Galatians 6:11-14
56. Correction fraternelle : dans quel esprit il faut la faire a. – Rien ne prouve qu’un homme est spirituel comme la correction qu’il fait du péché d’autrui en cherchant plutôt à l’en délivrer qu’à l’humilier, à lui venir en aide qu’à le confondre, et en le faisant autant qu’il le peut. Aussi l’Apôtre dit-il : « Mes frères, si un homme est surpris dans quelque faute, vous qui êtes spirituels, relevez-le. » Mais on ne doit pas s’imaginer que le relever c’est le blâmer pour sa faute avec insolence et dérision, ni le repousser avec orgueil comme un incurable ; c’est pourquoi saint Paul ajoute : « En esprit de douceur et veillant sur toi-même, de peur que toi aussi tu ne sois tenté. » Rien effectivement ne dispose tant à la miséricorde que la pensée de ses propres dangers. Ainsi donc l’Apôtre veut et qu’on ne manque pas au devoir de la correction fraternelle, et qu’on évite les batailles. Combien veulent disputer sitôt qu’ils sont éveillés, et cherchent à se rendormir quand ils ne sauraient plus disputer ! L’idée du danger commun doit donc maintenir dans le cœur la paix et la charité ; quant à la manière de reprendre, soit plus vivement soit plus doucement, elle doit se régler sur ce que semble demander la guérison du malade qu’on a entrepris. Aussi bien est-il dit ailleurs : « Un serviteur de Dieu ne doit pas disputer, mais être doux envers tous, capable d’enseigner, patient. » Qu’on ne croie pas toutefois que la patience doive empêcher de reprendre le prochain lorsqu’il s’égare, car if est dit encore : « Et reprendre modestement ceux qui s’éloignent de la vérité b. » Comment allier ces deux mots : reprendre, modestement, sinon en gardant la douceur dans le cœur, tout en jetant sur la plaie quelque parole vive et pénétrante pour la guérir ? On ne doit pas, me semble-t-il, entendre différemment ce passage de la même Epître « Prêche la parole, insiste à temps, à contre-temps, reprends, exhorte, menace avec toute patience et doctrine c. » A temps est assurément le contraire de à contre-temps. Or aucun remède ne saurait guérir s’il n’est appliqué à temps. Cependant on pourrait unir les mots autrement et lire : « Insiste à temps, reprends à contre-temps » et continuer ensuite : « Exhorte, reprends avec toute patience et doctrine. » De cette manière on semblerait parler à temps ; lorsqu’on s’appliquerait à édifier, et on ne se soucierait pas, en réprimant les désordres, de paraître agir à contre-temps, quand on parle à propos pour les malades qu’on veut guérir. De cette manière encore on pourrait rapprocher de ces deux adverbes les deux verbes qui suivent, et dire : « Exhorte » en insistant à temps ; « menace » en reprenant à contretemps ; puis en intervertissant l’ordre, les deux substantifs qui viennent immédiatement après« Avec toute patience » pour souffrir l’indignation de ceux qu’on réprimande ; « et toute doctrine » pour relever les affections de ceux que l’on édifie. Toutefois, lors même qu’on lirait ces mots comme on les lit le plus ordinairement et comme si l’Apôtre avait écrit : « Insiste à temps » et si tu ne gagnes rien, « à contre temps » jamais on ne doit se départir pour soi-même de l’occasion convenable, et à « contre-temps » signifiera simplement qu’on paraît importun à celui qu’on corrige et qui n’entend pas volontiers ce qu’on lui reproche, bien qu’on sache soi-même que la réprimande se fait à temps et qu’on l’aime, qu’on prend soin de son salut avec un cœur plein de douceur, de retenue et de charité fraternelle. Combien n’y en a-t-il pas qui songeant ensuite à ce qu’on leur a dit, à la justesse des reproches qui leur ont été adressés, se reprennent plus fortement et plus sévèrement eux-mêmes ! Ils paraissaient irrités en s’éloignant du médecin ; mais l’énergie de sa parole les pénétrant jusqu’à la moëlle des os, ils se trouvent guéris. Or ils ne le seraient pas, si pour traiter un malade dont les membres se gangrènent, nous attendions qu’il nous demandât de bon cœur de porter sur lui le fer ou le feu. Tout en agissant en vue d’une récompense terrestre, les médecins du corps n’attendront pas toujours ce moment eux-mêmes. Est-il beaucoup de malades qu’ils ne doivent lier avant de leur appliquer soit le feu soit le fer ? N’en est-il pas moins encore qui' se laissent lier volontairement. La plupart en effet résistent, ils crient qu’ils préfèrent la mort plutôt qu’une guérison obtenue par ces moyens ; on n’enchaîne pas, moins tous leurs membres, en leur laissant à peine la liberté de la langue ; puis sans consulter leur volonté propre ni celle du malade qui se débat, mais les prescriptions de l’art, ces médecins travaillent sans que les cris ni les injures du patient puissent émouvoir leur cœur, ni arrêter leur main. Et des ministres qui sont chargés d’exercer une médecine toute céleste, ne veulent regarder qu’au travers d’une poutre haineuse la paille qui est dans l’œil de leur frère d, ou bien ils trouveront plus supportable la mort de ce pauvre pécheur, que quelque parole d’indignation proférée contre eux ! Ah ! Il n’en serait pas ainsi, si pour guérir l’âme d’autrui notre âme était aussi saine que le sont les mains des médecins qui opèrent sur nos membres. 51. Nécessité de la charité pour faire la correction fraternelle. – Jamais donc il ne nous faut entreprendre de corriger la faute d’autrui qu’après avoir interrogé, examiné les replis de notre conscience et avoir pu nous répondre sincèrement devant Dieu que nous n’agissons que par amour. Les outrages, les menaces, les persécutions mêmes de celui que tu reprends parviennent-elles à te blesser le cœur ? Si tu crois le malade susceptible encore d’être guéri par toi, ne réponds rien avant de t’être guéri d’abord ; il serait à craindre que sous l’impression de tes mouvements naturels tu ne consentisses à le blesser, à faire de ta langue un instrument d’iniquité pour commettre le péché e, pour rendre mal pour mal et outrage pour outrage f. Car toute parole qui viendrait de ton cœur blessé, serait plutôt un acte de vengeance qu’une correction charitable. Aime donc, et dis ce que tu voudras ; et ce qui semblerait une injure n’en sera nullement une, si tu te rappelles, si tu te persuades intimement que tu n’es armé du glaive de la parole de Dieu que pour délivrer ton frère des vices qui font assaut sur lui. Si cependant, ce qui n’est pas rare, après avoir entrepris avec amour et après avoir commencé avec un cœur tout pénétré d’affection, cet acte de charité, il s’est élevé en toi durant l’action même, et pendant que le malade te résiste, un sentiment qui te détourne de la pensée de le guérir et qui t’irrite plutôt contre lui-même, répands ensuite des larmes pour laver cette tache, et souviens-toi bien, ce qui est fort salutaire, qu’il faut d’autant moins nous enorgueillir à la vue des péchés d’autrui, que nous en faisons nous-mêmes en les reprenant, puisque la colère nous porte plutôt à la colère, que la misère à la compassion. 58. Que comprend la Loi du Christ g ? – « Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la Loi du Christ » sans aucun doute la Loi de charité. Mais si aimer le prochain c’est accomplir la Loi ; si de plus les livres de l’ancien Testament recommandent avec instance cet amour du prochain h, en qui saint Paul dit ailleurs que se résument tous les préceptes de la Loi i ; il s’ensuit évidemment que la partie même de l’Écriture qui a été donnée à l’ancien peuple appartient à cette Loi du Christ, que le Christ est venu faire accomplir par la charité, puisque la crainte n’y suffisait pas j. Par conséquent c’est partout la même Écriture et partout le même précepte, prenant le nom d’ancien Testament, lorsqu’il pèse sur les esclaves aspirant à la possession des biens terrestres, et le nom de nouveau Testament, lorsqu’il relève les cœurs libres qui sont embrasés d’amour pour les biens éternels. 59. Se défier des louanges k. — « Car si quelqu’un s’estime être quelque chose ; comme il n’est rien il s’abuse lui-même. » Ce n’est pas des flatteurs, c’est de lui-même plutôt qu’il est dupe ; puisqu’étant plus près de lui-même qu’ils ne le sont, il préfère se voir en eux plutôt qu’en lui Or, que dit l’Apôtre ? « Que chacun éprouve ses propres œuvres, et alors il trouvera sa gloire en lui-même et non dans un autre » en lui-même, dans le secret de sa conscience ; et non dans un autre, non dans celui qui le flatte. « Car chacun portera son fardeau. » Conséquemment ce ne sont pas tes flatteurs qui allégeront les charges de notre conscience plaise même à Dieu qu’ils n’y ajoutent pas, puisque trop souvent, pour ne pas restreindre en les offensant les louanges qu’ils nous donnent, nous négligeons de les guérir en les reprenant, ou même nous étalons avec jactance devant eux quelques-uns de nos avantages, plutôt que de les montrer dans notre vie par la constance. Je ne dis rien ici des mensonges ni des inventions qu’on fait sur son propre compte pour s’attirer des louanges humaines. Est-il rien de plus ténébreux que cet aveuglement ? Comment ! chercherà tromper4es hommes pour obtenir une gloire si vaine ! cen'est pas tenir compte de Dieu dont le regard plonge dans le cœur. Y a-t-il même aucune comparaison à établir entre l’erreur de cet homme qui te croit bon, et l’égarement auquel tu t’abandonnes lorsque tu cherches à lui plaire par des vertus imaginaires, tout en déplaisant à Dieu par des défauts trop réels ? 60. On doit le nécessaire à l’Apôtre l. – Le reste me paraît très facile à expliquer. L’ordre donné au fidèle d’assurer le nécessaire au prédicateur qui lui annonce la parole de Dieu, revient souvent en effet. Mais il fallait exciter les Galates à multiplier les bonnes œuvres, à servir le Christ dans sa pauvreté, afin d’être un jour à sa droite avec les agneaux, à faire plus enfin pour l’amour de la foi, qu’ils n’avaient pu faire par crainte de la Loi. Or personne n’était plus à même que l’Apôtre de rappeler avec assurance ce devoir, puisqu’il vivait du travail de ses mains m, et qu’il ne voulait pas qu’on accomplit en sa faveur cette obligation ; montrant ainsi avec plus d’autorité, qu’il avait plus en vue l’avantage de ceux qui donneraient que l’utilité de ceux qui recevraient. 61. L’éternelle moisson n. — S’il ajoute ensuite : « Ne vous y trompez pas : on ne serit point de Dieu » c’est qu’il sait combien d’affreux propos on entend de la bouche des hommes qui se perdent, lorsqu’on vit dans la foi aux choses invisibles ; lorsque tout en voyant les bonnes œuvres que l’on sème, on ne voit pas la moisson qu’elles produisent. Ce qui est promis d’ailleurs, ce n’est pas une récolte de la nature des moissons de la terre, puisque le juste vit de la foi o. « Celui, dit l’Apôtre, qui aura semé dans sa chair, en recueillera la corruption. » Ceci s’applique à ceux qui aiment les plaisirs plus qu’ils n’aiment Dieu. Car c’est semer dans la chair que de ne rien faire, même ce qui paraît bien, que dans le dessein de procurer le bien-être au corps. « Mais celui qui sème clans l’esprit, en recueillera la vie éternelle. » Semer dans l’esprit, c’est faire avec foi et charité ce que demande la justice, sans suivre les désirs coupables qui surgissent même du soin de ce corps mortel. Quant à la moisson de l’éternelle vie, elle aura lieu lorsque l’ennemie dernière, lorsque la mort sera détruite, lorsque ce corps mortel sera absorbé parla vie, lorsque, corruptible, il sera revêtu d’incorruptibilité. Maintenant donc qu’en vivant sous la grâce nous sommes au troisième degré de vie ; nous semons dans les larmes, en ne consentant pas, en résistant aux désirs que soulève en nous le corps animal, afin de moissonner dans la joie au moment où ce corps étant transfiguré, nous n’éprouverons plus, de la part de qui que ce soit, ni chagrin ni danger. Car notre corps lui-même est considéré comme une semence. « Il est semé corps animal » dit ailleurs le même Apôtre ; mais c’est pour ajouter, comme allusion à la moisson : « Il ressuscitera corps spirituel p. » Pensée déjà exprimée par ces mots d’un prophète : « Qui sème dans les larmes, moissonnera dans la joie q. » Cependant il est plus facile de bien semer, c’est-à-dire de bien commencer, que de persévérer dans le bien. La récolte en effet encourage à travailler ; ruais c’est pour ta fin seulement de notre vie qu’on nous promet la récolte ; il faut donc de la persévérance. Aussi, « quiconque persévérera jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé. r » Un prophète crie également : « Attends le Seigneur, et agis avec courage ; fortifie-toi le cœur et attends le Seigneur s. » C’est ce qu’enseigne l’Apôtre : « Ne nous lassons point, dit-il, en faisant le bien ; car nous moissonnerons sans nous lasser lorsque le temps sera venu. Ainsi donc, pendant que nous en avons le temps, faisons du bien à tous, surtout à ceux qui sont de la famille de la foi. » Quels sont ceux qu’il désigne ici, sinon les chrétiens ? A tous en effet nous devons souhaiter la vie éternelle, mais nous ne pouvons rendre à tous les mêmes devoirs de charité. 62. Lâcheté des faux docteurs t. – Après avoir enseigné que les œuvres réellement salutaires de la Loi, c’est-à-dire les œuvres morales, ne peuvent s’accomplir qu’avec l’amour spirituel et non pas avec la crainte servile, l’Apôtre revient à ce qui fait le sujet de toute cette Épître : « Vous voyez, dit-il, quelle lettre je vous ai écrite de ma propre main. » C’est par crainte qu’en publiant une lettre sous son nom on ne vienne à duper les simples. Il ajoute : « Ceux qui vous poussent à vous faire circoncire sont des hommes qui veulent plaire selon la chair et qui n’ont en vue que de ne pas souffrir persécution pour la croix du Christ. » Les Juifs en effet persécutaient à outrance ceux qui paraissaient abandonner leurs traditions d’observances charnelles. L’Apôtre montre combien peu il les redoute en écrivant cette lettre de sa propre main ; mais il indique en même temps combien la crainte a d’influence sur ces esclaves des pratiques légales qui poussent les Gentils à se faire circoncire. – « Et eux qui se font circoncire, ne gardent pas la Loi. » Par cette Loi qu’ils ne gardent pas il entend ici celle qui défend de tuer, de commettre l’adultère, de faire de faux témoignage, et qui renferme les autres prescriptions évidemment relatives à la morale ; car, nous l’avons déjà dit, on ne saurait l’accomplir qu’autant que l’on a la charité, et l’espérance de ces biens éternels que fait connaître la foi. – Ils veulent vous faire circoncire, poursuit saint. « Paul, pour se glorifier en votre chair » c’est-à-dire, non seulement afin d’échapper aux persécutions des Juifs, qui ne souffraient pas qu’on livrât la Loi à des incirconcis, mais encore afin de se glorifier devant eux de faire de nombreux prosélytes ; car les Juifs, pour faire un seul prosélyte, auraient sillonné la mer et la terre, leur disait le Sauveur u. – « Pour moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie, si ce n’est dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde m’est crucifié et moi au monde. — Le monde, m’est crucifié » il ne peut rien sur moi ; « Et moi au monde, n je ne tiens pas à lui ; en d’autres termes encore : Le monde ne saurait me nuire et moi je n’ai rien à désirer de lui. Or, quand on se glorifie de la croix du Christ, on ne cherche pas à plaire en vue d’avantages naturels, car on ne craint pas les persécutions des hommes charnels, qu’a endurées le premier jusqu’à mourir sur la croix, Celui qui a voulu donner par là un grand exemple à ses disciples. 63. La créature nouvelle v. — « La circoncision n’est rien, ni l’incirconcision. » C’est toujours la même indifférence où l’on doit être relativement à cette pratique. On ne doit donc pas croire qu’il y a eu dissimulation dans l’Apôtre lorsqu’il a fait circoncire Timothée, ni qu’il y en aurait si pour ce motif il consentait à laisser circoncire quelqu’un encore. Ce n’est pas la circoncision en elle-même, c’est l’espoir qu’on y met pour le salut, qui nuit aux croyants. On voit en effet, dans les Actes des Apôtres, des Juifs pousser à la circoncision en prétendant que sans ce moyen les Gentils devenus chrétiens ne pouvaient parvenir au salut w. Ainsi ce n’est pas dans l’acte en lui-même, c’est dans ferreur qu’on on y attache, que l’Apôtre voit du danger. « La circoncision n’est rien, ni l’incirconcision, mais la créature nouvelle. » Nouvelle créature désigne ici la vie nouvelle que donne la foi en Jésus-Christ. Cette expression est à remarquer ; car il serait difficile de voir désigner sous ce nom de créature ceux-mêmes qui par la fois ont déjà devenus les enfants adoptifs de Dieu. Cependant l’Apôtre dit également ailleurs : « Si donc quelqu’un est uni à Jésus-Christ, il est une créature nouvelle ; les choses anciennes ont passé : voilà que tout est devenu nouveau, et ce tout vient de Dieu x. » Mais quand il écrit : « Et la créature elle-même sera affranchie de la servitude de la corruption » en ajoutant ensuite : « Non seulement elle, mais c nous aussi, qui avons les prémices de l’Esprit y » saint Paul distingue les fidèles de ce qu’il appelle la créature. C’est ainsi que tantôt il dit qu’ils sont des hommes et tantôt qu’ils n’en sont pas. N’est-il pas vrai que par manière de reproche il dit, quelque part aux Corinthiens qu’ils sont des nommes ? Voici ses paroles : « N’êtes-vous pas des hommes et ne vous conduisez-vous pas en hommes z ? » C’est ainsi encore qu’il dit de Notre-Seigneur ressuscité qu’il n’est pas un homme ; car nous avons lu, dès le commencement de cette Épître : « Non de la part des hommes, ni par l’intermédiaire d’un homme, mais par Jésus-Christ aa » ailleurs pourtant, qu’il est un homme, comme dans ce passage : « Il n’y a qu’un seul Dieu, ni qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme ab. »« Quant à tous ceux qui suivent cette règle, pax et miséricorde sur eux, ainsi que sur l’Israël de Dieu » c’est-à-dire sur ceux qui se préparent véritablement à voir Dieu, et non sur ceux qui portent ce nom d’Israël sans chercher à voir le Seigneur, aveuglés qu’ils sont par la chair quand, rejetant sa grâce, ils 'aspirent à rester des esclaves dans le temps. 64. Stigmates de saint Paul ac. — Au reste, « que personne ne me fasse de la peine. » Il ne veut pas qu’on le fatigue par des contestations turbulentes à propos d’une question suffisamment éclaircie dans cette Épître et dans l’Épitre aux Romains. « Car, je porte sur mon corps les stigmates de Jésus-Christ notre Seigneur » en d’autres termes, j’ai avec ma chair d’autres conflits et d’autres luttes ; elles s’élèvent contre moi durant les persécutions auxquelles je suis en butte. Les stigmates sont des traces de châtiments infligés à des esclaves. L’un d’eux, par exemple, a-t-il été mis aux fers ou condamné à d’autres peines semblables pour un manquement ou pour une faute ? il porte des stigmates ; aussi a-t-il moins de droit à être mis en liberté. L’Apôtre donc appelle stigmates ce qui était comme la marque des persécutions qu’il endurait. Il les regardait comme le châtiment qu’il méritait pour avoir persécuté les Églises du Christ. Aussi le Seigneur lui-même avait-il dit à Ananie, au moment où celui-ci le redoutait comme un persécuteur des chrétiens : « Je lui montrerai ce qu’il faut qu’il souffre pour mon nom ad. » Toutefois, comme il avait reçu dans le baptême la rémission de tous ses péchés, toutes ces persécutions, loin de lui nuire, préparaient pour lui la couronne de la victoire. 65. Signature de l’Épître ae. — La conclusion de cette Épître est aussi claire que le serait une signature ; aussi l’emploie-t-il également dans quelques-unes de ses autres lettres : « La grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit avec votre esprit, mes frères. Amen. » Traduction de M. l’abbé RAULX.SERMON CLXIV. LE DOUBLE FARDEAU af.
ANALYSE. – Chacun doit, conformément à la doctrine de saint Paul, porter son propre fardeau et porter aussi le fardeau de ses frères. I. Le fardeau propre que chacun porte est le fardeau de ses péchés : lourd et accablant fardeau qu’il faut nous empresser de secouer pour porter à la place le doux et consolant fardeau de Jésus-Christ. – II. Quant au fardeau de nos frères, nous devons le porter doublement : dans l’ordre physique et dans l’ordre moral. Dans l’ordre physique, en partageant nos biens avec les indigents ; si nous leur aidons ainsi à porter le fardeau de leur pauvreté, ils nous aident de leur côté à porter le fardeau plus lourd peut-être de la richesse. Dans l’ordre moral, nous devons supporter tes défauts de nos frères, sans nous séparer d’eux, comme font les Donatistes, tant de fois convaincus d’erreur et toujours opiniâtres à y demeurer. Opposons à leur orgueil et à leur respect humain une charité compatissante. 1. La vérité même nous invite tous, par le ministère de l’Apôtre, à porter mutuellement nos fardeaux, et tout en nous invitant à porter les fardeaux les uns des autres, elle montre ce que nous gagnerons à le faire, car elle ajoute : « Vous accomplirez ainsi la loi du Christ », laquelle ne serait donc pas accomplie, si nous ne supportions nos fardeaux réciproquement. Quels sont ces fardeaux, et comment devons-nous les supporter ? C’est ce que je vais tâcher de faire comprendre, avec l’assistance du Seigneur, puisque nous sommes tous obligés d’accomplir, autant que nous le pouvons, la loi du Christ. Ayez soin d’exiger ce que je me propose de vous faire voir ; mais aussi ne réclamez plus rien quand je me serai acquitté de ma dette. Ce que je me propose donc, pourvu que le Seigneur seconde mes désirs et exauce les prières que vous lui offrez pour moi, c’est de vous montrer quels sont les fardeaux que l’Apôtre nous ordonne de porter et comment nous les devons porter. En accomplissant ce devoir, nous jouirons naturellement de l’avantage promis par cet Apôtre, celui d’observer complètement la loi du Christ. 2. Il faut donc, me dira quelqu’un, que le texte sacré ne soit pas clair, pour que tu essaies de montrer et quels sont ces fardeaux et de quelle manière nous devons les supporter ? – C’est qu’ici nous sommes obligés de distinguer plusieurs espèces de fardeaux. Tu lis en effet, dans le passage même que nous expliquons : « Chacun portera son propre fardeau ». N’êtes-vous pas alors pressés de vous dire : « Si chacun, selon l’Apôtre, doit porter son propre fardeau », comment, selon lui encore, « devons-nous porter les fardeaux les uns des autres ? » Pour ne pas mettre saint Paul en contradiction avec lui-même, il faut évidemment voir ici plusieurs sortes de fardeaux ; car ces deux assertions différentes que chacun doit porter son fardeau personnel, et que tous nous devons nous prêter à porter nos fardeaux réciproquement, ne sont pas éloignées l’une de l’autre ; elles sont dans la même épître, dans le même passage, si rapprochées enfin qu’elles se touchent. 3. Autre est donc l’obligation de porter notre fardeau particulier, sans pouvoir être aidé ni pouvoir nous décharger sur personne ; et autre l’obligation qui te fait dire à ton frère : Je vais porter avec toi, ou même : Je vais porter à ta place. Mais dès qu’il faut distinguer, tous ne sauraient comprendre aisément. Il y avait des hommes qui croyaient qu’on peut être souillé par les péchés d’autrui : « Chacun, leur répond l’Apôtre, portera son propre fardeau ». Il y en avait aussi qui une fois certains de n’être pas coupables des péchés d’autrui, pouvaient par négligence ne s’occuper plus de reprendre le prochain : « Portez les fardeaux les uns des autres », leur crie saint Paul. L’Apôtre s’exprime et établit la distinction en peu de mots ; cette brièveté, pourtant, ne paraît pas nuire à la clarté. Quelques mots en effet nous ont suffi pour comprendre la vérité. Je n’ai pas lu dans vos cœurs, mais j’ai entendu les témoignages qui viennent de s’en échapper. Maintenant donc que nous sommes sûrs d’être saisis, étendons-nous un peu plus, non pour vous faire voir ce que vous voyez, mais pour vous en pénétrer davantage. 4. Les péchés sont les fardeaux personnels dont chacun est chargé. À ceux qui gémissent et qui s’épuisent inutilement sous ce poids abominable, le Seigneur crie : « Venez à moi, vous tous qui gémissez et qui êtes accablés, et je vous soulagerai ». Comment peut-il soulager ceux qui portent la charge de leurs péchés, si ce n’est eu leur en accordant le pardon ? Ne semble-t-il pas que du haut de son incomparable autorité, le Docteur de l’univers s’écrie : Écoute, humanité ; écoutez, fils d’Adam ; écoutez, vous tous qui travaillez en vain ? Je suis témoin de vos travaux ; considérez mes largesses. Je sais que vous souffrez et que vous êtes accablés ; ce qu’il y a de plus malheureux, c’est que vous attachez à vos épaules ces charges qui vous tuent : ce qu’il y a même de pire encore, c’est qu’au lieu d’alléger, vous ne cherchez qu’à appesantir vos fardeaux. 5. Qui d’entre nous pourrait donner, en quelques instants, une idée de tant de fardeaux, avec leurs variétés multiples ? Rappelons cependant quelques traits ; ils nous permettront de juger du reste. Voici un homme courbé sous le poids de l’avarice ; il sue, il respire avec peine, il a une soif ardente et tous ses travaux ne font qu’ajouter au fardeau qui l’accable. Qu’attends-tu, ô avare, en embrassant ce fardeau et en te l’attachant aux épaules par les chaînes de la cupidité ? Qu’attends-tu ? Pourquoi te fatiguer ? A quoi aspires-tu ? Quel est l’objet de tes désirs ? Tu veux satisfaire ton avarice. Vœux superflus ! coupables tentatives ! Tu veux satisfaire ton avarice ? L’avarice peut bien te pousser, mais tu ne peux la satisfaire. N’est-ce pas un joug pesant, et sous ce poids énorme la sensibilité serait-elle déjà éteinte en toi jusqu’à ce point ? L’avarice ne pèse pas sur toi ? Pourquoi donc te réveille-t-elle ? Pourquoi même t’empêche-t-elle de dormir ? Il serait possible encore que l’avarice fût accompagnée dans ton cœur d’une autre passion, celle de la paresse : mais ce sont deux bourreaux ennemis entre eux qui te poursuivent et te déchirent ; car leurs ordres ne sont pas les mêmes, leurs prescriptions ne se ressemblent pas. Dors, dit la paresse ; lève-toi, dit l’avarice. Ne t’expose pas au froid de ce temps, dit l’une ; ne redoute pas même les tempêtes de l’Océan, dit l’autre. La première dit : Repose-toi ; la seconde ne le permet pas, elle veut que tu marches, elle crie : Traverse les mers, cherche des pays inconnus, transporte tes marchandises jusque dans les Indes ; tu ne connais pas la langue des Indiens, mais l’avarice se fait comprendre partout. Tu rencontreras un inconnu pour qui tu es inconnu toi-même ; tu lui donnes et il te donne, tu achètes et tu emportes. Tu es arrivé jusque-là au milieu des dangers, au milieu des dangers encore tu en reviens, et quand les flots de la tempête te secouent, tu t’écries : Sauvez-moi, Seigneur. Ne l’entends-tu pas répondre : Pourquoi ? Est-ce moi qui t’ai envoyé ? C’est l’avarice qui t’a commandé d’aller chercher ce que tu n’avais pas ; tandis que je te commandais de donner, sans fatigue, ce que tu avais, au pauvre qui mendie à ta porte. Elle t’a envoyé aux Indes pour en rapporter de l’or ; moi, j’ai placé le Christ à ta porte, afin que tu puises lui acheter le royaume des cieux. Que de fatigues pour obéir à l’avarice ! et il n’y en a point pour m’obéir ! Deux voix se sont fait entendre, tu n’as pas écouté la mienne : te sauve donc le maître à qui tu as obéi. 6. Combien, hélas ! sont chargés de tels fardeaux ! Combien même qui soupirent ici sous ce faix, pendant que je m’élève contre ce poids énorme ! Ils étaient sous le joug en entrant, ils y sont en sortant ; avares ils sont entrés et ils sortent avares. Je me fatigue à parler contre ces passions ; ah ! jetez ces fardeaux, puisque vous applaudissez. D’ailleurs, ne m’écoutez pas, moi, mais écoutez votre Chef ; c’est lui qui crie : « Venez à moi, vous tous qui êtes chargés et accablés ». Car vous ne sauriez venir sans cesser de l’être. Vous voudriez courir jusqu’à moi ; mais la pesanteur du joug ne vous le permet pas. « Venez à moi, vous tous qui êtes chargés et accablés, et je vous soulagerai ». Je vous pardonnerai les péchés passés, j’ôterai ce qui vous couvrait les yeux, je guérirai les meurtrissures de vos épaules. Mais en vous déchargeant, je n’oublierai pas de vous charger ; je vous ôterai les fardeaux qui accablent et je les remplacerai par les fardeaux qui soulagent. – Effectivement, après ces mots : « Et je vous soulagerai », le Sauveur a ajouté ceux-ci : « Enlevez sur vous mon joug ». Tu étais sous le joug d’une funeste cupidité, passe sous celui de l’heureuse charité. 7. « Enlevez sur vous mon joug, et apprenez de moi ». Si vous n’avez plus de confiance dans l’enseignement des hommes, « apprenez de moi ». C’est le Christ, c’est le Maître, c’est le Fils unique de Dieu, c’est le seul Docteur infaillible, le Docteur véritable, la Vérité même qui crie : « Apprenez de moi ». Quoi ? Qu’au commencement était le Verbe, que le Verbe était en Dieu, que le Verbe était Dieu, et que tolet a été fait par lui ag ? Pourrons-nous apprendre jamais de lui à construire le monde, à remplir le ciel de flambeaux, à régler les alternatives du jour et de la nuit, à présider au cours du temps et des siècles, à donner la vie aux semences et à peupler la terre d’animaux ? Ce n’est rien de semblable que veut nous enseigner le Maître céleste ; car c’est comme Dieu qu’il fait tout cela. Ce Dieu néanmoins ayant daigné se faire homme, si ce qu’il fait comme Dieu doit te ranimer, tu dois imiter ce qu’il fait comme homme. « Apprenez de moi », dit-il, non pas à créer le morde ou des natures nouvelles ; non pas même à faire ce que j’ai fait visiblement comme homme et invisiblement comme Dieu ; non pas à chasser la fièvre du corps des malades, à mettre les démons en fuite, à ressusciter les morts, à commander aux vents et aux vagues, à marcher sur les eaux ; non, n’apprenez pas cela de moi. Il est en effet des chrétiens à qui le Sauveur a donné ces pouvoirs, et il en est à qui il les a refusés. Mais ces mots : « Apprenez de moi », sont adressés à tous, et personne ne saurait se soustraire à cette obligation : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur ». Pourquoi hésiter d’enlever ce fardeau ? Est-ce une charge accablante d’être doux et pieux ? Est-ce une charge accablante d’avoir la foi, l’espérance et la charité ? Car ce sont ces vertus qui rendent humble et doux. Assure-toi qu’en l’écoutant tu ne seras pas écrasé : « Mon joug est doux, dit-il en effet, et mon fardeau léger ah ». Que signifie ici léger ? – Ne faut-il pas entendre que son joug est moins pesant, que l’avarice pèse plus que la justice ? Je ne veux pas de ce sens. Ce fardeau n’est pas un poids qui charge, ce sont des ailes qui soulèvent. Les ailes de l’oiseau ne sont-elles pas aussi un fardeau ? Et que dire de ces ailes ? Si l’oiseau les porte, elles le portent aussi. Il les porte à terre et elles le portent au ciel. Serait-ce avoir pitié de l’oiseau, surtout en été, que de dire : Ce pauvre petit est chargé du poids de ses ailes, je vais l’en décharger ? En voulant le secourir, ne l’as-tu pas condamné à rester à terre ? Reçois donc ces ailes de la charité, porte ces ailes qui t’assureront la paix. Voilà le fardeau du Christ, ainsi s’accomplit sa loi. 8. Nous avons distingué plusieurs sortes de fardeaux. Supposons donc un avare qui entre ici, et que je ne connais pas. Tu le connais, toi, il est ton voisin, mais tu n’es pas avare comme lui ; tu es même compatissant, tu donnes au pauvre de ce que tu as, sans soupirer après ce que tu n’as pas. Tu prêtes l’oreille à ces mots de l’Apôtre : « Prescris aux riches de ce siècle de ne pas s’élever avec orgueil et de ne pas espérer en des richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant, qui nous donne tout avec abondance pour en jouir ; qu’ils soient riches en bonnes œuvres, qu’ils donnent aisément, « qu’ils partagent et qu’ils se fassent un trésor qui soit pour l’avenir un solide appui, afin de parvenir à la vie éternelle ai ». Tu as écouté cette recommandation, tu l’as appréciée, apprise, retenue, pratiquée. Continué, continue sans te relâcher, sans cesser. « Qui persévérera jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé aj ». As-tu fait du bien à un homme, à un homme qui est un ingrat ? Ne t’en repens pas.: ce repentir te ferait perdre ce que tu as gagné par ta bonté ; dis plutôt dans ton cœur : Si je ne suis pas remarqué de celui à qui j’ai fait du bien, je le suis de Celui pour qui je l’ai fait ; si cet homme le remarquait, s’il n’était pas un ingrat, sa reconnaissance lui profiterait plus qu’à moi ; pour moi je veux m’attacher à Dieu, qui n’ignore aucune de mes œuvres, aucun même des sentiments de mon cœur ; c’est de lui que j’attendrai ma récompense, mes actions n’ont besoin de lui être attestées par personne. Je suppose donc que tu es ce que je viens de dire et que dans l’assemblée du peuple de Dieu tu as pour voisin un avare, un ravisseur, un homme qui convoite le bien d’autrui. Ce malheureux est fidèle, ou plutôt il en a le nom ; tu le connais, mais tu ne peux le chasser de l’église, tu n’as aucun moyen de l’amender, ni châtiment ni reproche ; il va même avec toi s’approcher de l’autel ; ne crains rien : « Chacun portera son propre fardeau ». Rappelle-toi, pour être en sûreté à l’autel, ces paroles de l’Apôtre : « Chacun portera son propre fardeau ». Pourvu seulement qu’il ne t’invite pas à porter le sien avec lui ; car en partageant son avarice, tu n’allégerais pas le faix ; vous en seriez accablés tous deux. À lui donc sa charge, à toi la tienne. Dieu en effet n’ôte jamais un fardeau que pour en rendre un autre ; il n’ôte le joug de la cupidité que pour rendre celui de la charité ; et chacun doit porter le joug que méritent ses dispositions : le méchant, un joug qui écrase ; le bon, un joug qui soulève. 9. Remarque encore maintenant cette recommandation : « Portez mutuellement vos fardeaux ». Dès que tu portes le joug du Christ, tu peux aider ton frère à porter son fardeau personnel. Il est pauvre, et tu es riche ; la pauvreté est son fardeau, tu n’as pas celui-là. Ah ! prends garde, s’il t’implore, de lui répondre : « Chacun portera son propre fardeau ». Rappelle-toi ici cet autre précepte : « Portez vos fardeaux réciproquement ». La pauvreté n’est pas ton fardeau, elle est celui de ton frère ; mais l’opulence ne serait-elle pas pour toi un fardeau plus lourd ? Tu n’as point le fardeau de la pauvreté, mais tu as le fardeau des richesses. Oui, si tu y regardes bien, les richesses sont un fardeau. Lui a le sien, et toi le tien. Porte avec lui, à son tour qu’il porte avec toi ; ainsi vous porterez réciproquement vos fardeaux. En quoi consiste le fardeau de la pauvreté ? À ne rien avoir. Et le fardeau des richesses ? À avoir plus qu’il ne faut. S’il est chargé, tu l’es aussi. Porte avec lui l’indigence, et qu’il porte l’opulence avec toi ; ainsi vos charges s’équilibreront. En lui donnant, tu allèges son fardeau, qui est de ne rien avoir ; puisqu’il commence à avoir en recevant de toi, tu diminues évidemment sa charge ; il diminue aussi la tienne, qui consiste à trop avoir. Vous marchez l’un et l’autre dans la voie de Dieu, pendant le pèlerinage de celte vie. Tu es chargé, toi, d’un bagage magnifique, superflu ; il est, lui, sans bagages ; il s’approche avec le désir de t’accompagner ; ne dédaigne pas son offre, ne le repousse pas, ne le laisse pas. Ne sens-tu pas combien tu es chargé ? Lui ne porte rien, il n’a rien, donne-lui quelque chose, ainsi tu aideras ce compagnon de voyage, en te soulageant toi-même. Voilà, je pense, assez d’explications sur cette pensée de saint Paul. 10. Ne vous laissez donc pas éblouir par ces hommes qui répètent : Nous sommes des saints, nous ne – nous chargeons pas de vos fardeaux, et c’est pour cela que nous ne communiquons pas avec vous. Ces grands saints portent cependant d’énormes fardeaux de division, fardeaux de morcellement, fardeaux de schisme, fardeaux d’hérésie, fardeaux de dissensions, fardeaux de rancune, fardeaux de faux témoignages, fardeaux d’accusations calomnieuses. Nous avons essayé et nous essayons encore d’ôter à nos frères ces lourds fardeaux ; mais ils y tiennent ; ils croiraient s’amoindrir en se séparant de ces volumes avec lesquels ils croient avoir grandi. Ne semble-t-il pas qu’on se rapetisse en quittant un fardeau que l’on portait sur la tête ? Mais c’est le poids qui diminue et non la taille. 11. Pour moi, dis-tu, je ne me mêle pas aux péchés d’autrui. – T’ai-je donc dit, Viens, partage les péchés d’autrui ? Je ne te dis pas cela ; je sais ce que recommande l’Apôtre, et voici ce que je dis : Ces péchés d’autrui fussent-ils réels et ne fussent-ils pas plutôt tes propres péchés, tu ne devrais pas, pour ce motif, quitter le troupeau de Dieu, où les boucs sont mêlés aux brebis ; sortir de l’aire royale, où la paille se foule avec le bon grain ; ni déchirer les filets du divin Pêcheur, tant qu’on traîne vers le rivage les poissons bons et mauvais qu’ils renferment. – Et comment souffrir celui que je sais mauvais ? – Ne vaudrait-il pas mieux le souffrir que de sortir toi-même ? Pour le souffrir, il te suffirait de remarquer ces paroles de l’Apôtre : « Chacun portera son propre fardeau » ; cette pensée serait ta sauvegarde. D’ailleurs tu partagerais avec lui, non pas l’avarice, mais la table du Christ ; et que perdrais-tu à partager cette table avec lui ? L’Apôtre ne dit-il pas : « Celui qui mange et boit indignement, mange et boit sa propre condamnation ak ? » La sienne et non la tienne. Cependant, si tu es son juge, si tu as reçu le pouvoir de le juger d’après les règles canoniques, si on l’accuse devant toi et qu’il soit convaincu par des preuves et des témoignages dignes de foi, dans ce cas corrige-le, reprends-le, excommunie-le même et le dégrade ; la tolérance ne doit pas laisser dormir la discipline. 12. Mais, réplique-t-on, Cécilien a été condamné. Condamné ? Par qui ? Il l’a été d’abord en son absence ; ensuite, tout innocent qu’il était, par les vrais traditeurs, comme il a été dit, inséré dans les Actes et prouvé. Vainement ont-ils essayé d’affaiblir la force de la vérité et d’en voiler l’éclat, autant qu’ils l’ont pu, en élevant devant elle les vains nuages de persécutions imaginaires. Le Seigneur a été avec nous et les rayons de la vérité ont dissipé ces vaines ombres. Voyez même comment, sans le savoir, ils ont justifié l’Église universelle, cette Église dont nous sommes si heureux, quels que nous soyons, de partager la communion. Ce n’est pas notre cause que nous défendons, mais la sienne que nous soutenons, que nous faisons triompher, lorsque nous défendons l’aire du Seigneur, lorsque nous prêchons pour elle. Que t’importe ce que je suis sur cette aire sacrée ? J’attends le grand Vanneur al. Ne t’inquiète donc pas de cela ; si cependant tu veux le savoir, examine-le en paix afin de pouvoir guérir ton frère. Prends soin de la paille, si tu peux ; mais si tu ne peux en tirer parti, ne laisse pas là le froment, pour ce motif. Il arrive parfois que des pailles soient emportées de dessus l’aire ; des grains mêmes la quittent aussi, mais ils ne vont pas loin ; car il y a de bons ouvriers qui circulent incessamment autour de cette aire sainte et qui y font rentrer avec les instruments qui la nettoient, et en agissant avec une certaine violence, les grains qui en sont sortis. Ces instruments sont les lois de l’empire. Ramène, ramène ce froment, dût-il être mêlé à un peu de terre ; la présence de cette terre ne doit pas être cause qu’il se perde. Cécilien a été condamné, disent-ils. Oui, absent, il a été condamné une fois, et présent, justifié trois fois. C’est ce que nous leur avons répondu ; nous avons même, autant qu’il nous a été possible, adressé à ces hommes opiniâtres une leçon tirée de leur propre conduite ; nous leur avons dit : Pourquoi citer contre Cécilien un synode de soixante-dix évêques, puisque ces évêques n’ont condamné qu’un absent ? Les Maximianistes assemblés ont rendu plusieurs sieurs sentences contre Primien absent, et nous avons dit aux Donatistes : Ceux-là ont condamné Cécilien en son absence ; ceux-ci en son absence, ont condamné Primien. Si donc le jugement prononcé contre Primien absent ne prouve rien contre lui ; quelle valeur pourrait avoir ce qui s’est fait contre Cécilien en son absence ? 13. Ainsi pressés par nous, qu’ont-ils répondu, pensez-vous ? Eh ! que pouvaient-ils répondre ? Comment pouvaient-ils s’échapper de ce filet où les enveloppait la vérité même ? Toutefois, en s’agitant violemment pour le rompre, ils ont exprimé en peu de mots une pensée toute concluante en notre faveur. Ils ont fait entendre beaucoup d’autres réponses qui presque toutes étaient pour notre cause, ainsi que s’en assurera votre charité en lisant les Actes de la Conférence qui paraîtront bientôt ; mais il en est une que je vous prie, que je vous conjure, au nom du Christ, de retenir, de répéter avec soin, d’avoir toujours à la bouche ; car il était impossible de nous justifier d’une manière plus précise, plus solide et plus claire. Quelle est donc cette réponse ? Nous leur faisions l’objection suivante La sentence rendue contre Cécilien ne prouve pas plus contre lui que la sentence rendue contre Primien. Ce fut alors que leur défenseur s’écria : « Une cause ne fait rien à une autre cause, ni une personne à une autre personne ▼▼Voir S. Aug. lett. CLXI, n. 6, t. 2 p. 328
». Quelle réponse, aussi courte que vraie et solide ! Cet avocat ne savait ce qu’il disait ; et quand il s’écria : « Une cause ne fait rien à une autre cause, ni une personne à une autre personne », il était comme Caïphe, qui prophétisa parce qu’il était pontife an. Or, si une cause ne fait rien à une autre cause, ni une personne à une autre personne, il s’ensuit que chacun porte son propre fardeau. Qu’on vienne donc maintenant, qu’on` vienne encore t’opposer Cécilien ; qu’on vienne l’opposer, non pas à un homme quel qu’il soit, mais à l’univers entier : n’est-ce pas opposer un innocent à des innocents ? Les Actes le démontreront avec la dernière évidence, car Cécilien a été complètement justifié. Suppose néanmoins qu’il ne l’ait pas été, suppose que sa culpabilité ait été constatée, l’univers entier rie répète-t-il pas avec toi ces paroles : « Une cause ne fait rien à une cause, ni une personne à une autre personne ? » O hérétique, ô incorrigible, ô cœur aigri, pourquoi accuser ton juge, quand tu te condamnes toi-même ? Si je, l’ai corrompu et amené à prononcer en ma faveur ; qui t’a corrompu, toi, et amené à te condamner ? 14. Si seulement ils faisaient un jour ces réflexions, s’ils les faisaient au moins plus tard et quand leurs cœurs aigris se seront désenflés ! s’ils rentraient en eux-mêmes, s’ils s’examinaient, s’ils s’interrogeaient et se répondaient sérieusement, si dans l’intérêt de la vérité ils ne redoutaient point les malheureux à qui ils ont vendu pendant si longtemps le mensonge ! Car ils craignent de les offenser ; ils ont peur de la faiblesse humaine et ils n’ont pas peur de l’invincible vérité. Ce qu’ils redoutent, c’est qu’on ne leur dise : Pourquoi donc nous avez-vous trompés ? Pourquoi nous avez-vous séduits ? Pourquoi nous avoir enseigné tant de funestes erreurs ? Avec quelque crainte de Dieu ils devraient répondre : S’égarer était une faiblesse humaine, demeurer dans l’erreur par animosité serait une méchanceté diabolique. Il vaudrait mieux ne nous être jamais égarés ; faisons au moins ce qui est bon encore, c’est de revenir de notre égarement. Nous vous avons trompés, parce que nous l’étions nous-mêmes ; nous vous avons enseigné l’erreur, parce que nous avions confiance à ceux qui nous l’avaient enseignée. Qu’ils disent à leurs partisans : Nous avons erré ensemble, revenons ensemble de l’erreur. Nous vous guidions vers le précipice et vous nous y suiviez ; c’est maintenant qu’il faut nous suivre, puisque nous vous conduisons vers l’Église. Voilà ce qu’ils pourraient dire. On les entendrait sans doute avec indignation et avec colère ; mais on finirait par se calmer et par se réconcilier, plus tard au moins, avec l’unité. 15. En attendant, mes frères, soyons patients à leur égard. Ils ont l’œil enflammé et enflé ne renonçons pas à les guérir ; gardons-nous avec soin de les aigrir davantage par des paroles de mépris ; expliquons-leur nos raisons avec douceur sans triompher orgueilleusement de la victoire. « Il ne faut pas qu’un serviteur de Dieu dispute, dit saint Paul, mais qu’il soit doux envers tous, capable d’enseigner, patient, reprenant modestement ceux qui pensent autrement que lui ; dans l’espoir que Dieu leur donnera l’esprit de pénitence et qu’ils se dégageront des filets du diable qui les tient captifs sous sa volonté ao ». Ainsi donc supportez-les patiemment, si vous n’êtes pas malades ; supportez-les avec une patience proportionnée à votre santé. Qui jouit ici d’une santé parfaite ? Lorsque le Roi juste siégera sur son trône, qui se vantera d’avoir le cœur pur ? qui se vantera d’être sans péché ap ? » Puisque nous avons tant d’infirmités encore, notre devoir n’est-il donc pas de supporter mutuellement nos fardeaux ? Tournons-nous avec un cœur pur, etc.
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