‏ John 2:1-11

HUITIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CET ENDROIT : « TROIS JOURS APRÈS, DES NOCES SE FIRENT À CANA EN GALILÉE », JUSQU’À : « FEMME, QU’EST-CE QUE CELA FAIT À VOUS ET À MOI ? MON HEURE N’EST PAS ENCORE VENUE ». (Chap 2,1-4.)

LES NOCES DE CANA.

Toutes les œuvres visibles ou invisibles qu’opère le Verbe sont admirables. Néanmoins l’habitude de les contempler affaiblit notre admiration nous ne l’accordons qu’à celles dont le spectacle s’offre moins souvent à nos yeux. Aussi, le Fils de Dieu fait homme a-t-il accompli des prodiges pour frapper nos sens et nous amener à la foi ; il en est de celui-ci comme des astres. Jésus est venu aux noces de Cana, comme par son Incarnation il était venu célébrer les noces de sa divinité avec son humanité, de son Église avec lui-même. De ces paroles à Marie : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » Certains hérétiques concluent que le Christ n’avait pas un véritable corps : le contexte les condamne ; d’ailleurs on demandait un prodige que le Sauveur ne pouvait opérer qu’en tant que Dieu : comme tel, il ne reconnaissait pas Marie pour mère, puisqu’il n’en avait pas ; il ne devait la reconnaître pour telle que sur la croix. D’autres infèrent de ces autres paroles « Mon heure n’est pas encore venue », que Jésus n’était pas libre ; cette interprétation est fautive, car il a dit : « J’ai le pouvoir de quitter ma vie et de la reprendre ». Son œuvre n’étant pas accomplie au moment des noces de Cana, l’heure n’était pas encore venue de reconnaître Marie pour sa mère. Voilà le vrai sens de ces paroles.

1. Assurément le miracle par lequel Notre-Seigneur Jésus-Christ a changé l’eau en vin, l’a rien d’étonnant pour ceux qui savent que l’est un Dieu qui l’a fait. Aussi bien Celui qui en ce jour de noces a changé l’eau en vin dans ces six urnes qu’il avait ordonné de remplir a, est le même qui chaque année opère dans les vignes un prodige pareil. En effet, comme l’eau versée dans les urnes par les serviteurs a été convertie en vin par l’œuvre du Seigneur, ainsi par l’œuvre du même Seigneur l’eau que versent les nuées est convertie en vin. Ce dernier prodige ne nous étonne point, parce qu’il se renouvelle tous les ans ; oui, parce qu’il s’opère continuellement, il n’a plus rien de merveilleux pour nous : cependant, il exigerait bien plus d’attention de notre part que celui qui a été opéré dans les urnes remplies d’eau. Où est, en effet, l’homme capable de considérer ce que Dieu fait dans le gouvernement et l’administration des choses de ce monde, sans tomber dans la stupeur et se voir comme écrasé sous le poids des merveilles qu’il opère ? Si l’on se rend compte de la vertu d’un seul grain, de n’importe quelle semence, l’œuvre divine apparaît avec des proportions si étonnantes, qu’on éprouve involontairement une impression d’effroi. Mais les hommes attentifs à d’autres objets ont perdu de vue les œuvres de Dieu qui devaient les porter à offrir chaque jour, au Créateur, leurs louanges. Aussi Dieu s’est-il, en quelque sorte, réservé d’opérer certaines œuvres inaccoutumées, voulant, par ces merveilles, tirer les hommes de leur assoupissement et les rendre plus vigilants pour son culte. Qu’un mort reparaisse, tout le monde s’en étonne ; des milliers d’hommes naissent tous les jours, et personne ne s’en occupe. À considérer les choses avec attention, c’est une plus grande merveille de donner la vie à qui ne l’avait pas, que de la rendre à qui l’avait précédemment ; néanmoins, le même Dieu, Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, fait tout cela et gouverne ses créatures par son Verbe. Il a fait les premières de ces merveilles par son Verbe, Dieu en lui ; les secondes, il les a faites par son Verbe incarné et devenu homme pour nous. Comme nous admirons les œuvres de Jésus-Christ homme, admirons les œuvres de Jésus-Christ Dieu, Par Jésus-Christ Dieu ont été faits le ciel et la terre, la mer, toute la parure des cieux, la richesse de la terre, la fécondité de la mer ; en un mot, tout ce qui s’étale à nos regards, c’est Jésus-Christ Dieu qui l’a fait. Nous le voyons, et si l’esprit de Jésus-Christ se trouve en nous, la joie que nous cause un pareil spectacle nous anime et nous porte à en louer l’auteur, et ainsi nous ne nous tournons pas tellement vers l’œuvre, que nous nous détournions de l’ouvrier ; nous n’appliquons pas notre visage à l’ouvrage, au point de tourner le dos à celui qui l’a fait.

2. Toutes ces merveilles, nous les voyons, elles sont exposées à nos regards ; mais que dire de ce que nous ne voyons pas, des Anges, des Vertus, des Puissances, des Dominations et de tous les habitants de cette demeure céleste que nos yeux ne peuvent contempler ? Les Anges, quand il l’a fallu, se sont néanmoins souvent montrés aux hommes. N’est-ce point par sou Verbe, c’est-à-dire par son Fils unique Jésus-Christ Notre-Seigneur, que Dieu a fait toutes ces créatures ? Que dire de l’âme humaine, invisible aux yeux du corps, mais qui par les œuvres qu’elle opère dans son corps offre un merveilleux spectacle aux yeux de ceux qui savent y être attentifs ? Qui est-ce qui l’a créée ? N’est-ce pas Dieu ? Et par qui a-t-elle été faite, sinon par son Fils ? Mais je ne parle pas encore de l’âme humaine. Quel empire l’âme de n’importe quelle bête n’exerce-t-elle pas sur la matière de son corps ? Elle met en mouvement tous ses sens, ses yeux pour voir, ses oreilles pour entendre, ses narines pour percevoir les parfums, son palais pour discerner les saveurs, tous ses membres enfin, pour faire remplir à chacun d’eux son office particulier. Est-ce le corps, ou plutôt, n’est-ce pas l’âme, c’est-à-dire, l’habitant du corps qui fait tout cela ? Cependant elle demeure invisible, mais par ce qu’elle fait elle excite l’admiration. Considère maintenant l’âme de l’homme elle-même, cette âme douée par Dieu d’intelligence pour connaître son Créateur, pour distinguer et discerner le bien du mal, c’est-à-dire, le juste de l’injuste. Que ne fait-elle point par l’intermédiaire du corps ? Voyez comme toutes les parties de l’univers sont admirablement coordonnées dans la république des hommes ! Quelle organisation des gouvernements ! Quelle hiérarchie dans les pouvoirs, quels agencements dans la constitution des villes ; quelles lois, quelles mœurs, quels arts ! C’est l’âme qui dirige tout cet ensemble de choses, et pourtant, cette puissance de direction qu’elle exerce, personne ne la voit. Retirez-la du corps, il ne reste plus qu’un cadavre ; laissez-la dans le corps, sa première action est d’en relever, en quelque sorte, le mauvais goût. Car la chair est sujette à se corrompre ; elle tombe en pourriture à moins que l’âme, pareille à un assaisonnement, n’en retarde la putréfaction. Ce privilège, l’âme des bêtes le partage avec elle ; mais bien autrement admirables sont les facultés spéciales de l’homme, dont j’ai parlé, qui découlent de son esprit et de son intelligence et par lesquelles il renouvelle en lui les traits du Créateur, à l’image de qui il a été formé b. Quelle sera la puissance de l’âme, lorsque le corps aura revêtu l’incorruptibilité et que, de mortel, il sera devenu immortel c ? Si l’âme peut faire de si grandes choses au moyen d’une chair corruptible, que ne pourra-t-elle pas faire après la résurrection des morts avec un corps spiritualisé ? Cette âme, comme je l’ai dit, si merveilleuse par sa nature et sa substance, est néanmoins invisible a des yeux autres que ceux de l’intelligence ; toutefois elle a été faite par Jésus-Christ Dieu, parce qu’il est le Verbe de Dieu, car toutes choses ont été faites par lui, sans lui rien n’a été fait d.

3. Puisque nous voyons de si grandes choses faites par Jésus-Christ Dieu, y a-t-il rien d’étonnant à ce que l’eau ait été changée en vin par Jésus-Christ homme ? Aussi bien, il ne s’est pas fait homme pour perdre ce qu’il était comme Dieu : l’humanité s’est approchée de lui, la divinité n’en a pas été éloignée. Celui qui a fait ce miracle est donc le même qui a fait toutes choses. Par conséquent, ne soyons pas surpris que Dieu ait fait ce prodige, mais aimons-le parce qu’il l’a fait parmi nous et pour notre salut. D’ailleurs ses actions mêmes ont un but ; celui de nous instruire. Selon moi, il n’est pas venu à ces noces sans motif. Indépendamment du miracle, cette action de Notre-Seigneur cache un secret et un mystère. Frappons à la porte, afin qu’il nous ouvre et nous enivre d’un vin invisible ; car nous aussi, nous étions de l’eau, et il nous a changés en vin ; nous étions des insensés, et il nota a rendus sages de la sagesse que donne le goût de la foi qui vient de lui. Et sans doute, il est de cette sagesse de chercher, à l’honneur de Dieu, à la louange de sa majesté, en reconnaissance de sa miséricorde toute-puissante, à avoir l’intelligence des circonstances de ce miracle.

4. Invité aux noces, le Seigneur s’y rendit. Quelle merveille que des noces l’aient fait venir en cette maison, lui que des noces ont fait venir en ce monde ? Car si ce ne sont pas des noces qui l’ont fait venir, ici donc il n’a pas d’Epouse. Mais alors qu’a voulu dire l’Apôtre : « Je vous ai fiancés à un unique Époux, Jésus-Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge pure ? » Pourquoi craindre que la pureté de cette Epouse du Christ ne soit flétrie par l’artifice du diable ? « Je crains », dit-il, « que comme Eve a été séduite par l’artifice du serpent, vos esprits ne se corrompent et ne dégénèrent de la simplicité et de la pureté qui est en Jésus-Christ  e ». Ici donc il a une épouse rachetée par lui avec son sang, et à laquelle il a donné comme arrhes le Saint-Esprit f. Il l’a délivrée de l’esclavage du diable, il est mort pour ses péchés, il est ressuscité pour sa justification g. Quel époux offrira de tels présents à son épouse ? Que les autres hommes offrent des ornements mondains, de l’or, de l’argent, des pierres précieuses, des chevaux, des esclaves, des champs et des terres ; y en aura-t-il un seul parmi eux pour offrir son sang ? car s’il s’en trouvait un pour donner son sang à son épouse, il ne pourrait plus se marier avec elle. Mais le Seigneur n’a pas eu cette crainte à l’heure de sa mort. L’Epouse pour laquelle il a donné son sang et qu’il s’était déjà unie dans le sein d’une Vierge, il est assuré de l’avoir après sa résurrection. L’Époux, c’est le Verbe ; l’épouse, c’est la nature humaine ; et la réunion des deux forme Jésus-Christ, Fils de Dieu, et en même temps Fils de l’homme. Le lit nuptial où il est devenu chef de l’Église, c’est le sein de la Vierge Marie ; c’est de là qu’il est sorti comme l’époux de son lit nuptial, suivant cette prophétie contenue dans les Écritures : « Semblable à un époux, sortant de son lit nuptial, il s’est élancé comme un géant pour courir sa voie h ». Jésus-Christ est donc sorti de son lit nuptial comme un époux, et il est venu aux noces, auxquelles il avait été invité.

5. Certainement ce n’est pas sans mystère qu’il semble méconnaître sa Mère, du sein de laquelle il est sorti comme de son lit nuptial, et qu’il lui dit : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? mon heure n’est pas encore venue ». Et quoi ! est-il venu aux noces pour y apprendre aux enfants à mépriser leur mère ? Certes, celui dont les noces l’avaient fait venir ne prenait une épouse que pour mettre des enfants au monde, et ces enfants qu’il souhaitait en voir naître, il désirait aussi les voir honorer leur mère. Jésus-Christ serait-il venu aux noces pour mépriser sa mère, quand les noces se célèbrent et qu’un homme prend femme pour avoir des enfants, et quand Dieu fait à ces enfants un commandement exprès de respecter leurs pères et mères ? Mes frères, il y a sous cette conduite du Sauveur un mystère. Oui, il y a là un grand mystère, car certains hommes dont l’Apôtre nous a avertis de nous garder, ainsi que nous l’avons rapporté plus haut, lorsqu’il nous dit : « Je crains que comme Eve a été séduite par l’artifice du serpent, vos esprits ne se corrompent et ne dégénèrent de la simplicité et de la pureté qui est en Jésus-Christ », certains hommes qui abusent de l’Évangile et prétendent que Jésus n’est pas né de la Vierge Marie, se sont efforcés d’y trouver des arguments pour la défense de leur erreur. Voici leurs paroles : Comment serait-elle sa mère, puisqu’il lui a dit : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » C’est à ceux-là qu’il faut répondre, et c’est à eux qu’il faut expliquer pourquoi le Seigneur a parlé ainsi, de peur qu’ils n’aient pas l’air d’avoir, dans leur fureur contre la vraie foi, trouvé le moyen de corrompre la pureté de l’Epouse, c’est-à-dire d’ébrécher la foi de l’Église. Assurément mes frères, elle est corrompue la foi de ceux qui préfèrent le mensonge à la vérité. Car ceux qui, sous prétexte d’honorer le Christ, nient qu’il ait pris une chair, ne font rien moins que le signaler comme un menteur. Et ceux qui élèvent parmi les hommes un édifice de mensonge, que bannissent-ils de leur cœur, sinon la vérité ? Ils introduisent le démon, ils chassent Jésus-Christ ; ils introduisent un adultère, ils chassent l’Époux : paranymphes, ou plutôt entremetteurs du serpent, ils n’élèvent la voix que pour faire régner le serpent et pour détrôner le Christ, Quand le serpent règne-t-i !? Lorsque règne le mensonge. Où règne le mensonge, là règne le serpent ; où règne la vérité, là règne le Christ. Car le Sauveur a dit de lui-même : « Je suis la vérité i » ; au lieu qu’il a dit du serpent : « Il ne s’est pas tenu dans la vérité, parce que la vérité n’était pas en lui j ». Le Christ est tellement la vérité que tout en lui doit être par toi considéré comme vrai, un vrai Verbe, Dieu égal au Père, une vraie âme, une vraie chair, un vrai homme, un vrai Dieu, une vraie naissance, une vraie passion, une vraie mort, une vraie résurrection. Si un seul de ces points te semble faux et que tu le dises tel, la corruption entrera dans tous les autres ; du venin du serpent naîtront les vers du mensonge ; rien ne demeurera intact.

6. Mais, dira l’adversaire, que signifient ces paroles du Sauveur : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » Peut-être dans ce qui suit nous montrera-t-il pourquoi il a ainsi parlé. « Mon heure », dit-il, « n’est pas encore venue ». Car, voici ses paroles « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? Mon heure n’est pas encore venue », Pourquoi a-t-il ainsi parlé ? C’est ce qu’il faut essayer de découvrir. C’est par là qu’il nous faut d’abord résister aux hérétiques. Que dit le vieux serpent, l’antique siffleur et souffleur de poisons ? Que dit-il ? Jésus n’a point eu pour mère une femme. Quelle preuve en donnes-tu ? C’est que le Christ a dit : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » Pour le croire, nous voudrions savoir qui l’a dit. Qui donc l’a dit ? L’Évangéliste Jean. Mais le même Évangéliste Jean a dit : « Et la mère de Jésus y était ». Car voici son récit : « Trois jours après, il se fit des noces à Cana, en Galilée, et la mère de Jésus y était. Il y vint aussi, convié avec ses disciples ». Nous avons cette double assertion de l’Évangéliste. « La mère de Jésus y était », l’Évangéliste le dit. Ce que Jésus dit à sa mère, l’Évangéliste le dit aussi. Il rapporte la réponse de Jésus à sa mère, mais seulement après avoir dit : « Sa mère lui dit ». Faites attention à ceci, mes frères, afin de fortifier la pureté de votre cœur contre la langue du serpent. Là, dans le même Évangile, le même Évangéliste vous dit : « La mère de Jésus y était » ; et encore : « Sa mère lui dit ». Qui a fait ce récit ? L’Évangéliste Jean. Et qu’est-ce que Jésus a répondu à sa mère ? « Femme, qu’y a-t-il de « commun entre vous et moi ? » Qui fait ce récit ? Le même Évangéliste Jean. O Évangéliste très-fidèle et très-véritable, vous me rapportez que Jésus a dit : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » Pourquoi lui avoir donné une mère qu’il ne connaît pas ? Car vous avez dit aussi : « La mère de Jésus était là » ; et encore : « Sa mère lui dit ». Pourquoi n’avoir pas dit de préférence : Marie était là, et Marie lui dit ? Vous rapportez l’un et l’autre : « Sa mère lui dit », et : « Jésus lui répondit : Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » Pourquoi cela, sinon parce que l’un et l’autre sont vrais. Mais les hérétiques consentent à ajouter foi à l’Évangéliste lorsqu’il raconte que Jésus dit à sa mère : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » et refusent de le croire lorsqu’il dit : « La mère de Jésus était là », et : « Sa mère lui dit ». Maintenant, quel est celui qui résiste au serpent, qui garde la vérité, qui ne laisse pas la pureté de son cœur se corrompre aux artifices du diable ? C’est celui qui regarde l’un et l’autre comme vrais, à savoir que « la mère de Jésus était là », et que Jésus a ainsi répondu à sa mère. Mais si cet hérétique ne comprend pas encore en quel sens Jésus a dit : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » qu’il croie du moins que Jésus l’a dit et qu’il l’a dit à sa mère. Qu’il ait d’abord la soumission pieuse de la foi, et le fruit de l’intelligence viendra ensuite.

7. Chrétiens fidèles, c’est vous que j’interroge : La mère de Jésus y était-elle ? Répondez : Elle y était. Comment le savez-vous ? Répondez : L’Évangile le dit. Qu’est-ce que Jésus a répondu à sa mère ? Répondez : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? mon heure n’est pas encore venue ». Et comment le savez-vous ? Répondez : L’Évangile le dit. Que personne ne corrompe votre foi sur ce point, si vous voulez conserver intacte à l’épouse votre virginité. Si l’on vous demande pourquoi il n ainsi répondu à sa mère, que celui qui le comprend le dise ; pour celui qui ne le comprend pas, qu’il se contente de croire d’une foi très-ferme que Jésus a fait cette réponse et qu’il l’a faite à sa mère. Par cette soumission pieuse, il méritera de comprendre pourquoi Jésus a fait cette réponse, s’il frappe à la porte de la vérité par ses prières et ne s’en approche pas avec un esprit de contention et de querelle. Seulement, qu’il y prenne garde ; au lieu d’avoir l’intelligence de cette réponse ou de rougir de ce qu’il ne l’aurait pas, il pourrait être forcé de croire que l’Évangéliste a menti en disant : « La mère de Jésus y était » ; ou que le Christ lui-même a souffert pour nos péchés une mort simulée ; qu’il a montré pour notre justification de fausses cicatrices ; qu’il a dit faussement : « Si vous demeurez en ma parole, vous êtes véritablement mes disciples, vous connaîtrez la vérité, et la vérité nous rendra libres k ». Car si sa mère n’est que supposée, comme aussi sa chair, comme sa mort, comme les blessures de sa Passion, comme les cicatrices de sa Résurrection, ce n’est plus la vérité qui rendra libres ceux qui croient en lui, mais c’est la duperie. Que plutôt la duperie laisse la place à la vérité, et qu’ils soient confondus ceux qui en paraissant véridiques veulent prouver que le Christ était menteur. Ils ne veulent pas qu’on leur dise : Nous ne vous croyons pas parce que vous mentez, bien qu’ils accusent de mensonge la Vérité même. Cependant, si nous leur demandons : Comment savez-vous que le Christ a dit : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » ils répondent qu’ils en croient l’Évangéliste. Pourquoi n’en croient-ils pas l’Évangile, lorsqu’il dit : « La mère de Jésus y était » ; et : « Sa mère lui dit » ; ou bien, si l’Évangile est menteur en ce point, pourquoi croient-ils que Jésus a dit : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » Ou plutôt, pourquoi ces malheureux ne croient-ils pas fidèlement que le Seigneur a ainsi répondu, non à une étrangère, mais à sa mère, et ne cherchent-ils pas pieusement pourquoi il a fait cette réponse ! Car, il y a une grande différence entre celui qui dit : Je voudrais savoir pourquoi le Christ a ainsi répondu à sa mère et celui qui dit : Je sais que la femme à laquelle le Christ a ainsi répondu n’était pas sa mère. Autre chose est de vouloir comprendre ce qui n’est pas clair, autre chose de ne vouloir pas croire ce qui est évident. Celui qui dit : Je voudrais savoir pourquoi le Christ a ainsi répondu à sa mère, demande qu’on lui fasse comprendre l’Évangile auquel il croit ; mais celui qui dit : Je sais que la femme à laquelle le Christ a ainsi répondu n’était pas sa mère, accuse de mensonge l’Évangile lui-même, puisqu’il croit que le Christ a fait cette réponse.

8. Si vous y consentez, mes frères, laissons dans leur aveuglement les malheureux destinés à y croupir toujours, à moins que l’humilité ne les guérisse ; puis cherchons pourquoi le Seigneur a ainsi répondu à sa mère. Il y a cela de singulier en Notre-Seigneur, qu’il est né d’un père sans le secours d’une mère, et d’une mère sans l’intermédiaire d’un père : comme Dieu, il n’avait pas de mère ; comme homme, il n’avait pas de père : avant le temps, il était sans mère ; il était sans père, avant la fin des temps. Ce qu’il a répondu, il l’a répondu à sa mère ; car, « la mère de Jésus y était » et « sa mère lui dit ». Tout cela se trouve dans l’Évangile. Il nous apprend que « la mère de Jésus y était », et que Jésus lui dit : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? Mon heure n’est pas encore venue ». Croyons le tout, et ce que nous ne comprenons pas encore, cherchons à le saisir ; mais d’abord prenez garde, car de même que les Manichéens ont trouvé un prétexte à leur perfidie dans cette parole du Seigneur : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » ainsi les mathématiciens trouveront peut-être un prétexte à leurs mensonges dans cette autre : « Mon heure n’est pas encore venue ». Et si le Seigneur l’a dite en leur sens, nous avons commis un sacrilège en brûlant leurs livres. Si, au contraire, nous avons eu raison d’imiter ce qui se faisait du temps des Apôtres l, le Seigneur n’a pas dit en leur sens : « Mon heure n’est pas encore venue ». Les hâbleurs et ceux qui séduisent les autres après s’être laissé séduire eux-mêmes, disent : Tu vois bien que le Christ était soumis à la fatalité, puisqu’il a dit : « Mon heure n’est pas encore venue ». Auxquels donc répondrons-nous d’abord : aux hérétiques ou aux mathématiciens ? Les uns et les autres procèdent de l’ancien serpent, puisqu’ils veulent tous corrompre la virginité du cœur de l’Église qui se trouve dans l’intégrité de sa foi. Commençons, si vous le trouvez bon, par ceux que nous avons mis les premiers en avant, et auxquels nous avons déjà en grande partie répondu. Cependant, pour leur ôter cette idée que nous n’avons rien à dire sur cette réponse de Notre-Seigneur à sa mère, nous allons achever de vous prémunir contre eux ; car, pour les réfuter, je crois que ce que nous avons dit jusqu’ici est suffisant.

9. Pourquoi donc le fils dit-il à sa mère : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? Mon heure n’est pas encore venue ». Notre-Seigneur Jésus-Christ était Dieu et homme tout ensemble. En tant que Dieu, il n’avait pas de mère, en tant qu’homme il en avait une. Elle était donc la mère de son corps, la mère de son humanité, la mère de l’infirmité qu’il a prise à cause de nous. Or, le miracle qu’il allait faire, il allait le faire selon sa divinité, et non selon son humanité ; en tant qu’il était Dieu, et non en tant qu’il était né dans la faiblesse. Toutefois, ce qui est faible en Dieu est plus fort que tous les hommes m. Sa mère lui demanda donc un miracle ; mais comme il allait faire une œuvre divine, il sembla oublier qu’il était né d’elle et lui dire : Ce qui en moi fait des miracles, vous ne l’avez pas enfanté ; ce n’est pas vous qui avez donné l’être à ma divinité ; mais comme vous avez donné le jour à mon infirmité, je vous reconnaîtrai lorsque mon infirmité sera attachée à la croix ; voilà le sens de ces mots : « Mon heure n’est las encore venue ». Alors, en effet, il l’a reconnue, quoiqu’il ne l’eût jamais méconnue. Avant de naître d’elle, et au moment où il la prédestinait, il l’avait connue comme sa mère avant de créer, comme Dieu, celle dont il devait être formé comme homme, il la connaissait comme sa mère ; mais à une certaine heure, il la méconnaît mystérieusement, comme encore à une certaine heure qui n’était pas encore venue, il devait mystérieusement la reconnaître. Alors, en effet, il la reconnut, lorsque mourait ce qu’elle avait enfanté ; car ce qui mourut en ce moment, ce fut non pas ce qui avait formé Marie, mais ce qui avait été formé de Marie ; non pas la divinité, mais l’infirmité de la chair. Il a donc répondu ainsi, afin de distinguer en lui, dans la foi de ceux qui devaient croire, ce qu’il était, de celle par qui il était venu. Le Dieu et Seigneur du ciel et de la terre a donc eu pour mère une femme. Comme Seigneur du monde, comme Seigneur du ciel et de la terre, il est aussi le Seigneur de Marie ; comme Créateur du ciel et de la terre, il est aussi le Créateur de Marie ; mais en tant que s’appliquent à lui ces paroles : « Formé d’une femme, formé sous la loi n », il est le fils de Marie. Le Seigneur de Marie est en même temps le fils de Marie ; celui qui a créé Marie a été formé de Marie. Ne sois pas surpris de voir qu’il soit à la fois son fils et son Seigneur ; car s’il a été appelé le fils de Marie, il a été aussi appelé le fils de David, et il a été le fils de David précisément parce qu’il a été le fils de Marie. Entends l’Apôtre ; il dit formellement « qu’il lui est né de la race de David selon la chair o ». Écoute encore : Il a été aussi appelé le Seigneur de David. Que David le dise lui-même : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur, asseyez-vous à ma droite p ». Et Jésus lui-même a proposé ce passage aux Juifs, et s’en est servi pour les confondre q. Comment donc est-il en même temps le fils et le Seigneur de David ? Il est le fils de David selon la chair, il en est le Seigneur selon la divinité. Il est pareillement le fils de Marie selon la chair, et son Seigneur selon la majesté. Comme Marie n’était pas la mère de la divinité, et comme c’était la divinité qui devait opérer le miracle demandé par Marie, il lui dit : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » Ne croyez pas cependant que je vous renie pour ma mère : « Mon heure n’est pas encore venue ». Je vous reconnaîtrai au moment où mon infirmité, dont vous êtes la mère ; sera attachée à la croix. Voyons si cela est vrai. Quand fut venue l’heure de la passion du Christ, voici ce qui se passa d’après le témoignage de l’Évangéliste même qui connaissait la mère du Seigneur et qui nous la représente maintenant comme assistant aux noces : « La mère de Jésus était près : de la croix, et Jésus dit à sa mère : Femme, voici votre fils ; et au disciple : Voici votre mère r ». Il recommande sa mère à son disciple, car il devait mourir avant elle et ressusciter avant sa mort ; il la recommande à Jean ; homme, il recommande à un homme l’humanité d’où il est sort !. Voilà ce que Marie avait enfanté. Alors était venue l’heure dont il dit aujourd’hui : « Mon heure n’est pas encore venue ».

10. Si je ne me trompe, mes frères, nous avons répondu aux hérétiques ; répondons maintenant aux mathématiciens. Pourquoi ceux-ci prétendent-ils que Jésus était soumis à la fatalité ? C’est, assurent-ils, parce qu’il a dit : « Mon heure n’est pas encore venue ». Donc, nous croyons à sa parole. Et s’il avait dit : Je n’ai pas le moment, il aurait mis hors de cause les mathématiciens. Mais, disent-ils, voici ses paroles : « Mon heure n’est pas encore venue ». Si donc il avait dit : Je n’ai pas le moment, il aurait mis hors de cause les mathématiciens ; il n’y aurait pas de prétexte à leurs calomnies ; mais comme il a dit : « Mon heure n’est pas encore venue », que pouvons-nous opposer à ses paroles ? C’est merveille de voir les mathématiciens ajouter foi aux paroles de Jésus-Christ et s’efforcer en même temps de convaincre les chrétiens que le Christ a vécu nus la fatalité d’une heure. Qu’ils ajoutent donc foi aux paroles de Jésus-Christ lorsqu’il dit : « J’ai le pouvoir de quitter la vie et de la reprendre de nouveau ; personne ne me l’enlève, mais je la quitte de moi-même, et de nouveau je la reprends  s ». Un tel pouvoir dépend-il du destin ? Un homme qui a le pouvoir de décider quand il mourra, et combien de temps il vivra, est-il soumis à la fatalité ? Qu’ils nous le montrent donc ! Mais ils ne le montreront pas. Qu’ils ajoutent par conséquent foi à ces paroles du Sauveur « J’ai le pouvoir de quitter la vie et de la reprendre de nouveau » ; qu’ils cherchent ensuite pourquoi il a dit : « Mon heure n’est point encore venue », et qu’en raison de ces paroles ils ne soumettent pas à la fatalité l’auteur du ciel, le créateur et l’ordonnateur des astres. D’ailleurs, si les astres étaient les maîtres du destin, celui qui a créé les astres ne pouvait être assujetti à la nécessité qu’ils imposent. Ajoute à cela que ce que tu appelles le destin, le Christ, non seulement n’y est pas soumis, mais ni toi, ni moi, ni un autre, ni personne, n’en subissons la fatalité.

11. Quoi qu’il en soit, et parce qu’ils se sont laissé séduire, ces malheureux cherchent à séduire à leur tour : ils proposent aux hommes leurs moyens de séductions, ils tendent leurs pièges pour les prendre, et cela sur les places publiques. Au moins ceux qui tendent des pièges aux animaux sauvages choisissent pour cela les forêts et les lieux déserts. Combien sont malheureux et vains ceux à qui l’on tend des pièges jusque sur les places publiques, afin de les prendre ! Les hommes reçoivent de l’argent pour se vendre à d’autres hommes, et ceux-ci donnent le leur pour se vendre à la vanité ! Car ils entrent chez un astrologue pour s’y procurer des maîtres tels qu’il plaît à cet homme de leur en donner : Saturne, Jupiter, Mercure, ou tout autre de nom aussi sacrilège. Il est entré libre, afin, pour son argent, de sortir esclave. Que dis-je ? Il ne serait pas entré s’il avait été libre ; mais il est entré là où l’erreur, où la cupidité l’attiraient pour en faire leur esclave. C’est ce qui a fait dire à la vérité : « Tout homme qui commet le péché est l’esclave du péché  t ».

12. Pourquoi donc Jésus-Christ a-t-il dit : « Mon heure n’est pas encore venue ? » C’était surtout parce que, ayant le pouvoir de mourir quand il le voudrait, il ne jugeait pas opportun d’en user encore. Pourquoi, par exemple, mes frères, disons-nous : L’heure est venue de partir afin de célébrer les mystères ? Si nous sortons avant l’heure convenable, ne nous con luisons-nous pas en dehors de la règle et à contre-temps ? Mais, si nous ne sortons qu’au moment opportun, est-ce que la fatalité dicte nos paroles ? Quel est donc le sens de ces paroles : « Mon heure n’est pas encore venue ? » L’heure n’est pas encore venue pour moi de savoir que le moment de souffrir est venu pour moi, et que ma passion sera utile. Quand elle sera venue, alors je souffrirai volontairement. De cette façon seront vrais pour toi ces deux passages : « Mon heure n’est pas encore venue » ; et : « J’ai le pouvoir de donner ma vie et de la reprendre à nouveau ». Jésus-Christ était donc venu avec le pouvoir de choisir le moment de sa mort. Mais s’il était mort avant d’avoir choisi ses disciples, à coup sûr il eût agi à contre-temps. Or, s’il n’avait pas eu le pouvoir de choisir l’heure de sa mort, il aurait pu mourir avant de choisir ses disciples ; et s’il était mort après les avoir choisis et instruits, c’eût été un effet, non pas de sa propre volonté, mais de la volonté d’autrui. Mais il était venu avec le pouvoir de s’en aller et de revenir, de s’avancer jusqu’où il voulait, de tenir l’enfer devant lui, non seulement après sa mort, mais même après sa résurrection, afin de faire briller à nos yeux l’espérance de voir son Église durer toujours ; par conséquent, il a marqué dans le chef ce que les membres avaient droit d’attendre. Il est ressuscité comme chef, il ressuscitera donc aussi dans ses membres. Son heure n’était donc pas encore venue, ce n’était pas encore le moment opportun. Il lui fallait appeler ses disciples, annoncer le royaume des cieux, opérer des prodiges, prouver sa divinité par des miracles, et son humanité par les souffrances de son corps. En effet, il avait faim parce qu’il était homme, et néanmoins, avec cinq pains il nourrit cinq mille hommes, parce qu’il était Dieu ; il dormait comme homme, et, comme Dieu, il commandait aux vents et aux flots. Il fallait d’abord en donner des preuves, afin que les évangélistes eussent de quoi écrire, et les Apôtres de quoi prêcher au sein de l’Église. Mais lorsque le Christ eut fait ce qu’il jugeait utile de faire, alors vint l’heure fixée, non par la nécessité, mais par son choix ; non par la condition de sa nature, mais par sa puissance.

13. Toutefois, mes frères, de ce que nous ayons répondu aux hérétiques et aux mathématiciens, s’ensuit-il que nous devions ne pas vous dire ce que signifient les urnes, l’eau changée en vin, le maître d’hôtel, l’époux, la présence de la mère du Christ à cette mystérieuse cérémonie, et ces noces elles-mêmes ? Il nous faut vous dire tout cela, mais il nous faut aussi ne pas vous fatiguer. À pareil jour qu’hier, nous avons l’habitude de faire un sermon à votre charité ; nous aurions voulu en profiter pour vous en entretenir au nom du Christ : mais des difficultés insurmontables sont venues y mettre obstacle. Si votre sainteté le trouve bon, nous remettrons à demain à vous expliquer ce que cette circonstance a de mystérieux et, ainsi, nous ne surchargerons ni votre faiblesse, ni la nôtre. Peut-être en est-il plusieurs que la solennité du jour, et non le désir d’entendre prêcher, a fait venir ici ; que ceux qui viendront demain, viennent pour s’instruire ; par là, nous ne priverons pas ceux qui veulent s’instruire, et nous ne fatiguerons nullement ceux qui n’en ont pas le désir.

NEUVIÈME TRAITÉ.

SUR LA MÊME LEÇON DE L’ÉVANGILE. – DU MYSTÈRE RENFERMÉ DANS LE MIRACLE OPÉRÉ AUX NOCES DE CANA EN GALILÉE. (Chap 2,1-11.)

LE MIRACLE DE CANA.

Tous les actes du Sauveur ont leur signification, sa présence aux noces de Cana a la sienne comme les autres circonstances de sa vie. Le prodige opéré en cette occasion a deux sens :

1° L’eau changée en vin figurait les prophéties relatives au Messie, lettre morte, paroles sans vertu qu’il a vivifiées par son incarnation ; les six âges du monde, tous prophétiques, étaient représentés par les six urnes pleines d’eau ; et de même que celte eau devait être changée en vin par le Christ ainsi les prophéties devaient recevoir toute leur valeur de leur application à sa personne ; enfin par les deux mesures contenues dans les urnes s’entendent le Père et le Fils, et par les trois le mystère de la sainte Trinité ;

2° Les prophéties des six âges venaient du peuple Juif, mais elles avaient trait à toutes les nations dont se compose le peuple chrétien. Ainsi l’union d’Adam et d’Eve en une seule chair représentait l’union de Jésus-Christ avec son Église : l’arche de Noé était l’image du bois de la croix réunissant près de lui et sauvant toutes les nations ; le sacrifice d’Abraham préfigurait celui du Calvaire ; les psaumes de David ont incessamment trait à l’empire de Dieu sur tous les peuples ; ta pierre détachée de la montagne et devenant elle-même une montagne qui remplit toute la terre, n’est-ce pas Jésus-Christ issu du peuple Juif par sa naissance virginale et exerçant sa puissance sur le monde entier ? Et la conversion des Gentils à la foi n’est-elle pas l’accomplissement des paroles adressées aux Juifs par Jean-Baptiste ? Les deux mesures représentent les circoncis et les incirconcis dont se compose le peuple chrétien, elles trois mesures sont les trois races humaines dont les fils de Noé ont été la source.

1. Que le Seigneur notre Dieu soit avec nous pour nous donner d’accomplir notre promesse. Hier, si votre sainteté s’en souvient, les limites du temps ne nous ont pas permis d’achever l’instruction commencée ; nous avons donc remis à aujourd’hui de vous découvrir avec l’aide de Dieu, les mystères renfermés dans cet événement dont le récit vous a été lu dans le saint Évangile. Il est inutile de nous arrêter longtemps à relever la grandeur de ce prodige opéré par Dieu ; c’est, en effet, le même Dieu qui en opère tous les jours dans toutes les créatures, et s’ils ne font plus d’impression, ce n’est pas qu’ils soient plus faciles à produire, c’est qu’ils sont sans cesse sous nos yeux. Le Verbe incarné pour nous en a donc fait d’autres plus rares, et l’esprit humain en a été frappé davantage. Ce n’est pas qu’ils aient été plus grands que ceux que Dieu opère tous les jours dans les créatures. Ceux qui se font tous les jours semblent être le résultat de la loi naturelle qui règle le cours ordinaire des choses ; les seconds, au contraire, apparaissent aux yeux de l’homme comme l’œuvre d’un pouvoir qui s’exerce actuellement. Nous vous l’avons dit, et vous vous en souvenez : un mort est sorti vivant du tombeau ; et cet événement a jeté les hommes dans la stupeur ; tous les jours, des enfants qui n’existaient pas viennent au monde, et personne n’en est surpris. Ainsi, qui ne s’étonne de voir changer l’eau en vin ? Pourtant Dieu fait cela tous les ans dans les vignes. Toutefois, comme en opérant ces prodiges, Notre-Seigneur a voulu, non seulement stimuler nos cœurs, mais encore élever en eux l’édifice de la foi, il nous faut rechercher l’à-propos, c’est-à-dire la signification de ce qui concerne celui-ci. Car, vous vous en souvenez, c’est cette explication que nous avons remise à aujourd’hui.

2. De ce que le Seigneur a été invité à des noces et qu’il y est venu, indépendamment de toute explication mystérieuse, ressort, suivant l’intention du Sauveur lui-même, la preuve qu’il est l’auteur du mariage. En effet, des hommes, dont parle l’Apôtre, devaient défendre de se marier u, et enseigner que le mariage est un mal, et que son auteur est le diable. Au contraire, le Seigneur interrogé sur la question de savoir s’il est permis à un homme de renvoyer sa femme pour n’importe quel motif, a répondu que cela n’est pas permis, excepté pour cause de fornication. À cette réponse il a ajouté ceci, s’il vous en souvient : « Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni v ». Ceux qui sont bien instruits dans la foi catholique savent que Dieu a établi le mariage, et que, comme l’union conjugale est d’institution divine, le divorce est l’œuvre du diable ; et si dans le cas de fornication il est permis de renvoyer sa femme, c’est que, la première, elle a renoncé à être épouse, puisque la première elle a foulé aux pieds la foi conjugale. Quant à celles qui ont voué à Dieu leur virginité, bien qu’elles soient à un degré plus élevé d’honneur et de sainteté dans l’Église, elles n’ont pas pour cela renoncé entièrement aux noces ; car elles ont part avec toute l’Église à ces noces où l’Époux est le Christ. Ayant été invité aux noces, le Sauveur s’y est rendu pour resserrer le lien de chasteté conjugale, et nous révéler ce qu’il y a de mystérieux dans les noces ; car, dans la circonstance présente, la personne de Notre-Seigneur était figurée par l’époux à qui il fut dit : « Tu as conservé le bon vin jusqu’à présent ». En effet, le Christ a conservé le bon vin jusqu’à présent, c’est-à-dire son Évangile.

3. Commençons donc dès maintenant à vous dévoiler les secrets de ces mystères, autant du moins que nous en fera la grâce Celui au nom de qui nous vous l’avons promis. Dès les temps anciens il y eut des prophéties, et jamais aucune époque n’en fut privée : mais quand on n’y reconnaissait pas le Christ, ces prophéties n’étaient que de l’eau. Car d’une certaine manière l’eau recèle du vin. Que devons-nous entendre par cette eau ? L’Apôtre nous le dit : « Jusqu’aujourd’hui, quand on leur lit Moïse, les Juifs ont un voile posé sur leur cœur, voile qui n’en est pas retiré, parce qu’il n’est enlevé que dans le Christ. Mais », continue-t-il, « lorsque tu seras passé au Seigneur, le voile sera enlevé  w ». Par, ce voile il entend l’obscurité qui empêchait de comprendre les prophéties : le voile se lèvera, et avec lui disparaîtra l’ignorance lorsque tu seras passé à Notre-Seigneur, et ce qui était de l’eau se changera pour toi en vin. Lis tous les livres prophétiques ; si tu n’y aperçois pas Jésus. Ch net, qu’y a-t-il de plus insipide et de plus fade ? Si, au contraire, tu y vois Jésus-Christ, non seulement tu trouves de la saveur à ce que tu lis, mais encore ta lecture te jette dans l’ivresse, ton âme s’élève au-dessus des corps, et en oubliant le passé elle s’étend pour saisir les choses à venir x.

4. Ainsi, dès les temps anciens et depuis le premier anneau de la chaîne des générations humaines, il y a eu des prophéties concernant le Christ ; mais il s’y tenait caché : ce n’était encore que de l’eau. Comment prouvons-nous que, dans toute la durée des temps antérieurs à la venue du Christ, des prophéties relatives à sa personne n’ont jamais éprouvé de solution de continuité ? D’après ses propres paroles. Car après sa résurrection d’entre les morts il trouva ses disciples dans le doute à l’égard de. Celui qu’ils avaient suivi, ils l’avaient vu mourir et n’espéraient pas le voir ressusciter, leur confiance en lui était anéantie. Aussi le larron fut-il loué et mérita-t-il d’entrer le même jour dans le paradis. Pourquoi ? Parce que, étant attaché à la croix, il confessa Jésus-Christ y, tandis que ses disciples doutaient de lui. Il les trouva donc chancelants et se reprochant en quelque sorte d’avoir espéré qu’il délivrerait Israël. Ils s’affligeaient de l’injustice de sa mort, car son innocence leur était connue. eux-mêmes le lui dirent après sa résurrection, au moment où il fit la rencontre de deux d’entre eux qui marchaient plongés dans la tristesse. « Êtes-vous seul étranger à ce point dans Israël, que vous ignoriez ce qui s’est passé ces derniers jours ? Quoi donc ? leur répliqua-t-il. Touchant Jésus de Nazareth, qui fut un prophète puissant en œuvres et en paroles en présence de Dieu et de tout le peuple ; comment nos prêtres et nos chefs l’ont livré pour être condamné à mort et l’ont crucifié. Cependant nous espérions que ce serait, lui qui rachèterait Israël, et voici maintenant le troisième jour depuis que ces événements se sont accomplis ». Après ces discours et d’autres prononcés par l’un de ceux que Jésus-Christ avait rencontrés sur le chemin du village voisin, il leur répondit en ces termes : « O insensés et cœurs tardifs à croire ce qui a été dit par les Prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrit ces choses, et qu’ainsi il entrât dans sa gloire ? Et commençant par Moïse et tous les Prophètes, il leur expliqua ce qui était dit de lui dans l’Écriture ». Ainsi s’exprima-t-il encore dans une autre circonstance, voulant se faire toucher de ses disciples afin de leur donner une preuve palpable de la réalité de sa résurrection ; il leur dit : « Voilà ce que je vous avais annoncé lorsque j’étais encore avec vous, savoir que tout ce qui est écrit de moi dans Moïse, les Prophètes et les psaumes, devait être accompli. Alors il leur ouvrit l’intelligence afin qu’ils comprissent les Écritures, et leur dit : Car il est écrit que le Christ devait souffrir et ressusciter d’entre les morts le troisième jour, que la pénitence et la rémission des péchés devaient en sen nom être prêchées par toutes les nations, à commencer par Jérusalem ».

5. Si nous comprenons bien ces passages du saint Évangile, et certes ils ne renferment rien d’obscur, nous saisirons parfaitement tous les mystères contenus dans le miracle qui nous occupe. Faites attention à cette parole du Sauveur, qu’il fallait que tout ce qui a été écrit du Christ eût en lui son accomplissement. Où se trouve ce qui a été écrit de lui ? Il l’a dit : « Dans là loi, dans les Prophètes et dans les psaumes ». Il n’omet aucune des anciennes Écritures. C’était de l’eau ; aussi le Seigneur appelle-t-il insensés les deux disciples d’Emmaüs, parce que cette eau leur plaisait encore et qu’ils n’avaient pas encore de goût pour le vin. Comment Jésus-Christ a-t-il changé cette eau en vin ? Lorsqu’après leur avoir ouvert l’intelligence il leur a expliqué les Écritures, commençant par Moïse et continuant par les Prophètes ; c’est pourquoi ils se sentaient déjà comme enivrés et disaient : « Notre cœur ne brûlait-il pas en nous sur le chemin lorsqu’il nous « découvrait les Écritures z ? » Ils avaient, en effet, découvert ce qu’ils ne savaient pas auparavant, c’est que ces livres avaient trait au Christ. Le Sauveur a donc changé l’eau en vin, et aussitôt ce qui leur était insipide est devenu agréable pour eux ; et ce qui ne les enivrait pas les a enivrés. Il aurait pu commander de vider l’eau qui se trouvait dans les urnes, pour y mettre du vin qu’il aurait tiré de je ne sais quelle source cachée ; il avait ainsi fait venir du pain quand il rassasia tant de milliers d’hommes. Car cinq pains n’étaient capables ni de nourrir cinq mille personnes, ni de remplir au moins douze corbeilles aa ; mais sa puissance était comme un réservoir où il était à même de trouver du pain. Il aurait donc pu d’abord vider l’eau, puis mettre du vin à sa place ; mais s’il l’avait fait, il aurait semblé improuver les anciennes Écritures. Au contraire, en changeant l’eau elle-même en vin, il nous a montré que l’Ancien Testament vient de lui ; car c’est par son ordre que les urnes ont été remplies. C’est donc du Seigneur que viennent les anciennes Écritures ; mais si l’on n’y reconnaît pas Jésus-Christ, elles n’ont pas de saveur.

6. Considérez ce qu’il dit lui-même : « Ce qui a été écrit de moi dans la loi, dans les Prophètes et dans les psaumes ». Nous savons de quelle époque part le récit de la loi c’est dès l’origine du monde. « Au commencement ; Dieu fit le ciel et la terre  ab ». Depuis celte époque jusqu’au temps présent, on compte six différents âges ; on vous l’a dit souvent, et vous le savez. Le premier âge va d’Adam à Noé ; le second, de Noé à Abraham, selon l’ordre qu’établit et suit l’Évangéliste Matthieu ; le troisième va d’Abraham à David le quatrième, de David à la captivité de Babylone ; le cinquième, de la captivité de Babylone à Jean-Baptiste ac ; le sixième, de Jean-Baptiste à la fin du monde. Dieu a fait l’homme à son image le sixième jour ad, parce que c’est en ce sixième âge que s’est manifesté par l’Évangile le renouvellement de notre esprit, selon l’image de celui qui nous a créés ae. En ce jour, L’eau s’est changée eu vin, afin que nous goûtions le Christ manifesté dans la loi elles Prophètes. C’est pour cela que les urnes qu’il ordonnait de remplir avec de l’eau étaient au nombre de six. Ces six urnes signifiaient donc les six âges du monde pendant lesquels il y eut toujours des prophéties. Ainsi distribués et distingués les uns des autres comme par des articulations diverses, ces six âges auraient été comme des vases vides si Jésus-Christ ne les avait remplis. Pourquoi même donner le nom d’âges ides temps qui se seraient inutilement écoulés si, pendant leur cours, le Seigneur n’avait pas été annoncé ? Les prophéties ont reçu leur accomplissement, on a rempli les urnes ; mais pour que l’eau soit changée en vin, il faut que dans toutes ces prophéties on reconnaisse Jésus-Christ.

7. Que signifient donc ces paroles : « Elles contenaient deux ou trois mesures ? » Cette manière de parler signale à notre attention un grand mystère. L’Évangéliste appelle metreta des vases servant de mesures, comme une urne, une amphore ou bien un objet pareil. Le mot métrète est le nom de la mesure, et ce nom de mesure dérive lui-même du mot mesure. En effet, metron en grec, signifie mesure ; de là le mot métrète. « Elles renfermaient donc deux ou trois mesures ». Que disons-nous, mes frères ? S’il n’était question que de trois mesures, notre esprit se reporterait tout droit au mystère de la Trinité. Mais de ce que l’Évangéliste a dit : « deux ou trois », il ne suit peut-être pas que nous devions renoncer immédiatement à cette interprétation. Car le Père et le Fils étant une fois nommés, il faut nécessairement supposer l’existence du Saint-Esprit. Le Saint-Esprit n’est pas seulement l’Esprit du Père ou seulement l’Esprit du Fils, il est tout à la fois l’Esprit du Père et l’Esprit du Fils. En effet, il est écrit : « Si quelqu’un aime le monde, l’Esprit du Père n’est point en lui af ». Et ailleurs : « Quiconque n’a pas l’Esprit du Fils n’est point de lui ag ». Le Père et le Fils ont donc le même Esprit ; d’où il suit que nommer le Père et le Fils, c’est sous-entendre le Saint-Esprit, puisqu’ils ont tous deux un même Esprit. Quand on nomme le Père et le Fils, c’est comme si l’on disait deux mesures ; et quand on entend parler du Saint-Esprit, c’est trois mesures. Aussi l’Évangile ne dit-il pas que les urnes contenaient, les unes deux mesures, les autres trois ; mais que les six urnes « contenaient deux ou trois mesures ». Comme s’il disait : Quand je dis deux mesures, je veux que l’Esprit du Père et du Fils soit compris avec eux ; et quand je dis trois, j’énonce plus clairement la sainte Trinité.

8. Ainsi, quiconque nomme le Père et le Fils, doit sous-entendre la charité mutuelle du Père et du Fils, qui est le Saint-Esprit. Peut-être même (et je ne dis pas ceci comme si j’étais en mesure de le prouver aujourd’hui, ou comme si personne ne pouvait trouver une autre manière d’interpréter ce texte), peut-être même l’examen et la discussion des Écritures montreraient-ils que le Saint-Esprit est la charité même. En tous cas, ne supposez pas que la charité soit chose méprisable. La charité pourrait-elle n’avoir aucun prix quand de tout ce qui a du prix nous disons qu’il est cher ? Si donc tout ce qui n’est pas de vil prix est cher, peut-il y avoir rien de plus cher que la charité même ? Aussi l’Apôtre la relève-t-il au point d’en dire ceci : « J’ai à vous montrer une voie suréminente. Quand je parlerais la langue des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, je ne suis qu’un airain sonnant et une cymbale retentissante. Quand je connaîtrais tous les mystères, quand je posséderais toute science, quand j’aurais le don de prophétie, quand toute foi me serait donnée jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. Quand je distribuerais mon bien aux pauvres, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, il ne me sert de rien ah ». La charité est donc bien précieuse, puisque sans elle tout est inutile, puisque avec elle tout est profit. Toutefois, cet éloge si brillant et si flatteur que l’apôtre Paul fait de la charité, en du moins que ce petit mot de l’apôtre Jean dont nous expliquons l’Évangile ; car il n’a pas craint de dire : « Dieu est charité ai ». Et il est encore écrit « que la charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné aj ». Qui donc nommera le Père et le Fils, sans entendre parler aussi de la charité du Père et du Fils ? Celui qui a cette charité a le Saint-Esprit, et quiconque ne l’a pas, le Saint-Esprit n’est pas en lui. Séparé de son esprit, qui est ton âme, ton corps est mort. Ainsi en est-il de ton âme ; sépare-la du Saint-Esprit, c’est-à-dire de la charité, c’est comme si elle était morte. « Les urnes contenaient donc deux mesures », parce qu’à toutes les époques le Père et le Fils ont été annoncés dans les prophéties : mais le Saint-Esprit l’était aussi bien qu’eux ; de là cette addition, « ou trois mesures ». « Moi et mon Père », dit Jésus-Christ, « nous sommes un ak » ; mais à Dieu ne plaise qu’il soit fait exclusion du Saint-Esprit là où le Sauveur dit : « Moi et mon Père sommes un ». Cependant le Père et le Fils étant seuls nommés à cet endroit, accordons que « les urnes contiennent seulement « deux mesures » ; mais le texte ajoute : « ou trois mesures ». En voici la raison : « Allez, baptisez les nations au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit al ». Ainsi, quand l’Évangile dit : « deux mesures », il ne fait pas mention expresse de la Trinité, il la sous-entend ; mais lorsqu’il dit : « trois mesures », il la déclare formellement.

9. Il y a de ce passage une autre interprétation qu’il ne faut pas passer sous silence. Je vais vous la dire, et alors chacun choisira celle qui lui conviendra le mieux ; pour nous, nous ne voulons pas vous frustrer de ce que Dieu nous donne. Car vous êtes à la table du Seigneur, et il n’est pas juste que celui qui y sert retranche une partie des aliments aux convives, surtout à des convives comme vous, qui se montrent si affamés. Les prophéties qui ont eu lieu dès les temps anciens ont pour but le salut de toutes les nations. Sans doute Moïse a été envoyé au seul peuple d’Israël ; c’est à ce peuple seul que la loi a été donnée par son ministère ; c’est des rangs de ce peuple que sont sortis les Prophètes ; c’est en vue de ce peuple que la distinction des âges a été établie ; aussi est-il dit des urnes qu’elles étaient destinées « aux purifications en usage chez les Juifs ». Toutefois, que ces prophéties aient aussi été faites aux autres nations, on n’en saurait douter, puisqu’en ce peuple était caché Jésus-Christ, en qui toutes les nations de la terre sont bénies suivant cette promesse de Dieu à Abraham : « Toutes les nations seront bénies en Celui qui sortira de toi am ». Mais Jésus-Christ n’était pas encore reconnu, parce que l’eau n’avait pas encore été changée en vin. Les prophéties avaient donc lieu pour toutes les nations. Pour faire ressortir plus clairement à vos yeux cette vérité, nous allons, dans les limites du temps dont nous pouvons disposer, vous parler de ces différents âges que figuraient les six urnes de notre Évangile.

10. Au commencement Adam et Eve étaient les premiers parents de tous les hommes, et pas seulement des Juifs. Par conséquent, tout ce qui en Adam figurait le Christ était du domaine de toutes les nations, puisqu’elles n’ont de salut qu’en Notre-Seigneur. Que dirai-je de mieux approprié à l’eau de la première urne que ce que l’Apôtre a dit d’Adam et d’Eve ? Personne, en effet, ne pourra trouver mauvaise ma manière de comprendre les choses, puisqu’au lieu de l’inventer de moi-même, je l’emprunte à l’Apôtre. C’est à lui seul un étonnant mystère relativement au Christ, que celui auquel l’Apôtre fait allusion dans ce passage : « Ils ne feront tous deux« qu’une seule chair : ce mystère est grand an ». Et afin que personne n’imagine que cette grandeur du mystère se trouve en chacun de ceux qui ont une femme, il ajoute : « Mais je dis en Jésus-Christ et en l’Église ». Où se trouve donc le grand mystère : « Et ils ne feront tous deux qu’une seule chair ? » Le voici : parlant d’Adam et d’Eve, la Genèse en vient à ces paroles : « C’est pourquoi l’homme abandonnera son père et sa mère, et il s’attachera à sa femme, et ils seront tous deux dans une chair une ao ». Toutefois si Jésus-Christ s’est attaché à son Église de manière à ce qu’ils fussent deux en une seule chair, comment a-t-il quitté son Père ? Comment a-t-il quitté sa mère ? Il a quitté son Père, parce qu’étant en la forme de Dieu et pouvant sans larcin se dire son égal, il s’est anéanti lui-même en prenant la forme d’esclave ap. Voilà le sens de ces paroles : Il a quitté son Père, non qu’il l’ait abandonné ou se soit éloigné de lui, mais parce que ce n’est pas dans la forme selon laquelle il est égal au Père, qu’il est apparu aux hommes. Comment a-t-il quitté sa mère ? En quittant la synagogue des Juifs, de laquelle il est né selon la chair, et en s’attachant à l’Église, qu’il a composée en réunissant toutes les nations. Ainsi la première urne contenait l’annonce du Christ ; mais tout, le temps que ces vérités ne lurent pas prêchées aux peuples, cette prophétie n’était encore que de l’eau, elle n’était pas encore changée en vin. Maintenant donc que le Seigneur nous a éclairés par l’Apôtre pour nous faire connaître le sens caché de cette simple parole : Ils ne feront tous deux qu’une seule chair, ce mystère est grand en Jésus-Christ et dans l’Église », nous sommes en droit de chercher le Christ partout et de puiser le vin à toutes les urnes. Adam s’endort pour qu’Eve soit formée pendant son sommeil ; le Christ meurt pour donner naissance à l’Église. De la côte d’Adam endormi Eve est formée aq ; après sa mort Jésus-Christ est percé d’une lance au côté ar, et de ce côté coulent les sacrements qui doivent former l’Église. Qui ne voit dans les événements d’alors la figure de ce qui devait arriver plus tard, surtout quand l’Apôtre nous enseigne que le premier Adam était le type du futur Adam ? « Il était la figure de celui qui devait venir as ». Tous les événements étaient mystérieusement figurés en lui. Était-ce afin de l’empêcher rie souffrir que Dieu attendit le moment de son sommeil pour lui retirer une côte et en former la femme ? Où est l’homme capable de dormir assez profondément pour qu’on puisse, sans l’éveiller, lui ôter des os ? Ou bien Adam a-t-il été insensible à l’enlèvement d’une de ses côtes, parce que c’était Dieu lui-même qui la lui ôtait ? Dieu, qui pouvait enlever cette côte à Adam pendant son sommeil, pouvait donc aussi la lui enlever sans lui causer aucune douleur, pendant qu’il était éveillé. Mois sans aucun doute cette première urne était remplie d’eau, elle contenait pour ce premier âge l’annonce des événements réservés à l’avenir.

11. Le Christ a été aussi figuré dans Noé et ‘dans cette arche qui renfermait tous les êtres vivants de l’univers. En effet, pourquoi tous les animaux ont-ils été renfermés dans cette arche at, sinon pour figurer toutes les nations ? Dieu ne manquait pas de puissance pour les créer de nouveau ; car, quand aucune créature n’existait, n’a-t-il pas dit : « Que la terre produise, et la terre a produit au ? » Il les avait créées une première fois, il pouvait les créer encore. Une première fois sa parole les avait fait sortir du néant, elle était à même de réitérer son œuvre. Mais il voulait nous signaler un mystère, il remplissait la seconde urne par une prophétie, il nous montrait en figure la vie de l’univers conservée par le bois, parce qu’au bois devait être vraiment attachée la vie du monde entier.

12. Nous voici à la troisième urne, c’est-à-dire à Abraham, je vous en ai déjà fait la remarque, il a été dit à ce patriarche : « Toutes les nations seront bénies en Celui qui sortira de ta race ». Il est facile de reconnaître celui que figurait le fils unique du père des croyants : au moment où son père le conduisait vers la montagne sur le sommet de laquelle on devait le faire mourir, ne portait-il pas lui-même le bois nécessaire au sacrifice ? De fait le Seigneur porta sa croix, comme le dit l’Évangile av. À l’endroit de la troisième urne cette remarque suffit.

13. Quant à David, est-il besoin de dire que ses prophéties concernaient toutes les nations ? Parmi les psaumes il n’en est pas un seul qui n’y ait trait, aussi bien que celui dont nous venons d’entendre la lecture : tous l’avoueront sans peine. Je l’ai dit, nous avons chanté tout à l’heure ces paroles si positives : « Levez-vous, Seigneur, jugez la terre, toutes les nations seront votre héritage aw ». Et par là les Donatistes sont comme rejetés des noces. En effet, l’homme dépourvu de la robe nuptiale, qui vint aux noces après avoir été invité, en fut chassé parce qu’il n’était pas vêtu de manière à faire honneur à l’Époux. De même en est-il de celui qui cherche sa propre gloire, et non la gloire de Jésus-Christ. Il n’a pas la robe nuptiale, car il refuse de s’associer à la parole de l’ami de l’Époux et de dire avec lui : « C’est celui-là qui baptise ax ». Celui qui n’avait pas la robe nuptiale mérita de s’entendre donner par reproche un titre auquel il n’avait pas droit : « Mon ami, pourquoi es-tu venu ici ? » Et de même qu’il demeura muet ay à cette question, ainsi les Donatistes demeurent muets à leur tour. En effet, à quoi bon remuer les lèvres et tant parler, si le cœur reste muet ? Car ils savent bien intérieurement qu’ils n’ont rien à répondre. Aussi restent-ils muets au dedans, quoiqu’ils fassent beaucoup de bruit au-dehors. Ils entendent, bon gré mal gré, chanter parmi eux ces paroles : « Levez-vous, Seigneur, jugez la terre, parce que toutes les nations vous seront données en héritage ». Ainsi, se séparant de la communion de toutes les nations, qu’apprennent-ils sinon qu’ils ne font plus partie de cet héritage ?

14. J’ai donc dit, mes frères, que les prophéties regardaient toutes les nations de la terre ; mais je veux vous montrer que ces paroles : « Elles contenaient deux ou trois mesures », ont encore un autre sens. Les prophéties, dis-je, ont trait à toutes les nations ; nous venons de le prouver en ce qui concerne Adam ; car « il était la figure de l’autre Adam ». Qui ne sait, en effet, que de lui sont sorties toutes les nations, et que les quatre lettres de son nom désignent les quatre parties du monde telles que les appelaient les Grecs. Car si vous prononcez en grec les mots : Orient, Occident, Midi, Nord, dénominations sous lesquelles en différents endroits l’Écriture désigne ces quatre parties du monde, vous le verrez, les premières lettres de ces mots vous donnent celui d’Adam. En effet, voici comment se nomment, dans la langue grecque, les quatre points cardinaux : anatole, dusis, arktos, mesembria.

15. Pour ce qui est du cinquième âge représenté par la cinquième urne, Daniel voit une pierre détachée de la montagne sans qu’aucune main y ail part ; cette pierre brise dans sa chute tous les royaumes de la terre, et elle grossit au point de devenir une grande montagne, si grande qu’elle couvre toute la surface de la terre az. Mes frères, y a-t-il rien de plus clair ? Une pierre se détache de la montagne. C’est cette pierre mise au rebut par ceux qui bâtissent, et qui est devenue la tête de l’angle ba. De quelle montagne est-elle détachée, sinon du royaume des Juifs, au sein duquel Jésus-Christ est né selon la chair ? Elle s’en détache sans le secours d’aucune main d’homme, car Jésus-Christ est né d’une vierge sans le concours charnel d’aucun homme. La montagne dont cette pierre est détachée ne couvrait point toute la terre, parce que le royaume des Juifs ne s’étendait pas à toutes les nations. Mais nous voyons le royaume de Jésus-Christ occuper toutes les parties de l’univers.

16. Reste le sixième âge, auquel appartient Jean-Baptiste, le plus grand des enfants des hommes, de qui il a été dit : « Il est plus grand qu’un prophète bb ». Comment, à son tour, Jean montre-t-il que Jésus-Christ a été envoyé à toutes les nations ? Le voici : les Juifs venaient à lui pour être baptisés ; afin de les empêcher de s’enorgueillir du nom d’Abraham qu’ils portaient, il leur dit : « Race de vipères, qui vous a enseigné à fuir la colère prête à venir ? faites donc de dignes fruits de pénitence » ; c’est-à-dire, soyez humbles. En effet, il parlait à des orgueilleux. D’où leur venait leur orgueil ? De ce qu’ils descendaient d’Abraham selon la chair, et non point de ce qu’ils imitaient sa conduite. Aussi, quel langage leur tient-il ? « Ne dites pas : Nous avons pour père Abraham. Car Dieu peut, de ces pierres mêmes, susciter des enfants d’Abraham bc ». Il donnait aux nations le nom de pierres, non qu’elles en eussent la solidité, comme cette pierre mise au rebut par ceux qui bâtissaient mais parce qu’elles étaient endurcies dans la sottise et l’imbécillité. N’étaient-elles pas, en effet, devenues pareilles aux pierres qu’elles adoraient ? Pourquoi avaient-elles perdu le sens ? Parce qu’il est dit dans un psaume : « Qu’ils deviennent semblables aux idoles, ceux qui les font et ceux qui mettent en elles leur confiance bd », Aussi, quand les hommes ont commencé à adorer le Dieu véritable, que leur recommande-t-on ? « Soyez les enfants de votre Père qui est au ciel et qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes  be ». Si donc l’homme devient semblable à ce qu’il adore, que veulent dire ces paroles : « Dieu peut susciter de ces pierres des enfants d’Abraham ? » Interrogeons-nous nous-mêmes, et remarquons que ce fait est accompli en nous. Nous sommes sortis des rangs des Gentils ; or, nous n’en serions jamais sortis, si Dieu n’avait fait sortir de ces pierres des enfants d’Abraham. Nous avons été faits enfants d’Abraham, parce que nous avons imité sa foi, et non parce que nous descendons de lui selon sa chair. Comme les Juifs ont dégénéré de cette foi, ils ont été exclus de l’héritage, et si, nous autres, nous avons été adoptés, c’est que nous avons marché sur ses traces. Ainsi, mes frères, la prophétie représentée par la sixième urne était relative à toutes les nations. C’est pourquoi il est dit de toutes les urnes : « Elles contenaient deux ou trois mesures ».

17. Mais comment montrer que toutes les nations étaient désignées par ces termes « Deux ou trois mesures ? » En réduisant au nombre de deux les mesures qu’il disait être au nombre de trois, il y avait de la part de l’Évangéliste une sorte d’évaluation. Par là, l’écrivain sacré voulait nous signaler un mystère. Pourquoi donc « deux mesures ? » Pour désigner la circoncision et l’incirconcision. L’Écriture fait mention de cette division des peuples en deux classes, et elle n’en omet aucun lorsqu’elle dit : « La circoncision et l’incirconcision bf » Sous cette double dénomination sont donc comprises toutes les nations : voilà les deux mesures. C’est pour unir en sa personne ces deux murailles venues de côtés opposés, que Jésus-Christ est devenu la pierre de l’angle bg. Montrons aussi qu’à ces mêmes nations, sans exception aucune, ont aussi trait les trois mesures. Noé avait trois fils, par eux a été renouvelé le genre humain bh ; c’est ce qui a fait dire à Notre-Seigneur : « Le royaume des cieux est semblable à un levain qu’une femme prend et mêle à trois mesures de farine jusqu’à ce que toute la pâte soit levée bi ». Quelle est cette femme, sinon la chair du Seigneur ? Quel est ce levain, sinon l’Évangile ? Quelles sont ces trois mesures, sinon toutes les nations à cause des trois fils de Noé ? Donc, « les six urnes renfermant deux ou trois mesures », sont les six âges du monde, et ces âges ont chacun leur prophétie particulière concernant toutes les nations ; qu’on les partage en deux catégories, les Juifs et les Grecs, comme les appelle souvent l’Apôtre bj, ou en trois, à cause des trois fils de Noé, peu importe. Cette prophétie en figure s’étendait à toutes les nations, et c’est même parce qu’elle devait s’étendre à elles toutes que cette prophétie est appelée une mesure. Ainsi l’Apôtre a dit : « Nous avons reçu la mesure de nous étendre jusqu’à vous bk » Annoncer l’Évangile aux Gentils, c’est là ce qu’il appelle : « la mesure de s’étendre jusqu’à vous ».

DIXIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CET ENDROIT DE L’Évangile « APRÈS QUOI IL DESCENDIT À CAPHARNAÜM, AINSI QUE SA MÈRE », JUSQU’A : « OR, IL DISAIT CELA DU TEMPLE DE SON CORPS ». (Chap 2,12-21.)

SERMON CXXIII. HUMILITÉ DU CHRIST bl.

ANALYSE. – L’orgueil a commencé notre perte, par l’humilité doit commencer notre salut, Aussi quels exemples d’humilité nous a donnés Jésus-Christ ! Lui qui change pour autrui l’eau en vin aux noces de Cana, ne change pas pour lui-même les pierres en pain dans le désert. Lui qui se montre si puissant dans ses miracles, s’abandonne volontairement aux dernières indignités durant sa passion, et aujourd’hui encore il s’humilie dans la personne de ses pauvres. Ah ! comprendrons-nous enfin que nous sommes pauvres nous-mêmes et que nous nous enrichissons en assistant les pauvres ?

1. Vous le savez, mes frères, vous l’avez appris lorsque vous avez commencé à croire en Jésus-Christ, et nous vous le rappelons constamment clans l’accomplissement de notre ministère : le remède à notre orgueil est l’humilité du Sauveur. En effet, l’homme n’aurait pas péri, s’il ne s’était laissé enfler par l’orgueil. « L’orgueil, dit l’Écriture, est le commencement de tout péché bm. » Or, à ce commencement de tout péché il a fallu opposer le commencement de toute justice. Si donc l’orgueil est le commencement de tout péché, eût-il été possible de guérir cette plaie funeste si Dieu n’avait daigné se faire humble ? Rougis, ô homme, de ta superbe, en face de l’humilité d’un Dieu. Nous invite-t-on à nous humilier ? nous ne tenons pas compte de cette recommandation, et l’orgueil porte l’homme il se venge des outrages qu’il a reçus. Oui, c’est parce qu’on dédaigne de s’humilier que l’on veut se venger ; comme si l’on pouvait profiter de la peine faite à autrui ! Mais si en aspirant à se venger des torts et des injures que l’on a soufferts, on cherche un remède dans le châtiment d’autrui, on n’y trouve qu’un cruel tourment. C’est pourquoi le Christ notre Seigneur a daigné s’humilier en toutes choses. Il nous montre ainsi la voie ; à nous de ne refuser pas d’y marcher.

2. Voyez, ce Fils d’une vierge paraît dans une noce, lui qui dans le sein de son Père a établi les noces. La première femme, la femme qui a introduit le péché parmi nous, ayant été tirée de l’homme sans le concours d’aucune femme, il convenait que l’homme qui venait détruire le péché, naquit d’une femme sans le concours d’aucun homme. Elle nous ayant fait tomber, lui nous relève. Que fait-il donc aux noces ? Il change l’eau en vin. Quel témoignage de sa puissance ! Et pourtant il s’est abaissé jusqu’à se réduire à l’indigence. Lui qui a changé l’eau en vin, ne pouvait-il changer des pierres en pain ? Il ne fallait pas plus de puissance. Sans doute, mais s’il ne fit pas ce changement, c’est que le diable l’y avait porté. Vous le savez en effet, c’est ce que le diable conseillait à notre Seigneur Jésus-Christ au moment où il le tenta. Le Seigneur donc souffrait de la faim, il en souffrait volontairement, car c’était aussi un acte d’humilité ; c’était le Pain de vie qui avait besoin d’aliments. Ainsi on le vit épuisé, bien qu’il fût la voie ; couvert de blessures, quoiqu’il fût la santé, et mort, bien qu’il fût la vie même. Au moment donc où il avait faim, le tentateur lui dit, comme vous savez : « Si tu es le Fils de Dieu, dis à ces pierres de devenir des pains. » Pour t’apprendre à répondre au tentateur, il lui répondit, comme un général combat afin de faire la leçon à ses soldats. Que répondit-il ? « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole de Dieu. » Mais il ne changea pas les pierres en pain. Il le pouvait faire aussi, aisément qu’il avait changé l’eau en vin, il ne lui fallait que la même puissance ; mais il, n’en usa pas afin de témoigner son mépris pour la volonté du tentateur. Car on ne peut vaincre le tentateur qu’en le méprisant. Or, quand il l’eut vaincu les Anges s’approchèrent de lui et ils le servaient bn. Pourquoi, demandera-t-on, pourquoi avec tant de puissance fit-il un miracle plutôt que l’autre ? Lis ; ou plutôt rappelle-toi ce qu’on t’a lu à propos de l’un de ces miracles, du changement d’eau en vin : Que dit alors l’Évangile ? « Et ses disciples crurent en lui. » Mais le démon aurait-il cru en lui ?

3. Oui, malgré tant de puissance, il a eu faim, il a eu soif, il a été fatigué, il a dormi, il a été garrotté, déchiré de coups, crucifié et mis a mort. Voilà le chemin tracé ; marche dans cette voie d’humilité pour parvenir à l’heureuse éternité. Le Christ notre Dieu est la patrie où nous aspirons, et le Christ devenu homme est la voie qui nous y mène. Par lui nous allons donc à lui ; que craignons-nous de nous égarer ? Sans quitter son Père il est venu parmi nous. Il prenait le sein de sa mère, et il soutenait le monde. Il était couché dans l’étable, et en même temps la nourriture des Anges ; Dieu et homme tout à la fois, l’humanité est en lui unie à la divinité et la divinité unie à l’humanité. Son humanité toutefois n’a pas le même principe que sa divinité ; il est Dieu, parce qu’il est le Verbe, et homme, parce qu’il est le Verbe fait chair ; mais il est resté Dieu tout en prenant un corps humain, et en devenant ce qu’il n’était pas, il n’a rien perdu de ce qu’il était. C’est pour cela qu’après avoir souffert, qu’après être mort et avoir été enseveli dans son humilité ; il est ressuscité, il est monté au ciel, où maintenant il est assis à la droite de son Père. Ici toutefois il a encore besoin dans la personne de ses pauvres. Hier encore j’ai parlé de ce sujet a votre charité, à propos de ces paroles adressées à Nathanaël : « Tu verras de plus grandes choses. Je vous le déclare, vous verrez le ciel ouvert et les Anges de Dieu montant et descendant vers le Fils de l’homme bo. » Nous avons cherché à comprendre ce texte, nous nous sommes étendus longuement : faut-il aujourd’hui nous répéter ? Ceux d’entre vous qui étaient hier ici n’ont qu’à réveiller leurs souvenirs. Je vais cependant les rappeler en peu de mots.

4. Il ne dirait pas : « Montant vers le Fils de l’homme », si le Fils de l’homme n’était en haut ; ni : « Descendant vers le Fils de l’homme », s’il n’était aussi en bas. Il est en même temps et en haut et en bas ; en haut, dans sa personne et en bas dans la personne des siens ; en haut, dans le sein de son Père, et en bas parmi nous. De là viennent aussi ces paroles adressées à Saul : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu bp ? ». Jésus ne dirait pas : « Saut, Saul ; » s’il n’était en haut ; et comme Saut ne le persécutait pas dans le ciel, ces mots : «Pourquoi me persécutes-tu ? » signifient assurément que s’il était au ciel, il était en même temps sur la terre. Craignez donc le Christ au ciel, et sachez le reconnaître sur la terre. Au ciel il donne, il est ici dans le besoin ; au ciel il est riche, et pauvre ici. Pauvre ici, et pour nous disposer à recevoir ses grâces il dit lui-même : « J’ai eu faim, j’ai eu soif, j’ai été nu, j’ai été en prison. » – « Vous ne m’avez pas servi », dira-t-il aux uns. Vous m’avez servi », dira-t-il aux autres bq. N’y a-t-il point là des preuves de la pauvreté du Christ ? Maintenant, qui ne connaît combien il est riche ? Sans sortir de notre sujet, ne se montrait-il pas riche en changeant l’eau en vin ? Si la possession du vin est une richesse, le pouvoir de le créer n’en est-il pas une plus grande ? Le Christ est ainsi pauvre et riche en même temps. Comme Dieu, il est riche, et comme homme il est pauvre. Comme homme il est riche aussi, mais dans son humanité il est monté au ciel et il y est assis à la droite du Père ; et toutefois il est encore ici pauvre, souffrant de la faim, de la soif, de la nudité.

5. Et toi, qu’es-tu ? Es-tu riche, ou es-tu pauvre ? Beaucoup me disent : Je suis pauvre, et ils disent vrai. Je connais des pauvres qui possèdent et j’en connais qui n’ont rien. Un tel possède abondamment de l’or et de l’argent. Ah s’il sentait combien il est pauvre ! Il le sentira s’il regarde le pauvre qui l’avoisine. Quelle que soit d’ailleurs ton opulence, toi qui es riche, tu n’es qu’un mendiant près de Dieu. Voici l’heure de la prière, c’est là que je t’attends. Tu demandes ; n’es-tu pas pauvre, puisque tu demandes ? J’ajoute : Tu demandes du pain. Ne dis-tu pas effectivement. « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien ? » br

Demander son pain de chaque jour, est-ce être riche ou est-ce être pauvre ? Et pourtant le Christ ne craint pas de te dire : Donne-moi de ce que je t’ai, donné. Qu’as-tu apporté en venant au monde ? Tout ce que tu as trouvé ici après ta naissance, c’est moi qui l’ai créé ; tu n’as rien apporté ; tu n’emporteras rien. Pourquoi ne me donnes-tu pas de ce que je t’ai donné, puisque tu es dans l’abondance et le pauvre dans la disette ? Considérez l’un et l’autre quelle à été votre origine vous êtes nés tous deux également nus ; toi comme lui. Mais toi, tu as trouvé ici beaucoup ; qu’y as-tu apporté ? Je ne demande que de ce qui vient de moi. Donne et je rends. Je suis ton bienfaiteur, rends-moi ton débiteur, fais-toi mon créancier. Tu me donneras peu, et je te rendrai beaucoup ; pour tes biens terrestres, les biens célestes ; pour tes biens temporels, lesbiens éternels ; je te rendrai enfin toi-même à toi-même, lorsque je te donnerai à moi.

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