amIsa 14, 14,15
beSir 24, 6
ckSir 5, 13
csSag 7, 26
ctSag 9, 15
cxSag 7,26
cyId 8, 1
dtJn 14, 32
emSag 7, 26
esJac 4, 45
etPsa 60, 13
evPsa 60, 13
ffRom 7, 22-26
fsRom 7, 25-26
fwSag 1, 9
John 5:17
DIX-SEPTIÈME TRAITÉ.
DEPUIS L’ENDROIT OÙ IL EST ÉCRIT « APRÈS CELA ARRIVA LA FÊTE DES JUIFS, ET JÉSUS MONTA À JÉRUSALEM », JUSQU’À CET AUTRE : « LES JUIFS CHERCHAIENT À LE FAIRE MOURIR, NON SEULEMENT PARCE QU’IL AVAIT VIOLÉ LE SABBAT, MAIS ENCORE PARCE QU’IL DISAIT QUE DIEU ÉTAIT SON PÈRE, SE FAISANT ÉGAL À DIEU ». (Chap 5,4-18.)GUÉRISON DU PARALYTIQUE.
Ce miracle est l’image de la guérison des âmes : de là son importance. La piscine figure le peuple Juif, et les cinq portiques, la loi de Moïse qui ne justifiait aucun de ses sujets. Il fallait que le Christ vint, par sa prédication, jeter le trouble parmi les pécheurs ; alors, quiconque croirait humblement en lui dans l’unité de l’Église, serait sauvé. Le paralytique, malade depuis trente-huit ans, représente l’âme pécheresse, qui n’observe point les deux préceptes de la charité, et ne peut en conscience observer ni la loi ni l’Évangile, figurés par le nombre quarante. Pour le guérir, le Sauveur lui commande de prendre son lit sur ses épaules, c’est-à-dire d’aimer le prochain qu’il voit, et de marcher, c’est-à-dire d’en venir à aimer Dieu qu’il le voit pas. À sa voix, le malade se lève, marche et finit par reconnaître son céleste médecin dans la solitude du temple. Pour les Juifs, au lieu de voir en lui le Verbe, par qui Dieu fait toutes choses, ils demeurent dans leur aveugle endurcissement. 1. Il ne doit point paraître surprenant que Dieu ait opéré un miracle, mais ce serait chose merveilleuse que l’homme en fît. Nous devons donc nous réjouir, au lieu de nous étonner, de ce que notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ s’est fait homme, plutôt que nous réjouir et nous étonner de ce que Dieu a fait, parmi les hommes, des œuvres dignes de lui. Son Incarnation parmi les hommes a contribué à notre salut plus que ses miracles, et c’était de sa part un bienfait plus considérable de guérir les âmes de leurs vices, que de délivrer de leurs maladies des corps destinés à mourir. Mais, d’une part, l’âme humaine ne connaissait point Celui qui devait la guérir ; d’autre part, l’homme avait, dans son corps, des yeux pour venir des faits matériels, sans avoir encore, dans son cœur, des yeux assez sains pour apercevoir le Dieu invisible : le Seigneur a ainsi opéré des œuvres susceptibles d’être vues par l’homme, pour purifier en lui l’organe dont l’infirmité ne lui permettait pas de contempler le Tout-Puissant. Jésus entra donc en un endroit où gisait une grande multitude de malades, d’aveugles, de boiteux, de paralytiques et comme il était le médecin des âmes et des corps, comme il était venu guérir toutes les âmes de ceux qui devaient croire en lui, parmi tous ces infirmes il en choisit un, pour lui rendre la santé. Cet unique élu devait être l’emblème de l’unité de l’Église. Si nous considérons ce miracle du Sauveur avec un cœur étroit, avec une intelligence et des idées tout humaines, le prodige ne nous paraîtra pas extraordinaire, eu égard à sa puissance et nous avouerons facilement que, relativement à sa bonté, Jésus a fait là peu de chose. Il y avait, devant lui, tant de malades, et il n’en a guéri qu’un seul, bien qu’il eût pu, d’un seul mot, les remettre tous sur pied ! Comment donc comprendre sa conduite ? Le voici, sans aucun doute en pareille circonstance, sa puissance et sa bonté s’exerçaient bien plus à faire ce que les âmes devaient comprendre pour leur salut éternel, qu’à opérer, pour la guérison temporelle des corps, les miracles qu’ils pouvaient réclamer. Nous ne jouirons, en effet, qu’à la fin des siècles et au moment de la résurrection des morts, de cette inamissible santé que nous attendons de la bonté de Dieu : ce qui vivra alors ne sera plus exposé aux coups du trépas ; ce que le Seigneur guérira alors ne courra plus aucun danger de maladie ; ce qui sera alors rassasié n’éprouvera jamais plus le tourment de la faim ou de la soif ; ce qui sera renouvelé, ne vieillira plus désormais. Mais les aveugles, auxquels notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ a, pendant sa vie mortelle, rendu la vue, la mort leur a de nouveau fermé les yeux ; les membres des paralytiques, raffermis par lui, ont fléchi encore sous les atteintes du trépas, et la mort a fait disparaître derechef la santé momentanément rendue à des membres sujets à ses coups destructeurs ; mais pour l’âme, vivifiée par la foi, elle est, à ce moment-là, entrée dans le séjour de la vie éternelle. La guérison de ce paralytique a été, de la part de Notre-Seigneur, une figure frappante de l’âme qui devait croire en lui, et dont il était venu effacer les péchés, et guérir les infirmités par l’excès de ses humiliations. Dans la figure et la réalité, j’aperçois un profond mystère : c’est de ce mystère que je veux présentement vous parler, de mon mieux, comme Dieu m’en fera la grâce ; aidez-moi à le faire malgré ma faiblesse, en me soutenant par vos prières, en m’encourageant par votre attention. Si je ne puis vous dire tout ce qu’il faudrait, celui avec le secours de qui je ferai mon possible y suppléera en vous. 2. Il m’en souvient : j’ai, très-souvent, parlé de cette piscine environnée de cinq portiques, où se trouvaient couchés des malades en grand nombre : j’entreprends donc une tâche, abordée par moi plusieurs fois déjà ; aussi, plusieurs d’entre vous auront-ils plutôt à rafraîchir des souvenirs, qu’à apprendre des choses nouvelles. Toutefois, il n’est pas hors de propos de rappeler des choses même précédemment expliquées ; car on peut ainsi instruire ceux qui ne les connaissent pas encore, et confirmer dans leur science ceux qui les connaissent déjà. C’est pourquoi nous passerons brièvement sur ce que vous savez, sans nous y arrêter comme s’il était question de vous en parler pour la première fois. Cette piscine et l’eau qu’elle renfermait me semblent avoir préfiguré le peuple juif. Que les peuples se trouvent désignés sous le nom des eaux, c’est chose clairement indiquée dans l’Apocalypse de Jean. Un jour, en effet, il avait aperçu de grandes eaux : il demanda ce que c’était, et on lui répondit : Ce sont les nations a. Cette eau, environnée de cinq portiques, était donc l’emblème du peuple juif, régi par les cinq livres de Moïse ; mais ces livres montraient les infirmités des Israélites sans les guérir ; car la loi établissait la culpabilité des pécheurs, et ne la faisait pas disparaître : la lettre, sans la grâce, faisait donc des coupables ; et quand ils s’avouaient tels, la grâce les délivrait. Voici ce que l’Apôtre dit à ce sujet : « Si la loi qui a été donnée avait pu communiquer la vie, il serait vrai de dire que la justice viendrait de la loi ». Pourquoi la loi a-t-elle été donnée ? Paul continue en ces termes : « Mais l’Écriture a tout renfermé sous le péché, afin que ce que Dieu avait promis fût donné par la foi en Jésus à ceux qui croiraient b ». Y a-t-il rien de plus évident ? Ces paroles ne nous ont-elles pas mis sous les yeux les cinq portiques et la multitude des malades qui s’y trouvaient couchés ? Les cinq portiques ne sont autres que la loi. Pourquoi ne guérissaient-ils pas les infirmes qu’ils renfermaient ? Parce que, « si la loi, qui a été donnée, avait pu communiquer la vie, il serait vrai de dire que la justice viendrait de la loi ». Pourquoi contenaient-ils des hommes qu’ils ne guérissaient point ? Parce que « l’Écriture a tout renfermé sous le péché, afin que ce que Dieu avait promis fût donné par la foi en Jésus à ceux qui croiraient ». 3. Comment donc se faisait-il qu’après l’agitation de l’eau, ceux qu’on y plongeait y retrouvaient la santé, au lieu qu’ils restaient malades tout le temps qu’ils demeuraient sous les portiques ? Il est bon de le remarquer, l’eau semblait tout à coup s’agiter, et il était impossible de voir qui l’agitait. Sois-en bien convaincu : un ange venait d’habitude la remuer, et son action n’était pas sans indiquer l’existence d’un grand mystère. Immédiatement après qu’il avait ainsi remué l’eau de la piscine, l’un des malades, celui qui le pouvait, y descendait, et il était seul à obtenir sa guérison : après lui, quiconque s’y plongeait le faisait sans résultat. Qu’est-ce que cela signifie ? Que le Christ est venu vers le peuple juif, et qu’en opérant des prodiges, en enseignant une doctrine précieuse, il a pu seul troubler les pécheurs, remuer l’eau par le fait de sa présence, et agiter les Juifs au point qu’ils le firent mourir. Mais quand il agissait ainsi, on ne le connaissait point ; car si les Israélites avaient connu le Roi de gloire, ils ne l’auraient jamais crucifié c. Descendre dans l’eau, après qu’elle a été agitée, c’est donc croire humblement à la passion du Sauveur. Un seul malade était guéri dans l’eau de la piscine : c’était l’emblème de l’unité de l’Église : quiconque y descendait ensuite, n’obtenait pas sa guérison, car, en dehors de l’unité, il est impossible d’obtenir la rémission de ses fautes. 4. Voyons donc ce que le Christ a voulu nous faire entendre par ce paralytique ; car le Sauveur, comme je l’ai dit en commençant, a respecté, lui aussi, ce que le nombre un a de mystérieux, et, de tous les malades rangés autour de la piscine, il n’a daigné guérir que celui-là. Dans l’âge de cet homme il a trouvé un nombre d’années qui indique une maladie : « Il était malade depuis trente-huit ans ». Comment ce nombre d’années indiquait-il plutôt la maladie que la santé ? C’est ce que nous allons expliquer avec un soin plus particulier. Je désire que vous me prêtiez toute votre attention : le Seigneur nous aidera, moi, à vous parler convenablement, et vous, à me bien comprendre. Le nombre quarante nous est signalé comme un nombre sacré, parce qu’en un sens, il est parfait. Votre charité, je le suppose, n’en ignore pas ; et les divines Écritures l’attestent en maints endroits. Vous le savez, le jeûne tire sa consécration de ce nombre de jours. En effet, Moïse a jeûné quarante jours d ; Élie a fait de même e ; et notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ a aussi jeûné le même espace de temps f. Moïse représentait la loi, Élie les Prophètes, et Jésus-Christ l’Évangile : c’est pourquoi ils apparurent tous les trois sur la montagne où le Sauveur se manifesta à ses disciples avec un visage et des vêtements tout radieux. Dans cette apparition, Jésus se trouvait entre Moïse et Élie g, comme si l’Évangile tirait sa force du témoignage de la loi et des Prophètes h. Qu’il s’agisse donc de la loi, des Prophètes ou de l’Évangile, le nombre quarante nous est signalé comme consacré au jeûne. Considéré dans son sens large, et pris en général, le jeûne consiste à s’abstenir de tout péché et de toutes les iniquités du siècle ; oui, voilà le véritable jeûne : « C’est renoncer à l’impiété, aux désirs du siècle, et vivre dans le siècle avec tempérance, avec justice et avec piété ». Quelle est la récompense réservée à cette sorte de jeûne ? L’Apôtre nous le dit, car il ajoute ces paroles : « Attendant la félicité que nous espérons, et l’avènement glorieux du grand Dieu, de notre Sauveur, Jésus-Christ i ». Dans le cours de cette vie, nous observons, en quelque sorte, l’abstinence du carême, lorsque nous nous conduisons bien et que nous nous abstenons du péché et des plaisirs défendus. Mais parce que cette abstinence ne manquera pas d’être récompensée, « nous attendons la félicité que nous espérons, et l’avènement glorieux du grand Dieu, de notre Sauveur, Jésus-Christ ». Quand notre espérance aura fait place à la possession de la réalité, nous recevrons le denier qui doit constituer notre récompense. D’après l’Évangile, vous vous en souvenez, je crois, la même rémunération est accordée à tous ceux qui travaillent dans la vigne du père de famille : il est inutile de vous rappeler tout cela, comme si vous étiez des personnes ignorantes et grossières. Le denier donné aux ouvriers tire son nom du nombre dix, lequel, ajouté à quarante, forme celui de cinquante ; voilà pourquoi l’observation de la Quadragésime exige de nous, avant Pâques, de pénibles sacrifices ; mais après Pâques, il semble que nous devions recevoir notre récompense, car nous célébrons la Quinquagésime dans les transports de la joie. Au travail salutaire des bonnes œuvres, qui a trait au nombre quarante, viendra s’ajouter le denier du repos et du bonheur, qui parfera le nombre cinquante. 5. Tout cela, le Seigneur Jésus a voulu nous le faire entendre plus parfaitement encore, quand, après sa résurrection, il a consacré quarante jours à converser sur la terre avec ses disciples j. Le quarantième jour, il monta au ciel, et dix jours après il leur envoya, comme récompense, le Saint-Esprit k. Ceci a été préfiguré, et la réalité a été annoncée d’avance par certains emblèmes. La vue de ces emblèmes nous sert comme d’aliment, pour nous fortifier et nous aider à parvenir à la réalité même. Nous sommes, en effet, des ouvriers, et nous travaillons encore à la vigne ; le jour fini, l’ouvrage terminé, Dieu nous rémunérera de nos peines. Mais quel est l’ouvrier capable de persévérer dans le travail, jusqu’à l’heure du paiement ? Celui-là seul qui prend de la nourriture dans le cours de la journée ; car il est sûr que tu ne te bornes pas à donner à tes ouvriers leur salaire : ne leur donnes-tu pas aussi de quoi réparer leurs forces épuisées par le travail ? Oui, tu nourris ceux que tu dois rémunérer. Les emblèmes contenus dans les Écritures sont donc l’aliment dont Dieu nous nourrit pendant le pénible cours de notre vie ; car s’il nous enlevait la joie de comprendre toutes ces mystérieuses figures de l’avenir, nous tomberions, au milieu de notre travail, sous le poids de la fatigue, et nul d’entre nous ne serait capable de voir arriver l’heure de la récompense. 6. Pourquoi donc le nombre quarante indique-t-il que le travail est arrivé à son terme ? Peut-être parce que la loi a été donnée en dix préceptes, et qu’elle devait être annoncée par tout l’univers ; car le monde se divise en quatre parties : l’Orient, l’Occident, le Midi et l’Aquilon. Aussi, dix multiplié par quatre, donne le nombre quarante. Peut-être est-ce encore parce que la loi se trouve parfaitement accomplie par l’Évangile, qui se compose de quatre livres ; il est dit, un effet, dans l’Évangile : « Je ne suis pas venu abolir la loi, mais l’accomplir l ». Quel que soit le motif en question ; que ce soit celui-ci ou celui-là, ou tout autre, inconnu de nous, mais connu de plus savants, peu importe ; il est certain, néanmoins, que le nombre quarante indique en un sens que les bonnes œuvres sont arrivées à leur terme : par bonnes œuvres j’entends surtout un certain retranchement des désirs coupables du siècle, c’est-à-dire, le jeûne pris dans son acception la plus étendue. Écoute l’Apôtre. Voici ce qu’il dit lui-même : « L’amour est la plénitude de la loi m ». Comment nous vient la charité ? Par là grâce de Dieu, par l’Esprit-Saint. Nous ne pouvons la posséder de nous-mêmes, comme si nous la faisions ; c’est un don de Dieu, et un don inappréciable : « Car », dit Paul, « la charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné n ». La charité accomplit donc la loi, et c’est en toute vérité qu’il a été dit : « La charité est la plénitude de la loi ». Voyons comment Dieu nous recommande cette vertu. Rappelez-vous ma proposition : je veux vous parler des trente-huit ans du paralytique de l’Évangile ; je veux vous expliquer comment il se fait que le nombre trente-huit indique plutôt la maladie que la santé ; je l’ai dit : La charité accomplit la loi : et à l’entier accomplissement de la loi, en n’importe quelles œuvres, se rapporte le nombre quarante. Mais, relativement à la charité, nous avons reçu deux commandements. Je vous en prie, réfléchissez bien à ce que je vous dis, et gravez-le profondément dans votre mémoire : tenez du cas de mes paroles ; car, autrement, votre âme ressemblerait à un grand chemin où ne germe point le grain qui y tombe : « Les oiseaux du ciel viendront », dit le Sauveur, « et ils le mangeront o ». Comprenez ceci, et renfermez-le soigneusement dans votre cœur. Par rapport à la charité, le Seigneur nous a donné deux commandements ; les voici : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit, et tu aimeras ton prochain comme toi-même. Ces deux commandements renferment toute la loi et les Prophètes p ». La veuve de l’Évangile n’a-t-elle pas fait don à Dieu de deux misérables pièces d’argent qui composaient tout son avoir q ? Est-ce que l’hôtelier n’a pas reçu deux deniers pour veiller à la guérison du malheureux blessé que des voleurs avaient laissé à moitié mort sur le chemin r ? Jésus n’a-t-il point passé deux jours chez les Samaritains, pour les affermir dans la charité s ? Lorsqu’il s’agit de quelque bonne œuvre, le nombre deux a donc trait au double précepte de la charité : de là il suit que le nombre quarante indique l’entier accomplissement de la loi, et que la loi n’est accomplie que par l’observation du double précepte de la charité : alors, pourquoi s’étonner si celui à qui le nombre deux manquait pour parvenir à quarante, gisait sous le poids de la maladie ? 7. Voyons donc par quelle mystérieuse action du Sauveur ce malade est revenu à la santé. Jésus, maître de la charité, rempli de charité, a paru sur la terre, donnant au « monde » comme il a été prédit de lui, « une parole abrégée t », et il a montré que les deux Préceptes de la charité renferment toute la loi et les Prophètes. En eux a donc consisté le mérite du jeûne de quarante jours observé par Moïse, et de celui d’Élie, consacrés, tous deux, par l’autorité et l’exemple de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le Sauveur se présente alors devant le paralytique, et lui rend la santé ; mais, auparavant, il lui dit : « Veux-tu être guéri ? » Celui-ci lui répond qu’il n’a personne pour le descendre dans la piscine. En réalité, pour guérir, il lui fallait un homme, mais l’homme qui est en même temps Dieu : car « il n’y à qu’un Dieu, et un médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme u ». L’homme indispensable s’approche de lui : pourquoi sa guérison serait-elle différée ? « Lève-toi », lui dit-il, « prends ton lit, et marche ». Voilà trois mots sortis de sa bouche : « Lève-toi, prends ton lit, et marche ». « Lève-toi » ; par ce mot, il ne commande pas d’agir, il rend la santé. Une fois guéri, le paralytique reçoit deux commandements : « Prends ton lit, et marche ». Je vous le demande : pourquoi ne pas se contenter de dire : « Marche ? » Ou bien, n’aurait-il pas suffi de dire « Lève-toi ? » Il est sûr, en effet, qu’après avoir repris l’usage de ses membres, il ne serait pas resté en place. Ne se serait-il pas levé pour s’en aller ? Voilà donc, pour moi, un nouveau sujet de surprise ; car j’entends le Sauveur faire deux commandements à cet homme qu’il a trouvé couché sur son lit, parce qu’il lui manquait deux pour atteindre quarante ; en lui imposant deux préceptes, Jésus suppléait au nombre qui lui faisait défaut. 8. Dans ces deux préceptes du Christ, comment pouvons-nous trouver trace des deux commandements de la charité ? « Prends ton lit », dit-il, « et marche ». Quels sont, mes frères, ces deux commandements ? Veuillez y réfléchir avec moi. Ils doivent vous être parfaitement connus, et, par conséquent, vous ne devez pas vous borner à y penser quand nous vous en parlons ; jamais ils ne doivent s’effacer de votre mémoire. Rappelez-vous-le donc toujours : il faut aimer Dieu et le prochain. Il faut aimer « Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit, et le prochain comme soi-même ». Voilà ce à quoi nous devons toujours penser ; ce qu’il nous faut sans cesse méditer, graver dans notre mémoire, mettre en pratique et accomplir. L’amour de Dieu a la priorité dans l’ordre des commandements : dans l’ordre de mise en pratique, cette priorité appartient à l’amour du prochain. Celui qui t’imposerait, en deux préceptes divers, l’obligation d’aimer l’un et l’autre, ne te désignerait pas d’abord le prochain, comme objet de ton affection, pour donner à Dieu le second rang : il te parlerait d’abord de Dieu, et, ensuite, du prochain ; mais comme tu ne vois pas encore Dieu, tu mérites de le voir en aimant ton prochain : l’affection que tu portes à ton frère purifie l’œil de ton âme, et le rend capable de contempler Dieu ; car Jean dit en termes formels : « Comment celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas v ? » On te dit : Aime Dieu. Si tu me dis à ton tour : Montre-moi celui que je dois aimer, que répondrai-je, sinon ce que Jean lui-même nous enseigne : « Jamais « personne n’a vu Dieu w ? » Mais ne va pas t’imaginer qu’il te soit complètement impossible de voir Dieu. « Dieu », dit le même Apôtre, « Dieu est charité ; celui qui demeure dans la charité, demeure en Dieu x ». Aime donc ton prochain ; puis, examine attentivement pour quel motif tu lui donnes ton affection ; et en lui, tu verras Dieu, autant, du moins, que tu peux le voir. Commence donc par aimer le prochain. « Partage ton pain avec celui qui a faim, et reçois, sous ton toit, celui qui est sans abri. Lorsque tu vois un homme nu, couvre-le, et ne méprise point la chair dont tu es formé ». Quelle sera, pour toi, la conséquence de toutes ces bonnes œuvres ? « Alors, ta lumière brillera comme l’aurore y ». Ta lumière, c’est ton Dieu. Il sera pour toi la lumière de l’aurore, parce qu’il succédera, pour toi, aux ténèbres de ce monde ; et comme il demeure éternellement, il ne se lève, ni ne se couche comme le soleil. Il se lèvera pour toi, lorsque tu reviendras à lui, comme il s’est couché toutes les fois que tu t’en es éloigné. Donc, par ces paroles : « Prends ton lit », Jésus a dit, ce me semble : Aime ton prochain. 9. Mais la chose ne me paraît pas encore bien clairement établie : à mon avis, il nous faut expliquer plus au long comment il est question de la charité fraternelle dans le fait de l’enlèvement d’un lit ; car peut-être sommes-nous offusqués de voir qu’un lit, dépourvu de sens et d’esprit, soit l’image du prochain. Que notre frère ne s’irrite point d’être représenté à nos yeux sous la figure d’un objet sans âme ni intelligence. En effet, notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ a lui-même reçu le nom de pierre angulaire, établie pour relier ensemble les deux murs de l’édifice z. On lui a aussi donné le nom de ce rocher du sein duquel s’échappe une source : « Et cette pierre était le Christ aa ». Si le Christ a été appelé Pierre, y a-t-il rien d’étonnant à ce que le prochain soit appelé bois ? Il ne s’agit pas ici, néanmoins, d’un bois quelconque, pas plus qu’il ne s’agissait de n’importe quelle pierre ou de n’importe quel rocher. Car il était question du rocher qui fournit de l’eau pour désaltérer les Israélites, et de la pierre angulaire qui réunissait entre eux des murs bâtis en des sens différents. Tout bois n’est pas propre à figurer le prochain : un bois de lit en est seul capable. Je te le demande ; qu’y a-t-il à remarquer dans ce bois de lit ? Rien, sinon qu’il servait à porter le paralytique pendant qu’il était malade, tandis qu’il était à son tour porté par ce même homme revenu en santé. Qu’a dit l’Apôtre ? « Portez les fardeaux les uns des autres, et ainsi vous accomplirez la loi de Jésus-Christ ab ». La loi de Jésus-Christ, c’est la charité, et nous ne pouvons accomplir le précepte de la charité, qu’à la condition de porter les fardeaux les uns des autres ; et il dit ailleurs : « Vous supportant avec charité les uns les autres, travaillant soigneusement à « conserver l’unité d’un même esprit par le lien de la paix ac ». Lorsque tu étais malade, ton prochain te portait : tu es revenu à la santé, porte donc, à ton tour, ton prochain. « Portez les fardeaux les uns des autres, et ainsi vous accomplirez la loi de Jésus-Christ ». C’est ainsi, ô homme, que tu porteras ce qui te manquait. « Prends donc ton lit » ; mais quand tu l’auras pris, ne reste pas en place, « marche ». En aimant ton prochain, en prenant soin de lui, tu fais du chemin. De quel côté diriges-tu tes pas ? Vers le Seigneur ton Dieu, vers celui que nous devons aimer de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit. Il nous est encore impossible d’arriver jusqu’à lui, mais avec nous se trouve notre prochain. Porte donc ton frère, puisque tu voyages avec lui, et par là tu arriveras jusqu’à celui avec qui tu désires demeurer toujours. « Prends » donc « ton lit et marche ». 10. Voilà ce que fit le paralytique, et les Juifs en furent scandalisés. Ils voyaient, en effet, un homme qui portait son lit le jour du sabbat : néanmoins ils ne faisaient point au Sauveur un reproche de ce qu’il l’avait guéri ce jour-là ; car il aurait pu leur répondre : « Qui d’entre vous, voyant son âne ou son bœuf tombé dans un puits, ne l’en retirerait aussitôt, et ne le sauverait le jour même du sabbat ad ? » Ils ne reprochaient donc pas à Jésus d’avoir guéri cet homme le jour du sabbat ; mais ils faisaient à celui-ci un crime d’avoir porté un lit à pareil jour. De ce qu’il fallait immédiatement guérir ce malheureux, s’ensuivait-il qu’on pût ou dût lui prescrire une œuvre servile ? « Il ne t’est point permis », lui dirent-ils, « de faire ce que tu fais, de porter ton lit ». À cette observation méchante il opposa l’autorité de celui qui avait opéré sa guérison. Il leur répondit : « Celui qui m’a guéri, m’a dit : Prends ton lit, et marche ». Celui qui m’a rendu la santé n’avait-il pas le droit de m’intimer en même temps des ordres ? Et ils lui demandèrent : « Quel est celui qui t’a dit : Prends ton lit, et marche ? » 11. « Et celui qui avait été guéri ne savait point qui lui avait donné cet ordre ». Car, après l’avoir guéri, et lui avoir commandé de prendre son lit et de marcher, « Jésus s’était éloigné de lui et perdu dans la foule ». Voyez comment ceci s’accomplit aussi par rapport à nous. Nous portons notre prochain et nous marchons vers Dieu ; mais celui vers qui nous dirigeons nos pas, nous ne le voyons pas encore : c’est pourquoi le paralytique ne connaissait pas non plus, à ce moment-là, le Seigneur Jésus. Voici la mystérieuse chose que le Christ a voulu nous apprendre : nous croyons en lui, bien que nous ne le contemplions pas encore, et, pour nous empêcher de l’apercevoir, il se perd dans la foule. Or, il est difficile de découvrir le Christ au milieu de la foule ; il faut donc établir notre âme dans une sorte de solitude, et quand par notre intention nous serons ainsi devenus solitaires, nous verrons Dieu. Dans la foule se lait entendre un bruit confus pour contempler le Seigneur, la tranquillité de la solitude est indispensable. « Prends ton lit » ; après avoir été porté par lui, porte ton prochain, « et marche », afin d’arriver jusqu’à Dieu. Ne cherche pas Jésus dans la foule, comme s’il était un de ceux qui la composent ; il n’est pas d’avec eux, car il les précède tous. Cet énorme poisson a été le premier à sortir de lamer pour monter au ciel, où il est assis et intercède en notre faveur ; comme autrefois le grand prêtre, il a pénétré seul derrière le voile, dans le Saint des saints, tandis que la foule reste au-dehors. Pour toi, marche, puisque tu portes ton prochain : auparavant, il te portait ; marche, si tu as appris à le porter à ton tour. Enfin, pour le moment, tu ne connais pas encore Jésus, tu ne le vois pas encore. Que lisons-nous ensuite ? Parce que le paralytique ne se lasse point de porter son lit et de marcher, « Jésus le trouva plus tard dans le temple ». Ce malade n’avait point vu Jésus dans la foule, il le vit dans le temple. Le Sauveur l’avait aperçu même du milieu de la multitude, et aussi dans le temple ; mais lui n’avait point vu le Christ dans la foule ; il ne le reconnut qu’au temple. Il parvint donc jusqu’au Seigneur ; il le vit dans le temple, dans un édifice consacré à son culte, dans le lieu saint. Et que lui dit alors Jésus ? « Voilà que tu es guéri ; ne pèche plus désormais, de peur qu’il ne t’arrive quelque chose de pis ». 12. À peine le paralytique eut-il aperçu le Christ et reconnu l’auteur de sa guérison, qu’il s’empressa de le signaler à l’attention de tous. « Cet homme s’en alla, et annonça aux Juifs que c’était Jésus qui l’avait guéri ». Il le leur annonçait, et les Juifs perdaient le sens ; il leur faisait hautement connaître celui qui l’avait guéri, et les Juifs s’entêtaient à ne point reconnaître leur Sauveur. 13. « C’est pourquoi les Juifs poursuivaient Jésus, parce qu’il avait fait ces œuvres le jour du sabbat ». Quelle réponse Jésus adressa-t-il alors aux Juifs ? La voici, Écoutons-la. Je vous l’ai déjà dit : quand il s’agissait d’hommes guéris le jour du sabbat, le Christ avait pour habitude de dire à ses ennemis : À pareil jour, vous ne manquez jamais de porter secours à vos animaux domestiques, et de leur donner la nourriture nécessaire. Quant à l’enlèvement de son lit par le paralytique, quelle fut la réponse du Christ ? On ne pouvait le nier : une œuvre servile s’était faite au vu et au su des Juifs ; c’était, non pas la guérison corporelle d’un malade, mais l’action qu’on lui avait commandée : il est sûr que cette action n’était pas aussi urgente que la guérison. Que le Sauveur nous fasse donc clairement connaître la mystérieuse signification du sabbat ; qu’il nous dise que l’observation d’un jour par semaine avait été, pour un temps, imposée aux Juifs comme un symbole, et qu’il était venu pour nous montrer, dans sa personne, la réalité de ce symbole. « Mon Père agit toujours, et moi aussi ». Il occasionna au milieu d’eux un grand trouble par son avènement, il agita l’eau, mais, tout en la remuant, il demeurait caché ; néanmoins, l’agitation de l’eau devait guérir un grand malade, mais un malade unique, tandis que la mort du Sauveur devait guérir le monde entier. 14. Voyons donc ce que répondit la Vérité : « Mon Père agit toujours, et moi aussi ». Elle est donc fausse cette parole de l’Écriture : « Dieu se reposa de toutes ses œuvres le septième jour ae ? » et le Seigneur Jésus lui-même s’inscrit donc en faux contre cette assertion de Moïse, quand il dit aux Juifs : « Si vous croyiez à Moïse, vous croiriez aussi en moi, car c’est de moi qu’il a écrit af ? » Voyez donc si, en nous affirmant que « Dieu s’est reposé de toutes ses œuvres le septième jour », Moïse n’a pas voulu nous faire connaître quelque chose de mystérieux. Dieu ne s’était point fatigué en donnant l’être à ses créatures, et, par conséquent, il ne ressentait pas, comme l’homme après son travail, le besoin de se reposer. Comment aurait pu se lasser celui qui avait pu, d’un seul mot, créer toutes choses ? Néanmoins, rien de plus vrai que ce passage : « Dieu se reposa de toutes ses œuvres le septième jour » ; rien de plus vrai encore que ces paroles de Jésus : « Mon Père agit toujours ». Mes frères, de quelles expressions me servir pour vous le démontrer ? Ne suis-je pas un homme, et n’êtes-vous pas des hommes ? Je suis faible, et ne m’adressé-je pas à des faibles ? Je suis ignorant, et vous désirez apprendre de moi des choses mystérieuses ! Si, par hasard, j’en saisis quelque peu le sens caché, il m’est impossible de le mettre à la portée des personnes semblables à moi, et de le leur faire comprendre : et quand même elles le saisiraient comme moi, quand même il ne serait pas absolument au-dessus de mes forces de leur en donner une explication précise, j’éprouverais toujours une difficulté extrême à le faire. Encore, une fois, mes frères, quelles expressions employer, pour vous faire comprendre comment Dieu agit, même en se reposant, et comment il se repose, même au moment où il agit ? Patience, je vous en conjure ; attendez, pour le comprendre, que vous soyez plus avancés : car la révélation d’un pareil mystère ne peut se faire que dans le temple d Dieu, dans un lieu saint : portez donc le prochain et marchez : et vous mériterez de le contempler face à face, sans avoir besoin de la parole humaine pour vous en faire une idée. 15. Voici peut-être l’explication la plus plausible qu’il nous soit permis de vous donner. En disant que « Dieu se reposa le septième jour », Moïse a voulu, dans un sens mystérieux bien digne de fixer notre attention, désigner d’avance notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, le même qui disait ces paroles « Mon Père agit toujours, et moi aussi ». En effet, le Seigneur Jésus est Dieu : nul doute cet égard ; car il est le Verbe, et, vous le savez, « au commencement était le Verbe » ce n’était pas un Verbe quelconque, mais « le Verbe était Dieu, et toutes choses ont été faites par lui ag ». Moïse a peut-être voulu nous dire qu’il se reposerait de toutes ses œuvres le septième jour. Lisez l’Évangile, et vous verrez effectivement combien d’œuvres merveilleuses ont été accomplies par Jésus. Afin que fussent réalisés eu lui tous les oracles des Prophètes, il a opéré notre salut mur l’arbre de la croix : il a été couronné d’épines et attaché à un gibet ; il a dit : « J’ai soif », et, au moyen d’une éponge, on l’a abreuvé de vinaigre, et ainsi s’est vérifiée cette parole : « Ils ont étanché ma soif avec du vinaigre ah ». Mais la veille du sabbat, quand il eut opéré toutes ses œuvres, il inclina la tête et rendit l’esprit ; puis ayant été, le jour du sabbat, déposé dans un sépulcre, il se reposa de toutes ses œuvres ai. Il semblait donc dire aux Juifs : Pourquoi attendre de moi que je n’agisse point le jour du sabbat ? L’observation de ce jour-là vous a été prescrite pour me préfigurer. Vous contemplez les œuvres de Dieu. J’étais là quand elles se faisaient : c’est par moi que toutes choses ont été faites ; je le sais : « Mon Père agit toujours ». Mon Père a fait la lumière, mais il a dit : que la lumière fût aj ; et, puisqu’il a parlé, il a agi par son Verbe : j’étais et je suis son Verbe. Dans l’œuvre de la création, le monde a été formé par moi : je le gouverne par mes œuvres actuelles. Mon Père a agi au moment où il créait l’univers ; il agit encore aujourd’hui en le gouvernant : c’est donc par moi qu’il l’a créé au commencement, et qu’il le gouverne actuellement. Voilà ce que le Sauveur disait aux Juifs ; mais à quels hommes parlait-il ? À des aveugles, à des sourds, à des boiteux, à des malades qui ne reconnaissaient pas leur médecin, et qui, dans les transports d’une sorte de frénésie, voulaient s’en débarrasser en le faisant mourir. 16. Aussi, que dit ensuite l’Évangéliste ? « C’est pourquoi les Juifs cherchaient plus activement à le faire mourir, non seulement parce qu’il avait violé le sabbat, mais aussi parce qu’il disait que Dieu était son propre père ». Il ne le disait pas dans le premier sens venu ; mais comment le disait-il ? « Se faisant égal à Dieu ». Nous, nous disons tous à Dieu : « Notre Père, qui êtes aux cieux ak ». Nous lisons que les Juifs eux-mêmes lui disaient : « Vous êtes notre Père al ». Ils s’irritaient donc, non pas de ce qu’il appelait Dieu son père, mais de ce qu’il l’appelait de ce nom d’une manière toute différente de celle dont le faisaient les autres hommes. Voilà que les Juifs comprennent ce que ne comprennent pas les Ariens. Ceux-ci, eu effet, disent le Fils inférieur au Père, et telle est la raison pour laquelle ces hérétiques ont été retranchés du sein de l’Église. Les aveugles eux-mêmes, les meurtriers du Christ ont donc compris tonte la portée de ces paroles. Ils ne voyaient pas qu’il fût le Christ, le Fils de Dieu mais, de ses paroles ils concluaient qu’il était question d’un Fils de Dieu, égal à Dieu. Qui était-il en réalité ? Ils n’en savaient rien : seulement, ils le reconnaissaient comme un homme, qui « appelait Dieu son Père, se faisant égal à Dieu ». N’était-il donc pas égal à Dieu ? Ce n’était pas lui qui se faisait égal à Dieu ; mais c’était Dieu qui l’avait engendré égal à lui-même. S’il se faisait lui-même égal à Dieu, il se rendrait usurpateur, et se précipiterait dans l’abîme. En effet, celui qui a prétendu se faire égal à Dieu, tandis qu’il ne l’était pas, tomba dans l’enfer am ; et d’ange qu’il était, il se transforma en démon ; et l’orgueil, qui l’avait fait déchoir de son rang, il s’efforça de l’inspirer à l’homme ; car cet ange dégradé, jaloux de voir nos premiers parents dans l’état de grâce, ne craignit pas de leur dire : « Goûtez de ce fruit, et vous serez comme des dieux an ; c’est-à-dire, devenez des usurpateurs : prenez ce que Dieu ne vous a pas donné en vous créant ; car je l’ai pris moi-même, et je suis tombé. Les termes dont il se servait, étaient plus voilés, mais c’était là le sens de ses conseils. Pour le Christ, il ne s’était pas fait l’égal de Dieu, car il était né tel : il était né de la substance du Père. Voici donc en quels termes l’Apôtre nous parle de Dieu : « Lui qui, ayant la nature de Dieu, n’a point cru que ce fût pour lui une usurpation de s’égaler à Dieu ». Qu’est-ce à dire : « Il n’a pas cru que ce fût une usurpation ? » Il n’a pas usurpé l’égalité avec Dieu il la possédait, puisqu’il était né avec elle. Et nous, comment pouvions-nous devenir semblables à cet égal de Dieu ? « Il s’est anéanti lui-même « en prenant ta forme d’esclave ao ». Si donc il s’est anéanti, c’est, non pas en perdant ce qu’il était, mais en prenant ce qu’il n’était pas. Faisant peu de cas de cette forme d’esclave, les Juifs ne pouvaient comprendre que le Seigneur Christ fut égal à son Père ; et, pourtant, ils étaient intimement persuadés qu’il se disait tel : c’est pourquoi ils le persécutaient : et, néanmoins, il les supportait encore, et cherchait à les guérir, malgré leurs mauvaises dispositions à son égard.DIX-HUITIÈME TRAITÉ.
SUR CE PASSAGE DE L’ÉVANGILE : « EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS : LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE PAR LUI-MÊME, QU’IL NE LE VOIE FAIRE AU PÈRE : QUELQUE CHOSE QUE CELUI-CI FASSE, LE FILS AUSSI LE FAIT COMME LUI », (Chap 5, 19.)LE VERBE ÉGAL AU PÈRE.
Les Juifs s’irritaient de ce que le Christ s’égalait à Dieu, car ils ne voyaient en lui qu’un homme, et n’y apercevaient point le Verbe. Alors Jésus ajouta : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire à son Père ». Les Ariens concluent de ces paroles que le Fils est inférieur au Père ; mais ils sont forcés d’avouer que le Verbe est Dieu, qu’il est en Dieu, que tout a été fait par lui, et que, par conséquent, les œuvres du Père ne sont pas distinctes de celles du Fils. Mais comment le Fils voit-il ce que fait le Père ? Mystère inexplicable ! Servons-nous, toutefois, d’une comparaison tirée de la nature de notre âme. Il n’en est pas d’elle comme du corps : celui-ci peut exister sans voir ni entendre ; pour celle-là, voir et entendre par elle-même, c’est l’essence même de son être ; ainsi en est-il du Verbe. 1. De préférence aux autres Évangélistes, ses condisciples et collègues, Jean avait reçu du Sauveur un privilège extraordinaire et à lui personnel. Il s’était en effet reposé sur la poitrine de Jésus pendant la dernière cène ap, et c’était le signe qu’il puiserait dans son divin cœur, la connaissance de mystères plus profonds. Ce privilège consistait à dire du Fils de Dieu des choses capables d’éveiller l’attention des âmes enfantines, mais incapables de leur fournir un aliment qu’elles ne pouvaient encore supporter : des choses propres à occuper et à nourrir des esprits plus développés et arrivés, en quelque sorte, à l’âge viril. Vous avez entendu la lecture des paroles de cet Apôtre, et vous vous souvenez de quelle source elles émanaient. Hier, en effet, on vous a lu ceci : « C’est pourquoi les Juifs cherchaient à faire mourir Jésus, non seulement parce qu’il avait violé le sabbat, mais aussi parce qu’il disait que Dieu était son Père, se faisant égal à Dieu aq ». Ce qui déplaisait aux Juifs plaisait à son Père, et plaît aussi, sans aucun doute, à tous ceux qui honorent le Fils, comme ils honorent le Père ; car si pareille chose leur déplaisait, ils déplairaient à leur tour. À te déplaire, Dieu ne deviendrait pas plus grand ; mais s’il te déplaisait, tu en deviendrais plus petit. Le Sauveur répond à leur accusation, qui trouvait sa raison d’être, soit dans leur ignorance, soit dans leur méchanceté. Ses paroles ne sont point tout à fait à leur portée, mais elles sont de nature à les jeter dans l’agitation et le trouble, et peut-être à les faire profiter de leur trouble même pour chercher celui qui pouvait les guérir. Elles étaient aussi, dans son intention, destinées à être consignées dans des livres, qui devaient ensuite contribuer à nous instruire. Voyons donc ce qui se passa dans le cœur des Juifs, au moment où ils entendirent ces paroles. Quel effet produisent-elles aujourd’hui en nous ? C’est à nous d’y réfléchir davantage encore. D’où sont venues les hérésies, et certaines erreurs désastreuses, qui angarient les âmes et les précipitent dans l’abîme ? Évidemment, de ce que des Écritures saintes ont été mal comprises, et de ce qu’on a soutenu avec une audacieuse témérité le sens pervers qu’on y attachait. Aussi, mes très chers, devons-nous entendre, avec une scrupuleuse circonspection, les passages que la faiblesse de notre intelligence ne nous permet point de saisir ; que les sentiments de la piété et, comme il est écrit, la crainte de Dieu, nous portent à suivre cette règle salutaire : ce que nous pouvons en comprendre d’accord avec la foi dont nous faisons profession, regardons-le comme un aliment parfaitement sain, et prenons-le avec joie. Si, au contraire, nous appliquons la règle infaillible de la foi, et que ces passages nous offrent encore d’impénétrables obscurités, alors écartons tous les doutes ; ne cherchons pas à les comprendre pour le moment. En d’autres termes, si nous n’y voyons rien, regardons-les néanmoins comme incontestablement bons, comme l’expression même de la vérité. Mes frères, pour moi qui ai entrepris de vous parler, vous devez bien considérer qui je suis, et, aussi, la tâche que je me suis imposée : je ne suis qu’un homme, et je veux vous entretenir des choses divines ; je suis charnel, et je veux développer devant vous un sujet tout spirituel ; je mourrai, et j’ai pris pour thème de mon discours l’éternité même. Puissé-je, mes très chers, me tenir à l’abri de toute vaine présomption, afin de vous enseigner une saine doctrine dans la maison de Dieu, c’est-à-dire, dans son Église, qui est la colonne et le fondement de la vérité ar. Je prendrai pour mon guide la règle de conduite que je vous ai tracée à vous-mêmes : là où le sens de l’Écriture sera à ma portée, je m’en nourrirai avec vous ; et je frapperai avec vous, quand la porte m’en sera fermée. 2. Les Juifs s’émurent donc et s’indignèrent ; ils l’eussent fait à juste titre, si Jésus eût été un pur homme, et se fût, comme tel, vanté d’être égal à Dieu ; mais leur colère tombait à faux, parce que sous son enveloppe humaine ils auraient dû apercevoir sa divinité. Ils voyaient l’homme, et méconnaissaient le Dieu : ils avaient sous les yeux la maison, mais ils n’apercevaient point celui qui l’habitait. Le corps du Christ était un temple à l’intérieur duquel résidait la divinité. Ce que Jésus déclarait égal à son Père, ce n’était pas son humanité : ce qu’il comparait au Très-Haut, c’était, non pas la forme d’esclave dont il s’est revêtu à cause de nous, mais ce qu’il était au moment où il nous a créés. Car qui est le Christ ? Je parle à des catholiques : vous le savez donc, puisque vous suivez les enseignements de la vraie foi : le Christ n’est ni le Verbe seul, ni l’Homme seul ; il est le Verbe fait chair pour habiter parmi nous le vous rappelle ce que vous savez relativement au Verbe : « Au commencement était le« Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Voilà la preuve de son égalité avec son Père. Mais « le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous as ». Comme homme, il est inférieur à son Père. Ainsi, le Père est en même temps égal au Christ, et plus grand que lui : il lui est égal, en tant que celui-ci est le Verbe : il est plus grand que lui, en tant que celui-ci est homme : il est égal à celui par qui il nous a faits ; mais il est plus grand que celui qui a été fait pour nous. Voilà ce que nous enseigne la vraie foi catholique : voilà la règle de croyance que vous devez particulièrement connaître : et si vous la connaissez, puissiez-vous vous y tenir toujours, ne jamais vous en écarter, ne jamais vous la laisser enlever par n’importe quel raisonnement ! Conformons à cette règle tout ce que nous comprenons ; et, s’il est des choses que nous ne puissions saisir, remettons à un autre temps, pour les y rapporter attendons que l’intelligence nous en soit donnée. Nous savons donc que le Fils de Dieu est égal à son Père, puisqu’au commencement le Verbe était Dieu. Pourquoi donc « les Juifs voulaient-ils le faire mourir ? Non-seulement parce qu’il violait le sabbat, mais aussi parce qu’il disait que Dieu était son Père, se faisant égal à Dieu ». En lui, ils voyaient l’homme, sans y voir le Verbe. Que le Verbe se serve donc de son humanité pour leur parler et les convaincre d’erreur. Que celui qui habite l’intérieur de la maison emploie cette maison même pour se faire entendre ; alors ceux qui en seront capables apprendront quel en est le maître. 3. Que leur dit-il donc ? « C’est pourquoi Jésus leur répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis : le Fils ne peut rien faire par lui-même qu’il ne le voie faire au Père ». À cela que répliquèrent les Juifs ? L’Écriture n’en fait pas mention : peut-être gardèrent-ils le silence. Néanmoins, certains personnages, qui se disent chrétiens, ne se taisent pas, et, de ces paroles du Sauveur, ils s’imaginent pouvoir tirer des arguments contre nous. Ni pour eux, ni pour nous, nous ne pouvons laisser de tels arguments sans réponse. À entendre les hérétiques Ariens, le Fils, qui s’est fait homme, est inférieur au Père, non point par le fait même de son Incarnation, mais même dès avant son Incarnation, et il n’est nullement de la même substance que le Père : les paroles précitées leur fournissent un prétexte d’attaque, et ils nous répondent : Vous le voyez : à peine le Seigneur Jésus eut-il remarqué l’émotion qu’il avait suscitée parmi les Juifs en se déclarant égal au Père, qu’il se hâta d’ajouter les paroles en question pour leur démontrer qu’il n’avait jamais eu pareille intention. Les Juifs s’indignaient contre le Christ, parce qu’il se disait égal à Dieu ; pour calmer leur émotion, et leur prouver que le Fils n’est pas égal au Père, c’est-à-dire à Dieu, Jésus leur adressa en quelque sorte ces paroles : Pourquoi vous irriter ? Pourquoi vous indigner contre moi ? Je ne suis pas son égal, puisque « le Fils ne peut rien faire de lui-même, qu’il ne le voie faire au Père ». En effet, ajoutent-ils, celui qui « ne peut rien faire de lui-même qu’il ne le voie faire au Père », est évidemment inférieur à lui, et n’est pas son égal. 4. Ainsi, la règle suivie par ces hérétiques est tordue et pliée ; néanmoins qu’ils nous écoutent : nous ne les réprimandons pas encore, nous semblons être encore à la recherche de la vérité ; qu’ils nous expliquent toute leur pensée. Qui que tu sois, (car supposons que l’un de ces Ariens se trouve là, devant nous), tu reconnais avec nous, j’imagine, qu’au commencement était le Verbe. – Oui, me dit-il. – Et que « le Verbe était en Dieu ». – Oui, encore. – Continue donc, et reconnais plus formellement encore que « le Verbe était Dieu ». – Je le reconnais, mais l’un était plus grand, et l’autre moindre. – Cela sent je ne sais quoi de païen, et pourtant je croyais parler avec un chrétien, S’il y a un Dieu plus grand, il y a évidemment aussi un Dieu moindre : nous adorons donc, non pas un seul Dieu, mais deux dieux. – Pourquoi cela, me répond l’Arien ? N’avoues-tu pas toi-même qu’il y a deux Dieux égaux l’un à, l’autre ? – Je ne dis pas cela : car je me fais de cette égalité entre le Père et le Fils une idée telle que je les regarde comme unis ensemble par les liens d’une indivisible charité ; et puisqu’à mes yeux règne entre eux une indivisible charité, je reconnais donc qu’en eux se trouve une parfaite unité. En effet, s’il est vrai de le dire, comme les actes des Apôtres l’affirment en ces termes, au sujet des fidèles qui croyaient en Jésus, et s’aimaient les uns les autres : « Ils n’avaient tous, pour Dieu, qu’un cœur et qu’une âme at ; si la charité, envoyée du ciel aux hommes, fait d’un grand nombre de cœurs un seul cœur, et de plusieurs âmes une seule âme ; si, lorsque nous avons les mêmes pensées, et que nous nous aimons, mon âme et la tienne ne font plus qu’une seule âme : qu’à bien plus forte raison, à la source même de l’amour, le Père Dieu et le Fils Dieu font un seul Dieu ! 5. Mais remarque bien les paroles qui ont jeté le trouble dans ton cœur : revoyons ensemble ce que nous avons cherché à découvrir au sujet du Verbe. Nous le reconnaissons déjà : « Le Verbe était Dieu ; je dis plus car, après ces mots : « Il était au commencement en Dieu », l’Évangéliste ajoute aussitôt : « Toutes choses ont été faites par lui ». Maintenant, je te presse de questions, je te remue, je te secoue et t’interpelle contre ta propre personne : tout ce que je te demande, c’est de ne pas oublier « que le Verbe était Dieu » et que « toutes choses ont été faites par lui ». Écoute maintenant les paroles qui t’ont jeté dans le trouble et porté â dire que le Fils est inférieur au Père ; voici ces paroles, elles sont celles de Jésus lui-même : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même, que « ce qu’il voit faire au Père ». – C’est bien cela, dit l’Arien. – Explique-moi donc un peu ce passage : autant que je puis me l’imaginer, voici comme tu le comprends : Le Père fait certaines choses, et le Fils examine la manière dont il les fait, afin de pouvoir faire lui-même ce qu’il aura vu faire au Père. À l’entendre, ce sont deux ouvriers bien distincts l’un de l’autre : le Père et le Fils sont ainsi comme un patron et un apprenti on dirait un père apprenant à son fils l’exercice de son art. Tu le vois, je m’abaisse au niveau de ton intelligence charnelle ; pour un moment, mes pensées se conforment aux tiennes. Examinons donc si cette manière de comprendre les choses peut s’accorder avec ce que nous avons mutuellement dit du Verbe, avec ce que nous en pensons l’un et l’autre, à savoir que « le Verbe était Dieu »et que « par lui toutes choses ont été faites ». Suppose donc que le Père est un artisan occupé à faire certains ouvrages ; et que le Fils est un apprenti, puisqu’ « il ne peut rien faire « de lui-même que ce qu’il voit faire à son Père » ; il jette, en quelque sorte, ses yeux sur les mains de son Père, afin de prendre modèle sur lui et de limiter parfaitement dans l’accomplissement de ses propres œuvres. Mais toutes ces œuvres qu’il fait lui-même et sur lesquelles il veut que son Fils porte ses regards pour en faire à son tour de pareilles, par qui le Père les fait-il ? Il te faut maintenant en revenir à ta première idée, à celle que tu as étudiée et adoptée avec moi, c’est-à-dire, qu’« au commencement était le Verbe », que « le Verbe était en Dieu », que « le Verbe était Dieu », et que « par lui toutes choses ont été faites ». Tu es convenu avec moi que toutes choses ont été faites par le Verbe ; puis, te laissant entraîner par un sens tout charnel et un mouvement irréfléchi, tu te figures à nouveau, d’une part, un Dieu qui agit, de l’autre un Verbe qui étudie ses opérations, afin d’agir ensuite lui-même de la manière dont ce Dieu l’aura fait. Qu’est. ce que Dieu fait sans l’intermédiaire de son Verbe ? S’il fait quelque chose sans le Verbe, toutes choses n’ont donc pas été faites par lui, et tu as cessé d’avouer ce que tu avouais ; mais si toutes choses ont été faites par le Verbe, corrige donc ce qu’il y a de défectueux dans ton sentiment. Le Père a fait des œuvres, et il ne les a faites que par son Verbe ; comment, alors, le Verbe peut-il porter ses regards sur le Père opérant sans le Verbe, afin d’accomplir ensuite lui-même des œuvres semblables ? Tout ce que le Père a fait, il l’a fait par le Verbe ; ou bien nous devons considérer comme faux ce passage : « Par lui toutes choses ont été faites ». Mais il est vrai que « toutes choses ont été faites par lui ». Ces paroles ne te semblaient peut-être pas assez formelles. En voici d’autres : « Et, sans lui, rien n’a été fait ». 6. Arrière donc les subtilités charnelles : cherchons ensemble à découvrir le sens de ces paroles : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire à son Père ». Cherchons-le, et puissions-nous être dignes de le découvrir. Je ne saurais vous le cacher, c’est une mystérieuse chose, une chose singulièrement ardue, de comprendre que le Père agit par le Fils, que les œuvres du Père ne sont pas distinctes de celles du Fils, mais que chacune des œuvres du Père se fait par l’intermédiaire du Fils, de manière à ce que le Père ne fasse rien sans le Fils, ou le Fils sans le Père ; en effet : « Toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait ». Ceci étant solidement établi sur le fondement de la foi, en quel sens devons-nous entendre ce passage : Le Fils ne « peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire au Père ? » Tu voudrais, j’imagine, savoir comment le Fils opère : cherche d’abord à savoir comment il voit le Père. Que dit-il ? Le voici : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire à son Père ». Remarque bien ces paroles : « Que ce qu’il voit faire à son Père ». D’abord il voit ; puis, il agit : il regarde pour agir. Comment voudrais-tu savoir la manière dont il opère, quand tu ne sais pas encore de quelle façon il regarde son Père ? Pourquoi courir après le conséquent, et laisser de côté l’antécédent ? À l’entendre, il regarde et il fait ; mais il ne dit pas : Je fais, et puis, je regardai ; car « il ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire à son Père ». Veux-tu que je t’explique comment il agit ? Explique-moi d’abord comment il voit. Si tu es incapable de m’expliquer l’un, serai-je à même de t’expliquer l’autre ? Si tu ne peux te faire une idée de l’un, je ne puis davantage me faire une idée de l’autre. Cherchons donc tous deux ; frappons : par là, nous nous rendrons dignes de recevoir ce que nous désirons. Tu ne sais rien, et comme si tu avais le droit de me croire plus ignorant que toi, tu m’attaques ? Nous sommes aussi incapables l’un que l’autre de comprendre, moi, la manière dont le Fils agit, et toi, la manière dont il voit agir son Père ; interrogeons donc notre mutuel maître, et ne nous disputons pas comme les enfants des écoles. Nous avons déjà appris ensemble que « par lui toutes choses ont été faites »c’est donc déjà chose certaine pour nous : le Père ne fait pas des œuvres à lui personnelles, que le Fils regarde faire pour en accomplir à son tour de semblables : il fait exactement les mêmes que son Fils, et par son intermédiaire ; car toutes choses ont été faites par le Verbe. Maintenant, comment Dieu agit-il ? Qu’est-ce qui le sait ? Comment a-t-il créé, je ne dis pas, le monde, mais ton œil, cet œil charnel qui te dirige, et avec lequel tu compares les choses visibles aux choses invisibles ; car les idées que tu conçois de Dieu sont de la nature de celles que t’inspirent les yeux de ton corps : néanmoins, si nous pouvions voir Dieu de nos yeux corporels, le Christ n’aurait pas dit : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu au ». Tu as donc dans ton corps des yeux pour apercevoir un artisan, mais tu n’as pas encore les yeux du cœur pour contempler Dieu : voilà pourquoi tu voudrais attribuer à Dieu lui-même les opérations que tu attribues d’ordinaire à un simple ouvrier. Laisse à terre les choses terrestres, et élève ton cœur jusqu’au ciel. 7. Eh quoi, mes très chers ? nous vous avons demandé comment le Verbe voit le Père, comment le Père est vu par le Verbe, et, pour le Verbe, qu’est-ce que voir, et nous essaierions de vous l’expliquer ? Je ne suis ni assez audacieux, ni assez téméraire pour promettre une telle explication de votre part ou de la mienne. Sans doute je ne puis que supposer votre impuissance, mais je suis sûr de la mienne. Si vous le trouvez bon, au lieu de nous arrêter plus longtemps sur ce passage, nous parcourrons toutes les parties de notre leçon, et nous verrons les paroles du Sauveur troubler les cœurs charnels, mais les troubler de manière à leur faire abandonner les fausses idées qu’ils nourrissent. Agissons comme si nous ôtions à des enfants je ne sais quel amusement dangereux qui les expose à se faire du mal, afin de pouvoir leur mettre plus tard entre les mains des objets Plus utiles, et inspirer par là des goûts plus sérieux à des êtres jusqu’alors tout terrestres. Lève-toi donc, cherche, désire, soupire ardemment, frappe à cette porte encore fermée. Si nous ne désirons pas encore, si nous ne souhaitons pas, si nous en sommes encore à commencer de soupirer, il est sûr que nous jetterons des pierres précieuses sous les pieds des premiers venus, et si nous en trouvons nous-mêmes, dans quelles dispositions serions-nous pour en tirer profit ? Puissé-je, mes très chers, exciter les désirs de votre âme. Telles mœurs, telle intelligence des choses ; chaque nature différente même a un genre de vie différent. Autre est la vie terrestre, autre la vie céleste : les animaux, les hommes, les anges ne vivent point de même façon. L’existence des bêtes se consume dans le désir et la jouissance des plaisirs matériels : elles ne recherchent que cela ; elles s’y portent d’instinct, et s’y précipitent naturellement. Vivre, c’est, pour les anges, posséder les biens éternels la vie des hommes tient de celle des anges et de celle des bêtes. Si l’homme vit selon ses appétits charnels, il descend au niveau des brutes ; si nous vivons selon l’esprit, nous entrons en société avec les esprits bienheureux. Supposons que tu vives de la vie angélique ; il te reste à savoir si elle se trouve en toi à l’état de vie enfantine, ou si elle y est parvenue à son entier développement. Si tu n’es encore qu’un enfant, les anges te disent : Grandis, le pain est notre aliment pour toi, nourris-toi de lait, du lait de la foi ; et ainsi tu mériteras de te nourrir de la claire vue. Mais quand on ne soupire qu’après de sales voluptés, quand on occupe encore son esprit des moyens de frauder, que toujours on profère le mensonge et qu’au mensonge on joint le parjure, avec un cœur si corrompu a-t-on bien le droit de me dire Explique-moi comment voit le Verbe ? Fussé-je capable d’élucider cette question, parce que je la saisirais parfaitement moi-même, aurait-on le droit de me l’adresser ? Mais, je l’avoue, si je suis étranger à la manière de vivre de pareils interrogateurs, je suis loin aussi de comprendre le mystère dont il s’agit. Que peut-il en être, par conséquent, de celui qui n’éprouve encore aucun désir des choses célestes, et que toutes ses pensées appesantissent et font ramper sur la terre ? Entre l’homme qui déteste une chose, et l’homme qui la désire, se trouve une énorme distance ; de même en est-il entre celui qui la désire et celui qui en jouit. Vis-tu à la manière des bêtes ? tu détestes ; pour les anges, ils jouissent : mais toi, si tu ne mènes pas une vie animale et charnelle, tu n’en es déjà plus à détester : tu désires quelque chose, sans le posséder encore ; mais, par tes désirs, tu as commencé à vivre de la vie des anges puisse-t-elle croître et se perfectionner en toi ; c’est ainsi que tu saisiras la difficulté proposée, et celui qui t’aidera à le faire, ce sera non pas moi, mais le Dieu qui nous a créés tous les deux. 8. Remarque-le bien : le Sauveur ne nous a pas, à cet égard, entièrement abandonnés à notre propre sens. Par ces paroles, en effet : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire à son Père », Jésus n’a pas voulu nous faire comprendre que le Père fait des œuvres destinées à être vues par le Fils, et à devenir le modèle d’autres œuvres toutes différentes qu’il accomplirait ensuite lui-même ; mais il a voulu nous dire que le Père et le Fils font les mêmes œuvres. En voici la preuve, car il ajoute aussitôt : « Quelque chose que celui-ci fasse, le Fils aussi le fait comme lui ». Le Fils n’attend pas que le Père ait fini d’agir pour faire des œuvres pareilles, mais « quelque chose que celui-ci fasse, le Fils aussi le fait comme lui ». Puisque le Fils fait ce que fait le Père, le Père agit par le Fils, et puisque le Père fait par le Fils ce qu’il fait, les œuvres du Père et celles du Fils ne sont donc point distinctes les unes des autres : ces œuvres sont exactement et matériellement les mêmes. Mais comment le Fils fait-il les mêmes œuvres que le Père ? « Il les « fait comme lui ». Impossible de supposer qu’il les fasse différemment ; car, dit-il, « il les a faits aussi comme lui ». Comment pourrait-il les faire, saris les faire comme lui ? Prenez un exemple : la comparaison ne vous sera pas difficile à saisir. Lorsque nous écrivons des – lettres, elles se forment d’abord dans notre esprit, pour être ensuite tracées par notre main. Pourquoi avez-vous fait entendre un cri unanime ? Évidemment, c’est parce que vous m’avez compris. Ce que j’ai dit ne peut soulever le moindre doute : c’est chose parfaitement claire pour chacun de nous. Les lettres se forment donc d’abord dans notre esprit, puis notre corps les trace à son tour : l’esprit commande, ta main obéit, et tous deux concourent également à faire les mêmes lettres. L’esprit forme-t-il celles-ci, tandis que la main exécute celles-là ? Non. La main trace des lettres, qui sont identiquement les mêmes que les lettres formées par l’esprit, mais, pour cela, elle n’agit pas de la même manière ; l’esprit se borne à les former dans son entendement, et la main les exécute de manière à les rendre visibles. Voilà comme des choses semblables se font d’une manière différente : c’est pourquoi le Sauveur ne s’est point contenté de dire : « Tout ce que fait le Père, le « Fils aussi le fait » ; il a donc ajouté : « Comme lui ». Peut-être aurais-tu supposé que le Fils accomplit des œuvres pareilles à celles du Père, de la même manière que la main exécute les choses qu’exécute l’esprit, c’est-à-dire d’une façon toute différente ? Mais Jésus ajoute : « Le Fils aussi les fait comme lui ». Puisque le Fils fait les mêmes œuvres que le Père, et les fait comme lui, ranime-toi ; que le juif s’arrête, que le chrétien ait la foi, que l’hérétique se regarde comme condamné : le Fils est égal au Père. 9. « Car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait lui-même av ». Remarque bien cette parole : « Il montre » À qui « montre-t-il ? » Évidemment, à quelqu’un qui le voit. Nous voici donc revenus en face de cette difficulté qu’il nous est impossible de résoudre : comment le Verbe voit-il ? L’homme a été créé par le Verbe ; mais il a, dans son corps, des yeux, des oreilles, des mains, en un mot, différents membres. Les yeux lui servent à voir, les oreilles à entendre, les mains à travailler, les différents membres à remplir l’office qui leur est naturellement dévolu. Un membre ne peut se charger des fonctions de l’autre ; mais pour que toutes les parties du corps se confondent dans une mutuelle union, l’œil voit pour son propre compte, et pour celui de l’oreille, et l’oreille perçoit les sons pour elle-même et pour l’organe de la vue. Toutes choses ayant été faites par le Verbe, devons-nous en conclure qu’il en est de lui comme de ses créatures ? Voici ce que dit l’Écriture elle-même dans un endroit des Psaumes : « Comprenez, vous qui êtes insensés au milieu du peuple ; hommes stupides, quand aurez-vous l’intelligence ? » Celui qui forma votre oreille ne vous entendra pas ? et celui qui fit vos yeux ne nous verra point aw ? » Dès lors que le Verbe a créé toutes choses, il a formé l’œil et fait l’oreille ; nous ne pouvons, par conséquent, dire : Le Verbe n’entend pas, il ne voit rien ; car le Psalmiste nous condamnerait par ces paroles : « Hommes stupides, quand aurez-vous l’intelligence ? » De là il suit que si le Verbe voit et entend, le Fils voit aussi et entend de même façon. Mais, pourtant, sommes-nous autorisés à chercher en lui la place des yeux et des oreilles, comme ils se trouvent dans le corps humain en des endroits différents ? Y a-t-il, dans son être, une partie qui voie, et une autre partie qui entende ? Son oreille est-elle incapable de faire ce que fait son œil, et son œil ne peut-il jouer le rôle de son oreille ? Est-il tout entier dans l’organe de la vue ou l’organe de l’ouïe ? Peut-être. Mais ce n’est pas assez dire, j’ajoute : Certainement, oui ; avec cette réserve, toutefois, qu’en lui, voir et entendre sont bien différents de ce qu’ils sont en nous. La vue et l’ouïe se trouvent ensemble dans le Verbe, mais sans que la première soit autre que la seconde chez lui, la vue n’est pas différente de l’ouïe, et l’ouïe n’est pas autre que la vue. 10. Pour nous, en qui l’ouïe et la vue sont choses absolument différentes, pouvons-nous comprendre un pareil mystère ? Oui, peut-être, si nous nous replions sur nous-mêmes, à condition, toutefois, de ne pas être des prévaricateurs, car à de pareilles gens il a été dit : « Hommes de péché, rentrez dans votre cœur ax » ; rentrez en vous-mêmes : pourquoi vous en éloigner, et, par là, vous exposer à périr ? Pourquoi courir en des chemins solitaires ? Vous ne suivez pas la véritable voie ; aussi vous égarez-vous ; revenez. Où ? Au Seigneur. Mais c’est trop tôt : commence par rentrer en toi-même : hors de toi, loin de ton cœur, tu t’égares ; tu ne te connais pas même, et tu voudrais connaître ton Créateur ? Reviens, rentre dans ton cœur, arrache-toi à ton corps. Ton corps est comme ta demeure ; il est pour ton cœur la source d’une foule de sensations, mais ils sont bien différents l’un de l’autre : laisse donc là ton corps pour rentrer dans ton cœur. Dans ton corps, l’œil occupe une place, et l’oreille une autre place : en est-il ainsi pour ton cœur ? Est-il dépourvu de la faculté d’entendre ? Qu’est-ce donc que le Sauveur avait en vue, quand il disait: « Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende ay ? » Est-il privé de la faculté de voir ? Pourquoi, alors, l’Apôtre dit-il : « Qu’il éclaire les yeux de votre cœur az ? » Rentre en toi-même, et, par ce que tu y verras, tu pourras peut-être te faire une idée de ce qu’est Dieu ; car ton âme en est l’image. Le Christ habite dans l’homme intérieur ba. Au dedans de toi se renouvelle l’image de Dieu : en elle, reconnais les traits de son auteur. Vois comment les sens du corps font connaître au cœur les impressions qui leur viennent du dehors remarque le grand nombre de ministres attachés au service de ce maître unique qui règne à l’intérieur, et aussi les opérations secrètes qu’il accomplit sans leur concours. Les yeux signalent à l’âme le blanc et le noir ; les oreilles transportent jusqu’à elle les harmonies et les dissonances ; par l’odorat, elle distingue les émanations embaumées des corps d’avec leurs émanations fétides ; le goût lui sert à savourer les douceurs et à reconnaître les amers ; au moyen du tact, elle fait la différence entre les surfaces polies et les autres ; enflai, elle se suffit à elle-même pour apprécier le juste et l’injuste. Elle voit et entend tout ensemble, elle porte des jugements sur tous les êtres matériels, et elle discerne même ce à quoi ne peuvent atteindre les sens du corps, c’est-à-dire, la justice et l’injustice, le bien et le mal. Montre-moi ses yeux, ses oreilles, son organe de l’odorat. Son appréciation s’exerce sur une foule d’objets, et pourtant nous n’apercevons point en elle différents sens. En ton corps se trouvent, ici l’organe de la vue, là celui de l’ouïe : en ton âme se rencontrent, en même temps et à la même place, et l’ouïe et la vue. S’il en est ainsi de l’image, n’en est-il pas, à plus forte raison, ainsi de celui qu’elle représente ? Donc, le Fils voit et entend ; je dis plus : il est la vue et l’ouïe mêmes ; en lui, voir et entendre, c’est être. En toi, la vue est chose distincte de l’existence ; car tu peux perdre la vue sans perdre la vie, comme tu peux cesser d’entendre sans cesser de vivre. 11. Pensons-nous avoir déjà frappé ? Notre intelligence s’est-elle suffisamment éveillée pour nous laisser soupçonner d’où lui vient la lumière ? Je le suppose, mes frères ; car, à parler de pareilles choses et à les méditer, nous nous exerçons. Et lorsque nous nous y exerçons, et qu’entraînés par notre faiblesse naturelle nous retombons dans notre premier état, nous ressemblons à des personnes dont les yeux chassieux sont mis tout à coup en présence de la lumière, après y avoir été jusqu’alors fermes et avoir été déjà soignés par les médecins. Quand un homme de l’art veut savoir si la guérison s’opère et à quel point elle en est arrivée, il essaie de présenter à l’organe malade ce qu’on veut contempler, et ce qu’on ne pouvait voir pendant qu’on était aveugle : si peu que la prunelle de l’œil s’éclaircisse, dès qu’elle aperçoit la lumière, les rayons s’en réfléchissent en elle, et elle donne ainsi au praticien la réponse qu’il attendait. Que fait-il alors ? il force les yeux à se fermer comme auparavant, et il y applique un collyre : par là, il inspire en quelque sorte aux malades le désir de contempler les objets qu’ils ont aperçus sans pouvoir les distinguer parfaitement ; ainsi les dispose-t-il à guérir d’une manière complète ; en faisant emploi des mordants pour leur rendre la santé, il allume en eux l’amour de la lumière et les porte, par un effort suprême, à se dire : Quand donc pourrai-je fixer ma vue sur ces objets, sur lesquels je n’ai pu arrêter encore mes regards trop affaiblis par l’infirmité ? ils pressent le médecin de prendre soin d’eux et de les guérir. Quelque chose de pareil à cela, mes frères, s’est peut-être opéré dans vos âmes ; vous avez élevé vos pensées pour voir le Verbe ; puis, après avoir reçu un rayon de sa lumière, vous êtes retombés dans votre première ignorance. Prions le céleste médecin de nous appliquer de mordants collyres, c’est-à-dire de nous imposer les règles de la justice. Il y a quelque chose à voir, mais l’organe qui nous aidera à le voir nous fait défaut. Lorsque, précédemment, je te disais qu’il y a quelque chose à voir, tu ne me croyais pas : conduit par certaines réflexions, tu as été amené en sa présence, tu t’en es approché, tes regards se sont dirigés de ce côté-là, ton cœur a palpité, puis tu as reculé. Oui, il y a quelque chose à voir, et tu le sais pertinemment ; mais, tu ne l’ignores pas davantage, tu n’es pas capable de le contempler. Il put donc te guérir. Mais quels collyres employer ? Il ne faut ni mentir, ni parjurer, ni commettre l’adultère, ni voler, ni te rendre coupable de fraude. Cependant tu en as contracté l’habitude, et il t’en coûte de la contrarier ; et c’est précisément ce sacrifice pénible qui te rendra la vue. Car, je te le dis en toute liberté, et sous l’impression d’une crainte que je voudrais te faire partager : Si tu abandonnes ta cure, si tu négliges de guérir tes yeux et de les rendre propres à jouir de la lumière, tu aimeras les ténèbres, et cette prédilection pour l’obscurité l’y fera persévérer, et, en y persévérant, tu mériteras d’être précipité môme dans les ténèbres extérieures, où il y aura des pleurs et des grincements de dents bb. Si l’amour de la lumière est incapable de te porter vers elle, du moins que la crainte de la douleur opère en toi cet effet. 12. À mon avis, j’ai suffisamment parlé, et pourtant je n’ai pas fini d’expliquer cette leçon de l’Évangile. Si je voulais achever ma tâche, je vous fatiguerais et j’aurais lieu de craindre que vous veniez à perdre l’eau vive que vous avez puisée : que ceci suffise donc à votre charité. Nous sommes vos débiteurs, non pas seulement pour le moment actuel, mais toujours, mais pour tout le temps de notre existence ; car c’est pour vous que nous vivons. Néanmoins, cette existence si faible, si occupée, si périlleuse, que nous menons en ce monde, faites-en la consolation par vos bonnes mœurs ; ne nous contristez pas, ne nous écrasez point par une conduite déréglée. Si vous nous blessez par des habitudes mauvaises, si vous nous forcez à nous écarter de vous et à ne plus nous en approcher, ne vous plaindrez-vous pas et ne vous direz-vous pas : Lors même que nous serions malades, ne devriez-vous pas nous soigner ? Quand même nous serions infirmes, ne devriez-vous pas nous visiter ? Nous vous soignons et vous visitons ; mais puissent ne point s’appliquer à nous ces paroles de l’Apôtre : « Je crains d’avoir inutilement travaillé parmi vous bc ».DIX-NEUVIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CES PAROLES : « LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MÊME QUE CE QU’IL VOIT FAIRE AU PÈRE », JUSQU’À CES AUTRES : « PARCE QUE JE CHERCHE, NON POINT MA VOLONTÉ, MAIS LA VOLONTÉ DE CELUI QUI M’A ENVOYÉ ». (Chap 5,19-30.)LES DEUX RÉSURRECTIONS.
Quiconque n’honore pas le Fils, n’honore pas le Père, car il déclare par là ou que, par jalousie, le Père n’a pas voulu engendrer son égal, ou qu’il lui a été impossible de l’engendrer. Au contraire, le Fils étant le Verbe du Père, celui qui écoute le Verbe et croit au Père, passe de la mort spirituelle à la vie de la grâce par la foi. Cette vie, supérieure à celle du corps, le croyant la puise, non en lui-même, mais à sa seule et véritable source, qui est Dieu, tandis que pour avoir été engendré par le Père, le Fils a cette vie en soi, et la communique à ceux auxquels il veut la donner. Comme Fils de Dieu, il ressuscite donc les âmes ; comme Fils de l’homme, il ressuscitera aussi les corps, parce que son Père lui a donné le jugement. Il sera seul à juger les vivants et les morts, afin que les méchants ne puissent voir en lui la forme de Dieu, et aussi pour glorifier sa vie sainte. 1. Autant que Dieu a bien voulu échauffer mon cœur, et venir en aide à ma faible intelligence pour l’éclairer, je vous ai entretenus, dans le discours précédent, de ce passage que nous avons lu dans l’Évangile : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il unit faire au Père » ; je vous ai dit ce que c’est, pour le Fils, que voir agir le Père : et mon entretien avait aussi pour objet la vision du Verbe ; car le Fils n’est autre que le Verbe : toutes choses ayant été faites par le Verbe, vous avez compris en quel sens on peut dire que le Fils regarde d’abord la manière dont le Père agit pour accomplir lui-même ce qu’il lui a vu faire ; car le Père n’a rien fait sans l’intermédiaire du Fils. « Toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait ». Remarquez-le, néanmoins ; en vous parlant, je n’ai pas fait disparaître toute l’obscurité de ce mystère, et la raison en est toute simple : c’est que je n’ai pu le pénétrer. Parfois, les expressions font défaut, lors même que l’intelligence saisit nettement la vérité. Est-il étonnant qu’elles manquent, lorsque l’esprit ne peut arriver à la comprendre ? Maintenant, selon la mesure de la grâce divine, nous allons rapidement parcourir la leçon d’aujourd’hui, et tâcher de nous acquitter entièrement de notre dette envers vous. Cela fait, s’il nous reste assez de temps ou de forces, nous ferons un retour en arrière ; et, autant que le permettra ma capacité et la vôtre, je m’efforcerai d’expliquer à nouveau ce que c’est, pour le Verbe, que voir agir le Père ; ce que c’est, de la part du Père, que montrer ses agissements au Verbe. Nous avons dit plus haut tout ce qu’il était possible de dire : si on le comprend d’une manière purement humaine et charnelle, avec un esprit rempli d’idées fantasmagoriques, on se représente, en quelque sorte, deux hommes dont l’un serait le père, et l’autre le fils ; dont l’un se montrerait aux regards de l’autre, dont le premier parlerait pour se faire entendre du second ; de pareilles images doivent être comme des idoles dressées dans l’esprit qui les conçoit : si nous sommes parvenus à les expulser de leurs temples, doivent-elles trouver leur refuge en des âmes chrétiennes ? Bien moins encore. 2. L’Évangéliste dit donc : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire au Père ». C’est vrai, et vous devez le croire ; mais croyez aussi ce que Jean vous a dit à la première page de son livre : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu » ; n’oubliez pas, surtout, cet autre passage : « Toutes choses ont été faites par lui ». Ne séparez point l’un de l’autre, dans votre esprit, ces deux endroits du texte sacré ; mais qu’ils s’y accordent tous deux. Bien que « le Fils ne puisse rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire au Père », le Père, néanmoins, ne fait rien sans l’intermédiaire du Fils. En effet, le Fils est son Verbe, et, « au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu, et toutes choses ont été faites par lui ; car tout ce que le Père fait, le Fils le fait aussi comme lui bd ». Cela, et non pas autre chose, non pas d’une manière différente, mais comme lui. 3. « Car le Père aime le Fils, et il lui montre tout ce qu’il fait ». Aux paroles précitées, « que ce qu’il voit faire au Père », semblent se rapporter celles-ci : « Il lui montre tout ce qu’il fait ». Mais si le Père montre ce qu’il fait ; si, d’ailleurs, le Fils ne peut rien faire avant que le Père lui ait montré ses propres œuvres ; si, enfin, le Père ne peut les montrer au Fils avant de les avoir accomplies, il est de toute évidence qu’en agissant le Père ne se sert point de l’intermédiaire de son Fils. Mais en admettant, comme hors de doute et à l’abri de toute discussion, que le Père fait toutes choses par son Fils, nous reconnaissons, par là même, qu’il les montre au Fils avant de les faire. En effet, si le Père ne montre ses œuvres au Fils qu’après les avoir accomplies, afin que le Fils les voie et les fasse lui-même, on ne saurait le nier : il faut que ces œuvres soient faites avant d’être montrées, et que le Père agisse indépendamment du Fils. Mais le Père ne fait rien sans le Fils, parce que le Fils de Dieu n’est autre que son Verbe, et que toutes choses ont été faites par lui. Il nous reste donc peut-être cette ressource, à savoir que le Père montre au Fils ce qu’il doit faire, afin que celui-ci le fasse. Car si le Fils fait ce que le Père lui montre comme étant déjà accompli, ces œuvres, montrées par lui comme déjà faites, il les a évidemment opérées sans le Fils ; le Père pouvait-il, en effet, les montrer au Fils si elles n’avaient pas été préalablement accomplies ? Le Fils pouvait-il faire autre chose que ce qu’on lui montrait ? Certainement non : par conséquent, ces œuvres étaient accomplies parle Père sans le Fils ; mais il n’est pas douteux que « toutes choses ont été faites par lui » ; donc, elles ont été montrées avant d’être faites. Il nous faut pourtant quitter ce sujet pour le traiter plus tard ; car, nous l’avons dit, il nous faudra y revenir, lorsque nous aurons expliqué toutes les parties de la leçon, pourvu, ai-je ajouté, qu’il nous reste assez de temps ou de forces pour revenir sur ce que nous différons d’expliquer. 4. Écoutez, voici quelque chose de plus grand et de plus difficile à saisir : « Et il lui montrera d’autres œuvres plus grandes que celles-ci ? ». « Plus grandes que celles-ci ? Quelles sont celles-ci ? C’est facile à deviner. Il s’agit des œuvres dont vous avez entendu parler, c’est-à-dire de la guérison des maladies corporelles. Car, vous le savez, le discours du Sauveur, qui nous occupe en ce moment, avait été amené par la guérison qu’il avait opérée sur la personne du paralytique de trente-huit ans. Voilà pourquoi le Sauveur pouvait dire : « Il lui montrera d’autres œuvres plus grandes que celles-ci, et vous serez dans l’admiration ». Car il est des œuvres plus grandes, et le Père les montrera au Fils. Il ne les lui a pas montrées, comme au prétérit, mais « il » les lui « montrera », au futur, c’est-à-dire, il les lui fera voir, Ici se présente encore une question difficile à résoudre. Y avait-il dans le Père quelque chose qui n’eût pas encore été montré au Fils ? Y avait-il dans le Père quelque chose que le Fils ignorât encore au moment où il parlait ainsi ? En effet, « s’il devait le lui montrer », c’est-à-dire, lui faire voir plus tard, il ne le lui avait donc pas encore montré, et il devait le lui montrer en même temps qu’aux interlocuteurs du Christ ; car voici ce que nous lisons plus loin, et « vous en serez dans l’admiration ». Il n’est pas plus aisé de comprendre ce passage que le précédent ; comment, en effet, se figurer que le Père, qui est éternel, montre, en quelque sorte, dans le temps, certaines choses à son Fils, qui lui est coéternel et qui connaît tout ce qui se trouve dans le Père ? 5. Mais, enfin, quelles sont ces œuvres plus grandes ? Ceci est peut-être facile à saisir. « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut ». Le Père vivifie-t-il certains hommes, tandis que le Fils en vivifie d’autres ? Non, car toutes choses sont faites par lui. Ceux que ressuscite le Fils sont les mêmes que ressuscite le Père, car le Fils ne fait pas autre chose que le Père, ni d’une manière différente ; mais « ce que fait le Père, le Fils le fait aussi comme lui ». Voilà ce qu’il faut bien comprendre et à quoi il faut bien s’en tenir ; mais me l’oubliez pas : « Le Fils vivifie ceux qu’il veut ». Ici il est question, non seulement de l’impuissance du Fils, mais encore de sa volonté. Le Fils vivifie ceux qu’il veut : ainsi en est-il du Père ; et ceux que le Père veut vivifier sont précisément les mêmes que le Fils veut vivifier aussi ; par conséquent, la puissance et la volonté sont les mêmes dans le Père et dans le Fils. Que signifient donc les paroles suivantes : « Car le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père ? » Évidemment le Sauveur ajoute ceci pour expliquer ce qui précède. Ce passage me saisit, attention ! Le Fils vivifie ceux qu’il veut vivifier ; ainsi en est-il du Père : le Fils ressuscite les morts de la même manière que le Père lui-même les ressuscite. « Car le Père ne juge personne ». S’il faut que les morts ressuscitent à l’heure du jugement, et si le Père ne juge personne, comment ressuscite-t-il les morts ? « Il a », en effet, « donné tout jugement au Fils ». Or, à l’heure de ce jugement, les morts ressusciteront, les uns pour la vie, les autres pour le châtiment. Si ce doit être l’œuvre exclusive du Fils, le Père n’y contribuera donc en rien, puisque « le Père ne juge personne, et qu’il a donné tout jugement au Fils ». Mais ce passage semble être en contradiction avec celui-ci : « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut ». Ils ressuscitent donc également les morts : or, s’ils les ressuscitent tous deux, ils les vivifient de même, et, par conséquent, ils les jugent aussi pareillement ; comment alors peut subsister cette parole : « Car le Père ne juge personne, et il a donné tout jugement au Fils ? » En attendant, si les difficultés proposées nous embarrassent, le Seigneur nous aidera à les éclaircir et nous fera trouver de la joie dans leur solution. Non, mes frères, nous n’éprouverons jamais de joie à voir une difficulté résolue, si notre attention ne se laisse point surexciter par son exposé. Que le Seigneur daigne nous guider ! peut-être écartera-t-il un peu le voile qui couvre la vérité cachée à nos yeux ! En effet, il a caché sa lumière derrière un nuage ; et il n’est pas aisé de s’élever, comme ferait un aigle, au-dessus de toutes les vapeurs qui enveloppent la surface entière de ce monde be, et d’apercevoir, à travers les paroles du Christ, les rayons lumineux dans toute leur pureté. Dieu percera peut-être la couche épaisse de nos ténèbres par l’ardeur de son soleil, et daignera nous manifester un peu la vérité dans les passages suivants ; laissons donc les premiers pour un instant et passons à d’autres. 6. « Quiconque n’honore pas le Fils, n’honore pas le Père qui l’a envoyé ». C’est la vérité, et lien n’est plus facile à comprendre. Car « il a donné tout jugement au Fils », comme il a déjà été dit plus haut, « afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père ». Et s’il y en avait pour honorer le Père sans honorer le Fils ? C’est chose impossible, car « quiconque n’honore pas le Fils, n’honore pas le Père, qui l’a envoyé ». Personne ne peut donc dire : Moi, j’honorais le Père parce que je ne connaissais point le Fils. – Si tu n’honorais pas encore le Fils, tu n’honorais pas davantage le Père : qu’est-ce, en effet, qu’honorer le Père, sinon reconnaître qu’il a un Fils ? Autre chose est te parler de Dieu en tarit qu’il est Dieu, autre chose est l’en parler en tant qu’il est Père. Lorsqu’on te parle de Dieu en tant que Dieu, on te parle du Créateur, du Tout-Puissant, de la suprême Intelligence, de l’Esprit éternel, invisible, immuable ; mais, lorsqu’il s’agit de Dieu en tant qu’il est le Père, on ne veut évidemment que te parler du Fils ; car on ne peut donner à Dieu le nom de Père qu’autant qu’il a un Fils ; comme il est impossible d’imaginer un Fils, s’il n’y a pas de Père. Mais ne va pas honorer le Père, comme s’il était plus grand que le Fils, et celui-ci comme s’il était plus petit que le Père ; ne me dis pas : J’honore le Père, car je sais qu’il a un Fils ; et je ne me trompe pas en lui donnant le nom de Père, parce que je ne le conçois pas comme n’ayant point de Fils ; quant au Fils, je l’honore comme inférieur au Père. Le Fils t’arrête et te rappelle à la vérité par ces paroles : « Afin que tous honorent le Fils », non pas d’une manière moindre, mais « comme ils honorent le Père ». « Celui », donc, « qui n’honore point le Fils, n’honore pas non plus le Père qui l’a envoyé ». – Moi, dis-tu, je veux rendre au Père un honneur plus grand, et au Fils un honneur moindre. – Tu refuses l’honneur au Père, dès que tu en rends un moindre au Fils. À considérer ainsi les choses, ne fais-tu point profession de dire que si le Père n’a pas engendré un Fils égal à lui, c’est qu’il ne l’à pas voulu ou qu’il en a été incapable ? S’il ne l’a pas voulu, ç’a été jalousie de sa part ; s’il en a été incapable, c’est que la puissance lui manquait. Ne vois-tu pas que cette manière de voir est injurieuse au Père, tout en paraissant plus honorable pour lui ? Honore donc le Fils, comme tu honores le Père1 afin de les honorer également l’un et l’autre. 7. « En vérité, en vérité, je vous le dis : Celui qui écoute ma parole et croit en Celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle et ne sera point condamné, il passe de la mort à la vie ». Faites attention à ceci : « Celui qui écoute ma parole » ; et le Sauveur n’ajoute pas : Croit en moi, mais : « à Celui qui m’a envoyé ». Qu’on écoute donc la parole du Fils et qu’on croie au Père. Pourquoi écouter votre parole et croire à un autre ? Quand nous Écoutons un homme, ne croyons-nous pas à ce qu’il nous dit ? Ne lui donnons-nous pas toute notre confiance ? Qu’a donc voulu exprimer le Sauveur par ces mots : « Celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé ? » Ceci, évidemment : sa parole se trouve en moi. Que signifie ce passage : « Écoute ma parole ? » Il veut dire m’écoute. « Et croit à celui qui m’a envoyé ? » En croyant à lui, il croit à sa parole, et en croyant à sa parole, il me croit, parce que je suis le Verbe du Père. La paix règne dans les Écritures ; tout s’y trouve disposé dans un ordre admirable ; rien n’y peut donner lieu à dispute. Chasse donc de ton esprit toute idée de chicane ; remarque l’accord de nos livres saints. La vérité se mettrait-elle en contradiction avec elle-même ? 8. « Celui qui écoute ma parole et croit à Celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle et ne sera pas condamné ; il est passé de la mort à la vie ». Vous vous en souvenez : nous avons trouvé, tout à l’heure, une difficulté dans ces paroles : « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut ». La lumière commence à se faire ; le Sauveur commence à parler de la résurrection des morts, et nous voyons déjà les morts sortir du tombeau. Car « celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle et ne sera pas condamné ». Prouvez que celui-là est ressuscité. Mais, dit le Sauveur, « il est passé de la mort à la vie ». Personne ne saurait en douter : celui qui est passé de la mort à la vie est évidemment ressuscité, Comment, en effet, passer de la mort à la vie, si l’on ne s’est d’abord trouvé dans un état de mort, si l’on n’est premièrement privé de vie ? Mais en passant de la mort à la vie, on se trouve dans l’une, et l’on n’est plus dans l’autre. Celui-là était donc mort, et il est ressuscité ; il était perdu, et il est retrouvé bf. Une sorte de résurrection s’opère, par conséquent : les hommes passent d’une certaine espèce de mort à un certain état de vie, de la mort de l’incrédulité à la vie de la foi, de la mort de l’erreur à la vie de la vérité, de la mort du péché à la vie de la justice : c’est donc là une sorte de résurrection des morts. 9. Daigne le Sauveur s’ouvrir davantage à nous, et continuer à faire briller plus vivement à nos yeux la vérité de cette résurrection. « En vérité, en vérité, je vous dis que l’heure vient, et elle est déjà venue ». Nous nous attendions à entendre parler de la résurrection des morts qui doit se faire à la fin du monde, à laquelle nous croyons depuis que nous sommes chrétiens, qui fait l’objet de nos espérances, et dont il nous est impossible de douter ; le point de foi qui concerne ta résurrection finale des trépassés a la vérité sur fondement. Mais le Seigneur Jésus voulait nous parler d’une certaine résurrection qui précéderait celle des morts, mais qui ne ressemblerait ni à celle de Lazare bg, ni à celle du fils de la veuve bh, ni, enfin, à celle de la fille du chef de la synagogue bi. Toutes ces personnes ont ressuscité pour mourir à nouveau, (car après être descendues dans la tombe, elles en sont sorties avant que s’accomplisse la résurrection générale) : en effet, le Christ n’a-t-il pas dit, pour nous indiquer mm genre différent de résurrection : « Il a la vie éternelle et ne sera point condamné, mais il est passé de la mort à la vie ? » À quelle vie ? À la vie éternelle. Il ne s’agit donc pas d’une résurrection pareille à la résurrection corporelle de Lazare, car il a passé de la mort du tombeau à la vie humaine : mon pas à la vie éternelle, mais à une vie qui devait finir encore : ceux, au contraire, qui doivent ressusciter à la fin des temps, passeront à la vie éternelle. Notre-Seigneur Jésus-Christ, notre Maître, le Verbe du Père, et la Vérité aime, voulait donc nous parler d’une certaine résurrection des morts qui aboutirait à la vie éternelle,.et précéderait la résurrection générale des trépassés qui doit mettre un terme aux vicissitudes du temps. Aussi dit-il ; « L’heure vient ». Imbu des idées de la foi concernant la résurrection de la chair, tu pensais évidemment à la dernière heure de tous les siècles, au jour du jugement suprême ; mais pour détourner ton esprit d’une idée pareille, le Christ a ajouté : « Et elle est déjà venue ». Par conséquent, en disant : « L’heure vient », il ne prétendait point faire allusion à la dernière de toutes les heures, à ce moment où, « le signal ayant été donné parla voix de l’archange et par la trompette du Seigneur, le Sauveur lui-même descendra du ciel, et ceux qui seront morts en Jésus-Christ ressusciteront les premiers ; ensuite, nous qui vivons et serons demeurés jusqu’alors, nous serons enlevés avec eux sur les nuées, pour aller dans les airs au – devant de Jésus-Christ, et ainsi, nous serons « éternellement avec le Seigneur bj ». Elle viendra, cette heure-là, mais elle n’est pas encore venue. Quelle est cette autre heure ? Remarquez-le bien. « L’heure vient, et elle est déjà venue ». Qu’est-ce qui se fait à pareille heure » ? Qu’est-ce ? La résurrection des morts, et rien autre chose. Et en quoi consiste cette résurrection ? En ce que ceux qui ressuscitent passent à la vie éternelle. Ainsi en sera-t-il encore à la dernière heure. 10. Eh quoi ? quelle idée nous faisons-nous de ces deux résurrections ? Ceux qui ressuscitent maintenant sont-ils destinés à ne pas ressusciter plus tard ? La résurrection des uns doit-elle avoir lieu présentement, tandis que celle des autres ne se fera qu’à la fin du monde ? Non. Si, en effet, nous avons la vraie foi, nous sommes déjà ressuscités une fois, et, malgré cela, nous espérons ressusciter encore à la fin des siècles : nous avons donc, au temps présent, ressuscité pour la vie éternelle, si nous persévérons avec fermeté dans la règle de la foi ; et, au moment de la consommation des siècles, quand viendra pour nous l’heure d’être égalés aux anges, nous ressusciterons encore pour la vie qui n’a pas de fin bk. Que le Seigneur lui-même vous fasse bien voir et bien comprendre ce que j’ai osé vous dire, à savoir : Comment peut se faire, avant la résurrection générale, une résurrection qui s’étende, non pas seulement à ceux-ci ou à ceux-là, mais à tous indistinctement, qui soit différente de celle de Lazare et aboutisse à la vie éternelle ? Il nous fera parfaitement saisir ce mystère. Écoutez donc le Maître : il va nous éclairer ; il va faire parvenir jusqu’à nos cœurs les rayons de notre soleil : ici, bien entendu, je ne parle pas de l’astre que nos yeux charnels aiment à contempler, mais de celui sur lequel notre esprit aime à porter ses regards. Encore une fois, Écoutons le Maître. « En vérité, en vérité, je vous le dis, l’heure vient, et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’auront entendue vivront ». Pourquoi le Christ a-t-il ajouté « Ceux qui l’auront entendue vivront ». Ceux-là pourraient-ils l’entendre, s’ils ne vivaient pas ? Il lui aurait donc suffi de dire « L’heure vient, et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu ». Nous aurions compris, par là, qu’ils ne seraient pas daims l’état de mort au moment où ils entendraient la voix du Fils de Dieu ; car comment l’entendraient-ils, s’ils ne vivaient pas ? Or, il n’a pas dit : Ils entendent, parce qu’ils vivent ; mais, ils revivent, parce qu’ils entendent, « Ils entendront, et ceux qui auront entendu vivront ». Qu’est-ce donc à dire : « Ils entendront ? » Ils écouteront. Si l’on ne s’en tient à l’action matérielle de l’organe de l’ouïe. Il est sûr que ceux qui entendront ne vivront pas tous ; car il en est beaucoup qui entendent et ne croient pas : ils entendent et ne croient point : c’est pourquoi ils n’écoutent pas, et parce qu’ils n’écoutent pas, ils ne vivent pas. Les mots : « Qui entendront », n’ont donc ici d’autre sens que celui-ci : Qui écouteront. Aussi, ceux qui auront écouté vivront. On prêche le Christ, Verbe et Fils de Dieu, par qui toutes choses ont été faites. Par un effet particulier de la grâce, il s’est revêtu de notre humanité et il a pris naissance dans le sein d’une Vierge : on l’a vu enfant, il est devenu adolescent, il a souffert, il est mort, ressuscité et monté au ciel ; il a promis la résurrection des corps et celle des âmes, et, d’après sa promesse, les âmes doivent ressusciter avant les corps, et les corps après les âmes. Celui qui entend et écoute, vivra celui qui entend et n’écoute pas, c’est-à-dire, celui qui entend et méprise, qui entend et ne croit point, ne vivra pas. Pourquoi cela ? Parce qu’il n’entend pas. Qu’est-ce à dire Il n’entend pas ? Il n’écoute pas. Donc, « ceux « qui auront entendu vivront. 11. Écoute, maintenant, ce dont nous avons dit vouloir différer l’explication, pour la donner à ce moment-ci autant qu’il dépendra de nous. Au sujet de cette résurrection, le Christ ajoute aussitôt : « Comme le Père a la vie en soi, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir en soi la vie ». Qu’est-ce à dire : « Le Père a la vie en soi ? » Il ne la puise pas ailleurs, il la trouve en lui-même. La vie ne lui vient pas d’une autre source, elle n’est pas pour lui chose étrangère ; c’est son bien propre, elle réside en lui : personne ne la lui prête, pour ainsi parler ; il n’en devient point participant, comme si elle était différente de sa propre substance ; mais il a la vie en soi, de telle façon que cette vie, c’est lui. S’il m’était possible de vous parler encore un peu à cet égard, je me servirais de quelques exemples afin de porter une lumière plus vive dans vos esprits ; avec l’aide de Dieu, et votre bonne volonté, j’y réussirai. La vie est en Dieu : elle est aussi en notre âme ; mais en Dieu, elle n’est sujette à aucune vicissitude ; en notre âme, elle est exposée à subir des changements : en Dieu, elle ne croît ni ne décroît : il est toujours en lui-même, il est incessamment ce qu’il est, toujours pareil à lui-même aujourd’hui, demain, hier ; pour la vie de l’âme, elle est singulièrement changeante et différente de ce qu’elle était précédemment : d’abord manquant de prudence, puis éclairée par la sagesse ; tantôt souillée de péchés, et tantôt ornée de justice : aujourd’hui, servie par une mémoire heureuse, demain, incapable de rassembler ses souvenirs : parfois s’instruisant, et parfois ne pouvant rien apprendre ; oubliant un jour ce qu’elle avait appris, et apprenant l’autre jour ce qu’elle avait oublié : telle est l’inconstance de la vie de notre âme. Pour elle, vivre dans l’état de péché, c’est être constituée dans un état de mort ; et devenir juste, c’est participer à une autre vie, différente d’elle-même ; car alors, en s’élevant vers Dieu, en s’attachant à lui, elle en reçoit la grâce de la justification. Il est dit, en effet : « Lorsqu’un homme croit en celui qui justifie le pécheur, sa foi lui est imputée à justice bl ». En s’éloignant de Dieu, l’âme devient pécheresse, elle devient juste en s’en approchant. Ne te semble-t-il pas voir comme un objet froid qui s’échauffe à mesure qu’on l’approche du feu, ou un objet chaud qui se refroidit à mesure qu’on l’en éloigne ? Ce qui est plongé dans les ténèbres ne s’éclaire-t-il pas si on l’approche de la lumière ? ne devient-il pas noir une fois qu’il en est séparé ? Il en est de même de notre âme, mais il n’en est pas ainsi de Dieu. L’homme lui-même peut dire que la lumière se trouve maintenant dans ses yeux. Que les yeux disent donc, s’ils le peuvent, dans une sorte de langage qui leur serait propre : Nous avons, la lumière en nous-mêmes. Mais on est en droit de leur dire : Vous dites que vous avez la lumière en vous-mêmes : réellement, cela n’est pas vrai. Vous avez la lumière, mais elle vous vient du ciel : s’il fait nuit, vous avez la lumière, elle se trouve dans la lune, dans un flambeau, mais pas en vous ; enfermez-vous, et vous cesserez de recevoir les rayons qui vous éclairent lorsque vous vous ouvrez. Vous n’avez pas la lumière en vous ; car, le soleil une fois couché, retenez la lumière en vous, si c’est possible ; il est nuit, vous jouissez d’une lumière de nuit : eh bien ! ôtez le flambeau, et conservez en vous la lumière ; puisqu’en faisant disparaître le flambeau, vous restez dans les ténèbres, c’est la preuve que vous n’avez pas en vous la lumière. Avoir la lumière en soi-même, c’est donc n’avoir aucun besoin de la recevoir du dehors. « Comme le Père a la vie en soi, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir en soi la vie ». Si vous comprenez bien ces paroles, vous devez le voir, le Sauveur y donne la preuve que le Fils est égal au Père : de là aussi vous devez conclure qu’entre le Père et le Fils se trouve cette seule différence, que le Père possède en lui-même une vie qu’il m’a reçue de personne, et que le Fils a en lui-même une vie qu’il a reçue de son Père. 12. Ici se présente une question dont l’obscurité exige l’explication ; qu’au lieu de s’affaiblir, notre attention se réveille : nous avons, devant nous, pour notre âme, des pâturages ; ne nous en détournons point par dégoût : à cette condition, nous aurons la vie. Voilà que tu l’avoues toi-même, me dis-tu : le Père a donné la vie à son Fils, afin que celui-ci ait la vie en soi comme le Père l’a en soi ; afin que le Fils n’ait pas plus besoin de la puiser ailleurs, que son Père n’en a lui-même besoin ; afin que le Fils soit la vie, comme le Père est la vie ; et que l’un et l’autre, unis ensemble, fassent une seule vie et non deux vies ; car il n’y a qu’un seul Dieu et il n’y en a pas deux, et il doit en être de même de la vie. Comment donc le Père a-t-il donné la vie au Fils ? Il ne la lui a pas donnée en ce sens qu’avant de la recevoir le Fils en aurait été dépourvu, et que pour vivre il aurait nécessairement dû recevoir la vie de mon Père : s’il en était ainsi, il n’aurait pas la vie en soi. Mais j’ai parlé de l’âme. Elle existe : quoiqu’elle ne soit pas douée de sagesse, quoiqu’elle ne soit point ornée de justice, elle n’en est pas moins une âme ; le début de piété ne l’empêche pas d’être. Pour elle, autre chose est donc d’être une âme, autre chose, d’être sage, juste, pieuse. Il lui manque d’être sage, juste, pieuse, et c’est quelque chose, ce n’est pas rien ; et pourtant on ne saurait dire qu’elle ne vit pas du tout ; car elle montre, par certaines de ses œuvres, qu’elle a la vie, quoiqu’elle ne manifeste ni sagesse, ni piété, ni justice. Si elle ne vivait pas, elle ne communiquerait point le mouvement au corps : elle ne commanderait, ni aux pieds de marcher, ni aux mains de travailler, ni aux yeux de voir, ni aux oreilles d’entendre : elle ne nous ferait point ouvrir la bouche pour parler, ni remuer la langue pour proférer distinctement. Par ces opérations diverses, elle donne la preuve évidente de son existence ; elle montre qu’elle est d’une nature supérieure à celle du corps ; mais, par là, prouve-t-elle aussi qu’elle soit sage, pieuse ou juste ? Les fous, les impies, les pécheurs n’ont-ils pas, eux aussi, l’usage de leurs jambes, de leurs mains, de leurs yeux, de leurs oreilles, de leur langue ? Mais lorsqu’elle s’élève à quelque chose qui n’est pas elle-même, qui lui est supérieur, qui est son principe, alors elle y puise la sagesse, la piété et la justice : pendant qu’elle en était privée, elle était morte ; elle n’avait point la vie qui pouvait l’animer elle-même ; elle ne possédait que la vie en vertu de laquelle elle animait le corps : car autre chose est ce qui dans l’âme communique le mouvement aux membres corporels, autre chose, ce qui dans l’âme la fait agir elle-même. Elle est meilleure que le corps, mais Dieu est meilleur qu’elle. Quoique insensée, pécheresse ou impie, elle est, pour le corps, le principe de sa vie. Mais sa vie, à elle, se trouve en Dieu : quand elle anime le corps, elle lui communique la vigueur, la beauté, le mouvement, l’usage de ses membres ; par analogie, lorsque Dieu, qui est sa vie, habite en elle, il lui communique la sagesse, la piété, la justice, la charité. Il y a donc une grande différence entre ce que l’âme donne au corps, et ce que Dieu donne à l’âme : elle donne la vie et elle la reçoit ; et, quand elle est morte, si Dieu ne l’anime pas, elle n’est pas moins, pour le corps, le principe de la vie. La parole de Dieu venant à se faire entendre et à Pénétrer dans le cœur de ceux qui l’écoutent, et ceux-ci devenant, non seulement attentifs, mais encore obéissants à cette parole, l’âme quitte son état de mort pour arriver à ce qui constitue sa vie, ou, en d’autres termes, elle sort de l’iniquité, de sa folie, de son impiété, pour retourner à son Dieu, qui est pour elle la source de la sagesse, de La justice et de la lumière. Qu’elle s’élève vers lui, qu’il l’illumine. « Approchez-vous de lui », nous dit le Psalmiste. Qu’en retirerons-nous ? « Et vous serez éclairés bm ». Si vous êtes éclairés en vous approchant de lui, et qu’en vous en éloignant vous tombiez dans les ténèbres, c’est la preuve que votre lumière a sa source, non en vous, mais en Dieu. Approchez de lui, pour qu’il vous renie la vie ; vous mourrez, si vous vous en écartez. Puisqu’en vous approchant de lui vous vivez, et que vous mourez en vous en écartant, votre vie n’avait donc pas en vous son principe : votre vie et votre lumière sont donc une seule et même chose. « Parce qu’en vous se trouve la source de la vie, et que dans votre lumière nous verrons la lumière bn ». 13. Avant d’être éclairée de Dieu, l’âme est dans un état tout différent de celui où elle se trouve ensuite, et elle devient meilleure dès que la participation à un être plus parfait vient à l’illuminer : il n’en est pas ainsi du Verbe de Dieu, du Fils de Dieu : avant de recevoir la vie il n’est pas autre chose qu’après l’avoir reçue ; il n’est pas en possession de la vie comme s’il en devenait participant avec le Père : il l’a en lui-même, et il est lui-même la vie. Que veulent donc dire ces paroles : « Il a donné au Fils d’avoir la vie en lui-même ? » Le voici, en deux mots. Le Père a engendré le Fils. Le Fils n’a pas reçu la vie après en avoir été un certain temps dépourvu, mais par sa génération, il est la vie. Le Père est la vie sans être engendré ; le Fils est la vie parce qu’il est engendré. Le Père n’a pas de père qui l’engendre : le Fils est engendré de Dieu le Père. Le Père ne tient de personne ce qu’il est : il est Père à cause du Fils ; le Fils est tel à cause de son Père, et ce qu’il est, il le tient du Père. Ces paroles : « Il a donné la vie au Fils, afin qu’il l’ait en lui-même », veulent donc dire ceci : Le Père qui est en lui-même la vie, a engendré son Fils qui serait aussi la vie en lui-même. Car pour ce qu’il en est du verbe engendrer, le Sauveur a voulu nous le faire entendre dans le sens de donner ; comme si nous disions à quelqu’un : Dieu t’a donné l’être. À qui a-t-il donné l’être ? Si l’homme, auquel il a donné l’être, existait déjà, il ne le lui a pas donné. Comment donner la vie à celui qui l’avait déjà, et comment celui-ci aurait-il pu en recevoir le bienfait, puisqu’il le possédait déjà ? Ces paroles : Il t’a donné l’être, signifient donc que tu n’existais pas, qu’en conséquence tu pouvais recevoir la vie, et que, par ce fait même que tu as commencé d’exister, tu as reçu l’être. Un architecte a donné à une maison d’exister. Que lui a-t-il donné ? De devenir une maison. À qui a-t-il accordé un tel bienfait ? À cette maison. Que lui a-t-il donné ? D’être une maison. Comment a-t-il pu donner à une maison de devenir une maison ? Si elle existait déjà, y avait-il réellement possibilité de lui donner de devenir ce qu’elle était ? Que veulent donc dire ces mots : Il lui a donné de devenir une maison ? Il l’a fait devenir maison. Qu’est-ce que le Père a donné au Fils ? Il lui a donné d’être son Fils ; il t’a engendré pour qu’il fût la vie ; c’est-à-dire : « Il lui à donné d’avoir la vie en lui-même », afin qu’il fût la vie même, qu’il n’eût pas besoin de la puiser ailleurs, et qu’on ne le regardât point comme ayant une vie d’emprunt. Si, en effet, il n’avait qu’une vie reçue d’ailleurs, il pourrait la perdre, et, par là, n’en plus avoir : tu ne dois rien supposer ou imaginer, ou croire de pareil à l’égard du Fils. Le Père est donc toujours la vie, et il en est de même du Fils : le Père a la vie en soi, mais il ne la tient pas de son Fils ; le Fils a aussi la vie en soi, mais il la tient de son Père : il a été engendré de son Père, afin d’être la vie en lui-même ; mais le Père n’a pas été engendré pour être la vie en soi. Le Fils n’a pas été engendré plus petit que le Père, pour grandir ensuite et devenir son égal. Lui qui, dans la plénitude de la perfection, a créé tous les temps, il n’a pas eu besoin du temps pour se perfectionner. Avant tous les siècles, il est coéternel au Père. Jamais le Père n’a été sans le Fils, et comme il est éternel, le Fils lui est donc coéternel. O âme humaine, que dire de toi ? Tu étais morte, tu avais perdu la vie ; écoute le Père dans la personne de son Fils ; lève-toi, reprends la vie ; puise en celui qui a la vie en soi, celle qui ne se trouve pas en toi-même. Le Père te vivifie, et le Fils aussi : alors s’opère ta première résurrection, quand tu ressuscites pour recevoir la vie que tu n’as pas, et qu’en la recevant tu deviens vivant. Sors de ton état de mort ; reviens à ta vie qui est ton Dieu : passe de la mort à la vie éternelle. En effet, le Père a la vie éternelle en lui – même, et si le Fils qu’il engendre n’était point pareil à lui, et n’avait point la vie en soi, il serait incapable de donner la vie à ceux qu’il voudrait, de la même manière que le Père la donne aux morts en les ressuscitant. 14. Que dire de cette résurrection du corps ? Pour ceux qui écoutent et qui vivent, d’où vient qu’ils vivent,-sinon de ce qu’ils entendent ? « L’ami de l’époux, qui se tient debout et l’écoute, est plein de joie à cause de la noix de l’époux bo », et non à cause de la sienne propre ; c’est-à-dire, ils n’existent pas d’eux-mêmes : ils puisent la vie en Dieu voilà comment ils écoutent et vivent ; et tous ceux-là vivent, qui écoutent, parce que tous ceux qui obéissent ont la vie. Seigneur, dites-nous aussi quelque chose de la résurrection de la chair. Il y en a eu pour la nier, et soutenir que la résurrection opérée par la foi est la seule à laquelle on doive croire. Le Christ nous a parlé tout à l’heure de cette résurrection, et il a voulu nous animer d’une sainte espérance en nous disant que « les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et qu’ils vivront ». Il ne dit pas que, de tous ceux qui l’entendront, les uns mourront et les autres vivront ; mais que tous « ceux qui l’entendront vivront » ; car ceux qui obéiront auront la vie. Il est ici question de la résurrection des âmes, mais ne perdons pas la toi à la résurrection des corps. Seigneur, si vous ne l’affirmez pas vous-même, quelle autorité opposerons-nous à nos contradicteurs ? Toutes les sectes, assez audacieuses pour faire adopter aux hommes une religion quelconque, n’ont pas élevé le moindre doute à l’égard de la résurrection des âmes ; elles auraient craint qu’on pût leur dire : Si l’âme ne ressuscite pas, pourquoi me parles-tu ? Quel effet prétends-tu opérer en moi ? Si, de méchant que je suis, tu ne veux pas me rendre meilleur : si tu ne veux pas me retirer du péché pour me constituer dans la justice, à quoi bon me parler ? Dès lors que d’un pécheur tu fais un juste, que tu rends pieux un impie, que tu transformes un insensé en un homme sage, tu avoues que mon âme ressuscite, si je t’obéis, si j’ajoute foi à tes paroles. En cherchant à imposer aux autres leurs idées, aucun des propagateurs de fausses religions n’a pu nier cette résurrection des âmes : tous se sont accordés à l’admettre ; mais beaucoup ont nié celle de la chair, et ils ont dit que la foi l’avait déjà opérée. C’est contre de telles gens que s’élève l’Apôtre, quand il dit : « De ce nombre sont Hyménée et Philète, qui se sont écartés de la vérité en disant que la résurrection est déjà arrivée, et qui ont renversé la foi de quelques-uns bp ». À les entendre, la résurrection avait déjà eu lieu, mais de telle manière qu’on ne devait plus en espérer une autre. Aussi condamnaient-ils les hommes qui espéraient la résurrection de la chair, comma si la résurrection promise s’opérait déjà dans les âmes par la foi. L’Apôtre les condamne à son tour. Pourquoi ? Ne disaient-ils pas ce que Jésus-Christ disait lui-même tout à l’heure ? « L’heure vient, et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’entendront, vivront ». Mais, te dit Jésus, je ne te parle encore que de la résurrection des âmes, et non de celle des corps : je parle de la vie de ce qui anime les corps, c’est-à-dire des âmes, qui sont pour eux la source de la vie ; car, je le sais, il y a des corps dans les tombeaux ; vos corps y seront eux-mêmes, un jour, renfermés. Je ne vous parle nullement de leur résurrection : je ne fais allusion qu’à celle de vos âmes ; ressuscitez donc spirituellement, afin de ne point ressusciter corporellement pour les supplices éternels. Toutefois, remarquez-le bien, je parle aussi de la résurrection de la chair ; car j’ajoute : « Comme le Père a la vie en soi, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir en soi la vie ». Cette vie, qui n’est autre que le Père et le Fils, à quoi a-t-elle rapport ? À l’âme ou au corps ? Cette vie de la sagesse ne pénètre point le corps, mais seulement l’âme raisonnable : de plus, toute âme ne ressent pas les influences de la sagesse ; car les bêtes ont une âme, et cette âme-là n’en éprouve point les impressions : l’âme de l’homme peut donc être vivante de cette vie que le Père a en soi, et qu’il a donné au Fils d’avoir en soi ; car c’est là évidemment « la lumière véritable qui éclaire », non pas toute âme, mais « tout homme venant en ce monde ». Puisque je parle à l’âme, qu’elle m’écoute, c’est-à-dire, qu’elle m’obéisse et qu’elle vive. 15. Seigneur, ne gardez pas le silence au sujet de la résurrection de la chair ; car les hommes pourraient ne pas y croire, et, au lieu d’être des prédicateurs, nous ne serions que des ergoteurs. Ainsi, « comme le Père a la vie en soi, de même a-t-il donné au Fils d’avoir en soi la vie ». Que ceux qui entendent, comprennent : qu’ils croient pour comprendre, qu’ils obéissent pour vivre. Qu’ils écoutent encore ce qui suit, afin de ne pas croire que c’en est fini avec la résurrection : « Et il lui a donné le pouvoir même de rendre le jugement ». Qui est-ce qui a donné ce pouvoir ? Le Père. À qui l’a-t-il donné ? Au Fils, car le pouvoir même de rendre les jugements a été donné par lui à celui à qui il a donné d’avoir la vie en soi, « parce qu’il est le Fils de l’homme ». Ce Christ est en même temps Fils de Dieu et Fils de l’homme. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu : il était, au commencement, avec Dieu ». Voilà comment le Père a donné au Fils d’avoir la vie en soi ; mais parce que « le Verbe s’est fait chair et qu’il a habité parmi nous bq », parce qu’il est né homme de la Vierge Marie, il est le fils de l’homme. De ce qu’il est le Fils de l’homme, qu’a-t-il reçu ? Le pouvoir même de rendre le jugement. Quel jugement ? Le dernier, à la fin du monde : alors aura lieu la résurrection des morts, c’est-à-dire, des corps. Le Seigneur ressuscite donc les âmes par le Christ, en tant que Fils de Dieu : pour les corps, il les ressuscite par le même Christ, en tant que fils de l’homme. « Il lui a donné le pouvoir ». Ce pouvoir, il ne l’aurait pas, s’il ne l’avait reçu, et il serait un homme sans pouvoir. Mais s’il est fils de l’homme, il est, en même temps, Fils de Dieu. Le fils de l’homme s’étant attaché au Fils de Dieu en union de personne, il s’est formé une seule personne, qui est, tout à la fois, Fils de Dieu et fils de l’homme. Il faut voir de quels éléments se compose cette personne, et pourquoi. Le fils de l’homme a une âme et un corps : le Fils de Dieu a notre humanité, comme l’âme a le corps. De même que l’âme, unie au corps, fait, avec lui, non pas deux personnes, mais un seul homme ; ainsi, le Verbe, uni à notre humanité, forme avec elle, non deux personnes, mais un seul Christ. Qu’est-ce que l’homme ? Une âme raisonnable revêtue d’un corps. Qu’est-ce que le Christ ? Le Verbe de Dieu revêtu de notre humanité. 16. Maintenant, je ne vous dirai pas : Écoutez-moi, mais : écoutez le Seigneur vous parler de la résurrection de la chair ; il va le faire pour ceux qui sont ressuscités et sortis des bras de la mort en s’unissant à la vie. À quelle vie ? À celle qui ne connaît point la mort. Et quelle est la vie qui ne connaît pas la mort ? C’est celle qui ne subit aucune vicissitude. Pourquoi n’est-elle sujette à aucun changement ? Parce qu’elle est la vie en soi. « Et il lui a donné le pouvoir même de rendre le jugement, parce qu’il est le fils de l’homme ». Quel est ce jugement ? De quelle nature est-il ? « Ne vous étonnez pas » que je vous aie dit : « Il lui a aussi donné la puissance même de rendre le jugement, parce que l’heure vient ». Il n’a pas ajouté : « Et elle est déjà venue ». Il veut évidemment nous parler d’une certaine heure, de la fin du monde. C’est maintenant, pour les morts, l’heure de ressusciter : ce sera à la fin des temps, pour les morts, l’heure de revenir à la vie. C’est maintenant, pour eux, le moment de ressusciter d’une manière spirituelle : ce sera, plus tard, celui de la résurrection de leurs corps ; qu’ils ressuscitent aujourd’hui spirituellement par la puissance du Verbe, Fils de Dieu ; à la fin des temps, leur chair reviendra à la vie par la puissance du Verbe fait chair et devenu Fils de l’homme. Car ce n’est point le Père qui viendra juger les vivants et les morts, quoiqu’il soit inséparable du Fils. En quel sens donc ne viendra.-t-il pas lui-même ? Parce qu’il n’apparaîtra pas à l’heure du jugement : « Ils verront quel est celui qu’ils ont percé br ». Il apparaîtra comme juge avec la forme qu’il avait au moment où il a été jugé : elle a subi un jugement inique, elle rendra un jugement juste. La forme de l’esclave viendra donc, et ce sera elle qui se fera voir alors. Quant à la forme de Dieu, comment pourrait-elle se manifester aux bons et aux méchants ? Si le jugeaient n’avait lieu qu’à l’égard des justes, la forme de Dieu se montrerait à eux en raison de leur justice ; mais parce que le Seigneur jugera en même temps les justes et les pécheurs, et que ceux-ci ne méritent pas de voir Dieu, « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu bs », le souverain Juge apparaîtra de telle manière qu’il puisse être contemplé et par ceux qu’il couronnera et par ceux qu’il condamnera. On verra donc alors la forme d’esclave ; celle de Dieu demeurera cachée aux regards des hommes dans la personne de l’esclave, le Fils de Dieu disparaîtra pour ne laisser apercevoir que le Fils de l’homme, « parce qu’il a reçu le pouvoir même de rendre le jugement ». De ce que le Fils de l’homme se manifestera seul dans la forme d’esclave, et aussi parce que le Père ne s’est pas revêtu de notre humanité, le Père ne se laissera pas voir au jour du jugement. Voilà pourquoi le Sauveur a dit plus haut : « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout le jugement au Fils ». Nous avons donc été bien inspirés d’attendre, puisqu’il nous a expliqué lui-même ce qu’il nous avait dit. Pour commencer, ces paroles étaient obscures pour nous ; maintenant nous comprenons, ce me semble, ce qu’il a voulu nous dire : « Le Père lui a donné le pouvoir même de rendre le jugement ; en effet, le Père ne juge personne, mais il a donné au Fils tout le jugement », car il fera le jugement avec la forme humaine que n’a point le Père. De quel jugement est-il ici question ? « Que cela « ne vous étonne pas ; l’heure vient » : non pas l’heure présente où doivent ressusciter les âmes, mais l’heure à venir où les corps sortiront vivants du tombeau. 17. Que le Christ s’exprime à ce sujet d’une manière plus claire encore, afin d’ôter à l’hérétique qui nie la résurrection de la chair tout prétexte d’attaquer noire foi : que ses paroles, déjà comprises, brillent d’un nouvel éclat. Lorsque, précédemment, il eut dit : « L’heure vient », il ajouta : « et elle est déjà venue ». Maintenant il dit : « L’heure vient », sans ajouter : « Et elle est déjà venue ». Toutefois, que par la claire manifestation de la vérité, il ôte à nos ennemis toute occasion, tout moyen de prise sur nous ; qu’il fasse disparaître toutes les subtilités à l’aide desquelles ils voudraient nous embarrasser. « Que cela ne vous étonne pas : l’heure vient, où tous ceux qui sont dans les tombeaux ». Y a-t-il rien de plus évident, de plus formel ? Ce sont les corps qui se trouvent dans les tombeaux ; les âmes, quelles qu’elles soient, justes ou pécheresses, n’y sont pas. L’âme du juste a été reçue dans le sein d’Abraham ; celle du méchant était tourmentée dans l’enfer bt ; dans le tombeau ne s’est trouvée ni l’une ni l’autre. Je vous en prie, faites attention aux paroles qu’il a précédemment prononcées : « L’heure vient, et elle est déjà venue ». Vous le savez, mes frères : c’est par le travail qu’on arrive à se procurer le pain matériel ; pour le pain de l’âme, que de peines il faut s’imposer ! Il vous en coûte pour rester là et prêter attention à nos paroles ; mais pour rester ici et vous parler, il nous en coûte bien davantage. Puisque nous travaillons pour vous, ne devez-vous pas unir vos efforts aux nôtres, afin d’atteindre au même but ? Après avoir dit, précédemment : « L’heure vient », et avoir ajouté : « et elle est déjà venue », comment a continué le Sauveur ? « Où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’entendront vivront ». Il n’a pas ajouté : Tous les morts l’entendront, et ceux qui l’entendront vivront : il voulait parler des pécheurs morts à la grâce. Mais tous les pécheurs écoutent-ils l’Évangile ? L’Apôtre dit formellement : « Tous n’obéissent pas à l’Évangile bu ? » Néanmoins, ceux qui écoutent, vivront, parce que tous ceux qui obéissent à l’Évangile passeront par la foi, dans le sein de la vie éternelle ; mais tous ne lui obéissent pas, et c’est maintenant ; mais, à la fin des temps, « tous ceux qui sont dans les tombeaux », c’est-à-dire, les justes et les pécheurs, « entendront sa voix et sortiront ». Pourquoi n’a-t-il pas voulu dire : « Et ils vivront ? » C’est que, si tous doivent sortir de leurs tombeaux, tous ne vivront pas. Quand il a dit plus haut « Et ceux qui auront écouté, vivront », il a voulu nous faire comprendre qu’écouter la voix du Fils de Dieu, c’est avoir la vie éternelle et bienheureuse que ne posséderont point tous ceux qui sortiront des tombeaux. De cette mention des tombeaux et de ce fait que les morts en sortiront, nous devons, sans hésiter, conclure à la résurrection des corps. 18. « Tous entendront sa voix et sortiront ». Où sera le jugement, si tous doivent entendre et sortir ? Tout ici me semble confusion ; rien ne me paraît clairement défini. Évidemment, vous avez reçu le pouvoir de juger, puisque vous êtes le fils de l’homme : vous assisterez au jugement ; les corps ressusciteront ; dites-nous donc quelque chose du jugement lui-même, c’est-à-dire du discernement qui se fera alors entre les bons et les méchants. Écoute encore ceci : « Ceux qui auront bien fait, en sortiront pour la résurrection de la vie, mais ceux qui auront mal fait, en sortiront pour la résurrection du jugement ». En parlant, plus haut, de la résurrection des esprits et des cœurs, a-t-il établi entre eux une différence ? Non ; ceux qui écouteront vivront, parce que l’obéissance sera pour eux la source de la vie ; niais, tout en ressuscitant et en sortant de leurs tombeaux, tous ne parviendront pas à la vie éternelle ; il n’y aura pour cela que ceux qui auront bien fait : ceux qui auront mal fait ressusciteront pour le jugement. Le Sauveur entend le mot jugement dans le sens de supplice. Et alors aura lieu la séparation des uns et des autres, mais bien différente de celle qui existe aujourd’hui. À l’heure présente, nous sommes séparés, non par la distance, mais par nos mœurs, nos affections, nos désirs, notre foi, notre espérance, notre charité. Nous vivons côte à côte avec les pécheurs ; mais, chez tous, la conduite n’est pas la même ; nous sommes désunis, séparés les uns des autres, d’une manière imperceptible à l’œil. Nous ressemblons au froment, quand il se trouve dans l’aire, et non quand il est renfermé dans le grenier. Dans l’aire, les grains de froment sont tout à la fois séparés les uns des autres, et mélangés ensemble : ils sont séparés, lorsqu’on les fait sortir de la paille ; ils sont mélangés, puisqu’on ne les a pas encore criblés. Alors se manifestera la différence de la vie d’après celle de la conduite, et la différence des corps d’après celle de la sagesse des mœurs. Ceux qui auront bien fait iront vivre avec les anges de Dieu ; ceux qui auront mal fait iront partager les tourments du démon et de ses anges. Alors disparaîtra la forme d’esclave. Comme il se sera présenté avec cette forme pour lui faire exercer le jugement, il se retirera de ce monde immédiatement après, conduisant à sa suite le corps dont il est le chef, et il remettra à Dieu son royaume bv. À ce moment apparaîtra, dans toute sa splendeur, la forme divine qu’il aura forcément voilée aux regards dès méchants, pour ne leur laisser voir que sa forme d’esclave. Voici ce qu’il en dit ailleurs : « Ceux-ci » (il veut désigner ceux qui seront à gauche) « iront au e feu éternel ; mais les justes iront dans la vie sans fin bw ». Parlant de cette vie sans fin, il s’exprime ainsi en un autre endroit : « C’est la vie éternelle de vous connaître, vous le seul Dieu véritable, et Jésus-Christ que vous avez envoyé bx ». Alors, dans le séjour de la vie éternelle se manifestera celui qui, étant Dieu, n’a point cru que ce fût de sa part une usurpation de s’égaler à Dieu by. Alors il se montrera tel qu’il a promis de se montrer à ceux qui l’aiment. « Celui qui m’aime garde « mes commandements ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père, et moi aussi je l’aimerai, et je me montrerai moi-même à lui ». Il se trouvait devant ceux auxquels il parlait ; mais s’ils avaient sous les yeux sa forme d’esclave, ils ne voyaient point sa forme divine. Ils ont été conduits sur une bête de somme à l’hôtellerie pour y recouvrer la santé : une fois guéris, ils verront, car « je me montrerai moi-même à eux ». Et comment voit-on qu’il est égal au Père ? Il l’indique lui-même par ces paroles adressées à Philippe : « Celui qui me voit, voit aussi mon Père bz ». 19. « Je ne puis rien faire de moi-même : je juge ainsi que j’entends, et mon jugement est juste ». Nous pourrions être tentés de lui dire : Vous jugerez, et votre Père ne jugera pas, puisqu’il est dit : « Il a donné tout jugement au Fils ». Par conséquent, ce n’est pas d’après votre Père que vous jugerez ; aussi a-t-il ajouté : « Je ne puis rien faire de moi-même : je juge ainsi que j’entends, et mon jugement est juste ; car je ne cherche point ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé ». Évidemment, le Fils donne la vie à ceux à qui il veut la donner. Il ne cherche pas sa volonté, mais la volonté de Celui qui l’a envoyé. Je ne cherche pas ma volonté, c’est-à-dire ma volonté propre, la volonté du Fils de l’homme, une volonté qui résiste à celle de Dieu. Quand les hommes font ce qu’ils veulent au lieu de faire ce qu’ordonne le Seigneur, ils agissent suivant leur volonté, et non suivant celle de Dieu ; mais lorsqu’ils font leur volonté, de manière à ce qu’elle reste subordonnée à celle de Dieu, ils n’agissent nullement suivant leur volonté propre, quoiqu’ils fassent ce qu’ils veulent. Fais volontairement ce qu’on te commande ainsi feras-tu même ce que tu veux, et, au lieu d’agir à ta volonté, tu feras celle de ton supérieur. 20. Mais que signifient ces paroles : « Ainsi que j’entends, je juge ? » Le Fils entend, le Père se montre à lui, et le Fils voit agir le Père. Nous avions différé de vous expliquer ce passage, afin de le faire de notre mieux et d’une manière un peu plus à votre portée, à condition qu’il nous resterait, pour cela, après la lecture, assez de forces et de temps. Si je vous disais qu’il m’est encore possible de parler, vous me répondriez peut-être que vous n’êtes plus capables de m’entendre : peut-être aussi, dans un désir ardent d’écouter la sainte parole, me diriez-vous : Nous pouvons continuer. Je préfère donc vous avouer ma faiblesse, car je suis déjà fatigué, il m’est impossible de vous entretenir davantage ; puisque vous êtes bien rassasiés, à quoi bon vous servir de nouveaux aliments, que vous ne pourriez suffisamment digérer ? Aussi, la promesse que je vous avais faite pour aujourd’hui, au cas où il me resterait assez de temps, je m’en acquitterai demain avec l’aide de Dieu : Considérez-moi donc comme votre débiteur à cet égard.VINGTIÈME TRAITÉ.
ENCORE SUR CE PASSAGE : « EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ, LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE PAR LUI-MÊME, QU’IL NE LE VOIE FAIRE AU PÈRE. QUELQUE CHOSE QUE CELUI-CI FASSE, LE FILS LE FAIT AUSSI COMME LUI ». (Chap 5, 19.)UNITÉ D’ACTION DANS LA SAINTE TRINITÉ.
Quoiqu’il soit dit, dans l’Écriture, que Dieu se reposa le septième jour, cette parole du Sauveur est vraie : « Le Père agit toujours ». En effet, si le Fils agit, c’est par le Père, car, en lui, voir et être, exister et pouvoir agir sont la même chose ; puisque le Père lui a donné l’être, il lui a donc aussi donné ta puissance. De là, néanmoins, il ne suit pas que le Fils soit inférieur au Père étant inséparables l’un de l’autre, et tous deux éternels, loin d’agir l’un sans l’autre, ils agissent par ensemble et pareillement. Pour se faire, autant que possible, une idée de ce mystère, il faut s’élever par de là le monde des esprits jusqu’à Dieu, comme l’apôtre saint Jean. 1. L’Apôtre Jean ne s’est pas appuyé sans motif sur la poitrine du Sauveur ; il voulait y puiser les secrets d’une sagesse surhumaine et nous transmettre dans son Évangile ce qu’il aurait, par son amour, puisé à cette source. Aussi, les paroles du Christ, qu’il nous rapporte, sont-elles plus mystérieuses et plus difficiles à saisir que toutes celles rapportées par les autres Évangélistes : elles ont un sens tellement profond, qu’elles jettent dans le trouble les hommes dont le cœur est perverti, et surexcitent l’intelligence de ceux qui ont le cœur droit. C’est pourquoi j’engage votre charité à fixer toute son attention sur le peu de paroles qu’elle vient d’entendre lire. Voyons si, avec la grâce et le secours du Sauveur, nous pourrons comprendre les paroles qu’il a voulu faire arriver jusqu’à nous, qu’il a prononcées lui-même et fait écrire autrefois pour que nous les lisions aujourd’hui. Que signifient donc les paroles que vous lui avez entendu prononcer tout à l’heure : « En vérité, en vérité, je vous le dis : le Fils ne peut rien faire par lui-même qu’il ne l’ait vu faire au Père ; tout ce que fait le Père, le Fils le fait aussi comme lui ? » 2. À quelle occasion ces paroles furent-elles prononcées ? Il faut vous rappeler le commencement de la leçon précédente. Dans les cinq portiques de la piscine de Salomon se trouvaient un certain nombre de malades : le Sauveur avait guéri l’un d’eux, et lui avait dit : « Prends ton grabat, et retourne dans ta maison ». Ceci se passait un jour de sabbat. Grand sujet d’émoi pour les Juifs ; ils prirent de là prétexte de l’accuser comme violateur et destructeur de la loi. Alors il leur dit : « Mon Père agit toujours, et moi aussi ca ». Ces Juifs comprenaient dans un sens tout charnel l’obligation d’observer le sabbat, et s’imaginaient qu’après avoir travaillé à la création du monde Dieu était jusqu’alors resté plongé dans une sorte d’assoupissement ; aussi avait-il sanctifié ce jour-là à partir du moment où il avait, en quelque sorte, commencé à se reposer de ses fatigues. Il est sûr que l’observation du précepte du sabbat, imposée autrefois à nos pères, est chose sacrée cb. Nous autres Chrétiens, nous avons pour lui un respect tout spirituel ; en ce jour nous nous abstenons de toute œuvre servile, c’est-à-dire de tout péché, parce que le Seigneur a dit : « Quiconque commet le péché est l’esclave du péché cc » et ainsi gardons-nous le repos dans notre cœur ; en d’autres termes nous y conservons la tranquillité de l’âme. Tous nos efforts tendent à ce but pendant le cours de cette vie mortelle ; il nous sera néanmoins impossible d’arriver à la quiétude parfaite avant notre sortie de ce monde. On dit que Dieu s’est reposé, parce qu’après avoir mis la dernière main à toutes ses œuvres, il n’a plus fait sortir du néant aucune créature ; c’est ce que l’Écriture appelle le repos du Seigneur, pour nous avertir, qu’à la suite de nos bonnes œuvres, nous nous reposerons. Nous lisons en effet, dans la Genèse : « Et Dieu fit toutes choses extrêmement bonnes, et il se reposa le septième jour cd ». O homme, quand tu vois que Dieu s’est reposé après avoir accompli des œuvres excellentes, tu ne dois donc pas espérer le repos si tu ne fais pas des œuvres bonnes. Le sixième jour Dieu a créé l’homme à son image et ressemblance et mis le sceau de la perfection sur ses ouvrages, qui étaient tous extrêmement bons ; puis, le septième jour venu, il a pris du repos : ainsi ne peux-tu compter sur le repos qu’à la condition de réimprimer sur toi l’image du Créateur, dont le péché a fait disparaître les traits primitivement imprimés en ton âme. Il ne faut pas dire que Dieu a travaillé, parce qu’il a parlé et que toutes choses ont été faites. Quiconque posséderait une aussi grande facilité de travailler, voudrait-il prendre du repos, comme s’il avait éprouvé une grande fatigue ? Qu’un homme donne un ordre, et qu’on lui résiste ; qu’il commande un ouvrage, et qu’on ne le fasse pas, et qu’il se donne lui-même la peine de le faire, je dirai avec raison qu’il s’est reposé, le travail fini. Mais nous lisons tout autre chose dans le livre, déjà cité, de la Genèse : « Dieu dit : Que la lumière se fasse, et la lumière se fit : Dieu dit : que le firmament se fasse, et le firmament fut fait ce » ; et toutes choses lurent faites sitôt qu’il eut parlé ; le Psalmiste lui-même l’atteste en ces termes : « Il a dit, et tout a été fait ; il a commandé, et tout a été créé cf ». Comment, après avoir créé le monde, aurait-il cherché le repos à la manière des hommes qui terminent un travail, celui qui ne s’était point fatigué à donner ses ordres ? Ces paroles ont donc un sens caché : elles ont été placées là pour nous avertir de n’espérer le repos d’après cette vie, qu’autant que nous l’aurons mérité par nos bonnes œuvres. Nous l’avons dit : les Juifs s’étaient scandalisés de voir le Sauveur opérer la guérison d’un homme le jour du sabbat ; pour condamner leur impudence et leurs fausses idées, pour leur montrer qu’ils n’avaient pas sur Dieu des pensées justes, Jésus leur dit : « Mon Père agit toujours, et moi aussi ». N’allez donc point vous imaginer que mon Père se soit reposé le septième jour, de telle manière que, à partir de ce moment-là, il n’ait plus rien fait : comme il agit encore aujourd’hui, j’agis aussi moi-même ; toutefois, le Père travaille sans fatigue, et le Fils travaille de même sans éprouver de lassitude. « Dieu a dit et tout a été fait » ; le Christ a dit à un malade : « Prends ton grabat, et retourne en ta maison », et la chose s’est accomplie. 3. Selon la croyance catholique, le Père et le Fils n’agissent point séparément l’un de l’autre. Voilà ce dont je veux, autant que possible, entretenir votre charité ; mais c’est bien ici le cas de répéter ces paroles du Seigneur : « Comprenne qui pourra cg ». Celui qui ne peut me comprendre ne doit point m’en attribuer la faute : il ne peut en accuser que la lenteur de son esprit ; c’est donc pour lui un devoir de se tourner vers celui qui ouvre les cœurs, et de lui demander qu’il fasse pénétrer en lui ses enseignements : et si quelqu’un ne saisissait point ma pensée, parce que je ne la traduirais pas comme il le faudrait, je le prie de pardonner à mon humaine fragilité, et d’implorer en ma faveur le secours d’en haut. Nous avons, au dedans de nous, pour maître le Christ lui-même. Toutes les fois qu’une parole, sortie de ma bouche et venue à vos oreilles, vous paraîtra incompréhensible, tournez-vous intérieurement vers celui qui m’instruit de ce que je dois vous dire, et vous distribue sa parole au gré de sa généreuse bienveillance. Celui qui sait ce qu’il donne, et à qui il le donne, sera attentif à la demande du chrétien qui le priera, et il ouvrira à l’homme qui frappera à la porte : néanmoins, s’il ne nous accorde pas ce que nous désirons, ne nous croyons point, pour cela, abandonnés de lui ; car si parfois il diffère d’octroyer ce qu’on lui demande, il ne laisse personne dans le besoin. Il nous fait attendre, pour mettre notre patience à l’épreuve, mais il ne méprise nullement nos prières. Voyez donc, et remarquez attentivement ce que je veux dire, quoique je ne puisse peut-être m’exprimer comme je le désirerais. Selon les enseignements de la toi catholique, établie par l’Esprit de Dieu dans le cœur de tous les saints pour les prémunir contre toute perverse hérésie, il est certain que le Père et le Fils n’agissent point séparément l’un de l’autre. Qu’ai-je dit ? De même que le Père et le Fils, les œuvres de tons deux sont inséparables. Comment le Père et le Fils le sont-ils ? Le Sauveur l’a dit lui-même : « Mon Père et moi nous sommes un ch ». D’ailleurs, le Père et le Fils ne sont pas deux dieux, mais un seul Dieu : le Verbe et celui dont il est le Verbe, sont un ; ils sont l’Unité : le Père et le Fils, unis l’un à l’autre par l’amour, et, avec eux, leur unique Esprit d’amour, ne font qu’un seul Dieu ; en sorte que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne forment qu’une seule et même Trinité. Comme non seulement le Père et le Fils, mais encore le Saint-Esprit, sont personnes égales entre elles et inséparables ainsi leurs œuvres sont inséparables : je vais dire encore plus clairement ce que j’entends par ces mots, leurs œuvres sont inséparables. La foi catholique ne dit pas que Dieu le Père a fait une chose, et Dieu le Fils une autre ; mais ce qu’a fait le Père, le Fils l’a fait, et aussi le Saint-Esprit. Toutes choses, en effet, ont été faites par le Verbe quand Dieu a dit, et qu’elles ont été faites, elles ont été faites par le Verbe, par le Christ : car, « au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu toutes choses ont été faites par lui ci ». Puisque toutes choses ont été faites par lui, Dieu ayant dit : Que la lumière soit faite, « et la lumière ayant été faite », il l’a donc faite dans le Verbe, et il l’a faite par le Verbe. 4. Nous venons d’entendre l’Évangile : nous savons la réponse que Jésus fit aux Juifs indignés de le voir, non seulement violer le repos du sabbat, mais encore appeler Dieu son Père, et se dire égal à Dieu cj. Voilà ce qui est écrit au commencement du chapitre. Après avoir fait celte réponse à ses ennemis, si injustement indignés, le Fils de Dieu, la Vérité même leur adressa ces autres paroles : « En vérité, en vérité, je vous le dis : le Fils ne peut rien faire par lui-même, si ce n’est ce qu’il a vu faire au Père ». C’était dire, en d’autres termes : Pourquoi vous scandalisez-vous de m’entendre dire que Dieu est mon Père, et que je suis égal à Dieu ? Je lui suis égal en ce sens qu’il m’a engendré : je lui suis égal en ce sens qu’il n’est pas de moi, mais que je suis de lui. Voilà ce que signifient ces paroles : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même que ce qu’il a vu faire au Père ». C’est-à-dire, tout ce que le Fils a le pouvoir de faire, il tient de son Père le pouvoir de le faire. Pourquoi tient-il de son l’ère le pouvoir d’agir ? Parce que, sans le Père, il ne serait pas le Fils. Mais comment le Père lui a-t-il donné d’être le Fils ? Parce qu’il tient de lui le pouvoir, parce qu’il en a reçu l’être. Pour le Fils, être et pouvoir sont une même chose. Il n’en est pas ainsi relativement à l’homme. Notre fragilité humaine se trouve en un tel état d’infériorité, qu’elle ne peut servir de terme de comparaisons élevez donc plus haut vos pensées ; et si, par hasard, quelqu’un d’entre nous vient à saisir une partie de ce mystère, et que, effrayé de la soudaine apparition d’une vive lumière, il en conçoive quelque idée de manière à ne point persévérer dans son ignorance, cet homme ne doit pas s’imaginer qu’il comprend tout ; car il en deviendrait orgueilleux, et son orgueil lui ferait oublier tout ce qu’il aurait appris. Pour l’homme, autre chose est d’exister, autre chose est de pouvoir. Tout homme qu’il est, il est parfois incapable de faire ce qu’il veut ; et parfois, aussi, ce qu’il veut, il peut le faire. L’être et le pouvoir sont donc choses fort différentes ; si c’était la même chose, on pourrait agir à sa volonté. En Dieu, il n’y a aucune différence entre la substance qui constitue son être et la puissance qu’il a d’agir ; tout ce qui est de lui lui est consubstantiel, et tout ce qui est de lui est ce qui est, parce qu’il est Dieu. Être et pouvoir ne sont donc pas en lui deux choses différentes ; il possède en même temps l’existence et la puissance, parce que la volonté et l’action lui appartiennent toutes les deux. Puisque le pouvoir du Fils vient du Père, par là même la substance du Fils en vient aussi ; et réciproquement, puisque la substance du Fils vient du Père, sa puissance en vient pareillement. Dans le Fils, la puissance ne se distingue pas de la substance elles y sont toutes deux une seule et même chose : la substance pour qu’il existe, la puissance pour qu’il soit à même de faire ce qu’il veut. Aussi, parce qu’il vient du Père, le Fils a-t-il dit : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même » ; dès lors qu’il n’existe point par lui-même, il ne peut, non plus, rien faire par lui-même. 5. Il semblerait qu’il s’est fait plus petit que le Père, en disant : Le Fils ne peut rien « faire par lui-même, que ce qu’il a vu faire au Père ». Ici la vaniteuse hérésie relève la tête : je veux parler de l’hérésie qui regarde le Fils comme intérieur au Père, comme ayant un pouvoir, une grandeur, une faculté d’agir bien moins étendus, parce qu’elle ne saisit pas la mystérieuse signification des paroles du Christ. Cependant, que votre charité veuille bien y faire attention ; voyez comment ces paroles du Sauveur troublent maintenant leurs idées toutes charnelles. N’ai-je pas dit, tout à l’heure, par avance, que la parole de Dieu trouble les cœurs pervers, et surexcite l’intelligence de ceux qui ont le cœur droit ? En m’exprimant ainsi, j’ai voulu surtout faire allusion à celle que rapporte l’Évangéliste Jean : ce qu’il dit n’est pas du nombre des choses communes et faciles à comprendre : ce sont de mystérieuses choses. À entendre ces paroles, l’hérétique se redresse et nous dit : Voilà bien là preuve que le Fils est intérieur au Père. Écoute les paroles du Fils lui-même ; il te dit : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même, que ce qu’il a vu faire au Père ». – Attends : l’Écriture te le recommande : « Écoute avec douceur ce que l’on te dit, afin de le comprendre ck ». Supposez que ce passage me jette dans l’embarras, puisqu’en raison de ces paroles : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même que ce qu’il a vu faire au Père », je prétends que le Fils est égal à son Père en puissance et en majesté. Ce passage m’embarrasse donc ; mais puisque tu crois l’avoir compris, je vais te faire une question : Nous savons, d’après l’Évangile, que le Fils a marché sur la mer cl : où l’hérétique a-t-il vu que le Père a marché sur les eaux ? À son tour, il se trouble : oui, il se trouble lui-même. Laisse donc de côté ce que tu avais compris, et cherchons ensemble à comprendre. Que faisons-nous donc ? Nous avons entendu les paroles du Sauveur : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même, qu’il ne l’ait vu faire au Père ». Il a marché sur les eaux : le Père n’y a jamais marché : pourtant, « le Fils ne fait rien par lui-même qu’il ne l’ait vu faire au Père ». 6. Retourne avec moi à ce que je disais tout à l’heure : peut-être comprendrons-nous les choses, de manière à sortir, tous les deux, de la difficulté : pour moi, la foi catholique m’apprend le moyen d’en sortir, sans me blesser, sans me butter à aucun obstacle : enfermé dans ton inextricable cercle, tu cherches une issue. Vois par où tu es entré. Peut-être n’as-tu pas même compris ce que j’ai dit : vois par où tu es entré ; écoute donc le Sauveur ; voici les paroles qu’il t’adresse : « Je suis la porte cm ». Ce n’est pas sans cause que tu cherches une issue et que tu n’en trouves pas ; car, au lieu d’entrer dans le bercail par la porte, tu y es tombé du haut de la muraille. Agis donc de ton mieux ; retire-toi de l’endroit de ta chute, et entre par la porte : ainsi entreras-tu sans te blesser ; ainsi sortiras-tu sans faire fausse route. Viens par le Christ, et ce que tu dis, ne le tire pas de ton propre cœur : ne parle que de ce qu’il te fait connaître. Voici comment la foi catholique triomphe de la difficulté présente. Le Fils a marché sur la mer, il a posé les pieds de son corps sur les flots : sa chair marchait sur les eaux, et sa divinité en domptait le liquide élément. À ce moment où, comme homme, il était porté sur les eaux, et où, comme Dieu, il s’en montrait le maître, le Père n’était-il pas avec lui ? Si le Père était alors éloigné du Fils, comment celui-ci a-t-il pu dire : « Mon Père, qui demeure en moi, fait les mêmes œuvres que moi cn ? » Si le Père demeure dans le fils, et fait les mêmes œuvres que lui, cette marche du corps du Christ, le Père l’exécutait, et il l’exécutait par son Fils, et elle est tout à la fois l’œuvre du Père et celle du Fils. Je vois l’un et l’autre accomplir ici la même œuvre, le Père demeurant inséparablement uni au Fils, et le Fils ne se séparant nullement du Père. Ainsi, tout ce que fait le Fils, il ne le fait que conjointement avec le Père, parce que le Père ne fait rien qu’il ne le fasse avec le Fils. 7. Nous voilà sortis de là. Remarquez-le nous nous exprimons avec justesse en disant que les œuvres du Père, du Fils et du Saint-Esprit sont celles de ces trois personnes en même temps. Selon ta manière de voir, Dieu a fait la lumière, et le Fils la lui a vu faire ainsi le comprends-tu d’une manière toute charnelle, toi qui veux considérer le Fils comme inférieur au Père, à cause de ces paroles : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même que ce qu’il a vu faire au Père ». Dieu le Père a fait la lumière : quelle autre lainière le Fils a-t-il faite ? Dieu le Père a fait le firmament, ce ciel placé entre les eaux et les eaux, Le Fils l’a vu : c’est ainsi que tu conçois les choses avec ton esprit lourd et grossier : puisque le Fils a vu son Père créer le firmament, et qu’il a dit : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même, qu’il ne l’ait vu faire au Père ». Montre-moi donc un autre firmament. N’as-tu point perdu ton point d’appui ? Bâtis sur le fondement des Apôtres et des Prophètes, tandis que Jésus-Christ est lui-même la principale pierre de l’angle, les fidèles trouvent dans le Sauveur une paix profonde co. Ils ne disputent point, et ne se jettent plus dans les erreurs de l’hérésie. Nous comprenons que si le Père a fait la lumière, il l’a faite par le Fils : le firmament est sorti de ses mains par l’opération du Fils : « Car toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait ». Débarrasse-toi donc de ce que j’appellerais, à coup sûr, non pas ton intelligence, mais ta sottise. Dieu le Père a créé le monde : quel autre monde a-t-il créé par son Fils ? Dis-moi où est ce monde créé par le Fils ? Le monde où nous vivons, de qui, du Père ou du Fils, est-il l’œuvre ? Par lequel des deux a-t-il été fait ? Dis-le-nous. Si tu réponds : par le Fils et non par le Père, tu te sépares du Père. Si, au contraire, tu dis par le Père, et non par le Fils, voici ce que t’oppose l’Évangile : « Et le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas connu cp ». Reconnais donc Celui par qui le monde a été fait, et ne te mets pas au nombre de ceux qui n’ont pas connu le Créateur du monde. 8. Le Père et le Fils agissent donc par ensemble. Mais voici : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même ». Ainsi en serait-il, si le Sauveur disait : Le Fils n’existe pas de lui-même. En effet, s’il est le Fils, il est né ; et s’il est né, il tient son existence de celui qui l’a engendré. Pourtant, le Père a engendré son égal, rien ne lui a manqué pour cela : puisqu’il engendrait un Fils coéternel à lui-même, le temps ne lui était pas nécessaire ; et puisqu’il engendrait de lui-même son Verbe, il n’avait à cet effet nul besoin de l’intermédiaire d’une femme. Dès lors, enfin, qu’il n’engendrait point un Fils inférieur à lui, il lui était inutile d’être plus avancé en âge. Quelqu’un dira peut-être que Dieu a eu son Fils dans sa vieillesse, après un grand nombre de siècles. Il n’y a eu ni vieillesse chez le Père, ni accroissement chez le Fils ; l’un n’a point fléchi sous le poids des années, l’autre n’a pas grandi : le Père a engendré son égal ; éternel, il a engendré un Fils éternel comme lui. Comment, dira quelqu’un, comment l’Éternel peut-il engendrer un Fils éternel ? Comme la flamme, qui ne dure qu’un instant, engendre une lumière de même durée. La flamme et la lumière qui s’en dégagent sont du même instant, et la flamme n’est pas plus ancienne que la lumière dont elle est le principe. Au moment où naît la flamme, à ce moment-là naît la lumière. Donne-moi une flamme sans lumière, et je te donnerai Dieu le Père privé de Fils. Voici donc le sens de ces paroles : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même, qu’il ne l’ait vu faire au Père » : pour le Fils, voir n’est autre chose qu’être né du Père : en lui, voir et être sont une seule et même chose, comme aussi le pouvoir et la substance ne sont pas différents l’un de l’autre. Tout ce qu’il est, il le tient du Père ; tout ce qu’il peut, il l’a reçu du Père, car ce qu’il peut et ce qu’il est, c’est la même chose, et tout cela lui vient du Père. 9. Mais le Sauveur continue à parler : il jette le trouble dans l’esprit des Juifs qui le comprennent mal, afin de leur faire quitter leur erreur, et de les ramener à une saine appréciation de ses paroles. Il avait dit : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même, qu’il ne l’ait vu faire au Père ». Nais une manière de comprendre toute charnelle pouvait séduire les âmes et les détourner de la vérité : l’homme pouvait se faire l’idée de deux artisans dont l’un aurait été le maître ; l’autre, en qualité d’apprenti, aurait semblé suivre des yeux les mouvements de son patron, pour lui voir faire par exemple un coffre, et en faire, à son tour, un autre sur le modèle du coffre du maître, et par les moyens qu’il lui aurait vu employer. Le Christ voulut donc empêcher dans l’esprit humain l’existence de cette grossière supposition, de deux agents dans la Divinité, qui est toute simple. Aussi continua-t-il en disant : « Tout ce que fait le Père, le Fils le fait aussi pareillement ». Le Père ne fait pas une chose, et le Fils une autre semblable : ils font, tous les deux, les mêmes choses. Car le Sauveur ne dit pas : Le Père fait certaines choses, et le Fils en fait d’autres pareilles ; mais voici comment il s’exprime : « Tout ce que fait le Père, le Fils le fait aussi pareillement ». Ce que fait l’un, l’autre le fait : le Père a créé le monde ; avec lui et comme lui, le Fils et le Saint-Esprit ont créé ce même monde. S’il y avait trois dieux, il y aurait trois mondes ; mais comme il n’y a qu’un seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, il n’y a, non plus, qu’un seul monde, que le Père a créé par le Fils dans le Saint-Esprit. Le Fils fait donc ce que fait le Père, et il ne le fait pas d’une manière différente : il fait ce que fait le Père, et il le fait comme lui. 10. Il avait déjà dit : « Il le fait » ; pourquoi a-t-il ajouté : « il le fait pareillement ? » C’était afin d’écarter de l’esprit de ses auditeurs toute interprétation maligne ou erronée. Tu vois l’ouvrage d’un homme. L’homme se compose d’un esprit et d’un corps ; l’esprit commande au corps, mais, entre l’un et l’autre, se trouve une immense différence. Le corps est visible, l’esprit ne l’est pas : et il n’y a aucune comparaison à établir entre la puissance et l’énergie de l’esprit, et l’énergie et la puissance de n’importe quel corps, fût-il même céleste. L’esprit intime au corps ses volontés, et celui-ci les accomplit, et ce qu’on voit faire à l’esprit, le corps le fait aussi. Le corps fait donc évidemment ce que fait l’esprit, mais il ne le fait point pareillement. Comment fait-il la même chose, sans la faire de la même manière ? L’esprit parle en lui-même, il donne ses ordres à la langue, et elle profère les paroles qu’il a lui-même intérieurement prononcées : l’esprit a parlé, la langue aussi : le maître du corps et son serviteur ont agi l’un et l’autre ; mais, avant d’agir, le serviteur a appris de son maître ce qu’il devait faire, et, sur son ordre, il l’a fait. Tous les deux ont donc fait la même chose ; mais l’ont-ils faite pareillement ? Cependant, dit quelqu’un, comment ne l’ont-ils pas faite d’une manière semblable ? Le voici : La parole que prononce mon esprit reste au dedans de moi : celle que ma langue profère va frapper l’air : elle passe, elle n’est déjà plus. Lorsque tu as dit un mot dans ton esprit, et que ta langue l’a répété, rentre en toi-même, et tu l’y retrouveras. Est-il resté sur ta langue, comme il est resté dans ton esprit ? Ce mot, sorti avec sonorité de ta bouche, ta langue l’a créé en le prononçant, et ton esprit, en y pensant ; mais les sons émis par ta langue se sont évanouis, et ce qu’a pensé ton esprit continue à exister. L’esprit et le corps ont donc fait la même chose, sans la faire de la même manière. Ce qu’a fait l’esprit, il le conserve en lui-même ; ce qu’a fait la langue résonne et va, par les vibrations de l’air, frapper l’oreille. Poursuis-tu les syllabes pour leur donner la durée ? Ainsi n’agissent point le Père et le Fils, car ils font la même chose, et ils la font l’un comme l’autre. Si Dieu le Père a créé le ciel qui dure toujours, Dieu le Fils a créé ce même ciel, qui dure toujours. Si le Père à créé l’homme qui meurt, le Fils a fait aussi sortir du néant cet homme, qui est sujet à la mort. Toutes les choses que Dieu a faites pour toujours, le Fils les a faites aussi pour toujours, et celles que le Père n’a faites que pour un temps, le Fils ne les a non plus faites que pour un temps ; car non seulement il les a faites, mais il les a faites pareillement : en effet, le Père les a faites par son Fils, parce que, par le Verbe, il a fait toutes choses. 11. Cherche, dans le Père et le Fils, le manque d’ensemble, tu ne le trouveras pas, lors même que tu t’élèverais et que tu atteindrais à des régions supérieures à celles de ton âme. Si tu te nourris des idées creuses d’un esprit vagabond, tu t’entretiens avec ton imagination, et non avec le Verbe de Dieu : elle te jette dans l’illusion. Élève-toi au-dessus de ton corps, et prise ton esprit : élève-toi même au-dessus de ton esprit, et saisis Dieu. Impossible d’atteindre jusqu’à Dieu, à moins de t’élever au-dessus de ton âme : à plus forte raison, n’y parviendras-tu pas, si tu t’arrêtes à ce corps grossier. Qu’ils sont loin de priser ce qui est Dieu, ceux qui ont du goût seulement pour leur corps ! Jamais même ils n’arriveraient à posséder Dieu,’s’ils se bornaient à avoir du goût pour leur âme. L’homme s’éloigne énormément de la divinité, quand il n’a que des pensées charnelles : entre son corps et son âme se trouve une incalculable distance ; il en est encore, néanmoins une plus grande entre l’âme et Dieu. Si lu occupes ta pensée de ton esprit, tu tiens le milieu : si, de là, tu abaisses tes regards, tu aperçois le corps ; si tu les élèves, tu vois Dieu. Porte-les donc plus haut que ton corps, porte-les plus haut que toi-même. Écoute ce que dit le Psalmiste : il t’apprendra comment tu dois priser Dieu. « Jour et nuit, mes larmes sont ma nourriture, parce qu’on me dit sans cesse : Où est ton Dieu ? » test comme si les païens nous disaient : Voici nos dieux : où est le vôtre ? De telles gens montrent alors des divinités visibles : pour nous, nous adorons un Dieu qu’on ne voit pas. À qui pourrions-nous le montrer ? À des hommes qui manquent de tous moyens pour le voir ? S’ils ont les yeux du corps pour contempler leurs dieux, nous avons, nous, des yeux tout autres pour apercevoir notre Dieu : encore faut-il qu’il les purifie ; sans cela il nous serait impossible de le voir ; car, « bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu cq ». Le Psalmiste nous dit donc qu’il se troublait, parce qu’on lui disait sans cesse : « Où est ton Dieu ? Je ne puis oublier qu’on me dit sans cesse : Où est ton Dieu ? » Aussi semblait-il vouloir saisir Dieu, et s’écriait-il : « Je repassais ces paroles en mon cœur, et je répandais mon âme en moi-même cr ». Pour arriver jusqu’à taon Dieu, jusqu’à Celui dont on me disait : « Où est ton Dieu ? » je n’ai point répandu mon âme sur mon corps, mais sur moi-même ; je me suis élevé au-dessus de moi-même, afin de parvenir jusqu’à lui. Celui qui n’a créé est au-dessus de moi : on ne va à lui qu’à la condition de devenir supérieur à soi-même. 12. Qu’est-ce que ton corps ? Ne l’oublie pas : il est sujet à la mort, terrestre, fragile, corruptible : arrière donc. Mais notre chair est du temps. Reporte tes pensées sur les autres corps, sur les corps célestes ; ils sont plus grands, ils sont meilleurs, ils brillent d’un vif éclat ; regarde-les : ils roulent de l’Orient à l’Occident, et ne s’arrêtent pas ; les hommes, les animaux eux-mêmes les contemplent. Élève-toi plus haut. – Comment, me diras-tu, comment m’élèverai-je au-dessus des corps célestes, moi qui rampe en quelque sorte sur la terre ? – Corporellement, tu ne le peux pas : élève-toi donc sur les ailes de ton âme. Arrière donc aussi les corps célestes : ils ont beau briller, ce ne sont que des corps ; quoiqu’ils nous inondent des flots de leur lumière, ce sont des corps. En les considérant tous, tu ne sais peut-être où tu pourrais aller : viens avec moi. – En quel lieu, au-delà des astres, pourrais-je monter ? Au-dessus de quel monde m’élèverai-je sur les ailes de mon âme ? – As-tu considéré tous ces mondes ? — Oui. – En quel endroit t’étais-tu placé pour les contempler ? Voyons qui est-ce qui les considère. Ce qui les examine, les discerne, les distingue les uns des autres, et les pèse en quelque sorte dans sa balance, c’est l’intelligence. L’intelligence qui, en toi, a pensé à tous ces mondes, est évidemment préférable à eux tous ; elle est un esprit et non un corps. Pour voir où il faut que tu arrives, compare d’abord cette intelligence à ton corps. Ah ! de grâce, ne t’abaisse pas à une pareille comparaison. Compare-la à l’éclat du soleil, de la lune, des étoiles : son éclat le surpasse de beaucoup. Vois d’abord combien elle est prompte : ses pensées ne ressemblent-elles pas à des éclairs qui l’emportent en vivacité sur les plus vifs rayons du soleil ? Si tu réfléchis à la marche du soleil levant, qu’elle doit te sembler lente en comparaison de la marche de ton esprit ? Tu imagines, en un instant, ce que fera l’astre du jour ; il ira d’Orient en Occident, et à peine se lève-t-il, que déjà tu songes à son coucher : par la pensée, tu as fait ce qu’il doit faire, tu as parcouru sa route, et lui la parcourt encore, tant il est lent à la fournir. Que l’esprit humain est une grande chose ! Mais pourquoi dire : Il est ? Elève-toi même au-dessus de lui, car il a beau être préférable à tout ce qui est matière, il est sujet au changement. Aujourd’hui il sait, demain il ne sait plus : un jour il oublie, un autre jour il se souvient : tantôt il veut, tantôt il ne veut pas : parfois il commet le péché, parfois il conserve la justice. Va donc au-delà de tout ce qui peut changer, qu’il soit visible ou non. Tu t’es placé au-dessus de tous les êtres corporels visibles, du soleil, de la lune et des étoiles, que contemplent nos yeux : place-toi aussi au-dessus de tout être susceptible de variations. Devenu supérieur à la matière, tu en étais arrivé à ton esprit ; mais là, encore, tu as trouvé des preuves d’instabilité. Pour Dieu, est-il sujet à vicissitude ? Marche donc, ne t’arrête pas à ton esprit : répands ton âme au-dessus de toi-même, afin de parvenir jus. qu’à Dieu ; car on te dit : « Où est ton Dieu ? » 13. Ne t’imagine pas pouvoir faire ce qui dépasse les forces de l’homme. Jean l’Évangéliste l’a fait néanmoins. Il s’est élevé au-dessus de son corps, au-dessus de la terre qu’il foulait à ses pieds, au-dessus des mers qu’il contemplait, au-dessus des airs que parcourent les oiseaux, au-dessus du soleil, de la lune et des étoiles, au-dessus de tous les esprits invisibles, au-dessus de son âme, enfin il s’est élevé au-dessus de toutes ces créatures par l’effet de sa raison et de son intelligence. Arrivé à une région supérieure, répandant son âme au-dessus de lui-même, où est-il parvenu ? Qu’a-t-il vu ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Si tu vois un ensemble dans la lumière, pourquoi ne pas vouloir qu’il y ait unité dans l’action ? Voilà Dieu, voilà son Verbe ; Dieu ne fait qu’un avec le Verbe, lorsque le Verbe parle, et, pour parler, il ne se sert point de mots ; pour lui, manifester l’éclat de sa sagesse, c’est parler. Que dit de la sagesse divine la sainte Écriture ? « Elle est la splendeur de la lumière éternelle cs ». Réfléchis à la lumière du soleil, Le soleil est au ciel, il répand ses rayons sur toutes les terres et sur toutes les mers ; et, pourtant, on ne saurait le nier, sa lumière est matérielle. Si tu peux séparer du soleil sa propre lumière, le Verbe peut être aussi séparé de son Père. Je parle du soleil. D’un flambeau s’échappe une flamme unique, toute petite, toute mince : on peut l’éteindre d’un souffle ; et, cependant, elle projette son éclat sur tous les objets qu’elle domine. La lumière dont cette flamme est le foyer, se répand de tous côtés ; tu la vois sortir de ce foyer, mais la vois-tu s’en séparer ? Certainement non. Comprenez donc, mes très-chers frères, que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont inséparablement unis ensemble ; que cette Trinité ne fait qu’un seul Dieu, et que toutes les œuvres de ce Dieu unique sont tout à la fois les œuvres du Père, et celles du Fils, et celles du Saint-Esprit. Pour ce qui suit et fait partie du discours de Notre-Seigneur Jésus. Christ, rapporté dans l’Évangile, nous vous l’expliquerons ; car demain nous devons vous adresser la parole. Venez donc nous entendre.VINGT-ET-UNIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CES PAROLES : « CAR LE PÈRE AIME LE FILS ET LUI MONTRE TOUT CE QU’IL FAIT », JUSQU’À CES AUTRES « CELUI QUI N’HONORE PAS LE FILS, N’HONORE PAS LE PÈRE QUI L’A ENVOYÉ ». (Chap 5,20-23.)LES ŒUVRES DU CHRIST.
« Le Fils ne fait que ce qu’il a vu faire à son Père, et le Père lui montre tout ce qu’il fait », c’est-à-dire, le Père est l’archétype de toutes les créatures ; il les voit en lui-même, et cette vision et la science qui en résulte, ne sont autre chose que son Verbe : de là il suit que, pour le Verbe, voir, apprendre, connaître, c’est être. Quant au Christ considéré comme homme et comme représentant de tous les membres de l’Église, Dieu doit lui montrer à opérer des merveilles plus admirables que la guérison d’un paralytique. Comme Dieu, il ressuscitera les morts à la fin du monde. Comme homme, il les jugera, afin que tous l’honorent de la même manière qu’ils honorent le Père. 1. Autant que Dieu nous en a fait la grâce, et selon qu’il nous a été possible de le comprendre et de le dire, nous vous avons expliqué, dans l’instruction d’hier, comment il peut se faire que les œuvres du Père et du Fils soient inséparables : comment les œuvres du Père, au lieu d’être différentes de celles de Fils, sont exactement les mêmes, en ce sens que le Père les fait par son Fils, comme par son Verbe. N’est-il pas écrit, en effet : « Toutes choses ont été faites par lui, et, sans lui rien n’a été fait ? » Aujourd’hui, nous avons à examiner les passages qui suivent prions le Seigneur de nous accorder sa bénédiction, espérons-la de sa part ; peut-être nous jugera-t-il dignes de comprendre la vérité contenue dans ses paroles ; et si nous nous trouvons incapables de la saisir, peut être sa grâce nous empêchera-t-elle de tomber dans l’erreur. Car mieux vaut ignorer que se tromper ; mais la science est bien préférable à l’ignorance : aussi devons-nous, avant tout, nous efforcer de savoir. Si nous le pouvons, Dieu en soit loué ; mais s’il nous est impossible de parvenir jusqu’à la vérité, ne nous jetons pas dans l’erreur. Qui sommes-nous ? Que cherchons-nous à comprendre ? ce qu’il nous faut examiner. Nous sommes des hommes revêtus d’un corps, nous sommes des pèlerins ici-bas ; la parole de Dieu nous a, sans doute, communiqué le germe d’une nouvelle vie ; mais, bien que renouvelés dans le Christ, nous ne sommes pas encore entièrement dépouillés du vieil Adam. En nous, le corps qui se corrompt appesantit l’âme ct ; il nous vient d’Adam, c’est chose manifeste, et personne ne saurait en douter. Mais le principe spirituel qui rend notre âme supérieure au monde est un don de ce Dieu miséricordieux qui a envoyé son Fils unique sur la terre, pour partager notre condition mortelle et nous faire entrer en possession de son immortalité. Il est notre maître et doit nous apprendre à ne point pécher : il sera notre défenseur, si, après avoir péché, nous confessons nos fautes et revenons au bien ; il sera notre avocat au moment où nous demanderons à Dieu quelque bienfait, et, conjointement avec le Père, il nous accordera l’objet de nos désirs ; car le Père et le Fils ne sont qu’un seul Dieu, Les paroles qui vont nous occuper, il les adressait aux hommes en qualité d’homme ; en lui le Dieu se cachait et l’homme se montrait, pour faire des dieux avec de simples hommes ; étant Fils de Dieu, il est devenu fils de l’homme, afin de rendre enfants de Dieu les enfants des hommes. Par quelle mystérieuse invention de sa sagesse a-t-il agi ainsi ? Ses paroles mêmes nous l’apprennent. Il s’est fait petit pour parler à des petits ; mais bien que petit, il n’a pas cessé d’être grand ; et nous, si nous sommes petits par nous-mêmes, nous devenons grands par notre union avec lui : il nous parle donc comme une nourrice parle à son bien-aimé nourrisson, qu’elle aide à grandir à force de soins. 2. Il avait dit : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même que ce qu’il voit faire à son Père cu ». Nous l’avons compris : le Père ne fait aucune œuvre séparément du Fils ; et le Fils ne le regarde point pour faire, à son tour, quelque chose de pareil à ce qu’il lui aurait vu faire. Voici la raison pour laquelle le Sauveur a dit : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire au Père » ; c’est que le Fils tient du Père tout ce qu’il est : sa substance et sa puissance tout entières lui viennent de Celui qui l’a engendré. Il avait dit qu’il fait, comme le Père, les mêmes œuvres que le Père ; mais il a voulu nous insinuer que le Père et le Fils ne font pas des œuvres différentes, mais que les opérations du Fils procèdent de la même puissance que celle du Père, puisque le Père les fait par l’intermédiaire de son Fils : aussi a-t-il ajouté ce que nous avons entendu lire aujourd’hui : « Car le Père aime le Fils, et il lui montre tout ce qu’il fait ». Le Père montre à son Fils tout ce qu’il fait : donc, dira quelqu’un, le Père agit séparément, afin que le Fils soit à même de voir ce qu’il fait. Nous voici donc, encore une fois, revenus à une manière humaine de considérer les choses : nous voici de nouveau en face de nos deux artisans ; on dirait qu’il s’agit encore d’un ouvrier qui apprend son métier à son fils, et qui lui montre son propre ouvrage, afin qu’à son tour il puisse en faire autant. « Il lui montre tout ce qu’il fait ». Par conséquent, lorsque le Père agit, le Fils reste dans l’inaction, uniquement occupé à regarder ce que fait son Père. En est-il vraiment ainsi ? Il est sûr que « toutes choses ont été faites par lui, et que sans lui rien n’a été fait ». Par là, il nous est facile d’imaginer comment le Père montre au Fils ce qu’il fait, puisque le Père ne tait rien que ce qu’il fait par le Fils. Qu’a fait le Père ? Le monde. Mais l’a-t-il créé d’abord, et l’a-t-il ensuite montré au Fils, pour lui fournir le modèle d’un autre monde ? Alors, qu’on nous fasse voir ce second univers, sorti des mains du Fils seul. « Mais toutes les choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait, et c’est lui qui a fait le monde cv ». S’il a fait le monde, et si toutes choses ont été faites par lui, le Père ne fait donc rien qu’il ne le fasse par son Fils. Mais où le Père montre-t-il au Fils ce qu’il fait ? Dans le Fils même par qui il le fait, et pas ailleurs. En quel autre lieu le Père pourrait-il montrer au Fils ses propres œuvres ? Est-ce qu’il habite, est-ce qu’il agit comme dans un endroit exposé au regard ? Le Fils examine-t-il le Père, comme s’il travaillait extérieurement ? Où se trouve l’indivisible Trinité ? Où est le Verbe, dont il a été dit qu’il est la puissance et la sagesse de Dieu cw ? Où voir ce qu’est la Sagesse elle-même, an dire de l’Écriture : « Elle est la splendeur de la lumière éternelle cx ? » Où contempler ce qu’indique encore cet autre passage : « La Sagesse atteint d’une extrémité à l’autre avec force, et dispose toutes choses avec douceur cy » Si le Père, dans ses opérations, agit par le Fils, par sa propre sagesse, pal sa propre puissance, ce n’est pas à l’extérieur qu’il lui montre ce qu’il doit voir et faire, c’est en lui-même. 3. Qu’est-ce que voit le Père, ou, plutôt, qu’est-ce que le Fils voit dans le Père, afin de le faire ensuite lui-même ? Si je pouvais le dire, y aurait-il quelqu’un pour me comprendre ? Si j’étais capable de m’en faire une idée, serais-je à même de l’expliquer convenablement ? Mais serais-je seulement apte à me l’imaginer ? La distance qui se trouve entre la Divinité et nous est égale à celle qui sépare Dieu de l’homme, l’immortalité de la vicissitude des choses destinées à périr, l’éternité de ce qui est du temps. Qu’il nous inspire et nous fasse la grâce de comprendre. Que de cette source de vie, qui est lui-même, il fasse tomber sur nous quelques gouttes de rosée pour étancher notre soif : ainsi serons-nous préservés des ardeurs brûlantes de ce désert. Nous avons appris à lui donner le nom de Père ; crions pour lui dire : Seigneur. Ne craignons pas de le faire, car il nous a autorisés à nous permettre cette hardiesse : seulement, vivons de manière à ce qu’il ne nous dise pas : « Si je suis votre Père, où sont mes honneurs ; et si je suis votre maître, où me craint-on cz ? » Disons-lui donc : Notre Père ! À qui disons-nous : Notre Père ? Au Père du Christ. Et celui qui dit au Père du Christ : Notre Père ! que dit-il au Christ ? Notre Frère, et rien autre chose. Il faut néanmoins le remarquer, Dieu n’est pas le Père du Christ au même titre qu’il est le nôtre, car jamais le Christ ne nous a unis à lui, de manière à faire disparaître toute distance entre lui et nous. Il est, en effet, le Fils de Dieu, égal à son Père, éternel comme lui, coéternel à lui : pour nous, nous avons été créés par le Fils et adoptés par l’Unique ; aussi, quand Notre-Seigneur Jésus-Christ parlait à ses disciples, jamais il n’a dit du Dieu souverain, son Père : Notre Père ; niais : Mon Père, ou bien : Votre Père. Il n’a pas dit : Notre Père ; cela est si vrai que, dans un certain endroit de l’Évangile, il a proféré ces deux paroles : « Je m’en vais à mon Dieu et à votre Dieu ». Pourquoi n’a-t-il pas dit : Notre Dieu ? « Et à mon Père et à votre Père da ». Il n’a pas dit : Notre Père. Il parle donc de manière à unir les choses sans les confondre, et à les distinguer les unes des autres sans les séparer ; il veut montrer que nous ne faisons qu’un en lui, et que le Père et lui ne font qu’un. 4. Nous aurons beau comprendre et beau voir, même lorsque nous aurons été égalés aux esprits angéliques, jamais nous ne versons comme voit le Fils. Lors même que nous ne voyons pas, nous sommes quelque chose, et, alors, que sommes-nous ? Évidemment, des hommes qui ne voient pas. Bien que ne voyant pas, nous existons cependant, et, afin de voir, nous nous tournons vers celui qu’il nous faut voir, et ainsi s’opère en nous la vision qui ne s’y trouvait point auparavant, quoique nous existions. L’homme qui ne voit pas, n’en est pas moins un homme, et quand une fois il est parvenu à voir, on dit toujours de lui qu’il est un homme, mais un homme qui voit. Car, pour lui, autre chose est de voir, autre chose est d’être un homme ; si, en effet, voir et être homme était, pour lui, la même chose, jamais il ne pourrait exister sans voir. Dès lors qu’il ne voit pas et qu’il cherche à voir ce qu’il ne peut encore contempler, il est donc à même de chercher à voir et de se convertir pour y arriver ; et s’il se convertit sincèrement et qu’il parvienne à voir, après avoir été un homme qui ne voyait pas, il devient un homme qui voit. La vue lui est donc accordée ou retirée, selon qu’il se tourne vers Dieu ou qu’il s’en éloigne. En est-il de même du Fils ? Non. Y a-t-il jamais eu un temps où le Fils n’ait pas vu, et un autre temps où il ait commencé à voir ? Mais voir le Père et être le Fils, c’est, pour lui, une seule et même chose. En nous détournant de Dieu pour nous jeter dans l’iniquité, nous perdons de vue les rayons de la lumière d’en haut : aussitôt que nous revenons à lui, l’éclat de cette lumière vient à nouveau frapper nos yeux. Il n’y a aucune similitude entre la lumière qui vient nous éclairer, et nous-mêmes ; car cette lumière ne se détourne pas d’elle-même, et ne perd jamais rien de son éclat, parce qu’elle est essentiellement la lumière. Le Père montre donc au Fils ce qu’il fait, en ce sens qu’en son Père le Fils voit toutes choses, et qu’il y est toutes choses. Par le fait qu’il voyait, il est né, et par cela même qu’il est né, il voit. Remarque-le, néanmoins : il n’a jamais été Sans exister, et jamais il n’a commencé à être : il n’a jamais été sans voir, et jamais il n’a commencé à voir. Car, en lui, voir et être ne constituent qu’une seule et même chose : en lui se rencontrent, tout à la fois, l’existence, la permanence, l’immuabilité, la vie éternelle, sans commencement et sans fin. Ne nous nourrissons donc point d’illusions matérielles : le Père n’est point assis, ne travaille pas, et ne montre pas au Fils ce qu’il fait : à son tour, le Fils ne regarde pas l’œuvre opérée par le Père, pour en faire lui-même une pareille, mais dans un autre endroit et avec des matériaux différents ; car « toutes choses ont été faites par lui, et, sans lui, rien n’a été fait ». Le Fils est la Parole du Père, et Dieu n’a rien dit qu’il ne l’ait dit en son Fils. En disant, en son Fils, ce qu’il devait faire par lui, le Père a engendré ce même Fils par lequel il devait faire toutes choses. 5. « Et il lui montrera de plus grandes œuvres que celles-ci, et vous serez dans l’admiration ». Nouveau sujet d’embarras. Qui pourrait jamais sonder parfaitement un pareil mystère ? Mais comme il a daigné nous parler, le Sauveur nous en a mis la clef dans les mains. Il n’aurait certainement pas voulu nous dire ce qu’il ne voudrait pas nous voir croire : puisqu’il a bien voulu nous adresser la parole, il est sûr qu’il a eu l’intention de nous rendre attentifs, et puisque tel a été son dessein, nous abandonnerait-il maintenant à nous-mêmes ? Nous vous l’avons dit de notre mieux : La science du Fils n’a rien qui tienne du temps : autre chose n’est pas la science du Fils, et, autre chose, le Fils lui-même ; autre chose n’est pas la vision du Fils, et, autre chose, le Fils lui-même ; mais la vision, la science et la sagesse du Père, c’est le Fils : elles sont éternelles, elles viennent de l’éternel, et sont coéternelles à celui dont elles viennent : là, rien n’est sujet aux vicissitudes du temps ; rien n’y vient à la vie de celui n’était pas ; rien n’y meurt de ce qui était. Nous l’avons expliqué comme nous avons pu. Maintenant, que fait ici le temps ? Le Sauveur ne dit-il pas, en effet : « Et il lui montrera de plus grandes choses ? » Il doit lui montrer, c’est-à-dire, il lui fera voir plus tard. Il a montré est bien différent de : il montrera. Il a montré s’entend du passé ; il montrera s’entend de l’avenir. Mes frères, que faisons-nous, que disons-nous à présent ? Nous avons, tout à l’heure, prétendu que le Fils, coéternel au Père, n’éprouve aucune variation de la part du temps, qu’il ne se meut ni dans l’espace des lieux, ni dans l’espace des moments, qu’il demeure toujours dans la vision avec le Père, qu’il voit le Père, et que cette vision constitue son existence ; et voilà qu’il nous rappelle encore une fois à la pensée du temps, puisqu’il nous dit : « Et il lui montrera de plus grandes choses ! » Le Père montrera donc au Fils quelque chose qu’il ne connaît pas encore ? Que faire ? En quel sens comprendre ces paroles ? Notre-Seigneur Jésus-Christ se trouvait dans les hauteurs de l’éternité ; le voilà qui redescend au niveau des choses terrestres. Quand était-il si élevé ? Quand il disait : « Tout ce que fait le Père, le Fils le fait aussi comme lui ». Comment est-il descendu ? « Il lui montrera de plus grandes choses ». O Seigneur Jésus-Christ, notre Sauveur, Verbe de Dieu par qui toutes choses ont été faites, qu’est-ce que le Père vous montrera que vous ne sachiez pas encore ? Y a-t-il, dans le Père, quelque chose d’inconnu pour vous ? Quelles œuvres plus grandes doit-il vous montrer ? Ou bien, quelles œuvres seront surpassées par celles qu’il vous montrera ? Car si Jésus a dit : « plus grandes », il nous faut retourner en arrière pour y trouver celles qui sont moins prodigieuses. 6. Rappelons-nous la circonstance qui a donné lieu à ce discours. C’est évidemment celle où fut guéri le paralytique de trente-huit ans, et où le Sauveur commanda à cet homme de prendre son lit sur ses épaules, et de s’en retourner dans sa maison. Ce fait suffit à soulever l’indignation des Juifs avec lesquels il s’entretenait : il parlait à leurs oreilles et ne disait rien à leur intelligence. Il laissait, en quelque sorte, entrevoir sa pensée à ceux qui voulaient l’entendre, mais il la cachait à ceux qui se laissaient emporter par la colère : irrités de voir le Seigneur Jésus agir ainsi le jour du sabbat, les Juifs lui donnèrent donc, par leurs mauvais sentiments, l’occasion de prononcer ce discours. Pour bien entendre les paroles qui nous occupent maintenant, nous ne devons donc pas oublier ce qui a été précédemment dit : au contraire, reportons nos regards sur ce paralytique, malade depuis trente-huit ans, et subitement rendu à l’usage de ses membres, en présence des Juifs qui ne pouvaient s’empêcher d’admirer une pareille guérison, et s’en fâchaient pourtant. Témoin de leur aveugle fureur, Jésus leur adressa la parole et leur dit : « Il lui montrera des œuvres plus grandes que celles-ci ». « Plus grandes que celles-ci » : celles-ci ? Lesquelles ? Ce que vous venez de voir, c’est-à-dire : la guérison de cet homme, qu’une paralysie avait tenu, l’espace de trente-huit ans, couché sur son lit, n’est rien en comparaison de ce que le Père montrera à son Fils. Que lui montrera-t-il de plus étonnant ? Le voici ; car le Sauveur ajoute : « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut », Il est sûr que ceci est bien autrement admirable : c’est, en effet, un plus grand prodige de ressusciter les morts, que de rendre un malade à la santé : il n’y a pas le moindre doute à cet égard. Mais quand le Père montrera-t-il à son Fils une pareille œuvre ? car le Fils n’en a-t-il pas déjà la connaissance ? Et au moment où il parlait, ne savait-il pas ressusciter les morts ? Il avait fait toutes choses : avait-il encore besoin d’apprendre à faire sortir les morts, tout vivants, des entrailles du tombeau ? Celui qui nous a donné l’être et la vie, lorsque nous n’existions pas encore, avait-il besoin d’apprendre à nous ressusciter ? Que veut-il donc nous dire par là ? 7. Il s’est abaissé jusqu’à nous, et lui qui, tout à l’heure, nous parlait comme Dieu, a commencé de nous parler comme homme. Tout Dieu qu’il est, il n’en partage pas moins avec nous la nature humaine ; car Dieu s’est fait homme, mais il est devenu ce qu’il n’était pas, sans rien perdre de ce qu’il était, L’humanité s’est donc adjointe à la divinité : ainsi, celui qui était Dieu est devenu un homme, de manière, toutefois, qu’en prenant notre nature, il ne perdît pas sa nature divine. Nous l’écoutions tout à l’heure comme notre créateur, Écoutons-le donc maintenant comme notre frère, Il est notre Créateur, car, au commencement était le Verbe ; il est notre frère, parce qu’il a pris naissance dans le sein de la Vierge Marie ; en qualité de Créateur, il existait avant Abraham, avant Adam, avant la terre, avant le ciel, avant toutes les créatures corporelles et spirituelles ; en qualité de frère des hommes, il est né de la race d’Abraham, de la tribu de Juda, d’une vierge israélite. Si, dans celui qui nous parle, nous reconnaissons un Dieu et un homme, sachons discerner les paroles du Dieu d’avec celles de l’homme ; car parfois il dit des choses qui ont trait à la majesté divine, et, parfois, il en dit qui se rapportent à la faiblesse humaine ; n’est-il pas en même temps et souverainement grand, et aussi souverainement petit, puisqu’il s’est anéanti pour nous élever jusqu’à lui ? que dit-il donc ? « Le Père » me « montrera des choses plus grandes que celles-ci, et vous serez dans l’admiration ». C’est donc à nous qu’il les montrera, et non pas à lui et comme c’est à nous que le Père les montrera, le Sauveur a eu bien soin de dire : « Et vous serez dans l’admiration ». Il nous a expliqué ce qu’il a voulu nous faire entendre par ces mots : « Le Père » me « montrera ». Pourquoi n’a-t-il pas dit : Le Père vous montrera, au lieu de dire : « Il montrera » au Fils ? Parce que nous sommes les membres de son Fils, et que celui-ci apprend en quelque sorte dans la personne de ses membres, ce que nous apprenons. De quelle manière acquiert-il en nous quelque science ? De la même manière qu’il y souffre. Où est la preuve des souffrances qu’il endure en nous ? Dans ces paroles venues du ciel : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » N’est-ce pas lui qui, à la fin du monde, s’assoira sur un tribunal pour juger tous les hommes ? N’est-ce pas lui qui, en plaçant les bons à sa droite, et les méchants à sa gauche, prononcera ces paroles : « Venez, bénis de mon Père, entrez en possession de mon royaume ; car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ? » Les justes lui répondront : « Seigneur, quand vous avons-nous vu avoir faim ? » Alors il ajoutera : « Lorsque vous avez donné quelque chose à l’un des moindres de mes frères, vous me l’avez donné à moi-même db ». Il a donc dit : « Lorsque vous avez donné quelque chose à l’un des moindres de mes frères, vous me l’avez donné à moi-même ». Par conséquent, interrogeons-le maintenant, et disons-lui Seigneur, quand apprendrez-vous quelque chose, puisque c’est vous qui enseignez toutes choses ? Et aussitôt, par l’organe de notre foi, il nous répondra : Lorsque l’un des moindres de mes frères s’instruit, c’est moi qui m’instruis. 8. Félicitons-nous donc, et rendons grâces à Dieu de ce que nous sommes devenus non seulement des chrétiens, mais le Christ lui-même. Comprenez-vous, mes frères, appréciez-vous dignement la grâce que Dieu nous fait en devenant notre chef ? Soyez dans l’admiration, réjouissez-vous, nous sommes devenus le Christ ! Car s’il est notre chef, nous sommes ses membres ; nous composons, lui et nous, son humanité tout entière. Voilà bien ce que dit l’apôtre Paul : « Afin que nous ne soyons plus flottants comme des enfants, et que nous ne nous laissions pas emporter à tout vent de doctrine ». Mais auparavant, il s’était exprimé en ces termes « Jusqu’à ce que nous parvenions tous à l’unité d’une même foi et d’une même connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’un homme parfait, à la mesure de l’âge, de la plénitude du Christ dc ». Le chef et les membres, voilà ce qui constitue la plénitude du Christ. Qu’est-ce à dire : Le chef et les membres ? Le Christ et l’Église. Nous arroger un privilège pareil serait, de notre part, de l’orgueil, mais le Sauveur a daigné nous le promettre lui-même, car il nous a dit par la bouche du même Apôtre : « Or, vous êtes le corps du Christ et ses membres dd ». 9. Dès lors donc que le Père montre quelque chose aux membres du Christ, il le montre par là même au Christ. Il se fait à ce moment comme un grand miracle, mais un miracle réel. Ce que le Christ savait déjà se fait voir au Christ, et c’est le Christ lui-même qui le lui fait connaître. Voilà une chose étonnante et merveilleuse, mais l’Écriture nous l’affirme : Nous mettrons-nous en antagonisme avec la parole de Dieu ? Ne faut-il pas plutôt la comprendre damas son vrai sens, et remercier de cette grâce d’en haut, Celui qui nous l’a accordée ? Qu’ai-je dit : C’est le Christ lui-même qui fait connaître au Christ?. C’est la tête qui montre aux membres. Ce phénomène se passe en toi, Veuille le remarquer. Suppose que tes yeux sont fermés et que tu veux saisir un objet : ta main ne sait où se porter, et, néanmoins, tu ne saurais en douter, ta main est du nombre de tes membres, puisqu’elle n’a pas été précédemment séparée de ton corps. Ouvre les yeux ; alors elle voit de quel côté elle doit se diriger ; la tête a fait apercevoir l’objet, et le membre est allé le saisir. Puisqu’en toi-même nous remarquons ce fait que ton corps montre un objet à ton corps, et que par l’intermédiaire de lui-même, ton corps aperçoit cet objet, il n’y a plus sujet de t’étonner de mes paroles, quand je dis : C’est le Christ lui-même qui fait connaître au Christ. Le chef montre, afin que les membres aperçoivent ; il enseigne, afin que les membres s’instruisent ; et, cependant, la tête et les membres ne forment tous ensemble qu’un seul homme. Il n’a pas voulu se séparer de nous, mais il a daigné s’unir à nous. Il se trouvait loin de nous, et singulièrement loin ; car, qu’y a-t-il de plus éloigné que la créature à l’égard du Créateur ? que Dieu et l’homme ? que la justice et le péché ? que l’éternité et la condition d’un être mortel ? Ainsi était éloigné de nous « le Verbe qui au commencement était Dieu en Dieu, et par qui toutes choses ont été faites ». Par quel moyen s’est-il donc rapproché de nous, au point de devenir ce que nous sommes et de manière à ce que nous soyons en lui ? « Le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous de ». 10. Il nous montrera donc cela, comme il l’a montré à ses disciples pendant le cours de sa vie terrestre. Qu’est-ce cela ? « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut ». Le Père vivifie-t-il ceux-ci, et le Fils ceux-là ? Certainement, toutes choses ont été faites par lui. Que disons-nous, mes frères ? Le Christ a ressuscité Lazare ; quel mort le Père avait-il fait sortir vivant du tombeau, afin d’apprendre au Fils, par son exemple, la manière dont il devait ressusciter Lazare ? Ou bien, quand le Sauveur a rendu la vie à Lazare, le Père ne l’a-t-il pas aussi ressuscité ? le Fils a-t-il été seul à opérer ce prodige, et l’a-t-il opéré indépendamment du concours de son Père ? Lisez le récit de cette résurrection, et vous verrez qu’au tombeau de Lazare, le Christ a invoqué son Père et l’a prié de rendre la vie à ce mort df. En tant qu’homme, il invoque le Père ; en tant que Dieu, il agit de concert avec lui : en conséquence, la résurrection de Lazare s’est effectuée par la coopération simultanée du Père et du Fils avec la grâce et comme don du Saint-Esprit, et ce merveilleux événement est l’œuvre de la Trinité entière. Ces paroles « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut », ne doivent donc pas être entendues en ce sens, que le Père ressuscite et vivifie les uns, tandis que le Fils ressuscite et vivifie les autres ; mais nous devons en conclure que le Père et le Fils ressuscitent également et par ensemble les mêmes morts ; car, « toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait ». Aussi, pour montrer que sa puissance, bien que lui venant du Père, était néanmoins égale à celle du Père, le Sauveur a-t-il ajouté : « Ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut » : ces paroles prouvent l’existence de sa propre volonté. Que personne ne dise : Le Père ressuscite les morts par le Fils ; mais c’est comme tout-puissant, c’est parce qu’il possède le pouvoir de le faire. Pour le Fils, il n’agit qu’en vertu d’une puissance étrangère à sa personne, et qu’en qualité de ministre, comme ferait un ange ; que personne ne parle ainsi, carie Christa affirmé son pouvoir, en disant : « De même, le Fils vivifie ceux qu’il veut ». En effet, le Père ne veut pas autre chose que ce que veut le Fils ; mais comme ils ont ensemble une seule et même substance, ainsi n’ont-ils qu’une seule et même volonté. 11. Qui sont ces morts que vivifient le Père et le Fils ? Sont-ce ceux dont nous avons parlé, Lazare, le Fils de la veuve de Naïm dg, ou la fille du chef de la synagogue dh ? Car, nous le savons, ces trois morts ont été rappelés à la vie par le Christ. Dans le passage précité, le Sauveur veut nous faire entendre qu’il s’agit d’autre chose, c’est-à-dire de la résurrection des morts que nous attendons tous pour la fin du monde, et non de celle qui a été accordée à quelques-uns pour amener les autres à la foi. Enfin, si Lazare est sorti vivant du tombeau, il devait cependant y rentrer un peu plus tard ; et nous, quand nous ressusciterons, ce sera pour ne plus quitter la vie. Est-ce au Père, est-ce au Fils à opérer cette résurrection finale ? Mieux que cela C’est au Père dans le Fils. Le Fils et le Père dans le Fils l’opéreront donc. Maintenant, comment prouver qu’il est ici question de la résurrection universelle ? Le voici : Le Sauveur avait dit : « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut ». En conséquence de ces paroles, nous aurions pu nous imaginer qu’elles avaient trait, non pas à la résurrection qui doit servir de prélude à la vie éternelle, mais une simple résurrection miraculeuse ; pour nous détourner d’une pareille interprétation il ajoute : « Car le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils ». Qu’est-ce à dire ? Il parlait de la résurrection des morts, puisqu’il disait : « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le « Fils vivifie ceux qu’il veut » ; pourquoi ajoute-t-il aussitôt, en manière d’explication, ces paroles relatives au jugement : « Car le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils ? » Il voulait évidemment nous faire comprendre qu’il avait fait allusion à la résurrection des morts, que suivra le jugement général. 12. « Car », dit-il, « le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils ». Tout à l’heure, nous supposions que le Père fait ce que ne fait pas le Fils, et nous étions portés à le croire à cause de ces paroles : « Le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il a fait » : comme si le Père agissait, et que le Fils se bornât à le regarder. Une manière tinte charnelle d’interpréter ce passage en dérobait donc le vrai sens à notre esprit, et nous faisait croire, d’une part, que le Père agissait sans le concours du Fils, et, d’autre part, que le Fils regardait le Père lui montrer ce qu’il faisait. Le Père nous semblait donc faire ce que ne faisait pas le Fils ; maintenant le Fils nous apparaît comme faisant ce que le Père ne fait pas. Comme Dieu tourne et retourne nos esprits ! Il les conduit d’ici de là, ne leur permettant de s’arrêter à aucune pensée charnelle en les agitant ainsi, il les exerce, en les exerçant il les purifie, en les purifiant il les dilate, afin de les remplir ensuite. Qu’est-ce que toutes ces paroles du Sauveur font de nous ? Que disait-il tout à l’heure ? Que dit-il maintenant ? Tout à l’heure, il nous disait que le Père montre au Fils tout ce qu’il fait ; aussi me semblait-il voir le Père agir, et le Fils le regarder ; maintenant je crois voir le contraire, c’est-à-dire, le Fils dans l’action et le Père dans le repos. « Car le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils ». Quand le Fils exercera-t-il le jugement, sans que le Père l’exerce en même temps avec lui ? Qu’est-ce que cela vent dire, et comment le comprendre ? Vous êtes le Verbe Dieu ; moi, je ne suis qu’un homme. Vous dites « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils ». Et moi, je lis, quelque part ailleurs, ces autres paroles tombées de vos lèvres : « Je ne juge personne, il y a quelqu’un pour rechercher et juger di ». De qui parlez-vous, quand vous dites : « Il y a quelqu’un pour rechercher et juger ? » Du Père, évidemment. Il recherche les injures qu’on vous fait, et il porte sur elles son jugement. Alors, comment se fait-il que « le Père ne juge personne, mais qu’il ait donné tout jugement au Fils ? » Interrogeons maintenant l’apôtre Pierre Écoutons-le nous dire dans son Epître « Jésus-Christ a souffert pour nous, vous laissant un grand exemple, afin que vous suiviez ses traces : lui qui n’a commis aucun péché, et dans la bouche de qui le mensonge n’a pas été trouvé ; quand on le maudissait, il ne répondait point par des injures ; quand on le maltraitait, il ne menaçait pas, mais il s’abandonnait au pouvoir de Celui qui juge avec justice dj ». Comment peut-il être vrai que « le Père ne juge personne, mais qu’il ait donné tout jugement au Fils ? » Nous voilà dans l’embarras, dans un embarras qui nous fera suer, et, en nous faisant suer, nous purifiera. Efforçons-nous, avec l’aide de Dieu, de découvrir le sens profondément mystérieux de ces paroles. En voulant discuter et scruter les paroles de Dieu, nous agissons peut-être avec témérité. Mais pourquoi les a-t-il prononcées ? N’est-ce pas afin que nous en sachions la portée ? Pourquoi ont-elles retenti à nos oreilles ? N’est-ce pas afin que nous les entendions ? Pourquoi les avoir écoutées, si ce n’est pour les comprendre ? Que Dieu nous fortifie donc, et qu’il nous accorde l’intelligence dans la mesure qui lui semble convenable, et si nous ne pouvons encore puiser à la source, puissions-nous, du moins, nous désaltérer à un petit ruisseau ! Jean lui-même nous tiendra lieu de ce ruisseau, car il est allé puiser à la source ; il a fait descendre le Verbe du haut du ciel jusqu’à nous : il l’a abaissé, et, en quelque sorte, terrassé. Nous n’avons plus, par conséquent, à redouter ses grandeurs ; il s’est humilié, approchons-nous donc de lui. 13. Il y a certainement une manière vraie et solide de comprendre ces paroles : « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils » : puissions-nous la bien saisir ! Voici la raison pour laquelle elles ont été prononcées ; c’est qu’au jugement le Fils seul apparaîtra aux regards des hommes. Le Père se cachera, et le Fils se montrera. Comment se montrera-t-il ? Dans la forme avec laquelle il est monté au ciel. Comme le Père, il se dérobera à la vue dans sa forme de Dieu, mais il se manifestera dans sa forme d’esclave. « Donc, le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils », tout jugement public, cela s’entend. Dans ce jugement public, ce sera le Fils qui jugera, parce qu’il se fera voir à ceux qu’il devra juger. L’Écriture nous enseigne, de manière à nous enlever jusqu’à l’ombre d’un doute, qu’alors il se manifestera à tous les yeux. Quarante jours après sa résurrection, il monta au ciel en présence de ses disciples, et un ange vint leur dire : « Hommes de Galilée, pourquoi demeurez-vous là, regardant les cieux ? Ce Jésus qui, du milieu de vous, s’est élevé dans le ciel en reviendra de la même manière que vous l’y avez vu monter dk ». En quel état l’y voyaient-ils aller ? Dans ce corps qu’ils avaient touché et palpé, dont ils avaient contrôlé les cicatrices, avec lequel il pénétrait au milieu d’eux et sortait de leur assemblée pendant quarante jours, se montrant à eux en toute vérité, sans supercherie, non pas comme une ombre, un fantôme ou un esprit, mais tel qu’il dit lui-même, d’accord avec la réalité : « Touchez et voyez, car un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai dl ». Ce corps est digne d’habiter le ciel, car il n’est plus exposé aux atteintes de la mort, ni aux vicissitudes des différents âges. Pour parvenir à l’état où il se trouvait alors il avait dû traverser la distance qui sépare l’enfance de la jeunesse, mais il ne parcourra pas l’espace qui se trouve entre la jeunesse etla vieillesse : il restera tel qu’il était au moment de son ascension, et il reviendra tel vers ceux auxquels il a voulu faire prêcher sa parole avant son retour. Il apparaîtra donc dans sa forme humaine : cette forme se montrera même aux regards des impies ; ceux qui seront placés à droite, et ceux qui seront placés à gauche le verront également cela est écrit : « Ils verront celui qu’ils ont percé dm ». Puisqu’ils doivent voir celui qu’ils ont percé, ils verront donc ce même corps qu’ils ont frappé avec une lance ; car une lance n’a pu blesser le Verbe : les impies seront donc à même de contempler ce qu’ils ont été capables de blesser. Ils ne verront pas le Dieu qui sera caché sous la forme humaine ; niais, après le jugement, il se fera voir à ceux qu’il aura placés à sa droite. Voici donc le sens de ces paroles : « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils ». Le Fils viendra publiquement juger les hommes : alors, il leur apparaîtra sous sa forme humaine et dira à ceux qui seront placés à sa droite : « Venez, bénis de mon Père, entrez en possession de mon royaume » ; et à ceux qui se trouveront à sa gauche : « Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges dn ». 14. Le Sauveur se fera donc voir, dans sa forme d’homme, aux fidèles et aux impies, aux justes et aux pécheurs, à ceux qui auront eu la foi et à ceux qui ne l’auront pas eue, à ceux pour lesquels sa présence sera un sujet de joie, et à ceux dont elle fera le désespoir, à ceux qui auront mis en lui leur confiance, et à ceux que le jugement aura couverts de confusion : on le verra donc comme homme. Et quand il se sera ainsi montré sur son tribunal, quand la sentence aura été prononcée et que se sera vérifiée cette parole : « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils » ; car le Fils apparaîtra au jugement dans la forme qu’il a empruntée à notre nature, alors qu’arrivera-t-il ? Quand se montrera-t-il dans sa forme de Dieu, que tous les saints brûlent de contempler ? Quand verront-ils ce qui était au commencement, c’est-à-dire le Verbe, le Dieu en Dieu, par qui toutes choses ont été faites ? Quand apercevront-ils cette forme de Dieu, dont l’Apôtre a dit : « Ayant la nature de Dieu, il n’a point cru que ce fût pour lui une usurpation de s’égaler à Dieu do ? » Qu’elle est admirable, cette forme divine, puisque malgré sa forme humaine le Fils n’a pas cessé d’être égal au Père ! Elle est ineffable et incompréhensible, surtout pour les petits. Quand la verra-t-on ? Voilà les justes placés à droite, et les pécheurs à gauche ; tous aperçoivent le Christ-homme, le Fils de l’homme qui a été percé, crucifié, humilié, et qui est né d’une Vierge ; ils contemplent l’Agneau de la tribu de Juda. À quel moment contempleront-ils le Verbe, Dieu en Dieu ? Au jugement, il sera le Fils du Tout-Puissant, mais la forme seule de l’esclave se manifestera en lui. Aux esclaves il montrera sa forme d’esclave, et sa forme divine aux enfants de Dieu. Que les esclaves deviennent donc enfants du Très-Haut ; que ceux qui se trouvent à droite, entrent en possession de l’héritage éternel, de cet héritage depuis si longtemps promis, à l’existence duquel les martyrs ont cru avant de le voir, pour l’acquisition duquel ils ont, sans hésiter, versé tout leur sang, parce qu’il était promis à leurs efforts : qu’ils entrent dans cet héritage, ils y contempleront l’objet de leurs désirs. Quand pourront-ils y entrer ? Le Sauveur va lui-même nous l’apprendre : « Et ceux-ci iront au supplice éternel, et les justes à la vie éternelle dp ». 15. Jésus vient de prononcer le nom de la vie éternelle. Nous a-t-il dit que, au sein de cette vie éternelle, nous verrons et connaîtrons le Père et le Fils ? Mais à quoi nous servirait de vivre toujours, si nous ne devions point en même temps les voir ? Écoute : voici un autre passage où le Christ parle de la vie éternelle et nous dit avec précision en quoi elle consiste. Ne crains rien, je ne veux point t’induire en erreur ; ce n’est pas sans motif que j’ai fait cette promesse à ceux qui m’aiment : « Celui qui a mes commandements et les garde, c’est celui-là qui m’aime. Or, celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; je l’aimerai aussi, et je me manifesterai à lui dq ». Répondons au Seigneur, et disons-lui : Seigneur notre Dieu, qu’y a-t-il en cela de si grand, de si merveilleux ? Vous vous montrerez à nous ? Eh quoi ? Ne vous êtes-vous pas fait voir même aux Juifs ? Ceux qui vous ont crucifié ne vous ont-ils pas aussi contemplé de leurs yeux ? Vous vous manifesterez à nous, quant au jour du jugement vous nous placerez à votre droite : ceux mêmes qui se trouveront à votre gauche ne vous apercevront-ils pas ? Que signifie cette promesse de vous manifester à nous ? Ne vous voyons-nous pas, maintenant que vous nous parlez ? Le Sauveur nous répond : Vous voyez aujourd’hui ma forme d’esclave, je me manifesterai plus tard à toi dans ma forme divine. Je ne te tromperai point, ô homme fidèle ; crois-le bien, tu me verras. Tu m’aimes sans me voir ; supposes-tu que ton amour pour moi ne te méritera pas le privilège de me contempler ? Aime-moi, et persévère dans mon amour ; je ne le frustrerai point, moi qui ai purifié ton cœur. Pourquoi l’ai-je purifié, sinon afin qu’il pût contempler Dieu ? En effet, « bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu dr ». Mais le serviteur ne s’arrête pas là ; il discute en quelque sorte avec le Sauveur et lui réplique Vous n’avez pas dit cela d’une manière expresse, dans ce passage. « Les justes iront à la vie éternelle » ; car vous n’avez pas dit : Ils y entreront pour m’y contempler dans la forme de Dieu, et y voir le Père dont je suis l’égal. Remarque ce qu’il a dit en un autre endroit : « C’est la vie éternelle de vous connaître, vous le seul Dieu véritable, et Jésus-Christ que vous avez envoyé ds ». 16. Après le jugement dont nous venons de parler, et que le Père a donné au Fils parce qu’il ne juge lui-même personne, qu’arrivera-t-il ? Que lisons-nous ensuite ? « Afin que tous honorent le Fils, comme ils honorent le Père ». Les Juifs honoraient le Père, et méprisaient le Fils ; car ils considéraient le Fils comme un esclave, et honoraient le Père comme un Dieu. Alors, on verra le Fils égal au Père ; car il se montrera tel, « afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père ». Pour le moment, nous en sommes encore à le croire. Que le juif ne dise pas : J’honore le Père ; mais qu’y a-t-il de commun entre le Fils et moi ? – Le Christ va lui répondre. « Celui qui n’honore pas le Fils, n’honore point le Père ». – Tu dis un affreux mensonge : tu blasphèmes le Fils, et tu fais injure au Père. Car le Père a envoyé son Fils, et tu méprises celui qui l’a envoyé, Comment peux-tu dire que tu respectes l’envoyeur, quand tu blasphèmes son envoyé ? 17. Voilà un fait, dira quelqu’un : c’est que le Fils a été envoyé : le Père est donc plus grand que lui, puisqu’il l’a envoyé. – Arrière toute pensée charnelle ! Le vieil homme ne songe qu’à des vieilleries : mais toi, sache donc reconnaître la nouveauté dans l’homme nouveau. Cet homme nouveau pour toi, c’est l’Ancien des jours, le Perpétuel, l’Éternel qu’il daigne te ramener à la saine appréciation des choses ! Le Fils serait-il inférieur au Père, par ce fait qu’on le dit envoyé par le Père ? Il s’agit de mission, et non point de séparation. – Mais pourtant, continue-t-on, les usages de la vie nous l’apprennent : celui qui envoie est supérieur à l’envoyé. – Les choses humaines obscurcissent l’œil de notre âme, et les choses divines le rendent plus clairvoyant. Fais abstraction de ce qui se passe en ce monde, où celui qui donne une mission semble plus grand que celui qui la reçoit. D’ailleurs, remarque-le : il est des circonstances de la vie qui plaident contre toi. Ainsi, quand un homme veut demander femme, et qu’il ne peut le faire par lui-même, il charge de cette commission un ami plus influent que lui. Ce n’est pas, à beaucoup près, le seul cas où l’on choisisse unie personne d’un rang supérieur à celle qui l’envoie. Pourquoi alors t’appuyer sur ce faux prétexte que le Père a envoyé le Fils, et que celui-ci n été envoyé par le Père, pour conclure contre le Fils ? Le soleil envoie ses rayons, mais il ne s’en sépare pas : la lune envoie sa lumière, mais lui reste unie ; une lampe projette son éclat, sans faire scission avec lui : en ces différents cas, je vois bien une émission ; mais, nulle part, je n’aperçois de séparation. Hérétique vaniteux ! Tu veux trouver ici-bas des exemples pour y appuyer ton erreur ; je te l’ai dit tout à l’heure : en maintes circonstances, les choses humaines se déclarent contre toi et te condamnent ; mais enfin, considère la différence qui se trouve entre les choses divines et les choses humaines parmi lesquelles tu voudrais trouver un exemple. L’homme qui envoie demeure à sa place, et celui qui est envoyé s’en va l’envoyeur marche-t-il avec son envoyé ? Pour le Père, qui a envoyé le Fils, il ne s’en est jamais séparé. Écoute le Sauveur : voici ses propres paroles : « L’heure viendra où vous serez dispersés chacun de votre côté, et où vous me laisserez seul : cependant, je ne suis pas seul, car mon Père est avec moi dt ». Comment le Père a-t-il envoyé le Fils, puisqu’il est venu avec lui ? Comment l’a-t-il envoyé, puisqu’il ne s’en est jamais séparé ? Le Christ a dit ailleurs : « Mon Père, qui demeure en moi, fait les œuvres que je fais du ». Le Père se trouve donc dans le Fils, et il y agit. L’envoyeur ne s’est point séparé de l’envoyé, parce que tous les deux ne font qu’un.VINGT-DEUXIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CES PAROLES : « EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS : CELUI QUI ÉCOUTE MES PAROLES ET CROIT À CELUI QUI M’A ENVOYÉ, À LA VIE ÉTERNELLE », JUSQU’A CES AUTRES : « PARCE QUE JE NE CHERCHE PAS MA VOLONTÉ, MAIS LA VOLONTÉ DE CELUI QUI M’A ENVOYÉ ». (Chap 5,24-30.)LE CHRIST, VIE ET RÉSURRECTION.
Écouter le Sauveur et croire à sa parole, c’est la condition requise pour parvenir à la vie spirituelle, qui est la véritable vie, et ne pas être soumis à un jugement de condamnation. La vie spirituelle consiste dans la justice et la charité ; le moment d’y arriver dure depuis l’avènement du Christ et durera jusqu’à la fin du monde. Jésus-Christ en est la source, car il la possède en lui-même, et non par emprunt. Quant à la résurrection des corps, il l’opérera plus tard, et, alors, il jugera les hommes suivant les règles de la justice éternelle, et la volonté de son Père. 1. À la suite du passage de l’Évangile, qui a servi de texte à nos discours d’avant-hier et d’hier, vient celui qu’on nous a lu aujourd’hui nous allons traiter, l’une après l’autre, les différentes parties de cette leçon, non pas, sans doute, aussi bien qu’elles le mériteraient, niais, du moins, selon la mesure de nos forces : car, en ce qui vous concerne, il vous est impossible d’absorber toutes les eaux qui découlent de cette source si pure ; vous n’en pouvez prendre qu’en raison de votre capacité. Nous ne pouvons nous-même, dans les instructions que nous vous adressons, vous communiquer tous les enseignements qui proviennent de là ; nous en sommes réduits à vous dire ce que nous sommes à même d’y puiser : les accents de notre voix parviendront donc jusqu’à vous : plaise à Dieu d’adresser à vos cœurs des leçons plus étendues que celles qui retentiront dans vos oreilles. Nous ne sommes pas grand ; nous sommes, au contraire, singulièrement petit, et, néanmoins, il nous faut traiter de bien grandes choses ; mais nous avons tout espoir et toute confiance en celui qui, malgré sa grandeur, s’est fait petit pour nous. Il nous serait impossible d’arriver à saisir quelque chose de sa divinité, s’il n’avait pris lui-même notre condition mortelle et n’était descendu jusqu’à nous pour nous faire entendre le langage de son Évangile ; il est donc indispensable qu’il nous exhorte et nous invite à le comprendre, qu’il ne nous abandonne pas en raison de notre bassesse ; aussi a-t-il voulu entrer avec nous en participation de ce qui se trouve en nous d’abject et de moindre : sans cela, nous serions autorisés à croire que celui qui s’est abaissé jusqu’à notre infirmité n’a point voulu nous communiquer sa grandeur. En parlant ainsi, j’ai voulu prévenir, chez les uns, la tendance à me reprocher comme une audace téméraire la tâche que j’entreprends de vous expliquer ce passage, et, chez les autres, la crainte désolante de ne point saisir, même avec la grâce de Dieu, les paroles que son Fils a bien voulu leur adresser. Il nous a parlé : nous devons donc le croire, sa volonté est que nous comprenions ce qu’il nous dit si nous sommes dans l’impossibilité de le faire, prions-le, et il nous accordera cette faveur, puisque sans en avoir été prié, il nous a accordé celle de sa parole. 2. Voici le passage mystérieux qui doit nous occuper, écoutez-moi attentivement : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle ». C’est chose indubitable, nous tendons tous à la vie éternelle, et, malgré cela, le Sauveur dit : « Celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle ». A-t-il voulu que nous entendions sa parole sans la comprendre ? Il est certain que si l’on acquiert la vie éternelle en écoutant et en croyant la parole de Dieu, on y arrive plus sûrement encore en saisissant cette même parole. Pour avancer dans la piété, il faut la foi, et le fruit de la foi n’est autre que l’intelligence, et par l’intelligence on parvient à la vie éternelle au sein de cette vie, on ne nous lira pas l’Évangile ; abstraction faite de ce livre sacré, de toute lecture et de toute interprétation, celui qui nous a donné, pour la vie présente, son Évangile, apparaîtra aux yeux de tous ses fidèles réunis, dont le cœur aura été purifié, et dont le corps, désormais immortel, n’aura plus à craindre les atteintes du trépas : alors, il les rendra tout à fait purs et les éclairera, et ils vivront, et ils verront « le Verbe qui était au commencement, le Verbe qui était en Dieu ». Maintenant donc, considérons ce que nous sommes, pensons à ce qu’est celui qui va nous parler. Le Christ est Dieu, et il parle à des hommes : il veut en être compris, qu’il les eu rende capables ; il veut en être vu, qu’il ouvre leurs yeux. Ce n’est point sans motif qu’il s’adresse à nous, car rien de plus réel que ce qu’il nous promet. 3. « Celui », dit le Sauveur, « qui écoute mes paroles et croit à celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle et ne passera point en jugement ; mais il passe de la mort à la vie ». Où et quand passons-nous de la mort à la vie, de manière à ne pas entrer en jugement ? En ce monde, on passe de la mort à la vie ; en cette vie, qui n’est point encore la véritable, on passe de la mort à la vie. En quoi consiste ce passage ? « Celui qui écoute mes paroles et croit à celui qui m’a envoyé ». En gardant ces paroles, tu y crois et tu passes. Peut-on passer sans changer de place ? Certainement. Le corps garde sa place, et l’on passe spirituellement. Où était-on, pour s’éloigner, et où passe-t-on ? On passe de la mort à la vie. Imagine-toi qu’un homme se trouve ici, en qui se réalise ce que nous disons. Il est là, il écoute n peut-être ne croyait-il pas encore ; mais en entendant, il croit : tout à l’heure, il n’avait pas la foi, il l’a maintenant : il est, en quelque manière, sorti du pays de l’infidélité, pour entrer dans la région de la foi n son corps est demeuré immobile, son cœur seul est changé de place en ce sens qu’il s’est porté au bien : ceux, en effet, qui s’écartent de la règle de la foi, ne se portent-ils pas au mal ? Voilà comment en cette vie, qui n’est pas, je l’ai dit, la véritable, on passe de la mort à la vie, de manière à ne pas entrer en jugement. Pourquoi ai-je dit que cette vie n’est pas encore la vie ? C’est que, si elle était la vie, le Sauveur n’aurait pas dit à quelqu’un : « Si tu veux parvenir à la vie, garde les commandements dv ». Il n’a pas dit : Si tu veux parvenir à la vie éternelle ; il n’a pas ajouté le mot : éternelle ; il s’est borné à dire : « la vie ». Cette vie-ci ne mérite donc pas d’être appelée la vie, parce qu’elle n’est point la véritable vie. Quelle est la véritable vie, sinon la vie éternelle ? Écoute l’Apôtre ; voici ce qu’il dit à Timothée : « Ordonne aux riches de ce monde de n’être point orgueilleux, de ne point mettre leur confiance en des richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant qui nous donne avec abondance ce qui est nécessaire à la vie ; d’être charitables et bienfaisants, riches en bonnes œuvres ; de donner de bon cœur, de faire part de leurs biens aux pauvres ». À quoi bon tout cela ? Écoute ce qui suit : « De se faire un trésor et un fondement solide pour l’avenir, afin d’embrasser la véritable vie dw ». Puisque les riches doivent se faire un trésor et un fondement solide pour l’avenir, afin d’embrasser la vie véritable, la vie dont ils sont aujourd’hui en possession est donc une vie fausse. Car, pourquoi vouloir embrasser la véritable vie, si déjà tu la possèdes ? Tu veux embrasser la vraie vie ? Il te faut donc sortir de la vie fausse. Par où passer ? Où aller ? Écoute et crois, et tu effectues le passage de la mort à la vie, et tu n’entres pas en jugement. 4. Que veulent dire ces paroles : Et tu ne viens pas au jugement ? Peut-il y avoir quelqu’un de meilleur que l’apôtre Paul, qui disait : « Nous devons tous comparaître au tribunal de Jésus-Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû à ses bonnes ou à ses mauvaises actions, pendant qu’il était revêtu de son corps dx ? » Paul a dit : « Nous devons tous comparaître au tribunal de Jésus-Christ » ; et toi, tu oses te promettre de ne pas venir au jugement ? – Dieu me préserve d’oser me promettre de moi-même un tel privilège : mais je crois à la parole de celui qui me l’a promis. C’est le Sauveur qui parle ; c’est la Vérité qui promet ; car le Christ m’a dit : « Celui qui écoute mes paroles et croit à celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle, et il passe de la mort à la vie, et il ne viendra pas en jugement ». J’ai donc entendu les paroles de mon Seigneur, et j’y ai cru : d’infidèle que j’étais, je suis devenu fidèle : suivant l’avis qu’il m’en a donné, je suis passé de la mort à la vie, et je ne viens pas au jugement ; et si je m’exprime ainsi, ce n’est point par l’effet de ma présomption, mais en conséquence des promesses de mon Sauveur. – Paul parle donc d’une manière différente de celle du Christ ? Le serviteur se met donc en contradiction avec son Seigneur, le disciple avec son maître, et l’homme avec Dieu ? Le Christ n’a-t-il pas dit, en effet : « Celui qui écoute et qui croit, passe de la mort à la vie, et ne viendra pas au jugement ? » D’un autre côté, à entendre l’Apôtre, « ne faut-il pas que nous comparaissions tous au tribunal de Jésus-Christ ? » En vérité, si celui-là ne vient pas en jugement, qui comparaît devant un tribunal, c’est à n’y plus rien comprendre. 5. Le Seigneur notre Dieu nous révèle et nous enseigne par ses Écritures dans quel sens nous devons entendre le mot jugement, dont il se sert. Veuillez, je vous prie, me prêter toute votre attention. Parfois le jugement s’entend dans le sens de punition, et parfois dans celui de discernement. C’est en ce dernier sens qu’il est employé dans ce passage : « Il faut que nous comparaissions tous au tribunal du Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû à ses bonnes ou à ses mauvaises actions, pendant qu’il était revêtu de son corps ». Distribuer des récompenses aux bons et des punitions aux méchants, voilà lien en quoi consiste le discernement. Si le mot jugement devait toujours être pris en mauvaise part, le Psalmiste n’aurait pas dit : « Seigneur, jugez-moi ». À entendre ces paroles du Prophète : « Jugez-moi, Seigneur », quelqu’un s’étonnera peut-être ; car l’homme a pour habitude de dire : Que Dieu me pardonne ! Seigneur, épargnez-moi ! Mais lui a-t-on jamais entendu dire : « Jugez-moi, Seigneur ? » Il arrive parfois que, dans le psaume, ce verset se répète : le lecteur le dit une fois, et le peuple le chante ensuite. Ne se laisse-t-on pas effrayer ? Ne craint-on pas de s’adresser à Dieu et de lui dire : « Jugez-moi, Seigneur ? » Non, le peuple des croyants chante ces paroles, et il ne pense nullement à se souhaiter du mal, en redisant ce qu’il a appris dans les saints livres : et quand même il ne le comprendrait point parfaitement, il suppose que ce qu’il chante est bon. Toutefois, le Psalmiste lui-même a voulu nous donner l’intelligence de ses paroles ; car il continue, et, dans le verset suivant, il nous montre de quel jugement il a parlé : il a fait allusion, non pas au jugement de condamnation, mais à celui de discernement. Il dit effectivement : « Jugez-moi, Seigneur ». Qu’est-ce à dire : « Jugez-moi, Seigneur ? Et séparez ma cause de celle d’une nation impie ». C’est donc pour ce jugement de discrétion que « nous devons comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ ». Pour le jugement de condamnation, c’est de lui qu’il s’agit dans ce passage : « Celui qui écoule mes paroles et croit à celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle, et il ne viendra pas au jugement, mais il passe de la mort à la vie ». Que veut dire : « Il ne viendra pas au jugement ? » Il ne sera pas condamné. Prouvons, d’après les Écritures, que le mot jugement a été employé dans le sens de punition : vous le verrez tout à l’heure ; dans la suite même de la leçon qui nous occupe, ce mot n’a été employé qu’avec le sens de condamnation et de punition ▼▼N 13
. Ecrivant à ceux qui profanaient le corps que vous connaissez en qualité de fidèles, l’Apôtre dit quelque part, qu’à cause de leur sacrilège, ils étaient frappés de la main de Dieu. Voici en quels termes il s’exprime : « C’est pourquoi il y en a beaucoup parmi vous qui sont malades et languissants, et plusieurs dorment profondément ». C’est pourquoi, aussi, beaucoup d’entre eux mouraient. Il ajoute : « Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés de Dieu » ; ou, en d’autres termes : Si nous nous corrigions nous-mêmes, Dieu ne nous corrigerait pas. « Mais lorsque nous sommes jugés, c’est Dieu qui nous reprend, afin que nous ne soyons pas condamnés avec le monde dz ». Il en est donc que Dieu juge ici-bas, c’est-à-dire qu’il punit afin de les épargner dans l’autre monde : il y en a d’autres qu’il épargne dans la vie présente, pour les punir plus sévèrement dans l’avenir : d’autres, encore, éprouvent de grandes peines sans être punis néanmoins, lorsque les châtiments de Dieu n’ont pu les amener au repentir ; ils ont méprisé, sur la terre, les sévères leçons de leur Père céleste, aussi subiront-ils l’arrêt de condamnation qu’il prononcera contre eux, lorsqu’il sera leur juge. À la fin du monde, il y aura donc un jugement où Dieu, c’est-à-dire le Fils de Dieu, chassera le diable et ses anges, et, avec eux, tous les fidèles et les impies ; à ce jugement ne viendra pas celui qui croit maintenant, et qui, à cause de cela, passe de la mort à la vie. 6. Cependant, ne t’imagine pas que la foi t’empêchera de mourir corporellement ; n’interprète point d’une manière charnelle les paroles du Sauveur, et ne va pas te tenir ce langage : Le Seigneur m’a dit : « Celui qui écoute mes paroles et croit à celui qui m’a envoyé, est passé de la mort à la vie ». Donc, puisque j’ai cru, je ne mourrai pas. Sache-le bien, tu mourras ; c’est une dette que tu dois payer à cause du péché d’Adam ; car il lui a été dit : « Tu mourras de mort ea ». Voilà une condamnation que nous avons alors tous encourue : impossible de nous y soustraire, Mais quand tu auras subi la mort du vieil homme, tu seras reçu dans l’éternelle vie de l’homme nouveau, et tu passeras de la mort à la vie. Pour le moment, travaille à passer à la vie. Quelle est ta vie ? La foi. « Le juste vit de la foi eb ». En quel état se trouvent les infidèles ? Dans un état de mort. Au milieu de pareils morts se trouvait corporellement celui à qui le Sauveur disait un jour : « Laisse les morts ensevelir leurs morts ec ». Il y a donc, même en cette vie, des hommes qui sont morts, et d’autres qui sont vivants ; et tous y semblent être en possession de la vie. Qui sont les morts ? Ceux qui n’ont pas cru. Qui sont les vivants ? Ceux qui ont la foi. Quel langage l’Apôtre tient-il à ceux qui sont morts ? « Lève-toi, toi qui dors » ; il parle d’un sommeil, et non d’une mort. Écoute ce qui suit : « Lève-toi, toi qui dors, et sors d’entre les morts ». Et comme si celui-ci lui disait : Où irai-je ? Paul répond : « Et le Christ t’éclairera ed ». Au moment où Jésus-Christ t’éclairera des rayons de la foi, tu passeras de la mort à la vie n puisses-tu y rester, tu ne viendras pas au jugement. 7. Voici qu’il va lui-même nous expliquer sa pensée ; il ajoute donc : « En vérité, en vérité, je vous le dis ». Il avait dit précédemment : « Il est passé de la mort à la vie ». Nous croirions peut-être pouvoir inférer de ces paroles que le Sauveur a fait allusion à la résurrection future : mais non ; aussi veut-il nous faire comprendre en quoi consiste le passage de la mort à la vie ; il veut nous faire comprendre que passer de la mort à la vie, c’est passer de l’infidélité à la foi, de l’injustice à la justice, de l’orgueil à l’humilité, de la haine à la charité ; c’est pourquoi il continue : « En vérité, en vérité, je vous le dis : l’heure vient, et elle est déjà venue ». Y a-t-il rien de plus clair ? Il est évident qu’il nous a donné la clef de ses paroles, et que ce qu’il nous a dit se fait au moment même où il s’adresse à nous : « L’heure vient ». Quelle heure ? « Et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’entendront vivront ». Nous avons déjà parlé de cette sorte de morts. Que penser, mes frères ? Dans cette multitude qui m’entend, n’y a-t-il aucun mort ? Sans doute. Ceux-là vivent et ne sont pas morts, qui croient et agissent selon la règle de la vraie foi ; mais, par contre, ceux-là doivent être évidemment comptés parmi les morts, qui ne croient pas, ou qui croient à la manière des démons ee, parce qu’ils tremblent et vivent mal ; parce que, tout en confessant le Fils de Dieu, ils n’ont pas la charité. Et, toutefois, nous en sommes encore à cette heure ; car cette heure, dont le Christ nous a parlé, n’est pas du nombre des douze heures d’un même jour. Du moment où il a parlé jusqu’au temps où nous vivons, et jusqu’à la fin du monde, il n’y aura qu’une seule heure, et elle a maintenant cours : c’est à elle que Jean fait allusion dans ce passage de son Epître : « Mes petits enfants, voici la dernière heure ef ». C’est donc l’heure présente. Que celui qui vit, vive ; que vive aussi celui qui est mort : que celui qui gisait au nombre des morts, entende la voix du Fils de Dieu, qu’il se lève et qu’il vive. Au tombeau de Lazare, le Christ a élevé la voix, et l’homme qui s’y trouvait enseveli depuis quatre jours, est ressuscité. Il sentait mauvais, et, pourtant, il est revenu à la vie de ce monde ; il était enseveli, on avait posé sur lui une pierre : néanmoins, la voix du Sauveur a pénétré au-delà de cette pierre : et ton cœur est si dur que la voix du Christ n’a pu encore le briser ? Lève-toi dans ton cœur, sors de ton sépulcre. Car tu étais mort, tu étais étendu dans ton cœur comme dans un tombeau ; semblables à une pierre, tes mauvaises habitudes pesaient sur toi. Lève-toi et sors. Qu’est-ce à dire : « Lève-toi et sors ? Crois et confesse ta croyance, car celui qui croit, ressuscite, et celui qui confesse, sort de son sépulcre. Pourquoi disons-nous que celui qui confesse sort de son tombeau ? C’est qu’avant de confesser, il n’était pas connu, tandis que, par sa confession, il quitte les ténèbres pour se montrer nu grand jour. Une fois qu’il a confessé, qu’est-ce que Dieu dit de lui à ses ministres ? Ce qu’il avait dit près du monument funèbre de Lazare : « Déliez-le et laissez-le marcher eg ». Comment cela ? Parce que le Christ a dit à ses Apôtres : « Ce que vous délierez sur la terre sera délie dans le ciel eh ». 8. « L’heure vient et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’entendront vivront. » Qui les fera vivre ? La vie. Quelle vie ? Le Christ. Comment prouver qu’ils puiseront la vie dans le Christ ? C’est qu’il a dit lui-même : « Je suis la voie, la vérité, et la vie ei ». Veux-tu marcher ? « Je suis la voie ». Veux-tu échapper à l’erreur ? « Je suis la vérité ». Veux-tu ne pas mourir ? « Je suis la vie ». Voici ce que te dit le Sauveur : Tu ne peux aller nulle part que vers moi ; tu ne peux marcher que par moi. Cette heure a donc maintenant son cours : tout ce que j’ai dit a aussi lieu ers ce moment, et ne cesse point de se faire. Les hommes qui étaient morts, ressuscitent. à la voix du Fils de Dieu, ils passent à la vie, et, par leur persévérance à croire en lui, ils vivent de lui. Car le Fils est source de vie ; et ceux qui croient en lui viennent y puiser. 9. Mais comment possède-t-il la vie en lui-même ? De la même manière que le Père la possède. Écoute-le, voici ce qu’il te, dit : Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir en lui-même la vie ». Mes frères, je vais vous expliquer de mon mieux ces paroles : elles sont évidemment de nature à porter le trouble dans les intelligences peu développées. Pourquoi le Christ a-t-il ajouté ces mots : « En lui-même ? » Il lui aurait suffi de dire : « Comme le Père a la vie, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir la vie ». Il. a ajouté : « En lui-même ». En effet, le Père a la vie en lui-même, et le Fils aussi la possède en lui-même. Par le fait que Jésus a dit : « en lui-même », il devient évident qu’il a voulu nous insinuer quelque chose ; il est sûr aussi que ces paroles renferment un sens mystérieux et caché. Frappons, et l’on nous ouvrira. O Dieu, que nous avez-vous dit ? Pourquoi avez-vous ajouté : « En lui-même ? » L’apôtre Paul, à qui vous avez communiqué la vie, ne la possédait-il pas ? Indubitablement, il la possédait. Pareillement, les morts auxquels vous rendez la vie, et qui y passent par la foi en votre parole, ne l’auront-ils pas en vous, après ce passage ? Oui, ils l’auront, car tout à l’heure j’ai moi-même expressément dit : « Celui qui écoute mes paroles et croit à Celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle ». Ceux qui croient en vous ont donc la vie éternelle : pourtant, vous n’avez pas dit qu’ils l’ont en eux-mêmes. Mais, en parlant du Père, vous avez dit : « Comme le Père a la vie en lui-même », puis vous avez ajouté relativement à vous : « Ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir en lui-même la vie ». Comme le Père a la vie, ainsi a-t-il donné au Fils de l’avoir. Où l’a-t-il ? « En lui-même ». Où a-t-il donné au Fils de l’avoir ? « En lui-même ». Où Paul l’avait-il ? Non pas en lui-même, mais dans le Christ. Et toi, fidèle, où l’as-tu ? Non pas en toi-même, mais dans le Christ. Voyons si l’Apôtre raisonne de la même manière. « Je « vis, mais ce n’est pas moi qui vis, c’est le « Christ qui vit en moi ej ». Notre vie, en tant que nôtre, c’est-à-dire en tant que résultat de notre volonté propre, ne sera jamais qu’une vie mauvaise, pécheresse et coupable ; mais notre vie bonne nous vient de Dieu et n’a point sa source en nous-mêmes : c’est Dieu qui nous la donne, et nous sommes incapables de nous la procurer. Pour le Christ, il a la vie en lui-même, comme le Père ; car il est le Verbe de Dieu. Sa vie n’est pas tantôt bonne et tantôt mauvaise, mais l’homme vit tantôt bien et tantôt mal. Celui qui vit mal vit de sa propre vie, et si l’on vit bien, c’est qu’on est passé à la vie du Christ. Avant de participer à sa vie, tu étais étranger à ce que tu as reçu depuis, et seulement susceptible de le recevoir. Quant au Fils de Dieu, il n’y a jamais eu un seul instant où il ait été privé de la vie et où il ait dû la recevoir ensuite ; car, évidemment, s’il la recevait, il ne la posséderait pas en lui-même : Quel est, en effet, le sens du mot : « En lui-même ? » C’est qu’il était la vie même. 10. Je vais vous dire une chose peut-être encore plus claire. Quelqu’un, par exemple, allume une lampe ; si tu considères la petite flamme qui se montre à cette lampe, fuseras obligé de convenir qu’elle a la lumière en elle-même ; mais, en l’absence de la lampe, tes yeux étaient comme morts et ne voyaient rien ; mais dès qu’ils l’aperçoivent, ils ont la lumière, et, toutefois, ils ne l’ont pas en eux-mêmes. S’ils se détournent de la lampe, ils sont plongés dans les ténèbres, s’ils se tournent de son côté, ils reçoivent l’éclat de ses rayons. Tant que le feu de cette lampe existe, il brille ; mais dès que lu veux lui enlever son éclat, tu l’éteins nécessairement du même coup ; car il lui est impossible de subsister, indépendamment de cet éclat. Quant au Christ, il est une lumière inextinguible, coéternelle au Père, toujours brillante, toujours resplendissante, toujours brûlante ; car si elle ne brûlait point, le Psalmiste dirait-il : « Personne ne peut se dérober à sa chaleur ek ? « Plongé dans l’iniquité, tu es froid : si tu t’approches de lui, tu te réchauffes, mais tu te refroidis aussitôt que tu t’en éloignes. Tes péchés t’environnent d’épaisses ténèbres, tourne-toi vers lui, il t’illuminera ; en lui tournant le dos, tu retomberas dans l’obscurité. Par conséquent, tu n’es par toi-même que ténèbres : et quand tu viens à être éclairé, tu n’es nullement la lumière, bien que tu sois au sein de la lumière. Aussi l’Apôtre dit-il : « Vous étiez autrefois ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur el ». Après ces mots : « Mais maintenant vous êtes lumière », il ajoute : « dans le Seigneur ». Pourquoi, lumière ? Parce que tu es entré en participation de sa lumière. Eloigne-toi de cette lumière dont les rayons se reflètent sur ta personne, tu retombes dans ta propre obscurité. Il n’en est pas ainsi du Christ, il en est tout différemment du Verbe de Dieu. Qu’en est-il donc ? « Comme le Père a la lumière en lui-même, ainsi « a-t-il donné au Fils d’avoir aussi la lumière en lui-même ». Ainsi, il vit, non parce qu’il entre en participation de la vie d’un autre, mais parce qu’il possède la vie dès toujours, parce qu’il est, par essence, la vie même. « Ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir aussi la vie ». Comme il la possède, il a donné au Fils de la posséder. Quelle différence y a-t-il entre le Père et le Fils ? C’est que l’un donne et que l’autre reçoit. Mais le Fils existait-il au moment où il a reçu ? Supposerions-nous que le Christ ait jamais pu se trouver privé de la lumière ? N’est-il pas, en effet, cette sagesse du Père, de laquelle il a été dit : « Elle est la splendeur de la lumière éternelle em ? » Ces mots : « Il a donné au Fils », ne sont, en d’autres termes, que ceux-ci : Il a engendré le Fils, et, en l’engendrant, il lui a donné. Comme il lui a donné l’être, ainsi lui a-t-il donné d’être la vie ; et il le lui a donné de manière à ce qu’il eût la vie en lui-même. Qu’est-ce à dire, qu’il eût la vie en lui-même ? c’est-à-dire, qu’au lieu de la puiser ailleurs, il en fût lui-même la plénitude, et la communiquât à tous les croyants, tant qu’ils vivraient. « Il lui a donc donné d’avoir la vie en lui-même ». Il le lui a donné eu quelle qualité ? En tant qu’il est son Verbe, Celui qui, « au commencement était le Verbe, et le Verbe en Dieu ». 11. De plus, parce que le Verbe s’est ni homme, qu’a-t-il reçu du Père en cette qualité ? « Et il lui a donné la puissance de rendre les jugements, parce qu’il est le Fils de l’homme ». En tant qu’il est Fils de Dieu, « comme le Père a la vie en lui-même, ainsi lui a-t-il donné d’avoir en lui-même ta vie » ; en tant qu’il est Fils de l’homme, le Père « lui a donné la puissance de rendre les jugements ». Voilà pourquoi j’ai dit hier à votre charité qu’au jugement on verra l’homme, mais qu’on n’apercevra pas le Dieu, et qu’après le jugement le Dieu se manifestera aux yeux de ceux qui en seront sortis victorieux, tandis qu’Il se dérobera à la vue des impies ▼▼V. Traité précédent
. En Jésus-Christ, l’homme se montrera donc au jugement, revêtu de cette forme avec laquelle il est monté an ciel et en redescendra : telle est la raison de ces paroles prononcées par lui : « Le Père ne juge personne, mais il a donné son jugement au Fils eo ». Il exprime à nouveau cette pensée, quand il dit : « Et il lui a donné la puissance de rendre les jugements, parce qu’il est Fils de l’homme ». Mais, me diras-tu, pourquoi « le Père a-t-il donné au Fils la puissance de rendre les jugements ? » Y a-t-il eu un seul instant où le Fils n’ait point possédé le pouvoir de juger ? Comment ! « Au commencement, il était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ; toutes choses ont été faites par lui ep », et il n’aurait pas eu le pouvoir de porter les jugements ? Le motif pour lequel le Père « lui a donné le pouvoir de porter les jugements est le même que celui pour lequel il a reçu ce pouvoir ; le voici : « c’est qu’il est le Fils de l’homme » ; car, en tant qu’il est Dieu, il l’a toujours eu ; mais il l’a reçu, en tant qu’il a été attaché à la croix. Celui qui est mort se trouve maintenant au sein de la vie ; quant au Verbe rie Dieu, jamais il n’a subi les atteintes du trépas ; toujours il a été vivant. 12. Au sujet de la résurrection, quelqu’un d’entre nous disait peut-être : Voilà que nous sommes ressuscités ; celui qui écoute le Christ et croit en lui, passe de la mort à la vie et ne viendra pas au jugement : l’heure vient, et elle est déjà venue, où vit celui qui écoute la voix du Fils de Dieu : il était mort, il a entendu cette voix, il est ressuscité. Pourquoi alors parler d’une autre résurrection, qui se fera plus tard ? Patience ! Ne te hâte point de parler ton jugement, car tu tomberais avec lui. Il y a d’abord la résurrection, dont nous venons de nous entretenir, et qui s’opère au temps présent. Les hommes infidèles, les pécheurs, étaient plongés dans un état de mort ; en devenant justes, ils viennent à la vie : ils passent de la mort de l’infidélité à la vie de la foi ; mais de cela tu n’es pas en droit de conclure qu’il n’y aura pas plus tard une résurrection de la chair : tu dois le croire, il y en aura une. Écoute le Sauveur : il t’a parlé de la résurrection qui se fait par la foi. De ses paroles on aurait pu conclure qu’il n’y en aura pas d’autre : par là, on serait tombé dans l’erreur et le désespoir de ces hommes qui ont perverti les pensées d’autrui « en disant que la résurrection est déjà arrivée, et qui renversent la foi de quelques-uns eq ». À mon avis, voici ce que ces hommes leur disaient : Dès lors que le Seigneur a dit : « Et celui qui croit en moi est passé de la mort à la vie », il est sûr que la résurrection a déjà eu lieu pour les hommes fidèles que l’infidélité comptait autrefois dans ses rangs : alors, comment peut-on dire qu’il y aura une autre résurrection ? Grâces soient rendues au Seigneur notre Dieu ! Il soutient ceux qui chancellent, il dirige ceux qui hésitent, il affermit ceux qui doutent. Écoute ce qu’il dit ensuite : ses paroles ne te laisseront aucune liberté de te plonger dans les ténèbres de la mort. Si tu as la foi, qu’elle soit entière. – Que dois-je croire, me diras-tu, pour croire complètement ? – Écoute ce que dit le Christ : « Ne vous étonnez pas de cela », c’est-à-dire, de ce que le Père a donné au Fils la puissance de faire le jugement : je veux dire, le jugement final. Comment cela ? « Ne vous étonnez pas de cela, car l’heure vient ». Le Sauveur n’ajoute pas : « Et elle est déjà venue ». Quand il était question de la résurrection opérée par la foi, ne disait-il pas : « L’heure vient, et elle est déjà venue ? pour celle des corps morts, il dit : « L’heure vient », et il n’ajoute pas : « Et elle est déjà venue », parce qu’elle n’arrivera qu’à la fin du monde. 13. Quelle preuve me donneras-tu pour m’assurer que, dans la pensée du Christ, il s’agissait de la résurrection des morts ? – Voici ma réponse : Écoute patiemment, et tu te donneras à toi-même cette preuve. Continuons donc : « Ne vous étonnez pas de cela, « car l’heure vient où ceux qui sont dans les « sépulcres ». Peut-on parler plus clairement de la résurrection des morts ? Jusqu’alors il n’avait pas dit : « Ceux qui sont dans les sépulcres », mais : « Les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’entendront, vivront ». Il ne dit pas : Les unis vivront, les autres seront condamnés, parce que tous ceux qui croient vivront. Quant à ce qui est des sépulcres, comment s’exprime-t-il ? « Tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix, et ils en sortiront ». Il ne dit pas : « Ils entendront et vivront ». Car s’ils se trouvent dans les tombeaux après avoir mené une vie corrompue, ils ressusciteront pour la mort, et non pour la vie. Quels seront ceux qui sortiront des sépulcres ? Voyons-le. Tout à l’heure, parce qu’ils avaient entendu et cru, les morts revenaient à la vie ; remarque-le cependant : aucune différence n’existait entre eux ; car le Sauveur n’a pas dit : Les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et lorsqu’ils l’auront entendue, les unis vivront, et les autres seront condamnés. Voici ses paroles : « Tous ceux qui auront entendu, vivront ». Car ceux qui croient, ceux qui ont la charité, vivront, et personne ne mourra. Mais, quand il s’agit des tombeaux, il s’exprime en ces termes : « Ils entendront sa voix et ceux qui auront bienfait en sortiront pour la résurrection de la vie, et ceux qui auront mal fait, pour la résurrection du jugement ». Voilà bien le jugement, voilà bien la punition dont il a parlé tout à l’heure : « Celui qui croit en moi est passé de la mort à la vie, et il ne viendra pas au jugement ». 14. « Je ne puis rien faire de moi-même ; comme j’entends, je juge, et mon jugement est juste ». Si vous jugez comme vous entendez, qui entendez-vous ? Si c’est le Père, il est sûr que « le Père ne juge personne ; mais il a donné tout jugement au Fils ». – Vous êtes donc comme le héraut du Père ! Alors, quand dites-vous ce que vous entendez ? – Ce que j’entends, je le dis, car je suis ce qu’est le Père : mon être consiste à parler, car je suis le Verbe du Père. Voilà ce que te dit le Christ. Maintenant, interprète ses paroles. Que veut dire : « Comme j’entends, je juge ? » Ceci, évidemment : Comme je suis. Car comment le Christ entend-il ? Je vous en conjure, mes frères, cherchons. Le Christ entend son Père. Comment le Père lui parle-t-il ? Il est sûr que, s’il lui parle, il lui adresse la parole ; personne, en effet, ne peut dire quelque chose à un autre sans parler. Comment donc le Père peut-il parler au Fils, puisque le Fils est le Verbe du Père ? Tout ce que le Père nous dit, il nous le dit par son Verbe. Son Verbe n’est autre que son Fils : alors, quelle autre parole peut-il adresser à sa Parole ? Dieu est un, il a un Verbe unique, et, dans cet unique Verbe, il contient tout. Quel est donc le sens de ce passage : « Comme j’entends, je juge ? » Comme je suis du Père, je juge. Donc, « mon jugement est juste ». Si vous ne faites rien de vous-même, ô Seigneur Jésus, comme l’imaginent les hommes charnels ; si vous ne faites rien de vous-même, comment avez-vous pu dire, il n’y a qu’un instant : « Ainsi, le Fils lui-même vivifie qui il veut ? » Vous dites maintenant : Je ne fais rien de moi-même, Mais sur quoi le Fils attire-t-il principalement notre attention ? Sur ce qu’il est du Père, Celui qui est du Père, n’est pas de lui-même, Que si le Fils était de lui-même, il ne serait pas le Fils : il est du Père. Pour exister, le Père n’est pas du Fils, mais le Fils est du Père. Il est égal au Père, et, néanmoins, il est de lui, tandis que le Père n’est pas du Fils. 15. « Parce que je cherche, non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé ». Le Fils unique dit : « Je ne cherche pas ma volonté », et des hommes veulent faire la leur ! Lui, qui est égal au Père, il s’humilie si profondément, et nous voyons s’élever si haut des hommes tombés si bas, et qui ne peuvent se relever sans le secours d’une main étrangère ! Faisons donc la volonté du Père, la volonté du Fils et celle du Saint-Esprit, parce qu’une est la volonté, la puissance et la majesté de la Trinité tout entière. Cependant, le Fils dit : « Je suis venu faire, non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé » ; la raison en est que le Christ est, non pas de lui-même, mais de son Père. Et s’il a paru sous la forme d’un homme, c’est qu’il a emprunté cette forme à la créature humaine qu’il avait tirée du néant. SERMON CXXIV. GUÉRISON D’UN PARALYTIQUE er.
ANALYSE. – La santé rendue à ce paralytique devait, comme la vie humaine, durer si peu, que Notre-Seigneur, évidemment avait un dessein plus relevé en opérant ce miracle. 2 voulait nous faire entendre qu’il était venu pour nous assurer le salut éternel par le mérite de sa passion. De même en effet que les paralytiques ne pouvaient trouver la santé dans la piscine qu’au moment où l’eau en était troublée, ainsi il n’y a de salut pour le genre humain que dans les souffrances endurées par le Sauveur. 1. On vient de faire retentir à nos oreilles une leçon évangélique bien sainte ; notre attention est éveillée et nous voudrions connaître ce qu’elle signifie. De moi sans doute vous en attendez l’explication et je promets de m’y employer de toutes mes forces avec l’aide du Seigneur. Il est sûr que ces miracles ne s’opéraient pas sans de grandes raisons et qu’ils se rapportaient de quelque façon au salut éternel. Combien devait durer en effet la santé corporelle rendue à ce paralytique ? « Qu’est-ce que notre vie ? demande la sainte Écriture. C’est, répond-elle, une vapeur qui paraît pour un peu de temps, et qui ensuite sera dissipée es. » Ainsi la santé corporelle rendue à ce malade, c’est une durée telle quelle assurée à. une légère vapeur, ce qu’il ne faut pas estimer beaucoup : « la santé de l’homme est chose vaine et. » Rappelez-vous aussi, mes frères, ce témoignage prophétique, et en même temps évangélique, puisqu’il est reproduit dans l’Évangile : « Toute chair est comme l’herbe, et toute sa gloire comme la fleur de l’herbe. L’herbe a séché et sa fleur est tombée ; mais le Verbe du Seigneur demeure éternellement eu. » Et ce Verbe de Dieu couvre de gloire l’herbe même, et cette gloire n’est point passagère, c’est l’immortalité conférée à la chair. 2. Auparavant, toutefois, passeront les afflictions dont nous délivre Celui à qui nous avons dit : « Secourez-nous dans la détresse ev. » Pour qui sait comprendre, en effet, cette vie n’est-elle pas tout entière un tissu d’angoissés ? L’âme y a deux bourreaux, deux bourreaux qui la torturent non pas ensemble mais alternativement. Ces deux bourreaux se nomment la crainte et la douleur. Es-tu heureux ? Tu crains. Es-tu malheureux ? Tu es dans la douleur. Est-il un homme qui ne se laisse séduire par la prospérité et abattre par l’adversité du siècle ? Il faut donc, tant que dure cette herbe vaine, se tenir dans la voie la plus sûre, s’attacher au Verbe de Dieu. Car après ces mots : « Toute chair est comme la fleur, de l’herbe », il semble, au prophète que nous demandions : Quelle espérance peut avoir ce qui n’est que de l’herbe ? Quelle durée peut avoir une fleur ? Et il répond : Mais « le Verbe de Dieu demeure éternellement. » Et ce Verbe de Dieu, comment puis-je l’atteindre ? – « Ce Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous ew. » Il te dit lui-même : Ne dédaigne pas mes promesses, puisque je n’ai pas dédaigné de me faire herbe comme toi. Or, ce que nous a accordé le Verbe de Dieu poilu nous attacher à lui et pour ne pas nous laisser passer comme la fleur de l’herbe ; ce qu’il nous a accordé en se faisant chair, en prenant une chair sans se changer en chair, en restant ce qu’il était et en s’unissant à ce qu’il n’était pas ; ce qu’il nous a accordé est représenté aussi par la piscine dont il a été question. 3. Quelques mots seulement : cette eau figurait le peuple juif, et les cinq portiques représentaient la loi donnée par Moïse en cinq livres ; et ces cinq livres étaient un frein pour ce peuple comme les cinq portiques étaient une digue pour cette eau. Si l’eau se troublait, c’était pour désigner la passion endurée par le Seigneur au milieu des Juifs. Parmi ceux qui descendaient dans la piscine, il n’y en avait qu’un pour être guéri : symbole de l’unité. Ceux qui rejettent la passion du Sauveur sont des superbes ; ils refusent de descendre, et ils ne sont pas guéris. Quoi ! dit-on, je pourrais voir un Dieu dans la chair, un Dieu né d’une femme, un Dieu crucifié, flagellé, mort, déchiré et enseveli ? Loin de moi d’avoir de telles idées sur bien ! Elles sont indignes. – Assez d’opiniâtreté, fais parler ton cœur. Le superbe regarde l’humilité comme indigne de Dieu ; c’est ce qui éloigne la guérison de ces malheureux. Ah ! ne t’élève point ; si veux guérir, descends. Ta religion devrait s’effrayer si nous disions que le Christ incarné est devenu muable. Mais la Vérité même te crie que, considéré comme Verbe, le Christ est immuable. « Au commencement, est-il dit, était le Verbe, et le Verbe était en Dieu ; » ce n’était pas la parole qui fait du bruit et qui passe, car « le Verbe était Dieu ex. » Ainsi ton Dieu demeure immuable. O piété sincère ! ton Dieu te reste ; ne crains rien, il ne périt pas, il ne te laissera pas périr non plus, il te reste. Il naît d’une femme, mais comme homme, car comme Verbe il a créé sa propre mère : lui qui était avant de naître a donné l’être à celle de qui il a reçu la vie. Il a été enfant, mais selon la chair. Il a pris le sein et il a grandi, il s’est nourri d’aliments solides et a parcouru tous les âges jusqu’à celui d’homme fait ; mais selon la chair. Il s’est fatigué et endormi, mais selon la chair. Il a souffert de la faim et de la soif, mais selon la chair. Il a été saisi, garrotté, flagellé, couvert d’outrages, enfin attaché à la croix et mis à mort, mais selon la chair. Que crains-tu ? « Le Verbe de Dieu demeure éternellement. » Repousser cette humilité d’un Dieu, c’est ne vouloir pas guérir de l’enflure mortelle de l’orgueil. 4. C’est ainsi que dans sa chair Jésus-Christ Notre-Seigneur a rendu l’espérance à la nôtre. Il s’est assujetti à ce que nous connaissions, à ce qui était commun sur cette terre, à naître et à mourir, car la naissance et la mort y étaient le partage de tous. Mais on ne rencontrait ici ni la résurrection ni l’éternelle vie. En échange donc de choses viles et terrestres, il a apporté des richesses précieuses et célestes ; et si tu redoutes sa mort, aime sa résurrection. Dans ta détresse il est venu à ton secours ; car ton salut était sans appui. Attachons-nous donc, mes frères, et appliquons-nous à ce salut que le monde ne saurait donner et qui est éternel ; vivons ici comme des étrangers : Songeons que nous ne faisons qu’y passer, et nous pécherons moins. Au lieu de nous plaindre rendons plutôt grâces au Seigneur notre Dieu, de ce qu’il a voulu que le dernier jour de la vie fût à la fois rapproché et incertain. Qu’importait à Adam d’avoir vécu jusqu’ici, s’il était mort aujourd’hui ? Peut-on 'appeler long ce qui finit ? Nul ne peut rappeler le jour d’hier, et demain pèse sur aujourd’hui afin de le faire disparaître. Puisque nous sommes ici pour si peu de temps, appliquons-nous à bien vivre, afin d’arriver au lieu d’on nous ne sortirons plus. Maintenant même, pendant que nous parlons, nous marchons. Les paroles se précipitent et les heures s’envolent : ainsi en est il de toute notre vie, de tous nos actes, de nos honneurs, de nos adversités et de nos prospérités présentes. Tout passe ; mais ne craignons pas : « Le Verbe de Dieu demeure éternellement. » Tournons-nous vers le Seigneur, etc.SERMON CXXV. MALADE DE TRENTE-HUIT ANS ey.
ANALYSE. – Saint Augustin rappelle qu’il a déjà traité ce sujet. C’est effectivement l’objet du précédent discours. Il est probable toutefois que ce n’est pas à celui-ci que le saint Docteur fait allusion, attendu qu’on n’y trouve pas ce qu’il rappelle avoir dit. Ici en effet il explique bien plus longuement le sens figuré des circonstances qui ont accompagné la guérison du malade de trente-huit ans. – Les cinq portiques où gisaient les malades, représentent les cinq livres de la loi mosaïque, qui faisaient connaître les péchés sans pouvoir guérir les pécheurs. – L’eau dans les saints livres est le symbole du peuple, dont l’émotion s’élève si facilement et le mouvement imprimé à l’eau de la piscine représente le trouble et l’agitation du peuple juif lorsque descendit dans ses rangs l’Ange du grand conseil. On voit ici même que ce qui émut les Juifs c’est ce que le Sauveur dit du sabbat et de son égalité personnelle avec son Père. – Le malade guéri avait trente-huit ans. Le nombre quarante est le chiffre de la perfection : En jeûnant quarante jours, Moïse, Élie et le Sauveur ont voulu nous apprendre que la perfection consiste d’abord à s’abstenir de l’amour déréglé des choses du siècle. L’amour étant comme la main du cœur ne saurait tenir, saisir les biens éternels, s’il est rempli des biens temporels : Mais le malade n’avait pas quarante ans, il lui en manquait deux. C’est qu’il manque aux pécheurs dont il était la figure le double amour, tant recommandé, de Dieu et du prochain. – Ainsi donc, détachons-nous de la terre et attachons-nous à Dieu. 1. En répétant ce qui n’est nouveau ni à votre oreille ni à votre cœur, nous allons ranimer vos sentiments et réveiller des souvenirs qui nous renouvellent en quelque sorte : Ne vous fatiguez pas d’entendre encore ce que vous connaissez déjà, car ce qui vient du Seigneur est toujours plein de douceur. Il en est de l’explication des divines Écritures comme de la divine Écriture elle-même. Si bien que l’on connaisse les Écritures, on les lit pour se les rappeler ; ainsi faut-il s’en rappeler l’interprétation afin de la faire connaître à ceux qui peuvent ne l’avoir pas entendue, afin d’en faire revivre l’idée si elle est éteinte dans quelques-uns, et de mettre dans l’impossibilité de l’oublier ceux donc la mémoire est fidèle. Il nous souvient donc d’avoir entretenu déjà votre charité de ce passage de l’Évangile. Mais si nous n’avons point hésité de vous le relire, nous n’hésitons pas non plus de vous en redire l’explication. « Vous écrire les mêmes choses », dit l’Apôtre dans l’une de ses Épîtres, « n’est pas pénible pour moi, et c’est nécessaire pour vous » ez. Vous parler des mêmes choses, vous dirai-je à son exemple, ne me coûte pas et c’est pour vous une précaution sûre. 2. Les cinq portiques où gisaient les malades, désignent la Loi qui fut donnée primitivement aux Juifs et au peuple d’Israël, par le ministère de Moïse, le serviteur de Dieu. Ce fut en effet Moïse, le promulgateur de la Loi, qui en écrivit les cinq livres, figurés par les cinq portiques de la piscine. – Cependant la Loi n’était par destinée à guérir les malades ; elle devait seulement les découvrir et les faire connaître. « Si la Loi avait été donnée, dit l’Apôtre saint Paul, afin de pouvoir vivifier, « la justice viendrait vraiment de la Loi : mais l’Écriture a tout renfermé sous le péché, afin que la promesse fût accomplie par la foi en Jésus-Christ en faveur des croyants fa. » C’est donc pour ce motif que les malades gisaient sous les portiques sans y trouver leur guérison. N’est-ce pas le sens de l’Apôtre ? « Si la Loi avait été donnée afin de pouvoir vivifier ? » Ainsi ces portiques qui rappelaient la Loi, ne pouvaient guérir les malades. Pourquoi alors, me dira-t-on, Dieu a-t-il donné cette Loi ? Le même Apôtre l’explique. « L’Écriture, dit-il, a tout renfermé sous le péché, afin que la promesse fût accomplie par la foi en Jésus-Christ, en faveur des croyants. » Les malades alors se croyaient en santé. On leur donna une loi qu’ils ne pouvaient observer ; ils apprirent ainsi combien ils étaient frappés, ils implorèrent le secours du médecin, et ce désir de guérison venait en eux de ce qu’ils se sentaient malades en se sentant incapables d’accomplir la Loi qu’ils avaient reçue. L’homme auparavant se croyait innocent et cet orgueil trompeur ne faisait qu’aggraver son état. Afin donc de dompter cet orgueil et de le mettre à nu, Dieu donna sa Loi ; la Loi n’avait pas pour but de guérir le malade, mais de convaincre le superbe. Que votre charité remarque ceci avec soin : ce fut pour dévoiler et non pour enlever le mal que Dieu donna sa Loi. C’est ainsi que ces malades dont parle l’Évangile, auraient pu tenir leurs infirmités plus cachées en restant dans leurs demeures ; mais ils se montraient à tous en se tenant sous ces portiques, qui néanmoins ne les guérissaient pas.L'avantage de cette manifestation des péchés par la Loi consistait en ce que devenu plus coupable pour l’avoir violée, le pécheur sentait son orgueil abattu et pouvait implorer le secours de la miséricorde divine. Écoutez l’Apôtre : « La Loi est survenue, dit-il, afin que le péché abondât ; mais où le péché a abondé, a surabondé la grâce fb. » Que signifie : « La loi est survenue afin que le péché abondât ? » Ce qui est exprimé dans cet autre passage : « Où il n’y a point de loi, il n’y a point non plus de prévarication fc. » Avant la Loi, on pouvait appeler l’homme pécheur, mais non pas prévaricateur : tandis qu’après la Loi il est en même temps pécheur et prévaricateur ; et la prévarication s’ajoutant au péché, on conçoit comment l’iniquité a abondé. L’iniquité abondant ainsi, l’orgueil humain apprend enfin à s’abaisser, à. bénir Dieu et à lui dire : « Je suis malade ; fd » à répéter aussi ces mots d’un autre psaume qui ne conviennent qu’à un cœur humilié : « J’ai dit : Seigneur, ayez pitié de moi, guérissez mon âme car j’ai péché contre vous fe. » Parle donc ainsi, âme malade, convaincue de ton infirmité au moins par tes prévarications, éclairée et non guérie par la Loi. Écoute encore Paul lui-même : il te montrera d’un côté que la Loi est bonne, et d’autre part qu’elle ne délivre du péché que par la grâce du Christ. La Loi peut bien défendre et commander : elle ne saurait présenter le remède nécessaire pour guérir le vice intérieur qui ne permet pas à l’homme d’observer la Loi ; pour cela la grâce est nécessaire. « Je me complais dans la loi de Dieu selon l’homme intérieur », dit l’Apôtre : ce qui signifie : Je vois que ce que défend la Loi est mal, et que ce qu’elle ordonne est bien. « Je me complais donc dans la loi de Dieu selon l’homme intérieur. Mais je vois dans mes membres une autre loi qui combat la loi de mon esprit et qui me captive sous la loi du péché. » C’est le châtiment du péché, c’est la mort qui se communique, c’est la condamnation encourue par Adam qui résiste à la loi de mon esprit, et m’assujettit à la loi du péché se faisant sentir dans mes membres. Voilà un homme convaincu, c’est à la loi qu’il est redevable de cette conviction : vois, maintenant combien cette conviction lui est salutaire. « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ? La grâce de Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur ff. » 3. Remarquez le bien : ces portiques figuraient la Loi, ils mettaient le mal au grand jour, et n’y appliquaient pas le remède. Qui donc guérissait de ces malheureux ? Celui d’entre eux qui descendait dans la piscine. Et quand y descendait-il ? Lorsque l’ange l’en avertissait en mettant l’eau en mouvement. Ce lieu en effet était si saint, qu’un ange y venait remuer l’eau. Les hommes voyaient cette eau dont le mouvement les avertissait de la présence de l’ange ; et quiconque y descendait alors se trouvait guéri. Pourquoi donc notre malade ne l’était-il pas encore ? Examinons ses paroles : « Je n’ai personne pour me mettre dans la piscine lorsque l’eau est agitée ; et lorsque j’y vais un autre y descend. » Mais ne saurais-tu donc y descendre quand avant toi un autre y est descendu ? Son langage indique qu’il n’y avait qu’un seul malade pour guérir, lorsque l’eau était en mouvement. Quiconque y descendait le premier était seul guéri, et quelque fût celui qui y serait descendu ensuite, il ne recouvrait pas alors la santé, mais il attendait que l’eau fût agitée de nouveau. Que signifie ce mystère ? Cette circonstance n’est pas ici sans raison profonde. Que votre charité redouble d’attention. Dans l’Apocalypse, les eaux figurent les peuples. En effet, Jean ayant vu de grandes eaux, demanda ce qu’elles signifiaient, et il lui fut répondu que ces eaux étaient des peuples fg. L’eau de la piscine désignait donc le peuple juif ; ce peuple était contenu par l’autorité des cinq livres de Moïse, comme cette eau était contenue dans l’enceinte des cinq portiques. À quel moment se troubla cette eau ? Au moment où le trouble se mit parmi les Juifs. Et quand se mit-il parmi eux, sinon à l’époque où y vint Jésus-Christ Notre-Seigneur ? Quel trouble au moment de la passion ! Quelle émotion parmi les Juifs quand le Sauveur endura les derniers supplices ! Ce trouble ne se remarque-t-il pas déjà dans ce qu’on vient de lire ? Les Juifs en effet voulaient mettre le Seigneur à mort, non – seulement parce qu’il faisait des miracles aux jours de sabbat, mais encore parce qu’il se disait Fils de Dieu en s’établissant l’égal de Dieu. Jésus effectivement prenait ce titre de Fils de Dieu autrement qu’il n’est accordé aux hommes dans ces mots : « J’ai dit : Vous êtes des dieux ; vous êtes tous les Fils du Très-Haut. fh. » Car s’il ne se disait Fils de Dieu que dans le sens qui permet de donner ce nom à un homme quel qu’il soit quand il a la grâce, les Juifs n’entreraient point en fureur. Mais ils comprenaient que Jésus se disait Fils de Dieu autrement, dans le sens de ces paroles : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu fi ; » dans le sens aussi de ce texte de l’Apôtre : « Il avait la nature de Dieu, et il n’a point cru usurper en se faisant l’égal de Dieu fj ; » et voyant en lui un homme, ils s’irritaient de ce qu’il osait revendiquer cette égalité avec Dieu. Mais Jésus se savait l’égal de Dieu par un côté qui ne tombait point sous les yeux des Juifs. Ceux-ci voulaient crucifier ce qu’ils voyaient en lui ; ce qu’ils n’y voyaient pas les jugeait. Que voyaient-ils ? Ce que voyaient aussi les Apôtres quand Philippe lui dit : « Montrez-nous votre Père, et cela nous suffit. » Et que ne voyaient-ils pas ? Ce que ne voyaient pas les Apôtres eux-mêmes quand le Seigneur répondit : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas ! Qui me voit, voit aussi mon Père fk. » Dans l’impuissance donc de le voir de cette sorte, les Juifs le considéraient comme un orgueilleux et un impie qui osait se faire l’égal de Dieu.C'était l’eau qui se troublait ; l’Ange y était descendu. Aussi bien le Seigneur est-il nommé « l’Ange du grand conseil fl », car il est venu annoncer la volonté de son Père. Ange signifie celui qui annonce ; et le Seigneur n’a-t-il pas dit qu’il nous annonçait le royaume des cieux ? Cet Ange du grand conseil, ou plutôt ce Seigneur de tous les Anges était donc descendu ; car s’il est appelé Ange pour s’être incarné ; il est le Seigneur des anges, puisque « tout a été fait par « lui et que sans lui rien ne l’a été fm. » Tout, et par conséquent les anges, mais non pas lui, car c’est par lui qu’a été fait tout ce qui l’est. Orrien de ce qui a été fait ne l’ayant été sans lui, Celle qui était réservée à devenir sa mèren'a pu naître sans être créée par Celui qui plus tard devait naître d’elle-même. 4. Les Juifs donc se troublent. Qu’est-ce que cette conduite, disent-ils ? Pourquoi fait-il ces choses les jours de sabbat ? Ce qui les émeut par-dessus tout, ce sont ces paroles du Seigneur lui-même : « Mon Père travaille sans cesse, et moi je travaille avec lui. » Ce qui les scandalisait, c’est qu’ils comprenaient dans un sens tout charnel le repos que Dieu prit le septième jour après avoir achevé toutes ses œuvres fn. Il est parlé de ce repos dans la Genèse ; c’est un passage aussi magnifiquement écrit que profondément pensé. Mais les Juifs s’imaginaient que si Dieu s’était reposé le septième jour, c’est qu’il s’était fatigué en travaillant, et que s’il avait béni ce jour, c’est qu’il s’y était remis de sa lassitude : insensés ! ils ne comprenaient pas qu’ayant tout fait d’un mot il n’avait pu se fatiguer. Qu’ils lisent, et qu’ils m’expliquent comment Dieu pouvait se fatiguer en disant : « Qu’il soit fait. » – « Et il était fait : » Parmi les hommes eux-mêmes, qui se fatiguerait aujourd’hui en agissant comme Dieu agissait alors ? « Il dit : Que la lumière soit, et la lumière fut. » – « Soit le firmament, et le firmament fut formé fo. » Dira-t-on qu’il s’est fatigué parce qu’il a commandé sans être obéi ? L’Écriture répond ailleurs plus brièvement encore : « Il dit, et tout fat fait ; il commanda, et tout fut créé fp. » Agir ainsi, est-ce se fatiguer ? Si néanmoins Dieu ne se fatigue pas, comment prend-il du repos ? C’est que ce repos que prend le Seigneur après avoir terminé tous ses ouvrages, est la figure du repos que nous goûterons dans le repos de Dieu ; car le fidèle sera comme en un jour de sabbat, lorsqu’auront passé les six âges du monde. Ces six âges en effet sont comme six jours. Le premier jour s’étend depuis Adam jusqu’à Noé ; le second, du déluge à Abraham ; le troisième, d’Abraham à David ; le quatrième, de David à la transmigration de Babylone ; le cinquième, de la transmigration de Babylone à l’avènement du Messie. Nous sommes au sixième jour, c’est-à-dire au sixième âge. Donc, puisqu’au sixième jour l’homme a été créé à l’image de Dieu, rétablissons en nous cette image fq. Dieu nous a formés, à nous de nous réformer ; il nous a créés, créons-nous de nouveau. Et après ce jour, après l’âge que nous traversons maintenant, viendra le repos promis aux saints et figuré dès le commencement. Ainsi Dieu, après avoir produit toutes ses créatures ne fit plus rien de nouveau dans le monde, où ses œuvres ne font que se succéder et se transformer, sans qu’aucune espèce nouvelle se soit établie depuis la création. Toutefois, si le monde n’était régi par son auteur, il retomberait dans le néant, Dieu peut-il se refuser à conduire ce qu’il a créé ? Mais comme il n’a rien établi de nouveau, on dit pour ce motif qu’il s’est reposé de tous ses travaux ; et comme il ne cesse de gouverner ce qu’il a fait, le Seigneur a dit avec raison : « Mon Père agit sans cesse. » Que votre charité remarque bien ceci. Quand on répète que Dieu s’est reposé après avoir fini, on veut faire entendre qu’il n’a rien ajouté à ce qu’il a fait d’abord : et quand on dit qu’il ne cesse pas d’agir, on entend qu’il gouverne tout. Gouvernement aussi peu laborieux que l’était peu la création. Gardez-vous de croire en effet, mes frères, que si Dieu ne se fatiguait en créant, il se fatigue en gouvernant comme se fatiguent et ceux qui construisent et ceux qui conduisent un navire. Ils sont des hommes ; mais autant il a été facile à Dieu de tout créer par sa parole, autant il lui est aisé de gouverner tout par l’autorité de son jugement et par son Verbe. 5. Si le désordre se révèle dans les choses humaines, n’en concluons pas qu’elles manquent de direction. Chacun est à sa place, quoique chacun n’y croie pas être. Occupe-toi seulement de ce que tu veux être ; car le divin Ouvrier saura te placer en conséquence. Considère ce peintre voici devant lui diverses couleurs ; ne sait-il pas où placer chacune ? Et si le pécheur prend le noir pour lui, l’Artiste est-il embarrassé ? Que ne fait-il pas avec le noir ? A combien d’ornements ne l’emploie-t-il pas ? Il en fait les cheveux, la barbe, les sourcils ; mais pour le front il lui faut du blanc. Vois donc ce que tu veux devenir, et ne t’inquiète pas de savoir où te placera Celui qui ne se trompe jamais ; il le sait, lui. N’est-ce pas ce que nous apprennent aussi les lois de ce monde ? Un tel a voulu se rendre voleur avec effraction ; la loi de l’empire sait qu’elle a été outragée par lui, elle sait aussi ce qu’elle en fera, et elle le met parfaitement à sa place. Le coupable a mal fait, mais la loi qui le punit ne fait pas plat ; elle le condamne aux mines, et à combien d’œuvres ne l’emploiera-t-elle pas ? Son châtiment servira aux décorations de la ville. Dieu sait également où te placer. Ne t’imagine point qu’en voulant faire le mal tu troubles les desseins de Dieu. Quoi Celui qui a su te créer, ne saura te placer ? Ton avantage est de faire des efforts afin d’obtenir d’être en bon lieu. Qu’est-il dit de Juda par l’Apôtre Pierre ? « Il est allé en son lieu fr. » Ainsi l’a ordonné la divine providence pour le punir d’avoir voulu opiniâtrement faire le mal, sans que Dieu lui-même l’ait rendu mauvais. Ce malheureux a voulu être pécheur, il a fait comme il a voulu, mais il a souffert ce qu’il ne voulait pas. Son crime est d’avoir fait ce qu’il voulait ; la gloire de Dieu est de lui avoir fait souffrir ce qu’il ne voulait pas. 6. Pourquoi ces réflexions ? Afin de vous faire comprendre, mes frères, combien Jésus-Christ Notre-Seigneur avait raison de dire : « Mon Père agit sans cesse », puisqu’il ne délaisse pas la créature sortie de ses mains. En ajoutant : « Et moi j’agis comme lui », il indique qu’il est l’égal de Dieu. « Mon Père agit sans cesse, et moi j’agis avec lui. » Ainsi est combattue l’idée charnelle que les Juifs se faisaient du sabbat. Ils s’imaginaient donc que Dieu s’était reposé de ses fatigues pour ne plus rien faire. Mais à ces mots : « Mon Père agit sans cesse », ils se troublent ; et à ceux-ci qui montrent le Sauveur égal à Dieu « Et moi j’agis avec lui », ils se troublent encore. Ah ! ne craignez point. C’est l’eau qui se trouble, c’est un malade qui doit être guéri. Qu’est-ce à dire ? Le trouble où ils entrent conduira le Seigneur à la mort. Le Seigneur souffre en effet son sang, précieux est répandu, le pécheur est racheté et la grâce accordée au coupable qui s’écrie. « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ? C’est la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre Seigneur fs. » Et quel traitement lui fait-on suivre ? On l’oblige à descendre. Cette piscine était en effet construite de manière qu’il fallait y descendre au lieu d’y monter. Pourquoi avait-elle cette forme ? Parce que la passion du Sauveur exige l’humilité. Humble, descends, et si tu veux être guéri, garde-toi de l’orgueil. Pourquoi aussi n’y avait-il qu’un malade pour guérir ? Parce qu’il n’y a qu’une seule Église dans tout l’univers, c’est une recommandation en faveur de l’unité ; cette guérison accordée à un seul en est le symbole. Vois donc ici l’unité, et pour ne rester pas malade, garde-toi de t’en écarter. 7. Pourquoi maintenant ce malade avait-il trente-huit ans ? Je sais ; mes frères, que j’en ai déjà dit la raison ; mais si on oublie en lisant le texte, que ne fait-on pas lorsqu’on ne l’entend lire que rarement ? Que votre charité fasse donc encore un peu d’attention. Le nombre quarante figure la perfection de la justice. En effet, comme nous vivons ici au milieu des travaux, dans la détresse, dans la contrainte, dans le jeune, parmi les veilles et les afflictions, l’exercice de la justice consiste à supporter le poids de la vie, et à jeûner en quelque sorte en renonçant au siècle, à se priver, non pas des aliments corporels, ce que nous ne faisons que rarement, mais de l’amour du monde. Ainsi on accomplit la loi quand on renonce au siècle. Comment d’ailleurs aimer ce qui est éternel, si on ne cesse d’aimer ce qui est temporel ? Considérez l’amour naturel : n’est-il pas comme la main du cœur ? Si cette main tient un objet, elle ne saurait en tenir un autre, et pour recevoir ce qu’on lui donne, il faut qu’elle laisse ce qu’elle tient. Eh bien ! entendez-moi, je parle clairement. Celui qui aime le siècle ne saurait aimer Dieu, car il a la main pleine. Prends ce que je te donne, dit le Seigneur. Mais il ne veut pas jeter ce qu’il avait à la main ; et il ne saurait recevoir ce qu’on lui offre. Ai-je dit : Que personne ne possède rien ? Si on le peut, si la perfection de la justice l’exige ainsi, qu’on renonce à tout. Mais si on n’en est point capable, si l’on en est empêché, par quelque obstacle insurmontable, qu’on possède, mais sans se laisser posséder, qu’on retienne, mais sans être retenu : qu’on reste le maître et non l’esclave de son bien, conformément à cette recommandation de l’Apôtre : « D’ailleurs, mes frères, le temps est court ; il faut même que ceux qui ont des femmes soient comme n’en ayant pas ; et ceux qui achètent, comme ne possédant pas ; et ceux qui se réjouissent, comme ne se réjouissant pas ; et ceux qui pleurent, comme ne pleurant pas ; et ceux qui usent de ce monde, comme n’en usant pas ; car elle passe, la figure de ce monde, et je voudrais que vous fussiez exempts de soucis ft. » Que signifie cet avertissement : Prends garde d’aimer ce que tu possèdes en cette vie ? Que ta main n’y soit pas liée, puisque c’est par elle que tu dois te saisir de Dieu ; que ton amour n’y soit point attaché, puisque c’est par lui que tu peux t’élancer vers Dieu et t’unir à ton Créateur. 8. Mais Dieu sait, répliques-tu, que je ne me rends point coupable en possédant ce que j’ai. La tentation le montrera : On te conteste ta propriété, et tu blasphèmes ! Nous avons été soumis, il y a peu de temps, à de semblables épreuves. Donc on te conteste ta propriété, et – tu né te montres plus le même qu’auparavant ! tu ne parles même plus comme tu parlais la veille ! Encore si tu te contentais de défendre même avec bruit ce qui t’appartient, sans faire effort pour usurper audacieusement le bien d’autrui, et ce qui est pire, sans recourir, pour échapper aux poursuites, au moyen de revendiquer comme ton bien ce qui n’est pas à toi. Est-il nécessaire d’en dire davantage ? Ce sont, mes frères, ce sont des avis et des avis maternels, que je vous donne. Dieu me le commande ; et je vous les transmets ; car ils me sont donnés comme à vous. La parole de Dieu m’effraie, elle ne me permet pas de garder le silence. Dieu réclame ce qu’il m’a donné ; il me l’a donné pour le distribuer, et si je le cachais pour le conserver, il me dirait bientôt : « Mauvais et paresseux serviteur, pourquoi n’as-tu pas donné mon argent au banquier ? En venant aujourd’hui je le redemanderais avec les intérêts fu. » Et que me servira de n’avoir rien perdu de ce qui m’a été confié ? Ce n’est pas assez pour mon Maître, car il est avare mais avare pour notre salut. Oui, il est avare, partout il recherche ses deniers, il rassemble ce qui porte son image. « Tu devais, dit-il ; donner cet argent aux banquiers, et en venant aujourd’hui je le redemanderais avec les intérêts. » Quand même d’ailleurs, j’oublierais de vous prévenir, les épreuves et les calamités que nous subissons ne seraient-elles pas pour vous un avertissement ? Mais vous entendez la parole de Dieu. Que le Seigneur en soit béni, lui et sa gloire. Je vous vois réunis et suspendus aux lèvres de celui qui nous la dispense au nom du ciel. Ne faites pas attention à l’organe extérieur qui vous la distribue ; les affamés ne s’occupent-ils pas plutôt de la bonté des aliments que du peu de valeur du vase où ils leur sont présentés ? Dieu vous éprouve, et réunis ici, vous entendez sa parole. Mais l’épreuve même fera connaître quelles sont vos dispositions ; il vous surviendra des affaires qui montreront ce que vous êtes. Tel outrage Dieu bruyamment aujourd’hui, qui l’écoutait hier avec plaisir. Pour ce motif donc, mes frères, je vous avertis d’avance, je vous dis et je vous répète que le moment de l’examen viendra. « Le Seigneur, dit l’Écriture, examinera le juste et l’impie. » Ne venez-vous pas de chanter, n’avons-nous pas chanté ensemble : « Le Seigneur examine le juste et l’impie ? » Qu’est-il dit ensuite : « Mais celui qui aime l’iniquité hait son âme fv ? » Ailleurs encore nous lisons : « L’impie sera interrogé sur ses pensées fw. » Ainsi Dieu n’interroge pas comme je t’interroge. J’interroge ta parole, et Dieu interroge ta pensée. 2 sait avec quelles dispositions tu m’écoutes, il sait également avec quelle rigueur il réclamera ce qu’il m’oblige de distribuer. Il veuf que je distribue, mais il se réserve de faire rendre compte. À nous d’avertir, d’enseigner, de rependre mais non pas de sauver et de couronner, ni de condamner ni de jeter dans les tourments. C’est le juge qui livrera le coupable au bourreau, et celui-ci le jettera en prison. « En vérité, je te le déclare, tu n’en sortiras pas que tu n’aies payé jusqu’au dernier quart d’un as fx. » 9. Revenons à notre sujet. La perfection de la justice est figurée parle nombre quarante. Qu’est-ce qu’accomplir ce nombre ? C’est s’abstenir de l’amour du siècle ; et s’abstenir des choses temporelles pour éviter de les aimer d’une manière dangereuse, c’est en quelque sorte jeûner. Aussi le Seigneur, Moïse et Élie ont jeûné quarante jours fy. Si le Seigneur a donné à ses serviteurs de pouvoir jeûner quarante jours, ne pouvait-il en jeûner lui-même quatre-vingts et même cent ? Pourquoi n’a-t-il pas voulu jeûner plus longtemps qu’eux, sinon parce que le nombre quarante est la figure mystérieuse du jeune dont nous parlons, du renoncement au siècle ? En quoi consiste ce renoncement ? Dans ce que dit l’Apôtre : « Le monde est pour moi un crucifié et je suis un crucifié pour le monde fz. » Ainsi se réalise en lui la signification du nombre quarante. Mais enfin que prétend le Seigneur ? Moïse et Élie ayant jeune autant que le Christ, la loi et les prophètes publient le même enseignement que l’Évangile, et l’on ne doit pas voir dans celui-ci le contraire de ce que renferment les prophètes et la loi. Toutes les Écritures en effet ne recommandent que de renoncer à l’amour du siècle, afin de faire prendre à notre amour son essor vers Dieu. Cette espèce de jeûne est figurée dans la loi par le jeune de Moïse durant quarante jours ; dans les prophètes, par le jeûne d’Élie, durant quarante jours également ; dans l’Évangile, par le jeune du Seigneur, aussi de quarante jours. Ceci explique encore pourquoi le Seigneur apparut sur la montagne, ayant à ses côtés Moïse et Élie. C’est que la loi et les prophètes rendent témoignage à l’Évangile ga. Examinons maintenant comment le nombre quarante exprime la perfection de la justice. On lit dans un psaume. « Je vous chanterai, Seigneur, un cantique nouveau ; je vous célébrerai sur le psaltérion à dix cordes gb. » Ce psaltérion rappelle les dix préceptes de la loi que le Seigneur n’est pas venu abroger, mais perfectionner. De plus cette Loi étant répandue partout a comme quatre points d’appui, l’Orient et l’Occident, le midi et l’aquilon, comme parle l’Écriture. De là vient que ce vase mystérieux, où étaient en images toutes les espèces d’animaux, et qui fut montré à Pierre en même temps qu’une voix disait : « Tue et mange ; gc » afin de faire connaître que tous les peuples devaient croire et être incorporés à l’Église, comme ce que nous mangeons devient partie de nos organes ; descendait du haut du ciel soutenu par quatre cordes représentant les quatre parties du monde et marquait ainsi la future conversion de l’univers entier. C’est ainsi que le nombre quarante exprime le renoncement au siècle. Ce renoncement comprend la plénitude qui consiste elle-même dans la charité. De là vient encore que nous jeûnons durant quarante jours avant Pâques. Ce jeune est la figure de cette vie pénible où il nous faut accomplir la loi au milieu des travaux, des afflictions et des privations de tout genre. Après Pâques, au contraire, c’est-à-dire après la résurrection du Seigneur, c’est une époque qui représenté notre propre résurrection. Cette époque comprend cinquante jours, parce qu’en ajoutant à quarante le denier ou les dix as de la récompense, on obtient la somme de cinquante. Pourquoi dire le denier de la récompense ? Mais n’avez-vous pas lu que les ouvriers appelés à la vigne, soit à la première, soit à la sixième, soit à la dernière heure, n’ont pu recevoir qu’un denier gd ? Lors donc que notre justice aura reçu sa récompense, nous serons au nombre cinquante. Nous n’aurons plus qu’à louer Dieu. Aussi chanterons-nous alors l’Alléluia, Alleluia ou louange à Dieu. Mais aujourd’hui, durant cette vie fragile et mortelle, durant cette quarantaine, gémissons dans la prière comme avant la résurrection, afin de louer Dieu plus tard. C’est maintenant l’époque des désirs, ce sera alors le temps des embrassements et des jouissances. Ne manquons pas à notre devoir pendant la quarantaine, afin de goûter le bonheur durant la cinquantaine. 10. Mais qui peut accomplir la loi sans avoir la charité ? Interroge l’Apôtre : « La charité, dit-il, est la plénitude de la loi ge. » – « Car toute la loi est renfermée dans une seule parole, dans la suivante : Tu aimeras ton prochain comme toi-même gf. » Et ce précepte de la charité est double. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, et de toute ton âme, et de tout ton esprit. Voilà le grand précepte. En voici un autre qui lui ressemble : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Ainsi parle le Seigneur dans l’Évangile, et il ajoute : « À ces deux commandements se rattachent toute la loi et les prophètes gg. » Sans cette double charité on ne saurait accomplir la loi, et en ne l’accomplissant pas on est malade. Voilà pourquoi il manquait deux ans à ce malade qui l’était depuis trente-huit. Qu’est-ce à dire, il lui manquait deux ans ? C’est-à-dire qu’il n’accomplissait pas ces deux préceptes. Et que sert d’observer les autres si on n’observe pas ceux-ci ? Tu en accomplis trente-huit ? Sans ces deux points de récompense pour toi. Ces deux que tu violes sont ceux qui mènent au salut et sans lesquels les autres n’ont aucun mérite. « Quand je parlerai les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, je suis comme un airain sonnant ou une cymbale retentissante. Et quand je connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand j’aurais toute la foi, au point de transporter les montagnes, si je n’ai point la charité, je ne suis rien. Et quand je distribuerais tout mon bien, et que je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai point la charité, cela ne me sert de rien gh. » Ainsi parle l’Apôtre, et tout ce qu’il énumère ici peut être considéré comme les trente-huit ans ; mais parce que la charité y fait défaut, ce n’en est pas moins un état de maladie. Qui en délivrera, sinon Celui qui est venu donner la charité ? « Voici de ma part, a-t-il dit, un commandement nouveau ; c’est que vous vous aimiez les uns les autres gi. » Or, c’est parce qu’il est venu établir le règne de la charité, et parce que la charité perfectionne la loi, qu’il a pu dire : « Je ne suis pas venu pour abroger, mais pour achever la loi gj. » Après avoir guéri notre malade, il lui dit d’emporter son grabat et d’aller chez lui. Il en dit autant au paralytique, après l’avoir rendu à la santé gk. Mais qu’est-ce qu’emporter son grabat ? N’est-ce pas rejeter les voluptés charnelles où nous gisons malades comme dans un lit ? Or quand on est guéri, on maîtrise et on dompte sa chair, au lieu d’être maîtrisé par elle. Toi donc qui es en bonne santé, surmonte la fragilité de la chair, accomplis le jeûne de quarante jours en renonçant au siècle, tu atteindras ainsi la quarantaine avec cet heureux malade, guéri par celui qui n’est pas venu abroger, mais achever la loi. 11. Après avoir entendu ces réflexions ; élevez vos cœurs vers Dieu. Né vous faites pas illusion. Examinez-vous quand le monde vous sourit, examinez alors si vous ne l’aimez pas, et apprenez à le quitter avant qu’il vous quitte. Qu’est-ce que le quitter ? C’est ne l’aimer pas véritablement. Pendant que tu tiens encore ce qu’il te faudra quitter ou pendant la vie ou au moment de la mort, car tu ne saurais le garder toujours, détaches-en ton cœur, sois prêt à tout ce que te demandera la volonté divine, tiens-toi comme suspendu à Dieu, tiens-toi uni à Celui que tu ne saurais perdre malgré toi, et s’il t’arrive d’être dépouillé de ces choses temporelles, tu pourras dire : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté ; comme il a plu au Seigneur, il a été fait : Que le nom du Seigneur soit béni gl. » S’il arrive au contraire, si Dieu veut que tu conserves ces biens, jusqu’à la fin de ta vie, une fois sorti des liens de ce monde, tu recevras le denier de la cinquantaine, tu parviendras au parfait bonheur. Et tu ne cesseras de chanter le céleste Alleluia Ne perdez pas de vue ce que je viens de vous rappeler et que ce souvenir vous empêche d’aimer le siècle. Cette amitié est funeste, trompeuse et provoque l’inimitié de Dieu. Il suffit, hélas ! d’une tentation à l’homme pour offenser Dieu et pour devenir son ennemi, ou plutôt pour montrer qu’il l’était. Car il l’était, quand il le louait et croyait l’aimer, mais c’était à son insu et à l’insu d’autrui. Une tentation est survenue, touchez le pouls, vous constatez la fièvre. Ainsi, mes frères, l’amitié et l’affection du monde nous rendent ennemis de Dieu. De plus, ce monde ne donne jamais ce qu’il a promis, c’est un menteur et un trompeur. Est-ce pour ce motif qu’on ne cesse d’espérer en lui ? Mais qui obtint jamais tout ce qu’il en attend ? Et quoi que l’on ait obtenu, bientôt on le méprise, pour commencer à désirer avec ardeur, à espérer d’autres choses. Celles-ci encore ne sont pas plus tôt arrivées qu’on les dédaigne encore. Attache-toi donc à Dieu : jamais il ne perd rien de ses charmes, parce que sa beauté est sans égale. Si les biens du monde se flétrissent si vite, c’est qu’ils n’ont rien de stable, c’est qu’ils ne sont pas Dieu, c’est qu’il ne te faut rien moins, ô âme humaine, que Celui qui t’a créée à son image. Aussi fut-il dit avec raison : « Seigneur, montrez-nous votre Père, et cela nous suffit gm. » Là seulement se trouve la sécurité et avec elle un rassasiement en quelque sorte insatiable. Ce rassasiement en effet ne fera dire jamais : c’est assez ; jamais non plus rien ne manquera dont on puisse ressentir le besoin.SERMON CXXVIII. LE COMBAT SPIRITUEL gn.
ANALYSE. – Quoique le témoignage que se rendait Jésus-Christ fût indubitablement vrai, il en appelait néanmoins au témoignage que lui avait rendu saint Jean, et c’était pour confondre les Juifs. Mais saint Jean, comme les martyrs, ne confessait Jésus-Christ que parce qu’il était animé de son Esprit, et c’est ce même Esprit qui doit nous aider dans la lutte que nous avons à soutenir contre nos convoitises. Pouvons-nous espérer de ne les ressentir pas ? Non. Mais nous pouvons avec le Saint-Esprit ne pas nous y soumettre, ne pas y consentir. Nous pouvons même, si elles nous ont donné la mort, recouvrer la vie comme l’ont recouvrée les trois morts dont il est parlé spécialement dans l’Évangile. 1. Nous venons d’entendre quelques paroles du saint Évangile, et ce qui pourrait surprendre, c’est cette affirmation du Seigneur Jésus : « Si je rends témoignage de moi-même, mon témoignage n’est pas vrai. » Comment pourrait n’être pas vrai le témoignage de la Vérité même ? N’est-ce pas en effet le Sauveur qui a dit « Je suis la voie, la vérité et la vie go ? » Et à qui faut-il s’en rapporter, s’il faut ne pas croire à la vérité ? Il est évident que ne pas chercher à s’en rapporter à elle, c’est ne vouloir se fier qu’au mensonge. Mais en parlant ainsi le Christ entrait dans la pensée de ses interlocuteurs et le sens de ses paroles est celui-ci : « Si je rends témoignage de moi-même, mon témoignage n’est pas vrai », dites-vous. Il savait sans doute combien était fondé le témoignage qu’il se rendait ; mais pour éclairer ces hommes malades et incrédules qui ne le comprenaient pas, le Soleil recourait à un flambeau. Leurs yeux souillés ne pouvaient soutenir l’éclat du Soleil même. 2. Aussi en appela-t-il à Jean pour rendre témoignage à la vérité, et vous avez vu en quels termes : « Vous êtes allés vers Jean. C’était un flambeau ardent et luisant, et vous avez voulu vous réjouir un moment à sa lumière. » Ce flambeau était destiné à les couvrir de confusion et c’est ce qui était, depuis bien longtemps, prédit dans les Psaumes : « J’ai préparé un flambeau à mon Christ. » Quoi ! un flambeau pour le Soleil ? « Je couvrirai ses ennemis de confusion, tandis qu’éclatera sur lui la gloire de ma sainteté gp. » Aussi Jean lui-même servit-il à les humilier quand ils dirent au Seigneur : « En vertu de quel pouvoir fais-tu cela ? » apprends-le-nous. « Et vous, repartit le Seigneur, apprenez-moi à votre tour si le Baptême de Jean venait du ciel ou des hommes ? » Mais ils se turent, car ils se dirent aussitôt en eux-mêmes : « Si nous répondons qu’il vient des hommes, le peuple nous lapidera, car on tient Jean pour un prophète, Et si nous répondons qu’il vient du ciel, lui nous demandera : Pourquoi donc n’y avez-vous pas cru ? » Jean en effet avait rendu témoignage au Christ. Pressés intérieurement par ces questions et pris dans leurs propres pièges, ils répondirent : « Nous n’en savons rien. » Quel autre cri pouvait s’échapper de ces ténèbres ? Il faut, quand on ignore, répondre : Je ne sais pas ; mais quand on sait et qu’on dit : Je l’ignore, on dépose contre soi-même. Ces Juifs connaissaient sûrement et la grandeur de Jean et l’origine céleste de son baptême ; mais ils ne voulaient pas s’abandonner à Celui à qui Jean avait rendu témoignage. Aussi, dès qu’ils eurent répondu : « Nous n’en savons rien », Jésus ajouta : « Je ne vous dirai pas non plus en vertu de quelle autorité je fais cela gq. » Ainsi furent-ils confondus conformément à cette prédiction : « J’ai préparé un flambeau à mon Christ ; je couvrirai ses ennemis de confusion. » 3. Les martyrs aussi ne sont-ils pas les témoins de Jésus-Christ et ne rendent-ils pas témoignage à la vérité ? Mais si nous examinons avec soin, nous verrons que quand ils rendent témoignage au Messie, c’est lui encore qui se rend témoignage, car il est dans ses martyrs pour les animer à déposer en faveur de la vérité. Écoute l’un d’entre eux, c’est l’Apôtre Paul : « Voulez-vous donc, dit-il, éprouver Celui qui parle en moi, le Christ gr ? » Ainsi donc, lorsque Jean rend témoignage au Christ, c’est le Christ, habitant en lui, qui se rend témoignage ; et peu importe celui qui parle en son honneur, que ce soin Pierre, que ce soit Paul, que ce soit les autres Apôtres ou Étienne, c’est toujours lui qui se rend témoignage, puisqu’il habite en eux tous. Il est Dieu sans eux ; mais eux, que sont-ils sans lui ! 4. Il est dit de lui : « Il est monté au ciel, il arendu la captivité captive, il a répandu ses dons sur les hommes gs. » Que signifie : « Il a rendu la captivité captive ? » Il a vaincu la mort. Le diable lui a donné la mort, et par la mort du Christ le diable est devenu son captif. « Il est monté au ciel. » Connaissons-nous rien de plus élevé que le ciel ? Eh bien ! il y est monté visiblement et sous les yeux de ses disciples gt. Nous le savons, nous le croyons, nous le confessons. « Il a répandu ses dons sur les hommes. » Quels sont ces dons ? L’Esprit-Saint. Quand il fait un tel don, que n’est-il pas lui-même ? Combien donc est généreuse la miséricorde de Dieu ! Il donne son égal, puisque le Don qu’il fait n’est rien moins que l’Esprit-Saint, et que le Père, le Fils et le Saint Esprit, ou la Trinité, ne forment qu’un seul Dieu. À son tour que nous a donné le Saint-Esprit ! Écoute l’Apôtre : « La divine charité, dit-il, a été répandue dans nos cœurs. » Comment donc, ô mendiant, la charité divine a-t-elle été répandue dans ton cœur ? Comment cette charité peut-elle inonder le cœur humain ? « Nous portons ce trésor dans des vases d’argile », dit encore le même Apôtre. Pourquoi « dans des vases d’argile ! « Afin de faire éclater la vertu de Dieu gu. » Et après avoir dit : « La divine charité a été répandue dans nos cœurs ; » il ajoute immédiatement, pour empêcher chacun de s’attribuer lebonheur d’aimer Dieu : « Par l’Esprit-Saint qui nous a été donné gv. » Ainsi, pour aimer Dieu, il faut que Dieu même demeure en toi et qu’il s’aime par toi, en d’autres termes, il faut qu’il t’excite à l’aimer, qu’il t’embrase, qu’il t’éclaire, qu’il t’anime. 5. Car il y a lutte dans notre corps même ; notre vie entière est un combat et le combat un danger ; aussi nous ne pouvons vaincre que par la grâce de Celui qui nous aime gw. N’a-t-il pas été question de ce combat dans la lecture de l’Apôtre, qu’on vient de vous faire ? « Toute la loi, dit-il, est comprise dans cette seule parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Or cet amour vient du Saint-Esprit.« Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Vois d’abord si tu sais t’aimer toi-même ; je te recommanderai ensuite d’aimer ton prochain comme tu t’aimes. Mais si tu ne sais t’aimer, ne duperas-tu pas ton prochain comme tu te dupes ? En aimant le péché tu ne t’aimes pas ; un psaume l’atteste : « Aimer l’iniquité, y est-il dit, c’est haïr son âme ? gx » Si tu hais ton âme, à quoi te sert d’aimer ton corps ? Sans doute, avec cette haine de ton âme et cet amour de ton corps, ton corps ressuscitera, mais il ressuscitera pour le châtiment de ton âme. C’est donc l’âme qu’il faut aimer d’abord et soumettre à Dieu, afin que tout soit réglé dans la subordination, que l’âme obéisse à Dieu et que le corps obéisse à l’âme. Veux-tu que ton corps soit soumis à ton âme ? Que l’âme en toi se soumette à Dieu. Pour gouverner, tu as besoin d’être gouverné ; car la lutte est terrible, et sans une haute direction, la défaite est certaine. 6. En quoi consiste cette lutte ? « Si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde que vous ne vous consumiez les uns les autres. Or je dis : Marchez selon l’Esprit. » Ce sont les paroles de l’Apôtre, qu’on vient de lire dans son Épître. « Or je dis : Marchez selon l’Esprit et n’accomplissez pas les désirs de la chair. – Or je dis : Marchez selon l’Esprit, et n’accomplissez pas les désirs de la chair ; » l’Apôtre ne dit pas : N’ayez point, ne ressentez point ces désirs, mais : « Ne les accomplissez point. » Que veut-il faire entendre ? Je l’exprimerai le mieux qu’il me sera possible, avec l’aide du Seigneur ; appliquez-vous à comprendre, si vous marchez selon l’Esprit.« Je dis donc : Marchez selon l’Esprit, et vous « n’accomplirez pas les désirs de la chair. » Poursuivons, car il est possible que nous rencontrions plus loin des mots qui jettent de la lumière sur ce qui est obscur ici. Ce n’est pas sans raison, ai-je observé, que l’Apôtre n’a pas voulu dire : N’ayez, ni : Ne ressentez, mais : « N’accomplissez point les désirs de la chair. » C’est en effet en cela que consiste la lutte qu’il nous faut soutenir, le combat où nous nous exerçons, si nous faisons partie de la milice de Dieu. Que rencontrons-nous donc plus loin ? « Car la chair convoite contre l’esprit, et l’esprit contre la chair. Ils sont effectivement opposés l’un à l’autre, de sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez. » Si on ne comprend pas bien ces paroles, elles sont très-dangereuses à entendre. C’est dans la crainte qu’on ne se perde en les comprenant mal, que j’ai entrepris, avec le secours du ciel, de les expliquer à votre charité. Du reste nous avons du temps, nous avons commencé matin et l’heure du repas ne nous presse point ; d’ailleurs encore, c’est aujourd’hui, samedi, que nous voyons principalement ceux qui sont affamés de la divine parole. Écoutez donc attentivement, je m’exprimerai aussi exactement que possible. 7. Pourquoi cette observation que je viens de faire : Ces paroles sont dangereuses à entendre si on ne les comprend pas bien ? C’est que beaucoup, vaincus par les damnables passions de la chair, se laissent aller à toutes sortes de crimes et d’infamies et se roulent dans d’exécrables impuretés qu’on serait honteux de nommer, en se répétant ce qu’a dit l’Apôtre. Considère, se disent-ils, comment s’exprime l’Apôtre : « De sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez. » Je ne veux pas faire le mal, je suis forcé, violenté, vaincu, je fais ce que je ne veux pas, comme dit l’Apôtre gy ; « car là chair convoite « contre l’esprit et l’esprit contre la chair, de sorte « que vous ne faites par ce que voulez. » Vous voyez combien ces paroles sont dangereuses à entendre, si on ne les comprend pas bien. Vous voyez combien un pasteur est obligé de découvrir les fontaines couvertes et d’étancher la soif de ses brebis avec une eau pure et inoffensive. 8. Ne te laisse donc pas vaincre en combattant. Voyez à quelle lutte, à quelle mêlée nous sommes appelés, elle est à l’intérieur même, au dedans de chacun de nous. « La chair convoite contre l’esprit. » — Si l’esprit à son tour ne convoite pas contre la chair, voilà l’adultère commis. Mais si l’esprit convoite contre la chair, c’est la lutte, c’est le combat, ce n’est pas la défaite. Quand la chair convoite contre l’esprit », c’est qu’on est porté à l’impureté, on y est porté parla délectation. Quand de son côté « l’esprit, convoite contre la chair », c’est que la chasteté fait aussi sentir ses charmes. Ah ! que l’esprit triomphé alors de la chair, ou qu’au moins il ne se laisse pas dompter par elle.L'impureté cherche les ténèbres ; la pureté se produit au grand jour. Vis comme tu aimes à être connu ; oui, même loin du regard des hommes ; ne fais que ce que tu veux qu’ils sachent, car celui qui t’a créé, te voit même dans l’obscurité. Pourquoi ces éloges publics décernés à la chasteté, tandis que les adultères eux-mêmes ne louent pas l’adultère ? C’est que celui qui accomplit la vérité vient à la lumière gz. Mais on se sent attiré au plaisir honteux ; qu’on ne consente pas, qu’on résiste, qu’on repousse. N’en as-tu pas le moyen, puisque ton Dieu même est en toi, puisque tu as reçu l’Esprit qui est la source de tout bien ? Il est vrai que malgré sa présence la chair ne laisse pas que de convoiter contre l’esprit en lui insinuant des pensées perverses et en lui faisant sentir des attraits trop naturels. Qu’on suive alors la recommandation de l’Apôtre : « que le péché, dit-il, ne règne pas dans votre corps mortel ha. » Il ne dit pas : Que le péché ne soit pas ; car il y est et on donne à ce désordre le nom de péché parce qu’on le doit au péché. Dans le paradis, la chair ne convoitait pas contre l’esprit, il n’y avait pas de combat, mais une paix sans trouble ; c’est seulement après la transgression, après que l’homme eut refusé d’obéir à Dieu et fut abandonné à lui-même, sans toutefois pouvoir être son maître, puisqu’il fut asservi à celui qui l’avait séduit, que la chair commença à convoiter contre l’esprit. C’est surtout dans les bons que se fait sentir cette convoitise ; elle est sans objet dans les méchants, attendu que sans l’Esprit, il ne saurait y avoir convoitise contre l’Esprit. 9. Ne t’imagine pas en effet que dans ces mots « La chair convoite contre l’Esprit, et l’Esprit contre la chair », il s’agisse uniquement de l’esprit de l’homme. C’est l’Esprit de Dieu qui combat en toi, contre ce qu’il y a en toi d’opposé à toi-même. Tu n’as point voulu rester attaché au Seigneur ; tu es tombé, tu t’es brisé comme un vase qui s’échappe de ta main et qui vole en éclats. Et c’est parce que tu t’es brisé, que tu es ainsi ennemi de toi-même, opposé à toi-même. Détruis cette opposition et tu te répareras. Pour te faire connaître que cette réparation doit être l’œuvre de l’Esprit-Saint, le même Apôtre dit ailleurs : « Si vous vivez selon la chair, vous mourrez ; mais si vous mortifiez par l’Esprit les œuvres de la chair, vous vivrez. » Aces mots l’homme s’élève déjà, il se croit capable de mortifier par son propre esprit les œuvres de la chair. « Si vous vivez selon la chair, vous mourrez ; mais si vous mortifiez par l’Esprit les œuvres de la chair, vous vivrez. » Faites-nous donc connaître, ô Apôtre, de quel esprit il est ici question. Chacun en effet a un esprit naturel qui le caractérise, et c’est cet esprit qui fait l’homme, car l’homme est composé d’un corps et d’un esprit. C’est de cet esprit qu’il est dit : « Nul ne sait ce qui est dans l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui hb. » Ainsi l’homme a un esprit qui fait partie de sa nature, et c’est vous néanmoins qui dites : « Si vous mortifiez par l’Esprit les œuvres de la « chair, vous vivrez. » Quel est cet esprit ? Est-ce mon esprit ou l’Esprit de Dieu ? Je vous écoute et je n’en reste pas moins en suspens. Que dis-je ? Le mot esprit ne s’applique pas seulement à l’homme, il se dit aussi des animaux dans l’Écriture même ; on y lit que le déluge fit périr toute chair ayant en elle l’esprit de vie hc. Il est donc bien vrai que cette expression est pour les animaux aussi bien que pour l’homme. Quelquefois aussi le vent est désigné sous ce même nom d’esprit. Ainsi on lit : dans un psaume : « Feu, grêle, neige, glace, esprit des tempêtes hd. » Le mot d’esprit ayant donc tant d’acceptions différentes, dans quel sens, ô Apôtre, avez-vous dit que l’esprit doit mortifier les œuvres de la chair ? S’agit-il ici de mon esprit ou de l’Esprit de Dieu ? Écoute ce qui sait et tu comprendras, car l’Apôtre ajoute des paroles qui tranchent la question. Après ces mots : « Si vous mortifiez par l’Esprit les œuvres de la chair, vous vivrez ; » il écrit immédiatement : « Car ceux qui sont animés par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu he. » Pour agir tu as besoin d’être animé, et tu agis bien si tu es animé d’un bon esprit. Si donc tu ne comprenais pas de quel esprit il était question dans ces mots : « En mortifiant par l’Esprit les œuvres de la chair, vous vivrez ; » vois ton Maître, reconnais ton Rédempteur dans les paroles qui suivent. C’est ton Rédempteur effectivement qui t’a donné son Esprit, afin que par lui tu mortifies les œuvres de la chair.« Car tous ceux qui sont, animés de l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu. » Ils ne sont pas fils de Dieu, s’ils ne sont animés de son Esprit. Mais s’ils sont animés de son Esprit, ils combattent, parce qu’ils ont un puissant auxiliaire. Ah ! Dieu ne se contente pas de les contempler, comme le peuple contemple les gladiateurs. Le peuple peut sans doute applaudir un gladiateur, il ne saurait le tirer du danger. 10. Tel est donc le sens qu’on doit donner encore à ces paroles : « La chair convoite contre l’Esprit, et l’Esprit contre la chair. » Mais que signifient celles-ci : « De sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez ? » C’est ici qu’il y a du danger à comprendre mal et qu’un interprète, quel qu’il soit, doit s’efforcer de remplir son devoir.« De sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez. » Cloutez, ô saints combattants, car je m’adresse aux lutteurs. Ceux qui luttent me comprennent : je ne suis pas compris de ceux qui ne luttent pas. Que dis-je ? ceux qui luttent ne se contentent pas de saisir ma pensée, ils la devancent : Que voudrait un homme chaste ? Qu’il ne s’élevât dans ses membres absolument aucune impression contraire à la chasteté. Il voudrait la paix ; mais il ne l’a pas encore. Pour ne plus ressentir absolument aucune impression mauvaise, il faut arriver à l’heureux séjour où nous n’avons plus d’ennemi à combattre, ni de victoire à espérer, puisqu’on y triomphe de l’ennemi vaincu. Apprends de l’Apôtre même en quoi consistera la victoire : « Il faut que ce corps corruptible revête l’incorruptibilité, et que ce corps martel revête l’immortalité. Et quand ce corps corruptible aura revêtu l’incorruptibilité, et que ce corps mortel aura revêtu l’immortalité, alors sera accomplie cette parole de l’Écriture : « La mort a été abîmée dans sa victoire. » Écoute encore les chants de triomphe : « O mort, où sont tes armes ? O mort, où est ton aiguillon hf ? » Tu nous as frappés, tu nous as blessés ; tu nous as abattus ; mais mon Créateur même s’est laissé blesser pour moi. O mort, ô mort, oui, mon Créateur même s’est laissé blesser pour moi, et par sa mort il t’a vaincue ; et maintenant nous ne cesserons de répéter en triomphant : « O mort, où sont tes armes ? O mort, où est ton aiguillon ? » 11. Mais aujourd’hui, que la chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair, la mort lutte et nous ne faisons pas ce que nous voulons. Pourquoi ? Parce que nous voudrions ne ressentir aucun mouvement de concupiscence, et nous ne saurions y parvenir. Bon gré, mal gré, ces mouvements sont en nous ; bon gré, mal gré, ils s’éveillent, ils flattent, ils s’étendent, ils cherchent à dominer. On les comprime mais on ne les éteint pas, tant que « la chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair. » Se feront-ils sentir encore après la mort ? À Dieu ne plaise ! Puisque tu te dépouilles alors de la chair, comment pourrais-tu en conserver les convoitises ? Combats bien et tu jouiras du repos, d’un repos qui sera ta couronne et non ta condamnation ; car tu parviendras aussi à régner. Voilà, mes frères, voilà ce qu’il en est durant la vie présente. Nous-mêmes, qui avons blanchi dans ces combats, nous sentons contre nous des ennemis moins puissants, nous les sentons toutefois. On dirait que l’âge même les a fatigués ; mais tout fatigués qu’ils soient, ils ne cessent de troubler comme ils peuvent le repos de notre vieillesse. La guerre est plus ardente pour les jeunes gens ; nous la connaissons, nous y avons passé.C'est donc ainsi que « la chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair ; de sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez. » Que voulez-vous en effet, ô saints, ô généreux combattants, ô vaillants guerriers du Christ ? Que voulez-vous ? N’éprouver absolument aucune convoitise déréglée. Hélas ! vous ne le pouvez. Faites donc la guerre et espérez la victoire ; nous sommes aux temps des combats. « La chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair ; de sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez ; » et qu’il y a encore en vous des convoitises charnelles. 12. Mais faites tout ce que vous pouvez ; faites ce que recommande l’Apôtre dans cet autre passage que j’avais commencé de rappeler « Que le péché ne règne pas dans votre corps mortel, pour vous faire obéir à ses convoitises. » Je ne le veux pas ; des désirs coupables s’élèveront, mais n’y cède pas. Arme-toi, prends en mais les engins de guerre. Les commandements divins seront tes armes. Si tu m’écoutes comme il convient, tu t’appuieras même sur ce que je dis. « Que le péché le règne pas dans votre corps mortel. » En effet, tant que vous êtes chargés de cette, chair mortelle, le péché lutte contre vous ; mais « qu’il ne règne pas. » – « Qu’il ne règne pas », qu’est-ce à dire ? « Qu’il ne vous fasse pas céder à ses penchants coupables. » Commencez-vous à y céder ? Il règne. Et qu’est-ce qu’y céder, sinon « faire servir vos « membres au péché, comme des instruments d’iniquité hg ? » Est-il rien de plus clair que ce langage ? Pourquoi demander encore que je l’explique ? Fais ce que tu viens d’entendre. Ne consacre pas tes membres au péché, comme des instruments d’iniquité. Dieu t’a donné, par son Esprit, le pouvoir de réprimer tes sens. La passion s’élève-t-elle ? Retiens tes sens ; que lui servira alors de s’être élevée ? Retiens tes sens ; garde-toi de faire servir tes membres au péché, comme des instruments d’iniquité ; n’arme pas ton ennemi contre toi. Retiens tes pieds, pour qu’ils ne courent pas au mal ; et si la convoitise se fait sentir, retiens tes sens ; éloigne tes mains de toute action mauvaise, tes yeux de tout mauvais regard, tes oreilles de toute attention volontaire aux paroles impures ; règle enfin tout ton corps, tous tes sens, les sens plus nobles comme ceux qui le sont moins. Que fait la passion ? Elle peut attaquer, elle ne saurait vaincre ; et à force d’attaquer sans résultat, elle apprend à rester calme. 13. Un retour sur les paroles de l’Apôtre où nous avons vu de l’obscurité, et nous constaterons maintenant combien elles sont claires. J’avais fait remarquer que l’Apôtre n’a pas dit Marchez selon l’Esprit et vous n’aurez point de convoitises charnelles, car il est nécessaire que nous en ayons. Pourquoi encore n’a-t-il pas dit Ne les ressentez point ? C’est que nous les ressentons. Les ressentir, c’est les produire ; mais comme s’exprime le même Apôtre : « Ce n’est pas moi qui fais cela, c’est le péché qui demeure en moi hh. » Que dois-tu donc éviter ? Assurément d’exécuter les désirs coupables. Une passion déréglée s’élève en toi, elle s’élève, elle te parle ; ne l’écoute pas. Elle s’enflamme, loin de s’éteindre, et tu voudrais qu’elle ne s’enflammât point. Oublies-tu ces mots – « De sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez ? » Refuse-lui tout concours, qu’elle brûle sans trouver d’aliments, elle s’éteindra. En toi donc se font sentir les convoitises, n’en disconviens pas. Aussi l’Apôtre a-t-il dit : « N’accomplissez pas leurs désirs. » Ne les accomplis pas ; c’est les accomplir, par exemple, que d’être déterminé à commettre un adultère, quand on ne s’abstient que pour n’en avoir pas trouvé l’occasion, le moment favorable, que pour avoir rencontré un obstacle dans la chasteté de la personne qu’on avait en vue. Cette personne alors reste chaste, et toi, tu es coupable d’adultère. Pourquoi ? Parce que tu as accompli tes désirs mauvais. Comment les as-tu accomplis ? En consentant dans ton âme à commettre l’adultère. Alors donc, mais que le ciel t’épargne ce malheur ! sans avoir fait l’acte même tues tombé sous les coups de la mort. 14. C’est dans la maison même que le Christ ressuscita la fille défunte d’un Chef de synagogue hi. Cette fille était encore dans la maison de son père, on ne l’avait pas enlevée encore. Tel est l’homme qui a consenti dans son cœur à commettre le crime ; il est mort, mais il n’est pas emporté. Le pécheur est-il allé jusqu’à faire servir aux crimes les membres de son corps ? il est sorti de sa demeure. Mais le Seigneur n’a-t-il pas ressuscité aussi le jeune fils de la veuve, au moment où on l’emportait en dehors des portes de la ville ? J’ose donc dire : Si après avoir pris dans ton cœur une résolution funeste, tu te repens de ce que tu viens de faire, tu es guéri avant de commettre l’acte même. Oui, si tu fais pénitence pour avoir consenti à une action mauvaise, et criminelle, ignominieuse et inexcusable, tu ressuscites intérieurement comme intérieurement tu étais mort. N’es-tu pas allé jusqu’à consommer le crime ? On t’emporte loin de ta demeure ; mais aussi tu as quelqu’un pour te dire : « Jeune homme, je te le commande, lève-toi hj. » Oui, lors même que le crime serait commis, repens-toi, reviens au plus vite sur, tes pas, ne descends pas dans le tombeau. Cependant, ici encore je trouve une troisième, espèce de mort, un mort qui a été conduit jusqu’au tombeau. Déjà pèse sur lui le poids de la coutume, il est accablé sous un monceau de terre ; car il s’est livré longtemps aux désordres et il est enchaîné par des habitudes tyranniques. À lui encore s’adresse le Christ, il crie : « Lazare, viens dehors. » Avec ses habitudes perverses cet homme exhale déjà une odeur infecte. Aussi Jésus crie-t-il, il crie même d’une voix forte hk. Et à ce cri puissant ces pécheurs, quoique morts, quoiqu’ensevelis, quoique sentant déjà mauvais, ressusciteront aussi. Ils ressusciteront ; de quel mort faut-il désespérer avec un tel Rédempteur ? Tournons-nous, etc.
Copyright information for
FreAug