par les Anges et par l’entremise d’un médiateur w. »

7. Lors donc que Moïse demandait à l’Ange ou plutôt au Seigneur présent dans l’Ange, quel était son nom : « Je suis l’Être, répondit-il ; c’est l’Être qui m’a envoyé vers vous. » L’Être est le nom de l’immuabilité ; car tout ce qui change cesse d’être ce qu’il était et commence à être ce qu’il n’était pas. L’Être vrai, l’Être pur, l’Être réel ne peut appartenir qu’à celui qui ne change pas. Il possède cet Être, Celui à qui l’on dit : « Tu les changeras et ils seront changés, pour toi tu demeureras toujours le même x. » Que signifie « je suis l’Être », si non je suis éternel ? Que signifie je suis l’Être sinon je ne puis changer ? Il n’est donc aucune créature ; il n’est ni le ciel, ni la terre, ni un Ange ; ni une Vertu, ni un Trône, ni une Domination, ni une Puissance. Son nom étant un nom d’éternité, qui ne serait attendri qu’il ait daigné prendre un nom de miséricorde ?« Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, et le Dieu de Jacob. » Il prend le premier nom par rapport à lui-même et celui-ci à cause de nous. Eh ! que serions-nous, s’il avait voulu demeurer uniquement ce qu’il est en lui-même ? Si Moïse comprit, ou plutôt puisque Moïse comprit ces mots : « Je suis l’Être ; c’est l’Être qui m’a envoyé avec vous », il reconnut que les derniers rapprochaient beaucoup Dieu des hommes et que les premiers l’en éloignaient beaucoup. Comprendre dignement, comprendre à la lumière de l’essence véritable, ne fut-ce que sommairement et sous une inspiration rapide comme l’éclair, ce que c’est que l’Être proprement dit, c’est se voir bien au-dessous, bien éloigné et bien différent de lui. Tel fut celui qui s’écriait : « J’ai dit dans mon extase. » Dans un transport d’esprit il vit je ne sais quoi de bien élevé au-dessus de lui. C’était l’Être véritable. « J’ai dit, s’écrie-t-il ; dans mon extase. » Qu’as-tu dit ? « Je suis jeté loin de tes yeux y. » Moïse aussi se sentit bien au-dessous, non de ce qu’il voyait, mais de ce qu’il entendait ; et comme incapable de le saisir. Enflammé alors du désir de voir l’Être même, il disait familièrement à Dieu : « Découvrez-vous à moi vous-même z. » Et parce que, trop diffèrent de cette suprême nature, il désespérait en quelque sorte d’y atteindre, Dieu releva son courage (car il le vit pénétré de sa crainte) comme s’il lui eut parlé de la manière suivante : Parce que je t’ai dit : « je suis l’Être », et encore : « c’est l’Être qui m’a envoyé », tu as compris qu’est-ce que l’Être et tu as désespéré de pouvoir t’élever jusqu’à lui ; courage donc ! « Je suis le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ; » je suis ce que je suis, je suis l’Être même, et je suis avec l’Être, mais sans vouloir m’éloigner des hommes. Si nous pouvons de quelque manière chercher le Seigneur, découvrir qu’il est l’Être et qu’il n’est pas loin de chacun de nous, car c’est en lui que nous vivons, que nous nous mouvons et que nous sommes aa, louons avec transport sa nature et chérissons sa miséricorde.

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