‏ Exodus 7:10-22

XIX. (Ib, 7, 9.) Sur le rôle d’Aaron.

— « Si Pharaon vous dit : Donnez-nous un miracle ou un prodige, tu diras à Aaron, ton frère : Prends une verge, et jette-la devant Pharaon et « ses serviteurs ; et ce sera un dragon. » Assurément, dans ce cas, il n’était pas nécessaire de recourir au ministère de la parole, créé en faveur d’Aaron par une sorte de nécessité, pour venir en aide à l’infirmité de Moïse : il s’agissait uniquement de jeter la verge qui devait se changer en serpent. Pourquoi donc Moïse n’a-t-il pas accompli lui-même cette action, sinon parce que cette médiation d’Aaron entre Moïse et Pharaon renferme la figure d’un évènement considérable ?

XX. (Ib 7, 10.) Sur la verge de Moïse et d’Aaron.

– Autre remarque. Il est écrit, à propos du miracle opéré sous les yeux de Pharaon : « Et Aaron « jeta sa verge. » Si l’Écriture avait dit : Il jeta la verge, il n’y aurait pas matière à discuter ; mais comme elle met le mot sa, bien que Moïse la lui eût donnée, ce n’est peut-être pas sans raison que le texte est ainsi conçu. Cette verge leur aurait-elle été commune à tous les deux, de sorte qu’on pourrait la regarder comme appartenant à l’un aussi bien qu’à l’autre ?

XXI. (Ib 7, 12.) Changement des verges en serpent.

– « Et la verge d’Aaron dévora leurs verges. » Si le texte eût porté. Le serpent d’Aaron dévora leurs verges, on eût compris que le serpent d’Aaron dévora, non des serpents imaginaires, mais des verges. Car il a pu dévorer des verges réelles, non des apparences sans réalité. Mais nous lisons : « La verge d’Aaron dévora leurs verges » or, si le serpenta pu dévorer les verges des magiciens, la verge ne le pouvait pas. Au lieu d’appeler la chose du nom de l’objet auquel elle a été changée, l’Écriture lui donne donc le nom qu’elle avait avant son changement, par la raison qu’elle est revenue ensuite à son premier état ; il convenait d’ailleurs de lui donner le nom qui exprimait sa nature principale. Mais que faut-il penser des verges des mages ? Furent-elles changées aussi en serpents véritables, et sont-elles appelées verges au même titre que la verge d’Aaron ? Ou plutôt, par un prestige de l’art magique, ne semblaient-elles pas être ce qu’en réalité elles n’étaient point ? Pourquoi donc les unes et les autres sont-elles appelées verges et serpents, sans aucune distinction, quand il est parlé de c es prestiges ? Si l’on admet que les verges des magiciens ont été changées en serpents véritables, une nouvelle et sérieuse difficulté se présente, car il faut démontrer que la création de ces serpents ne fut l’œuvre ni des magiciens, ni des mauvais anges par qui ils opéraient leurs enchantements. Or, parmi tous les éléments corporels de ce monde sont cachées des raisons séminales, qui, à l’aide du temps et d’une cause favorables, deviennent des espèces déterminées parleurs qualités et les fins qui leur sont propres.C'est pourquoi on ne dit pas des anges, par qui ces êtres arrivent à la vie, qu’ils créent des animaux, pas plus qu’on ne dit des laboureurs qu’ils créent les moissons, les arbres ou toute autre production de la terre, parce qu’ils savent utiliser les causes visibles et les circonstances favorables au développement. Ce que ceux-ci font d’une manière visible, les anges l’opèrent d’une manière invisible ; mais Dieu seul, est vraiment créateur, lui qui a déposé dans la nature les causes et les raisons séminales. Je dis tout cela en peu de mots ; mais pour le faire mieux comprendre et l’appuyer d’exemples et d’une discussion sérieuse, il faudrait un long traité ; la précipitation qui préside à ce travail me servira d’excuse.

SERMON VIII. LES DIX COMMANDEMENTS ET LES DIX PLAIES D’ÉGYPTE.

ANALYSE. – Nous n’avons point ce discours tout entier : il y manque évidemment un exorde et une péroraison. Aussi porte-t-il le nom de Fragment dans les éditions latines. Saint Augustin a pour but d’établir une corrélation entre les dix préceptes du Décalogue et les dix plaies d’Égypte. Celles-ci indiquent à ses yeux les châtiments dont Dieu frappe les violateurs de sa loi. À la transgression du premier commandement il réserve comme punition l’aveuglement du cœur ; à la violation du second, la folie de sa raison ; du troisième, l’inquiétude et l’agitation de l’âme ; du quatrième, un honteux avilissement ; du sixième, l’assimilation aux animaux ; du cinquième, les fureurs de la colère ; du septième, l’indigence de l’âme ; du huitième, la malignité des langues ; du neuvième ; une sorte de folie ; du dixième enfin, la perte de la foi. Saint Augustin termine en disant que si les magiciens de Pharaon ont été vaincus à la troisième plaie ou au troisième prodige, c’est que cette troisième plaie correspond au troisième précepte, au précepte attribué spécialement au Saint-Esprit, à l’Esprit sanctificateur. Aussi avouent-ils que le doigt de Dieu est avec Moïse, et le doigt de Dieu désigne quelquefois l’Esprit-Saint dans le style même de l’Écriture.

1. Après avoir établi d’abord la certitude historique de ces évènements, nous devons en chercher la signification, il fallait poser le fondement pour ne paraître point bâtir dans les airs. Le premier miracle accompli, le changement de la verge en serpent, n’est point du nombre des dix plaies. C’était un moyen d’arriver jusqu’à Pharaon et de donner à Moïse l’autorité nécessaire pour tirer de l’Égypte le peuple de Dieu. Le Seigneur ne frappait pas encore des opiniâtres, il voulait leur inspirer une divine frayeur. La verge désigne le royaume de Dieu et le royaume de Dieu n’est autre que le peuple de Dieu. Le serpent au contraire rappelle cette vie mortelle, puisque c’est le serpent qui nous a fait boire la mort. Nous sommes devenus mortels en tombant de la main de Dieu sur la terre ; aussi la verge s’est échappée de la main de Moïse pour devenir un serpent. Les Mages de Pharaon firent de même. Mais le serpent de Moïse c’est-à-dire la verge de Moïse commença par dévorer tous leurs serpents a ; Moïse le saisit par la queue, il redevint une verge ; c’est le royaume de Dieu qui se replaçait sous sa main. Les verges des Mages figurent donc les peuples impies vaincus au nom du Christ : quand ils s’assimilent à son corps, ils sont comme dévorés par le serpent de Moïse, jusqu’à ce que le royaume de Dieu se replace sous sa main. Ce grand miracle n’aura lieu qu’à la fin des siècles, désignée par la queue du serpent. Voilà ce que vous devez désirer, voici ce que vous devez éviter,

2. Le premier précepte de la Loi regarde le culte d’un seul Dieu. « Tu n’auras point d’autres dieux que moi, dit le Seigneur b.» La première plaie d’Égypte est l’eau changée en sang c. Compare ce premier précepte à cette première plaie. Dans l’eau, qui engendre tout, considère la ressemblance du Dieu unique qui a tout créé. Mais que désigne le sang, sinon la chair mortelle ? Et que signifie, en conséquence, le changement d’eau en sang, sinon que « leur cœur insensé a été obscurci ? Car en se disant sages ils sont devenus fous, et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible d. » La gloire du Dieu incorruptible est pure comme l’eau ; l’image d’un homme corruptible est changée comme le sang. Voilà ce qui se passe dans le cœur des impies ; car en lui-même Dieu demeure immuable, et il n’est pas changé, quoique l’Apôtre ait dit : « Ils ont changé. »

3. Voici le second précepte : « Tu ne prendras pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu e. » On ne se purifiera point en prenant en vain le nom du Seigneur son Dieu. Or le nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur est la vérité, puisqu’il a dit : « Je suis la vérité f. Donc la vérité purifie, comme la vanité souille. Mais dire la vérité, c’est parler avec la grâce de Dieu, puisque dire le mensonge c’est parler de son propre fonds g. De plus, dire la vérité c’est parler raisonnablement, et parler, en vain c’est plutôt faire du bruit que parler ; d’où il suit que l’amour de la vérité est l’objet du second précepte et que l’amour de la vanité est défendu par lui : Comme la vanité ne fait qu’un vain bruit, voyez avec quelle convenance la seconde plaie est opposée au second précepte ! Quelle est cette seconde plaie ? Une étonnante multitude de grenouilles h. Leur coassement n’est-il pas la naturelle image de la vanité ? Considère les amis de la vérité qui ne prennent pas en vain le nom du Seigneur leur Dieu : ils enseignent la sagesse au milieu des parfaits, des imparfaits même i. Ils n’enseignent pas sans doute ce qu’on ne saurait comprendre ; néanmoins ils ne quittent pas la vérité pour se jeter dans la vanité. Si les imparfaits ne saisissent point des discussions d’un ordre un peu plus élevé sur le Verbe de Dieu, qui est Dieu en Dieu et par qui tout a été fait j, s’ils ne peuvent comprendre que ce que Paul prêche au milieu d’eux comme au milieu des petits enfants du Christ, savoir Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifiés il ne s’ensuit pas que la vérité soit uniquement dans ce haut enseignement et que la vanité soit le partage de l’enseignement populaire. Or ce dernier serait vain si nous disions que le Christ n’est pas mort en réalité mais en apparence ; que ses blessures n’étaient que des simulacres, qu’il n’a point répandu véritablement son sang, mais fait semblant de le répandre ; et que ses blessures ayant été de fausses blessures, il n’a montré que de fausses cicatrices. En assurant toutes ces vérités, nous assurons des faits, nous croyons, nous prêchons qu’ils sont certains et réellement accomplis, et sans parler de cette sublime et immuable vérité ; nous ne tombons point dans la vanité. Mais ceux qui montrent tout cela comme étant, dans le Christ, faux et simulé, sont des grenouilles coassant dans un marais ; ils peuvent faire du bruit en paroles, ils ne sauraient enseigner la sagesse. Dans l’Église, au contraire, on est attaché à la vérité et on prêche la Vérité par laquelle tout a été fait ; la Vérité ou le Verbe fait chair et habitant parmi nous ; la Vérité ou le Christ né de Dieu, fils unique d’un seul Dieu et coéternel à Dieu ; la Vérité qui, après avoir pris la nature d’esclave, est née de la Vierge Marie, a souffert, a été crucifiée, est ressuscitée, montée aux cieux ; la Vérité partout, et celle que peuvent comprendre les parfaits et celle que peu, vent saisir les petits ; la Vérité devenue pain et lait, pain pour les grands et lait pour les petits ; car pour devenir lait, le pain doit passer par la chair. Quant à ceux qui crient contre cette Vérité et qui cherchent à prendre dans le mensonge où ils sont pris eux-mêmes, ce sont des grenouilles qui fatiguent l’oreille sans fortifier l’âme. Écoute enfin des hommes qui parlent raisonnablement : « Il n’y a point d’idiomes, point de langues où ne soient entendues leurs paroles, non pas des paroles vides de sens, car leur voix a retenti dans toute la terre, et leurs discours jusqu’aux extrémités du monde k.» Veux-tu aussi voir des grenouilles ? Rappelle-toi ce verset d’un Psaume : « Chacun fait entendre des choses vaines à son prochain l. »

4. Troisième précepte : « Souviens-toi de sanctifier le jour du sabbat m. » Ce troisième précepte impose comme le tribut d’un repos qui consiste dans la paix du cour et de l’esprit, et que produit la bonne conscience. Ce repos sanctifie parce que l’Esprit-Saint y réside. Voyez-le en effet. «Sur qui reposera mon Esprit ? Sur « l’homme humble, paisible et tremblant à ma voix n» Les âmes agitées échappent donc à l’Esprit-Saint. Elles aiment les querelles, répandent des calomnies, recherchent plutôt la dispute que la vérité, et leurs mouvements continuels éloignent d’elles le repos spirituel du sabbat. Pour combattre cette inquiétude et pour inviter à ouvrir leurs cœurs au repos du sabbat, à l’action sanctifiante de l’Esprit de Dieu : « Écoute avec douceur la parole pour comprendre, leur est-il dit o. » Et que comprendrai-je ? Dieu qui me dit : Assez d’agitation ; qu’il n’y ait plus de tumulte dans ton cœur ; que ces pensées corrompues cessent de voltiger et de te tourmenter. C’est bien alors que tu entendras Dieu te dire : « Soyez en repos, et voyez que c’est moi qui suis Dieu p. » Mais toi, toujours inquiet, tu refuses de te mettre en repos, et aveuglé dans le trouble de tes disputes, tu prétends voir quand tu en es incapable. Considère donc la troisième plaie opposée à ce troisième précepte, ce sont des moucherons nés en Égypte du limon de la terre q ; c’est-à-dire des mouches très-petites, toujours en mouvement. Leur vol est irrégulier, elles se jettent dans les yeux, ne laissent point de repos ; on les chasse et elles reviennent ; chassées encore elles reviennent sans cesse. Telles sont les vaines imaginations des cœurs contentieux. Soyez fidèles au précepte, en garde contre le châtiment.

5. « Honore ton père et ta mère r », tel est le quatrième précepte. La quatrième plaie égyptienne qui y correspond se nomme en grec χυνομυῖα. Que signifie χυνομυῖα ? Une mouche canine. C’est donc s’assimiler au chine que de ne reconnaître pas ses parentes. Est-il rien d’aussi digne d’un chien que cette conduite envers ceux à qui on doit le jour ? Aussi les petits chiens naissent aveugles.

6. Cinquième précepte : « Tu ne seras point adultère s ; » et cinquième plaie : mort sur les troupeaux des Égyptiens t. Établissons les rapports. Suppose un homme qui médite de commettre un adultère et qui ne se contente pas de son épouse ; il ne veut point dompter eu lui ce honteux désir de la chair, commun à l’homme et aux bêtes. Les bêtes peuvent aussi se livrer aux plaisirs de la chair et se reproduire ; à l’homme le raisonnement et l’intelligence. Aussi la raison, qui siège et règne dans.l'esprit, doit-elle réprimer avec autorité les mouvements désordonnés de la chair et ne les laisser pas courir de tous côtés, sans mesure et sans règle. C’est pourquoi la nature fait que les animaux eux-mêmes, grâce à l’institution du Créateur, ne recherchent qu’à des époques déterminées les jouissances brutales ce n’est pas la raison qui les réprime alors, c’est l’ardeur qui se refroidit. Si l’homme y est toujours sensible, c’est qu’il peut les contenir. Le Créateur t’a donné l’autorité de la raison, et il veut que ses préceptes de continence soient pour toi comme des rênes pour diriger des animaux sans raison. Tu as ce que ne saurait avoir l’animal, et tu espères ce qu’il ne peut espérer. C’est parfois un travail pour toi de garder la continence ; ce n’en est pas un pour l’animal ; mais pour toi quelles jouissances dans l’éternité où il ne parvient pas ! Si ce travail te fatigue, que la récompense te console ; car il y a un exercice de patience à mettre un frein à ces mouvements intérieurs qui te sont communs avec la bête, et à ne pas t’y abandonner comme elle. Mais si tu te ravales, si tu ne prends pas soin de cette divine image avec laquelle Dieu t’a créé, si tu te laisses vaincre aux tentations de la concupiscence, tu perdras. en quelque sorte ton caractère d’homme pour n’être plus qu’un vil animal : tu n’en auras point la nature, mais tu lui ressembleras, tout en conservant la nature humaine. N’entends-tu pas : « Ne soyez point comme le cheval et le mulet sans intelligence u ? » Peut-être néanmoins préfères-tu mener la vie des bêtes, te livrer librement à tes passions, et ne t’astreindre à aucune loi pour contenir tes appétits charnels. Vois donc le châtiment, et si tu ne crains point d’être une bête, redoute au moins la mort.

7. Sixième précepte : « Tu ne tueras point v. » Sixième plaie : des ulcères et des tumeurs qui bouillonnent et se lèvent dans tout le corps, la chaleur dévorante des blessures produites par le feu d’une fournaise w. Telles sont les âmes homicides ; elles sont enflammées par la colère, car pour elles il n’y a plus de frère. On distingue la chaleur de la colère et la chaleur de la grâce : celle-ci tient de la santé et l’autre d’un ulcère. Des desseins homicides produisent partout des tumeurs brûlantes, rien n’en est exempt ; il y a chaleur, mais elle ne vient pas de l’Esprit de Dieu. Car s’il y a de l’ardeur dans qui vole au secours du malheur, il y a de l’ardeur aussi à quand on court au meurtre ; la première vient du commandement, la seconde, de la maladie ; l’une est due aux bonnes œuvres, l’autre aux plaies corrompues. Ah ! s’il nous était donné de voir une âme homicide, nous pleurerions plus amèrement qu’à la vue des corps dévorés par la gangrène.

8. Nous voici arrivés au septième précepte : « Tu ne déroberas point x », et à la septième plaie la grêle sur les fruits de la terre y. Dérober malgré cette défense, c’est perdre au ciel, car il n’y a point de gain injuste qu’il n’y ait de juste dommage. Ainsi gagner par le vol un vêtement, c’est perdre la foi au jugement du ciel. Le gain est donc une perte. Mais le gain est visible, la perte descend des nuées du Seigneur. Rien n’arrive i sans la Providence, mes bien-aimés. Eh ! vous imagineriez-vous véritablement que les hommes souffrent parce que Dieu est endormi ? Les nuages se condensent, la pluie se répand, la grêle tombe, le tonnerre ébranle la terre, l’éclair l’épouvante tout cela semble se produire sans ordre et se faire en dehors de la divine providence. Mais n’a-t-on point entendu la condamnation de cette pensée dans ces paroles d’un psaume : « Habitants de la terre, louez le Seigneur, y est-il dit après qu’il a été loué par les habitants du ciel, louez-le, dragons et abîmes, feu, grêle, « neige, glace, souffle des tempêtes, qui obéissez à sa parole z ? » Aussi ceux qui suivent leurs désirs et dérobent extérieurement, sont, d’après le juste jugement de Dieu, ravagés intérieurement par la grêle. Ah s’ils pouvaient contempler ce champ de leur cœur, comme ils pleureraient en n’y rencontrant plus l’alignent de l’âme ! En vain ce bien mal acquis pourrait de venir la nourriture du corps, on ressentirait à l’intérieur une faim bien plus cruelle, de plus dangereuses blessures et une mort plus alarmante. Il est, hélas ! beaucoup de morts ambulants, beaucoup de coupables qui mettent leurs joies dans de vaines richesses. L’Écriture ne place-t-elle point dans l’âme les trésors du serviteur de Dieu ? « Votre cœur, l’homme caché, dit-elle, qui est riche devant Dieu aa. » Riche, non pas devant les hommes, mais devant Dieu et là où pénètre son regard. Que te sert-il de dérober quand un mortel ne te voit pas, et d’être ravagé par la grêle dans l’âme où Dieu te voit ?

9. Huitième précepte : « Tu ne feras point de faux témoignage ab. » Plaie huitième : les sauterelles ac , ad, dont la dent est terrible. Que veut le faux témoin, sinon blesser par ses morsures et perdre par ses mensonges ? D’ailleurs, pour inviter les hommes à ne point s’accuser faussement, « Si vous vous mordez et dévorez les uns les autres, dit l’Apôtre de Dieu, prenez garde que vous ne vous consumiez les uns les autres ae. »

10. Neuvième précepte : « Tu ne convoiteras point l’épouse de ton prochain af. » D’épaisses ténèbres sont, la neuvième plaie ag. Il y a en effet une espèce d’adultère, défendue par un des préceptes précédents, qui consiste à ne pas même désirer de jouir d’une épouse étrangère ; car sans aller vers la femme d’autrui, c’est être adultère que de ne se point contenter de la sienne. Mais convoiter la femme d’autrui après s’être rendu coupable contre la sienne propre, n’est-ce point réellement d’épaisses ténèbres ? Rien ne blesse aussi vivement le cœur de qui endure cette humiliation, et celui qui fait à autrui cet outrage jamais ne consentira à le souffrir lui-même. Chacun a plus d’inclination pour une étrangère, mais j’ignore s’il est un seul homme capable de supporter patiemment une injure semblable. Quelles épaisses ténèbres dans une telle conduite, dans de pareils désirs ! Il y a vraiment l’aveuglement d’une exécrable fureur. Avilir l’épouse d’un frère, n’est-ce pas une fureur indomptée ?

11. Dixième précepte : « Tu ne convoiteras rien qui appartienne à ton prochain, ni son troupeau, ni son bien, ni sa charrue, ni absolument rien qui lui appartienne ah. » À ce crime est destinée la dixième plaie, la mort des premiers-nés ai. Quand je cherche ici quelque rapprochement, il ne s’en présente point d’abord ; peut-être en découvrirait-on en examinant avec plus de soin et d’attention. Cependant n’y aurait-il point dans cette plaie la condamnation de quiconque garde pour ses héritiers absolument tout ce qu’il possède ? Ce dixième précepte dit hautement que convoiter le bien du prochain c’est être coupable de larcin, comme celui qui vole et qui dérobe en réalité : Mais nous avons déjà vu un précepte relatif au larcin et ce précepte comprend également la rapine. Car l'Écriture ne défendrait pas expressément le larcin sans parler de la rapine, si elle ne voulait faire entendre que le vol secret étant digne de châtiment, le vol accompagné de violence mérite des peines encore plus graves. Il existe donc un précepte qui défend de rien enlever au prochain malgré lui soit secrètement soit ouvertement. Mais il n’est pas permis non plus de convoiter intérieurement son bien, sous l’œil de Dieu, fut-ce à titre de légitime succession. Car ceux qui aspirent à posséder justement le bien d’autrui, désirent être institués les héritiers des mourants : est-il rien qui leur semble aussi juste que de recueillir ce qu’on leur abandonne ? N’est-ce pas être dans le droit commun ? On m’a légué ce bien, peut dire cet homme ; je l’ai comme héritier ; voici le testament. Est-il quelque chose qui semble plus juste que ce raisonnement de l’avare? Tu le loues comme un homme juste ; Dieu condamne ses injustes désirs. Et toi, qui aspires à être établi héritier de quelqu’un, considère ce que tu es. Tu ne veux pas que ce quelqu’un ait des héritiers naturels. Mais parmi ces héritiers nul n’est plus cher qu’un fils aîné. Aussi pour avoir convoité sous l’ombre d’une espèce de droit le bien que ne t’adjugeait par le droit naturel, tu seras puni dans ce que tu as de plus cher, ce qui est pour toi comme un fils aîné. Mes frères, il est facile encore de perdre des aînés ; puisque tout mortel meurt soit avant soit après ses parents. Ce qui est à craindre, c’est qu’en te livrant à cette secrète et injuste convoitise, tu ne perdes les premiers-nés de ton cœur. Or le premier-né en nous est comme l’empreinte de la grâce de Dieu, et ce nouveau-né, ce premier-né entre les fils de notre cœur, c’est la foi, car sans elle on ne peut bien faire. Toutes tes bonnes œuvres sont comme tes fils spirituels, mais la foi occupe entre elles le premier rang, et si tu convoites intérieurement le bien d’autrui, intérieurement tu perds la foi. D’abord en effet tu dissimuleras, tu te montreras obséquieux plutôt par feinte que par charité. Tu voudras paraître aimer celui dont tu veux devenir l’héritier ; mais cet amour te fait souhaiter sa mort, et pour te voir maître de ce qu’il possède, tu ne lui veux pas d’autre successeur.

12. Frères, en parcourant ainsi les dix préceptes et les dix plaies, en comparant les contempteurs des commandements aux Égyptiens opiniâtres, qu’avons-nous fait ? Nous avons voulu vous déterminer à établir votre fortune sur les divins préceptes ; fortune que vous devez conservera l’intérieur, dans votre trésor secret ; fortune que ne puissent vous enlever ni voleur, ni larron, ni voisin ; fortune qui n’ait à redouter ni teigne ni rouille et que l’homme opulent emporte avec lui comme celui qui meurt dans un naufrage. À cette condition vous serez comme le peuple de Dieu au milieu des Égyptiens impies. Ceux-ci souffriront intérieurement les dix plaies, et vous en serez exempts à l’intérieur, jusqu’à ce que le peuple quitte la terre de captivité. Cette espèce de sortie se fait encore aujourd’hui. La première n’a eu lieu qu’une fois, cette dernière ne cesse de s’accomplir.

13. Aucune sainteté véritable et divine ne peut s’obtenir sans le Saint-Esprit. Ce M’est point sans motif qu’il porte spécialement le nom d’Esprit-Saint. Le Père est saint, le Fils est saint ; ce nom toutefois est proprement attribué à l’Esprit et la troisième personne de la Trinité se nomme le Saint-Esprit. Il repose sur l’homme humble et pacifique aj. Il y est comme en son jour de sabbat. Aussi le nombre sept est consacré à l’Esprit-Saint : les Écritures le montrent clairement. Des hommes meilleurs pourront faire des considérations meilleures, des esprits plus élevés découvrir des aperçus plus hauts, et donner sur le nombre sept des explications plus spirituelles et plus divines. Ce que je vois, et ce qui suffit pour le moment, ce que je vous invite à considérer aussi, c’est que le nombre sept est proprement attribué à l’Esprit-Saint, parce que, la sanctification est recommandée au septième jour. Et comment prouver qu’au Saint-Esprit est consacré ce nombre sept ? Isaïe représente l’Esprit de Dieu descendant sur le fidèle, sur le chrétien, sur le membre du Christ, et il se nomme l’Esprit de sagesse et d’intelligence, de conseil et de force, de science et de piété, enfin l’Esprit de crainte de Dieu ak. Si vous avez suivi, j’ai montré l’Esprit de Dieu descendant sur nous comme par sept degrés, depuis la sagesse jusqu’à la crainte, afin de nous élever à lui comme par sept degrés encore, depuis la crainte jusqu’à. la sagesse; « car la crainte de Dieu est le commencement de la sagesse al. » L’Esprit est donc à la fois sept et un, sept dans ses opérations et un dans son essence. Voulez-vous le voir avec plus d’évidence ? La Pentecôte est, d’après l’Écriture, la fête des semaines. C’est ce que dit expressément le livre de Tobie am. Sept fois sept en effet produisent quarante-neuf. Mais il faut se réunir à son chef, attendu que l’Esprit-Saint nous attache à l’unité, au rien de nous en séparer. À quarante-neuf ajoutez donc une unité ; vous obtenez cinquante ; et ce n’est plus sans raison que le Saint-Esprit est descendu le cinquantième jour après la résurrection du Sauveur. Le Seigneur est ressuscité ; il est remonté des enfers avant de s’élever au ciel, et depuis qu’il est ressuscité, depuis qu’il est ainsi remonté des enfers, cinquante jours s’écoulent, et arrive le Saint-Esprit qui célèbre en quelque sorte sa fête au milieu de nous, en ce cinquantième jour. Le Sauveur avait conversé quarante jours avec ses disciples ; au quarantième jour il est monté au ciel, et quand il y a passé dix jours, comme si le dixième commandement était accompli, le Saint-Esprit descend, rappelant ainsi que nul n’accomplit la loi sans sa grâce. Frères, il est donc évident que le nombre de sept est spécialement attribué au Saint-Esprit. Or on doit considérer comme n’ayant pas le Saint-Esprit quiconque ne tient pas à l’unité du, Christ et aboie contre elle ; car il n’y a pour faire des divisions et des dissensions que cet homme animal dont parle ainsi l’Apôtre : « L’homme animal, dit-il, ne perçoit pas ce qui est de Dieu an. » Il est aussi écrit dans l’Épître de l’Apôtre Jude : « Ce sont des gens qui se séparent eux-mêmes », et il les dit pour les blâmer : « Ce sont des gens qui se séparent eux-mêmes, hommes de vie animale, n’ayant point l’Esprit ao. » Qu’y a-t-il de plus clair, qu’y a-t-il de plus évident ? Qu’ils viennent donc ! S’ils ont la même foi que nous, ils recevront l’Esprit-Saint qu’ils ne peuvent posséder tant qu’ils restent les ennemis de l’unité. Mais l’Apôtre les compare aux Mages de Pharaon qui succombaient au troisième prodige. « Ils ont, dit-il, l’apparence de la piété, mais ils en repoussent la réalité ap. »

14. Mais pourquoi ont-ils succombé au troisième prodige ? Rappelez-vous que celui qui combat l’unité n’a point le Saint-Esprit. Or les trois premiers préceptes du Décalogue se rapportent à l’amour de Dieu, les sept autres à l’amour du prochain ; et dans les deux tables ou les dix préceptes, sont compris ces deux commandements sommaires : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force ; tu aimeras aussi ton prochain comme toi-même : ces deux commandements « embrassent toute la Loi et les prophètes aq. » Donc rapportons à l’amour de Dieu les trois premiers préceptes. Quels sont-ils ? Voici le premier : « Tu n’auras point d’autres dieux que moi. » La plaie contraire est l’eau changée en vin, pour rappeler comment le principe suprême, le Créateur a été assimilé à un homme de chair. Le second précepte : «  Ne prends pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu » se rapporte, me semble-t-il, au royaume de Dieu, c’est-à-dire à son Fils. Car il n’y a qu’un seul Dieu et un seul Jésus-Christ Notre-Seigneur, par qui tout existe. Pour venger ce Verbe de Dieu voici la plaie des grenouilles. Elles sont à la parole comme le bruit est à la raison, comme la vanité à la vérité. Le troisième précepte, relatif au sabbat, se rapporte à l’Esprit-Saint, à cause de la sanctification qui s’y trouve principalement attachée ; nous venons nous de vous le rappeler aussi bien que nous l’avons pu. À ce précepte est opposée l’agitation produite par les mouches qui naissent de la corruption et se jettent dans les yeux. Voilà pourquoi ces ennemis de l’unité qui n’avaient point : l’Esprit-Saint, ont succombé au troisième prodige. Ainsi l’Esprit-Saint l’a voulu pour les punir, car s’il fait grâce, il châtie aussi, il enrichit de sa présence et il délaisse. Enfin pour comprendre plus clairement ce que confessent les Mages de Pharaon, voyons quel nom a été donné à l’Esprit de Dieu dans l’Évangile, comment il a été désigné. Les Juifs ayant dit outrageusement du Seigneur : « Il ne chasse les démons qu’au nom de Béelzébud, prince des démons », il répondit : « Si c’est par l’Esprit de Dieu que je chasse les démons, le règne de Dieu est assurément arrivé au milieu de vous ar. » Ce qu’un autre Évangéliste exprime ainsi : « Si c’est par le doigt de Dieu que je chasse les démons as. » Ce qu’un Évangéliste appelle l’Esprit de Dieu est nommé par l’autre le doigt de Dieu. Ainsi le doigt de Dieu est l’Esprit de Dieu. C’est pourquoi il est dit que la loi donnée aux Juifs sur le mont Sinaï le cinquantième jour après l’immolation de l’agneau pascal, est écrite par le doigt de Dieu. Cinquante jours s’écoulent donc depuis l’immolation de l’agneau, et la loi est publiée ; cinquante jours s’écoulent également après l’immolation du Christ et le Saint-Esprit descend. Grâces au Seigneur qui cache avec sagesse pour montrer avec plaisir. Considérez maintenant, frères, que les Mages de Pharaon reconnaissent aussi très expressément ce que nous disons. Ils dirent en succombant au troisième prodige : « Le doigt de Dieu est ici, etc. at »

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