John 14:1
ŒUVRES COMPLÈTES TOME XI, TRADUCTION SOUS LA DIRECTION DE M. RAULX. BAR-LE-DUC 1872
LES TRAITÉS SUR L’ÉVANGILE DE SAINT JEAN ONT ÉTÉ TRADUITS PAR UN VICAIRE GÉNÉRAL QUI À VOULU GARDER L’ANONYMAT ET PAR M. L’ABBÉ AUBERT.
SERMONS DE SAINT AUGUSTIN.
CINQUIÈME SÉRIE. TRAITÉS SUR SAINT JEAN.
TRAITÉS SUR L’ÉVANGILE DE SAINT JEAN.
SOIXANTE-SEPTIÈME TRAITÉ.
SUR CE QUE DIT NOTRE-SEIGNEUR, DEPUIS CES MOTS : « QUE, VOTRE CŒUR NE SOIT PAS TROUBLÉ », JUSQU’A CES AUTRES : « JE VIENS DE NOUVEAU ET JE VOUS PRENDRAI AVEC MOI ». (Ch 14, 1-3.)
TRANQUILLITÉ.
Les Apôtres étaient troublés a la pensée de la mort de leur Maître et du sort qui leur était réservé. Tranquillisez-vous, leur dit Jésus, car si je meurs comme homme, comme Dieu je ne puis mourir ; sachez aussi que je vous préparerai une place dans la maison de mon Père, où se trouvent plusieurs demeures, conformes aux mérites de chacun des élus. 1. Il faut élever, mes frères, notre esprit vers Dieu avec une plus grande attention, afin que nous puissions en quelque manière faire pénétrer jusqu’à nos âmes les paroles du saint Évangile, qui viennent de retentir à nos oreilles. Car le Seigneur Jésus dit : « Que votre cœur, ne soit pas troublé ; croyez en Dieu, croyez aussi en moi » : il voulait par là empêcher ses disciples, qui étaient des hommes, de craindre la mort et de se troubler ; il les console donc en leur faisant connaître qu’il est Dieu. « Croyez », dit-il, « en Dieu ; croyez « aussi en moi ». En effet, si vous croyez en Dieu, vous devez aussi croire en moi : cette conséquence ne serait pas juste si Jésus-Christ n’était pas Dieu. « Croyez en Dieu », croyez aussi en celui pour qui ce n’est pas une usurpation, mais un droit naturel, d’être égal à Dieu. Il s’est anéanti lui-même, il est vrai ; mais tout en prenant la forme d’esclave, il n’a point perdu la forme de Dieu. Vous craignez la mort pour cette forme d’esclave a : « Que votre cœur ne se trouble point » ; la forme de Dieu la ressuscitera. 2. Mais que signifient les paroles suivantes « Dans la maison de mon Père, il y a plusieurs demeures », sinon que les disciples craignaient pour eux-mêmes ? C’est ce qui avait obligé le Seigneur à leur dire : « Que votre cœur ne soit point troublé ». Et en effet, lequel d’entre eux aurait pu ne pas craindre, quand il avait dit à Pierre, le plus hardi et le plus zélé de tous : « Le coq ne chantera pas que tu ne m’aies renié trois fois b ? » Ce n’était donc pas sans fondement qu’ils étaient troublés, puisqu’ils croyaient qu’ils le perdraient pour toujours. Mais quand ils entendent : « Dans la maison de mon Père il y a plusieurs demeures. Si cela n’était pas, je vous l’aurais dit : car je vais vous préparer une place », leur trouble s’apaise ; ils se confient en sa parole et sont assurés qu’après les dangers des tentations ils demeureront chez Dieu avec Jésus-Christ. Bien que l’un soit plus fort que l’autre, l’un plus sage que l’autre, l’un plus juste que l’autre, l’un plus saint que l’autre : « dans la maison du Père il y a plusieurs demeures » ; par conséquent aucun d’eux ne sera rejeté de cette maison où chacun recevra la demeure due à son mérite. Sans doute le denier que le Père de famille fait donner à ceux qui ont travaillé à sa vigne est égal pour tous ; car ce père de famille ne s’inquiète nullement de savoir s’ils ont plus ou moins travaillé c. Ce denier représente la vie éternelle, où personne ne vit plus longtemps qu’un autre, puisque la mesure de la vie étant l’éternité, se trouve être la même pour tous. Mais la diversité des demeures indique, dans une même vie éternelle, la diversité des mérites et des récompenses. Autre est la gloire du soleil, autre est la gloire de la lune ; autre est celle des étoiles ; telle étoile diffère de telle autre par son éclat. Ainsi en sera-t-il de la résurrection des morts. Comme les étoiles dans le ciel, les saints occuperont dans le royaume de Dieu des demeures différentes par le nombre et l’éclat. Mais comme le même denier est donné à tous, aucun ne sera exclu et ainsi Dieu sera tout en tous d. Et comme Dieu est charité e, la charité opérera cet effet, que ce que chacun des saints possédera, tous le posséderont pareillement. En effet, n’est-ce pas posséder soi-même que d’aimer dans les autres ce qu’on n’a pas en réalité ? L’inégalité de la clarté ne fera donc naître aucune jalousie, parce qu’entre tous régnera l’union de la charité. 3. Un cœur chrétien doit donc rejeter bien loin de lui ceux qui de ces paroles : « il y a plusieurs demeures », veulent conclure qu’en dehors du royaume des cieux il y aura un lieu où seront heureux les enfants qui meurent sans baptême, parce que sans le baptême ils ne peuvent entrer dans le royaume des cieux. Cette croyance n’est pas la foi, parce qu’elle n’est pas la foi véritable et catholique. O hommes insensés et aveuglés par vos imaginations charnelles ! vous seriez blâmables si vous sépariez du royaume des cieux la demeure, je ne dis pas de Pierre et de Paul, ou de quelque autre Apôtre, mais du moindre enfant baptisé, et vous penseriez n’être pas coupables si vous séparez la maison de Dieu le Père ? Le Seigneur ne dit pas : dans le monde entier, dans toute la création, ou bien dans la vie et le bonheur éternel il y a plusieurs demeures ; mais il dit : « Dans la maison de mon Père il y a plusieurs demeures ». N’est-ce pas cette maison que Dieu nous a construite lui-même, qui n’a pas été faite de la main des hommes et qui durera éternellement dans le ciel f ? N’est-ce pas cette maison dont nous parlons à Dieu quand nous chantons : « Bienheureux ceux qui habitent dans votre maison ; ils vous loueront dans les siècles des siècles g. ? » Je ne dirai pas que cette maison est celle du moindre de nos frères baptisés ; je dirai qu’elle est la maison même de Dieu le Père, car nous sommes tous frères et nous disons à Dieu : « Notre Père, qui êtes dans le ciel h ». Or, oserez-vous bien la séparer du royaume des cieux ? oserez-vous la partager de telle façon que quelques-unes de ses demeures se trouvent dans le royaume des cieux, et que quelques autres en soient exclues ? Non, oh non ! ceux qui veulent habiter dans le royaume des cieux ne consentiront jamais à habiter avec vous dans cette extravagance. Non, quand la maison tout entière des enfants de Dieu qui doivent régner avec lui, ne se trouve que dans son royaume, nous ne croirons jamais qu’une partie quelconque de la maison du roi lui-même ne se trouve pas dans son royaume. 4. « Et si je m’en vais », dit-il, « et si je vous prépare une place, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, afin que vous soyez où je serai. Vous savez où je vais, et vous en connaissez le chemin ». O Seigneur Jésus, comment allez-vous préparer la place, si déjà il y a plusieurs demeures dans la maison de votre Père, où les vôtres habiteront avec vous ? Et si vous les prenez avec vous, comment pourrez-vous revenir, puisque vous ne vous éloignez pas d’eux ? Mes très-chers frères, comme le discours d’aujourd’hui me paraît déjà assez long, si j’essaie de vous expliquer en peu de mots ces paroles, je me verrai obligé d’abréger ; par cela même elles ne deviendront pas plus claires, et la brièveté y ajoutera une nouvelle obscurité. Renvoyons donc à un autre jour l’accomplissement de ce devoir ; nous nous en acquitterons en temps plus opportun, avec la grâce du commun Père de famille.SOIXANTE-HUITIÈME TRAITÉ.
SUR LA MÊME LEÇON.
LES DEMEURES DE LA MAISON DE DIEU.
Il y a plusieurs demeures dans la maison de Dieu : préparées en droit par la prédestination, elles nous sont préparées de fait par Jésus-Christ, puisque la maison de Dieu est son royaume, que nous sommes nous-mêmes ce royaume, et que, par la grâce du Sauveur, nous nous préparons à en faire partie ; mais nous ne pouvons y parvenir effectivement qu’autant que Jésus-Christ n’est pas visible au milieu de nous, c’est-à-dire, qu’autant que nous vivons de la foi. 1. Je me reconnais votre débiteur, mes très chers frères, et le temps est venu de m’acquitter de ce que je vous ai promis. Je tâcherai donc de vous montrer qu’il n’y a pas contradiction entre les deux paroles de Notre-Seigneur que nous allons citer. Il dit d’abord « Dans la maison de mon Père, il y a plusieurs demeures ; s’il en était ainsi, je vous aurais dit : Je vais vous préparer une place » ; par là, il montre suffisamment qu’il leur a parlé ainsi parce qu’il y a déjà plusieurs demeures, et qu’il n’a pas besoin d’en préparer. Puis il ajoute : « Et quand je m’en serai allé, et que je vous aurai préparé une place, je reviendrai et je vous prendrai auprès de moi, afin que vous soyez où je serai ». Comment s’en va-t-il, et prépare-t-il une place, si déjà il y a plusieurs demeures ? Si cela n’était pas, il aurait dit : « Je vais préparer une place » ; ou bien, si cette place devait être préparée, pourquoi n’aurait-il pas eu raison de dire : Je dois la préparer ? Ces demeures existent-elles déjà, et, malgré cela, ont-elles besoin d’être préparées ? Car, si elles n’existaient point, Jésus aurait dit : « Je vais préparer une place ». Cependant, quoique ces demeures existent déjà, et qu’elles exigent d’être préparées, il ne va pas les préparer telles qu’elles sont. Néanmoins, s’il s’en va et qu’il les prépare comme elles doivent être, il reviendra, il prendra ses disciples auprès de lui et ils seront eux-mêmes où il sera. Ces demeures qui sont dans la maison du Père (pas d’autres, mais celles-là), comment existent-elles, sans être comme elles doivent être préparées, et comment n’existent-elles pas encore comme elles doivent être préparées ? Comment le comprendre, sinon en la même manière que le Prophète ? Ne dit-il pas, en effet, que Dieu a fait les choses qui doivent se faire ? Le Prophète ne dit pas : Dieu fera ce qui doit se faire ; mais : « Il a fait ce qui doit se faire i ». Donc il a fait ces choses, il doit les faire ; car elles ne sont pas faites, s’il ne les a pas faites ; et elles ne seront pas faites, s’il ne les fait pas plus tard. Il les a donc faites par sa prédestination, et il les fera par son opération ; ainsi en est-il des disciples du Sauveur : l’Évangile nous indique suffisamment à quelle époque Notre-Seigneur les choisit ; ce fut évidemment lorsqu’il les appela j; et cependant, dit l’Apôtre, « il nous a choisis avant la création du monde k ». En les prédestinant, mais non en les appelant. « Ceux qu’il a prédestinés, il les a appelés l » ; il les a choisis en les prédestinant avant la création du monde ; il les a choisis en les appelant avant la fin du monde. C’est ainsi qu’il a préparé ces demeures, et qu’il les prépare ; ce ne sont pas d’autres demeures, ce sont celles qu’il a préparées, qu’il prépare ; car il a fait les choses qui doivent se faire, il a préparé ces demeures par sa prédestination, il les prépare par son opération. Elles existent donc déjà comme prédestinées ; autrement, il aurait dit : J’irai et je les préparerai, c’est-à-dire, je les prédestinerai. Mais comme elles n’existent pas encore en tant qu’exécutées, il dit : « Et quand je m’en serai allé, et que je vous aurai préparé une place, de nouveau je viendrai et vous prendrai avec moi ». 2. Mais ces demeures, il les prépare en quelque sorte par cela même qu’il prépare ceux qui doivent les habiter. En effet, quand il dit : « Dans la maison de mon Père il y a plusieurs demeures », quelle idée nous faisons-nous de cette maison de Dieu ? ne la regardons-nous pas comme le temple de Dieu ? Pour savoir ce qu’est ce temple, interrogez l’Apôtre, et il vous répondra : « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple m ». C’est encore le royaume de Dieu que le Fils doit donner au Père. Aussi le même Apôtre dit-il encore : « Jésus-Christ d’abord, comme les prémices ; puis ceux qui appartiennent à Jésus-Christ, et qui ont cru à son avènement : ensuite viendra la fin de toutes choses, lorsqu’il aura remis son royaume à Dieu son Père n » ; c’est-à-dire, quand il aura remis à son Père, pour le contempler, ceux qu’il aura rachetés de son sang. C’est de ce royaume des cieux qu’il est dit : « Le royaume des cieux est semblable à un homme qui sème du bon grain dans son champ. Or, ce bon grain, ce sont les enfants du royaume ». Aujourd’hui l’ivraie se trouve mêlée au bon grain ; mais à la fin le roi lui-même enverra ses anges, « et ils enlèveront de son royaume tous les scandales. Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père o ». Le royaume brillera dans le royaume, lorsque, pour nous qui sommes ce royaume, viendra le royaume que nous demandons maintenant par ces paroles : « Que votre règne arrive p ». Dès cette vie déjà nous sommes appelés le royaume de Dieu ; mais ce royaume ne fait encore que se former ; car si nous ne portions pas ce nom, il ne serait pas dit de nous : « On enlèvera de son royaume tous les scandales ». Mais ce royaume ne règne pas encore ; c’est un royaume, en ce sens que lorsque tous les scandales en auront été enlevés, il possédera la royauté ; de la sorte, il en aura non pas seulement le nom, mais encore la puissance. C’est en effet à ce royaume placé à droite, qu’il sera dit à la fin : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume q » ; c’est-à-dire, vous qui étiez un royaume, et qui ne régniez pas encore, venez et régnez. Ce que vous n’étiez qu’en espérance, soyez-le en réalité. Mais cette maison de Dieu, ce temple de Dieu, ce royaume de Dieu, ce royaume des cieux, est encore en construction ; il se bâtit, il se prépare, on ne fait qu’en rassembler les éléments. En lui seront les demeures, comme les prépare encore le Seigneur ; en lui sont déjà les demeures, telles que le Seigneur les a prédestinées. 3. Mais qu’est-ce que Notre-Seigneur est allé préparer, puisque c’est nous-mêmes qu’il prépare et puisque, d’ailleurs, il ne nous préparerait pas s’il nous quittait ? Je comprends, Seigneur, autant que je le puis, ce que vous nous indiquez par là : pour que ces demeures soient préparées, le juste doit vivre de la foi r. Celui, en effet, qui marche loin du Seigneur, a besoin de vivre de la foi, parce que la foi le prépare à contempler Dieu face à face s. « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu t » ; et : « La foi purifie leurs cœurs u ». Cette première parole se trouve dans l’Évangile, et la seconde, dans les Actes des Apôtres. Or, la foi qui purifie, pendant leur pèlerinage, les cœurs de ceux qui doivent contempler Dieu, cette foi croit ce qu’elle ne voit pas ; dès lors que tu vois, tu n’as plus la foi. Le croyant amasse des mérites ; celui qui voit en reçoit la récompense. Que le Seigneur aille donc nous préparer une place ; qu’il s’en aille, afin que nous ne le voyions pas ; qu’il se cache, afin que nous croyions en lui. Car une place se prépare pour nous quand nous vivons de la foi. Que la foi nous le fasse désirer, et que nos désirs nous mènent à le posséder ; les désirs de la charité sont la préparation de cette demeure. Ainsi, Seigneur, préparez ce que vous préparez : vous nous préparez pour vous et vous vous préparez pour nous ; vous préparez une demeure pour vous dans nous-mêmes, et pour nous, au dedans de vous. Vous nous avez dit, en effet : « Demeurez en moi, et moi en vous v ». Selon que chacun sera entré en participation de vous-même, les uns plus, les autres moins, la diversité des mérites fera la diversité des récompenses : le nombre des demeures se comptera d’après la diversité de ceux qui les habiteront ; mais tous vivront éternellement et tous seront éternellement heureux. Qu’est-ce à dire, que vous vous en allez, et que vous venez ? Si je vous comprends bien, vous ne vous éloignez ni de l’endroit d’où vous partez, ni de celui d’où vous venez ; vous vous en allez quand vous vous cachez ; vous venez quand vous vous montrez. Mais si vous ne restez point pour nous guider afin que nous nous avancions de plus en plus. par une vie sainte, comment se préparera la place où nous pourrons rester toujours et jouir de vous ? En voilà assez sur ce passage de l’Évangile qui nous a été lu et qui va jusqu’à ces paroles de Notre-Seigneur : « Je reviendrai et vous prendrai avec moi » : Pour ce qui suit : « Afin que vous soyez vous-mêmes où je serai, vous savez où je vais et vous en connaissez le chemin », il sera plus opportun de l’expliquer quand nous aurons examiné la question que lui fait immédiatement après un des disciples, et que nous nous serons joints à lui pour interroger le Seigneur.SERMON CXLI. JÉSUS NOTRE VOIE w.
ANALYSE. – Les philosophes ont pu avec les lumières de la raison se faire quelque idée de la grandeur et de la majesté de Dieu. Mais au lieu de prendre le chemin qui les aurait conduits à la possession de ce bien suprême, ils se sont égarés jusqu’à adorer les idoles. Ah ! que nous sommes heureux que la Vérité même se soit faite notre voie dans la personne de Jésus-Christ ! Attachons-nous inséparablement à Lui. 1. Pendant qu’on lisait l’Évangile saint, vous avez entendu, entre autres, ces paroles du Seigneur Jésus : « Je suis la voie et la vérité et la vie. » Quel homme n’aspire à la vérité et à la vie ? Mais chacun n’en découvre pas la voie. Quelques philosophes même profanes ont vu en Dieu une vie éternelle et immuable, intelligible et intelligente, sage et principe de toute sagesse ; en lui aussi ils ont vu une vérité ferme, stable, invariable et comprenant les idées et les formes de toutes les créatures. Malheureusement ils ne l’ont vue que de loin et du sein de l’erreur ; aussi n’ont-ils point découvert la route qui conduit à la possession de ce magnifique, de cet heureux et ineffable héritage. Ce qui prouve en effet qu’ils ont vu réellement, autant du moins que l’homme en est capable, le Créateur à travers la créature, l’ouvrier à travers son ouvrage et dans le monde l’auteur même du monde, c’est le témoignage, irrécusable pour les Chrétiens, de l’Apôtre saint Paul. Il dit donc en parlant d’eux : « La colère de Dieu éclate du haut du ciel contre toute l’impiété. » Vous reconnaissez bien ici le langage de l’Apôtre. « La colère de Dieu éclate du haut du ciel contre toute l’impiété et l’injustice de ces hommes qui retiennent la vérité dans l’iniquité. » L’Apôtre dit-il que ces hommes ne possèdent pas la vérité ? Non, mais ils « la retiennent dans l’iniquité. » Ce qu’ils possèdent est bon, mais ils ont tort de le garder ainsi : « ils retiennent la vérité dans l’iniquité. » 2. On pouvait demander à saint Paul : comment ces impies sont-ils parvenus à la vérité ? Dieu a-t-il adressé la parole à quelqu’un d’entre eux ? Ont-ils reçu de lui la loi, comme le peuple d’Israël par le ministère de Moïse ? Comment alors peuvent-ils retenir la vérité, fût-ce dans l’iniquité même ? – Prêtez l’oreille à ce qui suit, c’est la réponse. « Parce que ce qui est connu de Dieu est manifeste en eux ; Dieu le leur a manifesté. » – Comment ! il le leur a manifesté et il ne leur a pas donné sa loi ? – Voici de quelle manière. « En effet, ses invisibles perfections ; rendues compréhensibles par ses œuvres, sont devenues visibles. » Interroge le monde et la magnificence du ciel, l’éclat et la disposition des astres, le soleil qui suffit pour former le jour, et la lune qui nous ranime pendant la nuit ; interroge cette terre qui produit en abondance et la verdure et les arbres, qui se couvre d’animaux et qu’embellit le genre humain ; interroge la mer, les grands et nombreux poissons qui la remplissent ; interroge l’atmosphère et les oiseaux qui en font la vie ; interroge enfin tous les êtres et dis-moi si tous ne te répondent pas à leur manière C’est Dieu qui nous a faits. De nobles philosophes ont ainsi interrogé l’univers, et cet œuvre leur a fait connaître l’ouvrier. Mais alors, comment dire que la colère de Dieu éclate contre leur impiété ? C’est qu’« ils retiennent la vérité dans l’injustice. » Venez, Apôtre, expliquez-vous. Déjà vous avez montré comment ils sont parvenus à connaître Dieu. « Ses invisibles perfections, dit-il, rendues compréhensibles par ses œuvres, sont devenues visibles, aussi bien que sa puissance éternelle et sa divinité : de sorte qu’ils sont inexcusables. Car après avoir connu Dieu ils ne l’ont point glorifié comme Dieu ni ne lui ont rendu grâces ; mais ils se sont perdus dans leurs pensées et leur cœur insensé s’est obscurci. » C’est toujours l’Apôtre qui parle et non pas moi. « Et leur cœur insensé s’est obscurci. Ainsi en disant qu’ils étaient sages ils sont devenus fous. » L’orgueil leur a fait perdre ce que la curiosité leur avait fait découvrir. « En disant qu’ils étaient sages », en s’attribuant les dons de Dieu, « ils sont devenus fous. » Encore une fois c’est l’Apôtre qui l’assure : « En disant qu’ils étaient sages, ils sont devenus fous. » 3. Montrez maintenant, prouvez qu’ils étaient fous. O Apôtre, vous nous avez fait voir comment ils ont pu parvenir à connaître Dieu, « c’est que rendues compréhensibles par ses œuvres, ses invisibles perfections sont devenues visibles. » Montrez-nous de la même manière comment « en se disant sages ils sont devenus fous. » – Le voici : C’est parce qu’« ils ont changé, répond-il, la gloire du Dieu incorruptible contre une image représentant un homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes et des reptiles x. » Les Païens en effet se sont faits des dieux des figures de ces animaux. Quoi ! tu connais Dieu et tu adores une idole ! Tu connais la vérité et tu la retiens dans l’injustice ! Ce que te révèle l’œuvre de Dieu, tu le sacrifies à l’œuvre d’un homme ! Tu as tout examiné, tu as saisi l’harmonie du ciel et de la terre, de la mer et de tous les éléments ; et tu ne veux pas remarquer que comme le monde est l’ouvrage de Dieu, cette idole est simplement l’ouvrage d’un homme. Si cet homme pouvait donner un cœur à son idole comme il lui a donné une physionomie, cette idole adorerait son auteur. N’est-il par vrai, mon ami, que cette idole est l’œuvre d’un homme, de même que tu es l’œuvre de Dieu ? Qu’est-ce en effet ton Dieu ? Celui qui t’a formé. Et le Dieu de l’ouvrier en idoles ? Celui également qui l’a formé. Le dieu de l’idole n’est-il donc pas aussi l’auteur de l’idole, et ne s’ensuit-il pas que si cette idole avait un cœur, elle adorerait aussi l’ouvrier qui l’a formée ? C’est ainsi que ces philosophes ont retenu la vérité dans l’iniquité et qu’après l’avoir vue, ils n’ont point trouvé le chemin qui conduit à elle. 4. Mais le Christ est dans le sein de son Père la vérité et la vie, il est le Verbe de Dieu et c’est de lui qu’il est écrit : « La vie, était la lumière des hommes y ; » il est donc dans le sein de son Père la vérité et la vie, et comme nous n’avions pas le moyen de nous réunir à cette vérité, lui, le Fils de Dieu, qui est éternellement avec son Père la vérité et la vie, s’est fait homme pour devenir notre voie. Suis cette voie de son humanité, et tu arrives à la divinité. C’est lui qui te conduit à lui-même, et pour y parvenir ne cherche personne que lui. Hélas ! nous serions toujours égarés, s’il n’avait daigné se faire notre voie ; il est réellement devenu la voie où tu dois marcher. Je ne te dirai donc pas : Cherche la voie. Cette voie s’est présentée elle-même devant toi ; en avant, marche ! Ce sont les mœurs qui doivent marcher en toi en non les pieds ; car il en est beaucoup dont les pieds vont bien, tandis que leur conduite va mal, et tout en courant bien ils se précipitent hors de la voie. Tu rencontreras effectivement des hommes dont la conduite est régulière, mais qui ne sont pas chrétiens : ils courent bien, mais hélas ! hors de la voie, et plus ils courent, plus ils s’égarent, puisqu’ils s’éloignent de leur chemin. Ah ! si ces hommes entraient dans la voie, s’ils s’y tenaient, quelle sûreté pour eux, puisqu’ils courraient sans s’égarer ! Combien au contraire ils sont à plaindre de tant marcher sans être dans la voie ! Mieux vaut y marcher en boitant, que de n’y être pas en marchant d’un pas ferme. Que votre charité veuille se contenter de ceci. Tournons-nous, etc ▼▼Voir. Serm. I
. SERMON CXLII. NÉCESSITÉ DE LA GRACE aa.
ANALYSE. – Jésus-Christ est la voie sûre que nous devons suivre. Or Jésus-Christ est humble et nous devons nous attacher à l’imiter dans son humilité. 1° En effet, l’amour-propre nous ayant détachés de Dieu pour nous répandre dans les créatures, il faut pour revenir à Dieu, que nous rougissions de nos égarements, il faudrait même que nous pussions nous oublier pour nous rattacher intimement à lui. L’orgueil est une enflure énorme qui nous empêche d’entrer au ciel par Celui qui en est la porte, par Jésus-Christ 2° Ce que Jésus-Christ demande principalement de nous, c’est que nous reproduisions les exemples d’humilité qu’il a donnés au monde. 3° Enfin, la charité est incompatible avec l’orgueil. Or la charité est indispensable, puisque sans elle rien ne profite et que la perfection de la charité est la perfection du chrétien. Donc à ce titre encore nécessité de l’humilité. 1. Pour nous préserver de l’abattement du désespoir les divines Écritures nous raniment, et d’autre part elles nous effraient pour que nous ne nous laissions pas emporter par l’orgueil. Mais il nous serait fort difficile de tenir le juste milieu, de marcher entre le désespoir à notre gauche et la présomption à notre droite, si le Christ ne disait : « Je suis la voie. » Où veux-tu aller, semble-t-il dire ? « Je suis la voie. » Où veux-tu parvenir ? « Je suis la vérité. » Où veux-tu demeurer ? « Je suis la vie. » Ainsi donc marchons avec sécurité dans cette, voie ; mais craignons les dangers qui l’avoisinent. L’ennemi n’ose nous attaquer lorsque nous y marchons, attendu que nous sommes alors unis au Christ ; mais à côté de la voie il ne cesse de tendre des pièges ; c’est pourquoi nous lisons dans un Psaume : « Près du chemin ils m’ont dressé des embûches ab ; » et dans un autre livre de l’Écriture : « Souviens-toi que tu marches au milieu des filets ac. » Ces filets au milieu desquels nous marchons ne sont pas dans le chemin, mais auprès. Que crains-tu donc, que redoutes-tu si tu es dans la voie ? Mais tremble, si tu la quittes. S’il est permis à l’ennemi de l’environner de pièges, c’est pour modérer la sécurité d’une joie trop vive qui te porterait à la déserter et à tomber dans le précipice. 2. Mais quelle humilité dans cette voie ! Quelle humilité dans le Christ qui est en même temps la vérité et la vie, le Très-Haut et Dieu même ! Si tu marches dans l’humilité du Christ, tu parviendras jusqu’à sa grandeur ; si ta faiblesse ne dédaigne pas ses humiliations, devenu fort tu demeureras au sein de sa gloire. Eh ! pourquoi s’est-il abaissé, sinon pour te guérir ? Tu étais effectivement sous le poids d’une maladie irrémédiable et c’est pour t’en délivrer qu’est venu jusqu’à toi ce céleste médecin. Ton mal aurait pu sembler tolérable s’il t’eût permis d’aller jusqu’à lui ; mais comme il t’en rendait incapable, c’est Lui qui est venu jusqu’à toi. Or il est venu nous enseigner l’humilité nécessaire à notre guérison ; car l’orgueil nous empêchait de recouvrer la vie comme déjà il nous l’avait fait perdre. En effet le cœur de l’homme s’est élevé contre Dieu, et foulant aux pieds les préceptes salutaires qu’il avait reçus dans l’état de santé, l’âme est tombée malade. Que la maladie lui apprenne donc à écouter Celui qu’elle a dédaigné dans sa vigueur. Qu’elle l’écoute pour se relever, puisqu’elle est tombée en ne l’écoutant pas. Que son expérience lui persuade enfin ce qu’elle a refusé de croire à la voix du commandement. Sa misère, hélas ! ne lui a-t-elle pas appris combien il est malheureux de se prostituer loin du Seigneur ? N’est-ce pas se prostituer en effet que de se détacher du Bien suprême et unique pour se jeter éperdument au milieu des voluptés, dans l’amour du siècle et la corruption de la terre ? Aussi bien, lorsque le Seigneur rappelle à lui cette âme égarée, il la considère comme souillée de prostitutions ; on lit très souvent dans les prophètes les reproches qu’il lui adresse à ce titre. Toutefois il ne veut pas qu’elle désespère ; car tout en la reprenant de ses désordres, il tient en main de quoi l’en purifier. 3. Son but en effet n’est pas alors de l’irriter, il veut seulement la couvrir d’une confusion qui soit salutaire. Voyez dans l’Écriture quelle vivacité d’objurgations ! Certes, elle ne flatte pas les coupables, mais elle veut les réhabiliter et les guérir. « Adultères, s’écrie-t-elle, ignorez-vous que l’ami de ce monde se fait l’ennemi de Dieu ad ? » L’amour du monde rend l’âme adultère, comme l’amour de l’auteur du monde la rend chaste ; mais si elle ne rougit de son ignominie, elle n’a même pas le désir de retourner à ces chastes embrassements. Que la confusion la prépare donc au retour, autant que l’en détournait son orgueil, car c’est bien l’orgueil qui l’en détournait. Aussi, loin d’être coupables, les reproches qui lui sont adressés lui montrent combien elle l’est, on lui met devant les yeux ce qu’elle rejetait derrière le dos. Ah ! considère-toi en toi-même. « Tu vois une paille dans l’œil de ton frère, et dans le tien tu ne vois pas une poutre ae ! » Les reproches donc rappellent l’âme en elle-même, car elle en était sortie, et autant elle se quittait, autant elle quittait Dieu même. Cette âme en effet s’était regardée, s’était plu, et enflammée d’amour pour son indépendance, elle s’est éloignée de Dieu, mais sans rester en elle-même ; car elle en est repoussée, bannie et se jette à l’extérieur, aimant le monde, aimant les choses temporelles, aimant les choses terrestres : et pourtant si elle se contentait de s’aimer elle-même au mépris de son Créateur, elle s’amoindrirait déjà, elle s’épuiserait par cet amour si rabaissé. N’est-elle pas inférieure en effet et d’autant plus inférieure à Dieu que l’œuvre est au-dessous de l’ouvrier ? Elle devait donc aimer Dieu et nous devons l’aimer jusqu’à nous oublier nous-mêmes, s’il est possible. Comment alors se doit faire la conversion ? L’âme s’était perdue de vue, mais pour aimer le monde ; qu’elle se perde de vue encore, mais pour aimer son Auteur. Sortie d’elle-même elle s’est comme oubliée, ne se rendant point compte de ses actes et justifiant ses crimes ; s’emportant et s’enorgueillissant au milieu de la colère, des voluptés, recherchant les honneurs, la puissance les richesses et la vanité du pouvoir. Mais qu’on la reprenne, qu’on la corrige, qu’on la montre elle-même à elle-même ; elle se déplaît alors, avoue sa laideur, désire recouvrer sa beauté perdue ; et autant la dissipation l’éloignait de Dieu, autant a confusion l’y ramène. 4. Est-ce contre elle ou pour elle que semble s’élever cette prière : « Couvrez-leur la face d’ignominie ? » On croirait voir ici un adversaire, un ennemi. Mais écoute ce qui suit et dis si ce n’est pas plutôt un ami. « Couvrez-leur la face d’ignominie, et ils rechercheront votre nom, Seigneur af. » N’était-ce pas les haïr, d’appeler sur eux la confusion ? Mais aussi n’est-ce pas les aimer, de vouloir qu’ils recherchent le nom du Seigneur ? Qu’y a-t-il donc ici ? Est-ce l’amour ? Est-ce la haine ? N’y a-t-il pas l’un et l’autre ? Oui, il y a en même temps haine et amour : haine contre ce qui vient de toi et amour pour toi. Qu’est-ce à dire : haine contre ce qui vient de toi et amour pour toi ? C’est-à-dire qu’il y a haine contre tes œuvres et amour pour l’œuvre de Dieu. Mais qu’elles sont tes œuvres, sinon tes péchés ? Et quelle est l’œuvre de Dieu, sinon toi-même, formé par lui à son image et à sa ressemblance : Tu dédaignes, hélas ! cette œuvre et tu te prends d’affection pour les tiennes. Tu aimes hors de toi ce que tu as fait et tu négliges en toi l’œuvre de Dieu. Ainsi tu mérites de t’égarer, de tomber, de courir loin de toi et de t’entendre appeler un « esprit qui s’en va et qui ne revient point ag. » Ah ! tourne plutôt la vue vers Celui qui t’appelle et qui te crie : « Revenez à moi et je reviendrai à vous ah. » Car Dieu ne se détourne point quand on le regarde, il demeure, il est immuable, pour reprendre et pour corriger. S’il est loin de toi, c’est que tu t’es éloigné de lui ; c’est toi qui t’es séparé, ce n’est pas Lui qui s’est éclipsé ▼▼Voir traité 2e sur Saint Jean, n° 8.
. Ainsi donc prête l’oreille à sa voix : « Revenez à moi et je reviendrai à vous. » En d’autres termes : Quand je reviens à vous, c’est vous qui revenez à moi. Le Seigneur effectivement poursuit les fuyards et s’ils se retournent vers lui ils se trouvent éclairés. Où fuiras-tu, malheureux, en fuyant loin de Dieu ? Où fuiras-tu, en t’éloignant de Celui qui n’est enfermé dans aucun lieu et qui n’est absent nulle part ? En s’attachant à lui on trouve la liberté et le châtiment en s’en détachant. Pour qui s’éloigne il est juge et père pour qui revient. 5. L’orgueil avait produit une enflure énorme et cette enflure ne permettait point au pécheur de revenir, car il lui fallait passer par un lieu fort étroit. Aussi j’entends Celui qui s’est fait notre voie s’écrier : « Entrez par la porte étroite aj. » On fait effort pour pénétrer, mais l’enflure empêche, et les efforts sont d’autant plus dangereux que l’enflure résiste davantage. Cette enflure en effet se trouve blessée pas l’étroitesse même du passage qu’elle veut franchir ; ainsi blessée elle augmente, et augmentant toujours comment entrera-t-elle ? Qu’elle décroisse donc. Mais par quel moyen ? Qu’elle prenne l’humilité comme remède ; qu’elle en boive le breuvage, il est amer, mais salutaire ; oui qu’elle épuise la coupe de l’humilité. Qui l’empêche de pénétrer ? Son volume même. Or l’enflure n’est pas de la grandeur, car la grandeur implique la solidité, ce que ne fait pas l’enflure. Que l’homme orgueilleux ne se croie donc pas grand ; qu’il désenfle pour le devenir, pour être en même temps solide et ferme. Ah ! qu’il ne se désire point ces biens temporels ; qu’il ne se glorifie point de l’éclat de ces choses passagères et corruptibles ; qu’il prête l’oreille à Celui qui a dit : « Entrez par la porte étroite », et encore : « Je suis la voie. » En effet, comme si le Seigneur supposait que l’orgueilleux lui demande : Quelle est cette porte étroite par laquelle j’entrerai, il ajoute : « Je suis la voie », entre par moi, et pour entrer parla porte, tu ne saurais suivre que moi. Car si j’ai dit : « Je suis la voie », j’ai dit aussi. « Je suis la porte ak. » Pourquoi chercher par où passer, où revenir, par où entrer ? Ne va pas ici et là, tu trouves tout en Celui qui pour toi s’est fait tout, et il dit tout dans ces deux mots : Sois humble, sois doux. Ces paroles sont claires, écoutons-les et sache ainsi où est la voie, ce quelle est et où elle mène. Où veux-tu aller ? Ton avarice te porterait-elle à vouloir tout posséder ? « Tout, dit le Sauveur, m’a été donné par mon Père al. » Diras-tu que si tout a été donné au Christ, ce n’est pas à toi ? Écoute l’Apôtre ; écoute-le pour ne te laisser pas abattre par le désespoir, ainsi que je l’ai dit déjà ; apprends de lui combien tu as été aimé quand tu étais tout couvert de laideur et d’ignominie, quand enfin tu ne méritais aucune affection, car c’est pour t’en rendre digne qu’il t’en a été accordé. « Le Christ, dit donc l’Apôtre, est mort pour les impies am. » Quel amour méritait l’impie ? Ou plutôt que méritait-il ? — D’être damné réponds-tu. – « Le Christ » cependant « est mort pour des impies. » Voile ce qu’il a fait pour toi dans ton impiété, que ne te réserve-t-il donc pas, si tu deviens pieux ? Qu’as-tu reçu dans ton impiété ? « Le Christ est mort pour des impies. » Mais tu aspirais à tout avoir ; eh bien ! n’y travaille point par avarice, travailles-y par piété, travailles-y par humilité. Ainsi tu parviendras à posséder Celui qui a fait tout, et tu posséderas tout en le possédant. 6. Ce n’est pas sur le raisonnement que nous appuyons cette doctrine ; écoute l’Apôtre dire lui-même : « S’il n’a pas épargné son propre Fils, s’il l’a livré pour nous tous, comment ne nous aurait-il pas donné tout avec lui an ? » C’est ainsi, ô avare, que tu es maître (le tout. Afin donc de n’être pas éloigné du Christ, méprise tout ce que tu aimes et attache-toi à Celui dont la puissance t’assure la jouissance de tout. Aussi qu’a fait ce Médecin généreux ? Pour exciter le courage de son malade et sans avoir besoin pour lui-même d’un semblable remède, il a bu la coupe qui ne devait lui faire aucun bien ; il l’a bue le premier, comme pour vaincre nos résistances et dissiper nos frayeurs, « C’est, dit-il, le calice que je dois boire ao. » Ce breuvage n’a rien à guérir en moi, je le prendrai pourtant, afin de t’animer à le prendre, car tu en as besoin. Je vous le demande, mes frères, l’humanité devait-elle être malade encore quand on lui a donné un tel remède ? Dieu est humble, et l’homme encore orgueilleux ! Ah ! qu’il écoute, qu’il entende enfin. « Tout, dit le Sauveur, m’a été donné par mon Père. » Si tu veux avoir tout, en moi tu le trouveras. Veux-tu le Père ? Tu l’auras par moi et en moi. Nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils. » Point de découragement, viens au Fils, car il ajoute : « Et celui à qui le Fils aura voulu le révéler. » Tu lui disais : Je ne pourrai donc y parvenir ; vous m’invitez à passer par un chemin trop étroit, je ne saurais entrer par là. « Venez à moi, répond-il, vous tous qui avez de la peine et qui êtes chargés ; » chargés du poids de votre orgueil ; « Venez à moi, vous tous qui avez de la peine et qui êtes chargés, et je vous soulagerai. Prenez sur vous mon joug et apprenez de moi. » 7. Ainsi crie le Maître des Anges, le Verbe de Dieu, qui nourrit sans s’épuiser toutes les intelligences, et que l’on mange sans le consumer ; il crie donc : « Apprenez de moi. » Peuple, écoute-le quand il dit : « Apprenez de moi ; » réponds : Que devons-nous apprendre de vous ? Que ne va pas nous enseigner effectivement ce grand Maître quand il crie : « Apprenez de moi ! » Quel est en effet Celui qui dit : « Apprenez de moi ? » C’est Celui qui a formé la terre, qui a séparé la mer et l’aride, qui a créé les oiseaux, qui a créé les animaux terrestres et tous les poissons, qui a placé les astres dans le ciel, qui a distingué le jour de fa nuit, qui a affermi le firmament même et séparé la lumière des ténèbres ; c’est Celui-là qui dit : « Apprenez de moi. » Eh ! veut-il que nous formions ces merveilles avec lui ? Qui de nous le pourrait ? Dieu seul en est capable. Ne crains pas, dit-il, je ne demande rien qui soit au-dessus de tes forces. Apprends seulement de moi ce que je suis devenu pour toi.« Apprenez de moi », non pas à créer, puisque c’est moi qui ai créé ; ni même à faire ce qu’il m’a plu d’accorder à quelques-uns seulement le pouvoir de faire, comme de ressusciter les morts, d’éclairer les aveugles et d’ouvrir l’oreille aux sourds ; ceci n’est pas pour vous fort important à savoir et je ne demande pas que vous cherchiez à l’apprendre de moi. – Les disciples en effet étant revenus un jour plein de joie et d’allégresse, et s’étant écriés : « Voilà qu’en votre nom des démons même nous sont soumis ; » le Seigneur répliqua : « Ne vous réjouissez point de ce que les démons vous sont soumis ; réjouissez-vous plutôt de ce que vos noms sont écrits dans le ciel ap. » Dieu donc a donné à qui il a voulu le pouvoir de chasser les démons, et le pouvoir de ressusciter les morts à qui il a voulu. Même avant l’incarnation on voyait ces sortes de miracles ; des morts étaient alors ressuscités et des lépreux guéris, l’histoire en fait foi aq. Or quel autre opérait ces prodiges, sinon ce même Christ qui s’est incarné après David et qui était Dieu avant Abraham ? C’est lui qui donnait alors ce pouvoir, qui faisait ces miracles par le moyen des hommes ; mais à tous il n’accordait pas cette puissance. Ceux qui ne l’ont pas reçue doivent-ils se décourager et dire qu’ils lui sont étrangers puisqu’ils n’ont pas mérité de lui cette faveur ? Il y a dans un même corps plusieurs membres et chacun d’eux peut faire ce que ne saurait un autre. Le Créateur, en formant ce corps ; n’a donné ni à l’oreille de voir, ni à l’œil d’entendre, ni au front de flairer, ni à la main de goûter, non ; mais il a donné à tous les membres la santé, l’harmonie entre eux et l’union ; il les a tous animés et unis par un même souffle. C’est ainsi que parmi les hommes il n’a pas donné aux uns de ressusciter les morts ni à d’autres le pouvoir d’enseigner ; à tous cependant il a donné quelque chose. Quoi ? « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur ar. » Ainsi nous l’avons entendu nous dire : « Je suis doux et humble de cœur. » Eh bien ! mes frères, tout le remède qui nous guérira consiste à apprendre de lui qu’il est « doux et humble de cœur. » Que sert de faire des miracles et d’être orgueilleux, de n’être ni doux ni humble de cœur N’est-ce pas se mettre au nombre de ces malheureux qui viendront, à la fin des siècles, lui dire : « N’avons-nous pas prophétisé en votre nom et en votre nom fait beaucoup de merveilles ? » Que leur sera-t-il répondu ? « Je ne vous connais pas. Éloignez-vous de moi, vous tous artisans d’iniquité as. » 8. Que nous importe-t-il donc d’apprendre ? « Que je suis doux, reprend le Sauveur, et humble de cœur. » Ainsi nous inspire-t-il la charité, mais la charité la plus sincère, une charité qui ne rougit pas, qui ne s’enfle pas, qui ne s’enorgueillit pas, qui ne trompe pas, et cette inspiration est contenue dans ces paroles : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. » Comment pourrait avoir cette charité pure un homme orgueilleux et hautain ? Il ne peut se défendre de l’envie. Un envieux aime-t-il réellement, et nous trompons-nous en disant le contraire ? Que personne ne s’avise jamais de supposer la charité à un cœur envieux. Aussi que dit l’Apôtre ? « La charité n’est point envieuse. » Pourquoi ? « Elle ne s’enfle point at ;» c’est le motif pour lequel saint Paul éloigne l’envie du caractère de la charité ; c’est dire : Elle n’est point envieuse, parce qu’elle ne s’enfle point. Il a dit d’abord « La charité n’est point envieuse ; » et comme si on lui en demandait la raison, il ajoute : C’est qu’elle « ne s’enfle point. » Si donc l’envie naît de l’orgueil ; quand il n’y a pas d’orgueil, il n’y a pas d’envie non plus. Mais si la charité n’est ni orgueilleuse, ni envieuse ; c’est enseigner la charité que de dire : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. » 9. Que chacun maintenant possède ce qui lui plaît et se vante comme il veut ; « quand même je parlerais les langues des hommes et des Anges, si je n’ai pas la charité, je suis comme un airain sonore ou une cymbale retentissante. » Qu’y a-t-il de plus beau que de pouvoir parler tant de langues ? On n’est pourtant alors, sans la charité, qu’un airain ou une cymbale faisant du bruit. Voici d’autres dons : « Quand je connaîtrais tous les mystères. » Qu’y a-t-il de plus élevé, ode plus magnifique ? Écoute encore : « Quand j’aurais tous les dons prophétiques et toute la foi, jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai point la charité, je ne suis rien. » Voici quelque chose de plus grand encore mes frères. Qu’est-ce ? « Quand je distribuerais tous mes biens aux pauvres. » Se peut-il rien de plus parfait ? N’est-ce pas le moyen de perfection prescrit par le Seigneur à ce riche auquel il dit : « Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes et le donne aux pauvres ? » Mais est-on parfait pour avoir tout vendu et tout donné aux pauvres ? Non, car le Sauveur ajoute : « Viens ensuite et suis-moi. » – Pourquoi vous suivre ? J’ai tout vendu, distribué tout aux pauvres ; ne suis-je donc point parfait ? Qu’ai-je besoin de vous suivre ? – Suis-moi pour apprendre que « je suis doux et humble de cœur. » – Mais peut-on vendre tout et tout donner aux pauvres sans être encore doux et humble de cœur ? – On le peut assurément. – Si pourtant j’ai tout distribué aux pauvres ? – Écoute encore. Car il en est qui après avoir tout abandonné et s’être mis à la suite du Seigneur, sans toutefois l’avoir suivi parfaitement, puisque le suivre parfaitement c’est l’imiter, n’ont pu supporter l’épreuve de la souffrance. Voyez Pierre : il était, mes frères, du nombre de ceux qui avaient tout abandonné et s’étaient mis à la suite du Seigneur. Car en voyant le jeune homme riche s’éloigner avec tristesse, et après avoir demandé avec émotion au Seigneur, qui les consola, quel était donc celui qui pourrait être parfait, ils ne craignirent pas de lui dire « Voici que nous avons tout laissé pour vous suivre ; quelle récompense devons-nous donc attendre au ? » Et le. Seigneur leur fit connaître ce qu’il leur donnerait, ce qu’il leur réservait pour l’avenir. Pierre donc était dès lors du nombre de ceux qui avaient fait ces sacrifices. Et toutefois, quand fut arrivé le moment de la passion, il renia jusqu’à trois fois, à la voix d’une servante, Celui avec lequel il avait promis de mourir. 10. Que votre charité remarque donc bien ces paroles : « Va, vends tout ce que tu as donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; « viens ensuite et me suis. » Pierre est devenu parfait ; mais il s’est mûri quand le Seigneur était déjà assis à la droite de son Père. Il ne l’était point, lorsqu’il suivait le Seigneur marchant vers sa passion ; et il l’est devenu quand il n’avait plus personne à suivre sur la terre. Que dis-je ? Tu as toujours devant toi quelqu’un à suivre. Le Seigneur en te donnant l’Évangile t’a donné un modèle, il y est lui-même avec toi, et il n’a point trompé lorsqu’il a dit : « Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation du siècle av. » Ainsi donc suis le Seigneur. Qu’est-ce à dire ? Imite-le. Qu’est-ce à dire encore ? « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. » En effet, « quand je distribuerais tous mes biens aux pauvres, et que je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien aw. » C’est donc à la charité que j’excite votre charité, et je ne le ferais pas si vous n’en aviez déjà quelque peu. Je vous invite ainsi à poursuivre ce que vous avez entrepris, à perfectionner ce que vous avez commencé. Je vous prie aussi d’intercéder pour moi afin qu’en moi également se consomme la vertu que je vous enseigne. Tous en effet nous sommes imparfaits, et là seulement où tout est parfait nous atteindrons la perfection. « Mes frères, dit l’Apôtre Paul, je ne crois pas être arrivé. » Il s’explique : « Non que déjà j’aie atteint jusque-là ou que je sois déjà parfait ax. » Quel homme oserait donc se vanter de l’être ? Ah ! plutôt, pour mériter d’être parfaits, confessons que nous sommes imparfaits.
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