kId 7,9
akJn 2, 29
anPsa 82, 17-18
ciIbid
cvPsa 52, 14-15
cxSir 2, 14
daSir 6, 36, 37
 

‏ John 1:32-34

CINQUANTE-SEPTIÈME SERMON. SUR SAINT JEAN-BAPTISTE.

ANALYSE. —1. Jésus-Christ supérieur à saint Jean, inférieur à son Père, comme homme, et égal à son Père comme Dieu. —2. Jésus-Christ véritablement égal à son Père. —3. Jésus-Christ, comme homme, est inférieur à son Père, mais reste supérieur à tous les hommes.

1. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu a ». De quel homme le Seigneur a-t-il permis que l’on pût dire : « Toutes choses ont été faites par lui ? b » Le Verbe a retenu pour lui la divinité, et il nous a donné la grâce. Nous disons de Jésus-Christ qu’il est homme pour nous, et qu’il est Dieu au-dessus de nous ; il est tout à la fois homme et Dieu. Or, vous avez devant vous deux personnages : saint Jean et Jésus-Christ ; mais Jésus-Christ, qui, extérieurement, ne parait qu’un homme, est infiniment plus grand que saint Jean, qui a dû s’écrier : « Je ne suis pas digne de délier les cordons de sa chaussure c ». Proclamez donc sa supériorité, et sa supériorité si suréminente, que saint Jean lui est infiniment inférieur, quoiqu’il soit le plus grand de tous les justes. Jésus-Christ est plus grand que la terre et le ciel, plus grand que les anges, plus grand que les vertus, plus grand que les trônes, les puissances et les dominations. D’où lui vient cette supériorité ? De ce que « toutes choses ont été faites par lui, et que rien n’a été fait sans lui d ». En tant que Dieu, il est égal à son Père ; en tant qu’homme, il est inférieur à son Père. N’a-t-il pas dit lui-même : « Moi et mon Père, nous sommes un e ? » ; et aussi : « Mon Père est plus grand que moi f ? » Ces deux propositions semblent se contredire, et pourtant elles sont parfaitement vraies. Que votre cœur ne se révolte pas, car les paroles du Sauveur se concilient parfaitement. « Moi et mon Père nous sommes un » ; ces mots expriment l’égalité « Mon Père est plus grand que moi » ; on ne peut mieux formuler l'inégalité.

2. Sur ces paroles : « Moi et mon Père nous sommes un », écoutez l’Apôtre expliquant dans un seul passage ces deux propositions contradictoires : « Jésus-Christ étant dans la forme de Dieu, a pu se dire, sans injustice, égal à Dieu g » ; car il est Dieu et éternellement engendré de Dieu. L’injustice est le fait d’un usurpateur ; tel fut Adam. Parce qu’il voulut devenir ce qu’il n’était pas, il se trouva déchu de ce qu’il était. Comment a-t-il voulu la rapine ? Il se laissa séduire par le serpent qui lui-même était déchu, pour avoir dit : « Je placerai mon trône vers l’Aquilon, et je serai semblable au Très-Haut h ». Cette pensée fit du premier des anges un démon. Plus tard, il rendit l’homme participant de son orgueil. Lui qui était tombé, se prit de jalousie contre l’homme encore debout et le précipita d’où il était tombé lui-même. Si le démon et l’homme aspiraient à la divinité, c’était donc par rapine. Il n’en fut pas de même de Jésus-Christ, parce qu’il était, par nature, égal à son Père, il l’était de toute éternité, il ne le devint pas et ne le deviendra jamais. En parlant de Lui, on ne saurait dire Il a été, il est et il sera ; le présent seul lui convient : il est. Dire qu’il a été, c’est dire qu’il n’est plus ; et dire qu’il sera, c’est dire qu’il n’est pas encore. C’est à Lui que Moïse adressa cette question : « Quel est votre nom ? Que dirai-je aux enfants d’Israël ? Le Seigneur répondit : Je suis Celui qui suis ; tu diras aux enfants d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous i ». Ce qui est, voilà la vérité, la réalité, ce qui ne peut changer. Or, l’Être par essence appartient au Père, appartient au Fils, appartient au Saint-Esprit. Voilà, mes frères, ce qui est au-dessus de tout et ce qui prouve que le Fils est égal au Père ; de là ces paroles de l’Apôtre : « Ce n’est point par une usurpation de sa part qu’il s’est dit égal au Père ».

3. Nous lisons : « Mon Père est plus grand que moi, mais il s’est anéanti lui-même j ». Voyez, pesez ces paroles : « Il a pris la forme d’esclave ». Quand il s’agit de la forme d’esclave, on se sert du mot : « il prit » ; mais quand il s’agit de la forme de Dieu, au lieu de dire : il prit, le texte porte : « Quoiqu’il fût dans la forme de Dieu, il prit la forme d’esclave, se rendant semblable aux hommes, portant l’extérieur de l’homme ; il s’est humilié, et s’est fait obéissant jusqu’à la mort et à la mort de la croix. Voilà pourquoi Dieu l’a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom k ». En tant qu’il était homme, il a été exalté. Son exaltation fut la conséquence de son humiliation, et en tant qu’il est mort, il est ressuscité. « Il lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom ». Jésus-Christ vint sur la terre, mais sans quitter le ciel ; il ressuscita et monta au ciel, et cependant il n’avait pas quitté le ciel. Vous le regardez comme un homme, ce qu’à Dieu ne plaise. Voici l’homme : « Parmi les enfants des femmes, il n’en fut pas de plus grand ». Écoutez cet homme parlant de sa propre personne : « Je ne suis pas digne de délier les cordons de sa chaussure ». Ne confondez pas ces deux personnages : l’un est Homme-Dieu, l’autre est un homme juste envoyé par Dieu ; l’Homme-Dieu, c’est Jésus-Christ ; l’homme juste, c’est saint Jean ; le premier est la Vérité même, le second n’est que le héraut de la vérité.

QUATRIÈME TRAITÉ.

DEPUIS L’ENDROIT OÙ IL EST ÉCRIT : « ET TEL EST LE TÉMOIGNAGE DE JEAN LORSQUE LES JUIFS ENVOYÈRENT DE JÉRUSALEM DES PRÊTRES » ; JUSQU’À CES PAROLES : « C’EST LUI QUI BAPTISE DANS LE SAINT-ESPRIT ». (Chap 1,19-33.)

Par son Incarnation le Fils de Dieu s’était si profondément abaissé, que les Juifs le méconnurent néanmoins, comme ils attendaient le Messie, et que la vertu de Jean les étonnait, ils envoyèrent des députés à celui-ci pour lui demander qui il était : « Je ne suis pas le Christ ; mais un autre, plus grand que moi, vient après moi c’est l’agneau de Dieu, c’est son Fils ». Ainsi par ses paroles et son baptême Jean-Baptiste a-t-il rempli, pour le premier avènement du Christ, le même rôle qu’Élie pour le second, et fait reconnaître notre Sauveur, malgré les abaissements de son humanité, pour le Messie envoyé de Dieu.

1. Bien souvent votre sainteté l’a entendu dire, et vous le savez parfaitement, Jean-Baptiste a d’autant mieux mérité de devenir l’ami de l’Époux, qu’il a été plus grand parmi les enfants des hommes, et qu’il s’est montré plus humble pour connaître le Sauveur. Il était jaloux, non de son honneur personnel, mais de celui de l’époux ; il recherchait, non sa propre gloire, mais la gloire de son juge, de celui devant qui il marchait comme un héraut pour l’annoncer. Aussi, tandis que les Prophètes, ses prédécesseurs, ont seulement prédit les événements relatifs au Christ, il a eu le privilège de le montrer du doigt. Comme avant sa venue, le Sauveur n’était pas connu de ceux qui refusaient de croire aux Prophètes ; ainsi fut-il méconnu d’eux, même quand il vivait parmi eux. À son premier avènement il s’est fait voir dans un état d’humiliation où il était difficile à reconnaître, d’autant plus difficile qu’il était plus humilié ; aussi les hommes, aveuglés par leur orgueil à cause de ses profonds abaissements, ont crucifié leur Sauveur, et, par là ils se sont préparé en lui un juge qui les condamnera.

2. Mais celui qui d’abord est venu caché parce qu’il est venu humble, ne sera-t-il pas facile à reconnaître quand il viendra plus tard, puisque alors il sera élevé au-dessus de toutes choses ? Vous venez d’entendre dire au Psalmiste : « Dieu viendra manifesté à tous, c’est notre Dieu, et il ne se taira plus ». Il s’est tu, afin d’être jugé. Il ne se taira pas quand il commencera à juger à son tour. Le Psalmiste ne dirait pas : « Il viendra manifesté à tous », si auparavant il n’était venu caché ; aussi pareillement il ne dirait pas « Il ne se taira plus », si d’abord il n’avait gardé le silence. Comment s’est-il tu ? Interroge Isaïe : « Il a été mené à la mort comme une brebis, comme un agneau devant celui qui le tond ; il est demeuré sans voix, il n’a pas ouvert la bouche  l ». Cependant « il viendra manifesté et il ne se taira plus ». Comment sera-t-il « manifesté ? ». La flamme marchera devant lui, et à ses côtés une violente tempête m ». La tempête doit enlever de son aire toute la paille qui s’y trouve maintenant foulée aux pieds. Le feu brûlera ce qu’aura emporté la tempête. Aujourd’hui le Christ se tait. Il se tait comme juge, il ne se tait pas comme docteur. Car si Jésus-Christ se tait tout à fait, à quoi bon les Évangiles ? À quoi bon les accents des Apôtres, les cantiques du Psalmiste, les prédictions des Prophètes ? En tout cela Jésus-Christ ne se tait pas. Aujourd’hui il se tait en ce qu’il ne se venge pas mais il ne se tait pas sous le rapport de notre instruction. Un jour il viendra, il se manifestera pour la vengeance ; il apparaîtra à tous, même à ceux qui ne croient pas en lui. En attendant, comme il était caché aux yeux des hommes, bien qu’il se trouvât au milieu d’eux, il fallait qu’on le méprisât ; car si on ne l’avait pas méprisé, on ne l’aurait pas crucifié ; s’il n’avait pas été crucifié, il n’eût point répandu ce sang au prix duquel il nous a rachetés. Afin de pouvoir donner pour nous cette rançon, il a été crucifié ; pour être crucifié, il a été méprisé ; pour être méprisé, il s’est fait voir dans un état d’humiliation.

3. Cependant, parce qu’il s’est montré dans un corps mortel, comme dans les ombres de la nuit, il a allumé une lampe afin qu’elle aidât à le voir. Cette lampe était Jean, dont je vous ai déjà beaucoup parlé n. Et la leçon de l’Évangile que nous venons d’entendre renferme les paroles de Jean, et d’abord cette importante confession qu’il n’était pas le Christ. Telle était l’excellence de Jean, qu’on aurait pu aisément le prendre pour le Christ, et ç’a été la preuve de son humilité, que pouvant être pris pour le Christ, il a déclaré qu’il ne l’était pas. « Voici donc le témoignage de e Jean, quand les Juifs envoyèrent vers lui, de Jérusalem, des prêtres et des lévites pour lui demander : Qui êtes-vous ? » ce qu’ils n’auraient point fait s’ils n’avaient eu une haute idée de son excellence et de l’autorité qui lui donnait la hardiesse de baptiser. « Et il confessa, et il ne le nia pas ». Que confessa-t-il ? « Et il confessa qu’il n’était pas le Christ ».

4. « Et ils lui demandent : Qui donc es-tu ? « Es-tu Élie ? » Car ils savaient qu’Élie devait précéder le Christ chez les Juifs ; le nom du Christ n’était inconnu de personne. Ils n’ont pas reconnu pour le Christ celui qui l’était véritablement ; mais ils n’ont pas cru que le Christ ne dût jamais venir. Tout en espérant qu’il viendrait, ils n’ont pas laissé de se heurter à sa présence, quand il est venu parmi eux : ils se sont heurtés à ses abaissements comme à une pierre. Quoique petite encore, cette pierre était déjà détachée de la montagne, sans le secours de main d’homme. C’était d’elle que parlait le prophète Daniel quand il disait avoir vu une pierre détachée de la montagne, sans le secours de main d’homme. Mais que dit-il ensuite ? « Et cette pierre vint à grossir, et elle devint une grande montagne, et elle couvrit la surface de la terre o ». Que votre charité remarque ce que je dis : mis en présence des Juifs, le Christ était détaché de la montagne ; cette montagne était leur royaume. Toutefois, le royaume des Juifs ne couvrait pas la surface de la terre. C’est de là qu’a été séparée la pierre, parce que c’est de là qu’est sorti selon la chair Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et pourquoi sans le secours de main d’homme ? Parce qu’une vierge l’a enfanté sans le secours de l’homme. Cette pierre était donc déjà détachée de la montagne sans le secours de main d’homme, puisqu’elle se trouvait placée sous les yeux des Juifs ; mais elle était encore toute petite. En cela, rien d’étonnant ; car elle n’était pas encore devenue grande ; elle n’avait pas encore rempli l’univers. Le Christ l’a fait plus tard avec son royaume qui est l’Église ; car il a couvert la surface de la terre. Comme donc il n’avait pas encore pris tout son développement, les Juifs se sont heurtés à lui comme à une pierre ; et ainsi s’est vérifié en eux ce qui est écrit : « Celui qui tombera sur cette pierre s’y brisera, et ceux sur lesquels elle tombera, elle les écrasera p ». D’abord ils sont tombés sur Jésus-Christ humilié, il viendra tomber sur eux du haut de sa grandeur ; mais pour que sa grandeur les écrasât un jour, il a fallu qu’auparavant son humilité les brisât. Ils se sont heurtés à lui et s’y sont brisés ; il les a non pas broyés, mais brisés ; il viendra dans sa grandeur et il les brisera. Or, les Juifs sont excusables de s’être heurtés à cette pierre car elle était encore petite. Mais qui sont ceux qui se sont heurtés à la montagne elle-même ? Ceux dont je veux vous parler, vous les connaissez. Ceux qui nient l’Église répandue par tout l’univers ; ce n’est pas a la petite pierre qu’ils se heurtent, c’est à la montagne elle-même ; car, en grandissant, cette pierre est devenue une montagne : en raison de leur aveuglement, les Juifs n’ont pas vu la petite pierre ; mais de quelle cécité ne faut-il pas être frappé pour ne pas voir la montagne ?

5. Les Juifs ont donc vu Jésus-Christ dans l’abaissement, et ils ne l’ont pas reconnu. Une lampe le leur montrait ; car d’abord cet homme, le plus grand de ceux qui sont nés de la femme, leur dit : « Je ne suis pas le Christ ». On lui demande ensuite : « Es-tu donc Élie ? » Il répond : « Je ne le suis pas ». Car le Christ devait envoyer Élie devant lui. Cependant il répond : « Je ne le suis pas » ; et par là il soulève une difficulté qu’il nous faut résoudre. Il est à craindre, en effet, que quelques-uns peu avancés dans la connaissance des Écritures ne croient voir une contradiction entre les paroles de Jean et celles de Jésus Christ. Le Sauveur parlant de lui-même dans un autre endroit de l’Évangile, ses disciples lui dirent : « Comment donc les scribes », c’est-à-dire les habiles dans la science de la loi, « disent-ils qu’Élie doit d’abord venir ? » Et le Seigneur leur dit : « Élie est déjà venu et ils l’ont traité comme ils ont voulu ; et si vous le voulez connaître, c’est Jean-Baptiste ». Notre-Seigneur Jésus-Christ répondit : « Élie est déjà venu, c’est Jean-Baptiste ». Cependant, Jean, interrogé, confesse qu’il n’est pas Élie, de la même manière qu’il avait confessé n’être pas le Christ. Et de fait, comme sa confession était véritable quand il reconnaissait n’être pas le Christ, elle ne l’était pas moins quand il reconnaissait n’être pas Élie. Comment accorder ensemble les paroles du juge et les paroles de celui qui l’annonce ? Il s’en faut de tout que le héraut soit un menteur ; car ce qu’il dit, il le dit sous l’inspiration du juge. Pourquoi donc Jean dit-il : « Je ne suis pas Élie », et le Seigneur : « Il est Élie ? » Parce que Notre-Seigneur a voulu par là annoncer figurément son avènement futur, et dire que Jean était venu dans l’esprit d’Élie. Car ce que Jean était pour le premier avènement, Élie le sera pour le second. Comme donc il y aura deux avènements du Juge, ainsi y aura-t-il deux envoyés qui l’annonceront ; le juge sera le même ; il y aura bien deux envoyés différents ; mais il n’y aura pas deux juges. Il fallait d’abord que le juge vint pour être jugé. Il s’est fait précéder d’un premier envoyé, qu’il a appelé Élie, parce qu’Élie sera pour le second avènement ce que Jean a été pour le premier.

6. Que votre charité remarque combien est vrai ce que je dis. Lorsque Jean fut conçu, ou plutôt lorsqu’il vint au monde, le Saint-Esprit fit de lui cette prophétie, qui devait s’accomplir un jour : « Il sera le précurseur du Très-Haut dans l’esprit et la vertu d’Élie q ». Il n’était donc pas Élie ; mais « il devait venir dans l’esprit et la vertu d’Élie ». Qu’est-ce à dire, « dans l’esprit et la vertu d’Élie ? » C’est-à-dire à la place d’Élie et dans le Saint-Esprit comme lui. Pourquoi à la place d’Élie ? Parce qu’au premier avènement Jean a rempli le rôle qu’Élie doit remplir au moment du second. Ainsi, la réponse de Jean est juste, mais au sens propre. Notre-Seigneur avait dit en figure : « Il est Élie ». Mais Jean dit au sens propre, ainsi que je l’ai expliqué : « Je ne suis pas Élie ». Si tu considères sous le rapport figuratif la mission de précurseur, Jean est Élie ; car ce qu’il est pour le premier avènement, Élie le sera pour le second. Mais si tu t’arrêtes à la propriété de la personne, Jean est Jean, Élie est Élie. C’est pourquoi Notre-Seigneur, parlant en figure, a dit avec justesse : « Il est Élie » ; et Jean, parlant selon la propriété des personnes, a dit avec non moins de justesse : « Je ne suis pas Élie ». Ni Jean, ni le Seigneur, ni le précurseur, ni le juge n’ont parlé contre la vérité ; seulement il faut les bien comprendre. Mais qui les comprendra ? Celui qui aura imité l’humilité du précurseur et reconnu la grandeur du juge. Rien, en effet, de plus humble que ce Précurseur. Mes frères, Jean n’a jamais eu de plus grand mérite que celui dont l’humilité a été pour lui la source, eu la circonstance présente : il pouvait, en effet, tromper les hommes et se faire regarder comme le Christ et passer pour lui (tant étaient grandes sa grâce et son excellence !) Cependant il t’a déclaré ouvertement et il l’a dit : « Je ne suis pas le Christ. Es-tu donc Élie ? » S’il avait dit : Je le suis, ç’aurait donc été le second avènement du Christ où il viendra comme juge, et non plus le premier où il est venu afin d’être jugé. Mais comme pour leur dire : Élie doit venir, il répond : « Je ne sus pas Élie ». Remarquez, cependant, qu’il s’agit du Christ humilié, dont Jean a été le précurseur, et non du Christ élevé en gloire que doit précéder Élie. Car voici le complément donné par Notre-Seigneur : « Jean est Élie qui doit venir ». Il est déjà venu pour être en figure ce qu’Élie sera en réalité. Alors Élie sera Élie en personne, maintenant Jean n’est Élie que par ressemblance. En réalité, maintenant Jean est Jean, par similitude il est Élie. Ils étaient tous les deux des précurseurs : chacun d’eux a rempli le même ministère que l’antre, sans perdre toutefois sa personnalité ; mais pour l’un comme pour l’autre, il n’y a eu qu’un seul Seigneur, qu’un seul juge.

7. « Et ils lui demandaient : Qui êtes-vous donc ? Êtes-vous Élie ? et il répondit : non. Et ils lui dirent : Êtes-vous prophète ? et il répondit : non. Ils lui dirent donc : Qui êtes-vous afin que nous donnions réponse à ceux qui nous ont envoyés ? Que dites-vous donc de vous-même ? Il leur répondit : Je suis la voix de celui qui crie dans le désert ». Isaïe l’avait déjà dit r. Cette prophétie s’est accomplie en Jean-Baptiste : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert ». Que crie-t-elle ? « Redressez la voie du Seigneur, rendez droits les sentiers de notre Dieu ». À votre avis n’est-ce pas le rôle d’un héraut de dire : Sortez d’ici ? Le héraut dit : Sortez d’ici, et Jean dit : Venez ; voilà la différence. Jean appelle vers le Sauveur humble pour qu’on n’ait rien à souffrir du juge lorsqu’il viendra dans sa grandeur. « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert ; redressez les voies du Seigneur, comme dit le prophète Isaïe ». Il ne dit pas : Je suis Jean, je suis Élie, je suis un prophète ; mais que dit-il ? Voici mon nom : « La voix de celui qui crie dans le désert, redressez les voies du Seigneur », je suis la prophétie même.

8. « Et ceux qui airaient été envoyés étaient du nombre des Pharisiens », c’est-à-dire des principaux d’entre les Juifs. « Et ils l’interrogèrent et lui dirent : Pourquoi donc baptisez-vous, si vous n’êtes ni le Christ, ni Élie, ni prophète ? » Ce leur semblait être une sorte de témérité que de baptiser, ils lui demandaient : Au nom de qui le fais-tu ? Nous l’avons demandé si tu étais le Christ ; tu nous as répondus que tu ne l’étais pas ; si tu es son précurseur ; car nous savons qu’avant l’avènement du Christ, Élie doit venir. Tu nous as aussi dit que tu n’es pas Élie ; serais-tu par hasard quelque personnage envoyé longtemps avant les précurseurs, c’est-à-dire un prophète qui aurait la puissance de baptiser ? Tu ne te donnes pas non plus comme prophète. En effet, Jean n’était pas prophète, il était plus grand qu’un prophète. C’est le témoignage qu’a rendu de lui Notre-Seigneur. « Qu’êtes-vous allés voir dans le désert ? Un roseau agité par le vent ? » Assurément tu supposes qu’il n’en était pas ainsi de Jean ; car il ne ressemblait en rien à ce que le vent agite. Car être agité du vent, c’est subir de tous côtés le souffle de tout esprit séducteur. « Qu’êtes-vous donc allés voir ? Un homme vêtu avec mollesse ». Or, les vêtements de Jean étaient grossiers : c’était une tunique faite de poils de chameau. « Car ceux qui sont vêtus avec mollesse, c’est dans les palais des rois qu’ils habitent ». Vous n’êtes donc pas allés voir un homme vêtu avec mollesse. « Mais qu’êtes-vous allés voir ? Un prophète. Oui, je vous le dis, il est plus qu’un prophète » s. Car les Prophètes ont annoncé le Christ longtemps avant sa venue, Jean l’a montré pendant qu’il était présent sur la terre.

9. « Pourquoi donc baptises-tu, si tu n’es ni le Christ, ni Élie, ni prophète ? Jean leur répondit : Pour moi, je baptise dans l’eau, mais au milieu de vous demeure celui que vous ne connaissez pas ». Les abaissements du Christ faisaient obstacle à ce qu’on le vît ; c’est pourquoi la lampe a été allumée. Voyez comment il cède la place, lui qui aurait pu se faire passer pour ce qu’il n’était pas. « C’est lui qui est venu après moi, qui a été fait avant moi » ; c’est-à-dire, comme nous l’avons déjà expliqué, qui m’a été préféré. « Et je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses souliers ». Comme il s’est abaissé ! C’est pourquoi il a été grandement élevé parce que celui qui s’abaisse sera exalté t. Votre sainteté doit le comprendre maintenant. Si Jean s’est humilié jusqu’à dire : « Je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses souliers », quel sujet de s’humilier ont ceux qui disent : C’est nous qui baptisons, ce que nous donnons est à nous, ce qui est à nous est saint ! Jean dit : Ce n’est pas moi, c’est lui. Eux disent : c’est nous. Jean se reconnaît indigne de délier les cordons de ses souliers ; s’il avait reconnu en être digue, combien déjà il se serait montré humble ! S’il s’en était déclaré digne et qu’il eût dit : Celui-là est venu après moi, qui a été fait avant moi, je ne suis digne que de délier les cordons de ses souliers, il se serait déjà beaucoup humilié. Mais avouer qu’une telle fonction est bien au-dessus de ses mérites, il n’y a qu’un homme véritablement rempli du Saint-Esprit qui l’ait pu faire, et le serviteur qui a ainsi reconnu son maître a mérité de devenir son ami.

10. « Ceci se passa en Béthanie, au-delà du Jourdain où Jean baptisait. Un autre jour Jean vit Jésus qui venait à lui, et il dit : Voici l’Agneau de Dieu, voilà celui qui enlève les péchés du monde ». Que personne ne s’en fasse accroire et ne dise qu’il enlève lui-même les péchés du monde. Remarquez, dès maintenant, quels orgueilleux Jean désignait du doigt. Les hérétiques n’étaient pas encore nés, et déjà le Précurseur les faisait connaître. Du milieu du fleuve il criait déjà contre ceux contre lesquels il crie dans l’Évangile. Voici venir Jésus, et que dit Jean ? « Voici l’Agneau de Dieu ». Si, pour être agneau il suffit d’être innocent, Jean est agneau. Lui aussi n’est-il pas innocent ? Mais quel innocent est-il ? Et jusqu’à quel point l’est-il ? Tous viennent de cette souche, tous sortent de cette source au sujet de laquelle David chante et gémit ainsi : « Moi j’ai été conçu dans l’iniquité, et ma mère m’a enfanté dans le péché u ». Celui-là seul est donc agneau, qui n’est pas venu en cette manière. En effet, il n’a pas été conçu dans l’iniquité, puisqu’il n’a pas été conçu par le fait d’un mortel ; sa mère ne l’a pas, non plus, enfanté dans le péché, puisqu’une vierge l’a conçu et mis au monde. C’est par la foi qu’elle l’a conçu ; c’est aussi par la foi qu’elle l’a enfanté. Donc, « voici l’agneau de Dieu », celui-là ne tire pas d’Adam son origine. Il ne lui a emprunté que son corps, sans en prendre le péché ; il n’a pas puisé l’iniquité à cette source empoisonnée. C’est pourquoi il enlève notre péché. « Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui ôte le péché du monde ».

11. Certains hommes, vous le savez, disent quelquefois : Nous sommes saints, nous ôtons les Péchés du monde ; car, ajoutent-ils, si celui qui baptise n’est pas saint, comment, étant rempli de péchés, peut-il ôter le péché d’autrui ? À des arguments de cette nature n’opposons pas nos paroles, lisons notre Évangile : « Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui ôte le péché du monde ». Que des hommes ne cherchent pas à l’emporter sur d’autres hommes ; que le passereau ne se retire pas sur la montagne, qu’il se confie au Seigneur v. Et s’il lève les yeux vers les montagnes d’où lui viendra le secours, qu’il reconnaisse que ce secours lui vient du Seigneur, Créateur du ciel et de la terre w. Telle était l’excellence de Jean, qu’on lui dit : Tu es le Christ ? Non, répondit-il. Tu es Élie ? Non. Tu es prophète ? Non. Pourquoi donc baptises-tu ? « Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui ôta le péché du monde. C’est lui de qui j’ai dit : Après moi est venu un homme qui a été mis devant moi, parce qu’il était avant moi. Il est venu après moi », parce que ma naissance a précédé la sienne ; « il a été mis devant moi », parce qu’il m’a été préféré ; « il était avant moi, parce qu’au commencement il était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ».

12. « Pour moi », continue-t-il, « je ne le connaissais pas, mais afin qu’il fût manifesté à Israël, je suis venu baptiser dans l’eau. Et Jean rendit témoignage en disant : J’ai vu le Saint-Esprit descendre du ciel comme une colombe et demeurer sur lui. Cependant je ne le connaissais pas ; mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer est celui qui baptise dans le Saint-Esprit. Je l’ai vu, et j’ai rendu le témoignage qu’il est le Fils de Dieu ». Que votre charité veuille être un peu attentive : À quel moment le précurseur Jean a-t-il connu le Christ ? D’abord il est envoyé pour baptiser dans l’eau ; on lui demande pourquoi il baptise : « Afin », répond-il, « qu’il soit manifesté à Israël ». Quel a été l’utilité du baptême de Jean ? Mes frères, si le baptême de Jean avait été utile, il se donnerait encore, les hommes seraient encore baptisés du baptême de Jean, et ils arriveraient ainsi au baptême de Jésus-Christ. Mais que dit-il ? « Afin qu’il soit manifesté à Israël, c’est-à-dire au peuple d’Israël. C’est donc pour manifester le Christ au peuple d’Israël que Jean est venu baptiser dans l’eau. Jean a reçu la mission de baptiser et de préparer la voie au Seigneur par l’eau de la pénitence, avant l’apparition du Christ ; mais le Sauveur une fois connu, il était inutile de lui préparer la voie, car il s’est fait lui-même la voie de tous ceux qui le connaissent. C’est pourquoi le baptême de Jean n’a pas été de longue durée. Mais dans quel état s’est manifesté le Christ ? Dans un état d’humilité, jusqu’à confier à Jean le baptême que Notre-Seigneur devait recevoir.

13. Mais le Sauveur avait-il besoin d’être baptisé ? Je vous demande à mon tour : Notre-Seigneur avait-il besoin de se faire homme ? d’être crucifié ? de mourir ? d’être mis dans un tombeau ? Puisqu’il s’est ainsi abaissé pour nous, pourquoi donc n’aurait-il pas reçu le baptême ? Et puisqu’il a reçu le baptême de son serviteur, qu’en conclure, sinon que tu ne dois pas dédaigner de recevoir celui de ton maître ? Que votre charité soit attentive. Il devait y avoir plus tard dans l’Église des catéchumènes doués d’une grâce plus parfaite. Ainsi voyez-vous quelquefois un catéchumène s’abstenir de tout commerce charnel, dire adieu au siècle, renoncer à tous ses biens, les distribuer aux pauvres, et quoique simple catéchumène, connaître peut-être mieux la doctrine du salut qu’un grand nombre de fidèles. Il est à craindre pour lui qu’il n’arrive à se dire intérieurement au sujet du saint baptême par lequel les péchés sont remis Que recevrai-je que je n’aie déjà ? Déjà je suis meilleur que tel ou tel fidèle ; ce disant, il pensera à tels et tels fidèles, les uns mariés, les autres peut-être dépourvus d’intelligence, les autres possédant encore leurs biens, tandis que lui-même a déjà distribué les siens aux pauvres. Alors il s’estimera meilleur que ces fidèles déjà baptisés, et il dédaignera de se présenter au baptême. Après tout, se dira-t-il en ayant soin de porter son attention sur ceux dont il fait moins de cas, je ne recevrai que ce que tels et tels ont reçu, et il regardera comme indigne de lui de recevoir ce qu’il sait avoir été reçu par d’antres qu’il juge lui être inférieurs, Cependant, tous ses péchés demeurent sur lui, et à moins qu’il se présente à ce baptême salutaire où les péchés sont remis, il ne peut, même avec toute sa supériorité de mérites, entrer dans le royaume des cieux. Aussi, afin d’attirer à son baptême un homme si supérieur aux autres, et de lui ménager, par ce moyen, le pardon de ses péchés, le Sauveur est-il venu lui-même se faire baptiser par son serviteur : il n’y avait en lui rien à remettre, rien à effacer, et pourtant il a reçu de son serviteur le baptême. Par là il semblait s’adresser à ce fils orgueilleux et superbe qui ne daigne pas recevoir avec les simples ce qui lui procure la grâce du salut. Par là il semblait lui dire : Si étendues que soient tes prétentions, si haut que monte ton orgueil, quels que soient ton excellence et tes mérites, peuvent-ils être plus grands que les miens ? Hé quoi ! je suis venu à mon serviteur, j’ai reçu son baptême et tu dédaignerais de venir à ton maître et d’être baptisé par lui ?

14. Sachez-le bien, mes frères, aucun péché n’obligeait Notre-Seigneur à venir vers Jean ; les autres Évangélistes nous apprennent que le Seigneur arrivant pour être baptisé, Jean lui dit : « Vous venez à moi ? C’est moi qui dois être baptisé par vous ». Et que lui répondit Jésus-Christ ? « Laisse présentement, il faut que toute justice s’accomplisse  x ». Qu’est-ce à dire : « Il faut que toute justice s’accomplisse ? » Je suis venu mourir pour les hommes, n’est-ce pas juste que je sois aussi baptisé pour eux ? Qu’est-ce encore : « Il faut que toute justice s’accomplisse ? » Il faut que je porte à son comble mon humilité. Jean était un bon serviteur, et le Christ n’aurait pas permis à Jean de le baptiser, quand il a permis à de mauvais serviteurs de le faire souffrir et mourir ? Remarquez bien ceci : Puisque Jean baptisait afin que son baptême fît connaître l’humilité du Sauveur, le Christ étant baptisé, personne autre ne devait-il désormais recevoir le baptême de Jean ? Plusieurs ont reçu le baptême de Jean ; mais après que Jésus-Christ l’eut reçu, le baptême cessa aussitôt d’être donné. En effet Jean alors fut mis en prison ; car l’on ne voit pas qu’à partir de ce moment quelqu’un ait été baptisé par lui. La raison d’être du baptême de Jean a été de nous manifester l’humilité de Notre – Seigneur ; et nous devons conclure de là que si le Christ a reçu le baptême de son serviteur, nous ne devons pas dédaigner de recevoir celui de notre maître. Mais puisque telle a été la raison d’être du baptême de Jean, il semble que celui-ci n’aurait dû baptiser que le Sauveur. Toutefois si Jean n’avait baptisé que Jésus-Christ, plusieurs se seraient rencontrés qui auraient regardé le baptême de Jean comme plus saint que celui de Jésus-Christ, sous ce prétexte que Jésus-Christ seul a mérité de recevoir le baptême de Jean, tandis que tous les hommes peuvent prétendre à celui de Jésus-Christ. Que votre charité m’écoute avec attention. Nous avons tous reçu le baptême de Jésus-Christ : en disant cela, j’entends parler non seulement de nous-mêmes, mais encore de l’univers tout entier ; et jusqu’à la fin des siècles c’est ce baptême que l’on recevra. Lequel d’entre nous, n’importe sous quel rapport, peut se comparer à Notre-Seigneur, dont saint Jean a dit qu’il n’était pas digne de dénouer les cordons de ses souliers ? Si donc le Christ, lui si parfait, lui Homme-Dieu, avait été seul à recevoir le baptême de Jean, que n’auraient pas dit les hommes ? Quel baptême a été celui de Jean ! Quel admirable baptême ! Vois : Le Christ seul a mérité de le recevoir. Ainsi le baptême du serviteur aurait dans l’idée générale primé celui du maître. D’autres donc ont reçu le baptême de Jean, afin qu’il ne semblât pas meilleur que celui de Notre-Seigneur, et Notre-Seigneur l’a reçu à son tour, afin qu’ayant consenti humblement à être baptisé par le serviteur, les autres serviteurs ne dédaignassent pas le baptême du maître. Voilà donc pourquoi Jean a été envoyé.

15. Mais Jean connaissait-il Jésus-Christ ou ne le connaissait-il pas ? S’il ne le connaissait pas quand Jésus-Christ vint au bord du Jourdain, pourquoi disait-il : « C’est moi qui dois être baptisé par vous ? » N’était-ce pas dire : Je sais qui vous êtes ? Si donc à ce moment il ne le connaissait pas déjà, assurément il a appris à le connaître quand il a vu la colombe descendre sur lui. Il est certain que la colombe n’est descendue sur le Seigneur qu’après qu’il fut sorti des eaux du Jourdain. Après avoir été baptisé, se Sauveur sortit de l’eau, et alors les cieux s’ouvrirent. Or, Jean vit descendre sur lui la colombe : la colombe n’est descendue qu’après le baptême de Notre-Seigneur. Avant de le baptiser, Jean lui a dit : « Comment venez-vous à moi, c’est à moi d’être baptisé par vous » ; dès lors il savait quel était celui à qui il disait : « Comment venez-vous à moi, c’est à moi d’être baptisé par vous ? » ; Comment donc a-t-il pu dire ensuite : « Pour moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : Celui sur lequel tu verras descendre le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est lui qui baptise dans le Saint-Esprit ». Question importante, mes frères en saisir la difficulté, c’est déjà beaucoup ; daigne le Seigneur nous accorder la grâce de la résoudre. Voici Jean-Baptiste, vous le savez ; il est sur les bords du Jourdain, arrive Notre-Seigneur demandant le baptême qu’il n’a pas encore reçu, Jean va parler : « Comment », s’écrie-t-il, « vous venez à moi, mais c’est à moi d’être baptisé par vous ! » Déjà donc il connaît Notre-Seigneur puisqu’il veut être baptisé par lui. Après avoir été baptisé, Notre-Seigneur sort de l’eau, les cieux s’ouvrent, le Saint-Esprit descend sur lui. Alors Jean apprend à le connaître. Si, alors seulement, il apprend à le connaître, comment a-t-il pu dire quelques instants auparavant : « C’est à moi d’être baptisé par « vous ? » Mais s’il n’apprend pas alors à le connaître parce qu’il le connaissait déjà, comment peut-il s’exprimer ainsi ? « Je ne le connaissais pas ; mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est lui qui baptise dans le Saint-Esprit ».

16. Mes frères, essayer de répondre aujourd’hui à cette question, ce serait, je n’en doute pas, vous fatiguer ; car je vous ai parlé déjà bien longuement. Il faut néanmoins que vous le sachiez ; cette question est si importante lue de sa solution dépend l’anéantissement du parti de Donat. J’en ai entretenu votre charité, afin, selon mon habitude, de vous exciter à être attentifs. Je l’ai fait aussi, afin que vous priiez Dieu pour nous et pour vous ; car nous avons besoin, nous de parler d’une manière digne d’un pareil sujet ; et vous, de nous bien coin prendre. Aujourd’hui permettez-moi de ne point aborder ce sujet. Je vais en attendant vous dire ce petit mot : Interrogez, en esprit de paix, sans animosité, sans contention, sans querelles, loin de toute disposition haineuse, cherchez eu vous-mêmes et demandez aux autres ; dites-leur : Notre évêque nous a proposé aujourd’hui cette question qu’il nous a promis de résoudre avec l’aide de Dieu. Mais que je puisse la résoudre ou que j’en sois incapable, cette difficulté que je vous ai proposée rue préoccupe, je vous l’assure, et me préoccupe beaucoup. Jean dit au Christ, comme s’il le connaissait déjà : « Je dois être baptisé par vous ». S’il ne connaissait pas celui dont il voulait recevoir le baptême, c’était, de sa part, une grande imprudence de lui dire : « C’est à moi d’être baptisé par vous ». Donc il le connaissait. Or, s’il le connaissait, que signifie ce qu’il dit : « Je ne le connaissais pas ; mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est celui-là qui baptise dans le Saint-Esprit ? » Que dirons-nous ? Que nous ne savons pas quand est venue la colombe ? Mais ne laissons pas aux partisans de Donat ce moyen de défense. Lisons le récit des autres Évangélistes qui ont parlé d’une manière plus précise de la descente de la colombe, et nous l’y trouverons clairement marquée au moment où le Seigneur sortit de L’eau. Ce fut, en effet, après le baptême du Sauveur que les cieux s’ouvrirent et que Jean-Baptiste vit descendre le Saint-Esprit y. Si Jean n’a connu Jésus-Christ qu’après son baptême, comment pouvait-il dire au moment où le Sauveur s’approchait de lui, pour en recevoir le baptême : « C’est à moi d’être baptisé par vous ? » Occupez-vous intérieurement de cette difficulté ; jusqu’à notre prochaine réunion conférez-en les uns avec les autres, traitez-la par ensemble. Plaise au Seigneur notre Dieu d’en révéler d’abord la solution à quelqu’un d’entre vous, avant le jour où je dois vous en entretenir. Quoi qu’il en soit, mes frères, la question sera résolue, retenez-le bien : sur la question de la grâce du baptême, les Donatistes jettent de la poussière aux yeux des ignorants, ils tendent des lacets, pour y prendre, comme on prendrait des oiseaux au vol, les esprits inconsidérés. Aujourd’hui ils lèvent la tête ils cesseront de la lever, et nous leur fermerons parfaitement la bouche.

CINQUIÈME TRAITÉ.

LA COLOMBE.

ENCORE SUR CES PAROLES « JE NE LE CONNAISSAIS PAS, ETC. », OU IL EST MARQUÉ CE QUE JEAN À APPRIS DE NOUVEAU TOUCHANT NOTRE SEIGNEUR ET QUI LUI A ÉTÉ ENSEIGNÉ PAR LA COLOMBE. (Chap 1, 33.)

LE BAPTÊME DU CHRIST.

Saint Jean était véridique, puisqu’il a été envoyé par la Vérité même : comment donc, au moment de baptiser le Christ, a-t-il pu dite qu’il devait être lui-même baptisé par le Christ, tandis qu’un peu plus loin il ajoute : « Je ne le connaissais pas ? » Jean baptisait, mais en son propre nom : bien différent est le baptême du Christ ; ceux qui le donnent, le donnent en son nom seul ; car s’il a commandé à ses Apôtres d’administrer le baptême, il s’est réservé le pouvoir de le rendre efficace. Jean savait que le Christ était le Seigneur, mais il ignorait que le baptême du Christ ne porterait pas d’autre nom et n’aurait de vertu que par lui.

Les Donatistes l’ignorent aussi ou feignent de l’ignorer, puisqu’ils réitèrent le baptême conféré par les hérétiques, concluant des défauts du ministre à son invalidité. La colombe a instruit Jean du contraire ; en cela consiste notre foi et notre tranquillité, et s’il a fallu réitérer le baptême de Jean, parce qu’il était celui de Jean, nous savons qu’il ne faut point réitérer celui du Christ, quels qu’en soient les ministres, parce qu’il tire de lui seul toute son efficacité.

1. Puisqu’il a plu à Notre-Seigneur de nous amener au jour marqué pour l’accomplissement de ma promesse, il nous accordera sans doute aussi sa grâce, pour que nous puissions nous acquitter de notre dette. Tout ce que nous vous disons n’est utile ni à vous, ni à nous, qu’autant qu’il vient de lui ; car ce qui vient de l’homme, n’est que mensonge, suivant celte parole de Jésus-Christ Notre-Seigneur : « Celui qui dit des paroles de mensonge, parle du sien ». Personne, en effet, n’a du sien que mensonge et péché. Mais ce que l’homme a de vérité et de justice, il le puise à celte source où nous devons chercher à nous désaltérer dans le désert de cette vie, afin d’y puiser au moins quelques gouttes qui nous rafraîchissent et nous consolent pendant notre pèlerinage, qui nous empêchent de tomber en défaillance dans le chemin et nous conduisent finalement au repos et à la satiété dont il est le principe. « Si donc celui qui dit des paroles de mensonge, parle du sien », celui qui dit la vérité parle d’après Dieu. Jean disait la vérité, et le Christ, c’est la Vérité même ; Jean disait la vérité, mais tout homme qui dit la vérité reçoit de la Vérité même, le don de la dire ; si Jean dit la vérité et si l’homme ne peut la dire qu’autant que la Vérité elle-même lui en donne le pouvoir, de qui Jean tenait-il donc le pouvoir de dire la vérité, sinon de celui qui a dit : « Je suis la Vérité z ? » La Vérité ne peut donc pas plus démentir celui qui parle d’après elle, que celui qui parle d’après la Vérité ne peut la démentir à son tour. La Vérité avait envoyé celui qui disait vrai, et il ne disait vrai que parce que la Vérité l’avait envoyé. Si la Vérité avait envoyé Jean, c’était de Jésus-Christ qu’il tenait sa mission. Mais ce que le Christ fait avec son Père, son Père le fait, et ce que le Père fait avec le Christ, le Christ le fait à son tour. Le Père ne fait rien séparément du Fils, comme le Fils ne fait rien séparément du Père ; en eux la charité, l’unité, la majesté, la puissance sont inséparables, suivant ces paroles formelles de Jésus-Christ lui-même « Mon Père et moi sommes une même chose aa ». Qui donc a envoyé Jean ? Si nous disons que c’est le Père, nous disons vrai ; si nous disons que c’est le Fils, nous disons vrai encore ; mais pour parler plus juste, il faudrait dire que c’est le Père et le Fils. Mais celui qui a été ainsi envoyé par le Père et le Fils, c’est un seul et même Dieu qui l’a envoyé, parce que le Fils a dit : « Mon Père et moi, nous sommes une seule nature ». Comment donc Jean ne connaissait-il pas celui qui l’avait envoyé ? Il l’affirme pourtant : « Pour moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, lui-même m’a dit ». J’adresse à Jean cette question : que vous a dit celui qui vous a envoyé pour baptiser dam l’eau ? « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est celui-là qui baptise dans le Saint-Esprit ». Jean, est-ce bien là ce que vous a dit celui qui vous a envoyé ? Oui, c’est cela. Qui donc vous a envoyé ? Serait-ce le Père ? Dieu le Père est la Vérité, comme aussi Dieu le Fils : si le Père vous a envoyé sans le concours du Fils, Dieu vous a envoyé sans le concours de la Vérité ; mais si vous êtes véridique, parce que vous dites la vérité, et que vous parlez d’après la Vérité ; le Père ne vous a pas envoyé indépendamment de son Fils, mais le Père et le Fi ! s vous ont envoyé par ensemble. Si donc le Fils vous a envoyé d’accord avec le Père, comment ne connaissez-vous pas celui par qui vous avez été envoyé ? Celui que vous aviez vu dans la vérité, vous a envoyé, afin que vous le fissiez connaître dans sa chair, et il vous a dit : « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est celui qui baptise dans le Saint-Esprit ».

2. Ce que Jean a entendu lui a-t-il été dit pour lui faire connaître celui qu’il ne connaissait pas encore ou pour lui faire connaître plus pleinement celui que déjà il a appris à connaître ? Car s’il ne l’avait pas connu, du moins en partie, il ne lui aurait point dit, au moment où il venait vers le Jourdain pour recevoir le baptême : « C’est à moi d’être baptisé par vous, et vous venez à moi ab ! » Il le connaissait donc déjà. Quand, en effet, la colombe est-elle descendue du ciel ? Après le baptême de Jésus-Christ et sa sortie de l’eau. Puisque celui qui a envoyé Jean lui a dit : « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est celui qui baptise dans le Saint-Esprit » ; puisque d’ailleurs Jean ne le connaissait pas alors et ne l’a connu qu’à la descente de la colombe ; puisque la colombe est descendue seulement après que Jésus-Christ fut sorti de l’eau du fleuve ; puisqu’enfin Jean le connaissait déjà au moment où le Sauveur vint à lui pour recevoir le baptême, il est évident pour nous qu’en un sens, Jean connaissait Notre-Seigneur, et qu’en un autre sens il ne le connaissait pas encore. À moins de comprendre ainsi les choses, nous devrions considérer Jean comme un menteur. Comment donc a-t-il pu dire en toute vérité, et par suite de la connaissance qu’il en avait déjà : « Vous venez à moi pour être baptisé, c’est à moi d’être baptisé par vous ? » A-t-il dit vrai en parlant de la sorte ? D’un autre côté encore, comment a-t-il parlé selon la vérité, quand il a dit : « Pour moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, c’est le même qui m’a dit : « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est celui qui baptise dans le Saint-Esprit ». La colombe a donc fait connaître le Christ à Jean, non comme à un homme qui ne le connaissait pas du tout, mais comme à un homme qui le connaissait sous certains rapports, sans le connaître sous d’autres. C’est donc à nous de chercher ce que Jean ne connaissait pas en Notre-Seigneur et ce que la colombe lui on a appris.

3. Pourquoi Jean a-t-il été envoyé avec la mission de baptiser ? Je me souviens d’avoir déjà répondu de mon mieux à cette question, en présence de votre charité. Si le baptême de Jean était nécessaire à notre salut, aujourd’hui encore on devrait le donner. Car aujourd’hui encore les hommes parviennent au salut, ils y parviennent même en plus grand nombre : autre n’était pas alors le salut, autre il n’est pas aujourd’hui. Si Jésus-Christ a changé, notre salut a changé aussi ; mais si notre salut se trouve en Jésus-Christ et si Jésus-Christ est le même, notre salut aussi est le même. Cela étant, pourquoi Jean a-t-il été envoyé avec la mission de donner le baptême ? Parce qu’il fallait que Jésus-Christ fût baptisé ; mais pourquoi fallait-il que Jésus-Christ fût baptisé ? Pourquoi fallait-il qu’il vînt au monde ? Pourquoi fallait-il qu’il fût crucifié ? Car puisque c’était pour nous montrer la voie de l’humilité qu’il était venu en ce monde, et puisqu’il devait lui-même devenir celte voie, il fallait qu’en toutes choses il pratiquât l’humilité. Par là il a daigné relever à nos yeux la valeur de son propre baptême et apprendre à ses serviteurs avec quel joyeux empressement ils devaient courir au baptême du maître, puisque le maître n’avait pas dédaigné le baptême de son serviteur. Tel a été le privilège de Jean, que le baptême qu’il donnait portait son nom.

4. Que votre charité remarque attentivement ceci ; qu’elle ne fasse point confusion ; qu’elle me comprenne bien. Le baptême que Jean a reçu la mission de donner a été appelé de son nom. Jean a été le seul à recevoir un pareil privilège. Ni avant lui, ni après lui, aucun juste n’a reçu le pouvoir de conférer un baptême qui fût appelé de son nom. Jean a reçu le pouvoir de baptiser, car de lui-même il n’était capable de rien ; tout homme, en effet, qui parle de lui-même, ne peut de lui-même que dire des mensonges. Et de qui a –-t-il reçu ce pouvoir, sinon de Notre-Seigneur Jésus-Christ ? Celui de qui il a reçu le pouvoir de baptiser, c’est celui qu’il devait baptiser ensuite ; ne vous étonnez pas ; car Jésus-Christ a agi à l’égard de Jean, commue il a agi à l’égard de sa mère. En effet il est dit du Christ : « Toutes choses ont été faites par lui ac ». Si le Christ a fait toutes choses, il a donc aussi fait Marie qui, Plus tard, l’a mis au monde. Que votre charité soit attentive. De même que Jésus-Christ a formé Marie et a été ensuite formé par elle ; ainsi il a donné à Jean le pouvoir de baptiser et a été baptisé par lui.

5. Voilà donc pourquoi il a reçu le baptême de Jean, c’était afin que, recevant de son inférieur ce qui était au-dessous de lui, il encourageât les inférieurs à recevoir ce qui était au-dessus d’eux. Mais pourquoi n’a-t-il pas été le seul baptisé par Jean, si la mission de Jean consistait à le baptiser et à préparer la voie au Seigneur, c’est-à-dire à Jésus-Christ ? Nous en avons déjà donné la raison, mais nous y revenons parce que la question présente l’exige. Si Notre-Seigneur Jésus-Christ seul avait été baptisé par Jean, retenez bien nos paroles, que le monde ne soit pas assez puissant pour effacer de vos cœurs ce que l’Esprit de Dieu y a mis ; que les épines des sollicitudes mondaines ne prévalent pas au point d’étouffer en vous la bonne semence que nous y jetons, car pourquoi sommes-nous forcés de répéter plusieurs fois les mêmes choses, si ce n’est parce que nous ne sommes pas assez sûrs de la fidélité de votre mémoire ? Si donc Notre-Seigneur seul avait reçu le baptême de Jean, plusieurs se seraient rencontrés, qui auraient regardé le baptême de Jean comme supérieur et préférable à celui du Christ ; car ils auraient dit : Ce baptême l’emporte à tel point sur l’autre, que le Sauveur a seul mérité de le recevoir. Aussi, pour nous donner un exemple d’humilité et nous procurer le salut auquel nous ne pouvions parvenir que par le baptême, il a reçu celui dont il n’avait nul besoin pour lui-même, mais qui lui était nécessaire à cause de nous : il a voulu aussi empêcher les hommes de préférer au sien propre le baptême qu’il avait reçu de Jean, et pour cela il a permis que son précurseur en baptisât d’autres que lui. Mais à ceux-là le baptême de Jean n’a pas suffi ; aussi ont-ils été baptisés du baptême du Christ, parce qu’en effet le baptême de Jean n’était pas le baptême du Christ. Ceux qui reçoivent le baptême du Christ ne cherchent pas à recevoir celui de Jean ; mais ceux qui ont reçu le baptême de Jean ont cherché à recevoir celui du Christ. Ainsi le baptême de Jean n’a suffi qu’au Christ. Et comment ne lui aurait-il pas suffi, puisqu’il ne lui était pas même nécessaire ? Le Sauveur n’en avait nul besoin, mais s’il a reçu le baptême de son serviteur, ç’a été pour nous encourager à recevoir le sien. Et afin que le baptême du serviteur ne fût point préféré à celui du maître, plusieurs autres ont reçu le baptême d’un homme qui était serviteur de Dieu comme eux. Mais il leur était indispensable de recevoir aussi le baptême du maître, tandis que le baptême du maître dispensait de recevoir celui du serviteur.

6. Jean avait donc reçu le pouvoir de donner le baptême qui s’appelait proprement le baptême de Jean. Mais le Christ n’a voulu donner à personne la propriété du sien, non pas qu’il fût dans son intention de dispenser n’importe qui de l’obligation de le recevoir, mais parce qu’il voulait ne pas cesser de le conférer lui-même : de là il est résulté que le Sauveur en personne donne le baptême, même quand il le donne par l’intermédiaire de ses ministres ; en d’autres termes, lorsque les ministres de Jésus-Christ baptisent, c’est lui qui baptise et non pas eux. Car, autre chose est de baptiser comme représentant d’une tierce personne, autre chose est de baptiser en son nom propre. Le baptême, en effet, ressemble à celui par le pouvoir de qui il se donne, et non à celui qui l’administre. Ainsi tel était Jean, tel était son baptême ; ce baptême était saint, parce que c’était celui d’un saint. Malgré sa sainteté, Jean n’était qu’un homme ; mais il avait reçu de Notre-Seigneur la grâce extraordinaire d’être digne de précéder le Juge, de le montrer du doigt et d’accomplir cette parole de sa propre prophétie : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : préparez la voie au Seigneur ». Au contraire, tel était Jésus-Christ, tel était aussi son baptême ; le baptême de Jésus-Christ était donc divin, puisque Jésus Christ était Dieu.

7. À la vérité, Notre-Seigneur Jésus-Christ aurait pu, s’il l’avait voulu, accorder à quelqu’un de ses serviteurs le pouvoir de conférer le baptême en son propre nom ; il était le maître de renoncer à la propriété de son baptême, d’en disposer en faveur de quelqu’un de ses ministres et de communiquer à ce baptême, ainsi donné en propre à d’autres, la même vertu que s’il l’administrait lui-même ; mais il ne l’a pas fait parce qu’il voulait que les baptisés missent leur espoir en celui dont ils reconnaîtraient avoir reçu le baptême : il n’a pas prétendu que le serviteur mettrait son espérance dans le serviteur. Aussi, quand l’Apôtre voyait des hommes placer en lui leur espérance, leur disait-il hautement : « Paul a-t-il été crucifié pour vous ? ou avez-vous été baptisés au nom de Paul ad ? » Paul a baptisé comme ministre, mais non comme ayant de lui-même le pouvoir de le faire ; tandis que Jésus-Christ a baptisé en vertu de sa propre puissance. Remarquez-le bien. Le Sauveur aurait pu donner à ses serviteurs le pouvoir de baptiser en leur propre nom : il ne l’a pas voulu. S’il leur eût donné un tel pouvoir, c’est-à-dire, si le baptême de Notre-Seigneur était devenu, le leur, il y aurait eu autant de baptêmes que de ministres, et ainsi, comme on disait : le baptême de Jean, on aurait pu dire : le baptême de Pierre, le baptême de Paul, le baptême de Jacques, le baptême de Thomas, de Matthieu, de Barthélemy. Car le baptême de Jean porte son nom. Mais peut-être quelqu’un refuse de le croire et dit : Prouvez-nous que le baptême donné par Jean a été appelé son baptême ? Je le prouverai par le témoignage de la Vérité même. Interrogée par les Juifs, elle a dit : « Le baptême de Jean, d’où est-il ? du ciel ou des hommes ae ? » Afin qu’on ne pût compter autant de baptêmes qu’il y aurait de ministres pour baptiser en vertu du pouvoir conféré par Notre Seigneur, Jésus-Christ a gardé pour lui le pouvoir de baptiser, et il n’en a donné que la charge à ses serviteurs. Le serviteur dit qu’il baptise et il dit bien ; l’Apôtre le dit aussi : « Pour moi, j’ai encore baptisé ceux de la famille de Stephanas af », mais c’est comme ministre. De cette façon, un méchant peut devenir le ministre du baptême ; les hommes peuvent ne pas connaître son indignité, mais Dieu ne l’ignore pas ; et il permet que ce ministre confère le baptême dont il garde pour lui-même le pouvoir.8. Or, voilà ce que Jean ne connaissait pas à Notre-Seigneur. Que Jésus-Christ fût le Seigneur, il le savait bien ; qu’il dût baptiser Jésus Christ, il le savait encore, et il confesse que le Sauveur dit la Vérité et que lui, homme véridique, avait été envoyé par la Vérité ; et il savait tout cela. Que ne savait-il donc pas relativement à Notre-Seigneur ? C’est que Jésus-Christ conserverait par-devers lui la propriété de son baptême, sans la transmettre ni la conférer à aucun de ses ministres : de cette manière que le ministre du baptême fût digne ou indigne d’administrer ce sacrement, le baptisé ne devait reconnaître, comme l’auteur de sa régénération, que celui qui avait conservé pour lui le pouvoir de baptiser. Sachez-le bien, mes frères, voilà ce que Jean ignorait par rapport à Jésus-Christ. Voilà ce que lui a appris la colombe. Ainsi donc Jean connaissait le Sauveur ; mais ce qu’il ignorait, c’est que Jésus-Christ dût se réserver pour lui-même et en propre le pouvoir de baptiser et ne le communiquer à aucun de ses ministres. Telle est la raison de ces paroles : « Pour moi, je ne le connaissais pas ». Si vous voulez être assurés qu’il a reçu en ce moment la connaissance de cette vérité, écoutez attentivement ce qui suit : « Mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, m’a dit : Celui sur qui tu verras le Saint-Esprit descendre et demeurer en forme de colombe, c’est lui-même ». Que signifie : c’est lui ? Le Seigneur. Mais il avait déjà appris à connaître le Seigneur. Supposez donc que jusqu’ici Jean a dit : « Celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, m’a dit ». Que lui a-t-il dit ? Le voici : « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe ». N’allons pas plus loin, cependant soyez attentifs. « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est lui ». Que signifient ces mots : « c’est lui ? » Qu’a voulu m’enseigner par la colombe celui qui m’a envoyé ? Qu’il était le Seigneur ? Je connaissais déjà celui qui m’a envoyé ; je connaissais déjà celui à qui j’ai dit : « Vous venez à moi pour être baptisé, c’est à moi d’être baptisé par vous » ; je savais si bien sa qualité de Seigneur, que j’aurais mieux aimé être baptisé par lui que le baptiser moi-même. C’est alors qu’il m’a dit : « Laisse faire maintenant, il faut que toute justice s’accomplisse ag ». Je suis venu pour souffrir et je ne serais pas venu pour être baptisé ? « Que toute justice s’accomplisse », m’a dit mon Dieu, que toute justice s’accomplisse, que j’enseigne l’humilité dans sa perfection. Je sais qu’il se rencontrera des orgueilleux dans mon futur peuple, je sais qu’il se trouvera des hommes ornés de certains dons particuliers de la grâce. Quand ces hommes verront les simples recevoir le baptême, comme ils croiront valoir mieux, soit à cause de leur continence, soit en raison de leurs aumônes eu de leur science, ils dédaigneront peut-être de recevoir ce qu’auront reçu leurs inférieurs. Il me faut les guérir et les empêcher de s’éloigner avec dédain du baptême de leur maître, puisque je serai venu au baptême de mon serviteur.

9. Voilà donc ce que Jean savait déjà, et il connaissait le Seigneur. Que lui a donc appris la colombe ? Qu’a voulu lui apprendre pas la colombe, c’est-à-dire par le Saint-Esprit venant sous sa figure, celui qui a envoyé Jean et qui lui a dit : « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est lui-même ». Que signifient ces mots, « c’est lui-même ? » Le Seigneur. Je le savais déjà. Mais savez-vous que ce Seigneur qui avait le pouvoir de baptiser, ne le donnerait à aucun de ses serviteurs et le garderait pour lui seul, en sorte que tout homme baptisé par le ministère d’un serviteur ne pût attribuer la grâce de son baptême à ce serviteur, mais uniquement au maître ? Est-ce là ce que vous saviez ? Non, je ne le savais pas encore. Aussi, que m’a-t-il dit ? « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est lui-même qui baptise dans le Saint-Esprit ». Il ne m’a pas dit : C’est le Seigneur ; il ne m’a pas, dit : C’est le Christ ; il ne m’a pas dit : C’est Dieu ; il ne m’a pas dit : C’est Jésus ; il ne m’a pas dit : C’est Celui qui est né de la Vierge Marie, qui est venu après toi et qui est avant toi ; il ne m’a pas dit cela, car déjà je le savais. Qu’est-ce donc que Jeanne connaissait pas ? Ce pouvoir unique de donner le baptême que le Seigneur posséderait et se réserverait pour lui seul, pouvoir qui serait son apanage, soit pendant sa vie mortelle, soit quand, après son ascension dans les cieux, il ne cesserait d’exercer sur la terre sa puissance ; pouvoir en vertu duquel ni Pierre, ni Paul ne pourraient dire : Mon baptême. Aussi remarquez la manière dont se sont exprimés les Apôtres : faites-y bien attention ; aucun d’eux n’a dit : mon baptême. Bien que le même Évangile fût commun à tous, il s’en est trouvé pour lire : mon Évangile ; tu n’en trouveras aucun qui ait dit : mon baptême.

10. Voilà, mes frères ce que Jean a appris. Mais ce qu’il a aussi appris par la colombe, apprenons-le à notre tour. Car la colombe n’a pas instruit Jean, sans vouloir instruire aussi l’Église, cette Église à laquelle il a été dit : « Une est ma colombe ah ». Que la colombe instruise donc la colombe. Que la colombe apprenne à connaître ce que Jean a appris de la colombe. C’est le Saint-Esprit qui est descendu en forme de colombe. Mais ce que Jean a ainsi appris, pour qui a-t-il dû l’apprendre de la colombe ? Assurément cette science lui était nécessaire, mais peut-être était-il aussi indispensable qu’il la reçût de la colombe ? Que dirai-je de la colombe, mes frères ? Mon cœur et ma langue me permettront-ils d’en dire ce que je voudrais et comme je le voudrais ? Ce que je veux en dire est peut-être au-dessous de ses mérites, si tant est, néanmoins, que je puisse seulement m’exprimer comme je le désirerais, à plus forte raison, comme il le faudrait. Aussi aimerai-je mieux entendre sur ce sujet un plus savant, que vous en parler moi-même.

11. Jean apprend donc à connaître celui qu’il connaissait déjà ; mais il apprend à le connaître sous un rapport sous lequel il ne le connaissait pas encore, et non à un point de vue où il le connaissait déjà. Que connaissait-il déjà ? Le Seigneur. Que ne savait-il pas encore ? Que le pouvoir de donner le baptême du Christ ne serait transmis par le Sauveur à aucun homme, tandis que la mission de le conférer en son nom serait confiée par lui à ses serviteurs ; en d’autres termes, il ignorait que la propriété du baptême resterait au Christ et que la mission de le donner en son nom passerait à ses serviteurs bons ou mauvais. Que la colombe ne considère pas avec horreur le ministère des méchants, qu’elle considère le pouvoir du Seigneur, Pourquoi t’inquiéter du méchant ministre, là où le Seigneur est bon ? En quoi te nuit la malice de celui qui marche devant le juge, si tu es sûr de la bienveillance du juge ? C’est là ce que Jean a appris par la colombe. Qu’a-t-il donc appris ? Que lui-même vous le dise encore une fois : « Celui qui m’a envoyé m’a dit : Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est celui qui baptise dans le Saint-Esprit ». O colombe, ne te laisse donc pas tromper par des séducteurs qui disent : C’est nous qui baptisons. Vois, ô colombe, ce que la colombe t’a enseigné : « C’est lui qui baptise dans le Saint-Esprit ». La colombe te dit que c’est lui, et si tu penses être baptisé par le pouvoir de ceux par le ministère desquels tu reçois le baptême, si tu penses ainsi, tu n’es plus du corps de la colombe, et si tu ne fais plus partie du corps de la colombe, il n’est pas surprenant que la simplicité te manque ; car la colombe est surtout Le symbole de la simplicité.

12. Pourquoi, mes frères, est-ce la simplicité de la colombe qui appris à Jean que « c’est le Christ qui baptise dans le Saint-Esprit ? » N’est-ce point parce que tous ceux qui sèment le trouble dans l’Église ne sont pas des colombes ? Ils sont des mitans et des oiseaux de proie. La colombe ne déchire pas. Aussi, tu le vois, ils nous en veulent et s’en prennent à nous, comme si nous étions les auteurs des persécutions qu’ils ont eu à subir. Ils semblent avoir souffert des tourments corporels ; en effet, Dieu les a punis dans le temps, pour les ramener au bien et ne point les punir pendant l’éternité, si toutefois ils comprennent et se corrigent. Mais en réalité, ils persécutent l’Église, puisqu’ils ne cessent de lui tendre des pièges : ils la blessent plus grièvement au cœur, puisqu’ils la frappent du glaive de leur langue, ils répandent le sang d’une façon plus cruelle qu’un homicide, puisqu’ils tuent le Christ dans leurs semblables, autant que cela dépend d’eux. Ou voit qu’ils sont effrayés, comme si les puissances les jugeaient. Pourquoi craindre la puissance, si tu es bon ? Si, au contraire, tu es méchant, redoute la puissance, « car ce n’est pas en vain qu’elle porte le glaive », dit l’Apôtre ai, Ne tire pas le glaive pour frapper Jésus-Christ. Chrétien, que persécutes-tu dans le chrétien ? Qu’est-ce que l’empereur a persécuté en ta personne ? Il a persécuté le corps, et toi, dans le chrétien, tu persécutes l’âme. Toi, tu ne tues pas le corps. Et toutefois ils ne s’en privent pas toujours : autant ils ont pu en frapper, autant ils en ont fait mourir ; ils n’ont épargné ni les leurs ni les autres. Cela est connu de tous. La puissance leur est odieuse, parce qu’elle s’exerce légitimement ; celui qui agit selon le droit, ils ne peuvent le supporter ; ils ne supportent que le violateur des lois. Que chacun de vous, mes frères, considère ce qu’a le chrétien. En qualité d’homme, il ressemble à beaucoup d’autres ; comme chrétien, il se distingue d’un grand nombre, et il est bien plus précieux pour lui d’être chrétien que d’être homme. Parce qu’il est chrétien, l’image de Dieu a été restaurée en lui par celui-là même qui, en le créant, l’avait fait à son image aj ; mais, comme homme, il pourrait être un méchant, un païen, un idolâtre. Tu persécutes dans le chrétien ce qu’il a de meilleur, car lu veux lui ravir le principe de sa vie ; l’esprit de vie, qui anime son corps, le fait vivre pendant le temps ; mais la vie de l’éternité, il l’a puisée dans le baptême, qu’il a reçu de Dieu. Tu veux donc lui ravir ce que Dieu lui a donné, tu veux lui enlever ce qui le fait vivre. Lorsque des voleurs se décident à dépouiller un homme, leur intention est de s’enrichir à ses dépens et de ne rien lui laisser ; pour toi, tu enlèves au chrétien ce qu’il a, sans espérance d’en devenir toi-même plus riche ; car de ce que tu le dépouilles, il n’en résulte rien pour ton avantage : voilà bien ce que font ceux qui ravissent l’âme d’autrui, sans avoir eux-mêmes pour cela deux âmes.

13. Que veux-tu donc enlever ? En quoi te déplaît celui que tu veux rebaptiser ? Tu ne peux lui donner ce qu’il a déjà. Mais tu lui fais renier ce qu’il a. En quoi agissaient plus cruellement les païens persécuteurs de l’Église ? En tirant le glaive contre les martyrs, en lançant sur eux les bêtes, en approchant d’eux les flammes. Pourquoi tout cela ? Pour faire dire au patient : Je tue suis pas chrétien. Le motif qui portait autrefois le persécuteur à employer les flammes, est le même qui te fait employer ta langue. Tes séductions produisent l’effet que n’ont pu produire ses supplices. Mais que donneras-tu et à qui le donneras-tu ? Si le chrétien te dit vrai, si tes artifices ne parviennent pas à l’entraîner et à le rendre menteur, il te dira : J’ai le baptême. Tu lui demanderas : As-tu le baptême ? – Je l’ai, te répondra-t-il. – Mais, diras-tu, je ne le lui donnerai pas tant qu’il répondra : Je l’ai, et ne me le donne pas, car ce que tu veux me donner ne peut demeurer en moi, ce que j’ai reçu ne pouvant m’être enlevé. – Attends, néanmoins, que je voie ce que tu prétends m’enseigner. – Dis d’abord : Je ne l’ai pas. – Mais je l’ai et si je dis : je ne l’ai pas, je suis un menteur, car ce que j’ai, je l’ai. – Tu ne l’as pas, te dis-je. – Montre-moi que je ne l’ai pas. – Un méchant te l’a donné. – Le Christ est donc un méchant. – Je ne dis pas que le Christ soit méchant, mais ce n’est pas le Christ qui te l’a donné. – Qui donc me l’a donné ? réponds-tu : moi, je sais l’avoir reçu du Christ. – Ce n’est pas le Christ qui te l’a donné, mais c’est je ne sais quel traditeur des Écritures. – Je voudrais bien savoir qui a été le ministre ; je voudrais savoir qui a parlé au nom du Juge ; je n’en suis pas sur l’officier, je ne considère que le juge. Peut-être que dans tes reproches contre l’officier, tu es un menteur ; mais je ne veux ni discuter, ni connaître La cause de son officier ; le Seigneur est son juge et le tien ; si j’exigeais de toi des preuves, peut-être ne les donnerais-tu pas. Mais tu es un menteur ; car il a été prouvé que tu ne pouvais rien prouver. Or, ce n’est pas là-dessus que je fonde ma cause, de peur que si j’entreprends avec ardeur la défense d’hommes innocents, tu ne t’imagines que je mets mon espérance dans les hommes, même innocents. Que les hommes soient donc ce qu’ils veulent ; pour moi, ce que j’ai, je l’ai reçu du Christ c’est par le Christ que j’ai été baptisé. – Non pas, c’est tel évêque qui t’a baptisé, et cet évêque communique avec les traditeurs. – C’est par le Christ que j’ai été baptisé, je le sais. – Qui te l’a dit ? – Je l’ai appris de la colombe qu’a vue Jean. Cruel milan, tu ne m’arracheras pas des entrailles de la colombe. Je suis l’un des membres de la colombe, parce que je sais ce que m’a appris la colombe. Tu me dis : C’est un tel ou un tel qui t’a baptisé ; à toi et à moi il est dit par la colombe : « C’est celui-là qui baptise ». À qui dois-je croire ? au milan ou à la colombe ?

14. Réponds-moi donc, afin que tu sois confondu par cette même lampe qui a confondu autrefois les premiers ennemis du Seigneur, les Pharisiens tes pareils. Ils demandaient un jour à Jésus-Christ par quelle puissance il faisait ces choses : « Et moi », leur répondit-il, « je vous interrogerai à mon tour ; dites-moi : le baptême de Jean, d’où est-il, du ciel ou des hommes ? » Et eux qui se préparaient à lui décocher les traits de leurs ruses, se virent embarrassés par cette question ; ils réfléchirent donc : « Si nous répondons », se dirent-ils, « qu’il est du ciel, il nous répliquera : Pourquoi ne l’avez-vous pas cru ? » Car Jean avait dit du Seigneur : « Voici l’Agneau de Dieu, voici Celui qui efface le péché du monde ». Pourquoi donc me demandez-vous par quelle puissance je fais ces choses. O loups, ce que je fais, je le fais par la puissance de l’Agneau ; mais afin de connaître l’Agneau, pourquoi n’avez-vous pas cru à cette parole de Jean : « Voici l’Agneau de Dieu, voici Celui qui efface le péché du monde ? ak » Sachant donc ce que Jean avait enseigné du Seigneur, ils se dirent : « Si nous répondons que le baptême de Jean est du ciel, il nous répliquera : Pourquoi donc ne l’avez-vous pas cru ? Si nous répondons qu’il est des hommes, nous serons lapidés par le peuple ; car il regarde Jean comme un prophète ». D’un côté, ils craignaient les hommes, de l’autre ils avaient honte de dire la vérité. Les ténèbres firent une réponse de ténèbres, mais la lumière les confondit. Que répondirent-ils en effet ? « Nous ne savons pas ». Ils le savaient bien, et néanmoins ils dirent : « Nous ne savons pas ». Et le Seigneur : « Ni moi non plus », leur répondit-il, « je ne vous dis au nom de qui je fais ces choses al ». Ainsi furent confondus les premiers ennemis du Christ. Par quoi ? Par la lampe. Qui était cette lampe ? C’était Jean. Prouvons-nous qu’il était une lampe ? Nous le prouvons. En effet le Seigneur a dit : « Jean était une lampe ardente et luisantes am ». Prouvons-nous que c’est par elle que les ennemis du Christ ont été confondus ? Oui, écoutez le Psalmiste : « J’ai préparé une lampe à mon Christ, je couvrirai de confusion ses ennemis an ».

15. Plongés encore dans les ténèbres de cette vie, nous marchons à la lueur de la lampe de la foi ; tenons aussi en main cette lampe qui est Jean ; avec elle confondons à notre tour les ennemis du Christ. Ou plutôt, que le Christ lui-même confonde ses ennemis par sa lampe. Adressons-leur la même question que le Seigneur adressait aux Juifs ; faisons-leur la même question et disons : Le baptême de Jean, d’où est-il ? Du ciel ou des hommes ? Que diront-ils ? Voyez, si eux aussi ne sont pas, comme autrefois les ennemis du Sauveur, confondus par la lampe ? Que diront-ils ? S’ils disent que ce baptême est des hommes, les leurs eux-mêmes les lapideront ; s’ils disent, du ciel, nous leur répondrons : Pourquoi donc n’y croyez-vous pas ? – Ils répliqueront : Peut-être nous y croyons. – Comment donc dites-vous que vous baptisez, tandis que, d’après le témoignage de Jean, « c’est celui-là qui baptise ? » Mais, selon eux, les ministres d’un si grand Juge doivent être justes, puisqu’ils donnent le baptême. Moi aussi je dis, et tous nous disons que les ministres d’un si grand Juge doivent être justes. Que les ministres soient donc justes, s’ils le veulent ; mais si ceux qui sont assis dans la chaire de Moïse s’y refusent, mon maître me tranquillise ; car l’Esprit a dit, en parlant de lui : « C’est celui-là qui baptise ». Et comment me tranquillise-t-il ? « Les Scribes », a-t-il dit, « et les Pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse ; ce qu’ils disent, faites-le, mais ne faites pas ce qu’ils font, car ils disent et ne font pas  ao ». Si le ministre est juste, je le mets avec Paul, je le range avec Pierre ; avec eux je range les ministres ; mais les saints ministres ne cherchent pas leur gloire, ils sont ministres et ils ne veulent point passer pour des juges ; ils verraient avec indignation les hommes mettre en eux leur espérance. Un tel ministre, je le range avec Paul. En effet, que dit Paul : « Pour moi, j’ai planté, Apollo a arrosé, mais Dieu a fait croître. Ni celui qui plante n’est quelque chose, ni celui qui arrose, mais Dieu qui fait croître ap ». Quant au ministre orgueilleux, il a sa place à côté du diable ; mais le don du Christ n’est point pour cela profané. Il coule par le canal de ce ministre, il coule limpide et pur, il arrive à la terre fertile : supposé que le canal est fait de pierre et que l’eau n’y peut produire aucun fruit ; toujours est-il qu’elle passe par ce canal de pierre et qu’elle arrive jusqu’au réservoir. Elle ne produit rien dans le canal, j’en conviens ; mais, parvenue au jardin, elle lui fait produire des fruits abondants. La vertu spirituelle des sacrements est comme la lumière, ceux qu’elle éclaire la reçoivent dans toute sa pureté et, pour passer en des milieux impurs, elle n’est nullement souillée. Que les ministres soient purs, qu’ils ne recherchent point leur propre gloire, mais la gloire de celui dont ils sont les ministres ; qu’ils ne disent pas : mon baptême, parce qu’il n’est pas le leur. Que Jean soit leur modèle. Cet homme était rempli du Saint-Esprit qui avait reçu du ciel, et non des hommes, la mission de baptiser ; mais dans quel but ? Uniquement, comme il l’a dit lui-même pour « préparer la voie au Seigneur aq ». Mais aussitôt que le Seigneur a été connu, lui-même est devenu sa voie, et dès lors le baptême de Jean n’était plus nécessaire pour préparer la voie au Seigneur.

16. Cependant, qu’est-ce que les Donatistes, nous disent d’ordinaire ? Après Jean on a baptisé. En effet, avant que cette question ait été traitée à fond dans l’Église catholique, plusieurs, même de grands et saints personnages, sont tombés à cet égard dans l’erreur ; mais parce qu’ils étaient du nombre des membres de la colombe, ils ne s’en sont pas retranchés et en eux s’est accompli ce qu’a dit l’Apôtre : « Si vous pensez en quelque point autrement qu’il ne faut, Dieu vous le révélera ar ». Aussi, pourquoi ceux qui se sont séparés de l’Église sont-ils devenus indociles ? Qu’ont-ils donc coutume de dire ? Voilà qu’après Jean on a baptisé ; et après les hérétiques on ne baptiserait pas ? Ainsi raisonnent-ils, parce que certaines personnes qui avaient reçu le baptême de Jean ont reçu de Paul l’ordre de se faire baptiser de nouveau as ; car elles n’avaient pas le baptême du Christ. Pourquoi donc exagérer le mérite de Jean et s’en faire un prétexte de nous reprocher le malheur des hérétiques ? Pour moi, je t’accorde que les hérétiques sont criminels ; mais, bien qu’hérétiques, ils ont donné le baptême du Christ et Jean ne l’a pas donné.

17 Je reviens à Jean, et je dis : « C’est celui-là qui baptise », Jean était meilleur qu’un hérétique, comme aussi il était meilleur qu’un homicide. Devons-nous réitérer le baptême donné par un homme qui vaut moins que Jean, par la raison que les Apôtres ont rebaptisé après le Précurseur ? Supposons qu’un donatiste ait été baptisé par un ivrogne ; je ne parle ici ni d’un homicide, ni du satellite d’un scélérat, ni du ravisseur du bien d’autrui, ni de ceux qui oppriment les orphelins, ni de ceux qui séparent les époux ; non, je ne parle pas de ces sortes de gens ; je parle seulement de ce qui est publiquement connu, de ce qui se voit tous les jours, je me borne à citer le nom que l’on donne à tous, même en cette ville, quand on leur dit : « Enivrons-nous, prenons du bon temps ; dans cette fête des premiers jours de janvier, on ne jeûne pas ». Vous le voyez, je vous parle de choses qui comptent pour rien, parce qu’elles arrivent tous les jours. Eh bien ! qu’une personne soit baptisée par un homme en état d’ivresse, je te demande lequel des deux, de Jean ou de l’ivrogne, est le meilleur ? Réponds, si tu peux, que ton ivrogne est meilleur que Jean ; tu n’oseras jamais. Toi qui es sobre, baptise donc après ton ivrogne. Car si les Apôtres ont baptisé après Jean, à bien plus juste titre l’homme sobre doit-il baptiser après l’ivrogne ? Mais tu diras peut-être : Cet ivrogne est en communion avec moi. Jean, l’ami de l’Époux, n’était donc pas en union avec l’Époux ?

18. Mais n’importe qui que tu sois, je te dis : qui est le meilleur, toi ou Jean ? Tu n’oseras pas dire : Je suis meilleur que Jean. Que tes partisans baptisent donc après toi, s’ils sont meilleurs que toi ; car, puisqu’on a baptisé après Jean, rougis si l’on ne baptise pas après toi. Tu me diras : Mais moi ; j’ai le baptême du Christ et j’enseigne en ce sens. Reconnais donc enfin le Juge, et ne sois pas un crieur orgueilleux. Tu donnes le baptême du Christ, c’est pourquoi on ne baptise pas après toi. On a baptisé après Jean, pourquoi ? Parce qu’au lieu de donner le baptême du Christ, il donnait le sien ; il avait, en effet, reçu le pouvoir de conférer ce baptême en son propre nom. Tu n’es donc pas meilleur que Jean, mais le baptême que tu donnes est meilleur que celui de Jean. Car c’est celui du Christ, tandis que celui de Jean était le sien, Le baptême donné par Paul et le baptême donné par Pierre, était celui du Christ, et si jamais Judas a donné le baptême, ç’a été celui du Christ, Judas a baptisé et l’on n’a point baptisé après lui : Jean a baptisé et l’on a baptisé après Jean ; c’est que si Judas a donné le baptême, ce baptême était celui du Christ, et que le baptême donné par Jean était celui de Jean. Ce n’est pas que nous préférions Judas à Jean, mais nous préférons le baptême du Christ, même donné par les mains de Judas, au baptême de Jean, même donné par les mains de Jean. En effet, il est dit de Notre-Seigneur, qu’avant sa passion il baptisait plus de personnes que Jean, après quoi l’Évangéliste ajoute : « Encore qu’il ne baptisât pas lui-même, mais ses disciples  at ». Ils prêtaient au Christ leurs services pour baptiser, mais le pouvoir de baptiser demeurait tout entier en lui. Donc ses disciples baptisaient, et Judas se trouvait encore parmi eux. Ceux que Judas a baptisés, ne l’ont pas été une seconde fois, et ceux que Jean a baptisés, l’ont-ils été de nouveau ? Évidemment, oui. Mais on ne leur a pas donné un nouveau baptême ; car ceux que Jean avait baptisés, c’était Jean qui les avait baptisés ; ceux au contraire que Judas a baptisés, ont été baptisés par le Christ. De même en est-il de ceux qu’a baptisés un ivrogne ou un homicide, ou un adultère ; si ce baptême était celui du Christ, ils ont été baptisés par le Christ. Je ne crains ni l’adultère, ni l’ivrogne, ni l’homicide, parce que je fais attention aux paroles de la colombe « C’est celui-là qui baptise ».

19. Au reste, mes frères, c’est une folie de prétendre que, sinon Judas, du moins n’importe quel autre homme, a été plus riche en mérites que celui dont il a été écrit : « Parmi les enfants des hommes, il n’en a paru aucun meilleur que Jean-Baptiste au ». On ne lui préfère donc aucun serviteur ; mais on préfère le baptême du maître, même donné par un méchant serviteur, au baptême du serviteur, ami du maître. Écoute quels sont ceux que l’apôtre Paul appelle des faux frères : ce sont ceux qui prêchent la parole de Dieu par jalousie. Qu’en dit-il ? « Et je m’en réjouis, et je m’en réjouirai toujours ». En effet, ils annonçaient le Christ par jalousie ; mais enfin c’était le Christ av qu’ils annonçaient ; ne considérez point le mobile qui dirige le prédicateur, mais le sujet de sa prédication. Est-ce par motif d’envie qu’on t’annonce le Christ ? Porte ton attention sur le Christ et évite l’envie. N’imite pas le mauvais prédicateur, mais suis les traces du bon Sauveur qu’on t’annonce. Ainsi, certaines gens prêchaient le Christ par jalousie. Qu’est-ce que la jalousie ? C’est un mal horrible. C’est lui qui a fait tomber le diable ; cette peste maligne en a fait tomber beaucoup d’autres. Certains hommes qui prêchaient le Christ, en étaient atteints ; cependant l’Apôtre les laissait prêcher. Pourquoi ? Parce qu’ils prêchaient le Christ. Toutefois, la jalousie ne va pas sans la haine ; et de celui qui hait, que dit l’apôtre Jean ? Écoutez, voici ses paroles : « Celui qui hait son frère est homicide aw ». Voilà qu’on a baptisé après Jean ; après un homicide on ne l’a pas fait, parce que Jean a donné son baptême, tandis que l’homicide a donné celui du Christ. Ce sacrement est si saint qu’un ministre homicide ne le souille pas.

20. Je ne rejette pas Jean ; j’aime mieux croire à Jean. Par rapport à quoi croirai-je Jean ? Par rapport à ce que lui a appris la colombe. Qu’a-t-il appris par la colombe ? « C’est celui-là qui baptise dans le Saint-Esprit ». Donc, mes frères, tenez-vous-en là et pénétrez vos cœurs de cette vérité. Car si je voulais aujourd’hui développer entièrement ma pensée et vous dire pourquoi Jean a été ainsi instruit par la colombe, je n’en finirais pas. Que Jean eût appris par la colombe ce qu’il ne savait pas du Christ, bien qu’il connût déjà le Christ, je crois l’avoir expliqué à votre sainteté ; mais cette connaissance, pourquoi a-t-il dû la recevoir par l’intermédiaire de la colombe ? Si je pouvais vous le dire en quelques mots, je vous le dirais ; mais il me faudrait beaucoup de temps pour vous l’expliquer ; je ne veux pas vous être à charge, Vos prières m’ont aidé à accomplir la promesse que je vous ai faite ; aidé encore, et plus efficacement, par vos pieuses dispositions et vos vœux secourables, je vous ferai voir pourquoi Jean n’a pu apprendre que par la colombe ce qu’il a appris du Seigneur, à savoir que « c’est lui qui baptise dans le Saint-Esprit » et qu’il n’a légué à aucun de ses serviteurs le pouvoir de baptiser.

SIXIÈME TRAITÉ.

SUR LE même ENDROIT DE L’Évangile. « POURQUOI DIEU À VOULU MONTRER LE SAINT-ESPRIT VU SOUS LA FORME DE COLOMBE », (Chap 1, 32, 33.)

LA COLOMBE.

Pourquoi l’Esprit-Saint a-t-il été figuré par une colombe au baptême de Jésus-Christ ? Comme le corbeau est l’image de l’orgueil, de la cruauté et de la discorde, ainsi la colombe est l’emblème de l’humilité, de la simplicité, de la douceur et de la paix : et est le signe de l’unité en Dieu, dans le baptême, dans l’Église, et, par conséquent de l’union des cœurs dans la charité. Hors de là point de salut : le baptême est inutile et même nuisible : témoin celui de Simon le Magicien La colombe rapportant un rameau d’olivier dans l’arche est la preuve de ce que nous disons : d’ailleurs la foi sans les œuvres est stérile, et les œuvres sans la charité ne servent de rien pour le ciel ; sur quoi alors les Donatiens peuvent-ils s’appuyer et se tranquilliser ?

1. J’en fais l’aveu à votre sainteté : la rigueur du temps m’avait donné lieu de craindre que votre zèle se refroidît et que vous ne vous réunissiez pas ici ; mais, je le vois, et votre affluence en est la preuve, la solennité que nous célébrons a trouvé en vous des cœurs chauds : d’où je conclus que vous avez prié pour moi, afin de m’aider à vous payer ma dette. En effet, la brièveté du temps m’empêchant de vous dire avec les développements convenables pourquoi Dieu a voulu montrer le Saint-Esprit sous la forme de colombe, je vous ai promis de traiter aujourd’hui cette question au nom du Christ ; le moment est donc venu de l’expliquer, et je sens que le désir de m’entendre, ainsi que votre pieuse dévotion, vous ont rassemblés en plus grand nombre. Que Dieu tire de ma bouche de quoi remplir votre attente. C’est par affection à coup sûr que vous êtes venus, mais cette affection, quel en est l’objet ? Si c’est nous, il n’y a rien en cela que de bien ; car nous voulons être aimés de vous, mais nous ne voulons pas l’être en nous. Comme Dieu, nous vous aimons en Jésus-Christ, à votre tour aimez-nous en lui et que notre affection mutuelle nous porte à élever vers Dieu les gémissements de notre âme ; car gémir c’est le propre de la colombe.

2. Le propre de la colombe est de gémir, nous le savons tous, et c’est l’amour qui la fait gémir aussi, prête l’oreille à ce que dit l’Apôtre, et ne sois plus étonné que le Saint-Esprit ait voulu se montrer sous la forme d’une colombe : « Ce que nous devons demander comme il faut », dit-il, « nous l’ignorons ; mais le Saint-Esprit interpelle lui-même pour nous par des gémissements ineffables ax ». Quoi donc, mes frères ! dirons-nous que l’Esprit-Saint gémit dans cette éternelle et parfaite béatitude où il est avec le Père et le Fils ? Car l’Esprit-Saint est Dieu, comme le Fils de Dieu est Dieu ; comme le Père est Dieu. J’ai dit trois fois Dieu, mais je n’ai pas dit trois dieux, parce que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un seul Dieu : vous le savez parfaitement. Donc, ce n’est pas en soi-même, ni sans sortir de soi-même, dans la Trinité, dans la béatitude, dans l’éternité de substance que gémit l’Esprit Saint ; c’est en nous, parce qu’il nous fait gémir. Et ce n’est pas peu de chose que l’Esprit-Saint nous apprenne à gémir. En effet, il nous apprend que nous sommes pèlerins, il nous apprend à soupirer vers la patrie, et ces soupirs eux-mêmes sont nos gémissements. Celui à qui tout sourit en ce monde, disons mieux, celui qui pense que tout va bien pour lui, qui tressaille de la joie des choses charnelles, de l’abondance des biens temporels et de la vaine félicité du siècle, celui-là a la voix du corbeau ; car la voix du corbeau est stridente : il ne gémit pas. Celui au contraire qui se sait sous le pressoir de cette mortalité et qui reconnaît en lui-même un pèlerin éloigné du Seigneur ay celui qui sait ne pas être encore en possession de cette béatitude éternelle qui nous est promise, mais la possède en espérance puisqu’il y entrera seulement, lorsque le Seigneur viendra, manifesté dans la gloire, après être d’abord venu sous le voile de l’humilité ; celui-là gémit, et aussi longtemps qu’il gémit pour ce motif il gémit bien, l’Esprit-Saint lui a enseigné à gémir, la colombe lui a appris à le faire. Car plusieurs gémissent plongés dans les malheurs de cette vie, brisés par les pertes, accablés par les maladies, enfermés dans les prisons, retenus par des chaînes, battus sur les flots par la tempête, ou embarrassés dans les pièges que leur tendent leurs ennemis ; ils gémissent donc, mais ils ne gémissent pas du gémissement de la colombe et par l’amour de Dieu, en esprit. Aussi, lorsque de tels gens se voient sortis de l’épreuve, ils poussent de grands cris de joie, d’où il paraît bien qu’ils étaient des corbeaux, et non des colombes. Aussi, lorsque le corbeau fut mis hors de l’arche, il ne revint pas ; la colombe au contraire y revint. Noé envoya hors de l’arche ces deux sortes d’oiseaux az. Il avait sous la main un corbeau, il avait aussi une colombe ; car l’arche renfermait ces deux espèces d’animaux : et s’il est vrai que l’arche figurait l’Église, vous le voyez facilement, c’est nécessaire que dans le déluge du siècle l’Église renferme tout à fois le corbeau et la colombe. Qui sont les corbeaux ? Ceux qui cherchent leurs intérêts. Qui sont les colombes ? Ceux qui recherchent les intérêts du Christ ba.

3. C’est pourquoi, lorsque Dieu a envoyé l’Esprit-Saint, il l’a montré visiblement en deux manières, par la colombe et par le feu. Par la colombe, sur le Seigneur après son baptême ; par le feu, sur les Apôtres réunis. En effet, lorsque le Seigneur eut passé quarante jours avec ses disciples et qu’il fut remonté au ciel après sa résurrection, il leur envoya, le jour de la Pentecôte, l’Esprit-Saint qu’il leur avait promis. Venant alors, l’Esprit remplit le lieu où ils étaient ; d’abord un grand bruit, pareil au bruit d’un vent violent, se fit entendre du ciel, ainsi que nous lisons dans les Actes des Apôtres ; et « il parut des langues comme de feu qui se divisèrent et reposèrent sur chacun d’eux, et ils se mirent à s’exprimer en diverses langues selon que « l’Esprit leur donnait de parler bb ». D’un côté, nous avons vu la colombe descendre sur le Seigneur, de l’autre les langues de feu se partager sur les Apôtres réunis ; d’un côté la simplicité, de l’autre la ferveur. Car il y en a qui passent pour simples et qui sont paresseux ; on appelle simples des personnes qui en réalité sont nonchalantes. Tel n’était pas Étienne, cet homme rempli du Saint-Esprit. Il était simple, parce qu’il ne nuisait à personne ; il était fervent, parce qu’il gourmandait les impies. En effet, il ne garda pas le silence devant les Juifs. De lui sont ces paroles de feu : « Cœurs et oreilles incirconcis, vous avez toujours résisté au Saint-Esprit ». Paroles grandement impétueuses ; toutefois, même en sévissant, la colombe n’y met pas de fiel. Voici la preuve qu’elle n’y mettait pas de fiel. Les Juifs, qui étaient des corbeaux, ayant entendu ces paroles, coururent aussitôt aux pierres pour écraser la colombe ; Étienne commence à être lapidé ; tout à l’heure, sous l’émotion et la ferveur de son esprit, il avait fait sur eux comme sur des ennemis cette sortie impétueuse ; sa violence apparente s’était emportée en ces paroles de flamme et de feu que vous avez entendues : « Têtes dures, « cœurs et oreilles incirconcis ». C’était au point que celui qui les aurait entendues se serait imaginé que si Étienne l’avait pu il les aurait fait passer par le feu ; néanmoins, lorsque les pierres lancées par eux vinrent le frapper, il se mit à genoux et s’écria : « Seigneur, ne leur imputez point ce péché bc ». Il s’était étroitement attaché à l’unité de la colombe. Ainsi avait agi le premier le maître sur lequel est descendue la colombe. Cloué à la croix, il dit : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font bd ». La colombe signifie que les fidèles sanctifiés par l’Esprit ne doivent pas user de ruse, et le feu, que leur simplicité ne doit pas être de glace. Or, ne sois pas effrayé de la division des langues. Les langues sont à une certaine distance les unes des autres ; c’est pourquoi l’Esprit-Saint est apparu sous forme de langues divisées : « Des langues comme de feu se divisèrent et se reposèrent sur chacun d’eux ». Les langues sont distantes les unes des autres ; mais cette distance des langues les unes par rapport aux autres, n’est pas le schisme. Dans la division des langues ne redoute pas de rencontrer la désunion, sache que dans la colombe se trouve l’unité.

4. Ainsi donc, ainsi fallait-il que se montrât l’Esprit-Saint en venant sur le Seigneur ; car par là chacun doit comprendre que s’il a reçu l’Esprit-Saint il doit être simple comme la colombe, avoir avec ses frères cette paix désirable dont le baiser des colombes est le symbole. Les corbeaux donnent aussi leur baiser, mais en eux se trouve une fausse paix ; dans les colombes est la véritable. Il ne faut donc pas écouter comme des colombes tous ceux qui disent Que la paix soit avec vous. Comment alors distinguer les baisers des corbeaux d’avec les baisers des colombes ? Les corbeaux donnent leur baiser et déchirent en même temps ; par nature, les colombes sont innocentes de pareils procédés ; où il y a déchirements, les baisers ne sont pas le signe d’une paix véritable ; ceux-là ont la véritable paix qui n’ont pas déchiré l’Église. Les corbeaux se repaissent de chairs mortes, ce que ne fait pas la colombe ; elle se nourrit des fruits de la terre, sa nourriture est innocente, ce qui est, mes frères, véritablement à admirer dans la colombe. Il est des oiseaux très-petits qui se nourrissent néanmoins de mouches ; rien de pareil chez la colombe, car elle ne se nourrit pas de chairs mortes. Ceux qui ont déchiré l’Église cherchent à se nourrir avec des morts. Dieu est puissant, prions-le que ceux-là revivent qui sont dévorés par eux et ne le sentent pas. Plusieurs le reconnaissent parce qu’ils revivent, et tous les jours nous nous félicitons en Jésus-Christ de leur retour. Pour vous, soyez simples de manière à être aussi fervents, et que votre ferveur se montre dans vos paroles : ne gardez pas le silence, parlez avec feu, embrasez ceux qui sont froids.

5. Qu’ajouter, mes frères ? Qui ne voit ce que les Donatistes refusent de voir ? En cela rien d’étonnant. En effet, ceux qui ne veulent pas revenir sont comme le corbeau envoyé hors de l’arche. Qui ne voit ce qu’ils refusent de voir ? Mais ils sont ingrats envers le Saint-Esprit. La colombe est descendue sur le Seigneur, et sur le Seigneur baptisé ; elle est aussi apparue au même endroit, cette sainte et véritable Trinité qui pour nous est un seul Dieu. Car le Seigneur sortit de l’eau, ainsi que nous le dit l’Évangile, « voilà que les cieux furent ouverts, et il vit le Saint-Esprit descendre et demeurer sur lui en forme de colombe, et aussitôt cette voix se fit entendre : Vous êtes mon Fils bien-aimé, en qui je me suis complu be ». Là paraît manifestement la sainte Trinité, le Père dans la voix, le Fils dans l’homme, l’Esprit dans la colombe. Dans cette Trinité au nom de laquelle les Apôtres ont été envoyés, apercevons ce qu’il est surprenant que les Donatistes n’y aperçoivent pas. Car il est sûr qu’ils ne l’y voient pas et qu’ils ferment leurs yeux à ce qui leur frappe le visage. Où donc les Apôtres ont-ils été envoyés, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, par Celui de qui il a été dit : « C’est Celui-là qui baptise ? » Celui qui se réservait le pouvoir de baptiser le leur a dit.

6. Voilà ce que Jean a vu en lui, voilà ce qu’il ne connaissait pas et ce qu’il a appris à connaître. Certes, il le connaissait comme Fils de Dieu, comme Seigneur et comme Christ. Il n’ignorait même pas qu’il dût baptiser dans l’eau et le Saint-Esprit ; il le savait. Mais qu’il dût se réserver le pouvoir du baptême et ne le transmettre à aucun de ses ministres, voilà ce qu’il a appris par la colombe. En effet, ce pouvoir que le Christ a gardé pour lui seul et qu’il n’a transmis à aucun de ses ministres, bien qu’il ait daigné baptiser par leur ministère, ce pouvoir maintient l’unité de l’Église. Cette unité est symbolisée par la colombe dont il est dit : « Une est ma colombe, elle est une pour sa mère. bf » Comme je l’ai déjà dit, en effet, mes frères, si le Seigneur avait transmis à ses ministres le pouvoir de baptiser, autant il y aurait de ministres, autant il y aurait de baptêmes, et l’unité du baptême serait détruite.

7. Faites-y attention, mes frères : avant que Notre-Seigneur Jésus-Christ vînt pour être baptisé (car c’est après son baptême que la colombe est descendue et a appris à Jean une particularité, quand il lui fut dit : « Celui sur qui tu verras le Saint-Esprit descendre et demeurer en forme de colombe ; c’est Celui-là qui baptise dans le Saint-Esprit) » ; avant ce moment, Jean savait que Jésus-Christ baptisait dans le Saint-Esprit. Mais que le pouvoir de baptiser il ne dût le donner à personne, bien qu’il dût en confier à d’autres le ministère, voilà ce qu’il a appris alors. Comment prouver que Jean savait déjà que le Seigneur baptiserait dans le Saint-Esprit ? Comment le prouver de manière à faire bien comprendre que, d’après l’enseignement de la colombe, le Précurseur a su que le Sauveur baptiserait dans le Saint-Esprit, sans toutefois abandonner à personne ce pouvoir ? Encore une fois, comment le prouver ? Le voici. Le Sauveur était déjà baptisé quand la colombe est descendue sur lui ; mais avant qu’il vînt pour recevoir le baptême de Jean dans le Jourdain, nous l’avons dit, le Précurseur le connaissait comme il le marque par ces paroles : « Vous venez à moi pour être baptisé, c’est moi qui dois être baptisé par vous ». Voici donc qu’il connaissait le Seigneur, il connaissait le Fils de Dieu. Comment prouvons-nous qu’il le connaissait comme devant baptiser dans le Saint-Esprit ? Avant que Jésus-Christ vînt au fleuve, plusieurs accouraient auprès de Jean pour être baptisés et il leur dit : « Pour moi je vous baptise dans l’eau ; mais Celui qui vient après moi est plus grand que moi, je ne suis pas digne de délier les cordons de ses souliers ; c’est Lui qui vous baptisera dans le Saint-Esprit et le feu bg ». Il savait donc déjà cela : par conséquent, qu’est-ce que la colombe lui a fait connaître, afin que plus tard nous ne le reconnaissions pas comme un menteur (ce que Dieu nous garde de penser) ? C’est évidemment cette particularité, savoir, que la sainteté du baptême serait attribuée à Jésus-Christ seul, quoique beaucoup de ministres justes ou injustes dussent le conférer. En effet, au moment où la colombe descendait sur lui, on entendit une voix qui disait : « C’est Celui-là qui baptise « dans le Saint-Esprit ». Que Pierre baptise, c’est Celui-là qui baptise ; que Paul baptise, c’est Celui-là qui baptise ; que Judas baptise, c’est Celui-là qui baptise.

8. Car si la sainteté du baptême est en proportion des mérites de ceux qui le confèrent, il ! aura autant de baptêmes que de sortes de mérites, et chacun croira en avoir reçu un meilleur, d’autant meilleur, que le ministre en paraîtra plus méritant. Les saints eux-mêmes, comprenez bien ceci, mes frères, les gens de bien appartiennent à la colombe, les citoyens de la sainte Jérusalem, les gens de bien qui font partie de l’Église, ceux dont l’Apôtre dit : « Le Seigneur connaîtra ceux qui sont à lui bh », ont reçu des grâces différentes, tous n’ont pas les mêmes mérites ; il en est qui sont plus saints et meilleurs que d’autres. Comment dons, par exemple, si l’un est baptisé Par un ministre juste et saint, l’autre par un ministre inférieur en mérites auprès de Dieu, inférieur en élévation, en continence, en sainteté de vie, comment tous deux cependant reçoivent-ils une même et pareille grâce, une grâce égale en l’un et en l’autre, sinon parce que « c’est Celui-là qui baptise ? » Comment donc, selon que le ministre du baptême est bon ou meilleur, l’un ne reçoit-il pas une chose bonne et l’autre une chose meilleure ? Et quoique de deux ministres l’un est bon et l’autre meilleur, comment se fait-il qu’on reçoive un baptême unique et égal qui ne soit ni meilleur venant de l’un, ni de moindre valeur venant de l’autre ? De même en est-il lorsque le baptême est donné par un méchant, que l’Église ne connaît point comme tel, ou qu’elle tolère ; car on n’y connaît pas les méchants, ou bien on les y tolère : c’est de la paille ; on la tolère donc jusqu’au moment où enfin l’aire sera purgée. Ce que donne un pareil homme est de même nature : il n’est pas de moindre valeur en raison des moindres mérites du ministre ; c’est partout et toujours un baptême égal et pareil ; car : « c’est Celui-là qui baptise ? ».

9. Voyons donc, mes bien-aimés, ce que ne veulent pas voir les Donatistes ; (non pas ce qu’ils ne pourraient voir, mais ce qu’ils auraient mal de voir), comme si c’était impénétrable pour eux. Où les disciples ont-ils été envoyés pour baptiser comme ministres au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ? Où les a-t-on envoyés ? « Allez », leur dit Jésus-Christ, « baptisez les nations ». Vous savez, mes frères, comment est venu cet héritage : « Demande-moi, et je te donnerai les nations pour héritage, et pour possession toute l’étendue de la terre bi ». Vous savez comment la loi est sortie de Sion et la parole du Seigneur de Jérusalem bj ». Nous sommes devenus attentifs lorsque nous avons entendu ces paroles : « Allez baptiser les nations au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit bk. C’est à Jérusalem, en effet, que les Apôtres ont entendu ces paroles : « Allez baptiser les nations au nom « du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit bl ». C’est un seul Dieu ; il n’est pas dit : Aux noms du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ; mais : « Au nom du Père et du Fils et du « Saint-Esprit ». Dès lors qu’il n’y a qu’un seul nom, il n’y a qu’un seul Dieu. Ainsi l’Apôtre Paul explique-t-il le passage où il est parlé de la race d’Abraham : « En ta descendance seront bénies toutes les nations ; Dieu ne lui dit pas : En tes descendances, comme s’il « s’agissait de plusieurs ; mais, voulant parler d’un seul : En ta descendance, qui est le Christ bm ». Comme donc il n’est pas dit en cet endroit : En vos descendances, et qu’en conséquence l’Apôtre a voulu t’apprendre qu’il n’y a qu’un seul Christ ; de même, lorsqu’il est dit ici : « au nom », non pas, aux noms, absolument dans le même sens qu’il a été dit ailleurs : « en la descendance », et non, en tes descendances, c’est la preuve qu’il n’y a qu’un seul Dieu, Père, Fils et Saint Esprit.

10. Mais, disent les disciples au Seigneur, voici que nous savons au nom de qui nous devons baptiser, vous nous avez faits vos ministres et vous nous avez dit : « Allez baptiser au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ». Mais où irons-nous ? Où ? Vous ne l’avez pas entendu ? Dans mon héritage. Vous me demandez : Où irons-nous ? Dans la propriété que j’ai achetée de mon sang. Où donc ? Dans les nations. Je pensais qu’il aurait dit Allez, baptisez les Africains au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Grâces à Dieu, le Sauveur a tranché la question, la colombe a fait entendre ses enseignements ; grâces à Dieu, les Apôtres ont été envoyés vers les nations ; c’est vers les nations, c’est vers toutes les langues. Ainsi l’a marqué le Saint-Esprit en se montrant sous l’apparence de plusieurs langues et d’une seule colombe. D’un côté, les langues signifient la division ; de l’autre, la colombe indique l’union. Les langues des nations se sont mises d’accord ensemble seule la langue des Africains serait en discordance avec les autres ? Y a-t-il rien de plus évident, mes frères ? Dans la colombe l’unité, dans les différentes langues des nations l’accord. Car l’orgueil a mis le désaccord dans les langues, et d’une seule en a fait plusieurs. En effet, après le déluge l’orgueil porta les hommes à se fortifier en quelque sorte contre Dieu ; et comme s’il y avait un lieu où il ne pût atteindre, comme si l’orgueil pouvait trouver un abri contre lui, ils élevèrent une tour, pour ainsi dire avec l’intention d’échapper au déluge s’il venait à recommencer. Ils avaient entendu dire, et ils s’en souvenaient, que toute iniquité avait été détruite par le déluge ; ne voulant pas s’abstenir de l’iniquité, ils cherchaient dans la hauteur d’une tour un abri contre le déluge. C’est pourquoi ils construisirent une tour élevée. Dieu vit leur orgueil et leur envoya un esprit d’erreur, afin qu’ils ne s’entendissent plus ; c’est ainsi que l’orgueil devint la cause de la division des langues bn. Si l’orgueil a été le principe de la division des langues, l’humilité du Christ les a réunies. Ce que cette tour avait dispersé, l’Église le recueille. D’une langue il s’en est fait plusieurs : ne t’en étonne pas : c’est le résultat de l’orgueil. De plusieurs langues il s’en est fait une seule : n’en sois pas surpris, c’est le fruit de la charité. Car, bien que dans les diverses langues on ne s’exprime pas de la même manière, le même Dieu est invoqué au fond du cœur, la même paix est gardée par tous. Mes bien-aimés, le Saint-Esprit pouvait-il mieux se manifester comme signe d’unité que sous la forme d’une colombe, afin que l’on pût dire de l’Église établie dans la paix : « Une est ma colombe ? » L’humilité pouvait-elle être symbolisée plus parfaitement que par un oiseau simple et gémissant ? Un oiseau aussi orgueilleux, aussi fat de lui-même que le corbeau, était incapable de nous en donner l’idée.

11. Peut-être diront-ils : Il y a une colombe, elle est unique ; donc en dehors de cette unique colombe il ne peut y avoir de baptême. Si c’est chez toi que se trouve la colombe, ou si tu es toi-même cette colombe, quand je viens à toi, donne-moi donc ce que je n’ai pas. Vous le savez, mes frères, voila leur langage ; vous y reconnaîtrez bientôt le cri du corbeau, et non la voix de la colombe. Que votre charité y soit un peu attentive. Prenez garde, ils sont rusés, défiez-vous ; recevez les paroles de ces contradicteurs pour les rejeter aussitôt, et non pour leur dominer accès en vos âmes et les laisser passer jusqu’à votre cœur. Imitez Notre-Seigneur, quand ses bourreaux lui offrirent un breuvage amer, « il le goûta et refusa d’en boire bo ». Ainsi doit-il en être de vous écoutez leurs paroles et rejetez-les aussitôt. En effet, que disent-ils ? Ainsi donc, ô Église catholique, c’est toi qui es la colombe, c’est à toi qu’il a été dit : « Une est ma colombe, elle est une pour sa mère ». Oui, c’est à toi que ces paroles s’adressent.— Attends, ne m’interroge pas. Commence par prouver que c’est à moi que s’appliquent ces paroles. Si c’est à moi qu’elles s’appliquent, je veux le savoir tout de suite. – Oui, c’est à toi. – Je réponds C’est à moi. Cette réponse que ma bouche seule a prononcée est aussi, je n’en doute pas, sortie de vos cœurs, et tous ensemble nous avons dit : Ces paroles s’appliquent à l’Église catholique : « Une est ma colombe, elle est une pour sa mère ». Ils ajoutent : Hors de la colombe, il n’y a pas de baptême ; pour moi, j’ai été baptisé hors de la colombe, donc je n’ai pas le baptême : si je n’ai pas le baptême, pourquoi ne me le donnes-tu pas quand je viens à toi ?

12. À mon tour je les interroge, En attendant, ne nous inquiétons pas de savoir à qui il a été dit : « Une est ma colombe, elle est une pour sa mère ». Car il s’agit de savoir si c’est à moi ou à toi que s’applique ce passage mais laissons pour le moment cette question de côté. Je demande donc ceci : La colombe est-elle simple, innocente, sans fiel, pacifique dans ses baisers ? Ses ongles font-ils jamais des blessures ? Les avares, les hommes de rapine, les trompeurs, les ivrognes, les libertins appartiennent-ils à son corps, sont-ils du nombre de ses membres ? Évidemment non. En effet, mes frères, qui oserait le soutenir ? Je veux me borner ; je ne parle que des ravisseurs du bien d’autrui, Ils peuvent bien être membres d’un oiseau de proie ; mais de la colombe, jamais. Les milans, les éperviers, les corbeaux vivent de rapines. Les colombes ne ravissent rien et ne déchirent pas : les hommes de rapines ne sont donc pas membres de la colombe. Donatistes, n’y a-t-il jamais eu parmi vous, ne fût-ce qu’un seul ravisseur du bien d’autrui ? Comment et, pourquoi le baptême donné par l’épervier, et non par la colombe, ne doit-il pas être remplacé par un autre ? Pourquoi chez vous ne baptise-t-on pas après les ravisseurs du bien d’autrui, après les adultères, les ivrognes, les avares qui comptent dans vos rangs ? Tous ceux-là sont-ils membres de la colombe ? Vous déshonorez votre colombe, au point de lui donner des membres de vautour. Eh quoi ! mes frères, que disons-nous ? Dans l’Église catholique il y a des bons et des méchants ; parmi eux, il n’y a que des méchants. Peut-être est-ce par animosité que j’en parle ? nous en donnerons plus tard la preuve. eux-mêmes en conviennent, il y a parmi eux des bons et des méchants ; car s’ils disent que parmi eux il n’y a que des bons, que leurs partisans les croient sur parole, et j’y souscris. Qu’ils disent : Il n’y a dans nos rangs que des hommes saints, justes, chastes, sobres il n’y a ni adultères, ni usuriers, ni trompeurs, ni parjures, ni ivrognes, qu’ils le disent leurs paroles ne sont rien pour moi : il me suffit de mettre la main sur leurs cœurs. Vous aussi vous les connaissez ; leurs partisans les connaissent ; et vous membres de l’Église catholique, votre conduite n’est un mystère ni pour vous, ni pour eux : ne leur adressons aucun reproche : qu’ils n’examinent même pas leur conscience. Nous l’avouons, il y a dans l’Église des bons et des méchants, mais comme dans une aire il y a du grain et de la paille. Quelquefois celui qui est baptisé par le grain n’est que de la paille, et celui qui est baptisé paria paille est du grain, Autrement, si le baptême était bon par cela même qu’il viendrait du grain, ou mauvais parce qu’il viendrait de la paille, il serait faux de dire : « C’est Celui-là qui baptise ». Si au contraire il est vrai de dire : « C’est Celui-là qui baptise », le baptême est bon, même quand il vient de la paille ; le méchant baptise tout aussi bien que la colombe, non pas que le méchant soit la colombe, ou qu’il soit tin de ses membres ; on ne peut le dire, non plus, ni parmi les catholiques, ni parmi les Donatistes, si tant est qu’ils prétendent que leur Église est la colombe. Qu’entendons-nous par là, mes frères ? C’est chose manifeste et connue de tous, et quand même ils n’en voudraient pas convenir, la preuve en est là : quand, chez eux, des méchants confèrent le baptême, on ne le réitère pas ; et lorsque parmi nous des méchants baptisent, on ne rebaptise pas non plus après eux. La colombe ne baptise pas après les corbeaux, pourquoi le corbeau pré. tendrait-il baptiser après la colombe ?

13. Que votre charité soit attentive. Au baptême de Notre-Seigneur, une colombe, c’est-à-dire le Saint-Esprit en forme de colombe, descendit et demeura sur le Christ ; en conséquence la colombe a révélé à Jean qu’un certain pouvoir réservé relativement au baptême se trouvait en Notre-Seigneur. Mais pourquoi une colombe ? et que pouvait-elle signifier ? C’est que, selon que je l’ai déjà dit, par ce pouvoir réservé se trouvait assurée la paix de l’Église. Il peut donc se faire que quelqu’un reçoive le baptême en dehors de la colombe ; mais qu’alors ce baptême lui serve, c’est impossible. Que votre charité soit attentive et comprenne bien ce que je dis ; car par le moyen de cette ruse nos adversaires trompent souvent ceux de nos frères qui sont indolents et tièdes. Soyons plus simples et plus fervents. Ai-je, disent-ils, reçu le baptême ou ne l’ai-je pas reçu ? Je réponds : Tu l’as reçu. Si je l’ai reçu, il n’y a aucun motif de me le donner ; j’ai lieu d’être tranquille, tu en conviens toi-même ; pour ma part, j’affirme avoir reçu le baptême, et toi, tu le reconnais formellement. Notre mutuel accord fait ma sécurité. Alors, que me promets-tu ? Pourquoi veux-tu me faire catholique, quand tu n’as rien de plus à me donner, quand d’après ton aveu j’ai déjà reçu ce que tu prétends avoir ? Pour moi, quand je dis : Viens à moi, je soutiens que tu n’as pas ce que tu avoues lire en ma possession ; pourquoi donc me dis-tu : Viens à moi ?

14. La colombe nous le fait savoir. Car, de dessus la tête du Seigneur où elle se trouve placée, elle répond en disant : Tu as le baptême, mais la charité qui me fait gémir, tu ne l’as pas. Qu’est-ce que cela veut dire, répond le donatiste ? J’ai le baptême et je n’ai pas la charité ? Ne te récrie pas ; montre-moi comment peut avoir la charité celui qui divise l’unité. Moi, j’ai le baptême. Oui, sans doute ; mais ce baptême sans la charité ne te sert de rien, parce que sans la charité tu n’es rien. Non pas que, même dans celui qui, n’est rien ; le baptême soit rien ; car ce baptême est quelque chose, et même quelque chose de grand, à cause de celui dont il a été dit : « C’est celui-là qui baptise ». Mais ne vas pas supposer que cette chose si grande puisse avoir quelque utilité pour toi, si tu n’es pas dans l’unité ; car la colombe est descendue sur Jésus-Christ baptisé, comme pour dire : Si tu as le baptême, sois dans la colombe, de peur que ce que tu as ne te serve de rien. Viens donc, leur disons-nous, viens à la colombe, non pour commencer à avoir ce que tu n’avais pas, mais afin que ce que tu avais commence à te servir, car ayant le baptême en dehors de la colombe, tu l’avais pour ta perte ; quand tu l’auras au dedans d’elle, il commencera à te servir pour ton salut.

15. Non-seulement le baptême ne te servait de rien, il était même nuisible pour loi. Car les choses saintes elles-mêmes peuvent nuire. Chez les bons elles contribuent à leur salut ; chez les mauvais, elles sont le principe de leur jugement. Il est sûr, mes frères, que nous savons ce que nous recevons ; et certainement ce que nous recevons est saint ; et personne ne prétend que cet aliment ne l’est pas. Que dit l’Apôtre ? : « Celui qui mange et boit indignement, mange et boit son jugement bp ». Il ne dit pas que ce soit une chose mauvaise ; mais il soutient que le méchant, en la recevant mal, reçoit pour son jugement la bonne chose qu’il reçoit. Cette bouchée donnée à Judas par le Seigneur bq était-elle mauvaise ? À Dieu ne plaise. Le médecin n’aurait pas donné le poison, le médecin a donné le salut ; mais en le recevant indignement, Judas l’a reçu pour sa perte parce qu’il ne l’a pas reçu dans la paix. Ainsi en est-il de celui qu’on baptise. J’ai, dis-tu, le baptême. Tu l’as, je l’avoue, fais bien attention à ce que tu as. De cela même résultera ta condamnation. Pourquoi ? Parce que tu as le bien de la colombe en dehors de la colombe. Si tu l’avais dans la colombe, par cela même que tu l’aurais, tu serais en sûreté. Suppose que tu es soldat : tu portes la marque de ton chef ; tu pourras combattre en toute sûreté mais si tu la portes en dehors, non seulement elle ne te servira de rien pour le combat, mais elle te fera punir comme déserteur. Viens donc, viens et ne dis pas : j’ai le baptême et il me suffit ; viens, la colombe t’appelle, elle t’appelle par ses gémissements. Mes frères, je vous le dis, appelez-les par vos gémissements, non par des querelles ; appelez-les par vos prières, par vos invitations, par vos jeûnes ; qu’ils comprennent que c’est votre charité pour eux qui vous fait trouver la séparation douloureuse. Je n’en doute pas, mes frères, s’ils voient votre douleur, elle les couvrira de confusion et les ramènera à la vie. Viens donc, viens, ne crains pas de venir ; crains plutôt si tu ne viens pas, je dirai même : en ce’ cas, ne crains pas, mais verse des larmes. Viens, si tu m’écoutes tu ressentiras une grande joie ; à la vérité tu ne laisseras pas de gémir au milieu des tribulations de ce pèlerinage ; mais l’espérance te remplira de joie. Viens où est la colombe, à laquelle il a été dit : « Une est ma colombe, elle est une pour sa mère ». Tu aperçois une seule colombe sur la tête du Christ ; mais ne vois-tu pas que les langues sont répandues par tout l’univers ? Le même Esprit qui s’est manifesté par la colombe, s’est aussi manifesté par les langues. Si l’Esprit qui s’est montré dans la colombe est celui-là même qui s’est montré dans les langues, le Saint-Esprit a été donné à l’univers. Tu t’en es séparé pour crier avec le corbeau, au lieu de gémir avec la colombe. Viens donc.

16. Mais peut-être es-tu dans l’inquiétude et dis-tu : Baptisé en dehors de la colombe, je crains que le baptême que j’ai ainsi reçu me rende coupable. Tu as déjà commencé à apprendre de quoi il faut gémir. Tu dis vrai : en effet, tu es coupable, non pas d’avoir reçu le baptême, mais de l’avoir reçu en dehors de la colombe ; garde donc ce que tu as reçu, et répare la faute de l’avoir reçu en dehors. Tu as reçu le bien de la colombe en dehors de la colombe ; voilà deux choses : tu as reçu, et tu as reçu en dehors de la colombe. Que tu aies reçu, je n’y vois que du bien ; que tu aies reçu en dehors de la colombe, je te blâme. Garde donc ce que tu as reçu, on n’y changera rien, on le reconnaîtra : c’est la marque de mon roi ; je ne la profanerai pas, je changerai le déserteur, sans changer la marque.

17. Ne te glorifie pas de ton baptême, parce que je dis que c’est un vrai baptême. Oui, je le dis, c’est mm vrai baptême. L’Église catholique le dit comme moi : C’est un vrai baptême. La colombe le considère, elle le reconnaît ; elle gémit parce que tu l’as en dehors d’elle ; elle y voit quelque chose à avouer, quelque chose à corriger. C’est bien le baptême, Viens. Tu te glorifies de ce qu’il est un vrai baptême, et tu refuses devenir ? Qu’en est-il des méchants qui n’appartiennent pas à la colombe ? La colombe te dit : Les méchants parmi lesquels je gémis, et qui ne sont pas du nombre de mes membres, et parmi lesquels il est nécessaire que je gémisse, n’ont-ils pas ce que tu te glorifies d’avoir ? Plusieurs ivrognes n’ont-ils pas le baptême ? Le baptême n’a-t-il pas été reçu par nombre de gens avares, par beaucoup de gens idolâtres et, ce qui est pire, qui le sont eu secret ? Les païens ne vont-ils pas ou n’allaient-ils pas publiquement adorer les idoles ? Maintenant les chrétiens vont secrètement à là recherche des sorciers, ils consultent secrètement les devins. Et pourtant, tous ces gens-là ont reçu le baptême, mais la colombe gémit de se trouver au milieu de ces corbeaux. Pourquoi donc te réjouir de ce que tu as ? Ce que tu as, le méchant l’a aussi. Aie l’humilité, la charité, la paix ; reçois le bien qui te manque, afin que celui que tu possèdes te serve à quelque chose.

18. Car ce que tu as, Simon le magicien l’a eu aussi. Témoin le livre des Actes des Apôtres, ce livre canonique qui doit se lire chaque année dans l’Église. Dans les solennités qu’elle célèbre annuellement, après avoir fait mémoire de la passion du Seigneur, vous savez qu’elle fait la lecture de ce livre : on y trouve le récit de la conversion de l’Apôtre, qui de persécuteur est devenu prédicateur br ; et aussi l’histoire de la descente du Saint-Esprit au jour de la Pentecôte sous forme de feu partagé en diverses langues bs. Là nous lisons que plusieurs habitants de Samarie reçurent la foi par la prédication de Philippe : ce Philippe était l’apôtre ou le diacre ; car nous lisons encore qu’on ordonna sept diacres, au nombre desquels se trouvait un nommé Philippe bt. Les Samaritains crurent donc à cette prédication de Philippe, et Samarie commença à se remplir de fidèles. Alors s’y trouvait ce Simon le magicien qui, par ses artifices magiques, avait trompé le peuple au point de se faire passer pour la vertu de Dieu. Cependant cet homme, frappé des prodiges opérés par Philippe, crut aussi à son tour ; mais la suite lit bien voir de quelle nature était sa foi. Néanmoins il fut aussi baptisé comme les autres. Les Apôtres qui étaient à Jérusalem apprirent ce qui se passait à Samarie, ils y envoyèrent Pierre et Jean. Ceux-ci y trouvèrent un grand nombre de baptisés, mais ils n’y rencontrèrent personne qui eût reçu le Saint-Esprit, comme il descendait alors sur les fidèles et leur faisait parler différentes langues pour marquer la diversité des nations qui devaient être appelées à la foi. Les Apôtres leur imposèrent donc les mains en priant pour eux, et ils reçurent le Saint-Esprit. Ce Simon n’était pas une colombe dans l’Église, ce n’était qu’un corbeau ; car il recherchait ses intérêts, au lieu de rechercher ceux de Jésus-Christ bu ; dans le christianisme il préférait donc à la justice le pouvoir de faire des miracles. Voyant que les Apôtres donnaient le Saint-Esprit par l’imposition des mains (non qu’ils le donnassent par eux-mêmes, mais parce que leurs prières l’obtenaient de Dieu), il leur dit : « Combien voulez-vous d’argent, afin que par l’imposition de mes mains « l’Esprit-Saint soit donné ? » Et Pierre lui répondit : « Que ton argent demeure avec toi pour ta perte, parce que tu as cru que le don de Dieu pouvait s’acquérir par de l’argent ». À qui Pierre disait-il : « Que ton argent demeure avec toi tour ta perte ? » À un homme baptisé ; car Simon avait reçu le baptême, mais il n’était pas uni aux entrailles de la colombe. Écoute ; voici la preuve qu’il n’y était pas uni, fais attention aux paroles de Pierre ; il continue ainsi : « Tu n’as pas de part à cette foi, car je vois que tu es plein d’un fiel amer bv ». La colombe n’a pas de fiel, Simon en avait ; aussi était-il séparé des entrailles de la colombe. À quoi lui servait son baptême ? Ne te glorifie donc pas du tien, comme s’il suffisait pour ton salut de l’avoir reçu cesse de te mettre en colère, dépose ton fiel, tiens à la colombe. Alors te sera utile ce qui ne te servait de rien, ce qui était même nuisible pour toi, parce que tu l’avais reçu en dehors de la colombe,

19. Ne dis point : Je ne viendrai point parce que j’ai été baptisé en dehors de la colombe. Commence à avoir la charité, commence à porter le fruit de ce que tu as reçu ; que l’on trouve ce fruit en toi, et la colombe s’introduira au dedans. C’est ce que l’on trouve dans l’Écriture. L’arche avait été construite avec du bois incorruptible bw. Ce bois incorruptible n’est autre que les saints, que les fidèles qui appartiennent au Christ, De même, en effet, que les pierres vives dont le temple était construit étaient la figure des fidèles, ainsi le bois incorruptible de l’arche représente les hommes qui Persévèrent dans la foi. Dans l’arche il y avait donc des bois incorruptibles : cette arche, c’est l’Église ; la colombe y donne le baptême, car l’arche était portée sur les eaux, et ses bois incorruptibles y ont été plongés. Nous trouvons que d’autres bois étrangers à l’arche y ont été aussi submergés : c’étaient les arbres plantés sur toute la surface de la terre : c’était, néanmoins, partout la même eau, et non une eau différente ; car elle était venue soit du ciel, soit des abîmes des fontaines. C’est dans la même eau que furent plongés et les bois incorruptibles dont l’arche était composée, et les bois qui n’étaient pas entrés dans sa construction. La colombe fut envoyée ; d’abord elle ne trouve pas où se poser ; elle revient vient à l’arche, car tout était rempli d’eau ; elle aima mieux revenir que d’être baptisée de nouveau. Le corbeau fut envoyé avant la disparition des eaux : après avoir été se rebaptiser, il ne voulut plus revenir, et il périt dans ces eaux. Que Dieu nous préserve d’une pareille fin. Aussi bien, pourquoi ne revint-il pas ? C’est que les eaux l’en empêchèrent. Pour la colombe, ne trouvant où se poser, quoique l’eau lui criât de toutes parts : Viens, viens, plonge-toi ici, de même que ces hérétiques te crient : Viens, viens, ici on donne le baptême ; la colombe, ne trouvant pas où se reposer, revint à l’arche. Et Noé l’envoya de nouveau, de même que l’arche vous envoie pour parler à ces égarés : après cela, que fit la colombe ? Parce que les bois étrangers au corps de l’arche avaient été plongés dans l’eau, elle rapporta vers l’arche un rameau d’olivier. Ce rameau portait des feuilles et du fruit bx. Ne te contente pas de parler, de porter des feuilles, porte aussi des fruits : tu reviendras à l’arche, tu n’y reviendras pas de toi-même, mais la colombe t’y rappellera. Gémissez en dehors, afin que ceux qui s’y trouvent soient rappelés au dedans.

20. Car si nous cherchons à savoir ce qu’était ce fruit de l’olivier, nous l’apprendrons. Le fruit de l’olivier représente la charité. Comment le prouvons-nous ? De même que l’huile ne peut être maintenue au-dessous d’aucun liquide, qu’elle se fraie un passage et remonte à leur surface, ainsi la charité ne peut être retenue prisonnière en des régions inférieures ; elle tend de toute nécessité à monter vers le ciel. C’est pourquoi l’Apôtre dit d’elle : « Il est encore une voie plus élevée qu’il me faut vous montrer ». Nous avons dit que l’huile s’élève toujours au-dessus ; or, pour ne pas appliquer à autre chose qu’à la charité ces paroles de l’Apôtre : « Il est encore une voie plus élevée « qu’il me faut vous montrer », Écoutons ce qui suit : « Quand je parlerais le langage « des hommes et des anges, si je n’ai pas la « charité, je suis devenu comme un airain sonnant et une cymbale retentissante by ». Va maintenant, Donat, et crie : Je suis éloquent ! Va maintenant, et crie : Je suis docte ! Combien éloquent ? Combien docte ? Aurais-tu parlé le langage des anges ? Et quand même tu l’aurais parlé, si tu n’as pas la charité, je n’entendrais qu’un airain sonnant et une cymbale retentissante. Je veux quelque chose de plus solide, je veux trouver du fruit dans les feuilles : que les paroles ne soient pas seules, qu’elles portent l’olive, qu’elles reviennent à l’arche.

21. Mais, diras-tu, j’ai le sacrement. Tu dis vrai. Ce sacrement est divin ; tu as le baptême, et je l’avoue. Mais que dit le même Apôtre ? « Quand même je connaîtrais tous les mystères, quand je posséderais le don de prophétie et que j’aurais la foi jusqu’à transporter les montagnes ». Il parlait ainsi pour t’empêcher de dire : Je crois, cela me suffit. Mais que dit Jacques ? « Les démons aussi croient, et ils tremblent bz ». Grande chose que la foi ! mais chose inutile sans la charité. Les démons aussi confessaient le Christ : c’était de leur part avec foi en lui, mais ils ne l’aimaient pas, quand ils disaient : « Qu’y a-t-il u entre vous et nous ca ? » Ils avaient la foi, mais ils n’avaient pas la charité : c’est pourquoi ils étaient des démons. Ne te glorifie pas d’avoir la foi ; car il serait encore possible de te comparer aux démons. Ne (lis pas au Christ « Qu’y a-t-il entre vous et moi ? » L’unité du Christ te parle, elle te dit : Viens à moi, sache où est la paix, rentre dans les entrailles de la colombe. Tu as été baptisé en dehors d’elle, porte du fruit et tu reviendras à l’arche.

22. Mais, diras-tu, pourquoi nous chercher, puisque nous sommes des méchants ? Voilà précisément pourquoi nous vous cherchons, c’est que vous êtes méchants ; car si vous n’étiez pas méchants, nous vous aurions trouvés et nous ne vous chercherions pas. Celui qui est bon est déjà trouvé ; celui qui est méchant, on le cherche encore ; c’est pourquoi nous vous cherchons. Revenez à l’arche. Mais j’ai le baptême. « Quand même je saurais tous les mystères, quand j’aurais le don de prophétie, et une foi jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien ». Que je voie du fruit en toi, que j’y voie l’olive, et bientôt tu seras dans l’arche.

23. Mais que dis-tu ? Voilà que nous endurons beaucoup d’épreuves, Si seulement vous souffriez pour le Christ, et non pour les honneurs. Mes frères, écoutez ce qui suit : ils se vantent parfois de faire de grandes aumônes, de souffrir de mauvais traitements ; mais c’est pour Donat, ce n’est point pour le Christ. Remarque pourquoi tu souffres : si c’est pour Donat, tu souffres pour un orgueilleux, tu n’es pas dans la colombe dès là que tu souffres pour Donat. Il n’était pas l’ami de l’Époux ; car s’il avait été l’ami de l’Époux, il aurait recherché la gloire de l’Époux au lieu de rechercher la sienne propre cb. L’ami de l’Époux ne dit-il pas : « C’est celui-là qui baptise ? » Il n’était pas l’ami de l’Époux celui pour qui tu souffres. Tu n’as pas la robe nuptiale, et si tu viens au festin on te mettra dehors cc. Que dis-je ? c’est parce que tu as été mis dehors que tu es misérable ; reviens donc enfin et cesse de te glorifier. Écoute ce que dit l’Apôtre : « Quand même j’aurais distribué tout mon bien aux pauvres et livré mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité ». Voilà ce que tu n’as pas. « Quand j’aurais livré mon corps aux flammes », même pour le nom du Christ, comme il en est plusieurs qui le font par orgueil, et non par charité, Paul ajoute : « Quand j’aurais livré mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, il ne me sert de rien cd ». Ceux-là l’ont fait par charité, qui au temps de la persécution ont souffert le martyre ; ils ont agi par charité ; mais les Donatistes le font par sentiment d’orgueil et de superbe ; car, le persécuteur venant à manquer, ils se jettent d’eux-mêmes dans les précipices. Viens donc, afin d’avoir la charité. Mais nous avons des martyrs. Quels martyrs ? Ils ne sont point de la colombe ; aussi sont-ils tombés du haut de la pierre, quand ils ont voulu s’envoler.

24. Tout donc, vous le voyez, tout crie contre eux, toutes les pages divines, toutes les prophéties, tout l’Évangile, toutes les épîtres des Apôtres, tous les gémissements de la colombe, et cependant ils ne s’éveillent pas encore, ils ne sortent pas de leur sommeil. Pour nous, si nous sommes la colombe, gémissons, supportons-les, espérons ; la miséricorde de Dieu viendra pour échauffer du feu du Saint-Esprit votre simplicité ; et alors ils viendront. Il ne faut pas désespérer ; priez, prêchez, aimez, Dieu est tout – puissant. Déjà ils ont commencé à reconnaître leur audace ; plusieurs l’ont reconnue ; plusieurs en ont rougi ; le Christ viendra, et d’autres encore le reconnaîtront. Qu’au moins, mes frères, il ne reste parmi eux que la paille ; que tous les grains soient recueillis ; que tout ce qui chez eux porte du fruit revienne à l’arche, porté par la colombe.

25. Ainsi mis en défaut sur tous les points, ne trouvant plus rien à dire, que nous objectent-ils ? Ils nous ont pris nos maisons de campagne ; ils nous ont enlevé nos propriétés ; ils exhibent des testaments. Voici, disent-ils, la preuve que Gaïus Seïus a donné un fonds de terre à l’Église, à la tête de laquelle se trouvait Faustinus. De quelle Église Faustinus était-il évêque ? C’est l’Église à laquelle présidait Faustinus ; Faustinus était à la tête non pas d’une Église, mais d’un parti. La colombe seule est l’Église. Pourquoi crier ? Nous n’avons pas dévoré ces maisons de campagne : que la colombe les possède, que l’on sache qu’elle est la colombe et qu’elle les possède. Car, vous le savez, mes frères, ces maisons de campagne n’appartiennent pas à Augustin ; si vous l’ignorez, vous supposez que mon bonheur est de les posséder ; mais Dieu ne l’ignore pas, il sait ce que j’en pense, ce que je souffre à leur endroit ; il connaît avec quels gémissements, en raison de ce qu’il a daigné me confier des biens de la colombe. En tout cas, voilà ces biens. En vertu de quels droits les revendiques-tu ? Est-ce en vertu du droit divin ou du droit humain ? Qu’ils répondent, le droit divin, nous l’avons dans les Écritures ; le droit humain, dans les lois des empereurs, Ce que chacun possède, de quel droit le possède-t-il ? Car, de droit divin, la terre et tout ce qu’elle renferme est au Seigneur ce. Dieu a fait les hommes, les pauvres et les riches, d’un même limon ; pauvres et riches ne sont-ils pas supportés par la même terre ? C’est donc de droit humain que l’on dit : Ce bien est à moi, cette maison m’appartient, cet esclave est ma propriété. Si c’est de droit humain, c’est du droit des empereurs. Pourquoi ? Parce que Dieu s’est servi des empereurs et des princes du siècle, pour faire entre les hommes le partage de leurs droits. Voulez-vous que nous lisions les lois des empereurs et que nous tranchions par elles la question de possession de ces biens ? Si vous prétendez posséder de droit humain, récitons les lois des empereurs. Voyons si elles ont voulu accorder aux hérétiques le droit de posséder. Mais, disent-ils, que me fait l’empereur ? Cependant, c’est par son droit que vous possédez quelque portion de terre. Ou bien, fais disparaître le droit des empereurs, et alors qui osera dire : Ce bien est à moi, ou bien cette maison et cet esclave m’appartiennent ? Que si pour les avoir il leur a fallu admettre le droit des empereurs, voulez-vous que nous récitions leurs lois pour vous donner le contentement d’y voir que si vous avez mm seul jardin vous ne le devez qu’à ta mansuétude de la colombe, et parce qu’elle vous permet de le conserver ? En effet, nous lisons des lois manifestes des empereurs, où ils défendent à ceux qui usurpent le nom de chrétiens sans appartenir à la communion de l’Église catholique et qui ne veulent pas adorer en paix l’auteur de la paix, de rien oser posséder au nom de l’Église.

26. Mais, objectent-ils toujours, qu’y a-t-il entre nous et l’empereur ? Je le leur ai déjà dit : Il s’agit de droit humain. Or, l’Apôtre a voulu que l’on obéît aux princes ; il ordonne de les honorer, et il a dit : « Révérez le prince cf ». Ne dis donc pas : Qu’y a-t-il entre nous et le prince ? En ce cas, qu’y a-t-il entre toi et le droit de posséder ? C’est par le droit des princes que l’on possède. Tu dis : Qu’y a-t-il entre nous et le prince ? Ne parle donc plus de tes possessions, puisque tu as renoncé au droit humain sur lequel elles sont fondées. Mais, reprennent-ils, je me fonde sur le droit divin. En ce cas, relisons l’Évangile, voyons jusqu’où s’étend l’Église catholique, l’Église du Christ sur lequel est descendue la colombe et dont elle nous a appris « que c’est Celui-là qui baptise ». Lorsque l’Écriture dit : « Une est la colombe, elle est une pour sa mère » ; pourquoi avez-vous déchiré la colombe ? Je dis mieux, pourquoi avez-vous déchiré vos entrailles ? Car, après que vous vous êtes déchirés, la colombe demeure intacte. Puis donc, mes frères, qu’ils n’ont plus rien à dire, moi je leur dis ce qu’ils ont à faire, Qu’ils viennent à l’Église catholique, et ils posséderont avec nous, non seulement la terre, mais encore celui qui a créé le ciel et la terre,

VINGTIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DE L’APÔTRE SAINT ANDRÉ.

ANALYSE. —1. Pierre est le premier des Apôtres, et André en est le second : pourquoi Pierre en est-il le premier ? —2. Ils sont, tous deux, pécheurs, non pas de poissons, mais d’hommes. —3. Tous deux se séparent de Jean pour suivre le Christ. « Or, Jésus, marchant le long de la mer de Galilée, vit deux frères, Simon appelé Pierre, et André, son frère, qui jetaient leurs filets dans la mer, car ils étaient pêcheurs ; et il leur dit : Suivez-moi, et je vous ferai pêcheurs d’hommes ».

1. Le premier des Apôtres est Simon, appelé Pierre : après lui vient André, son frère, et chacun d’eux a reçu son rôle particulier de Celui qui pénètre le secret des cœurs. On appelle le premier Simon, surnommé Pierre, afin de le distinguer de l’autre Simon appelé le chananéen, parce qu’il était originaire de Chana de Galilée, où le Sauveur changea l’eau en vin. D’après la disposition de Jésus, les Apôtres vont donc deux à deux ; ainsi, Pierre avec André, son frère ; mais les liens qui les unissent sont plutôt spirituels que charnels. Simon veut dire l’obéissant, parce qu’il a obéi à la voix du Seigneur, au moment où Celui-ci lui a dit, ainsi qu’à André : « Suivez-moi, je vous ferai pêcheurs d’hommes cg ». Pierre signifie le connaissant, parce qu’il a reconnu les titres du Christ, quand les autres disciples en doutaient. Jésus leur avait adressé cette question : « Et vous, qui dites« vous que je suis ch? » Contrairement à l’opinion de ses condisciples, Pierre répondit : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant ci ». Voilà d’où lui est venu son nom : voilà aussi pourquoi, après avoir, pendant le cours des prédications qu’il faisait aux Juifs, parcouru la Cappadoce, la Galatie, la Bithynie, le Pont et toutes les provinces voisines, il est venu ensuite à Rome, qu’il devait illustrer.

2. Le nom d’André est grec ; en latin, il se traduit par le mot viril ; cet apôtre s’est, en effet, montré aussi courageux pour prêcher que pour endurer des persécutions en faveur de la justice. Il annonça l’Évangile aux Scythes. Ces deux frères furent les premiers appelés à suivre le Christ. Pourquoi le Sauveur a-t-il envoyé, pour prêcher, des pêcheurs, des hommes sans instruction ? C’était afin qu’on n’attribuât pas la foi de ceux qui croiraient aux talents et à la science des prédicateurs, au lieu d’y voir l’effet de la puissance divine. Il a donc appelé de tels hommes à l’apostolat, et, de pêcheurs de poissons qu’ils étaient, il en a fait des pêcheurs d’hommes. Car, de même que par leurs filets ils allaient chercher les poissons dans les profondeurs de l’eau, pour les amener à sa surface ; ainsi, par la prédication des commandements de Dieu, ils ont retiré les hommes de l’abîme des erreurs mondaines. Trois évangélistes leur ont donné le nom de pêcheurs, et Jean a été le seul qui leur ait donné un autre nom. Il leur convenait parfaitement, puisque le Sauveur leur a ôté la profession de pêcheurs, pour leur confier la mission de prêcher l’Évangile aux hommes et de les amener ainsi à se sauver par la foi. En parlant d’eux, le Prophète n’avait-il pas dit : « J’enverrai des pécheurs qui les pêcheront cj ? » Tout ceci s’est donc accompli dans la personne des Apôtres, puisque de pêcheurs de poissons ils sont devenus des pêcheurs d’hommes. En effet, comme on retire les poissons du milieu de la mer au moyen de filets ; de même, par la prédication apostolique, les hommes sortent du monde et arrivent à la foi du Fils de Dieu.

3. « Le lendemain, Jean s’arrêta avec deux de ses disciples, et, regardant Jésus qui s’avançait, il dit : Voici l’Agneau de Dieu ; et les deux disciples l’entendirent parler et suivirent Jésus ck ». Il est sûr que ces deux disciples de Jean furent André et Philippe, qui suivirent le Seigneur Christ dans l’intention d’apprendre quelque chose à son école. Que leur dit-il ? a Suivez-moi a. N’était-ce pas leur dire, en propres termes : Croyez et voyez, c’est-à-dire, comprenez ? Ce jour-là, ils furent éclairés, et ils crurent à la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ. L’Évangéliste ajoute : « Il était à peu près dix heures ». Que signifie cette dixième heure ? Évidemment la fin de l’Ancien Testament et le commencement du Nouveau. Jean était, en effet, le symbole de l’ancienne loi, et les deux disciples figuraient d’avance l’amour de Dieu et celui du prochain ; aussi quittèrent-ils Jean pour suivre le Sauveur, parce que la figure de la loi ayant disparu, le Nouveau Testament lui succéda, et qu’alors commença le règne de l’Évangile de Jésus-Christ.

SEPTIÈME TRAITÉ.

DEPUIS L’ENDROIT OU IL EST ÉCRIT : « ET MOI JE L’AI VU, ET J’AI RENDU TÉMOIGNAGE QU’IL EST FILS DE DIEU », JUSQU’À « EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, VOUS VERREZ LE CIEL « OUVERT ET LES ANGES MONTER ET DESCENDRE SUR LE FILS DE L’HOMME ». (Chap 1, 34-51.)

LES TÉMOINS DU CHRIST.

La colombe a fait connaître à Jean l’unité du baptême et l’union des cœurs dans le Christ par la charité qui vivifie les œuvres et même la foi, et les rend dignes du ciel ; aussi cet Apôtre en a-t-il rendu témoignage et affirmé que Jésus est « l’Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde ». À ces paroles du Précurseur, les deux disciples, qui étaient là, s’approchèrent du Christ vers la dixième heure pour lui adresser une question, et trouvèrent en lui l’auteur et le docteur de la loi que nous devons accomplir dans le sentiment de la charité, avec le secours et la grâce de notre maître. Pierre vint ensuite, qui reçut de Jésus le privilège de figurer l’Église, cette pierre sur laquelle seule peut reposer solidement l’édifice de notre sanctification. Puis, Nathanaël lui succéda, homme docte et digne, à cause de sa droiture, D’être sinon choisi comme apôtre, du moins guéri par le céleste médecin. À la première parole du Christ, il reconnut effectivement en lui le Fils de Dieu à cause de sa miséricorde pour les pécheurs ; il crut donc, mais sa foi devait s’accroître encore à la vue des vertus et des travaux des Apôtres.

1. Je veux d’abord me réjouir avec vous de votre grand nombre, et de ce que vous êtes venus ici avec un empressement qui dépasse toutes nos espérances. C’est là ce qui nous réjouit et nous console dans tous les travaux et les périls de cette vie, votre amour pour Dieu, la piété de votre zèle, la fermeté de votre espérance et votre ferveur. Vous avez entendu à la lecture du psaume que le pauvre et l’indigent crient vers Dieu en cette vie cl. Cette voix, vous l’avez entendu dire souvent, et vous ne devez pas en avoir perdu le souvenir, cette voix, ce n’est pas la voix d’un seul homme, et pourtant elle est la voix d’un seul ; elle n’est pas la voix d’un seul à cause de la multitude des fidèles, grains nombreux mêlés à la paille où ils gémissent, et répandus par tout l’univers ; elle est la voix d’un seul parce que tous sont les membres du Christ et forment ainsi un seul corps. Ce peuple indigent et pauvre ne sait tirer ses joies de ce monde : ses douleurs comme ses joies sont au dedans de lui ; elles se trouvent où celui-là seul porte ses regards, qui écoute les gémissements et couronne les espérances. Les joies du siècle ne sont que vanité. Cette joie, on l’attend avec une fiévreuse impatience, et quand elle est venue on ne peut la retenir. Ainsi ce jour, qui est un jour de joie pour les débauchés de cette ville, ne sera plus demain, et eux-mêmes ne seront plus demain ce qu’ils sont aujourd’hui. Ainsi, tout passe, tout s’envole, tout s’évanouit comme la fumée, et malheur à ceux qui y attachent leurs affections. Car toute âme suit ce qu’elle aime. Toute chair est comme l’herbe, et toute la gloire de la chair est comme la fleur des champs ; l’herbe a séché et la fleur est tombée, mais la parole du Seigneur demeure éternellement cm. Voici ce qu’il te faut aimer, si tu veux demeurer toujours ; mais, vas-tu me dire : Comment puis-je saisir le Verbe de Dieu ? Le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous cn.

2. C’est pourquoi, mes bien-aimés, que le rôle de notre indigence et de notre pauvreté soit de pleurer ceux qui sont riches à leurs yeux. Car leur joie ressemble à celle des frénétiques. Un frénétique se réjouit de sa folie, il en rit ; mais celui qui jouit de son bon sens, pleure sur le sort de cet infortuné. Ainsi devons-nous faire, mes bien-aimés, si nous avons reçu le remède descendu du ciel ; car, tous aussi nous étions des frénétiques ; mais nous avons été guéris, car nous cessons d’aimer ce que nous aimions alors ; gémissons devant Dieu sur le malheur de ceux qui sont encore fous. Aussi bien il est assez puissant pour les guérir à leur tour. Pour cela, il est besoin qu’ils se regardent et qu’ils se déplaisent. Ils veulent voir, et ils ne savent pas se voir eux-mêmes. S’ils veulent jeter un instant les yeux sur eux-mêmes, ils verront des sujets qu’ils ont de rougir. Jusqu’à ce qu’ils le fassent, nous avons d’autres soucis d’autres soins réclament notre attention ; mieux vaut notre douleur que leur joie. Pour ce qui regarde le nombre de nos frères, il me semble difficile que les divertissements de cette journée nous en aient ravi quelques-uns ; mais en ce qui regarde nos sœurs, c’est pour nous le sujet d’une grande tristesse et d’une profonde douleur, de voir qu’elles n’ont pas été plus empressées à venir à l’Église. Car, à défaut de la crainte de Dieu, le sentiment de la pudeur aurait dû les éloigner du tumulte de la rue. Que celui qui voit tout, jette les yeux sur elles, et que sa miséricorde vienne les guérir toutes. Pour nous qui sommes assemblés ici, nourrissons-nous au festin de Dieu, et que sa parole fasse notre joie. Il nous a invités à entendre son Évangile, il est lui-même notre nourriture ; il n’y en a pas de plus douce, à condition, néanmoins, que le palais de notre cœur puisse en apprécier la saveur.

3. J’ai sujet de le croire, votre charité n’a pas oublié qu’on lui fait une lecture suivie et convenable de l’Évangile. Vous vous souvenez sans doute de ce que nous avons déjà dit, principalement en dernier lieu, de Jean et de la colombe. Au sujet de Jean, nous avons dit ce qu’il avait appris de nouveau sur le ministère de la colombe relativement au Sauveur, bien qu’il le connût déjà. Avec l’assistance du Saint-Esprit, nous nous sommes aperçus que Jean connaissait le Seigneur ; mais que le Seigneur dût baptiser de manière à ne communiquer à personne le pouvoir du baptême, voilà ce que Jean a appris par la colombe lorsqu’il lui a été dit : « Celui sur lequel tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est celui-là qui baptise dans l’Esprit-Saint co ». Qu’est-ce à dire : « C’est celui-là ? » C’est-à-dire nul autre, quoique par un autre. Mais pourquoi Jean l’a-t-il appris par la colombe ? J’en ai donné plusieurs raisons qu’il m’est impossible de vous rappeler en totalité ; d’ailleurs, pas n’est besoin d’y revenir. La principale de toutes était le motif de la paix. En effet, les bois qui n’avaient pas servi à la construction de l’arche avaient été comme les antres plongés dans l’eau, et parce que la colombe avait trouvé du fruit sur leurs branches, elle en avait rapporté dans l’arche. Vous vous souvenez, en effet, que Noé avait envoyé la colombe hors de l’arche, et que cette arche, portée sur les eaux du déluge, en était baignée, mais non submergée. Ayant donc été envoyée au-dehors, la colombe t’apporta un rameau d’olivier ; mais le rameau n’avait pas seulement des feuilles, il avait aussi du fruit cp. De là nous avons conclu que ce qu’il faut désirer à nos frères baptisés hors de l’Église, c’est de porter du fruit, la colombe ne les laissera pas dehors, elle les ramènera dans l’arche. Ce fruit est tout entier dans la charité, sans laquelle l’homme n’est rien, quoi qu’il ait d’ailleurs. Et nous avons rappelé et cité ces paroles formelles de l’Apôtre à ce sujet : « Quand même je parlerais le langage des anges et des hommes, si je n’ai pas la charité, je suis devenu comme un airain sonnant et une cymbale retentissante. Quand j’aurais la science de toutes choses, quand même je connaîtrais tous les mystères, quand j’aurais surabondamment le don de prophétie, quand j’aurais la perfection de la foi », (qu’entend-il par cette perfection de la foi?) « c’est-à-dire jusqu’à transporter les montagnes, quand même j’aurais distribué tous mes biens aux pauvres, quand j’aurais livré mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, cela ne me servira de rien cq ». Or, ceux qui détruisent l’unité ne peuvent en aucune manière prétendre avoir la charité. Voilà ce que nous avons dit ; voyons la suite.

4. Jean a rendu témoignage parce qu’il a vu. Quel témoignage a-t-il rendu ? « Que celui-là est le Fils de Dieu ». Il fallait donc que celui-là baptisât qui est le Fils unique de Dieu par nature, et non par adoption. Les fils adoptifs sont les ministres du Fils unique. Le Fils unique a le pouvoir, les fils adoptifs ont le ministère, Quoique le baptême soit vraiment conféré par un ministre qui n’est pas du nombre des fils adoptifs, à cause de sa mauvaise vie et de sa mauvaise conduite, quel sujet de consolation avons-nous ? « C’est celui-là qui baptise ».

5. « Le lendemain Jean était encore là, et deux de ses disciples avec lui, et, regardant Jésus qui marchait, il dit : Voici l’Agneau de Dieu ». Il est sûr que cet Agneau est unique de ce nom ; bien que ses disciples aient aussi été appelés de ce nom : « Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups cr ». Il a été dit qu’ils étaient la lumière : « Vous êtes la lumière du monde cs »Jésus-Christ était aussi la lumière, mais d’une manière bien différente, puisqu’il a été dit de lui : « Il était la lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde ct ». Pareillement il est l’Agneau, mais cet Agneau est unique ; il est le seul qui n’ait pas de tache, le seul qui n’ait pas de péché : en lui nulle souillure n’a été effacée, parce qu’il n’en portait aucune. Eh quoi ! parce que Jean disait du Sauveur : « Voici l’Agneau de Dieu », n’était-il pas lui-même un agneau ? N’était-il pas sain ? N’était-il pas l’ami de l’Époux ? À Jésus-Christ seul pouvaient s’appliquer réellement ces paroles : « Voici l’Agneau de Dieu », parce que les hommes n’ont pu être rachetés que par le sang de cet Agneau unique.

6. Mes frères, si nous reconnaissons que le prix de notre rançon c’est le sang de l’Agneau, de quel nom appeler ceux qui célèbrent aujourd’hui la fête du sang de je ne sais quelle femme ? Qu’ils sont inconséquents ! Un pendant, à ce qu’ils disent, a été arraché de l’oreille de cette femme, le sang a coulé ; l’or a été mis sur un plateau ou une balance, le sang dont il était imprégné a donné à l’or plus de poids. Si le sang d’une femme a été capable de faire incliner le plateau de la balance où se trouvait l’or, quel poids a dû ajouter au monde le sang de l’Agneau qui a créé le monde ? Je ne sais quel esprit apaisé par ce sang ajoutait ainsi au poids de l’or. Car les esprits impurs connaissaient l’avènement futur de Jésus-Christ ; ils l’avaient appris des anges et des Prophètes, ils ne doutaient pas qu’il ne dût venir. S’ils en avaient douté, se seraient-ils écrié : « Qu’y a-t-il entre vous et nous ? Êtes-vous venu nous perdre avant le temps ? Nous savons qui vous êtes, le Saint de Dieu cu ». Ils savaient qu’il devait venir ; mais ils ignoraient le temps de sa venue. Mais qu’avez-vous entendu dire au Psalmiste touchant Jérusalem ? « Parce que ses pierres ont plu à vos serviteurs, et que sa poussière les a émus, vous vous lèverez, Seigneur, et vous aurez pitié de Sion, puisque le temps est venu d’en avoir pitié cv ». Quand fut venu le temps où Dieu devait en prendre pitié, l’avènement de l’Agneau eut lieu. Quel était cet Agneau que redoutent les loups ? Quel était cet Agneau qui en mourant a tué le lion ? Il a été dit du démon qu’il est un lion tournant et rugissant, cherchant une proie cw. Ce lion a été vaincu par le sang de l’agneau. Voilà à quels spectacles assistent les chrétiens. Spectacles d’autant plus excellents que dans les autres les yeux de la chair ne voient que vanité, et qu’ici la vérité s’étale aux regards de notre cœur. Ne pensez pas, mes frères, que Dieu nous ait privés de spectacles ; car s’il n’y en a pas pour nous, pourquoi êtes-vous ici aujourd’hui ? Ce que nous vous avons dit, vous en avez la preuve, vous avez acclamé nos paroles. L’auriez-vous fait si vous n’aviez rien vu ? Non, évidemment. C’est un grand spectacle donné par tout l’univers que celui du lion vaincu par le sang de l’Agneau, que celui des membres du Christ arrachés de la mâchoire du lion et réunis au corps du Christ. Aussi, par je ne sais quelle imitation de la vérité, un esprit mauvais a voulu que son image fût achetée par le sang ; car il savait qu’un jour un sang précieux rachèterait le genre humain. C’est ainsi que les esprits malins se procurent comme une ombre d’honneur afin de tromper ceux qui suivent le Christ. C’est au point que ceux-là même qui séduisent les autres par des sortilèges, des enchantements et toutes les machinations de l’ennemi, y mêlent le nom du Christ ; car, ne pouvant plus séduire les chrétiens jusqu’à leur présenter le poison tout pur, ils y ajoutent un peu de miel. Ainsi l’amertume du breuvage disparaît à la faveur de ce qu’ils y mêlent de doux, et les chrétiens le boivent pour leur perte. J’ai connu autrefois un prêtre de Castor qui avait coutume de dire : Castor aussi est chrétien. Pourquoi cela, mes frères ? C’est que les chrétiens ne peuvent être séduits par d’autres moyens.

7. Ne cherchez donc le Christ que là où il a voulu vous être annoncé ; et comme il a voulu être prêché, gardez-le et inscrivez-le dans votre cœur. Il est le mur qui doit vous préserver contre tous les assauts et toutes les embûches de l’ennemi. Ne craignez rien ; car cet ennemi ne peut pas même vous tenter qu’il n’en ait reçu la permission ; il est constant aussi qu’il ne peut rien faire qu’il n’en ait reçu l’ordre ou la permission. Il agit par commandement, quand il est envoyé comme un ange mauvais par la puissance qui le domine. 2 agit par permission, quand il demande et obtient quelque chose. L’un et l’autre n’ont lieu que pour l’épreuve des justes et la punition des méchants. Que crains-tu donc ? Marche dans le Seigneur ton Dieu, et sois tranquille. Ce qu’il ne veut pas que tu souffres, tu ne le souffriras pas ; et s’il permet que tu souffres, ce sera de sa part la correction d’un père, et non la condamnation d’un juge. Il veut nous préparer à l’héritage éternel, et nous refusons d’être corrigés ! Mes frères, à un enfant qui refuserait de recevoir un soufflet ou des coups de verge de la main de son père n’aurions-nous pas le droit de dire qu’il est un orgueilleux et qu’il n’offre plus aucune ressource, puisqu’il méconnaît l’intérêt que lui porte son père ? Cependant, pourquoi un père forme-t-il son fils, puisqu’il est un homme comme lui ? Pour l’empêcher de dissiper les biens temporels qu’il lui a acquis, qu’il a amassés pour lui, qu’il ne veut pas lui voir perdre et qu’il lui abandonne parce qu’il ne peut lui-même les posséder toujours. Il n’élève pas un fils qui doive posséder ses biens conjointement avec lui, mais un fils qui les possédera après lui. Mes fières, si un père élève avec ce soin un fils destiné à n’être que son successeur, et si ce fils ainsi élevé ne doit lui-même posséder ces biens que transitoirement, comme les possède celui qui le dirige, comment voudrions-nous n’être pas formés par notre Père dont nous ne devons pas être les successeurs, mais les associés, avec qui nous demeurerons à jamais dans un héritage qui ne passe pas, qui ne finit pas, qui n’a à craindre ni les orages ni les tempêtes ? Cet héritage n’est autre que lui-même, et il est notre père. C’est lui que nous posséderons, et nous ne voudrions pas recevoir de lui des leçons ? Supportons donc les enseignements d’un père. Quand la tête nous fait mat, ne recourons ni aux enchantements, ni aux sortilèges, ni aux vains remèdes. Mes frères, comment pourrai-je ne pas gémir à votre sujet ? Tous les jours je vois pareilles choses, et qu’y faire ? N’aurais-je donc pas encore réussi à persuader à des chrétiens qu’ils doivent mettre toutes leurs espérances dans le Christ ? Si quelqu’un est mort après avoir fait usage de ces remèdes (et de fait combien sont morts avec ces remèdes, et combien n’ont pas laissé de vivre sans y avoir recouru), de quel front sou âme est-elle allée vers Dieu ? Le signe du Christ a été effacé en lui, et sur lui a été tracé le signe du diable. Peut-être dira-t-il : Je n’ai point perdu le signe du Christ. Tu as donc porté en même temps le signe dit Christ et le signe du diable ? Le Christ ne veut pas de partage ; il veut posséder tout entier ce qu’il a acheté, Il l’a acheté assez cher pour le posséder seul, tu lui donnes pour copartageant le diable auquel tu t’es vendu par le péché. Malheur à ceux qui ont le cœur double cx, qui font dans leur cœur une part à Dieu et une part au diable, Dieu, irrité de voir qu’une part y est faite au diable, s’en éloignera, et le diable le possédera tout entier. Aussi n’est-ce pas sans raison que l’Apôtre a dit : « Ne donnez pas de place au diable cy ». Connaissons donc l’Agneau, mes frères, connaissons le prix de notre rachat.

8. « Jean était là, et deux de ses disciples avec lui ». Voilà avec Jean deux de ses disciples. Jean était un si sincère ami de l’Époux, qu’il ne cherchait pas sa propre gloire mais qu’il rendait témoignage à la vérité. A-t-il prétendu voir ses disciples demeurer avec lui et ne pas suivre le Seigneur ? Au contraire il leur montre lui-même celui qu’ils doivent suivre : ils le regardaient comme l’Agneau ; mais il leur disait : Pourquoi me considérer comme tel ? Je ne suis pas l’Agneau, « Voici l’agneau de Dieu », le même dont il avait dit plus haut encore : « Voici l’Agneau de Dieu ». À quoi nous sert l’Agneau de Dieu ? « Voici celui qui efface le péché du monde ». L’ayant entendu, les deux disciples qui étaient avec Jean suivirent Jésus-Christ.

9. Voyons la suite : « Voici l’Agneau de Dieu ». C’est Jean qui parle. « Les deux disciples l’ayant entendu parler ainsi, suivirent Jésus. Jésus s’étant tourné, et les voyant qui le suivaient, leur dit : Que cherchez-vous ? Ceux-ci lui dirent : Rabbi, c’est-à-dire : Maître, où demeurez-vous ? » Ils ne le suivirent pas comme s’ils devaient rester désormais attachés à sa personne ; la circonstance où ils s’attachèrent à lui est connue ; c’est lorsqu’il leur fit quitter leur barque. En effet, l’un de ces deux disciples était André, ainsi que vous l’avez entendu tout à l’heure. Or, André était frère de Pierre, et nous savons par l’Évangile que le Seigneur fit quitter leur barque à Pierre et à André, en leur disant : « Suivez-moi, et je vous ferai pêcheurs d’hommes cz ». Et de ce moment ils s’attachèrent à lui et ne te quittèrent plus. De ce que les deux disciples le suivent alors, il ne résulte pas qu’ils le suivirent pour ne plus le quitter ; mais ils voulurent voir où il demeurait et faire ce qui est écrit : « Que ton pied use le seuil de sa porte, lève-toi souvent pour aller le voir et t’instruire de ses Préceptes da » Il leur montra où ils demeuraient, ils vinrent et passèrent ce jour-là à causer avec lui. Quel bienheureux jour ils passèrent ! Quelle bienheureuse nuit ! Qui nous dira ce qu’ils ont entendu de la bouche du Sauveur ? Bâtissons, nous aussi, dans notre cœur, et faisons-lui une maison où il vienne nous instruire et s’entretenir avec nous.

10. « Que cherchez-vous ? Ils lui dirent : « Rabbi, c’est-à-dire Maître, où demeurez-vous ? Il leur dit : Venez et voyez. Et ils vinrent et ils virent où il demeurait, et passèrent avec lui ce jour-là. C’était environ la dixième heure ». Pensons-nous que l’Évangéliste n’avait aucun motif de nous dire quelle heure il était ? Est-il possible qu’il n’ait rien voulu nous faire remarquer ? qu’il n’ait pas voulu nous exciter à découvrir quelque chose ? Il était dix heures. Ce nombre dix signifie la loi, parce que la loi a été donnée en dix préceptes. Or, le temps était venu où la loi serait accomplie par la charité ; car les Juifs ne pouvaient l’accomplir par la crainte. Ce qui fait dire à Notre-Seigneur : « Je ne suis pas venu détruire la loi, mais l’accomplir db ». C’est donc avec raison que, sur la parole de l’ami de l’Époux, ses disciples se mirent à la suite du Christ à la dixième heure, et qu’au même moment le Sauveur fut appelé par eux : « Rabbi », c’est-à-dire Maître. Si le Seigneur s’entendit appeler : « Rabbi », à la dixième heure, et si le nombre dix marque la loi, le Maître de la loi n’est autre que celui qui a donné la loi. Que personne ne dise : Autre est celui qui a donné la loi, autre est celui qui enseigne. Celui-là l’enseigne qui l’a donnée. Il est à la fois le Maître et le docteur de la loi. Ses paroles sont empreintes de miséricorde ; aussi enseigne-t-il miséricordieusement la loi, ainsi qu’il est dit de la Sagesse : « Elle porte la loi et la miséricorde sur sa langue  dc ». Ne crains donc pas de ne pouvoir accomplir la loi ; aie recours à la miséricorde. Si c’est trop pour toi d’accomplir la loi, utilise ce contrat, le titre est la prière que l’a donnée et qu’a composée pour toi ce jurisconsulte céleste.

11. Ceux qui ont un procès et qui veulent adresser à ce sujet une supplique à l’empereur, cherchent quelque légiste habite qui rédige leur requête ; car ils ont peur, s’ils demandent autrement qu’il ne faut, non seulement de ne pas obtenir ce qu’ils demandent, mais même de se voir punis au lieu d’être favorisés. Les Apôtres voulaient adresser une supplique à l’Empereur-Dieu, et ne savaient comment s’y prendre pour arriver jusqu’à lui : c’est pourquoi ils dirent au Sauveur : « Seigneur, enseignez-nous à prier », c’est-à-dire, notre jurisconsulte, notre conseiller, ou plutôt, notre assesseur, composez-nous notre prière. Et, par une formule puisée au livre de la jurisprudence céleste, le Seigneur leur apprit à prier, et dans cette formule même il mit une condition : « Remettez-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs dd ». Si tu ne demandes pas selon la loi, tu deviens criminel. Devenu criminel, crains-tu le Juge ? Offre le sacrifice de l’humilité, offre le sacrifice de la miséricorde, dis en tes prières : Remettez-moi, comme je remets. Mais si tu le dis, fais-le. Que feras-tu, en effet ? Où iras-tu, si tes prières sont des mensonges ? Comme on dit au barreau, non seulement In seras privé du bénéfice de ton rescrit, mais ce rescrit lui-même tu ne l’obtiendras pas. C’est une maxime de droit : quand un homme a menti dans sa requête, la grâce qu’il a obtenue devient nulle. Ceci a lieu parmi les hommes, car l’homme a pu être trompé, l’empereur a pu être induit en erreur quand lu lui as présenté ta requête ; tu as dit ce que tu as voulu, et celui à qui tu l’as dit ignore si tu as dit la vérité. Aussi laisse-t-il à ton adversaire le soin de prouver ton mensonge, afin que si tu en es convaincu devant le juge, tu sois privé du bénéfice de ce rescrit que tu as porté devant lui ; car il n’a pu s’empêcher de t’accorder la grâce que tu sollicitais, vu qu’il ignorait si tu disais vrai ou non. Mais Dieu, qui sait si tu dis la vérité ou un mensonge, n’agit pas seulement de manière à rendre ta requête nulle à son tribunal : il l’empêche même d’y arriver, parc que tu as osé mentir à la vérité.

12. Que feras-tu ? dis-le-moi. Accompli de tout point la loi, en sorte que lu n’ manques en rien, c’est difficile. La faute est donc certaine ; refuseras-tu d’user du remède Voyez, mes frères, quel remède Dieu a pré paré contre les maladies de l’âme. Lequel donc ? Lorsque tu as mal à la tête, nous te louons si tu y mets l’Évangile au lieu de l’envelopper de linges. L’infirmité des hommes est si grande, ceux qui recourent aux bandages sont tellement à plaindre, que nous sommes forcés de nous réjouir quand nous voyons un homme couché dans un lit, en proie à la fièvre et aux douleurs, ne mettre sa confiance que dans le livre des Évangiles et le placer sur sa tête, non pas que l’Évangile soit destiné à pareil usage, mais parce qu’il est préféré aux bandages. Dès lors qu’on le met sur sa tête pour en calmer la douleur, pourquoi ne point le placer sur son cœur pour le guérir de ses péchés ? Qu’on le fasse donc. Qu’on fasse quoi ? Qu’on l’applique sur son cœur, afin que ce cœur soit guéri. Il est bon, oui il est bon que tu n’aies d’autre souci de ta santé que de la demander à Dieu. S’il sait qu’elle te sera utile, il te l’accordera ; et s’il ne te la donne pas, c’est qu’il prévoit qu’elle note serait pas profitable. Combien demeurent dans leur lit sans commettre de péchés, qui se portant bien se laisseraient aller à toute sorte de crimes ? À combien de gens la santé est nuisible ? Le brigand qui se jette à la gorge d’un homme pour le tuer n’aurait-il pas plus d’avantages à être malade ? Celui qui se lève de nuit pour miner un mur étranger, n’aurait-il pas plus d’avantages à être tourmenté de la fièvre ? Malade, il resterait innocent ; en sauté, c’est un scélérat. Dieu sait ce qui nous convient. Faisons seulement en sorte que notre cœur soit libre de tout péché, et s’il nous arrive d’être éprouvés en notre corps, prions Dieu. L’apôtre Paul lui a demandé d’éloigner de lui l’aiguillon de la chair, et il ne l’a pas voulu. Paul s’est-il troublé ? s’est-il laissé aller à la tristesse ? s’est-il plaint d’être abandonné ? Au contraire, il s’est d’autant moins dit abandonné, que ce dont il demandait l’éloignement lui demeurait pour la guérison de sa faiblesse. Il l’a reconnu à cette parole du médecin : « Ma grâce te suffit ; car la vertu se perfectionne dans l’infirmité de ». Pourquoi Dieu ne veut-il pas te guérir ? C’est qu’il est encore avantageux pour toi d’être éprouvé. Comment pourrais-tu savoir jusqu’à quel point est pourri ce que retranche le médecin, quand il plonge son instrument dans une plaie ? Ne sait-il pas comment et jusqu’où il doit le faire ? Les hurlements du malade opéré éloignent-ils la main de l’habile opérateur ? L’un crie, l’autre coupe. Est-il cruel pour ne pas entendre les cris ? Ou plutôt ne se montre-t-il pas miséricordieux en poursuivant le mal jusqu’à sa racine, afin de guérir plus sûrement le malade ? Je vous ai dit ceci, mes frères, pour que personne ne cherche du secours ailleurs qu’en Dieu, quand il arrive que le Seigneur nous châtie. Prenez garde de périr, prenez garde de vous éloigner de l’Agneau et d’être dévoré par le lion.

13. Nous avons dit pourquoi à la dixième heure. Voyons la suite : « André, frère de Simon Pierre, était un de ceux qui avaient entendu Jean et avaient suivi Jésus. Il rencontra Simon son frère et lui dit : Nous avons trouvé le Messie, c’est-à-dire le Christ ». Messie, en hébreu, c’est comme Christ, en grec, et oint, en latin. De son onction lui vient le nom de Christ. Chrisma, en grec, veut dire onction, donc le Christ veut dire : oint. Onction unique, onction particulière et à laquelle participent tous les chrétiens et lui aussi, mais plus excellemment que tous. Voici comment en tarie le Psalmiste, écoute-le : « C’est pourquoi, ô Dieu, votre Dieu vous a oint d’une onction de joie par-dessus tous ceux qui la partageront avec vous df ». Les copartageants, ce sont les saints ; mais il est, lui, tout particulièrement le Saint des saints ; il a reçu une onction qui est propre à lui seul ; il est le Christ d’une manière unique.

14. « Et André l’amena à Jésus. Jésus l’ayant regardé lui dit : Tu es Simon, fils de Jean, tu t’appelleras Céphas, c’est-à-dire Pierre ». Ce n’est pas chose étonnante que le Sauveur ait dit à Pierre de qui il était fils, Qu’y a-t-il de grand pour le Sauveur ? Il connaissait le nom de tous les saints qu’il s’était prédestinés avant la constitution du monde, et tu es surpris qu’il ait dit à un homme : Tu es le fils d’un tel, et tu t’appelleras de tel nom ? Le merveilleux en cela, c’est qu’il ait changé son nom et qu’il l’ait appelé Pierre ; car ce nom de Pierre est emprunté à celui de la pierre ; or, cette pierre, c’est l’Église, Ainsi le nom de Pierre préfigurait l’Église. Qui est-ce qui bâtit avec assurance, sinon celui qui bâtit sur la pierre ? En effet, que dit le Seigneur ? « Celui qui écoute mes paroles et les met en pratique, je te comparerai à un homme prudent qui bâtit sur la pierre » (il ne cède pas aux tentations) : « la pluie est tombée, les fleuves sont venus, les vents ont soufflé et se sont jetés sur cette maison, et elle n’est pas tombée ; car elle était fondée sur la pierre. Celui qui écoute mes paroles et ne les met pas en pratique » (ici que chacun de vous tremble et se mette sur ses gardes), « je le comparerai à un insensé qui a bâti sa maison sur le sable : la pluie est tombée, les fleuves sont venus, les vents ont soufflé et se sont jetés sur cette maison, et elle est tombée, et il s’en est fait une grande ruine dg ». À quoi sert d’entrer dans l’Église, si l’on veut bâtir sur le sable ? En écoutant la parole sans la mettre en pratique, on bâtit, c’est vrai, mais on bâtit sur le sable. Si l’on n’écoute rien, on ne bâtit rien ; si l’on écoute, on bâtit. Mais il faut savoir que quiconque écoute et agit bâtit sur la pierre, celui qui écoute et n’agit pas bâtit sur le sable. Il y a donc deux sortes d’hommes qui bâtissent, les uns bâtissent sur le sable, les autres bâtissent sur la pierre. Que dire de ceux qui n’écoutent pas ? Peuvent-ils se croire en sûreté ? Le Sauveur dit-il qu’ils n’ont rien à craindre parce qu’ils ne bâtissent pas ? Ils sont sans abri, exposés aux vents, aux fleuves, et lorsque la tourmente arrive, elle les enlève eux-mêmes avant que de renverser les maisons. Il n’y a donc de sécurité qu’à bâtir et à bâtir sur la pierre. Si tu veux écouter sans rien faire, tu bâtis, mais tu prépares une ruine. Lorsque la tentation surviendra, elle renversera ta maison et t’engloutira sous ses décombres, Si tu n’écoutes pas, tu es sans abri, et c’est toi que la tentation emportera tout d’abord. Écoute donc et agis, voilà l’unique remède. Combien peut-être qui, pour avoir écouté sans agir, ont été emportés par le torrent de la solennité de ce jour ! Ils ont écouté et n’ont rien tait, le fleuve, c’est-à-dire l’anniversaire de cette solennité est venu ; le torrent s’est rempli ; il passera et se desséchera ensuite ; mais malheur à celui qu’il aura emporté ! Que votre charité ne l’ignore pas : à moins d’écouter et d’agir, on ne bâtit pas sur la pierre, et l’on n’a rien de commun avec ce nom si grand que le Seigneur a mis si bien en relief. Par là il a voulu fixer ton attention ; car si dès le premier abord Pierre avait porté ce nom, tu ne saisirais pas aussi bien le mystère de la pierre, et tu supposerais que s’il portait ce nom, c’était par un effet du hasard, et non par une disposition spéciale de la Providence. C’est pourquoi Dieu a voulu que son Apôtre eût d’abord un autre nom, afin que le changement de ce nom fît mieux ressortir le mystère du nom nouveau.

15. « Et le lendemain Jésus voulut s’en aller en Gaulée, et il rencontra Philippe. Il lui dit : Suis-moi. Or, Philippe était de la même ville qu’André et Pierre. Philippe » (déjà appelé par Jésus-Christ) « rencontra Nathanaël, et il lui dit : Celui dont a écrit Moïse dans la loi, et que les Prophètes ont annoncé, nous l’avons trouvé : c’est Jésus, fils de Joseph ». Il passait pour le fils de celui à qui sa Mère était mariée. Mais qu’il ait été conçu et qu’il soit né de cette Mère demeurée Vierge, c’est ce que tous les chrétiens savent d’après l’Évangile. Voilà ce que Philippe dit à Nathanaël au sujet de Jésus, en y ajoutant même le nom de son pays : « De Nazareth. Et Nathanaël lui dit : De Nazareth il peut venir quelque chose de bon ? ». Que faut-il entendre par là, mes frères ? Il ne faut pas construire cette phrase comme plusieurs la construisent, car d’ordinaire c’est par mode d’interrogation qu’on prononce : « De Nazareth peut-il venir quelque chose de bon ? » Après quoi vient la réplique de Philippe : « Viens et vois ». Ces deux derniers mots peuvent suivre les précédents, n’importe laquelle des deux manières de prononcer la phrase on aime mieux adopter. Soit que Nathanaël ait dit, avec le ton de l’affirmation : « De Nazareth peut venir quelque chose de bon », soit qu’il ait dit, comme en interrogeant : « Quelque chose de bon peut-il venir de Nazareth », Philippe peut avoir ajouté : « Viens et vois ». Aussi, comme l’un et l’autre énoncés conviennent également bien aux paroles qui suivent, c’est à nous de chercher comment nous devons les entendre de préférence.

16. Quel a été ce Nathanaël, nous le montrons par ce qui suit. Écoutez, voici ce qu’il était : le Seigneur même lui rend témoignage. Tel que nous le fait connaître le témoignage de Jean, le Sauveur est grand. Bienheureux nous apparaît Nathanaël, d’après le témoignage de la Vérité. Certes, le Seigneur n’avait nul besoin d’être recommandé par le témoignage de Jean ; car il se rendait à lui-même témoignage ; la Vérité se sert à elle-même de témoin, et cela est suffisant pour elle. Mais parce que les hommes étaient incapables de trouver la Vérité, ils la cherchaient au moyen d’un flambeau ; aussi Jean fut-il envoyé pour montrer le Seigneur. Écoute le Seigneur rendant témoignage à Nathanaël : « Et Nathanaël dit à Philippe : De Nazareth il peut venir quelque chose de bon, Philippe lui dit : Viens et vois. Et Jésus vit Nathanaël qui venait à lui, et il dit : Voici un vrai Israélite en qui il n’y a pas de ruse ». Témoignage considérable qui n’a été rendu ni à André, ni à Pierre, ni à Philippe, mais uniquement à Nathanaël. « Voici un véritable Israélite en qui il n’y a pas de ruse ».

17. Qu’est-ce à dire, mes frères ? N’aurait-il pas dû être le premier des Apôtres ? Non – seulement on ne le trouve pas au premier rang parmi eux ; on ne le trouve ni à un rang intermédiaire, ni même au dernier, ce Nathanaël auquel le Fils de Dieu a rendu un si grand témoignage : « Voici un vrai Israélite en qui il n’y a pas de ruse ». Quelle en est la cause ? Autant que le Seigneur me la fait connaître vraisemblablement, la voici. Nous devons comprendre que Nathanaël était un homme instruit et habile dans la loi : or, le Seigneur n’a pas voulu le mettre au nombre de ses disciples, parce qu’il ne voulait choisir que des ignorants, afin de confondre le monde. Écoute, voici comme s’en exprime l’Apôtre : « Considérez, mes frères, ceux qui parmi vous ont été appelés, il s’y trouve peu de sages selon la chair, peu de puissants, peu de nobles ; mais Dieu a choisi ce qui est faible selon le monde pour confondre ce qui est fort ; Dieu a choisi ce qui est vil et méprisable selon le monde, et ce qui n’est « rien comme ce qui est, afin que ce qui est soit détruit dh ». Si Nathanaël, qui était savant, avait été choisi, peut-être aurait-il pensé que sa science l’en avait rendu digne. Or, Notre-Seigneur Jésus-Christ voulant briser l’orgueil des superbes, ne s’est pas servi d’orateurs pour prendre le pêcheur, mais par un pêcheur il a gagné l’empereur. Cyprien est un grand orateur, mais avant lui est venu Pierre le pêcheur, par qui devait croire non seulement l’orateur, mais encore l’empereur. Aucun noble, aucun savant n’a été choisi pour commencer : Dieu n’a choisi que ce qui était faible selon le monde pour confondre ce qui était fort. Ainsi ce grand homme en (lui il n’y avait pas de ruse n’a pas été choisi, et ç’a été uniquement parce que Dieu ne voulait pas paraître avoir choisi des savants. Il connaissait si bien la loi, que quand il entendit prononcer le nom de Nazareth (car il avait étudié à fond les Écritures ; il savait qu’on devait attendre de là le Sauveur du monde, ce que les Pharisiens et les autres docteurs de la loi ne connaissaient pas aussi bien), quand donc cet homme profondément versé dans la science des Écritures, et qui les connaissait si parfaitement eut entendu dire à Philippe : « Celui dont Moïse a écrit dans la loi, que les Prophètes ont annoncé, nous l’avons trouvé, c’est le Fils de Joseph, Jésus de Nazareth ». Au seul nom de Nazareth il sentit se raviver ses espérances et il dit : « De Nazareth il peut venir quelque chose de bon ».

18. Voyons ce qui le concerne encore : « Voici un véritable Israélite en qui il n’y a pas de ruse ». Qu’est-ce à dire : e En qui il n’y a pas e de ruse ? o N’était-il pas pécheur ? N’était-il pas malade ? Le médecin ne lui était-il pas nécessaire ? Non, personne ici-bas n’est venu au monde avec ce privilège de n’avoir nul besoin d’un tel médecin. Que signifie donc : « En qui il n’y a pas de ruse ? » Redoublons d’attention pour un moment, et bientôt la grâce de Dieu nous le fera découvrir. Le Seigneur se sert du mot ruse ou dol, et quiconque comprend le latin sait que dol consiste à faire une chose et à en penser une autre. Que votre charité remarque bien ceci. Dol n’est pas la même chose que douleur, et si je le dis, c’est que plusieurs de nos frères, peu habiles dans la langue latine, s’y trompent souvent, et disent : le dol le tourmente, au lieu de, la douleur le tourmente, Le dol est une fraude, une dissimulation. Par exemple, un homme cache une chose dans son cœur et en dit une autre, voilà un dol. C’est comme s’il avait deux cœurs, deux appartements, dans l’un desquels il voit la vérité, tandis que dans l’autre il machine le mensonge. Telle est l’idée que vous devez avoir du dol ; car il est écrit dans le psaume « Langues pleines de dol ». Qu’est-ce à dire : « Langues pleines de dol ? » Écoutez la suite : « Ils ont un cœur, et un cœur pour dire le mal di ». Qu’est-ce à dire : « Un cœur et un cœur », sinon un cœur double ? Puis donc qu’il n’y avait pas de dol en Nathanaël, le médecin le jugeait guérissable, mais non en santé. Autre chose est d’avoir la santé, autre chose est de pouvoir être guéri, autre chose encore est de ne pouvoir guérir. Le malade dont on espère la guérison, on dit de lui qu’il peut guérir ; le malade dont on désespère, on le dit inguérissable ; quant à celui qui est en santé, il n’a pas besoin de médecin. Le médecin venu pour rendre la santé aux hommes jugea donc que Nathanaël pouvait être guéri, puisqu’il n’y avait pas de dol en lui. Comment n’y avait-il pas de dol en lui ? C’est que s’il était pécheur, il en convenait. Si, étant pécheur il s’était dit juste, le dol se serait trouvé dans sa bouche. Ainsi le Seigneur loua en Nathanaël l’aveu qu’il faisait de son péché ; mais il ne jugea pas qu’il fût exempt de fautes.

19. Les Pharisiens, qui se croyaient justes, faisaient au Sauveur un reproche de ce que le médecin se mêlait aux malades. Aussi disaient-ils : « Voyez avec qui il mange, c’est avec des Publicains et des pécheurs ». Le médecin répondit à ces frénétiques : « Ce n’est pas aux bien portants que le médecin est nécessaire, mais aux malades : je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs dj ». Vous vous croyez justes, quoique vous soyez pécheurs ; vous vous croyez bien portants, quoique vous soyez malades ; voilà pourquoi vous repoussez le remède et demeurez malades. Ainsi ce Pharisien qui avait invité le Seigneur à manger chez lui se croyait en santé ; une femme malade apparut brusquement en cette maison sans être invitée ; mais poussée par le désir de sa guérison, elle s’approcha, non pas de la tête, non pas des mains, mais des pieds du Seigneur, les arrosant de ses larmes, les essuyant avec ses cheveux, les couvrant de baisers, les oignant de parfums ; pécheresse, elle fit sa paix avec les pieds du Seigneur. Se croyant en santé, le Pharisien qui était à la table du médecin lui fit intérieurement un reproche et se dit à lui-même : « Si cet homme était un prophète, il saurait quelle femme lui touche les pieds ». Ce qui lui faisait croire à l’ignorance du Seigneur, c’est que Jésus ne repoussait pas cette femme ; car, à son avis, le Christ n’aurait pas voulu se laisser toucher par des mains aussi impures ; mais Jésus-Christ la connaissait, et il lui permit de le toucher et de trouver la guérison dans cet attouchement. Le Seigneur voyant la pensée du Pharisien, lui proposa cette comparaison : « Un créancier avait deux débiteurs. L’un lui devait cinq cents deniers, et l’autre cinquante. Comme ils n’avaient pas de quoi le payer, il remit à chacun sa dette. Lequel des deux l’aima le plus ? Simon répondit : Je crois, Seigneur, que c’est celui à qui il a le plus remis. Et se tournant vers la femme, Jésus dit à Simon : Tu vois cette femme ? Je suis entré dans ta maison, tu ne m’as pas donné d’eau pour laver mes pieds ; elle, au contraire, les a lavés de ses larmes, et les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m’as point donné de baisers ; mais elle n’a pas cessé de baiser mes pieds. Tu ne m’as pas donné d’huile pour ma tête ; elle, au contraire, a arrosé mes pieds de parfums ; c’est pourquoi je te dis : Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu’elle a beaucoup aimé ; mais celui à qui on remet peu aime peu dk ». Ce qui était lui dire : Tu es plus malade qu’elle, mais tu te crois en santé, tu penses qu’on te remet peu, bien que tu doives davantage. C’est à bon droit que cette femme en qui il n’y a pas de dol a mérité d’être guérie. Qu’est-ce à dire : En elle il n’y a pas de dol ? Elle confessait ses péchés. Aussi, ce que le Seigneur loue en Nathanaël, c’est l’absence de tromperie. En effet, plusieurs d’entre les Pharisiens, quoique remplis de péchés, se disaient justes, et par cette tromperie rendaient leur guérison impossible.

20. Ayant vu que cet homme n’avait pas de ruse, le Seigneur dit : « Voici un véritable Israélite en qui il n’y a pas de ruse. Nathanaël lui dit : Comment me connaissez-vous ? Jésus lui répondit : Avant que Philippe t’eût appelé lorsque tu étais sous le figuier, je t’ai vu », c’est-à-dire sous l’arbre de figues où tu étais. « Nathanaël lui répondit : Maître, vous êtes le Fils de Dieu, vous êtes le Roi d’Israël ». Sans doute Nathanaël a entrevu quelque chose de grand sous cette parole : « Pendant que tu étais sous le figuier, je t’ai vu avant que Philippe t’appelât », puisqu’il répondit par cette confession : « Vous êtes le Fils de Dieu, vous êtes le Roi d’Israël » ; la même que fit Pierre si longtemps après, lorsque le Seigneur lui dit : « Tu es bienheureux, Simon fils de Jean ; car ce n’est ni la chair, ni le sang qui te l’ont révélé, mais mon Père qui est au ciel  dl ». Ce fut alors qu’il lui donna le nom de Pierre et qu’il le loua comme étant devenu par cette foi le fondement de son Église. Nathanaël dit : « Vous êtes le Fils de Dieu, vous êtes le Roi d’Israël ». Pourquoi parle-t-il ainsi ? parce que le Seigneur lui a dit : « Avant que Philippe t’ait appelé, pendant que tu étais sous le figuier, je t’ai vu ».

21. Il nous faut chercher, mes frères, si ce figuier est un symbole. Soyez donc attentifs, Nous trouvons dans l’Évangile un figuier maudit parce qu’il ne portait que des feuilles et pas de fruits dm. À l’origine du genre humain, Adam et Eve ayant péché se tirent des ceintures de feuilles de figuier dn. Les feuilles de figuier représentent donc le péché. Nathanaël sous le figuier, c’est donc Nathanaël assis à l’ombre de la mort. Le Seigneur l’a vu, lui dont il est écrit : « Une lumière s’est levée sur ceux qui étaient assis à l’ombre de la mort do ». Qu’est-ce donc qui a été dit à Nathanaël ? Tu me demandes, ô Nathanaël : « Comment me connaissez-vous ? » Tu commences à me parler parce que Philippe t’a appelé. Jésus-Christ a vu comme appartenant déjà à son Église celui qu’il a appelé par l’intermédiaire de son Apôtre. O Église, ô Israël, ô toi en qui ne se trouve aucune ruse, tu connais déjà le Seigneur par les Apôtres, comme Nathanaël l’a connu par Philippe. Mais avant que tu le connusses, lorsque tu gisais encore sous le péché, sa miséricorde avait jeté les yeux sur toi. Est-ce nous qui avons les premiers cherché le Christ ? N’est-ce pas lui qui nous a cherchés ? Malades, sommes-nous venus les premiers au médecin ? Ou le médecin a-t-il couru au-devant des malades ? Cette brebis n’était-elle pas égarée, et le pasteur laissant les quatre-vingt-dix-neuf autres ne l’a-t-il pas cherchée, retrouvée et rapportée sur ses épaules ? Et avec quelle joie ne l’a-t-il pas fait ? La drachme n’était-elle pas perdue, et la femme n’a-t-elle pas allumé sa lampe et cherché dans toute sa maison jusqu’à ce qu’elle fût retrouvée ? Et alors : « Réjouissez-vous avec moi », dit-elle à ses voisins, parce que j’ai retrouvé la drachme que j’avais perdue dp ». Ainsi nous étions égarés comme la brebis, nous étions perdus comme la drachme, et notre pasteur a retrouvé la brebis, mais pour l’avoir cherchée ; la femme a trouvé la drachme, mais en la cherchant. Qu’est-ce que cette femme ? La chair du Christ. Qu’est-ce que sa lampe ? « J’ai préparé une lampe à mon Christ dq ». Donc on nous a cherchés pour nous retrouver, on nous a retrouvés et nous parlons. Ne nous laissons donc pas entraîner à des sentiments d’orgueil ; car avant d’être retrouvés nous étions égarés ; nous aurions péri si Jésus-Christ ne nous avait cherchés. Que ceux que nous aimons et que nous voulons gagner à la paix de l’Église catholique, ne nous disent donc pas : Pourquoi nous voulez-vous ? Pourquoi nous chercher si nous sommes pécheurs ? Nous vous cherchons pour vous empêcher de vous perdre. Nous vous cherchons, parce qu’on nous a cherchés nous-mêmes. Nous voulons vous retrouver, parce que nous avons nous-mêmes été retrouvés.

22. C’est pourquoi Nathanaël ayant dit : « Comment me connaissez-vous ? » le Seigneur lui répondit : « Avant que Philippe t’appelât, pendant que tu étais sous le figuier, je t’ai vu ». O Israël, toi qui es sans ruse, ô qui que tu sois, peuple vivant de la foi, avant de t’appeler par mes Apôtres, pendant que tu étais assis à l’ombre de la mort et que tu ne me voyais pas, je t’ai vu. « Parce que je t’ai dit : Je t’ai vu sous le figuier, tu crois ; tu verras de plus grandes choses ». Qu’est-ce à dire : « Tu verras de plus grandes choses ? » Et il lui dit : « En vérité, en vérité, je te le dis : Tu verras le ciel ouvert, et les anges monter et descendre sur le Fils de l’homme ». Mes frères, je viens de dire je ne sais quoi de plus admirable que ceci : « Je t’ai vu sous le figuier ». De fait, en nous justifiant après nous avoir appelés, le Seigneur a fait plus qu’en jetant les yeux sua nous, et en nous voyant assis à l’ombre de la mort. Il nous a vus, mais quel profit es aurions-nous retiré, si nous étions restés d l’endroit où il nous a aperçus ? N’y serions-nous pas encore ? Qu’y a-t-il donc de plus considérable que nous ayons vu les anges monter et descendre sur le Fils de l’homme ?

23. Je vous ai déjà parlé de ces anges qui montaient et descendaient sur le Fils de l’homme ; mais de peur que vous rie l’ayez oublié, je vous le rappelle brièvement. Je le ferais plus longuement s’il était question de vous l’apprendre ; pour le moment je me contente de vous le rappeler à la mémoire. Jacob vit en songe une échelle, et sur cette échelle des anges qui montaient et descendaient ; en outre il oignit la pierre qu’il avait mise sous sa tête dr. On vous a expliqué que le Messie est le Christ, et que Christ ou oint est la même chose. Jacob n’avait pas mis là cette pierre qu’il oignit ensuite, dans l’intention de venir l’adorer ; car c’eût été de sa part un acte d’idolâtrie, et sa pierre n’aurait pas été une figure du Christ. Elle a donc été une figure, autant du moins que cela a été nécessaire, et cette figure a été celle du Christ. La pierre a été ointe, mais non pour devenir une idole. La pierre a été ointe, pourquoi une pierre ? « Voici que je place en Sion une pierre choisie et précieuse, et celui qui croira en elle ne sera pas confondu ds ». Pourquoi : a été ointe ? Parce que Christ vient de chrisma. Mais qu’est-ce que Jacob vit sur l’échelle ? Des anges qui montaient et descendaient. Ainsi est l’Église, unes frères. Les anges de Dieu, ce sont les bons prédicateurs, ceux qui annoncent le Christ, c’est-à-dire qui montent et descendent sur le Fils de l’homme. Comment montent-ils et comment descendent-ils ? L’un d’eux nous sert d’exemple. Écoute l’apôtre Paul ; ce que nous rencontrerons en lui, croyons-le des autres prédicateurs de la vérité. Vois monter Paul, « Je connais un homme en Jésus-Christ qui fut ravi, il y a quatorze ans, jusqu’au troisième ciel ; si ce fut en son corps ou avec son corps, je ne le sais pas, Dieu seul le sait. Et il y entendit des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à un homme de rapporter dt ». Tu l’as vu monter, vois-le maintenant descendre. « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels : comme à des enfants en Jésus-Christ je vous ai donné le lait, et non une nourriture solide  du ». Ainsi descend celui qui était monté ; jusqu’où était-il monté ? « Jusqu’au troisième ciel ». Jusqu’où était-il descendu ? « Jusqu’à donner du lait aux enfants ». Écoute : voici comment il est descendu : « Je me suis fait », dit-il, « petit au milieu de vous, comme une nourrice qui nourrit ses enfants dv ». Nous voyons les nourrices et les mères descendre jusqu’à leurs enfants ; bien qu’elles sachent parler correctement le latin, elles écourtent néanmoins leurs paroles ; elles brisent en quelque sorte leur langage et, d’une langue accoutumée à bien dire, elles tirent des mots capables d’amuser de petits enfants. Car si elles parlaient suivant leur habitude, leurs enfants ne les entendraient pas et n’en profiteraient pas non plus. Ainsi en est-il d’un père éloquent, habitué à ébranler le forum et à faire retentir les tribunaux de sa parole, s’il a un petit enfant ; de retour en sa maison, il descend des hauteurs de cette éloquence dont il avait atteint le sommet au forum, et s’abaisse jusqu’à son enfant par la familiarité de sa conversation enfantine. Vois encore dans un même endroit l’Apôtre montant et descendant, et nous le découvrons dans une seule phrase : « Soit que nous sortions de nous-mêmes, c’est pour Dieu ; soit que nous soyons plus calmes, c’est pour vous  dw ». Qu’est-ce à dire : « Soit que nous sortions de nous-mêmes, c’est pour Dieu ? » sinon : « afin de voir des choses qu’il n’est pas permis à l’homme de rapporter ? » Qu’est-ce à dire : « Quand nous sommes calmes, c’est pour vous ? » sinon : « Je n’ai fait profession de rien savoir parmi vous, que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié dx ? » Enfin, si le Seigneur lui-même est monté et descendu, il est manifeste que ses prédicateurs montent quand ils l’imitent, et descendent quand ils l’annoncent.

24. Si je vous ai retenus un peu plus longtemps que de coutume, ç’a été à dessein et pour laisser passer ces heures de réjouissances importunes. Je pense que les absents en ont fini avec leurs vanités, Pour nous, mes frères, nourris de mets salutaires, employons le temps qui nous reste de telle manière qu’après avoir passé la solennité du jour du Seigneur dans les joies spirituelles nous puissions comparer les joies de la vérité avec celles de la vanité. Cette comparaison nous inspirera de l’horreur pour ces frivolités ; cette horreur excitera notre douleur à l’égard de ce qu’ont fait nos frères, nous fera prier ; notre prière sera exaucée, et dès lors que nous serons exaucés, nous les gagnerons à Dieu.

SERMON CXXII. JÉSUS ET NATHANAËL dy.

ANALYSE. – Jésus dit à Nathanaël qu’il l’a vu sous le figuier, mais que lui-même ensuite verra le Fils de l’homme servi par les Anges. Que signifie ce langage ? – Le figuier rappelle le péché de nos premiers parents : Jésus veut donc dire qu’il a vu Nathanaël dans l’état du péché. Nathanaël verra ensuite le Fils de l’homme dans sa gloire servi pas les Anges : c’est une allusion au songe ni mystérieux de Jacob où tout figurait le Christ, soit la pierre parfumée d’onction, soit l’ange qui se laissa vaincre volontairement, soit Jacob même qui représente à la fois : le peuple juif dans sa partie réprouvée et dans sa partie fidèle, car le patriarche est à la fois boiteux et béni de Dieu ; le peuple chrétien qui a supplanté le peuple Juif et qui verra Dieu dans sa gloire ; le Christ enfin, car les Anges descendent et montent en même temps vers lui, c’est que le Christ est en même temps dans le ciel et sur la terre.

1. Si nous comprenons bien ce que Jésus-Christ Notre-Seigneur vient de dire à Nathanaël ; nous verrons que ses paroles ne s’adressaient pas seulement à lui. C’est en effet le genre humain tout entier que le Seigneur a vu sous le figuier. Le figuier en cet endroit signifie évidemment le péché. Le figuier n’a point partout cette signification, irais il l’a ici, comme je l’ai avancé, et ce qui porte à le croire, c’est que le premier homme, après son péché, se couvrit de feuilles de figuier, vous ne l’ignorez pas dz. Dans la confusion que leur inspirait leur crime ; nos premiers parents voilèrent sous ces feuilles des membres que Dieu leur avait donnés et dont eux-mêmes venaient de faire des Membres honteux. Assurément on ne doit pas rougir de l’œuvre de Dieu, le péché seul produit la confusion, et sans le péché ; la nudité même n’inspirerait aucune honte. Aussi bien Adam et Eve étaient-ils nus sans en rougir ; ils n’avaient rien fait d’humiliant. Pourquoi ces réflexions ? Pour nous amener à comprendre comment le figuier rappelle le péché. Que signifie alors : « Je t’ai vu lorsque tu étais sous le figuier ? » Je t’ai vu lorsque tu étais asservi au péché. Se rappelant alors un fait particulier, Nathanaël se souvint qu’il s’était trouvé effectivement sous un figuier et que Jésus n’était point là. Non, il n’y était pas de corps, mais où n’est point le regard de son esprit ? Nathanaël sachant donc qu’il s’était trouvé seul sous le figuier et que le Christ n’était point là, bien qu’il lui ait dit : « Je t’ai vu lorsque tu étais sous le figuier », comprit qu’il était Dieu et s’écria : « C’est vous le Roi d’Israël. »

2. Le Seigneur reprit : « Parce que je t’ai dit je t’ai vu lorsque tu étais sous le figuier, tu t’étonnes ; tu verras de plus grandes choses. » – Lesquelles ? – « Vous verrez le ciel ouvert et les Anges de Dieu montant et descendant vers le Fils de l’homme. » Rappelons une ancienne histoire consignée dans un de nos livres saints, dans la Genèse. Jacob voulant s’endormir plaça une pierre sous sa tête. Or il vit en songe une échelle qui allait de la terre jusqu’au ciel ; au-dessus s’appuyait le Seigneur et sur les degrés de cette échelle les anges montaient et descendaient. Voilà ce que vit Jacob. Ce songe ne serait pas dans l’Écriture s’il ne désignait quelque profond mystère et s’il ne contenait quelque prophétie importante. Aussi Jacob l’ayant compris plaça en cet endroit une pierre sur laquelle il répandit de l’huile ea. Vous connaissez la nature du chrême ; ici donc voyez aussi le Christ. Il est la pierre rejetée par les constructeurs et devenue pierre angulaire eb, Il est la pierre dont lui-même a dit : « Celui qui se heurtera contre cette pierre sera écrasé, et celui sur qui elle tombera sera brisé ec. » On se heurte contre elle quand elle est à terre ; elle tombera quand elle viendra du ciel juger les vivants et les morts. Malheur aux Juifs qui se sont heurtés contre le Christ, lorsqu’il était à terre dans son humilité ! « Cet homme, disaient-ils, ne vient pas de Dieu, puisqu’il viole le Sabbat ed. » – « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de la croix ee. » Insensé ! tu ris parce que la pierre est à terre ; mais tu montres en riant combien tu es aveugle, et dans ton aveuglement tu te heurtes, et en te heurtant tu te brises, et après t’être brisé contre cette pierre qui maintenant est à terre, tu seras broyé par elle lorsqu’elle viendra d’en haut. Ainsi donc Jacob fit une onction à la pierre, Était-ce pour en faire une idole ? C’était pour en faire un monument et non pour l’adorer. Maintenant donc revenons à Nathanaël, puisque c’est à son occasion que Jésus Notre-Seigneur a voulu nous expliquer la vision de Jacob.

3. Vous êtes instruits à l’école du Christ, vous savez que Jacob s’appelle en même temps Israël. Le même homme porte deux noms : le premier, qui signifie supplantateur, lui fut donné au moment de sa naissance. Esaü en effet naquit le premier de ces deux frères jumeaux, et on remarqua que la main de Jacob lui tenait le pied ; il lui tenait le pied pendant qu’Esaü sortait le premier du sein maternel, et lui-même n’en sortit qu’après. Or c’est parce qu’il lui tenait ainsi la plante du pied qu’il fut appelé Jacob ef, c’est-à-dire supplantateur. Plus tard, lorsqu’il revenait de Mésopotamie, il lutta sur la route contre un ange. Un homme peut-il lutter vraiment avec un ange ? Ici donc il y a un mystère, une espèce de sacrement, une prophétie, une figure, que nous devons nous attacher à comprendre. Remarquez de plus, en effet, comment lutta Jacob. Il l’emporta sur l’ange, dans la lutte, ce qui renferme une signification profonde ; et après l’avoir emporté sur lui, il le retint ; oui, l’homme vainqueur retint l’ange vaincu. « Je ne te laisse pas aller, lui dit-il, si tu ne me bénis. » Quelle idée de Jésus-Christ dans cette bénédiction donnée par le vaincu au vainqueur ! Ce fut alors que cet ange, en qui nous voyons Jésus Notre-Seigneur, dit à Jacob : « Tu ne t’appelleras plus Jacob, tu porteras le nom d’Israël ; » Israël, qui voit Dieu. Il lui toucha ensuite le nerf de la cuisse, dans toute son étendue ; et ce nerf se dessécha, et Jacob devint boiteux eg. Voilà ce que fit le vaincu. Même après sa défaite il fut capable de toucher la cuisse de son vainqueur et de le rendre boiteux. N’est-ce donc pas volontairement qu’il fut vaincu ? C’est qu’il avait le pouvoir de déposer ses forces, et le pouvoir de les reprendre eh. S’il ne s’irrite point d’être vaincu, il ne s’irrite point non plus d’être crucifié. Il bénit même son vainqueur en lui disant : « Tu ne t’appelleras plus Jacob, mais Israël. » Ainsi le supplantateur voyait Dieu. Je l’ai déjà dit, l’ange en touchant Jacob le rendit boiteux. Vois dans Jacob la figure du peuple juif : vois-y d’abord ces milliers d’hommes qui suivaient et qui précédaient le Seigneur sur sa monture, qui s’unissaient aux Apôtres pour adorer le Seigneur et qui s’écriaient : « Hosanna au Fils de David ; béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur ei ! » Voilà Jacob en tant qu’il a reçu la bénédiction. S’il est resté boiteux, c’est pour représenter les Juifs restés dans le Judaïsme. L’étendue du nerf blessé désigne le grand nombre de Juifs qui ne sont pas Chrétiens. Il est un psaume qui parle d’eux. Ce psaume prédit d’abord la conversion des gentils. « Un peuple que je ne connaissais pas m’a servi, il m’a prêté une oreille docile. » Ainsi donc la foi vient par l’audition, et l’audition par la parole du Christ ej. Le Psaume continue : « Mes enfants rebelles m’ont menti, mes enfants rebelles se sont en« durcis et ont boité dans leurs voies ek. » Voilà bien Jacob, Jacob béni et Jacob boiteux.

4. N’oublions pas, à cette occasion, d’examiner une question qui pourrait se présenter à quelqu’un d’entre vous et le préoccuper. Abraham aussi, l’aïeul de Jacob, changea de nom. Il s’appelait d’abord Abram et Dieu lui donnant un autre nom lui dit : « Tu ne t’appelleras plus Abram, mais Abraham el. » Pourquoi donc, désormais, ne s’appelle-t-il plus Abram ? Feuilletez les Écritures et vous remarquerez qu’avant de recevoir un nom nouveau il n’était désigné que sous le nom d’Abram : et qu’après avoir reçu ce nouveau nom, il ne s’appelait plus qu’Abraham. Pour changer le nom de Jacob ont dit comme à Abraham : « Tu ne t’appelleras plus Jacob, mais tu l’appelleras Israël. » Eh bien ! feuilletez aussi les Écritures, et vous observerez que Jacob porta toujours ces deux noms de Jacob et d’Israël. Abraham, après son changement de nom, ne fut plus appelé qu’Abraham ; et après avoir également changé de nom, Jacob fut appelé en même temps Jacob et Israël. C’est que la signification du nom d’Abraham devait recevoir son accomplissement dans ce siècle : ce nom signifie en effet qu’Abraham est devenu le père de peuples nombreux, tandis que le none d’Israël nous reporte vers l’autre monde où nous verrons Dieu. Aussi le peuple de Dieu, le peuple chrétien est maintenant tout à la fois Jacob et Israël, Jacob en réalité et Israël en espérance. Ce peuple puîné n’a-t-il pas effectivement supplanté son frère aîné ? N’avons-nous pas supplanté le peuple juif ? Nous pouvons dire que nous les avons supplantés, puisque c’est à cause de nous qu’ils le sont. S’ils n’étaient tombés dans l’aveuglement, ils n’auraient pas crucifié le Christ ; si le Christ n’eût été crucifié, son sang précieux n’eût pas été répandu ; et si son sang n’eût pas été répandu, il n’aurait pas racheté l’univers. Et comme leur aveuglement nous a servi, l’aîné a dû être supplanté par le puîné, nommé pour ce motif supplantateur. Mais combien de temps le sera-t-il ?

5. Viendra un jour, viendra la fin du siècle et tout Israël se convertira, non pas les Israélites d’aujourd’hui, mais leurs descendants. Car en poursuivant leurs voies ils aboutiront, ils arriveront à la damnation éternelle. Mais quand ce peuple entier sera entré dans l’unité, alors s’accomplira ce que nous chantons : « Je serai rassasié, lorsque se manifestera votre gloire em ; » lorsque se réalisera la promesse qui nous est faite, de vous voir face à face. Nous voyons aujourd’hui dans un miroir, en, énigme et en partie seulement ; mais quand également purifiés, ressuscités, couronnés, devenus immortels et incorruptibles – à tout jamais, les deux peuples verront Dieu face à face et qu’il n’y aura plus de Jacob, mais seulement un Israël ; le Seigneur alors le contemplera comme il contemplait ce saint Nathanaël et il dira : « Voilà un véritable Israélite, en qui il n’y a point d’artifice. » En entendant ces mots : « Voilà un véritable Israélite », rappelle-toi Israël, et en te rappelant Israël, souviens-toi de ce songe durant lequel Israël vit une échelle qui allait de la terre au ciel, le Seigneur appuyé sur cette échelle, et les Anges qui y montaient et y descendaient. Ce fut après ce songe, quelque temps après, quand il revenait de Mésopotamie, durant le voyage même, que Jacob reçut le nom d’Israël. Jacob donc, Jacob ou Israël ayant vu cette échelle mystérieuse, et Nathanaël étant de son côté un vrai Israélite sans aucun artifice, ne comprends-tu pas pour quel motif le Seigneur lui répondit : « Tu verras de plus grandes choses ; » et pour quel motif il lui rappela le songe de Jacob, lorsqu’il le vit étonné de cette parole : « Je t’ai vu sous le figuier ? » A qui en effet le Sauveur parlait-il ainsi ? À un homme qu’il venait d’appeler un Israélite véritable et sans artifice. C’est donc comme s’il lui eût dit : Tu verras s’accomplir en toi le songe de celui dont je t’ai donné le nom ; assez de cette admiration prématurée ; tu verras de plus grandes choses. « Tu verras le ciel ouvert, et les Anges de Dieu montant et descendant vers le Fils de l’homme. » Voilà bien ce que vit Jacob ; voilà pourquoi il répandit de l’huile sur la pierre ; voilà pourquoi, devenu prophète, il érigea ce monument comme figure du Christ ; car tout cela était prophétique.

6. Je sais ce que vous attendez maintenant, je comprends ce que vous demandez de moi. Je l’exprimerai en peu de mots également et comme Dieu m’en fera la grâce.« Les Anges descendaient et montaient vers le Fils de l’homme. » S’ils descendent vers lui, n’est-il pas en bas ? et s’ils montent vers lui, n’est-il pas en haut ? Et s’ils montent – vers lui et y descendent tout à la.fois, n’est-il pas en même temps et en haut et en bas ? Non, il n’est pas possible que dès Anges descendent et montent en même temps, s’il n’est en même temps et en haut où ils montent, et en bas où ils descendent, Mais comment prouver qu’il est tout.à la fois et ici et là ? Paul nous répondra. Il portait d’abord le nom de Saut, il était d’abord persécuteur ; ce fut alors qu’il comprit ce problème et qu’il devint prédicateur. Jacob d’abord, et Israël ensuite, de la race d’Israël et de la tribu de Benjamin en, il nous montrera que le Christ est en même temps au ciel et sur la terre. N’est-ce pas ce que lui fil entendre dès le principe cette grande voix descendue du ciel : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » Paul en effet était-il monté au ciel ? Avait-il contre le ciel lancé même une pierre ? C’était les Chrétiens qu’il persécutait, les Chrétiens qu’il enchaînait, les Chrétiens qu’il traînait à la mort, cherchant à les découvrir partout dans leurs retraites et ne leur pardonnant jamais quand il était parvenu à les découvrir. Le Christ notre Seigneur lui cria donc alors : « Saul, Saul. » D’où lui criait le, Sauveur ? Du haut du ciel. Il y est donc. « Pourquoi me persécutes-tu ? eo » Il est donc sur la terre.J'ai tout expliqué, bien qu’en peu de mots et comme je l’ai pu, à votre charité. J’ai donné comme j’y suis obligé ; à vous maintenant de vous occuper des pauvres, selon, votre devoir. Tournons-nous, etc.
serm. I
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