eSag 7, 26
mIsa 7, 9. sel, LXX
nSag 7, 26
zJn 8, 68
avSag 11, 21
ayJn 1, 9, 20, 27
biPsa 122, 17-18
ccJn 8, 86
cgJn ##Rem 35
cmId 13, XVIII
cwSag 9, 15
cxSir 24, 6
dfSir 3, 80
ecSag 8, 1
eeMat I.
 
 
 
 
 

‏ John 1:8

SERMON CXVII. LE VERBE DE DIEU a.

ANALYSE. – Pour acheter le Verbe de Dieu, il faut se donner soi-même ; mais en se donnant on s’acquiert, car le Verbe est la forme suprême qui répare et perfectionne quiconque s’attache à lui. En vain les Ariens contestent son éternité et son égalité avec son Père. Le témoignage de l’Écriture ne leur suffit pas ? Si toutefois ils veulent découvrir dans la nature des images de l’éternité et de l’égalité du Verbe avec Dieu, quoique ces comparaisons ne soient pas des preuves, on peut leur en montrer. La lumière du feu n’est-elle pas aussi ancienne que le feu ? Si le feu était éternel, la lumière qu’il produit ne serait-elle pas également éternelle ? Un fils n’est-il pas de même nature que son père et homme aussi bien que lui ? Mais au lieu de chercher si curieusement à scruter ces profonds mystères, purifiez l’œil du cœur, profitez des abaissements et de l’incarnation du Verbe ; soyez humbles à son exemple et il vous élèvera jusqu’à lui.

1. Le passage évangélique qu’on vient de lire, mes très-chers frères, a besoin pour être compris que l’œil du cœur soit bien pur. Nous venons de voir en effet Jésus-Christ Notre-Seigneur et dans sa divinité, créateur de tout l’univers, et dans son humanité, restaurateur de la nature déchue. L’évangéliste Jean nous a montré ce spectacle. L’Évangile même nous a fait connaître l’étonnante grandeur de cet historien, et la dignité du serviteur nous indique de quelle valeur est le Verbe qu’il a fait connaître, ou plutôt combien ce Verbe est hors de prix, puisqu’il l’emporte sur tout. Ce qu’on achète vaut exactement le prix qu’on en donne, vaut plus ou vaut moins. Quand cela vaut le prix, il y égalité entre l’objet et le prix ; si l’objet vaut moins, il est au dessous du prix, et au-dessus s’il vaut davantage. Mais rien ne saurait égaler le Verbe de Dieu, ni être au-dessus ni être au dessous de lui comme valeur. Tout sans doute est au dessous de lui, puisque « tout a été fait par lui ; » mais rien ne saurait en être le prix même inférieur. Et toutefois, si l’on peut.parler ainsi, si la raison ou l’habitude permettent de s’exprimer de la sorte, le prix à donner pour acheter le Verbe est l’acheteur lui-même, et en se donnant à lui il s’enrichit. Voulons-nous acheter quelque chose ? Nous cherchons ce que nous pourrons donner en échange de ce que nous désirons, et ce que nous donnons alors est hors de nous ; s’il est dans nos mains nous nous en dessaisissons pour prendre en retour ce que nous achetons. Ainsi, quel que soit le prix d’achat, il faut le céder pour obtenir ce qu’on a en vue ; on ne se cède pas pourtant soi-même, mais on acquiert l’objet qu’on paie. Quant au Verbe, il ne faut pas, pour se le procurer, chercher hors de soi, il faut se donner soi-même, et en se donnant on ne se perd pas comme on perd le prix d’une autre acquisition.

2. Ainsi le Verbe de Dieu s’offre à tous ; l’achète qui le peut, et on le peut avec une volonté pieuse. Dans lui en effet, se trouve la paix, et cette paix passe sur la terre aux hommes de bonne volonté b. Afin donc de se le procurer, il faut se donner, chacun en est comme le prix. Mais peut-on employer cette expression, quand en se donnant pour acquérir le Verbe on ne se perd pas, quand au contraire on se gagne en s’abandonnant à lui ? Et que lui donne-t-on en se donnant ? – On ne lui donne point quelque chose qui lui soit étranger, on lui rend pour le refaire ce que lui-même a fait, car « tout a été fait par lui. » Si en effet il a fait tout, il a fait sans aucun doute l’homme comme le reste. Si c’est à lui que doivent l’existence et le ciel, et la terre, et la mer, et tout ce qu’ils renferment, et toutes les créatures enfin ; n’est-il pas plus manifeste encore qu’il est l’auteur de l’homme, fait par lui à l’image de Dieu.

3. En ce moment, mes frères, nous ne cherchons pas à expliquer comment peuvent s’entendre ces mots : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. » On peut les entendre dans le silence de la méditation, les paroles humaines n’en sauraient donner l’intelligence. C’est du Verbe de Dieu qu’il est ici question et nous voulons dire ce qui empêche de le connaître. Remarquez, nous n’entreprenons pas de le faire comprendre, nous exposons ce qui empêche d’en avoir une idée parfaitement juste.C'est que ce Verbe est une forme, mais une forme qui n’est pas formée, et qui au contraire a formé tout ce qui l’est ; formé immuable où il n’y a ni déchet, ni déclin, qui n’est astreinte ni au temps ni au lieu, qui domine tout et qui est partout, qui sert à la fois de fondement pour tout appuyer et de faîte pour tout couronner. Dire que tout est en lui, ce n’est pas une erreur ; car ce Verbe est appelé la Sagesse de Dieu, et il est écrit : « Vous avez tout fait d’ans votre Sagesse c. » Ainsi tout est en lui, et pourtant, parce qu’il est Dieu, tout est au-dessous de lui. Ce qu’on vient de lire est incompréhensible, et si on l’a lu, ce n’était pas pour le faire comprendre à l’esprit humain, mais pour lui inspirer le regret de ne le comprendre pas, pour lui faire découvrir ce qui lui en ôte l’intelligence, pour le porter à écarter ces obstacles et à soupirer après la connaissance de ce Verbe immuable en changeant lui-même de mal en bien. Le Verbe en effet ne profite ni ne gagne à être connu, il reste toujours le même ; le même si on s’approche de lui et le même si on reste près de lui ; le même si on s’en éloigne et le même si on y revient, et en restant toujours le même il renouvelle tout. C’est ainsi qu’il est la forme de tout ; mais forme incréée, indépendante, comme nous l’avons dit, et du temps et de l’espace. En effet ce qui est dans un lieu quelconque y est nécessairement circonscrit. Une forme circonscrite a des limites, des limites qui la prennent à son origine et la conduisent à son terme. De plus, ce qui est contenu dans un lieu, ce qui a un volume et une étendue quelconque, est moindre dans l’une de ses parties que dans son tout. Fasse le ciel que vous me compreniez !

4. A la vue, des corps qui sont sous nos yeux, que nous touchons et au milieu desquels nous vivons, nous pouvons constater chaque jour que chacun d’eux, quelle qu’en soit la forme, occupe localement une place. Or tout ce qui occupe une place est moindre dans l’une de ses parties que dans son tout. Une partie du corps humain comme le bras, est sûrement moindre que tout le corps. Mais si le bras est moindre, il occupe un moindre espace. Ainsi la tête, autre partie du corps, occupe également un espace moindre parce qu’elle n’a pas autant de volume que tout le corps. Ainsi en est-il de tous les objets contenus dans un lieu, ils sont moindres dans une de leurs parties que dans leur tout. Mais ne nous figurons, n’estimons rien de pareil dans le Verbe de Dieu ; ne consultons point les impressions de la chair pour nous représenter les choses spirituelles. Ce Verbe divin, ce grand Dieu n’est pas moindre dans l’urne de ses parties que dans son tout.

5. Tu ne saurais te représenter cette propriété divine, et il y a plus de piété à ne pas la comprendre qu’à présumer d’en avoir l’intelligence. Souviens-toi que nous parlons de Dieu, car il est dit : « Le Verbe était Dieu. » Nous parlons de Dieu ; est-il donc étonnant que tu ne comprennes pas ? Si tu comprenais, ce ne serait pas Dieu. Avoue donc pieusement ton ignorance, plutôt que de prétendre témérairement avoir l’intelligence. Atteindre Dieu tant soi peu est un grand bonheur, le comprendre est chose absolument impossible. Dieu est à l’esprit ce que le corps est aux yeux ; on connaît Dieu comme on voit le corps. Crois-tu l’œil capable de pénétrer tout ce qu’il voit ? Tu te tromperais étrangement ; tu ne vois aucun objet tout entier. Voir un homme en face, est-ce le voir en même temps par-derrière ? et le voir par-derrière, est-ce en même temps le voir en face ? À proprement parler tu ne comprends donc pas ce que tu vois, et si la mémoire ne conservait en toi le souvenir du côté que tu as vu, tu ne pourrais, en regardant d’un autre côté, dire que tu comprends quoi que ce soit, d’une manière même superficielle. Pour voir une chose, tu la manies, tu la tournes et la retournes ; ou bien tu tournes toi-même pour la considérer sous toutes ses faces. Tu ne saurais donc d’un seul coup d’œil la voir tout entière. En la tournant tu en vois les différentes parties et pour te persuader que tu l’as vue tout entière il faut te rappeler que tu les as vues l’une après l’autre. Ce n’est donc pas l’œil, c’est la mémoire qui agit surtout ici. Que ne peut-on alors, mes frères, dire du Verbe de Dieu ? Des corps exposés à nos regards nous disons que la vue ne saurait les pénétrer tout entiers ; comment donc l’œil du cœur pourrait-il comprendre Dieu ? C’est assez – pour lui, s’il est pur, de l’atteindre, et l’atteindre c’est en quelque façon le toucher d’une manière toute spirituelle, mais sans le comprendre ; et encore la pureté est-elle requise. Or le bonheur de l’homme consiste à atteindre ainsi par le cœur ce qui est toujours heureux, ce qui est l’éternelle béatitude, ce qui est la vie, ce qui, est la sagesse parfaite, et pour l’homme la source de la sagesse ; ce qui est l’éternelle lumière, et pour l’homme le foyer de toute lumière. Remarque donc comment ce tact invisible te transforme sans altérer l’Être mystérieux que tu atteins ; en d’autres termes comment Dieu ne gagne rien à être connu, et comment tu profites en le contemplant. Nous avons dit, il est vrai, que nous payons Dieu, mais ne nous figurons pas, mes très-chers frères, que nous l’enrichissons. Que lui donnons-nous qui puisse ajouter à son être ? N’est-il pas le même si tu t’éloignes de lui, et le même si tu t’en rapproches ? S’il désire qu’on le contemple, n’est-ce pas pour faire le bonheur de ceux qui le regardent et pour frapper d’aveuglement ceux qui se détournent ? Car l’aveuglement est la première vengeance, le commencement des peines qu’il inflige à l’âme qui se détache de lui. N’est-ce pas tomber dans l’aveuglement que de s’éloigner de la lumière véritable, c’est-à-dire de Dieu ? Cette peine n’est pas sensible, elle n’en est pas moins réelle.

6. Aussi, mes très-chers frères, sachons que sans parler de sa naissance temporelle, c’est d’une naissance toute spirituelle, qui le met à l’abri de toute altération et de tout changement, que le Verbe de Dieu est né de son Père. Mais comment persuader à certains infidèles qu’il n’y a rien de contraire à la vérité dans cette doctrine catholique que combattent les Ariens, infatigables ennemis de l’Église de Dieu ? Les hommes charnels ne croient-ils pas plus facilement ce qu’ils voient ? On a donc osé dire : Le Père est plus grand et plus ancien que : le Fils ; le Fils est inférieur au Père et moins ancien que lui. Et voici comme on raisonne : Si le Fils est né, évidemment le Père existait avant lui. Soyez attentifs : que Dieu nous vienne en aide ; implorez son secours par vos prières et par votre pieuse application à recueillir ce que lui-même nous donnera, nous inspirera pour vous ; qu’il nous aide à expliquer de quelque manière le mystère que nous avons entrepris d’exposer. Je l’avoue cependant, mes frères, si je n’y réussis pas, attribuons-en la faute, non pas à la raison, mais à l’homme. Priez donc, je vous en conjure, je vous en supplie ; touchez la miséricorde divine et qu’elle nous mette sur les lèvres les paroles qu’il est nécessaire, à vous d’entendre, et à nous de prononcer. Si le Verbe est Fils de Dieu, disent donc les Ariens, il est né. – Sans aucun doute, car s’il n’était pas né, il ne serait pas Fils. Rien de plus clair ; ce raisonnement est admis par la foi, approuvé par l’Église catholique, il est juste. – Mais ils ajoutent : Si le Père a un Fils, il existait sûrement avant la naissance de ce Fils. – Voilà ce que réprouve la foi, ce que repoussent les oreilles catholiques ; anathème à qui pense ainsi ; il est séparé, il ne fait plus partie ni de la communion, ni de la société des saints. – Par conséquent, poursuivent-ils, montre-nous comment le Père peut avoir un Fils aussi ancien que lui.

7. Comment, mes frères, expliquer des choses toutes spirituelles à des hommes charnels ? Ne sommes-nous pas charnels nous-mêmes lorsque nous entreprenons de faire comprendre ces idées spirituelles à des hommes charnels, à des hommes quine connaissent que des naissances charnelles, et qui voient invariablement dans ce monde des différences d’âge entre ce qui remplace et ce qui s’en va, entre ceux qui engendrent et ceux qui sont engendrés ? Parmi nous en effet le fils naît après son père, afin de, lui succéder après la mort de celui-ci ; et soit parmi les hommes, soit parmi les animaux, nous voyons toujours les pères plus anciens que les enfants. Ce spectacle perpétuel porte ces Ariens à se faire la même idée de l’ordre spirituel, et plus ils s’appliquent aux choses charnelles, plus facilement ils s’égarent. Ce n’est pas la raison qui les guide, quand on leur annonce ces doctrines erronées ; ils se laissent aller à l’habitude, et c’est l’habitude aussi qui inspire leurs maîtres de mensonge. Que faire donc ? Nous taire ? Que n’y sommes-nous autorisés ! La méditation silencieuse paraît convenir à cet ineffable mystère : car ce qui est ineffable de sa nature est de sa nature inexprimable. Or Dieu est ineffable. Si en effet l’Apôtre Paul, ravi jusqu’au troisième ciel, affirmé y avoir entendu d’ineffables paroles d ; combien plus est ineffable Celui de qui viennent ces idées inexprimables pour celui qui les a reçues. Aussi, mes frères, serait-il préférable de nous taire, si nous y étions autorisés, et de nous borner à dire : Voilà ce qu’enseigne la foi, c’est ce que nous croyons ; si tu ne peux le comprendre, c’est que tu es encore du nombre des petits ; prends patience jusqu’à ce que tu aies des ailes ; si tu voulais sans elles prendre ton essor, tu pourrais, non pas voler librement, mais tomber témérairement. – Mais que répliquerait-on ? Ah ! s’il pouvait répondre, dirait-on, il n’y manquerait pas. C’est une excuse pour voiler son impuissance. S’il refuse de répondre, c’est qu’il est vaincu par la vérité même. – Et de fait, lors même que le silence ne prouverait pas que je n’ai rien à répliquer, il pourrait nuire à ceux de nos frères dont la foi n’est pas affermie. Car en entendant l’objection ils s’imaginent qu’il n’y a réellement rien à y répondre, quoiqu’on puisse n’avoir rien à répondre tout en ayant le sentiment de la vérité. On ne peut rien exprimer sans le sentir, mais on peut sentir sans pouvoir exprimer.

8. Si néanmoins, sans déroger à l’ineffabilité de cette Majesté suprême, nous employons des comparaisons pour réfuter ces hérétiques, que nul ne regarde ces comparaisons comme faisant connaître complètement ce que les faibles ne sauraient ni exprimer ni penser même ; car s’il est des esprits plus avancés ils ne peuvent comprendre qu’en partie, ils ne peuvent voir qu’en énigme et à travers un miroir. Produisons donc ces comparaisons pour réfuter les hérétiques et non pour expliquer le mystère. Que font-ils d’ailleurs pour nous combattre, lorsque nous soutenons la possibilité pour le Verbe de naître du Père et d’être aussi ancien que lui ? Ils font des comparaisons, des comparaisons tirées de la créature. Un homme, disent-ils, existe avant d’avoir un fils, il est plus ancien que son fils ; ainsi en est-il du cheval, du mouton, de tous les autres animaux. Voilà bien des comparaisons tirées des créatures.

9. Faut-il alors que nous nous fatiguions à découvrir des similitudes pour établir les vérités dont nous nous occupons ? Et si je n’y réussissais pas, ne pourrais-je pas répondre qu’à la génération du Créateur il n’y a rien de semblable dans la créature ? Autant en effet sa nature divine surpasse les natures créées, autant sa génération l’emporte sur les générations naturelles. Tout a été fait par Dieu, et qu’y a-t-il néanmoins qui lui soit comparable ? Tout aussi naît avec son concours ; et n’est-il pas aussi impossible de signaler des similitudes qui représentent sa génération, que d’en signaler qui figurent sa nature, son immutabilité, sa divinité et sa majesté ? Qu’y a-t-il ici qui puisse nous donner l’idée de ces attributs ? Si donc je ne pouvais indiquer non plus aucune génération semblable à la sienne, serais-je vaincu pour cela ? Devrais-je me désespérer pour n’avoir rien découvert dans la créature qui fût comparable au Créateur.

10. Non, mes frères, je ne découvrirai dans le temps rien que je puisse mettre en regard de l’éternité. Et toi, qu’as-tu découvert ? qu’as-tu découvert en fait de comparaisons ? Tu as découvert qu’un père est plus ancien que son fils, et parce que dans le temps un père est plus ancien que son fils, tu prétends que dans l’éternité le Fils soit aussi moins âgé que son Père ? Mais pour établir une comparaison véritable, montre-moi ici un père éternel. C’est dans le temps que tu me montres le fils moins âgé que son père ; le père et le fils sont également soumis au temps ; mais pourrais-tu me signaler un père qui fût éternel et son fils moins âgé que lui ? Le caractère de l’éternité est la stabilité même, la variété est le caractère du temps ; dans l’éternité tout est immobile, tout vient et s’en va dans le temps ; et si dans cette révolution du temps tu vois le fils succéder à son père, c’est que ce père à son tour a succédé à son propre père qui n’était pas plus éternel que lui. Comment voulez-vous donc, mes frères, que nous reconnaissions dans la créature quelque chose de coéternel, puisque nous sommes incapables d’y rien apercevoir d’éternel ? Montre-moi dans l’univers créé un père éternel et je t’y indiquerai un fils co-éternel. Mais si tu n’y découvres rien d’éternel, si le père et le fils sont différents d’âge, ne suffit-il pas, pour établir une comparaison, que nous nous arrêtions à ce qui est de même âge ? Autre chose « ce qui est éternel, et autre chose ce qui est de même âge. Nous appelons hommes de même âge ceux qui vivent depuis le même moment ; l’un n’est pas né avant l’autre, tous deux néanmoins sont commencés. Eh bien ! si nous parvenons à rencontrer un être produit qui soit de même âge que celui dont il émane ; s’il est possible de signaler deux êtres de même âge, l’un qui engendre et l’autre qui soit engendré, ne pourrons-nous pas y voir une image de ce qui est coéternel ? En voyant ici un être engendré commencer en même temps que son père, ne comprendrons-nous pas que le Fils de Dieu n’a aussi, en même temps que son Père, jamais eu de commencement ? Oui, mes frères, si nous reconnaissons qu’un être produit a commencé en même temps que celui dont il émane, si l’un a commencé avec l’autre, pourquoi le Fils ne serait-il pas sans commencement aussi anciennement que son Père ? Il y aurait là, coévité et ici, coéternité.

11. Votre sainteté a compris sans doute ce que je viens de dire, savoir, que l’on ne saurait comparer ce qui est temporel à ce qui est éternel, mais qu’on peut établir quelque faible et légère similitude entre ce qui est contemporain et ce qui est coéternel. Cherchons donc des êtres contemporains, et demandons à l’Écriture même l’idée de ces rapprochements. Nous y lisons que la Sagesse « est l’éclat de l’éternelle lumière, et le miroir sans tache de la majesté divine e. »

Ainsi la Sagesse est appelée l’éclat de l’éternelle lumière et l’image du Père : puisons là, dans ce qui est créé en même temps, des rapprochements qui nous donnent l’intelligence de ce qui est coéternel. O Arien, si je constate qu’un être producteur n’est pas plus ancien que l’être produit par lui et que l’être produit n’a pas moins d’âge que celui dont il procède, tu devras m’accorder que dans la nature créatrice deux personnes peuvent être coéternelles, puisqu’en effet deux êtres sont absolument contemporains dans la nature créée. Quelques-uns de mes frères, je crois, saisissent déjà toute ma pensée ; plusieurs en effet l’ont devinée quand j’ai rapporté ces paroles : « Elle est l’éclat de l’éternelle lumière. » Le feu donc produit la lumière, la lumière jaillit du feu. Nous allumons la lampe chaque jour ; suions examinions alors comment la lumière naît du feu, notre esprit se reporterait sur un mystère invisible et ineffable, et le flambeau de notre intelligence pourrait s’allumer aussi durant l’épaisse nuit du siècle. Considère avec attention un homme qui allume sa lampe. Avant que cette lampe soit allumée, on n’y voit ni le feu ni l’éclat qui en jaillit. Dis-moi, maintenant : Est-ce la lumière qui vient du feu ou le feu qui vient de la lumière ? Chacun me répondra, car Dieu a semé dans tous les esprits les idées premières de l’intelligence et de la sagesse ; chacun donc me répondra, et me répondra sans hésiter, que la lumière vient du feu, et non pas le feu de la lumière. Supposons donc que le feu est le père de cette lumière, et n’oublions pas que nous cherchons ici des phénomènes contemporains et non pas coéternels. Eh bien ! quand je veux allumer ma lampe, il n’y a ni feu ni lumière, et sitôt que je l’ai allumée, le feu s’y montre en même temps due la lumière. Fais-moi voir ici du feu sans lumière et je croirai qu’au ciel le Père est sans son Fils.

12. Remarquez bien : nous avons exprimé ce grand mystère autant qu’il nous a été possible ; le Seigneur a eu égard à l’ardeur de vos prières et aux dispositions de votre cœur, et vous m’avez compris dans la mesure de vos forces. Ces vérités pourtant sont ineffables ; ne regardez pas mes paroles comme proportionnées au sujet, puisqu’il m’a fallu comparer ce qui est contemporain à ce qui est coéternel, ce qui est temporel à ce qui subsiste toujours, ce qui s’éteint à ce qui est immortel. Toutefois, puisque le Fils est appelé aussi l’image de son Père, tirons encore de là un rapprochement, quoiqu’il y ait tant de différence, comme nous l’avons dit, entre ces divers objets. Quand un homme est en face d’un miroir, on y voit son image. Mais ceci ne saurait nous aider à rendre sensible le mystère que nous cherchons à expliquer tant soit peu ; car on peut m’objecter que celui qui est en face d’un miroir existait, était né auparavant. Son image ne se reflète qu’à dater du moment où il se met en présence du miroir ; mais il existait avant de s’en approcher. Comment donc établir une comparaison semblable à celle que nous ont offert le feu et la lumière ? Interrogeons ce qu’il y a de plus faible. Il vous a été facile d’observer comment l’eau reproduit les images dès corps. Ainsi, quand un homme passe ou s’arrête au-dessus de l’eau, il y voit son image. Si donc une plante, un arbrisseau ou une herbe, naissait au-dessus de l’eau, n’y naîtrait-elle pas avec son image ? Son image commencerait d’exister en même temps qu’elle, elle ne lui serait pas le moins du monde antérieure. Impossible de me montrer qu’une plante soit née au-dessus de l’eau, et qu’ensuite seulement et non en même temps, son image s’y soit peinte ; elle s’y peint au même moment ; et pourtant l’image vient de la plante, et non la plante de l’image. Elle naît donc avec son image : l’existence de l’image et l’existence de la plante commencent en même temps. N’avoues-tu pas que l’image est produite par la plante et non la plante, par l’image ? L’image vient ainsi de la plante, ce qui engendre et ce qui est engendré commencent en même temps et par conséquent sont contemporains ; et par conséquent encore si la plante avait toujours existé, toujours aussi aurait, existé l’image qu’elle produit, l’image qu’elle engendre ; d’où il suit encore que ce qui engendre peut exister toujours, et toujours aussi exister en même temps ce qui est engendré. Tout l’effort, tout le travail de notre esprit tendait à nous faire l’idée d’une génération éternelle, voilà cette idée. Concluons aussi que le Fils de Dieu porte ce nom pour exprimer qu’il a un Père qui lui donne la vie, et non pour signifier que le Père lui soit antérieur. Toujours le Père existe et toujours existe également le Fils qui procède de lui ; et comme en procédant de lui le Fils en naît, on peut dire que toujours le Fils est né du Père. Le Père existe toujours, et toujours l’image qu’il produit. Ainsi l’image de la plante est produite par la plante, et si la plante eût toujours existé, toujours également aurait existé l’image qu’elle forme. Tu n’as pu découvrir d’êtres coéternels engendrés de pères éternels, et tu viens de rencontrer des êtres contemporains produits par des êtres temporels. Ainsi j’ai l’idée du Fils coéternel de Dieu engendré de son Père éternel. Entre le coéternel et l’éternel il y a la même relation qu’entre le contemporain et l’éternel.

13. Mes frères, il y a.ici, pour éviter les blasphèmes, une petite observation. Constamment on répète : Voilà bien des comparaisons, mais la lumière produite par le feu est moins éclatante que le feu même, et l’image de l’arbrisseau n’a certes pas la même réalité que l’arbrisseau. – Sans doute, il y a ici ressemblance, mais non pas égalité absolue et c’est pourquoi il ne parait pas y avoir même nature. Que répondre alors si on nous disait : Le Fils est donc au Père ce que la lumière est au feu, et l’image à l’arbrisseau ? – Je vois que le Père est éternel et que le Fils est coéternel au Père ; mais dirons-nous qu’il ressemble à la lumière en tant qu’elle est moins éclatante que le feu, et à l’image en tant qu’elle a moins de réalité que l’arbrisseau ? Nullement ; il y a ici égalité parfaite. – Je n’en crois rien, dit-on, puisque tu ne découvres rien de semblable — Eh bien ! crois-en l’Apôtre, car il a pu voir ce que j’enseigne. Le Christ, dit-il, « n’a pas cru usurper en se faisant égal à Dieu f. » C’est une égalité parfaite et absolue. Mais pourquoi ne l’a-t-il pas usurpée ? C’est qu’il ne se l’attribue que parce qu’elle lui appartient.

14. Réunissons maintenant ces rapports divers, ces deux espèces d’êtres ; peut-être trouverons-nous dans la créature quelque similitude qui nous aide à comprendre comment le Fils est coéternel au Père et en même temps son égal. Mais il nous est impossible de voir cette vérité dans une même espèce de comparaisons ; réunissons alors des comparaisons empruntées à deux espèces d’êtres. Lesquelles ? L’une comprend les similitudes invoquées par les hérétiques, et l’autre comprend les comparaisons indiquées par nous. Les hérétiques ont tiré leurs comparaisons de ce qui naît dans le temps et se trouve par conséquent moins ancien que l’être générateur : ainsi l’homme issu de l’homme est moins ancien que son père ; et toutefois le fils, comme le père, est homme, c’est-à-dire de même nature, car un homme engendre un homme comme un cheval produit un cheval, comme un animal produit son semblable. Ces êtres communiquent leur substance, mais ils ne communiquent par leur âge. L’âge est différent, mais la nature est la même. Que constatons-nous donc dans ce genre de naissances ? Sans aucun doute, l’égalité de nature. Et que n’y trouvons-nous pas ? L’égalité d’âge. N’oublions pas alors cette égalité de nature que nous y avons rencontrée. Quant aux comparaisons que nous-mêmes avons tirées soit de la lumière produite par le feu, soit de l’image peinte par l’arbrisseau, si tu n’y découvres pas l’égalité de nature, tu y vois l’égalité d’âge. Qu’y constatons-nous donc ? L’égalité d’âge. Que n’y découvrons-nous pas ? L’égalité de nature. Eh bien ! unis ces deux caractères ; tu le peux, car si les créatures manquent de quelque qualité, le Créateur ne saurait manquer d’aucune, puisque de lui vient tout ce que possède la créature. Ne faut-il donc pas attribuer à Dieu ce que tu rencontres dans les êtres contemporains, comme il est nécessaire de n’attribuer pas à cette Majesté qui est sans défaut, ce dont manquent ces êtres ? Voici des générateurs de même âge que les êtres engendrés par eux ; en y reconnaissant l’égalité d’âge, tu y constates l’inégalité de nature. Garde-toi de prêter à Dieu aucun défaut, prête-lui au contraire les perfections des créatures, et pour nous en tenir d’abord aux créatures de même date, vois dans leur coévité la coéternité du Fils avec le Père. Quantaux autres créatures, qui sont également l’œuvre de Dieu et qui doivent aussi louer leur Créateur, que constates-tu en elles ? L’égalité de nature. Les premières t’avaient enseigné à attribuer à Dieu la coéternité ; que celles-ci te déterminent à admettre en lui l’égalité de nature. Eh ! ne serait-ce pas, rues frères, le comble de la folie que de ne célébrer pas dans le Créateur ce que je célèbre dans la créature ? Je loue dans l’homme l’égalité de nature, et je l’admets pas dans Celui qui a fait l’homme ? Ce qui naît de l’homme est homme, et ce qui naît de Dieu ne serait pas Dieu ? Peu m’importent les œuvres qui ne sont pas les œuvres de Dieu ; mais je veux que tous les ouvrages du Seigneur bénissent leur Créateur ; et puisque dans ces ouvrages je vois la coévité, j’en conclus qu’il y a en Dieu coéternité ; et puisque dans ces mêmes ouvragés je constate égalité de nature, je reconnais en Dieu égalité de substance. Je réunis en lui ce que je trouve répandu partiellement sur chacune de ses créatures, et sans m’arrêter même à ce que je découvre dans celles-ci, je lui en attribue toutes les perfections, mais comme au Créateur, et je les lui attribue d’une manière d’autant plus éminente que ces perfections sont visibles ici et en lui invisibles ; ici temporelles, éternelles en lui ; ici muables et en lui immuables ; ici corruptibles, incorruptibles en lui. Enfin, pour nous arrêter à l’homme, le père et le fils sont deux hommes ; tandis qu’en Dieu le Père et le Fils ne sont qu’un seul Dieu.

15. Je rends au Seigneur notre Dieu d’ineffables actions de grâce, de ce qu’à votre requête il a daigné me tirer de ce dangereux et difficile écueil. Mais n’oubliez jamais que le Créateur est élevé, à une hauteur infinie, au-dessus de tout ce que nos sens ou nos méditations peuvent remarquer dans la créature. Veux-tu donc t’élever intérieurement, jusqu’à lui ? Purifie ton esprit, purifie ton cœur, purifie cet œil intérieur qui pourra seul contempler ce qu’il est, purifie l’œil du cœur, car il est écrit : « Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu g. » Cependant, puisque le cœur n’était pas purifié, était-il possible à Dieu de se montrer plus miséricordieux envers nous qu’en procurant l’incarnation de ce Verbe dont nous avons tant parlé sans pouvoir, malgré nos efforts, rien dire qui fût digne de lui ? Ce Verbe en effet a fait toutes choses, et pour nous aider à atteindre à ce que nous ne sommes pas, il s’est fait ce que nous sommes. Nous ne sommes pas Dieu, mais nous pouvons le considérer en esprit, c’est-à-dire fixer sur lui le regard du cœur. Maintenant, il est vrai, les péchés qui nous accablent et qui nous aveuglent, ainsi que la faiblesse gui nous tient abattus, nous réduisent au simple désir de voir Dieu ; mais nous sommes au temps de l’espérance et non à l’époque de la réalité. « Nous sommes les enfants de Dieu. »

Ainsi parle Jean, celui qui a dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu : » celui qui reposait sur la poitrine du Seigneur et qui puisait dans son cœur ces secrets divins. Il dit donc : « Mes bien aimés, nous sommes les enfants de Dieu, et ce que nous serons un jour ne parait pas encore ; nous savons seulement que lorsqu’il apparaîtra lui-même, nous lui serons semblables, car nous le verrons tel qu’il est h. » Ceci nous est promis.

16. Afin toutefois d’y parvenir, et parce que nous ne saurions contempler encore là divinité du Verbe, écoutons son humanité, charnels que nous sommes, prêtons l’oreille au Verbe fait chair ; car s’il est venu parmi nous, s’il s’est chargé de ta faible nature, c’est pour te permettre d’entendre sa forte parole. Et n’est-ce pas avec raison qu’on l’a comparé au lait ? Ne donne-t-il pas du lait aux petits, pour leur donner, quand ils seront grands, le pain de la sagesse ? Souffre donc qu’on t’allaite, pour que tu manges un jour avec avidité. Vois encore comment se forme le lait qu’on donne aux enfants. Ce lait n’est-il pas d’abord sur la table une nourriture ordinaire Mais l’enfant ne saurait manger cette nourriture placée sur la table. Que fait alors la mère ? Elle se l’incorpore, elle la change en lait pour que nous puissions nous en nourrir. Ainsi le Verbe s’est fait chair, afin qu’incapables de prendre encore aucun aliment solide, nous vécussions de lait, comme les petits enfants. Il y a pourtant cette différence : Quand la mère forme le lait avec la nourriture qu’elle a prise, cette nourriture se change réellement en lait ; au lieu que le Verbe est resté immuable, quand il a pris un corps, afin d’en être revêtu. Il n’a alors ni altéré ni transformé sa nature, et sans se changer en homme, il a voulu te parler en se rendant visible comme toi. Absolument immuable et inaltérable, il est devenu un autre toi-même, sans cesser d’être semblable à son Père.

17. Que dit-il en effet lui-même aux petits pour leur apprendre à recouvrer la vue et à s’élever de quelque manière jusqu’à ce Verbe qui a tout fait ? « Venez à moi, vous tous qui prenez de la peine et quiètes chargés, et je vous soulagerai. Prenez mon joug sur vous, et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur i. » Que fait ici le Maître souverain, ce Fils de Dieu, cette Sagesse de Dieu par qui tout a été fait ? Il appelle à lui le genre humain : « Venez à moi, vous tous qui prenez de la peine, et apprenez de moi. » Tu t’attendais peut-être à entendre dire à la Sagesse divine : Apprenez de moi comment j’ai formé les cieux et les astres ; comment tout était compté dans mon esprit avant d’être formé, et comment je voyais, à la lumière des idées immuables, le nombre même de vos cheveux j. Tu t’attendais donc à l’entendre parler ainsi ? Tu te trompais ; elle dira d’abord : « Apprenez que je suis doux et humble de cœur. » Considérez, mes frères, ce que vous avez à apprendre d’abord ; c’est assurément peu de chose. Nous aspirons à ce qui est grand ; pour le devenir, attachons-nous à ce qui est petit. Tu voudrais t’occuper des grandeurs de Dieu ? Occupe-toi d’abord de son humilité. Ne dédaigne pas de devenir humble dans ton intérêt, puisque dans, ton intérêt encore et non dans le sien, Dieu a daigné le devenir. Nourris-toi donc de l’humilité du Christ, apprends à être, humble et garde-toi de l’orgueil. Avoue ta maladie et reste avec patience aux pieds de ton médecin. Une fois que tu seras humble comme lui, tu te relèveras avec lui ; non que lui-même se relève considéré comme Verbe, c’est toi plutôt qu’il relèvera pour le connaître de plus en plus. Tu ne le regardes d’abord qu’en tremblant et en hésitant ; tu le verras ensuite d’un œil plus ferme et avec plus de clarté. Il ne grandit pas, c’est toi qui profites et il semble s’élever avec toi. Oui, mes frères, c’est bien la vérité. Ajoutez foi aux commandements de Dieu et accomplissez-les ; Dieu fortifiera alors votre intelligence. Point de présomption, ne semblez pas mettre la science avant le précepte, ce serait le moyen de rester petits sans vous affermir. Considérez cet arbre, il cherche à descendre pour monter, il enfonce ses racines en bas pour porter sa tête vers le ciel. Ne s’appuie-t-il pas sur l’humilité ? Pour toi, tu veux sans charité comprendre les mystères sublimes, t’élancer dans, les airs sans avoir ale racine ? C’est périr et non grandir. Que par la foi donc le Christ habite en vos cœurs ; enracinez-vous et établissez-vous dans la charité, pour être remplis de toute la plénitude de Dieu k.

SERMON CXVIII. L’ÉTERNITÉ DU VERBE l.

ANALYSE. – Les premières paroles de l’Évangile de saint Jean prouvent l’éternité du Verbe, et si l’on se demande comment le Verbe engendré de Dieu peut être éternel comme Dieu, il suffit de se rappeler que l’éclat ; produit par la lumière, est aussi ancien que la lumière elle-même.

1. Vous tous qui aimez tant à entendre parler l’homme, entendez l’unique Parole de Dieu. « Au commencement était le Verbe. » Sans doute, au commencement Dieu a fait le ciel et la terre ; » « mais le Verbe était dès lors. Reconnaissons en lui le Créateur ; car c’est le Créateur qui a fait, et la créature est son ouvrage ; et celte créature, qui est son ouvrage n’a pas toujours existé comme a existé toujours le Verbe divin dont elle est l’œuvre. Mais où était ce Verbe dont il est dit qu’ » il était au commencement ? » Évidemment il était dans le Père ; car le Père ne l’a ni créé ni formé, mais engendré. En effet, « au commencement Dieu a fait le ciel et la terre. » Par quel moyen les a-t-il faits ? « Le Verbe était, et le Verbe » ou la Parole « était en Dieu. » Quel était ce Verbe ou cette Parole ? Une parole qui retentit et qui passe ? Une parole que l’on inédite ##Rem et qui s’en va ? Une parole que l’on se rappelle et que l’on prononce ? Nullement. Quelle était donc cette Parole ? Pourquoi m’adresser tant de questions ? « Cette Parole était Dieu. » Or en disant : « Cette Parole était Dieu », nous ne faisons pas deux Dieux, nous nommons le Fils de Dieu, puisque la Parole ou le Verbe de Dieu est son Fils. Et s’il est Fils, n’est-il pas Dieu ? Aussi bien « et le Verbe était Dieu. » Qu’est le Père ? Il est Dieu, sans aucun doute. Si le Père est Dieu, si le Fils est Dieu également, n’y a-t-il pas deux Dieux ? Non. Le Père est Dieu, le Fils est Dieu ; mais le Père et le Fils ne sont qu’un seul Dieu. Effectivement, le Fils unique de Dieu n’a pas été fait, il est né. « Au commencement Dieu fit le ciel et la terre ; » mais le Verbe alors était né de son Père. N’est-ce pas une preuve qu’il a été fait par lui ? Non. « C’est par lui que tout a été fait. » Si tout a été fait par lui, ne s’est-il pas fait aussi lui-même ? Ne confonds point avec ce qui a été fait Celui qui a fait tout. Si en effet il a été fait, il n’a pas fait tout, il a été fait comme le reste. Il a été fait, tais-tu ; mais est-ce par lui ? Eh ! qui peut donc se faire ? Et s’il a été fait, comment a-t-il fait tout ? Admettons avec toi qu’il a été fait, pour moi je ne nie pas qu’il ait été engendré ; si donc il a été fait, par quoi, par qui l’a-t-il été ? Est-ce par lui-même ? Mais pour se faire lui-même il aurait dû exister avant d’être, et comme tout a été fait par lui, il est sûr que lui-même ne l’a pas été. Ne peux-tu comprendre ? Crois et tu comprendras ; car la foi précède l’intelligence, et le prophète a dit : « Si vous ne croyez, vous ne comprendrez point m. » « Le Verbe » donc « était. » Ne demande pas en quel temps. « Le Verbe était. » Il fut pourtant, dis-tu, une époque où il n’était pas. C’est une assertion fausse, tu ne la lis nulle part ; tandis que je lis : « Au commencement était le Verbe. » Que cherches-tu avant le commencement ? Si tu découvrais quelque chose avant le commencement, ce quelque chose ne serait-il pas le commencement même ? N’est-ce pas avoir perdu le sens que de chercher quoique ce soit avant le commencement ? Qu’est-ce donc qui a pu exister avant le commencement ? « Au commencement était le Verbe. »

2. Mais le Père était aussi, diras-tu ; il était donc avant le Verbe ? – Que cherches-tu à savoir ? – « Au commencement était le Verbe. » Comprends ce que tu vois et ne cherche pas ce que tu ne saurais trouver. Il n’y a rien avant le commencement.« Au commencement était le Verbe. » Le Fils est la splendeur du Père, car il est dit de la Sagesse de Dieu ou de son Fils : « Elle est la splendeur de l’éternelle lumière n. » Tu veux le Fils sans son Père ? Montre-moi une lumière sans splendeur. S’il fut un temps où le Fils n’existait pas, le Père était donc alors une lumière ténébreuse ; et comment n’eût-il pas été une lumière ténébreuse puisqu’il était, d’après toi, une lumière sans clarté ? Ainsi donc le Père a toujours été, et le Fils toujours également ; l’un n’a pas toujours existé sans que l’autre existât toujours. Tu me demandes si le Fils est né. Je réponds que oui ; car s’il n’était né, il ne serait pas Fils, et si de toute éternité il est Fils, il est né de toute éternité. – Qui comprendra qu’il soit né de toute éternité ? – Montre-moi du feu qui soit éternel, et je te montre en même temps une éternelle lumière. Combien nous bénissons le Seigneur de nous avoir donné les saintes Écritures ! En face de la lumière, ne soyez pas aveugles. N’est-il pas vrai que la splendeur est produite par la lumière et que néanmoins elle est aussi ancienne ? Que fa lumière ait toujours existé, son éclat également aura existé toujours. La lumière engendre en quelque sorte son éclat ; mais a-t-elle été jamais sans lui ? Permettons à Dieu d’engendrer éternellement. Rappelez-vous, je vous en conjure, de qui nous parlons ; prêtez l’oreille et soyez attentifs, croyez et comprenez ; nous parlons de Dieu même. Nous confessons et nous croyons que le Fils est coéternel au Père. Mais, dit-on, quand un homme engendre un fils, le père est plus âgé et le fils l’est moins. Sans aucun doute, il est facile d’observer parmi les hommes que le père est plus âgé, que le fils l’est moins et que celui-ci a besoin d’acquérir par degrés la force de son père. – Pourquoi, sinon parce que l’un se développe et que l’autre vieillit ? Que le père ne se laisse point entraîner par le mouvement du temps, le fils en grandissant le rejoindra bientôt et sera son égal. Voici qui fera mieux saisir. Tandis que la splendeur est de même date que le feu qui la produit, on ne voit parmi les hommes que des pères plus âgés que leurs enfants, jamais ils ne sont de même âge. Considérons donc, comme je l’ai dit, que la splendeur est de même date que le feu qui la produit, ce qui est incontestable, puisque le feu qui l’engendre n’est jamais sans elle. Mais en voyant la splendeur aussi ancienne que le feu, ne permettras-tu pas à Dieu d’engendrer un Fils aussi ancien que lui ?

Vous qui comprenez, réjouissez-vous ; et vous qui ne comprenez pas, croyez, car on ne saurait prescrire contre cette parole d’un prophète « Si vous ne croyez, vous ne comprendrez pas. »

SERMON CXIX. LE VERBE FAIT CHAIR o.

ANALYSE. – Tout grand, tout éternel que soit le Verbe de Dieu, il s’est fait chair, il est descendu jusqu’à nous, afin de nous élever jusqu’à lui.

1. Nous n’avons jamais cessé de vous annoncer, et toujours votre foi a été persuadée que Notre-Seigneur Jésus-Christ s’est fait homme pour chercher l’homme égaré, et que ce même Seigneur, qui s’est fait homme pour nous, a toujours été Dieu dans le sein de son Père, qu’il le sera ou plutôt qu’il l’est toujours, car il n’y a ni passé ni futur là où n’est point la mobilité du temps. En effet le passé n’est plus et le futur n’est pas encore, tandis que le Seigneur est toujours, puisqu’il existe véritablement, en d’autres termes, puisqu’il est immuable. C’est le grand et divin mystère que vient de nous rappeler la lecture de l’Évangile.C'est saint Jean qui a exhalé en quelque sorte ce commencement de l’Évangile, qu’il avait comme puisé dans le cœur de son Maître. On vous l’a lu dernièrement encore ; rappelez-vous donc comment ce saint Évangéliste reposait sur le sein du Seigneur, sur le sein du Seigneur, c’est-à-dire « sur sa poitrine », comme il l’exprime clairement p. Or en reposant ainsi sur la poitrine du Seigneur, que n’y puisait-il pas ? Ne cherchons pas tant à nous l’imaginer qu’à en profiter, puisque nous aussi nous venons d’entendre de sublimes vérités.

2. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. » Quelle prédication ! Quels flots divins jaillissant de la poitrine du Seigneur ! « Au commencement était le Verbe. » Pourquoi chercher ce qui était avant lui, puisqu’il « était au commencement ? » Le Verbe n’a pas été créé, puisque tout a été créé par lui : mais s’il avait été créé, l’Écriture dirait : Au commencement Dieu a fait le Verbe, comme il est dit dans la Genèse : « Au commencement Dieu a fait le ciel et la terre q. » Dieu n’a donc pas fait le Verbe au commencement, puisqu’« au commencement était le Verbe. » Mais où était ce Verbe, qui était au commencement ? Poursuis : « Et le Verbe était en Dieu. » Habitués à entendre chaque jour la parole humaine, estimons-nous assez ce terme de Verbe qui signifié parole ? Garde-toi d’en faire ici peu de cas, car « le Verbe était Dieu ; il était en Dieu au commencement. Tout a été fait par lui, et sans lui rien n’a été fait. »

3. Appliquez vos cœurs, suppléez à l’insuffisance de mon discours ; écoutez ce que je pourrai dire et réfléchissez à ce que je ne dirai pas. Qui peut se représenter une parole immobile ? Les nôtres passent en faisant du bruit. Afin donc de se figurer le Verbe subsistant, ne faut-il pas demeurer en lui ? Veux-tu donc comprendre comment ce Verbe est immobile ? ne suis pas le torrent charnel. Notre chair est comme un fleuve, puisqu’elle n’est jamais immobile. Les hommes en effet naissent des sources mystérieuses de la nature, ils vivent et ils meurent, sans savoir ni d’où ils viennent, ni où ils vont. Ainsi les eaux sont invisibles jusqu’au moment où elles jaillissent, elles coulent et on les voit dans le lit du fleuve, puis elles se perdent de nouveau dans la mer. Ah ! dédaignons, dédaignons ce flot qui jaillit, qui coule et disparaît. « Toute chair n’est que de l’herbe et toute sa beauté ressemble à la fleur des champs ; l’herbe s’est desséchée, la fleur est « tombée. » Veux-tu ne tomber pas ? « Mais le Verbe du Seigneur demeure éternellement r. »

4. Afin toutefois de nous venir en aide, « le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. » Qu’est-ce à dire, « le Verbe s’est fait chair ? » C’est-à-dire que l’or s’est fait herbe, il s’est fait herbe pour brûler ; l’herbe en effet a brûlé, mais l’or est resté, et loin de se consumer avec l’herbe, il l’a transformée. Comment l’a-t-il transformée ? En la ressuscitant, en lui rendant la vie, en l’élevant jusqu’au ciel, en la plaçant à la droite du Père. Mais de quoi sont précédés ces mots : « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous ? » Rappelons-le brièvement. « Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu. Mais à tous ceux qui l’ont reçu il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu », de le devenir, car ils ne l’étaient pas, tandis que lui l’était dès le commencement. « Il a donc donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom, qui ne sont pas nés du mélange du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu. » Quel que soit leur âge proprement dit, voilà ce qu’ils sont, des enfants ; regardez-les et soyez heureux. Voilà ce qu’ils sont, mais des enfants qui ont Dieu pour père ; le sein de leur mère est l’eau du baptême.

5. Loin d’ici la pauvreté du cœur et l’indigence des pensées ; que nul ne dise : Comment ! « Le Verbe était au commencement, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu, tout a été fait par lui : » et voilà que ce même « Verbe s’est fait chair et a habité parmi nous ! » Apprenez pourquoi. Il est sûr qu’à ceux qui croient en son nom il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu ; et vous à qui il a donné ce pouvoir, ne regardez point cette transformation comme impossible. « Le Verbe s’est fait chair et a habité parmi nous. » Est-il étonnant que vous puissiez devenir fils de Dieu, quand pour vous le Fils de Dieu est devenu Fils de l’homme ? S’il s’est abaissé, ne peut-il nous élever ? S’il est descendu jusqu’à nous, est-il impossible que nous montions jusqu’à lui ? Il s’est assujetti à notre mort, ne saurait-il nous donner sa vie ? Pour toi il a enduré les maux qui t’étaient dus, ne pourra-t-il te communiquer les biens qui lui appartiennent ?

6. Néanmoins, objecte-t-on, comment a-t-il été possible que le Verbe de Dieu, qui gouverne le monde, qui a créé et qui crée encore tout, se rapetissât dans le sein d’une Vierge, laissât le monde et quittât les anges pour s’enfermer dans les flancs d’une femme ? – Tu n’entends rien aux choses de Dieu. Souviens-toi, ô homme, que je te parle de la toute-puissance du Verbe de Dieu. Le Verbe de Dieu a donc pu sans difficulté faire tout cela ; également tout-puissant, et pour demeurer avec son Père, et pour venir parmi nous, et pour se montrer à nous dans un corps humain et pour demeurer invisible en lui. Il ne doit pas la vie à sa naissance corporelle. Il existait avant de prendre un corps ; c’est lui qui a créé sa mère ; il a fait choix de celle qui l’a conçu, il a créé celle qui devait le créer. Pourquoi cette surprise ? C’est de Dieu que je te parle, car « le Verbe était Dieu. »

7. Il est ici question du Verbe, de la Parole ; la parole humaine ne saurait-elle nous donner quelque idée de sa puissance ? Quelle différence ! Il n’y a aucune comparaison à établir, et toutefois n’y peut-on signaler aucune ressemblance ? Ainsi, la parole que je vous adresse était d’abord dans mon cœur ; je te la donne et elle ne me quitte point ; elle n’était pas en toi et elle y est, mais en y allant elle demeure en moi. De même donc qu’elle frappe tes sens sans quitter mon cœur, ainsi le Verbe divin s’est montré à nous sans quitter son Père. Ma parole était en moi et elle est devenue voix ; le Verbe de Dieu était en son Père et il est devenu chair. Mais puis-je faire de ma voix ce qu’il a fait de sa chair ? Ma voix s’envole et je ne puis la retenir ; lui au contraire, complètement maître de sa chair en naissant, en vivant et en travaillant, l’a de plus ressuscitée après sa mort, puis il l’a conduite au Ciel comme le char sur lequel il était venu au milieu de nous. Donne à cette chair les noms de vêtement, de char ou de bête de somme, comme il est possible qu’il ait voulu nous l’indiquer lui-même en faisant placer sur cette monture le malheureux qui avait été blessé par les voleurs s ; donne-lui enfin le nom de temple qu’il s’est donné lui-même expressément t ; ce temple, après avoir été renversé, est maintenant assis à la droite du Père, et il viendra dans ce temple juger les vivants et les morts. Mais ce qu’il a enseigné par ses préceptes, il l’a montré par ses exemples et tu dois espérer pour ton corps ce que tu vois : dans le sien. Tel est l’objet de la foi, attache-toi à ce que tu ne vois pas encore ; il est nécessaire que la foi te tienne lié à ce que tu ne vois pas, pour n’avoir pas à rougir lorsque tu seras en face.

SERMON CXX. LE VERBE DE DIEU PARTOUT u.

ANALYSE. – Afin de comprendre un peu comment le Verbe de Dieu est partout, rappelez-vous, non pas le soleil qui n’est pas en même temps partout, mais la parole humaine qui se trouve simultanément dans celui qui la prononce et dans tous ceux qui l’entendent.

1. Saint Jean commence ainsi son Évangile : « Au commencement était le Verbe. » c’est ce qu’il a vu. S’élevant donc au-dessus de toutes tes créatures, au-dessus des montagnes et, de 1a région de l’air, au-dessus des cieux et des astres, au-dessus des Trônes, des Dominations, des Principautés, des Puissances, de tous les Anges et de tous les Archanges, s’élevant au-dessus de tout, il a vu-le Verbe dès le commencement, et il s’en est pénétré ; il l’a vu supérieur à toute créature, c’est le mystère dont il a puisé la connaissance dans le cœur du Seigneur. Car ce saint Évangéliste était chéri spécialement de Jésus, chéri au point qu’il reposait sur sa poitrine v, et c’est là qu’il devait puiser ce secret pour le divulguer dans son Évangile. – Heureux ceux qui l’écoutent et le comprennent ! Heureux aussi, mais moins heureux ceux qui le croient sans le comprendre ! Quelle parole humaine pourrait expliquer l’immense bonheur de voir le Verbe de Dieu ?

2. Élevez vos cœurs, mes frères, élevez-les autant Faisons néanmoins une observation, mes frères : oui, le soleil répand ses rayons sur toute la terre, il pénètre tous les corps transparents ; mais pénètre-t-il les corps opaques ? Sa clarté passe à travers la fenêtre ; traverse-t-elle la muraille ? – Au Verbe de Dieu, au contraire, tout est accessible, rien n’est caché pour lui. Considérez un autre caractère, saisissez combien la créature, surtout la créature corporelle, est distante du Créateur. Si le soleil est à l’Orient, il n’est pas à l’Occident. Sans doute la lumière qui s’échappe de ce globe immense se porte jusqu’en Occident ; mais le soleil n’y est pas lui-même. Il y sera quand viendra l’heure de son coucher ; car s’il est en Orient quand il se lève, il est en Occident quand il se couche. C’est même de son lever et de son coucher que viennent ces dénominations d’Orient et d’Occident, car il se trouve alors en ces lieux. Mais nulle part on ne le voit la nuit. En est-il ainsi du Verbe de Dieu ? N’est-il pas en Orient en même temps qu’il est en Occident et en Occident quand il est en Orient ? Quitte-t-il jamais la terre pour aller ou sous la terre ou loin de la terre ? Il est tout entier partout. Mais qui peut l’expliquer ? Qui le voit ? Quelle preuve vous donner de cette vérité ? Je suis un homme parlant à des hommes, un infirme parlant à de plus infirmes ; et pourtant, mes frères, j’ose bien vous le dire, je vois, comme dans un miroir et en énigme, je vois et je comprends tant soit peu ce que je vous dis, et il y a pour l’exprimer une parole dans mon cœur. Cette parole cherche à en sortir pour aller à vous ; mais elle ne rencontre point de véhicule convenable. Le véhicule de la parole est le son de la voix. Je cherche donc à vous dire ce que je me dis en moi-même, mais les paroles me manquent ; car c’est du Verbe de Dieu que je veux vous entretenir, et quel Verbe ! « Tout a été fait par lui. » Considérez ses œuvres et tremblez devant lui. « Par lui tout a été fait. »

3. Reviens sur toi, infirmité humaine, reviens sur toi. Comprenons les choses humaines, si nous en sommes capables cependant. Nous sommes tous hommes, et nous qui parlons, et vous qui prêtez l’oreille ; de plus nous émettons des sons de voix. Nous portons ces sons à l’oreille et par eux, autant qu’il est possible, l’intelligence à l’esprit. Eh bien ! parlons de ce phénomène dans la mesure de nos forces, efforçons-nous de comprendre. Si nous ne comprenons même pas ce phénomène de la parole humaine, que sommes-nous près du Verbe de Dieu ?

Vous m’écoutez maintenant, je parle : Si quelqu’un de vous venait à sortir et qu’on lui demandât ce qui se fait ici, il répondrait : L’Évêque parle. Oui je parle du Verbe. Mais quelle est ma parole et quel est ce Verbe ? Parole mortelle et Verbe immortel ; parole muable et Verbe immuable ; parole qui passe et Verbe qui demeure éternellement. Examinez néanmoins cette parole. Je vous disais : Le Verbe de Dieu est tout entier partout. Voyez : je vous parle et ma parole se communique à tous. Mais pour qu’elle se communiquât à tous, vous l’êtes-vous partagée ? Si je nourrissais, non pas vos âmes, mais vos corps, et si pour apaiser votre faim je mettais des aliments devant vous, ne seriez-vous pas obligés de vous les partager ? Chacun de vous pourrait-il avoir tout ? N’est-il pas sûr que si l’un de vous avait tout, les autres n’auraient rien ? Eh bien ! je vous distribue la parole, et tous vous l’entendez, vous la possédez, tous vous la possédez tout entière ; elle parvient tout entière à tous et à chacun. O merveilles de ma parole ! Que n’est donc pas le Verbe de Dieu ?

Autre observation : J’énonce une pensée, et cette pensée se donne à vous sans me quitter, elle vous arrive sans se séparer de moi. Avant de l’exprimer je l’avais et vous ne l’aviez pas ; je l’exprime et vous l’avez sans que je la perde. O prodige de ma parole ! Que n’est donc pas le Verbe de Dieu ?

Que les petites choses vous élèvent vers les grandes. Contemplez les merveilles de la terre et admirez les merveilles du ciel. Je suis créature, vous êtes également créatures, et si ma parole produit de tels prodiges dans mon cœur, sur mes lèvres, dans ma voix, dans vos oreilles et dans votre cœur, que penser du Créateur ?

O Seigneur, écoutez-nous. Réparez-nous, car c’est vous qui nous avez faits ; rendez-nous bons, puisque déjà vous nous avez éclairés. Ces fidèles en blanc, que vous avez éclairés, entendent votre parole dans ma bouche ; c’est la lumière de votre grâce qui les tient ici devant vous dans ce jour que le Seigneur a fait. Ah ! qu’ils travaillent et qu’ils prient pour ne devenir pas ténèbres, après ces solennités, puisqu’en eux reluisent aujourd’hui les prodiges et les bienfaits divins.

SERMON CXXI. LES DEUX NAISSANCES w.

ANALYSE. – Le monde qui a rejeté Jésus-Christ n’est pas précisément le monde créé par lui ; ce sont les hommes charnels que l’Écriture appelle le monde pour exprimer combien ils sont attachés aux choses du monde. Quant aux hommes qui ont reçu le Sauveur, ce sont ceux qui outre leur nature humaine ont reçu de Dieu et de l’Église une naissance toute spirituelle et toute divine, comme Jésus-Christ a reçu la vie par l’union sainte de l’Esprit divin et de la Vierge Marie.

1. « Le monde a été fait par » le Seigneur, « et le monde ne l’a point reconnu. » Quel est le monde qui a été fait par lui ? et quel est le monde qui ne l’a point reconnu ? Le monde fait par lui n’est pas celui qui ne l’a point reconnu. Quel est effectivement le monde fait par lui ? Le ciel et la terre. Mais comment le ciel ne l’a-t-il pas reconnu, puisqu’à sa mort le soleil s’est obscurci ? Comment la terre ne l’a-t-elle pas reconnu, puisqu’elle a tremblé lorsqu’il était suspendu à la croix ? « Le monde » qui « ne l’a point reconnu » est celui qui a pour chef l’esprit mauvais dont il est dit : « Voici venir le prince de ce monde, et il ne trouve rien en moi x. » On appelle monde les méchants et les infidèles, et ce nom leur vient de ce qu’ils aiment. En aimant Dieu nous devenons des dieux, et en aimant le monde nous sommes appelés monde. Cependant Dieu était dans le Christ et se réconciliait le monde y. Tous forment-ils donc « le monde » qui « ne l’a point connu ? »

2. « Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu. » Tout lui appartient, mais il était plus spécialement chez lui dans ce peuple dont faisait partie sa mère, où il avait pris un corps, à qui il avait fait annoncer longtemps auparavant son avènement futur, à qui il avait donné sa loi, qu’il avait délivré de la captivité égyptienne, et dont le père charnel, Abraham, avait été choisi par lui ; car il a pu dire en toute vérité : « Je suis avant Abraham z. » Il ne dit pas : Je suis avant que fût Abraham ; ni : J’ai été fait avant qu’Abraham le fut ; car « Au commencement était le Verbe ; » il était, sans avoir été fait. « Il est donc venu chez lui », parmi les Juifs ; « et les siens ne l’ont pas reçu. »

3. « Mais à tous ceux qui l’ont reçu. » De là en effet sont les Apôtres qui l’ont reçu ; de là aussi ceux qui portaient des rameaux devant sa monture, marchant devant et derrière lui, couvrant la route de leurs vêtements et criant à haute voix : « Hosanna au fils de David ; béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » — « Faites taire ces enfants, qu’ils ne crient pas ainsi devant vous », lui disaient les Pharisiens, et il répondait : « S’ils se taisent, les pierres crieront aa. » Qu’entendre ici par pierres, sinon les adorateurs des pierres ? Si les petits juifs se taisent, les petits et les grands crieront parmi les gentils, Qu’entendre par pierres, sinon ce qu’entendait Jean, ce grand homme qui est venu pour rendre témoignage à la lumière ? Un jour en effet qu’il voyait des. Juifs s’enorgueillir d’être de la race d’Abraham, il les appela « race de vipères. » Ils se disaient les enfants d’Abraham, et lui les nommait « race de vipères. » N’était-ce pas Outrager Abraham lui-même ? Nullement. Je leur donnais le titre que méritaient leurs mœurs, Fils d’Abraham, ils auraient dû imiter leur père, comme le leur rappelait le Sauveur même. « Nous sommes libres, jamais nous n’avons servi personne, nous ayons Abraham pour père. » Ainsi les Juifs parlaient-ils au Sauveur, qui leur répondait : « Si vous étiez fils d’Abraham, vous feriez les œuvres d’Abraham. Parce que je vous dis la vérité, vous voulez me mettre à mort ; c’est ce qu’Abraham n’a pas fait ab. » Vous êtes issus d’Abraham, mais vous avez dégénéré. Que leur disait donc Jean ? « Race de vipères, qui vous a montré à fuir devant la colère qui va venir ? Faites donc de dignes fruits de pénitence, et ne songez pas à dire en vous-mêmes ; « Nous avons Abraham pour père, car Dieu peut, de ces pierres mêmes, susciter des enfants à Abraham ac. » – « De ces pierres mêmes ; » de celles qu’il voyait en esprit ; car il parlait aux Juifs et nous avait en vue. « Dieu peut, de pierres mêmes, susciter des enfants à Abraham De quelles pierres ? Si ceux-ci se taisent, pierres crieront. » Vous venez d’entendre ces mots et vous les avez acclamés. Ainsi donc se vérifie l’oracle : « Les pierres crieront. » Car nous sommes issus de la gentilité et nous avons adoré les pierres dans la personne de nos parents. C’est pour ce motif encore que nous avons été comparés à des chiens. Rappelez-vous en effet ce qui fut dit à cette femme qui criait derrière le Seigneur. Comme elle était Chananéenne, asservie au culte des idoles et liée au service des démons, que lui dit Jésus ? « Il ne convient pas de prendre le pain aux enfants et de le jeter aux chiens. N’avez-vous remarqué jamais comment les chiens lèchent les pierres engraissées ? Tels sont les adorateurs d’idoles. Mais la grâce de Dieu est descendue en vous. À tous ceux qui l’ont reçu il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. » Voici des fils nouveau-nés. « Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. » Pourquoi ? « Parce qu’ils croient en son nom. »

4. Et comment deviennent-ils enfants de Dieu ? En ne naissant « ni du mélange des sangs, ni de la volonté de l’homme, ni de la volonté de la chair, mais de Dieu. » Après avoir reçu le pouvoir de devenir enfants de Dieu, ils sont nés de Dieu. Remarquez bien : ils sont nés de Dieu, « non pas du mélange des sangs », comme dans cette première génération, génération pleine de misère et produite par la misère. Qu’étaient en effet ces nouveaux fils de Dieu ? Comment étaient-ils nés d’abord ? Du mélange des sangs du père et de la mère, du rapprochement des corps. Et aujourd’hui ! « C’est de Dieu qu’ils sont nés. » Leur première naissance était due à un homme et à une femme ; la seconde est due à Dieu et à l’Église.

5. Ainsi donc il sont nés de Dieu. Pourquoi sont-ils nés de Dieu après avoir reçu d’abord une naissance humaine ? Pourquoi ? Pourquoi ? C’est que « le Verbe s’est fait chair afin d’habiter parmi nous. » Quel contraste ! Lui se fait chair ; et eux deviennent esprits. Quelle condescendance, mes frères ! Préparez vos âmes à espérer et à recueillir de plus signalés bienfaits encore. Ne vous attachez pas aux passions du siècle. On vous a achetés cher ; pour vous le Verbe s’est fait chair, pour vous le Fils de Dieu est devenu fils de l’homme ; ainsi veut-il que les enfants des hommes deviennent les enfants de Dieu. Qu’était-il, et qu’est-il devenu ? Qu’étiez-vous et qu’êtes-vous devenus ? Il était Fils de Dieu. Qu’est-il devenu Fils de l’homme. Et vous, qui étiez fils des hommes, qu’êtes-vous devenus ? Des fils de Dieu. Il a partagé nos maux pour nous communiquer ses biens.

En qualité même de fils de l’homme, il est bien élevé au-dessus de nous. Nous devons notre vie humaine à la convoitise de la chair ; il doit la sienne à la foi d’une Vierge. Chacun de nous est né d’un père et d’une mère ; le Christ est né de l’Esprit-Saint et de la Vierge Marie.

Mais en s’approchant de nous, il ne s’est pas éloigné beaucoup de lui-même ; ou plutôt il ne s’en est pas éloigné en tant que Dieu, et il n’a fait qu’ajouter sa nature à la nôtre ; car en s’unissant à ce qu’il n’était pas, il n’a point sacrifié ce qu’il était ; sans cesser d’être le Fils de Dieu, il est devenu fils de l’homme. Ainsi s’est-il établi Médiateur ; médiateur, tenant le milieu, n’étant ni en haut ni en bas ; ni en haut, parce qu’il est homme, ni en bas, parce qu’il n’est point pécheur. Et toutefois il est en haut en tant que Dieu, car en venant parmi nous il n’a pas quitté son Père. C’est ainsi qu’en remontant au ciel il ne nous a pas quittés, et qu’en revenant vers nous il ne quittera pas non plus son Père.

CINQUIÈME SÉRIE.

TRAITÉS SUR SAINT JEAN.

TRAITÉS SUR L’ÉVANGILE DE SAINT JEAN.

PREMIER TRAITÉ.

LE VERBE.

Pareil à une montagne qui s’élève jusqu’au ciel, Jean va y puiser la connaissance des mystères supérieurs à l’esprit humain ; puissions-nous, en le suivant, arriver au même but ! Le Verbe est la parole de Dieu, parole intérieure, immatérielle, éternelle ; par qui toutes choses ont été faites ; il est l’archétype, le principe vivifiant de toutes les créatures, et, en particulier, la lumière de l’homme.

SUR CE TEXTE DE JEAN : « AU COMMENCEMENT ÉTAIT LE VERBE ET LE VERRE ÉTAIT EN DIEU », JUSQU’À CES MOTS : « ET LES TÉNÈBRES NE L’ONT POINT COMPRISE. » (Chap 1,4-5.)

1. Quand, d’une part, je considère ce que nous venons d’entendre de la leçon de l’Apôtre, à savoir que l’homme animal ne perçoit point les choses qui sont de l’esprit de Dieu ad quand je remarque, d’autre part, que, dans cette multitude formée par votre charité, il s’en trouve nécessairement plusieurs, que conduit encore la sagesse de la chair, et qui sont incapables de s’élever jusqu’à l’intelligence des choses spirituelles, non hésitation est grande, et je ne sais comment, avec la grâce de Dieu, j’expliquerai et développerai, selon mes faibles moyens, ce qui a été lu de l’Évangile : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Cette parole, en effet, l’homme animal ne la comprend pas. Hé quoi ! mes frères ? Est-ce pour nous un motif de garder le silence ? Pourquoi lire, s’il faut se taire ensuite ? À quoi bon écouter ce que personne n’explique ? Et pourquoi expliquer, si l’on n’est pas compris ? Mais comme, d’un autre côté, je ne puis douter qu’il n’y en ait parmi vous quelques-uns, non seulement pour comprendre mes explications, mais même pour les deviner d’avance, je ne frustrerai pas ceux qui ont l’intelligence, par la crainte d’adresser des paroles incompréhensibles, et par conséquent inutiles à ceux auxquels elle manque. La miséricorde divine viendra peut-être, d’ailleurs, donner satisfaction à tous, et accorder à chacun la grâce de comprendre comme il peut, parce que celui-là même qui parle dit aussi ce qu’il peut. Car, qui pourrait dire ce qu’est le Verbe ? Je me hasarderai à le dire, mes frères peut-être Jean lui-même n’a-t-il pas dit ce qu’il est, et s’est-il borné à en parler de son mieux, puisqu’il n’était qu’un homme et qu’il parlait de Dieu ? Il était, à la vérité, inspiré d’en haut ; mais, en définitive, il était homme ; parce qu’il était inspiré, il a parlé ; s’il ne l’avait pas été, il n’aurait rien dit, parce qu’il était inspiré, mais homme, il n’a pas dit tout ce qui est ; mais ce que l’homme peut dire, il l’a dit.

2. Aussi bien, mes très-chers frères, Jean était une de ces montagnes dont il est écrit que « les montagnes reçoivent la paix pour le peuple et les collines la justice ae ». Les montagnes sont les âmes élevées ; les collines, les âmes communes. Mais si les montagnes reçoivent la paix, c’est afin que les collines puissent recevoir la justice. Quelle est cette justice que reçoivent les collines ? C’est la foi ; car « c’est de la foi que vit le juste af ». Or, les âmes du commun ne recevraient pas la foi, si les âmes d’élite appelées montagnes n’étaient éclairées par la Sagesse elle-même, et rendues capables de transmettre aux plus faibles ce que celles-ci sont capables de recevoir, les collines vivant de la foi, parce que les montagnes reçoivent la paix. Par ces montagnes il a été dit à l’Église : Que la paix soit avec vous ; et en annonçant cette paix à l’Église, ces montagnes ne se sont pas séparées de celui qui la leur avait donnée ag ; car alors elles annonceraient, non une paix véritable, mais une fausse paix.

3. Car il se rencontre aussi d’autres montagnes fertiles en naufrages, contre lesquelles se brise l’esquif de celui qui va s’y butter lorsque les nautoniers en péril aperçoivent la terre, il leur est facile de chercher à s’en approcher ; mais cette montagne, qui leur semble être de la terre, ne recèle souvent, sous ses dehors trompeurs, que des rochers dangereux, et quiconque vient y aborder, se brise infailliblement contre les récifs dont elle se trouve hérissée ; au lieu d’y rencontrer le salut, on n’y rencontre que la mort. De même certains hommes ont été des montagnes, et ont paru grands parmi leurs semblables ; et ils ont fait des hérésies et des schismes, et ils ont divisé l’Église de Dieu. Mais ceux qui ont divisé l’Église de Dieu n’étaient pas les montagnes dont il est dit : « Que les montagnes reçoivent la paix pour votre peuple ». Comment, en effet, auraient pu recevoir la paix, ceux qui ont divisé l’unité ?

4. Pour ceux qui ont reçu la paix afin de l’annoncer au peuple, ils ont contemplé la Sagesse elle-même, autant que l’esprit de l’homme peut contempler ce que l’œil « n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme ah ». Si cette Sagesse n’est pas montée au cœur de l’homme, comment est-elle montée au cœur de Jean ? Jean n’était-il pas un homme ? Ou bien, si elle n’était pas montée au cœur de Jean, le cœur de Jean n’était-il pas monté vers elle ? Car ce qui monte au cœur de l’homme part d’en bas et s’élève vers l’homme ; mais ce vers quoi monte l’homme, est au-dessus de lui. Ainsi, mes frères, on peut dire que la Sagesse est montée au cœur de Jean ; elle y est montée, si nous pouvons nous exprimer ainsi, en proportion de son élévation au-dessus de la nature humaine. Qu’est-ce ceci ? Jean n’était-il pas homme ? Il avait cessé de l’être dans la mesure de sa participation à la nature des anges ; car tous les saints sont des anges, vu qu’ils annoncent Dieu. Aussi, que dit l’Apôtre aux hommes charnels et animaux, incapables de percevoir ce qui est de Dieu ? « Lorsque vous dites : Moi je suis de Paul, moi d’Apollo, n’êtes-vous pas hommes ai ? » Que voulait-il donc faire d’eux en leur reprochant d’être des hommes ? Voulez-vous savoir ce qu’il en voulait faire ? Écoutez le Psalmiste : « J’ai dit : Vous tous, vous êtes des dieux, vous êtes les fils du Très-Haut aj ». Dieu nous appelle, afin que nous ne soyons plus des hommes. En effet, nous serons d’autant moins des hommes que nous nous reconnaîtrons comme tels ; en d’autres termes, pour arriver à cette hauteur, il nous faut prendre l’humilité pour point de départ, de peur que, pensant être quelque chose tandis que nous ne sommes rien, non seulement nous ne recevions pas ce que nous ne sommes point, mais aussi que nous ne perdions ce que nous sommes déjà.

5. Donc, mes frères, du nombre de ces montagnes était Jean qui a dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Cette montagne avait reçu la paix, elle contemplait la divinité du Verbe. Quelle montagne était Jean ? Qu’il était élevé ? Il s’était élevé au-dessus de tous les monts, au-dessus de toutes les plaines de l’air, au-dessus de toutes les hauteurs des astres, au-dessus de tous les chœurs et des légions des auges. En effet, si Jean n’était monté par-delà toutes les choses créées, il ne serait pas parvenu à celui par qui ont été faites toutes les choses. Vous ne pouvez imaginer au-delà de quoi il s’était élevé, si vous ne considérez le but qu’il a atteint. Parles-tu du ciel et de la terre ? Ce sont des créatures. Parles-tu de ce qui est au – ciel et en la terre ? À plus forte raison est-ce aussi l’ouvrage du Créateur. Parles-tu des créatures spirituelles, des anges, des archanges, des trônes, des dominations, des vertus, des principautés ? Elles aussi, elles ont été faites. Après avoir énuméré tous ces êtres, le Psalmiste conclut ainsi : « Il a dit, et elles ont été faites ; il a ordonné, et elles ont été créées  ak ». S’il a dit et elles ont été faites, c’est par le Verbe qu’elles ont été faites. Or, si elles ont été faites par le Verbe, le cœur de Jean n’est pas parvenu à ce qu’il annonce : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu », à moins de s’être préalablement élevé au-dessus de ce qui a été fait par le Verbe. Encore une fois, quelle montagne était Jean ! Qu’il était saint ! Qu’il était élevé au-dessus des autres montagnes qui ont reçu la paix pour le peuple de Dieu, afin que les collines pussent recevoir la justice !

6. Prenez-y garde, mes frères, Jean lui-même n’est peut-être pas du nombre de ces montagnes dont nous avons chanté tout à l’heure : « J’ai levé les yeux vers les montagnes d’où me viendra le secours ». Si vous le voulez savoir, levez les yeux vers cette montagne, je veux dire, élevez-vous jusqu’à l’Évangéliste ; élevez-vous jusqu’à la hauteur de sa pensée. Mais parce que ces montagnes reçoivent la paix, et que la paix n’est pas possible à qui place son espérance en l’homme, n’élevez pas vos yeux vers la montagne, en ce sens que vous pensiez pouvoir mettre en l’homme votre espérance, et dites : « J’ai levé les yeux aux montagnes d’où me viendra le secours », de manière à ajouter aussitôt : « Mon secours vient du Seigneur qui a fait le ciel et la terre al ». Aussi, levons les yeux vers les montagnes d’où nous viendra le secours et cependant ce n’est pas dans les montagnes que notre espérance doit être placée ; elles-mêmes, en effet, reçoivent ce qu’elles nous donnent ; par conséquent, il nous faut porter notre espérance à l’endroit d’où le secours vient aux montagnes. Dès lors que nous levons les yeux vers les Écritures parce que les hommes nous les ont transmises, nous levons les yeux aux montagnes d’où nous viendra le secours. Ceux qui ont écrit les livres saints étaient des hommes qui ne brillaient pas d’un éclat qui leur fût propre ; mais celui-là était leur lumière véritable am, qui illumine tout homme venant en ce monde. Jean-Baptiste, qui a dit : « Je ne suis pas le Christ an » était aussi une montagne ; il craignait que quelqu’un plaçant son espérance en la montagne, ne s’écartât de celui par qui les montagnes sont éclairées ; aussi confesse-t-il lui-même que « nous avons tous reçu de sa plénitude ao  ». Ainsi dois-tu dire : « J’ai levé les yeux aux montagnes d’où me viendra le secours », afin que ce secours qui te vient, tu ne l’imputes pas aux montagnes, mais que tu ajoutes ce qui suit « Mon secours est du Seigneur qui a fait le ciel et la terre ». ap

7. Mes frères, lorsque vous avez dressé vos cœurs vers les Écritures, au moment où retentissaient à vos oreilles ces paroles du saint Évangile : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu », comme aussi les autres qui ont été lues, j’ai voulu vous faire comprendre que vous avez levé les yeux aux montagnes. Car, si les montagnes ne vous disaient cela, il vous serait impossible d’en avoir la moindre idée. Des montagnes vous est venu le secours, même pour que vous puissiez l’entendre ; mais vous n’êtes pas encore capables de comprendre ce que vous avez entendu. Demandez le secours du Dieu qui a fait le ciel et la terre. Car, si les montagnes ont pu vous parler, elles n’ont pas pu vous éclairer ; puisqu’elles ont été elles-mêmes illuminées par ce qu’elles ont entendu. C’est à cette source, mes frères, que Jean a puisé ces paroles avant de les prononcer ; il a reposé sur la poitrine du Seigneur, et il a bu ce qu’il devait nous communiquer à son tour. Mais ce qu’il nous a donné, ce sont les paroles ; car pour l’intelligence, tu dois aller la chercher à la source où il a puisé lui-même avant de te désaltérer. Tu dois donc lever les yeux vers les montagnes d’où te viendra le secours, afin de recevoir d’elles ton breuvage, c’est-à-dire l’effusion de la parole ; et aussi parce que ton secours vient du Seigneur qui a fait le ciel et la terre, afin de remplir ton cœur là où Jean a rempli le sien ; c’est pourquoi tu as dit : « Mon secours vient du Seigneur qui a fait le ciel et la terre ». Que celui donc qui le peut, remplisse son cœur, mes Frères, je le répète ; que chacun élève son cœur autant qu’il peut le faire, et qu’il reçoive ce dont il s’agit. Mais, direz-vous peut-être que je vous suis plus présent que Dieu ? Loin de vous une telle pensée Dieu vous est beaucoup plus présent ; car si j’apparais à vos regards, il gouverne vos consciences, À moi vos oreilles, à lui votre cœur, afin que tout se remplisse. Vous dirigez vers nous vos yeux et les sens de votre corps ; mais non, ce n’est pas vers nous, car nous ne sommes pas une de ces montagnes dignes d’être regardées ; mais c’est vers l’Évangile, vers l’Évangéliste lui-même ; pour votre cœur, élevez-le vers le Seigneur afin qu’il le remplisse. Que chacun l’élève de manière à savoir ce qu’il élève, vers quoi il l’élève. Qu’ai-je dit ? Ce qu’il élève et vers quoi il l’élève ? Qu’il considère quel cœur il élève ; car il l’élève vers le Seigneur, et il doit prendre garde qu’alourdi parle poids des voluptés charnelles, ce cœur ne tombe avant même d’avoir été soulevé. Mais chacun se voit-il chargé du fardeau de sa chair ? Que du moins il s’applique à purifier par la continence ce qu’il élève vers Dieu. Bienheureux, en effet, ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu aq.

8. Aussi bien, à quoi bon avoir proféré ces paroles : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ? » Nous aussi, nous en avons proféré au moment où nous parlions. La parole qui est en Dieu, leur ressemblerait-elle ? Nos paroles n’ont-elles pas retenti pour s’évanouir ensuite ? La parole de Dieu résonne-t-elle de même, et disparaît-elle aussi ? Comment alors toutes choses ont-elles été faites par elle, et rien n’a-t-il été fait sans elle ? Comment gouverne-t-elle ce qu’elle a créé, si elle est un bruit qui a résonné et qui a passé ensuite ? Quelle est donc cette parole qui se dit et ne passe pas ? Que votre charité soit attentive, le sujet le mérite par son importance. Nous par. Ions tous les jours, et nos paroles perdent leur valeur ; en effet, elles font un peu de bruit, puis elles disparaissent, et, à cause de cela, on y attache peu de prix, et on ne les considère que comme des paroles. Or, il y a dans l’homme une parole qui demeure à l’intérieur ; car, pour le son, il sort de la bouche pour se produire au-dehors. Il est une parole véritablement prononcée par l’esprit, dont la parole matérielle te donne une idée, mais qui n’est pas le son lui-même. Quand je dis Dieu, je profère une parole. Qu’elle est courte cette parole ! Quatre lettres et deux syllabes ! Quatre lettres et deux syllabes, est-ce là Dieu tout enlier ? Ne voyez-vous pas qu’autant cette parole est peu de chose en elle-même, autant est digne d’amour ce qu’elle signifie ? Que s’est-il passé dans ton cœur lorsque tu as entendu le mot : Dieu ? Que s’est-il passé dans le mien lorsque je disais : Dieu ? Une grande et souveraine substance est devenue le sujet de ma pensée, substance élevée au-dessus de toute créature muable, charnelle et animale. Et si je te demande : Dieu est-il muable ou immuable ? tu me répondras aussitôt : Loin de moi de croire ou de soupçonner quelque mutabilité en Dieu : Dieu est immuable. Ton âme est petite, elle est peut-être encore charnelle, par conséquent elle n’a rien pu me répondre au sujet de Dieu, sinon qu’il est immuable, Comment donc ton intelligence a-t-elle été capable de porter ses regards sur un être supérieur à toutes les créatures, de manière à ce que tu me répondes avec certitude que Dieu est immuable ? Qu’y a-t-il donc en ton cœur, quand tu penses à une substance vivante, perpétuelle, toute-puissante, infinie, partout présente, partout entière et nulle part enfermée ? Cette pensée, c’est la parole venue de Dieu en ton cœur. Pourtant est-ce là le son formé de quatre lettres et de deux syllabes ? Donc, ce qui se dit et passe, c’est le son, les lettres, les syllabes. En tant que la parole passe, elle est un son ; mais l’idée signifiée par le son, l’idée qui reste dans la pensée de celui qui parle et dans l’intelligence de l’auditeur, demeure toujours bien que le son disparaisse.

9. Ramène ton attention sur cette parole. Suppose que tu as dans l’esprit une parole, qui soit comme une pensée issue de ton intelligence, en sorte que ton âme semble engendrer cette pensée, et que celle-ci se trouve en ton intelligence comme son enfant, comme son fils. D’abord, ton esprit conçoit une pensée, celle de construire un édifice, d’élever sur terre un immense bâtiment. Celte pensée a déjà donc pris naissance, mais l’ouvrage que tu médites de faire, n’est pas encore accompli : tu vois ce que tu dois faire, mais personne autre ne peut l’admirer, si tu ne le fais pas, si tu ne construis point ton édifice, si tu n’amènes pas ton bâtiment au degré de perfection qu’il doit atteindre sous le ciseau du sculpteur. Alors seulement les hommes portent les regards sur l’œuvre de tes mains ; ils admirent la pensée qui a présidé à cette construction ; ils s’étonnent de ce qu’ils voient, et vont jusqu’à aimer ce qu’ils ne voient pas ; mais y a-t-il un homme capable de considérer ta pensée ? Si donc un grand édifice élevé par l’homme mérite des louanges, veux-tu voir quelle est la pensée de Dieu Notre-Seigneur Jésus-Christ, c’est-à-dire le Verbe de Dieu ? Regarde l’édifice de ce monde. Vois ce qui a été fait par le Verbe, et alors tu sauras ce qu’est le Verbe. Regarde les deux parties de l’univers, le ciel et la terre. Par quelles paroles expliquer les beautés du ciel ? Par quelles paroles, la semence de la terre ? Par quelles louanges célébrer dignement la succession des saisons, la vertu des semences ? Vous voyez ce que je passe sous silence ; je crains, par une énumération plus longue, de laisser mon discours trop au-dessous de vos pensées. Que le grand ouvrage du monde vous fasse comprendre quel est le Verbe qui l’a fait, et ce n’est pas la seule chose qu’il ait faite. Car tout cela se voit et tombe sous les sens du corps. Le Verbe a aussi créé les anges. Par ce Verbe ont été faits les Archanges, les Puissances, les Trônes, les Dominations, les Principautés ; par ce Verbe ont été faites toutes choses. De là faites-vous une idée de ce qu’est le Verbe.

10. Je ne sais qui me répondra peut-être : Mais ce Verbe, qui est-ce qui le pense ? Quand on dit, le Verbe, ne va pas te former une grossière représentation et croire entendre les paroles que tu entends chaque jour : Un homme a dit telles paroles, voici les paroles qu’il a prononcées, tu me les rapportes. Car à répéter continuellement ce mot parole, il semble que la parole en soit avilie. Aussi, quand tu entends : « Au commencement était le Verbe », ne t’imagine pas quelque chose l’ordinaire, semblable à ce qua coutume de lu rapporter la parole humaine ; car écoute ce que tu dois penser : « Le Verbe était Dieu ».

11. Que je ne sais quel Arien infidèle, se présente maintenant et dise : Le Verbe de Dieu a été fait. Comment se peut-il que le Verbe de Dieu ait été fait, quand c’est par le Verbe que Dieu a fait toutes choses ? Si le Verbe de Dieu lui-même a été fait, par quel autre Verbe a-t-il été fait ? Si tu dis qu’il est le Verbe d’un Verbe qui l’aurait fait, je le déclare, celui-ci est le Fils unique de Dieu. Si tu ne dis pas qu’il est le Verbe du Verbe, accorde donc que celui qui a fait toutes choses n’a pas lui-même été fait. Car il n’a pu être fait par lui-même celui par qui toutes choses ont été faites. Crois à l’Évangéliste. Il pouvait dire : Au commencement, Dieu a fait le Verbe, comme Moïse a dit : « Au commencement Dieu a fait le ciel et la terre », pour continuer son énumération en ces termes : Dieu a dit : Que cela soit fait, et cela a été fait ar. Si quelqu’un a parlé, qui a parlé ? Assurément Dieu. Et qu’est-ce qui a été fait ? Une créature. Entre Dieu qui a parlé et la créature qui a été faite, qu’est-ce qui se trouvait pour faire ce qui a été fait ? N’est-ce pas le Verbe, puisque Dieu a dit : Que cela soit fait, et que cela a été fait ? Tel est le Verbe immuable : quoique les choses muables aient été faites par le Verbe, lui il demeure immuable.

12. Ne va donc pas croire que celui par qui toutes choses ont été faites, ait été fait lui-même ; de peur de n’être pas refait par ce Verbe, par qui toutes choses sont refaites. En effet, tu as déjà été fait par le Verbe, mais il faut qu’il te crée de nouveau ; or, si la foi relativement au Verbe n’est pas pure, tu ne pourras être refait par lai. Si tu as pu être fait par le Verbe, tu es pour toi-même une cause de déchéance, et si par toi-même Lu ne peux que déchoir, daigne celui qui t’a fait te réparer encore. Si de toi-même ta ne peux que perdra, daigne celui qui t’a créé, te rendre ta grandeur première. Mais comment te relèvera-t-il par son Verbe, si tu ne penses pas bien de son Verbe ? L’Évangéliste dit : « Au commencement était le Verbe », et toi tu dis : Au commencement a été fait le Verbe. Il dit : « Toutes choses ont été faites par lui », et, selon toi, le Verbe lui-même a été fait ? L’Évangéliste pouvait dire : Au commencement a été fait le Verbe ; mais qu’a-t-il dit ? « Au commencement était le Verbe ». S’il était, il n’a pas été fait pour que toutes choses fussent faites par lui et que sans lui rien ne fût fait. Si donc : « Le Verbe était au commencement, si le Verbe était en Dieu, et si le Verbe était Dieu », et que tu ne puisses comprendre ce qu’il est, attends que ton intelligence se développe. Il est l’aliment des forts ; reçois le lait, afin d’être nourri et de devenir assez fort pour supporter une alimentation solide.

13. Quant à ce qui suit : « Toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait », prenez garde, mes frères, de le comprendre en ce sens que le néant serait quelque chose. En effet, pour plusieurs qui entendent mal cette parole : « Sans lui rien n’a été fait », c’est une habitude de penser que le néant est quelque chose. À coup sûr, le péché n’a pas été fait par lui ; aussi est-il manifeste que le péché est le rien, et que les hommes tombent à rien quand ils pèchent. De même, les idoles n’ont point été faites par le Verbe : il est vrai qu’elles ont une certaine forme humaine, mais l’homme dans son entier a été fait par le Verbe. Pour la forme de l’homme qui est en l’idole, elle n’a point été faite par le Verbe, et il est écrit : « Nous savons que les idoles ne sont rien  as ». Donc, elles n’ont pas été faites par le Verbe, mais bien toutes les choses qui se font naturellement, qui existent dans les créatures, qui se trouvent dans le ciel, qui brillent au firmament, qui volent dans ses régions inférieures, qui se remuent dans l’universalité des êtres ; en un mot, toute créature, et pour mieux me faire comprendre, je dirai d’un seul mot, tout depuis l’ange jusqu’au vermisseau, tout a été fait par le Verbe. Parmi les créatures, y a-t-il rien de plus élevé que l’ange ? Dans l’échelle des êtres y a-t-il rien de plus bas que le vermisseau ? Celui qui a fait l’ange a fait aussi le vermisseau ; mais il a fait l’ange digne du ciel, et le vermisseau, il l’a fait pour la ferre. En les créant, il les a mis à leur place. S’il avait placé le vermisseau au ciel, tu le lui reprocherais ; tu agirais de même s’il lui avait plu de tirer les anges d’une chair tombée en pourriture ; et cependant Dieu le fait ou à peu de chose près, et il n’est pas répréhensible. Car, tous les hommes nés de la chair, qui sont-ils, sinon des vert de terre ? Et de ces vers, Dieu fait des anges. Car, si le Seigneur dit de lui-même : « Je suis un ver et non pas un homme at », qui craindra de dire à son tour ce qui est écrit au livre de Job : « Combien plus l’homme est-il de la pourriture, et le fils de l’homme un ver de terre au ? » D’abord il a dit : « L’homme est de la pourriture » ; et ensuite : « Le fils de l’homme est un ver de terre ». Voilà ce qu’a voulu devenir pour toi « celui qui au commencement était le Verbe, et Verbe en Dieu, et Verbe Dieu ». Pourquoi est-il devenu cela pour toi ? Afin de te donner à sucer du lait, puisque tu ne pouvais manger encore. Vous devez donc, mes frères, entendre dans le sens le plus large ces paroles : « Toutes choses ont été faites par lui et rien n’a été fait sans lui ». Car toutes les créatures ont été faites par lui ; les grandes, les petites, les supérieures, les inférieures, les spirituelles, les corporelles, c’est lui qui les a faites. Aucune forme, aucun corps, aucun assemblage de parties, aucune substance de quelque nature qu’elle soit, rien de ce qui peut être pesé, compté, mesuré, n’a été fait que par ce Verbe, par ce Verbe créateur auquel il a été dit : « Vous avez disposé toutes « choses avec poids, nombre et mesure av ».

14. Que personne donc ne vous induise en erreur, quand par hasard il vous voit importunés par les mouches. Car le diable s’est moqué de plusieurs, et les mouches ont suffi à les prendre. C’est, en effet, la coutume des oiseleurs de placer des mouches dans leurs pièges, afin de tromper les oiseaux affamés ; ainsi le diable a pris ces hommes avec des mouches. J’en trouve la preuve dans ce qui est arrivé à je ne sais quel individu que les mouches importunaient. Rencontré par un Manichéen au plus fort de cette importunité, il lui dit qu’il ne pouvait souffrir ces mouches, et qu’il les détestait par-dessus tout ; alors le Manichéen lui adressa cette question : Qui est-ce qui a créé ces mouches ? Importuné comme il l’était, et dans l’excès de sa haine contre les mouches, il n’osa pas dire : Dieu les a faites ; pourtant c’était un catholique. Si Dieu n’en est pas l’auteur, reprit aussitôt le, Manichéen, qui donc les a faites ? À parler franchement, dit le catholique, selon moi c’est le diable qui les a créées. Si le diable a fait la mouche, comme je te vois en convenir, parce que tu es un homme d’esprit et d’intelligence, qui est-ce qui a fait l’abeille qui est un peu plus grosse que la mouche ? Le catholique n’osa pas dire, que Dieu n’ayant pas fait la mouche, n’avait pas fait l’abeille, parce qu’entre l’une et l’autre la différence était presque imperceptible. Le Manichéen le mena à la sauterelle, de la sauterelle au lézard, du lézard à l’oiseau, de l’oiseau au quadrupède ; de là au bœuf, de là à l’éléphant, finalement à l’homme. Ainsi ce malheureux, pour n’avoir pas su endurer l’importunité des mouches, est devenu mouche, pour tomber ensuite au pouvoir du diable. Béelzébub signifie, en effet, dit-on, Prince des mouches ; c’est d’elles qu’il est écrit : « Les mouches mourantes détruisent la suavité du parfum aw ».

15. Qu’est-ce donc, mes Frères, et pourquoi ai-je dit ces choses ? Fermez les oreilles de votre cœur aux suggestions malignes de l’ennemi ; comprenez que Dieu a fait toutes les créatures et qu’il a rangé chacune d’elles à sa place. Mais pourquoi avons-nous tant à souffrir de la part de ces créatures que Dieu a faites ? Est-ce parce que nous avons offensé Dieu ? Ces maux, est-ce que les anges les endurent ? Nous aussi peut-être devrions-nous ne les avoir point à craindre dans cette vie. Ta peine, tu dois l’attribuer à ton péché, et non à ton juge. Car c’est à cause de notre orgueil que Dieu a tiré du néant cette créature si petite et si abjecte, pour en faire. l’instrument de notre supplice. Ainsi au moment même où l’homme se laisse emporter à la superbe et se révolte contre Dieu, au moment où, mortel, il veut faire trembler d’autres mortels et méprise son semblable, au moment où il s’exalte il se voit assujetti à une puce. Pourquoi donc te laisser enfler par l’orgueil humain ? Un homme t’a dit une parole d’outrage, et tu te gonfles de colère ; résiste donc aux puces, essaie de dormir en dépit de leurs morsures et sache qui tu es. Apprenez, mes Frères, que ces insectes qui nous importunent, ont été créés pour humilier notre orgueil ; car Dieu aurait pu dompter le peuple superbe de Pharaon avec des ours, des lions et des serpents, et il s’est borné à leur envoyer des mouches et des grenouilles ax afin que la superbe fût domptée par ce qu’il y a de plus vil.

16. « Toutes choses » donc, mes Frères, « toutes choses sans exception ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait ». Mais comment toutes choses ont-elles été faites par lui ? « Ce qui a été fait, en lui est vie ». Ce qui peut se dire encore en cette façon : « Ce qui a été fait en lui, est vie ». Donc si nous construisons ainsi cette phrase, tout est vie. Qu’y a-t-il en effet qui n’ait pas été fait en lui ? Il est la sagesse de Dieu, et il est dit en un psaume : « Vous avez fait toutes choses dans votre sagesse ». De même donc que toutes choses ont été faites par lui, de même « elles « ont été faites en lui n. Que si toutes choses ont été faites en lui, mes très-chers Frères, et si ce qui a été fait en lui est vie, donc la terre est vie, donc le bois aussi est vie. À la vérité, il est un bois que nous appelons vie, mais nous entendons le bois de la Croix, d’où nous avons reçu la vie. Donc la pierre aussi est vie. Inconvenante manière de comprendre les choses, qui nous ferait retomber dans les abominables erreurs des Manichéens, et nous ferait dire qu’une pierre a la vie, qu’un mur aussi a une âme, comme aussi un petit filet, la laine, un vêtement. Voilà ce que débitent d’ordinaire ces hérétiques en délire ; et quand ils se voient réprimés et confondus, ils tirent en quelque sorte de l’Écriture leur justification, et ils disent : Pourquoi donc a-t-il été écrit : « Ce qui a été fait en lui, est vie ? » Car si tout a été fait en lui, tout est vie. Garde-toi de te laisser entraîner à leur suite. Lis de cette manière : « Ce qui a été fait » ; arrête-toi là, puis continue et ajoute : « est vie en lui ». Qu’est-ce à dire ? La terre a été créée, mais cette terre, qui a été créée, n’est pas vie : au sein de la Sagesse se trouve l’archétype immatériel d’après lequel la terre a été faite, et cet archétype est vie.

17. Je vais expliquer ceci à votre charité, comme je le pourrai. Un menuisier fait un coffre. D’abord, il conçoit l’idée de ce coffre, car s’il n’en avait pas le plan dans la tête, qu’est-ce qui le guiderait dans l’exécution de son ouvrage ? Mais ce coffre n’est pas, dans la pensée de l’ouvrier, ce qu’il est quand il apparaît aux regards des spectateurs ; invisible dans le plan, il sera visible quand il sera fait. Le voilà, il a passé en œuvre ; a-t-il cessé pour cela d’exister en idée ? Un coffre a été fait, mais celui qui était dans la pensée reste le même. En effet, le premier peut tomber en poussière, et de nouveau on en peut faire un autre d’après celui qui est en l’idée. Considérez donc qu’il y a deux coffres, l’un en idée, l’autre en œuvre. Le coffre en œuvre n’est pas vie, le coffre en idée est vie, parce qu’il vit dans la pensée de l’ouvrier, où tout ce qu’il fait existe avant d’être produit au-dehors. Pareillement, mes frères, la sagesse de Dieu, par laquelle toutes choses ont été faites, possède en elle-même l’archétype de tous les êtres antérieurement à leur création ; d’où il suit que ce qui se fait d’après cet archétype n’est pas vie pour cela. Mais tout ce qui a été fait est vie en Dieu. Tu vois la terre, cette terre existe aussi dans l’idée de Dieu ; tu vois le ciel, le ciel existe aussi dans la pensée de Dieu ; tu vois le soleil et la lune, ils y existent aussi. Mais tels que tu les vois au-dehors, ils sont des corps ; tels qu’ils se retrouvent dans la pensée de Dieu, ils sont vie. Comprenez comme vous le pourrez ; car ce que je viens de vous dire est grand. S’il ne tire pas de moi sa grandeur et que je ne puisse y contribuer en aucune façon, il la puise dans son objet même. Je suis, en effet, trop peu de chose pour vous tenir de moi-même un pareil langage ; mais celui vers qui je porte mes regards afin de pouvoir vous parler, ne peut m’être comparé. Que chacun prenne ce qu’il peut, autant qu’il le peut ; pour celui qui ne peut rien prendre, qu’il nourrisse son cœur afin de pouvoir. De quoi le nourrir ? Qu’il le nourrisse de lait, afin d’en venir ensuite à une alimentation plus solide. Qu’il ne s’éloigne pas de Jésus-Christ, né selon la chair, jusqu’à ce qu’il parvienne à Jésus-Christ, né d’un Dieu unique, Verbe Dieu, demeurant en Dieu, par qui toutes choses ont été faites, parce que c’est la vie qui en lui est la lumière des hommes.

18. Car voici ce qui suit : « Et la vie était la lumière des hommes » ; en effet, c’est cette même vie qui les éclaire. Les bêtes n’ont pas cette lumière, parce qu’elles n’ont pas d’âme raisonnable capable de voir la sagesse. Mais l’homme, fait à l’image de Dieu, a une âme raisonnable par laquelle il peut la percevoir. Donc, cette vie par laquelle toutes choses ont été faites, cette même vie est lumière, non pas la lumière des animaux quels qu’ils soient, mais la lumière des hommes. Aussi l’Évangéliste dit peu après : « Elle était la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde ». Jean-Baptiste a été éclairé par cette lumière comme aussi Jean l’Évangéliste. De cette lumière était rempli celui qui a dit : « Je ne suis pas le Christ, mais c’est celui qui vient après moi, et dont je ne suis pas digne de délier, les cordons des souliers ay ». De cette lumière était éclairé celui qui a dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Donc cette vie est la lumière des hommes.

19. Mais peut-être des cœurs insensés se trouvent-ils dans l’impossibilité de recevoir les rayons de cette lumière parce qu’ils sont appesantis par leurs péchés, qui leur en interceptent la vue. De ce qu’ils sont incapables de l’apercevoir, qu’ils n’aillent pas croire à sa non-existence, car ils sont devenus ténèbres à cause de leurs fautes : « Et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas comprise ». De même qu’un aveugle, placé en face du soleil, est absent pour lui, quoique celui-ci l’inonde de ses rayons ; ainsi tout insensé, tout pécheur, tout impie est aveugle en son cœur. La sagesse est devant lui, mais comme elle brille aux yeux d’un aveugle, elle est pour lui comme absente. Non qu’elle soit absente à lui, mais parce que lui est absent d’elle. Que lui faut-il donc faire ? Qu’il purifie ce qui peut lui faire voir Dieu. Si un homme ne peut voir parce qu’il a les yeux souillés et malades, parce que la poussière, l’humeur ou la fumée viennent les obscurcir, le médecin lui dit : Nettoie tes yeux, ôte ce qu’il y a en eux de mauvais, afin qu’ils puissent voir la lumière. La poussière, l’humeur, la fumée, ce sont tes péchés et tes fautes. Ôte-les de ton cœur, et tu apercevras la sagesse qui est toujours présente devant toi ; car Dieu est cette sagesse, et il est écrit : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu az ».

DEUXIÈME TRAITÉ.

DEPUIS L’ENDROIT OU IL EST ÉCRIT : « IL Y EUT UN HOMME ENVOYÉ DE DIEU, NOMMÉ JEAN », JUSQU’À « PLEIN DE GRÂCE ET DE VÉRITÉ ». (Chap 1, 6-14.)

SAINT JEAN, PRÉCURSEUR DU CHRIST.

L’homme ne saurait, ni par lui-même, ni par un autre moyen humain, se faire une idée de la nature du Verbe ; mais pour l’instruire, le Fils de Dieu s’est fait chair et est mort sur use croix. Il est la lumière véritable ; néanmoins, afin de n’être pas méconnu, il a envoyé devant lui une lampe destinée à ménager la faiblesse de nos yeux et à nous faire voir ce soleil qui éclaire le monde, ce maître qui le gouverne. Malgré cela plusieurs ne l’ont pas reçu ; pour ceux qui lui ont fait bon accueil, ils sont devenus par la grâce de l’incarnation les enfants adoptifs de Dieu, et ils ont reconnu en Jésus-Christ le Fils de l’Éternel.

1. Il est bon, mes frères, lorsque nous nous appliquons à étudier les divines Écritures, principalement le saint Évangile, de n’omettre autant que possible aucun passage, afin de nous en nourrir selon notre capacité, et de nous faire part ensuite de ce qui nous a été donné. Il nous souvient d’avoir expliqué hier, dimanche, les paroles du premier chapitre, c’est-à-dire : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe tétait Dieu. Il était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait. Ce qui a été fait est vie en lui ; et la vie était la lumière des hommes. Et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise ». Si je ne me trompe, voilà jusqu’où nous avons poussé nos explications ; tous ceux qui se trouvaient ici s’en souviennent ; pour vous, qui étiez absents, croyez à ma parole et à celle des personnes qui ont bien voulu venir nous entendre. Il nous est impossible de revenir sans cesse sur nos pas ; car nous deviendrions ennuyeux, si, sous prétexte de ne point priver les absents d’hier, nous répétons ce que nous avons déjà dit devant ceux qui étaient alors présents, et qui désirent entendre la suite. Daignent donc les personnes gui n’ont pas assisté à notre première dissertation, ne point exiger de nous un retour en arrière, et se mettre avec les autres à écouter ce que nous devons dire aujourd’hui.

2. Voici la suite : « Il y eut un homme ennoyé de Dieu, qui s’appelait Jean ». Aussi bien ce qui a été dit plus haut, mes très-chers frères, a été dit de l’ineffable divinité duVerbe, et dans un langage presque ineffable. En effet, qui pourra comprendre : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu ? » Afin que ce nom de Verbe ne te semble pas commun, en raison de l’habitude où l’on est de prononcer tous les jours des verbes, Jean ajoute : « Le Verbe était Dieu ». C’est de ce même Verbe que nous avons abondamment parlé hier. Dieu veuille que de tant de paroles, quelques-unes au moins aient trouvé accès jusqu’à votre cœur. « Au commencement était le Verbe ». Il est toujours le même, toujours de la même manière ; ce qu’il est, il l’est toujours, il ne peut changer ; être ainsi c’est être. Être, voilà son nom. Il l’a dit à son serviteur Moïse : « Je suis celui qui suis ». Et encore : « Celui qui est m’a envoyé ba ». Encore une fois, qui est-ce qui pourra le comprendre, quand on voit que ce qui est mortel est changeant ; non seulement les corps sont soumis à des modifications diverses, comme naître, croître, s’affaiblir, mourir ; les âmes elles-mêmes s’étendent et se déchirent sous l’effort des désirs qui les sollicitent en sens contraires ; quand on voit les hommes capables de percevoir la sagesse, s’ils se soumettent à l’influence de sa lumière et de sa chaleur, capables aussi de la perdre, si leurs affections déréglées les en éloignent ? Quand donc vous voyez tant de vicissitudes en toutes choses, de quel œil pouvez-vous considérer ce qui est ? Ne vous semble-t-il pas placé bien au-dessus des êtres qui sont comme s’ils n’étaient pas ? Encore une fois, qui pourra le comprendre ? De quelque façon qu’il emploie les forces de son esprit pour s’élever de son mieux jusqu’à ce qui est, n’importe de quelle manière et dans quelle proportion il puisse le faire, un homme sera-t-il jamais capable d’y parvenir ? Ainsi en est-il de celui qui voit de loin sa patrie, mais qui en est séparé par la mer ; il a beau voir le but où il doit diriger ses pas, les moyens lui manquent pour s’y transporter. Pareillement nous voulons parvenir à cette patrie permanente où se trouve ce qui est véritablement, parce que seul il est toujours de telle façon qu’il ne peut jamais cesser d’être. Entre elle et nous s’étend la mer du siècle présent qu’il nous faut traverser ; toutefois dès maintenant nous voyons où nous allons ; mais plusieurs ne le voient même pas. Afin de nous procurer le moyen d’y parvenir, celui-là est venu vers qui nous voulions aller. Et qu’a-t-il fait ? Il a préparé un navire sur lequel nous pourrons traverser la mer. Personne, en effet, ne peut traverser la mer de ce siècle, à moins que la croix de Jésus-Christ ne le porte. Celui-là même dont la vue est faible s’attache parfois à cette croix : que le chrétien, même celui qui est incapable d’apercevoir de loin le terme de son voyage ne s’en dessaisisse point, et elle le conduira au port.

3. Voici donc, mes Frères, ce que j’ai eu dessein d’insinuer à vos cœurs : Si vous voulez vivre avec piété et chrétiennement, attachez-vous à Jésus-Christ selon ce qu’il s’est fait pour nous afin de parvenir à lui selon ce qu’il est et selon ce qu’il était. Il s’est approché de nous, afin de devenir tel pour nous ; il est devenu tel, afin que les faibles soient portés par lui, qu’ils traversent la mer et parviennent à la patrie où tout navire cessera d’être nécessaire, parce qu’il n’y aura plus de mer à franchir. Il vaut donc mieux ne pas voir en esprit celui qui est, et cependant ne pas se séparer de la croix de Jésus-Christ, que le voir en esprit et mépriser la croix du Sauveur. Il est préférable encore, et singulièrement meilleur, devoir, s’il est possible, où il faut aller, et de se tenir attaché à ce qui peut nous y porter. C’est ce qu’ont pu faire ces grandes âmes appelées du nom de montagnes, éclairées plus que toutes les autres de la lumière de la justice. Elles ont pu le faire, et elles ont vu ce qui est. Car c’est pour l’avoir vu que Jean disait : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu », Elles l’ont vu et, pour parvenir à ce qu’elles voyaient de loin, elles ne se sont pas dessaisies de la croix de Jésus-Christ, elles n’ont pas méprisé ses abaissements. Pour les petits qui n’ont pas la même intelligence, s’ils ne restent pas étrangers à la croix, à la passion et, à la résurrection de Jésus-Christ, le navire qui mène au port ceux qui voient, les conduira eux-mêmes à ce qu’ils ne voient pas.

4. Mais certains sages de ce monde ont existé, qui ont cherché le Créateur par l’intermédiaire de la créature ; car on peut le trouver par ce moyen, suivant cette formelle déclaration de l’Apôtre : « Ce qui est invisible en Dieu est vu et compris par ce qu’il a fait depuis le commencement du monde ; comme aussi sa puissance éternelle et sa divinité, en sorte qu’ils sont inexcusables ». Et ensuite : « Parce qu’ayant connu Dieu » ; il ne dit pas : parce qu’ils ne l’ont pas connu, mais bien : « parce qu’ayant connu Dieu, ils ne l’ont pas glorifié comme Dieu et ne lui ont pas rendu grâces, mais ils se sont évanouis en leurs pensées, leur cœur s’est obscurci et est demeuré sans intelligence ». Comment obscurci ? Il continue et dit plus ouvertement : « Se vantant d’être sages, « ils sont devenus fous ». Ils ont vu où il fallait venir ; mais, ingrats à l’égard de celui qui leur avait donné de le voir, ils ont voulu s’attribuer ce qu’ils avaient vu et, devenus orgueilleux, ils ont mérité de le perdre ; après quoi ils se sont tournés vers les idoles, les simulacres et le culte du démon, ils ont adoré la créature et méprisé le Créateur. À la vérité, ils étaient déjà brisés quand ils ont fait ces choses ; mais ils s’étaient vu briser parce qu’ils étaient devenus des orgueilleux, et, parce qu’ils s’étaient abandonnés à l’orgueil, ils s’étaient vantés d’être sages. Ceux dont Paul a dit : « Parce qu’ayant connu Dieu », ont donc vu ce que dit Jean, c’est-à-dire que toutes choses ont été faites par le Verbe. Car on trouve cette vérité dans les livres des philosophes ; on y voit aussi que Dieu a un Fils unique par lequel toutes choses existent. Ils ont pu voir ce qui est, mais ils ont vu de loin ; ils n’ont pas voulu s’attacher aux abaissements de Jésus-Christ ; montés sur ce navire ils seraient parvenus sûrement à ce qu’ils avaient pu voir de loin. Mais la Croix de Jésus-Christ leur a inspiré du dégoût. Il faut passer la mer, et le bois qui te porte tu le méprises ? O sagesse orgueilleuse, tu te moques de Jésus crucifie ! Mais c’est celui-là même que tu as vu de loin ! « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu ». Mais pourquoi a-t-il été crucifié ? Parce que le bois de ses abaissements t’était nécessaire. Pour toi, tu étais enflé d’orgueil ; tu te trouvais jeté à une distance énorme de la patrie, les flots de ce siècle te coupaient le chemin qui conduit à la patrie, tu n’avais pas d’autre ressource que d’y être porté sur le navire. Ingrat, tu te moques de celui qui vient à toi pour faciliter ton retour ! Il s’est fait la voie, et la voie au travers des flots. De là vient qu’il a marché sur la mer bb, pour montrer que sur la mer était la voie. Mais toi, qui ne peux comme lui marcher sur la mer, fais-toi porter par le vaisseau, par le bois de la croix ; crois-tu au Crucifié et tu pourras arriver. C’est pour toi qu’il a été crucifié, afin de t’apprendre l’humilité, et aussi parce que s’il était venu comme Dieu, il ne serait pas venu pour ceux qui ne pouvaient voir Dieu. Il n’est donc pas venu du ciel, il n’y est pas retourné en tant que Dieu, puisque comme tel il est partout et n’est renfermé nulle part. Comment donc est-il venu ? Tel qu’il nous a apparu, avec la nature humaine.

5. Aussi, parce qu’il était un homme, mais un homme en qui Dieu était caché, il a envoyé devant lui un homme extraordinaire dont le témoignage le fit reconnaître comme étant une nature supérieure à celle de l’homme. Quel était ce personnage extraordinaire ? « Il y eut un homme ». Comment pouvait-il dire la vérité sur Dieu ? « Il était envoyé de Dieu ». Son nom ? « Il s’appelait Jean ». Pourquoi est-il venu ? « Il est venu pour rendre témoignage, pour rendre témoignage de la lumière, afin que tous crussent par lui ». Qui était-il pour rendre témoignage de la lumière ? C’était quelque chose de grand, grand mérite, grande grâce, grande élévation ! Admirez-le, oui, admirez-le, mais admirez-le comme une montagne. Or, une montagne demeure dans les ténèbres, à moins que la lumière ne vienne l’éclairer de ses rayons. Ainsi, n’admirez Jean que pour entendre ce qui suit : « Il n’était pas la lumière », de peur que, prenant la montagne pour la lumière, tu y trouves non pas la consolation, mais le naufrage. Mais que dois-tu admirer ? La montagne comme montagne. Cependant dresse-toi vers celui qui illumine la montagne, élevée pour recevoir la première les rayons de la lumière et la refléter ensuite à tes yeux. Donc, « il n’était pas la lumière ».

6. Pourquoi donc est-il venu ? « Pour rendre témoignage de la lumière ». Pourquoi ce témoignage ? « Afin que tous crussent en lui ». Quelle était cette lumière dont il devait rendre témoignage ? « Il était la lumière véritable ». Pourquoi l’Évangéliste a-t-il ajouté le mot véritable ? Parce que l’homme éclairé est appelé lumière, tandis que la lumière véritable est celle qui éclaire. En effet, nos yeux sont aussi appelés lumières ; et cependant, si de nuit on n’allume pas une lampe, ou si de jour le soleil ne se rencontre pas, c’est inutilement que ces lumières sont ouvertes. Ainsi Jean était la lumière, mais non la lumière véritable ; parce que, avant d’être éclairé, il était ténèbres, et que, après avoir été éclairé, il est devenu lumière. S’il n’avait pas reçu les rayons de la lumière, il serait resté ténèbres, comme tous les impies auxquels, même après leur conversion à la foi, l’Apôtre disait : « Autrefois, vous étiez ténèbres ». Cependant, parce qu’ils avaient reçu la foi, qu’ajoutait-il ? « Maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur bc ». S’il n’avait pas ajouté : « Dans le Seigneur », nous n’aurions pas compris ce qu’il voulait dire. « Vous êtes », disait-il, « lumière dans le Seigneur ». Vous étiez ténèbres, mais noms dans le Seigneur ; car « autrefois vous étiez ténèbres » ; là il n’ajoute pas dans le Seigneur. Donc vous étiez ténèbres en vous, et lumière dans le Seigneur. Ainsi, « Jean n’était pas la lumière, mais il était venu pour en rendre témoignage ».

7. Mais la lumière même, où est-elle ? « Il était la lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde ». S’il éclaire tout homme venant en ce monde, il éclairait aussi Jean ; il éclairait donc celui par qui il voulait être montré. Que votre charité s’applique à m’entendre. Il venait à des esprits infirmes, à des cœurs blessés, à des âmes dont l’œil était malade. Tel était l’objet de sa venue. Et comment l’âme aurait-elle pu voir ce qui a la perfection de l’être ? De la manière dont il arrive souvent de connaître, par les rayons tombés sur un corps étranger, le lever du soleil que nous ne pouvons encore voir de nos yeux. Comme ceux qui ont les yeux malades, sont capables de voir un mur, une montagne, un arbre, ou tout autre objet illuminé et éclairé par le soleil, et par le moyen de cette lumière autre que la sienne, de s’apercevoir qu’il est levé ; ce que leur regard trop faible ne peut découvrir directement : ainsi tons ceux vers qui Jésus-Christ était venu étaient trop peu à même de le voir. Il a répandu son éclat sur Jean ; et en avouant qu’il reçut les rayons et la lumière, qu’il n’était ni les rayons ni la lumière, Jean a fait connaître celui qui illumine, celui qui éclaire, celui qui remplit de sa plénitude. Et celui-là qui est-il ? « Celui qui éclaire tout homme venant en ce monde ». Car si l’homme n’était déchu d’ailleurs, il n’aurait pas eu besoin d’être éclairé de la lumière ; mais elle lui est nécessaire en ce monde, parce qu’il est déchu de l’endroit où il lui était loisible de l’avoir toujours.

8. Quoi donc ? S’il est venu ici, où était-il ? « Il était dans le monde ». Il était ici et il y est venu. Il y était par sa divinité, il y est venu var son incarnation ; car, bien qu’il fût ici par sa divinité, les ignorants, les aveugles et les méchants ne pouvaient le voir. Les méchants sont les ténèbres dont il est écrit : « La « lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise bd ». Voici qu’il est ici à cette heure, et il y était, et il y est toujours ; jamais il ne s’en éloigne, et il y est partout présent. Il te faut de quoi voir ce qui ne s’éloigne jamais de toi ; il te faut ne pas t’éloigner du soleil qui remplit tous les lieux de sa présence. Pour ne pas être abandonné de lui, il ne faut jamais t’en séparer. Ne tombe pas et il ne disparaîtra pas ; si tu tombes, il disparaît à tes yeux. Si tu demeures debout, il est présent devant toi ; mais si tu n’es pas resté debout, souviens-toi d’où tu es tombé ; d’où tu as été précipité par celui qui est tombé avant toi. Il t’a précipité, non par la force, non par la violence, mais par un acte de ta volonté. Car, si tu n’avais pas consenti au anal, tu serais debout, et tu aurais continué à être éclairé. Mais maintenant que tu es tombé et que tu as été blessé au cœur, comment cette lumière pourra-t-elle venir jusqu’à toi ? Il est venu dans des conditions telles que tu fusses à même de le voir ; et il s’est montré homme à ce point de rechercher le témoignage d’un homme. Dieu a un homme pour témoin ; mais c’est à cause de l’homme : car nous sommes si faibles ! Au moyen de la lampe nous cherchons le jour, puisque Jean a été appelé une lampe, suivant ces paroles du Seigneur : « Il était une lampe ardente et luisante, et vous avez voulu pour un peu de temps vous réjouir à sa lumière ; pour moi, j’ai un témoignage plus grand que celui de Jean  be ».

9. Il le montre donc ; c’est pour les hommes qu’il a voulu qu’une lampe le fît voir ; il l’a voulu pour exciter la foi de ceux qui devaient croire, et pour confondre par elle tous ses ennemis. Ces ennemis c’étaient ceux qui lui demandaient pour le tenter : « Dites-nous : Par quel pouvoir faites-vous ces choses-là ? – Et moi, leur répondit-il, je vous adresserai seulement une question : Dites-moi : le baptême de Jean, d’où est-il ? Du ciel, ou des hommes ? Et ils furent troublés, et ils se dirent en eux-mêmes : Si nous répondons du ciel, il nous dira : Pourquoi donc n’avez-vous pas cru à sa parole ? » Car il avait rendu témoignage à Jésus-Christ, et il avait dit : « Je ne suis pas le Christ, mais c’est lui bf ; car ils dirent : « Nous ne savons pas ». Et parce qu’ils n’avaient pas voulu le laisser pénétrer dans leur âme, parce qu’ils avaient nié ce qu’ils savaient ; le Sauveur ne s’ouvrit pas non plus à eux, car ils n’avaient pas frappé. Il est dit, en effet : « Frappez et l’on vous ouvrira bg ». Quant à eux, non seulement ils n’avaient pas frappé pour qu’on leur ouvrît ; mais, par leur mensonge, ils avaient même fermé la porte à leur propre détriment. Et moi, leur dit le Seigneur : « Je ne vous dis pas non plus par quel pouvoir je fais ces choses bh ». Ainsi furent-ils confondus par Jean, et cette parole s’accomplit en eux : « J’ai préparé une lampe pour mon Christ, je couvrirai de confusion ses ennemis bi. « Si, au contraire, nous répondons des hommes, nous craignons que le peuple ne nous lapide, parce qu’on regardait Jean comme un Prophète ». Craignant d’être lapidés, mais craignant davantage encore de dire la vérité, ils répondirent par un mensonge à la vérité, mais l’iniquité se mentit à elle-même bj ».

10. « Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui ». Ne pense point qu’il était dans le monde, comme y est la terre, comme y est le ciel, comme y sont le soleil, la lune, les étoiles, comme y sont les arbres, les animaux, les hommes. Ce n’est pas ainsi qu’il était dans le monde. Mais comment y était-il ? Comme un ouvrier qui gouverne ce qu’il a fait. Non, toutefois, qu’il ait fait son œuvre comme un ouvrier fait la sienne : hors de l’ouvrier est le coffre qu’il façonne ; ce coffre est placé dans un endroit autre que celui où il se trouve lui-même, pendant qu’il le fabrique : et bien que l’ouvrier se tienne à côté de son œuvre, il est cependant ailleurs et en dehors de l’objet de son travail. Pour Dieu il est répandu dans le monde qu’il crée, il demeure dans toutes ses parties, il ne se retire nulle part ailleurs ; il n’est point placé au-dehors du monde, pour le laisser en quelque sorte tomber de ses mains. Par la présence de sa majesté il fait ce qu’il fait, par sa présence il gouverne ce qu’il a fait. Ainsi il était donc dans le monde comme celui par qui a été fait le monde : « Car le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas connu ».

11. Qu’est-ce à dire : « Le monde a été fait par lui ? » Le ciel, la terre et tout ce qui s’y trouve s’appellent le monde. En outre, et dans un autre sens on appelle de ce nom les amis du monde. « Le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas connu ». Quoi ! les cieux n’ont point connu leur Créateur ? les anges ne l’ont point connu ? les astres ne l’ont point connu, lui dont les démons confessent là puissance ? En tous lieux, toutes choses lui rendent témoignage. Mais qui sont ceux qui ne l’ont point connu ? Ceux qui, aimant le monde, ont été appelés de ce nom ; car où se trouvent nos affections, nous y habitons par le cœur. Aussi, dès lors qu’ils aimaient le monde, ils ont mérité le nom du lieu où ils avaient fixé leurs affections. Ainsi lorsque nous disons : Mauvaise est cette maison, ou bonne est cette maison, nous ne jetons pas plus un blâme sur les murailles de la première, que nous ne faisons l’éloge de la seconde. Mais, en disant qu’une maison est mauvaise, nous entendons que ceux qui l’habitent sont des méchants ; et en disant qu’elle est bonne, nous voulons dire que ceux qui y demeurent sont des gens honnêtes. Ainsi, par le monde nous entendons ceux qui y ont fixé leurs affections. Qui sont-ils encore une fois ? Ceux qui l’aiment, parce qu’ils y habitent par le cœur. Car pour les autres qui n’aiment pas le monde, leur corps est bien dans le monde, mais leur cœur habite au ciel, comme dit l’Apôtre : « Notre conversation est au ciel bk ». Donc, « le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas connu ».

12. « Il est venu chez soi », parce que tout cet univers a été fait par lui. « Et les siens ne l’ont pas reçu ». Qui les siens ? Les hommes qu’il a créés. Les Juifs qu’il a dès le commencement élevés au-dessus de toutes les nations. Car les autres peuples adoraient les idoles et servaient les démons ; mais les Juifs étaient issus de la race d’Abraham ; ainsi ils étaient particulièrement les siens parce qu’ils lui appartenaient par le lien de la chair dont il a daigné se revêtir pour notre amour. « Il est venu chez soi, et les siens ne l’ont pas reçu ». A-t-il été absolument rejeté de tous ? Aucun d’eux ne l’a-t-il reçu ? Aucun d’eux n’a-t-il été sauvé ? Car personne ne sera sauvé à moins de recevoir Jésus-Christ.

13. Mais il ajoute : « Quant à ceux qui l’ont « reçu ». Que leur a-t-il accordé ? Étonnante miséricorde ! Admirable bienveillance ! Unique par sa naissance, il n’a pas voulu demeurer seul. Plusieurs n’ayant pas eu d’enfants, et l’âge où l’on peut en avoir étant passé pour eux, ils en adoptent, et par leur volonté ils se donnent ce que leur a refusé la nature : ainsi font les hommes. Mais si quelqu’un a un fils unique, il en éprouve une joie d’autant plus vive, parce que celui-ci est seul appelé à posséder tout le bien de son père, et qu’il n’aura point à partager avec d’autres son héritage en le partageant il s’appauvrirait. Il n’en est pas ainsi de Dieu. Le Fils unique qu’il avait engendré, et par qui il avait fait toutes choses, il l’a envoyé dans le monde afin qu’il ne fût pas seul, mais qu’il eût des frères adoptifs. Pour nous, en effet, nous ne sommes pas nés de Dieu comme son Fils unique ; mais nous avons été adoptés par sa grâce. Ce Fils unique est venu pour nous délivrer des péchés dans lesquels nous étions enveloppés, et qui formaient un obstacle à notre adoption. Aussi a-t-il d’abord délivré de leurs fautes ceux dont il voulait faire ses frères, puis il les a rendus ses cohéritiers. Voilà, en effet, ce que dit l’Apôtre : « S’il est fils, il est aussi héritier par la grâce de Dieu bl ». Et encore : « Héritiers de Dieu, cohéritiers de Jésus-Christ bm ». Il n’a pas craint d’avoir des cohéritiers ; car le grand nombre de ceux qui possèdent son héritage, ne peut en amoindrir la valeur ; il y a plus : ses cohéritiers deviennent son bien et son héritage, et lui-même il devient leur héritage à son tour. Écoute, voici comment ils deviennent son héritage. « Le Seigneur m’a dit : Tu es mon fils, je t’ai engendré aujourd’hui. Demande-moi, et je te donnerai les nations pour ton héritage bn ». Mais lui, comment devient-il leur héritage ? Il est dit en un psaume : « Le Seigneur est la part de mon héritage et de mon calice bo ». Puissions-nous le posséder, et puisse-t-il nous posséder nous-mêmes ? Qu’il nous possède comme étant Notre-Seigneur, possédons-le comme notre salut, possédons-le comme notre lumière. Qu’a-t-il donc donné à « ceux qui l’ont reçu ? » « À ceux qui croient en son nom, il leur a donné d’être enfants de Dieu », afin qu’ils se tiennent attachés au bois qui doit leur faire traverser la mer.

14. Et comment naissent-ils ? C’est en devenant enfants de Dieu et frères de Jésus-Christ qu’ils naissent, cela est évident. Si, en effet, ils ne naissaient pas, comment pourraient-ils être fils ? Les enfants des hommes naissent de la chair et du sang, par un effet de la volonté de l’homme et de l’usage de l’union conjugale. Pour eux, comment naissent-ils ? « Ceux qui ne sont pas nés du sang ». Il entend, par là, le sang de l’homme et de la femme. Sang au pluriel n’est pas latin, mais parce que ce mot est employé au pluriel dans le grec, l’interprète a préféré l’employer ainsi à son tour, et par une expression moins latine, au gré des grammairiens, mettre la vérité au niveau des intelligences des faibles. S’il eût dit sang au singulier, il n’eût pas expliqué ce qu’il voulait, car les hommes naissent du mélange des sangs de l’homme et de la femme. Disons-le donc aussi, sans craindre les férules des grammairiens, s’il nous est possible par là d’arriver à une connaissance de la vérité plus claire et plus solide. Celui qui comprend, condamne cette manière de parler ; sa facilité à saisir les choses le rend intraitable. « Ceux qui ne sont pas nés des sangs, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme » : l’Évangéliste emploie le mot chair pour celui de femme ; car, lorsqu’elle fut formée de la côte d’Adam celui-ci s’écria : Voici l’os de mes os et la chair de ma chair bp » ; et l’Apôtre a dit : « Celui qui aime sa femme s’aime lui-même, car personne ne hait sa propre chair bq ». Ce mot chair est donc employé pour désigner la femme, de même que le mot esprit est quelquefois mis pour désigner le mari. Pourquoi ? Parce que l’esprit gouverne et que la chair est gouvernée, parce que l’un doit commander et l’autre obéir. En effet, où la chair commande, l’esprit obéit, c’est une maison en désordre. Y a-t-il rien de pire qu’une maison où la femme a le commandement sur l’homme ? Une maison bien ordonnée est celle où l’homme commande, et où la femme obéit ; ainsi, encore, l’homme n’est lui-même dans l’ordre, qu’autant que chez lui l’esprit est le maître, et que le corps est l’esclave.

15. « Ils ne sont donc pas nés de la volonté u de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu ». Pour que l’homme pût naître de Dieu, d’abord Dieu est né de l’homme. Car Jésus-Christ est Dieu, et Jésus-Christ est né de l’homme. À la vérité, il n’a cherché qu’une mère sur la terre, parce qu’il avait déjà un Père au ciel. Il est né de Dieu pour nous créer, et il est né de la femme pour nous refaire. Ne t’étonne pas, ô homme, de ce que tu deviens fils de Dieu par la grâce, de ce que tu nais de Dieu par son Verbe ; Le Verbe a voulu d’abord naître de l’homme, afin que tu fusses assuré de naître de Dieu, et que tu fusses à même de te dire à toi-même : Ce n’est pas sans motif que Dieu a voulu naître de l’homme, il faut qu’il m’ait jugé comme ayant quelque valeur, pour me rendre immortel, et pour, naître lui-même mortel à cause de moi. L’Évangéliste a donc dit : « Ils sont nés de Dieu » ; mais afin que nous ne soyons ni étonnés ni effrayés de cette grâce immense en vertu de laquelle ; chose presque incroyable ! des hommes sont devenus enfants de Dieu, il veut, en quelque sorte, te rassurer, et il ajoute : « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous ». Pourquoi t’étonner que des hommes soient nés de Dieu ? Fais attention que Dieu lui-même est né de l’homme. « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous ».

16. « Le Verbe s’étant donc fait chair, et ayant habité parmi nous », il nous a, par sa naissance, préparé un collyre pour guérir nos yeux, et nous aider à apercevoir sa grandeur cachée sous le voile de ses abaissements. « Le Verbe s’est donc fait chair, et il a habité parmi nous », il a guéri nos yeux. Que lisons-nous ensuite ? « Et nous avons vu sa gloire ». Sa gloire, personne n’aurait pu la voir, à moins d’être guéri par l’humilité de sa chair. Pourquoi nous était-il impossible de la voir ? Que votre charité soit attentive, et comprenez bien mes paroles. L’œil de l’homme s’était comme rempli de poussière ou de terre, et sa vue en était troublée ; il ne pouvait voir la lumière. On applique le remède sur cet œil malade ; la terre avait fait son mal, on met de la terre pour le guérir. Car tous les collyres et tous les médicaments pour les yeux ne tirent leur vertu que de la terre. La poussière t’avait aveuglé, la poussière te guérit ; ton aveuglement était venu de la chair, de la chair est venue ta guérison. L’âme était, en effet, devenue charnelle par le consentement qu’elle avait donné aux désirs de la chair ; c’est ce qui avait crevé l’œil de ton cœur. « Le Verbe s’est fait chair », et le médecin t’a préparé un collyre. Et parce qu’il est venu afin d’éteindre en sa chair les vices de la nôtre, et de tuer notre mort par la sienne, il s’est fait en toi, et ainsi : « Le Verbe s’étant fait chair », tu peux dire que « nous avons vu sa gloire ». Quelle gloire ? Quel fils de l’homme est-il devenu ? C’est là pour lui de l’humiliation, et non de la gloire. Mais jusqu’où s’est porté le regard jel’homme, une fois qu’il a été guéri par la chair ? « Nous avons vu sa gloire », dit l’Évangéliste, « sa gloire comme Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité ». Cette grâce et cette vérité, si Dieu nous en fait la grâce, nous en parlerons plus au long une autre fois, quand nous expliquerons d’autres passages de ce même Évangile. Que ceci nous suffise pour aujourd’hui. Quant à vous, cherchez votre édification dans le Christ : que votre foi s’affermisse ; soyez attentifs à pratiquer toutes sortes de bonnes œuvres ; ne laissez point échapper de vos bras le bois qui doit vous aider à traverser la mer.

ACCORD DES ÉVANGILES

CHAPITRE X. ÉVANGILE SELON SAINT JEAN.

11. Il ne nous reste plus à examiner que l’Évangile de saint Jean que nous ne pouvons désormais rapprocher d’aucun autre. Comment trouver quelque contradiction dans un passage qui n’est rapporté que par un seul évangéliste et sur lequel les autres gardent le silence ? Or il est certain que saint Matthieu, saint Marc et saint Luc ont surtout envisagé dans la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ son humanité sainte. Comme homme en effet le Christ est en même temps roi et prêtre. Aussi saint Marc, qui dans le mystère des quatre animaux, semble figuré par l’image de l’homme br, ne nous apparaît pour ainsi dire que comme le compagnon de saint Matthieu ; car il dit souvent les mêmes choses que lui, afin d’honorer la personne du Roi, qui ne marche jamais seul comme je l’ai prouvé dans, le premier livre
Ci-dessus I 1, c. III
 ; ou plus vraisemblablement encore il marche en compagnie de saint Matthieu et de saint Luc. Car si dans beaucoup de passages il ne fait que reproduire l’Évangile de saint Matthieu, il se rapproche de saint Luc dans un certain nombre d’autres. Ainsi se rapproche-t-il tout à la fois et du lion et du bœuf, c’est-à-dire de la personne royale dépeinte par saint Matthieu et de la personne sacerdotale dépeinte par saint Luc, et qui toutes deux se confondent en Jésus-Christ. Mais s’agit-il de la Divinité, de l’égalité de Jésus-Christ avec son Père, du Verbe qui est Dieu en Dieu, du Verbe fait chair et habitant parmi nous bt, du Verbe qui est un avec son Père bu ? c’est surtout saint Jean qui a entrepris d’en parler. Comme un aigle hardi, il fixe ses regards sur les paroles les plus sublimes prononcées par le Christ, et rarement il descend vers la terre. Qui, mieux que lui, connaissait la mère de Jésus ? et cependant, contrairement à saint Matthieu et à saint Luc, il ne parle pas de la naissance du Sauveur, il passe sous silence son baptême raconté par les trois autres. Appliqué tout entier au témoignage rendu par le Précurseur, il s’élance d’un seul trait au récit des noces de Cana. Là il lui faut parler de la mère de Jésus, et voici de quelle manière il s’exprime : « Femme, qu’y a-t-il entre vous et moi bv ? » Jésus ne repousse pas celle dont il a reçu son corps, mais il se préoccupe surtout de sa Divinité avant de changer l’eau en vin ; comme Dieu en effet il avait créé sa mère, il ne lui devait pas l’existence.

12. Après quelques jours passés à Capharnaüm, Jésus revient au temple et c’est là que fut prononcée cette parole, que nous rapporte saint Jean : « Détruisez ce temple et je le rebâtirai en trois jours bw. » Il proclamait par là, non seulement que dans ce temple il était Dieu, le Verbe fait chair ; mais aussi qu’il a ressuscité cette chair, uniquement en ce sens qu’il ne fait qu’un avec son Père et qu’ils ne peuvent agir séparément. Dans tous les autres passages de l’Écriture nous lisons toujours que Dieu l’a ressuscité ; nulle part nous ne voyons rien qui annonce aussi clairement que, malgré cela, il s’est aussi ressuscité lui-même, comme étant un seul Dieu avec son Père : c’est là ce qu’exprime cette parole : « Détruisez ce temple et je le réédifierai en trois jours. »

13. Dites ensuite la grandeur, la divinité de son entretien avec Nicodème ! De là l’Évangéliste revient encore au témoignage de saint Jean et proclame que l’ami de l’époux ne goûte d’autre joie que d’entendre la voix de l’époux. C’est nous enseigner que l’âme humaine n’est à elle-même ni sa propre lumière ni son propre bonheur ; et que tout cela lui vient de sa participation à l’immuable sagesse. Vient ensuite l’histoire de la Samaritaine, avec la promesse de cette eau qui rassasiera éternellement celui qui en boira. De là, il se transporte de nouveau à Cana en Galilée, où s’était opéré le changement de l’eau en vin ; c’est là qu’il fut dit à l’officier dont le fils était malade : « Si vous ne voyez des miracles et des prodiges, vous ne croyez pas bx. » Il voulait par là élever tellement l’esprit du fidèle au-dessus des choses muables de ce monde, qu’on n’eût même plus à demander des miracles, quoiqu’ils soient le sceau de la divinité gravé sur la mobilité des corps.

14. De là Jésus revient à Jérusalem, où il guérit un malheureux, malade depuis trente-huit ans. Et à cette occasion que ne dit-il pas ! Combien ne dure pas son discours ! Écoutons Les Juifs cherchaient l’occasion de le faire mourir, parce que non-seulement il ne gardait pas le sabbat, mais parce qu’il appelait pieu son Père en se faisant son égal. » On voit clairement qu’en se proclamant le Fils de Dieu il ne le faisait pas dans le même sens que les hommes justes, il se disait égal à son Père. Aussi pour répondre à l’accusation de profaner le sabbat venait-il de dire : « Mon Père agit toujours, il en est de même de moi. » Ses ennemis entrèrent alors en fureur, non pas précisément parce qu’il appelait Dieu son Père, mais parce qu’il se proclamait l’égal de Dieu en disant : Mon Père agit toujours, il en est de même de moi. » De là, en effet, il fallait conclure que le Fils fait ce que fait le Père ; car le Père n’agit pas sans le Fils. Malgré l’exaspération de ses persécuteurs, il leur dit au même moment et leur répète un peu après : « Tout ce que fait le Père, le Fils le fait également by. »

15. Saint Jean quitte enfin ces hautes sphères de la Divinité pour descendre un instant sur la terre avec les autres Évangélistes, à l’occasion de la multiplication des cinq pains pour cinq mille personnes. Et encore il est seul à nous apprendre que ces hommes voulant proclamer Jésus Roi, il s’enfuit seul sur la montagne. Je crois que, par cette conduite, le Sauveur a voulu nous montrer que s’il veut régner sur notre esprit et sur notre raison, c’est parce qu’il a pour séjour les hautes régions du ciel, où il n’a avec les hommes aucune communauté de nature ; où il est seul, parce qu’il est le Fils unique du Père. Ce mystère à cause de sa sublimité même échappe aux hommes charnels qui rampent sur la terre ; voilà pourquoi Jésus fuit sur la montagne pour se soustraire à ceux qui n’aspiraient qu’à un royaume de la terre ; du reste il dit ailleurs : « Mon royaume n’est pas de ce monde bz ;» et si nous ne trouvons ces détails que dans l’Évangile de saint Jean, c’est que dans son vol sublime il s’élève bien au-dessus de la terre, et fixe avec bonheur la lumière du soleil de justice. Après le miracle de la multiplication des pains, Jésus demeura quelque temps sur la montagne avec ses trois apôtres, puis ses disciples repassèrent la mer et Jésus se réunit à eux. C’est alors que l’Évangéliste s’élance de nouveau vers les paroles sublimes et divines, vers le long et incomparable discours que le Sauveur prononça à l’occasion de la multiplication des pains, après avoir dit à la foule : « En vérité, en vérité je vous le déclare, vous me cherchez, non parce que vous avez été témoins de miracles, mais parce que vous avez été nourris et rassasiés de pain ; travaillez donc, non pas pour le pain qui périt, mais pour celui qui demeure jusqu’à la vie éternelle. » Il se maintient longtemps à cette prodigieuse hauteur d’idées. Mais de cette élévation tombèrent bientôt les malheureux qui ne continuèrent pas à le suivre ; tandis que restèrent avec lui ceux qui purent saisir la portée de cette parole : « C’est l’esprit qui vivifie, la chair ne sert à rien ca ; » en effet, l’esprit sert parla chair, il sert aussi par lui-même ; mais la chair ne sert à rien sans l’esprit.

16. Les frères de Jésus, c’est-à-dire ses parents selon la chair, lui conseillant ensuite de se rendre à la fête de Pâques afin de se manifester à la multitude ; quelle sublime réponse il leur fait ! Mon heure n’est point encore venue, dit-il, tandis que la vôtre est toujours prête. Le monde ne peut vous haïr, mais moi il me hait parce que je rends de lui ce témoignage, que ses œuvres sont mauvaises. » En d’autres termes : « Votre heure est toujours prête », parce que vous désirez ce jour dont le prophète a dit : « Je n’ai pas souffert à votre suite, Seigneur, et je n’ai pas désiré le jour de l’homme : vous le savez cb. » Ah ! c’est voler vers la lumière du Verbe, et désirer le jour après lequel Abraham soupirait, le jour qu’il a vu et qui l’a rempli de joie cc. Cependant Jésus s’étant rendu à la solennité, quelles paroles admirables, divines et profondes saint Jean nous rapporte de lui ! Les Juifs ne peuvent venir là où il ira ; ils le connaissent et ils savent d’où il est ; celui qui l’a envoyé est la vérité même et ils l’ignorent ; comme s’il leur eût dit : vous savez d’où je suis et vous ne savez pas d’où je suis. Qu’est-ce à dire encore, sinon qu’ils savaient d’où il était quant à son corps, quant à sa famille et à sa patrie ; mais quant à sa divinité, le savaient-ils ? En parlant aussi, dans la même circonstance, du don de l’Esprit-Saint, il révèle ce qu’il est, puisqu’il peut accorder ce Don au-dessus de tout don cd.

17. Jésus quittait le mont des Oliviers, il venait de pardonner à la femme adultère qui lui avait été présentée par de perfides ennemis afin qu’il la fît lapider. Alors encore quelles paroles ne lui prête pas saint Jean ! Il nous montre comment de son doigt il écrivait sur la terre, comme pour faire comprendre à ses ennemis que c’était seulement sur la terre et non dans le ciel que leurs noms devaient être écrits ; tandis que ses disciples devaient se réjouir devoir les leurs gravés sur le livre ale la vie éternelle ce ; ou bien, en s’inclinant et en, baissant la tête, il annonçait qu’il ferait des prodiges sur la terre ; ou bien encore il proclamait qu’il était temps que sa toi fût écrite, non pas comme autrefois sur une pierre stérile, mais sur une terre qui pût rapporter du fruit ! C’est donc après cela qu’il se dit la lumière du monde, et qu’il assure que ceux qui le suivront ne marcheront point dans le% ténèbres, mais qu’ils auront la lumière de la vie. Il affirme aussi qu’il est le principe, lui, qui leur parle. Par ces paroles, il établit une différence essentielle entre lui, lumière éternelle par laquelle tout a été fait, et la lumière qu’il a faite. Quand donc il se disait la lumière du monde, il parlait dans un autre sens que quand il disait à ses apôtres : « Vous êtes la lumière du monde. » Les apôtres n’étaient que le flambeau qui ne doit pas être mis sous le boisseau mais sur le chandelier cf ; saint Jean le précurseur n’était lui-même que la lampe ardente et luisante cg ; quant à Jésus il est le principe dont il est dit : « Nous avons tous reçu de sa plénitude ch. » Jésus affirme aussi qu’il est le Fils, la Vérité ; et qu’en dehors de la liberté qu’il donne il n’y a pas de liberté véritable ci.

18. À l’occasion de la guérison de l’aveugle-né, saint Jean nous rapporte longuement les paroles que Jésus prononça sur les brebis, sur le pasteur, sur la porte, sur le pouvoir qu’il avait de donner sa vie et de la reprendre, puissance dans laquelle brille au plus haut point sa divinité. Ensuite il nous apprend que les Juifs dirent à Jésus pendant les fêtes de la Dédicace à Jérusalem : « Jusques à quand tiens-tu notre âme dans l’indécision ? Si tu es le Christ, dis-le-nous clairement. » À cette question quelle sublime réponse ! Jésus dit : « Moi et mon Père nous sommes un. » Plus tard, au moment de la résurrection de Lazare, il s’écrie : « Je suis la résurrection et la vie ; celui qui croit en moi, fût-il mort, vivra ; tout homme qui vit et croit en moi, ne mourra jamais. » Que chercherions-nous ici autre chose que la révélation de sa divinité, dont la participation nous fera vivre éternellement ? Saint Jean vient ensuite, à Béthanie, à la rencontre de saint Matthieu et de saint Marc cj ; c’est là que des parfums furent versés par Marie-Magdeleine sur les pieds et sur la tête de Jésus ck. À partir de ce moment jusqu’à la passion et la résurrection, les trois Évangélistes marchent de concert et parcourent les mêmes lieux.

19. Du reste, toutes les fois qu’il s’agit des discours du Sauveur, saint Jean ne cesse de s’élever à des auteurs où il plane longtemps. Quand les Gentils témoignent, par l’intermédiaire de Philippe et d’André, le désir de. le voir, Jésus saisit alors l’occasion de prononcer un profond discours, que saint Jean seul nous rapporte ; il y est de nouveau question de la lumière qui répand ses rayons et crée les enfants de la lumière cl. De plus, à l’occasion de la cène dont tous les évangélistes ont parlé, quelles belles et sublimes paroles prononcés par Jésus et que saint Jean seul nous fait connaître ! C’est non-seulement l’humilité à l’occasion du lavement des pieds ; mais, quand après le repas le traître a disparu, et qu’il ne reste plus avec lui que les onze apôtres fidèles, quel long, admirable et saisissant discours saint Jean nous rapporte ! C’est là que nous trouvons cette parole : « Celui qui me voit, voit aussi mon Père ; » c’est là que Jésus parle longuement du Saint-Esprit, qu’il devait leur envoyer ; de la gloire dont il jouissait en son Père avant la création du monde ; de l’unité qu’il veut former avec nous, comme il ne fait qu’un avec son Père ; il ne dit pas que lui, son Père et nous, nous ne devons faire qu’un, mais que nous devons être un comme lui et son Père sont un. Et puis combien d’autres choses non moins profondes et non moins admirables dont ne nous pourrions parler convenablement dans cet ouvrage, en fussions-nous capables ; puisque nous l’avons entrepris dans un autre dessein cm ! Nous pourrons le faire ailleurs ; il ne faut pas y aspirer ici. Voici seulement ce que nous voulons rappeler à ceux qui aiment la parole de Dieu et qui recherchent la sainte vérité. Quoique saint Jean, dans son Évangile, ait annoncé et fait connaître le Christ véritable et véridique dont les trois autres évangélistes ont écrit la vie et dont les autres Apôtres, sans avoir entrepris de faire son histoire, n’ont pas moins publié les grandeurs comme l’exigeait leur ministère ; cependant après s’être élevé bien plus haut qu’eux dès le début de son Évangile, il ne se rencontre que rarement avec eux dans le cours de son ouvrage. C’est premièrement quand il s’agit du témoignage rendu parle Précurseur sur les rives du Jourdain ; secondement au-delà de la mer de Tibériade, quand Jésus nourrit la foule avec les cinq pains et sur les eaux ; troisièmement, à Béthanie, où une femme fidèle répand sur lui des parfums précieux. Ainsi arrive-t-il avec eux à la passion, où tous devaient se rencontrer ; et cependant ne rend-il pas plus splendide que les autres la cène dernière, pour laquelle il semble avoir puisé dans le sanctuaire même du Seigneur, sur lequel il avait l’habitude de reposer. N’est-ce pas lui encore qui nous montre Jésus frappant Pilate de paroles plus profondes ; déclarant que son royaume n’est pas de ce monde, qu’il est né Roi, qu’il est venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité cn ; écartant Marie elle-même après la résurrection, et lui adressant ces mots mystérieux et profonds : « Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père co ; » donnant le Saint-Esprit à ses disciples en soufflant sur eux cp, prévenant ainsi l’erreur qui aurait pu faire croire, que le Saint-Esprit, qui est consubstantiel et coéternel à la Trinité, était seulement l’Esprit du Père et non celui du Fils.

20. Enfin après avoir confié la garde de ses brebis à Pierre, à qui il venait de demander une triple protestation d’amour, Jésus dit de saint Jean qu’il veut qu’il demeure ainsi jusqu’à ce qu’il vienne cq. Je crois voir ici la révélation d’un profond mystère. Ce récit évangélique de saint Jean, lequel jette de si vives lumières sur la nature du Verbe, nous enseigne l’égalité et l’incommutabilité de la Trinité, nous révèle la distance infinie qui existe entre nous et le Verbe fait chair ; je dis que cet évangile de saint Jean, ne pourra être saisi et parfaitement compris que quand le Seigneur apparaîtra parmi nous. Voilà pourquoi il restera tel jusqu’à ce qu’il vienne ; maintenant il restera pour diriger et affermir la foi des croyants ; mais alors nous le contemplerons face à face cr, quand notre vie aura apparu et quand nous aurons apparu avec lui dans la gloire cs. Si donc traînant encore après lui les chaînes de notre misérable mortalité, un homme se flatte d’écarter toutes les ténèbres qu’engendrent dans son esprit les représentations corporelles et charnelles ; de jouir de l’éclat serein de l’incommuable vérité ; et d’y attacher indissolublement son intelligence, rendue entièrement étrangère aux habitudes et aux nécessités de cette vie : je déclare qu’il ne comprend pas ce qu’il cherche et qu’il ne se connaît pas lui-même. Qu’il croie plutôt, d’après une autorité sublime et infaillible, que tant que nous sommes dans ce corps, nous sommes loin de Dieu, que nous marchons à la lueur de la foi et non à l’éclat éblouissant de la réalité ct. De cette manière, gardant précieusement dans son âme la foi, l’espérance et la charité, qu’il aspire à la contemplation face à face, appuyé sur le gage de l’Esprit-Saint qu’il a reçu cu, et qui nous enseignera toute vérité, quand Celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts, vivifiera aussi nos corps mortels par son Esprit qui habite en nous cv. Mais avant que ce corps, qui est mort par le péché, ne soit vivifié, sachons qu’il est de plus un fardeau bien lourd pour notre âme cw. Et si quelquefois, aidé par la grâce d’en haut, on perce ce nuage qui couvre toute la terre cx, c’est-à-dire les ténèbres charnelles qui obscurcissent la vie terrestre, n’oublions pas que ce n’est qu’un éclair rapide qui fend la nue, mais que bientôt on retombe dans sa faiblesse, malgré le désir qui porte à s’élever de nouveau dans les hauteurs, et parce qu’on n’est pas pur pour y rester fixé. La grandeur d’un homme dépend de la grandeur de ses efforts pour s’élever ; et sa petitesse est proportionnée à la faiblesse de ses efforts.

Si une âme n’a encore éprouvé aucune de ces aspirations, quoique Jésus-Christ habite en elle par la foi : qu’elle s’attache à vaincre et à détruire les passions de ce siècle, et cela par l’action de la vertu morale, qu’elle pratiquera en marchant avec Jésus-Christ, son médiateur, dans la compagnie des trois premiers Évangélistes ; qu’elle conserve fidèlement avec toute la joie d’une vive espérance, la foi en Celui qui est toujours le Fils de Dieu et qui, pour nous, s’est fait fils de l’homme, afin que sa force éternelle et sa divinité préparent à notre faiblesse et à notre mortalité, qu’il a partagées, une voie sûre pour marcher en lui et vers lui. Pour éviter le péché, qu’elle se laisse diriger par Jésus-Christ Roi ; si par malheur elle y tombe, qu’elle cherche l’expiation en ce même Jésus-Christ souverain prêtre. Quand enfin elle aura trouvé un aliment suffisant dans l’action d’une vie pure et sainte, s’élevant sur les deux préceptes de la charité comme sur deux ailes puissantes, au-dessus des choses de la terre, elle pourra se plonger dans la source même de la lumière, Jésus-Christ, le Verbe qui était au commencement, le Verbe qui était en Dieu et qui était Dieu cy. Elle ne verra sans doute encore que comme dans un miroir et en énigme ; mais beaucoup mieux qu’à l’aide des images corporelles. Si donc les esprits qui en sont capables voient dans les trois autres Évangélistes l’image de la vie active et dans l’Évangile de saint Jean les dons de la puissance contemplative ; toujours est-il vrai de dire, qu’au moins d’une certaine manière, cet Évangile de saint Jean restera jusqu’à ce que toute perfection soit accomplie cz. Aux uns le Saint-Esprit donne le langage de la sagesse, aux autres le langage de la science da ; celui-ci goûte le jour du Seigneur db; l’autre boit à la source plus pure de la poitrine du Sauveur ; celui-là, ravi jusqu’au troisième ciel, entend des paroles ineffables dc ; tous cependant, voyagent loin du Seigneur, tout le temps qu’ils sont dans ce corps mortel dd, et ceux qui gardant fidèlement les biens de l’espérance, sont écrits au livre de vie, verront l’accomplissement de cette parole : « Et moi aussi, Je l’aimerai et je me manifesterai moi-même à lui de. »

Toutefois pendant le pèlerinage d’ici-bas, plus on fera de progrès dans l’intelligence, ou la connaissance de cette vérité, plus on évitera avec soin les deux vices qui forment le caractère du démon : l’orgueil et la jalousie. On se souviendra que si l’Évangile de saint Jean élève si haut dans la contemplation de la vérité, c’est qu’il commande d’une manière plus pressante la douceur de la charité ; et comme rien n’est plus vrai ni plus salutaire que ce précepte du sage : « Plus tu es grand, plus tu dois t’humilier en tout df », l’Évangéliste qui, beaucoup mieux que les autres, a fait briller la gloire de Jésus-Christ, c’est celui qui nous le représente lavant les pieds à ses disciples dg.

Les deux premiers livres ont été traduits par M. l’abbé TASSIN, les deux derniers par M. l’Abbé BURLERAUX.

DEUXIÈME SÉRIE. SOLENNITÉS ET PANÉGYRIQUES.

SERMON CLXXXIV. POUR LE JOUR DE NOEL. I. ABAISSEMENT ET ÉLÉVATION.

ANALYSE. – Si le Fils de Dieu en se faisant homme avait cessé d’être Dieu, on comprendrait la répugnance des sages du monde à croire ce mystère et l’inutilité pour nous de l’Incarnation. Mais en devenant ce que nous sommes, Jésus n’a rien perdu de ce qu’il était, et en s’abaissant jusqu’à nous, il veut nous élever jusqu’à lui. Que tous donc se réjouissent et contemplent avec ravissement les merveilles de cette naissance temporelle, où brille

1. C’est aujourd’hui que revient et que brille parmi nous la solennité anniversaire de la naissance de Notre-Seigneur et Sauveur Jésus-Christ ; aujourd’hui que la Vérité s’est élevée de terre et que le jour issu du jour a paru pour être notre jour : réjouissons-nous donc et tressaillons d’allégresse. Eh ! que ne devons-nous point aux abaissements de cette incomparable Majesté ? La foi des chrétiens le connaît et le cœur des impies n’y comprend rien. C’est que Dieu a caché ces merveilles aux sages et aux prudents et les a dévoilées aux petits dh. Que les humbles donc s’attachent à ces abaissements d’un Dieu, et appuyée sur ce puissant secours, leur faiblesse pourra s’élever jusqu’à sa hauteur.

Pour ces sages et ces prudents qui ne cherchent en Dieu que grandeurs sans croire à ses abaissements, en ne voulant pas de ceux-ci ils n’atteindront pas à celles-là : esprits vains et légers, qui n’ont pour eux que l’enflure et l’orgueil, ils sont comme suspendus entre le ciel et la terre, toujours agités par le souffle des vents. Sans doute ils sont sages et prudents, mais pour ce monde et non pour Celui qui a fait le monde. Ah ! s’ils avaient cette vraie sagesse, cette sagesse de Dieu qui n’est autre que Dieu même, ils comprendraient que Dieu a pu prendre un corps sans devenir corps ; ils comprendraient qu’il est devenu ce qu’il n’était pas, sans cesser d’être ce qu’il était ; qu’il est venu à nous comme homme, sans s’éloigner de son Père ; qu’en demeurant ce qu’il était, il s’est montré ce que nous sommes ; et qu’en incarnant sa puissance dans le corps d’un enfant, il ne l’a pas moins appliquée au gouvernement du monde. Lui qui a créé l’univers en demeurant dans le sein de son Père, a donné à une Vierge d’enfanter, pour venir à nous. N’y a-t-il pas un reflet de sa toute-puissance dans cette Vierge qui devient mère et qui reste Vierge après l’avoir mis au monde comme avant de le concevoir ; qu’un homme trouve enceinte, sans qu’aucun homme y ait contribué ; qui porte un homme dans son sein, sans le concours d’aucun homme, et qui sans rien perdre de son intégrité emprunte à sa fécondité un nouveau bonheur et une gloire nouvelle ? Plutôt que d’ajouter foi à d’aussi étonnantes merveilles, ces orgueilleux aiment mieux croire qu’elles sont de notre part de simples fictions. Aussi, ne pouvant se résoudre à voir l’humanité dans un Dieu fait homme, ils dédaignent le Christ ; et parce qu’ils sentent la divinité au-dessus de leurs mépris, ils ne croient pas en lui. Mais, plus ils dédaignent les abaissements d’un Dieu fait homme, plus nous devons les aimer ; et plus il leur semble impossible qu’une Vierge ait donné le jour à un homme, plus nous y devons voir l’empreinte de la puissance divine.

2. Célébrons donc cette naissance du Seigneur avec tout l’empressement et la solennité qui conviennent. Hommes et femmes, tressaillez de joie, car le Christ s’est fait homme en naissant d’une femme et en honorant ainsi les deux sexes. Que tous les hommes s’attachent au second homme, puisque tous ont été condamnés avec le premier. Une femme nous avait inoculé la mort ; une femme a pour nous enfanté la vie. Pour purifier la chair de péché, elle a donné naissance à une chair semblable seulement à la chair de péché di. Ne condamnez donc pas la chair, détruisez seulement le péché pour faire vivre la nature. Pour rendre en lui une vie nouvelle au pécheur, un homme ne vient-il pas de naître sans péché ?

Réjouissez-vous, saints jeunes hommes, qui vous êtes attachés, avec un soin particulier, à marcher sur les traces du Christ et qui avez renoncé aux unions charnelles. Ce n’est point par le moyen d’une union charnelle que le Christ s’est présenté à vous ; ainsi voulait-il vous servir de modèle et vous faire la grâce de dédaigner l’union qui vous a fait naître. En effet n’êtes-vous pas redevables de votre naissance à cette union charnelle en dehors de laquelle le Christ vient vous convier à une union toute spirituelle ? et tout en vous appelant à des noces ne vous a-t-il pas accordé de mépriser d’autres noces ? Ainsi vous ne voulez point pour vous de ce qu’il vous a donné l’existence ; c’est que vous aimez, plus que beaucoup d’autres, Celui qui n’est pas né comme vous.

Réjouissez-vous, vierges saintes : une Vierge a enfanté pour vous l’Époux auquel vous pourrez vous attacher sans contracter aucune souillure ; et en ne concevant ni en enfantant vous ne pourrez perdre le trésor que vous chérissez. Réjouissez-vous, justes : voici la naissance de Celui qui fait les justes. Réjouissez-vous, infirmes et malades : voici la naissance du Sauveur. Réjouissez-vous, captifs ; voici la naissance du Rédempteur. Réjouissez-vous, serviteurs : voici la naissance de votre Seigneur. Réjouissez-vous, hommes libres : voici naître Celui qui donne la liberté, Réjouissez-vous, chrétiens : voici la naissance du Christ.

3. En naissant de sa Mère il fait de ce jour un jour mémorable pour tous les siècles, comme il a créé tous les siècles en naissant de son Père. Il ne pouvait avoir de mère dans sa génération éternelle ; et il n’a point voulu d’homme pour père dans sa génération temporelle. Ainsi le Christ est né à la fois et d’un père et d’une mère, et sans père et sans mère : d’un père, comme Dieu, et d’une mère, comme homme ; sans mère, comme Dieu, et sans père, comme homme. « Qui expliquera sa génération dj » ; soit la première qui est en dehors d u temps, soit la seconde qui est en dehors de l’homme ; soit la première qui est sans commencement, soit la seconde qui est sans précédent ; soit la première qui n’a jamais été sans être, soit la seconde qui ne s’est jamais reproduite, ni avant ni après ; soit la première qui n’a point de fin, soit la seconde qui a aujourd’hui son commencement, mais quand aura-t-elle une fin ? Il était donc juste que les prophètes annonçassent sa naissance future, que les cieux et les anges publiassent sa naissance accomplie. Il reposait dans une étable, et il gouvernait le monde ; enfant sans parole, il était la Parole même ; les cieux ne sauraient le contenir, et une femme le portait sur son sein ; oui, elle dirigeait notre Roi, elle portait Celui qui nous porte, elle allaitait Celui qui nous nourrit de lui-même. Quelle incontestable faiblesse ! quel abaissement prodigieux ! et pourtant la, divinité tout entière y est enfermée. L’enfant dépendait de sa mère, et sa puissance la conduisait ; il prenait son sein, et il la nourrissait de la vérité.

Ah ! qu’il mette en nous le comble à ses dons, puisqu’il n’a pas dédaigné de partager nos commencements ; qu’il nous rende fils de Dieu, puisqu’il a voulu, pour notre amour ; devenir fils de l’homme.

SERMON CLXXXV. POUR LE JOUR DE NOËL. II. JUSTIFICATION DE L’HOMME.

ANALYSE. – Si le Christ s’est tant abaissé, ce n’était pas pour son avantage, mais pour le nôtre ; c’était pour nous justifier et conséquemment

1. Qu’est-ce que la naissance du Seigneur ? C’est la Sagesse de Dieu se montrant sous les formes d’un enfant ; c’est le Verbe de Dieu faisant entendre dans la chair des sons inarticulés. Mais ce Dieu caché saura se faire rendre témoignage par le ciel devant les Mages, et se faire annoncer aux bergers par la voix des anges. Ainsi nous célébrons aujourd’hui le jour anniversaire de celui où s’accomplit cette prophétie : « La Vérité s’est levée sur la terre, et la justice nous a regardés du haut des cieux dk ». La Vérité qui est dans le sein du Père s’est levée sur la terre, pour être aussi dans le sein d’une mère. La Vérité qui porte le monde s’est levée sur la terre, pour être portée sur les mains d’une femme. La Vérité qui nourrit d’elle l’inaltérable bonheur des Anges, s’est levée sur la terre pour vivre elle-même du lait d’une mère. La Vérité que ne saurait contenir le ciel s’est levée sur la terre, pour être déposée dans une étable.

Pour l’avantage de qui cette incomparable grandeur se présente-t-elle à nous sous de si prodigieux abaissements ? Ce n’est pas assurément pour son avantage ; mais, si nous croyons, il en résultera pour nous des biens immenses. O homme, éveille-toi ; c’est pour toi que Dieu s’est fait homme. « Toi qui dors, lève-toi ; lève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera dl ». Oui, c’est pour toi que Dieu s’est kit homme ; et s’il n’était né dans le temps, éternellement tu serais mort ; jamais tu ne serais délivré de cette chair de péché, s’il n’en avait pris la ressemblance ; s’il ne te faisait une si grande miséricorde, tu serais livré à une misère sans fin ; tu n’aurais point recouvré la vie, s’il ne s’était assujetti à mourir comme toi ; tu aurais succombé, s’il ne t’avait secouru ; tu aurais péri, s’il n’était venu.

2. Ainsi célébrons avec joie le jour de notre salut et de notre rédemption ; célébrons le jour solennel où le grand jour, où le jour éternel qui naît d’un jour également grand et éternel également, fait son entrée dans notre jour temporel et si court. C’est lui qui « est devenu pour nous et justice, et sanctification, et rédemption, afin que, comme il est écrit, celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur dm ». Ah ! nous devons nous garder de ressembler à ces Juifs orgueilleux « qui ignorent la justice de Dieu, qui veulent établir la leur, et qui se soustraient ainsi à la divine justice dn ». Aussi après ces mots : « La Vérité s’est levée sur la terre », lisons-nous aussitôt ceux-ci : « Et la justice a regardé du haut du ciel ». C’est pour détourner la faiblesse des mortels de chercher à s’attribuer cette justice, à s’approprier les dons divins ; pour empêcher l’homme de prétendre qu’il se justifie, c’est-à-dire qu’il se rend juste lui-même et de dédaigner ainsi la justice de Dieu. « La Vérité s’est levée sur la terre » : le Christ a dit : « Je suis la Vérité do », et il est né d’une Vierge. – « Et la justice a regardé du haut du ciel » ; car en croyant à l’Enfant nouveau-né, l’homme est justifié, non par lui-même, mais par Dieu. « La Vérité s’est levée sur la terre » ; car « le Verbe s’est fait chair dp ». – « Et la justice a regardé du haut du ciel » ; car « tout bien excellent et tout don parfait vient d’en haut dq ». « La Vérité s’est levée sur la terre » ; la chair est née de Marie. « Et la justice a regardé du haut du ciel » ; car « l’homme ne peut rien recevoir qui ne lui ait été donné du ciel dr ».

3. « Ainsi donc justifiés par la foi, ayons la paix avec Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur ; par qui aussi nous avons accès à cette grâce où nous sommes établis et où nous nous glorifions dans l’espoir de la gloire de Dieu ds ». Vous reconnaissez avec moi, mes frères, ces quelques paroles de l’Apôtre. J’aime d’en rapprocher quelques paroles aussi du psaume que nous citons et de découvrir le rapport qui les unit. « Justifiés par la foi, soyons en paix avec Dieu » ; c’est que « la justice et la paix se sont embrassées. – Par Jésus-Christ Notre-Seigneur » ; car « la Vérité s’est levée sur la terre. – Par qui aussi nous avons accès à cette grâce où nous sommes établis, et où nous nous glorifions dans l’espoir de la gloire de Dieu ». Il n’est pas dit : De notre gloire, mais : « De la gloire de Dieu ». Aussi ce n’est pas de nous que vient la justice ; « elle a regardé du haut du ciel ». – De là vient « que celui qui se glorifie doit se glorifier dans le Seigneur ». C’est pourquoi lorsque la Vierge eut donné naissance au Seigneur dont nous célébrons aujourd’hui la Nativité, les anges chantèrent cet hymne : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre au hommes de bonne volonté dt ». Eh ! d’où vient cette paix donnée à la terre, sinon de ce que « la Vérité s’est levée sur la terre » ; de que le Christ a reçu une naissance charnelle ? Et « c’est Lui qui est notre paix, puisque de deux choses il en a fait une du » ; en nous rapprochant par les doux liens de l’unité, pour faire de nous des hommes de bonne volonté.

Ah ! réjouissons-nous de cette grâce, afin de mettre notre gloire dans le témoignage de notre conscience ; afin de nous y glorifier, non pas en nous, mais dans le Seigneur. Voilà pour quoi il est écrit : « C’est vous qui êtes ma gloire et qui m’élevez la tête dv ». Dieu lui. même pouvait-il faire briller à nos yeux une grâce plus généreuse ? Il n’a qu’un Fils unir que et il fait de lui un Fils de l’homme, afin d’élever le Fils de l’homme jusqu’à la dignité, de Fils de Dieu ! Cherche ici quel est notre, mérite, quelle est notre justice, quel motif détermine le Seigneur : découvriras-tu autre chose que sa grâce ?

SERMON CLXXXVI. POUR LE JOUR DE NOËL. III. LE FILS DE DIEU DEVENU FILS DE L’HOMME.

ANALYSE. – De ce qu’en s’incarnant le Verbe de Dieu n’a rien perdu de ce qu’il était, plusieurs concluent qu’on ne peut dire que le Fils de Dieu soit devenu Fils de l’homme. Ils se trompent, malgré la droiture de leurs intentions, et cette manière de parler est conforme au langage habituel des Écritures.

1. Réjouissons-nous, mes frères ; que les peuples tressaillent de bonheur et d’allégresse. Ce n’est pas ce soleil visible, mais son invisible Créateur qui a fait pour nous de ce jour un jour sacré ; quand devenu visible pour l’amour de nous, l’invisible Créateur de sa mère est né de son sein fécond sans aucune atteinte à sa pureté virginale ; car elle est restée Vierge en concevant son Fils, Vierge en l’enfantant, Vierge en le portant, Vierge en le nourrissant de son sein, Vierge toujours.

Pourquoi t’étonner de ceci, ô mortel ? Il fallait qu’en daignant se faire homme Dieu na. quît de cette sorte, et qu’il formât ainsi Celle qui devait lui donner le jour. En effet, il était avant de naître, et avec sa toute-puissance, il pouvait naître tout en demeurant ce qu’il était. Il se créa donc une Mère tout en demeurant dans le sein de son Père ; et naissant d’elle, il ne cessa de demeurer en Lui. Et comment aurait-il cessé d’être Dieu en se faisant homme ; puisqu’il accordait à sa Mère de ne cesser pas d’être Vierge, tout en l’enfantant ? Aussi en se faisant chair le Verbe n’a point péri, il ne s’est point transformé en chair ; c’est la chair qui s’est unie au Verbe pour ne point périr : et comme il y a dans l’homme une âme et un corps, le Christ est Dieu et homme tout à la fois. Ainsi l’homme est Dieu, et Dieu est homme ; il n’y a pas de confusion de nature, mais unité de personne. Ainsi encore le Fils de Dieu, qui est coéternel à son Père en naissant éternellement de lui, a commencé, en naissant d’une Vierge, à être fils de l’homme ; et c’est ainsi que l’humanité s’est jointe en lui à la divinité, sans former pourtant une quatrième personne et sans ajouter à la Trinité.

2. Ne vous laissez donc pas gagner au sentiment de certains esprits trop peu attentifs à la règle de foi et aux divins oracles des Écritures. Le Fils de l’homme, disent-ils, est devenu Fils de Dieu, mais le Fils de Dieu n’est pas devenu fils de l’homme. En parlant ainsi ils pensent bien, mais ils ne savent s’exprimer correctement. Que veulent-ils dire, sinon que à nature humaine a pu s’améliorer et que la nature divine n’a pu se détériorer ? Ce qui est incontestable. Cependant, quoique la divinité ne se détériore d’aucune manière, le Verbe ne s’est pas moins fait chair. L’Évangile en effet ne dit pas : La chair s’est faite Verbe ; mais : « Le Verbe s’est fait chair ». Or, le Verbe est Dieu, puisqu’il est écrit : « Et le Verbe était Dieu dw ». Quant à la chair, ne désigne-t-elle pas l’homme, car le Christ ne se l’est point unie sans prendre l’âme en même temps ? Aussi dit-il. « Mon âme est triste jusqu’à la mort dx ». Mais si le Verbe est Dieu et si la chair est l’homme même, que signifie : « Le Verbe s’est fait chair », sinon : Dieu s’est fait homme ; sinon encore : Le Fils de Dieu s’est fait fils de l’homme, en prenant une nature inférieure et sans changer sa divine nature ; en s’unissant ce qu’il n’était pas, sans rien perdre de ce qu’il était ?

Comment d’ailleurs confesserions-nous, d’après la règle de la foi, que nous croyons au Fils de Dieu qui est né de la Vierge Marie, si de la Vierge Marie était né, non pas le Fils de Dieu, mais le Fils de l’homme ? Quel chrétien nierait qu’elle a donné le jour au Fils de l’homme, mais aussi que Dieu s’étant fait homme, l’homme est ainsi devenu Dieu ? Car « le Verbe était Dieu, et le Verbe s’est fait chair ». Reconnaissons-le donc : le Fils de Dieu, pour naître de la Vierge Marie, est devenu fils de l’homme en prenant une nature d’esclave ; en restant ce qu’il était, il est devenu ce qu’il n’était pas ; il a commencé à être ce qui le rend inférieur à son Père, tout en conservant ce qui le rend un avec lui.

3. Si le Sauveur, qui est toujours le Fils de Dieu, n’était pas devenu réellement fils de l’homme, comment l’Apôtre dirait-il de lui « Ayant la nature de Dieu, il n’a pas cru usurper en se faisant égal à Dieu ; cependant il s’est anéanti lui-même en prenant la nature d’esclave, en devenant semblable aux hommes et en se montrant homme partout l’extérieur ? » Il n’est pas ici question d’un autre ; c’est l’égal du Père, dont il possède la divine nature ; c’est le Fils unique de Dieu qui « s’est anéanti lui-même en devenant semblable aux hommes ». Ce n’est pas un autre non plus, c’est encore l’égal du Père dont il a la nature divine, qui « a humilié », non pas un étranger, mais « Lui-même, en devenant obéissant jusqu’à la mort et jusqu’à la mort de la croix dy ». Or, le Fils de Dieu n’a fait cela qu’autant qu’il est fils de l’homme et qu’il en a pris la nature.

De plus, si étant éternellement le Fils de Dieu, il n’était pas devenu fils de l’homme, l’Apôtre dirait-il aux Romains : « Choisi pour « l’Évangile de Dieu, qu’il avait promis auparavant par ses prophètes dans les saintes « Écritures, touchant son Fils, qui lui est né de la race de David selon la chair dz ? » Voilà bien le. Fils de Dieu, le Fils éternel de Dieu, devenu membre de la race de David selon la chair, sans en avoir toujours été membre.

De plus encore, si le Fils de Dieu ne s’était pas fait fils de l’homme, « Dieu aurait-il envoyé son Fils, formé d’une femme ea ? » Remarquons que ce dernier terme en hébreu désigne simplement le sexe sans contester la gloire de la virginité. Or, qui a été envoyé par le Père, sinon son Fils unique ? Et comme a-t-il été formé d’une femme, sinon en devenant fils de l’homme quand il a été envoyé, lui qui dans le sein de son Père est le Fils même de Dieu ?

Il naît de son Père en dehors du cours du temps, et c’est aujourd’hui qu’il est né de sa Mère. Après avoir créé ce jour il l’a choisi pour y être créé lui-même, comme après avoir créé sa Mère il l’a choisie pour naître d’elle. Ce jour, d’ailleurs, à partir duquel le jour grandit, ne convient-il pas à la mission du Christ, par qui de jour en jour se renouvelle en nous l’homme intérieur eb ? Et puisque l’éternel Créateur daignait dans le temps devenir créature, ne devait-il pas avoir pour jour de naissance un jour qui indiquât ce qu’il venait créer dans le temps ?

SERMON CLXXXVII. POUR LE JOUR DE NOËL. IV. JÉSUS-CHRIST DIEU ET HOMME.

ANALYSE. – Pour expliquer comment le Verbe de Dieu en se faisant homme ne perd rien de sa divinité, saint Augustin le compare à la parole ou plutôt à la pensée humaine qui se donne à tous sans s’épuiser ni s’amoindrir, et qui ne perd pas sa nature en prenant dans la voix une espèce de corps. Le saint Docteur prouve ensuite par plusieurs textes de l’Écriture que le Sauveur n'a rien changé dans sa nature divine en s'unissant à la nature humaine.

1. Ma bouche va publier la gloire du Seigneur ; de ce Seigneur par qui tout a été fait et qui a été formé lui-même avec tout ; qui a montré son Père et qui a créé sa Mère. Fils de Dieu, il a un Père et point de mère ; Fils de l’homme, il a une Mère et point de père ; il est à la fois le grand jour des anges et parmi les hommes une petite lumière ; Verbe de Dieu avant tous les temps, Verbe fait chair au temps convenable ; Créateur du soleil et créé lui-même sous le soleil ; du sein de son Père gouvernant tous les siècles et du sein de sa Mère consacrant le jour présent ; demeurant dans l’un, sortant de l’autre ; formant le ciel et la terre, naissant sous le ciel et sur la terre ; ineffablement sage, et sagement enfant ; remplissant le monde, et couché dans une étable ; dirigeant les astres, et pressant le sein maternel ; si grand avec sa nature de Dieu, et si petit avec sa nature d’esclave, que sa petitesse ne diminue en rien sa grandeur et que sa grandeur n’accable en rien sa petitesse. En effet, en prenant un corps humain il n’a pas interrompu ses œuvres divines ; et il a continué d’atteindre avec force d’une extrémité jusqu’à l’autre et de tout disposer avec douceur ec, lorsque se revêtant de l’infirmité de la chair il est entré sans s’y enfermer dans le sein d’une Vierge ; et que, sans ôter aux anges l’aliment divin de sa sagesse, il nous a donné de pouvoir goûter combien le Seigneur et doux.

2. Pourquoi voir avec surprise ces merveilles dans le Verbe de Dieu, quand nota propre parole entre si libre dans l’esprit qu’elle y pénètre sans y être enfermée ? Effectivement si elle n’y pénétrait, elle ne l’éclairerait pas ; et si elle y était enfermée, elle n’entrerait pas dans d’autres esprits. Tout formé qu’il soit de mots et de syllabes, le discours que je vous adresse en ce moment n’est point découpé par vous en morceaux, comme la nourriture matérielle ; tous vous l’entendez tout entier, est tout entier recueilli par chacun de vous. Nous ne craignons pas en vous l’adressant que l’un s’empare de tout sans laisser rien à l’autre. Au contraire nous demandons devons une telle attention, attention de corps et attention d’esprit, que chacun entende tout et permette aux autres d’entendre également tout. De plus, il n’y a pas ici succession, en ce sens que l’un devrait d’abord recueillir la parole, puis la passer à un autre ; c’est au même moment qu’elle se présente à tous et que tout entière elle se fait entendre de chacun ; et si le discours pouvait être retenu totalement par la mémoire, chacun de vous en retournant l’emporterait tout entier, comme vous vouliez tous en venant l’entendre tout entier. Donc ce Verbe de Dieu par qui tout a été fait et qui renouvelle tout sans sortir de lui-même ; qui ne s’arrête point dans l’espace, qui ne s’allonge point avec le temps, que ne diversifient point des syllabes brèves ou longues, qui n’est pas une suite de sons et que ne termine point le silence ; à combien plus forte raison ce Verbe immense a-t-il pu, en prenant un corps, féconder le sein de sa Mère sans quitter le sein de son Père ; sortir de l’un pour se montrer aux hommes, rester dans l’autre pour éclairer les anges ; venir de l’un sur la terre, et dans l’autre déployer le ciel ; dans l’un se faire homme, et dans l’autre créer les hommes ? .

3. Nul donc ne doit croire que le Fils de Dieu se soit changé et altéré pour devenir Fils de l’homme ; croyons plutôt que sans rien changer à sa divine substance et en prenant dans toute sa perfection la nature humaine, il demeure Fils de Dieu tout en devenant fils de l’homme. Car, s’il est écrit. « Le Verbe était Dieu » ; et encore : « Le Verbe s’est fait chair ed » ; ce n’est pas pour faire entendre qu’en se faisant chair il ait cessé d’être Dieu ; n’est-il pas dit qu’après sa naissance charnelle ce Verbe fait chair est « Emmanuel ou Dieu avec nous ee ? » Pour s’échapper par notre bouche, notre pensée intérieure devient une voix, sans pourtant se changer en voix. Cette pensée reste sans altération lorsqu’elle prend une voix pour se produire ; elle demeure en nous pour continuer à se faire comprendre, pendant que le bruit la porte au-dehors pour la faire entendre ; ce bruit ne dit rien autre chose que ce qui avait frappé dans le silence. Ainsi, tout en devenant voix, ma pensée ne se confond pas avec elle ; elle reste dans la lumière de l’intelligence, et quand elle s’unit au bruit que fait mon organe, c’est pour arriver à vos oreilles sans quitter mon esprit. Remarquez-le : je parle ici non pas de la méditation silencieuse qui cherche des expressions grecques, latines ou de tout autre langue ; mais de la méditation qui cherche la pensée même avant de s’occuper du langage, lorsque cette pensée, qui a besoin, pour se produire, du vêtement de la parole, est en quelque sorte, dans le sanctuaire intérieur, toute nue aux yeux de l’intelligence. Et pourtant cette pensée de l’intelligence, comme le son qui l’exprime, est muable et changeante ; il n’en reste rien quand on l’a oubliée, comme il ne reste rien de la parole quand on a fait silence. Mais le Verbe de Dieu subsiste éternellement, et subsiste immuablement.

4. Aussi lorsqu’il a pris un corps dans le temps afin de partager notre vie temporelle, il n’a point perdu son éternité, mais au corps même il a conféré l’immortalité. C’est ainsi que « pareil à l’époux quittant sa couche nuptiale, il s’est élancé comme un géant pour parcourir sa carrière ef. – Il avait la nature de Dieu et ne croyait pas usurper en s’égalant à Dieu » ; mais afin de devenir pour nous ce qu’il n’était pas, « il s’est anéanti lui-même », non pas en perdant sa divine nature, mais en prenant une nature d’esclave » ; et par cette nature « il est devenu semblable aux hommes et s’est montré homme », non point par sa propre substance, mais « par l’extérieur eg ». Par l’extérieur, car tout ce que nous sommes, nous, dans l’âme ou dans le corps, est notre nature ; pour Jésus-Christ, c’est l’extérieur. Si nous n’avions notre nature, nous n’existerions pas ; pour lui, s’il ne l’avait pas, il n’en serait pas moins Dieu. Quand il l’a prise, il s’est fait homme en restant Dieu ; de manière qu’il peut dire de lui ces deux choses également incontestables, l’une, qui a trait à son humanité : « Le Père est plus grand que moi eh » ; l’autre, qui a rapport à sa divinité : « Mon Père et moi nous sommes un ei ». Car si le Verbe s’était confondu avec la chair, Dieu avec l’homme, il aurait pu dire à la vérité : « Mon Père est plus grand que moi », puisque Dieu est plus grand que l’homme ; mais nullement : « Mon Père et moi nous sommes un » ; attendu que l’homme n’est pas une même chose avec Dieu. Tout au plus aurait-il pu s’exprimer ainsi : Mon Père et moi nous ne sommes pas, mais nous avons été un ; car il ne serait plus ce qu’il aurait cessé d’être. Cependant la nature d’esclave qu’il s’est unie lui a permis de dire : « Mon Père est plus grand que moi » ; et la nature divine qu’il n’a pas quittée, de dire aussi avec vérité : « Mon Père et moi nous sommes un ». Si donc il s’est anéanti au milieu des hommes, ce n’était pas pour cesser d’être ce qu’il était en devenant ce qu’il n’était pas ; c’était pour voiler ce qu’il était et pour montrer ce qu’il était devenu.

Aussi la Vierge ayant conçu et mis au monde ce Fils en qui se manifestait la nature d’esclave, « un enfant nous est né ej » ; et le Verbe divin qui subsiste éternellement s’étant fait chair pour habiter parmi nous en voilant, tout en la conservant, sa divine nature, nous lui donnons avec Gabriel « le nom d’Emmanuel », Puisqu’il s’est fait homme en demeurant Dieu, nous avons le droit de donner à ce fils de l’homme le nom de « Dieu avec nous » ; sans que l’homme soit en lui une autre personne que Dieu.

Tressaille donc, ô monde des croyants, puisque pour te sauver est venu parmi nous le Créateur même du monde. Le Père de Marie est ainsi le Fils de Marie ; le Fils de David, la Seigneur de David ; le descendant d’Abraham existait avant Abraham ; celui qui a formé la terre a été formé sur la terre ; le Créateur du ciel a été créé sous le ciel ; il est en même temps le jour qu’a fait le Seigneur, le jour et le Seigneur de notre cœur. Marchons à sa lumière, réjouissons-nous en lui et soyons transportés d’allégresse.

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