‏ John 16:8-9

QUATRE-VINGT-TREIZIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CES LES DE NOTRE-SEIGNEUR : « JE VOUS AI DIT CES CHOSES, AFIN QUE VOUS NE SOYEZ POINT SCANDALISÉS », JUSQU’À CES AUTRES : « MAIS JE VOUS AI DIT CES CHOSES, AFIN QUE, QUAND LEUR HEURE SERA VENUE, VOUS VOUS SOUVENIEZ QUE JE VOUS LES AI DITES ». (Chap 16,1-4.)

PRÉDICTION DE MALHEURS.

Jésus-Christ ne voulait pas voir ses Apôtres exposés, sans préparation, aux épreuves qui les attendaient : aussi, pour les préserver de tout scandale, il leur annonce qu’on les chassera des synagogues, qu’on ira jusqu’à les faire mourir : tant seront grands les succès de leur ministère ! et que quiconque les tuera croira encore travailler à la gloire de Dieu.

1. Dans ce qui précède ce chapitre de notre Évangile, le Seigneur voulait confirmer ses disciples dans la disposition de supporter la haine de leurs ennemis. Il les y préparait en leur proposant son exemple : en l’imitant ils devaient devenir plus forts ; il y ajoutait la promesse du Saint-Esprit qui devait venir et rendre témoignage de lui ; enfin il leur annonçait qu’ils lui rendraient eux-mêmes témoignage sous l’influence du Saint-Esprit. Voici ce qu’il dit : « Il rendra témoignage de moi, et vous aussi vous en rendrez témoignage ». Assurément, c’est parce que le Saint-Esprit rendra témoignage, que vous rendrez témoignage vous-mêmes. Il rendra témoignage dans vos cœurs, et vous, ce sera par vos paroles. Il vous inspirera, et vous, vous parlerez afin que puisse s’accomplir ce qui est dit : « Leur voix s’est répandue par « toute la terre a ». C’eût été peu de les encourager par son exemple, s’il ne les eût encore remplis de son esprit. L’Apôtre avait entendu ces paroles de Notre-Seigneur : « Le serviteur n’est pas plus grand que son maître ; s’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi b ». Et il en voyait déjà l’accomplissement, et si l’exemple avait pu suffire pour cela, il aurait dû imiter la patience de son Maître ; mais il succomba et lerenia, car il ne pouvait souffrir ce qu’il lui voyait souffrir lui-même. Mais quand il eut reçu le don du Saint-Esprit, il annonça celui qu’il avait renié, et Celui qu’il avait craint de reconnaître pour son Maître, il ne craignit pas de le proclamer tel. D’abord l’exemple du Christ l’avait instruit en lui montrant ce qu’il devait faire ; pourtant il n’avait pas encore reçu cette vertu qui devait le fortifier et lui faire exécuter ce qu’il savait ; il avait appris ce qu’il fallait pour rester debout, mais il n’avait pas encore été assez affermi pour ne pas tomber. Comme dans la suite il fut affermi par le Saint-Esprit, il prêcha jusqu’à la mort Celui qu’il avait renié par crainte de la mort. C’est pourquoi le Seigneur commence le chapitre dont j’ai maintenant à vous parler, par les paroles suivantes : « Je vous ai dit ces choses afin que vous ne soyez pas scandalisés ». Nous chantons en effet dans le psaume : « Paix profonde à ceux qui aiment votre loi ; rien n’ébranlera leur fidélité c ». C’est donc avec raison qu’après avoir promis à ses Apôtres le Saint-Esprit qui leur ferait rendre témoignage de lui, Jésus ajoute : « Je vous ai dit ces choses afin que vous ne soyez point scandalisés ». Quand la charité est répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné d, il se fait une grande paix, car alors nous aimons la loi de Dieu, et pour de telles gens il n’y a point de scandale possible.

2. Il leur annonce ensuite ce qu’ils doivent souffrir, et il leur dit : « Ils vous mettront hors des synagogues ». Quel malheur pour les Apôtres d’être chassés des synagogues juives, puisqu’ils s’en seraient eux-mêmes séparés, quand même personne ne les en eût chassés ? Le Seigneur voulait par là leur annoncer que les Juifs ne recevraient pas Jésus-Christ, dont ils ne devaient pas eux-mêmes se séparer ; ils devaient donc s’attendre à être chassés avec lui par ceux qui ne voulaient pas rester en lui, quoiqu’ils ne pussent rester sans lui. Comme il n’y avait point d’autre peuple de Dieu que cette postérité d’Abraham, s’ils avaient reconnu et reçu Jésus-Christ, ils auraient été entés sur lui comme des branches naturelles sont entées sur l’olivier franc e, et nous n’aurions pas vu, d’un côté les Églises du Christ, et de l’autre les synagogues des Juifs ; elles eussent été confondues ensemble, si elles avaient voulu se réunir en lui. Mais puisqu’elles ne l’ont pas voulu, que restait-il à attendre ? C’est que ceux qui demeuraient séparés de Jésus-Christ mettraient hors des synagogues ceux qui ne voulaient pas l’abandonner. Après avoir reçu le Saint-Esprit, les Apôtres rendirent donc témoignage à Jésus-Christ, et ainsi furent-ils bien éloignés de ressembler à ceux dont il est dit : « Plusieurs princes des Juifs crurent en lui ; mais par crainte des Juifs, ils n’osaient pas le confesser, de peur d’être chassés des synagogues ; « car ils aimèrent la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu f ». Ils crurent donc en lui, mais non pas comme l’entend Celui qui a dit : « Comment pouvez-vous croire, vous qui cherchez la gloire les uns des autres, et ne cherchez pas la gloire qui vient de Dieu seul g ? » Les disciples crurent donc en lui, remplis de l’Esprit-Saint, c’est-à-dire du don de la grâce de Dieu ; ils ne furent ni du nombre de ceux a qui, ignorant la justice a de Dieu, et voulant établir leur propre justice, ne sont pas soumis à celle de Dieu h » ; ni du nombre de ceux dont il est dit : « Ils « ont mieux aimé la gloire des hommes que « celle de Dieu ». C’est à eux que s’applique cette prophétie, puisqu’en eux elle se trouve accomplie : « Seigneur, ils marcheront dans la lumière de votre visage ; ils se réjouiront tout le jour en votre nom et ils seront a élevés dans votre justice, parce que c’est vous qui êtes la gloire de leur vertu i ». C’est donc avec raison qu’il leur dit : « Ils vous mettront hors des synagogues, ceux qui ont dit zèle pour Dieu, mais dont le zèle n’est pas selon la science » ; c’est pourquoi, « ignorant la justice de Dieu et voulant établir leur propre justice j, ils chassent ceux qui s’enorgueillissent non de leur propre justice, mais de la justice de Dieu et qui, chassés par les hommes, n’en rougissent nullement, parce que c’est Dieu lui-même qui est la gloire de leur vertu.

3. Enfin, ayant ainsi parlé, Jésus ajoute « Mais l’heure vient où quiconque vous fera mourir croira être agréable à Dieu : et ils vous feront ces choses, parce qu’ils n’ont connu ni mon Père, ni moi » ; c’est-à-dire, ils n’ont connu ni Dieu, ni son Fils, auquel ils croient se rendre agréables en vous mettant à mort. Le Seigneur ajoute ceci, pour consoler ses disciples de ce que les Juifs les chasseront de leurs synagogues. D’avance il leur annonce les maux qu’ils souffriront pour lui rendre témoignage : « Ils vous mettront hors des synagogues ». Et il ne dit pas : Et l’heure vient où quiconque vous tue croira obéir à Dieu ; que dit-il donc ? « Mais l’heure vient » : comme si par ces paroles il voulait leur annoncer une compensation à tous ces maux. Que signifient donc ces mots : « Ils vous mettront hors des synagogues ; mais l’heure vient ? » C’est comme s’il voulait leur dire : Ils vous disperseront, mais je vous réunirai ; ou bien : Ils vous disperseront, mais voici venir l’heure de votre joie. Et cependant, que veut dire cette parole : « Mais a l’heure vient n, qui semble leur promettre des consolations à la suite de leurs tribulations ? Ne semble-t-il pas qu’il eût dû employer cette expression démonstrative : Et l’heure vient ? Pourtant il ne dit pas : Et l’heure vient, quoiqu’en réalité il leur annonce tribulations sur tribulations, au lieu de leur prédire une consolation à titre de récompense pour leurs peines. Cette expulsion hors des synagogues devait-elle les troubler au point d’aimer mieux mourir que de vivre séparés de l’assemblée des Juifs ? Ah 1 qu’ils étaient loin de se laisser ainsi troubler, puisqu’ils recherchaient la gloire de Dieu, et non celle des hommes ! Que signifient donc ces mots : « Ils vous mettront hors des synagogues ; mais l’heure vient » ; quand il semble que Jésus aurait dû dire plutôt : Et l’heure vient, « où quiconque vous tuera croira rendre hommage à Dieu ? » Il ne dit pas non plus : Mais l’heure vient où ils vous tueront ; comme pour leur annoncer que la mort les consolerait de cette séparation, il dit : « Mais l’heure vient où quiconque vous fera mourir croira rendre hommage à Dieu ». Notre-Seigneur n’a pas voulu leur marquer et leur faire entendre autre chose que la joie qu’ils ressentiraient après avoir été chassés des assemblées des Juifs. Vous gagnerez tant de fidèles à Jésus-Christ, veut-il leur dire, qu’il ne leur suffira plus de vous chasser, il leur faudra vous faire mourir, de peur que par votre prédication vous ne convertissiez tout le inonde à Jésus-Christ, et que vous ne le détourniez de la pratique du judaïsme, qu’ils regardent comme la vérité divine. Car évidemment c’est des Juifs qu’il veut parler ici, comme c’est d’eux qu’il a dit : « Ils vous mettront hors des synagogues ». Sans doute, certains témoins, c’est-à-dire certains martyrs de Jésus-Christ ont été mis à mort par les païens. Mais, remarquez-le, ces païens, en les mettant à mort, croyaient rendre hommage non à Dieu, mais à leurs faux dieux. Or, ceux d’entre les Juifs qui mettaient à mort les prédicateurs de Jésus-Christ, croyaient rendre hommage à Dieu ; car ils s’imaginaient que c’était abandonner le Dieu d’Israël que se convertir à Jésus-Christ. Telle fut en effet la raison qui les poussa à faire mourir Jésus-Christ lui-même. Car ce sont eux qui ont prononcé ces paroles : « Vous voyez que tout le monde court après lui k ! Si nous le laissons faire, les Romains viendront et ils ruineront et notre ville et notre nation ». Caïphe n’a-t-il pas dit encore : « Il est avantageux qu’un seul homme meure pour le peuple, et que toute la nation ne périsse pas l ? » Dans ce discours, Notre-Seigneur encourageait donc ses disciples par son exemple en leur disant : « S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi m », et comme en me mettant à mort ils croiront rendre hommage à Dieu, il en sera de même pour vous.

4. Voici donc le sens de ces paroles : « Ils vous mettront hors des synagogues » ; mais n’ayez pas peur de vous trouver seuls ; car à peine séparés de leur assemblée, vous réunirez un si grand nombre d’hommes en mon nom, que craignant de voir leur temple désert et tous les sacrements de l’ancienne loi abandonnés, ils vous mettront à mort et, en répandant votre sang, ils croiront rendre hommage à Dieu. C’est là ce que l’Apôtre nous dit à leur sujet : « Ils ont le zèle de Dieu, mais leur zèle n’est pas selon la science n » ; car ils croient rendre hommage à Dieu en mettant à mort ses serviteurs. O égarement horrible ! Eh quoi ! pour plaire à Dieu tu fais mourir ceux qui lui plaisent et tu détruis par la mort le temple vivant de Dieu, dans la crainte de voir son temple de pierre abandonné ! O aveuglement exécrable ! Mais une partie d’Israël y est tombée, afin que la plénitude des nations entrât dans l’Église. Je dis une partie d’Israël, et non pas Israël tout entier ; car toutes les branches n’ont pas été brisées ; il n’y a eu de rompus que quelques rameaux à la place desquels a été greffé le sauvageon o. En effet, lorsque les disciples de Jésus-Christ furent remplis du Saint-Esprit, ils se mirent à parler toutes sortes de langues, lorsque par eux furent accomplis un grand nombre de miracles divins, et qu’ils répandirent partout la parole de Dieu, Jésus quoique crucifié fut tellement aimé que ses disciples, après avoir été chassés de l’assemblée des Juifs, réunirent même d’entre les Juifs une grande multitude, et ne craignirent pas d’être seuls p. Pour ceux qui restèrent réprouvés et aveugles, ayant le zèle de Dieu, mais non selon la science, ils croyaient rendre hommage à Dieu en faisant mourir ses Apôtres ; mais Celui qui était mort pour eux les rassemblait ; avant sa mort il les avait instruits de ce qui devait leur arriver, car il ne voulait pas que ces maux inattendus et imprévus pussent, malgré leur peu de durée, jeter le trouble dans leurs esprits ignorants et nullement préparés à pareille épreuve. Connues d’avance et endurées patiemment, ces tribulations devaient au contraire les conduire aux biens éternels. Que telle ait été la cause de cette prédiction, c’est ce que nous indique Notre-Seigneur quand il ajoute : « Mais je vous ai dit ces choses, afin que l’heure en étant venue, vous vous rappeliez que je vous les ai dites ». Heure de ténèbres, heure nocturne. « Mais le Seigneur qui a signalé sa miséricorde dans le jour, l’a encore signalée dans la nuit q » ; quand la nuit des Juifs a repoussé loin d’elle le jour des chrétiens sans pouvoir l’obscurcir, et qu’elle a fait mourir leurs corps sans être à même de plonger leur foi dans les ténèbres.

QUATRE-VINGT-QUATORZIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CES PAROLES DE JÉSUS : « MAIS JE NE VOUS AI PAS DIT CES CHOSES DÈS LE COMMANDEMENT, PARCE QUE J’ÉTAIS AVEC VOUS », JUSQU’A CES MOTS : « MAIS SI JE M’EN VAIS JE VOUS L’ENVERRAI ». (Chap 16,5-7.)

SERMON CXLIII. JÉSUS RETOURNANT AU CIEL r.

ANALYSE. – En expliquant le passage de l’Évangile où Notre-Seigneur représente comme utile au monde son retour au ciel, saint Augustin constate en quoi consiste l’utilité de ce retour. C’est que, dit-il, la foi est la vie du juste. Or en quittant la terre le Fils de Dieu exerce et développe la foi, et c’est ainsi que son absence même nous devient salutaire.

1. Le remède à toutes les blessures de l’âme, l’unique moyen donné aux hommes d’expier leurs péchés, c’est de croire au Christ : et nul absolument ne peut se purifier, soit du péché originel, contracté en Adam, en qui tous ont péché et sont devenus par nature enfants de colère s, soit des péchés personnels, commis ensuite pour n’avoir pas réprimé, mais pour avoir suivi en esclave la concupiscence de la chair en s’abandonnant aux crimes et aux infamies ; sans s’unir intimement au corps de ce Christ divin qui a été conçu sans aucun plaisir charnel, sans aucune délectation coupable, nourri sans péché dans le sein maternel, et exempt de toute faute et de toute parole artificieuse t. Croire en lui, effectivement, c’est devenir enfants de Dieu ; car on puise en Dieu une vie nouvelle en recevant la, grâce de l’adoption que communique la foi en Jésus-Christ notre Seigneur. Aussi, mes très-chers, c’est avec raison que ce même Sauveur et Seigneur ne parle ici que du péché dont le Saint-Esprit convainc le monde, et qui consiste à ne croire pas en lui. « Je vous dis la vérité, déclare-t-il, il vous est avantageux que je m’en aille, car si je ne m’en vais point, le Paraclet ne viendra pas à vous ; mais si je m’en vais, je vous l’enverrai. Et lorsqu’il sera venu, il convaincra le monde en ce qui touche le péché, et la justice, et le jugement : le péché, parce qu’on n’a pas cru en moi ; la justice, parce que je vais à mon Père et que vous ne me verrez plus ; et le jugement, parce que le prince de ce monde est déjà jugé. ».

2. Ainsi le seul péché dont il veut que soit convaincu le monde, c’est de n’avoir pas cru en lui. La foi en lui déliant tous les péchés, n’était-il pas juste de n’imputer d’autre péché que celui qui les mantient tous ? Depuis cette même foi faisant puiser en Dieu une vie divine et rendant enfants de Dieu, « puisqu’il a donné à ceux qui croient en lui de devenir les enfants du Seigneur u ; » croire au Fils de Dieu, c’est renoncer au péché dans la mesure de l’union contractée avec lui, et de la grâce d’adoption qui rend fils, héritiers de Dieu, et cohéritiers de Jésus-Christ. Aussi saint Jean dit-il : « Quiconque est né de Dieu ne pèche point v ; » et le péché reproché au monde est-il de ne pas croire en lui. C’est de ce même péché que le Sauveur disait encore : « Si je n’étais pas venu, ils n’auraient point de péché w. » N’avaient-ils pas, et en quantité innombrable, d’autres péchés ? Mais c’est qu’à l’avènement du Sauveur ils commirent, pour maintenir tous leurs autres péchés, le péché de ne croire pas en lui ; tandis que l’absence de ce péché dans ceux qui crurent, suffit pour effacer tous les autres. Aussi l’Apôtre Paul dit-il, et uniquement pour ce motif, que « tous ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu x ; » que ceux qui croiront en lui ne seront pas confondus y ; ce qui est d’ailleurs exprimé dans ce passage d’un psaume : « Approchez de lui, et vous serez éclairés, et sur votre visage ne sera point de confusion z. » Aussi bien, se glorifier en soi, c’est se condamner à la confusion, puisqu’on n’est point alors exempt de péchés, et l’on n’évitera la confusion qu’en se glorifiant dans le Seigneur, puisque « tous ont péché et ont besoin de se glorifier en Dieu. » C’est pour cela encore qu’en parlant de l’infidélité des Juifs le même Apôtre ne dit pas : Si quelques-uns d’entre eux ont péché, est-ce que leur péché rendra vaine la fidélité de Dieu Eh ! comment aurait-il pu dire : Si quelques-uns d’entre eux ont péché, après avoir dit expressément : « Puisque tous ont péché ? » Il dit, donc « Si quelques-uns d’entre eux n’ont pas cru, est-ce que leur infidélité rendra vaine la fidélité de Dieu aa ? » C’est parler de la manière la plus expresse du péché qui suffit pour empêcher la grâce de Dieu de remettre tous les autres ; et c’est bien de ce même péché que le monde est convaincu par la descente de l’Esprit-Saint, parla diffusion de la grâce dans l’âme des fidèles, comme l’enseigne le Seigneur dans ces paroles : « En ce qui touche le péché, parce qu’on n’a pas cru en moi. »

3. Mais il n’y aurait ni grand mérite ni glorieux bonheur à croire, si le Seigneur se montrait toujours aux regards de l’homme avec son corps ressuscité. Aussi la grande grâce accordée par l’Esprit-Saint aux croyants, a été d’éteindre en eux les passions charnelles et de les embraser de désirs tout spirituels pour les faire soupirer vers le Christ, devenu invisible pour eux à l’œil du corps. Voilà pourquoi le disciple qui avait juré de ne croire qu’autant qu’il aurait porté la main aux cicatrices du Sauveur, s’étant comme éveillé tout à coup après avoir touché son corps sacré, et s’étant écrié : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Jésus lui répondit : « Tu crois pour m’avoir vu ; heureux ceux qui n’ont pas vu et qui croient ab. » L’Esprit-Saint, l’Esprit consolateur rend donc heureux, lorsque voyant éloignée de nous cette nature de serviteur que le Christ a prise dans le sein de la Vierge, il élève le regard purifié de notre esprit vers cette nature divine elle-même qui a fait toujours de lui l’égal du Père, sans en excepter l’époque où il daigna se montrer aux hommes dans une chair mortelle. Aussi c’est sous l’impression de l’Esprit-Saint dont il était rempli que l’Apôtre disait : « Si nous avons connu le Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de la sorte ac. » C’est connaître en effet la chair même du Christ, non pas selon la chair mais selon l’esprit, que d’admettre la réalité vivante de sa résurrection, non point parce qu’on touche son corps avec curiosité, mais parce qu’on croit avec une pleine certitude. On ne dit pas alors dans son cœur : « Qui est monté au ciel ? c’est-à-dire pour en faire descendre le Christ ; ni : Qui est descendu dans l’abîme ? c’est-à-dire pour rappeler le Christ d’entre les morts. » On dit au contraire : « Près de toi, dans ta bouche même est la Parole », cette Parole est le Seigneur Jésus ; « et si tu crois dans ton cœur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, tu seras sauvé ; « car on croit de cœur pour la justification et on confesse de bouche pour le salut ad. » C’est ainsi, mes frères, que s’exprime l’Apôtre et qu’il exhale la sainte ivresse qu’il doit à l’Esprit-Saint.

4. Il est donc bien vrai que si le Saint-Esprit ne nous en faisait la grâce, nous n’aurions pas ce bonheur de croire sans voir. Par conséquent n’est-ce pas avec raison qu’il a été dit : « Il vous est avantageux que je m’en aille ; car si je ne m’en vais, le Consolateur ne viendra pas à vous, au lieu que je vous l’enverrai si je m’en vais. » Le Sauveur sans doute est toujours avec nous dans sa nature divine ; si cependant il n’éloignait de nous son corps, toujours nous le verrions sensiblement et nous ne pourrions croire en lui d’une manière purement spirituelle ; cette foi néanmoins est nécessaire pour nous l’aire mériter de contempler avec un cœur pénétré de justice et comblé de bonheur, le Verbe même de Dieu dans le sein de son Père, ce Verbe-Dieu par qui tout a été fait et qui s’est fait chair pour habiter parmi nous. Mais si on croit de, cœur pour être justifié et non pas en touchant de la main, n’est-ce pas avec raison que notre justice est la condamnation de ce monde ; qui ne veut croire que ce qu’il voit ? Or, c’est pour nous communiquer cette justice de la foi qui sera la condamnation du monde incrédule, que le Seigneur disait : « À cause de la justice, car je vais à, mon Père et vous ne me verrez plus. » En d’autres termes Votre justice sera de croire en moi, votre Médiateur, en moi que vous saurez, avec une pleine certitude ; être remonté vers mon Père après ma résurrection, quoique vous ne me voyiez point d’une manière sensible ; et ainsi réconciliés par moi vous pourrez parvenir à voir Dieu spirituellement. Aussi une femme qui figurait l’Église étant tombée à ses pieds quand il fut ressuscité, Jésus lui dit : « Garde-toi de me toucher, puisque je ne suis point encore remonté vers mon Père ae. » Paroles mystérieuses dont le sens est celui-ci : Garde-toi d’avoir en moi une foi charnelle en l’appuyant sur le contact corporel ; tu auras en moi une foi spirituelle lorsqu’après mon retour vers mon Père tu ne me toucheras plus que spirituellement. Heureux en effet ceux qui croient sans voir, et c’est en cela que consiste la justice de la foi. Or, comme le monde ne l’a pas et que nous l’avons, le juste vivant de la foi af, nous servons à le condamner. Ainsi donc, soit pour exprimer qu’en ressuscitant avec Jésus-Christ et qu’en montant avec lui vers son Père nous perfectionnons en nous l’invisible justice ; soit pour signifier que croyant sans voir ; nous vivons de la foi, comme il est écrit du juste, le Sauveur a dit : « À cause de la justice, car je vais à mon Père, et vous ne me verrez plus. »

5. Que le monde, pour s’excuser de ne pas croire au Christ, ne prétexte pas que le démon l’en empêche. Pour ceux qui croient en effet le prince du monde est banni ag, et il ne saurait plus agir dans les cœurs des hommes dont le Christ s’est rendu maître par la foi, comme il agit sur les fils de la défiance ah, qu’il pousse trop souvent à tenter et à tourmenter les justes. Car puisqu’il est banni du cœur, lui qui y régnait en tyran, il ne peut plus qu’attaquer par l’extérieur ; et quoique le Seigneur se serve de ses persécutions mêmes pour avancer les humbles dans la justice ai ; par le fait de son bannissement du cœur, il est jugé. Or ce jugement sert encore à la condamnation du monde. Comment en effet le monde qui refuse de croire au Christ serait-il autorisé à se plaindre du démon, puisque, depuis qu’il est jugé, c’est-à-dire banni et réduit, pour nous exercer à la vertu, à nous attaquer en dehors seulement, le démon est vaincu, non seulement par des hommes, mais par des femmes, par des enfants et de jeunes filles couvertes aussi de la gloire du martyre ? Et par qui ceux-ci l’ont-ils vaincu, sinon par Celui à qui ils ont donné leur foi ; par celui qu’ils ont aimé sans le voir et dont l’empire en s’établissant dans leurs cœurs a renversé l’affreuse domination qui les tenait sous le joug ? Comme tout cela est dû à la grâce, c’est-à-dire au Saint-Esprit, on comprend pourquoi c’est l’Esprit-Saint qui accuse le monde « à cause du péché », puisque le monde ne croit pas au Christ ; « à cause de la justice », puisque ceux qui avaient bonne volonté ont cru en lui tout en ne le voyant pas, et espéré de parvenir aussi, par la vertu de sa résurrection, à une résurrection pleine ; « à cause enfin du jugement », attendu que si les mondains voulaient croire à leur tour, nul ne les empêcherait, « puisque le prince de ce monde est déjà jugé. »

SERMON CXLIV. L’ESPRIT-SAINT CONDAMNANT LE MONDE aj.

ANALYSE. – L’Esprit-Saint condamne le monde, et cette condamnation repose sur trois motifs : 1° sur le péché que commet le monde en ne croyant pas au Christ et en demeurant ainsi sous le joug de toutes les iniquités dont le délivrerait la foi du Christ ; 2° sur la justice rendue au Fils de Dieu, ressuscité et glorifié par son Père, et pratiquée par les fidèles, ressuscités avec lui parla foi et avec lui élevés au ciel en quelque sorte ; 3° sur le jugement prononcé contre le démon, que la foi au Christ bannit du cœur et réduit u n’attaquer plus que parle dehors.

1. En promettant d’envoyer le Saint-Esprit, qu’il a effectivement envoyé, notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ disait, entre beaucoup d’autres choses : « Il condamnera le monde à cause du péché, à cause de la justice, et à cause du jugement. » Et avant de passer à un autre sujet, il daignait s’arrêter pour expliquer sa pensée plus clairement. « À cause du péché, disait-il, car on n’a pas cru en moi ; à cause de la justice, car je vais à mon Père ; à cause enfin du jugement, car le prince de ce monde est déjà jugé. » Ici donc s’élève en nous le désir de comprendre les questions suivantes : Les hommes ne pêchent-ils qu’en ne croyant pas au Christ et pourquoi le Sauveur semble-t-il dire que le Saint-Esprit ne condamnera le monde que pour ce seul péché ? N’est-il pas manifeste qu’il y a dans le inonde beaucoup d’autres péchés que celui-là, et pourquoi ce péché est-il le seul que doive reprocher lé Saint-Esprit ? Serait-ce parce que l’infidélité maintient l’empire de tous les péchés, tandis que la foi les efface tous, et Dieu pour ce motif imputerait-il principalement, uniquement même, le péché qui empêche la rémission de tous les autres ? En effet, c’est l’orgueil qui détourne l’homme de croire à un Dieu humilié ; et il est écrit : « Dieu résiste aux superbes, tandis qu’il donne sa grâce aux humbles ak. » Cette grâce est sans doute un don de Dieu. Or le Don suprême est l’Esprit-Saint ; aussi est-il une grâce, Il est grâce ; c’est-à-dire gratuitement donné ; parce que tous les hommes avaient péché et avaient besoin de la gloire de Dieu al, le péché étant entré dans le monde par un seul homme et par le péché la mort, dans la personne de celui en qui tous ont péché am. La grâce est ainsi donnée gratuitement ; elle n’est pas une récompense accordée après l’examen des mérites, elle est une faveur octroyée après le pardon des fautes.

2. Ainsi donc c’est à cause du péché que sont condamnés les infidèles, c’est-à-dire les esclaves du monde, désignés par ce terme de monde ; et : quand il est dit que l’Esprit-Saint « condamnera le monde à cause du péché », il n’est question que du péché commis par eux en ne croyant pas au Christ. Supprimez en effet ce péché d’infidélité, il n’en restera plus aucun, puisque le juste en vivant de la foi obtient la rémission de toutes ses iniquités. Mais il y a une différence importante entre croire le Christ et croire au Christ. Les démons effectivement croient le Christ et ne choient pas au Christ. Croire au Christ, c’est en même temps espérer en lui et d’aimer ; car avoir la foi sans l’espérance et sans la charité, c’est croire le Christ et non pas croire en lui. Or en croyant au Christ, on le reçoit, on s’unit à lui d’une certaine façon et l’on devient membre de son corps, ce qui ne peut se faire si la foi ne s’ajoute l’espérance et la charité.

3. Que signifient aussi ces autres paroles : « A cause de la justice, car je vais à mon Père ? » Et d’abord, puisque le monde est condamné à cause du péché, pourquoi l’est-il encore à cause de la justice ? Qu’y a-t-il dans la justice qui mérite condamnation ? Faut-il entendre que si le monde est condamné, c’est à cause de son péché propre et à cause de la justice du Christ ? Je ne vois pas d’autre sens à donner à ces paroles, d’autant plus que je lis : « A cause du péché, car on n’a pas cru cri moi ; à cause de la justice, car je vais à mon Père.» Ce sont les mondains qui n’ont pas cru et c’est lui qui va à son Père ; ainsi le péché est pour eux et la justice pour lui. Mais pourquoi ne montrer la justice que dans son retour vers son Père ? N’était-ce pas justice aussi quand il venait de Lui vers nous ? Ou bien son avènement parmi nous ne serait-il pas plutôt miséricorde et justice son retour vers son Père ?

4. Je crois donc, mes frères, qu’en face de l’étonnante profondeur des Écritures, quand il y a dans ses paroles quelque mystère utile à dévoiler, il est bon pour mériter de le découvrir avec fruit, que nous cherchions ensemble avec foi. Demandons-nous alors pourquoi le Sauveur met la justice à retourner vers son Père, et non pas à être venu d’auprès de Lui. Serait-ce parce que la miséricorde l’ayant fait descendre parmi nous, c’est la justice qui le reconduit vers Dieu ? Nous apprendrions alors que nous ne pouvons être parfaitement justes, si nous sommes négligents à faire miséricorde, à nous occuper des intérêts d’autrui et non pas seulement des nôtres. Aussi bien, après avoir rappelé ce devoir, l’Apôtre cite aussitôt l’exemple du Seigneur. Voici ses paroles : « Rien par esprit de contention, ni par vaine gloire, mais par humilité d’esprit, chacun croyant les autres au-dessus de soi, et ayant égard, non à ses propres intérêts, mais à ceux d’autrui. » Il ajoute immédiatement : « Ayez en vous les sentiments qu’avait en lui le Christ Jésus. Il avait la nature de Dieu et ne croyait pas que ce fût pour lui une usurpation que de s’égaler à Dieu. Cependant il s’est anéanti lui-même en prenant la nature de serviteur, ayant été fait semblable aux hommes et reconnu pour homme par les dehors ; il s’est humilié, étant devenu obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix. » Telle est la miséricorde qui l’a amené du ciel. Où est maintenant la justice qui le reconduit vers son Père ? Continuons à lire : « C’est pourquoi Dieu l’a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse que le Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu le Père an. » Telle est la justice qui le reconduit vers son Père.

5. Mais s’il retourne seul vers son Père, quel avantage y avons-nous ? Comment le Saint Esprit peut-il condamner le monde à propos de cette justice ? D’un autre côté, s’il ne retournait pas seul vers son Père, il ne dirait pas ailleurs : « Nul ne monte au ciel que celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est dans le ciel ao. » Pourtant, l’Apôtre Paul dit encore «Car notre vie est dans les cieux ap. » Comment ? Le voici : « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, dit le même Apôtre, recherchez les choses d’en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu ; goûtez les choses d’en haut et non les choses de la terre ; car, vous êtes morts et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu aq. » Comment donc dire que le Christ y est seul monté ? Serait-ce parce que le Christ avec tous ses membres ne fait qu’un, comme la tête ne fait qu’un avec le corps ? Et quel est le corps du Christ, sinon l’Église ? « Vous êtes, dit le même Docteur des gentils, le corps du Christ et les membres d’un membre ar. » D’après cette interprétation, comme nous sommes tombés et que le Christ est descendu à cause de nous, ces mots : « Nul ne monte que celui qui est descendu », ne signifient-ils pas que personne ne peut parvenir au ciel qu’autant qu’il fait un avec lui et qu’il est comme un membre harmonieux de son corps ? C’est dans ce sens qu’il disait à ses disciples : « Sans moi vous ne pouvez rien faire as. » Car son union avec nous n’est pas la même que son union avec sont Père. Il est un avec son Père, parce que le Fils a la même nature que son Père ; il est un avec son Père, parce que « ayant la nature de Dieu, il n’a pas cru usurper en s’égalant à Dieu. » Mais il s’est fait un avec nous, parce qu’il s’est anéanti lui-même, prenant la nature de serviteur ; » il s’est fait un avec nous, en devenant ce rejeton d’Abraham en qui toutes les nations doivent être bénies. On sait qu’après avoir rappelé cette prophétie l’Apôtre observe ##Rem « Il n’est pas dit : Et aux rejetons, comme s’il y en avait plusieurs ; mais : Et à ton rejeton, comme s’il n’y en avait qu’un seul, et c’est le Christ. » Or, comme nous appartenons au Christ, comme nous lui sommes incorporés tous ensemble et unis étroitement comme à notre Chef, le Christ est réellement seul. Aussi l’Apôtre nous dit-il à nous-mêmes : « Vous êtes donc le rejeton d’Abraham, les héritiers selon la promesse at. » Mais, si Abraham n’a qu’un rejeton, si ce rejeton unique n’est que le Christ, et si nous sommes aussi nous-mêmes cet unique rejeton, ne s’ensuit-il pas que tous, et le Chef et le corps, nous ne formons qu’un Christ ?

6. C’est pourquoi nous ne devons pas nous considérer comme étrangers à cette justice dont parle le Seigneur en disant : « À cause de la justice, car je vais à mon Père. » Maintenant en effet nous sommes ressuscités avec le Christ notre chef et nous demeurons en lui par la foi et par l’espérance, en attendant que cette espérance se réalise à la future résurrection des morts. Or lorsque se réalisera notre espérance, notre justification se complétera aussi ; et avant de les compléter, le Seigneur montre dans son corps, dans notre Chef même, en ressuscitant et en remontant vers son Père, ce que nous devons espérer. Aussi est-il écrit : « Il a été livré à cause de nos péchés, et il est ressuscité pour notre justification au.» En résumé, le monde est condamné « à cause du péché », commis par ceux qui ne croient pas au Christ ; « à cause de la justice », pratiquée par ceux qui ressuscitent au nombre de ses membres ; et c’est pourquoi il est dit : « Afin que nous soyons en lui la justice de Dieu av ; » car si nous n’étions pas en lui, nous ne serions pas justice. Mais si nous sommes en lui, comme il remonte tout entier, il retourne avec nous vers son Père
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