amIsa 14, 14,15
beSir 24, 6
ckSir 5, 13
csSag 7, 26
ctSag 9, 15
cxSag 7,26
cyId 8, 1
dtJn 14, 32
emSag 7, 26
esJac 4, 45
etPsa 60, 13
evPsa 60, 13
ffRom 7, 22-26
fsRom 7, 25-26
fwSag 1, 9
hnPsa 132, 17, 18
hvSag 9, 15
ixGal 2, 29
jb2Co 15, 24
jySir 10, 15, 14, 9, 10
kaPsa 36, 8-13
kdMat 11, 28, 29
keMat 18, 14, 4
mePsa 2, 11-13
mhSag 9, 15
moPsa 3, 9
mvMat 32, 30
John 5
DIX-SEPTIÈME TRAITÉ.
DEPUIS L’ENDROIT OÙ IL EST ÉCRIT « APRÈS CELA ARRIVA LA FÊTE DES JUIFS, ET JÉSUS MONTA À JÉRUSALEM », JUSQU’À CET AUTRE : « LES JUIFS CHERCHAIENT À LE FAIRE MOURIR, NON SEULEMENT PARCE QU’IL AVAIT VIOLÉ LE SABBAT, MAIS ENCORE PARCE QU’IL DISAIT QUE DIEU ÉTAIT SON PÈRE, SE FAISANT ÉGAL À DIEU ». (Chap 5,4-18.)GUÉRISON DU PARALYTIQUE.
Ce miracle est l’image de la guérison des âmes : de là son importance. La piscine figure le peuple Juif, et les cinq portiques, la loi de Moïse qui ne justifiait aucun de ses sujets. Il fallait que le Christ vint, par sa prédication, jeter le trouble parmi les pécheurs ; alors, quiconque croirait humblement en lui dans l’unité de l’Église, serait sauvé. Le paralytique, malade depuis trente-huit ans, représente l’âme pécheresse, qui n’observe point les deux préceptes de la charité, et ne peut en conscience observer ni la loi ni l’Évangile, figurés par le nombre quarante. Pour le guérir, le Sauveur lui commande de prendre son lit sur ses épaules, c’est-à-dire d’aimer le prochain qu’il voit, et de marcher, c’est-à-dire d’en venir à aimer Dieu qu’il le voit pas. À sa voix, le malade se lève, marche et finit par reconnaître son céleste médecin dans la solitude du temple. Pour les Juifs, au lieu de voir en lui le Verbe, par qui Dieu fait toutes choses, ils demeurent dans leur aveugle endurcissement. 1. Il ne doit point paraître surprenant que Dieu ait opéré un miracle, mais ce serait chose merveilleuse que l’homme en fît. Nous devons donc nous réjouir, au lieu de nous étonner, de ce que notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ s’est fait homme, plutôt que nous réjouir et nous étonner de ce que Dieu a fait, parmi les hommes, des œuvres dignes de lui. Son Incarnation parmi les hommes a contribué à notre salut plus que ses miracles, et c’était de sa part un bienfait plus considérable de guérir les âmes de leurs vices, que de délivrer de leurs maladies des corps destinés à mourir. Mais, d’une part, l’âme humaine ne connaissait point Celui qui devait la guérir ; d’autre part, l’homme avait, dans son corps, des yeux pour venir des faits matériels, sans avoir encore, dans son cœur, des yeux assez sains pour apercevoir le Dieu invisible : le Seigneur a ainsi opéré des œuvres susceptibles d’être vues par l’homme, pour purifier en lui l’organe dont l’infirmité ne lui permettait pas de contempler le Tout-Puissant. Jésus entra donc en un endroit où gisait une grande multitude de malades, d’aveugles, de boiteux, de paralytiques et comme il était le médecin des âmes et des corps, comme il était venu guérir toutes les âmes de ceux qui devaient croire en lui, parmi tous ces infirmes il en choisit un, pour lui rendre la santé. Cet unique élu devait être l’emblème de l’unité de l’Église. Si nous considérons ce miracle du Sauveur avec un cœur étroit, avec une intelligence et des idées tout humaines, le prodige ne nous paraîtra pas extraordinaire, eu égard à sa puissance et nous avouerons facilement que, relativement à sa bonté, Jésus a fait là peu de chose. Il y avait, devant lui, tant de malades, et il n’en a guéri qu’un seul, bien qu’il eût pu, d’un seul mot, les remettre tous sur pied ! Comment donc comprendre sa conduite ? Le voici, sans aucun doute en pareille circonstance, sa puissance et sa bonté s’exerçaient bien plus à faire ce que les âmes devaient comprendre pour leur salut éternel, qu’à opérer, pour la guérison temporelle des corps, les miracles qu’ils pouvaient réclamer. Nous ne jouirons, en effet, qu’à la fin des siècles et au moment de la résurrection des morts, de cette inamissible santé que nous attendons de la bonté de Dieu : ce qui vivra alors ne sera plus exposé aux coups du trépas ; ce que le Seigneur guérira alors ne courra plus aucun danger de maladie ; ce qui sera alors rassasié n’éprouvera jamais plus le tourment de la faim ou de la soif ; ce qui sera renouvelé, ne vieillira plus désormais. Mais les aveugles, auxquels notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ a, pendant sa vie mortelle, rendu la vue, la mort leur a de nouveau fermé les yeux ; les membres des paralytiques, raffermis par lui, ont fléchi encore sous les atteintes du trépas, et la mort a fait disparaître derechef la santé momentanément rendue à des membres sujets à ses coups destructeurs ; mais pour l’âme, vivifiée par la foi, elle est, à ce moment-là, entrée dans le séjour de la vie éternelle. La guérison de ce paralytique a été, de la part de Notre-Seigneur, une figure frappante de l’âme qui devait croire en lui, et dont il était venu effacer les péchés, et guérir les infirmités par l’excès de ses humiliations. Dans la figure et la réalité, j’aperçois un profond mystère : c’est de ce mystère que je veux présentement vous parler, de mon mieux, comme Dieu m’en fera la grâce ; aidez-moi à le faire malgré ma faiblesse, en me soutenant par vos prières, en m’encourageant par votre attention. Si je ne puis vous dire tout ce qu’il faudrait, celui avec le secours de qui je ferai mon possible y suppléera en vous. 2. Il m’en souvient : j’ai, très-souvent, parlé de cette piscine environnée de cinq portiques, où se trouvaient couchés des malades en grand nombre : j’entreprends donc une tâche, abordée par moi plusieurs fois déjà ; aussi, plusieurs d’entre vous auront-ils plutôt à rafraîchir des souvenirs, qu’à apprendre des choses nouvelles. Toutefois, il n’est pas hors de propos de rappeler des choses même précédemment expliquées ; car on peut ainsi instruire ceux qui ne les connaissent pas encore, et confirmer dans leur science ceux qui les connaissent déjà. C’est pourquoi nous passerons brièvement sur ce que vous savez, sans nous y arrêter comme s’il était question de vous en parler pour la première fois. Cette piscine et l’eau qu’elle renfermait me semblent avoir préfiguré le peuple juif. Que les peuples se trouvent désignés sous le nom des eaux, c’est chose clairement indiquée dans l’Apocalypse de Jean. Un jour, en effet, il avait aperçu de grandes eaux : il demanda ce que c’était, et on lui répondit : Ce sont les nations a. Cette eau, environnée de cinq portiques, était donc l’emblème du peuple juif, régi par les cinq livres de Moïse ; mais ces livres montraient les infirmités des Israélites sans les guérir ; car la loi établissait la culpabilité des pécheurs, et ne la faisait pas disparaître : la lettre, sans la grâce, faisait donc des coupables ; et quand ils s’avouaient tels, la grâce les délivrait. Voici ce que l’Apôtre dit à ce sujet : « Si la loi qui a été donnée avait pu communiquer la vie, il serait vrai de dire que la justice viendrait de la loi ». Pourquoi la loi a-t-elle été donnée ? Paul continue en ces termes : « Mais l’Écriture a tout renfermé sous le péché, afin que ce que Dieu avait promis fût donné par la foi en Jésus à ceux qui croiraient b ». Y a-t-il rien de plus évident ? Ces paroles ne nous ont-elles pas mis sous les yeux les cinq portiques et la multitude des malades qui s’y trouvaient couchés ? Les cinq portiques ne sont autres que la loi. Pourquoi ne guérissaient-ils pas les infirmes qu’ils renfermaient ? Parce que, « si la loi, qui a été donnée, avait pu communiquer la vie, il serait vrai de dire que la justice viendrait de la loi ». Pourquoi contenaient-ils des hommes qu’ils ne guérissaient point ? Parce que « l’Écriture a tout renfermé sous le péché, afin que ce que Dieu avait promis fût donné par la foi en Jésus à ceux qui croiraient ». 3. Comment donc se faisait-il qu’après l’agitation de l’eau, ceux qu’on y plongeait y retrouvaient la santé, au lieu qu’ils restaient malades tout le temps qu’ils demeuraient sous les portiques ? Il est bon de le remarquer, l’eau semblait tout à coup s’agiter, et il était impossible de voir qui l’agitait. Sois-en bien convaincu : un ange venait d’habitude la remuer, et son action n’était pas sans indiquer l’existence d’un grand mystère. Immédiatement après qu’il avait ainsi remué l’eau de la piscine, l’un des malades, celui qui le pouvait, y descendait, et il était seul à obtenir sa guérison : après lui, quiconque s’y plongeait le faisait sans résultat. Qu’est-ce que cela signifie ? Que le Christ est venu vers le peuple juif, et qu’en opérant des prodiges, en enseignant une doctrine précieuse, il a pu seul troubler les pécheurs, remuer l’eau par le fait de sa présence, et agiter les Juifs au point qu’ils le firent mourir. Mais quand il agissait ainsi, on ne le connaissait point ; car si les Israélites avaient connu le Roi de gloire, ils ne l’auraient jamais crucifié c. Descendre dans l’eau, après qu’elle a été agitée, c’est donc croire humblement à la passion du Sauveur. Un seul malade était guéri dans l’eau de la piscine : c’était l’emblème de l’unité de l’Église : quiconque y descendait ensuite, n’obtenait pas sa guérison, car, en dehors de l’unité, il est impossible d’obtenir la rémission de ses fautes. 4. Voyons donc ce que le Christ a voulu nous faire entendre par ce paralytique ; car le Sauveur, comme je l’ai dit en commençant, a respecté, lui aussi, ce que le nombre un a de mystérieux, et, de tous les malades rangés autour de la piscine, il n’a daigné guérir que celui-là. Dans l’âge de cet homme il a trouvé un nombre d’années qui indique une maladie : « Il était malade depuis trente-huit ans ». Comment ce nombre d’années indiquait-il plutôt la maladie que la santé ? C’est ce que nous allons expliquer avec un soin plus particulier. Je désire que vous me prêtiez toute votre attention : le Seigneur nous aidera, moi, à vous parler convenablement, et vous, à me bien comprendre. Le nombre quarante nous est signalé comme un nombre sacré, parce qu’en un sens, il est parfait. Votre charité, je le suppose, n’en ignore pas ; et les divines Écritures l’attestent en maints endroits. Vous le savez, le jeûne tire sa consécration de ce nombre de jours. En effet, Moïse a jeûné quarante jours d ; Élie a fait de même e ; et notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ a aussi jeûné le même espace de temps f. Moïse représentait la loi, Élie les Prophètes, et Jésus-Christ l’Évangile : c’est pourquoi ils apparurent tous les trois sur la montagne où le Sauveur se manifesta à ses disciples avec un visage et des vêtements tout radieux. Dans cette apparition, Jésus se trouvait entre Moïse et Élie g, comme si l’Évangile tirait sa force du témoignage de la loi et des Prophètes h. Qu’il s’agisse donc de la loi, des Prophètes ou de l’Évangile, le nombre quarante nous est signalé comme consacré au jeûne. Considéré dans son sens large, et pris en général, le jeûne consiste à s’abstenir de tout péché et de toutes les iniquités du siècle ; oui, voilà le véritable jeûne : « C’est renoncer à l’impiété, aux désirs du siècle, et vivre dans le siècle avec tempérance, avec justice et avec piété ». Quelle est la récompense réservée à cette sorte de jeûne ? L’Apôtre nous le dit, car il ajoute ces paroles : « Attendant la félicité que nous espérons, et l’avènement glorieux du grand Dieu, de notre Sauveur, Jésus-Christ i ». Dans le cours de cette vie, nous observons, en quelque sorte, l’abstinence du carême, lorsque nous nous conduisons bien et que nous nous abstenons du péché et des plaisirs défendus. Mais parce que cette abstinence ne manquera pas d’être récompensée, « nous attendons la félicité que nous espérons, et l’avènement glorieux du grand Dieu, de notre Sauveur, Jésus-Christ ». Quand notre espérance aura fait place à la possession de la réalité, nous recevrons le denier qui doit constituer notre récompense. D’après l’Évangile, vous vous en souvenez, je crois, la même rémunération est accordée à tous ceux qui travaillent dans la vigne du père de famille : il est inutile de vous rappeler tout cela, comme si vous étiez des personnes ignorantes et grossières. Le denier donné aux ouvriers tire son nom du nombre dix, lequel, ajouté à quarante, forme celui de cinquante ; voilà pourquoi l’observation de la Quadragésime exige de nous, avant Pâques, de pénibles sacrifices ; mais après Pâques, il semble que nous devions recevoir notre récompense, car nous célébrons la Quinquagésime dans les transports de la joie. Au travail salutaire des bonnes œuvres, qui a trait au nombre quarante, viendra s’ajouter le denier du repos et du bonheur, qui parfera le nombre cinquante. 5. Tout cela, le Seigneur Jésus a voulu nous le faire entendre plus parfaitement encore, quand, après sa résurrection, il a consacré quarante jours à converser sur la terre avec ses disciples j. Le quarantième jour, il monta au ciel, et dix jours après il leur envoya, comme récompense, le Saint-Esprit k. Ceci a été préfiguré, et la réalité a été annoncée d’avance par certains emblèmes. La vue de ces emblèmes nous sert comme d’aliment, pour nous fortifier et nous aider à parvenir à la réalité même. Nous sommes, en effet, des ouvriers, et nous travaillons encore à la vigne ; le jour fini, l’ouvrage terminé, Dieu nous rémunérera de nos peines. Mais quel est l’ouvrier capable de persévérer dans le travail, jusqu’à l’heure du paiement ? Celui-là seul qui prend de la nourriture dans le cours de la journée ; car il est sûr que tu ne te bornes pas à donner à tes ouvriers leur salaire : ne leur donnes-tu pas aussi de quoi réparer leurs forces épuisées par le travail ? Oui, tu nourris ceux que tu dois rémunérer. Les emblèmes contenus dans les Écritures sont donc l’aliment dont Dieu nous nourrit pendant le pénible cours de notre vie ; car s’il nous enlevait la joie de comprendre toutes ces mystérieuses figures de l’avenir, nous tomberions, au milieu de notre travail, sous le poids de la fatigue, et nul d’entre nous ne serait capable de voir arriver l’heure de la récompense. 6. Pourquoi donc le nombre quarante indique-t-il que le travail est arrivé à son terme ? Peut-être parce que la loi a été donnée en dix préceptes, et qu’elle devait être annoncée par tout l’univers ; car le monde se divise en quatre parties : l’Orient, l’Occident, le Midi et l’Aquilon. Aussi, dix multiplié par quatre, donne le nombre quarante. Peut-être est-ce encore parce que la loi se trouve parfaitement accomplie par l’Évangile, qui se compose de quatre livres ; il est dit, un effet, dans l’Évangile : « Je ne suis pas venu abolir la loi, mais l’accomplir l ». Quel que soit le motif en question ; que ce soit celui-ci ou celui-là, ou tout autre, inconnu de nous, mais connu de plus savants, peu importe ; il est certain, néanmoins, que le nombre quarante indique en un sens que les bonnes œuvres sont arrivées à leur terme : par bonnes œuvres j’entends surtout un certain retranchement des désirs coupables du siècle, c’est-à-dire, le jeûne pris dans son acception la plus étendue. Écoute l’Apôtre. Voici ce qu’il dit lui-même : « L’amour est la plénitude de la loi m ». Comment nous vient la charité ? Par là grâce de Dieu, par l’Esprit-Saint. Nous ne pouvons la posséder de nous-mêmes, comme si nous la faisions ; c’est un don de Dieu, et un don inappréciable : « Car », dit Paul, « la charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné n ». La charité accomplit donc la loi, et c’est en toute vérité qu’il a été dit : « La charité est la plénitude de la loi ». Voyons comment Dieu nous recommande cette vertu. Rappelez-vous ma proposition : je veux vous parler des trente-huit ans du paralytique de l’Évangile ; je veux vous expliquer comment il se fait que le nombre trente-huit indique plutôt la maladie que la santé ; je l’ai dit : La charité accomplit la loi : et à l’entier accomplissement de la loi, en n’importe quelles œuvres, se rapporte le nombre quarante. Mais, relativement à la charité, nous avons reçu deux commandements. Je vous en prie, réfléchissez bien à ce que je vous dis, et gravez-le profondément dans votre mémoire : tenez du cas de mes paroles ; car, autrement, votre âme ressemblerait à un grand chemin où ne germe point le grain qui y tombe : « Les oiseaux du ciel viendront », dit le Sauveur, « et ils le mangeront o ». Comprenez ceci, et renfermez-le soigneusement dans votre cœur. Par rapport à la charité, le Seigneur nous a donné deux commandements ; les voici : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit, et tu aimeras ton prochain comme toi-même. Ces deux commandements renferment toute la loi et les Prophètes p ». La veuve de l’Évangile n’a-t-elle pas fait don à Dieu de deux misérables pièces d’argent qui composaient tout son avoir q ? Est-ce que l’hôtelier n’a pas reçu deux deniers pour veiller à la guérison du malheureux blessé que des voleurs avaient laissé à moitié mort sur le chemin r ? Jésus n’a-t-il point passé deux jours chez les Samaritains, pour les affermir dans la charité s ? Lorsqu’il s’agit de quelque bonne œuvre, le nombre deux a donc trait au double précepte de la charité : de là il suit que le nombre quarante indique l’entier accomplissement de la loi, et que la loi n’est accomplie que par l’observation du double précepte de la charité : alors, pourquoi s’étonner si celui à qui le nombre deux manquait pour parvenir à quarante, gisait sous le poids de la maladie ? 7. Voyons donc par quelle mystérieuse action du Sauveur ce malade est revenu à la santé. Jésus, maître de la charité, rempli de charité, a paru sur la terre, donnant au « monde » comme il a été prédit de lui, « une parole abrégée t », et il a montré que les deux Préceptes de la charité renferment toute la loi et les Prophètes. En eux a donc consisté le mérite du jeûne de quarante jours observé par Moïse, et de celui d’Élie, consacrés, tous deux, par l’autorité et l’exemple de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le Sauveur se présente alors devant le paralytique, et lui rend la santé ; mais, auparavant, il lui dit : « Veux-tu être guéri ? » Celui-ci lui répond qu’il n’a personne pour le descendre dans la piscine. En réalité, pour guérir, il lui fallait un homme, mais l’homme qui est en même temps Dieu : car « il n’y à qu’un Dieu, et un médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme u ». L’homme indispensable s’approche de lui : pourquoi sa guérison serait-elle différée ? « Lève-toi », lui dit-il, « prends ton lit, et marche ». Voilà trois mots sortis de sa bouche : « Lève-toi, prends ton lit, et marche ». « Lève-toi » ; par ce mot, il ne commande pas d’agir, il rend la santé. Une fois guéri, le paralytique reçoit deux commandements : « Prends ton lit, et marche ». Je vous le demande : pourquoi ne pas se contenter de dire : « Marche ? » Ou bien, n’aurait-il pas suffi de dire « Lève-toi ? » Il est sûr, en effet, qu’après avoir repris l’usage de ses membres, il ne serait pas resté en place. Ne se serait-il pas levé pour s’en aller ? Voilà donc, pour moi, un nouveau sujet de surprise ; car j’entends le Sauveur faire deux commandements à cet homme qu’il a trouvé couché sur son lit, parce qu’il lui manquait deux pour atteindre quarante ; en lui imposant deux préceptes, Jésus suppléait au nombre qui lui faisait défaut. 8. Dans ces deux préceptes du Christ, comment pouvons-nous trouver trace des deux commandements de la charité ? « Prends ton lit », dit-il, « et marche ». Quels sont, mes frères, ces deux commandements ? Veuillez y réfléchir avec moi. Ils doivent vous être parfaitement connus, et, par conséquent, vous ne devez pas vous borner à y penser quand nous vous en parlons ; jamais ils ne doivent s’effacer de votre mémoire. Rappelez-vous-le donc toujours : il faut aimer Dieu et le prochain. Il faut aimer « Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit, et le prochain comme soi-même ». Voilà ce à quoi nous devons toujours penser ; ce qu’il nous faut sans cesse méditer, graver dans notre mémoire, mettre en pratique et accomplir. L’amour de Dieu a la priorité dans l’ordre des commandements : dans l’ordre de mise en pratique, cette priorité appartient à l’amour du prochain. Celui qui t’imposerait, en deux préceptes divers, l’obligation d’aimer l’un et l’autre, ne te désignerait pas d’abord le prochain, comme objet de ton affection, pour donner à Dieu le second rang : il te parlerait d’abord de Dieu, et, ensuite, du prochain ; mais comme tu ne vois pas encore Dieu, tu mérites de le voir en aimant ton prochain : l’affection que tu portes à ton frère purifie l’œil de ton âme, et le rend capable de contempler Dieu ; car Jean dit en termes formels : « Comment celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas v ? » On te dit : Aime Dieu. Si tu me dis à ton tour : Montre-moi celui que je dois aimer, que répondrai-je, sinon ce que Jean lui-même nous enseigne : « Jamais « personne n’a vu Dieu w ? » Mais ne va pas t’imaginer qu’il te soit complètement impossible de voir Dieu. « Dieu », dit le même Apôtre, « Dieu est charité ; celui qui demeure dans la charité, demeure en Dieu x ». Aime donc ton prochain ; puis, examine attentivement pour quel motif tu lui donnes ton affection ; et en lui, tu verras Dieu, autant, du moins, que tu peux le voir. Commence donc par aimer le prochain. « Partage ton pain avec celui qui a faim, et reçois, sous ton toit, celui qui est sans abri. Lorsque tu vois un homme nu, couvre-le, et ne méprise point la chair dont tu es formé ». Quelle sera, pour toi, la conséquence de toutes ces bonnes œuvres ? « Alors, ta lumière brillera comme l’aurore y ». Ta lumière, c’est ton Dieu. Il sera pour toi la lumière de l’aurore, parce qu’il succédera, pour toi, aux ténèbres de ce monde ; et comme il demeure éternellement, il ne se lève, ni ne se couche comme le soleil. Il se lèvera pour toi, lorsque tu reviendras à lui, comme il s’est couché toutes les fois que tu t’en es éloigné. Donc, par ces paroles : « Prends ton lit », Jésus a dit, ce me semble : Aime ton prochain. 9. Mais la chose ne me paraît pas encore bien clairement établie : à mon avis, il nous faut expliquer plus au long comment il est question de la charité fraternelle dans le fait de l’enlèvement d’un lit ; car peut-être sommes-nous offusqués de voir qu’un lit, dépourvu de sens et d’esprit, soit l’image du prochain. Que notre frère ne s’irrite point d’être représenté à nos yeux sous la figure d’un objet sans âme ni intelligence. En effet, notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ a lui-même reçu le nom de pierre angulaire, établie pour relier ensemble les deux murs de l’édifice z. On lui a aussi donné le nom de ce rocher du sein duquel s’échappe une source : « Et cette pierre était le Christ aa ». Si le Christ a été appelé Pierre, y a-t-il rien d’étonnant à ce que le prochain soit appelé bois ? Il ne s’agit pas ici, néanmoins, d’un bois quelconque, pas plus qu’il ne s’agissait de n’importe quelle pierre ou de n’importe quel rocher. Car il était question du rocher qui fournit de l’eau pour désaltérer les Israélites, et de la pierre angulaire qui réunissait entre eux des murs bâtis en des sens différents. Tout bois n’est pas propre à figurer le prochain : un bois de lit en est seul capable. Je te le demande ; qu’y a-t-il à remarquer dans ce bois de lit ? Rien, sinon qu’il servait à porter le paralytique pendant qu’il était malade, tandis qu’il était à son tour porté par ce même homme revenu en santé. Qu’a dit l’Apôtre ? « Portez les fardeaux les uns des autres, et ainsi vous accomplirez la loi de Jésus-Christ ab ». La loi de Jésus-Christ, c’est la charité, et nous ne pouvons accomplir le précepte de la charité, qu’à la condition de porter les fardeaux les uns des autres ; et il dit ailleurs : « Vous supportant avec charité les uns les autres, travaillant soigneusement à « conserver l’unité d’un même esprit par le lien de la paix ac ». Lorsque tu étais malade, ton prochain te portait : tu es revenu à la santé, porte donc, à ton tour, ton prochain. « Portez les fardeaux les uns des autres, et ainsi vous accomplirez la loi de Jésus-Christ ». C’est ainsi, ô homme, que tu porteras ce qui te manquait. « Prends donc ton lit » ; mais quand tu l’auras pris, ne reste pas en place, « marche ». En aimant ton prochain, en prenant soin de lui, tu fais du chemin. De quel côté diriges-tu tes pas ? Vers le Seigneur ton Dieu, vers celui que nous devons aimer de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit. Il nous est encore impossible d’arriver jusqu’à lui, mais avec nous se trouve notre prochain. Porte donc ton frère, puisque tu voyages avec lui, et par là tu arriveras jusqu’à celui avec qui tu désires demeurer toujours. « Prends » donc « ton lit et marche ». 10. Voilà ce que fit le paralytique, et les Juifs en furent scandalisés. Ils voyaient, en effet, un homme qui portait son lit le jour du sabbat : néanmoins ils ne faisaient point au Sauveur un reproche de ce qu’il l’avait guéri ce jour-là ; car il aurait pu leur répondre : « Qui d’entre vous, voyant son âne ou son bœuf tombé dans un puits, ne l’en retirerait aussitôt, et ne le sauverait le jour même du sabbat ad ? » Ils ne reprochaient donc pas à Jésus d’avoir guéri cet homme le jour du sabbat ; mais ils faisaient à celui-ci un crime d’avoir porté un lit à pareil jour. De ce qu’il fallait immédiatement guérir ce malheureux, s’ensuivait-il qu’on pût ou dût lui prescrire une œuvre servile ? « Il ne t’est point permis », lui dirent-ils, « de faire ce que tu fais, de porter ton lit ». À cette observation méchante il opposa l’autorité de celui qui avait opéré sa guérison. Il leur répondit : « Celui qui m’a guéri, m’a dit : Prends ton lit, et marche ». Celui qui m’a rendu la santé n’avait-il pas le droit de m’intimer en même temps des ordres ? Et ils lui demandèrent : « Quel est celui qui t’a dit : Prends ton lit, et marche ? » 11. « Et celui qui avait été guéri ne savait point qui lui avait donné cet ordre ». Car, après l’avoir guéri, et lui avoir commandé de prendre son lit et de marcher, « Jésus s’était éloigné de lui et perdu dans la foule ». Voyez comment ceci s’accomplit aussi par rapport à nous. Nous portons notre prochain et nous marchons vers Dieu ; mais celui vers qui nous dirigeons nos pas, nous ne le voyons pas encore : c’est pourquoi le paralytique ne connaissait pas non plus, à ce moment-là, le Seigneur Jésus. Voici la mystérieuse chose que le Christ a voulu nous apprendre : nous croyons en lui, bien que nous ne le contemplions pas encore, et, pour nous empêcher de l’apercevoir, il se perd dans la foule. Or, il est difficile de découvrir le Christ au milieu de la foule ; il faut donc établir notre âme dans une sorte de solitude, et quand par notre intention nous serons ainsi devenus solitaires, nous verrons Dieu. Dans la foule se lait entendre un bruit confus pour contempler le Seigneur, la tranquillité de la solitude est indispensable. « Prends ton lit » ; après avoir été porté par lui, porte ton prochain, « et marche », afin d’arriver jusqu’à Dieu. Ne cherche pas Jésus dans la foule, comme s’il était un de ceux qui la composent ; il n’est pas d’avec eux, car il les précède tous. Cet énorme poisson a été le premier à sortir de lamer pour monter au ciel, où il est assis et intercède en notre faveur ; comme autrefois le grand prêtre, il a pénétré seul derrière le voile, dans le Saint des saints, tandis que la foule reste au-dehors. Pour toi, marche, puisque tu portes ton prochain : auparavant, il te portait ; marche, si tu as appris à le porter à ton tour. Enfin, pour le moment, tu ne connais pas encore Jésus, tu ne le vois pas encore. Que lisons-nous ensuite ? Parce que le paralytique ne se lasse point de porter son lit et de marcher, « Jésus le trouva plus tard dans le temple ». Ce malade n’avait point vu Jésus dans la foule, il le vit dans le temple. Le Sauveur l’avait aperçu même du milieu de la multitude, et aussi dans le temple ; mais lui n’avait point vu le Christ dans la foule ; il ne le reconnut qu’au temple. Il parvint donc jusqu’au Seigneur ; il le vit dans le temple, dans un édifice consacré à son culte, dans le lieu saint. Et que lui dit alors Jésus ? « Voilà que tu es guéri ; ne pèche plus désormais, de peur qu’il ne t’arrive quelque chose de pis ». 12. À peine le paralytique eut-il aperçu le Christ et reconnu l’auteur de sa guérison, qu’il s’empressa de le signaler à l’attention de tous. « Cet homme s’en alla, et annonça aux Juifs que c’était Jésus qui l’avait guéri ». Il le leur annonçait, et les Juifs perdaient le sens ; il leur faisait hautement connaître celui qui l’avait guéri, et les Juifs s’entêtaient à ne point reconnaître leur Sauveur. 13. « C’est pourquoi les Juifs poursuivaient Jésus, parce qu’il avait fait ces œuvres le jour du sabbat ». Quelle réponse Jésus adressa-t-il alors aux Juifs ? La voici, Écoutons-la. Je vous l’ai déjà dit : quand il s’agissait d’hommes guéris le jour du sabbat, le Christ avait pour habitude de dire à ses ennemis : À pareil jour, vous ne manquez jamais de porter secours à vos animaux domestiques, et de leur donner la nourriture nécessaire. Quant à l’enlèvement de son lit par le paralytique, quelle fut la réponse du Christ ? On ne pouvait le nier : une œuvre servile s’était faite au vu et au su des Juifs ; c’était, non pas la guérison corporelle d’un malade, mais l’action qu’on lui avait commandée : il est sûr que cette action n’était pas aussi urgente que la guérison. Que le Sauveur nous fasse donc clairement connaître la mystérieuse signification du sabbat ; qu’il nous dise que l’observation d’un jour par semaine avait été, pour un temps, imposée aux Juifs comme un symbole, et qu’il était venu pour nous montrer, dans sa personne, la réalité de ce symbole. « Mon Père agit toujours, et moi aussi ». Il occasionna au milieu d’eux un grand trouble par son avènement, il agita l’eau, mais, tout en la remuant, il demeurait caché ; néanmoins, l’agitation de l’eau devait guérir un grand malade, mais un malade unique, tandis que la mort du Sauveur devait guérir le monde entier. 14. Voyons donc ce que répondit la Vérité : « Mon Père agit toujours, et moi aussi ». Elle est donc fausse cette parole de l’Écriture : « Dieu se reposa de toutes ses œuvres le septième jour ae ? » et le Seigneur Jésus lui-même s’inscrit donc en faux contre cette assertion de Moïse, quand il dit aux Juifs : « Si vous croyiez à Moïse, vous croiriez aussi en moi, car c’est de moi qu’il a écrit af ? » Voyez donc si, en nous affirmant que « Dieu s’est reposé de toutes ses œuvres le septième jour », Moïse n’a pas voulu nous faire connaître quelque chose de mystérieux. Dieu ne s’était point fatigué en donnant l’être à ses créatures, et, par conséquent, il ne ressentait pas, comme l’homme après son travail, le besoin de se reposer. Comment aurait pu se lasser celui qui avait pu, d’un seul mot, créer toutes choses ? Néanmoins, rien de plus vrai que ce passage : « Dieu se reposa de toutes ses œuvres le septième jour » ; rien de plus vrai encore que ces paroles de Jésus : « Mon Père agit toujours ». Mes frères, de quelles expressions me servir pour vous le démontrer ? Ne suis-je pas un homme, et n’êtes-vous pas des hommes ? Je suis faible, et ne m’adressé-je pas à des faibles ? Je suis ignorant, et vous désirez apprendre de moi des choses mystérieuses ! Si, par hasard, j’en saisis quelque peu le sens caché, il m’est impossible de le mettre à la portée des personnes semblables à moi, et de le leur faire comprendre : et quand même elles le saisiraient comme moi, quand même il ne serait pas absolument au-dessus de mes forces de leur en donner une explication précise, j’éprouverais toujours une difficulté extrême à le faire. Encore, une fois, mes frères, quelles expressions employer, pour vous faire comprendre comment Dieu agit, même en se reposant, et comment il se repose, même au moment où il agit ? Patience, je vous en conjure ; attendez, pour le comprendre, que vous soyez plus avancés : car la révélation d’un pareil mystère ne peut se faire que dans le temple d Dieu, dans un lieu saint : portez donc le prochain et marchez : et vous mériterez de le contempler face à face, sans avoir besoin de la parole humaine pour vous en faire une idée. 15. Voici peut-être l’explication la plus plausible qu’il nous soit permis de vous donner. En disant que « Dieu se reposa le septième jour », Moïse a voulu, dans un sens mystérieux bien digne de fixer notre attention, désigner d’avance notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, le même qui disait ces paroles « Mon Père agit toujours, et moi aussi ». En effet, le Seigneur Jésus est Dieu : nul doute cet égard ; car il est le Verbe, et, vous le savez, « au commencement était le Verbe » ce n’était pas un Verbe quelconque, mais « le Verbe était Dieu, et toutes choses ont été faites par lui ag ». Moïse a peut-être voulu nous dire qu’il se reposerait de toutes ses œuvres le septième jour. Lisez l’Évangile, et vous verrez effectivement combien d’œuvres merveilleuses ont été accomplies par Jésus. Afin que fussent réalisés eu lui tous les oracles des Prophètes, il a opéré notre salut mur l’arbre de la croix : il a été couronné d’épines et attaché à un gibet ; il a dit : « J’ai soif », et, au moyen d’une éponge, on l’a abreuvé de vinaigre, et ainsi s’est vérifiée cette parole : « Ils ont étanché ma soif avec du vinaigre ah ». Mais la veille du sabbat, quand il eut opéré toutes ses œuvres, il inclina la tête et rendit l’esprit ; puis ayant été, le jour du sabbat, déposé dans un sépulcre, il se reposa de toutes ses œuvres ai. Il semblait donc dire aux Juifs : Pourquoi attendre de moi que je n’agisse point le jour du sabbat ? L’observation de ce jour-là vous a été prescrite pour me préfigurer. Vous contemplez les œuvres de Dieu. J’étais là quand elles se faisaient : c’est par moi que toutes choses ont été faites ; je le sais : « Mon Père agit toujours ». Mon Père a fait la lumière, mais il a dit : que la lumière fût aj ; et, puisqu’il a parlé, il a agi par son Verbe : j’étais et je suis son Verbe. Dans l’œuvre de la création, le monde a été formé par moi : je le gouverne par mes œuvres actuelles. Mon Père a agi au moment où il créait l’univers ; il agit encore aujourd’hui en le gouvernant : c’est donc par moi qu’il l’a créé au commencement, et qu’il le gouverne actuellement. Voilà ce que le Sauveur disait aux Juifs ; mais à quels hommes parlait-il ? À des aveugles, à des sourds, à des boiteux, à des malades qui ne reconnaissaient pas leur médecin, et qui, dans les transports d’une sorte de frénésie, voulaient s’en débarrasser en le faisant mourir. 16. Aussi, que dit ensuite l’Évangéliste ? « C’est pourquoi les Juifs cherchaient plus activement à le faire mourir, non seulement parce qu’il avait violé le sabbat, mais aussi parce qu’il disait que Dieu était son propre père ». Il ne le disait pas dans le premier sens venu ; mais comment le disait-il ? « Se faisant égal à Dieu ». Nous, nous disons tous à Dieu : « Notre Père, qui êtes aux cieux ak ». Nous lisons que les Juifs eux-mêmes lui disaient : « Vous êtes notre Père al ». Ils s’irritaient donc, non pas de ce qu’il appelait Dieu son père, mais de ce qu’il l’appelait de ce nom d’une manière toute différente de celle dont le faisaient les autres hommes. Voilà que les Juifs comprennent ce que ne comprennent pas les Ariens. Ceux-ci, eu effet, disent le Fils inférieur au Père, et telle est la raison pour laquelle ces hérétiques ont été retranchés du sein de l’Église. Les aveugles eux-mêmes, les meurtriers du Christ ont donc compris tonte la portée de ces paroles. Ils ne voyaient pas qu’il fût le Christ, le Fils de Dieu mais, de ses paroles ils concluaient qu’il était question d’un Fils de Dieu, égal à Dieu. Qui était-il en réalité ? Ils n’en savaient rien : seulement, ils le reconnaissaient comme un homme, qui « appelait Dieu son Père, se faisant égal à Dieu ». N’était-il donc pas égal à Dieu ? Ce n’était pas lui qui se faisait égal à Dieu ; mais c’était Dieu qui l’avait engendré égal à lui-même. S’il se faisait lui-même égal à Dieu, il se rendrait usurpateur, et se précipiterait dans l’abîme. En effet, celui qui a prétendu se faire égal à Dieu, tandis qu’il ne l’était pas, tomba dans l’enfer am ; et d’ange qu’il était, il se transforma en démon ; et l’orgueil, qui l’avait fait déchoir de son rang, il s’efforça de l’inspirer à l’homme ; car cet ange dégradé, jaloux de voir nos premiers parents dans l’état de grâce, ne craignit pas de leur dire : « Goûtez de ce fruit, et vous serez comme des dieux an ; c’est-à-dire, devenez des usurpateurs : prenez ce que Dieu ne vous a pas donné en vous créant ; car je l’ai pris moi-même, et je suis tombé. Les termes dont il se servait, étaient plus voilés, mais c’était là le sens de ses conseils. Pour le Christ, il ne s’était pas fait l’égal de Dieu, car il était né tel : il était né de la substance du Père. Voici donc en quels termes l’Apôtre nous parle de Dieu : « Lui qui, ayant la nature de Dieu, n’a point cru que ce fût pour lui une usurpation de s’égaler à Dieu ». Qu’est-ce à dire : « Il n’a pas cru que ce fût une usurpation ? » Il n’a pas usurpé l’égalité avec Dieu il la possédait, puisqu’il était né avec elle. Et nous, comment pouvions-nous devenir semblables à cet égal de Dieu ? « Il s’est anéanti lui-même « en prenant ta forme d’esclave ao ». Si donc il s’est anéanti, c’est, non pas en perdant ce qu’il était, mais en prenant ce qu’il n’était pas. Faisant peu de cas de cette forme d’esclave, les Juifs ne pouvaient comprendre que le Seigneur Christ fut égal à son Père ; et, pourtant, ils étaient intimement persuadés qu’il se disait tel : c’est pourquoi ils le persécutaient : et, néanmoins, il les supportait encore, et cherchait à les guérir, malgré leurs mauvaises dispositions à son égard.DIX-HUITIÈME TRAITÉ.
SUR CE PASSAGE DE L’ÉVANGILE : « EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS : LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE PAR LUI-MÊME, QU’IL NE LE VOIE FAIRE AU PÈRE : QUELQUE CHOSE QUE CELUI-CI FASSE, LE FILS AUSSI LE FAIT COMME LUI », (Chap 5, 19.)LE VERBE ÉGAL AU PÈRE.
Les Juifs s’irritaient de ce que le Christ s’égalait à Dieu, car ils ne voyaient en lui qu’un homme, et n’y apercevaient point le Verbe. Alors Jésus ajouta : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire à son Père ». Les Ariens concluent de ces paroles que le Fils est inférieur au Père ; mais ils sont forcés d’avouer que le Verbe est Dieu, qu’il est en Dieu, que tout a été fait par lui, et que, par conséquent, les œuvres du Père ne sont pas distinctes de celles du Fils. Mais comment le Fils voit-il ce que fait le Père ? Mystère inexplicable ! Servons-nous, toutefois, d’une comparaison tirée de la nature de notre âme. Il n’en est pas d’elle comme du corps : celui-ci peut exister sans voir ni entendre ; pour celle-là, voir et entendre par elle-même, c’est l’essence même de son être ; ainsi en est-il du Verbe. 1. De préférence aux autres Évangélistes, ses condisciples et collègues, Jean avait reçu du Sauveur un privilège extraordinaire et à lui personnel. Il s’était en effet reposé sur la poitrine de Jésus pendant la dernière cène ap, et c’était le signe qu’il puiserait dans son divin cœur, la connaissance de mystères plus profonds. Ce privilège consistait à dire du Fils de Dieu des choses capables d’éveiller l’attention des âmes enfantines, mais incapables de leur fournir un aliment qu’elles ne pouvaient encore supporter : des choses propres à occuper et à nourrir des esprits plus développés et arrivés, en quelque sorte, à l’âge viril. Vous avez entendu la lecture des paroles de cet Apôtre, et vous vous souvenez de quelle source elles émanaient. Hier, en effet, on vous a lu ceci : « C’est pourquoi les Juifs cherchaient à faire mourir Jésus, non seulement parce qu’il avait violé le sabbat, mais aussi parce qu’il disait que Dieu était son Père, se faisant égal à Dieu aq ». Ce qui déplaisait aux Juifs plaisait à son Père, et plaît aussi, sans aucun doute, à tous ceux qui honorent le Fils, comme ils honorent le Père ; car si pareille chose leur déplaisait, ils déplairaient à leur tour. À te déplaire, Dieu ne deviendrait pas plus grand ; mais s’il te déplaisait, tu en deviendrais plus petit. Le Sauveur répond à leur accusation, qui trouvait sa raison d’être, soit dans leur ignorance, soit dans leur méchanceté. Ses paroles ne sont point tout à fait à leur portée, mais elles sont de nature à les jeter dans l’agitation et le trouble, et peut-être à les faire profiter de leur trouble même pour chercher celui qui pouvait les guérir. Elles étaient aussi, dans son intention, destinées à être consignées dans des livres, qui devaient ensuite contribuer à nous instruire. Voyons donc ce qui se passa dans le cœur des Juifs, au moment où ils entendirent ces paroles. Quel effet produisent-elles aujourd’hui en nous ? C’est à nous d’y réfléchir davantage encore. D’où sont venues les hérésies, et certaines erreurs désastreuses, qui angarient les âmes et les précipitent dans l’abîme ? Évidemment, de ce que des Écritures saintes ont été mal comprises, et de ce qu’on a soutenu avec une audacieuse témérité le sens pervers qu’on y attachait. Aussi, mes très chers, devons-nous entendre, avec une scrupuleuse circonspection, les passages que la faiblesse de notre intelligence ne nous permet point de saisir ; que les sentiments de la piété et, comme il est écrit, la crainte de Dieu, nous portent à suivre cette règle salutaire : ce que nous pouvons en comprendre d’accord avec la foi dont nous faisons profession, regardons-le comme un aliment parfaitement sain, et prenons-le avec joie. Si, au contraire, nous appliquons la règle infaillible de la foi, et que ces passages nous offrent encore d’impénétrables obscurités, alors écartons tous les doutes ; ne cherchons pas à les comprendre pour le moment. En d’autres termes, si nous n’y voyons rien, regardons-les néanmoins comme incontestablement bons, comme l’expression même de la vérité. Mes frères, pour moi qui ai entrepris de vous parler, vous devez bien considérer qui je suis, et, aussi, la tâche que je me suis imposée : je ne suis qu’un homme, et je veux vous entretenir des choses divines ; je suis charnel, et je veux développer devant vous un sujet tout spirituel ; je mourrai, et j’ai pris pour thème de mon discours l’éternité même. Puissé-je, mes très chers, me tenir à l’abri de toute vaine présomption, afin de vous enseigner une saine doctrine dans la maison de Dieu, c’est-à-dire, dans son Église, qui est la colonne et le fondement de la vérité ar. Je prendrai pour mon guide la règle de conduite que je vous ai tracée à vous-mêmes : là où le sens de l’Écriture sera à ma portée, je m’en nourrirai avec vous ; et je frapperai avec vous, quand la porte m’en sera fermée. 2. Les Juifs s’émurent donc et s’indignèrent ; ils l’eussent fait à juste titre, si Jésus eût été un pur homme, et se fût, comme tel, vanté d’être égal à Dieu ; mais leur colère tombait à faux, parce que sous son enveloppe humaine ils auraient dû apercevoir sa divinité. Ils voyaient l’homme, et méconnaissaient le Dieu : ils avaient sous les yeux la maison, mais ils n’apercevaient point celui qui l’habitait. Le corps du Christ était un temple à l’intérieur duquel résidait la divinité. Ce que Jésus déclarait égal à son Père, ce n’était pas son humanité : ce qu’il comparait au Très-Haut, c’était, non pas la forme d’esclave dont il s’est revêtu à cause de nous, mais ce qu’il était au moment où il nous a créés. Car qui est le Christ ? Je parle à des catholiques : vous le savez donc, puisque vous suivez les enseignements de la vraie foi : le Christ n’est ni le Verbe seul, ni l’Homme seul ; il est le Verbe fait chair pour habiter parmi nous le vous rappelle ce que vous savez relativement au Verbe : « Au commencement était le« Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Voilà la preuve de son égalité avec son Père. Mais « le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous as ». Comme homme, il est inférieur à son Père. Ainsi, le Père est en même temps égal au Christ, et plus grand que lui : il lui est égal, en tant que celui-ci est le Verbe : il est plus grand que lui, en tant que celui-ci est homme : il est égal à celui par qui il nous a faits ; mais il est plus grand que celui qui a été fait pour nous. Voilà ce que nous enseigne la vraie foi catholique : voilà la règle de croyance que vous devez particulièrement connaître : et si vous la connaissez, puissiez-vous vous y tenir toujours, ne jamais vous en écarter, ne jamais vous la laisser enlever par n’importe quel raisonnement ! Conformons à cette règle tout ce que nous comprenons ; et, s’il est des choses que nous ne puissions saisir, remettons à un autre temps, pour les y rapporter attendons que l’intelligence nous en soit donnée. Nous savons donc que le Fils de Dieu est égal à son Père, puisqu’au commencement le Verbe était Dieu. Pourquoi donc « les Juifs voulaient-ils le faire mourir ? Non-seulement parce qu’il violait le sabbat, mais aussi parce qu’il disait que Dieu était son Père, se faisant égal à Dieu ». En lui, ils voyaient l’homme, sans y voir le Verbe. Que le Verbe se serve donc de son humanité pour leur parler et les convaincre d’erreur. Que celui qui habite l’intérieur de la maison emploie cette maison même pour se faire entendre ; alors ceux qui en seront capables apprendront quel en est le maître. 3. Que leur dit-il donc ? « C’est pourquoi Jésus leur répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis : le Fils ne peut rien faire par lui-même qu’il ne le voie faire au Père ». À cela que répliquèrent les Juifs ? L’Écriture n’en fait pas mention : peut-être gardèrent-ils le silence. Néanmoins, certains personnages, qui se disent chrétiens, ne se taisent pas, et, de ces paroles du Sauveur, ils s’imaginent pouvoir tirer des arguments contre nous. Ni pour eux, ni pour nous, nous ne pouvons laisser de tels arguments sans réponse. À entendre les hérétiques Ariens, le Fils, qui s’est fait homme, est inférieur au Père, non point par le fait même de son Incarnation, mais même dès avant son Incarnation, et il n’est nullement de la même substance que le Père : les paroles précitées leur fournissent un prétexte d’attaque, et ils nous répondent : Vous le voyez : à peine le Seigneur Jésus eut-il remarqué l’émotion qu’il avait suscitée parmi les Juifs en se déclarant égal au Père, qu’il se hâta d’ajouter les paroles en question pour leur démontrer qu’il n’avait jamais eu pareille intention. Les Juifs s’indignaient contre le Christ, parce qu’il se disait égal à Dieu ; pour calmer leur émotion, et leur prouver que le Fils n’est pas égal au Père, c’est-à-dire à Dieu, Jésus leur adressa en quelque sorte ces paroles : Pourquoi vous irriter ? Pourquoi vous indigner contre moi ? Je ne suis pas son égal, puisque « le Fils ne peut rien faire de lui-même, qu’il ne le voie faire au Père ». En effet, ajoutent-ils, celui qui « ne peut rien faire de lui-même qu’il ne le voie faire au Père », est évidemment inférieur à lui, et n’est pas son égal. 4. Ainsi, la règle suivie par ces hérétiques est tordue et pliée ; néanmoins qu’ils nous écoutent : nous ne les réprimandons pas encore, nous semblons être encore à la recherche de la vérité ; qu’ils nous expliquent toute leur pensée. Qui que tu sois, (car supposons que l’un de ces Ariens se trouve là, devant nous), tu reconnais avec nous, j’imagine, qu’au commencement était le Verbe. – Oui, me dit-il. – Et que « le Verbe était en Dieu ». – Oui, encore. – Continue donc, et reconnais plus formellement encore que « le Verbe était Dieu ». – Je le reconnais, mais l’un était plus grand, et l’autre moindre. – Cela sent je ne sais quoi de païen, et pourtant je croyais parler avec un chrétien, S’il y a un Dieu plus grand, il y a évidemment aussi un Dieu moindre : nous adorons donc, non pas un seul Dieu, mais deux dieux. – Pourquoi cela, me répond l’Arien ? N’avoues-tu pas toi-même qu’il y a deux Dieux égaux l’un à, l’autre ? – Je ne dis pas cela : car je me fais de cette égalité entre le Père et le Fils une idée telle que je les regarde comme unis ensemble par les liens d’une indivisible charité ; et puisqu’à mes yeux règne entre eux une indivisible charité, je reconnais donc qu’en eux se trouve une parfaite unité. En effet, s’il est vrai de le dire, comme les actes des Apôtres l’affirment en ces termes, au sujet des fidèles qui croyaient en Jésus, et s’aimaient les uns les autres : « Ils n’avaient tous, pour Dieu, qu’un cœur et qu’une âme at ; si la charité, envoyée du ciel aux hommes, fait d’un grand nombre de cœurs un seul cœur, et de plusieurs âmes une seule âme ; si, lorsque nous avons les mêmes pensées, et que nous nous aimons, mon âme et la tienne ne font plus qu’une seule âme : qu’à bien plus forte raison, à la source même de l’amour, le Père Dieu et le Fils Dieu font un seul Dieu ! 5. Mais remarque bien les paroles qui ont jeté le trouble dans ton cœur : revoyons ensemble ce que nous avons cherché à découvrir au sujet du Verbe. Nous le reconnaissons déjà : « Le Verbe était Dieu ; je dis plus car, après ces mots : « Il était au commencement en Dieu », l’Évangéliste ajoute aussitôt : « Toutes choses ont été faites par lui ». Maintenant, je te presse de questions, je te remue, je te secoue et t’interpelle contre ta propre personne : tout ce que je te demande, c’est de ne pas oublier « que le Verbe était Dieu » et que « toutes choses ont été faites par lui ». Écoute maintenant les paroles qui t’ont jeté dans le trouble et porté â dire que le Fils est inférieur au Père ; voici ces paroles, elles sont celles de Jésus lui-même : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même, que « ce qu’il voit faire au Père ». – C’est bien cela, dit l’Arien. – Explique-moi donc un peu ce passage : autant que je puis me l’imaginer, voici comme tu le comprends : Le Père fait certaines choses, et le Fils examine la manière dont il les fait, afin de pouvoir faire lui-même ce qu’il aura vu faire au Père. À l’entendre, ce sont deux ouvriers bien distincts l’un de l’autre : le Père et le Fils sont ainsi comme un patron et un apprenti on dirait un père apprenant à son fils l’exercice de son art. Tu le vois, je m’abaisse au niveau de ton intelligence charnelle ; pour un moment, mes pensées se conforment aux tiennes. Examinons donc si cette manière de comprendre les choses peut s’accorder avec ce que nous avons mutuellement dit du Verbe, avec ce que nous en pensons l’un et l’autre, à savoir que « le Verbe était Dieu »et que « par lui toutes choses ont été faites ». Suppose donc que le Père est un artisan occupé à faire certains ouvrages ; et que le Fils est un apprenti, puisqu’ « il ne peut rien faire « de lui-même que ce qu’il voit faire à son Père » ; il jette, en quelque sorte, ses yeux sur les mains de son Père, afin de prendre modèle sur lui et de limiter parfaitement dans l’accomplissement de ses propres œuvres. Mais toutes ces œuvres qu’il fait lui-même et sur lesquelles il veut que son Fils porte ses regards pour en faire à son tour de pareilles, par qui le Père les fait-il ? Il te faut maintenant en revenir à ta première idée, à celle que tu as étudiée et adoptée avec moi, c’est-à-dire, qu’« au commencement était le Verbe », que « le Verbe était en Dieu », que « le Verbe était Dieu », et que « par lui toutes choses ont été faites ». Tu es convenu avec moi que toutes choses ont été faites par le Verbe ; puis, te laissant entraîner par un sens tout charnel et un mouvement irréfléchi, tu te figures à nouveau, d’une part, un Dieu qui agit, de l’autre un Verbe qui étudie ses opérations, afin d’agir ensuite lui-même de la manière dont ce Dieu l’aura fait. Qu’est. ce que Dieu fait sans l’intermédiaire de son Verbe ? S’il fait quelque chose sans le Verbe, toutes choses n’ont donc pas été faites par lui, et tu as cessé d’avouer ce que tu avouais ; mais si toutes choses ont été faites par le Verbe, corrige donc ce qu’il y a de défectueux dans ton sentiment. Le Père a fait des œuvres, et il ne les a faites que par son Verbe ; comment, alors, le Verbe peut-il porter ses regards sur le Père opérant sans le Verbe, afin d’accomplir ensuite lui-même des œuvres semblables ? Tout ce que le Père a fait, il l’a fait par le Verbe ; ou bien nous devons considérer comme faux ce passage : « Par lui toutes choses ont été faites ». Mais il est vrai que « toutes choses ont été faites par lui ». Ces paroles ne te semblaient peut-être pas assez formelles. En voici d’autres : « Et, sans lui, rien n’a été fait ». 6. Arrière donc les subtilités charnelles : cherchons ensemble à découvrir le sens de ces paroles : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire à son Père ». Cherchons-le, et puissions-nous être dignes de le découvrir. Je ne saurais vous le cacher, c’est une mystérieuse chose, une chose singulièrement ardue, de comprendre que le Père agit par le Fils, que les œuvres du Père ne sont pas distinctes de celles du Fils, mais que chacune des œuvres du Père se fait par l’intermédiaire du Fils, de manière à ce que le Père ne fasse rien sans le Fils, ou le Fils sans le Père ; en effet : « Toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait ». Ceci étant solidement établi sur le fondement de la foi, en quel sens devons-nous entendre ce passage : Le Fils ne « peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire au Père ? » Tu voudrais, j’imagine, savoir comment le Fils opère : cherche d’abord à savoir comment il voit le Père. Que dit-il ? Le voici : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire à son Père ». Remarque bien ces paroles : « Que ce qu’il voit faire à son Père ». D’abord il voit ; puis, il agit : il regarde pour agir. Comment voudrais-tu savoir la manière dont il opère, quand tu ne sais pas encore de quelle façon il regarde son Père ? Pourquoi courir après le conséquent, et laisser de côté l’antécédent ? À l’entendre, il regarde et il fait ; mais il ne dit pas : Je fais, et puis, je regardai ; car « il ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire à son Père ». Veux-tu que je t’explique comment il agit ? Explique-moi d’abord comment il voit. Si tu es incapable de m’expliquer l’un, serai-je à même de t’expliquer l’autre ? Si tu ne peux te faire une idée de l’un, je ne puis davantage me faire une idée de l’autre. Cherchons donc tous deux ; frappons : par là, nous nous rendrons dignes de recevoir ce que nous désirons. Tu ne sais rien, et comme si tu avais le droit de me croire plus ignorant que toi, tu m’attaques ? Nous sommes aussi incapables l’un que l’autre de comprendre, moi, la manière dont le Fils agit, et toi, la manière dont il voit agir son Père ; interrogeons donc notre mutuel maître, et ne nous disputons pas comme les enfants des écoles. Nous avons déjà appris ensemble que « par lui toutes choses ont été faites »c’est donc déjà chose certaine pour nous : le Père ne fait pas des œuvres à lui personnelles, que le Fils regarde faire pour en accomplir à son tour de semblables : il fait exactement les mêmes que son Fils, et par son intermédiaire ; car toutes choses ont été faites par le Verbe. Maintenant, comment Dieu agit-il ? Qu’est-ce qui le sait ? Comment a-t-il créé, je ne dis pas, le monde, mais ton œil, cet œil charnel qui te dirige, et avec lequel tu compares les choses visibles aux choses invisibles ; car les idées que tu conçois de Dieu sont de la nature de celles que t’inspirent les yeux de ton corps : néanmoins, si nous pouvions voir Dieu de nos yeux corporels, le Christ n’aurait pas dit : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu au ». Tu as donc dans ton corps des yeux pour apercevoir un artisan, mais tu n’as pas encore les yeux du cœur pour contempler Dieu : voilà pourquoi tu voudrais attribuer à Dieu lui-même les opérations que tu attribues d’ordinaire à un simple ouvrier. Laisse à terre les choses terrestres, et élève ton cœur jusqu’au ciel. 7. Eh quoi, mes très chers ? nous vous avons demandé comment le Verbe voit le Père, comment le Père est vu par le Verbe, et, pour le Verbe, qu’est-ce que voir, et nous essaierions de vous l’expliquer ? Je ne suis ni assez audacieux, ni assez téméraire pour promettre une telle explication de votre part ou de la mienne. Sans doute je ne puis que supposer votre impuissance, mais je suis sûr de la mienne. Si vous le trouvez bon, au lieu de nous arrêter plus longtemps sur ce passage, nous parcourrons toutes les parties de notre leçon, et nous verrons les paroles du Sauveur troubler les cœurs charnels, mais les troubler de manière à leur faire abandonner les fausses idées qu’ils nourrissent. Agissons comme si nous ôtions à des enfants je ne sais quel amusement dangereux qui les expose à se faire du mal, afin de pouvoir leur mettre plus tard entre les mains des objets Plus utiles, et inspirer par là des goûts plus sérieux à des êtres jusqu’alors tout terrestres. Lève-toi donc, cherche, désire, soupire ardemment, frappe à cette porte encore fermée. Si nous ne désirons pas encore, si nous ne souhaitons pas, si nous en sommes encore à commencer de soupirer, il est sûr que nous jetterons des pierres précieuses sous les pieds des premiers venus, et si nous en trouvons nous-mêmes, dans quelles dispositions serions-nous pour en tirer profit ? Puissé-je, mes très chers, exciter les désirs de votre âme. Telles mœurs, telle intelligence des choses ; chaque nature différente même a un genre de vie différent. Autre est la vie terrestre, autre la vie céleste : les animaux, les hommes, les anges ne vivent point de même façon. L’existence des bêtes se consume dans le désir et la jouissance des plaisirs matériels : elles ne recherchent que cela ; elles s’y portent d’instinct, et s’y précipitent naturellement. Vivre, c’est, pour les anges, posséder les biens éternels la vie des hommes tient de celle des anges et de celle des bêtes. Si l’homme vit selon ses appétits charnels, il descend au niveau des brutes ; si nous vivons selon l’esprit, nous entrons en société avec les esprits bienheureux. Supposons que tu vives de la vie angélique ; il te reste à savoir si elle se trouve en toi à l’état de vie enfantine, ou si elle y est parvenue à son entier développement. Si tu n’es encore qu’un enfant, les anges te disent : Grandis, le pain est notre aliment pour toi, nourris-toi de lait, du lait de la foi ; et ainsi tu mériteras de te nourrir de la claire vue. Mais quand on ne soupire qu’après de sales voluptés, quand on occupe encore son esprit des moyens de frauder, que toujours on profère le mensonge et qu’au mensonge on joint le parjure, avec un cœur si corrompu a-t-on bien le droit de me dire Explique-moi comment voit le Verbe ? Fussé-je capable d’élucider cette question, parce que je la saisirais parfaitement moi-même, aurait-on le droit de me l’adresser ? Mais, je l’avoue, si je suis étranger à la manière de vivre de pareils interrogateurs, je suis loin aussi de comprendre le mystère dont il s’agit. Que peut-il en être, par conséquent, de celui qui n’éprouve encore aucun désir des choses célestes, et que toutes ses pensées appesantissent et font ramper sur la terre ? Entre l’homme qui déteste une chose, et l’homme qui la désire, se trouve une énorme distance ; de même en est-il entre celui qui la désire et celui qui en jouit. Vis-tu à la manière des bêtes ? tu détestes ; pour les anges, ils jouissent : mais toi, si tu ne mènes pas une vie animale et charnelle, tu n’en es déjà plus à détester : tu désires quelque chose, sans le posséder encore ; mais, par tes désirs, tu as commencé à vivre de la vie des anges puisse-t-elle croître et se perfectionner en toi ; c’est ainsi que tu saisiras la difficulté proposée, et celui qui t’aidera à le faire, ce sera non pas moi, mais le Dieu qui nous a créés tous les deux. 8. Remarque-le bien : le Sauveur ne nous a pas, à cet égard, entièrement abandonnés à notre propre sens. Par ces paroles, en effet : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire à son Père », Jésus n’a pas voulu nous faire comprendre que le Père fait des œuvres destinées à être vues par le Fils, et à devenir le modèle d’autres œuvres toutes différentes qu’il accomplirait ensuite lui-même ; mais il a voulu nous dire que le Père et le Fils font les mêmes œuvres. En voici la preuve, car il ajoute aussitôt : « Quelque chose que celui-ci fasse, le Fils aussi le fait comme lui ». Le Fils n’attend pas que le Père ait fini d’agir pour faire des œuvres pareilles, mais « quelque chose que celui-ci fasse, le Fils aussi le fait comme lui ». Puisque le Fils fait ce que fait le Père, le Père agit par le Fils, et puisque le Père fait par le Fils ce qu’il fait, les œuvres du Père et celles du Fils ne sont donc point distinctes les unes des autres : ces œuvres sont exactement et matériellement les mêmes. Mais comment le Fils fait-il les mêmes œuvres que le Père ? « Il les « fait comme lui ». Impossible de supposer qu’il les fasse différemment ; car, dit-il, « il les a faits aussi comme lui ». Comment pourrait-il les faire, saris les faire comme lui ? Prenez un exemple : la comparaison ne vous sera pas difficile à saisir. Lorsque nous écrivons des – lettres, elles se forment d’abord dans notre esprit, pour être ensuite tracées par notre main. Pourquoi avez-vous fait entendre un cri unanime ? Évidemment, c’est parce que vous m’avez compris. Ce que j’ai dit ne peut soulever le moindre doute : c’est chose parfaitement claire pour chacun de nous. Les lettres se forment donc d’abord dans notre esprit, puis notre corps les trace à son tour : l’esprit commande, ta main obéit, et tous deux concourent également à faire les mêmes lettres. L’esprit forme-t-il celles-ci, tandis que la main exécute celles-là ? Non. La main trace des lettres, qui sont identiquement les mêmes que les lettres formées par l’esprit, mais, pour cela, elle n’agit pas de la même manière ; l’esprit se borne à les former dans son entendement, et la main les exécute de manière à les rendre visibles. Voilà comme des choses semblables se font d’une manière différente : c’est pourquoi le Sauveur ne s’est point contenté de dire : « Tout ce que fait le Père, le « Fils aussi le fait » ; il a donc ajouté : « Comme lui ». Peut-être aurais-tu supposé que le Fils accomplit des œuvres pareilles à celles du Père, de la même manière que la main exécute les choses qu’exécute l’esprit, c’est-à-dire d’une façon toute différente ? Mais Jésus ajoute : « Le Fils aussi les fait comme lui ». Puisque le Fils fait les mêmes œuvres que le Père, et les fait comme lui, ranime-toi ; que le juif s’arrête, que le chrétien ait la foi, que l’hérétique se regarde comme condamné : le Fils est égal au Père. 9. « Car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait lui-même av ». Remarque bien cette parole : « Il montre » À qui « montre-t-il ? » Évidemment, à quelqu’un qui le voit. Nous voici donc revenus en face de cette difficulté qu’il nous est impossible de résoudre : comment le Verbe voit-il ? L’homme a été créé par le Verbe ; mais il a, dans son corps, des yeux, des oreilles, des mains, en un mot, différents membres. Les yeux lui servent à voir, les oreilles à entendre, les mains à travailler, les différents membres à remplir l’office qui leur est naturellement dévolu. Un membre ne peut se charger des fonctions de l’autre ; mais pour que toutes les parties du corps se confondent dans une mutuelle union, l’œil voit pour son propre compte, et pour celui de l’oreille, et l’oreille perçoit les sons pour elle-même et pour l’organe de la vue. Toutes choses ayant été faites par le Verbe, devons-nous en conclure qu’il en est de lui comme de ses créatures ? Voici ce que dit l’Écriture elle-même dans un endroit des Psaumes : « Comprenez, vous qui êtes insensés au milieu du peuple ; hommes stupides, quand aurez-vous l’intelligence ? » Celui qui forma votre oreille ne vous entendra pas ? et celui qui fit vos yeux ne nous verra point aw ? » Dès lors que le Verbe a créé toutes choses, il a formé l’œil et fait l’oreille ; nous ne pouvons, par conséquent, dire : Le Verbe n’entend pas, il ne voit rien ; car le Psalmiste nous condamnerait par ces paroles : « Hommes stupides, quand aurez-vous l’intelligence ? » De là il suit que si le Verbe voit et entend, le Fils voit aussi et entend de même façon. Mais, pourtant, sommes-nous autorisés à chercher en lui la place des yeux et des oreilles, comme ils se trouvent dans le corps humain en des endroits différents ? Y a-t-il, dans son être, une partie qui voie, et une autre partie qui entende ? Son oreille est-elle incapable de faire ce que fait son œil, et son œil ne peut-il jouer le rôle de son oreille ? Est-il tout entier dans l’organe de la vue ou l’organe de l’ouïe ? Peut-être. Mais ce n’est pas assez dire, j’ajoute : Certainement, oui ; avec cette réserve, toutefois, qu’en lui, voir et entendre sont bien différents de ce qu’ils sont en nous. La vue et l’ouïe se trouvent ensemble dans le Verbe, mais sans que la première soit autre que la seconde chez lui, la vue n’est pas différente de l’ouïe, et l’ouïe n’est pas autre que la vue. 10. Pour nous, en qui l’ouïe et la vue sont choses absolument différentes, pouvons-nous comprendre un pareil mystère ? Oui, peut-être, si nous nous replions sur nous-mêmes, à condition, toutefois, de ne pas être des prévaricateurs, car à de pareilles gens il a été dit : « Hommes de péché, rentrez dans votre cœur ax » ; rentrez en vous-mêmes : pourquoi vous en éloigner, et, par là, vous exposer à périr ? Pourquoi courir en des chemins solitaires ? Vous ne suivez pas la véritable voie ; aussi vous égarez-vous ; revenez. Où ? Au Seigneur. Mais c’est trop tôt : commence par rentrer en toi-même : hors de toi, loin de ton cœur, tu t’égares ; tu ne te connais pas même, et tu voudrais connaître ton Créateur ? Reviens, rentre dans ton cœur, arrache-toi à ton corps. Ton corps est comme ta demeure ; il est pour ton cœur la source d’une foule de sensations, mais ils sont bien différents l’un de l’autre : laisse donc là ton corps pour rentrer dans ton cœur. Dans ton corps, l’œil occupe une place, et l’oreille une autre place : en est-il ainsi pour ton cœur ? Est-il dépourvu de la faculté d’entendre ? Qu’est-ce donc que le Sauveur avait en vue, quand il disait: « Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende ay ? » Est-il privé de la faculté de voir ? Pourquoi, alors, l’Apôtre dit-il : « Qu’il éclaire les yeux de votre cœur az ? » Rentre en toi-même, et, par ce que tu y verras, tu pourras peut-être te faire une idée de ce qu’est Dieu ; car ton âme en est l’image. Le Christ habite dans l’homme intérieur ba. Au dedans de toi se renouvelle l’image de Dieu : en elle, reconnais les traits de son auteur. Vois comment les sens du corps font connaître au cœur les impressions qui leur viennent du dehors remarque le grand nombre de ministres attachés au service de ce maître unique qui règne à l’intérieur, et aussi les opérations secrètes qu’il accomplit sans leur concours. Les yeux signalent à l’âme le blanc et le noir ; les oreilles transportent jusqu’à elle les harmonies et les dissonances ; par l’odorat, elle distingue les émanations embaumées des corps d’avec leurs émanations fétides ; le goût lui sert à savourer les douceurs et à reconnaître les amers ; au moyen du tact, elle fait la différence entre les surfaces polies et les autres ; enflai, elle se suffit à elle-même pour apprécier le juste et l’injuste. Elle voit et entend tout ensemble, elle porte des jugements sur tous les êtres matériels, et elle discerne même ce à quoi ne peuvent atteindre les sens du corps, c’est-à-dire, la justice et l’injustice, le bien et le mal. Montre-moi ses yeux, ses oreilles, son organe de l’odorat. Son appréciation s’exerce sur une foule d’objets, et pourtant nous n’apercevons point en elle différents sens. En ton corps se trouvent, ici l’organe de la vue, là celui de l’ouïe : en ton âme se rencontrent, en même temps et à la même place, et l’ouïe et la vue. S’il en est ainsi de l’image, n’en est-il pas, à plus forte raison, ainsi de celui qu’elle représente ? Donc, le Fils voit et entend ; je dis plus : il est la vue et l’ouïe mêmes ; en lui, voir et entendre, c’est être. En toi, la vue est chose distincte de l’existence ; car tu peux perdre la vue sans perdre la vie, comme tu peux cesser d’entendre sans cesser de vivre. 11. Pensons-nous avoir déjà frappé ? Notre intelligence s’est-elle suffisamment éveillée pour nous laisser soupçonner d’où lui vient la lumière ? Je le suppose, mes frères ; car, à parler de pareilles choses et à les méditer, nous nous exerçons. Et lorsque nous nous y exerçons, et qu’entraînés par notre faiblesse naturelle nous retombons dans notre premier état, nous ressemblons à des personnes dont les yeux chassieux sont mis tout à coup en présence de la lumière, après y avoir été jusqu’alors fermes et avoir été déjà soignés par les médecins. Quand un homme de l’art veut savoir si la guérison s’opère et à quel point elle en est arrivée, il essaie de présenter à l’organe malade ce qu’on veut contempler, et ce qu’on ne pouvait voir pendant qu’on était aveugle : si peu que la prunelle de l’œil s’éclaircisse, dès qu’elle aperçoit la lumière, les rayons s’en réfléchissent en elle, et elle donne ainsi au praticien la réponse qu’il attendait. Que fait-il alors ? il force les yeux à se fermer comme auparavant, et il y applique un collyre : par là, il inspire en quelque sorte aux malades le désir de contempler les objets qu’ils ont aperçus sans pouvoir les distinguer parfaitement ; ainsi les dispose-t-il à guérir d’une manière complète ; en faisant emploi des mordants pour leur rendre la santé, il allume en eux l’amour de la lumière et les porte, par un effort suprême, à se dire : Quand donc pourrai-je fixer ma vue sur ces objets, sur lesquels je n’ai pu arrêter encore mes regards trop affaiblis par l’infirmité ? ils pressent le médecin de prendre soin d’eux et de les guérir. Quelque chose de pareil à cela, mes frères, s’est peut-être opéré dans vos âmes ; vous avez élevé vos pensées pour voir le Verbe ; puis, après avoir reçu un rayon de sa lumière, vous êtes retombés dans votre première ignorance. Prions le céleste médecin de nous appliquer de mordants collyres, c’est-à-dire de nous imposer les règles de la justice. Il y a quelque chose à voir, mais l’organe qui nous aidera à le voir nous fait défaut. Lorsque, précédemment, je te disais qu’il y a quelque chose à voir, tu ne me croyais pas : conduit par certaines réflexions, tu as été amené en sa présence, tu t’en es approché, tes regards se sont dirigés de ce côté-là, ton cœur a palpité, puis tu as reculé. Oui, il y a quelque chose à voir, et tu le sais pertinemment ; mais, tu ne l’ignores pas davantage, tu n’es pas capable de le contempler. Il put donc te guérir. Mais quels collyres employer ? Il ne faut ni mentir, ni parjurer, ni commettre l’adultère, ni voler, ni te rendre coupable de fraude. Cependant tu en as contracté l’habitude, et il t’en coûte de la contrarier ; et c’est précisément ce sacrifice pénible qui te rendra la vue. Car, je te le dis en toute liberté, et sous l’impression d’une crainte que je voudrais te faire partager : Si tu abandonnes ta cure, si tu négliges de guérir tes yeux et de les rendre propres à jouir de la lumière, tu aimeras les ténèbres, et cette prédilection pour l’obscurité l’y fera persévérer, et, en y persévérant, tu mériteras d’être précipité môme dans les ténèbres extérieures, où il y aura des pleurs et des grincements de dents bb. Si l’amour de la lumière est incapable de te porter vers elle, du moins que la crainte de la douleur opère en toi cet effet. 12. À mon avis, j’ai suffisamment parlé, et pourtant je n’ai pas fini d’expliquer cette leçon de l’Évangile. Si je voulais achever ma tâche, je vous fatiguerais et j’aurais lieu de craindre que vous veniez à perdre l’eau vive que vous avez puisée : que ceci suffise donc à votre charité. Nous sommes vos débiteurs, non pas seulement pour le moment actuel, mais toujours, mais pour tout le temps de notre existence ; car c’est pour vous que nous vivons. Néanmoins, cette existence si faible, si occupée, si périlleuse, que nous menons en ce monde, faites-en la consolation par vos bonnes mœurs ; ne nous contristez pas, ne nous écrasez point par une conduite déréglée. Si vous nous blessez par des habitudes mauvaises, si vous nous forcez à nous écarter de vous et à ne plus nous en approcher, ne vous plaindrez-vous pas et ne vous direz-vous pas : Lors même que nous serions malades, ne devriez-vous pas nous soigner ? Quand même nous serions infirmes, ne devriez-vous pas nous visiter ? Nous vous soignons et vous visitons ; mais puissent ne point s’appliquer à nous ces paroles de l’Apôtre : « Je crains d’avoir inutilement travaillé parmi vous bc ».DIX-NEUVIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CES PAROLES : « LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MÊME QUE CE QU’IL VOIT FAIRE AU PÈRE », JUSQU’À CES AUTRES : « PARCE QUE JE CHERCHE, NON POINT MA VOLONTÉ, MAIS LA VOLONTÉ DE CELUI QUI M’A ENVOYÉ ». (Chap 5,19-30.)LES DEUX RÉSURRECTIONS.
Quiconque n’honore pas le Fils, n’honore pas le Père, car il déclare par là ou que, par jalousie, le Père n’a pas voulu engendrer son égal, ou qu’il lui a été impossible de l’engendrer. Au contraire, le Fils étant le Verbe du Père, celui qui écoute le Verbe et croit au Père, passe de la mort spirituelle à la vie de la grâce par la foi. Cette vie, supérieure à celle du corps, le croyant la puise, non en lui-même, mais à sa seule et véritable source, qui est Dieu, tandis que pour avoir été engendré par le Père, le Fils a cette vie en soi, et la communique à ceux auxquels il veut la donner. Comme Fils de Dieu, il ressuscite donc les âmes ; comme Fils de l’homme, il ressuscitera aussi les corps, parce que son Père lui a donné le jugement. Il sera seul à juger les vivants et les morts, afin que les méchants ne puissent voir en lui la forme de Dieu, et aussi pour glorifier sa vie sainte. 1. Autant que Dieu a bien voulu échauffer mon cœur, et venir en aide à ma faible intelligence pour l’éclairer, je vous ai entretenus, dans le discours précédent, de ce passage que nous avons lu dans l’Évangile : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il unit faire au Père » ; je vous ai dit ce que c’est, pour le Fils, que voir agir le Père : et mon entretien avait aussi pour objet la vision du Verbe ; car le Fils n’est autre que le Verbe : toutes choses ayant été faites par le Verbe, vous avez compris en quel sens on peut dire que le Fils regarde d’abord la manière dont le Père agit pour accomplir lui-même ce qu’il lui a vu faire ; car le Père n’a rien fait sans l’intermédiaire du Fils. « Toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait ». Remarquez-le, néanmoins ; en vous parlant, je n’ai pas fait disparaître toute l’obscurité de ce mystère, et la raison en est toute simple : c’est que je n’ai pu le pénétrer. Parfois, les expressions font défaut, lors même que l’intelligence saisit nettement la vérité. Est-il étonnant qu’elles manquent, lorsque l’esprit ne peut arriver à la comprendre ? Maintenant, selon la mesure de la grâce divine, nous allons rapidement parcourir la leçon d’aujourd’hui, et tâcher de nous acquitter entièrement de notre dette envers vous. Cela fait, s’il nous reste assez de temps ou de forces, nous ferons un retour en arrière ; et, autant que le permettra ma capacité et la vôtre, je m’efforcerai d’expliquer à nouveau ce que c’est, pour le Verbe, que voir agir le Père ; ce que c’est, de la part du Père, que montrer ses agissements au Verbe. Nous avons dit plus haut tout ce qu’il était possible de dire : si on le comprend d’une manière purement humaine et charnelle, avec un esprit rempli d’idées fantasmagoriques, on se représente, en quelque sorte, deux hommes dont l’un serait le père, et l’autre le fils ; dont l’un se montrerait aux regards de l’autre, dont le premier parlerait pour se faire entendre du second ; de pareilles images doivent être comme des idoles dressées dans l’esprit qui les conçoit : si nous sommes parvenus à les expulser de leurs temples, doivent-elles trouver leur refuge en des âmes chrétiennes ? Bien moins encore. 2. L’Évangéliste dit donc : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire au Père ». C’est vrai, et vous devez le croire ; mais croyez aussi ce que Jean vous a dit à la première page de son livre : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu » ; n’oubliez pas, surtout, cet autre passage : « Toutes choses ont été faites par lui ». Ne séparez point l’un de l’autre, dans votre esprit, ces deux endroits du texte sacré ; mais qu’ils s’y accordent tous deux. Bien que « le Fils ne puisse rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire au Père », le Père, néanmoins, ne fait rien sans l’intermédiaire du Fils. En effet, le Fils est son Verbe, et, « au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu, et toutes choses ont été faites par lui ; car tout ce que le Père fait, le Fils le fait aussi comme lui bd ». Cela, et non pas autre chose, non pas d’une manière différente, mais comme lui. 3. « Car le Père aime le Fils, et il lui montre tout ce qu’il fait ». Aux paroles précitées, « que ce qu’il voit faire au Père », semblent se rapporter celles-ci : « Il lui montre tout ce qu’il fait ». Mais si le Père montre ce qu’il fait ; si, d’ailleurs, le Fils ne peut rien faire avant que le Père lui ait montré ses propres œuvres ; si, enfin, le Père ne peut les montrer au Fils avant de les avoir accomplies, il est de toute évidence qu’en agissant le Père ne se sert point de l’intermédiaire de son Fils. Mais en admettant, comme hors de doute et à l’abri de toute discussion, que le Père fait toutes choses par son Fils, nous reconnaissons, par là même, qu’il les montre au Fils avant de les faire. En effet, si le Père ne montre ses œuvres au Fils qu’après les avoir accomplies, afin que le Fils les voie et les fasse lui-même, on ne saurait le nier : il faut que ces œuvres soient faites avant d’être montrées, et que le Père agisse indépendamment du Fils. Mais le Père ne fait rien sans le Fils, parce que le Fils de Dieu n’est autre que son Verbe, et que toutes choses ont été faites par lui. Il nous reste donc peut-être cette ressource, à savoir que le Père montre au Fils ce qu’il doit faire, afin que celui-ci le fasse. Car si le Fils fait ce que le Père lui montre comme étant déjà accompli, ces œuvres, montrées par lui comme déjà faites, il les a évidemment opérées sans le Fils ; le Père pouvait-il, en effet, les montrer au Fils si elles n’avaient pas été préalablement accomplies ? Le Fils pouvait-il faire autre chose que ce qu’on lui montrait ? Certainement non : par conséquent, ces œuvres étaient accomplies parle Père sans le Fils ; mais il n’est pas douteux que « toutes choses ont été faites par lui » ; donc, elles ont été montrées avant d’être faites. Il nous faut pourtant quitter ce sujet pour le traiter plus tard ; car, nous l’avons dit, il nous faudra y revenir, lorsque nous aurons expliqué toutes les parties de la leçon, pourvu, ai-je ajouté, qu’il nous reste assez de temps ou de forces pour revenir sur ce que nous différons d’expliquer. 4. Écoutez, voici quelque chose de plus grand et de plus difficile à saisir : « Et il lui montrera d’autres œuvres plus grandes que celles-ci ? ». « Plus grandes que celles-ci ? Quelles sont celles-ci ? C’est facile à deviner. Il s’agit des œuvres dont vous avez entendu parler, c’est-à-dire de la guérison des maladies corporelles. Car, vous le savez, le discours du Sauveur, qui nous occupe en ce moment, avait été amené par la guérison qu’il avait opérée sur la personne du paralytique de trente-huit ans. Voilà pourquoi le Sauveur pouvait dire : « Il lui montrera d’autres œuvres plus grandes que celles-ci, et vous serez dans l’admiration ». Car il est des œuvres plus grandes, et le Père les montrera au Fils. Il ne les lui a pas montrées, comme au prétérit, mais « il » les lui « montrera », au futur, c’est-à-dire, il les lui fera voir, Ici se présente encore une question difficile à résoudre. Y avait-il dans le Père quelque chose qui n’eût pas encore été montré au Fils ? Y avait-il dans le Père quelque chose que le Fils ignorât encore au moment où il parlait ainsi ? En effet, « s’il devait le lui montrer », c’est-à-dire, lui faire voir plus tard, il ne le lui avait donc pas encore montré, et il devait le lui montrer en même temps qu’aux interlocuteurs du Christ ; car voici ce que nous lisons plus loin, et « vous en serez dans l’admiration ». Il n’est pas plus aisé de comprendre ce passage que le précédent ; comment, en effet, se figurer que le Père, qui est éternel, montre, en quelque sorte, dans le temps, certaines choses à son Fils, qui lui est coéternel et qui connaît tout ce qui se trouve dans le Père ? 5. Mais, enfin, quelles sont ces œuvres plus grandes ? Ceci est peut-être facile à saisir. « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut ». Le Père vivifie-t-il certains hommes, tandis que le Fils en vivifie d’autres ? Non, car toutes choses sont faites par lui. Ceux que ressuscite le Fils sont les mêmes que ressuscite le Père, car le Fils ne fait pas autre chose que le Père, ni d’une manière différente ; mais « ce que fait le Père, le Fils le fait aussi comme lui ». Voilà ce qu’il faut bien comprendre et à quoi il faut bien s’en tenir ; mais me l’oubliez pas : « Le Fils vivifie ceux qu’il veut ». Ici il est question, non seulement de l’impuissance du Fils, mais encore de sa volonté. Le Fils vivifie ceux qu’il veut : ainsi en est-il du Père ; et ceux que le Père veut vivifier sont précisément les mêmes que le Fils veut vivifier aussi ; par conséquent, la puissance et la volonté sont les mêmes dans le Père et dans le Fils. Que signifient donc les paroles suivantes : « Car le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père ? » Évidemment le Sauveur ajoute ceci pour expliquer ce qui précède. Ce passage me saisit, attention ! Le Fils vivifie ceux qu’il veut vivifier ; ainsi en est-il du Père : le Fils ressuscite les morts de la même manière que le Père lui-même les ressuscite. « Car le Père ne juge personne ». S’il faut que les morts ressuscitent à l’heure du jugement, et si le Père ne juge personne, comment ressuscite-t-il les morts ? « Il a », en effet, « donné tout jugement au Fils ». Or, à l’heure de ce jugement, les morts ressusciteront, les uns pour la vie, les autres pour le châtiment. Si ce doit être l’œuvre exclusive du Fils, le Père n’y contribuera donc en rien, puisque « le Père ne juge personne, et qu’il a donné tout jugement au Fils ». Mais ce passage semble être en contradiction avec celui-ci : « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut ». Ils ressuscitent donc également les morts : or, s’ils les ressuscitent tous deux, ils les vivifient de même, et, par conséquent, ils les jugent aussi pareillement ; comment alors peut subsister cette parole : « Car le Père ne juge personne, et il a donné tout jugement au Fils ? » En attendant, si les difficultés proposées nous embarrassent, le Seigneur nous aidera à les éclaircir et nous fera trouver de la joie dans leur solution. Non, mes frères, nous n’éprouverons jamais de joie à voir une difficulté résolue, si notre attention ne se laisse point surexciter par son exposé. Que le Seigneur daigne nous guider ! peut-être écartera-t-il un peu le voile qui couvre la vérité cachée à nos yeux ! En effet, il a caché sa lumière derrière un nuage ; et il n’est pas aisé de s’élever, comme ferait un aigle, au-dessus de toutes les vapeurs qui enveloppent la surface entière de ce monde be, et d’apercevoir, à travers les paroles du Christ, les rayons lumineux dans toute leur pureté. Dieu percera peut-être la couche épaisse de nos ténèbres par l’ardeur de son soleil, et daignera nous manifester un peu la vérité dans les passages suivants ; laissons donc les premiers pour un instant et passons à d’autres. 6. « Quiconque n’honore pas le Fils, n’honore pas le Père qui l’a envoyé ». C’est la vérité, et lien n’est plus facile à comprendre. Car « il a donné tout jugement au Fils », comme il a déjà été dit plus haut, « afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père ». Et s’il y en avait pour honorer le Père sans honorer le Fils ? C’est chose impossible, car « quiconque n’honore pas le Fils, n’honore pas le Père, qui l’a envoyé ». Personne ne peut donc dire : Moi, j’honorais le Père parce que je ne connaissais point le Fils. – Si tu n’honorais pas encore le Fils, tu n’honorais pas davantage le Père : qu’est-ce, en effet, qu’honorer le Père, sinon reconnaître qu’il a un Fils ? Autre chose est te parler de Dieu en tarit qu’il est Dieu, autre chose est l’en parler en tant qu’il est Père. Lorsqu’on te parle de Dieu en tant que Dieu, on te parle du Créateur, du Tout-Puissant, de la suprême Intelligence, de l’Esprit éternel, invisible, immuable ; mais, lorsqu’il s’agit de Dieu en tant qu’il est le Père, on ne veut évidemment que te parler du Fils ; car on ne peut donner à Dieu le nom de Père qu’autant qu’il a un Fils ; comme il est impossible d’imaginer un Fils, s’il n’y a pas de Père. Mais ne va pas honorer le Père, comme s’il était plus grand que le Fils, et celui-ci comme s’il était plus petit que le Père ; ne me dis pas : J’honore le Père, car je sais qu’il a un Fils ; et je ne me trompe pas en lui donnant le nom de Père, parce que je ne le conçois pas comme n’ayant point de Fils ; quant au Fils, je l’honore comme inférieur au Père. Le Fils t’arrête et te rappelle à la vérité par ces paroles : « Afin que tous honorent le Fils », non pas d’une manière moindre, mais « comme ils honorent le Père ». « Celui », donc, « qui n’honore point le Fils, n’honore pas non plus le Père qui l’a envoyé ». – Moi, dis-tu, je veux rendre au Père un honneur plus grand, et au Fils un honneur moindre. – Tu refuses l’honneur au Père, dès que tu en rends un moindre au Fils. À considérer ainsi les choses, ne fais-tu point profession de dire que si le Père n’a pas engendré un Fils égal à lui, c’est qu’il ne l’à pas voulu ou qu’il en a été incapable ? S’il ne l’a pas voulu, ç’a été jalousie de sa part ; s’il en a été incapable, c’est que la puissance lui manquait. Ne vois-tu pas que cette manière de voir est injurieuse au Père, tout en paraissant plus honorable pour lui ? Honore donc le Fils, comme tu honores le Père1 afin de les honorer également l’un et l’autre. 7. « En vérité, en vérité, je vous le dis : Celui qui écoute ma parole et croit en Celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle et ne sera point condamné, il passe de la mort à la vie ». Faites attention à ceci : « Celui qui écoute ma parole » ; et le Sauveur n’ajoute pas : Croit en moi, mais : « à Celui qui m’a envoyé ». Qu’on écoute donc la parole du Fils et qu’on croie au Père. Pourquoi écouter votre parole et croire à un autre ? Quand nous Écoutons un homme, ne croyons-nous pas à ce qu’il nous dit ? Ne lui donnons-nous pas toute notre confiance ? Qu’a donc voulu exprimer le Sauveur par ces mots : « Celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé ? » Ceci, évidemment : sa parole se trouve en moi. Que signifie ce passage : « Écoute ma parole ? » Il veut dire m’écoute. « Et croit à celui qui m’a envoyé ? » En croyant à lui, il croit à sa parole, et en croyant à sa parole, il me croit, parce que je suis le Verbe du Père. La paix règne dans les Écritures ; tout s’y trouve disposé dans un ordre admirable ; rien n’y peut donner lieu à dispute. Chasse donc de ton esprit toute idée de chicane ; remarque l’accord de nos livres saints. La vérité se mettrait-elle en contradiction avec elle-même ? 8. « Celui qui écoute ma parole et croit à Celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle et ne sera pas condamné ; il est passé de la mort à la vie ». Vous vous en souvenez : nous avons trouvé, tout à l’heure, une difficulté dans ces paroles : « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut ». La lumière commence à se faire ; le Sauveur commence à parler de la résurrection des morts, et nous voyons déjà les morts sortir du tombeau. Car « celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle et ne sera pas condamné ». Prouvez que celui-là est ressuscité. Mais, dit le Sauveur, « il est passé de la mort à la vie ». Personne ne saurait en douter : celui qui est passé de la mort à la vie est évidemment ressuscité, Comment, en effet, passer de la mort à la vie, si l’on ne s’est d’abord trouvé dans un état de mort, si l’on n’est premièrement privé de vie ? Mais en passant de la mort à la vie, on se trouve dans l’une, et l’on n’est plus dans l’autre. Celui-là était donc mort, et il est ressuscité ; il était perdu, et il est retrouvé bf. Une sorte de résurrection s’opère, par conséquent : les hommes passent d’une certaine espèce de mort à un certain état de vie, de la mort de l’incrédulité à la vie de la foi, de la mort de l’erreur à la vie de la vérité, de la mort du péché à la vie de la justice : c’est donc là une sorte de résurrection des morts. 9. Daigne le Sauveur s’ouvrir davantage à nous, et continuer à faire briller plus vivement à nos yeux la vérité de cette résurrection. « En vérité, en vérité, je vous dis que l’heure vient, et elle est déjà venue ». Nous nous attendions à entendre parler de la résurrection des morts qui doit se faire à la fin du monde, à laquelle nous croyons depuis que nous sommes chrétiens, qui fait l’objet de nos espérances, et dont il nous est impossible de douter ; le point de foi qui concerne ta résurrection finale des trépassés a la vérité sur fondement. Mais le Seigneur Jésus voulait nous parler d’une certaine résurrection qui précéderait celle des morts, mais qui ne ressemblerait ni à celle de Lazare bg, ni à celle du fils de la veuve bh, ni, enfin, à celle de la fille du chef de la synagogue bi. Toutes ces personnes ont ressuscité pour mourir à nouveau, (car après être descendues dans la tombe, elles en sont sorties avant que s’accomplisse la résurrection générale) : en effet, le Christ n’a-t-il pas dit, pour nous indiquer mm genre différent de résurrection : « Il a la vie éternelle et ne sera point condamné, mais il est passé de la mort à la vie ? » À quelle vie ? À la vie éternelle. Il ne s’agit donc pas d’une résurrection pareille à la résurrection corporelle de Lazare, car il a passé de la mort du tombeau à la vie humaine : mon pas à la vie éternelle, mais à une vie qui devait finir encore : ceux, au contraire, qui doivent ressusciter à la fin des temps, passeront à la vie éternelle. Notre-Seigneur Jésus-Christ, notre Maître, le Verbe du Père, et la Vérité aime, voulait donc nous parler d’une certaine résurrection des morts qui aboutirait à la vie éternelle,.et précéderait la résurrection générale des trépassés qui doit mettre un terme aux vicissitudes du temps. Aussi dit-il ; « L’heure vient ». Imbu des idées de la foi concernant la résurrection de la chair, tu pensais évidemment à la dernière heure de tous les siècles, au jour du jugement suprême ; mais pour détourner ton esprit d’une idée pareille, le Christ a ajouté : « Et elle est déjà venue ». Par conséquent, en disant : « L’heure vient », il ne prétendait point faire allusion à la dernière de toutes les heures, à ce moment où, « le signal ayant été donné parla voix de l’archange et par la trompette du Seigneur, le Sauveur lui-même descendra du ciel, et ceux qui seront morts en Jésus-Christ ressusciteront les premiers ; ensuite, nous qui vivons et serons demeurés jusqu’alors, nous serons enlevés avec eux sur les nuées, pour aller dans les airs au – devant de Jésus-Christ, et ainsi, nous serons « éternellement avec le Seigneur bj ». Elle viendra, cette heure-là, mais elle n’est pas encore venue. Quelle est cette autre heure ? Remarquez-le bien. « L’heure vient, et elle est déjà venue ». Qu’est-ce qui se fait à pareille heure » ? Qu’est-ce ? La résurrection des morts, et rien autre chose. Et en quoi consiste cette résurrection ? En ce que ceux qui ressuscitent passent à la vie éternelle. Ainsi en sera-t-il encore à la dernière heure. 10. Eh quoi ? quelle idée nous faisons-nous de ces deux résurrections ? Ceux qui ressuscitent maintenant sont-ils destinés à ne pas ressusciter plus tard ? La résurrection des uns doit-elle avoir lieu présentement, tandis que celle des autres ne se fera qu’à la fin du monde ? Non. Si, en effet, nous avons la vraie foi, nous sommes déjà ressuscités une fois, et, malgré cela, nous espérons ressusciter encore à la fin des siècles : nous avons donc, au temps présent, ressuscité pour la vie éternelle, si nous persévérons avec fermeté dans la règle de la foi ; et, au moment de la consommation des siècles, quand viendra pour nous l’heure d’être égalés aux anges, nous ressusciterons encore pour la vie qui n’a pas de fin bk. Que le Seigneur lui-même vous fasse bien voir et bien comprendre ce que j’ai osé vous dire, à savoir : Comment peut se faire, avant la résurrection générale, une résurrection qui s’étende, non pas seulement à ceux-ci ou à ceux-là, mais à tous indistinctement, qui soit différente de celle de Lazare et aboutisse à la vie éternelle ? Il nous fera parfaitement saisir ce mystère. Écoutez donc le Maître : il va nous éclairer ; il va faire parvenir jusqu’à nos cœurs les rayons de notre soleil : ici, bien entendu, je ne parle pas de l’astre que nos yeux charnels aiment à contempler, mais de celui sur lequel notre esprit aime à porter ses regards. Encore une fois, Écoutons le Maître. « En vérité, en vérité, je vous le dis, l’heure vient, et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’auront entendue vivront ». Pourquoi le Christ a-t-il ajouté « Ceux qui l’auront entendue vivront ». Ceux-là pourraient-ils l’entendre, s’ils ne vivaient pas ? Il lui aurait donc suffi de dire « L’heure vient, et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu ». Nous aurions compris, par là, qu’ils ne seraient pas daims l’état de mort au moment où ils entendraient la voix du Fils de Dieu ; car comment l’entendraient-ils, s’ils ne vivaient pas ? Or, il n’a pas dit : Ils entendent, parce qu’ils vivent ; mais, ils revivent, parce qu’ils entendent, « Ils entendront, et ceux qui auront entendu vivront ». Qu’est-ce donc à dire : « Ils entendront ? » Ils écouteront. Si l’on ne s’en tient à l’action matérielle de l’organe de l’ouïe. Il est sûr que ceux qui entendront ne vivront pas tous ; car il en est beaucoup qui entendent et ne croient pas : ils entendent et ne croient point : c’est pourquoi ils n’écoutent pas, et parce qu’ils n’écoutent pas, ils ne vivent pas. Les mots : « Qui entendront », n’ont donc ici d’autre sens que celui-ci : Qui écouteront. Aussi, ceux qui auront écouté vivront. On prêche le Christ, Verbe et Fils de Dieu, par qui toutes choses ont été faites. Par un effet particulier de la grâce, il s’est revêtu de notre humanité et il a pris naissance dans le sein d’une Vierge : on l’a vu enfant, il est devenu adolescent, il a souffert, il est mort, ressuscité et monté au ciel ; il a promis la résurrection des corps et celle des âmes, et, d’après sa promesse, les âmes doivent ressusciter avant les corps, et les corps après les âmes. Celui qui entend et écoute, vivra celui qui entend et n’écoute pas, c’est-à-dire, celui qui entend et méprise, qui entend et ne croit point, ne vivra pas. Pourquoi cela ? Parce qu’il n’entend pas. Qu’est-ce à dire Il n’entend pas ? Il n’écoute pas. Donc, « ceux « qui auront entendu vivront. 11. Écoute, maintenant, ce dont nous avons dit vouloir différer l’explication, pour la donner à ce moment-ci autant qu’il dépendra de nous. Au sujet de cette résurrection, le Christ ajoute aussitôt : « Comme le Père a la vie en soi, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir en soi la vie ». Qu’est-ce à dire : « Le Père a la vie en soi ? » Il ne la puise pas ailleurs, il la trouve en lui-même. La vie ne lui vient pas d’une autre source, elle n’est pas pour lui chose étrangère ; c’est son bien propre, elle réside en lui : personne ne la lui prête, pour ainsi parler ; il n’en devient point participant, comme si elle était différente de sa propre substance ; mais il a la vie en soi, de telle façon que cette vie, c’est lui. S’il m’était possible de vous parler encore un peu à cet égard, je me servirais de quelques exemples afin de porter une lumière plus vive dans vos esprits ; avec l’aide de Dieu, et votre bonne volonté, j’y réussirai. La vie est en Dieu : elle est aussi en notre âme ; mais en Dieu, elle n’est sujette à aucune vicissitude ; en notre âme, elle est exposée à subir des changements : en Dieu, elle ne croît ni ne décroît : il est toujours en lui-même, il est incessamment ce qu’il est, toujours pareil à lui-même aujourd’hui, demain, hier ; pour la vie de l’âme, elle est singulièrement changeante et différente de ce qu’elle était précédemment : d’abord manquant de prudence, puis éclairée par la sagesse ; tantôt souillée de péchés, et tantôt ornée de justice : aujourd’hui, servie par une mémoire heureuse, demain, incapable de rassembler ses souvenirs : parfois s’instruisant, et parfois ne pouvant rien apprendre ; oubliant un jour ce qu’elle avait appris, et apprenant l’autre jour ce qu’elle avait oublié : telle est l’inconstance de la vie de notre âme. Pour elle, vivre dans l’état de péché, c’est être constituée dans un état de mort ; et devenir juste, c’est participer à une autre vie, différente d’elle-même ; car alors, en s’élevant vers Dieu, en s’attachant à lui, elle en reçoit la grâce de la justification. Il est dit, en effet : « Lorsqu’un homme croit en celui qui justifie le pécheur, sa foi lui est imputée à justice bl ». En s’éloignant de Dieu, l’âme devient pécheresse, elle devient juste en s’en approchant. Ne te semble-t-il pas voir comme un objet froid qui s’échauffe à mesure qu’on l’approche du feu, ou un objet chaud qui se refroidit à mesure qu’on l’en éloigne ? Ce qui est plongé dans les ténèbres ne s’éclaire-t-il pas si on l’approche de la lumière ? ne devient-il pas noir une fois qu’il en est séparé ? Il en est de même de notre âme, mais il n’en est pas ainsi de Dieu. L’homme lui-même peut dire que la lumière se trouve maintenant dans ses yeux. Que les yeux disent donc, s’ils le peuvent, dans une sorte de langage qui leur serait propre : Nous avons, la lumière en nous-mêmes. Mais on est en droit de leur dire : Vous dites que vous avez la lumière en vous-mêmes : réellement, cela n’est pas vrai. Vous avez la lumière, mais elle vous vient du ciel : s’il fait nuit, vous avez la lumière, elle se trouve dans la lune, dans un flambeau, mais pas en vous ; enfermez-vous, et vous cesserez de recevoir les rayons qui vous éclairent lorsque vous vous ouvrez. Vous n’avez pas la lumière en vous ; car, le soleil une fois couché, retenez la lumière en vous, si c’est possible ; il est nuit, vous jouissez d’une lumière de nuit : eh bien ! ôtez le flambeau, et conservez en vous la lumière ; puisqu’en faisant disparaître le flambeau, vous restez dans les ténèbres, c’est la preuve que vous n’avez pas en vous la lumière. Avoir la lumière en soi-même, c’est donc n’avoir aucun besoin de la recevoir du dehors. « Comme le Père a la vie en soi, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir en soi la vie ». Si vous comprenez bien ces paroles, vous devez le voir, le Sauveur y donne la preuve que le Fils est égal au Père : de là aussi vous devez conclure qu’entre le Père et le Fils se trouve cette seule différence, que le Père possède en lui-même une vie qu’il m’a reçue de personne, et que le Fils a en lui-même une vie qu’il a reçue de son Père. 12. Ici se présente une question dont l’obscurité exige l’explication ; qu’au lieu de s’affaiblir, notre attention se réveille : nous avons, devant nous, pour notre âme, des pâturages ; ne nous en détournons point par dégoût : à cette condition, nous aurons la vie. Voilà que tu l’avoues toi-même, me dis-tu : le Père a donné la vie à son Fils, afin que celui-ci ait la vie en soi comme le Père l’a en soi ; afin que le Fils n’ait pas plus besoin de la puiser ailleurs, que son Père n’en a lui-même besoin ; afin que le Fils soit la vie, comme le Père est la vie ; et que l’un et l’autre, unis ensemble, fassent une seule vie et non deux vies ; car il n’y a qu’un seul Dieu et il n’y en a pas deux, et il doit en être de même de la vie. Comment donc le Père a-t-il donné la vie au Fils ? Il ne la lui a pas donnée en ce sens qu’avant de la recevoir le Fils en aurait été dépourvu, et que pour vivre il aurait nécessairement dû recevoir la vie de mon Père : s’il en était ainsi, il n’aurait pas la vie en soi. Mais j’ai parlé de l’âme. Elle existe : quoiqu’elle ne soit pas douée de sagesse, quoiqu’elle ne soit point ornée de justice, elle n’en est pas moins une âme ; le début de piété ne l’empêche pas d’être. Pour elle, autre chose est donc d’être une âme, autre chose, d’être sage, juste, pieuse. Il lui manque d’être sage, juste, pieuse, et c’est quelque chose, ce n’est pas rien ; et pourtant on ne saurait dire qu’elle ne vit pas du tout ; car elle montre, par certaines de ses œuvres, qu’elle a la vie, quoiqu’elle ne manifeste ni sagesse, ni piété, ni justice. Si elle ne vivait pas, elle ne communiquerait point le mouvement au corps : elle ne commanderait, ni aux pieds de marcher, ni aux mains de travailler, ni aux yeux de voir, ni aux oreilles d’entendre : elle ne nous ferait point ouvrir la bouche pour parler, ni remuer la langue pour proférer distinctement. Par ces opérations diverses, elle donne la preuve évidente de son existence ; elle montre qu’elle est d’une nature supérieure à celle du corps ; mais, par là, prouve-t-elle aussi qu’elle soit sage, pieuse ou juste ? Les fous, les impies, les pécheurs n’ont-ils pas, eux aussi, l’usage de leurs jambes, de leurs mains, de leurs yeux, de leurs oreilles, de leur langue ? Mais lorsqu’elle s’élève à quelque chose qui n’est pas elle-même, qui lui est supérieur, qui est son principe, alors elle y puise la sagesse, la piété et la justice : pendant qu’elle en était privée, elle était morte ; elle n’avait point la vie qui pouvait l’animer elle-même ; elle ne possédait que la vie en vertu de laquelle elle animait le corps : car autre chose est ce qui dans l’âme communique le mouvement aux membres corporels, autre chose, ce qui dans l’âme la fait agir elle-même. Elle est meilleure que le corps, mais Dieu est meilleur qu’elle. Quoique insensée, pécheresse ou impie, elle est, pour le corps, le principe de sa vie. Mais sa vie, à elle, se trouve en Dieu : quand elle anime le corps, elle lui communique la vigueur, la beauté, le mouvement, l’usage de ses membres ; par analogie, lorsque Dieu, qui est sa vie, habite en elle, il lui communique la sagesse, la piété, la justice, la charité. Il y a donc une grande différence entre ce que l’âme donne au corps, et ce que Dieu donne à l’âme : elle donne la vie et elle la reçoit ; et, quand elle est morte, si Dieu ne l’anime pas, elle n’est pas moins, pour le corps, le principe de la vie. La parole de Dieu venant à se faire entendre et à Pénétrer dans le cœur de ceux qui l’écoutent, et ceux-ci devenant, non seulement attentifs, mais encore obéissants à cette parole, l’âme quitte son état de mort pour arriver à ce qui constitue sa vie, ou, en d’autres termes, elle sort de l’iniquité, de sa folie, de son impiété, pour retourner à son Dieu, qui est pour elle la source de la sagesse, de La justice et de la lumière. Qu’elle s’élève vers lui, qu’il l’illumine. « Approchez-vous de lui », nous dit le Psalmiste. Qu’en retirerons-nous ? « Et vous serez éclairés bm ». Si vous êtes éclairés en vous approchant de lui, et qu’en vous en éloignant vous tombiez dans les ténèbres, c’est la preuve que votre lumière a sa source, non en vous, mais en Dieu. Approchez de lui, pour qu’il vous renie la vie ; vous mourrez, si vous vous en écartez. Puisqu’en vous approchant de lui vous vivez, et que vous mourez en vous en écartant, votre vie n’avait donc pas en vous son principe : votre vie et votre lumière sont donc une seule et même chose. « Parce qu’en vous se trouve la source de la vie, et que dans votre lumière nous verrons la lumière bn ». 13. Avant d’être éclairée de Dieu, l’âme est dans un état tout différent de celui où elle se trouve ensuite, et elle devient meilleure dès que la participation à un être plus parfait vient à l’illuminer : il n’en est pas ainsi du Verbe de Dieu, du Fils de Dieu : avant de recevoir la vie il n’est pas autre chose qu’après l’avoir reçue ; il n’est pas en possession de la vie comme s’il en devenait participant avec le Père : il l’a en lui-même, et il est lui-même la vie. Que veulent donc dire ces paroles : « Il a donné au Fils d’avoir la vie en lui-même ? » Le voici, en deux mots. Le Père a engendré le Fils. Le Fils n’a pas reçu la vie après en avoir été un certain temps dépourvu, mais par sa génération, il est la vie. Le Père est la vie sans être engendré ; le Fils est la vie parce qu’il est engendré. Le Père n’a pas de père qui l’engendre : le Fils est engendré de Dieu le Père. Le Père ne tient de personne ce qu’il est : il est Père à cause du Fils ; le Fils est tel à cause de son Père, et ce qu’il est, il le tient du Père. Ces paroles : « Il a donné la vie au Fils, afin qu’il l’ait en lui-même », veulent donc dire ceci : Le Père qui est en lui-même la vie, a engendré son Fils qui serait aussi la vie en lui-même. Car pour ce qu’il en est du verbe engendrer, le Sauveur a voulu nous le faire entendre dans le sens de donner ; comme si nous disions à quelqu’un : Dieu t’a donné l’être. À qui a-t-il donné l’être ? Si l’homme, auquel il a donné l’être, existait déjà, il ne le lui a pas donné. Comment donner la vie à celui qui l’avait déjà, et comment celui-ci aurait-il pu en recevoir le bienfait, puisqu’il le possédait déjà ? Ces paroles : Il t’a donné l’être, signifient donc que tu n’existais pas, qu’en conséquence tu pouvais recevoir la vie, et que, par ce fait même que tu as commencé d’exister, tu as reçu l’être. Un architecte a donné à une maison d’exister. Que lui a-t-il donné ? De devenir une maison. À qui a-t-il accordé un tel bienfait ? À cette maison. Que lui a-t-il donné ? D’être une maison. Comment a-t-il pu donner à une maison de devenir une maison ? Si elle existait déjà, y avait-il réellement possibilité de lui donner de devenir ce qu’elle était ? Que veulent donc dire ces mots : Il lui a donné de devenir une maison ? Il l’a fait devenir maison. Qu’est-ce que le Père a donné au Fils ? Il lui a donné d’être son Fils ; il t’a engendré pour qu’il fût la vie ; c’est-à-dire : « Il lui à donné d’avoir la vie en lui-même », afin qu’il fût la vie même, qu’il n’eût pas besoin de la puiser ailleurs, et qu’on ne le regardât point comme ayant une vie d’emprunt. Si, en effet, il n’avait qu’une vie reçue d’ailleurs, il pourrait la perdre, et, par là, n’en plus avoir : tu ne dois rien supposer ou imaginer, ou croire de pareil à l’égard du Fils. Le Père est donc toujours la vie, et il en est de même du Fils : le Père a la vie en soi, mais il ne la tient pas de son Fils ; le Fils a aussi la vie en soi, mais il la tient de son Père : il a été engendré de son Père, afin d’être la vie en lui-même ; mais le Père n’a pas été engendré pour être la vie en soi. Le Fils n’a pas été engendré plus petit que le Père, pour grandir ensuite et devenir son égal. Lui qui, dans la plénitude de la perfection, a créé tous les temps, il n’a pas eu besoin du temps pour se perfectionner. Avant tous les siècles, il est coéternel au Père. Jamais le Père n’a été sans le Fils, et comme il est éternel, le Fils lui est donc coéternel. O âme humaine, que dire de toi ? Tu étais morte, tu avais perdu la vie ; écoute le Père dans la personne de son Fils ; lève-toi, reprends la vie ; puise en celui qui a la vie en soi, celle qui ne se trouve pas en toi-même. Le Père te vivifie, et le Fils aussi : alors s’opère ta première résurrection, quand tu ressuscites pour recevoir la vie que tu n’as pas, et qu’en la recevant tu deviens vivant. Sors de ton état de mort ; reviens à ta vie qui est ton Dieu : passe de la mort à la vie éternelle. En effet, le Père a la vie éternelle en lui – même, et si le Fils qu’il engendre n’était point pareil à lui, et n’avait point la vie en soi, il serait incapable de donner la vie à ceux qu’il voudrait, de la même manière que le Père la donne aux morts en les ressuscitant. 14. Que dire de cette résurrection du corps ? Pour ceux qui écoutent et qui vivent, d’où vient qu’ils vivent,-sinon de ce qu’ils entendent ? « L’ami de l’époux, qui se tient debout et l’écoute, est plein de joie à cause de la noix de l’époux bo », et non à cause de la sienne propre ; c’est-à-dire, ils n’existent pas d’eux-mêmes : ils puisent la vie en Dieu voilà comment ils écoutent et vivent ; et tous ceux-là vivent, qui écoutent, parce que tous ceux qui obéissent ont la vie. Seigneur, dites-nous aussi quelque chose de la résurrection de la chair. Il y en a eu pour la nier, et soutenir que la résurrection opérée par la foi est la seule à laquelle on doive croire. Le Christ nous a parlé tout à l’heure de cette résurrection, et il a voulu nous animer d’une sainte espérance en nous disant que « les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et qu’ils vivront ». Il ne dit pas que, de tous ceux qui l’entendront, les uns mourront et les autres vivront ; mais que tous « ceux qui l’entendront vivront » ; car ceux qui obéiront auront la vie. Il est ici question de la résurrection des âmes, mais ne perdons pas la toi à la résurrection des corps. Seigneur, si vous ne l’affirmez pas vous-même, quelle autorité opposerons-nous à nos contradicteurs ? Toutes les sectes, assez audacieuses pour faire adopter aux hommes une religion quelconque, n’ont pas élevé le moindre doute à l’égard de la résurrection des âmes ; elles auraient craint qu’on pût leur dire : Si l’âme ne ressuscite pas, pourquoi me parles-tu ? Quel effet prétends-tu opérer en moi ? Si, de méchant que je suis, tu ne veux pas me rendre meilleur : si tu ne veux pas me retirer du péché pour me constituer dans la justice, à quoi bon me parler ? Dès lors que d’un pécheur tu fais un juste, que tu rends pieux un impie, que tu transformes un insensé en un homme sage, tu avoues que mon âme ressuscite, si je t’obéis, si j’ajoute foi à tes paroles. En cherchant à imposer aux autres leurs idées, aucun des propagateurs de fausses religions n’a pu nier cette résurrection des âmes : tous se sont accordés à l’admettre ; mais beaucoup ont nié celle de la chair, et ils ont dit que la foi l’avait déjà opérée. C’est contre de telles gens que s’élève l’Apôtre, quand il dit : « De ce nombre sont Hyménée et Philète, qui se sont écartés de la vérité en disant que la résurrection est déjà arrivée, et qui ont renversé la foi de quelques-uns bp ». À les entendre, la résurrection avait déjà eu lieu, mais de telle manière qu’on ne devait plus en espérer une autre. Aussi condamnaient-ils les hommes qui espéraient la résurrection de la chair, comma si la résurrection promise s’opérait déjà dans les âmes par la foi. L’Apôtre les condamne à son tour. Pourquoi ? Ne disaient-ils pas ce que Jésus-Christ disait lui-même tout à l’heure ? « L’heure vient, et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’entendront, vivront ». Mais, te dit Jésus, je ne te parle encore que de la résurrection des âmes, et non de celle des corps : je parle de la vie de ce qui anime les corps, c’est-à-dire des âmes, qui sont pour eux la source de la vie ; car, je le sais, il y a des corps dans les tombeaux ; vos corps y seront eux-mêmes, un jour, renfermés. Je ne vous parle nullement de leur résurrection : je ne fais allusion qu’à celle de vos âmes ; ressuscitez donc spirituellement, afin de ne point ressusciter corporellement pour les supplices éternels. Toutefois, remarquez-le bien, je parle aussi de la résurrection de la chair ; car j’ajoute : « Comme le Père a la vie en soi, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir en soi la vie ». Cette vie, qui n’est autre que le Père et le Fils, à quoi a-t-elle rapport ? À l’âme ou au corps ? Cette vie de la sagesse ne pénètre point le corps, mais seulement l’âme raisonnable : de plus, toute âme ne ressent pas les influences de la sagesse ; car les bêtes ont une âme, et cette âme-là n’en éprouve point les impressions : l’âme de l’homme peut donc être vivante de cette vie que le Père a en soi, et qu’il a donné au Fils d’avoir en soi ; car c’est là évidemment « la lumière véritable qui éclaire », non pas toute âme, mais « tout homme venant en ce monde ». Puisque je parle à l’âme, qu’elle m’écoute, c’est-à-dire, qu’elle m’obéisse et qu’elle vive. 15. Seigneur, ne gardez pas le silence au sujet de la résurrection de la chair ; car les hommes pourraient ne pas y croire, et, au lieu d’être des prédicateurs, nous ne serions que des ergoteurs. Ainsi, « comme le Père a la vie en soi, de même a-t-il donné au Fils d’avoir en soi la vie ». Que ceux qui entendent, comprennent : qu’ils croient pour comprendre, qu’ils obéissent pour vivre. Qu’ils écoutent encore ce qui suit, afin de ne pas croire que c’en est fini avec la résurrection : « Et il lui a donné le pouvoir même de rendre le jugement ». Qui est-ce qui a donné ce pouvoir ? Le Père. À qui l’a-t-il donné ? Au Fils, car le pouvoir même de rendre les jugements a été donné par lui à celui à qui il a donné d’avoir la vie en soi, « parce qu’il est le Fils de l’homme ». Ce Christ est en même temps Fils de Dieu et Fils de l’homme. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu : il était, au commencement, avec Dieu ». Voilà comment le Père a donné au Fils d’avoir la vie en soi ; mais parce que « le Verbe s’est fait chair et qu’il a habité parmi nous bq », parce qu’il est né homme de la Vierge Marie, il est le fils de l’homme. De ce qu’il est le Fils de l’homme, qu’a-t-il reçu ? Le pouvoir même de rendre le jugement. Quel jugement ? Le dernier, à la fin du monde : alors aura lieu la résurrection des morts, c’est-à-dire, des corps. Le Seigneur ressuscite donc les âmes par le Christ, en tant que Fils de Dieu : pour les corps, il les ressuscite par le même Christ, en tant que fils de l’homme. « Il lui a donné le pouvoir ». Ce pouvoir, il ne l’aurait pas, s’il ne l’avait reçu, et il serait un homme sans pouvoir. Mais s’il est fils de l’homme, il est, en même temps, Fils de Dieu. Le fils de l’homme s’étant attaché au Fils de Dieu en union de personne, il s’est formé une seule personne, qui est, tout à la fois, Fils de Dieu et fils de l’homme. Il faut voir de quels éléments se compose cette personne, et pourquoi. Le fils de l’homme a une âme et un corps : le Fils de Dieu a notre humanité, comme l’âme a le corps. De même que l’âme, unie au corps, fait, avec lui, non pas deux personnes, mais un seul homme ; ainsi, le Verbe, uni à notre humanité, forme avec elle, non deux personnes, mais un seul Christ. Qu’est-ce que l’homme ? Une âme raisonnable revêtue d’un corps. Qu’est-ce que le Christ ? Le Verbe de Dieu revêtu de notre humanité. 16. Maintenant, je ne vous dirai pas : Écoutez-moi, mais : écoutez le Seigneur vous parler de la résurrection de la chair ; il va le faire pour ceux qui sont ressuscités et sortis des bras de la mort en s’unissant à la vie. À quelle vie ? À celle qui ne connaît point la mort. Et quelle est la vie qui ne connaît pas la mort ? C’est celle qui ne subit aucune vicissitude. Pourquoi n’est-elle sujette à aucun changement ? Parce qu’elle est la vie en soi. « Et il lui a donné le pouvoir même de rendre le jugement, parce qu’il est le fils de l’homme ». Quel est ce jugement ? De quelle nature est-il ? « Ne vous étonnez pas » que je vous aie dit : « Il lui a aussi donné la puissance même de rendre le jugement, parce que l’heure vient ». Il n’a pas ajouté : « Et elle est déjà venue ». Il veut évidemment nous parler d’une certaine heure, de la fin du monde. C’est maintenant, pour les morts, l’heure de ressusciter : ce sera à la fin des temps, pour les morts, l’heure de revenir à la vie. C’est maintenant, pour eux, le moment de ressusciter d’une manière spirituelle : ce sera, plus tard, celui de la résurrection de leurs corps ; qu’ils ressuscitent aujourd’hui spirituellement par la puissance du Verbe, Fils de Dieu ; à la fin des temps, leur chair reviendra à la vie par la puissance du Verbe fait chair et devenu Fils de l’homme. Car ce n’est point le Père qui viendra juger les vivants et les morts, quoiqu’il soit inséparable du Fils. En quel sens donc ne viendra.-t-il pas lui-même ? Parce qu’il n’apparaîtra pas à l’heure du jugement : « Ils verront quel est celui qu’ils ont percé br ». Il apparaîtra comme juge avec la forme qu’il avait au moment où il a été jugé : elle a subi un jugement inique, elle rendra un jugement juste. La forme de l’esclave viendra donc, et ce sera elle qui se fera voir alors. Quant à la forme de Dieu, comment pourrait-elle se manifester aux bons et aux méchants ? Si le jugeaient n’avait lieu qu’à l’égard des justes, la forme de Dieu se montrerait à eux en raison de leur justice ; mais parce que le Seigneur jugera en même temps les justes et les pécheurs, et que ceux-ci ne méritent pas de voir Dieu, « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu bs », le souverain Juge apparaîtra de telle manière qu’il puisse être contemplé et par ceux qu’il couronnera et par ceux qu’il condamnera. On verra donc alors la forme d’esclave ; celle de Dieu demeurera cachée aux regards des hommes dans la personne de l’esclave, le Fils de Dieu disparaîtra pour ne laisser apercevoir que le Fils de l’homme, « parce qu’il a reçu le pouvoir même de rendre le jugement ». De ce que le Fils de l’homme se manifestera seul dans la forme d’esclave, et aussi parce que le Père ne s’est pas revêtu de notre humanité, le Père ne se laissera pas voir au jour du jugement. Voilà pourquoi le Sauveur a dit plus haut : « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout le jugement au Fils ». Nous avons donc été bien inspirés d’attendre, puisqu’il nous a expliqué lui-même ce qu’il nous avait dit. Pour commencer, ces paroles étaient obscures pour nous ; maintenant nous comprenons, ce me semble, ce qu’il a voulu nous dire : « Le Père lui a donné le pouvoir même de rendre le jugement ; en effet, le Père ne juge personne, mais il a donné au Fils tout le jugement », car il fera le jugement avec la forme humaine que n’a point le Père. De quel jugement est-il ici question ? « Que cela « ne vous étonne pas ; l’heure vient » : non pas l’heure présente où doivent ressusciter les âmes, mais l’heure à venir où les corps sortiront vivants du tombeau. 17. Que le Christ s’exprime à ce sujet d’une manière plus claire encore, afin d’ôter à l’hérétique qui nie la résurrection de la chair tout prétexte d’attaquer noire foi : que ses paroles, déjà comprises, brillent d’un nouvel éclat. Lorsque, précédemment, il eut dit : « L’heure vient », il ajouta : « et elle est déjà venue ». Maintenant il dit : « L’heure vient », sans ajouter : « Et elle est déjà venue ». Toutefois, que par la claire manifestation de la vérité, il ôte à nos ennemis toute occasion, tout moyen de prise sur nous ; qu’il fasse disparaître toutes les subtilités à l’aide desquelles ils voudraient nous embarrasser. « Que cela ne vous étonne pas : l’heure vient, où tous ceux qui sont dans les tombeaux ». Y a-t-il rien de plus évident, de plus formel ? Ce sont les corps qui se trouvent dans les tombeaux ; les âmes, quelles qu’elles soient, justes ou pécheresses, n’y sont pas. L’âme du juste a été reçue dans le sein d’Abraham ; celle du méchant était tourmentée dans l’enfer bt ; dans le tombeau ne s’est trouvée ni l’une ni l’autre. Je vous en prie, faites attention aux paroles qu’il a précédemment prononcées : « L’heure vient, et elle est déjà venue ». Vous le savez, mes frères : c’est par le travail qu’on arrive à se procurer le pain matériel ; pour le pain de l’âme, que de peines il faut s’imposer ! Il vous en coûte pour rester là et prêter attention à nos paroles ; mais pour rester ici et vous parler, il nous en coûte bien davantage. Puisque nous travaillons pour vous, ne devez-vous pas unir vos efforts aux nôtres, afin d’atteindre au même but ? Après avoir dit, précédemment : « L’heure vient », et avoir ajouté : « et elle est déjà venue », comment a continué le Sauveur ? « Où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’entendront vivront ». Il n’a pas ajouté : Tous les morts l’entendront, et ceux qui l’entendront vivront : il voulait parler des pécheurs morts à la grâce. Mais tous les pécheurs écoutent-ils l’Évangile ? L’Apôtre dit formellement : « Tous n’obéissent pas à l’Évangile bu ? » Néanmoins, ceux qui écoutent, vivront, parce que tous ceux qui obéissent à l’Évangile passeront par la foi, dans le sein de la vie éternelle ; mais tous ne lui obéissent pas, et c’est maintenant ; mais, à la fin des temps, « tous ceux qui sont dans les tombeaux », c’est-à-dire, les justes et les pécheurs, « entendront sa voix et sortiront ». Pourquoi n’a-t-il pas voulu dire : « Et ils vivront ? » C’est que, si tous doivent sortir de leurs tombeaux, tous ne vivront pas. Quand il a dit plus haut « Et ceux qui auront écouté, vivront », il a voulu nous faire comprendre qu’écouter la voix du Fils de Dieu, c’est avoir la vie éternelle et bienheureuse que ne posséderont point tous ceux qui sortiront des tombeaux. De cette mention des tombeaux et de ce fait que les morts en sortiront, nous devons, sans hésiter, conclure à la résurrection des corps. 18. « Tous entendront sa voix et sortiront ». Où sera le jugement, si tous doivent entendre et sortir ? Tout ici me semble confusion ; rien ne me paraît clairement défini. Évidemment, vous avez reçu le pouvoir de juger, puisque vous êtes le fils de l’homme : vous assisterez au jugement ; les corps ressusciteront ; dites-nous donc quelque chose du jugement lui-même, c’est-à-dire du discernement qui se fera alors entre les bons et les méchants. Écoute encore ceci : « Ceux qui auront bien fait, en sortiront pour la résurrection de la vie, mais ceux qui auront mal fait, en sortiront pour la résurrection du jugement ». En parlant, plus haut, de la résurrection des esprits et des cœurs, a-t-il établi entre eux une différence ? Non ; ceux qui écouteront vivront, parce que l’obéissance sera pour eux la source de la vie ; niais, tout en ressuscitant et en sortant de leurs tombeaux, tous ne parviendront pas à la vie éternelle ; il n’y aura pour cela que ceux qui auront bien fait : ceux qui auront mal fait ressusciteront pour le jugement. Le Sauveur entend le mot jugement dans le sens de supplice. Et alors aura lieu la séparation des uns et des autres, mais bien différente de celle qui existe aujourd’hui. À l’heure présente, nous sommes séparés, non par la distance, mais par nos mœurs, nos affections, nos désirs, notre foi, notre espérance, notre charité. Nous vivons côte à côte avec les pécheurs ; mais, chez tous, la conduite n’est pas la même ; nous sommes désunis, séparés les uns des autres, d’une manière imperceptible à l’œil. Nous ressemblons au froment, quand il se trouve dans l’aire, et non quand il est renfermé dans le grenier. Dans l’aire, les grains de froment sont tout à la fois séparés les uns des autres, et mélangés ensemble : ils sont séparés, lorsqu’on les fait sortir de la paille ; ils sont mélangés, puisqu’on ne les a pas encore criblés. Alors se manifestera la différence de la vie d’après celle de la conduite, et la différence des corps d’après celle de la sagesse des mœurs. Ceux qui auront bien fait iront vivre avec les anges de Dieu ; ceux qui auront mal fait iront partager les tourments du démon et de ses anges. Alors disparaîtra la forme d’esclave. Comme il se sera présenté avec cette forme pour lui faire exercer le jugement, il se retirera de ce monde immédiatement après, conduisant à sa suite le corps dont il est le chef, et il remettra à Dieu son royaume bv. À ce moment apparaîtra, dans toute sa splendeur, la forme divine qu’il aura forcément voilée aux regards dès méchants, pour ne leur laisser voir que sa forme d’esclave. Voici ce qu’il en dit ailleurs : « Ceux-ci » (il veut désigner ceux qui seront à gauche) « iront au e feu éternel ; mais les justes iront dans la vie sans fin bw ». Parlant de cette vie sans fin, il s’exprime ainsi en un autre endroit : « C’est la vie éternelle de vous connaître, vous le seul Dieu véritable, et Jésus-Christ que vous avez envoyé bx ». Alors, dans le séjour de la vie éternelle se manifestera celui qui, étant Dieu, n’a point cru que ce fût de sa part une usurpation de s’égaler à Dieu by. Alors il se montrera tel qu’il a promis de se montrer à ceux qui l’aiment. « Celui qui m’aime garde « mes commandements ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père, et moi aussi je l’aimerai, et je me montrerai moi-même à lui ». Il se trouvait devant ceux auxquels il parlait ; mais s’ils avaient sous les yeux sa forme d’esclave, ils ne voyaient point sa forme divine. Ils ont été conduits sur une bête de somme à l’hôtellerie pour y recouvrer la santé : une fois guéris, ils verront, car « je me montrerai moi-même à eux ». Et comment voit-on qu’il est égal au Père ? Il l’indique lui-même par ces paroles adressées à Philippe : « Celui qui me voit, voit aussi mon Père bz ». 19. « Je ne puis rien faire de moi-même : je juge ainsi que j’entends, et mon jugement est juste ». Nous pourrions être tentés de lui dire : Vous jugerez, et votre Père ne jugera pas, puisqu’il est dit : « Il a donné tout jugement au Fils ». Par conséquent, ce n’est pas d’après votre Père que vous jugerez ; aussi a-t-il ajouté : « Je ne puis rien faire de moi-même : je juge ainsi que j’entends, et mon jugement est juste ; car je ne cherche point ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé ». Évidemment, le Fils donne la vie à ceux à qui il veut la donner. Il ne cherche pas sa volonté, mais la volonté de Celui qui l’a envoyé. Je ne cherche pas ma volonté, c’est-à-dire ma volonté propre, la volonté du Fils de l’homme, une volonté qui résiste à celle de Dieu. Quand les hommes font ce qu’ils veulent au lieu de faire ce qu’ordonne le Seigneur, ils agissent suivant leur volonté, et non suivant celle de Dieu ; mais lorsqu’ils font leur volonté, de manière à ce qu’elle reste subordonnée à celle de Dieu, ils n’agissent nullement suivant leur volonté propre, quoiqu’ils fassent ce qu’ils veulent. Fais volontairement ce qu’on te commande ainsi feras-tu même ce que tu veux, et, au lieu d’agir à ta volonté, tu feras celle de ton supérieur. 20. Mais que signifient ces paroles : « Ainsi que j’entends, je juge ? » Le Fils entend, le Père se montre à lui, et le Fils voit agir le Père. Nous avions différé de vous expliquer ce passage, afin de le faire de notre mieux et d’une manière un peu plus à votre portée, à condition qu’il nous resterait, pour cela, après la lecture, assez de forces et de temps. Si je vous disais qu’il m’est encore possible de parler, vous me répondriez peut-être que vous n’êtes plus capables de m’entendre : peut-être aussi, dans un désir ardent d’écouter la sainte parole, me diriez-vous : Nous pouvons continuer. Je préfère donc vous avouer ma faiblesse, car je suis déjà fatigué, il m’est impossible de vous entretenir davantage ; puisque vous êtes bien rassasiés, à quoi bon vous servir de nouveaux aliments, que vous ne pourriez suffisamment digérer ? Aussi, la promesse que je vous avais faite pour aujourd’hui, au cas où il me resterait assez de temps, je m’en acquitterai demain avec l’aide de Dieu : Considérez-moi donc comme votre débiteur à cet égard.VINGTIÈME TRAITÉ.
ENCORE SUR CE PASSAGE : « EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ, LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE PAR LUI-MÊME, QU’IL NE LE VOIE FAIRE AU PÈRE. QUELQUE CHOSE QUE CELUI-CI FASSE, LE FILS LE FAIT AUSSI COMME LUI ». (Chap 5, 19.)UNITÉ D’ACTION DANS LA SAINTE TRINITÉ.
Quoiqu’il soit dit, dans l’Écriture, que Dieu se reposa le septième jour, cette parole du Sauveur est vraie : « Le Père agit toujours ». En effet, si le Fils agit, c’est par le Père, car, en lui, voir et être, exister et pouvoir agir sont la même chose ; puisque le Père lui a donné l’être, il lui a donc aussi donné ta puissance. De là, néanmoins, il ne suit pas que le Fils soit inférieur au Père étant inséparables l’un de l’autre, et tous deux éternels, loin d’agir l’un sans l’autre, ils agissent par ensemble et pareillement. Pour se faire, autant que possible, une idée de ce mystère, il faut s’élever par de là le monde des esprits jusqu’à Dieu, comme l’apôtre saint Jean. 1. L’Apôtre Jean ne s’est pas appuyé sans motif sur la poitrine du Sauveur ; il voulait y puiser les secrets d’une sagesse surhumaine et nous transmettre dans son Évangile ce qu’il aurait, par son amour, puisé à cette source. Aussi, les paroles du Christ, qu’il nous rapporte, sont-elles plus mystérieuses et plus difficiles à saisir que toutes celles rapportées par les autres Évangélistes : elles ont un sens tellement profond, qu’elles jettent dans le trouble les hommes dont le cœur est perverti, et surexcitent l’intelligence de ceux qui ont le cœur droit. C’est pourquoi j’engage votre charité à fixer toute son attention sur le peu de paroles qu’elle vient d’entendre lire. Voyons si, avec la grâce et le secours du Sauveur, nous pourrons comprendre les paroles qu’il a voulu faire arriver jusqu’à nous, qu’il a prononcées lui-même et fait écrire autrefois pour que nous les lisions aujourd’hui. Que signifient donc les paroles que vous lui avez entendu prononcer tout à l’heure : « En vérité, en vérité, je vous le dis : le Fils ne peut rien faire par lui-même qu’il ne l’ait vu faire au Père ; tout ce que fait le Père, le Fils le fait aussi comme lui ? » 2. À quelle occasion ces paroles furent-elles prononcées ? Il faut vous rappeler le commencement de la leçon précédente. Dans les cinq portiques de la piscine de Salomon se trouvaient un certain nombre de malades : le Sauveur avait guéri l’un d’eux, et lui avait dit : « Prends ton grabat, et retourne dans ta maison ». Ceci se passait un jour de sabbat. Grand sujet d’émoi pour les Juifs ; ils prirent de là prétexte de l’accuser comme violateur et destructeur de la loi. Alors il leur dit : « Mon Père agit toujours, et moi aussi ca ». Ces Juifs comprenaient dans un sens tout charnel l’obligation d’observer le sabbat, et s’imaginaient qu’après avoir travaillé à la création du monde Dieu était jusqu’alors resté plongé dans une sorte d’assoupissement ; aussi avait-il sanctifié ce jour-là à partir du moment où il avait, en quelque sorte, commencé à se reposer de ses fatigues. Il est sûr que l’observation du précepte du sabbat, imposée autrefois à nos pères, est chose sacrée cb. Nous autres Chrétiens, nous avons pour lui un respect tout spirituel ; en ce jour nous nous abstenons de toute œuvre servile, c’est-à-dire de tout péché, parce que le Seigneur a dit : « Quiconque commet le péché est l’esclave du péché cc » et ainsi gardons-nous le repos dans notre cœur ; en d’autres termes nous y conservons la tranquillité de l’âme. Tous nos efforts tendent à ce but pendant le cours de cette vie mortelle ; il nous sera néanmoins impossible d’arriver à la quiétude parfaite avant notre sortie de ce monde. On dit que Dieu s’est reposé, parce qu’après avoir mis la dernière main à toutes ses œuvres, il n’a plus fait sortir du néant aucune créature ; c’est ce que l’Écriture appelle le repos du Seigneur, pour nous avertir, qu’à la suite de nos bonnes œuvres, nous nous reposerons. Nous lisons en effet, dans la Genèse : « Et Dieu fit toutes choses extrêmement bonnes, et il se reposa le septième jour cd ». O homme, quand tu vois que Dieu s’est reposé après avoir accompli des œuvres excellentes, tu ne dois donc pas espérer le repos si tu ne fais pas des œuvres bonnes. Le sixième jour Dieu a créé l’homme à son image et ressemblance et mis le sceau de la perfection sur ses ouvrages, qui étaient tous extrêmement bons ; puis, le septième jour venu, il a pris du repos : ainsi ne peux-tu compter sur le repos qu’à la condition de réimprimer sur toi l’image du Créateur, dont le péché a fait disparaître les traits primitivement imprimés en ton âme. Il ne faut pas dire que Dieu a travaillé, parce qu’il a parlé et que toutes choses ont été faites. Quiconque posséderait une aussi grande facilité de travailler, voudrait-il prendre du repos, comme s’il avait éprouvé une grande fatigue ? Qu’un homme donne un ordre, et qu’on lui résiste ; qu’il commande un ouvrage, et qu’on ne le fasse pas, et qu’il se donne lui-même la peine de le faire, je dirai avec raison qu’il s’est reposé, le travail fini. Mais nous lisons tout autre chose dans le livre, déjà cité, de la Genèse : « Dieu dit : Que la lumière se fasse, et la lumière se fit : Dieu dit : que le firmament se fasse, et le firmament fut fait ce » ; et toutes choses lurent faites sitôt qu’il eut parlé ; le Psalmiste lui-même l’atteste en ces termes : « Il a dit, et tout a été fait ; il a commandé, et tout a été créé cf ». Comment, après avoir créé le monde, aurait-il cherché le repos à la manière des hommes qui terminent un travail, celui qui ne s’était point fatigué à donner ses ordres ? Ces paroles ont donc un sens caché : elles ont été placées là pour nous avertir de n’espérer le repos d’après cette vie, qu’autant que nous l’aurons mérité par nos bonnes œuvres. Nous l’avons dit : les Juifs s’étaient scandalisés de voir le Sauveur opérer la guérison d’un homme le jour du sabbat ; pour condamner leur impudence et leurs fausses idées, pour leur montrer qu’ils n’avaient pas sur Dieu des pensées justes, Jésus leur dit : « Mon Père agit toujours, et moi aussi ». N’allez donc point vous imaginer que mon Père se soit reposé le septième jour, de telle manière que, à partir de ce moment-là, il n’ait plus rien fait : comme il agit encore aujourd’hui, j’agis aussi moi-même ; toutefois, le Père travaille sans fatigue, et le Fils travaille de même sans éprouver de lassitude. « Dieu a dit et tout a été fait » ; le Christ a dit à un malade : « Prends ton grabat, et retourne en ta maison », et la chose s’est accomplie. 3. Selon la croyance catholique, le Père et le Fils n’agissent point séparément l’un de l’autre. Voilà ce dont je veux, autant que possible, entretenir votre charité ; mais c’est bien ici le cas de répéter ces paroles du Seigneur : « Comprenne qui pourra cg ». Celui qui ne peut me comprendre ne doit point m’en attribuer la faute : il ne peut en accuser que la lenteur de son esprit ; c’est donc pour lui un devoir de se tourner vers celui qui ouvre les cœurs, et de lui demander qu’il fasse pénétrer en lui ses enseignements : et si quelqu’un ne saisissait point ma pensée, parce que je ne la traduirais pas comme il le faudrait, je le prie de pardonner à mon humaine fragilité, et d’implorer en ma faveur le secours d’en haut. Nous avons, au dedans de nous, pour maître le Christ lui-même. Toutes les fois qu’une parole, sortie de ma bouche et venue à vos oreilles, vous paraîtra incompréhensible, tournez-vous intérieurement vers celui qui m’instruit de ce que je dois vous dire, et vous distribue sa parole au gré de sa généreuse bienveillance. Celui qui sait ce qu’il donne, et à qui il le donne, sera attentif à la demande du chrétien qui le priera, et il ouvrira à l’homme qui frappera à la porte : néanmoins, s’il ne nous accorde pas ce que nous désirons, ne nous croyons point, pour cela, abandonnés de lui ; car si parfois il diffère d’octroyer ce qu’on lui demande, il ne laisse personne dans le besoin. Il nous fait attendre, pour mettre notre patience à l’épreuve, mais il ne méprise nullement nos prières. Voyez donc, et remarquez attentivement ce que je veux dire, quoique je ne puisse peut-être m’exprimer comme je le désirerais. Selon les enseignements de la toi catholique, établie par l’Esprit de Dieu dans le cœur de tous les saints pour les prémunir contre toute perverse hérésie, il est certain que le Père et le Fils n’agissent point séparément l’un de l’autre. Qu’ai-je dit ? De même que le Père et le Fils, les œuvres de tons deux sont inséparables. Comment le Père et le Fils le sont-ils ? Le Sauveur l’a dit lui-même : « Mon Père et moi nous sommes un ch ». D’ailleurs, le Père et le Fils ne sont pas deux dieux, mais un seul Dieu : le Verbe et celui dont il est le Verbe, sont un ; ils sont l’Unité : le Père et le Fils, unis l’un à l’autre par l’amour, et, avec eux, leur unique Esprit d’amour, ne font qu’un seul Dieu ; en sorte que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne forment qu’une seule et même Trinité. Comme non seulement le Père et le Fils, mais encore le Saint-Esprit, sont personnes égales entre elles et inséparables ainsi leurs œuvres sont inséparables : je vais dire encore plus clairement ce que j’entends par ces mots, leurs œuvres sont inséparables. La foi catholique ne dit pas que Dieu le Père a fait une chose, et Dieu le Fils une autre ; mais ce qu’a fait le Père, le Fils l’a fait, et aussi le Saint-Esprit. Toutes choses, en effet, ont été faites par le Verbe quand Dieu a dit, et qu’elles ont été faites, elles ont été faites par le Verbe, par le Christ : car, « au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu toutes choses ont été faites par lui ci ». Puisque toutes choses ont été faites par lui, Dieu ayant dit : Que la lumière soit faite, « et la lumière ayant été faite », il l’a donc faite dans le Verbe, et il l’a faite par le Verbe. 4. Nous venons d’entendre l’Évangile : nous savons la réponse que Jésus fit aux Juifs indignés de le voir, non seulement violer le repos du sabbat, mais encore appeler Dieu son Père, et se dire égal à Dieu cj. Voilà ce qui est écrit au commencement du chapitre. Après avoir fait celte réponse à ses ennemis, si injustement indignés, le Fils de Dieu, la Vérité même leur adressa ces autres paroles : « En vérité, en vérité, je vous le dis : le Fils ne peut rien faire par lui-même, si ce n’est ce qu’il a vu faire au Père ». C’était dire, en d’autres termes : Pourquoi vous scandalisez-vous de m’entendre dire que Dieu est mon Père, et que je suis égal à Dieu ? Je lui suis égal en ce sens qu’il m’a engendré : je lui suis égal en ce sens qu’il n’est pas de moi, mais que je suis de lui. Voilà ce que signifient ces paroles : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même que ce qu’il a vu faire au Père ». C’est-à-dire, tout ce que le Fils a le pouvoir de faire, il tient de son Père le pouvoir de le faire. Pourquoi tient-il de son l’ère le pouvoir d’agir ? Parce que, sans le Père, il ne serait pas le Fils. Mais comment le Père lui a-t-il donné d’être le Fils ? Parce qu’il tient de lui le pouvoir, parce qu’il en a reçu l’être. Pour le Fils, être et pouvoir sont une même chose. Il n’en est pas ainsi relativement à l’homme. Notre fragilité humaine se trouve en un tel état d’infériorité, qu’elle ne peut servir de terme de comparaisons élevez donc plus haut vos pensées ; et si, par hasard, quelqu’un d’entre nous vient à saisir une partie de ce mystère, et que, effrayé de la soudaine apparition d’une vive lumière, il en conçoive quelque idée de manière à ne point persévérer dans son ignorance, cet homme ne doit pas s’imaginer qu’il comprend tout ; car il en deviendrait orgueilleux, et son orgueil lui ferait oublier tout ce qu’il aurait appris. Pour l’homme, autre chose est d’exister, autre chose est de pouvoir. Tout homme qu’il est, il est parfois incapable de faire ce qu’il veut ; et parfois, aussi, ce qu’il veut, il peut le faire. L’être et le pouvoir sont donc choses fort différentes ; si c’était la même chose, on pourrait agir à sa volonté. En Dieu, il n’y a aucune différence entre la substance qui constitue son être et la puissance qu’il a d’agir ; tout ce qui est de lui lui est consubstantiel, et tout ce qui est de lui est ce qui est, parce qu’il est Dieu. Être et pouvoir ne sont donc pas en lui deux choses différentes ; il possède en même temps l’existence et la puissance, parce que la volonté et l’action lui appartiennent toutes les deux. Puisque le pouvoir du Fils vient du Père, par là même la substance du Fils en vient aussi ; et réciproquement, puisque la substance du Fils vient du Père, sa puissance en vient pareillement. Dans le Fils, la puissance ne se distingue pas de la substance elles y sont toutes deux une seule et même chose : la substance pour qu’il existe, la puissance pour qu’il soit à même de faire ce qu’il veut. Aussi, parce qu’il vient du Père, le Fils a-t-il dit : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même » ; dès lors qu’il n’existe point par lui-même, il ne peut, non plus, rien faire par lui-même. 5. Il semblerait qu’il s’est fait plus petit que le Père, en disant : Le Fils ne peut rien « faire par lui-même, que ce qu’il a vu faire au Père ». Ici la vaniteuse hérésie relève la tête : je veux parler de l’hérésie qui regarde le Fils comme intérieur au Père, comme ayant un pouvoir, une grandeur, une faculté d’agir bien moins étendus, parce qu’elle ne saisit pas la mystérieuse signification des paroles du Christ. Cependant, que votre charité veuille bien y faire attention ; voyez comment ces paroles du Sauveur troublent maintenant leurs idées toutes charnelles. N’ai-je pas dit, tout à l’heure, par avance, que la parole de Dieu trouble les cœurs pervers, et surexcite l’intelligence de ceux qui ont le cœur droit ? En m’exprimant ainsi, j’ai voulu surtout faire allusion à celle que rapporte l’Évangéliste Jean : ce qu’il dit n’est pas du nombre des choses communes et faciles à comprendre : ce sont de mystérieuses choses. À entendre ces paroles, l’hérétique se redresse et nous dit : Voilà bien là preuve que le Fils est intérieur au Père. Écoute les paroles du Fils lui-même ; il te dit : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même, que ce qu’il a vu faire au Père ». – Attends : l’Écriture te le recommande : « Écoute avec douceur ce que l’on te dit, afin de le comprendre ck ». Supposez que ce passage me jette dans l’embarras, puisqu’en raison de ces paroles : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même que ce qu’il a vu faire au Père », je prétends que le Fils est égal à son Père en puissance et en majesté. Ce passage m’embarrasse donc ; mais puisque tu crois l’avoir compris, je vais te faire une question : Nous savons, d’après l’Évangile, que le Fils a marché sur la mer cl : où l’hérétique a-t-il vu que le Père a marché sur les eaux ? À son tour, il se trouble : oui, il se trouble lui-même. Laisse donc de côté ce que tu avais compris, et cherchons ensemble à comprendre. Que faisons-nous donc ? Nous avons entendu les paroles du Sauveur : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même, qu’il ne l’ait vu faire au Père ». Il a marché sur les eaux : le Père n’y a jamais marché : pourtant, « le Fils ne fait rien par lui-même qu’il ne l’ait vu faire au Père ». 6. Retourne avec moi à ce que je disais tout à l’heure : peut-être comprendrons-nous les choses, de manière à sortir, tous les deux, de la difficulté : pour moi, la foi catholique m’apprend le moyen d’en sortir, sans me blesser, sans me butter à aucun obstacle : enfermé dans ton inextricable cercle, tu cherches une issue. Vois par où tu es entré. Peut-être n’as-tu pas même compris ce que j’ai dit : vois par où tu es entré ; écoute donc le Sauveur ; voici les paroles qu’il t’adresse : « Je suis la porte cm ». Ce n’est pas sans cause que tu cherches une issue et que tu n’en trouves pas ; car, au lieu d’entrer dans le bercail par la porte, tu y es tombé du haut de la muraille. Agis donc de ton mieux ; retire-toi de l’endroit de ta chute, et entre par la porte : ainsi entreras-tu sans te blesser ; ainsi sortiras-tu sans faire fausse route. Viens par le Christ, et ce que tu dis, ne le tire pas de ton propre cœur : ne parle que de ce qu’il te fait connaître. Voici comment la foi catholique triomphe de la difficulté présente. Le Fils a marché sur la mer, il a posé les pieds de son corps sur les flots : sa chair marchait sur les eaux, et sa divinité en domptait le liquide élément. À ce moment où, comme homme, il était porté sur les eaux, et où, comme Dieu, il s’en montrait le maître, le Père n’était-il pas avec lui ? Si le Père était alors éloigné du Fils, comment celui-ci a-t-il pu dire : « Mon Père, qui demeure en moi, fait les mêmes œuvres que moi cn ? » Si le Père demeure dans le fils, et fait les mêmes œuvres que lui, cette marche du corps du Christ, le Père l’exécutait, et il l’exécutait par son Fils, et elle est tout à la fois l’œuvre du Père et celle du Fils. Je vois l’un et l’autre accomplir ici la même œuvre, le Père demeurant inséparablement uni au Fils, et le Fils ne se séparant nullement du Père. Ainsi, tout ce que fait le Fils, il ne le fait que conjointement avec le Père, parce que le Père ne fait rien qu’il ne le fasse avec le Fils. 7. Nous voilà sortis de là. Remarquez-le nous nous exprimons avec justesse en disant que les œuvres du Père, du Fils et du Saint-Esprit sont celles de ces trois personnes en même temps. Selon ta manière de voir, Dieu a fait la lumière, et le Fils la lui a vu faire ainsi le comprends-tu d’une manière toute charnelle, toi qui veux considérer le Fils comme inférieur au Père, à cause de ces paroles : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même que ce qu’il a vu faire au Père ». Dieu le Père a fait la lumière : quelle autre lainière le Fils a-t-il faite ? Dieu le Père a fait le firmament, ce ciel placé entre les eaux et les eaux, Le Fils l’a vu : c’est ainsi que tu conçois les choses avec ton esprit lourd et grossier : puisque le Fils a vu son Père créer le firmament, et qu’il a dit : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même, qu’il ne l’ait vu faire au Père ». Montre-moi donc un autre firmament. N’as-tu point perdu ton point d’appui ? Bâtis sur le fondement des Apôtres et des Prophètes, tandis que Jésus-Christ est lui-même la principale pierre de l’angle, les fidèles trouvent dans le Sauveur une paix profonde co. Ils ne disputent point, et ne se jettent plus dans les erreurs de l’hérésie. Nous comprenons que si le Père a fait la lumière, il l’a faite par le Fils : le firmament est sorti de ses mains par l’opération du Fils : « Car toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait ». Débarrasse-toi donc de ce que j’appellerais, à coup sûr, non pas ton intelligence, mais ta sottise. Dieu le Père a créé le monde : quel autre monde a-t-il créé par son Fils ? Dis-moi où est ce monde créé par le Fils ? Le monde où nous vivons, de qui, du Père ou du Fils, est-il l’œuvre ? Par lequel des deux a-t-il été fait ? Dis-le-nous. Si tu réponds : par le Fils et non par le Père, tu te sépares du Père. Si, au contraire, tu dis par le Père, et non par le Fils, voici ce que t’oppose l’Évangile : « Et le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas connu cp ». Reconnais donc Celui par qui le monde a été fait, et ne te mets pas au nombre de ceux qui n’ont pas connu le Créateur du monde. 8. Le Père et le Fils agissent donc par ensemble. Mais voici : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même ». Ainsi en serait-il, si le Sauveur disait : Le Fils n’existe pas de lui-même. En effet, s’il est le Fils, il est né ; et s’il est né, il tient son existence de celui qui l’a engendré. Pourtant, le Père a engendré son égal, rien ne lui a manqué pour cela : puisqu’il engendrait un Fils coéternel à lui-même, le temps ne lui était pas nécessaire ; et puisqu’il engendrait de lui-même son Verbe, il n’avait à cet effet nul besoin de l’intermédiaire d’une femme. Dès lors, enfin, qu’il n’engendrait point un Fils inférieur à lui, il lui était inutile d’être plus avancé en âge. Quelqu’un dira peut-être que Dieu a eu son Fils dans sa vieillesse, après un grand nombre de siècles. Il n’y a eu ni vieillesse chez le Père, ni accroissement chez le Fils ; l’un n’a point fléchi sous le poids des années, l’autre n’a pas grandi : le Père a engendré son égal ; éternel, il a engendré un Fils éternel comme lui. Comment, dira quelqu’un, comment l’Éternel peut-il engendrer un Fils éternel ? Comme la flamme, qui ne dure qu’un instant, engendre une lumière de même durée. La flamme et la lumière qui s’en dégagent sont du même instant, et la flamme n’est pas plus ancienne que la lumière dont elle est le principe. Au moment où naît la flamme, à ce moment-là naît la lumière. Donne-moi une flamme sans lumière, et je te donnerai Dieu le Père privé de Fils. Voici donc le sens de ces paroles : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même, qu’il ne l’ait vu faire au Père » : pour le Fils, voir n’est autre chose qu’être né du Père : en lui, voir et être sont une seule et même chose, comme aussi le pouvoir et la substance ne sont pas différents l’un de l’autre. Tout ce qu’il est, il le tient du Père ; tout ce qu’il peut, il l’a reçu du Père, car ce qu’il peut et ce qu’il est, c’est la même chose, et tout cela lui vient du Père. 9. Mais le Sauveur continue à parler : il jette le trouble dans l’esprit des Juifs qui le comprennent mal, afin de leur faire quitter leur erreur, et de les ramener à une saine appréciation de ses paroles. Il avait dit : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même, qu’il ne l’ait vu faire au Père ». Nais une manière de comprendre toute charnelle pouvait séduire les âmes et les détourner de la vérité : l’homme pouvait se faire l’idée de deux artisans dont l’un aurait été le maître ; l’autre, en qualité d’apprenti, aurait semblé suivre des yeux les mouvements de son patron, pour lui voir faire par exemple un coffre, et en faire, à son tour, un autre sur le modèle du coffre du maître, et par les moyens qu’il lui aurait vu employer. Le Christ voulut donc empêcher dans l’esprit humain l’existence de cette grossière supposition, de deux agents dans la Divinité, qui est toute simple. Aussi continua-t-il en disant : « Tout ce que fait le Père, le Fils le fait aussi pareillement ». Le Père ne fait pas une chose, et le Fils une autre semblable : ils font, tous les deux, les mêmes choses. Car le Sauveur ne dit pas : Le Père fait certaines choses, et le Fils en fait d’autres pareilles ; mais voici comment il s’exprime : « Tout ce que fait le Père, le Fils le fait aussi pareillement ». Ce que fait l’un, l’autre le fait : le Père a créé le monde ; avec lui et comme lui, le Fils et le Saint-Esprit ont créé ce même monde. S’il y avait trois dieux, il y aurait trois mondes ; mais comme il n’y a qu’un seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, il n’y a, non plus, qu’un seul monde, que le Père a créé par le Fils dans le Saint-Esprit. Le Fils fait donc ce que fait le Père, et il ne le fait pas d’une manière différente : il fait ce que fait le Père, et il le fait comme lui. 10. Il avait déjà dit : « Il le fait » ; pourquoi a-t-il ajouté : « il le fait pareillement ? » C’était afin d’écarter de l’esprit de ses auditeurs toute interprétation maligne ou erronée. Tu vois l’ouvrage d’un homme. L’homme se compose d’un esprit et d’un corps ; l’esprit commande au corps, mais, entre l’un et l’autre, se trouve une immense différence. Le corps est visible, l’esprit ne l’est pas : et il n’y a aucune comparaison à établir entre la puissance et l’énergie de l’esprit, et l’énergie et la puissance de n’importe quel corps, fût-il même céleste. L’esprit intime au corps ses volontés, et celui-ci les accomplit, et ce qu’on voit faire à l’esprit, le corps le fait aussi. Le corps fait donc évidemment ce que fait l’esprit, mais il ne le fait point pareillement. Comment fait-il la même chose, sans la faire de la même manière ? L’esprit parle en lui-même, il donne ses ordres à la langue, et elle profère les paroles qu’il a lui-même intérieurement prononcées : l’esprit a parlé, la langue aussi : le maître du corps et son serviteur ont agi l’un et l’autre ; mais, avant d’agir, le serviteur a appris de son maître ce qu’il devait faire, et, sur son ordre, il l’a fait. Tous les deux ont donc fait la même chose ; mais l’ont-ils faite pareillement ? Cependant, dit quelqu’un, comment ne l’ont-ils pas faite d’une manière semblable ? Le voici : La parole que prononce mon esprit reste au dedans de moi : celle que ma langue profère va frapper l’air : elle passe, elle n’est déjà plus. Lorsque tu as dit un mot dans ton esprit, et que ta langue l’a répété, rentre en toi-même, et tu l’y retrouveras. Est-il resté sur ta langue, comme il est resté dans ton esprit ? Ce mot, sorti avec sonorité de ta bouche, ta langue l’a créé en le prononçant, et ton esprit, en y pensant ; mais les sons émis par ta langue se sont évanouis, et ce qu’a pensé ton esprit continue à exister. L’esprit et le corps ont donc fait la même chose, sans la faire de la même manière. Ce qu’a fait l’esprit, il le conserve en lui-même ; ce qu’a fait la langue résonne et va, par les vibrations de l’air, frapper l’oreille. Poursuis-tu les syllabes pour leur donner la durée ? Ainsi n’agissent point le Père et le Fils, car ils font la même chose, et ils la font l’un comme l’autre. Si Dieu le Père a créé le ciel qui dure toujours, Dieu le Fils a créé ce même ciel, qui dure toujours. Si le Père à créé l’homme qui meurt, le Fils a fait aussi sortir du néant cet homme, qui est sujet à la mort. Toutes les choses que Dieu a faites pour toujours, le Fils les a faites aussi pour toujours, et celles que le Père n’a faites que pour un temps, le Fils ne les a non plus faites que pour un temps ; car non seulement il les a faites, mais il les a faites pareillement : en effet, le Père les a faites par son Fils, parce que, par le Verbe, il a fait toutes choses. 11. Cherche, dans le Père et le Fils, le manque d’ensemble, tu ne le trouveras pas, lors même que tu t’élèverais et que tu atteindrais à des régions supérieures à celles de ton âme. Si tu te nourris des idées creuses d’un esprit vagabond, tu t’entretiens avec ton imagination, et non avec le Verbe de Dieu : elle te jette dans l’illusion. Élève-toi au-dessus de ton corps, et prise ton esprit : élève-toi même au-dessus de ton esprit, et saisis Dieu. Impossible d’atteindre jusqu’à Dieu, à moins de t’élever au-dessus de ton âme : à plus forte raison, n’y parviendras-tu pas, si tu t’arrêtes à ce corps grossier. Qu’ils sont loin de priser ce qui est Dieu, ceux qui ont du goût seulement pour leur corps ! Jamais même ils n’arriveraient à posséder Dieu,’s’ils se bornaient à avoir du goût pour leur âme. L’homme s’éloigne énormément de la divinité, quand il n’a que des pensées charnelles : entre son corps et son âme se trouve une incalculable distance ; il en est encore, néanmoins une plus grande entre l’âme et Dieu. Si lu occupes ta pensée de ton esprit, tu tiens le milieu : si, de là, tu abaisses tes regards, tu aperçois le corps ; si tu les élèves, tu vois Dieu. Porte-les donc plus haut que ton corps, porte-les plus haut que toi-même. Écoute ce que dit le Psalmiste : il t’apprendra comment tu dois priser Dieu. « Jour et nuit, mes larmes sont ma nourriture, parce qu’on me dit sans cesse : Où est ton Dieu ? » test comme si les païens nous disaient : Voici nos dieux : où est le vôtre ? De telles gens montrent alors des divinités visibles : pour nous, nous adorons un Dieu qu’on ne voit pas. À qui pourrions-nous le montrer ? À des hommes qui manquent de tous moyens pour le voir ? S’ils ont les yeux du corps pour contempler leurs dieux, nous avons, nous, des yeux tout autres pour apercevoir notre Dieu : encore faut-il qu’il les purifie ; sans cela il nous serait impossible de le voir ; car, « bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu cq ». Le Psalmiste nous dit donc qu’il se troublait, parce qu’on lui disait sans cesse : « Où est ton Dieu ? Je ne puis oublier qu’on me dit sans cesse : Où est ton Dieu ? » Aussi semblait-il vouloir saisir Dieu, et s’écriait-il : « Je repassais ces paroles en mon cœur, et je répandais mon âme en moi-même cr ». Pour arriver jusqu’à taon Dieu, jusqu’à Celui dont on me disait : « Où est ton Dieu ? » je n’ai point répandu mon âme sur mon corps, mais sur moi-même ; je me suis élevé au-dessus de moi-même, afin de parvenir jusqu’à lui. Celui qui n’a créé est au-dessus de moi : on ne va à lui qu’à la condition de devenir supérieur à soi-même. 12. Qu’est-ce que ton corps ? Ne l’oublie pas : il est sujet à la mort, terrestre, fragile, corruptible : arrière donc. Mais notre chair est du temps. Reporte tes pensées sur les autres corps, sur les corps célestes ; ils sont plus grands, ils sont meilleurs, ils brillent d’un vif éclat ; regarde-les : ils roulent de l’Orient à l’Occident, et ne s’arrêtent pas ; les hommes, les animaux eux-mêmes les contemplent. Élève-toi plus haut. – Comment, me diras-tu, comment m’élèverai-je au-dessus des corps célestes, moi qui rampe en quelque sorte sur la terre ? – Corporellement, tu ne le peux pas : élève-toi donc sur les ailes de ton âme. Arrière donc aussi les corps célestes : ils ont beau briller, ce ne sont que des corps ; quoiqu’ils nous inondent des flots de leur lumière, ce sont des corps. En les considérant tous, tu ne sais peut-être où tu pourrais aller : viens avec moi. – En quel lieu, au-delà des astres, pourrais-je monter ? Au-dessus de quel monde m’élèverai-je sur les ailes de mon âme ? – As-tu considéré tous ces mondes ? — Oui. – En quel endroit t’étais-tu placé pour les contempler ? Voyons qui est-ce qui les considère. Ce qui les examine, les discerne, les distingue les uns des autres, et les pèse en quelque sorte dans sa balance, c’est l’intelligence. L’intelligence qui, en toi, a pensé à tous ces mondes, est évidemment préférable à eux tous ; elle est un esprit et non un corps. Pour voir où il faut que tu arrives, compare d’abord cette intelligence à ton corps. Ah ! de grâce, ne t’abaisse pas à une pareille comparaison. Compare-la à l’éclat du soleil, de la lune, des étoiles : son éclat le surpasse de beaucoup. Vois d’abord combien elle est prompte : ses pensées ne ressemblent-elles pas à des éclairs qui l’emportent en vivacité sur les plus vifs rayons du soleil ? Si tu réfléchis à la marche du soleil levant, qu’elle doit te sembler lente en comparaison de la marche de ton esprit ? Tu imagines, en un instant, ce que fera l’astre du jour ; il ira d’Orient en Occident, et à peine se lève-t-il, que déjà tu songes à son coucher : par la pensée, tu as fait ce qu’il doit faire, tu as parcouru sa route, et lui la parcourt encore, tant il est lent à la fournir. Que l’esprit humain est une grande chose ! Mais pourquoi dire : Il est ? Elève-toi même au-dessus de lui, car il a beau être préférable à tout ce qui est matière, il est sujet au changement. Aujourd’hui il sait, demain il ne sait plus : un jour il oublie, un autre jour il se souvient : tantôt il veut, tantôt il ne veut pas : parfois il commet le péché, parfois il conserve la justice. Va donc au-delà de tout ce qui peut changer, qu’il soit visible ou non. Tu t’es placé au-dessus de tous les êtres corporels visibles, du soleil, de la lune et des étoiles, que contemplent nos yeux : place-toi aussi au-dessus de tout être susceptible de variations. Devenu supérieur à la matière, tu en étais arrivé à ton esprit ; mais là, encore, tu as trouvé des preuves d’instabilité. Pour Dieu, est-il sujet à vicissitude ? Marche donc, ne t’arrête pas à ton esprit : répands ton âme au-dessus de toi-même, afin de parvenir jus. qu’à Dieu ; car on te dit : « Où est ton Dieu ? » 13. Ne t’imagine pas pouvoir faire ce qui dépasse les forces de l’homme. Jean l’Évangéliste l’a fait néanmoins. Il s’est élevé au-dessus de son corps, au-dessus de la terre qu’il foulait à ses pieds, au-dessus des mers qu’il contemplait, au-dessus des airs que parcourent les oiseaux, au-dessus du soleil, de la lune et des étoiles, au-dessus de tous les esprits invisibles, au-dessus de son âme, enfin il s’est élevé au-dessus de toutes ces créatures par l’effet de sa raison et de son intelligence. Arrivé à une région supérieure, répandant son âme au-dessus de lui-même, où est-il parvenu ? Qu’a-t-il vu ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Si tu vois un ensemble dans la lumière, pourquoi ne pas vouloir qu’il y ait unité dans l’action ? Voilà Dieu, voilà son Verbe ; Dieu ne fait qu’un avec le Verbe, lorsque le Verbe parle, et, pour parler, il ne se sert point de mots ; pour lui, manifester l’éclat de sa sagesse, c’est parler. Que dit de la sagesse divine la sainte Écriture ? « Elle est la splendeur de la lumière éternelle cs ». Réfléchis à la lumière du soleil, Le soleil est au ciel, il répand ses rayons sur toutes les terres et sur toutes les mers ; et, pourtant, on ne saurait le nier, sa lumière est matérielle. Si tu peux séparer du soleil sa propre lumière, le Verbe peut être aussi séparé de son Père. Je parle du soleil. D’un flambeau s’échappe une flamme unique, toute petite, toute mince : on peut l’éteindre d’un souffle ; et, cependant, elle projette son éclat sur tous les objets qu’elle domine. La lumière dont cette flamme est le foyer, se répand de tous côtés ; tu la vois sortir de ce foyer, mais la vois-tu s’en séparer ? Certainement non. Comprenez donc, mes très-chers frères, que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont inséparablement unis ensemble ; que cette Trinité ne fait qu’un seul Dieu, et que toutes les œuvres de ce Dieu unique sont tout à la fois les œuvres du Père, et celles du Fils, et celles du Saint-Esprit. Pour ce qui suit et fait partie du discours de Notre-Seigneur Jésus. Christ, rapporté dans l’Évangile, nous vous l’expliquerons ; car demain nous devons vous adresser la parole. Venez donc nous entendre.VINGT-ET-UNIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CES PAROLES : « CAR LE PÈRE AIME LE FILS ET LUI MONTRE TOUT CE QU’IL FAIT », JUSQU’À CES AUTRES « CELUI QUI N’HONORE PAS LE FILS, N’HONORE PAS LE PÈRE QUI L’A ENVOYÉ ». (Chap 5,20-23.)LES ŒUVRES DU CHRIST.
« Le Fils ne fait que ce qu’il a vu faire à son Père, et le Père lui montre tout ce qu’il fait », c’est-à-dire, le Père est l’archétype de toutes les créatures ; il les voit en lui-même, et cette vision et la science qui en résulte, ne sont autre chose que son Verbe : de là il suit que, pour le Verbe, voir, apprendre, connaître, c’est être. Quant au Christ considéré comme homme et comme représentant de tous les membres de l’Église, Dieu doit lui montrer à opérer des merveilles plus admirables que la guérison d’un paralytique. Comme Dieu, il ressuscitera les morts à la fin du monde. Comme homme, il les jugera, afin que tous l’honorent de la même manière qu’ils honorent le Père. 1. Autant que Dieu nous en a fait la grâce, et selon qu’il nous a été possible de le comprendre et de le dire, nous vous avons expliqué, dans l’instruction d’hier, comment il peut se faire que les œuvres du Père et du Fils soient inséparables : comment les œuvres du Père, au lieu d’être différentes de celles de Fils, sont exactement les mêmes, en ce sens que le Père les fait par son Fils, comme par son Verbe. N’est-il pas écrit, en effet : « Toutes choses ont été faites par lui, et, sans lui rien n’a été fait ? » Aujourd’hui, nous avons à examiner les passages qui suivent prions le Seigneur de nous accorder sa bénédiction, espérons-la de sa part ; peut-être nous jugera-t-il dignes de comprendre la vérité contenue dans ses paroles ; et si nous nous trouvons incapables de la saisir, peut être sa grâce nous empêchera-t-elle de tomber dans l’erreur. Car mieux vaut ignorer que se tromper ; mais la science est bien préférable à l’ignorance : aussi devons-nous, avant tout, nous efforcer de savoir. Si nous le pouvons, Dieu en soit loué ; mais s’il nous est impossible de parvenir jusqu’à la vérité, ne nous jetons pas dans l’erreur. Qui sommes-nous ? Que cherchons-nous à comprendre ? ce qu’il nous faut examiner. Nous sommes des hommes revêtus d’un corps, nous sommes des pèlerins ici-bas ; la parole de Dieu nous a, sans doute, communiqué le germe d’une nouvelle vie ; mais, bien que renouvelés dans le Christ, nous ne sommes pas encore entièrement dépouillés du vieil Adam. En nous, le corps qui se corrompt appesantit l’âme ct ; il nous vient d’Adam, c’est chose manifeste, et personne ne saurait en douter. Mais le principe spirituel qui rend notre âme supérieure au monde est un don de ce Dieu miséricordieux qui a envoyé son Fils unique sur la terre, pour partager notre condition mortelle et nous faire entrer en possession de son immortalité. Il est notre maître et doit nous apprendre à ne point pécher : il sera notre défenseur, si, après avoir péché, nous confessons nos fautes et revenons au bien ; il sera notre avocat au moment où nous demanderons à Dieu quelque bienfait, et, conjointement avec le Père, il nous accordera l’objet de nos désirs ; car le Père et le Fils ne sont qu’un seul Dieu, Les paroles qui vont nous occuper, il les adressait aux hommes en qualité d’homme ; en lui le Dieu se cachait et l’homme se montrait, pour faire des dieux avec de simples hommes ; étant Fils de Dieu, il est devenu fils de l’homme, afin de rendre enfants de Dieu les enfants des hommes. Par quelle mystérieuse invention de sa sagesse a-t-il agi ainsi ? Ses paroles mêmes nous l’apprennent. Il s’est fait petit pour parler à des petits ; mais bien que petit, il n’a pas cessé d’être grand ; et nous, si nous sommes petits par nous-mêmes, nous devenons grands par notre union avec lui : il nous parle donc comme une nourrice parle à son bien-aimé nourrisson, qu’elle aide à grandir à force de soins. 2. Il avait dit : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même que ce qu’il voit faire à son Père cu ». Nous l’avons compris : le Père ne fait aucune œuvre séparément du Fils ; et le Fils ne le regarde point pour faire, à son tour, quelque chose de pareil à ce qu’il lui aurait vu faire. Voici la raison pour laquelle le Sauveur a dit : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire au Père » ; c’est que le Fils tient du Père tout ce qu’il est : sa substance et sa puissance tout entières lui viennent de Celui qui l’a engendré. Il avait dit qu’il fait, comme le Père, les mêmes œuvres que le Père ; mais il a voulu nous insinuer que le Père et le Fils ne font pas des œuvres différentes, mais que les opérations du Fils procèdent de la même puissance que celle du Père, puisque le Père les fait par l’intermédiaire de son Fils : aussi a-t-il ajouté ce que nous avons entendu lire aujourd’hui : « Car le Père aime le Fils, et il lui montre tout ce qu’il fait ». Le Père montre à son Fils tout ce qu’il fait : donc, dira quelqu’un, le Père agit séparément, afin que le Fils soit à même de voir ce qu’il fait. Nous voici donc, encore une fois, revenus à une manière humaine de considérer les choses : nous voici de nouveau en face de nos deux artisans ; on dirait qu’il s’agit encore d’un ouvrier qui apprend son métier à son fils, et qui lui montre son propre ouvrage, afin qu’à son tour il puisse en faire autant. « Il lui montre tout ce qu’il fait ». Par conséquent, lorsque le Père agit, le Fils reste dans l’inaction, uniquement occupé à regarder ce que fait son Père. En est-il vraiment ainsi ? Il est sûr que « toutes choses ont été faites par lui, et que sans lui rien n’a été fait ». Par là, il nous est facile d’imaginer comment le Père montre au Fils ce qu’il fait, puisque le Père ne tait rien que ce qu’il fait par le Fils. Qu’a fait le Père ? Le monde. Mais l’a-t-il créé d’abord, et l’a-t-il ensuite montré au Fils, pour lui fournir le modèle d’un autre monde ? Alors, qu’on nous fasse voir ce second univers, sorti des mains du Fils seul. « Mais toutes les choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait, et c’est lui qui a fait le monde cv ». S’il a fait le monde, et si toutes choses ont été faites par lui, le Père ne fait donc rien qu’il ne le fasse par son Fils. Mais où le Père montre-t-il au Fils ce qu’il fait ? Dans le Fils même par qui il le fait, et pas ailleurs. En quel autre lieu le Père pourrait-il montrer au Fils ses propres œuvres ? Est-ce qu’il habite, est-ce qu’il agit comme dans un endroit exposé au regard ? Le Fils examine-t-il le Père, comme s’il travaillait extérieurement ? Où se trouve l’indivisible Trinité ? Où est le Verbe, dont il a été dit qu’il est la puissance et la sagesse de Dieu cw ? Où voir ce qu’est la Sagesse elle-même, an dire de l’Écriture : « Elle est la splendeur de la lumière éternelle cx ? » Où contempler ce qu’indique encore cet autre passage : « La Sagesse atteint d’une extrémité à l’autre avec force, et dispose toutes choses avec douceur cy » Si le Père, dans ses opérations, agit par le Fils, par sa propre sagesse, pal sa propre puissance, ce n’est pas à l’extérieur qu’il lui montre ce qu’il doit voir et faire, c’est en lui-même. 3. Qu’est-ce que voit le Père, ou, plutôt, qu’est-ce que le Fils voit dans le Père, afin de le faire ensuite lui-même ? Si je pouvais le dire, y aurait-il quelqu’un pour me comprendre ? Si j’étais capable de m’en faire une idée, serais-je à même de l’expliquer convenablement ? Mais serais-je seulement apte à me l’imaginer ? La distance qui se trouve entre la Divinité et nous est égale à celle qui sépare Dieu de l’homme, l’immortalité de la vicissitude des choses destinées à périr, l’éternité de ce qui est du temps. Qu’il nous inspire et nous fasse la grâce de comprendre. Que de cette source de vie, qui est lui-même, il fasse tomber sur nous quelques gouttes de rosée pour étancher notre soif : ainsi serons-nous préservés des ardeurs brûlantes de ce désert. Nous avons appris à lui donner le nom de Père ; crions pour lui dire : Seigneur. Ne craignons pas de le faire, car il nous a autorisés à nous permettre cette hardiesse : seulement, vivons de manière à ce qu’il ne nous dise pas : « Si je suis votre Père, où sont mes honneurs ; et si je suis votre maître, où me craint-on cz ? » Disons-lui donc : Notre Père ! À qui disons-nous : Notre Père ? Au Père du Christ. Et celui qui dit au Père du Christ : Notre Père ! que dit-il au Christ ? Notre Frère, et rien autre chose. Il faut néanmoins le remarquer, Dieu n’est pas le Père du Christ au même titre qu’il est le nôtre, car jamais le Christ ne nous a unis à lui, de manière à faire disparaître toute distance entre lui et nous. Il est, en effet, le Fils de Dieu, égal à son Père, éternel comme lui, coéternel à lui : pour nous, nous avons été créés par le Fils et adoptés par l’Unique ; aussi, quand Notre-Seigneur Jésus-Christ parlait à ses disciples, jamais il n’a dit du Dieu souverain, son Père : Notre Père ; niais : Mon Père, ou bien : Votre Père. Il n’a pas dit : Notre Père ; cela est si vrai que, dans un certain endroit de l’Évangile, il a proféré ces deux paroles : « Je m’en vais à mon Dieu et à votre Dieu ». Pourquoi n’a-t-il pas dit : Notre Dieu ? « Et à mon Père et à votre Père da ». Il n’a pas dit : Notre Père. Il parle donc de manière à unir les choses sans les confondre, et à les distinguer les unes des autres sans les séparer ; il veut montrer que nous ne faisons qu’un en lui, et que le Père et lui ne font qu’un. 4. Nous aurons beau comprendre et beau voir, même lorsque nous aurons été égalés aux esprits angéliques, jamais nous ne versons comme voit le Fils. Lors même que nous ne voyons pas, nous sommes quelque chose, et, alors, que sommes-nous ? Évidemment, des hommes qui ne voient pas. Bien que ne voyant pas, nous existons cependant, et, afin de voir, nous nous tournons vers celui qu’il nous faut voir, et ainsi s’opère en nous la vision qui ne s’y trouvait point auparavant, quoique nous existions. L’homme qui ne voit pas, n’en est pas moins un homme, et quand une fois il est parvenu à voir, on dit toujours de lui qu’il est un homme, mais un homme qui voit. Car, pour lui, autre chose est de voir, autre chose est d’être un homme ; si, en effet, voir et être homme était, pour lui, la même chose, jamais il ne pourrait exister sans voir. Dès lors qu’il ne voit pas et qu’il cherche à voir ce qu’il ne peut encore contempler, il est donc à même de chercher à voir et de se convertir pour y arriver ; et s’il se convertit sincèrement et qu’il parvienne à voir, après avoir été un homme qui ne voyait pas, il devient un homme qui voit. La vue lui est donc accordée ou retirée, selon qu’il se tourne vers Dieu ou qu’il s’en éloigne. En est-il de même du Fils ? Non. Y a-t-il jamais eu un temps où le Fils n’ait pas vu, et un autre temps où il ait commencé à voir ? Mais voir le Père et être le Fils, c’est, pour lui, une seule et même chose. En nous détournant de Dieu pour nous jeter dans l’iniquité, nous perdons de vue les rayons de la lumière d’en haut : aussitôt que nous revenons à lui, l’éclat de cette lumière vient à nouveau frapper nos yeux. Il n’y a aucune similitude entre la lumière qui vient nous éclairer, et nous-mêmes ; car cette lumière ne se détourne pas d’elle-même, et ne perd jamais rien de son éclat, parce qu’elle est essentiellement la lumière. Le Père montre donc au Fils ce qu’il fait, en ce sens qu’en son Père le Fils voit toutes choses, et qu’il y est toutes choses. Par le fait qu’il voyait, il est né, et par cela même qu’il est né, il voit. Remarque-le, néanmoins : il n’a jamais été Sans exister, et jamais il n’a commencé à être : il n’a jamais été sans voir, et jamais il n’a commencé à voir. Car, en lui, voir et être ne constituent qu’une seule et même chose : en lui se rencontrent, tout à la fois, l’existence, la permanence, l’immuabilité, la vie éternelle, sans commencement et sans fin. Ne nous nourrissons donc point d’illusions matérielles : le Père n’est point assis, ne travaille pas, et ne montre pas au Fils ce qu’il fait : à son tour, le Fils ne regarde pas l’œuvre opérée par le Père, pour en faire lui-même une pareille, mais dans un autre endroit et avec des matériaux différents ; car « toutes choses ont été faites par lui, et, sans lui, rien n’a été fait ». Le Fils est la Parole du Père, et Dieu n’a rien dit qu’il ne l’ait dit en son Fils. En disant, en son Fils, ce qu’il devait faire par lui, le Père a engendré ce même Fils par lequel il devait faire toutes choses. 5. « Et il lui montrera de plus grandes œuvres que celles-ci, et vous serez dans l’admiration ». Nouveau sujet d’embarras. Qui pourrait jamais sonder parfaitement un pareil mystère ? Mais comme il a daigné nous parler, le Sauveur nous en a mis la clef dans les mains. Il n’aurait certainement pas voulu nous dire ce qu’il ne voudrait pas nous voir croire : puisqu’il a bien voulu nous adresser la parole, il est sûr qu’il a eu l’intention de nous rendre attentifs, et puisque tel a été son dessein, nous abandonnerait-il maintenant à nous-mêmes ? Nous vous l’avons dit de notre mieux : La science du Fils n’a rien qui tienne du temps : autre chose n’est pas la science du Fils, et, autre chose, le Fils lui-même ; autre chose n’est pas la vision du Fils, et, autre chose, le Fils lui-même ; mais la vision, la science et la sagesse du Père, c’est le Fils : elles sont éternelles, elles viennent de l’éternel, et sont coéternelles à celui dont elles viennent : là, rien n’est sujet aux vicissitudes du temps ; rien n’y vient à la vie de celui n’était pas ; rien n’y meurt de ce qui était. Nous l’avons expliqué comme nous avons pu. Maintenant, que fait ici le temps ? Le Sauveur ne dit-il pas, en effet : « Et il lui montrera de plus grandes choses ? » Il doit lui montrer, c’est-à-dire, il lui fera voir plus tard. Il a montré est bien différent de : il montrera. Il a montré s’entend du passé ; il montrera s’entend de l’avenir. Mes frères, que faisons-nous, que disons-nous à présent ? Nous avons, tout à l’heure, prétendu que le Fils, coéternel au Père, n’éprouve aucune variation de la part du temps, qu’il ne se meut ni dans l’espace des lieux, ni dans l’espace des moments, qu’il demeure toujours dans la vision avec le Père, qu’il voit le Père, et que cette vision constitue son existence ; et voilà qu’il nous rappelle encore une fois à la pensée du temps, puisqu’il nous dit : « Et il lui montrera de plus grandes choses ! » Le Père montrera donc au Fils quelque chose qu’il ne connaît pas encore ? Que faire ? En quel sens comprendre ces paroles ? Notre-Seigneur Jésus-Christ se trouvait dans les hauteurs de l’éternité ; le voilà qui redescend au niveau des choses terrestres. Quand était-il si élevé ? Quand il disait : « Tout ce que fait le Père, le Fils le fait aussi comme lui ». Comment est-il descendu ? « Il lui montrera de plus grandes choses ». O Seigneur Jésus-Christ, notre Sauveur, Verbe de Dieu par qui toutes choses ont été faites, qu’est-ce que le Père vous montrera que vous ne sachiez pas encore ? Y a-t-il, dans le Père, quelque chose d’inconnu pour vous ? Quelles œuvres plus grandes doit-il vous montrer ? Ou bien, quelles œuvres seront surpassées par celles qu’il vous montrera ? Car si Jésus a dit : « plus grandes », il nous faut retourner en arrière pour y trouver celles qui sont moins prodigieuses. 6. Rappelons-nous la circonstance qui a donné lieu à ce discours. C’est évidemment celle où fut guéri le paralytique de trente-huit ans, et où le Sauveur commanda à cet homme de prendre son lit sur ses épaules, et de s’en retourner dans sa maison. Ce fait suffit à soulever l’indignation des Juifs avec lesquels il s’entretenait : il parlait à leurs oreilles et ne disait rien à leur intelligence. Il laissait, en quelque sorte, entrevoir sa pensée à ceux qui voulaient l’entendre, mais il la cachait à ceux qui se laissaient emporter par la colère : irrités de voir le Seigneur Jésus agir ainsi le jour du sabbat, les Juifs lui donnèrent donc, par leurs mauvais sentiments, l’occasion de prononcer ce discours. Pour bien entendre les paroles qui nous occupent maintenant, nous ne devons donc pas oublier ce qui a été précédemment dit : au contraire, reportons nos regards sur ce paralytique, malade depuis trente-huit ans, et subitement rendu à l’usage de ses membres, en présence des Juifs qui ne pouvaient s’empêcher d’admirer une pareille guérison, et s’en fâchaient pourtant. Témoin de leur aveugle fureur, Jésus leur adressa la parole et leur dit : « Il lui montrera des œuvres plus grandes que celles-ci ». « Plus grandes que celles-ci » : celles-ci ? Lesquelles ? Ce que vous venez de voir, c’est-à-dire : la guérison de cet homme, qu’une paralysie avait tenu, l’espace de trente-huit ans, couché sur son lit, n’est rien en comparaison de ce que le Père montrera à son Fils. Que lui montrera-t-il de plus étonnant ? Le voici ; car le Sauveur ajoute : « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut », Il est sûr que ceci est bien autrement admirable : c’est, en effet, un plus grand prodige de ressusciter les morts, que de rendre un malade à la santé : il n’y a pas le moindre doute à cet égard. Mais quand le Père montrera-t-il à son Fils une pareille œuvre ? car le Fils n’en a-t-il pas déjà la connaissance ? Et au moment où il parlait, ne savait-il pas ressusciter les morts ? Il avait fait toutes choses : avait-il encore besoin d’apprendre à faire sortir les morts, tout vivants, des entrailles du tombeau ? Celui qui nous a donné l’être et la vie, lorsque nous n’existions pas encore, avait-il besoin d’apprendre à nous ressusciter ? Que veut-il donc nous dire par là ? 7. Il s’est abaissé jusqu’à nous, et lui qui, tout à l’heure, nous parlait comme Dieu, a commencé de nous parler comme homme. Tout Dieu qu’il est, il n’en partage pas moins avec nous la nature humaine ; car Dieu s’est fait homme, mais il est devenu ce qu’il n’était pas, sans rien perdre de ce qu’il était, L’humanité s’est donc adjointe à la divinité : ainsi, celui qui était Dieu est devenu un homme, de manière, toutefois, qu’en prenant notre nature, il ne perdît pas sa nature divine. Nous l’écoutions tout à l’heure comme notre créateur, Écoutons-le donc maintenant comme notre frère, Il est notre Créateur, car, au commencement était le Verbe ; il est notre frère, parce qu’il a pris naissance dans le sein de la Vierge Marie ; en qualité de Créateur, il existait avant Abraham, avant Adam, avant la terre, avant le ciel, avant toutes les créatures corporelles et spirituelles ; en qualité de frère des hommes, il est né de la race d’Abraham, de la tribu de Juda, d’une vierge israélite. Si, dans celui qui nous parle, nous reconnaissons un Dieu et un homme, sachons discerner les paroles du Dieu d’avec celles de l’homme ; car parfois il dit des choses qui ont trait à la majesté divine, et, parfois, il en dit qui se rapportent à la faiblesse humaine ; n’est-il pas en même temps et souverainement grand, et aussi souverainement petit, puisqu’il s’est anéanti pour nous élever jusqu’à lui ? que dit-il donc ? « Le Père » me « montrera des choses plus grandes que celles-ci, et vous serez dans l’admiration ». C’est donc à nous qu’il les montrera, et non pas à lui et comme c’est à nous que le Père les montrera, le Sauveur a eu bien soin de dire : « Et vous serez dans l’admiration ». Il nous a expliqué ce qu’il a voulu nous faire entendre par ces mots : « Le Père » me « montrera ». Pourquoi n’a-t-il pas dit : Le Père vous montrera, au lieu de dire : « Il montrera » au Fils ? Parce que nous sommes les membres de son Fils, et que celui-ci apprend en quelque sorte dans la personne de ses membres, ce que nous apprenons. De quelle manière acquiert-il en nous quelque science ? De la même manière qu’il y souffre. Où est la preuve des souffrances qu’il endure en nous ? Dans ces paroles venues du ciel : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » N’est-ce pas lui qui, à la fin du monde, s’assoira sur un tribunal pour juger tous les hommes ? N’est-ce pas lui qui, en plaçant les bons à sa droite, et les méchants à sa gauche, prononcera ces paroles : « Venez, bénis de mon Père, entrez en possession de mon royaume ; car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ? » Les justes lui répondront : « Seigneur, quand vous avons-nous vu avoir faim ? » Alors il ajoutera : « Lorsque vous avez donné quelque chose à l’un des moindres de mes frères, vous me l’avez donné à moi-même db ». Il a donc dit : « Lorsque vous avez donné quelque chose à l’un des moindres de mes frères, vous me l’avez donné à moi-même ». Par conséquent, interrogeons-le maintenant, et disons-lui Seigneur, quand apprendrez-vous quelque chose, puisque c’est vous qui enseignez toutes choses ? Et aussitôt, par l’organe de notre foi, il nous répondra : Lorsque l’un des moindres de mes frères s’instruit, c’est moi qui m’instruis. 8. Félicitons-nous donc, et rendons grâces à Dieu de ce que nous sommes devenus non seulement des chrétiens, mais le Christ lui-même. Comprenez-vous, mes frères, appréciez-vous dignement la grâce que Dieu nous fait en devenant notre chef ? Soyez dans l’admiration, réjouissez-vous, nous sommes devenus le Christ ! Car s’il est notre chef, nous sommes ses membres ; nous composons, lui et nous, son humanité tout entière. Voilà bien ce que dit l’apôtre Paul : « Afin que nous ne soyons plus flottants comme des enfants, et que nous ne nous laissions pas emporter à tout vent de doctrine ». Mais auparavant, il s’était exprimé en ces termes « Jusqu’à ce que nous parvenions tous à l’unité d’une même foi et d’une même connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’un homme parfait, à la mesure de l’âge, de la plénitude du Christ dc ». Le chef et les membres, voilà ce qui constitue la plénitude du Christ. Qu’est-ce à dire : Le chef et les membres ? Le Christ et l’Église. Nous arroger un privilège pareil serait, de notre part, de l’orgueil, mais le Sauveur a daigné nous le promettre lui-même, car il nous a dit par la bouche du même Apôtre : « Or, vous êtes le corps du Christ et ses membres dd ». 9. Dès lors donc que le Père montre quelque chose aux membres du Christ, il le montre par là même au Christ. Il se fait à ce moment comme un grand miracle, mais un miracle réel. Ce que le Christ savait déjà se fait voir au Christ, et c’est le Christ lui-même qui le lui fait connaître. Voilà une chose étonnante et merveilleuse, mais l’Écriture nous l’affirme : Nous mettrons-nous en antagonisme avec la parole de Dieu ? Ne faut-il pas plutôt la comprendre damas son vrai sens, et remercier de cette grâce d’en haut, Celui qui nous l’a accordée ? Qu’ai-je dit : C’est le Christ lui-même qui fait connaître au Christ?. C’est la tête qui montre aux membres. Ce phénomène se passe en toi, Veuille le remarquer. Suppose que tes yeux sont fermés et que tu veux saisir un objet : ta main ne sait où se porter, et, néanmoins, tu ne saurais en douter, ta main est du nombre de tes membres, puisqu’elle n’a pas été précédemment séparée de ton corps. Ouvre les yeux ; alors elle voit de quel côté elle doit se diriger ; la tête a fait apercevoir l’objet, et le membre est allé le saisir. Puisqu’en toi-même nous remarquons ce fait que ton corps montre un objet à ton corps, et que par l’intermédiaire de lui-même, ton corps aperçoit cet objet, il n’y a plus sujet de t’étonner de mes paroles, quand je dis : C’est le Christ lui-même qui fait connaître au Christ. Le chef montre, afin que les membres aperçoivent ; il enseigne, afin que les membres s’instruisent ; et, cependant, la tête et les membres ne forment tous ensemble qu’un seul homme. Il n’a pas voulu se séparer de nous, mais il a daigné s’unir à nous. Il se trouvait loin de nous, et singulièrement loin ; car, qu’y a-t-il de plus éloigné que la créature à l’égard du Créateur ? que Dieu et l’homme ? que la justice et le péché ? que l’éternité et la condition d’un être mortel ? Ainsi était éloigné de nous « le Verbe qui au commencement était Dieu en Dieu, et par qui toutes choses ont été faites ». Par quel moyen s’est-il donc rapproché de nous, au point de devenir ce que nous sommes et de manière à ce que nous soyons en lui ? « Le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous de ». 10. Il nous montrera donc cela, comme il l’a montré à ses disciples pendant le cours de sa vie terrestre. Qu’est-ce cela ? « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut ». Le Père vivifie-t-il ceux-ci, et le Fils ceux-là ? Certainement, toutes choses ont été faites par lui. Que disons-nous, mes frères ? Le Christ a ressuscité Lazare ; quel mort le Père avait-il fait sortir vivant du tombeau, afin d’apprendre au Fils, par son exemple, la manière dont il devait ressusciter Lazare ? Ou bien, quand le Sauveur a rendu la vie à Lazare, le Père ne l’a-t-il pas aussi ressuscité ? le Fils a-t-il été seul à opérer ce prodige, et l’a-t-il opéré indépendamment du concours de son Père ? Lisez le récit de cette résurrection, et vous verrez qu’au tombeau de Lazare, le Christ a invoqué son Père et l’a prié de rendre la vie à ce mort df. En tant qu’homme, il invoque le Père ; en tant que Dieu, il agit de concert avec lui : en conséquence, la résurrection de Lazare s’est effectuée par la coopération simultanée du Père et du Fils avec la grâce et comme don du Saint-Esprit, et ce merveilleux événement est l’œuvre de la Trinité entière. Ces paroles « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut », ne doivent donc pas être entendues en ce sens, que le Père ressuscite et vivifie les uns, tandis que le Fils ressuscite et vivifie les autres ; mais nous devons en conclure que le Père et le Fils ressuscitent également et par ensemble les mêmes morts ; car, « toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait ». Aussi, pour montrer que sa puissance, bien que lui venant du Père, était néanmoins égale à celle du Père, le Sauveur a-t-il ajouté : « Ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut » : ces paroles prouvent l’existence de sa propre volonté. Que personne ne dise : Le Père ressuscite les morts par le Fils ; mais c’est comme tout-puissant, c’est parce qu’il possède le pouvoir de le faire. Pour le Fils, il n’agit qu’en vertu d’une puissance étrangère à sa personne, et qu’en qualité de ministre, comme ferait un ange ; que personne ne parle ainsi, carie Christa affirmé son pouvoir, en disant : « De même, le Fils vivifie ceux qu’il veut ». En effet, le Père ne veut pas autre chose que ce que veut le Fils ; mais comme ils ont ensemble une seule et même substance, ainsi n’ont-ils qu’une seule et même volonté. 11. Qui sont ces morts que vivifient le Père et le Fils ? Sont-ce ceux dont nous avons parlé, Lazare, le Fils de la veuve de Naïm dg, ou la fille du chef de la synagogue dh ? Car, nous le savons, ces trois morts ont été rappelés à la vie par le Christ. Dans le passage précité, le Sauveur veut nous faire entendre qu’il s’agit d’autre chose, c’est-à-dire de la résurrection des morts que nous attendons tous pour la fin du monde, et non de celle qui a été accordée à quelques-uns pour amener les autres à la foi. Enfin, si Lazare est sorti vivant du tombeau, il devait cependant y rentrer un peu plus tard ; et nous, quand nous ressusciterons, ce sera pour ne plus quitter la vie. Est-ce au Père, est-ce au Fils à opérer cette résurrection finale ? Mieux que cela C’est au Père dans le Fils. Le Fils et le Père dans le Fils l’opéreront donc. Maintenant, comment prouver qu’il est ici question de la résurrection universelle ? Le voici : Le Sauveur avait dit : « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut ». En conséquence de ces paroles, nous aurions pu nous imaginer qu’elles avaient trait, non pas à la résurrection qui doit servir de prélude à la vie éternelle, mais une simple résurrection miraculeuse ; pour nous détourner d’une pareille interprétation il ajoute : « Car le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils ». Qu’est-ce à dire ? Il parlait de la résurrection des morts, puisqu’il disait : « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le « Fils vivifie ceux qu’il veut » ; pourquoi ajoute-t-il aussitôt, en manière d’explication, ces paroles relatives au jugement : « Car le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils ? » Il voulait évidemment nous faire comprendre qu’il avait fait allusion à la résurrection des morts, que suivra le jugement général. 12. « Car », dit-il, « le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils ». Tout à l’heure, nous supposions que le Père fait ce que ne fait pas le Fils, et nous étions portés à le croire à cause de ces paroles : « Le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il a fait » : comme si le Père agissait, et que le Fils se bornât à le regarder. Une manière tinte charnelle d’interpréter ce passage en dérobait donc le vrai sens à notre esprit, et nous faisait croire, d’une part, que le Père agissait sans le concours du Fils, et, d’autre part, que le Fils regardait le Père lui montrer ce qu’il faisait. Le Père nous semblait donc faire ce que ne faisait pas le Fils ; maintenant le Fils nous apparaît comme faisant ce que le Père ne fait pas. Comme Dieu tourne et retourne nos esprits ! Il les conduit d’ici de là, ne leur permettant de s’arrêter à aucune pensée charnelle en les agitant ainsi, il les exerce, en les exerçant il les purifie, en les purifiant il les dilate, afin de les remplir ensuite. Qu’est-ce que toutes ces paroles du Sauveur font de nous ? Que disait-il tout à l’heure ? Que dit-il maintenant ? Tout à l’heure, il nous disait que le Père montre au Fils tout ce qu’il fait ; aussi me semblait-il voir le Père agir, et le Fils le regarder ; maintenant je crois voir le contraire, c’est-à-dire, le Fils dans l’action et le Père dans le repos. « Car le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils ». Quand le Fils exercera-t-il le jugement, sans que le Père l’exerce en même temps avec lui ? Qu’est-ce que cela vent dire, et comment le comprendre ? Vous êtes le Verbe Dieu ; moi, je ne suis qu’un homme. Vous dites « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils ». Et moi, je lis, quelque part ailleurs, ces autres paroles tombées de vos lèvres : « Je ne juge personne, il y a quelqu’un pour rechercher et juger di ». De qui parlez-vous, quand vous dites : « Il y a quelqu’un pour rechercher et juger ? » Du Père, évidemment. Il recherche les injures qu’on vous fait, et il porte sur elles son jugement. Alors, comment se fait-il que « le Père ne juge personne, mais qu’il ait donné tout jugement au Fils ? » Interrogeons maintenant l’apôtre Pierre Écoutons-le nous dire dans son Epître « Jésus-Christ a souffert pour nous, vous laissant un grand exemple, afin que vous suiviez ses traces : lui qui n’a commis aucun péché, et dans la bouche de qui le mensonge n’a pas été trouvé ; quand on le maudissait, il ne répondait point par des injures ; quand on le maltraitait, il ne menaçait pas, mais il s’abandonnait au pouvoir de Celui qui juge avec justice dj ». Comment peut-il être vrai que « le Père ne juge personne, mais qu’il ait donné tout jugement au Fils ? » Nous voilà dans l’embarras, dans un embarras qui nous fera suer, et, en nous faisant suer, nous purifiera. Efforçons-nous, avec l’aide de Dieu, de découvrir le sens profondément mystérieux de ces paroles. En voulant discuter et scruter les paroles de Dieu, nous agissons peut-être avec témérité. Mais pourquoi les a-t-il prononcées ? N’est-ce pas afin que nous en sachions la portée ? Pourquoi ont-elles retenti à nos oreilles ? N’est-ce pas afin que nous les entendions ? Pourquoi les avoir écoutées, si ce n’est pour les comprendre ? Que Dieu nous fortifie donc, et qu’il nous accorde l’intelligence dans la mesure qui lui semble convenable, et si nous ne pouvons encore puiser à la source, puissions-nous, du moins, nous désaltérer à un petit ruisseau ! Jean lui-même nous tiendra lieu de ce ruisseau, car il est allé puiser à la source ; il a fait descendre le Verbe du haut du ciel jusqu’à nous : il l’a abaissé, et, en quelque sorte, terrassé. Nous n’avons plus, par conséquent, à redouter ses grandeurs ; il s’est humilié, approchons-nous donc de lui. 13. Il y a certainement une manière vraie et solide de comprendre ces paroles : « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils » : puissions-nous la bien saisir ! Voici la raison pour laquelle elles ont été prononcées ; c’est qu’au jugement le Fils seul apparaîtra aux regards des hommes. Le Père se cachera, et le Fils se montrera. Comment se montrera-t-il ? Dans la forme avec laquelle il est monté au ciel. Comme le Père, il se dérobera à la vue dans sa forme de Dieu, mais il se manifestera dans sa forme d’esclave. « Donc, le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils », tout jugement public, cela s’entend. Dans ce jugement public, ce sera le Fils qui jugera, parce qu’il se fera voir à ceux qu’il devra juger. L’Écriture nous enseigne, de manière à nous enlever jusqu’à l’ombre d’un doute, qu’alors il se manifestera à tous les yeux. Quarante jours après sa résurrection, il monta au ciel en présence de ses disciples, et un ange vint leur dire : « Hommes de Galilée, pourquoi demeurez-vous là, regardant les cieux ? Ce Jésus qui, du milieu de vous, s’est élevé dans le ciel en reviendra de la même manière que vous l’y avez vu monter dk ». En quel état l’y voyaient-ils aller ? Dans ce corps qu’ils avaient touché et palpé, dont ils avaient contrôlé les cicatrices, avec lequel il pénétrait au milieu d’eux et sortait de leur assemblée pendant quarante jours, se montrant à eux en toute vérité, sans supercherie, non pas comme une ombre, un fantôme ou un esprit, mais tel qu’il dit lui-même, d’accord avec la réalité : « Touchez et voyez, car un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai dl ». Ce corps est digne d’habiter le ciel, car il n’est plus exposé aux atteintes de la mort, ni aux vicissitudes des différents âges. Pour parvenir à l’état où il se trouvait alors il avait dû traverser la distance qui sépare l’enfance de la jeunesse, mais il ne parcourra pas l’espace qui se trouve entre la jeunesse etla vieillesse : il restera tel qu’il était au moment de son ascension, et il reviendra tel vers ceux auxquels il a voulu faire prêcher sa parole avant son retour. Il apparaîtra donc dans sa forme humaine : cette forme se montrera même aux regards des impies ; ceux qui seront placés à droite, et ceux qui seront placés à gauche le verront également cela est écrit : « Ils verront celui qu’ils ont percé dm ». Puisqu’ils doivent voir celui qu’ils ont percé, ils verront donc ce même corps qu’ils ont frappé avec une lance ; car une lance n’a pu blesser le Verbe : les impies seront donc à même de contempler ce qu’ils ont été capables de blesser. Ils ne verront pas le Dieu qui sera caché sous la forme humaine ; niais, après le jugement, il se fera voir à ceux qu’il aura placés à sa droite. Voici donc le sens de ces paroles : « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils ». Le Fils viendra publiquement juger les hommes : alors, il leur apparaîtra sous sa forme humaine et dira à ceux qui seront placés à sa droite : « Venez, bénis de mon Père, entrez en possession de mon royaume » ; et à ceux qui se trouveront à sa gauche : « Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges dn ». 14. Le Sauveur se fera donc voir, dans sa forme d’homme, aux fidèles et aux impies, aux justes et aux pécheurs, à ceux qui auront eu la foi et à ceux qui ne l’auront pas eue, à ceux pour lesquels sa présence sera un sujet de joie, et à ceux dont elle fera le désespoir, à ceux qui auront mis en lui leur confiance, et à ceux que le jugement aura couverts de confusion : on le verra donc comme homme. Et quand il se sera ainsi montré sur son tribunal, quand la sentence aura été prononcée et que se sera vérifiée cette parole : « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils » ; car le Fils apparaîtra au jugement dans la forme qu’il a empruntée à notre nature, alors qu’arrivera-t-il ? Quand se montrera-t-il dans sa forme de Dieu, que tous les saints brûlent de contempler ? Quand verront-ils ce qui était au commencement, c’est-à-dire le Verbe, le Dieu en Dieu, par qui toutes choses ont été faites ? Quand apercevront-ils cette forme de Dieu, dont l’Apôtre a dit : « Ayant la nature de Dieu, il n’a point cru que ce fût pour lui une usurpation de s’égaler à Dieu do ? » Qu’elle est admirable, cette forme divine, puisque malgré sa forme humaine le Fils n’a pas cessé d’être égal au Père ! Elle est ineffable et incompréhensible, surtout pour les petits. Quand la verra-t-on ? Voilà les justes placés à droite, et les pécheurs à gauche ; tous aperçoivent le Christ-homme, le Fils de l’homme qui a été percé, crucifié, humilié, et qui est né d’une Vierge ; ils contemplent l’Agneau de la tribu de Juda. À quel moment contempleront-ils le Verbe, Dieu en Dieu ? Au jugement, il sera le Fils du Tout-Puissant, mais la forme seule de l’esclave se manifestera en lui. Aux esclaves il montrera sa forme d’esclave, et sa forme divine aux enfants de Dieu. Que les esclaves deviennent donc enfants du Très-Haut ; que ceux qui se trouvent à droite, entrent en possession de l’héritage éternel, de cet héritage depuis si longtemps promis, à l’existence duquel les martyrs ont cru avant de le voir, pour l’acquisition duquel ils ont, sans hésiter, versé tout leur sang, parce qu’il était promis à leurs efforts : qu’ils entrent dans cet héritage, ils y contempleront l’objet de leurs désirs. Quand pourront-ils y entrer ? Le Sauveur va lui-même nous l’apprendre : « Et ceux-ci iront au supplice éternel, et les justes à la vie éternelle dp ». 15. Jésus vient de prononcer le nom de la vie éternelle. Nous a-t-il dit que, au sein de cette vie éternelle, nous verrons et connaîtrons le Père et le Fils ? Mais à quoi nous servirait de vivre toujours, si nous ne devions point en même temps les voir ? Écoute : voici un autre passage où le Christ parle de la vie éternelle et nous dit avec précision en quoi elle consiste. Ne crains rien, je ne veux point t’induire en erreur ; ce n’est pas sans motif que j’ai fait cette promesse à ceux qui m’aiment : « Celui qui a mes commandements et les garde, c’est celui-là qui m’aime. Or, celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; je l’aimerai aussi, et je me manifesterai à lui dq ». Répondons au Seigneur, et disons-lui : Seigneur notre Dieu, qu’y a-t-il en cela de si grand, de si merveilleux ? Vous vous montrerez à nous ? Eh quoi ? Ne vous êtes-vous pas fait voir même aux Juifs ? Ceux qui vous ont crucifié ne vous ont-ils pas aussi contemplé de leurs yeux ? Vous vous manifesterez à nous, quant au jour du jugement vous nous placerez à votre droite : ceux mêmes qui se trouveront à votre gauche ne vous apercevront-ils pas ? Que signifie cette promesse de vous manifester à nous ? Ne vous voyons-nous pas, maintenant que vous nous parlez ? Le Sauveur nous répond : Vous voyez aujourd’hui ma forme d’esclave, je me manifesterai plus tard à toi dans ma forme divine. Je ne te tromperai point, ô homme fidèle ; crois-le bien, tu me verras. Tu m’aimes sans me voir ; supposes-tu que ton amour pour moi ne te méritera pas le privilège de me contempler ? Aime-moi, et persévère dans mon amour ; je ne le frustrerai point, moi qui ai purifié ton cœur. Pourquoi l’ai-je purifié, sinon afin qu’il pût contempler Dieu ? En effet, « bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu dr ». Mais le serviteur ne s’arrête pas là ; il discute en quelque sorte avec le Sauveur et lui réplique Vous n’avez pas dit cela d’une manière expresse, dans ce passage. « Les justes iront à la vie éternelle » ; car vous n’avez pas dit : Ils y entreront pour m’y contempler dans la forme de Dieu, et y voir le Père dont je suis l’égal. Remarque ce qu’il a dit en un autre endroit : « C’est la vie éternelle de vous connaître, vous le seul Dieu véritable, et Jésus-Christ que vous avez envoyé ds ». 16. Après le jugement dont nous venons de parler, et que le Père a donné au Fils parce qu’il ne juge lui-même personne, qu’arrivera-t-il ? Que lisons-nous ensuite ? « Afin que tous honorent le Fils, comme ils honorent le Père ». Les Juifs honoraient le Père, et méprisaient le Fils ; car ils considéraient le Fils comme un esclave, et honoraient le Père comme un Dieu. Alors, on verra le Fils égal au Père ; car il se montrera tel, « afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père ». Pour le moment, nous en sommes encore à le croire. Que le juif ne dise pas : J’honore le Père ; mais qu’y a-t-il de commun entre le Fils et moi ? – Le Christ va lui répondre. « Celui qui n’honore pas le Fils, n’honore point le Père ». – Tu dis un affreux mensonge : tu blasphèmes le Fils, et tu fais injure au Père. Car le Père a envoyé son Fils, et tu méprises celui qui l’a envoyé, Comment peux-tu dire que tu respectes l’envoyeur, quand tu blasphèmes son envoyé ? 17. Voilà un fait, dira quelqu’un : c’est que le Fils a été envoyé : le Père est donc plus grand que lui, puisqu’il l’a envoyé. – Arrière toute pensée charnelle ! Le vieil homme ne songe qu’à des vieilleries : mais toi, sache donc reconnaître la nouveauté dans l’homme nouveau. Cet homme nouveau pour toi, c’est l’Ancien des jours, le Perpétuel, l’Éternel qu’il daigne te ramener à la saine appréciation des choses ! Le Fils serait-il inférieur au Père, par ce fait qu’on le dit envoyé par le Père ? Il s’agit de mission, et non point de séparation. – Mais pourtant, continue-t-on, les usages de la vie nous l’apprennent : celui qui envoie est supérieur à l’envoyé. – Les choses humaines obscurcissent l’œil de notre âme, et les choses divines le rendent plus clairvoyant. Fais abstraction de ce qui se passe en ce monde, où celui qui donne une mission semble plus grand que celui qui la reçoit. D’ailleurs, remarque-le : il est des circonstances de la vie qui plaident contre toi. Ainsi, quand un homme veut demander femme, et qu’il ne peut le faire par lui-même, il charge de cette commission un ami plus influent que lui. Ce n’est pas, à beaucoup près, le seul cas où l’on choisisse unie personne d’un rang supérieur à celle qui l’envoie. Pourquoi alors t’appuyer sur ce faux prétexte que le Père a envoyé le Fils, et que celui-ci n été envoyé par le Père, pour conclure contre le Fils ? Le soleil envoie ses rayons, mais il ne s’en sépare pas : la lune envoie sa lumière, mais lui reste unie ; une lampe projette son éclat, sans faire scission avec lui : en ces différents cas, je vois bien une émission ; mais, nulle part, je n’aperçois de séparation. Hérétique vaniteux ! Tu veux trouver ici-bas des exemples pour y appuyer ton erreur ; je te l’ai dit tout à l’heure : en maintes circonstances, les choses humaines se déclarent contre toi et te condamnent ; mais enfin, considère la différence qui se trouve entre les choses divines et les choses humaines parmi lesquelles tu voudrais trouver un exemple. L’homme qui envoie demeure à sa place, et celui qui est envoyé s’en va l’envoyeur marche-t-il avec son envoyé ? Pour le Père, qui a envoyé le Fils, il ne s’en est jamais séparé. Écoute le Sauveur : voici ses propres paroles : « L’heure viendra où vous serez dispersés chacun de votre côté, et où vous me laisserez seul : cependant, je ne suis pas seul, car mon Père est avec moi dt ». Comment le Père a-t-il envoyé le Fils, puisqu’il est venu avec lui ? Comment l’a-t-il envoyé, puisqu’il ne s’en est jamais séparé ? Le Christ a dit ailleurs : « Mon Père, qui demeure en moi, fait les œuvres que je fais du ». Le Père se trouve donc dans le Fils, et il y agit. L’envoyeur ne s’est point séparé de l’envoyé, parce que tous les deux ne font qu’un.VINGT-DEUXIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CES PAROLES : « EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS : CELUI QUI ÉCOUTE MES PAROLES ET CROIT À CELUI QUI M’A ENVOYÉ, À LA VIE ÉTERNELLE », JUSQU’A CES AUTRES : « PARCE QUE JE NE CHERCHE PAS MA VOLONTÉ, MAIS LA VOLONTÉ DE CELUI QUI M’A ENVOYÉ ». (Chap 5,24-30.)LE CHRIST, VIE ET RÉSURRECTION.
Écouter le Sauveur et croire à sa parole, c’est la condition requise pour parvenir à la vie spirituelle, qui est la véritable vie, et ne pas être soumis à un jugement de condamnation. La vie spirituelle consiste dans la justice et la charité ; le moment d’y arriver dure depuis l’avènement du Christ et durera jusqu’à la fin du monde. Jésus-Christ en est la source, car il la possède en lui-même, et non par emprunt. Quant à la résurrection des corps, il l’opérera plus tard, et, alors, il jugera les hommes suivant les règles de la justice éternelle, et la volonté de son Père. 1. À la suite du passage de l’Évangile, qui a servi de texte à nos discours d’avant-hier et d’hier, vient celui qu’on nous a lu aujourd’hui nous allons traiter, l’une après l’autre, les différentes parties de cette leçon, non pas, sans doute, aussi bien qu’elles le mériteraient, niais, du moins, selon la mesure de nos forces : car, en ce qui vous concerne, il vous est impossible d’absorber toutes les eaux qui découlent de cette source si pure ; vous n’en pouvez prendre qu’en raison de votre capacité. Nous ne pouvons nous-même, dans les instructions que nous vous adressons, vous communiquer tous les enseignements qui proviennent de là ; nous en sommes réduits à vous dire ce que nous sommes à même d’y puiser : les accents de notre voix parviendront donc jusqu’à vous : plaise à Dieu d’adresser à vos cœurs des leçons plus étendues que celles qui retentiront dans vos oreilles. Nous ne sommes pas grand ; nous sommes, au contraire, singulièrement petit, et, néanmoins, il nous faut traiter de bien grandes choses ; mais nous avons tout espoir et toute confiance en celui qui, malgré sa grandeur, s’est fait petit pour nous. Il nous serait impossible d’arriver à saisir quelque chose de sa divinité, s’il n’avait pris lui-même notre condition mortelle et n’était descendu jusqu’à nous pour nous faire entendre le langage de son Évangile ; il est donc indispensable qu’il nous exhorte et nous invite à le comprendre, qu’il ne nous abandonne pas en raison de notre bassesse ; aussi a-t-il voulu entrer avec nous en participation de ce qui se trouve en nous d’abject et de moindre : sans cela, nous serions autorisés à croire que celui qui s’est abaissé jusqu’à notre infirmité n’a point voulu nous communiquer sa grandeur. En parlant ainsi, j’ai voulu prévenir, chez les uns, la tendance à me reprocher comme une audace téméraire la tâche que j’entreprends de vous expliquer ce passage, et, chez les autres, la crainte désolante de ne point saisir, même avec la grâce de Dieu, les paroles que son Fils a bien voulu leur adresser. Il nous a parlé : nous devons donc le croire, sa volonté est que nous comprenions ce qu’il nous dit si nous sommes dans l’impossibilité de le faire, prions-le, et il nous accordera cette faveur, puisque sans en avoir été prié, il nous a accordé celle de sa parole. 2. Voici le passage mystérieux qui doit nous occuper, écoutez-moi attentivement : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle ». C’est chose indubitable, nous tendons tous à la vie éternelle, et, malgré cela, le Sauveur dit : « Celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle ». A-t-il voulu que nous entendions sa parole sans la comprendre ? Il est certain que si l’on acquiert la vie éternelle en écoutant et en croyant la parole de Dieu, on y arrive plus sûrement encore en saisissant cette même parole. Pour avancer dans la piété, il faut la foi, et le fruit de la foi n’est autre que l’intelligence, et par l’intelligence on parvient à la vie éternelle au sein de cette vie, on ne nous lira pas l’Évangile ; abstraction faite de ce livre sacré, de toute lecture et de toute interprétation, celui qui nous a donné, pour la vie présente, son Évangile, apparaîtra aux yeux de tous ses fidèles réunis, dont le cœur aura été purifié, et dont le corps, désormais immortel, n’aura plus à craindre les atteintes du trépas : alors, il les rendra tout à fait purs et les éclairera, et ils vivront, et ils verront « le Verbe qui était au commencement, le Verbe qui était en Dieu ». Maintenant donc, considérons ce que nous sommes, pensons à ce qu’est celui qui va nous parler. Le Christ est Dieu, et il parle à des hommes : il veut en être compris, qu’il les eu rende capables ; il veut en être vu, qu’il ouvre leurs yeux. Ce n’est point sans motif qu’il s’adresse à nous, car rien de plus réel que ce qu’il nous promet. 3. « Celui », dit le Sauveur, « qui écoute mes paroles et croit à celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle et ne passera point en jugement ; mais il passe de la mort à la vie ». Où et quand passons-nous de la mort à la vie, de manière à ne pas entrer en jugement ? En ce monde, on passe de la mort à la vie ; en cette vie, qui n’est point encore la véritable, on passe de la mort à la vie. En quoi consiste ce passage ? « Celui qui écoute mes paroles et croit à celui qui m’a envoyé ». En gardant ces paroles, tu y crois et tu passes. Peut-on passer sans changer de place ? Certainement. Le corps garde sa place, et l’on passe spirituellement. Où était-on, pour s’éloigner, et où passe-t-on ? On passe de la mort à la vie. Imagine-toi qu’un homme se trouve ici, en qui se réalise ce que nous disons. Il est là, il écoute n peut-être ne croyait-il pas encore ; mais en entendant, il croit : tout à l’heure, il n’avait pas la foi, il l’a maintenant : il est, en quelque manière, sorti du pays de l’infidélité, pour entrer dans la région de la foi n son corps est demeuré immobile, son cœur seul est changé de place en ce sens qu’il s’est porté au bien : ceux, en effet, qui s’écartent de la règle de la foi, ne se portent-ils pas au mal ? Voilà comment en cette vie, qui n’est pas, je l’ai dit, la véritable, on passe de la mort à la vie, de manière à ne pas entrer en jugement. Pourquoi ai-je dit que cette vie n’est pas encore la vie ? C’est que, si elle était la vie, le Sauveur n’aurait pas dit à quelqu’un : « Si tu veux parvenir à la vie, garde les commandements dv ». Il n’a pas dit : Si tu veux parvenir à la vie éternelle ; il n’a pas ajouté le mot : éternelle ; il s’est borné à dire : « la vie ». Cette vie-ci ne mérite donc pas d’être appelée la vie, parce qu’elle n’est point la véritable vie. Quelle est la véritable vie, sinon la vie éternelle ? Écoute l’Apôtre ; voici ce qu’il dit à Timothée : « Ordonne aux riches de ce monde de n’être point orgueilleux, de ne point mettre leur confiance en des richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant qui nous donne avec abondance ce qui est nécessaire à la vie ; d’être charitables et bienfaisants, riches en bonnes œuvres ; de donner de bon cœur, de faire part de leurs biens aux pauvres ». À quoi bon tout cela ? Écoute ce qui suit : « De se faire un trésor et un fondement solide pour l’avenir, afin d’embrasser la véritable vie dw ». Puisque les riches doivent se faire un trésor et un fondement solide pour l’avenir, afin d’embrasser la vie véritable, la vie dont ils sont aujourd’hui en possession est donc une vie fausse. Car, pourquoi vouloir embrasser la véritable vie, si déjà tu la possèdes ? Tu veux embrasser la vraie vie ? Il te faut donc sortir de la vie fausse. Par où passer ? Où aller ? Écoute et crois, et tu effectues le passage de la mort à la vie, et tu n’entres pas en jugement. 4. Que veulent dire ces paroles : Et tu ne viens pas au jugement ? Peut-il y avoir quelqu’un de meilleur que l’apôtre Paul, qui disait : « Nous devons tous comparaître au tribunal de Jésus-Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû à ses bonnes ou à ses mauvaises actions, pendant qu’il était revêtu de son corps dx ? » Paul a dit : « Nous devons tous comparaître au tribunal de Jésus-Christ » ; et toi, tu oses te promettre de ne pas venir au jugement ? – Dieu me préserve d’oser me promettre de moi-même un tel privilège : mais je crois à la parole de celui qui me l’a promis. C’est le Sauveur qui parle ; c’est la Vérité qui promet ; car le Christ m’a dit : « Celui qui écoute mes paroles et croit à celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle, et il passe de la mort à la vie, et il ne viendra pas en jugement ». J’ai donc entendu les paroles de mon Seigneur, et j’y ai cru : d’infidèle que j’étais, je suis devenu fidèle : suivant l’avis qu’il m’en a donné, je suis passé de la mort à la vie, et je ne viens pas au jugement ; et si je m’exprime ainsi, ce n’est point par l’effet de ma présomption, mais en conséquence des promesses de mon Sauveur. – Paul parle donc d’une manière différente de celle du Christ ? Le serviteur se met donc en contradiction avec son Seigneur, le disciple avec son maître, et l’homme avec Dieu ? Le Christ n’a-t-il pas dit, en effet : « Celui qui écoute et qui croit, passe de la mort à la vie, et ne viendra pas au jugement ? » D’un autre côté, à entendre l’Apôtre, « ne faut-il pas que nous comparaissions tous au tribunal de Jésus-Christ ? » En vérité, si celui-là ne vient pas en jugement, qui comparaît devant un tribunal, c’est à n’y plus rien comprendre. 5. Le Seigneur notre Dieu nous révèle et nous enseigne par ses Écritures dans quel sens nous devons entendre le mot jugement, dont il se sert. Veuillez, je vous prie, me prêter toute votre attention. Parfois le jugement s’entend dans le sens de punition, et parfois dans celui de discernement. C’est en ce dernier sens qu’il est employé dans ce passage : « Il faut que nous comparaissions tous au tribunal du Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû à ses bonnes ou à ses mauvaises actions, pendant qu’il était revêtu de son corps ». Distribuer des récompenses aux bons et des punitions aux méchants, voilà lien en quoi consiste le discernement. Si le mot jugement devait toujours être pris en mauvaise part, le Psalmiste n’aurait pas dit : « Seigneur, jugez-moi ». À entendre ces paroles du Prophète : « Jugez-moi, Seigneur », quelqu’un s’étonnera peut-être ; car l’homme a pour habitude de dire : Que Dieu me pardonne ! Seigneur, épargnez-moi ! Mais lui a-t-on jamais entendu dire : « Jugez-moi, Seigneur ? » Il arrive parfois que, dans le psaume, ce verset se répète : le lecteur le dit une fois, et le peuple le chante ensuite. Ne se laisse-t-on pas effrayer ? Ne craint-on pas de s’adresser à Dieu et de lui dire : « Jugez-moi, Seigneur ? » Non, le peuple des croyants chante ces paroles, et il ne pense nullement à se souhaiter du mal, en redisant ce qu’il a appris dans les saints livres : et quand même il ne le comprendrait point parfaitement, il suppose que ce qu’il chante est bon. Toutefois, le Psalmiste lui-même a voulu nous donner l’intelligence de ses paroles ; car il continue, et, dans le verset suivant, il nous montre de quel jugement il a parlé : il a fait allusion, non pas au jugement de condamnation, mais à celui de discernement. Il dit effectivement : « Jugez-moi, Seigneur ». Qu’est-ce à dire : « Jugez-moi, Seigneur ? Et séparez ma cause de celle d’une nation impie ». C’est donc pour ce jugement de discrétion que « nous devons comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ ». Pour le jugement de condamnation, c’est de lui qu’il s’agit dans ce passage : « Celui qui écoule mes paroles et croit à celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle, et il ne viendra pas au jugement, mais il passe de la mort à la vie ». Que veut dire : « Il ne viendra pas au jugement ? » Il ne sera pas condamné. Prouvons, d’après les Écritures, que le mot jugement a été employé dans le sens de punition : vous le verrez tout à l’heure ; dans la suite même de la leçon qui nous occupe, ce mot n’a été employé qu’avec le sens de condamnation et de punition ▼▼N 13
. Ecrivant à ceux qui profanaient le corps que vous connaissez en qualité de fidèles, l’Apôtre dit quelque part, qu’à cause de leur sacrilège, ils étaient frappés de la main de Dieu. Voici en quels termes il s’exprime : « C’est pourquoi il y en a beaucoup parmi vous qui sont malades et languissants, et plusieurs dorment profondément ». C’est pourquoi, aussi, beaucoup d’entre eux mouraient. Il ajoute : « Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés de Dieu » ; ou, en d’autres termes : Si nous nous corrigions nous-mêmes, Dieu ne nous corrigerait pas. « Mais lorsque nous sommes jugés, c’est Dieu qui nous reprend, afin que nous ne soyons pas condamnés avec le monde dz ». Il en est donc que Dieu juge ici-bas, c’est-à-dire qu’il punit afin de les épargner dans l’autre monde : il y en a d’autres qu’il épargne dans la vie présente, pour les punir plus sévèrement dans l’avenir : d’autres, encore, éprouvent de grandes peines sans être punis néanmoins, lorsque les châtiments de Dieu n’ont pu les amener au repentir ; ils ont méprisé, sur la terre, les sévères leçons de leur Père céleste, aussi subiront-ils l’arrêt de condamnation qu’il prononcera contre eux, lorsqu’il sera leur juge. À la fin du monde, il y aura donc un jugement où Dieu, c’est-à-dire le Fils de Dieu, chassera le diable et ses anges, et, avec eux, tous les fidèles et les impies ; à ce jugement ne viendra pas celui qui croit maintenant, et qui, à cause de cela, passe de la mort à la vie. 6. Cependant, ne t’imagine pas que la foi t’empêchera de mourir corporellement ; n’interprète point d’une manière charnelle les paroles du Sauveur, et ne va pas te tenir ce langage : Le Seigneur m’a dit : « Celui qui écoute mes paroles et croit à celui qui m’a envoyé, est passé de la mort à la vie ». Donc, puisque j’ai cru, je ne mourrai pas. Sache-le bien, tu mourras ; c’est une dette que tu dois payer à cause du péché d’Adam ; car il lui a été dit : « Tu mourras de mort ea ». Voilà une condamnation que nous avons alors tous encourue : impossible de nous y soustraire, Mais quand tu auras subi la mort du vieil homme, tu seras reçu dans l’éternelle vie de l’homme nouveau, et tu passeras de la mort à la vie. Pour le moment, travaille à passer à la vie. Quelle est ta vie ? La foi. « Le juste vit de la foi eb ». En quel état se trouvent les infidèles ? Dans un état de mort. Au milieu de pareils morts se trouvait corporellement celui à qui le Sauveur disait un jour : « Laisse les morts ensevelir leurs morts ec ». Il y a donc, même en cette vie, des hommes qui sont morts, et d’autres qui sont vivants ; et tous y semblent être en possession de la vie. Qui sont les morts ? Ceux qui n’ont pas cru. Qui sont les vivants ? Ceux qui ont la foi. Quel langage l’Apôtre tient-il à ceux qui sont morts ? « Lève-toi, toi qui dors » ; il parle d’un sommeil, et non d’une mort. Écoute ce qui suit : « Lève-toi, toi qui dors, et sors d’entre les morts ». Et comme si celui-ci lui disait : Où irai-je ? Paul répond : « Et le Christ t’éclairera ed ». Au moment où Jésus-Christ t’éclairera des rayons de la foi, tu passeras de la mort à la vie n puisses-tu y rester, tu ne viendras pas au jugement. 7. Voici qu’il va lui-même nous expliquer sa pensée ; il ajoute donc : « En vérité, en vérité, je vous le dis ». Il avait dit précédemment : « Il est passé de la mort à la vie ». Nous croirions peut-être pouvoir inférer de ces paroles que le Sauveur a fait allusion à la résurrection future : mais non ; aussi veut-il nous faire comprendre en quoi consiste le passage de la mort à la vie ; il veut nous faire comprendre que passer de la mort à la vie, c’est passer de l’infidélité à la foi, de l’injustice à la justice, de l’orgueil à l’humilité, de la haine à la charité ; c’est pourquoi il continue : « En vérité, en vérité, je vous le dis : l’heure vient, et elle est déjà venue ». Y a-t-il rien de plus clair ? Il est évident qu’il nous a donné la clef de ses paroles, et que ce qu’il nous a dit se fait au moment même où il s’adresse à nous : « L’heure vient ». Quelle heure ? « Et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’entendront vivront ». Nous avons déjà parlé de cette sorte de morts. Que penser, mes frères ? Dans cette multitude qui m’entend, n’y a-t-il aucun mort ? Sans doute. Ceux-là vivent et ne sont pas morts, qui croient et agissent selon la règle de la vraie foi ; mais, par contre, ceux-là doivent être évidemment comptés parmi les morts, qui ne croient pas, ou qui croient à la manière des démons ee, parce qu’ils tremblent et vivent mal ; parce que, tout en confessant le Fils de Dieu, ils n’ont pas la charité. Et, toutefois, nous en sommes encore à cette heure ; car cette heure, dont le Christ nous a parlé, n’est pas du nombre des douze heures d’un même jour. Du moment où il a parlé jusqu’au temps où nous vivons, et jusqu’à la fin du monde, il n’y aura qu’une seule heure, et elle a maintenant cours : c’est à elle que Jean fait allusion dans ce passage de son Epître : « Mes petits enfants, voici la dernière heure ef ». C’est donc l’heure présente. Que celui qui vit, vive ; que vive aussi celui qui est mort : que celui qui gisait au nombre des morts, entende la voix du Fils de Dieu, qu’il se lève et qu’il vive. Au tombeau de Lazare, le Christ a élevé la voix, et l’homme qui s’y trouvait enseveli depuis quatre jours, est ressuscité. Il sentait mauvais, et, pourtant, il est revenu à la vie de ce monde ; il était enseveli, on avait posé sur lui une pierre : néanmoins, la voix du Sauveur a pénétré au-delà de cette pierre : et ton cœur est si dur que la voix du Christ n’a pu encore le briser ? Lève-toi dans ton cœur, sors de ton sépulcre. Car tu étais mort, tu étais étendu dans ton cœur comme dans un tombeau ; semblables à une pierre, tes mauvaises habitudes pesaient sur toi. Lève-toi et sors. Qu’est-ce à dire : « Lève-toi et sors ? Crois et confesse ta croyance, car celui qui croit, ressuscite, et celui qui confesse, sort de son sépulcre. Pourquoi disons-nous que celui qui confesse sort de son tombeau ? C’est qu’avant de confesser, il n’était pas connu, tandis que, par sa confession, il quitte les ténèbres pour se montrer nu grand jour. Une fois qu’il a confessé, qu’est-ce que Dieu dit de lui à ses ministres ? Ce qu’il avait dit près du monument funèbre de Lazare : « Déliez-le et laissez-le marcher eg ». Comment cela ? Parce que le Christ a dit à ses Apôtres : « Ce que vous délierez sur la terre sera délie dans le ciel eh ». 8. « L’heure vient et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’entendront vivront. » Qui les fera vivre ? La vie. Quelle vie ? Le Christ. Comment prouver qu’ils puiseront la vie dans le Christ ? C’est qu’il a dit lui-même : « Je suis la voie, la vérité, et la vie ei ». Veux-tu marcher ? « Je suis la voie ». Veux-tu échapper à l’erreur ? « Je suis la vérité ». Veux-tu ne pas mourir ? « Je suis la vie ». Voici ce que te dit le Sauveur : Tu ne peux aller nulle part que vers moi ; tu ne peux marcher que par moi. Cette heure a donc maintenant son cours : tout ce que j’ai dit a aussi lieu ers ce moment, et ne cesse point de se faire. Les hommes qui étaient morts, ressuscitent. à la voix du Fils de Dieu, ils passent à la vie, et, par leur persévérance à croire en lui, ils vivent de lui. Car le Fils est source de vie ; et ceux qui croient en lui viennent y puiser. 9. Mais comment possède-t-il la vie en lui-même ? De la même manière que le Père la possède. Écoute-le, voici ce qu’il te, dit : Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir en lui-même la vie ». Mes frères, je vais vous expliquer de mon mieux ces paroles : elles sont évidemment de nature à porter le trouble dans les intelligences peu développées. Pourquoi le Christ a-t-il ajouté ces mots : « En lui-même ? » Il lui aurait suffi de dire : « Comme le Père a la vie, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir la vie ». Il. a ajouté : « En lui-même ». En effet, le Père a la vie en lui-même, et le Fils aussi la possède en lui-même. Par le fait que Jésus a dit : « en lui-même », il devient évident qu’il a voulu nous insinuer quelque chose ; il est sûr aussi que ces paroles renferment un sens mystérieux et caché. Frappons, et l’on nous ouvrira. O Dieu, que nous avez-vous dit ? Pourquoi avez-vous ajouté : « En lui-même ? » L’apôtre Paul, à qui vous avez communiqué la vie, ne la possédait-il pas ? Indubitablement, il la possédait. Pareillement, les morts auxquels vous rendez la vie, et qui y passent par la foi en votre parole, ne l’auront-ils pas en vous, après ce passage ? Oui, ils l’auront, car tout à l’heure j’ai moi-même expressément dit : « Celui qui écoute mes paroles et croit à Celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle ». Ceux qui croient en vous ont donc la vie éternelle : pourtant, vous n’avez pas dit qu’ils l’ont en eux-mêmes. Mais, en parlant du Père, vous avez dit : « Comme le Père a la vie en lui-même », puis vous avez ajouté relativement à vous : « Ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir en lui-même la vie ». Comme le Père a la vie, ainsi a-t-il donné au Fils de l’avoir. Où l’a-t-il ? « En lui-même ». Où a-t-il donné au Fils de l’avoir ? « En lui-même ». Où Paul l’avait-il ? Non pas en lui-même, mais dans le Christ. Et toi, fidèle, où l’as-tu ? Non pas en toi-même, mais dans le Christ. Voyons si l’Apôtre raisonne de la même manière. « Je « vis, mais ce n’est pas moi qui vis, c’est le « Christ qui vit en moi ej ». Notre vie, en tant que nôtre, c’est-à-dire en tant que résultat de notre volonté propre, ne sera jamais qu’une vie mauvaise, pécheresse et coupable ; mais notre vie bonne nous vient de Dieu et n’a point sa source en nous-mêmes : c’est Dieu qui nous la donne, et nous sommes incapables de nous la procurer. Pour le Christ, il a la vie en lui-même, comme le Père ; car il est le Verbe de Dieu. Sa vie n’est pas tantôt bonne et tantôt mauvaise, mais l’homme vit tantôt bien et tantôt mal. Celui qui vit mal vit de sa propre vie, et si l’on vit bien, c’est qu’on est passé à la vie du Christ. Avant de participer à sa vie, tu étais étranger à ce que tu as reçu depuis, et seulement susceptible de le recevoir. Quant au Fils de Dieu, il n’y a jamais eu un seul instant où il ait été privé de la vie et où il ait dû la recevoir ensuite ; car, évidemment, s’il la recevait, il ne la posséderait pas en lui-même : Quel est, en effet, le sens du mot : « En lui-même ? » C’est qu’il était la vie même. 10. Je vais vous dire une chose peut-être encore plus claire. Quelqu’un, par exemple, allume une lampe ; si tu considères la petite flamme qui se montre à cette lampe, fuseras obligé de convenir qu’elle a la lumière en elle-même ; mais, en l’absence de la lampe, tes yeux étaient comme morts et ne voyaient rien ; mais dès qu’ils l’aperçoivent, ils ont la lumière, et, toutefois, ils ne l’ont pas en eux-mêmes. S’ils se détournent de la lampe, ils sont plongés dans les ténèbres, s’ils se tournent de son côté, ils reçoivent l’éclat de ses rayons. Tant que le feu de cette lampe existe, il brille ; mais dès que lu veux lui enlever son éclat, tu l’éteins nécessairement du même coup ; car il lui est impossible de subsister, indépendamment de cet éclat. Quant au Christ, il est une lumière inextinguible, coéternelle au Père, toujours brillante, toujours resplendissante, toujours brûlante ; car si elle ne brûlait point, le Psalmiste dirait-il : « Personne ne peut se dérober à sa chaleur ek ? « Plongé dans l’iniquité, tu es froid : si tu t’approches de lui, tu te réchauffes, mais tu te refroidis aussitôt que tu t’en éloignes. Tes péchés t’environnent d’épaisses ténèbres, tourne-toi vers lui, il t’illuminera ; en lui tournant le dos, tu retomberas dans l’obscurité. Par conséquent, tu n’es par toi-même que ténèbres : et quand tu viens à être éclairé, tu n’es nullement la lumière, bien que tu sois au sein de la lumière. Aussi l’Apôtre dit-il : « Vous étiez autrefois ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur el ». Après ces mots : « Mais maintenant vous êtes lumière », il ajoute : « dans le Seigneur ». Pourquoi, lumière ? Parce que tu es entré en participation de sa lumière. Eloigne-toi de cette lumière dont les rayons se reflètent sur ta personne, tu retombes dans ta propre obscurité. Il n’en est pas ainsi du Christ, il en est tout différemment du Verbe de Dieu. Qu’en est-il donc ? « Comme le Père a la lumière en lui-même, ainsi « a-t-il donné au Fils d’avoir aussi la lumière en lui-même ». Ainsi, il vit, non parce qu’il entre en participation de la vie d’un autre, mais parce qu’il possède la vie dès toujours, parce qu’il est, par essence, la vie même. « Ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir aussi la vie ». Comme il la possède, il a donné au Fils de la posséder. Quelle différence y a-t-il entre le Père et le Fils ? C’est que l’un donne et que l’autre reçoit. Mais le Fils existait-il au moment où il a reçu ? Supposerions-nous que le Christ ait jamais pu se trouver privé de la lumière ? N’est-il pas, en effet, cette sagesse du Père, de laquelle il a été dit : « Elle est la splendeur de la lumière éternelle em ? » Ces mots : « Il a donné au Fils », ne sont, en d’autres termes, que ceux-ci : Il a engendré le Fils, et, en l’engendrant, il lui a donné. Comme il lui a donné l’être, ainsi lui a-t-il donné d’être la vie ; et il le lui a donné de manière à ce qu’il eût la vie en lui-même. Qu’est-ce à dire, qu’il eût la vie en lui-même ? c’est-à-dire, qu’au lieu de la puiser ailleurs, il en fût lui-même la plénitude, et la communiquât à tous les croyants, tant qu’ils vivraient. « Il lui a donc donné d’avoir la vie en lui-même ». Il le lui a donné eu quelle qualité ? En tant qu’il est son Verbe, Celui qui, « au commencement était le Verbe, et le Verbe en Dieu ». 11. De plus, parce que le Verbe s’est ni homme, qu’a-t-il reçu du Père en cette qualité ? « Et il lui a donné la puissance de rendre les jugements, parce qu’il est le Fils de l’homme ». En tant qu’il est Fils de Dieu, « comme le Père a la vie en lui-même, ainsi lui a-t-il donné d’avoir en lui-même ta vie » ; en tant qu’il est Fils de l’homme, le Père « lui a donné la puissance de rendre les jugements ». Voilà pourquoi j’ai dit hier à votre charité qu’au jugement on verra l’homme, mais qu’on n’apercevra pas le Dieu, et qu’après le jugement le Dieu se manifestera aux yeux de ceux qui en seront sortis victorieux, tandis qu’Il se dérobera à la vue des impies ▼▼V. Traité précédent
. En Jésus-Christ, l’homme se montrera donc au jugement, revêtu de cette forme avec laquelle il est monté an ciel et en redescendra : telle est la raison de ces paroles prononcées par lui : « Le Père ne juge personne, mais il a donné son jugement au Fils eo ». Il exprime à nouveau cette pensée, quand il dit : « Et il lui a donné la puissance de rendre les jugements, parce qu’il est Fils de l’homme ». Mais, me diras-tu, pourquoi « le Père a-t-il donné au Fils la puissance de rendre les jugements ? » Y a-t-il eu un seul instant où le Fils n’ait point possédé le pouvoir de juger ? Comment ! « Au commencement, il était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ; toutes choses ont été faites par lui ep », et il n’aurait pas eu le pouvoir de porter les jugements ? Le motif pour lequel le Père « lui a donné le pouvoir de porter les jugements est le même que celui pour lequel il a reçu ce pouvoir ; le voici : « c’est qu’il est le Fils de l’homme » ; car, en tant qu’il est Dieu, il l’a toujours eu ; mais il l’a reçu, en tant qu’il a été attaché à la croix. Celui qui est mort se trouve maintenant au sein de la vie ; quant au Verbe rie Dieu, jamais il n’a subi les atteintes du trépas ; toujours il a été vivant. 12. Au sujet de la résurrection, quelqu’un d’entre nous disait peut-être : Voilà que nous sommes ressuscités ; celui qui écoute le Christ et croit en lui, passe de la mort à la vie et ne viendra pas au jugement : l’heure vient, et elle est déjà venue, où vit celui qui écoute la voix du Fils de Dieu : il était mort, il a entendu cette voix, il est ressuscité. Pourquoi alors parler d’une autre résurrection, qui se fera plus tard ? Patience ! Ne te hâte point de parler ton jugement, car tu tomberais avec lui. Il y a d’abord la résurrection, dont nous venons de nous entretenir, et qui s’opère au temps présent. Les hommes infidèles, les pécheurs, étaient plongés dans un état de mort ; en devenant justes, ils viennent à la vie : ils passent de la mort de l’infidélité à la vie de la foi ; mais de cela tu n’es pas en droit de conclure qu’il n’y aura pas plus tard une résurrection de la chair : tu dois le croire, il y en aura une. Écoute le Sauveur : il t’a parlé de la résurrection qui se fait par la foi. De ses paroles on aurait pu conclure qu’il n’y en aura pas d’autre : par là, on serait tombé dans l’erreur et le désespoir de ces hommes qui ont perverti les pensées d’autrui « en disant que la résurrection est déjà arrivée, et qui renversent la foi de quelques-uns eq ». À mon avis, voici ce que ces hommes leur disaient : Dès lors que le Seigneur a dit : « Et celui qui croit en moi est passé de la mort à la vie », il est sûr que la résurrection a déjà eu lieu pour les hommes fidèles que l’infidélité comptait autrefois dans ses rangs : alors, comment peut-on dire qu’il y aura une autre résurrection ? Grâces soient rendues au Seigneur notre Dieu ! Il soutient ceux qui chancellent, il dirige ceux qui hésitent, il affermit ceux qui doutent. Écoute ce qu’il dit ensuite : ses paroles ne te laisseront aucune liberté de te plonger dans les ténèbres de la mort. Si tu as la foi, qu’elle soit entière. – Que dois-je croire, me diras-tu, pour croire complètement ? – Écoute ce que dit le Christ : « Ne vous étonnez pas de cela », c’est-à-dire, de ce que le Père a donné au Fils la puissance de faire le jugement : je veux dire, le jugement final. Comment cela ? « Ne vous étonnez pas de cela, car l’heure vient ». Le Sauveur n’ajoute pas : « Et elle est déjà venue ». Quand il était question de la résurrection opérée par la foi, ne disait-il pas : « L’heure vient, et elle est déjà venue ? pour celle des corps morts, il dit : « L’heure vient », et il n’ajoute pas : « Et elle est déjà venue », parce qu’elle n’arrivera qu’à la fin du monde. 13. Quelle preuve me donneras-tu pour m’assurer que, dans la pensée du Christ, il s’agissait de la résurrection des morts ? – Voici ma réponse : Écoute patiemment, et tu te donneras à toi-même cette preuve. Continuons donc : « Ne vous étonnez pas de cela, « car l’heure vient où ceux qui sont dans les « sépulcres ». Peut-on parler plus clairement de la résurrection des morts ? Jusqu’alors il n’avait pas dit : « Ceux qui sont dans les sépulcres », mais : « Les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’entendront, vivront ». Il ne dit pas : Les unis vivront, les autres seront condamnés, parce que tous ceux qui croient vivront. Quant à ce qui est des sépulcres, comment s’exprime-t-il ? « Tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix, et ils en sortiront ». Il ne dit pas : « Ils entendront et vivront ». Car s’ils se trouvent dans les tombeaux après avoir mené une vie corrompue, ils ressusciteront pour la mort, et non pour la vie. Quels seront ceux qui sortiront des sépulcres ? Voyons-le. Tout à l’heure, parce qu’ils avaient entendu et cru, les morts revenaient à la vie ; remarque-le cependant : aucune différence n’existait entre eux ; car le Sauveur n’a pas dit : Les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et lorsqu’ils l’auront entendue, les unis vivront, et les autres seront condamnés. Voici ses paroles : « Tous ceux qui auront entendu, vivront ». Car ceux qui croient, ceux qui ont la charité, vivront, et personne ne mourra. Mais, quand il s’agit des tombeaux, il s’exprime en ces termes : « Ils entendront sa voix et ceux qui auront bienfait en sortiront pour la résurrection de la vie, et ceux qui auront mal fait, pour la résurrection du jugement ». Voilà bien le jugement, voilà bien la punition dont il a parlé tout à l’heure : « Celui qui croit en moi est passé de la mort à la vie, et il ne viendra pas au jugement ». 14. « Je ne puis rien faire de moi-même ; comme j’entends, je juge, et mon jugement est juste ». Si vous jugez comme vous entendez, qui entendez-vous ? Si c’est le Père, il est sûr que « le Père ne juge personne ; mais il a donné tout jugement au Fils ». – Vous êtes donc comme le héraut du Père ! Alors, quand dites-vous ce que vous entendez ? – Ce que j’entends, je le dis, car je suis ce qu’est le Père : mon être consiste à parler, car je suis le Verbe du Père. Voilà ce que te dit le Christ. Maintenant, interprète ses paroles. Que veut dire : « Comme j’entends, je juge ? » Ceci, évidemment : Comme je suis. Car comment le Christ entend-il ? Je vous en conjure, mes frères, cherchons. Le Christ entend son Père. Comment le Père lui parle-t-il ? Il est sûr que, s’il lui parle, il lui adresse la parole ; personne, en effet, ne peut dire quelque chose à un autre sans parler. Comment donc le Père peut-il parler au Fils, puisque le Fils est le Verbe du Père ? Tout ce que le Père nous dit, il nous le dit par son Verbe. Son Verbe n’est autre que son Fils : alors, quelle autre parole peut-il adresser à sa Parole ? Dieu est un, il a un Verbe unique, et, dans cet unique Verbe, il contient tout. Quel est donc le sens de ce passage : « Comme j’entends, je juge ? » Comme je suis du Père, je juge. Donc, « mon jugement est juste ». Si vous ne faites rien de vous-même, ô Seigneur Jésus, comme l’imaginent les hommes charnels ; si vous ne faites rien de vous-même, comment avez-vous pu dire, il n’y a qu’un instant : « Ainsi, le Fils lui-même vivifie qui il veut ? » Vous dites maintenant : Je ne fais rien de moi-même, Mais sur quoi le Fils attire-t-il principalement notre attention ? Sur ce qu’il est du Père, Celui qui est du Père, n’est pas de lui-même, Que si le Fils était de lui-même, il ne serait pas le Fils : il est du Père. Pour exister, le Père n’est pas du Fils, mais le Fils est du Père. Il est égal au Père, et, néanmoins, il est de lui, tandis que le Père n’est pas du Fils. 15. « Parce que je cherche, non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé ». Le Fils unique dit : « Je ne cherche pas ma volonté », et des hommes veulent faire la leur ! Lui, qui est égal au Père, il s’humilie si profondément, et nous voyons s’élever si haut des hommes tombés si bas, et qui ne peuvent se relever sans le secours d’une main étrangère ! Faisons donc la volonté du Père, la volonté du Fils et celle du Saint-Esprit, parce qu’une est la volonté, la puissance et la majesté de la Trinité tout entière. Cependant, le Fils dit : « Je suis venu faire, non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé » ; la raison en est que le Christ est, non pas de lui-même, mais de son Père. Et s’il a paru sous la forme d’un homme, c’est qu’il a emprunté cette forme à la créature humaine qu’il avait tirée du néant. SERMON CXXIV. GUÉRISON D’UN PARALYTIQUE er.
ANALYSE. – La santé rendue à ce paralytique devait, comme la vie humaine, durer si peu, que Notre-Seigneur, évidemment avait un dessein plus relevé en opérant ce miracle. 2 voulait nous faire entendre qu’il était venu pour nous assurer le salut éternel par le mérite de sa passion. De même en effet que les paralytiques ne pouvaient trouver la santé dans la piscine qu’au moment où l’eau en était troublée, ainsi il n’y a de salut pour le genre humain que dans les souffrances endurées par le Sauveur. 1. On vient de faire retentir à nos oreilles une leçon évangélique bien sainte ; notre attention est éveillée et nous voudrions connaître ce qu’elle signifie. De moi sans doute vous en attendez l’explication et je promets de m’y employer de toutes mes forces avec l’aide du Seigneur. Il est sûr que ces miracles ne s’opéraient pas sans de grandes raisons et qu’ils se rapportaient de quelque façon au salut éternel. Combien devait durer en effet la santé corporelle rendue à ce paralytique ? « Qu’est-ce que notre vie ? demande la sainte Écriture. C’est, répond-elle, une vapeur qui paraît pour un peu de temps, et qui ensuite sera dissipée es. » Ainsi la santé corporelle rendue à ce malade, c’est une durée telle quelle assurée à. une légère vapeur, ce qu’il ne faut pas estimer beaucoup : « la santé de l’homme est chose vaine et. » Rappelez-vous aussi, mes frères, ce témoignage prophétique, et en même temps évangélique, puisqu’il est reproduit dans l’Évangile : « Toute chair est comme l’herbe, et toute sa gloire comme la fleur de l’herbe. L’herbe a séché et sa fleur est tombée ; mais le Verbe du Seigneur demeure éternellement eu. » Et ce Verbe de Dieu couvre de gloire l’herbe même, et cette gloire n’est point passagère, c’est l’immortalité conférée à la chair. 2. Auparavant, toutefois, passeront les afflictions dont nous délivre Celui à qui nous avons dit : « Secourez-nous dans la détresse ev. » Pour qui sait comprendre, en effet, cette vie n’est-elle pas tout entière un tissu d’angoissés ? L’âme y a deux bourreaux, deux bourreaux qui la torturent non pas ensemble mais alternativement. Ces deux bourreaux se nomment la crainte et la douleur. Es-tu heureux ? Tu crains. Es-tu malheureux ? Tu es dans la douleur. Est-il un homme qui ne se laisse séduire par la prospérité et abattre par l’adversité du siècle ? Il faut donc, tant que dure cette herbe vaine, se tenir dans la voie la plus sûre, s’attacher au Verbe de Dieu. Car après ces mots : « Toute chair est comme la fleur, de l’herbe », il semble, au prophète que nous demandions : Quelle espérance peut avoir ce qui n’est que de l’herbe ? Quelle durée peut avoir une fleur ? Et il répond : Mais « le Verbe de Dieu demeure éternellement. » Et ce Verbe de Dieu, comment puis-je l’atteindre ? – « Ce Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous ew. » Il te dit lui-même : Ne dédaigne pas mes promesses, puisque je n’ai pas dédaigné de me faire herbe comme toi. Or, ce que nous a accordé le Verbe de Dieu poilu nous attacher à lui et pour ne pas nous laisser passer comme la fleur de l’herbe ; ce qu’il nous a accordé en se faisant chair, en prenant une chair sans se changer en chair, en restant ce qu’il était et en s’unissant à ce qu’il n’était pas ; ce qu’il nous a accordé est représenté aussi par la piscine dont il a été question. 3. Quelques mots seulement : cette eau figurait le peuple juif, et les cinq portiques représentaient la loi donnée par Moïse en cinq livres ; et ces cinq livres étaient un frein pour ce peuple comme les cinq portiques étaient une digue pour cette eau. Si l’eau se troublait, c’était pour désigner la passion endurée par le Seigneur au milieu des Juifs. Parmi ceux qui descendaient dans la piscine, il n’y en avait qu’un pour être guéri : symbole de l’unité. Ceux qui rejettent la passion du Sauveur sont des superbes ; ils refusent de descendre, et ils ne sont pas guéris. Quoi ! dit-on, je pourrais voir un Dieu dans la chair, un Dieu né d’une femme, un Dieu crucifié, flagellé, mort, déchiré et enseveli ? Loin de moi d’avoir de telles idées sur bien ! Elles sont indignes. – Assez d’opiniâtreté, fais parler ton cœur. Le superbe regarde l’humilité comme indigne de Dieu ; c’est ce qui éloigne la guérison de ces malheureux. Ah ! ne t’élève point ; si veux guérir, descends. Ta religion devrait s’effrayer si nous disions que le Christ incarné est devenu muable. Mais la Vérité même te crie que, considéré comme Verbe, le Christ est immuable. « Au commencement, est-il dit, était le Verbe, et le Verbe était en Dieu ; » ce n’était pas la parole qui fait du bruit et qui passe, car « le Verbe était Dieu ex. » Ainsi ton Dieu demeure immuable. O piété sincère ! ton Dieu te reste ; ne crains rien, il ne périt pas, il ne te laissera pas périr non plus, il te reste. Il naît d’une femme, mais comme homme, car comme Verbe il a créé sa propre mère : lui qui était avant de naître a donné l’être à celle de qui il a reçu la vie. Il a été enfant, mais selon la chair. Il a pris le sein et il a grandi, il s’est nourri d’aliments solides et a parcouru tous les âges jusqu’à celui d’homme fait ; mais selon la chair. Il s’est fatigué et endormi, mais selon la chair. Il a souffert de la faim et de la soif, mais selon la chair. Il a été saisi, garrotté, flagellé, couvert d’outrages, enfin attaché à la croix et mis à mort, mais selon la chair. Que crains-tu ? « Le Verbe de Dieu demeure éternellement. » Repousser cette humilité d’un Dieu, c’est ne vouloir pas guérir de l’enflure mortelle de l’orgueil. 4. C’est ainsi que dans sa chair Jésus-Christ Notre-Seigneur a rendu l’espérance à la nôtre. Il s’est assujetti à ce que nous connaissions, à ce qui était commun sur cette terre, à naître et à mourir, car la naissance et la mort y étaient le partage de tous. Mais on ne rencontrait ici ni la résurrection ni l’éternelle vie. En échange donc de choses viles et terrestres, il a apporté des richesses précieuses et célestes ; et si tu redoutes sa mort, aime sa résurrection. Dans ta détresse il est venu à ton secours ; car ton salut était sans appui. Attachons-nous donc, mes frères, et appliquons-nous à ce salut que le monde ne saurait donner et qui est éternel ; vivons ici comme des étrangers : Songeons que nous ne faisons qu’y passer, et nous pécherons moins. Au lieu de nous plaindre rendons plutôt grâces au Seigneur notre Dieu, de ce qu’il a voulu que le dernier jour de la vie fût à la fois rapproché et incertain. Qu’importait à Adam d’avoir vécu jusqu’ici, s’il était mort aujourd’hui ? Peut-on 'appeler long ce qui finit ? Nul ne peut rappeler le jour d’hier, et demain pèse sur aujourd’hui afin de le faire disparaître. Puisque nous sommes ici pour si peu de temps, appliquons-nous à bien vivre, afin d’arriver au lieu d’on nous ne sortirons plus. Maintenant même, pendant que nous parlons, nous marchons. Les paroles se précipitent et les heures s’envolent : ainsi en est il de toute notre vie, de tous nos actes, de nos honneurs, de nos adversités et de nos prospérités présentes. Tout passe ; mais ne craignons pas : « Le Verbe de Dieu demeure éternellement. » Tournons-nous vers le Seigneur, etc.SERMON CXXV. MALADE DE TRENTE-HUIT ANS ey.
ANALYSE. – Saint Augustin rappelle qu’il a déjà traité ce sujet. C’est effectivement l’objet du précédent discours. Il est probable toutefois que ce n’est pas à celui-ci que le saint Docteur fait allusion, attendu qu’on n’y trouve pas ce qu’il rappelle avoir dit. Ici en effet il explique bien plus longuement le sens figuré des circonstances qui ont accompagné la guérison du malade de trente-huit ans. – Les cinq portiques où gisaient les malades, représentent les cinq livres de la loi mosaïque, qui faisaient connaître les péchés sans pouvoir guérir les pécheurs. – L’eau dans les saints livres est le symbole du peuple, dont l’émotion s’élève si facilement et le mouvement imprimé à l’eau de la piscine représente le trouble et l’agitation du peuple juif lorsque descendit dans ses rangs l’Ange du grand conseil. On voit ici même que ce qui émut les Juifs c’est ce que le Sauveur dit du sabbat et de son égalité personnelle avec son Père. – Le malade guéri avait trente-huit ans. Le nombre quarante est le chiffre de la perfection : En jeûnant quarante jours, Moïse, Élie et le Sauveur ont voulu nous apprendre que la perfection consiste d’abord à s’abstenir de l’amour déréglé des choses du siècle. L’amour étant comme la main du cœur ne saurait tenir, saisir les biens éternels, s’il est rempli des biens temporels : Mais le malade n’avait pas quarante ans, il lui en manquait deux. C’est qu’il manque aux pécheurs dont il était la figure le double amour, tant recommandé, de Dieu et du prochain. – Ainsi donc, détachons-nous de la terre et attachons-nous à Dieu. 1. En répétant ce qui n’est nouveau ni à votre oreille ni à votre cœur, nous allons ranimer vos sentiments et réveiller des souvenirs qui nous renouvellent en quelque sorte : Ne vous fatiguez pas d’entendre encore ce que vous connaissez déjà, car ce qui vient du Seigneur est toujours plein de douceur. Il en est de l’explication des divines Écritures comme de la divine Écriture elle-même. Si bien que l’on connaisse les Écritures, on les lit pour se les rappeler ; ainsi faut-il s’en rappeler l’interprétation afin de la faire connaître à ceux qui peuvent ne l’avoir pas entendue, afin d’en faire revivre l’idée si elle est éteinte dans quelques-uns, et de mettre dans l’impossibilité de l’oublier ceux donc la mémoire est fidèle. Il nous souvient donc d’avoir entretenu déjà votre charité de ce passage de l’Évangile. Mais si nous n’avons point hésité de vous le relire, nous n’hésitons pas non plus de vous en redire l’explication. « Vous écrire les mêmes choses », dit l’Apôtre dans l’une de ses Épîtres, « n’est pas pénible pour moi, et c’est nécessaire pour vous » ez. Vous parler des mêmes choses, vous dirai-je à son exemple, ne me coûte pas et c’est pour vous une précaution sûre. 2. Les cinq portiques où gisaient les malades, désignent la Loi qui fut donnée primitivement aux Juifs et au peuple d’Israël, par le ministère de Moïse, le serviteur de Dieu. Ce fut en effet Moïse, le promulgateur de la Loi, qui en écrivit les cinq livres, figurés par les cinq portiques de la piscine. – Cependant la Loi n’était par destinée à guérir les malades ; elle devait seulement les découvrir et les faire connaître. « Si la Loi avait été donnée, dit l’Apôtre saint Paul, afin de pouvoir vivifier, « la justice viendrait vraiment de la Loi : mais l’Écriture a tout renfermé sous le péché, afin que la promesse fût accomplie par la foi en Jésus-Christ en faveur des croyants fa. » C’est donc pour ce motif que les malades gisaient sous les portiques sans y trouver leur guérison. N’est-ce pas le sens de l’Apôtre ? « Si la Loi avait été donnée afin de pouvoir vivifier ? » Ainsi ces portiques qui rappelaient la Loi, ne pouvaient guérir les malades. Pourquoi alors, me dira-t-on, Dieu a-t-il donné cette Loi ? Le même Apôtre l’explique. « L’Écriture, dit-il, a tout renfermé sous le péché, afin que la promesse fût accomplie par la foi en Jésus-Christ, en faveur des croyants. » Les malades alors se croyaient en santé. On leur donna une loi qu’ils ne pouvaient observer ; ils apprirent ainsi combien ils étaient frappés, ils implorèrent le secours du médecin, et ce désir de guérison venait en eux de ce qu’ils se sentaient malades en se sentant incapables d’accomplir la Loi qu’ils avaient reçue. L’homme auparavant se croyait innocent et cet orgueil trompeur ne faisait qu’aggraver son état. Afin donc de dompter cet orgueil et de le mettre à nu, Dieu donna sa Loi ; la Loi n’avait pas pour but de guérir le malade, mais de convaincre le superbe. Que votre charité remarque ceci avec soin : ce fut pour dévoiler et non pour enlever le mal que Dieu donna sa Loi. C’est ainsi que ces malades dont parle l’Évangile, auraient pu tenir leurs infirmités plus cachées en restant dans leurs demeures ; mais ils se montraient à tous en se tenant sous ces portiques, qui néanmoins ne les guérissaient pas.L'avantage de cette manifestation des péchés par la Loi consistait en ce que devenu plus coupable pour l’avoir violée, le pécheur sentait son orgueil abattu et pouvait implorer le secours de la miséricorde divine. Écoutez l’Apôtre : « La Loi est survenue, dit-il, afin que le péché abondât ; mais où le péché a abondé, a surabondé la grâce fb. » Que signifie : « La loi est survenue afin que le péché abondât ? » Ce qui est exprimé dans cet autre passage : « Où il n’y a point de loi, il n’y a point non plus de prévarication fc. » Avant la Loi, on pouvait appeler l’homme pécheur, mais non pas prévaricateur : tandis qu’après la Loi il est en même temps pécheur et prévaricateur ; et la prévarication s’ajoutant au péché, on conçoit comment l’iniquité a abondé. L’iniquité abondant ainsi, l’orgueil humain apprend enfin à s’abaisser, à. bénir Dieu et à lui dire : « Je suis malade ; fd » à répéter aussi ces mots d’un autre psaume qui ne conviennent qu’à un cœur humilié : « J’ai dit : Seigneur, ayez pitié de moi, guérissez mon âme car j’ai péché contre vous fe. » Parle donc ainsi, âme malade, convaincue de ton infirmité au moins par tes prévarications, éclairée et non guérie par la Loi. Écoute encore Paul lui-même : il te montrera d’un côté que la Loi est bonne, et d’autre part qu’elle ne délivre du péché que par la grâce du Christ. La Loi peut bien défendre et commander : elle ne saurait présenter le remède nécessaire pour guérir le vice intérieur qui ne permet pas à l’homme d’observer la Loi ; pour cela la grâce est nécessaire. « Je me complais dans la loi de Dieu selon l’homme intérieur », dit l’Apôtre : ce qui signifie : Je vois que ce que défend la Loi est mal, et que ce qu’elle ordonne est bien. « Je me complais donc dans la loi de Dieu selon l’homme intérieur. Mais je vois dans mes membres une autre loi qui combat la loi de mon esprit et qui me captive sous la loi du péché. » C’est le châtiment du péché, c’est la mort qui se communique, c’est la condamnation encourue par Adam qui résiste à la loi de mon esprit, et m’assujettit à la loi du péché se faisant sentir dans mes membres. Voilà un homme convaincu, c’est à la loi qu’il est redevable de cette conviction : vois, maintenant combien cette conviction lui est salutaire. « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ? La grâce de Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur ff. » 3. Remarquez le bien : ces portiques figuraient la Loi, ils mettaient le mal au grand jour, et n’y appliquaient pas le remède. Qui donc guérissait de ces malheureux ? Celui d’entre eux qui descendait dans la piscine. Et quand y descendait-il ? Lorsque l’ange l’en avertissait en mettant l’eau en mouvement. Ce lieu en effet était si saint, qu’un ange y venait remuer l’eau. Les hommes voyaient cette eau dont le mouvement les avertissait de la présence de l’ange ; et quiconque y descendait alors se trouvait guéri. Pourquoi donc notre malade ne l’était-il pas encore ? Examinons ses paroles : « Je n’ai personne pour me mettre dans la piscine lorsque l’eau est agitée ; et lorsque j’y vais un autre y descend. » Mais ne saurais-tu donc y descendre quand avant toi un autre y est descendu ? Son langage indique qu’il n’y avait qu’un seul malade pour guérir, lorsque l’eau était en mouvement. Quiconque y descendait le premier était seul guéri, et quelque fût celui qui y serait descendu ensuite, il ne recouvrait pas alors la santé, mais il attendait que l’eau fût agitée de nouveau. Que signifie ce mystère ? Cette circonstance n’est pas ici sans raison profonde. Que votre charité redouble d’attention. Dans l’Apocalypse, les eaux figurent les peuples. En effet, Jean ayant vu de grandes eaux, demanda ce qu’elles signifiaient, et il lui fut répondu que ces eaux étaient des peuples fg. L’eau de la piscine désignait donc le peuple juif ; ce peuple était contenu par l’autorité des cinq livres de Moïse, comme cette eau était contenue dans l’enceinte des cinq portiques. À quel moment se troubla cette eau ? Au moment où le trouble se mit parmi les Juifs. Et quand se mit-il parmi eux, sinon à l’époque où y vint Jésus-Christ Notre-Seigneur ? Quel trouble au moment de la passion ! Quelle émotion parmi les Juifs quand le Sauveur endura les derniers supplices ! Ce trouble ne se remarque-t-il pas déjà dans ce qu’on vient de lire ? Les Juifs en effet voulaient mettre le Seigneur à mort, non – seulement parce qu’il faisait des miracles aux jours de sabbat, mais encore parce qu’il se disait Fils de Dieu en s’établissant l’égal de Dieu. Jésus effectivement prenait ce titre de Fils de Dieu autrement qu’il n’est accordé aux hommes dans ces mots : « J’ai dit : Vous êtes des dieux ; vous êtes tous les Fils du Très-Haut. fh. » Car s’il ne se disait Fils de Dieu que dans le sens qui permet de donner ce nom à un homme quel qu’il soit quand il a la grâce, les Juifs n’entreraient point en fureur. Mais ils comprenaient que Jésus se disait Fils de Dieu autrement, dans le sens de ces paroles : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu fi ; » dans le sens aussi de ce texte de l’Apôtre : « Il avait la nature de Dieu, et il n’a point cru usurper en se faisant l’égal de Dieu fj ; » et voyant en lui un homme, ils s’irritaient de ce qu’il osait revendiquer cette égalité avec Dieu. Mais Jésus se savait l’égal de Dieu par un côté qui ne tombait point sous les yeux des Juifs. Ceux-ci voulaient crucifier ce qu’ils voyaient en lui ; ce qu’ils n’y voyaient pas les jugeait. Que voyaient-ils ? Ce que voyaient aussi les Apôtres quand Philippe lui dit : « Montrez-nous votre Père, et cela nous suffit. » Et que ne voyaient-ils pas ? Ce que ne voyaient pas les Apôtres eux-mêmes quand le Seigneur répondit : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas ! Qui me voit, voit aussi mon Père fk. » Dans l’impuissance donc de le voir de cette sorte, les Juifs le considéraient comme un orgueilleux et un impie qui osait se faire l’égal de Dieu.C'était l’eau qui se troublait ; l’Ange y était descendu. Aussi bien le Seigneur est-il nommé « l’Ange du grand conseil fl », car il est venu annoncer la volonté de son Père. Ange signifie celui qui annonce ; et le Seigneur n’a-t-il pas dit qu’il nous annonçait le royaume des cieux ? Cet Ange du grand conseil, ou plutôt ce Seigneur de tous les Anges était donc descendu ; car s’il est appelé Ange pour s’être incarné ; il est le Seigneur des anges, puisque « tout a été fait par « lui et que sans lui rien ne l’a été fm. » Tout, et par conséquent les anges, mais non pas lui, car c’est par lui qu’a été fait tout ce qui l’est. Orrien de ce qui a été fait ne l’ayant été sans lui, Celle qui était réservée à devenir sa mèren'a pu naître sans être créée par Celui qui plus tard devait naître d’elle-même. 4. Les Juifs donc se troublent. Qu’est-ce que cette conduite, disent-ils ? Pourquoi fait-il ces choses les jours de sabbat ? Ce qui les émeut par-dessus tout, ce sont ces paroles du Seigneur lui-même : « Mon Père travaille sans cesse, et moi je travaille avec lui. » Ce qui les scandalisait, c’est qu’ils comprenaient dans un sens tout charnel le repos que Dieu prit le septième jour après avoir achevé toutes ses œuvres fn. Il est parlé de ce repos dans la Genèse ; c’est un passage aussi magnifiquement écrit que profondément pensé. Mais les Juifs s’imaginaient que si Dieu s’était reposé le septième jour, c’est qu’il s’était fatigué en travaillant, et que s’il avait béni ce jour, c’est qu’il s’y était remis de sa lassitude : insensés ! ils ne comprenaient pas qu’ayant tout fait d’un mot il n’avait pu se fatiguer. Qu’ils lisent, et qu’ils m’expliquent comment Dieu pouvait se fatiguer en disant : « Qu’il soit fait. » – « Et il était fait : » Parmi les hommes eux-mêmes, qui se fatiguerait aujourd’hui en agissant comme Dieu agissait alors ? « Il dit : Que la lumière soit, et la lumière fut. » – « Soit le firmament, et le firmament fut formé fo. » Dira-t-on qu’il s’est fatigué parce qu’il a commandé sans être obéi ? L’Écriture répond ailleurs plus brièvement encore : « Il dit, et tout fat fait ; il commanda, et tout fut créé fp. » Agir ainsi, est-ce se fatiguer ? Si néanmoins Dieu ne se fatigue pas, comment prend-il du repos ? C’est que ce repos que prend le Seigneur après avoir terminé tous ses ouvrages, est la figure du repos que nous goûterons dans le repos de Dieu ; car le fidèle sera comme en un jour de sabbat, lorsqu’auront passé les six âges du monde. Ces six âges en effet sont comme six jours. Le premier jour s’étend depuis Adam jusqu’à Noé ; le second, du déluge à Abraham ; le troisième, d’Abraham à David ; le quatrième, de David à la transmigration de Babylone ; le cinquième, de la transmigration de Babylone à l’avènement du Messie. Nous sommes au sixième jour, c’est-à-dire au sixième âge. Donc, puisqu’au sixième jour l’homme a été créé à l’image de Dieu, rétablissons en nous cette image fq. Dieu nous a formés, à nous de nous réformer ; il nous a créés, créons-nous de nouveau. Et après ce jour, après l’âge que nous traversons maintenant, viendra le repos promis aux saints et figuré dès le commencement. Ainsi Dieu, après avoir produit toutes ses créatures ne fit plus rien de nouveau dans le monde, où ses œuvres ne font que se succéder et se transformer, sans qu’aucune espèce nouvelle se soit établie depuis la création. Toutefois, si le monde n’était régi par son auteur, il retomberait dans le néant, Dieu peut-il se refuser à conduire ce qu’il a créé ? Mais comme il n’a rien établi de nouveau, on dit pour ce motif qu’il s’est reposé de tous ses travaux ; et comme il ne cesse de gouverner ce qu’il a fait, le Seigneur a dit avec raison : « Mon Père agit sans cesse. » Que votre charité remarque bien ceci. Quand on répète que Dieu s’est reposé après avoir fini, on veut faire entendre qu’il n’a rien ajouté à ce qu’il a fait d’abord : et quand on dit qu’il ne cesse pas d’agir, on entend qu’il gouverne tout. Gouvernement aussi peu laborieux que l’était peu la création. Gardez-vous de croire en effet, mes frères, que si Dieu ne se fatiguait en créant, il se fatigue en gouvernant comme se fatiguent et ceux qui construisent et ceux qui conduisent un navire. Ils sont des hommes ; mais autant il a été facile à Dieu de tout créer par sa parole, autant il lui est aisé de gouverner tout par l’autorité de son jugement et par son Verbe. 5. Si le désordre se révèle dans les choses humaines, n’en concluons pas qu’elles manquent de direction. Chacun est à sa place, quoique chacun n’y croie pas être. Occupe-toi seulement de ce que tu veux être ; car le divin Ouvrier saura te placer en conséquence. Considère ce peintre voici devant lui diverses couleurs ; ne sait-il pas où placer chacune ? Et si le pécheur prend le noir pour lui, l’Artiste est-il embarrassé ? Que ne fait-il pas avec le noir ? A combien d’ornements ne l’emploie-t-il pas ? Il en fait les cheveux, la barbe, les sourcils ; mais pour le front il lui faut du blanc. Vois donc ce que tu veux devenir, et ne t’inquiète pas de savoir où te placera Celui qui ne se trompe jamais ; il le sait, lui. N’est-ce pas ce que nous apprennent aussi les lois de ce monde ? Un tel a voulu se rendre voleur avec effraction ; la loi de l’empire sait qu’elle a été outragée par lui, elle sait aussi ce qu’elle en fera, et elle le met parfaitement à sa place. Le coupable a mal fait, mais la loi qui le punit ne fait pas plat ; elle le condamne aux mines, et à combien d’œuvres ne l’emploiera-t-elle pas ? Son châtiment servira aux décorations de la ville. Dieu sait également où te placer. Ne t’imagine point qu’en voulant faire le mal tu troubles les desseins de Dieu. Quoi Celui qui a su te créer, ne saura te placer ? Ton avantage est de faire des efforts afin d’obtenir d’être en bon lieu. Qu’est-il dit de Juda par l’Apôtre Pierre ? « Il est allé en son lieu fr. » Ainsi l’a ordonné la divine providence pour le punir d’avoir voulu opiniâtrement faire le mal, sans que Dieu lui-même l’ait rendu mauvais. Ce malheureux a voulu être pécheur, il a fait comme il a voulu, mais il a souffert ce qu’il ne voulait pas. Son crime est d’avoir fait ce qu’il voulait ; la gloire de Dieu est de lui avoir fait souffrir ce qu’il ne voulait pas. 6. Pourquoi ces réflexions ? Afin de vous faire comprendre, mes frères, combien Jésus-Christ Notre-Seigneur avait raison de dire : « Mon Père agit sans cesse », puisqu’il ne délaisse pas la créature sortie de ses mains. En ajoutant : « Et moi j’agis comme lui », il indique qu’il est l’égal de Dieu. « Mon Père agit sans cesse, et moi j’agis avec lui. » Ainsi est combattue l’idée charnelle que les Juifs se faisaient du sabbat. Ils s’imaginaient donc que Dieu s’était reposé de ses fatigues pour ne plus rien faire. Mais à ces mots : « Mon Père agit sans cesse », ils se troublent ; et à ceux-ci qui montrent le Sauveur égal à Dieu « Et moi j’agis avec lui », ils se troublent encore. Ah ! ne craignez point. C’est l’eau qui se trouble, c’est un malade qui doit être guéri. Qu’est-ce à dire ? Le trouble où ils entrent conduira le Seigneur à la mort. Le Seigneur souffre en effet son sang, précieux est répandu, le pécheur est racheté et la grâce accordée au coupable qui s’écrie. « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ? C’est la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre Seigneur fs. » Et quel traitement lui fait-on suivre ? On l’oblige à descendre. Cette piscine était en effet construite de manière qu’il fallait y descendre au lieu d’y monter. Pourquoi avait-elle cette forme ? Parce que la passion du Sauveur exige l’humilité. Humble, descends, et si tu veux être guéri, garde-toi de l’orgueil. Pourquoi aussi n’y avait-il qu’un malade pour guérir ? Parce qu’il n’y a qu’une seule Église dans tout l’univers, c’est une recommandation en faveur de l’unité ; cette guérison accordée à un seul en est le symbole. Vois donc ici l’unité, et pour ne rester pas malade, garde-toi de t’en écarter. 7. Pourquoi maintenant ce malade avait-il trente-huit ans ? Je sais ; mes frères, que j’en ai déjà dit la raison ; mais si on oublie en lisant le texte, que ne fait-on pas lorsqu’on ne l’entend lire que rarement ? Que votre charité fasse donc encore un peu d’attention. Le nombre quarante figure la perfection de la justice. En effet, comme nous vivons ici au milieu des travaux, dans la détresse, dans la contrainte, dans le jeune, parmi les veilles et les afflictions, l’exercice de la justice consiste à supporter le poids de la vie, et à jeûner en quelque sorte en renonçant au siècle, à se priver, non pas des aliments corporels, ce que nous ne faisons que rarement, mais de l’amour du monde. Ainsi on accomplit la loi quand on renonce au siècle. Comment d’ailleurs aimer ce qui est éternel, si on ne cesse d’aimer ce qui est temporel ? Considérez l’amour naturel : n’est-il pas comme la main du cœur ? Si cette main tient un objet, elle ne saurait en tenir un autre, et pour recevoir ce qu’on lui donne, il faut qu’elle laisse ce qu’elle tient. Eh bien ! entendez-moi, je parle clairement. Celui qui aime le siècle ne saurait aimer Dieu, car il a la main pleine. Prends ce que je te donne, dit le Seigneur. Mais il ne veut pas jeter ce qu’il avait à la main ; et il ne saurait recevoir ce qu’on lui offre. Ai-je dit : Que personne ne possède rien ? Si on le peut, si la perfection de la justice l’exige ainsi, qu’on renonce à tout. Mais si on n’en est point capable, si l’on en est empêché, par quelque obstacle insurmontable, qu’on possède, mais sans se laisser posséder, qu’on retienne, mais sans être retenu : qu’on reste le maître et non l’esclave de son bien, conformément à cette recommandation de l’Apôtre : « D’ailleurs, mes frères, le temps est court ; il faut même que ceux qui ont des femmes soient comme n’en ayant pas ; et ceux qui achètent, comme ne possédant pas ; et ceux qui se réjouissent, comme ne se réjouissant pas ; et ceux qui pleurent, comme ne pleurant pas ; et ceux qui usent de ce monde, comme n’en usant pas ; car elle passe, la figure de ce monde, et je voudrais que vous fussiez exempts de soucis ft. » Que signifie cet avertissement : Prends garde d’aimer ce que tu possèdes en cette vie ? Que ta main n’y soit pas liée, puisque c’est par elle que tu dois te saisir de Dieu ; que ton amour n’y soit point attaché, puisque c’est par lui que tu peux t’élancer vers Dieu et t’unir à ton Créateur. 8. Mais Dieu sait, répliques-tu, que je ne me rends point coupable en possédant ce que j’ai. La tentation le montrera : On te conteste ta propriété, et tu blasphèmes ! Nous avons été soumis, il y a peu de temps, à de semblables épreuves. Donc on te conteste ta propriété, et – tu né te montres plus le même qu’auparavant ! tu ne parles même plus comme tu parlais la veille ! Encore si tu te contentais de défendre même avec bruit ce qui t’appartient, sans faire effort pour usurper audacieusement le bien d’autrui, et ce qui est pire, sans recourir, pour échapper aux poursuites, au moyen de revendiquer comme ton bien ce qui n’est pas à toi. Est-il nécessaire d’en dire davantage ? Ce sont, mes frères, ce sont des avis et des avis maternels, que je vous donne. Dieu me le commande ; et je vous les transmets ; car ils me sont donnés comme à vous. La parole de Dieu m’effraie, elle ne me permet pas de garder le silence. Dieu réclame ce qu’il m’a donné ; il me l’a donné pour le distribuer, et si je le cachais pour le conserver, il me dirait bientôt : « Mauvais et paresseux serviteur, pourquoi n’as-tu pas donné mon argent au banquier ? En venant aujourd’hui je le redemanderais avec les intérêts fu. » Et que me servira de n’avoir rien perdu de ce qui m’a été confié ? Ce n’est pas assez pour mon Maître, car il est avare mais avare pour notre salut. Oui, il est avare, partout il recherche ses deniers, il rassemble ce qui porte son image. « Tu devais, dit-il ; donner cet argent aux banquiers, et en venant aujourd’hui je le redemanderais avec les intérêts. » Quand même d’ailleurs, j’oublierais de vous prévenir, les épreuves et les calamités que nous subissons ne seraient-elles pas pour vous un avertissement ? Mais vous entendez la parole de Dieu. Que le Seigneur en soit béni, lui et sa gloire. Je vous vois réunis et suspendus aux lèvres de celui qui nous la dispense au nom du ciel. Ne faites pas attention à l’organe extérieur qui vous la distribue ; les affamés ne s’occupent-ils pas plutôt de la bonté des aliments que du peu de valeur du vase où ils leur sont présentés ? Dieu vous éprouve, et réunis ici, vous entendez sa parole. Mais l’épreuve même fera connaître quelles sont vos dispositions ; il vous surviendra des affaires qui montreront ce que vous êtes. Tel outrage Dieu bruyamment aujourd’hui, qui l’écoutait hier avec plaisir. Pour ce motif donc, mes frères, je vous avertis d’avance, je vous dis et je vous répète que le moment de l’examen viendra. « Le Seigneur, dit l’Écriture, examinera le juste et l’impie. » Ne venez-vous pas de chanter, n’avons-nous pas chanté ensemble : « Le Seigneur examine le juste et l’impie ? » Qu’est-il dit ensuite : « Mais celui qui aime l’iniquité hait son âme fv ? » Ailleurs encore nous lisons : « L’impie sera interrogé sur ses pensées fw. » Ainsi Dieu n’interroge pas comme je t’interroge. J’interroge ta parole, et Dieu interroge ta pensée. 2 sait avec quelles dispositions tu m’écoutes, il sait également avec quelle rigueur il réclamera ce qu’il m’oblige de distribuer. Il veuf que je distribue, mais il se réserve de faire rendre compte. À nous d’avertir, d’enseigner, de rependre mais non pas de sauver et de couronner, ni de condamner ni de jeter dans les tourments. C’est le juge qui livrera le coupable au bourreau, et celui-ci le jettera en prison. « En vérité, je te le déclare, tu n’en sortiras pas que tu n’aies payé jusqu’au dernier quart d’un as fx. » 9. Revenons à notre sujet. La perfection de la justice est figurée parle nombre quarante. Qu’est-ce qu’accomplir ce nombre ? C’est s’abstenir de l’amour du siècle ; et s’abstenir des choses temporelles pour éviter de les aimer d’une manière dangereuse, c’est en quelque sorte jeûner. Aussi le Seigneur, Moïse et Élie ont jeûné quarante jours fy. Si le Seigneur a donné à ses serviteurs de pouvoir jeûner quarante jours, ne pouvait-il en jeûner lui-même quatre-vingts et même cent ? Pourquoi n’a-t-il pas voulu jeûner plus longtemps qu’eux, sinon parce que le nombre quarante est la figure mystérieuse du jeune dont nous parlons, du renoncement au siècle ? En quoi consiste ce renoncement ? Dans ce que dit l’Apôtre : « Le monde est pour moi un crucifié et je suis un crucifié pour le monde fz. » Ainsi se réalise en lui la signification du nombre quarante. Mais enfin que prétend le Seigneur ? Moïse et Élie ayant jeune autant que le Christ, la loi et les prophètes publient le même enseignement que l’Évangile, et l’on ne doit pas voir dans celui-ci le contraire de ce que renferment les prophètes et la loi. Toutes les Écritures en effet ne recommandent que de renoncer à l’amour du siècle, afin de faire prendre à notre amour son essor vers Dieu. Cette espèce de jeûne est figurée dans la loi par le jeune de Moïse durant quarante jours ; dans les prophètes, par le jeûne d’Élie, durant quarante jours également ; dans l’Évangile, par le jeune du Seigneur, aussi de quarante jours. Ceci explique encore pourquoi le Seigneur apparut sur la montagne, ayant à ses côtés Moïse et Élie. C’est que la loi et les prophètes rendent témoignage à l’Évangile ga. Examinons maintenant comment le nombre quarante exprime la perfection de la justice. On lit dans un psaume. « Je vous chanterai, Seigneur, un cantique nouveau ; je vous célébrerai sur le psaltérion à dix cordes gb. » Ce psaltérion rappelle les dix préceptes de la loi que le Seigneur n’est pas venu abroger, mais perfectionner. De plus cette Loi étant répandue partout a comme quatre points d’appui, l’Orient et l’Occident, le midi et l’aquilon, comme parle l’Écriture. De là vient que ce vase mystérieux, où étaient en images toutes les espèces d’animaux, et qui fut montré à Pierre en même temps qu’une voix disait : « Tue et mange ; gc » afin de faire connaître que tous les peuples devaient croire et être incorporés à l’Église, comme ce que nous mangeons devient partie de nos organes ; descendait du haut du ciel soutenu par quatre cordes représentant les quatre parties du monde et marquait ainsi la future conversion de l’univers entier. C’est ainsi que le nombre quarante exprime le renoncement au siècle. Ce renoncement comprend la plénitude qui consiste elle-même dans la charité. De là vient encore que nous jeûnons durant quarante jours avant Pâques. Ce jeune est la figure de cette vie pénible où il nous faut accomplir la loi au milieu des travaux, des afflictions et des privations de tout genre. Après Pâques, au contraire, c’est-à-dire après la résurrection du Seigneur, c’est une époque qui représenté notre propre résurrection. Cette époque comprend cinquante jours, parce qu’en ajoutant à quarante le denier ou les dix as de la récompense, on obtient la somme de cinquante. Pourquoi dire le denier de la récompense ? Mais n’avez-vous pas lu que les ouvriers appelés à la vigne, soit à la première, soit à la sixième, soit à la dernière heure, n’ont pu recevoir qu’un denier gd ? Lors donc que notre justice aura reçu sa récompense, nous serons au nombre cinquante. Nous n’aurons plus qu’à louer Dieu. Aussi chanterons-nous alors l’Alléluia, Alleluia ou louange à Dieu. Mais aujourd’hui, durant cette vie fragile et mortelle, durant cette quarantaine, gémissons dans la prière comme avant la résurrection, afin de louer Dieu plus tard. C’est maintenant l’époque des désirs, ce sera alors le temps des embrassements et des jouissances. Ne manquons pas à notre devoir pendant la quarantaine, afin de goûter le bonheur durant la cinquantaine. 10. Mais qui peut accomplir la loi sans avoir la charité ? Interroge l’Apôtre : « La charité, dit-il, est la plénitude de la loi ge. » – « Car toute la loi est renfermée dans une seule parole, dans la suivante : Tu aimeras ton prochain comme toi-même gf. » Et ce précepte de la charité est double. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, et de toute ton âme, et de tout ton esprit. Voilà le grand précepte. En voici un autre qui lui ressemble : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Ainsi parle le Seigneur dans l’Évangile, et il ajoute : « À ces deux commandements se rattachent toute la loi et les prophètes gg. » Sans cette double charité on ne saurait accomplir la loi, et en ne l’accomplissant pas on est malade. Voilà pourquoi il manquait deux ans à ce malade qui l’était depuis trente-huit. Qu’est-ce à dire, il lui manquait deux ans ? C’est-à-dire qu’il n’accomplissait pas ces deux préceptes. Et que sert d’observer les autres si on n’observe pas ceux-ci ? Tu en accomplis trente-huit ? Sans ces deux points de récompense pour toi. Ces deux que tu violes sont ceux qui mènent au salut et sans lesquels les autres n’ont aucun mérite. « Quand je parlerai les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, je suis comme un airain sonnant ou une cymbale retentissante. Et quand je connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand j’aurais toute la foi, au point de transporter les montagnes, si je n’ai point la charité, je ne suis rien. Et quand je distribuerais tout mon bien, et que je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai point la charité, cela ne me sert de rien gh. » Ainsi parle l’Apôtre, et tout ce qu’il énumère ici peut être considéré comme les trente-huit ans ; mais parce que la charité y fait défaut, ce n’en est pas moins un état de maladie. Qui en délivrera, sinon Celui qui est venu donner la charité ? « Voici de ma part, a-t-il dit, un commandement nouveau ; c’est que vous vous aimiez les uns les autres gi. » Or, c’est parce qu’il est venu établir le règne de la charité, et parce que la charité perfectionne la loi, qu’il a pu dire : « Je ne suis pas venu pour abroger, mais pour achever la loi gj. » Après avoir guéri notre malade, il lui dit d’emporter son grabat et d’aller chez lui. Il en dit autant au paralytique, après l’avoir rendu à la santé gk. Mais qu’est-ce qu’emporter son grabat ? N’est-ce pas rejeter les voluptés charnelles où nous gisons malades comme dans un lit ? Or quand on est guéri, on maîtrise et on dompte sa chair, au lieu d’être maîtrisé par elle. Toi donc qui es en bonne santé, surmonte la fragilité de la chair, accomplis le jeûne de quarante jours en renonçant au siècle, tu atteindras ainsi la quarantaine avec cet heureux malade, guéri par celui qui n’est pas venu abroger, mais achever la loi. 11. Après avoir entendu ces réflexions ; élevez vos cœurs vers Dieu. Né vous faites pas illusion. Examinez-vous quand le monde vous sourit, examinez alors si vous ne l’aimez pas, et apprenez à le quitter avant qu’il vous quitte. Qu’est-ce que le quitter ? C’est ne l’aimer pas véritablement. Pendant que tu tiens encore ce qu’il te faudra quitter ou pendant la vie ou au moment de la mort, car tu ne saurais le garder toujours, détaches-en ton cœur, sois prêt à tout ce que te demandera la volonté divine, tiens-toi comme suspendu à Dieu, tiens-toi uni à Celui que tu ne saurais perdre malgré toi, et s’il t’arrive d’être dépouillé de ces choses temporelles, tu pourras dire : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté ; comme il a plu au Seigneur, il a été fait : Que le nom du Seigneur soit béni gl. » S’il arrive au contraire, si Dieu veut que tu conserves ces biens, jusqu’à la fin de ta vie, une fois sorti des liens de ce monde, tu recevras le denier de la cinquantaine, tu parviendras au parfait bonheur. Et tu ne cesseras de chanter le céleste Alleluia Ne perdez pas de vue ce que je viens de vous rappeler et que ce souvenir vous empêche d’aimer le siècle. Cette amitié est funeste, trompeuse et provoque l’inimitié de Dieu. Il suffit, hélas ! d’une tentation à l’homme pour offenser Dieu et pour devenir son ennemi, ou plutôt pour montrer qu’il l’était. Car il l’était, quand il le louait et croyait l’aimer, mais c’était à son insu et à l’insu d’autrui. Une tentation est survenue, touchez le pouls, vous constatez la fièvre. Ainsi, mes frères, l’amitié et l’affection du monde nous rendent ennemis de Dieu. De plus, ce monde ne donne jamais ce qu’il a promis, c’est un menteur et un trompeur. Est-ce pour ce motif qu’on ne cesse d’espérer en lui ? Mais qui obtint jamais tout ce qu’il en attend ? Et quoi que l’on ait obtenu, bientôt on le méprise, pour commencer à désirer avec ardeur, à espérer d’autres choses. Celles-ci encore ne sont pas plus tôt arrivées qu’on les dédaigne encore. Attache-toi donc à Dieu : jamais il ne perd rien de ses charmes, parce que sa beauté est sans égale. Si les biens du monde se flétrissent si vite, c’est qu’ils n’ont rien de stable, c’est qu’ils ne sont pas Dieu, c’est qu’il ne te faut rien moins, ô âme humaine, que Celui qui t’a créée à son image. Aussi fut-il dit avec raison : « Seigneur, montrez-nous votre Père, et cela nous suffit gm. » Là seulement se trouve la sécurité et avec elle un rassasiement en quelque sorte insatiable. Ce rassasiement en effet ne fera dire jamais : c’est assez ; jamais non plus rien ne manquera dont on puisse ressentir le besoin.SERMON CXXVIII. LE COMBAT SPIRITUEL gn.
ANALYSE. – Quoique le témoignage que se rendait Jésus-Christ fût indubitablement vrai, il en appelait néanmoins au témoignage que lui avait rendu saint Jean, et c’était pour confondre les Juifs. Mais saint Jean, comme les martyrs, ne confessait Jésus-Christ que parce qu’il était animé de son Esprit, et c’est ce même Esprit qui doit nous aider dans la lutte que nous avons à soutenir contre nos convoitises. Pouvons-nous espérer de ne les ressentir pas ? Non. Mais nous pouvons avec le Saint-Esprit ne pas nous y soumettre, ne pas y consentir. Nous pouvons même, si elles nous ont donné la mort, recouvrer la vie comme l’ont recouvrée les trois morts dont il est parlé spécialement dans l’Évangile. 1. Nous venons d’entendre quelques paroles du saint Évangile, et ce qui pourrait surprendre, c’est cette affirmation du Seigneur Jésus : « Si je rends témoignage de moi-même, mon témoignage n’est pas vrai. » Comment pourrait n’être pas vrai le témoignage de la Vérité même ? N’est-ce pas en effet le Sauveur qui a dit « Je suis la voie, la vérité et la vie go ? » Et à qui faut-il s’en rapporter, s’il faut ne pas croire à la vérité ? Il est évident que ne pas chercher à s’en rapporter à elle, c’est ne vouloir se fier qu’au mensonge. Mais en parlant ainsi le Christ entrait dans la pensée de ses interlocuteurs et le sens de ses paroles est celui-ci : « Si je rends témoignage de moi-même, mon témoignage n’est pas vrai », dites-vous. Il savait sans doute combien était fondé le témoignage qu’il se rendait ; mais pour éclairer ces hommes malades et incrédules qui ne le comprenaient pas, le Soleil recourait à un flambeau. Leurs yeux souillés ne pouvaient soutenir l’éclat du Soleil même. 2. Aussi en appela-t-il à Jean pour rendre témoignage à la vérité, et vous avez vu en quels termes : « Vous êtes allés vers Jean. C’était un flambeau ardent et luisant, et vous avez voulu vous réjouir un moment à sa lumière. » Ce flambeau était destiné à les couvrir de confusion et c’est ce qui était, depuis bien longtemps, prédit dans les Psaumes : « J’ai préparé un flambeau à mon Christ. » Quoi ! un flambeau pour le Soleil ? « Je couvrirai ses ennemis de confusion, tandis qu’éclatera sur lui la gloire de ma sainteté gp. » Aussi Jean lui-même servit-il à les humilier quand ils dirent au Seigneur : « En vertu de quel pouvoir fais-tu cela ? » apprends-le-nous. « Et vous, repartit le Seigneur, apprenez-moi à votre tour si le Baptême de Jean venait du ciel ou des hommes ? » Mais ils se turent, car ils se dirent aussitôt en eux-mêmes : « Si nous répondons qu’il vient des hommes, le peuple nous lapidera, car on tient Jean pour un prophète, Et si nous répondons qu’il vient du ciel, lui nous demandera : Pourquoi donc n’y avez-vous pas cru ? » Jean en effet avait rendu témoignage au Christ. Pressés intérieurement par ces questions et pris dans leurs propres pièges, ils répondirent : « Nous n’en savons rien. » Quel autre cri pouvait s’échapper de ces ténèbres ? Il faut, quand on ignore, répondre : Je ne sais pas ; mais quand on sait et qu’on dit : Je l’ignore, on dépose contre soi-même. Ces Juifs connaissaient sûrement et la grandeur de Jean et l’origine céleste de son baptême ; mais ils ne voulaient pas s’abandonner à Celui à qui Jean avait rendu témoignage. Aussi, dès qu’ils eurent répondu : « Nous n’en savons rien », Jésus ajouta : « Je ne vous dirai pas non plus en vertu de quelle autorité je fais cela gq. » Ainsi furent-ils confondus conformément à cette prédiction : « J’ai préparé un flambeau à mon Christ ; je couvrirai ses ennemis de confusion. » 3. Les martyrs aussi ne sont-ils pas les témoins de Jésus-Christ et ne rendent-ils pas témoignage à la vérité ? Mais si nous examinons avec soin, nous verrons que quand ils rendent témoignage au Messie, c’est lui encore qui se rend témoignage, car il est dans ses martyrs pour les animer à déposer en faveur de la vérité. Écoute l’un d’entre eux, c’est l’Apôtre Paul : « Voulez-vous donc, dit-il, éprouver Celui qui parle en moi, le Christ gr ? » Ainsi donc, lorsque Jean rend témoignage au Christ, c’est le Christ, habitant en lui, qui se rend témoignage ; et peu importe celui qui parle en son honneur, que ce soin Pierre, que ce soit Paul, que ce soit les autres Apôtres ou Étienne, c’est toujours lui qui se rend témoignage, puisqu’il habite en eux tous. Il est Dieu sans eux ; mais eux, que sont-ils sans lui ! 4. Il est dit de lui : « Il est monté au ciel, il arendu la captivité captive, il a répandu ses dons sur les hommes gs. » Que signifie : « Il a rendu la captivité captive ? » Il a vaincu la mort. Le diable lui a donné la mort, et par la mort du Christ le diable est devenu son captif. « Il est monté au ciel. » Connaissons-nous rien de plus élevé que le ciel ? Eh bien ! il y est monté visiblement et sous les yeux de ses disciples gt. Nous le savons, nous le croyons, nous le confessons. « Il a répandu ses dons sur les hommes. » Quels sont ces dons ? L’Esprit-Saint. Quand il fait un tel don, que n’est-il pas lui-même ? Combien donc est généreuse la miséricorde de Dieu ! Il donne son égal, puisque le Don qu’il fait n’est rien moins que l’Esprit-Saint, et que le Père, le Fils et le Saint Esprit, ou la Trinité, ne forment qu’un seul Dieu. À son tour que nous a donné le Saint-Esprit ! Écoute l’Apôtre : « La divine charité, dit-il, a été répandue dans nos cœurs. » Comment donc, ô mendiant, la charité divine a-t-elle été répandue dans ton cœur ? Comment cette charité peut-elle inonder le cœur humain ? « Nous portons ce trésor dans des vases d’argile », dit encore le même Apôtre. Pourquoi « dans des vases d’argile ! « Afin de faire éclater la vertu de Dieu gu. » Et après avoir dit : « La divine charité a été répandue dans nos cœurs ; » il ajoute immédiatement, pour empêcher chacun de s’attribuer lebonheur d’aimer Dieu : « Par l’Esprit-Saint qui nous a été donné gv. » Ainsi, pour aimer Dieu, il faut que Dieu même demeure en toi et qu’il s’aime par toi, en d’autres termes, il faut qu’il t’excite à l’aimer, qu’il t’embrase, qu’il t’éclaire, qu’il t’anime. 5. Car il y a lutte dans notre corps même ; notre vie entière est un combat et le combat un danger ; aussi nous ne pouvons vaincre que par la grâce de Celui qui nous aime gw. N’a-t-il pas été question de ce combat dans la lecture de l’Apôtre, qu’on vient de vous faire ? « Toute la loi, dit-il, est comprise dans cette seule parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Or cet amour vient du Saint-Esprit.« Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Vois d’abord si tu sais t’aimer toi-même ; je te recommanderai ensuite d’aimer ton prochain comme tu t’aimes. Mais si tu ne sais t’aimer, ne duperas-tu pas ton prochain comme tu te dupes ? En aimant le péché tu ne t’aimes pas ; un psaume l’atteste : « Aimer l’iniquité, y est-il dit, c’est haïr son âme ? gx » Si tu hais ton âme, à quoi te sert d’aimer ton corps ? Sans doute, avec cette haine de ton âme et cet amour de ton corps, ton corps ressuscitera, mais il ressuscitera pour le châtiment de ton âme. C’est donc l’âme qu’il faut aimer d’abord et soumettre à Dieu, afin que tout soit réglé dans la subordination, que l’âme obéisse à Dieu et que le corps obéisse à l’âme. Veux-tu que ton corps soit soumis à ton âme ? Que l’âme en toi se soumette à Dieu. Pour gouverner, tu as besoin d’être gouverné ; car la lutte est terrible, et sans une haute direction, la défaite est certaine. 6. En quoi consiste cette lutte ? « Si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde que vous ne vous consumiez les uns les autres. Or je dis : Marchez selon l’Esprit. » Ce sont les paroles de l’Apôtre, qu’on vient de lire dans son Épître. « Or je dis : Marchez selon l’Esprit et n’accomplissez pas les désirs de la chair. – Or je dis : Marchez selon l’Esprit, et n’accomplissez pas les désirs de la chair ; » l’Apôtre ne dit pas : N’ayez point, ne ressentez point ces désirs, mais : « Ne les accomplissez point. » Que veut-il faire entendre ? Je l’exprimerai le mieux qu’il me sera possible, avec l’aide du Seigneur ; appliquez-vous à comprendre, si vous marchez selon l’Esprit.« Je dis donc : Marchez selon l’Esprit, et vous « n’accomplirez pas les désirs de la chair. » Poursuivons, car il est possible que nous rencontrions plus loin des mots qui jettent de la lumière sur ce qui est obscur ici. Ce n’est pas sans raison, ai-je observé, que l’Apôtre n’a pas voulu dire : N’ayez, ni : Ne ressentez, mais : « N’accomplissez point les désirs de la chair. » C’est en effet en cela que consiste la lutte qu’il nous faut soutenir, le combat où nous nous exerçons, si nous faisons partie de la milice de Dieu. Que rencontrons-nous donc plus loin ? « Car la chair convoite contre l’esprit, et l’esprit contre la chair. Ils sont effectivement opposés l’un à l’autre, de sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez. » Si on ne comprend pas bien ces paroles, elles sont très-dangereuses à entendre. C’est dans la crainte qu’on ne se perde en les comprenant mal, que j’ai entrepris, avec le secours du ciel, de les expliquer à votre charité. Du reste nous avons du temps, nous avons commencé matin et l’heure du repas ne nous presse point ; d’ailleurs encore, c’est aujourd’hui, samedi, que nous voyons principalement ceux qui sont affamés de la divine parole. Écoutez donc attentivement, je m’exprimerai aussi exactement que possible. 7. Pourquoi cette observation que je viens de faire : Ces paroles sont dangereuses à entendre si on ne les comprend pas bien ? C’est que beaucoup, vaincus par les damnables passions de la chair, se laissent aller à toutes sortes de crimes et d’infamies et se roulent dans d’exécrables impuretés qu’on serait honteux de nommer, en se répétant ce qu’a dit l’Apôtre. Considère, se disent-ils, comment s’exprime l’Apôtre : « De sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez. » Je ne veux pas faire le mal, je suis forcé, violenté, vaincu, je fais ce que je ne veux pas, comme dit l’Apôtre gy ; « car là chair convoite « contre l’esprit et l’esprit contre la chair, de sorte « que vous ne faites par ce que voulez. » Vous voyez combien ces paroles sont dangereuses à entendre, si on ne les comprend pas bien. Vous voyez combien un pasteur est obligé de découvrir les fontaines couvertes et d’étancher la soif de ses brebis avec une eau pure et inoffensive. 8. Ne te laisse donc pas vaincre en combattant. Voyez à quelle lutte, à quelle mêlée nous sommes appelés, elle est à l’intérieur même, au dedans de chacun de nous. « La chair convoite contre l’esprit. » — Si l’esprit à son tour ne convoite pas contre la chair, voilà l’adultère commis. Mais si l’esprit convoite contre la chair, c’est la lutte, c’est le combat, ce n’est pas la défaite. Quand la chair convoite contre l’esprit », c’est qu’on est porté à l’impureté, on y est porté parla délectation. Quand de son côté « l’esprit, convoite contre la chair », c’est que la chasteté fait aussi sentir ses charmes. Ah ! que l’esprit triomphé alors de la chair, ou qu’au moins il ne se laisse pas dompter par elle.L'impureté cherche les ténèbres ; la pureté se produit au grand jour. Vis comme tu aimes à être connu ; oui, même loin du regard des hommes ; ne fais que ce que tu veux qu’ils sachent, car celui qui t’a créé, te voit même dans l’obscurité. Pourquoi ces éloges publics décernés à la chasteté, tandis que les adultères eux-mêmes ne louent pas l’adultère ? C’est que celui qui accomplit la vérité vient à la lumière gz. Mais on se sent attiré au plaisir honteux ; qu’on ne consente pas, qu’on résiste, qu’on repousse. N’en as-tu pas le moyen, puisque ton Dieu même est en toi, puisque tu as reçu l’Esprit qui est la source de tout bien ? Il est vrai que malgré sa présence la chair ne laisse pas que de convoiter contre l’esprit en lui insinuant des pensées perverses et en lui faisant sentir des attraits trop naturels. Qu’on suive alors la recommandation de l’Apôtre : « que le péché, dit-il, ne règne pas dans votre corps mortel ha. » Il ne dit pas : Que le péché ne soit pas ; car il y est et on donne à ce désordre le nom de péché parce qu’on le doit au péché. Dans le paradis, la chair ne convoitait pas contre l’esprit, il n’y avait pas de combat, mais une paix sans trouble ; c’est seulement après la transgression, après que l’homme eut refusé d’obéir à Dieu et fut abandonné à lui-même, sans toutefois pouvoir être son maître, puisqu’il fut asservi à celui qui l’avait séduit, que la chair commença à convoiter contre l’esprit. C’est surtout dans les bons que se fait sentir cette convoitise ; elle est sans objet dans les méchants, attendu que sans l’Esprit, il ne saurait y avoir convoitise contre l’Esprit. 9. Ne t’imagine pas en effet que dans ces mots « La chair convoite contre l’Esprit, et l’Esprit contre la chair », il s’agisse uniquement de l’esprit de l’homme. C’est l’Esprit de Dieu qui combat en toi, contre ce qu’il y a en toi d’opposé à toi-même. Tu n’as point voulu rester attaché au Seigneur ; tu es tombé, tu t’es brisé comme un vase qui s’échappe de ta main et qui vole en éclats. Et c’est parce que tu t’es brisé, que tu es ainsi ennemi de toi-même, opposé à toi-même. Détruis cette opposition et tu te répareras. Pour te faire connaître que cette réparation doit être l’œuvre de l’Esprit-Saint, le même Apôtre dit ailleurs : « Si vous vivez selon la chair, vous mourrez ; mais si vous mortifiez par l’Esprit les œuvres de la chair, vous vivrez. » Aces mots l’homme s’élève déjà, il se croit capable de mortifier par son propre esprit les œuvres de la chair. « Si vous vivez selon la chair, vous mourrez ; mais si vous mortifiez par l’Esprit les œuvres de la chair, vous vivrez. » Faites-nous donc connaître, ô Apôtre, de quel esprit il est ici question. Chacun en effet a un esprit naturel qui le caractérise, et c’est cet esprit qui fait l’homme, car l’homme est composé d’un corps et d’un esprit. C’est de cet esprit qu’il est dit : « Nul ne sait ce qui est dans l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui hb. » Ainsi l’homme a un esprit qui fait partie de sa nature, et c’est vous néanmoins qui dites : « Si vous mortifiez par l’Esprit les œuvres de la « chair, vous vivrez. » Quel est cet esprit ? Est-ce mon esprit ou l’Esprit de Dieu ? Je vous écoute et je n’en reste pas moins en suspens. Que dis-je ? Le mot esprit ne s’applique pas seulement à l’homme, il se dit aussi des animaux dans l’Écriture même ; on y lit que le déluge fit périr toute chair ayant en elle l’esprit de vie hc. Il est donc bien vrai que cette expression est pour les animaux aussi bien que pour l’homme. Quelquefois aussi le vent est désigné sous ce même nom d’esprit. Ainsi on lit : dans un psaume : « Feu, grêle, neige, glace, esprit des tempêtes hd. » Le mot d’esprit ayant donc tant d’acceptions différentes, dans quel sens, ô Apôtre, avez-vous dit que l’esprit doit mortifier les œuvres de la chair ? S’agit-il ici de mon esprit ou de l’Esprit de Dieu ? Écoute ce qui sait et tu comprendras, car l’Apôtre ajoute des paroles qui tranchent la question. Après ces mots : « Si vous mortifiez par l’Esprit les œuvres de la chair, vous vivrez ; » il écrit immédiatement : « Car ceux qui sont animés par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu he. » Pour agir tu as besoin d’être animé, et tu agis bien si tu es animé d’un bon esprit. Si donc tu ne comprenais pas de quel esprit il était question dans ces mots : « En mortifiant par l’Esprit les œuvres de la chair, vous vivrez ; » vois ton Maître, reconnais ton Rédempteur dans les paroles qui suivent. C’est ton Rédempteur effectivement qui t’a donné son Esprit, afin que par lui tu mortifies les œuvres de la chair.« Car tous ceux qui sont, animés de l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu. » Ils ne sont pas fils de Dieu, s’ils ne sont animés de son Esprit. Mais s’ils sont animés de son Esprit, ils combattent, parce qu’ils ont un puissant auxiliaire. Ah ! Dieu ne se contente pas de les contempler, comme le peuple contemple les gladiateurs. Le peuple peut sans doute applaudir un gladiateur, il ne saurait le tirer du danger. 10. Tel est donc le sens qu’on doit donner encore à ces paroles : « La chair convoite contre l’Esprit, et l’Esprit contre la chair. » Mais que signifient celles-ci : « De sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez ? » C’est ici qu’il y a du danger à comprendre mal et qu’un interprète, quel qu’il soit, doit s’efforcer de remplir son devoir.« De sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez. » Cloutez, ô saints combattants, car je m’adresse aux lutteurs. Ceux qui luttent me comprennent : je ne suis pas compris de ceux qui ne luttent pas. Que dis-je ? ceux qui luttent ne se contentent pas de saisir ma pensée, ils la devancent : Que voudrait un homme chaste ? Qu’il ne s’élevât dans ses membres absolument aucune impression contraire à la chasteté. Il voudrait la paix ; mais il ne l’a pas encore. Pour ne plus ressentir absolument aucune impression mauvaise, il faut arriver à l’heureux séjour où nous n’avons plus d’ennemi à combattre, ni de victoire à espérer, puisqu’on y triomphe de l’ennemi vaincu. Apprends de l’Apôtre même en quoi consistera la victoire : « Il faut que ce corps corruptible revête l’incorruptibilité, et que ce corps martel revête l’immortalité. Et quand ce corps corruptible aura revêtu l’incorruptibilité, et que ce corps mortel aura revêtu l’immortalité, alors sera accomplie cette parole de l’Écriture : « La mort a été abîmée dans sa victoire. » Écoute encore les chants de triomphe : « O mort, où sont tes armes ? O mort, où est ton aiguillon hf ? » Tu nous as frappés, tu nous as blessés ; tu nous as abattus ; mais mon Créateur même s’est laissé blesser pour moi. O mort, ô mort, oui, mon Créateur même s’est laissé blesser pour moi, et par sa mort il t’a vaincue ; et maintenant nous ne cesserons de répéter en triomphant : « O mort, où sont tes armes ? O mort, où est ton aiguillon ? » 11. Mais aujourd’hui, que la chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair, la mort lutte et nous ne faisons pas ce que nous voulons. Pourquoi ? Parce que nous voudrions ne ressentir aucun mouvement de concupiscence, et nous ne saurions y parvenir. Bon gré, mal gré, ces mouvements sont en nous ; bon gré, mal gré, ils s’éveillent, ils flattent, ils s’étendent, ils cherchent à dominer. On les comprime mais on ne les éteint pas, tant que « la chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair. » Se feront-ils sentir encore après la mort ? À Dieu ne plaise ! Puisque tu te dépouilles alors de la chair, comment pourrais-tu en conserver les convoitises ? Combats bien et tu jouiras du repos, d’un repos qui sera ta couronne et non ta condamnation ; car tu parviendras aussi à régner. Voilà, mes frères, voilà ce qu’il en est durant la vie présente. Nous-mêmes, qui avons blanchi dans ces combats, nous sentons contre nous des ennemis moins puissants, nous les sentons toutefois. On dirait que l’âge même les a fatigués ; mais tout fatigués qu’ils soient, ils ne cessent de troubler comme ils peuvent le repos de notre vieillesse. La guerre est plus ardente pour les jeunes gens ; nous la connaissons, nous y avons passé.C'est donc ainsi que « la chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair ; de sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez. » Que voulez-vous en effet, ô saints, ô généreux combattants, ô vaillants guerriers du Christ ? Que voulez-vous ? N’éprouver absolument aucune convoitise déréglée. Hélas ! vous ne le pouvez. Faites donc la guerre et espérez la victoire ; nous sommes aux temps des combats. « La chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair ; de sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez ; » et qu’il y a encore en vous des convoitises charnelles. 12. Mais faites tout ce que vous pouvez ; faites ce que recommande l’Apôtre dans cet autre passage que j’avais commencé de rappeler « Que le péché ne règne pas dans votre corps mortel, pour vous faire obéir à ses convoitises. » Je ne le veux pas ; des désirs coupables s’élèveront, mais n’y cède pas. Arme-toi, prends en mais les engins de guerre. Les commandements divins seront tes armes. Si tu m’écoutes comme il convient, tu t’appuieras même sur ce que je dis. « Que le péché le règne pas dans votre corps mortel. » En effet, tant que vous êtes chargés de cette, chair mortelle, le péché lutte contre vous ; mais « qu’il ne règne pas. » – « Qu’il ne règne pas », qu’est-ce à dire ? « Qu’il ne vous fasse pas céder à ses penchants coupables. » Commencez-vous à y céder ? Il règne. Et qu’est-ce qu’y céder, sinon « faire servir vos « membres au péché, comme des instruments d’iniquité hg ? » Est-il rien de plus clair que ce langage ? Pourquoi demander encore que je l’explique ? Fais ce que tu viens d’entendre. Ne consacre pas tes membres au péché, comme des instruments d’iniquité. Dieu t’a donné, par son Esprit, le pouvoir de réprimer tes sens. La passion s’élève-t-elle ? Retiens tes sens ; que lui servira alors de s’être élevée ? Retiens tes sens ; garde-toi de faire servir tes membres au péché, comme des instruments d’iniquité ; n’arme pas ton ennemi contre toi. Retiens tes pieds, pour qu’ils ne courent pas au mal ; et si la convoitise se fait sentir, retiens tes sens ; éloigne tes mains de toute action mauvaise, tes yeux de tout mauvais regard, tes oreilles de toute attention volontaire aux paroles impures ; règle enfin tout ton corps, tous tes sens, les sens plus nobles comme ceux qui le sont moins. Que fait la passion ? Elle peut attaquer, elle ne saurait vaincre ; et à force d’attaquer sans résultat, elle apprend à rester calme. 13. Un retour sur les paroles de l’Apôtre où nous avons vu de l’obscurité, et nous constaterons maintenant combien elles sont claires. J’avais fait remarquer que l’Apôtre n’a pas dit Marchez selon l’Esprit et vous n’aurez point de convoitises charnelles, car il est nécessaire que nous en ayons. Pourquoi encore n’a-t-il pas dit Ne les ressentez point ? C’est que nous les ressentons. Les ressentir, c’est les produire ; mais comme s’exprime le même Apôtre : « Ce n’est pas moi qui fais cela, c’est le péché qui demeure en moi hh. » Que dois-tu donc éviter ? Assurément d’exécuter les désirs coupables. Une passion déréglée s’élève en toi, elle s’élève, elle te parle ; ne l’écoute pas. Elle s’enflamme, loin de s’éteindre, et tu voudrais qu’elle ne s’enflammât point. Oublies-tu ces mots – « De sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez ? » Refuse-lui tout concours, qu’elle brûle sans trouver d’aliments, elle s’éteindra. En toi donc se font sentir les convoitises, n’en disconviens pas. Aussi l’Apôtre a-t-il dit : « N’accomplissez pas leurs désirs. » Ne les accomplis pas ; c’est les accomplir, par exemple, que d’être déterminé à commettre un adultère, quand on ne s’abstient que pour n’en avoir pas trouvé l’occasion, le moment favorable, que pour avoir rencontré un obstacle dans la chasteté de la personne qu’on avait en vue. Cette personne alors reste chaste, et toi, tu es coupable d’adultère. Pourquoi ? Parce que tu as accompli tes désirs mauvais. Comment les as-tu accomplis ? En consentant dans ton âme à commettre l’adultère. Alors donc, mais que le ciel t’épargne ce malheur ! sans avoir fait l’acte même tues tombé sous les coups de la mort. 14. C’est dans la maison même que le Christ ressuscita la fille défunte d’un Chef de synagogue hi. Cette fille était encore dans la maison de son père, on ne l’avait pas enlevée encore. Tel est l’homme qui a consenti dans son cœur à commettre le crime ; il est mort, mais il n’est pas emporté. Le pécheur est-il allé jusqu’à faire servir aux crimes les membres de son corps ? il est sorti de sa demeure. Mais le Seigneur n’a-t-il pas ressuscité aussi le jeune fils de la veuve, au moment où on l’emportait en dehors des portes de la ville ? J’ose donc dire : Si après avoir pris dans ton cœur une résolution funeste, tu te repens de ce que tu viens de faire, tu es guéri avant de commettre l’acte même. Oui, si tu fais pénitence pour avoir consenti à une action mauvaise, et criminelle, ignominieuse et inexcusable, tu ressuscites intérieurement comme intérieurement tu étais mort. N’es-tu pas allé jusqu’à consommer le crime ? On t’emporte loin de ta demeure ; mais aussi tu as quelqu’un pour te dire : « Jeune homme, je te le commande, lève-toi hj. » Oui, lors même que le crime serait commis, repens-toi, reviens au plus vite sur, tes pas, ne descends pas dans le tombeau. Cependant, ici encore je trouve une troisième, espèce de mort, un mort qui a été conduit jusqu’au tombeau. Déjà pèse sur lui le poids de la coutume, il est accablé sous un monceau de terre ; car il s’est livré longtemps aux désordres et il est enchaîné par des habitudes tyranniques. À lui encore s’adresse le Christ, il crie : « Lazare, viens dehors. » Avec ses habitudes perverses cet homme exhale déjà une odeur infecte. Aussi Jésus crie-t-il, il crie même d’une voix forte hk. Et à ce cri puissant ces pécheurs, quoique morts, quoiqu’ensevelis, quoique sentant déjà mauvais, ressusciteront aussi. Ils ressusciteront ; de quel mort faut-il désespérer avec un tel Rédempteur ? Tournons-nous, etc.VINGT-TROISIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CES PAROLES DE L’ÉVANGILE : « SI JE RENDS TÉMOIGNAGE DE MOI », JUSQU’À CES AUTRES : « ET VOUS NE VOULEZ PAS VENIR À MOI, AFIN D’AVOIR LA VIE ». DANS CE TRAITÉ, IL EST ENCORE QUESTION DES PASSAGES DÉJÀ EXPLIQUÉS PRÉCÉDEMMENT, À PARTIR DE CELUI-CI : « EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MÊME, ETC. » (Chap 5,19-40.)LES ŒUVRES DU CHRIST.
Saint Jean, les Prophètes, les Apôtres, n’étaient pas la véritable lumière, ils n’étaient que des lampes ; leur témoignage en faveur du Christ avait donc moins de prix que celui du Christ lui-même et de ses œuvres. Les âmes trouvent leur vie uniquement en Dieu ; le Père les crée et les fait sortir du tombeau du péché par le Fils, car il lui montre ce qu’il doit faire, le Fils le voit ; de cette démonstration du Père et de cette intuition du Fils, qui n’ont aucune analogie avec une démonstration et une intuition humaines, résultent la création et la résurrection des âmes. Comme Dieu, le Christ produit donc, dans le domaine des âmes, d’admirables opérations : comme homme, il ressuscitera les corps, et, en ce pouvoir, il puise un droit imprescriptible à notre foi et à notre respect. 1. Si nous suivons le conseil que le Sauveur nous donne en un certain endroit de l’Évangile, nous comparerons l’homme, qui écoute sa parole avec soin, au constructeur prudent d’une maison : ce constructeur creuse des fondations assez profondes pour asseoir les murs sur une base solide, sur la pierre, et les rendre capables de résister à la violence des eaux du torrent : par là, au lieu d’être miné et renversé par l’inondation, l’édifice se trouve solide au point de briser les flots qui l’assaillent hl. Considérons les divines Écritures comme un terrain où nous voulons construire un édifice ; n’épargnons pas nos peines ; ne nous arrêtons pas à la surface, creusons assez profondément pour rencontrer la pierre. « Mais la pierre était le Christ hm ». 2. Le passage que nous venons de lire a trait au témoignage que le Sauveur se rend à lui-même. Il n’a pas besoin que les hommes rendent témoignage en sa faveur, car les preuves de sa divinité lui viennent de plus haut. En quoi consistent-elles ? Le voici : « Les œuvres que je fais », dit-il, « rendent témoignage de moi » ; puis il ajoute : « Et le Père, qui m’a envoyé, me rend aussi témoignage ». Quant à ses œuvres elles-mêmes, il reconnaît avoir reçu de son Père le pouvoir de les faire. Elles lui rendent donc témoignage, et il en est de même de son Père. Mais saint Jean ne lui en a-t-il rendu aucun ? Pardon. Mais il était comme une lampe destinée plutôt à couvrir de confusion les ennemis du Seigneur Jésus, qu’à réjouir les yeux de ses amis ; car le Père éternel avait déjà dit auparavant par la bouche d’un Prophète : « J’ai préparé une lampe à mon Christ ; je couvrirai ses ennemis d’un vêtement de confusion ; mais sur lui resplendira l’éclat de ma sainteté hn ». Supposons donc que tu es enveloppé de profondes ténèbres : tu aperçois cette lampe ; sa lumière te jette dans l’admiration ; à sa vue, la joie s’empare de ton âme ; mais cette lampe t’avertit de l’existence d’un soleil, en présence duquel tu devras tressaillir. Sans doute, elle brille au milieu des ombres de la nuit, mais elle te recommande d’attendre le jour, Il est donc impossible de dire que le témoignage de cet homme était inutile ; car, s’il en eût été ainsi, pourquoi l’envoyer et lui confier une mission ? Toutefois, afin que personne ne se contente de la lumière de cette lampe, et ne la croie suffisante, le Sauveur ne nous en parle ni de façon à nous la faire regarder comme inutile, ni de manière à ce que nous nous en contentions. La sainte Écriture fait allusion à un autre témoignage : elle nous dit positivement ici que Dieu lui-même a rendu témoignage à son Fils ; et les Juifs avaient placé leur espérance dans cette Écriture, c’est-à-dire dans la loi que Dieu leur avait donnée par le ministère de Moïse, son serviteur. « Examinez à fond le sens de l’Écriture », leur dit le Sauveur ; scrutez-la, « puisque vous y voyez la source de la vie éternelle ; elle me rend témoignage, et, pourtant, vous ne voulez point venir à moi pour avoir la vie ». Pourquoi pensez-vous trouver la vie éternelle dans l’Écriture ? Interrogez-la donc ; demandez-lui à qui elle rend témoignage, et sachez quelle est la vie éternelle. À cause de Moïse, ils voulaient renier le Christ, comme si le Christ était l’ennemi des institutions et des commandements de Moïse. Aussi, pour les réduire au silence, en appelle-t-il comme à la lumière d’une autre lampe. 3. À vrai dire, tous les hommes sont des lampes susceptibles d’être allumées et d’être éteintes ; si la sagesse les dirige, ils répandent autour d’eux la lumière et la chaleur ; mais ils ne doivent pas l’oublier : au moment où ils projettent le plus vif éclat, leurs rayons peuvent tout à coup faire place aux plus profondes ténèbres. Si, en effet, les serviteurs de Dieu n’ont pas cessé d’être des lampes ardentes, ç’a été, chez eux, un effet de la miséricorde du Seigneur, et non une suite de leurs propres efforts ; car la grâce du Tout-Puissant, qui est gratuite, est l’huile avec laquelle s’entretiennent les lampes dont nous parlons. « J’ai travaillé plus que les autres », dit l’une de ces lampes ; mais afin qu’on n’attribue point à ses propres forces l’éclat dont elle brille, il ajoute : « Non pas moi néanmoins, mais la grâce de Dieu avec moi ho ». Aussi devons-nous regarder comme des lampes toutes les prophéties qui ont été faites avant l’avènement du Sauveur. Voilà pourquoi l’apôtre saint Pierre s’exprime ainsi, en parlant d’elles : « Nous avons, d’ailleurs, encore une preuve plus frappante dans les oracles des Prophètes sur lesquels vous faites bien d’arrêter vos regards comme sur un flambeau qui luit, dans un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour commence à paraître, et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs hp ». C’est pourquoi tous les Prophètes sont des lampes, et toutes les prophéties un immense faisceau lumineux. Et les Apôtres ? Qu’étaient-ils eux-mêmes, sinon des lampes ? Oui, certes, ils étaient des lampes : Jésus-Christ seul n’en était pas, car il ne pouvait ni être allumé ni s’éteindre. Celui qui disait : « Comme mon Père a la vie en lui-même, ainsi a-t-il donné à son Fils d’avoir aussi en lui la vie ». Les Apôtres étaient donc des lampes : et encore les voyons-nous rendre grâces à Dieu d’être éclairés des rayons de la vérité, de brûler des ardeurs de l’Esprit de charité,- d’être pourvus de l’huile de la grâce céleste. S’ils n’étaient pas vraiment des lampes, le Sauveur leur dirait-il : « Vous êtes la lumière du monde ? » Toutefois, après leur avoir tenu ce langage : « Vous êtes la lumière du monde », il veut leur faire comprendre que leur éclat n’est point pareil à celui dont il est question dans le passage suivant. « Celui-là était la véritable lumière, qui éclaire tout homme venant en ce monde ». L’écrivain sacré avait ainsi parlé de Notre-Seigneur, pour le distinguer nettement de saint Jean-Baptiste ; quant au Précurseur, voici ce qu’en disait l’Évangéliste : « Il n’était pas la lumière, mais il était venu pour rendre témoignage à Celui qui était la lumière hq. — Comment, me diras-tu, il n’était pas la lumière ? Jésus-Christ n’a-t-il pas affirmé qu’il était une lampe ? – Non, si on le compare au Sauveur, il n’était pas la lumière ; car, « celui-là était la véritable lumière, qui éclaire tout homme venant en ce monde hr ». Notre-Seigneur dit donc à ses apôtres : « Vous êtes la lumière du monde » ; et, afin qu’ils ne pussent s’attribuer à eux-mêmes ce qui s’appliquait au Christ seul, afin que le vent de l’orgueil ne vînt point éteindre leur lampe, il ajouta aussitôt à ces paroles : « Vous êtes la lumière du monde », ces autres paroles : « Une ville, placée sur une montagne, ne peut être cachée, et l’on n’allume pas cane lampe pour la placer sous le boisseau, mais sur un chandelier, afin qu’elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison ». – Mais Jésus-Christ a-t-il donné à ses Apôtres le nom de lampes ? Peut-être ne leur a-t-il confié que la mission d’allumer la lampe destinée à être placée sur le candélabre. – Non, il les a positivement désignés sous le nom de lampes ; j’en trouve la preuve dans ces propres paroles : « Ainsi, que votre lumière luise devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils glorifient votre Père, qui est dans les cieux hs ». 4. Donc, et Moïse, et saint Jean, et les autres Prophètes, et les autres Apôtres ont rendu témoignage au Christ ; et néanmoins, à tous ces témoignages il préfère celui de ses propres œuvres. Ces hommes apportaient au Fils de Dieu l’appui de leur parole ; mais ils n’étaient, à proprement parler, que les organes de Dieu lui-même. Le Très-Haut emploie un autre moyen pour attester la divinité de son Fils il fait connaître son Fils par ce Fils même, et il se fait connaître lui-même par son Fils. Si l’homme peut parvenir jusqu’à Jésus-Christ, il n’aura plus besoin de lampes pour être éclairé, et, en creusant des fondations profondes, il assoira sûrement son édifice sur la pierre. 5. Mes frères, d’après ce qui précède, il est facile de saisir le sens de la leçon d’aujourd’hui. Hier, je suis resté en dette avec vous, je ne l’ignore pas ; mais si je ne vous ai pas tout dit, l’occasion de le faire a été différée et nullement perdue, et le Seigneur a bien voulu me permettre de m’acquitter à votre égard, et de vous adresser aujourd’hui la parole. Rappelez-vous donc ce que vous êtes en droit d’exiger de moi ; ranimons en nous les sentiments de piété et de salutaire humilité que nous avions conçus peut-être jusqu’à un certain point, afin de nous étendre non pas contre Dieu, mais jusqu’à Dieu, et d’élever nos âmes jusqu’à lui, en les répandant sur nous, selon cette expression du Psalmiste : « Où est ton Dieu ? Je repassais ces paroles dans mon cœur et je répandais mon âme sur moi-même ht ». Elevons donc notre âme sers Dieu, mais non contre Dieu. Le Prophète nous y exhorte encore en ces termes : « J’ai élevé mon âme vers vous, Seigneur hu ». Et, pour l’élever ainsi, réclamons le secours de Dieu ; car elle est bien appesantie. Mais d’où lui vient sa pesanteur ? De ce que le corps, qui se corrompt, alourdit l’âme, et de ce que cette habitation terrestre abat l’esprit capable de beaucoup de pensées hv. Oui, demandons le secours d’en haut, dans la crainte de ne pouvoir isoler notre esprit de la multitude de ses pensées pour l’appliquer à nu seul objet, ni relever vers Dieu seul une âme abaissée par une foule de préoccupations étrangères ; car, je viens de le dire, la grâce divine est seule capable de produire ce mouvement ascensionnel vers lui, que le Seigneur veut nous soir opérer. Par là seulement, nous pourrons comprendre, dans une certaine mesure comment le Verbe divin, Fils unique du Père, coéternel et égal à Celui qui l’a engendré, ne fait rien que ce qu’il a vu faire à son Père, tandis que le Père ne fait rien que par ce Fils qui le voit. En cet endroit, Notre-Seigneur Jésus a voulu, ce me semble, enseigner aux personnes attentives un grand mystère, le faire pénétrer dans les intelligences suffisamment développées, et exciter à l’étude celles qui ne le sont pas assez, afin que, si elles ne sont point perspicaces, elles méritent du moins, par la pratique de la vertu, de recevoir la vérité. Il nous a donc appris que l’âme humaine, l’intelligence raisonnable, qui nous anime et nous distingue de la bête, ne peut trouver ni son aliment, ni son bonheur, ni son illumination que dans une certaine participation de la substance divine cette âme agit par le corps et avec le corps ; elle le tient sous sa dépendance ; les objets matériels avec lesquels il se trouve en rapport, peuvent procurer à ses différents sens du plaisir ou de la douleur ; aussi, et précisément en raison de l’union intime qui existe entre l’âme et le corps, à cause de leur étroite alliance pendant le cours de cette vie, l’une partage les plaisirs et les souffrances éprouvés par les sens de l’autre ; mais, pour elle, la science du véritable bonheur se trouve uniquement dans la jouissance de cette vie toujours nouvelle, à l’abri de toute vicissitude, et éternelle, qui fait le propre de la substance divine ; comme le corps, qui est inférieur à l’âme, puise sa vie dans son union avec l’âme, qui est elle-même inférieure à Dieu, ainsi l’âme puise son vrai bonheur, sa véritable vie, dans le seul Être qui est au-dessus d’elle. De même, en effet, que l’âme est supérieure au corps, de même est-elle inférieure à Dieu ; elle prête son appui à son inférieur, elle reçoit sa force de son supérieur ; pour dominer son esclave et ne pas se laisser écraser par lui, elle doit donc se soumettre à Dieu et lui obéir. Voilà, mes frères, en quoi consiste cette religion chrétienne qui se prêche dans le monde entier au grand désespoir de ses ennemis, qui excite leurs murmures dès qu’elle les domine, qui subit leurs persécutions dès qu’ils se voient les plus forts. Elle consiste à adorer un seul Dieu, et non à en adorer plusieurs ; car l’unique Maître de l’univers peut seul rendre heureuse l’âme humaine. Le principe de sa félicité, c’est de participer à la nature divine. En se communiquant à une âme faible, une âme sainte ne peut pas la rendre heureuse ; il en est ainsi encore de l’ange par rapport à une âme juste ; la première doit donc aller puiser sa joie à la même source que la seconde, tu ne peux devenir heureux par ton union avec un ange ; vous le serez l’un et l’autre par votre union avec Dieu. 6. De ces notions préliminaires, solidement établies, il résulte que l’âme raisonnable trouve en Dieu seul son bonheur, comme le corps ne tire que de l’âme sa propre vie : et, ainsi, l’âme sert comme d’intermédiaire entre Dieu et le corps. Veuillez me prêter votre attention et vous rappeler avec moi, non pas la leçon d’aujourd’hui, que nous avons suffisamment expliquée, mais celle d’hier, qui nous occupe, que nous examinons et creusons depuis trois jours, afin d’arriver jusqu’à la pierre. Le Christ était le Verbe, le Christ-Verbe de Dieu était en Dieu, le Christ-Verbe était Dieu-Verbe, le Christ Dieu et Verbe était un seul Dieu. Elève-toi jusque-là, âme de l’homme : détourne tes regards de toutes les créatures, prends ton vol, dépasse-les, élève-toi jusqu’à ces sublimes hauteurs. Y a-t-il rien au monde d’aussi puissant que cette créature à laquelle on donne le nom d’âme raisonnable ? Y a-t-il rien d’aussi grand ? Non, rien n’est au-dessus d’elle, si ce n’est le Créateur lui-même. Je le disais donc : le Christ est le Verbe, le Verbe de Dieu, le Dieu-Verbe ; mais il n’est pas seulement Verbe, car « le Verbe s’est fait chair, et il a, habité parmi nous hw ». Il est donc aussi, et par conséquent, Verbe et homme tout ensemble : car, « ayant la nature de Dieu, il n’a point cru que ce fût de sa part une usurpation de s’égaler à Dieu ». Notre faiblesse nous forçait de ramper à terre : elle nous empêchait de nous élever jusqu’à Dieu ; mais nous a-t-il abandonnés en cet état de bassesse et d’infirmité ? Oh non ! car « Il s’est anéanti lui-même, en prenant la forme d’esclave hx ». Il ne s’est nullement dépouillé de la nature divine. Tout Dieu qu’il était, il s’est fait homme, prenant ce qu’il n’était pas, ne perdant point ce qu’il était : en un mot, il est devenu homme-Dieu. En lui se rencontre ce qui convient à la partie faible de toi-même, comme à la partie la plus noble. Que le Christ, en tant qu’homme, te relève du sein de ta faiblesse ; qu’il te conduise, en tant que Dieu-homme, et que comme Dieu il te fasse parvenir jusqu’à lui ! La fin, l’unique fin de la prédication évangélique, et de la dispensation des grâces divines par les mérites du Christ, c’est la résurrection des âmes et celle des corps Le corps et l’âme de l’homme étaient également morts, l’un par suite de sa faiblesse, l’autre par l’effet du péché. Puisque tous les deux étaient morts, ils doivent donc ressusciter aussi tous les deux. Qu’est-ce à dire : Tous les deux ? L’âme et le corps. Mais qu’est-ce qui ramènera l’âme à la vie, si ce n’est le Christ-Dieu ? Où le corps retrouvera-t-il le principe de son existence, sinon dans le Christ-homme ? Dans le Christ il y avait une âme, mais une âme dans son entier : non seulement le principe purement animal de la vie, mais encore ce principe capable de raisonner, auquel on donne le nom d’intelligence. Certains hérétiques d’autrefois se sont vus chassés de l’Église pour avoir pensé qu’au lieu d’être animé par un esprit raisonnable, le corps du Christ l’était seulement par un principe de vie pareil à celui des bêtes ; car privez l’homme de son intelligence, 2 ne lui reste plus que ce principe. Ils ont donc été retranchés du corps de l’Église, et cela par la force même de la vérité : de là, tu dois conclure que le Christ est parfait, c’est-à-dire qu’il se compose du Verbe, d’une âme raisonnable et d’un corps : cet ensemble forme le Christ, Que ton âme sorte donc du tombeau du péché, par cela même que ton sauveur est Dieu ; que ton corps s’échappe des étreintes de la corruption, par cela qu’il est homme. Aussi, mes bien chers frères, considérez autant que je puis vous la découvrir l’étonnante profondeur du mystère contenu dans les paroles de cette leçon : voyez de quel sujet le Christ nous y entretient ; il nous y apprend qu’il est venu en ce monde uniquement pour délivrer les âmes de la mort du péché et les corps de la corruption. Je l’ai déjà dit : les âmes reviennent à la vie de la grâce, en entrant en participation de la substance de Dieu ; et les corps trouvent le principe de leur résurrection dans l’incarnation de Notre-Seigneur Jésus-Christ. 7. « En vérité, en vérité, je vous le dis : le Fils ne peut rien faire par lui-même, qu’il ne le voie faire au Père ; quelque chose que celui-ci fasse, le Fils aussi le fait comme lui ». Le ciel, la terre, la mer et tout ce que le ciel, la terre et la mer renferment ; les animaux qui vivent sur la terre, les plantes qui croissent dans les champs, les poissons qui nagent dans l’eau, les oiseaux qui volent dans les airs, les astres du firmament, et, par-dessus tout cela, les Anges, les Vertus, les Trônes, les Dominations, les Principautés, les Puissances, « toutes choses », en un mot « ont été faites par lui ». Dieu a-t-il fait toutes ces créatures, et, après leur avoir donné l’existence, les a-t-il montrées à son Fils, afin que celui-ci fît sortir du néant tin autre monde rempli d’êtres pareils ? Évidemment non ; alors, pourquoi dire : « Quelque chose que le Père fasse, le Fils fait cela », non pas autre chose, mais « cela pareillement », et non d’une manière différente ; « car le Père aime le Fils et lui montre ce qu’il fait lui-même ». Le Père enseigne au Fils la manière de ramener les âmes à la vie, parce qu’elles y reviennent par le Père et le Fils, et qu’elles ne peuvent vivre sans puiser en Dieu le principe de la vie. Si donc elles vivent à la seule condition de trouver dans le Seigneur la source de leur existence, comme les corps ne vivent qu’à la condition d’être animés par elles, le Père fait par son Fils ce qu’il lui apprend à faire, c’est-à-dire ce qu’il fait lui-même. En effet, ce n’est pas en agissant qu’il apprend à son Fils la manière d’agir ; mais en l’apprenant à son Fils, il se sert de lui pour le faire De la sorte, le Fils reçoit l’enseignement du Père avant d’en voir l’action, et de la démonstration du Père, comme de la perception intellectuelle du Fils, résulte ce que le Père fait par le Fils. De là il est facile de coin prendre comment les âmes reviennent à la vie, si l’on peut se faire une idée de cette unité d’action qui existe entre le Père et le Fils. Le Père enseigne, le Fils comprend, et l’effet de la démonstration du Père et de la perception intellectuelle du Fils, c’est la formation de la créature ; conséquemment, le Père agit par le Fils, et son œuvre est la suite nécessaire de l’enseignement du Père et de l’intelligence qu’en a le Fils ; et cette œuvre n’est ni le Père ni le Fils ; elle leur est bien inférieure : c’est une créature. Me comprenez-vous ? 8. J’en reviens à un ordre de choses qui frappent vos sens : je m’abaisse, et redescends jusqu’à vous, si toutefois je me suis pour quelques instants élevé un peu au-dessus de vous. Tu veux apprendre à ton fils à faire ce que tu fais ; tu commenceras par agir toi-même, et ton enseignement ressortira de ta manière d’agir. Par conséquent, ce que tu feras pour instruire ton fils, tu ne le feras point par son intermédiaire ; tu agiras seul, il te regardera, et alors il agira de la même manière que toi. Il n’en est pas de même ici. Pourquoi vouloir trouver en toi-même un point de ressemblance avec Dieu, en effaçant en toi l’image de Dieu ? Car il n’y a, dans le cas présent, aucune similitude à établir. Une idée se présente à mon esprit : Comment peux-tu, avant d’agir, apprendre à ton enfant la manière dont tu agiras, de façon à te servir de lui pour faire ce que tu fais, et conformément aux leçons que tu lui auras données antérieurement ? La même idée se présente peut-être aussi à toi. La voici, me dis-tu : Mon intention est de bâtir une maison ; je veux que mon fils lui-même la construise. Avant d’entreprendre cette bâtisse, je lui en donne le plan ; alors il se met à l’œuvre, mais, à vrai dire, il me fait l’office d’intermédiaire, puisque je lui ai préalablement fait l’exposé de nues vues. Je le vois, il y a déjà une différence entre cette comparaison et la précédente, mais tu te trouves encore à une grande distance de la vérité. En effet, avant de construire ta maison, tu indiques à ton fils tes intentions, tu lui fais connaître tes projets ta volonté est, par là, de lui apprendre avant d’agir toi-même, à mettre fidèlement tes ordres à exécution, et de travailler ainsi par son intermédiaire ; mais il faut que tu lui adresses la parole, il faut qu’il intervienne entre vous deux une conversation ; pour lui expliquer tes plans et pour qu’il les comprenne, pour lui parler et pour qu’il t’entende, il est nécessaire d’articuler des sons ; or, ces sons n’ont absolument rien de commun ni avec toi ni avec lui : ils s’échappent de tes lèvres, font vibrer l’air, viennent frapper les oreilles de ton fils, et après avoir impressionné chez lui le sens de l’ouïe, lui communiquent ta pensée ; ils sont donc, à vrai dire, étrangers à toi et à lui. Ton intelligence a donné un signe à son intelligence ; mais ce signe n’est ni ton intelligence, ni la sienne : c’est autre chose. Pouvons-nous croire que le Père ait parlé au Fils de cette manière ? Y a-t-il eu échange de paroles entre Dieu et le Verbe ? Comment l’enseignement a-t-il été donné à l’un par l’autre ? Le Père voulant instruire son Fils, qui est son propre Verbe, et se servir pour cela du Verbe, a-t-il employé le Verbe pour s’entretenir avec le Verbe ? Ou bien le Fils de Dieu étant la grande Parole, le Père et le Fils se sont-ils entretenus au moyen de paroles moindres ? Un son quelconque, une sorte de créature volante et de peu de durée est-elle sortie de la bouche du Père pour aller toucher l’oreille du Fils ? Dieu a-t-il un corps, et par conséquent des lèvres qui laissent échapper de pareils sons ? Le Verbe a-t-il des oreilles où ils puissent aboutir ? Écarte de ton esprit toute idée matérielle ; vois les choses dans leur simple réalité, si toutefois tu es simple toi-même. Mais comment seras-tu simple ? En ne t’engageant point dans les idées et les affections du monde, en te dégageant des choses de la terre ; par là tu acquerras la simplicité. Considère donc, si tu le peux, les vérités dont je parle, et si tu n’en es pas capable, crois, du moins, ce que tu ne peux comprendre. Tu t’adresses à ton fils, et pour cela tu emploies la parole ; mais, ni toi ni ton fils, vous n’êtes cette parole qui se fait entendre. 9. J’ai, dis-tu, un autre moyen d’expliquer cette divine opération, j’instruis mon fils de telle manière que je lui communique ma pensée sans prononcer une seule parole d’un signe je lui apprends ce qu’il doit faire. Si tu emploies un signe pour manifester ce que tu veux, il est sûr que ton esprit prétend faire connaître ses pensées cachées. D’où vient ce signe ? De ton corps, c’est-à-dire de tes lèvres, de ton visage, de tes paupières, de tes yeux, de tes mains. Tout cela est parfaitement étranger à ton esprit ; ce sont des intermédiaires par lesquels on fait comprendre quelque chose ; mais les signes dont ils sont le principe, ne sont un ni avec ton esprit ni avec celui de ton fils ; car ils sont l’un et l’autre bien supérieurs à tous ces mouvements de ton corps : d’ailleurs, ton fils serait incapable de pénétrer tes intentions, si tu ne lui donnais d’abord aucun de ces signes extérieurs. Pourquoi donc essayer de ce genre d’explication ? Il n’en est pas encore ainsi dans le cas présent les choses s’y passent simplement. Le Père montre au Fils ce qu’il fait, et par cette démonstration même, il l’engendre. Je sais ce que je dis ; mais parce que je sais aussi à qui je m’adresse, je souhaite que vous parveniez à me comprendre toujours. Toutefois, si vous ne pouvez avoir l’idée de ce qu’est Dieu, puissiez-vous du moins savoir ce qu’il n’est pas ; vous serez déjà beaucoup avancés, si vous ne vous le représentez pas différent de ce qu’il est en réalité. Tu es incapable de t’imaginer ce qu’il est ; cherche à bien comprendre ce qu’il n’est pas : Dieu n’est pas un corps, il n’est ni la terre, ni le ciel, ni la lune, ni le soleil, ni les étoiles, ni rien de matériel, Et puisqu’il est différent des astres du firmament, il l’est, à bien plus forte raison, des choses de la terre. Fais donc ici abstraction de tout être corporel ; puis écoute encore cette autre remarque : Dieu n’est pas non plus un esprit sujet au changement. Sans doute, je l’avoue, et il faut l’avouer : l’Évangile dit que « Dieu est un esprit ». Mais élève-toi au-dessus de tout esprit variable ; élève-toi au-dessus de tout esprit qui sait aujourd’hui, qui ignorera demain ; qui se souvient maintenant, et qui tout à l’heure oubliera ; qui veut ce qu’il ne voulait pas précédemment, et qui ne veut plus ce qu’il voulait ; il ne s’agit point ici d’esprits aussi inconstants ou sujets à le devenir ; éloignes-en ta pensée. En Dieu, rien qui puisse se modifier, rien qui soit maintenant différent de ce qu’il était tout i l’heure ; car, où tu vois tantôt une manière d’être, et tantôt une autre, il y a une sorte de mort, puisque mourir, c’est cesser d’être ce qu’on était. On dit que l’âme est immortelle : oui, sans doute, puisqu’elle vit toujours, puisqu’elle est douée d’une vie qui ne finit pas ; mais sa vie est sujette au changement ; en raison des innombrables modifications qu’elle subit dans le cours de son existence, on peut dire qu’elle est mortelle : en effet, qu’elle vive selon les règles de la sagesse, bientôt elle déchoit et meurt en devenant moins bonne ; si, au contraire, elle s’inspire d’abord de principes mauvais, et qu’elle en adopte ensuite de plus conformes au bien, elle meurt encore, puisqu’elle devient meilleure. Qu’il y ait une mort du côté du mal, et une mort du côté du bien, l’Écriture nous l’atteste. Évidemment, il en est qui meurent parce qu’ils deviennent mauvais ; car c’est d’eux qu’il est écrit : « Laissez les morts ensevelir leurs morts hy » ; et encore : « Lève-toi, toi qui dors, et sors d’entre les morts ; et Jésus-Christ t’éclairera hz » ; et aussi dans cette leçon : « Quand les morts entendront, et ceux qui auront entendu vivront ». Ils étaient morts du côté du mal, c’est pourquoi ils reviennent à la vie. En redevenant vivants, ils meurent du côté du bien, parce qu’ainsi ils ne sont plus ce qu’ils étaient. N’être plus ce qu’on était d’abord, c’est mourir. Mais peut-être ne doit-on pas donner le nom de mort à cette transition du mal au bien ? L’Apôtre la désigne sous le nom de mort : « Si donc vous êtes morts avec Jésus-Christ à ces premiers éléments du monde, pourquoi vous en faites-vous encore des lois, comme si vous viviez dans le monde ia ? » Il dit ailleurs : « Car vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ ib ». Il veut que nous mourions pour arriver à la vie, parce que nous avons vécu de manière à mourir. Tout ce qui passe du bien au mal, mu du mal au bien, tout ce qui meurt, par conséquent, Dieu y est étranger, parce que l’infinie bonté ne peut devenir plus miséricordieuse, parce que la véritable éternité ne peut rien perdre de son étendue. Le titre de véritable appartient sans aucun doute à l’éternité qui ne subit aucune des variations du temps. Eprouver tantôt une manière d’être, et tantôt une autre, c’est le propre du temps, et là où se trouve une fois le temps, là n’est plus l’éternité. Remarque donc bien que Dieu ne ressemble pas à une âme humaine. L’âme est indubitablement immortelle. Mais pourquoi l’Apôtre, en parlant de Dieu, dit-il « qu’il possède seul l’immortalité ic ? » Par là, il a certainement voulu dire : il possède seul l’immortalité, parce qu’il possède seul la véritable éternité. Donc, en lui ne se trouve aucune variation. 10. Reconnais en toi-même une chose dont je veux te parler : elle est au dedans de toi, dans la partie la plus intime de ton être. Et quand je parle de toi, il n’est pas question de ton corps, quoiqu’on puisse dire qu’il est toi. Tu jouis d’une bonne santé, tu es parvenu à tel âge, mais c’est par rapport à ton corps tuas encore des pieds et des mains ; le mot : en toi, peut donc s’entendre de deux choses très-différentes, ou de la portion la plus secrète de ton être, ou de celle qui lui sen comme de vêtement. Mais laisse au-dehors cette enveloppe mortelle, ce corps matériel descend au dedans de toi-même, pénètre jusqu’au sanctuaire de ton âme, et découvre là, si tu en es capable, ce que je veux t’y montrer. Si, en effet, tu restais éloigné de toi-même, comment serais-tu à même de t’approcher de Dieu ? Je te parlais de Dieu, et tu pensais pouvoir me comprendre : maintenant je te parle de Ion âme, de toi-même ; comprends-moi donc : c’est ici que je veux te mettre à l’épreuve. Tu le vois, je ne vais pas bien loin chercher un exemple, puisque je prétends te montrer dans ton âme elle-même une sorte de ressemblance avec ton Dieu ; et, de fait, si l’homme a été créé à l’image de Dieu, cette image est gravée, non dans son corps, mais dans son âme. Cherchons donc Dieu dans sa ressemblance ; reconnaissons le Créateur dans son image ; efforçons-nous autant que possible de trouver au dedans de nous-mêmes la solution du problème qui nous occupe, à savoir, comment le Père montre au Fils, et commuent le Fils voit ce que lui montre le Père, même avant que le Père fasse quelque chose par le Fils. Lorsque je t’aurai donné mon explication et que tu m’auras compris, ne t’imagine pas que ma comparaison soit parfaite : tu dois conserver le sentiment de la piété, comme je le dis et te le recommande particulièrement : c’est-à-dire, si tu ne peux comprendre ce qu’est Dieu, tu ne regarderas pas, néanmoins, comme un mince avantage de savoir ce qu’il n’est pas. 11. Je vois, dans ton âme, deux facultés, la mémoire et la pensée : ce sont en quelque sorte comme la pointe et l’œil de cette âme. Tu aperçois un objet : tes yeux t’aident à le bien connaître, et la connaissance que tu en acquiers, tu la confies à ta mémoire. Ce que tu lui as ainsi confié, reste là, au dedans de toi-même, caché en lieu secret, comme le grain est enfermé dans un grenier, comme un trésor dans un coffre : il y demeure comme dans un endroit retiré, caché, à l’abri de tout regard profane. Tu penses à autre chose, ton attention se porte ailleurs : ce que tu as aperçu, l’objet dont tu as gravé l’image dans ta mémoire, tu ne l’aperçois pas. Car tes pensées se fixent sur d’autres objets. En voici la preuve : je m’adresse à des personnes qui me comprennent. Je nomme Carthage ; aussitôt tous ceux qui la connaissent, rentrent en eux-mêmes et l’y aperçoivent. Y a-t-il autant de villes de ce nom, qu’il y a ici d’âmes pour sen souvenir ? Il a suffi de la nommer, et déjà vous l’aviez vue tous en vous-mêmes. Quatre syllabes, bien connues de vous, sont sorties de ma bouche : elles sont allées frapper vos oreilles et, par l’intermédiaire de votre corps, elles ont éveillé l’attention de votre âme, et votre esprit, se détournant de pensées étrangères, s’est reporté vers les souvenirs qu’il tenait enfermés en lui, et il a vu Carthage. Cette ville s’y est-elle alors formée ? Non, car elle s’y trouvait déjà, mais elle y était cachée ; et pourquoi y était-elle cachée ? parce que ton esprit portait ailleurs son attention ; mais dès que ta pensée s’est retournée vers ce que tu avais précédemment confié à ta mémoire, Carthage est devenue présente à ton âme, et ton âme l’a en quelque sorte aperçue clairement. Un instant auparavant, cette vision n’existait pas en elle mais la mémoire s’y trouvait : en sorte que ses pensées s’étant reportées du côté de sa mémoire, elle a vu nettement Carthage. Ta mémoire a donc montré cette ville à ta pensée ; ce qu’elle tenait cachée en elle-même, avant que tu y fisses attention, elle te l’a fait voir au moment où tu as tourné vers elle ta pensée. Par ta mémoire, une manifestation a donc eu lieu à l’égard de ta pensée, et celle-ci s’en est aperçue : entre l’une et l’autre aucune parole n’a été échangée, aucun signe n’a été fait par n’importe quelle partie du corps : tu n’as donné nul assentiment, tu n’as rien écrit, tu n’as fait entendre aucun bruit, et, pourtant, ta pensée a vu ce que ta mémoire lui montrait. Et, néanmoins, c’était le même être qui montrait et voyait tout à la fois. Mais pour rappeler à ton esprit l’image, de Carthage, il t’a fallu d’abord la voir, et en graver le souvenir dans ta mémoire ; tu l’as, en effet, considérée préalablement, afin d’en conserver intacte l’idée. Pourquoi as-tu gardé la mémoire de cet arbre, de cette montagne, de ce fleuve, des traits de cet ami, de cet ennemi, de ton père, de ta mère, de ton frère, de ta sœur, de ton enfant, de ton voisin ? Parce que tu les as vus : ainsi en est-il des lettres écrites dans ce livre, de ce livre lui-même, de cette basilique ; tu as considéré tout cela, et, parce que tu l’as considéré, tu l’as confié à ta mémoire : tu as enfermé en elle ce que tu voudrais revoir, quand tu jugerais opportun d’y penser, même au moment où tu ne serais plus à même de le considérer avec les yeux du corps. En effet, tu as vu Carthage, lorsque tu étais dans cette ville : par l’intermédiaire de tes yeux, ton âme en a reçu l’image : cette image s’est gravée dans ta mémoire. Pendant que tu habitais corporellement Carthage, tu en as placé au dedans de toi le souvenir, afin de pouvoir, sans sortir de toi, la considérer encore, même quand tu n’y serais plus. Le principe de toutes les opérations de ton âme se trouve donc en dehors de toi ; mais ce que le Père montre au Fils, il ne le voit point en dehors de lui-même : tout se plaît au dedans de lui, parce qu’au-dehors aucune créature n’existerait si le Père ne l’avait faite par son Fils. Toute créature a été faite par Dieu ; avant de sortir de ses mains, elle n’existait pas. Le Père n’a donc pu la considérer comme faite, ni confier à sa mémoire le souvenir de son image, pour montrer cette image à son Fils de la même manière que notre mémoire représente à notre pensée certains objets. Le Père l’a montrée et le Fils l’a vue avant qu’elle fût faite, et le Père l’a créée en la montrant ; car, il l’a créée par son Fils qui la voyait. Il ne faut donc point s’étonner que l’Évangéliste ait dit : « qu’il ne l’ait vu faire au Père », au lieu de dire : qu’il ne l’ait vu montrer au Père ; car, en s’exprimant ainsi, il a voulu nous faire entendre que faire et montrer sont une même chose pour le Père, et, par là, que le Père fait toutes choses par le Fils, qui le voit. Cette démonstration de la part du Père et cette intuition de la part du Fils n’ont pas une durée qui puisse se mesurer comme le temps ; la raison en est facile à saisir : c’est par le Fils que se font tous les temps : il ne peut donc y avoir un seul instant où, avant leur création, ils puissent lui être montrés par le Père. Mais, quant à la démonstration du Père, elle engendre l’intuition du Fils de la même manière que le Père engendre le Fils : c’est, en effet, la démonstration qui engendre l’intuition, et ce n’est pas l’intuition qui engendre la démonstration. S’il nous était possible de saisir plus nettement et plus parfaitement la vérité, nous verrions qu’entre le Père et sa démonstration, il n’y a aucune différence, comme il n’en existe aucune catie le Fils et sa vision. Nous avons éprouvé une si grande difficulté à comprendre et à expliquer la manière dont notre mémoire représente à notre pensée les images qui sont venues du dehors se graver en elle ! N’en éprouverons-nous pas une plus grande encore à comprendre et à expliquer la manière dont Dieu le Père montre à son Fils des images qu’il n’a point reçues du dehors, mais qu’il trouve en lui, parce qu’elles ne sont autres que lui-même ? Nous ne sommes que des enfants : je vous dis ce que Dieu n’est pas, et je ne vous montre pas ce qu’il est : aussi, pour nous faire une idée de ce qu’il est, quel moyen prendre ? Est-ce à moi qu’il faut s’adresser ? Est-ce par moi que vous y arriverez ? Je vais vous le dire comme à des enfants ; car vous et moi, nous en sommes tous. Nous avons tout à l’heure chanté et entendu chanter ces paroles : « Dépose le fardeau de tes misères dans le sein du Seigneur, et il te nourrira id ». O homme, tu es réduit à l’impuissance, puisque tu n’es qu’un enfant : puisque tu es petit, il te faut prendre de la nourriture : avec une alimentation abondante, tu deviendras grand, et ce que tu ne peux voir à cause de ta petitesse, l’élévation de ta taille te permettra de le considérer à loisir ; mais afin de trouver la nourriture qui te fera grandir, « dépose le fardeau de tes misères dans le Seigneur, et il te nourrira ». 12. Maintenant donc, examinons brièvement ce qui reste, et voyez ici comment le Seigneur maous dit ce que j’ai déjà signalé à votre attention : « Le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait ». Il ressuscite lui-même les âmes, mais par le Fils, afin que, revenues à la vie, elles entrent en participation de la substance de Dieu, c’est-à-dire, du Père et du Fils. « Et il lui montrera des œuvres plus grandes que celles-ci ». Plus grandes que quelles autres œuvres ? Que la guérison des corps. Précédemment déjà ▼▼Trait 19, n. 4, 5 ; 21, n. 5-10
, nous avons parlé sur ce sujet : il est donc inutile de nous y arrêter encore. La résurrection éternelle des corps est évidemment une œuvre plus considérable que la guérison pour le temps de cette vie, opérée en faveur d’un corps malade, « Et il lui montrera des œuvres plus grandes que celles-ci, et vous en serez dans l’admiration ». « Il lui montrera », comme d’une manière transitoire, et par conséquent, comme à un homme créé dans le temps ; car le Verbe Dieu, par qui ont été faits tous les temps, n’a pas lui-même été fait ; mais le Christ-homme a été fait dans le temps. Nous savons sous quel consul, et quel jour la Vierge Matie a mis au monde le Christ conçu du Saint-Esprit : le Dieu, par qui tous les temps ont été faits, s’est donc fait homme dans le temps. C’est pourquoi le Père lui montrera, comme dans le temps, des œuvres plus grandes que celles-ci, c’est-à-dire, la résurrection des corps, et ainsi vous serez dans l’admiration de lui voir opérer par son Fils la résurrection des corps. 13. Il en revient ensuite à la résurrection des âmes : « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut », mais selon l’esprit. Le Père vivifie, et le Fils aussi : le Père vivifie ceux qu’il veut, et le Fils pareillement ; et le Père vivifie ceux-là mêmes que vivifie le Fils, parce que toutes choses ont été faites par le Fils. « Comme, en effet, le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut ». Ce passage a trait à la résurrection des âmes. Pour celle des corps, comment le Sauveur en parle-t-il ? Il y revient, et il dit : « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils ». Les âmes ressuscitent en entrant en participation de la substance éternelle, immuable, du Père et du Fils : la résurrection des corps est la conséquence du don que le Fils nous a fait de son humanité, dans le temps, et non pas co-éternellement au Père. Aussi, en nous rappelant ce jugement, pour lequel aura lieu la résurrection des corps, il nous dit : « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement à son Fils ». Quant à celle des âmes, il s’était exprimé ainsi : « Comme le Père ressuscite les morts « et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut ». Le Père et le Fils y coopèrent donc en même temps. Il n’en est pas de même du retour des corps à la vie ; « car le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement à son Fils, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père ». Ces dernières paroles : « Afin qu’ils honorent le Fils », se rapportent à la résurrection des âmes. Et comment doivent-ils honorer le Fils ? « Comme ils honorent le Père ». En effet, le Fils opère la résurrection des âmes comme le Père ; il les vivifie de la même manière que lui. Il est donc juste que, pour cette résurrection des âmes, « tous honorent le Fils comme ils honorent le Père ». Mais est-il question d’honneurs à lui rendre à l’occasion de la résurrection des corps ? En quel sens ? Le voici : « Celui qui n’honore pas le Fils, n’honore pas le Père, qui l’a envoyé ». Il ne s’agit pas d’honneurs semblables, mais « d’honneurs » et « d’honneurs ». Car si le Christ-homme est honoré, il ne l’est pas de ta même manière que le Père-Dieu. Pourquoi ? Parce que, sous ce rapport, il l’a dit lui-même : « Mon Père est plus grand que moi if ». Quand le Fils est-il honoré comme le Père ? Quand on peut lui appliquer ces paroles : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et toutes choses ont été faites par lui ig ». Aussi voici ce qu’il dit de la seconde sorte d’honneurs, qui lui est due : « Celui qui n’honore pas le Fils, n’honore pas le Père qui l’a envoyé ». Et le Fils n’a été envoyé, que parce qu’il s’est fait homme. 14. « En vérité, en vérité, je vous le dis ». Il revient encore une fois à la résurrection des âmes, afin de nous aider, par son insistance, à le bien comprendre : parce que nous n’aurions pu suivre un raisonnement rapide, en quelque sorte, comme le vol de l’oiseau, la parole de Dieu s’arrête avec nous et semble habiter avec notre faiblesse. Il rappelle à nouveau notre attention sur cette résurrection des âmes. « En vérité, en vérité, je vous le dis : celui qui écoute ma parole et croit à Celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle », mais comme s’il la recevait du Père. « Celui qui écoute ma parole et croit à Celui qui m’a envoyé, a », de la part du Père, « la vie éternelle », parce qu’il croit en Celui qui a envoyé le Fils ; « et il ne sera point condamné, mais il est passé de la mort à la vie » ; mais il est vivifié par le Père, à qui il a cru. Eh quoi ! ô Fils de Dieu, ne le vivifiez-vous pas aussi ? Remarque bien que « le Fils vivifie aussi ceux qu’il veut. En vérité, en vérité, je vous le dis : l’heure vient, et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’entendront, vivront ». Il n’a pas dit en ce passage : Ils croiront à Celui qui m’a envoyé, et, par cela même, ils vivront ; mais il a dit : Ils entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui « l’auront entendue », c’est-à-dire, ceux qui auront obéi au Fils de Dieu, « vivront ». Ils recevront donc la vie du Père, lorsqu’ils croiront au Père, et ils la recevront du Fils, lorsqu’ils auront entendu la voix du Fils de Dieu. Et pourquoi recevront-ils la vie du Père et du Fils ? Parce que, « comme le Père a la vie en soi, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir en soi la vie ». 15. C’en est fini avec la résurrection des âmes ; reste à parler plus positivement de la résurrection des corps. « Et il lui a donné la puissance de rendre les jugements ». Non-seulement de ressusciter les âmes par la foi et la sagesse, mais encore de rendre les jugements. Pourquoi cela ? « Parce qu’il est le Fils de l’homme ». Il y a donc des choses que le Père fait par son Fils, sans les faire au moyen de sa substance, en laquelle ce Fils lui est égal : ainsi, naître, subir le supplice de la croix, mourir, ressusciter comme son Fils ; car rien de tout cela ne s’est vu dans le Père. De même en est-il de la résurrection des corps. Pour celle des âmes, le Père la fait de sa substance par la substance de son Fils, substance en laquelle celui-ci lui est égal ; car lus âmes entrent en participation de cette immuable lumière, tandis que les corps n’y participent pas. Mais la résurrection des corps est l’œuvre du Père par le Fils de l’homme. « Et il lui a donné la puissance de rendre les jugements, parce qu’il est le Fils de l’homme » : ce passage est d’accord avec cet autre qui le précède : « Car le Père ne juge personne » ; et afin de montrer qu’il a voulu parler de la résurrection des corps, il ajoute : « Ne vous en étonnez pas, l’heure vient ». Il ne dit pas : « l’heure est venue », mais : « l’heure vient, où ceux qui sont dans les sépulcres (hier, nous avons plus que suffisamment traité ce sujet devant vous ▼▼Trait 22, n. 13
) entendront sa voix et en sortiront ». Pour quoi faire ? Pour être jugés : « Et ceux qui auront bien fait, en sortiront pour la résurrection de la vie ; mais ceux qui auront mal fait, pour la résurrection du jugement ». Et ce jugement, Seigneur Jésus, vous le ferez seul ; car le Père a donné tout le jugement au Fils, et il ne juge lui-même personne. – C’est moi qui le ferai, dit-il. – Mais comment le ferez-vous ? – « Je ne puis rien faire de moi-même : je juge ainsi que j’entends, et mon n jugement est juste ». Quand il s’agissait de la résurrection des âmes, il disait, non pas : « J’écoute », mais, « je vois ». Car « j’écoute » implique le commandement de mon Père, comme s’il m’intimait un ordre. Ces paroles : « Comme j’entends, je juge, et mon jugement est juste », s’appliquent au Christ en tant qu’homme, en tant qu’inférieur au Père, en tant que revêtu de la forme d’esclave, et non en tant que partageant avec son Père la nature divine. D’où vient que ce jugement de l’homme est juste ? « C’est que je ne cherche point ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé ». John 6
VINGT-QUATRIÈME TRAITÉ.
DEPUIS L’ENDROIT OÙ IL EST DIT : « APRÈS CELA, JÉSUS S’EN ALLA AU-DELÀ DE LA MER DE GALILÉE, QUI EST LA MER DE TIBÉRIADE », JUSQU’À CET AUTRE : « CELUI-CI EST VÉRITABLEMENT LE PROPHÈTE QUI DOIT VENIR EN CE MONDE ». (Chap 6, 14.)LA MULTIPLICATION DES PAINS.
Les miracles procèdent du même pouvoir divin que toutes les œuvres quotidiennes du Très-Haut, mais ils nous étonnent davantage parce qu’ils sont plus rares, et ils reportent plus efficacement nos pensées vers lui : ils sont d’ailleurs un livre où nous apprenons à connaître leur auteur. En présence d’une multitude affamée, Jésus demande à Philippe comment on pourra la nourrir. « Il y a là », dit André, « cinq pains d’orge et deux poissons ; mais qu’est-ce que cela pour tant de monde ? » Les cinq pains représentaient les cinq livres de Moïse, les deux poissons figuraient le sacerdoce et la royauté, tous deux symboles du Christ, prêtre et roi ; leur multiplication signifiait la lumière jetée par l’Évangile sur la loi mosaïque ; les cinq mille personnes rassasiées étaient l’emblème du peuple soumis à cette loi ; l’herbe était l’image du sens charnel qu’il y attachait ; les restes de ce repas signifiaient les vérités que la foule ne peut comprendre et doit croire ; enfin, le miracle lui-même donnait la preuve que le Christ était un Prophète et le maître des Prophètes. 1. Les miracles opérés par Notre-Seigneur Jésus-Christ sont des œuvres divines destinées à donner à l’âme humaine la connaissance de Dieu par le spectacle d’événements qui frappent les sens. Dieu est, en effet, de telle nature, que nos yeux ne peuvent le contempler : d’ailleurs, les prodiges qu’il ne cesse de faire en gouvernant le monde entier, et en prenant soin de toutes les créatures, frappent moins en raison de leur continuité : de là, il arrive qu’on daigne à peine remarquer l’étonnante et admirable puissance que le Très-Haut manifeste dans toutes ses divines opérations, et jusque dans la multiplication des plus petites graines : aussi, n’écoutant que son infinie miséricorde, s’est-il réservé d’opérer en temps opportun certaines merveilles qui sortiraient du cours ordinaire et de l’ordre de la nature : accoutumés à contempler les miracles quotidiens de la Providence, et à n’en tenir, pour ainsi dire, aucun compte, les hommes s’étonneront de voir des prodiges, non pas plus grands, mais moins ordinaires. En effet, gouverner l’univers est chose bien autrement merveilleuse que rassasier cinq mille hommes avec cinq pains. Et pourtant, personne ne prête attention à l’un, tandis que tous admirent l’autre : cette différence d’appréciation vient de ce que le second fait est, sinon plus admirable, du moins plus rare. Car celui qui nourrit maintenant tout le monde, n’est-il pas le même qui donne à quelques grains la vertu de produire nos récoltes ? Dieu a donc agi de la même manière : c’est la même puissance qui transforme, tous les jours, en riches moissons, quelques grains de blé, et qui a multiplié cinq pains entre ses mains. Cette puissance se trouvait à la disposition du Christ : pour les pains, ils étaient comme une semence, et cette semence, au lieu d’être jetée en terre, a été directement multipliée par Celui qui a créé la terre. Le Seigneur a frappé nos sens par ce prodige, afin d’élever vers lui nos pensées ; il a étalé sous nos yeux le spectacle de sa puissance, afin d’exciter nos âmes à la réflexion ; il voulait que ses œuvres visibles nous fissent admirer leur invisible Auteur ; ainsi élevés jusqu’à la hauteur de la foi, et purifiés par elle, nous désirerons le voir encore des yeux de notre âme, après avoir appris à le connaître, quoiqu’il soit invisible, par le spectacle présenté aux yeux de notre corps. 2. Ce n’est pas là, toutefois, le seul point de vue sous lequel nous devions envisager les miracles du Christ : il nous faut encore les étudier en eux-mêmes, et faire bien attention à ce qu’ils nous disent du Christ. Car si nous en comprenons toute l’importance, ils ont un langage à eux : dès lors, en effet, que le Christ est le Verbe de Dieu, son action même est pour nous une véritable parole. Puisque ce miracle, dont nous avons entendu le récit, nous paraît si grand, cherchons à en saisir l’étonnante signification : ne nous arrêtons pas à sa surface : essayons d’en mesurer la profondeur, car le prodige extérieur que nous admirons a une signification cachée et mystérieuse. Nous avons vu un grand prodige : nous avons eu sous les yeux une œuvre admirable, divine, qui n’a pu sortir que des mains du Tout-Puissant ; en présence de cette œuvre, nous en avons louangé l’Auteur. Si nous apercevions, quelque part, une belle Écriture, nous ne nous bornerions pas à louer le talent de l’écrivain, qui aurait tracé des lettres si belles, à tel point égales, et pareilles les unes aux autres ; nous les lirions aussi pour en connaître le sens. Ainsi doit-il en être de cet événement, qui nous apparaît si merveilleux : si nous n’en considérons que les grandioses apparences, nous trouvons déjà, à le contempler, un véritable plaisir. Mais si nous venons à en saisir la portée, il est pour nous comme un livre que nous comprenons. Entre la peinture et l’Écriture, il y a une grande différence. En présence d’un tableau, quand tu as admiré et loué le talent du peintre, c’est fini ; mais en face d’une page écrite, tu ne t’arrêtes pas à l’examiner et à donner des louanges, tu dois aussi la lire. Si tu vois des lettres, et que tu ne puisses les lire, ne dis-tu pas : Qu’est-ce qui peut être écrit là ? Puisque tu vois quelque chose, tu cherches à savoir ce que c’est, et la personne que tu interroges pour connaître ce que tu as aperçu, te montre ce que tu n’y avais pas vu. Cette personne a-t-elle des yeux d’une certaine nature ? En as-tu d’une nature différente ? Ne voyez-vous pas, l’un comme l’autre, les signes de l’alphabet ? Pardon ; mais la connaissance que vous en avez n’est pas la même. Tu vois donc, et tu admires : l’autre voit, admire, lit et comprend. Donc, puisque nous avons vu et admiré, lisons et comprenons. 3. Le Seigneur est sur la montagne : disons plutôt que le Seigneur sur la montagne, c’est le Verbe dans sa grandeur : par conséquent, ce qui s’est fait sur la montagne n’est point de nature à rester dans une sorte de dédaigneux oubli : loin de passer en y jetant à peine un fugitif regard, nous devons nous y arrêter et y porter attentivement les yeux. Le Seigneur vit la foule, reconnut qu’elle avait faim, et fournit miséricordieusement à ses besoins, non seulement en raison de sa bonté, mais encore en vertu de sa puissance. Car de quoi aurait servi sa bonté ? Dès lors qu’il n’y avait pas de pain, où aurait-il trouvé de quoi nourrir une foule affamée ? Si à sa bonté ne s’ajoutait sa puissance, cette foule resterait à jeun et continuerait à souffrir de la faim, Enfin, les disciples, qui accompagnaient le Sauveur et souffraient eux-mêmes de la faim, voulaient, comme lui, pourvoir à la nourriture de toute cette multitude, afin de ne la point laisser à jeun ; mais les moyens de le faire leur manquaient. Le Seigneur leur demanda où ils achèteraient des pains pour nourrir tout ce peuple. « Or », dit l’Écriture, « il parlait ainsi pour l’éprouver » : (il est question du disciple Philippe, que le Sauveur interrogeait) ; « car il savait ce qu’il avait à faire ». Dans quel but faisait-il cette question à son disciple, sinon pour donner la preuve de son ignorance ? Peut-être a-t-il voulu aussi nous indiquer autre chose, en nous montrant cette disposition d’esprit de Philippe. Nous en acquerrons la certitude, lorsqu’il nous parlera du mystère représenté par les cinq pains, et qu’il nous en donnera le sens ; car nous comprendrons alors pourquoi le Sauveur a voulu en cette circonstance manifester au grand jour l’ignorance de son disciple, et en faire ressortir la preuve, en le questionnant sur un sujet qu’il connaissait parfaitement. Parfois, la volonté de nous instruire à l’école des autres nous porte à les interroger sur ce que nous ignorons ; parfois encore nous demandons aux autres ce que nous savons, dans le désir d’apprendre s’ils connaissent ce sur quoi nous les questionnons. Sous ce double rapport, le Seigneur était parfaitement instruit d’abord, ce qu’il demandait, il le savait, puisqu’il savait ce qu’il ferait ; ensuite, il n’ignorait pas davantage que Philippe n’en savait rien. S’il le questionnait, c’était donc afin de donner la preuve de son ignorance. Et maintenant, pourquoi a-t-il voulu donner cette preuve ? Je l’ai dit : nous le comprendrons plus tard. 4. « André lui dit : Il se trouve ici un enfant, qui a cinq pains et deux poissons ; mais qu’est-ce que cela pour une si grande multitude ? » En réponse à la question du Sauveur, Philippe avait fait cette remarque, que deux cents deniers ne suffiraient pas pour rassasier cette immense multitude ; un enfant se trouvait là, en ce moment même : il avait cinq pains d’orge, et deux poissons. « Jésus dit donc : Faites-les asseoir ; il y avait beaucoup d’herbe en ce lieu-là, et tous s’assirent au nombre d’environ cinq mille. Or, Jésus prit les pains, il rendit grâces », et, d’après ses ordres, les pains furent rompus et placés devant les convives. Ce n’étaient plus seulement les cinq pains : c’était encore ce qu’y avait ajouté le Créateur du surplus. « Il fit de même des poissons, et leur en distribua autant qu’il en fut besoin ». Non seulement cette multitude fut rassasiée, il y eut encore des restes ; il les fit donc recueillir, afin qu’ils ne fussent point perdus, et « ses disciples remplirent douze corbeilles avec ces morceaux de pain ». 5. Allons vite. Par les cinq pains on entend les cinq livres de Moïse : c’est, à vrai dire, de l’orge, et non du blé ; car ils appartiennent à l’Ancien Testament. Vous le savez : l’orge est conformée de telle manière, qu’on parvient difficilement à y trouver la farine ; car elle est renfermée dans une enveloppe de paille épaisse et résistante ; on ne l’en fait sortir qu’avec peine. Ainsi en est-il de la lettre de l’Ancien Testament, car elle est enveloppée dans les ombres de figures charnelles ; si on parvient jusqu’à son sens caché, elle nourrit et rassasie l’âme. Un enfant portait ces cinq pains et deux poissons. Si nous voulons savoir quel était cet enfant, nous verrons peut-être qu’il représentait la nation juive ; car elle portait les livres de Moïse avec le peu de réflexion d’un entant, et ne s’en nourrissait pas ; en effet, ces livres dont elle était chargée, accablaient de leur poids celui qui n’y voyait qu’une lettre close ; ils nourrissaient, au contraire, ceux qui en pénétraient le sens. Pour les deux poissons, ils étaient, ce nous semble, la figure de ces deux personnages distingués entre tous, qui, dans l’Ancien Testament, recevaient l’onction sainte pour exercer ensuite, au milieu du peuple, les fonctions du sacerdoce et de la royauté, pour offrir le sacrifice et gouverner. Il est venu mystérieusement, un jour, dans le monde, Celui que préfiguraient ces deux personnages, Celui que représentait la farine d’orge et que la paille d’orge cachait de son enveloppe, Il est venu, réunissant en lui seul la double dignité de grand prêtre et de roi : de grand prêtre, car il s’est offert lui-même à Dieu pour nous comme une victime ; de roi, puisqu’il nous gouverne ; et ainsi brise-t-il les sceaux du livre fermé que portait le peuple d’Israël. Et le Sauveur donna l’ordre de rompre les pains, et, à ce moment-là même, ils se multiplièrent. Rien de plus vrai. En effet, que de livres on a écrits pour expliquer les cinq livres de Moïse ! En les rompant, en quelque sorte, c’est-à-dire en en exposant le sens, n’a-t-on pas travaillé à une multiplication de livres ? L’ignorance du peuple juif, quant au sens de la loi, se trouvait comme protégée par une sorte de paille d’orge ; car, en parlant de ce peuple, l’Apôtre a dit : « Jusqu’à ce jour, lorsqu’ils lisent Moïse, ils ont un voile sur le cœur ii ». Ce voile n’était pas encore enlevé, parce que le Christ n’était pas encore venu ; il n’avait pas encore été attaché à la croix, et n’avait, par conséquent, pas non plus déchiré le voile du temple. Ce peuple ignorait donc le sens de la loi : voilà pourquoi le Sauveur interrogea son disciple et manifesta son ignorance. 6. Rien ici n’est inutile ; tout a un sens, mais il faut des lecteurs qui le comprennent. En effet, le nombre lui-même des personnes nourries par Notre-Seigneur représentait le peuple soumis à la loi. Car, pourquoi se trouvaient-elles au nombre de cinq mille, sinon parce qu’elles étaient les sujets de la loi, qui se compose des cinq livres de Moïse ? Aussi, les paralytiques étaient-ils déposés aux cinq portiques du temple, sans y être néanmoins guéris ; mais celui qui, ici, pourvut avec cinq pains à la subsistance d’une multitude, rendit la santé à un paralytique sous l’un de ces portiques ij. La foule était assise sur l’herbe ; le peuple juif jugeait de tout dans un sens charnel ; il n’avait que des espérances charnelles, car toute chair n’est que de l’herbe ik. Qu’étaient-ce encore que tous ces restes, sinon ce que le peuple n’avait pu manger ? Sous cet emblème on voit les vérités transcendantes auxquelles ne peut atteindre l’intelligence de la multitude. Pour ces vérités, d’un ordre supérieur aux lumières de la foule, que reste-t-il à faire, quand on ne peut les saisir, sinon de croire ceux qui, à l’instar des Apôtres, peuvent les comprendre et en instruire les autres ? C’est avec ces restes qu’on a remplis douze corbeilles. Prodige admirable en raison de sa grandeur ! Prodige d’une évidente utilité, puisqu’il a été opéré pour le bien des âmes ! Ceux qui en furent les témoins se sentirent saisis d’admiration ; pour nous, nous n’éprouvons aucun étonnement à en écouter le récit. Le Sauveur l’a opéré devant ces cinq mille hommes pour les rendre témoins du fait ; l’Évangéliste en a écrit l’histoire, pour nous l’apprendre. La foi doit nous faire voir ce qu’ils ont eux-mêmes contemplé, car nous apercevons des yeux de l’âme ce que nous n’avons pu apercevoir des yeux du corps ; et, sous ce rapport, nous sommes autrement privilégiés que cette multitude ; car à nous s’appliquent ces paroles de Jésus-Christ : « Bienheureux ceux qui ne voient pas et qui croient il ». À cet avantage s’en ajoute peut-être encore un autre : c’est que nous avons saisi le sens caché de cet événement qui a échappé à cette foule de peuple ; et ainsi nous avons été nous-mêmes rassasiés, puisque nous avons pu réussir à trouver la farine, malgré l’épaisseur de la paille. 7. Enfin, que pensèrent de ce prodige les hommes qui en furent témoins ? « Or », dit l’Évangéliste, « tous ayant vu le miracle que Jésus-Christ avait fait, disaient : Celui-ci est véritablement le Prophète qui doit venir dans le monde ». C’était, sans doute, parce qu’ils étaient assis sur l’herbe, qu’ils considéraient le Christ seulement encore comme un Prophète. Il était déjà le Dieu des Prophètes ; il en accomplissait les oracles ; il les avait tous sanctifiés ; de plus, il était lui-même un Prophète, car il avait été dit à Moïse : « Je leur susciterai un Prophète semblable à toi ». Semblable selon la chair, mais non selon la dignité. Que cette promesse du Seigneur doive s’appliquer au Christ, nous en lisons la preuve sans réplique dans les Actes des Apôtres im. Le Sauveur dit aussi de lui-même : « Un prophète est toujours honoré, excepté dans son pays in ». Le Sauveur est prophète et aussi Verbe de Dieu, et aucun prophète ne peut prédire l’avenir sans l’assistance du Verbe de Dieu. Le Verbe de Dieu assiste donc les Prophètes il est lui-même un Prophète. Sous l’Ancien Testament, les hommes ont eu le bonheur d’entendre la voix des Prophètes inspirés et remplis du Verbe de Dieu ; pour nous, nous avons eu celui d’entendre, comme Prophète, le Verbe de Dieu en personne. Le Christ, chef divin des Prophètes, était lui-même Prophète, de la même manière que, souverain Maître des anges, il était aussi un ange. Car, il a encore été dit de lui qu’il est l’ange du grand conseil io. Toutefois, ce Prophète dit en un autre endroit : Le salut ne vous sera apporté ni par un envoyé de Dieu, ni par un ange ; le Seigneur viendra en personne pour les sauver ip : c’est-à-dire, pour les sauver, il n’enverra ni un député, ni un ange, il viendra en personne. En quelle qualité viendra-t-il ? En qualité d’ange, car il en est un. On ne peut donc dire qu’il les sauvera par le ministère d’un ange, si ce n’est que parce qu’il en est un, au point d’être le souverain Maître des anges. En latin, ange signifie : porteur de messages. Or, si le Christ ne portait aucun message, on ne lui donnerait point le nom d’ange ; comme on ne lui donnerait point celui de Prophète, s’il ne prédisait pas l’avenir. Il nous a excités à la foi et à la conquête de la vie éternelle : pour cela, il nous a fait connaître des choses présentes, et prédit des choses à venir ; en tant qu’il nous a fait connaître des choses présentes, il était un ange : en tant qu’il nous prédisait des choses à venir, c’était un Prophète ; et, parce qu’étant le Verbe de Dieu, il s’est fait chair, il était le souverain Seigneur des anges et des Prophètes.SERMON CXXX. LE PAIN DE VIE iq.
ANALYSE. – Les cinq pains se multiplient dans les mains des Apôtres qui les distribuent, comme les enseignements de la loi quand on les répand. Mais de même que dans le froment la farine est cachée sous le son, ainsi Jésus-Christ est renfermé dans toute la loi et en se faisant homme il est devenu pour nous le pain de vie éternelle. Quand nous voyons ce qu’il a fait pour nous racheter, est-il possible que nous n’ayons pas en lui la plus entière confiance ? Et quand nous méditons les merveilles qu’il a opérées en notre faveur, soit dans la personne du père des croyants, soit dans sa propre personne, soit en nous, comment ne pas voir que ce qu’il nous promet est moins prodigieux que ce qu’il nous a accordé, et que le passé répond invinciblement de l’avenir ? Appuyons-nous avec joie sur cet incomparable protecteur. 1. Voilà un grand miracle, mes amis ; cinq pains et deux poissons ont suffi pour rassasier cinq mille hommes, et les restes des morceaux pour emplir douze corbeilles. Quel miracle ! Et pourtant nous n’en serons pas fort surpris si nous en considérons l’Auteur. S’il a multiplié cinq pains dans les mains qui les rompaient, n’est-ce pas lui qui multiplie les semences qui germent sur la terre et à qui peu de grains suffisent pour emplir les greniers ? Mais comme ce prodige se renouvelle chaque année, personne ne l’admire ; ce qui écarte l’admiration, ce n’est pas le peu d’importance du fait, c’est que le fait est ordinaire. Lorsque le Seigneur opérait ces miracles, il parlait à l’intelligence, non-seulement de vive voix, mais encore par ses actes. Les cinq pains signifiaient pour lui les cinq livres de la loi de Moïse ; car cette loi est à l’Évangile, ce que l’orge est au froment. Il y a dans ces livres de profonds mystères concernant le Christ ; aussi le Christ disait-il lui-même : « Si vous croyiez Moïse, vous ne croiriez aussi, car il a parlé de moi dans ses écrits ir. » Mais de même que dans l’orge la moelle est cachée sous la paille, ainsi le Christ est voilé sous les mystères de la loi. Quand on expose ces mystères qui recèlent le Pain de vie, ils semblent se dilater : ainsi se multipliaient les cinq pains quand on les rompait. Ne vous ai-je pas rompu le pain moi-même en vous faisant ces observations ? Les cinq mille hommes désignent le peuple soumis aux cinq livres de la loi ; les douze corbeilles sont les douze Apôtres remplis aussi des débris de cette même loi. Quant aux deux poissons, ils figurent ou les deux préceptes de l’amour de Dieu et du prochain, ou les Juifs et les Gentils, ou les deux fonctions sacrées de l’empire et du sacerdoce. Exposer ces mystères, c’est rompre le pain ; les comprendre, c’est le manger. 2. Contemplons maintenant l’Auteur de ces merveilles. Il est le pain descendu du ciel is ; mais c’est un pain qui nourrit sans diminuer, qu’on peut manger sans le consumer. Ce pain était encore désigné par la manne ; aussi est-il écrit : « Il a donné le pain du ciel, l’homme a mangé le pain des Anges it. » Quel est ce pain du ciel, sinon le Christ ? Mais afin de permettre à l’homme de manger le pain des Anges, le Seigneur des Anges a dû se faire homme. S’il ne se l’était point fait, nous n’aurions pas sa chair ; et si nous n’avions pas sa chair, nous ne mangerions pas le pain de l’autel. Ah ! puisque nous en avons un gage si précieux, courons prendre possession de notre héritage. Oui, mes frères, désirons vivre avec le Christ, puisque nous avons un tel gage dans sa mort. Eh ! comment ne nous ferait-il point part de ses biens, lui qui a souffert de nos maux ? Dans ces pays et dans ce siècle pervers, que voit-on le plus, sinon naître, souffrir et mourir ? Examinez avec soin les choses humaines, et confondez-moi si je mens. Examinez si tous les hommes sont ici pour autre chose que pour naître, souffrir et mourir. Tels sont les produits de notre pays, on les y trouve en abondance. Or c’est pour les acheter qu’est descendu le divin Négociant. Quiconque achète, donne et reçoit ; il donne ce qu’il a et reçoit ce qu’il n’a pas ; pour payer il donne son argent, et reçoit ce qu’il a payé, ainsi en est-il ici du Christ ; il a donné et il a reçu. Mais qu’a-t-il reçu ? Ce que produit si largement notre pays, de naître, de souffrir et de mourir. Et qu’a-t-il donné ? De renaître, de ressusciter et de régner éternellement. O négociant généreux, achetez-nous. Pourquoi dire achetez-nous, quand nous devons vous rendre grâces de nous avoir achetés ? Vous nous livrez même notre rançon ; ne la recevons-nous pas lorsque nous buvons votre sang ? De plus nous lisons l’Évangile, l’acte de notre acquisition. Ainsi nous sommes à la fois vos esclaves et vos créatures ; puisque vous nous avez formés et rachetés. Chacun ici peut acheter son esclave, nul ne saurait le créer ; tandis que le Seigneur a créé et racheté ses serviteurs : il les a créés en leur donnant l’existence, il les a rachetés pour les soustraire à l’esclavage. Nous étions tombés sous l’autorité du prince de ce siècle, qui avait séduit et asservi Adam et nous retenait comme des esclaves de naissance. Le Rédempteur est venu, et il a triomphé du séducteur. Et qu’a-t-il fait contre ce tyran ? Pour nous racheter, il a fait de sa croix un piège ; il y a mis son sang comme un appât. L’ennemi a pu répandre ce sang, mais sans mériter de le boire ; et en répandant le sang de qui ne lui devait rien, il a été condamné à relâcher ses débiteurs ; pour avoir versé le sang innocent, il a perdu tout droit sur les coupables. Le Sauveur effectivement consentit à le répandre pour effacer nos péchés ; et c’est ainsi que le sang du Rédempteur anéantit les titres de notre ennemi. Celui-ci ne nous tenait sous le joug qu’à cause de nos iniquités ; ces iniquités étaient comme les chaînes des captifs. Survint le Libérateur ; il enchaîna le fort armé par sa passion, il pénétra dans sa demeure, c’est-à-dire dans les cœurs qu’il habitait et enleva les vaisseaux qui lui appartenaient iu, c’est-à-dire nous-mêmes. Ce tyran nous avait remplis de son amertume ; il voulut même la faire boire à notre Rédempteur en lui présentant du fiel. Mais en lui enlevant et en s’appropriant les vaisseaux qu’il remplissait de lui-même, le Seigneur en répandit la liqueur amère et les remplit de la douceur de son esprit. 3. Ah ! aimons-le, puisqu’il est si doux. « Goûtez et voyez combien le Seigneur est suave iv. » Il faut le craindre, mais l’aimer davantage. Il est à la fois Dieu et homme. Il y a dans, la seule personne du Christ l’humanité et la divinité, comme il y a dans un même homme l’âme et le corps ; mais la divinité et l’humanité ne forment pas deux personnes dans le Christ. Il y a en lui deux natures, la nature divine et la nature humaine, mais une seule personne ; ce qui fait que malgré l’incarnation il n’y a pas en Dieu quaternité, mais seulement Trinité. Est-il donc possible que Dieu n’ait pas compassion de nous, puisqu’il s’est fait homme pour nous ? Il a fait beaucoup, ce qu’il a fait est plus, étonnant que ce qu’il a promis, et ses œuvres doivent nous déterminer à compter sur ses promesses. Si nous ne le voyions, nous aurions peine à croire ce qu’il a fait. Où le voyons-nous ? Parmi les peuples qui croient en lui ; dans la multitude des nations qu’il a su s’attacher. Ainsi nous voyons accompli ce qu’il a promis à Abraham, et ce spectacle nous porte à croire ce que nous ne voyons pas. Abraham effectivement n’était qu’un homme, et il lui fut dit : « Toutes les nations seront bénies dans Celui qui sortira de toi iw. » S’il n’avait considéré que lui, aurait-il cru ? Il n’était qu’un, homme, et un homme déjà dans la vieillesse, de plus son épouse était stérile, et déjà si avancée en âge, que l’âge seul sans la stérilité eût été un obstacle à la conception. Ainsi rien absolument ne pouvait légitimer d’espérance. Mais le patriarche considérait l’auteur de la promesse et il croyait sans voir ; Pour nous, nous voyons ce qu’il croyait, et pour cela nous devons croire ce que nous ne voyons pas. Abraham engendra Isaac, nous ne l’avons pas vu ; Isaac engendra Jacob ; nous ne l’avons pas vu non plus ; Jacob engendra ses douze fils, qu’également nous n’avons pas vus ; ses douze fils à leur tour engendrèrent le peuple d’Israël ; nous voyons aujourd’hui ce grand peuple. Puisque j’ai commencé à parler de ce que nous voyons, j’ajoute : Du peuple d’Israël est issue la vierge Marie, mère du Christ, et sous nos yeux toutes les nations sont bénies dans le Christ. Est-il rien de plus vrai, rien de plus certain, rien de plus manifeste ? O vous qui êtes sortis avec moi de la gentilité, désirez avec moi la vie future. Si dans ce siècle Dieu n’a point manqué à la promesse qu’il avait faite à Abraham relativement à sa postérité, n’accomplira-t-il pas encore bien plus largement ses promesses éternelles envers nous qui sommes par sa grâce la postérité même d’Abraham ? « Si vous êtes chrétiens, dit expressément l’Apôtre, il s’ensuit que vous formez la postérité d’Abraham ix. » 4. Ah ! nous avons commencé à devenir quelque chose de grand ; que nul ne se méprise nous n’étions rien, mais nous sommes quelque chose. Nous avons dit au Seigneur : « Souvenez-vous que nous sommes poussière iy ; » mais de cette poussière il a fait un homme, à cette poussière il a donné la vie, et dans la personne du Christ notre Seigneur il a élevé jusqu’au trône des cieux cette même poussière. N’est-ce pas ici en effet qu’il a pris chair, qu’il s’est uni à la terre et qu’après avoir fait la terre et le ciel il a élevé la terre jusqu’au ciel ? Figurons-nous donc qu’on nous parle aujourd’hui pour la première fois de ces deux choses en supposant qu’elles ne sont pas accomplies encore, et qu’on nous demande : Qu’y a-t-il de plus étonnant, ou que Dieu se fasse homme ou que l’homme devienne l’homme de Dieu ? De quel côté est la plus grande merveille, la difficulté plus grande ? – Que nous a promis le Christ ? Ce que nous ne voyons pas encore, c’est-à-dire, de devenir ses hommes, de régner avec lui et de ne mourir jamais. Ce qui paraît difficile à croire, c’est que l’homme sorti du néant parvienne ainsi à la vie qui ne finit pas. Et pourtant c’est ce que nous croyons quand nous avons secoué de notre cœur la poussière du monde, cette poussière qui ferme nos yeux à la lumière de la foi. Nous sommes même obligés de croire qu’après notre mort, nous entrerons avec ces corps, victimes du trépas, dans la vie d’où la mort est bannie à tout jamais. C’est chose étonnante. Ce qui l’est plus encore, c’est ce qu’a fait le Christ. Qu’y a-t-il en effet de plus incroyable ou de voir l’homme vivre éternellement, ou de voir le Christ mourir un jour ? N’est-il pas plus facile de croire que les hommes reçoivent de Dieu la vie, que de voir ces mêmes hommes donner la mort à Dieu ? Ce dernier fait est selon moi plus difficile à admettre. Et toutefois il est accompli ; croyons donc l’autre qui s’accomplira également. Dieu ayant fait ce qu’il y a de plus incroyable, ne nous accorderait pas ce qui l’est moins ? Dieu en effet peut faire de nous des Anges, puisque d’une terre abjecte il a fait de nous des hommes. Que deviendrons-nous ? Des Anges. Qu’avons-nous été ? On a honte de le rappeler ; je suis forcé d’y penser et je rougis de le dire. Qu’avons-nous été ? De quoi Dieu a-t-il formé les hommes ? Qu’étions-nous avant d’être ? Rien. Qu’étions-nous dans le sein de nos mères ? C’est assez. De ce que vous étiez alors, élevez maintenant votre esprit à ce que vous êtes aujourd’hui. Vous vivez : les plantes et les arbres vivent aussi. Vous sentez : les animaux sentent également. Vous êtes hommes, et ce qui vous élève bien au-dessus des animaux, c’est que vous avez l’intelligence des dons immenses que Dieu, nous a faits. Oui, vous vivez, vous sentez, vous comprenez, vous êtes hommes. Qu’y a-t-il de comparable à tant de faveurs ? C’est que vous êtes chrétiens. Et si nous n’avions pas reçu cette grâce, que nous servirait d’être hommes ? Nous sommes donc chrétiens ; nous appartenons au Christ. Que le monde se courrouce ; il ne nous domptera point, car nous appartenons au Christ. Que le monde nous flatte ; il ne nous séduira point, nous appartenons au Christ. 5. Nous avons trouvé, mes frères, un puissant protecteur. Vous savez comment les hommes s’appuient sur leurs patrons. On menace le client d’un puissant du monde. Tant que mon seigneur un tel a la tête sur les épaules, répond-il, tu ne peux rien contre moi. Et nous, ne saurions-nous dire avec bien plus de force et d’assurance : Tant que notre Chef est vivant, tu ne peux rien contre nous ? Notre protecteur en effet est aussi notre Chef. D’ailleurs ceux qui s’appuient sur un patron ordinaire ne sont que ses clients ; nous sommes, nous, les membres de notre protecteur ; qu’il continue à nous communiquer la vie ; personne ne saurait nous arracher à lui, quels que soient les maux que nous ayons à souffrir dans ce monde, car tout ce qui passe n’est rien, et nous parviendrons à des biens qui ne passeront pas, nous y parviendrons par la souffrance, et une fois que nous y serons, qui nous en privera ? On ferme les portes de Jérusalem, on y place même des verrous et on peut dire à cette cité : « Loue le Seigneur, Jérusalem ; ô Sion, loue ton Dieu. Il affermit les verrous de tes portes ; il bénit tes enfants dans ton enceinte et il a placé la paix sur tes remparts. » Or, quand les portes sont closes et les verrous fermés, aucun ami ne sort, il n’entre aucun ennemi. C’est donc là que nous jouirons d’une tranquillité véritable et assurée, pourvu qu’ici nous n’abandonnions pas la vérité.VINGT-CINQUIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CET ENDROIT : « JÉSUS SACHANT QU’ILS VOULAIENT L’ENLEVER, AFIN DE LE FAIRE ROI », JUSQU’À CET AUTRE : « ET JE LE RESSUSCITERAI AU DERNIER JOUR ». (Chap 6, 15-44.)JÉSUS, SOURCE DE TRANQUILLITÉ ET DE VIE.
Jésus-Christ, comme Dieu, est roi de l’univers ; comme homme, il régnera sur les élus dans le ciel : mais, en le voyant multiplier les pains, ses disciples et les Juifs voulaient lui donner une royauté temporelle, ignorant qu’il dût s’élever d’abord sur le Calvaire ; il s’enfuit donc sur la montagne. Pendant son absence, les Apôtres s’en retournèrent à Capharnaüm ; en traversant la mer ils furent assaillis d’une violente tempête. Leur barque était l’image de l’Église ; la tempête, celle des calamités qui doivent la tourmenter ici-bas sans pouvoir la faire périr. Enfin, le Sauveur vint sur les eaux, la nacelle aborda au rivage, et la tranquillité se rétablit. Avec Jésus, le chrétien foule aux pieds le monde et ses traverses, et il arrive sain et sauf à la bienheureuse éternité. Le lendemain, la foule retrouve le Sauveur à Capharnaüm et s’empresse autour de lui : Ne me cherchez point pour le pain matériel que je pourrais vous donner, mais pour la vie éternelle dont je suis la source, comme Fils de Dieu : pour avoir la vie, croyez en moi. – Quel signe nous donnerez-vous pour nous aider à croire en vous ? – Si Moïse vous a donné la manne, Dieu vous donne un aliment bien supérieur, le vrai pain de vie, et ce pain, c’est moi, soyez, comme moi, humbles et soumis à la volonté de Dieu, et vous me serez unis, et vous aurez toujours en vous le repos et la vie. 1. La leçon de ce jour a été prise, dans l’Évangile, immédiatement après celle d’hier : c’est là que commencera notre discours d’aujourd’hui. L’écrivain sacré a donc fait le récit de ce miracle où Jésus nourrit cinq mille hommes avec cinq pains ; à la suite de ce prodige, la multitude fut saisie d’admiration, et le reconnut comme un grand Prophète venu en ce monde. Saint Jean continue en ces termes : « Jésus, sachant qu’ils voulaient l’enlever pour le faire roi, se retira seul de nouveau sur la montagne ». Ce passage nous donne à penser que le Sauveur, après s’être assis sur la montagne avec ses disciples, et avoir vu la foule se porter vers lui, était descendu de cette même montagne et avait nourri cette multitude dans la plaine. Comment, en effet, aurait-il pu se retirer à nouveau en cet endroit, s’il n’en était préalablement descendu ? Il y a donc une signification à attacher à cette démarche du Sauveur, qui descend de la montagne afin de pourvoir aux besoins de tout un peuple. Il lui donna la subsistance nécessaire et retourna à l’endroit d’où il était venu. 2. Mais pourquoi se transporta-t-il de nouveau sur la montagne, lorsqu’il eut vu qu’on voulait l’enlever et le faire roi ? Eh quoi ! Lui qui craignait de devenir roi, ne l’était-il pas déjà ? Oui, il l’était, et il n’avait pas besoin de recevoir de la main des hommes la couronne royale, puisque c’est lui qui leur distribue les royautés. Peut-être le Seigneur Jésus a-t-il voulu en cela nous donner une instruction, car il nous parle par toutes ses œuvres. Par conséquent, de ce fait que la multitude voulut l’enlever pour le faire roi, et qu’il se retira seul sur la montagne afin d’éviter cet honneur, devons-nous conclure qu’il ne résulte rien pour nous ? que nous devons y voir un événement sans portée, dépourvu de tout enseignement, n’ayant aucune signification propre ? Et de la part de ceux qui voulaient l’enlever, n’était-ce point devancer l’ère de sa royauté ? Si, en effet, il avait paru au milieu des hommes, le moment n’était pas encore venu pour lui de régner comme il régnera à l’époque à laquelle nous faisons allusion, quand nous disons : « Que votre règne arrive iz ». Il règne déjà éternellement avec son Père, en tant qu’il est Fils de Dieu, Verbe de Dieu, Verbe par qui toutes choses ont été faites. Les Prophètes ont encore prédit que le Christ régnerait eux tant qu’il s’est fait homme, et que les chrétiens sont devenus ses sujets aujourd’hui. Les éléments de ce royaume des chrétiens se préparent et se réunissent : le Sauveur les achète au prix de son sang ; son existence s’imposera à tous les regards, lorsque la gloire des saints apparaîtra dans toute sa splendeur, à la suite du jugement qu’il prononcera en personne, et qui, selon son expression rapportée plus haut, est spécialement réservé au fils de l’homme ja. En parlant de ce royaume, l’Apôtre a dit : « Lorsqu’il aura remis son royaume à Dieu, son Père jb ». Et lui-même s’en est exprimé en ces termes : « Venez, bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde jc ». Mais les disciples et la foule qui croyaient en lui, s’imaginèrent qu’il était venu en ce monde pour régner immédiatement ; l’enlever et le faire roi, c’était donc devancer l’ère de la royauté, dont il tenait caché en lui-même le moment précis, pour la faire paraître au grand jour et la proclamer en temps opportun, c’est-à-dire à la fin du monde. 3. Le peuple voulait le faire roi, ou, en d’autres termes, il voulait fonder avant le temps et posséder un royaume visible du Christ, quoiqu’il dût d’abord être jugé, puis juger les autres ; en voici la preuve : immédiatement après qu’il eut été attaché à la croix, ceux mêmes qui avaient mis en lui leur confiance, avaient perdu tout espoir de le voir ressusciter ; et quand il fut sorti vivant de son tombeau, il rencontra, au sortir de Jérusalem, deux disciples qui s’entretenaient ensemble comme des gens découragés, et qui se racontaient en gémissant ce qui venait d’avoir lieu ; il s’approcha d’eux, et ils ne virent en lui qu’un étranger, car leurs yeux étaient fermés, et ils ne le reconnaissaient pas ; dès qu’il se fut mêlé à leur conversation, ils lui firent part du sujet de leur entretien et lui racontèrent que ce Prophète puissant en œuvres et en paroles avait été mis à mort par les princes des prêtres : « Et nous espérions », ajoutèrent-ils, « qu’il serait le libérateur d’Israël jd ». Vous ne vous trompiez pas, votre espérance était bien fondée ; car il est effectivement le Rédempteur d’Israël. Mais pourquoi vous hâter ainsi ? Pourquoi vouloir l’enlever ? Voici encore une autre preuve des idées et des intentions de la multitude, Les disciples du Sauveur l’interrogeaient un jour sur ce qui se passerait à la fin des temps : « Seigneur », lui disaient-ils, « est-ce en ce temps-ci que vous rétablirez le royaume d’Israël ? quand le rétablirez-vous ? » Ils désiraient, ils voulaient voir déjà exister ce royaume : en un mot, ils voulaient enlever le Christ et le faire roi. Mais, parce qu’il devait seul monter bientôt au ciel, il leur dit : « Ce n’est pas à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a disposés dans sa puissance. Mais vous recevrez la vertu du Saint-Esprit venant sur vous, et vous serez témoins pour moi à Jérusalem, et dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre je ». Vous voulez que je fasse paraître mon royaume ; je le montrerai quand les éléments en seront réunis ; vous aimez la grandeur, et vous y parviendrez, mais suivez-moi dans le chemin de l’humilité. Il a encore été dit du Christ : « L’assemblée des peuples vous environnera ; à cause d’elle, remontez sur la hauteur jf ». C’est-à-dire : pour que l’assemblée des peuples vous environne, pour réunir autour de vous un grand nombre de nations, remontez sur la hauteur. Ainsi a-t-il agi : il a gravi de nouveau la montagne, après avoir nourri la multitude. 4. Mais pourquoi l’Évangéliste a-t-il employé le mot : « Il s’enfuit », puisqu’en réalité on ne pouvait ni mettre la main sur lui, ni l’enlever ; ni même le reconnaître contre son gré ? La preuve que tout ceci s’est passé en mystère, non comme résultat de la nécessité, mais pour nous insinuer un secret dessein de Dieu, vous la verrez bientôt, dans les versets suivants. Il s’était, en effet, trouvé au milieu de cette foule qui le recherchait ; il s’était entretenu avec elle, lui avait parlé beaucoup et avait discuté longuement devant elle la question du pain descendu du ciel, S’était-il alors éloigné d’elle dans la crainte de la voir s’emparer de lui ? En cette circonstance, ne pouvait-il pas agir, pour sauvegarde sa liberté, comme il agit plus tard, lorsqu’il engagea cette discussion avec elle ? Il a donc voulu nous donner une leçon en prenant la fuite. Alors, que signifie ce mot : « Il s’enfuit ? » On ne put se faire une idée de sa grandeur. Tout ce que tu ne comprends point, n’en dis-tu pas : Cela m’échappe ? Aussi « se retira-t-il seul sur la montagne ». Le premier-né d’entre les morts jg s’est élevé au-dessus de tous les cieux, et il intercède pour nous jh. 5. Cependant ce grand prêtre se retira seul au sommet de la montagne : il avait été figuré par le grand prêtre de l’ancienne loi, qui entrait, une fois l’année, à l’intérieur du sanctuaire, laissant la foule du peuple en dehors du voile ji. Pendant que Jésus était sur la hauteur, ses disciples se trouvaient sur une barque ; qu’y souffraient-ils ? Dès lors qu’il était en un lieu élevé, cette barque préfigurait l’Église. Si, en effet, et avant tout, nous ne voyons pas que la tourmente dont cette barque avait à souffrir était la figure de ce qui se passe dans l’Église, tous ces faits étaient sans portée relativement à l’avenir ; c’étaient des événements purement transitoires, incapables de fixer notre attention ; mais si nous les regardons comme des figures qui reçoivent dans l’Église leur accomplissement, il est sûr que toutes les actions du Christ nous tiennent une sorte de langage. « Et quand le soir fut venu », dit saint Jean, « ses disciples descendirent vers la mer, et étant montés dans la nacelle, ils vinrent au-delà de la mer, vers Capharnaüm » Dans ce passage, l’Évangéliste nous indique, comme ayant déjà eu lieu, ce qui ne s’est fait que plus lard, « Ils vinrent au-delà de la mer, vers Capharnaüm » ; puis, revenant sur ses pas, il nous apprend comment ils y sont venus il nous dit qu’ils ont traversé la mer en bateau ; enfin, il nous raconte en deux mots ce qui est advenu pendant qu’ils se dirigeaient avec leur nacelle vers cet endroit, où il nous adit par anticipation qu’ils étaient arrivés. « Et les ténèbres se répandaient déjà, et Jésus n’était pas encore revenu près d’eux ». Il était naturel que les ténèbres se répandissent, puisque la lumière n’avait pas encore paru. « Les ténèbres se répandaient déjà, et Jésus n’était pas encore revenu près d’eux ». Plus approche la fin du monde, plus s’accroissent, et les erreurs, et les terreurs, et l’iniquité, et l’infidélité, plus aussi s’affaiblit éclat de cette lumière, qui n’est autre que la charité ; l’Évangéliste Jean lui-même nous a dit à plusieurs reprises et ouvertement, et lue craint pas de s’exprimer ainsi « Celui qui hait son frère est dans les ténèbres jj ». Ces ténèbres de la haine des frères, les uns envers les autres, s’accroissent et s’épaississent de jour en jour ; et Jésus n’est pas encore menu. Comment voyons-nous qu’elles augmentent chaque jour davantage ? « Parce que l’iniquité abondera, on verra se refroidir la charité d’un grand nombre ». Les ténèbres deviennent plus profondes, et Jésus n’est pas encore venu. L’épaississement des ténèbres, le refroidissement de la charité, l’abondance de l’iniquité, voilà les vagues qui secouent la nacelle, les vents et les tempêtes qui l’assaillent : ce sont les imputations des détracteurs, Dès lors que la charité se refroidit, les vagues se soulèvent et tourmentent le bateau. 6. « Un grand vent venant à souffler, la mer s’élevait ». Les ténèbres s’épaississaient : les intelligences tombaient dans l’obscurité, l’iniquité se multipliait. « Après donc qu’ils eurent ramé vingt-cinq ou trente stades ». Cependant, ils marchaient, ils avançaient, et ni les vents, ni la tempête, ni les flots, ni les ténèbres n’empêchaient la barque de marcher. Détachée du rivage, elle n’était pas non plus engloutie dans les flots par tous ces éléments en fureur, elle avançait toujours en dépit de leurs efforts. En effet, de ce que l’iniquité surabonde, de ce que la charité d’un grand nombre se refroidisse, de ce que les flots s’élèvent, de ce que les ténèbres s’accroissent, de ce que les vents deviennent impétueux, le bateau, l’Église, n’en poursuit pas moins sa course ; « car celui qui persévérera jusqu’à la fin, sera sauvé ». Le nombre même des stades parcourues n’est pas à négliger : il est vraiment impossible que ce passage ne renferme pas un sens caché. « Après qu’ils eurent ramé vingt-cinq ou trente stades, alors Jésus vint à eux ». Il suffirait de dire « vingt-cinq », comme de dire « trente » ; car, ici, il n’y a pas une évaluation précise de la distance parcourue : ce n’en est qu’une évaluation approximative. Si l’Ecrivain sacré disait nettement vingt-cinq stades, trente stades, y aurait-il de sa part une atteinte réelle à la vérité ? Non, mais il s’est servi du chiffre vingt-cinq pour faire celui de trente. Occupons-nous d’abord du nombre vingt-cinq. D’où vient-il ? Comment se forme-t-il ? Du nombre cinq, qui se rapporte à la loi ; car, il y a cinq livres de Moïse ; il y avait cinq portiques sous lesquels on déposait les paralytiques : c’est encore avec cinq pains que le Sauveur a nourri cinq mille hommes : le nombre vingt-cinq représente donc la loi, parce que cinq multiplié par cinq, ou cinq fois cinq font vingt-cinq, qui est le carré de cinq. Mais avant l’apparition de l’Évangile, la loi n’était point parvenue à sa perfection la perfection se trouve dans le nombre six aussi est-ce en six jours que Dieu a parfait la création du monde jk. Cinq se multiplie donc par six, et ainsi la loi se trouve amenée à sa perfection par l’Évangile, et cinq répété six fois forme le nombre trente. Jésus vint donc à ceux qui accomplissaient la loi ; et comment y vint-il ? En marchant sur les flots et foulant sous ses pieds tout l’orgueil du monde, toutes les grandeurs de la terre. À mesure que les années s’ajoutent aux années, et qu’on approche de la consommation des temps, on voit s’accroître en ce monde les tribulations et les maux : le chrétien se voit de plus en plus écrasé par ses ennemis : les épreuves de tous genres s’amoncellent incessamment sur lui, et Jésus passe en foulant les flots sous ses pieds. 7. Néanmoins, les tribulations s’aggravent à tel point, que ceux mêmes qui croient en Jésus-Christ et qui s’efforcent de persévérer jusqu’à la fin, tremblent dans la crainte de défaillir. Le Christ foule les vagues à ses pieds, il écrase toutes les orgueilleuses prétentions des mondains, et néanmoins le chrétien s’épouvante. Mais tout cela ne lui a-t-il pas été prédit ? Ce ne fut pas sans raison que les Apôtres « furent saisis de crainte », même au moment où Jésus marchait sur les eaux ainsi en est-il des chrétiens en présence du Dieu qui écrase l’orgueil de ce monde : ils ont placé leurs espérances dans la vie future, et pourtant ils tombent dans le trouble quand ils voient les choses humaines ainsi foulées aux pieds par le Sauveur. Ils ouvrent l’Évangile, ils lisent les Écritures, et ils y trouvent l’annonce de tout cela, et ce livre divin les avertit d’avance que telle est la manière d’agir du Sauveur. Il rabaisse jusque dans la poussière l’orgueil des mondains, afin que les humbles le glorifient. Touchant cet orgueil des mondains, voici ce qui a été prédit : « Vous détruirez leurs villes les mieux fortifiées » ; et encore : « La puissance de votre ennemi a été anéantie pour toujours, et vous avez détruit ses villes jl ». Chrétiens ! que craignez-vous donc ? Le Christ vous dit : « C’est moi, ne craignez pas s. Pourquoi avoir peur en me voyant agir ? Pourquoi trembler ? Ce que je fais, je vous l’ai annoncé d’avance, et je dois nécessairement le faire. « C’est moi, ne craignez pas ». Ils le reconnurent, et, tranquilles désormais, transportés de joie, « ils voulurent le recevoir dans la nacelle ; et, aussitôt elle aborda la terre où ils allaient ». En abordant ils en finirent avec leurs épreuves : à l’élément liquide se substitua pour eux l’élément solide ; aux vagues agitées, la terre ferme ; au voyage, le repos. 8. « Le lendemain, la multitude qui se tenait de l’autre côté de la mer », d’où Jésus et ses disciples étaient venus, « voyant qu’il n’y avait qu’une nacelle, et que Jésus n’y était point entré avec ses disciples, mais que les disciples s’en allaient seuls ; d’autres barques étaient venues de Tibériade, près du lieu où ils avaient mangé le pain après que le Seigneur eût rendu grâces ; la multitude, voyant que Jésus n’était point là, ni ses disciples non plus, monta dans des barques et vint à Capharnaüm, cherchant Jésus ». Ces hommes devaient bien s’apercevoir un peu du merveilleux prodige que le Sauveur venait d’opérer, car ils voyaient que les disciples seuls étaient montés dans la barque, et qu’il n’y en avait pas d’autre en cet endroit. Des barques vinrent donc du côté opposé jusqu’à l’endroit où ils avaient mangé le pain : la foule monta sur ces barques et vint trouver Jésus, Il n’était pas monté avec ses disciples ; il n’y avait là aucune autre nacelle : comment le Sauveur avait-il pu se trouver tout à coup transporté de l’autre côté de la mer, sinon parce qu’il avait marché sur les eaux et avait voulu les rendre témoins d’un nouveau prodige ? 9. « La foule l’ayant trouvé au-delà de la mer ». Le voilà qui se présente devant la foule : et, pourtant dans la crainte d’être enlevé par elle, il s’était enfui dans la montagne. Il nous laisse à supposer, et même il nous confirme dans l’idée que ces paroles renferment un mystère : et il a voulu nous faire trouver un sens caché en ce prodige, qu’il avait opéré dans le plus grand secret. Celui qui, pour s’écarter de la foule, s’était retiré sur la montagne, n’entre-t-il pas maintenant en colloque avec cette même foule ? Qu’elle en profite donc, pour s’emparer de sa personne pour le faire roi. « L’ayant trouvé au-delà de la mer, tous lui dirent : Maître, « quand êtes-vous venu ici ? » 10. Après avoir opéré en secret ce miracle, il adresse la parole à cette multitude, afin de nourrir encore autant que possible ceux qu’il a déjà nourris, afin de rassasier par ses discours les âmes de ceux dont il vient de calmer la faim corporelle. Mais encore faut-il qu’ils reçoivent cette nourriture nouvelle, et, s’ils ne la reçoivent pas, qu’on la recueille pour n’en pas laisser perdre les restes. À lui donc de parler, à nous d’écouter : « Jésus leur répondit en ces termes : En vérité, en vérité, je vous le dis : Vous me, cherchiez, non parce que vous avez vu des miracles, mais parce que vous avez mangé des pains que je vous ai donnés ». Vous me cherchez donc pour des motifs charnels, et non pour des motifs spirituels. Combien cherchent Jésus seulement en raison du bien qu’ils désirent recevoir de lui suivant les circonstances ! Celui-ci se trouve dans une entreprise : il demande aux clercs l’appui de leur intercession : celui-là est poursuivi par un plus fort que lui ; il se réfugie à l’Église : cet notre aimerait d’être protégé auprès d’un homme sur lequel il n’a aucune influence l’un éprouve tel besoin, l’autre tel autre, nos Églises sont incessamment rem plies de pareilles gens. C’est à peine si quelqu’un cherche Jésus pour lui-même. « Vous me cherchez, non parce que vous voyez des miracles, mais parce que vous avez mangé des pains que je vous ai donnés. Travaillez, non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui demeure dans la vie éternelle ». Vous me cherchez pour autre chose : cherchez-moi pour moi-même : il nous laisse, en effet, à penser qu’il est lui-même cette nourriture cela ressort des paroles qui suivent : « Et que le Fils de l’homme vous donnera ». À l’entendre, tu croyais, ce me semble, manger encore une fois du pain, te rasseoir sur l’herbe, être à nouveau rassasié. Mais il a dit : « Non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui demeure dans la vie éternelle ». Il avait déjà tenu le même langage à la Samaritaine : « Si tu savais celui qui te dit : Donne-moi à boire, tu lui en aurais peut-être demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive ». Comment cela ? dit-elle : Vous n’avez aucun moyen de tirer de l’eau, le puits est profond. Jésus lui répondit : « Si tu savais celui qui te dit : Donne-moi à boire, tu lui en aurais peut-être demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. Celui qui boira de cette eau, n’aura jamais soif ; mais quiconque boira de l’eau de ce puits, aura encore soif ». Cette femme, qui se fatiguait à puiser de l’eau, fut transportée de joie et demanda à recevoir de cette eau, dans l’espoir de ne plus souffrir de la soif du corps. Et ce fut en s’entretenant ainsi avec le Sauveur qu’elle en vint à recevoir un breuvage spirituel jm. Ici, il en est absolument de même. 11. « Cette nourriture, qui ne périt pas, mais qui demeure dans la vie éternelle, et que le Fils de l’homme vous donnera, car Dieu le Père l’a scellé de son sceau ». Ce fils de l’homme, veuillez ne pas le comparer aux autres enfants des hommes, dont il est écrit : « Les enfants des hommes espèrent à l’ombre de vos ailes jn ». Séparé des autres par une grâce spéciale de l’Esprit-Saint, mais né d’une femme selon la chair, et compté au nombre des autres, il est fils de l’homme ; mais ce fils de l’homme est aussi Fils de Dieu : il est homme et Dieu tout ensemble. En une autre circonstance, il interrogeait ses disciples. « Que dit-on du Fils de l’homme ? Ils lui répondirent : Les uns disent : c’est Jean-Baptiste ; les autres : Élie ; d’autres : Jérémie ou un autre d’entre les Prophètes. Jésus leur dit : Et vous ? Qui dites-vous que je suis ? Pierre lui répondit : Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant jo ». Jésus dit de lui-même qu’il est le Fils de l’homme, et Pierre reconnaît hautement qu’il est le Fils de Dieu. Jésus rappelait par là, avec raison, ce qu’il avait bien voulu paraître par bonté pour nous : Pierre faisait allusion à l’éternelle lumière au sein de laquelle il demeurait. Le Verbe de Dieu nous parle de ses humiliations, Pierre reconnaît en lui la splendeur de son Dieu. De fait, mes frères, il me parait juste qu’il en soit ainsi. Jésus s’est humilié à cause de nous : glorifions-le donc ce n’est pas pour lui-même qu’il est devenu fils de l’homme : c’est pour nous. C’est ainsi qu’il est devenu le fils de l’homme, puisque « le Verbe s’est fait chair et qu’il a habité parmi nous jp ». Et voilà pourquoi « Dieu le Père l’a marqué de son sceau ». Qu’est-ce qu’apposer notre marque, sinon appliquer sur un objet quelque chose qui nous soit personnel ? Sceller de son sceau n’est donc autre chose que placer un signe qui ne puisse être pris pour un autre : sceller de son sceau, c’est donc imprimer un signe sur un objet. Tu apposes une marque sur un objet quelconque donc, tu fais sur lui une empreinte afin de pouvoir le reconnaître et ne pas le confondre avec d’autres. « Le Père l’a » donc « marqué de son sceau ». Il lui a donc imprimé un signe distinctif qui empêche de le comparer aux autres hommes. Aussi, en parlant de lui, le Prophète a-t-il dit : « Dieu, votre Dieu, vous a sacré d’une onction de joie qui vous élève au-dessus de tous ceux qui doivent la partager jq ». Qu’est-ce donc que marquer de son sceau ? C’est mettre dans un rang à part : c’est, en d’autres termes, établir une préférence entre une personne et ses copartageants. Veuillez donc, nous dit-il, ne pas me mépriser parce que je suis fils de l’homme : demandez-moi, « non le pain qui périt, mais celui qui demeure pour la vie éternelle ». Car je suis de telle manière le fils de l’homme, que vous ne devez point me considérer comme l’un d’entre vous, et que Dieu le Père m’a marqué de son sceau. Il m’a marqué de sou sceau, qu’est-ce à dire ? Il a imprimé sur moi un signe particulier, en vertu duquel je dois délivrer tous les hommes au lieu de me confondre avec eux. 12. « Tous lui dirent donc : Que ferons-nous pour accomplir les œuvres de Dieu ? » Car il leur avait dit lui-même : « Travaillez, non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui demeure dans la vie éternelle ».— « Que ferons-nous ? » Par quelles œuvres pourrons-nous accomplir ce commandement ? « Jésus répondit : L’œuvre de Dieu, c’est de croire en Celui qu’il a envoyé ». Voilà donc ce qui s’appelle manger, « non le pain qui périt, mais celui qui demeure pour la vie éternelle ». Pourquoi tenir prêts tes dents et ton estomac ? Crois, et tu auras pris cette nourriture. En effet, la foi se distingue des œuvres, selon ces paroles de l’Apôtre : « L’homme est justifié par la foi, sans les œuvres de la loi jr ». Et il y a des œuvres qui paraissent bonnes, sans la foi en Jésus-Christ ; mais, en réalité, elles ne le sont point, arec qu’elles ne se rapportent pas à cette fin, qui donne du mérite à nos œuvres. « Car Jésus-Christ est la fin de la loi, pour justifier ceux qui croiront js ». 2 n’a donc pas voulu séparer la foi des œuvres, mais il a déclaré que la foi est une œuvre ; car c’est la foi qui agit par la charité jt. Et il n’a pas dit : Votre œuvre, mais « l’œuvre de Dieu, c’est de croire en Celui qu’il a envoyé » ; il s’est exprimé ainsi, afin que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur ju. Mais parce qu’il les excitait à croire en lui, ceux-ci lui demandaient aussi des prodiges qui les porteraient à croire. Vois si vraiment les Juifs ne réclament pas des miracles. Ils lui dirent donc : « Quel signe faites-vous, afin que nous le voyions et que nous croyions en vous ? Quelles sont vos œuvres ? » Pour eux, était-ce peu de chose d’avoir été nourris avec cinq pains ? Non, ils le savaient bien ; mais à cette nourriture, ils préféraient encore la manne du ciel. Pour le Seigneur Jésus, il parlait de lui-même de telle façon qu’il se plaçait au-dessus de Moïse ; car celui-ci n’a jamais osé dire de soi qu’il donnait, non un pain périssable, « mais un pain qui demeure pour la vie éternelle ». Jésus promettait donc plus que Moïse. Les promesses de celui-ci avaient, en effet, pour objet un royaume, une terre où coulaient le lait et le miel, une paix temporelle, un grand nombre d’enfants, la santé du corps, et tous les autres avantages de cette vie. De pareils biens étaient, sans doute, matériels, mais, en définitive, ils étaient la figure des biens spirituels. Ces promesses s’adressaient au vieil homme et sous l’empire de l’ancienne alliance. Les hommes qui suivaient le Sauveur, établissaient donc un parallèle entre les promesses de Moïse et celtes du Christ. De la part du premier, ils avaient en perspective toutes les satisfactions terrestres ; mais c’était un aliment périssable : de la part du Sauveur, ils devaient recevoir, « non la nourriture qui périt, mais celle qui demeure pour la vie éternelle ». Ils remarquaient que ses promesses étaient plus grandes, mais aussi qu’il opérait de moindres prodiges. Ils se rappelaient ceux de Moïse, et ils étaient disposés à en demander de plus frappants encore à celui qui leur faisait de si belles promesses. Que faites-vous, lui dirent-ils, tour que nous croyions en vous ? Veux-tu être certain qu’ils comparaient les miracles de Moïse à celui de la multiplication des pains, et qu’ils regardaient comme les moindres ceux qu’opérait Jésus ? En voici la preuve ils ajoutèrent : « Nos pères ont mangé la manne au désert ». Mais qu’est-ce que la manne ? Vous en avez peut-être une petite idée : « Ainsi qu’il est écrit, il leur a donné la manne pour nourriture ». Moïse a obtenu pour nos pères un pain venu du ciel, et, pourtant, Moïse ne leur a pas dit : « Travaillez, non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui demeure dans la vie éternelle » ; et, néanmoins, il a opéré des prodiges bien autres que les vôtres. Il ne nous a pas distribué du pain d’orge, il nous a donné une manne venue du ciel. 13. « Jésus donc leur dit : En vérité, en vérité je vous le dis : Moïse ne vous a pas donné le pain du ciel ; mais mon Père vous donne, le véritable pain du ciel ; car le pain qui descend du ciel est le vrai pain, et il donne la vie éternelle ». Le vrai pain, c’est donc celui qui descend du ciel jv c’est celui-là même, dont je vous ai parlé tout à l’heure : « Travaillez, non pour le pain qui périt, mais pour celui qui demeure dans la vie éternelle ». La manne elle-même en était la figure, et tous les prodiges de Moïse préfiguraient les miens. Vous admirez des miracles qui annonçaient tes miens, et à ceux dont ils étaient l’annonce et l’image, vous ne faites pas attention ? Donc, Moïse n’a point donné un pain venu du ciel : pour Dieu, il donne du pain ; mais quel pain ? serait-ce de la manne ? Non ; c’est le pain dont elle était la figure : c’est, en d’autres termes, Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même. « Mon Père vous donne le véritable pain, car le pain de Dieu, c’est celui qui est descendu du ciel et qui donne la vie au monde. Ils lui dirent donc : « Seigneur, donnez-nous toujours de ce pain ». En une autre circonstance le Sauveur avait déjà dit, dans le même sens, à la Samaritaine : « Quiconque boira de cette eau n’aura jamais soif ». Elle avait donné à ces paroles une signification toute matérielle, et cependant elle ne voulait point souffrir du manque d’eau ; elle lui répondit donc aussitôt : « Seigneur, donnez-moi de cette eau ». Ainsi firent les Juifs : « Seigneur, donnez-nous de ce pain », qui répare nos forces et ne nous fasse jamais défaut. 14. « Et Jésus leur dit : Je suis le pain de vie : celui qui vient à moi n’aura pas faim, et celui qui croit en moi n’aura jamais soif ». Ces paroles : « Celui qui vient à moi », sont les mêmes que ces autres : « Celui qui croit en moi » ; et celles-ci : « n’aura pas faim », sont corrélatives à celles-là : « n’aura jamais soif ». Car toutes deux indiquent une satiété sans fin, qui ne fera jamais place à aucun besoin. Vous désirez un pain venu du ciel : il est devant vous, et vous n’en profitez pas. « Mais je vous l’ai dit : Vous m’avez vu, et vous n’avez pas cru en moi ». Néanmoins, je ne me trouve pas pour cela sans peuple, car votre infidélité serait-elle capable d’anéantir toute croyance en Dieu jw ? Écoute, en effet, ce qui suit : « Tout ce que mon Père me donne viendra à moi, et celui qui viendra à moi, je ne le repousserai point dehors ». Quel est donc cet intérieur, au-dehors duquel on n’est point jeté ? C’est un sanctuaire inviolable, c’est une douce retraite. O retraite à l’abri de tout ennui, où l’on n’éprouve l’amertume d’aucune mauvaise pensée, où ne viennent nous tourmenter ni les tentations, ni la douleur ! N’est-ce point dans cette retraite bénie que sera admis le bon serviteur, à qui le Seigneur dira : « Entre dans la joie de ton Maître jx ». 15. « Et celui qui viendra à moi, je ne le mettrai pas dehors. Car je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais pour faire la volonté de Celui qui m’a envoyé ». Si vous ne chassez pas au-dehors celui qui vient à vous, c’est donc parce que vous êtes descendu pour faire, non votre volonté, mais la volonté de celui qui vous a envoyé. Ineffable mystère ! Je vous en conjure : frappons tous ensemble à la porte de ce sanctuaire, afin qu’il en sorte de quoi nous sustenter comme il en est sorti de quoi nous charmer. « Celui qui viendra à moi » : quelle douce, quelle admirable retraite ! Attention ! Attention ! Pèse bien ces paroles : « Celui qui viendra à moi, je ne le mettrai pas dehors ». Il dit donc : « Celui qui viendra à moi, je ne le mettrai pas dehors ». Pourquoi cela ? « Parce que je suis descendu du ciel pour faire, non ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé ». Vous êtes descendu du ciel pour faire, non votre volonté, mais la volonté de Celui qui vous a envoyé : est-ce bien là le motif pour lequel vous ne mettez pas dehors celui qui vient à vous ? Oui, c’est lui. Pourquoi le lui demander, puisqu’il nous le dit lui-même ? Il ne nous est pas permis d’en supposer un autre que celui qu’il nous indique. « Celui qui viendra à moi, je ne le mettrai pas dehors » ; et comme si tu cherchais à en connaître la cause, il ajoute : « Parce que je suis venu faire, non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé ». Je crains bien que certaines âmes ne se soient vues rejetées de Dieu pour avoir été orgueilleuses : le doute à cet égard ne m’est pas même permis. De fait, il est écrit : « Le principe de tout péché, c’est l’orgueil », et « le principe de l’orgueil dans l’homme, c’est l’éloignement de Dieu ». Cela est écrit, cela est positif, cela est certain. Et à propos du mortel orgueilleux, au sujet de cet être qui n’est couvert que de lambeaux de chair, qui plie sous le poids d’un corps destiné à pourrir, et qui pourtant s’élève à ses propres yeux parce qu’il oublie de quelle nature est son vêtement de peau, l’Écriture s’exprime ainsi : « De quoi la terre et la cendre peuvent-elles s’enorgueillir ? De quoi sont-elles si fières ? » Qu’elles disent : « Pourquoi l’homme s’élève. Parce qu’il a, durant sa vie ; jeté toutes ses entrailles jy ». Que veut dire ce mot : « il a jeté », sinon il a jeté ? C’est s’en aller au-dehors. Entrer en soi-même, veut dire : rechercher ce qui est à l’intérieur ; jeter ses entrailles, signifie : se jeter dehors. L’orgueilleux jette hors de lui ses entrailles, l’homme humble s’y attache ; si l’orgueil nous fait sortir de nous-mêmes, l’humilité nous y fait rentrer. 16. La source de toutes les maladies de l’âme, c’est l’orgueil, parce qu’il est la source de toutes les iniquités. Lorsqu’un médecin entreprend une cure, s’il ne s’enquiert que des effets produits par une cause quelconque, sans chercher à découvrir cette cause elle-même, il peut bien pour un temps remédier au mal, mais tôt ou tard la maladie reparaît, parce que la cause en est toujours subsistante. Je me sers d’un exemple pour mieux expliquer ma pensée. Les humeurs produisent, dans le corps où elles se trouvent, la gale ou des ulcères ; de là une fièvre violente, des douleurs insupportables : on s’empresse d’apporter des remèdes pour faire disparaître la gale et calmer les ardeurs occasionnées par la formation des ulcères ; on les applique, ils produisent leur effet ; on croirait guéri l’homme que l’on voyait jadis couvert de gale ou de plaies hideuses ; mais parce qu’il n’a pas été purgé, les abcès ne tardent pas à reparaître. Le médecin s’en aperçoit ; il débarrasse le malade de ses humeurs, et c’en est fini avec ses ulcères. D’où viennent les iniquités nombreuses ? De l’orgueil : détruis-le en toi, et tu n’y verras plus le péché. Afin de détruire la cause de toutes les maladies de notre âme, c’est-à-dire notre orgueil, le Fils de Dieu est descendu sur la terre et s’est fait humble. O homme, pourquoi t’enorgueillir ? C’est à cause de toi que Dieu s’est fait humble. Il te répugnerait sans doute de suivre un homme dans la voie de l’humilité, imite du moins l’humilité d’un Dieu. Le Fils de Dieu s’est incarné, il s’est fait humble : il te commande d’être humble, mais pour accomplir ses ordres, il n’est pas nécessaire pour toi de cesser d’être un homme et de t’abaisser au niveau de la brute. Tout Dieu qu’il était, le Verbe s’est fait homme ; pour toi, ô homme, reconnais que tu es un homme : toute ton humilité consiste à savoir qui tu es. Parce qu’il te recommande l’humilité, le Sauveur a dit : « Je suis venu pour dire, non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé ». Voilà bien une vraie leçon d’humilité. En effet, l’orgueilleux fait sa propre volonté : L’homme humble fait celle de Dieu. C’est pourquoi « celui qui viendra à moi, je ne le mettrai pas dehors ». Pourquoi ? Parce que « je suis venu faire, non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé ». Je suis apparu humble, je suis venu enseigner à devenir humble, je suis le docteur de l’humilité. Celui qui vient à moi, s’incorpore à moi ; celui qui vient à moi, devient humble ; celui qui s’attache à moi, pratique l’humilité ; car il fait, non point sa propre volonté, mais celle de Dieu ; aussi ne le mettrai-je pas dehors, bien que je l’aie rejeté loin de moi, lorsqu’il était orgueilleux. 17. Le Psalmiste appelle notre attention sur ces choses intérieures : « Les enfants des hommes espéreront à l’ombre de vos ailes ». Vois ce que c’est que pénétrer à l’intérieur de Dieu, se mettre sous sa protection, courir même au-devant des coups de ce bon Père. Car il châtie tous ceux qu’il reçoit au nombre de ses enfants. « Les enfants des hommes espéreront à l’ombre de vos ailes ». Et que trouveront-ils dans l’intérieur de Dieu ? « Ils seront enivrés de l’abondance de votre maison ». Dès que vous les aurez fait entrer, et qu’ils auront goûté la joie de leur Seigneur, « ils seront enivrés de l’abondance de votre maison, et vous les abreuverez au torrent de vos délices, parce qu’en vous se trouve la source de la vie ». Ce n’est point à l’extérieur, en dehors de vous que se trouve la source de la vie, c’est au dedans de vous, à l’intérieur. « Et, dans votre lumière, nous verrons la lumière. Étendez votre miséricorde sur ceux qui vous connaissent, et votre justice sur ceux qui ont le cœur droit ». Ceux qui suivent la volonté de leur Dieu, ceux qui recherchent, non leurs intérêts, mais les intérêts de Notre-Seigneur Jésus-Christ, voilà les hommes qui ont le cœur droit, voilà les hommes dont les pas ne chancellent point ; car « le Dieu d’Israël est bon pour ceux qui ont le cœur droit ». Mes pas, ajoute le Psalmiste, « ont presque chancelé ». Pourquoi ? « Parce que je me suis indigné contre l’insensé, en voyant la paix des impies jz ». Pour qui donc Dieu serait-il bon, sinon pour ceux qui ont le cœur droit ? Pour moi, qui ai le cœur tordu, li conduite de Dieu m’a déplu. Pour quel motif ? Parce qu’il a accordé le bonheur aux méchants : et mes pieds ont chancelé, comme si j’avais inutilement servi Dieu. Mes pieds se sont presque dérobés sous moi : c’était donc parce que je n’avais pas le cœur droit. Mais qu’est-ce qu’un cœur droit ? C’est celui qui suit la volonté divine. Celui-ci est heureux, celui-là souffre ; celui-ci mène une mauvaise conduite, et rien ne manque à son bonheur celui-là subit toutes sortes d’épreuves, et pourtant sa vie est exemplaire. Que l’homme dont la vie se passe dans la pratique du bien ne s’emporte point parce qu’il se voit en butte à l’infortune ; il a une retraite intérieure que ne possède pas le pécheur heureux : qu’il ne se laisse donc aller ni à la tristesse, ni au découragement, ni à la défaillance. L’un possède de l’or dans ses coffres, l’autre possède Dieu en sa conscience : établis maintenant une comparaison entre l’or et Dieu, entre ces coffres et cette conscience. Le premier possède un or périssable, qu’il lui faudra quitter plus tard ; le second est en possession de Dieu, qui vivra toujours, et dont rien ne pourra le séparer ; mais pour cela faut-il qu’il ait le cœur droit ; car alors il entre et ne sort pas. Voilà pourquoi le Prophète disait : « Parce qu’en vous, non pas en nous, se trouve la source de la vie ». Cherchons donc à entrer, afin de trouver la vie, et ne cherchons, ni à nous suffire à nous-mêmes, car nous trouverions la mort ; ni en quelque sorte à nous contenter de l’aliment de notre seule volonté, car nous dépéririons ; mais appliquons nos lèvres à cette fontaine qui ne tarit jamais. Parce que Adam n’a voulu clans sa conduite écouter que ses propres inspirations, il est tombé sous les efforts de l’ange que l’orgueil avait déjà arraché du ciel, et qui l’a fait boire lui-même à la coupe de l’orgueil. Il est écrit : « En vous se trouve la source de la vie ; et dans votre lumière nous verrons la lumière ». Abreuvons-nous donc en Dieu, portons sur lui nos regards. Pourquoi sort-on de lui ? écoute, le voici : « Que je n’aie point un pied orgueilleux ». Il sort donc de Dieu, celui qui a un pied orgueilleux. Donnes-en la preuve. « Et que la main des impies ne m’ébranle pas », à cause de mon pied orgueilleux. Pourquoi t’exprimer ainsi : « Voilà l’écueil des ouvriers d’iniquité ? » Quel est cet écueil ? Nul autre que l’orgueil. « Ils y sont tombés et ne pourront s’en relever ka ». Si l’orgueil précipite au-dehors des hommes qui ne pourront plus se tenir debout, l’humilité en fait entrer qui se tiendront éternellement debout. Voilà pourquoi avant de dire : « Mes os humiliés tressailliront », le Prophète s’était exprimé ainsi : « Vous ferez retentir à mon oreille la joie et l’allégresse kb ». Que veut dire : « à mon oreille ? » En vous écoutant, je suis heureux : les accents de votre voix me comblent de bonheur. Je m’abreuve en vous, et j’y puise la félicité. C’est pourquoi je ne tombe pas ; c’est pourquoi mes « os humiliés tressailliront » ; c’est pourquoi encore « l’ami de l’époux se tient debout et « l’écoute kc ». Il se tient debout, parce qu’il écoute. Il s’abreuve à la source intérieure de Dieu : aussi se tient-il debout. Pour ceux qui n’ont pas voulu puiser à cette source d’eaux vives, « voilà leur écueil : ils y sont tombés et ne s’en relèveront pas ». 18. Le Maître de l’humilité n’est donc parvenu pour faire sa volonté, mais pour faire la volonté de Celui qui l’a envoyé. Allons donc à lui, pénétrons en lui, incorporons-nous à lui, afin de faire, non pas notre volonté propre, mais celle de Dieu. De la sorte, il ne nous mettra pas dehors, parce que nous serons ses membres, et qu’en nous enseignant l’humilité, il a voulu être notre chef. Enfin, écoutez cette autre leçon du Sauveur : « Venez à moi, vous tous qui souffrez et qui êtes accablés : prenez mon joug sur vos épaules et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur » ; et quand vous l’aurez appris, « vous trouverez le repos de vos âmes kd ». Apprenez aussi que ce qui vous empêchera d’être rejetés loin de Dieu, c’est « que je suis descendu pour faire, non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé ». Je vous enseigne l’humilité : personne, à moins d’être humble, ne peut venir à moi. Dieu ne repousse loin de lui que les orgueilleux ; pourrait-il en éloigner de même celui qui conserve l’humilité et ne s’en écarte pas ? Mes frères, j’ai dit tout ce qu’il m’était possible de dire sur le sens caché de ce passage ; car il renferme un sens profondément mystérieux. Je ne sais, à vrai dire, si je me suis convenablement exprimé pour le bien exposer et faire ressortir, si j’ai expliqué suffisamment qu’il ne rejette pas l’homme qui vient à lui, par cette raison qu’il est venu faire, non pas sa propre volonté, mais la volonté de Celui qui l’a envoyé. 19. « Et telle est », dit-il, la volonté de « mon Père, qui m’a envoyé, c’est que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés ». Celui qui garde l’humilité, lui a été donné : le Sauveur le reçoit ; mais celui qui n’est pas humble, est bien loin du maître de l’humilité : « C’est que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés. La volonté de votre Père est qu’aucun de ces petits ne périsse ». Parmi les orgueilleux, il en est qui peuvent périr ; parmi les humbles, on n’en voit périr aucun. « Si vous ne devenez pareils à ce petit enfant, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux ke. Je ne perdrai aucun de ceux que mon Père m’a donnés, mais je les ressusciterai au dernier jour ». Voyez comme il distingue ici cette double résurrection. « Celui qui vient à moi », celui de mes membres qui devient humble, ressuscite déjà maintenant ; de plus, « je le ressusciterai au dernier jour », selon la chair. « Car c’est la volonté de mon Père, qui m’a envoyé, que quiconque voit le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour ». Il avait dit plus haut : « Celui qui écoute ma parole, et croit à Celui qui m’a envoyé ». Il dit ici : « Celui qui voit le Fils et croit en lui ». Il ne dit pas : Celui qui voit le Fils et croit au Père ; car, croire au Fils, c’est croire au Père, parce que « comme le Père a la vie en soi, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir en soi la vie kf. Afin que quiconque voit le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle » ; en croyant, et en passant à la vie, par une première résurrection. Mais, parce qu’elle n’est pas la seule, il ajoute : « Je le ressusciterai au dernier jour ».VINGT-SIXIÈME TRAITÉ.
DEPUIS L’ENDROIT OÙ IL EST ÉCRIT : « LES JUIFS DONC MURMURAIENT CONTRE LUI, PARCE QU’IL AVAIT DIT : JE SUIS LE PAIN VIVANT DESCENDU DU CIEL », JUSQU’A CET AUTRE : « CELUI QUI MANGE DE CE PAIN, VIVRA ÉTERNELLEMENT ». (Jean, 6, 41-59.)
LA FOI EN JÉSUS-CHRIST.
Parce que les Juifs n’avaient pas soif de la justice, ils ne comprirent point que Jésus était le vrai pain descendu du ciel ; ils murmurèrent donc en entendant ses paroles : en cela rien d’étonnant. Pour croire au Christ, il faut être attiré h. la foi par la grâce divine, qui, en nous instruisant, nous amène, d’une manière efficace, mais librement, au bien par l’organe le Jésus-Christ, Fils de Dieu incarné. Comme il est le pain de vie, croire en lui, c’est avoir la vie éternelle de l’âme. La manne du désert n’a pu la donner aux Israélites, parce qu’ils manquaient de foi : l’Eucharistie ne l’a pas davantage procurée fleurs descendants, pour la même raison, car elle n’est pain de vie que pour les croyants. Celui donc qui mange ce pain dans les sentiments de la foi et de la charité, possède la vie éternelle de l’âme, et le principe de la résurrection de son corps. 1. Nous venons de l’apprendre par la lecture de l’Évangile Notre-Seigneur Jésus-Christ ayant dit qu’il était un pain descendu du ciel, les Juifs éclatèrent en murmures et s’écrièrent : « N’est-il pas ce Jésus, fils de Joseph, dont nous connaissons le père et la mère ? Comment dit-il : Je suis descendu du ciel ? » Les Juifs étaient loin de s’occuper du pain du ciel, et ils ne savaient pas en avoir faim. Par faiblesse, leur cœur ne pouvait ni demander ni recevoir aucune nourriture ; ils avaient des oreilles, et n’entendaient rien ; ils avaient des yeux pour ne rien voir. Car, ce pain de l’homme intérieur exige de l’appétit. Voilà pourquoi il est dit ailleurs : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés kg ». Or, l’apôtre saint Paul nous dit que le Christ est notre justice kh. Par conséquent, celui qui a faim de ce pain, doit avoir faim de la justice, mais de cette justice qui descend du ciel et que Dieu donne, et non pas de celle que l’homme se fait à lui-même. L’homme se fait parfois de lui-même sa propre justice ; s’il en était autrement, le même Apôtre ne dirait pas, en parlant des Juifs : « Ne connaissant point la justice de Dieu, et s’efforçant d’établir leur propre justice, ils ne se sont point soumis à la justice de Dieu ki ». De ce nombre étaient ces autres Juifs, qui n’avaient aucune idée du pain descendu du ciel, parce que, rassasiés de leur propre justice, ils n’éprouvaient aucun désir de la justice de Dieu. Qu’est-ce donc que la justice de Dieu ? Qu’est-ce que celte des hommes ? Par justice de Dieu, il faut entendre ici, non pas cette perfection qui constitue la sainteté de Dieu, mais celle qu’il donne à l’homme, afin de l’établir dans la sainteté par sa grâce. Quant aux Juifs, en quoi consistait leur justice ? En ce qu’ils présumaient de leurs forces, et prétendaient être, en quelque sorte, les parfaits observateurs de la loi, sans aucun aide venu d’ailleurs : personne ne peut accomplir la loi sans le secours de la grâce, c’est-à-dire du pain descendu du ciel. « Car », dit en deux mots l’Apôtre, « l’amour est la plénitude de la loi kj ». L’amour, non de l’argent, mais de Dieu ; non de la terre ou du ciel, mais de Celui qui a fait le ciel et la terre. D’où vient à l’homme cet amour de Dieu ? Saint Paul nous le dit. Écoutons-le : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné kk ». Avant de nous donner le Saint-Esprit, le Sauveur s’est donc présenté à nous comme le pain descendu du ciel, et nous a exhortés à croire en lui. Croire en lui, c’est manger le pain vivant. Celui qui croit, mange : il se nourrit invisiblement, parce qu’il renaît d’une manière invisible ; c’est intérieurement un enfant, un homme nouveau : ce qui le renouvelle, le rassasie par lot même. 2. Les Juifs murmuraient donc contre Jésus ; quelle fut sa réponse ? « Ne murmurez pas entre vous » ; ce qui voulait dire : Je le vois bien, vous n’éprouvez aucun désir pour ce pain ; vous n’avez nulle idée de ce qu’il est ; vous ne cherchez pas à vous le procurer. « Ne murmurez pas entre vous : nul ne peut venir à moi, si le Père, qui l’a envoyé, ne l’attire ». Admirable éloge de la grâce : Nul ne vient sans être attiré. Qui attire-t-il ? Qui n’attire-t-il pas ? Pourquoi attire-t-il celui-ci ? Pourquoi n’attire-t-il pas celui-là ? Autant de questions desquelles tu ne dois pas t’établir juge, si tu ne veux pas te tromper. Je te le dis une fois pour toutes : saisis bien ma pensée. Dieu ne t’attire rias encore ? Prie-le de le faire. Mes frères, que disons-nous ? Si nous sommes attirés vers le Christ, nous croyons donc en lui malgré nous : on nous fait donc violence, et notre volonté reste étrangère à notre acte de foi ? Un homme peut entrer à l’Église, s’approcher de l’autel, recevoir le sacrement, sans aucun consentement de sa part ; mais, pour croire, il faut nécessairement le libre concours de la volonté. Si la foi venait du corps, elle pourrait se trouver en des hommes qui n’y acquiesceraient nullement ; mais elle ne vient pas de là. Écoute l’Apôtre : « On croit par le cœur ». Et il ajoute : « Et l’on confesse par la bouche, pour parvenir au salut kl ». Cette confession procède du fond du cœur, Les hommes qui font leur profession de foi ne sont pas rares : Tu as parfois entendu des hommes qui font leur profession de foi ; mais tu ne connais pas quel est celui qui ne croit pas réellement, et tu ne peux donner le nom de confesseur de la foi à l’homme que tu reconnais comme incroyant ; car la confession consiste à dire ce que pense réellement le cœur : si tu dis le contraire de ce que tu penses intérieurement, tu parles, mais tu ne fais pas de profession de foi. C’est donc par le cœur que l’on croit au Christ : personne ne le fait contre son gré, et, pourtant, il semblerait que celui qui y est attiré, le fait malgré lui, et forcément. Comment résoudre la difficulté que présente ce passage : « Nul ne vient à moi, si le Père, qui m’a envoyé, ne l’attire ? » 3. Quiconque est attiré, dira quelqu’un, marche à contre-cœur. S’il marche à contrecœur, il ne croit pas ; et s’il ne croit pas, il ne marche pas davantage. Ce n’est pas, en effet, par la marche que nous nous approchons du Christ : c’est par la foi ; pour cela, nous n’avons pas de mouvement à imprimer à notre corps : il suffit d’avoir au cœur de la bonne volonté. Voilà pourquoi cette femme, qui toucha la robe du Sauveur, la toucha plus que la foule qui se pressait autour de lui. Aussi Jésus dit-il : « Qui est-ce qui m’a touché ? » Les disciples étonnés lui répondirent : « La multitude vous presse, et vous demandez qui vous a touché ? » Et il répéta : « Quelqu’un m’a touché km ». La femme le louche, la multitude le presse ; que veut donc dire ce mot : « M’a touché », sinon : a cru ? De là vient encore que, après sa résurrection, le Christ s’adressa en ces termes à cette autre femme qui voulait se jeter à ses pieds : « Ne me touche pas, car je ne suis pas encore « monté vers mon Père kn ». À ton avis, je ne suis que ce que tu me vois ; ne me touche pas. Quel est le sens de ces paroles ? Selon ton idée, je ne suis pas autre que ce que je te semble être. Ne t’y trompe pas, il n’en est pas ainsi, c’est-à-dire : « Ne me touche pas, car je ne suis point encore remonté vers mon Père ». Pour toi, je ne suis pas monté vers mon Père, car je ne me suis jamais séparé de lui. Elle ne touchait point le Sauveur, quand il était sur la terre ; comment le toucherait-elle au moment de son retour vers son Père ? C’est ainsi, néanmoins, c’est de cette manière qu’il a voulu être touché ; ainsi l’est-il par tous ceux qui le touchent bien, quoiqu’il monte au ciel, qu’il demeure en son Père, et qu’il lui soit égal. 4. Reporte ton attention sur ces paroles : « Nul ne vient à mol, si mon Père ne l’attire ». Ne t’imagine pas que tu sois attiré malgré toi ; car l’amour entraîne les âmes. Il est des hommes qui pèsent le sens de toutes les paroles, et qui sont loin de comprendre toutes choses, surtout les choses de Dieu ; mais nous n’avons nullement à craindre de les voir nous reprocher ce passage des saintes Écritures qui se trouve dans l’Évangile, et nul d’entre eux ne nous dira Si je suis entraîné, comment pourrai-je avoir une foi parfaitement libre ? Car je le dis : ce n’est pas assez d’être entraînés volontairement, nous le sommes encore avec plaisir. Qu’est-ce, en effet, qu’être entraîné avec plaisir ? « Mets tes délices dans le Seigneur, et il remplira tous les désirs de ton cœur ko ». Le cœur qui éprouve la douceur du pain céleste, ressent un véritable plaisir. Or, s’il est vrai de dire avec le poète : « Chacun est conduit par l’attrait de ses propres penchants ▼▼Virgile, Eglogue, 2
» ; non par la nécessité, mais par l’attrait du plaisir ; non par le devoir, mais par la jouissance : à plus forte raison devons-nous dire que celui-là est attiré vers le Christ, qui trouve ses délices dans la vérité, la béatitude, la justice, l’éternelle vie ; car le Christ est tout cela. Quand les sens corporels ont leurs plaisirs, les facultés de l’âme en seraient-elles dépourvues ? Et si l’âme n’avait point de jouissances à elle, comment le Psalmiste aurait-il pu dire : « Les enfants des hommes espéreront à l’ombre de vos ailes ; ils seront enivrés de l’abondance de votre maison ; vous les abreuverez au torrent de vos délices ; car, en vous est la source de la vie, et dans votre lumière nous verrons la lumière kq ? » Donne-moi un homme qui aime lieu, et il éprouvera la vérité de ce que je dis : donne-moi un homme rempli du désir et de la faim de ce pain céleste, engagé dans le désert de cette vie et dévoré par la soif de Injustice, soupirant après la fontaine de l’éternelle patrie ; donne-moi un tel homme, et il me comprendra. Mais si je m’adresse à un homme glacé par le froid de l’indifférence, il ne saisira pas mes paroles. Tels étaient les murmurateurs dont parle notre Évangile. « Celui que mon Père attire vient à moi ». 5. Mais pourquoi dire : « Celui que mon Père attire », puisque le Christ attire aussi ? dans quelle intention le Sauveur a-t-il dit : « Celui que mon Père attire ? » Si nous devons être entraînés, soyons-le par celui à qui l’épouse animée par l’amour adressait ces paroles : « Nous courrons sur tes pas à l’odeur de tes parfums kr ». Remarquons bien, mes frères, et, autant que possible, efforçons-nous de comprendre ce que le Sauveur veut nous faire entendre. Le Père attire à son Fils ceux qui croient au Fils, parce qu’ils reconnaissent Dieu pour son Père ; car Dieu le Père s’est engendré un Fils égal à lui ; l’homme qui reconnaît dans sa pensée que le Fils est égal au Père, et qui, sous l’empire de sa foi, sent vivement cette vérité, et la rappelle sans cesse à son esprit, le Père l’attire vers son Fils. Arius n’a vu en Jésus qu’une simple créature ; aussi le Père ne l’a-t-il pas attiré, car celui-là n’a le Père en aucune estime, qui ne reconnaît pas le Fils comme son égal. Que dis-tu, ô Arius ? O hérétique, quel langage tiens-tu ? Qu’est-ce que le Christ ? – Ce n’est pas le vrai Dieu : il n’en est que la créature. – Tu n’es pas attiré par le Père, puisque tu ne reconnais pas son Fils, loin de là ; puisque tu dis positivement qu’il n’a pas de Fils : aussi n’es-tu ni attiré par le Père, ni attiré vers le Fils ; car autre chose est le Fils, autre chose est ce que tu en dis. Au dire de Photin, le Christ n’est qu’un homme : il n’est pas Dieu. Les partisans de cet hérétique, le Père ne les attire pas. Le Père a attiré celui qui a dit : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant ». Vous n’êtes ni un Prophète, ni saint Jean, ni un grand saint, mais « vous êtes le Christ Fils » unique « du Dieu vivant », et son égal. Oui, il a été attiré : il l’a été par le Père ; tu en trouves la preuve dans ces paroles du Sauveur : « Simon, fils de Jona, tu es heureux, car la chair et le sang ne t’ont pas révélé ceci, mais mon Père qui est dans les cieux ks ». Cette révélation du Père n’est autre que son attraction. Tu montres à une brebis une branche de feuillage, et tu l’attires ; offre des noix aux regards d’un enfant, et tu l’attireras : et il est attiré à l’endroit où il court, par l’affection, sans dommage pour son corps, sous l’empire des sentiments de son cœur. S’il est vrai qu’un homme se laisse entraîner vers un objet dont les attraits et les délices sollicitent son affection, suivant cet incontestable adage : « Chacun est conduit par l’attrait de ses propres penchants » ; le Père, en faisant connaître le Christ, n’aurait aucun empire sur les cœurs ? Mais rien n’a plus de force que la vérité pour exciter dans une âme d’ardents désirs. Pour quelle occurrence avoir un meilleur appétit, pourquoi désirer un palais plus apte à juger des saveurs, sinon pour se nourrir et s’abreuver de la sagesse, de la justice, de la vérité, de l’éternité ? 6. Mais où serons-nous rassasiés ? Au ciel, nous le serons mieux, plus véritablement, plus parfaitement que partout ailleurs. Car ici, il nous est plus facile, si nous sommes animés d’une ferme espérance, d’avoir faim que d’être rassasiés ; car « bienheureux ceux « qui ont faim et soif de la justice » sur la terre, « parce qu’ils seront rassasiés » au ciel kt. Aussi, après avoir dit : « Nul ne vient à moi, si le Père, qui m’a envoyé, ne l’attire », il ajoute : « et je le ressusciterai au dernier jour ». Je le mettrai en possession de ce qu’il aime, de ce qu’il espère : il contemplera ce qu’il a cru ici-bas sans le voir ; il se rassasiera de ce dont il a faim, il s’abreuvera de ce dont il a soif. Quand cela ? Au moment de la résurrection des morts, car « je le ressusciterai au dernier jour » 7. « Car il est écrit dans les Prophètes : « Tous seront enseignés de Dieu ». O Juifs, pourquoi me suis-je exprimé ainsi ? Le Père ne vous a pas encore instruits ; comment donc pouvez-vous me reconnaître ? Tous les citoyens de ce royaume seront enseignés de Dieu, et non des hommes. Et si des hommes les instruisent, ce qu’ils comprennent de leurs leçons, leur est donné, leur apparaît, leur est expliqué intérieurement. Que font les hommes en annonçant extérieurement la vérité ? Que fais-je moi-même, en ce moment, en vous adressant la parole ? Je fais retentir à vos oreilles le bruit de mes paroles. Si celui qui se trouve au dedans de vous ne vous les faisait comprendre, à quoi bon vous parler ? À quoi bon vous entretenir ? L’action de l’arboriculteur s’exerce au-dehors de l’arbre ; celle du Créateur se fait sentir à l’intérieur. Celui qui plante et qui arrose, travaille au-dehors ; c’est ce que nous faisons nous-mêmes ; mais a celui qui plante n’est rien, « non plus que celui qui arrose ; c’est Dieu seul qui donne l’accroissement ku ». C’est-à-dire : « Tous seront enseignés de Dieu ». Qu’est-ce à dire : Tous ? « Quiconque a entendu le Père et a eu l’intelligence, vient à moi ». Remarquez bien la manière dont le Père nous attire : il nous instruit, et, par là, il nous délecte, mais il ne nous force pas. Voilà comme il nous attire « Tous seront enseignés de Dieu » ; il lui appartient de les attirer : « Quiconque a entendu le Père et a eu l’intelligence, vient à moi » : il y est attiré, c’est le fait de Dieu. 8. Eh quoi donc, mes frères ? De ce que quiconque a entendu le Père et a eu l’intelligence, vient au Christ, s’ensuit-il que le Christ n’y a contribué en rien par ses instructions ? Si les hommes ont eu pour précepteur Dieu le Père, sans néanmoins le voir, à quoi leur a servi de voir le Fils ? Le Fils parlait, et le Père enseignait. Moi, qui ne suis qu’un homme, qui est-ce que t’instruis ? Qui est-ce, mes frères, sinon l’homme qui entend ma parole ? Or, si n’étant qu’un homme, j’instruis celui qui m’entend parler, le Père enseigne donc aussi quiconque entend son Verbe ; et puisque l’homme qui entend le Verbe reçoit l’enseignement du Père, cherche à savoir ce qu’est le Christ, et tu apprendras qu’il est le Verbe du Père ; car, « au commencement était le Verbe ». On ne peut pas dire : Au commencement, Dieu a créé le Verbe, dans le sens de cette parole : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre kv ». Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas une créature. Apprends à être attiré par le Père vers le Fils : que le Père t’enseigne, et que tu écoutes son Verbe. Mais, diras-tu, quel est ce Verbe du Père que je dois entendre ? « Au commencement était le Verbe » ; il n’a pas été fait alors, « il était : et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Mais comment, pendant le cours de cette vie terrestre, les hommes peuvent-ils entendre un Verbe de cette nature ? Parce que « le Verbe s’est fait chair, et qu’il a habité parmi nous kw ». 9. Le Sauveur explique lui-même ces paroles, et nous montre ce qu’il a voulu nous dire en s’exprimant ainsi : « Quiconque a entendu le Père et a eu l’intelligence, vient à moi ». Car il ajoute aussitôt ce que nous devons en penser : « Non qu’aucun ait vu le Père, si ce n’est celui qui est de Dieu : celui-là a vu le Père ». Que dit-il ? Moi, j’ai vu le Père : vous, vous ne l’avez pas vu ; et, pourtant, il vous est impossible de venir à moi, si vous n’y êtes attirés par le Père. Mais, qu’est-ce qu’être attiré par le Père, si ce n’est être enseigné de lui ? Être enseigné de lui, sinon l’entendre ? L’entendre, sinon entendre son Verbe, c’est-à-dire moi ? Toutefois, parce que je vous dis : « Quiconque a entendu le Père et a eu l’intelligence », n’allez pas vous dire à vous-mêmes : Mais nous n’avons jamais vu le Père ; comment avons-nous pu recevoir ses instructions ? Car, écoutez-moi, je vais vous le dire : « Non qu’aucun ait vu le Père, si ce n’est celui qui est de Dieu ; celui-là a vu le Père ». Je connais le Père, je viens de lui, comme la parole d’un homme vient de cet homme ; parole, néanmoins, qui ne résonnerait pas, qui ne passerait pas, mais qui demeurerait avec celui qui parle et attirerait celui qui écoute. 10. Dans ce qui suit, nous trouvons un avertissement : « En vérité, en vérité, je vous le dis : celui qui croit en moi a la vie éternelle ». Il a voulu par là nous faire connaître qui il était ; car il aurait pu nous dire en deux mots : Celui qui croit en moi, me possède ; car le Christ est, tout à la fois, le vrai Dieu et la vie éternelle. Aussi, dit-il, celui qui croit en moi va en moi, et quiconque va en moi, me possède. Mais, qu’est-ce que me posséder ? C’est posséder la vie éternelle. La vie éternelle s’est revêtue de la mort ; elle a voulu mourir, et, pour cela faire, elle n’a rien trouvé en elle-même ; elle t’en a emprunté le moyen : tu lui as fourni de quoi mourir pour toi. Il s’est revêtu d’un corps humain, mais pas à la manière des autres hommes. Son Père est au ciel : il s’est, ici-bas, choisi une mère ; pour être engendré dans le ciel, il n’a pas eu de mère : pour l’être en ce monde, il n’a pas eu de père. La vie s’est donc revêtue de la mort, afin que la mort trouvât sa destruction dans la vie. Car, dit-il, « celui qui croit en moi possède la vie éternelle », non déjà manifestée à nos regards, mais encore cachée à nos yeux. « Le Verbe » est, en effet, la vie éternelle : « au commencement il était en Dieu, et le Verbe était Dieu, et la vie était la lumière des hommes ». Le Christ, vie éternelle, a donné la vie éternelle au corps humain qu’il a pris ; lest venu en ce monde pour y mourir. Mais il est ressuscité le troisième jour. La mort a péri, comme étouffée entre le Verbe incarné et son corps rendu à la vie. 11. « Je suis », dit le Sauveur, « le pain de vie ». Les interlocuteurs avaient-ils le droit de se montrer si fiers ? « Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et ils sont morts ». Pourquoi donc vous enorgueillir ? « Ils ont mangé la manne, et ils sont morts ». Pourquoi sont-ils morts, même après avoir mangé la manne ? C’est qu’ils croyaient ce qu’ils voyaient, et ce qu’ils ne voyaient pas, ils ne le comprenaient pas non plus. Ils sont donc réellement vos pères, puisque vous leur ressemblez. Mes frères, nous mangeons le pain descendu du ciel ; mais ne mourons-nous pas de la mort visible du corps ? Les Juifs du désert sont donc morts, comme nous mourrons nous-mêmes, il s’agit bien ici, vous le comprenez, de la mort visible et temporelle de notre corps. Mais s’il est question de cet autre genre de mort, vraiment à craindre, dont le Sauveur parle ici aux Juifs, et qu’ont subi leurs pères, je vous assure que Moïse, Aaron, Phinéès et beaucoup de personnages précieux aux yeux de Dieu par leur sainteté, n’en ont pas éprouvé l’amertume ; et, pourtant, ils ont aussi mangé la manne dans le désert. Mais cette nourriture visible, ils en ont compris la signification toute spirituelle, ils l’ont désirée en esprit et reçue de cœur, et leur âme en a été rassasiée. Nous aussi, nous recevons maintenant un aliment visible ; mais autre chose est de recevoir le sacrement, autre chose est d’en recueillir les fruits. Que de chrétiens participent à la victime du sacrifice, sont frappés par la mort, et ne meurent que pour avoir reçu cet aliment céleste ! Voilà pourquoi l’Apôtre ne craint pas de dire : « Il boit et mange sa propre condamnation kx ». Le corps du Sauveur n’a pas été un poison pour Judas ; et cependant il le reçut, et, quand il l’eut reçu, Satan entra en lui, et cela, non point parce qu’il avait reçu un aliment empoisonné, mais parce qu’il était méchant, et qu’il l’avait reçu avec de mauvaises dispositions. Ayez donc soin, mes frères, de manger spirituellement ce pain venu du ciel, et d’apporter à l’autel un cœur innocent : si vous avez tous les jours des fautes à vous reprocher, que, du moins, elles ne soient pas mortelles. Avant de vous approcher de l’autel, faites attention à ce que vous dites « Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons à ceux qui nous doivent ky ». Si tu pardonnes, tu seras pardonné ; marche en toute sécurité, tu as devant toi du pain, et non du poison ; mais vois bien si tu pardonnes, car si tu ne le fais pas, tu mens, et tu mens à celui que tu ne saurais tromper. Tu peux, en effet, mentir à Dieu, mais le tromper, jamais. Il sait ce que tu fais : il est au dedans de Loi, et il te voit, il te regarde, il t’examine, il te juge, et, dès lors, il te condamne ou te récompense. Quant aux Juifs du désert, ils étaient vraiment les pères des interlocuteurs du Christ ; car s’ils étaient méchants, les seconds ne l’étaient pas moins ; s’ils manquaient de foi, les seconds n’en avaient pas davantage ; s’ils murmuraient, les seconds murmuraient aussi. Et l’on peut dire que si jamais le peuple d’Israël a offensé son Dieu, ç’a été en murmurant contre lui. Aussi, pour montrer que ceux à qui il parlait étaient bien les fils des Juifs du désert, le Sauveur commence-t-il par leur dire : Murmurateurs, enfants d’un peuple qui a murmuré, « pourquoi murmurer entre vous ? Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et ils sont morts », non pas que la manne fût chose mauvaise, mais parce qu’ils l’ont mangée en mauvaises dispositions. 12. « C’est ici le pain qui est descendu du ciel ». Ce pain a été figuré par la manne, et aussi par l’autel du Très-Haut. La manne et l’autel étaient des figures : différents en apparence, ils signifiaient une même chose. Écoute les paroles de l’Apôtre : « Car vous ne devez pas ignorer, mes frères, que nos pères ont tous été sous la nuée, qu’ils ont tous passé la mer Rouge, et qu’ils ont tous été baptisés sous la conduite de Moïse dans la nuée et dans la mer, et qu’ils se sont tous nourris du même aliment spirituel ». En fait de nourriture spirituelle, nous avons tous la même : que s’il s’agit de la nourriture matérielle, ils ont eu la manne, et nous, une autre ; si, au contraire, il est question de la nourriture spirituelle, ils ont eu la même que nous. Mais nos pères se sont montrés bien différents des leurs : nous ressemblons à nos frères, et ils sont animés d’un esprit tout opposé. L’Apôtre ajoute : « Et qu’ils ont bu le même breuvage spirituel ». À eux, un breuvage ; à nous, un autre : breuvages d’apparences diverses, mais représentant la même chose par leur vertu mystérieuse. Mais comment était-ce « le même breuvage ? Parce qu’ils buvaient de l’eau de la pierre mystérieuse, eau qui les suivait : et cette pierre « était Jésus-Christ kz ». En figure, le Christ était Pierre ; en réalité, il était Verbe et homme. Et comment ont-ils bu de cette eau ? La pierre a été frappée de deux coups de verge la ; ces deux coups de verge ne sont autres que les deux bras de la croix. « C’est donc ici le pain qui est descendu du ciel, afin que si quelqu’un en mange, il ne meure point ». Mais il faut bien le remarquer, il s’agit ici du sacrement comme vertu, et non du sacrement comme chose visible ; de celui qui le reçoit intérieurement, et non de celui qui le reçoit seulement à l’extérieur ; du chrétien qui en fait l’aliment de son cœur, et non du chrétien qui se borne à une manducation purement physique. 13. « Je suis le pain vivant qui est descendu du ciel ». Il est vivant, précisément parce qu’il est descendu du ciel. La manne était aussi descendue du ciel, mais elle n’était que l’ombre, tandis que le pain est la réalité. « Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement, et le pain que je donnerai pour la vie du monde, c’est ma chair ». Eh quoi ! la chair serait-elle jamais de telle nature qu’on puisse donner à du pain le nom de chair ? On appelle chair ce que ne comporte pas la nature de la chair, et elle le comporte d’autant moins, qu’on appelle de ce nom ce qui ne l’est pas. Les Juifs frémirent d’horreur en entendant ces paroles ; ils se dirent les uns aux autres que c’était exorbitant ; ils prétendirent que c’était impossible. « C’est », dit le Sauveur, « ma chair qui sera donnée pour le salut du monde ». Les fidèles savent ce que c’est que le corps du Christ, s’ils ont soin d’en faire partie. Qu’ils deviennent donc le corps du Christ, s’ils veulent vivre de son Esprit. Il n’y a, pour vivre de l’Esprit du Christ, que son corps. Mes frères, saisissez bien le sens de mes paroles. Dès lorsque tu es un homme, tu as un esprit et un corps. Sous le nom d’esprit, je désigne ce qu’on appelle l’âme, ce qui fait que tu es homme ; car tu es composé d’un corps et d’une âme. Dis-moi lequel des deux fait vivre l’autre ? Ton esprit puise-t-il sa vie en ton corps ? ou ton corps trouve-t-il la sienne en ton esprit ? Tout homme vivant répond à une telle question ; pour celui qui sent ait incapable d’y répondre, je ne sais, à vrai dire, s’il vit. Tout homme vivant répond donc : Il ne saurait y avoir de doute à cet égard : c’est mon esprit qui fait vivre mon corps. Si, maintenant, tu veux toi-même ; ivre de l’Esprit du Christ, sois l’un de ses membres. Serait-ce, en effet, ton esprit qui ferait vivre mon corps ? Certainement non ; mon esprit fait vivre mon corps, ton esprit fait vivre le tien. Pour le corps du Christ, il ne peut vivre que de l’esprit du Christ. Voilà pourquoi, en nous parlant de ce pain, l’apôtre saint Paul s’exprime ainsi : « Nous ne sommes tous qu’un seul pain et un seul corps ». O profond mystère de piété ! ô signe d’unité ! ô lien de charité ! Celui qui veut vivre, sait où il jouira de la vie, où il la puisera. Qu’il s’approche et qu’il croie, qu’il s’incorpore au Christ, il y trouvera la vie ; qu’il ne lui répugne aucunement de s’unir à d’autres membres ; qu’il ne soit lui-même ni un membre pourri, que l’on doive retrancher du reste du corps, ni un membre difforme dont on puisse rougir : qu’il boit beau, bien proportionné, parfaitement sain ; qu’il ne fasse qu’un avec le corps du Christ ; que, puisant sa vie en Dieu, il vive pour Dieu ; qu’il travaille sur la terre, pour régner un jour dans le ciel. 14. « Les Juifs disputaient donc entre eux et disaient : Comment celui-ci peut-il nous donner sa chair à manger ? » Ils disputaient entre eux, sans aucun doute, parce qu’ils ne comprenaient point que c’était un pain de paix et de concorde, et ne voulaient pas davantage s’en nourrir. Car ceux qui mangent ce pain ne se disputent pas entre eux ; la raison en est que « nous sommes tous un même pain et un même corps ». Et, par ce pain, « Dieu unit les hommes et les fait habiter dans une même maison lb ». 15. Ils disputent entre eux et se demandent comment le Seigneur peut donner sa chair à manger ; néanmoins, le Christ ne le leur apprend point encore ; pour le moment, il se contente de leur dire : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez point la vie en vous ». Vous ignorez pourquoi on mange ce pain et comment on le mange : et, pourtant, « si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez point la vie en vous ». Certes, il ne s’adressait pas à des cadavres, mais à des hommes vivants. Aussi, pour ne point leur laisser supposer qu’il parlait de cette vie terrestre, et les empêcher d’élever une contestation à ce sujet, il ajouta : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, a la vie éternelle » ; d’où il suit que celui qui ne mange pas ce pain et ne boit pas ce sang, ne l’a pas ; car, si les hommes peuvent, sans eux, avoir la vie du temps, ils ne peuvent aucunement, sans eux, posséder la vie éternelle. De là, quiconque ne mange point sa chair et ne boit pas son sang, n’a point la vieen soi ; et quiconque mange sa chair et boit son sang, possède la vie. Pour l’un et l’autre de ces deux hommes, le Sauveur parle de la vie éternelle. Il n’en est pas de même de la no4urriture matérielle que nous prenons pour entretenir en nous la vie du corps. Celui qui n’en prend pas ne peut vivre, et celui qui en prend ne peut se promettre de vivre toujours ; car il peut arriver que beaucoup de ceux qui en prennent, meurent accablés par la vieillesse ou la maladie, ou victimes d’un accident quelconque. Bien différents sont la nourriture et le breuvage dont il est ici question, c’est-à-dire le corps et le sang du Seigneur. En effet, si celui qui ne les prend point n’a pas non plus la vie, celui qui les prend possède certainement la vie, et la vie éternelle. Par cet aliment et ce breuvage, le Sauveur veut donc nous désigner l’unité de son corps, l’union de ses membres, qui n’est autre que la sainte Église, composée des prédestinés, des appelés, des justifiés, des saints glorifiés et de tous les fidèles. La prédestination a déjà eu lieu ; la vocation et la justification se sont déjà faites pour les uns, se font maintenant et se feront plus tard pour les autres quant à la glorification, elle n’existe pour nous aujourd’hui qu’en espérance : au ciel elle se réalisera. Le signe sensible de cette mystérieuse chose, c’est-à-dire le sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ réunis ensemble, se trouve préparé sur la table du Seigneur ici tous les jours, ailleurs, à certains intervalles moins rapprochés ; c’est à cette table divine que les chrétiens le reçoivent et y puisent, les uns la vie, les autres la mort. Pour ce dont ce sacrement est le signe, quiconque en devient participant y rencontre non la mort, mais la vie. 16. Les Juifs pouvaient s’imaginer que la vie éternelle étant promise aux hommes qui prendraient cet aliment et ce breuvage, ceux-ci ne subiraient pas même la mort du corps. Le Sauveur daigna prévenir cette erreur. En effet, après ces paroles : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle », il ajoute aussitôt celles-ci : « Et je le ressusciterai au dernier jour ». D’abord sou âme jouira de la vie éternelle, dans le séjour du repos où se réunissent les âmes des saints ; quant à son corps, il entrera aussi en possession de la vie éternelle, car il ressuscitera au dernier jour avec tous les morts. 17. « Car ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est véritablement un breuvage ». Les hommes ne prennent de nourriture et de breuvage que pour apaiser leur faim et étancher leur soif ; mais un pareil effet n’est véritablement produit que par cet aliment et ce breuvage où trouvent l’immortalité et l’incorruptibilité ceux qui le reçoivent ; il ne peut avoir vraiment lieu que dans la société même des saints, où régneront une paix entière et une parfaite union. C’est pourquoi, suivant l’idée qu’en ont eue déjà avant nous les hommes de Dieu, Notre-Seigneur Jésus-Christ nous a parlé de son corps et de son sang en les désignant par des objets à la confection desquels concourent plusieurs autres réunis ensemble ; car le pain se fait par la réunion d’un grand nombre de grains, comme encore le vin se fait avec le jus de plusieurs raisins. 18. Enfin, il indique comment peut se faire ce qu’il dit et ce que c’est que manger son corps et boire son sang. « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et je demeure en lui ». Prendre cette nourriture et boire ce breuvage n’est donc autre chose que demeurer dans le Christ et le posséder en soi-même à titre permanent. Par là même, et sans aucun doute, quand on ne demeure pas dans le Christ, et qu’on ne lui sert point d’habitation, on ne mange point (spirituellement) sa chair, et on ne boit pas non plus son sang, quoiqu’on tienne d’une manière matérielle et visible soins sa dent le sacrement du corps et du sang du Sauveur ; bien plus, en recevant le signe sensible d’une si précieuse chose, il le mange et boit pour sa condamnation, parce qu’il n’a pas craint de s’approcher dès sacrements du Christ avec une âme souillée. Celui-là seul, en effet, s’en approche dignement, qui le fait avec une conscience pure, suivant cette parole de l’Évangile : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu lc ». 19. « Car », dit-il, « comme mon Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que je vis à cause du Père, ainsi celui qui me mange vivra à cause de moi ». Il ne dit pas : Comme je mange mon Père et que je vis à cause de lui, ainsi celui qui me mange vivra à cause de moi. Car, en participant à la nature du Père, le Fils n’en devient point plus parfait, puisqu’il a été engendré son égal ; mais nous, nous devenons meilleurs en entrant en participation du Fils, en nous unissant à son corps et à son sang, mystère désigné par la manducation et l’action de boire dont il a parlé plus haut. Nous vivons donc à cause de lui, puisque nous le mangeons, c’est-à-dire puisque nous recevons de lui la vie éternelle, que nous ne pouvions trouver en nous-mêmes ; pour lui, il vit à cause de son Père qui l’a envoyé, parce qu’il s’est anéanti lui-même et qu’il est devenu obéissant jusqu’à la mort de la croix ld. Si nous interprétons ces paroles « Je vis à cause de mon Père », d’après cet autre passage : « Mon Père est plus grand que moi le », il en est du Christ comme de nous ; car nous vivons à cause de lui, qui est plus grand que nous ; c’est pour lui la conséquence de sa mission. Il a été envoyé, c’est-à-dire il s’est anéanti lui-même en prenant la forme d’esclave : cette interprétation est juste ; on peut la soutenir, tout en continuant à reconnaître que le Fils est, par nature, égal au Père. Car le Père est plus grand que son Fils considéré comme homme ; mais, en tant que Dieu, le Fils lui est égal ; car il est, en même temps, Dieu et homme, Fils de Dieu et Fils de l’homme, dans une seule personne, qui est Jésus-Christ. Si l’on entend bien dans ce sens les paroles du Sauveur : « Comme mon Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que je vis à cause de mon Père, ainsi celui qui me mange vivra à cause de moi » ; il a voulu dire ceci : L’anéantissement où m’a réduit ma mission a eu pour résultat de me faire vivre à cause de mon Père, c’est-à-dire, de me faire rapporter à lui, comme étant plus grand que moi, toute ma vie ; ainsi, chacun de ceux qui me mangeront vivra à cause de moi, par l’effet de cette participation à ma personne. Je me suis humilié c’est pourquoi je vis à cause du Père ; le chrétien qui me mange s’élève, et, par là, il vit à cause de moi. Que si le Christ a dit : « Je vis à cause de mon Père », parce que le Fils vient du Père et que le Père ne vient pas du Fils, ces paroles ne portent aucune atteinte à l’égalité du Fils par rapport à son Père. De là il suit évidemment qu’en disant : « Ainsi celui qui me mange vivra éternellement », le Sauveur n’a voulu, en aucune manière, nous mettre sur un même pied d’égalité avec lui : il n’a fait allusion qu’au bienfait de sa médiation. 20. « C’est ici le pain qui est descendu du ciel » ; afin qu’en le mangeant, nous trouvions la vie en lui, parce que nous ne pouvons trouver en nous-mêmes le principe de la vie éternelle. « Vos pères », dit-il, « ont mangé la manne et sont morts ; mais celui qui mange ce pain vivra éternellement ». Leurs pères sont morts, cela veut dire : ils ne vivront pas éternellement ; car, évidemment, ceux qui mangent le Christ meurent aussi dans le temps, mais ils vivent pour l’éternité, parce que le Christ est la vie éternelle. VINGT-SEPTIÈME TRAITÉ
DEPUIS CET ENDROIT : « IL DIT CES PAROLES DANS LA SYNAGOGUE, ENSEIGNANT À CAPHARNAÜM ». JUSQU’À CET AUTRE : « CAR C’ÉTAIT CELUI QUI DEVAIT LE TRAHIR, QUOIQU’IL FÛT L’UN DES DOUZE ». (Chap 6,60-72.)C’EST L’ESPRIT QUI VIVIFIE.
Les adversaires de Jésus ne furent pas seuls à murmurer de ses paroles : ses disciples en firent autant. Vous ne savez ce qu’est ma chair, ni ce qu’elle sera un jour, leur dit le Sauveur, car vous en jugez d’une façon matérielle et grossière c’est pourquoi vous en jugez faux mes paroles sont spirituelles, et quand je dis qu’il faut manger ma chair, j’entends qu’il faut faire un avec moi. Vous ne croyez pas en moi, voilà pourquoi vous ne me comprenez pas ; et, si vous ne croyez pas en moi, c’est que mon Père ne vous en a pas fait grâce. – Beaucoup s’éloignèrent alors de Jésus ; mais les douze qu’il avait choisis, même Judas malgré son indignité, restèrent avec lui, parce que la foi leur avait donné de saisir le vrai sens de son discours. Puissions-nous entrer dans leurs sentiments et suivre leur exemple ! 1. Nous venons d’entendre dans l’Évangile les paroles du Sauveur qui viennent après celles dont nous vous avons précédemment entretenus : nous devons en parler à vos oreilles et à vos cœurs ; notre discours d’aujourd’hui a toute raison d’être, car, en ce jour, nous célébrons la fête du corps du Seigneur, de ce corps qu’il nous a donné, disait-il aux Juifs, pour nous transmettre la vie éternelle. Il a expliqué la manière dont il nous communique ce bienfait que nous recevons de lui ; il nous a dit comment il donne sa chair à manger. Voici ses paroles : « Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang, demeure en moi, et je demeure en lui lf ». Tel est le signe auquel nous reconnaissons que nous avons pris cet aliment et bu ce breuvage c’est que nous demeurons en Jésus-Christ, et qu’il demeure en nous ; c’est que nous habitons en lui, et qu’il habite eu nous ; c’est que nous nous attachons à lui pour ne pas le quitter. Par ces mystérieuses paroles, il nous a donc donné un enseignement : il nous a avertis d’appartenir à son corps, de faire partie de ses membres, de lui obéir comme à notre chef, de manger sa chair, de ne point nous écarter de son unité. Mais la plupart de ceux qui l’entendirent, ne le comprirent pas, et ils se scandalisèrent ; comme ils étaient charnels, ils n’attribuaient qu’un sens charnel aux paroles du Sauveur. Mais l’Apôtre a dit, et c’est la vérité : « Juger des choses selon la chair, c’est mourir ». Le Seigneur nous donne sa chair à manger ; mais, juger des choses selon la chair, c’est mourir ; car il parle de sa chair, comme de la source de la vie éternelle : nous ne devons donc point juger non plus de sa chair d’une manière charnelle, comme faisaient ceux dont il est question dans ce passage. 2. « C’est pourquoi plusieurs », non pas de ses ennemis, mais « de ses disciples, l’ayant entendu, dirent : Cette parole est dure, et qui peut l’écouter ? » Si cette parole parut dure à ses disciples, que parut-elle à ses ennemis ? Et, pourtant, le Sauveur devait s’exprimer ainsi pour ne pas être compris de tous ; car si Dieu nous communique ses secrets, il doit trouver en nous des auditeurs bien disposés, et non pas des adversaires ; pour ceux-ci, ils se raidirent contre ses paroles, aussitôt qu’ils les entendirent tomber des lèvres du Seigneur Jésus. Il leur disait de merveilleuses choses, et, sous le voile de ses paroles, se cachait l’annonce d’une grande grâce ; mais ils n’ajoutèrent aucune foi à ses discours : selon leur manière de voir, ils comprirent donc d’une façon tout humaine que Jésus avait le pouvoir ou l’intention de couper, pour ainsi dire, en morceaux, et de distribuer à ceux qui, croiraient en lui la chair dont le Verbe s’était revêtu. « Cette parole est dure », s’écrièrent – ils, « et qui peut l’écouter ? » 3. « Mais Jésus sachant en lui-même que ses disciples murmuraient ». Ils murmuraient entre eux de manière à ne pas être entendus de lui ; mais il connaissait jusqu’aux plus secrets replis de leur âme : aussi, les entendant en lui-même, il leur répondit : « Cela vous scandalise ? » Parce que je vous ai dit : Je vous donne ma chair à manger et mon sang à boire, mes paroles vous révoltent ? « Que sera-ce donc si vous voyez le Fils de l’homme monter où il était d’abord ? » Qu’est-ce ceci ? Détruisait-il par là la cause de leur émotion ? Faisait-il disparaître à leurs yeux les obscurités qui avaient donné lieu à leur scandale ? Évidemment, oui, s’ils avaient voulu le comprendre. Ils s’étaient imaginés qu’il leur distribuerait son corps, et il disait, lui, qu’il monterait au ciel dans tout son entier : « Lorsque vous verrez le Fils de l’homme monter où il était d’abord ». Oui, vous verrez, même alors, qu’il ne distribue point son corps de la manière que vous vous imaginez : oui, vous comprendrez, même alors, que l’on ne broie pas sa grâce sous les dents. 4. Et Jésus ajouta : « C’est l’esprit qui vivifie ; la chair ne sert de rien ». Avant d’expliquer ces paroles, aussi bien que le Seigneur nous le permettra, il est bon de ne point glisser légèrement sur ce passage : « Lorsque vous verrez le Fils de l’homme monter où il était auparavant ». Car le Christ est Fils de l’homme, il est né de la vierge Marie. Le Fils de l’homme a donc eu un commencement sur la terre ; il a eu ce commencement au moment même où il s’était revêtu d’un corps terrestre. Aussi, le Prophète avait-il dit : « La vérité est sortie du sein de la terre lg ». Que veut donc dire le Sauveur, quand il s’exprime ainsi « Lorsque vous verrez le Fils de l’homme monter où il était auparavant ? » Il n’y aurait aucune difficulté, s’il avait dit : Si vous voyiez le Fils de Dieu monter où il était auparavant. Mais il dit : « Lorsque vous verrez le Fils de l’homme monter où il était auparavant ». Le Fils de l’homme, qui a eu un commencement sur la terre, pouvait-il être auparavant dans le ciel ? Il dit : « Où il était auparavant », comme s’il n’y était plus au moment où il parlait. Mais il dit ailleurs : « Personne n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel lh ». Il ne dit pas : « le Fils de l’homme » qui était, mais : « qui est au ciel ». Quand il parlait, il était sur la terre, et il disait qu’il était au ciel. Telles ne sont pas ses paroles : Personne n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de Dieu qui est au ciel. En s’exprimant de la sorte, il veut évidemment nous faire comprendre ce que j’ai déjà expliqué à votre charité dans mon dernier discours, à savoir qu’en Jésus-Christ il y a, non pas deux personnes, mais une seule, qui est tout à la fois Dieu et homme : par là, l’objet de notre foi, c’est la Trinité et non une quaternité. Le Christ est donc un : il est composé du Verbe, d’une âme et d’un corps : il est, en même temps, Fils de Dieu et Fils de l’homme : Fils de Dieu dès toujours, Fils de l’homme dans le temps ; il est un, parce qu’il n’y a en lui qu’une seule personne. Il était dans le ciel, pendant qu’il parlait sur la terre. Fils de l’homme, il était dans le ciel de la même manière que, Fils de Dieu, il était sur la terre : Fils de Dieu, il était ici-bas dans la chair dont il s’était revêtu : Fils de l’homme, il était au ciel par son union de personne avec le Verbe. 5. Mais pourquoi ajoutait-il : « C’est l’esprit qui vivifie : la chair ne sert de rien ? » Disons-lui donc {car il nous permet de lui parler, non dans l’intention de le contredire, mais dans le désir de nous instruire) : O Seigneur, ô bon maître ! Comment se fait-il que « la chair ne serve de rien », quand vous avez dit vous-même : « Quiconque ne mangera pas ma chair et ne boira pas mon sang, n’aura pas la vie en lui ? » La vie ne servirait-elle non plus de rien ? Pourquoi sommes-nous ce que nous sommes, sinon pour avoir la vie éternelle, que vous promettez comme fruit de la manducation de votre chair ? Qu’est-ce donc à dire : « La chair ne sert de rien ? » Elle ne sert de rien, mais dans le sens que les Juifs y attachaient ; car, dans leur idée, il s’agissait, non d’une chair animée, vivante, mais d’une chair morte, comme celle d’un cadavre, que l’on partage par morceaux, ou que l’on vend sur le marché. C’est pourquoi le Sauveur a dit : « La chair ne sert de rien », comme l’Apôtre a dit lui-même : « La science enfle ». Devons-nous, pour cela, détester la science ? Pas du tout. Qu’est-ce à dire : « La science enfle ? » La science seule, sans la charité ; aussi ajoute-t-il : « Mais la charité édifie li ». À la science joins donc la charité, et elle te sera profitable, non par elle-même, mais par la vertu qui l’accompagnera. Ainsi en est-il de ce passage : « La chair ne sert de rien ». La chair seule qu’on y joigne l’esprit comme on joint la charité à la science, et alors elle est grandement utile. Car si elle ne pouvait servir de rien, le Verbe ne se serait pas fait chair pour habiter parmi nous. Et si, par la chair, le Christ nous a fait tant de bien, pourrait-on dire qu’elle ne sert de rien ? Mais l’esprit s’en est servi pour opérer notre salut. La chair est devenue un vase : fais attention, non à ce qu’elle était, mais à ce qu’elle contenait. Les Apôtres ont été envoyés dans le monde : leur chair ne nous a-t-elle été d’aucun profit ? Si elle nous a été grandement utile, celle du Seigneur ne nous aurait-elle servi de rien ? Qui est-ce qui nous fait entendre la parole, sinon la voix de la chair ? Qui est-ce qui tient le stylet ? Qui est-ce qui écrit ? Ce sont autant d’œuvres opérées par la chair, mais sous l’action de l’esprit qui s’en sert comme d’un instrument à lui propre. « C’est » donc « l’esprit « qui vivifie, et la chair ne sert de rien ». Ils ont donné au mot de chair un sens tout différent de celui dans lequel je donne la, mienne à manger. 6. Aussi, dit-il, « les paroles que je vous ai adressées, sont esprit et vie ». Nous vous l’avons dit, mes frères, le Sauveur nous a appris que manger sa chair et nous abreuver de son sang, c’est demeurer en lui et lui servant de demeure. Nous demeurons en lui, lorsque nous sommes ses membres ; il demeure en nous, lorsque nous sommes son temple. Pour que nous soyons ses membres, nous nous unissons intimement à lui, et ne faire plus qu’un avec lui, c’est l’effet de la charité seule. Et l’amour de Dieu, d’où nous vient-il ? Interroge l’Apôtre, il te l’apprendra : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné lj ». « C’est » donc « l’esprit qui « vivifie », car c’est l’esprit qui donne la vie aux membres ; mais il ne peut les rendre vivants qu’à la condition de les trouver unis au corps dont il est la vie. En effet, ô homme, l’esprit qui t’anime et te distingue des brutes, peut-il communiquer la vie à un membre séparé de ton corps ? Par ton esprit, j’entends ton âme : or, ton âme ne vivifie que les membres unis à ton corps ; ôtes-en un, c’en est fait ; il ne puise plus en ton âme le mouvement, parce qu’il ne fait plus un avec ton corps. Je vous parle ainsi, pour vous faire aimer l’union avec le Christ, pour vous faire craindre d’en être séparés. Rien ne doit faire trembler un chrétien comme l’appréhension de se voir retranché du corps du Sauveur ; car s’il en est retranché, il n’est plus du nombre de ses membres ; et, s’il n’est plus un de ses membres, son esprit ne l’anime plus. « Mais », dit l’Apôtre, « celui qui n’a pas l’esprit de Jésus-Christ, n’est point à lui lk ». « C’est » donc « l’esprit qui vivifie, mais la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai adressées sont esprit et vie ». Qu’est-ce à dire : « Esprit et vie ? » Elles doivent être entendues dans un sens spirituel. Les as-tu comprises en ce sens ? « Elles sont » pour toi « esprit et vie » ; si tu les as comprises d’une manière charnelle, « elles » n’en « sont » pas moins « esprit et vie » ; mais ce n’est pas pour toi. 7. « Mais », ajoute le Sauveur, « il y en a parmi vous qui ne croient pas ». Il ne dit pas : il y en a parmi vous qui ne comprennent pas, mais il fait connaître le motif pour lequel ils ne comprennent point. « Il en est parmi vous qui ne croient pas ». La raison pour laquelle ils ne comprennent pas, c’est qu’ils ne croient pas ; car, dit le Prophète, « si vous ne croyez point, vous ne comprendrez pas ll ». La foi nous unit, l’intelligence nous communique la vie, commençons par nous attacher à Jésus-Christ, et l’intelligence trouvera en nous de quoi vivifier. Celui qui ne s’attache pas à lui, lui résiste, et quiconque lui résiste, ne croit pas à lui. Comment recevoir la vie de celui à qui on résiste ? On met obstacle au rayon de lumière qui doit pénétrer ; on n’en détourne point les feux, mais on lui ferme l’accès de son âme. « Il en est donc qui ne croient pas ». Qu’ils croient et ouvrent leur esprit, qu’ils ouvrent leur esprit, et la lumière les pénétrera. « Car Jésus savait dès le commencement quels seraient ceux qui ne croiraient point et le trahiraient ». Judas en effet se trouvait là. Il y en eut qui furent scandalisés ; mais, pour lui, il resta près de son maître afin de lui tendre des pièges et non pour le comprendre, et, parce qu’il était resté, le Sauveur parla de lui : sans le nommer expressément, il laissa entendre qu’il le connaissait, et, par là, il voulait inspirer de la crainte à tous, quoiqu’un seul dût périr. Après avoir parlé et distingué les croyants d’avec les incroyants, il fit connaître le motif pour lequel quelques-uns ne croyaient pas : « C’est pourquoi », dit-il, « je vous assure que nul ne peut venir à moi, si ce pouvoir ne lui a été donné par mon Père ». Aussi la foi est un don qui nous est accordé, car la foi n’est – pas chose de nulle valeur, et parce qu’elle est précieuse, réjouis-toi de l’avoir reçue, mais n’en conçois aucun orgueil : « Qu’as-tu, en effet, que tu n’aies pas reçu lm ? » 8. « Dès ce moment, plusieurs de ses disciples se retirèrent en arrière et ne marchèrent plus avec lui. Ils se retirèrent en arrière e, non pour suivre le Christ, mais pour suivre le démon. Un jour, le Seigneur Jésus donna à Pierre le nom de Satan, mais parce qu’il voulait prendre le pas sur son maître, et lui conseiller de ne pas mourir, quoique le Christ fût venu en ce monde pour subir la mort et nous empêcher, par là, de périr éternellement. Et il lui dit : « Arrière, « Satan ; retire-toi de moi, parce que tu ne comprends pas ce qui est de Dieu, mais ce qui est des hommes ln » Quoiqu’il l’appelât Satan, il ne le força pas néanmoins à se retirer en arrière pour suivre le démon ; mais il le fit marcher derrière lui, afin qu’en suivant les traces de son maître, il ne devînt pas démon. Pour les disciples, dont il est ici question, ils se retirèrent en arrière, comme ces femmes dont parle l’Apôtre : « Quelques-unes se sont égarées pour suivre Satan lo ». Ils ne marchèrent plus désormais avec le Sauveur ; ils perdirent la vie, en se séparant du corps auquel ils n’avaient peut-être d’ailleurs jamais appartenu : car s’ils portaient le nom de disciples, ils n’en devaient pas moins être rangés au nombre des incroyants ; et ces hommes, qui se retiraient en arrière, n’étaient pas en petit nombre : on en comptait beaucoup. Dieu a voulu qu’il en fût ainsi, pour notre consolation. Parfois, en effet, il arrive qu’un homme dise la vérité, et que, pourtant, ses paroles ne soient pas goûtées, et que ses auditeurs se scandalisent et s’éloignent. Cet homme se repent d’avoir tenu des discours conformes à la vérité ; il se dit eu lui-même : J’aurais dû ne pas m’exprimer ainsi, j’aurais dû m’exprimer autrement. Pareille chose est arrivée au Sauveur : il a parlé, et plusieurs l’ont quitté, et il est resté avec quelques-uns seulement ; mais il ne s’en est nullement ému, car il savait, dès le commencement, quels étaient ceux qui croyaient en lui et ceux qui n’y croyaient pas ; et nous, nous nous troublons en cas pareil. Cherchons donc alors, dans l’exemple du Seigneur Jésus, un adoucissement à notre peine, mais n’oublions pas de montrer une grande prudence, lorsque nous parlons. 9. Le Christ s’adressa aux rares disciples qui lui étaient restés fidèles ; « Jésus dit donc aux douze », c’est-à-dire aux douze qui étaient restés près de lui : « Et vous aussi, voulez-vous vous en aller ? » Judas lui-même ne s’était pas éloigné ; mais le motif pour lequel il était resté, le Sauveur le connaissait déjà : nous avons, depuis, appris à le connaître. Au nom de tous, seul pour plusieurs, représentant dans l’unité de sa personne l’universalité des autres, Pierre prit la parole : « Simon Pierre lui répondit : Seigneur, à qui irons-nous ? » Vous nous éloignerez de vous ; donnez-nous un autre vous-même. « À qui irons-nous ? » Si nous nous éloignons de vous, à qui irons-nous ? « Vous avez les paroles de la « vie éternelle ». Voyez comment, par ta grâce de Dieu, et sous l’inspiration de l’Esprit Saint, Pierre comprit les paroles de son maître. D’où lui en vint l’intelligence, sinon de sa foi?« Vous avez les paroles de la vie éternelle ». Vous avez les paroles de la vie éternelle, puisque vous nous donnez votre corps et votre sang. « Et nous avons cru, et nous avons « connu ». Il ne dit pas : Nous avons connu et nous avons cru, mais : « Nous avons cru et nous avons connu ». Nous avons cru, afin de connaître ; car si nous voulions connaître d’abord, pour croire ensuite, nous ne parviendrions ni à connaître, ni à croire. Qu’avons-nous cru, et qu’avons-nous connu ? « Que vous êtes le Christ, Fils de Dieu », c’est-à-dire, que vous êtes la vie éternelle, et que vous ne donnez dans votre corps et votre sang que ce que vous êtes. 10. Le Seigneur Jésus leur dit donc : « Ne vous ai-je pas choisis au nombre de douze, et l’un de vous est un démon ? » Ne devrait-il pas dire : « J’en ai choisi onze ? » Car le démon a-t-il été aussi choisi, et se trouve-t-il au nombre des élus ? On ne parle d’élus qu’en bonne part ; or, le Sauveur a-t-il pu choisir un homme pour lui faire opérer des merveilles en fait de bonnes œuvres, malgré lui et sans qu’il le sache ? Oui, car si les méchants agissent différemment, c’est le propre de Dieu d’agir ainsi. De même, en effet, que les méchants font mauvais usage des bienfaits de pieu, de même aussi, mais par contre, Dieu emploie-t-il pour le bien les mauvaises actons des méchants. Combien il est avantageux pour nous que les membres de notre corps soient tels que le divin architecte a pu seul les créer ; et pourtant, quel triste usage les effrontés font-ils de leurs yeux ? et les fourbes, de leur langue ? Avec leur langue, les faux témoins commencent par tuer leur âme, et quand ils se sont donné la mort spirituelle, ils s’efforcent de blesser les autres. De ce qu’ils l’emploient à mal faire, il ne s’ensuit nullement que la langue soit une mauvaise chose : c’est l’œuvre de Dieu ; mais cette œuvre, toute bonne qu’elle soit, la méchanceté humaine en tire un mauvais parti. Quel usage font de leurs pieds ceux qui cousent pour commettre le crime ? Et les homicides, à quoi emploient-ils leurs mains ? Et les êtres excellents, sortis des mains de Dieu, qui nous environnent de toutes parts, comme les mauvais chrétiens les détournent de leur destination première ! Avec l’or, on corrompt la justice, on opprime les innocents. Les méchants emploient au mal la lumière du jour. En effet, dans leurs écarts de mœurs, ils vont jusqu’à se servir de cette lumière qui éclaire leurs pas, comme d’un moyen de perpétrer plus sûrement leurs crimes. Dans les démarches qu’il fait pour accomplir ses pernicieux desseins, le pécheur emploie les rayons du soleil à ne se butter à aucun obstacle extérieur, quoiqu’intérieurement il se soit déjà frappé à une pierre d’achoppement et soit tombé ; l’inconvénient qu’il redoute pour son corps, il l’a déjà rencontré dans son cœur. Il serait trop long d’énumérer tous les bienfaits de Dieu ; mais il n’y en a pas un seul dont les méchants ne fassent abus ; et par une raison toute contraire, l’homme de bien fait tourner au bien la méchanceté même des méchants. Et, de fait, y a-t-il un seul être aussi bon que Dieu ? Le Seigneur lui-même ne dit-il pas, en effet : « Dieu seul est bon lp ? » Aussi, meilleur il est, meilleur est l’emploi qu’il fait de nos mauvaises dispositions. Vit-on jamais homme aussi pervers que Judas ? Préférablement à tous les adhérents du divin Maître, choisi même parmi les douze Apôtres, il reçut la mission de garder la bourse commune et de distribuer les aumônes aux pauvres ; mais un tel bienfait, un si grand honneur ne trouva en lui qu’un ingrat ; on lui donna de l’argent, et il perdit la justice ; il était mort, et il livra la vie, et il poursuivit comme un ennemi celui qu’il avait suivi en qualité de disciple. Telle fut l’abominable conduite de Judas voyez le bel usage qu’en fit le Seigneur ! Il se laissa trahir pour nous racheter, et ainsi fit-il contribuer à notre bien le crime de Judas. Combien de martyrs ont été persécutés par Satan ; s’il avait cessé de se montrer persécuteur, nous ne célébrerions point aujourd’hui l’admirable victoire de saint Laurent. Dieu tire donc avantage des œuvres coupables du démon ; quand un méchant fait un mauvais emploi des bienfaits de Dieu, il se fait du mal à lui-même, mais il n’infirme en rien la bonté divine. Un ouvrier se sert d’un méchant ; mais si le grand ouvrier ne s’en servait pas, il ne lui permettrait pas même d’exister. Aussi le Sauveur dit-il : « Je vous ai choisis au nombre de douze, et l’un d’entre vous est un démon ». Il a pu dire encore : « Je vous ai choisis au nombre de douze », par cette raison que le nombre douze est sacré ; et parce que l’un des douze a péri, il ne s’ensuit nullement que ce nombre ait perdu de sa valeur ; car un autre a pris la place de celui qui a péri lq. Le nombre consacré, c’est-à-dire le nombre de douze, est demeuré intact, parce que les douze devaient annoncer un Dieu en trois personnes par tout le monde, c’est-à-dire aux quatre coins du monde ; ils sont donc au nombre de trois fois quatre. Judas s’est tué lui-même, mais il n’a porté aucune atteinte au nombre de douze ; il a abandonné son maître, mais Dieu lui a donné un successeur. 11. Le Sauveur nous a parlé de son corps et de son sang ; il nous a promis qu’en lei recevant, nous recevrions aussi la vie éternelle ; il a voulu nous faire comprendre que ceux qui mangent son corps et boivent sou sang, sont ceux-là mêmes qui demeurent eu lui et lui servent de demeure : ceux qui ne crurent point à ses paroles n’en saisirent pas le sens, à des choses spirituelles ils donnèrent un sens charnel ; aussi s’en scandalisèrent-ils ; et quand ils se furent scandalisés et éloignés de la source de la vie, le Sauveur consola ceux de ses disciples qui étaient restés avec lui. Pour les éprouver, il leur adressa cette question : « Et vous aussi, voulez-vous vous en aller ? » Par la réponse qu’il provoquait, il voulait nous faire connaître leur constante fidélité à sa personne. Comme résultat de ces différentes circonstances, puissions-nous, nos très-chers frères, ne pas nous contenter, à l’exemple d’un grand nombre de mauvais chrétiens, de recevoir le sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ ! Mangeons son corps et buvons son sang de manière à participer à son esprit : par là, nous demeurerons dans le corps du Seigneur en qualité de membres ; son esprit nous animera, et nous ne nous scandaliserons point ; quoique beaucoup d’autres mangent et boivent maintenant avec nous, et dans un sentiment tout charnel, le corps et le sang du Sauveur, se condamnant ainsi, pour la fin de leur vie, à d’éternels supplices. Aujourd’hui les membres du Christ se trouvent mêlés les uns aux autres comme des grains de froment dans une aire. Mais Dieu connaît ceux qui lui appartiennent lr. Si tu connais ce que tu foules aux pieds, si par conséquent, tu sais que, sous tes pieds se trouvent des grains cachés, et qu’en les foulant tu ne les détruis pas, mais que plus tard le vent séparera les mauvais d’avec les bons ; c’est un fait pour nous hors de doute, mes frères, que nous devons tous, nous qui sommes les membres du Christ, et qui demeurons en lui afin de lui servir de demeure, à notre tour, nous devons tous, ici-bas, vivre jusqu’à la fin au milieu des méchants. Et, par ces méchants, je n’entends pas ceux qui blasphèment Jésus-Christ ; car il en est peu, de notre temps, pour l’injurier de bouche : je veux parler de ceux, hélas ! trop nombreux, dont la conduite est un blasphème continue. 12. Mais qu’est-ce que le Sauveur dit par ces paroles : « Celui qui demeure en moi, je demeure moi-même en lui ls ? » Que dit-il, sinon ce qu’entendaient les martyrs : « Celui qui persévérera jusqu’à la fin, sera sauvé lt ? » Comment est resté en lui saint Laurent, dont nous célébrons aujourd’hui la fête ? Il y est resté jusqu’au moment de l’épreuve, de l’interrogatoire du tyran, des menaces les plus effrayantes, jusqu’à la mort. Que dis-je ? Jusqu’au plus douloureux martyre. Car on ne l’a pas fait mourir tout de suite : on lui a fait subir le supplice du feu, on l’a laissé vivre longtemps ; ou plutôt, on ne l’a pas laissé vivre longtemps, mais on l’a forcé à mourir lentement. Dans cette longue agonie, au milieu de ces tourments, il ne ressentit point la douleur, parce qu’ayant mangé le corps et bu le sang du Christ avec des dispositions parfaites, il était comme engraissé de cet aliment et enivré de ce breuvage ; car en lui se trouvait celui qui a dit : « C’est l’esprit qui vivifie ». Son corps subissait les ardeurs du feu, mais l’esprit soutenait son âme : il ne défaillit point, aussi entra-t-il dans le royaume éternel. Le saint martyr Xiste, dont nous avons solennisé la mémoire il y a cinq jours, lui avait dit : « Mon fils, ne t’attrista pas ». (Xiste était l’évêque, et Laurent son diacre.) « Mon fils, ne t’attriste pas : tu me suivras après un triduum ». Il donnait le nom de triduum à l’intervalle qui devait se trouver entre son martyre et celui de saint Laurent, que nous célébrons aujourd’hui. Trois jours, voilà l’intervalle. O consolation ! Il ne dit pas Ne t’attriste pas, mon fils ; la persécution aura un terme, et tu seras en sécurité ; mais ne t’attriste pas : où fait allusion qu’au bienfait de sa médiation. 20. « C’est ici le pain qui est descendu du ciel » ; afin qu’en le mangeant, nous trouvions la vie en lui, parce que nous ne pouvons trouver en nous-mêmes le principe de la vie éternelle. « Vos pères », dit-il, « ont mangé la manne et sont morts ; mais celui qui mange ce pain vivra éternellement ». Leurs pères sont morts, cela veut dire : ils ne vivront pas éternellement ; car, évidemment, ceux qui mangent le Christ meurent aussi dans le temps, mais ils vivent pour l’éternité, parce que le Christ est la vie éternelle.SERMON CXXXI.
Prononcé en 417 le dimanche, 9 des calendes d’Octobre, au tombeau de Saint Cyprien.
SUR LA GRACE lu.
ANALYSE. – Quelqu’avantageuse que fut la promesse de l’Eucharistie, plusieurs n’y crurent pas. C’est que la grâce est nécessaire pour croire, pour mener une sainte vie et pour persévérer dans le bien. Pourquoi revenir si souvent sur ce sujet ? C’est que plusieurs aujourd’hui le méconnaissent parmi les Chrétiens eux-mêmes. Déjà les Juifs attribuaient à la grâce la rémission des péchés, la guérison des langueurs de l’âme, l’exemption de la corruption et le couronnement des mérites. Et aujourd’hui que le Sauveur à répandu la grâce par tout l’univers, on peut la méconnaître comme la méconnaissaient les Pharisiens ? Mais la cause est jugée, car Rome a parlé. 1. Nous avons entendu le Maître de la vérité, le Rédempteur divin, le Sauveur des hommes recommander à notre amour le sang qui nous a rachetés. Car en nous parlant de son corps et de son sang, il a dit que l’un serait notre nourriture et l’autre notre breuvage. Les fidèles reconnaissent ici le Sacrement des fidèles. Mais qu’y voient les catéchumènes ? Afin donc d’exciter notre ardeur pour une telle nourriture et pour un breuvage si divin, le Sauveur disait : « Si vous ne mangez ma chair et si vous ne buvez mon sang, vous n’aurez pas en vous la vie », et c’est la Vie même qui parlait ainsi de la vie, et pour celui qui accuserait la Vie de mentir, cette vie deviendrait la mort. Ce fut alors que se scandalisèrent, non pas tous les disciples, mais un grand nombre et ceux-ci disaient en eux-mêmes : « Ce langage est dur, qui peut le supporter ? » Mais le Seigneur vit tout en esprit, il entendit le bruit de leurs pensées, et pour leur apprendre qu’il avait entendu leurs murmures intérieurs et les déterminer à y mettre un terme, il répondit avant même qu’ils eussent parlé. Que leur dit-il ? « Cela vous scandalise ? Et si, vous voyez le Fils de l’homme remonter où il était d’abord ? » Qu’est-ce à dire, Cela vous, scandalise ? Croyez-vous que je vais couper mes membres en morceaux afin de vous les donner ? Et « si vous voyez le Fils de l’homme remonter où il était d’abord ? » Vous comprendrez sûrement, en le voyant remonter tout entier, qu’il n’était pas consumable.C'est ainsi qu’il nous dorme avec son corps et avec son sang une alimentation salutaire et qu’il résout en quelques mots l’importante question de son incorruptibilité. Vous qui mangez, mangez donc réellement ; buvez aussi, vous qui buvez ; ayez faim, ayez soif ; mangez la vie, buvez la vie. Manger ce corps, c’est se nourrir, mais se nourrir sans rien retrancher de ce qui nourrit. Qu’est-ce aussi que boire ce sang, sinon puiser la vie ? Mange la vie, bois la vie : ainsi tu l’acquerras en la laissant tout entière. Mais pour y parvenir, pour trouver la vie dans le corps et le sang du Christ, chacun doit manger et boire véritablement et d’une manière toute spirituelle, ce qu’il reçoit dans le Sacrement d’une manière sensible. Effectivement, nous avons entendu dire au Seigneur : « C’est l’esprit qui vivifie et la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai adressées sont esprit et vie : mais il en est parmi vous, poursuit-il, qui ne croient pas. » C’était ceux qui disaient : « Ce langage est dur ; qui peut le supporter ? » Oui, il est dur, mais pour les durs ; il est incroyable, mais pour les incrédules. 2. Afin de nous apprendre que la foi même est gratuite et non pas méritée, Jésus ajoute « Je vous l’ai déjà dit : Personne ne vient à moi, s’il ne lui est donné par mon Père. » Quand le Seigneur a-t-il dit cela ? En nous rappelant ce qui précède, dans le même Évangile, nous remarquerons qu’il a dit : « Nul ne vient à moi, si le Père, qui m’a envoyé, ne l’attire lv. » Nous ne lisons pas : Ne le mène, mais ne l’attire. C’est une impulsion donnée au cœur et non au corps. Pourquoi donc t’étonner de ce langage ? Croire, c’est venir ; aimer, c’est être attiré. Ne considère pas cette impulsion comme fatigante et désagréable : elle est douce, elle fait plaisir, c’est le plaisir même qui attire. N’attire-t-on pas la brebis quia faim en lui montrant de l’herbe ? Alors sans doute on ne lui fait pas violence, mais on se l’attache en excitant ses désirs. Viens au Christ de la même manière ; ne conçois pas l’idée d’un long trajet ; croire, c’est venir, en quelque lien que tu sois. Il est partout, et pour l’aborder il ne faut pas de vaisseaux, mais seulement de l’amour, il faut le reconnaître toutefois, on ne laisse pas, dans cette espèce de traversée, que de rencontrer des vagues, des tempêtes, des tentations : afin donc de mettre ta foi en sûreté sur la planche de salut, crois au Crucifié ; et porté par la croix, tu ne sombreras point. C’est ainsi, que naviguait sur les flots de ce siècle l’Apôtre qui s’écriait : « À Dieu ne plaise que je me glorifie si ce n’est dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ lw ! » 3. Toutefois, ce qui étonne, c’est que de deux hommes qui entendent prêcher le Christ crucifié, l’un dédaigne, et l’autre s’attache à lui. Celui qui dédaigne doit s’imputer son dédain ; mais celui qui s’attache au Christ ne doit rien s’attribuer. Le Maître de la vérité ne lui a-t-il pas dit : « Nul ne vient à moi, s’il ne lui est donné par mon Père ? » Qu’il se réjouisse d’avoir reçu ; qu’à son Bienfaiteur il rende grâces avec un cœur vraiment humble et sans orgueil ; l’orgueil lui ferait perdre ce qu’a obtenu l’humilité. Eh ! ceux mêmes qui suivent la voie de la justice, s’en écartent bientôt s’ils attribuent leur vertu à eux-mêmes et à leurs propres forces, Aussi l’Écriture sainte, pour nous enseigner l’humilité, nous dit par l’Apôtre : « Faites votre salut avec crainte et tremblement. » Redoutant même qu’à ce mot : Faites, on ne vienne à s’attribuer quoi que ce soit. L’Apôtre ajoute aussitôt : Car c’est Dieu qui opère en vous et le vouloir et le faire, selon sa bonne volonté lx. » – C’est Dieu qui opère en vous ; » craignez donc et tremblez, devenez vallées pour recevoir la pluie. Les terrains bas s’en pénètrent, tandis que les hauteurs se dessèchent, et cette pluie est la grâce. Pourquoi s’étonner alors que Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles ly ? Craignez donc et tremblez, c’est-à-dire, soyez humbles. « Ne cherche pas l’élévation, mais crains lz. » Crains, pour être pénétré de la grâce ; ne cherche pas l’élévation, pour éviter d’être à sec. 4. Tu répliques : Je suis maintenant dans la bonne voie ; j’avais besoin d’en être instruit, j’avais besoin d’apprendre, des enseignements de la Loi, ce que je devais faire ; j’ai la liberté, qui m’éloignera du droit chemin ? – En lisant l’Écriture avec attention, tu y verras un homme s’enorgueillir d’abord de richesses spirituelles, que pourtant il avait reçues ; le Seigneur, pour lui inspirer l’humilité, lui enlève dans sa compassion ce qu’il lui avait donné ; et lui, tombé tout-à-coup dans l’indigence, se souvient du passé et publie ainsi les divines miséricordes : « J’ai dit dans mon bonheur : Jamais je ne serai ébranlé. – J’ai dit dans mon bonheur ; » mais c’est moi qui l’ai dit, moi qui ne suis qu’un homme, et « tout homme est menteur ma. » – J’ai donc dit ; « j’ai dit dans mon bonheur ; » ce bonheur était si grand que j’ai osé dire : « Jamais je ne serai ébranlé. » Et puis ? « Dans votre bonté, Seigneur, vous avez joint pour moi la force à la beauté. Mais vous avez détourné la face, et j’ai été dans le trouble mb. » Vous m’avez montré que toute ma richesse venait de la vôtre. Vous m’avez montré à qui je devais demander, à qui faire remonter ce que j’avais reçu, à qui je devais rendre grâces et vers qui je devais courir pour étancher ma soif et pour me fortifier, près de qui enfin je pourrais conserver les forces dont je me sentais pénétré. Car il est dit : « C’est près de vous, Seigneur, que je conserverai mon courage mc ; » c’est vous qui m’enrichissez, et c’est par vous que je ne perdrai pas mes richesses. « Près de vous je garderai ma force ; » et pour m’en convaincre, « vous avez détourné la face et je suis tombé dans la défaillance. » J’ai défailli, parce que je me suis desséché, et je me suis desséché pour m’être élevé. Terrain sec et aride, dis donc pour obtenir d’être arrosé : « Mon âme est devant vous comme une terre sans eau md. » Répète : « Mon âme est devant vous comme une terre sans eau. » C’est toi en effet et non pas le Seigneur, qui avais dit d’abord : « Jamais je ne serai ébranlé. » Tu avais dit cela dans ta présomption ; mais ton bonheur ne venait pas de toi, et ne te regardais-tu pas un peu comme en étant l’auteur ? 5. Qu’enseigne donc le Seigneur ? « Servez le Seigneur avec crainte et réjouissez-vous en lui avec tremblement. » C’est le sens de ces paroles de l’Apôtre : « Faites votre salut avec crainte et tremblement ; car c’est Dieu qui produit en vous et le vouloir et le faire. » Pour ce motif donc, « réjouissez-vous avec tremblement, de peur que le Seigneur ne s’irrite. » Je comprends à vos cris que vous devancez ma parole ; vous savez ce que je vais ajouter, vos cris le disent d’avance. Mais comment le savez-vous, sinon par l’enseignement de Celui à qui vous attache la foi ? Il l’enseigne en effet ; écoutez donc ce que vous savez déjà ; je ne vous apprends rien, ma prédication ne fait que vous rappeler ; ou plutôt je ne vous apprends pas puisque vous savez ; je ne vous rappelle pas non plus, puisque vous avez l’idée présente. Ainsi donc répétons ensemble ce que vous connaissez aussi bien que nous. Voici les paroles du Seigneur : « Soumettez-vous à la discipline et tressaillez de joie », mais « avec crainte », afin que toujours humbles vous conserviez ce que vous avez reçu. « De peur que le Seigneur ne « s’irrite ; » sans doute contre les superbes, contre ceux qui s’attribuent ce qu’ils ont, et qui ne rendent point grâces à leur bienfaiteur. « De peur que le Seigneur ne s’irrite et que vous ne vous écartiez de la droite voie. » Est-il dit De peur que le Seigneur ne s’irrite et que vous n’entriez pas dans la droite voie ? Est-il dit : De peur que le Seigneur ne s’irrite et ne vous amène pas ou ne vous admette pas dans la droite voie ? Vous y marchez déjà, pour ne vous en écarter pas, gardez-vous de l’orgueil. « De peur que vous ne vous écartiez de la droite voie, lorsque soudain sa colère éclatera » sur vous. Elle n’ira pas te chercher au loin ; en t’enorgueillissant tu perds ce que tu avais reçu. Et comme si l’homme effrayé de ce langage, s’écriait : Qu’ai-je donc à faire ? l’auteur sacré poursuit : « Heureux ceux qui se confient en lui me », en lui et non pas en eux-mêmes. C’est la grâce qui nous a sauvés ; elle ne vient pas de nous, elle est un don de Dieu mf. 6. Vous direz peut-être : Pourquoi revenir si souvent sur le même sujet ? Voilà la seconde, la troisième fois, et presque jamais il ne prêche sans en parler. – Ah ! si seulement je n’y étais pas forcé ! Il est en effet des hommes bien ingrats pour le bienfait de la grâce et qui donnent trop à la faiblesse de notre nature blessée. Sans doute le libre arbitre était puissant au moment de la création, mais il perdit sa force en se laissant aller au péché. Car l’homme alors fut blessé à mort, affaibli, laissé presque sans vie sur le chemin ; et il fallut que le Samaritain, c’est-à-dire que le Gardien qui passait, le mit sur sa monture et le conduisit à l’hôtellerie. Comment peut-il s’enfler d’orgueil ? Il est encore en traitement. – Il me suffit, dit-il, d’avoir reçu dans le baptême la rémission de tous mes péchés. – Mais de ce que l’iniquité soit effacée, s’ensuit-il qu’il n’y ait plus d’infirmité ? – J’ai bien reçu, reprend-il ; la rémission de tous mes péchés. – C’est incontestable ; oui tous les péchés sont effacés par le sacrement de baptême, tous sans exception, péchés de paroles, péchés d’action, péchés de pensée, tout est anéanti. Mais c’est là l’huile et le vin répandus, sur le chemin même, dans les plaies du malade. Vous n’avez pas oublié, mes, très-chers frères, comment ce voyageur blessé et laissé à demi-mort par, les larrons, fut soulagé en recevant cette huile et ce vin dans ses blessures mg. C’est le pardon accordé à ses égarements, mais il reste languissant et on le soigne dans l’hôtellerie. Cette hôtellerie n’est-elle pas l’Église ? Elle est aujourd’hui une hôtellerie, parce que notre vie n’est qu’un passage ; elle sera une demeure, une demeure d’où nous ne sortirons plus, lorsque parfaitement guéris nous serons parvenus au royaume des cieux. En attendant soyons heureux d’être soignés dans l’hôtellerie, et convalescents encore, ne nous glorifions pas d’avoir recouvré toute notre santé ; cet orgueil pourrait n’aboutir qu’à nous éloigner de tout remède et de toute guérison. 7 « Bénis le Seigneur, ô mon âme. » Dis à cette âme, dis-lui : Tu es encore dans cette vie chargée encore d’une chair fragile, d’un corps corruptible qui appesantit l’âme mh, obligée encore à prendre le remède de la prière malgré l’entière rémission de tes fautes ; car pour obtenir la guérison de ce qu’il te reste de langueurs tu répètes : « Pardonnez-nous nos offenses mi. » Humble vallée plutôt que fière montagne, dis à ton âme : « Bénis le Seigneur, ô mon âme, et garde-toi d’oublier toutes ses faveurs. » Quelles sont-elles ? Dis-le, énumère-les, rends-en grâces. Quelles sont donc ces faveurs ? « Il te pardonne toutes tes iniquités. » Ce qui s’est fait dans le Baptême. Et maintenant ? « Il guérit toutes les langueurs. » Oui, c’est maintenant, je le reconnais. Mais tant que je suis ici, ce corps corruptible appesantit l’âme. Dis donc aussi ce qui suit ? « Il délivre ta vie de la corruption. » Et après cette délivrance qu’a-t-on à attendre encore ? « Lorsque ce corps corruptible sera revêtu d’incorruptibilité, et ce corps mortel d’immortalité, alors s’accomplira cette parole de l’Écriture : La mort a été abîmée dans sa victoire. O mort, où sont tes armes ? O mort, est-il dit encore avec raison, où est ton aiguillon ? mj » Tu en cherches la trace, mais sans la trouver. – Que signifie l’aiguillon de la mort ? Que signifie : « O mort, où est ton aiguillon ? » Cela veut dire : Où est le péché ? On le cherche, il n’est plus. « En effet le péché est l’aiguillon de la mort dit expressément l’Apôtre et non pas moi. On répétera donc alors : « O mort, où est ton aiguillon ? » Il n’y aura plus de péché, ni pour surprendre, ni pour attaquer, ni pour blesser ta conscience. On ne dira plus alors : « Pardonnez-nous nos offenses. » Et que dira-t-on ? « Seigneur notre Dieu, donnez-nous la paix, car vous avez tout fait pour nous mk. » 8. Qu’y aura-t-il encore, après qu’on sera affranchi de toute corruption, sinon la couronne de justice ? Oui, ou aura à la recevoir encore, mais pour la porter il ne faut pas de tête enflée. Considère comment ce même Psaume exprime cette vérité. Après avoir dit : « Il délivre ta vie de la corruption ; – il te couronne », ajoute-t-il. Je vois ici l’orgueilleux sur le point de dire : Il me couronne, mais, comme le proclament mes mérites, c’est ma vertu qui l’exige, c’est un paiement et non un don. Prête plutôt l’oreille à la voix du psaume avec lequel tu as dit toi-même : « Tout homme est menteur ml. » Écoute ce que Dieu même t’enseigne : « Il te couronne dans sa miséricorde et sa compassion. » Oui, s’il te couronne, c’est par miséricorde, c’est par compassion. Tu n’étais digne ni d’être appelé, ni d’être justifié après avoir été appelé, ni, après avoir été justifié, d’être admis dans la gloire. « C’est par le choix de la grâce que les restes ont été sauvés. Or, si c’est par la grâce, ce n’est plus par les œuvres, autrement la grâce ne serait plus la grâce mm. » – « Car pour celui qui travaille le salaire ne sera point considéré comme une grâce, mais comme une dette ; » C’est bien l’Apôtre qui dit : « Non pas comme une grâce, mais comme une dette ; mn » tandis que c’est dans sa miséricorde et sa compassion que Dieu te couronne. Diras-tu que pourtant tu avais des mérites ? Dieu te répondra : Examine-le bien et tu verras que ces mérites sont encore des dons de ma bonté. 9. Voilà en quoi consiste la justice de Dieu… On dit « le salut du Seigneur mo », non pour exprimer le salut dont Dieu jouit, mais pour signifier le salut dont il fait jouir ceux qu’il sauve : ainsi la grâce divine méritée par Jésus-Christ Notre-Seigneur s’appelle la justice de Dieu, non pas la justice qui le rend juste, mais la justice qu’il accorde à ceux qu’il rend justes, d’impies qu’ils étaient. Aujourd’hui toutefois il est des hommes qui se disent chrétiens et qui, pareils aux Juifs d’autrefois, ignorent la justice de Dieu et veulent établir la leur ; oui, aujourd’hui même, dans ces temps oit la grâce se montre à découvert, dans ces temps où elle se révèle après avoir été cachée d’abord, dans ces temps où on la voit sur l’aire après quelle a été voilée dans la toison. Je remarque que peu d’entre vous m’ont compris ; je dois au grand nombre de m’expliquer ; je n’y manquerai pas. Un des anciens justes demanda au Seigneur un signe de sa volonté et lui dit : « Je vous prie, Seigneur, d’imbiber de pluie toute cette toison et de laisser sèche l’aire qui l’entoure. » Ce qui arriva : la toison s’humecta et l’aire resta sèche tout entière. Dès le matin Gédéon pressa la toison au-dessus d’un bassin : c’est la figure de la grâce qui coule dans les humbles ; vous savez aussi ce que fit Notre-Seigneur à ses disciples, un bassin à la main. Gédéon demanda un second signe : « Je désire Seigneur, que la toison soit sèche et l’aire imbibée. » Ce qui arriva aussi mp. Rappelle-toi l’époque de l’ancien Testament. La grâce n’y était-elle pas cachée dans le nuage comme la rosée dans la toison ? Et maintenant, à l’époque du nouveau Testament, considère les Juifs : ils ressemblent à une sèche toison, tandis que l’univers entier, pareil à l’aire de Gédéon, est rempli de la grâce, qui s'.y révèle avec éclat. C’est ce qui nous force à pleurer amèrement ceux de nos frères qui disputent contre la grâce, au moment même où elle se manifeste et se montre à découvert. On pardonne aux Juifs ; mais des Chrétiens ? Pourquoi sont-ils ennemis de la grâce du Christ ? Pourquoi présumer ainsi de vous-mêmes ? Pourquoi cette ingratitude ? Le Christ est-il venu sans motif ? N’avions-nous pas la nature, cette nature que vous trompez en l’exaltant ? N’avions-nous pas aussi la Loi ? Mais « si la justice a été établie par la Loi, dit l’Apôtre, c’est donc en vain que le Christ est mort mq ? » Ce que l’Apôtre dit de la Loi, nous l’appliquerons à la nature et nous dirons à ces orgueilleux : Si la justice a été établie par la nature, c’est donc en vain que le Christ est mort ? 10. Ainsi nous remarquons en eux ce qu’on a observé des Juifs. Ils ont du zèle pour Dieu. « Je « leur rends ce témoignage, qu’ils ont du zèle pour Dieu, mais non pas selon là science. » – Qu’est-ce à dire : « Non pas selon là science ? » « C’est qu’ignorant la justice de Dieu et cherchant à établir la leur, ils ne sont pas soumis à la justice de Dieu mr. » Mes frères, prenez pitié d’eux avec moi. Quand vous rencontrerez de ces esprits, gardez-vous de les cacher, n’ayez pas cette compassion funeste ; oui, gardez-vous de les cacher quand vous en rencontrerez. Réfutez leurs contradictions, amenez-nous les quand ils résistent. Déjà effectivement on a envoyé sur ce sujet les actes de deux Conciles au Siège Apostolique, dont on a aussi reçu les réponses. La cause est finie ; puisse ainsi finir l’erreur ! Aussi les avertissons-nous de rentrer en eux-mêmes ; nous prêchons pour leur faire connaître la vérité et nous prions pour obtenir leur changement. Tournons-nous, etc.SERMON CXXXII. PURETÉ ET SAINTE COMMUNION ms.
ANALYSE. – Après avoir excité les Catéchumènes à faire leur profession de foi et à recevoir le baptême afin d’être initiés à la connaissance de ce que l’Écriture appelle le corps et le sang de Jésus-Christ, S. Augustin rappelle aux fidèles la nécessité de la pureté pour communier. Que tous donc la pratiquent, et ceux qui sont mariés, et ceux qui ne le sont pas encore, et ceux surtout qui en ont fait vœu et qui doivent la garder avec une perfection plus grande. Il termine en disant qu’il voudrait être moins sévère, mais que son devoir ne le lui permet pas. 1. Nous venons de l’entendre pendant la lecture du saint Évangile, c’est en nous promettant la vie éternelle que Jésus-Christ notre Seigneur nous exhorte à manger sa chair et à boire son sang. Vous l’avez tous entendu, mais tous vous ne l’avez pas compris. Vous qui êtes baptisés et vous – qui êtes au nombre des fidèles, vous savez la pensée du Seigneur. Quant à ceux qui sont encore Catéchumènes où Écoutants, ils ont pu entendre ses paroles, mais en ont-ils saisi le sens ? Aussi nous adressons-nous aux uns et aux autres. Ceux qui déjà mangent la chair du Seigneur et boivent son sang, doivent songer à ce qu’ils mangent et à ce qu’ils boivent ; pour ne pas s’exposer, comme s’exprime l’Apôtre, à manger et à boire leur condamnation mt. Pour ceux qui ne communient pas encore, qu’ils s’empressent d’approcher de ce divin banquet où ils sont invités. C’est à cette époque que les maîtres de maison donnent des repas : Jésus en donne chaque jour, et voilà sa table dressée au milieu de cette enceinte. Qui vous empêche, ô Écoutants, de voir cette table et de vous asseoir à ce festin ? Vous vous êtes dit peut-être, durant la lecture de l’Évangile : Quelle idée nous faire de ces mots : « Ma chair est véritablement une nourriture et mon sang véritablement un breuvage ? » Comment se mange la chair et comment se boit le sang du Seigneur ? Que veut-il dire ? – Mais qui t’a fermé l’entrée de ce mystère ? Tu y vois un voile ; ce voile, si tu veux, sera soulevé. Viens à la profession de foi et la question sera résolue pour toi, car ceux qui l’ont faite connaissent ce qu’a voulu dire notre Seigneur Jésus. Quoi ! on t’appelle Catéchumène, on t’appelle Écoutant, et tu es sourd ! Tu as ouvert l’oreille du corps, puisque tu entends le bruit des paroles ; mais tu as fermé encore l’oreille du cœur, puisque tu n’en comprends point le sens. Je parle, mais je n’explique pas. Nous voici à Pâques, fais-toi inscrire pour le Baptême. Si la fête ne suffit pas pour t’exciter, laisse-toi conduire par la curiosité même, par le désir de savoir ce que signifie « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui. » Pour comprendre avec moi le sens de ces mots : frappe et on t’ouvrira. Je te dis : Frappe et on t’ouvrira ; moi aussi je frappe, ouvre-moi ; je fais bruit aux oreilles, mais je frappe au cœur. 2. Mes frères, si nous devons exciter les Catéchumènes à ne point différer de recevoir cette grâce – immense de la régénération ; quel soin devons-nous consacrer à porter les fidèles à profiter de ce qu’ils reçoivent, à ne pas manger, à ne pas boire leur condamnation à cette table divine ! Qu’ils vivent donc bien, pour être préservés de ce malheur. Et vous, exhortez, non par vos paroles, mais par vos mœurs, ceux qui ne sont pas baptisés, à suivre vos exemples sans y trouver la mort. Époux, gardez à vos épouses la foi nuptiale ; faites pour elles, ce que vous exigez pour vous. Mari, tu requiers de ta femme la garde de la chasteté, donne-lui l’exemple et non des paroles. Tu es le chef ; vois où tu marches ; car tu ne dois marcher que par où elle peut te suivre sans danger ; que dis-je ? partout où tu veux qu’elle mette le pied, tu dois mettre le tien. De ce sexe faible tu exiges la force : comme vous éprouvez l’un et l’autre les convoitises de la chair, c’est au plus fort de vaincre le premier. N’est-il pas toutefois déplorable de voir tant d’hommes vaincus par les femmes ? Des femmes gardent la chasteté que des hommes refusent d’observer ; ils mettent même leur honneur d’homme à ne l’observer pas, comme si leur sexe n’était plus fort que pour se laisser plus facilement dompter par l’ennemi. Il y a lutte, il y a combat, il y a bataille. L’homme est plus fort que la femme, dont il est le chef mu. La femme combat, elle triomphe ; et toi tu succombes ! Le corps reste debout et la tête est tombée ! Pour vous, qui n’êtes point mariés encore et qui pourtant vous approchez de la table du Seigneur pour y manger sa chair et y boire son sang, conservez-vous pour vos futures épouses si vous devez en prendre. Ne doivent-elles pas vous trouver telles que vous désirez les trouver vous-mêmes ? Quel est le jeune homme qui ne désire une épouse chaste, qui ne demande l’intégrité la plus parfaite dans la vierge à laquelle il veut s’unir ? Sois ce que tu veux qu’elle soit ; tu la veux pure, sois pur. Ne pourrais-tu ce dont elle est capable ? Si la vertu est impossible, pourquoi la pratique-t-elle ? Et si elle la pratique, n’est-ce pas t’enseigner qu’elle est praticable ? C’est Dieu sans doute qui la dirige pour l’en rendre capable. Souviens-toi cependant qu’à la pratiquer tu auras plus de gloire qu’elle. Pourquoi plus de gloire ? C’est qu’elle est comprimée par la vigilance de ses parents, arrêtée par la pudeur de son faible sexe, retenue enfin par la peur de lois que tu n’as pas à craindre. Voilà pourquoi tu auras réellement plus de gloire à demeurer chaste, la pureté sera en toi la preuve que tu crains Dieu. Elle, en dehors de Dieu, que n’a-t-elle pas à craindre ? Toi, tu n’as d’autre crainte que celle de Dieu ; mais aussi quelle grandeur comparable à celle de ce Dieu que tu crains ? Il faut le craindre en public et le craindre en secret. Si tu sors il te voit, il te voit encore si tu entres ; ta lampe brûle, il te voit ; elle est éteinte, il te voit encore ; il te voit quand tu pénètres dans ton cabinet, il te voit aussi quand tu réfléchis en ton cœur. Crains, crains cet œil qui ne te perd pas de vue, et que la crainte au moins te maintienne chaste ; ou bien, si tu es déterminé à pécher, cherche un endroit où Dieu ne te verra pas, et fais là ce que tu veux. 3. Pour vous qui déjà avez fait le vœu de pureté, châtiez plus sévèrement votre corps, ne laissez pas la convoitise aller même à ce qui est permis ; non content, de vous abstenir de tout contact impur, sachez dédaigner même un regard licite. Quel que soit votre sexe, souvenez-vous que vous menez sur la terre la vie des Anges, puisque les Anges ne se marient point. Après la résurrection nous serons tous comme eux mv ; mais combien vous l’emportez sur les autres, vous qui commencez d’être avant la mort ce qu’ils ne seront qu’après la résurrection ! Soyez fidèles à vos engagements divers, comme Dieu sera fidèle à vous glorifier diversement. Les morts ressuscités sont comparés aux étoiles du ciel. « Une étoile, dit l’Apôtre, diffère en clarté d’une autre étoile. Ainsi en est-il de la résurrection mw. » Autre sera l’éclat de la virginité, autre l’éclat de la chasteté conjugale, autre encore l’éclat de la viduité sainte. La gloire sera diverse, mais tous les élus auront la leur. La splendeur n’est pas la même, le ciel est commun. 4. Réfléchissez ainsi à vos devoirs, soyez fidèles à vos obligations diverses et recevez la chair, recevez le sang du Seigneur. Qu’on n’approche point, si l’on n’a pas la conscience en bon état. Que mes paroles vous portent de plus en plus à la componction. Elles portent la joie dans ceux qui savent rendre à leurs épouses ce qu’ils demandent d’elles et dans ceux aussi qui observent avec perfection la continence qu’ils ont vouée à Dieu. Mais il en est d’autres qui s’affligent en m’entendant dire : N’approchez pas de ce pain sacré, vous qui n’êtes pas purs. Je voudrais bien ne pas tenir ce langage : mais que faire ? Aurai-je peur de l’homme pour ne pas annoncer la vérité ? Il faudra donc que ces serviteurs infidèles ne craignant pas le Seigneur, je ne le craigne pas non plus, comme si je ne connaissais pas cette sentence : « Serviteur mauvais et paresseux, tu aurais dû donner et moi j’aurais fait rendre mx. » Ah ! j’ai donné, Seigneur mon Dieu ; oui, devant vous, devant vos Anges et devant votre peuple j’ai distribué vos richesses ; car je redoute vos jugements. J’ai distribué, à vous de faire rentrer. Du reste vous le ferez assez sans que je le dise. Je dirai donc au contraire : J’ai distribué, à vous de toucher, à vous de pardonner. Rendez purs ceux qui étaient impurs. Ainsi, au jour de vos arrêts, nous serons tous dans la joie, et celui qui a donné et celui qui a reçu. Le voulez-vous, mes frères ? Veuillez-le. O impudiques, corrigez-vous pendant que vous êtes en vie. Je puis bien annoncer la parole de Dieu, mais je ne saurais soustraire au jugement et à la condamnation suprême les impurs qui auront persévéré dans leurs infamies.
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