‏ John 6

VINGT-QUATRIÈME TRAITÉ.

DEPUIS L’ENDROIT OÙ IL EST DIT : « APRÈS CELA, JÉSUS S’EN ALLA AU-DELÀ DE LA MER DE GALILÉE, QUI EST LA MER DE TIBÉRIADE », JUSQU’À CET AUTRE : « CELUI-CI EST VÉRITABLEMENT LE PROPHÈTE QUI DOIT VENIR EN CE MONDE ». (Chap 6, 14.)

LA MULTIPLICATION DES PAINS.

Les miracles procèdent du même pouvoir divin que toutes les œuvres quotidiennes du Très-Haut, mais ils nous étonnent davantage parce qu’ils sont plus rares, et ils reportent plus efficacement nos pensées vers lui : ils sont d’ailleurs un livre où nous apprenons à connaître leur auteur. En présence d’une multitude affamée, Jésus demande à Philippe comment on pourra la nourrir. « Il y a là », dit André, « cinq pains d’orge et deux poissons ; mais qu’est-ce que cela pour tant de monde ? » Les cinq pains représentaient les cinq livres de Moïse, les deux poissons figuraient le sacerdoce et la royauté, tous deux symboles du Christ, prêtre et roi ; leur multiplication signifiait la lumière jetée par l’Évangile sur la loi mosaïque ; les cinq mille personnes rassasiées étaient l’emblème du peuple soumis à cette loi ; l’herbe était l’image du sens charnel qu’il y attachait ; les restes de ce repas signifiaient les vérités que la foule ne peut comprendre et doit croire ; enfin, le miracle lui-même donnait la preuve que le Christ était un Prophète et le maître des Prophètes.

1. Les miracles opérés par Notre-Seigneur Jésus-Christ sont des œuvres divines destinées à donner à l’âme humaine la connaissance de Dieu par le spectacle d’événements qui frappent les sens. Dieu est, en effet, de telle nature, que nos yeux ne peuvent le contempler : d’ailleurs, les prodiges qu’il ne cesse de faire en gouvernant le monde entier, et en prenant soin de toutes les créatures, frappent moins en raison de leur continuité : de là, il arrive qu’on daigne à peine remarquer l’étonnante et admirable puissance que le Très-Haut manifeste dans toutes ses divines opérations, et jusque dans la multiplication des plus petites graines : aussi, n’écoutant que son infinie miséricorde, s’est-il réservé d’opérer en temps opportun certaines merveilles qui sortiraient du cours ordinaire et de l’ordre de la nature : accoutumés à contempler les miracles quotidiens de la Providence, et à n’en tenir, pour ainsi dire, aucun compte, les hommes s’étonneront de voir des prodiges, non pas plus grands, mais moins ordinaires. En effet, gouverner l’univers est chose bien autrement merveilleuse que rassasier cinq mille hommes avec cinq pains. Et pourtant, personne ne prête attention à l’un, tandis que tous admirent l’autre : cette différence d’appréciation vient de ce que le second fait est, sinon plus admirable, du moins plus rare. Car celui qui nourrit maintenant tout le monde, n’est-il pas le même qui donne à quelques grains la vertu de produire nos récoltes ? Dieu a donc agi de la même manière : c’est la même puissance qui transforme, tous les jours, en riches moissons, quelques grains de blé, et qui a multiplié cinq pains entre ses mains. Cette puissance se trouvait à la disposition du Christ : pour les pains, ils étaient comme une semence, et cette semence, au lieu d’être jetée en terre, a été directement multipliée par Celui qui a créé la terre. Le Seigneur a frappé nos sens par ce prodige, afin d’élever vers lui nos pensées ; il a étalé sous nos yeux le spectacle de sa puissance, afin d’exciter nos âmes à la réflexion ; il voulait que ses œuvres visibles nous fissent admirer leur invisible Auteur ; ainsi élevés jusqu’à la hauteur de la foi, et purifiés par elle, nous désirerons le voir encore des yeux de notre âme, après avoir appris à le connaître, quoiqu’il soit invisible, par le spectacle présenté aux yeux de notre corps.

2. Ce n’est pas là, toutefois, le seul point de vue sous lequel nous devions envisager les miracles du Christ : il nous faut encore les étudier en eux-mêmes, et faire bien attention à ce qu’ils nous disent du Christ. Car si nous en comprenons toute l’importance, ils ont un langage à eux : dès lors, en effet, que le Christ est le Verbe de Dieu, son action même est pour nous une véritable parole. Puisque ce miracle, dont nous avons entendu le récit, nous paraît si grand, cherchons à en saisir l’étonnante signification : ne nous arrêtons pas à sa surface : essayons d’en mesurer la profondeur, car le prodige extérieur que nous admirons a une signification cachée et mystérieuse. Nous avons vu un grand prodige : nous avons eu sous les yeux une œuvre admirable, divine, qui n’a pu sortir que des mains du Tout-Puissant ; en présence de cette œuvre, nous en avons louangé l’Auteur. Si nous apercevions, quelque part, une belle Écriture, nous ne nous bornerions pas à louer le talent de l’écrivain, qui aurait tracé des lettres si belles, à tel point égales, et pareilles les unes aux autres ; nous les lirions aussi pour en connaître le sens. Ainsi doit-il en être de cet événement, qui nous apparaît si merveilleux : si nous n’en considérons que les grandioses apparences, nous trouvons déjà, à le contempler, un véritable plaisir. Mais si nous venons à en saisir la portée, il est pour nous comme un livre que nous comprenons. Entre la peinture et l’Écriture, il y a une grande différence. En présence d’un tableau, quand tu as admiré et loué le talent du peintre, c’est fini ; mais en face d’une page écrite, tu ne t’arrêtes pas à l’examiner et à donner des louanges, tu dois aussi la lire. Si tu vois des lettres, et que tu ne puisses les lire, ne dis-tu pas : Qu’est-ce qui peut être écrit là ? Puisque tu vois quelque chose, tu cherches à savoir ce que c’est, et la personne que tu interroges pour connaître ce que tu as aperçu, te montre ce que tu n’y avais pas vu. Cette personne a-t-elle des yeux d’une certaine nature ? En as-tu d’une nature différente ? Ne voyez-vous pas, l’un comme l’autre, les signes de l’alphabet ? Pardon ; mais la connaissance que vous en avez n’est pas la même. Tu vois donc, et tu admires : l’autre voit, admire, lit et comprend. Donc, puisque nous avons vu et admiré, lisons et comprenons.

3. Le Seigneur est sur la montagne : disons plutôt que le Seigneur sur la montagne, c’est le Verbe dans sa grandeur : par conséquent, ce qui s’est fait sur la montagne n’est point de nature à rester dans une sorte de dédaigneux oubli : loin de passer en y jetant à peine un fugitif regard, nous devons nous y arrêter et y porter attentivement les yeux. Le Seigneur vit la foule, reconnut qu’elle avait faim, et fournit miséricordieusement à ses besoins, non seulement en raison de sa bonté, mais encore en vertu de sa puissance. Car de quoi aurait servi sa bonté ? Dès lors qu’il n’y avait pas de pain, où aurait-il trouvé de quoi nourrir une foule affamée ? Si à sa bonté ne s’ajoutait sa puissance, cette foule resterait à jeun et continuerait à souffrir de la faim, Enfin, les disciples, qui accompagnaient le Sauveur et souffraient eux-mêmes de la faim, voulaient, comme lui, pourvoir à la nourriture de toute cette multitude, afin de ne la point laisser à jeun ; mais les moyens de le faire leur manquaient. Le Seigneur leur demanda où ils achèteraient des pains pour nourrir tout ce peuple. « Or », dit l’Écriture, « il parlait ainsi pour l’éprouver » : (il est question du disciple Philippe, que le Sauveur interrogeait) ; « car il savait ce qu’il avait à faire ». Dans quel but faisait-il cette question à son disciple, sinon pour donner la preuve de son ignorance ? Peut-être a-t-il voulu aussi nous indiquer autre chose, en nous montrant cette disposition d’esprit de Philippe. Nous en acquerrons la certitude, lorsqu’il nous parlera du mystère représenté par les cinq pains, et qu’il nous en donnera le sens ; car nous comprendrons alors pourquoi le Sauveur a voulu en cette circonstance manifester au grand jour l’ignorance de son disciple, et en faire ressortir la preuve, en le questionnant sur un sujet qu’il connaissait parfaitement. Parfois, la volonté de nous instruire à l’école des autres nous porte à les interroger sur ce que nous ignorons ; parfois encore nous demandons aux autres ce que nous savons, dans le désir d’apprendre s’ils connaissent ce sur quoi nous les questionnons. Sous ce double rapport, le Seigneur était parfaitement instruit d’abord, ce qu’il demandait, il le savait, puisqu’il savait ce qu’il ferait ; ensuite, il n’ignorait pas davantage que Philippe n’en savait rien. S’il le questionnait, c’était donc afin de donner la preuve de son ignorance. Et maintenant, pourquoi a-t-il voulu donner cette preuve ? Je l’ai dit : nous le comprendrons plus tard.

4. « André lui dit : Il se trouve ici un enfant, qui a cinq pains et deux poissons ; mais qu’est-ce que cela pour une si grande multitude ? » En réponse à la question du Sauveur, Philippe avait fait cette remarque, que deux cents deniers ne suffiraient pas pour rassasier cette immense multitude ; un enfant se trouvait là, en ce moment même : il avait cinq pains d’orge, et deux poissons. « Jésus dit donc : Faites-les asseoir ; il y avait beaucoup d’herbe en ce lieu-là, et tous s’assirent au nombre d’environ cinq mille. Or, Jésus prit les pains, il rendit grâces », et, d’après ses ordres, les pains furent rompus et placés devant les convives. Ce n’étaient plus seulement les cinq pains : c’était encore ce qu’y avait ajouté le Créateur du surplus. « Il fit de même des poissons, et leur en distribua autant qu’il en fut besoin ». Non seulement cette multitude fut rassasiée, il y eut encore des restes ; il les fit donc recueillir, afin qu’ils ne fussent point perdus, et « ses disciples remplirent douze corbeilles avec ces morceaux de pain ».

5. Allons vite. Par les cinq pains on entend les cinq livres de Moïse : c’est, à vrai dire, de l’orge, et non du blé ; car ils appartiennent à l’Ancien Testament. Vous le savez : l’orge est conformée de telle manière, qu’on parvient difficilement à y trouver la farine ; car elle est renfermée dans une enveloppe de paille épaisse et résistante ; on ne l’en fait sortir qu’avec peine. Ainsi en est-il de la lettre de l’Ancien Testament, car elle est enveloppée dans les ombres de figures charnelles ; si on parvient jusqu’à son sens caché, elle nourrit et rassasie l’âme. Un enfant portait ces cinq pains et deux poissons. Si nous voulons savoir quel était cet enfant, nous verrons peut-être qu’il représentait la nation juive ; car elle portait les livres de Moïse avec le peu de réflexion d’un entant, et ne s’en nourrissait pas ; en effet, ces livres dont elle était chargée, accablaient de leur poids celui qui n’y voyait qu’une lettre close ; ils nourrissaient, au contraire, ceux qui en pénétraient le sens. Pour les deux poissons, ils étaient, ce nous semble, la figure de ces deux personnages distingués entre tous, qui, dans l’Ancien Testament, recevaient l’onction sainte pour exercer ensuite, au milieu du peuple, les fonctions du sacerdoce et de la royauté, pour offrir le sacrifice et gouverner. Il est venu mystérieusement, un jour, dans le monde, Celui que préfiguraient ces deux personnages, Celui que représentait la farine d’orge et que la paille d’orge cachait de son enveloppe, Il est venu, réunissant en lui seul la double dignité de grand prêtre et de roi : de grand prêtre, car il s’est offert lui-même à Dieu pour nous comme une victime ; de roi, puisqu’il nous gouverne ; et ainsi brise-t-il les sceaux du livre fermé que portait le peuple d’Israël. Et le Sauveur donna l’ordre de rompre les pains, et, à ce moment-là même, ils se multiplièrent. Rien de plus vrai. En effet, que de livres on a écrits pour expliquer les cinq livres de Moïse ! En les rompant, en quelque sorte, c’est-à-dire en en exposant le sens, n’a-t-on pas travaillé à une multiplication de livres ? L’ignorance du peuple juif, quant au sens de la loi, se trouvait comme protégée par une sorte de paille d’orge ; car, en parlant de ce peuple, l’Apôtre a dit : « Jusqu’à ce jour, lorsqu’ils lisent Moïse, ils ont un voile sur le cœur a ». Ce voile n’était pas encore enlevé, parce que le Christ n’était pas encore venu ; il n’avait pas encore été attaché à la croix, et n’avait, par conséquent, pas non plus déchiré le voile du temple. Ce peuple ignorait donc le sens de la loi : voilà pourquoi le Sauveur interrogea son disciple et manifesta son ignorance.

6. Rien ici n’est inutile ; tout a un sens, mais il faut des lecteurs qui le comprennent. En effet, le nombre lui-même des personnes nourries par Notre-Seigneur représentait le peuple soumis à la loi. Car, pourquoi se trouvaient-elles au nombre de cinq mille, sinon parce qu’elles étaient les sujets de la loi, qui se compose des cinq livres de Moïse ? Aussi, les paralytiques étaient-ils déposés aux cinq portiques du temple, sans y être néanmoins guéris ; mais celui qui, ici, pourvut avec cinq pains à la subsistance d’une multitude, rendit la santé à un paralytique sous l’un de ces portiques b. La foule était assise sur l’herbe ; le peuple juif jugeait de tout dans un sens charnel ; il n’avait que des espérances charnelles, car toute chair n’est que de l’herbe c. Qu’étaient-ce encore que tous ces restes, sinon ce que le peuple n’avait pu manger ? Sous cet emblème on voit les vérités transcendantes auxquelles ne peut atteindre l’intelligence de la multitude. Pour ces vérités, d’un ordre supérieur aux lumières de la foule, que reste-t-il à faire, quand on ne peut les saisir, sinon de croire ceux qui, à l’instar des Apôtres, peuvent les comprendre et en instruire les autres ? C’est avec ces restes qu’on a remplis douze corbeilles. Prodige admirable en raison de sa grandeur ! Prodige d’une évidente utilité, puisqu’il a été opéré pour le bien des âmes ! Ceux qui en furent les témoins se sentirent saisis d’admiration ; pour nous, nous n’éprouvons aucun étonnement à en écouter le récit. Le Sauveur l’a opéré devant ces cinq mille hommes pour les rendre témoins du fait ; l’Évangéliste en a écrit l’histoire, pour nous l’apprendre. La foi doit nous faire voir ce qu’ils ont eux-mêmes contemplé, car nous apercevons des yeux de l’âme ce que nous n’avons pu apercevoir des yeux du corps ; et, sous ce rapport, nous sommes autrement privilégiés que cette multitude ; car à nous s’appliquent ces paroles de Jésus-Christ : « Bienheureux ceux qui ne voient pas et qui croient d ». À cet avantage s’en ajoute peut-être encore un autre : c’est que nous avons saisi le sens caché de cet événement qui a échappé à cette foule de peuple ; et ainsi nous avons été nous-mêmes rassasiés, puisque nous avons pu réussir à trouver la farine, malgré l’épaisseur de la paille.

7. Enfin, que pensèrent de ce prodige les hommes qui en furent témoins ? « Or », dit l’Évangéliste, « tous ayant vu le miracle que Jésus-Christ avait fait, disaient : Celui-ci est véritablement le Prophète qui doit venir dans le monde ». C’était, sans doute, parce qu’ils étaient assis sur l’herbe, qu’ils considéraient le Christ seulement encore comme un Prophète. Il était déjà le Dieu des Prophètes ; il en accomplissait les oracles ; il les avait tous sanctifiés ; de plus, il était lui-même un Prophète, car il avait été dit à Moïse : « Je leur susciterai un Prophète semblable à toi ». Semblable selon la chair, mais non selon la dignité. Que cette promesse du Seigneur doive s’appliquer au Christ, nous en lisons la preuve sans réplique dans les Actes des Apôtres e. Le Sauveur dit aussi de lui-même : « Un prophète est toujours honoré, excepté dans son pays f ». Le Sauveur est prophète et aussi Verbe de Dieu, et aucun prophète ne peut prédire l’avenir sans l’assistance du Verbe de Dieu. Le Verbe de Dieu assiste donc les Prophètes il est lui-même un Prophète. Sous l’Ancien Testament, les hommes ont eu le bonheur d’entendre la voix des Prophètes inspirés et remplis du Verbe de Dieu ; pour nous, nous avons eu celui d’entendre, comme Prophète, le Verbe de Dieu en personne. Le Christ, chef divin des Prophètes, était lui-même Prophète, de la même manière que, souverain Maître des anges, il était aussi un ange. Car, il a encore été dit de lui qu’il est l’ange du grand conseil g. Toutefois, ce Prophète dit en un autre endroit : Le salut ne vous sera apporté ni par un envoyé de Dieu, ni par un ange ; le Seigneur viendra en personne pour les sauver h : c’est-à-dire, pour les sauver, il n’enverra ni un député, ni un ange, il viendra en personne. En quelle qualité viendra-t-il ? En qualité d’ange, car il en est un. On ne peut donc dire qu’il les sauvera par le ministère d’un ange, si ce n’est que parce qu’il en est un, au point d’être le souverain Maître des anges. En latin, ange signifie : porteur de messages. Or, si le Christ ne portait aucun message, on ne lui donnerait point le nom d’ange ; comme on ne lui donnerait point celui de Prophète, s’il ne prédisait pas l’avenir. Il nous a excités à la foi et à la conquête de la vie éternelle : pour cela, il nous a fait connaître des choses présentes, et prédit des choses à venir ; en tant qu’il nous a fait connaître des choses présentes, il était un ange : en tant qu’il nous prédisait des choses à venir, c’était un Prophète ; et, parce qu’étant le Verbe de Dieu, il s’est fait chair, il était le souverain Seigneur des anges et des Prophètes.

SERMON CXXX. LE PAIN DE VIE i.

ANALYSE. – Les cinq pains se multiplient dans les mains des Apôtres qui les distribuent, comme les enseignements de la loi quand on les répand. Mais de même que dans le froment la farine est cachée sous le son, ainsi Jésus-Christ est renfermé dans toute la loi et en se faisant homme il est devenu pour nous le pain de vie éternelle. Quand nous voyons ce qu’il a fait pour nous racheter, est-il possible que nous n’ayons pas en lui la plus entière confiance ? Et quand nous méditons les merveilles qu’il a opérées en notre faveur, soit dans la personne du père des croyants, soit dans sa propre personne, soit en nous, comment ne pas voir que ce qu’il nous promet est moins prodigieux que ce qu’il nous a accordé, et que le passé répond invinciblement de l’avenir ? Appuyons-nous avec joie sur cet incomparable protecteur.

1. Voilà un grand miracle, mes amis ; cinq pains et deux poissons ont suffi pour rassasier cinq mille hommes, et les restes des morceaux pour emplir douze corbeilles. Quel miracle ! Et pourtant nous n’en serons pas fort surpris si nous en considérons l’Auteur. S’il a multiplié cinq pains dans les mains qui les rompaient, n’est-ce pas lui qui multiplie les semences qui germent sur la terre et à qui peu de grains suffisent pour emplir les greniers ? Mais comme ce prodige se renouvelle chaque année, personne ne l’admire ; ce qui écarte l’admiration, ce n’est pas le peu d’importance du fait, c’est que le fait est ordinaire. Lorsque le Seigneur opérait ces miracles, il parlait à l’intelligence, non-seulement de vive voix, mais encore par ses actes. Les cinq pains signifiaient pour lui les cinq livres de la loi de Moïse ; car cette loi est à l’Évangile, ce que l’orge est au froment. Il y a dans ces livres de profonds mystères concernant le Christ ; aussi le Christ disait-il lui-même : « Si vous croyiez Moïse, vous ne croiriez aussi, car il a parlé de moi dans ses écrits j. » Mais de même que dans l’orge la moelle est cachée sous la paille, ainsi le Christ est voilé sous les mystères de la loi. Quand on expose ces mystères qui recèlent le Pain de vie, ils semblent se dilater : ainsi se multipliaient les cinq pains quand on les rompait. Ne vous ai-je pas rompu le pain moi-même en vous faisant ces observations ? Les cinq mille hommes désignent le peuple soumis aux cinq livres de la loi ; les douze corbeilles sont les douze Apôtres remplis aussi des débris de cette même loi. Quant aux deux poissons, ils figurent ou les deux préceptes de l’amour de Dieu et du prochain, ou les Juifs et les Gentils, ou les deux fonctions sacrées de l’empire et du sacerdoce. Exposer ces mystères, c’est rompre le pain ; les comprendre, c’est le manger.

2. Contemplons maintenant l’Auteur de ces merveilles. Il est le pain descendu du ciel k ; mais c’est un pain qui nourrit sans diminuer, qu’on peut manger sans le consumer. Ce pain était encore désigné par la manne ; aussi est-il écrit : « Il a donné le pain du ciel, l’homme a mangé le pain des Anges l. » Quel est ce pain du ciel, sinon le Christ ? Mais afin de permettre à l’homme de manger le pain des Anges, le Seigneur des Anges a dû se faire homme. S’il ne se l’était point fait, nous n’aurions pas sa chair ; et si nous n’avions pas sa chair, nous ne mangerions pas le pain de l’autel. Ah ! puisque nous en avons un gage si précieux, courons prendre possession de notre héritage. Oui, mes frères, désirons vivre avec le Christ, puisque nous avons un tel gage dans sa mort. Eh ! comment ne nous ferait-il point part de ses biens, lui qui a souffert de nos maux ? Dans ces pays et dans ce siècle pervers, que voit-on le plus, sinon naître, souffrir et mourir ? Examinez avec soin les choses humaines, et confondez-moi si je mens. Examinez si tous les hommes sont ici pour autre chose que pour naître, souffrir et mourir. Tels sont les produits de notre pays, on les y trouve en abondance. Or c’est pour les acheter qu’est descendu le divin Négociant. Quiconque achète, donne et reçoit ; il donne ce qu’il a et reçoit ce qu’il n’a pas ; pour payer il donne son argent, et reçoit ce qu’il a payé, ainsi en est-il ici du Christ ; il a donné et il a reçu. Mais qu’a-t-il reçu ? Ce que produit si largement notre pays, de naître, de souffrir et de mourir. Et qu’a-t-il donné ? De renaître, de ressusciter et de régner éternellement. O négociant généreux, achetez-nous. Pourquoi dire achetez-nous, quand nous devons vous rendre grâces de nous avoir achetés ? Vous nous livrez même notre rançon ; ne la recevons-nous pas lorsque nous buvons votre sang ? De plus nous lisons l’Évangile, l’acte de notre acquisition. Ainsi nous sommes à la fois vos esclaves et vos créatures ; puisque vous nous avez formés et rachetés. Chacun ici peut acheter son esclave, nul ne saurait le créer ; tandis que le Seigneur a créé et racheté ses serviteurs : il les a créés en leur donnant l’existence, il les a rachetés pour les soustraire à l’esclavage. Nous étions tombés sous l’autorité du prince de ce siècle, qui avait séduit et asservi Adam et nous retenait comme des esclaves de naissance. Le Rédempteur est venu, et il a triomphé du séducteur. Et qu’a-t-il fait contre ce tyran ? Pour nous racheter, il a fait de sa croix un piège ; il y a mis son sang comme un appât. L’ennemi a pu répandre ce sang, mais sans mériter de le boire ; et en répandant le sang de qui ne lui devait rien, il a été condamné à relâcher ses débiteurs ; pour avoir versé le sang innocent, il a perdu tout droit sur les coupables. Le Sauveur effectivement consentit à le répandre pour effacer nos péchés ; et c’est ainsi que le sang du Rédempteur anéantit les titres de notre ennemi. Celui-ci ne nous tenait sous le joug qu’à cause de nos iniquités ; ces iniquités étaient comme les chaînes des captifs. Survint le Libérateur ; il enchaîna le fort armé par sa passion, il pénétra dans sa demeure, c’est-à-dire dans les cœurs qu’il habitait et enleva les vaisseaux qui lui appartenaient m, c’est-à-dire nous-mêmes. Ce tyran nous avait remplis de son amertume ; il voulut même la faire boire à notre Rédempteur en lui présentant du fiel. Mais en lui enlevant et en s’appropriant les vaisseaux qu’il remplissait de lui-même, le Seigneur en répandit la liqueur amère et les remplit de la douceur de son esprit.

3. Ah ! aimons-le, puisqu’il est si doux. « Goûtez et voyez combien le Seigneur est suave n. » Il faut le craindre, mais l’aimer davantage. Il est à la fois Dieu et homme. Il y a dans, la seule personne du Christ l’humanité et la divinité, comme il y a dans un même homme l’âme et le corps ; mais la divinité et l’humanité ne forment pas deux personnes dans le Christ. Il y a en lui deux natures, la nature divine et la nature humaine, mais une seule personne ; ce qui fait que malgré l’incarnation il n’y a pas en Dieu quaternité, mais seulement Trinité. Est-il donc possible que Dieu n’ait pas compassion de nous, puisqu’il s’est fait homme pour nous ? Il a fait beaucoup, ce qu’il a fait est plus, étonnant que ce qu’il a promis, et ses œuvres doivent nous déterminer à compter sur ses promesses. Si nous ne le voyions, nous aurions peine à croire ce qu’il a fait. Où le voyons-nous ? Parmi les peuples qui croient en lui ; dans la multitude des nations qu’il a su s’attacher. Ainsi nous voyons accompli ce qu’il a promis à Abraham, et ce spectacle nous porte à croire ce que nous ne voyons pas. Abraham effectivement n’était qu’un homme, et il lui fut dit : « Toutes les nations seront bénies dans Celui qui sortira de toi o. » S’il n’avait considéré que lui, aurait-il cru ? Il n’était qu’un, homme, et un homme déjà dans la vieillesse, de plus son épouse était stérile, et déjà si avancée en âge, que l’âge seul sans la stérilité eût été un obstacle à la conception. Ainsi rien absolument ne pouvait légitimer d’espérance. Mais le patriarche considérait l’auteur de la promesse et il croyait sans voir ; Pour nous, nous voyons ce qu’il croyait, et pour cela nous devons croire ce que nous ne voyons pas. Abraham engendra Isaac, nous ne l’avons pas vu ; Isaac engendra Jacob ; nous ne l’avons pas vu non plus ; Jacob engendra ses douze fils, qu’également nous n’avons pas vus ; ses douze fils à leur tour engendrèrent le peuple d’Israël ; nous voyons aujourd’hui ce grand peuple. Puisque j’ai commencé à parler de ce que nous voyons, j’ajoute : Du peuple d’Israël est issue la vierge Marie, mère du Christ, et sous nos yeux toutes les nations sont bénies dans le Christ. Est-il rien de plus vrai, rien de plus certain, rien de plus manifeste ? O vous qui êtes sortis avec moi de la gentilité, désirez avec moi la vie future. Si dans ce siècle Dieu n’a point manqué à la promesse qu’il avait faite à Abraham relativement à sa postérité, n’accomplira-t-il pas encore bien plus largement ses promesses éternelles envers nous qui sommes par sa grâce la postérité même d’Abraham ? « Si vous êtes chrétiens, dit expressément l’Apôtre, il s’ensuit que vous formez la postérité d’Abraham p. »

4. Ah ! nous avons commencé à devenir quelque chose de grand ; que nul ne se méprise nous n’étions rien, mais nous sommes quelque chose. Nous avons dit au Seigneur : « Souvenez-vous que nous sommes poussière q ; » mais de cette poussière il a fait un homme, à cette poussière il a donné la vie, et dans la personne du Christ notre Seigneur il a élevé jusqu’au trône des cieux cette même poussière. N’est-ce pas ici en effet qu’il a pris chair, qu’il s’est uni à la terre et qu’après avoir fait la terre et le ciel il a élevé la terre jusqu’au ciel ? Figurons-nous donc qu’on nous parle aujourd’hui pour la première fois de ces deux choses en supposant qu’elles ne sont pas accomplies encore, et qu’on nous demande : Qu’y a-t-il de plus étonnant, ou que Dieu se fasse homme ou que l’homme devienne l’homme de Dieu ? De quel côté est la plus grande merveille, la difficulté plus grande ? – Que nous a promis le Christ ? Ce que nous ne voyons pas encore, c’est-à-dire, de devenir ses hommes, de régner avec lui et de ne mourir jamais. Ce qui paraît difficile à croire, c’est que l’homme sorti du néant parvienne ainsi à la vie qui ne finit pas. Et pourtant c’est ce que nous croyons quand nous avons secoué de notre cœur la poussière du monde, cette poussière qui ferme nos yeux à la lumière de la foi. Nous sommes même obligés de croire qu’après notre mort, nous entrerons avec ces corps, victimes du trépas, dans la vie d’où la mort est bannie à tout jamais. C’est chose étonnante. Ce qui l’est plus encore, c’est ce qu’a fait le Christ. Qu’y a-t-il en effet de plus incroyable ou de voir l’homme vivre éternellement, ou de voir le Christ mourir un jour ? N’est-il pas plus facile de croire que les hommes reçoivent de Dieu la vie, que de voir ces mêmes hommes donner la mort à Dieu ? Ce dernier fait est selon moi plus difficile à admettre. Et toutefois il est accompli ; croyons donc l’autre qui s’accomplira également. Dieu ayant fait ce qu’il y a de plus incroyable, ne nous accorderait pas ce qui l’est moins ? Dieu en effet peut faire de nous des Anges, puisque d’une terre abjecte il a fait de nous des hommes. Que deviendrons-nous ? Des Anges. Qu’avons-nous été ? On a honte de le rappeler ; je suis forcé d’y penser et je rougis de le dire. Qu’avons-nous été ? De quoi Dieu a-t-il formé les hommes ? Qu’étions-nous avant d’être ? Rien. Qu’étions-nous dans le sein de nos mères ? C’est assez. De ce que vous étiez alors, élevez maintenant votre esprit à ce que vous êtes aujourd’hui. Vous vivez : les plantes et les arbres vivent aussi. Vous sentez : les animaux sentent également. Vous êtes hommes, et ce qui vous élève bien au-dessus des animaux, c’est que vous avez l’intelligence des dons immenses que Dieu, nous a faits. Oui, vous vivez, vous sentez, vous comprenez, vous êtes hommes. Qu’y a-t-il de comparable à tant de faveurs ? C’est que vous êtes chrétiens. Et si nous n’avions pas reçu cette grâce, que nous servirait d’être hommes ? Nous sommes donc chrétiens ; nous appartenons au Christ. Que le monde se courrouce ; il ne nous domptera point, car nous appartenons au Christ. Que le monde nous flatte ; il ne nous séduira point, nous appartenons au Christ.

5. Nous avons trouvé, mes frères, un puissant protecteur. Vous savez comment les hommes s’appuient sur leurs patrons. On menace le client d’un puissant du monde. Tant que mon seigneur un tel a la tête sur les épaules, répond-il, tu ne peux rien contre moi. Et nous, ne saurions-nous dire avec bien plus de force et d’assurance : Tant que notre Chef est vivant, tu ne peux rien contre nous ? Notre protecteur en effet est aussi notre Chef. D’ailleurs ceux qui s’appuient sur un patron ordinaire ne sont que ses clients ; nous sommes, nous, les membres de notre protecteur ; qu’il continue à nous communiquer la vie ; personne ne saurait nous arracher à lui, quels que soient les maux que nous ayons à souffrir dans ce monde, car tout ce qui passe n’est rien, et nous parviendrons à des biens qui ne passeront pas, nous y parviendrons par la souffrance, et une fois que nous y serons, qui nous en privera ? On ferme les portes de Jérusalem, on y place même des verrous et on peut dire à cette cité : « Loue le Seigneur, Jérusalem ; ô Sion, loue ton Dieu. Il affermit les verrous de tes portes ; il bénit tes enfants dans ton enceinte et il a placé la paix sur tes remparts. » Or, quand les portes sont closes et les verrous fermés, aucun ami ne sort, il n’entre aucun ennemi. C’est donc là que nous jouirons d’une tranquillité véritable et assurée, pourvu qu’ici nous n’abandonnions pas la vérité.

VINGT-CINQUIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CET ENDROIT : « JÉSUS SACHANT QU’ILS VOULAIENT L’ENLEVER, AFIN DE LE FAIRE ROI », JUSQU’À CET AUTRE : « ET JE LE RESSUSCITERAI AU DERNIER JOUR ». (Chap 6, 15-44.)

JÉSUS, SOURCE DE TRANQUILLITÉ ET DE VIE.

Jésus-Christ, comme Dieu, est roi de l’univers ; comme homme, il régnera sur les élus dans le ciel : mais, en le voyant multiplier les pains, ses disciples et les Juifs voulaient lui donner une royauté temporelle, ignorant qu’il dût s’élever d’abord sur le Calvaire ; il s’enfuit donc sur la montagne. Pendant son absence, les Apôtres s’en retournèrent à Capharnaüm ; en traversant la mer ils furent assaillis d’une violente tempête. Leur barque était l’image de l’Église ; la tempête, celle des calamités qui doivent la tourmenter ici-bas sans pouvoir la faire périr. Enfin, le Sauveur vint sur les eaux, la nacelle aborda au rivage, et la tranquillité se rétablit. Avec Jésus, le chrétien foule aux pieds le monde et ses traverses, et il arrive sain et sauf à la bienheureuse éternité. Le lendemain, la foule retrouve le Sauveur à Capharnaüm et s’empresse autour de lui : Ne me cherchez point pour le pain matériel que je pourrais vous donner, mais pour la vie éternelle dont je suis la source, comme Fils de Dieu : pour avoir la vie, croyez en moi. – Quel signe nous donnerez-vous pour nous aider à croire en vous ? – Si Moïse vous a donné la manne, Dieu vous donne un aliment bien supérieur, le vrai pain de vie, et ce pain, c’est moi, soyez, comme moi, humbles et soumis à la volonté de Dieu, et vous me serez unis, et vous aurez toujours en vous le repos et la vie.

1. La leçon de ce jour a été prise, dans l’Évangile, immédiatement après celle d’hier : c’est là que commencera notre discours d’aujourd’hui. L’écrivain sacré a donc fait le récit de ce miracle où Jésus nourrit cinq mille hommes avec cinq pains ; à la suite de ce prodige, la multitude fut saisie d’admiration, et le reconnut comme un grand Prophète venu en ce monde. Saint Jean continue en ces termes : « Jésus, sachant qu’ils voulaient l’enlever pour le faire roi, se retira seul de nouveau sur la montagne ». Ce passage nous donne à penser que le Sauveur, après s’être assis sur la montagne avec ses disciples, et avoir vu la foule se porter vers lui, était descendu de cette même montagne et avait nourri cette multitude dans la plaine. Comment, en effet, aurait-il pu se retirer à nouveau en cet endroit, s’il n’en était préalablement descendu ? Il y a donc une signification à attacher à cette démarche du Sauveur, qui descend de la montagne afin de pourvoir aux besoins de tout un peuple. Il lui donna la subsistance nécessaire et retourna à l’endroit d’où il était venu.

2. Mais pourquoi se transporta-t-il de nouveau sur la montagne, lorsqu’il eut vu qu’on voulait l’enlever et le faire roi ? Eh quoi ! Lui qui craignait de devenir roi, ne l’était-il pas déjà ? Oui, il l’était, et il n’avait pas besoin de recevoir de la main des hommes la couronne royale, puisque c’est lui qui leur distribue les royautés. Peut-être le Seigneur Jésus a-t-il voulu en cela nous donner une instruction, car il nous parle par toutes ses œuvres. Par conséquent, de ce fait que la multitude voulut l’enlever pour le faire roi, et qu’il se retira seul sur la montagne afin d’éviter cet honneur, devons-nous conclure qu’il ne résulte rien pour nous ? que nous devons y voir un événement sans portée, dépourvu de tout enseignement, n’ayant aucune signification propre ? Et de la part de ceux qui voulaient l’enlever, n’était-ce point devancer l’ère de sa royauté ? Si, en effet, il avait paru au milieu des hommes, le moment n’était pas encore venu pour lui de régner comme il régnera à l’époque à laquelle nous faisons allusion, quand nous disons : « Que votre règne arrive r ». Il règne déjà éternellement avec son Père, en tant qu’il est Fils de Dieu, Verbe de Dieu, Verbe par qui toutes choses ont été faites. Les Prophètes ont encore prédit que le Christ régnerait eux tant qu’il s’est fait homme, et que les chrétiens sont devenus ses sujets aujourd’hui. Les éléments de ce royaume des chrétiens se préparent et se réunissent : le Sauveur les achète au prix de son sang ; son existence s’imposera à tous les regards, lorsque la gloire des saints apparaîtra dans toute sa splendeur, à la suite du jugement qu’il prononcera en personne, et qui, selon son expression rapportée plus haut, est spécialement réservé au fils de l’homme s. En parlant de ce royaume, l’Apôtre a dit : « Lorsqu’il aura remis son royaume à Dieu, son Père t ». Et lui-même s’en est exprimé en ces termes : « Venez, bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde u ». Mais les disciples et la foule qui croyaient en lui, s’imaginèrent qu’il était venu en ce monde pour régner immédiatement ; l’enlever et le faire roi, c’était donc devancer l’ère de la royauté, dont il tenait caché en lui-même le moment précis, pour la faire paraître au grand jour et la proclamer en temps opportun, c’est-à-dire à la fin du monde.

3. Le peuple voulait le faire roi, ou, en d’autres termes, il voulait fonder avant le temps et posséder un royaume visible du Christ, quoiqu’il dût d’abord être jugé, puis juger les autres ; en voici la preuve : immédiatement après qu’il eut été attaché à la croix, ceux mêmes qui avaient mis en lui leur confiance, avaient perdu tout espoir de le voir ressusciter ; et quand il fut sorti vivant de son tombeau, il rencontra, au sortir de Jérusalem, deux disciples qui s’entretenaient ensemble comme des gens découragés, et qui se racontaient en gémissant ce qui venait d’avoir lieu ; il s’approcha d’eux, et ils ne virent en lui qu’un étranger, car leurs yeux étaient fermés, et ils ne le reconnaissaient pas ; dès qu’il se fut mêlé à leur conversation, ils lui firent part du sujet de leur entretien et lui racontèrent que ce Prophète puissant en œuvres et en paroles avait été mis à mort par les princes des prêtres : « Et nous espérions », ajoutèrent-ils, « qu’il serait le libérateur d’Israël v ». Vous ne vous trompiez pas, votre espérance était bien fondée ; car il est effectivement le Rédempteur d’Israël. Mais pourquoi vous hâter ainsi ? Pourquoi vouloir l’enlever ? Voici encore une autre preuve des idées et des intentions de la multitude, Les disciples du Sauveur l’interrogeaient un jour sur ce qui se passerait à la fin des temps : « Seigneur », lui disaient-ils, « est-ce en ce temps-ci que vous rétablirez le royaume d’Israël ? quand le rétablirez-vous ? » Ils désiraient, ils voulaient voir déjà exister ce royaume : en un mot, ils voulaient enlever le Christ et le faire roi. Mais, parce qu’il devait seul monter bientôt au ciel, il leur dit : « Ce n’est pas à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a disposés dans sa puissance. Mais vous recevrez la vertu du Saint-Esprit venant sur vous, et vous serez témoins pour moi à Jérusalem, et dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre w ». Vous voulez que je fasse paraître mon royaume ; je le montrerai quand les éléments en seront réunis ; vous aimez la grandeur, et vous y parviendrez, mais suivez-moi dans le chemin de l’humilité. Il a encore été dit du Christ : « L’assemblée des peuples vous environnera ; à cause d’elle, remontez sur la hauteur x ». C’est-à-dire : pour que l’assemblée des peuples vous environne, pour réunir autour de vous un grand nombre de nations, remontez sur la hauteur. Ainsi a-t-il agi : il a gravi de nouveau la montagne, après avoir nourri la multitude.

4. Mais pourquoi l’Évangéliste a-t-il employé le mot : « Il s’enfuit », puisqu’en réalité on ne pouvait ni mettre la main sur lui, ni l’enlever ; ni même le reconnaître contre son gré ? La preuve que tout ceci s’est passé en mystère, non comme résultat de la nécessité, mais pour nous insinuer un secret dessein de Dieu, vous la verrez bientôt, dans les versets suivants. Il s’était, en effet, trouvé au milieu de cette foule qui le recherchait ; il s’était entretenu avec elle, lui avait parlé beaucoup et avait discuté longuement devant elle la question du pain descendu du ciel, S’était-il alors éloigné d’elle dans la crainte de la voir s’emparer de lui ? En cette circonstance, ne pouvait-il pas agir, pour sauvegarde sa liberté, comme il agit plus tard, lorsqu’il engagea cette discussion avec elle ? Il a donc voulu nous donner une leçon en prenant la fuite. Alors, que signifie ce mot : « Il s’enfuit ? » On ne put se faire une idée de sa grandeur. Tout ce que tu ne comprends point, n’en dis-tu pas : Cela m’échappe ? Aussi « se retira-t-il seul sur la montagne ». Le premier-né d’entre les morts y s’est élevé au-dessus de tous les cieux, et il intercède pour nous z.

5. Cependant ce grand prêtre se retira seul au sommet de la montagne : il avait été figuré par le grand prêtre de l’ancienne loi, qui entrait, une fois l’année, à l’intérieur du sanctuaire, laissant la foule du peuple en dehors du voile aa. Pendant que Jésus était sur la hauteur, ses disciples se trouvaient sur une barque ; qu’y souffraient-ils ? Dès lors qu’il était en un lieu élevé, cette barque préfigurait l’Église. Si, en effet, et avant tout, nous ne voyons pas que la tourmente dont cette barque avait à souffrir était la figure de ce qui se passe dans l’Église, tous ces faits étaient sans portée relativement à l’avenir ; c’étaient des événements purement transitoires, incapables de fixer notre attention ; mais si nous les regardons comme des figures qui reçoivent dans l’Église leur accomplissement, il est sûr que toutes les actions du Christ nous tiennent une sorte de langage. « Et quand le soir fut venu », dit saint Jean, « ses disciples descendirent vers la mer, et étant montés dans la nacelle, ils vinrent au-delà de la mer, vers Capharnaüm » Dans ce passage, l’Évangéliste nous indique, comme ayant déjà eu lieu, ce qui ne s’est fait que plus lard, « Ils vinrent au-delà de la mer, vers Capharnaüm » ; puis, revenant sur ses pas, il nous apprend comment ils y sont venus il nous dit qu’ils ont traversé la mer en bateau ; enfin, il nous raconte en deux mots ce qui est advenu pendant qu’ils se dirigeaient avec leur nacelle vers cet endroit, où il nous adit par anticipation qu’ils étaient arrivés. « Et les ténèbres se répandaient déjà, et Jésus n’était pas encore revenu près d’eux ». Il était naturel que les ténèbres se répandissent, puisque la lumière n’avait pas encore paru. « Les ténèbres se répandaient déjà, et Jésus n’était pas encore revenu près d’eux ». Plus approche la fin du monde, plus s’accroissent, et les erreurs, et les terreurs, et l’iniquité, et l’infidélité, plus aussi s’affaiblit éclat de cette lumière, qui n’est autre que la charité ; l’Évangéliste Jean lui-même nous a dit à plusieurs reprises et ouvertement, et lue craint pas de s’exprimer ainsi « Celui qui hait son frère est dans les ténèbres ab ». Ces ténèbres de la haine des frères, les uns envers les autres, s’accroissent et s’épaississent de jour en jour ; et Jésus n’est pas encore menu. Comment voyons-nous qu’elles augmentent chaque jour davantage ? « Parce que l’iniquité abondera, on verra se refroidir la charité d’un grand nombre ». Les ténèbres deviennent plus profondes, et Jésus n’est pas encore venu. L’épaississement des ténèbres, le refroidissement de la charité, l’abondance de l’iniquité, voilà les vagues qui secouent la nacelle, les vents et les tempêtes qui l’assaillent : ce sont les imputations des détracteurs, Dès lors que la charité se refroidit, les vagues se soulèvent et tourmentent le bateau.

6. « Un grand vent venant à souffler, la mer s’élevait ». Les ténèbres s’épaississaient : les intelligences tombaient dans l’obscurité, l’iniquité se multipliait. « Après donc qu’ils eurent ramé vingt-cinq ou trente stades ». Cependant, ils marchaient, ils avançaient, et ni les vents, ni la tempête, ni les flots, ni les ténèbres n’empêchaient la barque de marcher. Détachée du rivage, elle n’était pas non plus engloutie dans les flots par tous ces éléments en fureur, elle avançait toujours en dépit de leurs efforts. En effet, de ce que l’iniquité surabonde, de ce que la charité d’un grand nombre se refroidisse, de ce que les flots s’élèvent, de ce que les ténèbres s’accroissent, de ce que les vents deviennent impétueux, le bateau, l’Église, n’en poursuit pas moins sa course ; « car celui qui persévérera jusqu’à la fin, sera sauvé ». Le nombre même des stades parcourues n’est pas à négliger : il est vraiment impossible que ce passage ne renferme pas un sens caché. « Après qu’ils eurent ramé vingt-cinq ou trente stades, alors Jésus vint à eux ». Il suffirait de dire « vingt-cinq », comme de dire « trente » ; car, ici, il n’y a pas une évaluation précise de la distance parcourue : ce n’en est qu’une évaluation approximative. Si l’Ecrivain sacré disait nettement vingt-cinq stades, trente stades, y aurait-il de sa part une atteinte réelle à la vérité ? Non, mais il s’est servi du chiffre vingt-cinq pour faire celui de trente. Occupons-nous d’abord du nombre vingt-cinq. D’où vient-il ? Comment se forme-t-il ? Du nombre cinq, qui se rapporte à la loi ; car, il y a cinq livres de Moïse ; il y avait cinq portiques sous lesquels on déposait les paralytiques : c’est encore avec cinq pains que le Sauveur a nourri cinq mille hommes : le nombre vingt-cinq représente donc la loi, parce que cinq multiplié par cinq, ou cinq fois cinq font vingt-cinq, qui est le carré de cinq. Mais avant l’apparition de l’Évangile, la loi n’était point parvenue à sa perfection la perfection se trouve dans le nombre six aussi est-ce en six jours que Dieu a parfait la création du monde ac. Cinq se multiplie donc par six, et ainsi la loi se trouve amenée à sa perfection par l’Évangile, et cinq répété six fois forme le nombre trente. Jésus vint donc à ceux qui accomplissaient la loi ; et comment y vint-il ? En marchant sur les flots et foulant sous ses pieds tout l’orgueil du monde, toutes les grandeurs de la terre. À mesure que les années s’ajoutent aux années, et qu’on approche de la consommation des temps, on voit s’accroître en ce monde les tribulations et les maux : le chrétien se voit de plus en plus écrasé par ses ennemis : les épreuves de tous genres s’amoncellent incessamment sur lui, et Jésus passe en foulant les flots sous ses pieds.

7. Néanmoins, les tribulations s’aggravent à tel point, que ceux mêmes qui croient en Jésus-Christ et qui s’efforcent de persévérer jusqu’à la fin, tremblent dans la crainte de défaillir. Le Christ foule les vagues à ses pieds, il écrase toutes les orgueilleuses prétentions des mondains, et néanmoins le chrétien s’épouvante. Mais tout cela ne lui a-t-il pas été prédit ? Ce ne fut pas sans raison que les Apôtres « furent saisis de crainte », même au moment où Jésus marchait sur les eaux ainsi en est-il des chrétiens en présence du Dieu qui écrase l’orgueil de ce monde : ils ont placé leurs espérances dans la vie future, et pourtant ils tombent dans le trouble quand ils voient les choses humaines ainsi foulées aux pieds par le Sauveur. Ils ouvrent l’Évangile, ils lisent les Écritures, et ils y trouvent l’annonce de tout cela, et ce livre divin les avertit d’avance que telle est la manière d’agir du Sauveur. Il rabaisse jusque dans la poussière l’orgueil des mondains, afin que les humbles le glorifient. Touchant cet orgueil des mondains, voici ce qui a été prédit : « Vous détruirez leurs villes les mieux fortifiées » ; et encore : « La puissance de votre ennemi a été anéantie pour toujours, et vous avez détruit ses villes ad ». Chrétiens ! que craignez-vous donc ? Le Christ vous dit : « C’est moi, ne craignez pas s. Pourquoi avoir peur en me voyant agir ? Pourquoi trembler ? Ce que je fais, je vous l’ai annoncé d’avance, et je dois nécessairement le faire. « C’est moi, ne craignez pas ». Ils le reconnurent, et, tranquilles désormais, transportés de joie, « ils voulurent le recevoir dans la nacelle ; et, aussitôt elle aborda la terre où ils allaient ». En abordant ils en finirent avec leurs épreuves : à l’élément liquide se substitua pour eux l’élément solide ; aux vagues agitées, la terre ferme ; au voyage, le repos.

8. « Le lendemain, la multitude qui se tenait de l’autre côté de la mer », d’où Jésus et ses disciples étaient venus, « voyant qu’il n’y avait qu’une nacelle, et que Jésus n’y était point entré avec ses disciples, mais que les disciples s’en allaient seuls ; d’autres barques étaient venues de Tibériade, près du lieu où ils avaient mangé le pain après que le Seigneur eût rendu grâces ; la multitude, voyant que Jésus n’était point là, ni ses disciples non plus, monta dans des barques et vint à Capharnaüm, cherchant Jésus ». Ces hommes devaient bien s’apercevoir un peu du merveilleux prodige que le Sauveur venait d’opérer, car ils voyaient que les disciples seuls étaient montés dans la barque, et qu’il n’y en avait pas d’autre en cet endroit. Des barques vinrent donc du côté opposé jusqu’à l’endroit où ils avaient mangé le pain : la foule monta sur ces barques et vint trouver Jésus, Il n’était pas monté avec ses disciples ; il n’y avait là aucune autre nacelle : comment le Sauveur avait-il pu se trouver tout à coup transporté de l’autre côté de la mer, sinon parce qu’il avait marché sur les eaux et avait voulu les rendre témoins d’un nouveau prodige ?

9. « La foule l’ayant trouvé au-delà de la mer ». Le voilà qui se présente devant la foule : et, pourtant dans la crainte d’être enlevé par elle, il s’était enfui dans la montagne. Il nous laisse à supposer, et même il nous confirme dans l’idée que ces paroles renferment un mystère : et il a voulu nous faire trouver un sens caché en ce prodige, qu’il avait opéré dans le plus grand secret. Celui qui, pour s’écarter de la foule, s’était retiré sur la montagne, n’entre-t-il pas maintenant en colloque avec cette même foule ? Qu’elle en profite donc, pour s’emparer de sa personne pour le faire roi. « L’ayant trouvé au-delà de la mer, tous lui dirent : Maître, « quand êtes-vous venu ici ? »

10. Après avoir opéré en secret ce miracle, il adresse la parole à cette multitude, afin de nourrir encore autant que possible ceux qu’il a déjà nourris, afin de rassasier par ses discours les âmes de ceux dont il vient de calmer la faim corporelle. Mais encore faut-il qu’ils reçoivent cette nourriture nouvelle, et, s’ils ne la reçoivent pas, qu’on la recueille pour n’en pas laisser perdre les restes. À lui donc de parler, à nous d’écouter : « Jésus leur répondit en ces termes : En vérité, en vérité, je vous le dis : Vous me, cherchiez, non parce que vous avez vu des miracles, mais parce que vous avez mangé des pains que je vous ai donnés ». Vous me cherchez donc pour des motifs charnels, et non pour des motifs spirituels. Combien cherchent Jésus seulement en raison du bien qu’ils désirent recevoir de lui suivant les circonstances ! Celui-ci se trouve dans une entreprise : il demande aux clercs l’appui de leur intercession : celui-là est poursuivi par un plus fort que lui ; il se réfugie à l’Église : cet notre aimerait d’être protégé auprès d’un homme sur lequel il n’a aucune influence l’un éprouve tel besoin, l’autre tel autre, nos Églises sont incessamment rem plies de pareilles gens. C’est à peine si quelqu’un cherche Jésus pour lui-même. « Vous me cherchez, non parce que vous voyez des miracles, mais parce que vous avez mangé des pains que je vous ai donnés. Travaillez, non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui demeure dans la vie éternelle ». Vous me cherchez pour autre chose : cherchez-moi pour moi-même : il nous laisse, en effet, à penser qu’il est lui-même cette nourriture cela ressort des paroles qui suivent : « Et que le Fils de l’homme vous donnera ». À l’entendre, tu croyais, ce me semble, manger encore une fois du pain, te rasseoir sur l’herbe, être à nouveau rassasié. Mais il a dit : « Non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui demeure dans la vie éternelle ». Il avait déjà tenu le même langage à la Samaritaine : « Si tu savais celui qui te dit : Donne-moi à boire, tu lui en aurais peut-être demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive ». Comment cela ? dit-elle : Vous n’avez aucun moyen de tirer de l’eau, le puits est profond. Jésus lui répondit : « Si tu savais celui qui te dit : Donne-moi à boire, tu lui en aurais peut-être demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. Celui qui boira de cette eau, n’aura jamais soif ; mais quiconque boira de l’eau de ce puits, aura encore soif ». Cette femme, qui se fatiguait à puiser de l’eau, fut transportée de joie et demanda à recevoir de cette eau, dans l’espoir de ne plus souffrir de la soif du corps. Et ce fut en s’entretenant ainsi avec le Sauveur qu’elle en vint à recevoir un breuvage spirituel ae. Ici, il en est absolument de même.

11. « Cette nourriture, qui ne périt pas, mais qui demeure dans la vie éternelle, et que le Fils de l’homme vous donnera, car Dieu le Père l’a scellé de son sceau ». Ce fils de l’homme, veuillez ne pas le comparer aux autres enfants des hommes, dont il est écrit : « Les enfants des hommes espèrent à l’ombre de vos ailes af ». Séparé des autres par une grâce spéciale de l’Esprit-Saint, mais né d’une femme selon la chair, et compté au nombre des autres, il est fils de l’homme ; mais ce fils de l’homme est aussi Fils de Dieu : il est homme et Dieu tout ensemble. En une autre circonstance, il interrogeait ses disciples. « Que dit-on du Fils de l’homme ? Ils lui répondirent : Les uns disent : c’est Jean-Baptiste ; les autres : Élie ; d’autres : Jérémie ou un autre d’entre les Prophètes. Jésus leur dit : Et vous ? Qui dites-vous que je suis ? Pierre lui répondit : Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant ag ». Jésus dit de lui-même qu’il est le Fils de l’homme, et Pierre reconnaît hautement qu’il est le Fils de Dieu. Jésus rappelait par là, avec raison, ce qu’il avait bien voulu paraître par bonté pour nous : Pierre faisait allusion à l’éternelle lumière au sein de laquelle il demeurait. Le Verbe de Dieu nous parle de ses humiliations, Pierre reconnaît en lui la splendeur de son Dieu. De fait, mes frères, il me parait juste qu’il en soit ainsi. Jésus s’est humilié à cause de nous : glorifions-le donc ce n’est pas pour lui-même qu’il est devenu fils de l’homme : c’est pour nous. C’est ainsi qu’il est devenu le fils de l’homme, puisque « le Verbe s’est fait chair et qu’il a habité parmi nous ah ». Et voilà pourquoi « Dieu le Père l’a marqué de son sceau ». Qu’est-ce qu’apposer notre marque, sinon appliquer sur un objet quelque chose qui nous soit personnel ? Sceller de son sceau n’est donc autre chose que placer un signe qui ne puisse être pris pour un autre : sceller de son sceau, c’est donc imprimer un signe sur un objet. Tu apposes une marque sur un objet quelconque donc, tu fais sur lui une empreinte afin de pouvoir le reconnaître et ne pas le confondre avec d’autres. « Le Père l’a » donc « marqué de son sceau ». Il lui a donc imprimé un signe distinctif qui empêche de le comparer aux autres hommes. Aussi, en parlant de lui, le Prophète a-t-il dit : « Dieu, votre Dieu, vous a sacré d’une onction de joie qui vous élève au-dessus de tous ceux qui doivent la partager ai ». Qu’est-ce donc que marquer de son sceau ? C’est mettre dans un rang à part : c’est, en d’autres termes, établir une préférence entre une personne et ses copartageants. Veuillez donc, nous dit-il, ne pas me mépriser parce que je suis fils de l’homme : demandez-moi, « non le pain qui périt, mais celui qui demeure pour la vie éternelle ». Car je suis de telle manière le fils de l’homme, que vous ne devez point me considérer comme l’un d’entre vous, et que Dieu le Père m’a marqué de son sceau. Il m’a marqué de sou sceau, qu’est-ce à dire ? Il a imprimé sur moi un signe particulier, en vertu duquel je dois délivrer tous les hommes au lieu de me confondre avec eux.

12. « Tous lui dirent donc : Que ferons-nous pour accomplir les œuvres de Dieu ? » Car il leur avait dit lui-même : « Travaillez, non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui demeure dans la vie éternelle ».— « Que ferons-nous ? » Par quelles œuvres pourrons-nous accomplir ce commandement ? « Jésus répondit : L’œuvre de Dieu, c’est de croire en Celui qu’il a envoyé ». Voilà donc ce qui s’appelle manger, « non le pain qui périt, mais celui qui demeure pour la vie éternelle ». Pourquoi tenir prêts tes dents et ton estomac ? Crois, et tu auras pris cette nourriture. En effet, la foi se distingue des œuvres, selon ces paroles de l’Apôtre : « L’homme est justifié par la foi, sans les œuvres de la loi aj ». Et il y a des œuvres qui paraissent bonnes, sans la foi en Jésus-Christ ; mais, en réalité, elles ne le sont point, arec qu’elles ne se rapportent pas à cette fin, qui donne du mérite à nos œuvres. « Car Jésus-Christ est la fin de la loi, pour justifier ceux qui croiront ak ». 2 n’a donc pas voulu séparer la foi des œuvres, mais il a déclaré que la foi est une œuvre ; car c’est la foi qui agit par la charité al. Et il n’a pas dit : Votre œuvre, mais « l’œuvre de Dieu, c’est de croire en Celui qu’il a envoyé » ; il s’est exprimé ainsi, afin que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur am. Mais parce qu’il les excitait à croire en lui, ceux-ci lui demandaient aussi des prodiges qui les porteraient à croire. Vois si vraiment les Juifs ne réclament pas des miracles. Ils lui dirent donc : « Quel signe faites-vous, afin que nous le voyions et que nous croyions en vous ? Quelles sont vos œuvres ? » Pour eux, était-ce peu de chose d’avoir été nourris avec cinq pains ? Non, ils le savaient bien ; mais à cette nourriture, ils préféraient encore la manne du ciel. Pour le Seigneur Jésus, il parlait de lui-même de telle façon qu’il se plaçait au-dessus de Moïse ; car celui-ci n’a jamais osé dire de soi qu’il donnait, non un pain périssable, « mais un pain qui demeure pour la vie éternelle ». Jésus promettait donc plus que Moïse. Les promesses de celui-ci avaient, en effet, pour objet un royaume, une terre où coulaient le lait et le miel, une paix temporelle, un grand nombre d’enfants, la santé du corps, et tous les autres avantages de cette vie. De pareils biens étaient, sans doute, matériels, mais, en définitive, ils étaient la figure des biens spirituels. Ces promesses s’adressaient au vieil homme et sous l’empire de l’ancienne alliance. Les hommes qui suivaient le Sauveur, établissaient donc un parallèle entre les promesses de Moïse et celtes du Christ. De la part du premier, ils avaient en perspective toutes les satisfactions terrestres ; mais c’était un aliment périssable : de la part du Sauveur, ils devaient recevoir, « non la nourriture qui périt, mais celle qui demeure pour la vie éternelle ». Ils remarquaient que ses promesses étaient plus grandes, mais aussi qu’il opérait de moindres prodiges. Ils se rappelaient ceux de Moïse, et ils étaient disposés à en demander de plus frappants encore à celui qui leur faisait de si belles promesses. Que faites-vous, lui dirent-ils, tour que nous croyions en vous ? Veux-tu être certain qu’ils comparaient les miracles de Moïse à celui de la multiplication des pains, et qu’ils regardaient comme les moindres ceux qu’opérait Jésus ? En voici la preuve ils ajoutèrent : « Nos pères ont mangé la manne au désert ». Mais qu’est-ce que la manne ? Vous en avez peut-être une petite idée : « Ainsi qu’il est écrit, il leur a donné la manne pour nourriture ». Moïse a obtenu pour nos pères un pain venu du ciel, et, pourtant, Moïse ne leur a pas dit : « Travaillez, non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui demeure dans la vie éternelle » ; et, néanmoins, il a opéré des prodiges bien autres que les vôtres. Il ne nous a pas distribué du pain d’orge, il nous a donné une manne venue du ciel.

13. « Jésus donc leur dit : En vérité, en vérité je vous le dis : Moïse ne vous a pas donné le pain du ciel ; mais mon Père vous donne, le véritable pain du ciel ; car le pain qui descend du ciel est le vrai pain, et il donne la vie éternelle ». Le vrai pain, c’est donc celui qui descend du ciel an c’est celui-là même, dont je vous ai parlé tout à l’heure : « Travaillez, non pour le pain qui périt, mais pour celui qui demeure dans la vie éternelle ». La manne elle-même en était la figure, et tous les prodiges de Moïse préfiguraient les miens. Vous admirez des miracles qui annonçaient tes miens, et à ceux dont ils étaient l’annonce et l’image, vous ne faites pas attention ? Donc, Moïse n’a point donné un pain venu du ciel : pour Dieu, il donne du pain ; mais quel pain ? serait-ce de la manne ? Non ; c’est le pain dont elle était la figure : c’est, en d’autres termes, Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même. « Mon Père vous donne le véritable pain, car le pain de Dieu, c’est celui qui est descendu du ciel et qui donne la vie au monde. Ils lui dirent donc : « Seigneur, donnez-nous toujours de ce pain ». En une autre circonstance le Sauveur avait déjà dit, dans le même sens, à la Samaritaine : « Quiconque boira de cette eau n’aura jamais soif ». Elle avait donné à ces paroles une signification toute matérielle, et cependant elle ne voulait point souffrir du manque d’eau ; elle lui répondit donc aussitôt : « Seigneur, donnez-moi de cette eau ». Ainsi firent les Juifs : « Seigneur, donnez-nous de ce pain », qui répare nos forces et ne nous fasse jamais défaut.

14. « Et Jésus leur dit : Je suis le pain de vie : celui qui vient à moi n’aura pas faim, et celui qui croit en moi n’aura jamais soif ». Ces paroles : « Celui qui vient à moi », sont les mêmes que ces autres : « Celui qui croit en moi » ; et celles-ci : « n’aura pas faim », sont corrélatives à celles-là : « n’aura jamais soif ». Car toutes deux indiquent une satiété sans fin, qui ne fera jamais place à aucun besoin. Vous désirez un pain venu du ciel : il est devant vous, et vous n’en profitez pas. « Mais je vous l’ai dit : Vous m’avez vu, et vous n’avez pas cru en moi ». Néanmoins, je ne me trouve pas pour cela sans peuple, car votre infidélité serait-elle capable d’anéantir toute croyance en Dieu ao ? Écoute, en effet, ce qui suit : « Tout ce que mon Père me donne viendra à moi, et celui qui viendra à moi, je ne le repousserai point dehors ». Quel est donc cet intérieur, au-dehors duquel on n’est point jeté ? C’est un sanctuaire inviolable, c’est une douce retraite. O retraite à l’abri de tout ennui, où l’on n’éprouve l’amertume d’aucune mauvaise pensée, où ne viennent nous tourmenter ni les tentations, ni la douleur ! N’est-ce point dans cette retraite bénie que sera admis le bon serviteur, à qui le Seigneur dira : « Entre dans la joie de ton Maître ap ».

15. « Et celui qui viendra à moi, je ne le mettrai pas dehors. Car je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais pour faire la volonté de Celui qui m’a envoyé ». Si vous ne chassez pas au-dehors celui qui vient à vous, c’est donc parce que vous êtes descendu pour faire, non votre volonté, mais la volonté de celui qui vous a envoyé. Ineffable mystère ! Je vous en conjure : frappons tous ensemble à la porte de ce sanctuaire, afin qu’il en sorte de quoi nous sustenter comme il en est sorti de quoi nous charmer. « Celui qui viendra à moi » : quelle douce, quelle admirable retraite ! Attention ! Attention ! Pèse bien ces paroles : « Celui qui viendra à moi, je ne le mettrai pas dehors ». Il dit donc : « Celui qui viendra à moi, je ne le mettrai pas dehors ». Pourquoi cela ? « Parce que je suis descendu du ciel pour faire, non ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé ». Vous êtes descendu du ciel pour faire, non votre volonté, mais la volonté de Celui qui vous a envoyé : est-ce bien là le motif pour lequel vous ne mettez pas dehors celui qui vient à vous ? Oui, c’est lui. Pourquoi le lui demander, puisqu’il nous le dit lui-même ? Il ne nous est pas permis d’en supposer un autre que celui qu’il nous indique. « Celui qui viendra à moi, je ne le mettrai pas dehors » ; et comme si tu cherchais à en connaître la cause, il ajoute : « Parce que je suis venu faire, non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé ». Je crains bien que certaines âmes ne se soient vues rejetées de Dieu pour avoir été orgueilleuses : le doute à cet égard ne m’est pas même permis. De fait, il est écrit : « Le principe de tout péché, c’est l’orgueil », et « le principe de l’orgueil dans l’homme, c’est l’éloignement de Dieu ». Cela est écrit, cela est positif, cela est certain. Et à propos du mortel orgueilleux, au sujet de cet être qui n’est couvert que de lambeaux de chair, qui plie sous le poids d’un corps destiné à pourrir, et qui pourtant s’élève à ses propres yeux parce qu’il oublie de quelle nature est son vêtement de peau, l’Écriture s’exprime ainsi : « De quoi la terre et la cendre peuvent-elles s’enorgueillir ? De quoi sont-elles si fières ? » Qu’elles disent : « Pourquoi l’homme s’élève. Parce qu’il a, durant sa vie ; jeté toutes ses entrailles aq ». Que veut dire ce mot : « il a jeté », sinon il a jeté ? C’est s’en aller au-dehors. Entrer en soi-même, veut dire : rechercher ce qui est à l’intérieur ; jeter ses entrailles, signifie : se jeter dehors. L’orgueilleux jette hors de lui ses entrailles, l’homme humble s’y attache ; si l’orgueil nous fait sortir de nous-mêmes, l’humilité nous y fait rentrer.

16. La source de toutes les maladies de l’âme, c’est l’orgueil, parce qu’il est la source de toutes les iniquités. Lorsqu’un médecin entreprend une cure, s’il ne s’enquiert que des effets produits par une cause quelconque, sans chercher à découvrir cette cause elle-même, il peut bien pour un temps remédier au mal, mais tôt ou tard la maladie reparaît, parce que la cause en est toujours subsistante. Je me sers d’un exemple pour mieux expliquer ma pensée. Les humeurs produisent, dans le corps où elles se trouvent, la gale ou des ulcères ; de là une fièvre violente, des douleurs insupportables : on s’empresse d’apporter des remèdes pour faire disparaître la gale et calmer les ardeurs occasionnées par la formation des ulcères ; on les applique, ils produisent leur effet ; on croirait guéri l’homme que l’on voyait jadis couvert de gale ou de plaies hideuses ; mais parce qu’il n’a pas été purgé, les abcès ne tardent pas à reparaître. Le médecin s’en aperçoit ; il débarrasse le malade de ses humeurs, et c’en est fini avec ses ulcères. D’où viennent les iniquités nombreuses ? De l’orgueil : détruis-le en toi, et tu n’y verras plus le péché. Afin de détruire la cause de toutes les maladies de notre âme, c’est-à-dire notre orgueil, le Fils de Dieu est descendu sur la terre et s’est fait humble. O homme, pourquoi t’enorgueillir ? C’est à cause de toi que Dieu s’est fait humble. Il te répugnerait sans doute de suivre un homme dans la voie de l’humilité, imite du moins l’humilité d’un Dieu. Le Fils de Dieu s’est incarné, il s’est fait humble : il te commande d’être humble, mais pour accomplir ses ordres, il n’est pas nécessaire pour toi de cesser d’être un homme et de t’abaisser au niveau de la brute. Tout Dieu qu’il était, le Verbe s’est fait homme ; pour toi, ô homme, reconnais que tu es un homme : toute ton humilité consiste à savoir qui tu es. Parce qu’il te recommande l’humilité, le Sauveur a dit : « Je suis venu pour dire, non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé ». Voilà bien une vraie leçon d’humilité. En effet, l’orgueilleux fait sa propre volonté : L’homme humble fait celle de Dieu. C’est pourquoi « celui qui viendra à moi, je ne le mettrai pas dehors ». Pourquoi ? Parce que « je suis venu faire, non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé ». Je suis apparu humble, je suis venu enseigner à devenir humble, je suis le docteur de l’humilité. Celui qui vient à moi, s’incorpore à moi ; celui qui vient à moi, devient humble ; celui qui s’attache à moi, pratique l’humilité ; car il fait, non point sa propre volonté, mais celle de Dieu ; aussi ne le mettrai-je pas dehors, bien que je l’aie rejeté loin de moi, lorsqu’il était orgueilleux.

17. Le Psalmiste appelle notre attention sur ces choses intérieures : « Les enfants des hommes espéreront à l’ombre de vos ailes ». Vois ce que c’est que pénétrer à l’intérieur de Dieu, se mettre sous sa protection, courir même au-devant des coups de ce bon Père. Car il châtie tous ceux qu’il reçoit au nombre de ses enfants. « Les enfants des hommes espéreront à l’ombre de vos ailes ». Et que trouveront-ils dans l’intérieur de Dieu ? « Ils seront enivrés de l’abondance de votre maison ». Dès que vous les aurez fait entrer, et qu’ils auront goûté la joie de leur Seigneur, « ils seront enivrés de l’abondance de votre maison, et vous les abreuverez au torrent de vos délices, parce qu’en vous se trouve la source de la vie ». Ce n’est point à l’extérieur, en dehors de vous que se trouve la source de la vie, c’est au dedans de vous, à l’intérieur. « Et, dans votre lumière, nous verrons la lumière. Étendez votre miséricorde sur ceux qui vous connaissent, et votre justice sur ceux qui ont le cœur droit ». Ceux qui suivent la volonté de leur Dieu, ceux qui recherchent, non leurs intérêts, mais les intérêts de Notre-Seigneur Jésus-Christ, voilà les hommes qui ont le cœur droit, voilà les hommes dont les pas ne chancellent point ; car « le Dieu d’Israël est bon pour ceux qui ont le cœur droit ». Mes pas, ajoute le Psalmiste, « ont presque chancelé ». Pourquoi ? « Parce que je me suis indigné contre l’insensé, en voyant la paix des impies ar ». Pour qui donc Dieu serait-il bon, sinon pour ceux qui ont le cœur droit ? Pour moi, qui ai le cœur tordu, li conduite de Dieu m’a déplu. Pour quel motif ? Parce qu’il a accordé le bonheur aux méchants : et mes pieds ont chancelé, comme si j’avais inutilement servi Dieu. Mes pieds se sont presque dérobés sous moi : c’était donc parce que je n’avais pas le cœur droit. Mais qu’est-ce qu’un cœur droit ? C’est celui qui suit la volonté divine. Celui-ci est heureux, celui-là souffre ; celui-ci mène une mauvaise conduite, et rien ne manque à son bonheur celui-là subit toutes sortes d’épreuves, et pourtant sa vie est exemplaire. Que l’homme dont la vie se passe dans la pratique du bien ne s’emporte point parce qu’il se voit en butte à l’infortune ; il a une retraite intérieure que ne possède pas le pécheur heureux : qu’il ne se laisse donc aller ni à la tristesse, ni au découragement, ni à la défaillance. L’un possède de l’or dans ses coffres, l’autre possède Dieu en sa conscience : établis maintenant une comparaison entre l’or et Dieu, entre ces coffres et cette conscience. Le premier possède un or périssable, qu’il lui faudra quitter plus tard ; le second est en possession de Dieu, qui vivra toujours, et dont rien ne pourra le séparer ; mais pour cela faut-il qu’il ait le cœur droit ; car alors il entre et ne sort pas. Voilà pourquoi le Prophète disait : « Parce qu’en vous, non pas en nous, se trouve la source de la vie ». Cherchons donc à entrer, afin de trouver la vie, et ne cherchons, ni à nous suffire à nous-mêmes, car nous trouverions la mort ; ni en quelque sorte à nous contenter de l’aliment de notre seule volonté, car nous dépéririons ; mais appliquons nos lèvres à cette fontaine qui ne tarit jamais. Parce que Adam n’a voulu clans sa conduite écouter que ses propres inspirations, il est tombé sous les efforts de l’ange que l’orgueil avait déjà arraché du ciel, et qui l’a fait boire lui-même à la coupe de l’orgueil. Il est écrit : « En vous se trouve la source de la vie ; et dans votre lumière nous verrons la lumière ». Abreuvons-nous donc en Dieu, portons sur lui nos regards. Pourquoi sort-on de lui ? écoute, le voici : « Que je n’aie point un pied orgueilleux ». Il sort donc de Dieu, celui qui a un pied orgueilleux. Donnes-en la preuve. « Et que la main des impies ne m’ébranle pas », à cause de mon pied orgueilleux. Pourquoi t’exprimer ainsi : « Voilà l’écueil des ouvriers d’iniquité ? » Quel est cet écueil ? Nul autre que l’orgueil. « Ils y sont tombés et ne pourront s’en relever as ». Si l’orgueil précipite au-dehors des hommes qui ne pourront plus se tenir debout, l’humilité en fait entrer qui se tiendront éternellement debout. Voilà pourquoi avant de dire : « Mes os humiliés tressailliront », le Prophète s’était exprimé ainsi : « Vous ferez retentir à mon oreille la joie et l’allégresse at ». Que veut dire : « à mon oreille ? » En vous écoutant, je suis heureux : les accents de votre voix me comblent de bonheur. Je m’abreuve en vous, et j’y puise la félicité. C’est pourquoi je ne tombe pas ; c’est pourquoi mes « os humiliés tressailliront » ; c’est pourquoi encore « l’ami de l’époux se tient debout et « l’écoute au ». Il se tient debout, parce qu’il écoute. Il s’abreuve à la source intérieure de Dieu : aussi se tient-il debout. Pour ceux qui n’ont pas voulu puiser à cette source d’eaux vives, « voilà leur écueil : ils y sont tombés et ne s’en relèveront pas ».

18. Le Maître de l’humilité n’est donc parvenu pour faire sa volonté, mais pour faire la volonté de Celui qui l’a envoyé. Allons donc à lui, pénétrons en lui, incorporons-nous à lui, afin de faire, non pas notre volonté propre, mais celle de Dieu. De la sorte, il ne nous mettra pas dehors, parce que nous serons ses membres, et qu’en nous enseignant l’humilité, il a voulu être notre chef. Enfin, écoutez cette autre leçon du Sauveur : « Venez à moi, vous tous qui souffrez et qui êtes accablés : prenez mon joug sur vos épaules et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur » ; et quand vous l’aurez appris, « vous trouverez le repos de vos âmes av ». Apprenez aussi que ce qui vous empêchera d’être rejetés loin de Dieu, c’est « que je suis descendu pour faire, non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé ». Je vous enseigne l’humilité : personne, à moins d’être humble, ne peut venir à moi. Dieu ne repousse loin de lui que les orgueilleux ; pourrait-il en éloigner de même celui qui conserve l’humilité et ne s’en écarte pas ? Mes frères, j’ai dit tout ce qu’il m’était possible de dire sur le sens caché de ce passage ; car il renferme un sens profondément mystérieux. Je ne sais, à vrai dire, si je me suis convenablement exprimé pour le bien exposer et faire ressortir, si j’ai expliqué suffisamment qu’il ne rejette pas l’homme qui vient à lui, par cette raison qu’il est venu faire, non pas sa propre volonté, mais la volonté de Celui qui l’a envoyé.

19. « Et telle est », dit-il, la volonté de « mon Père, qui m’a envoyé, c’est que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés ». Celui qui garde l’humilité, lui a été donné : le Sauveur le reçoit ; mais celui qui n’est pas humble, est bien loin du maître de l’humilité : « C’est que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés. La volonté de votre Père est qu’aucun de ces petits ne périsse ». Parmi les orgueilleux, il en est qui peuvent périr ; parmi les humbles, on n’en voit périr aucun. « Si vous ne devenez pareils à ce petit enfant, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux aw. Je ne perdrai aucun de ceux que mon Père m’a donnés, mais je les ressusciterai au dernier jour ». Voyez comme il distingue ici cette double résurrection. « Celui qui vient à moi », celui de mes membres qui devient humble, ressuscite déjà maintenant ; de plus, « je le ressusciterai au dernier jour », selon la chair. « Car c’est la volonté de mon Père, qui m’a envoyé, que quiconque voit le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour ». Il avait dit plus haut : « Celui qui écoute ma parole, et croit à Celui qui m’a envoyé ». Il dit ici : « Celui qui voit le Fils et croit en lui ». Il ne dit pas : Celui qui voit le Fils et croit au Père ; car, croire au Fils, c’est croire au Père, parce que « comme le Père a la vie en soi, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir en soi la vie ax. Afin que quiconque voit le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle » ; en croyant, et en passant à la vie, par une première résurrection. Mais, parce qu’elle n’est pas la seule, il ajoute : « Je le ressusciterai au dernier jour ».

VINGT-SIXIÈME TRAITÉ.

DEPUIS L’ENDROIT OÙ IL EST ÉCRIT : « LES JUIFS DONC MURMURAIENT CONTRE LUI, PARCE QU’IL AVAIT DIT : JE SUIS LE PAIN VIVANT DESCENDU DU CIEL », JUSQU’A CET AUTRE : « CELUI QUI MANGE DE CE PAIN, VIVRA ÉTERNELLEMENT ». (Jean, 6, 41-59.)

LA FOI EN JÉSUS-CHRIST.

Parce que les Juifs n’avaient pas soif de la justice, ils ne comprirent point que Jésus était le vrai pain descendu du ciel ; ils murmurèrent donc en entendant ses paroles : en cela rien d’étonnant. Pour croire au Christ, il faut être attiré h. la foi par la grâce divine, qui, en nous instruisant, nous amène, d’une manière efficace, mais librement, au bien par l’organe le Jésus-Christ, Fils de Dieu incarné. Comme il est le pain de vie, croire en lui, c’est avoir la vie éternelle de l’âme. La manne du désert n’a pu la donner aux Israélites, parce qu’ils manquaient de foi : l’Eucharistie ne l’a pas davantage procurée fleurs descendants, pour la même raison, car elle n’est pain de vie que pour les croyants. Celui donc qui mange ce pain dans les sentiments de la foi et de la charité, possède la vie éternelle de l’âme, et le principe de la résurrection de son corps.

1. Nous venons de l’apprendre par la lecture de l’Évangile Notre-Seigneur Jésus-Christ ayant dit qu’il était un pain descendu du ciel, les Juifs éclatèrent en murmures et s’écrièrent : « N’est-il pas ce Jésus, fils de Joseph, dont nous connaissons le père et la mère ? Comment dit-il : Je suis descendu du ciel ? » Les Juifs étaient loin de s’occuper du pain du ciel, et ils ne savaient pas en avoir faim. Par faiblesse, leur cœur ne pouvait ni demander ni recevoir aucune nourriture ; ils avaient des oreilles, et n’entendaient rien ; ils avaient des yeux pour ne rien voir. Car, ce pain de l’homme intérieur exige de l’appétit. Voilà pourquoi il est dit ailleurs : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés ay ». Or, l’apôtre saint Paul nous dit que le Christ est notre justice az. Par conséquent, celui qui a faim de ce pain, doit avoir faim de la justice, mais de cette justice qui descend du ciel et que Dieu donne, et non pas de celle que l’homme se fait à lui-même. L’homme se fait parfois de lui-même sa propre justice ; s’il en était autrement, le même Apôtre ne dirait pas, en parlant des Juifs : « Ne connaissant point la justice de Dieu, et s’efforçant d’établir leur propre justice, ils ne se sont point soumis à la justice de Dieu ba ». De ce nombre étaient ces autres Juifs, qui n’avaient aucune idée du pain descendu du ciel, parce que, rassasiés de leur propre justice, ils n’éprouvaient aucun désir de la justice de Dieu. Qu’est-ce donc que la justice de Dieu ? Qu’est-ce que celte des hommes ? Par justice de Dieu, il faut entendre ici, non pas cette perfection qui constitue la sainteté de Dieu, mais celle qu’il donne à l’homme, afin de l’établir dans la sainteté par sa grâce. Quant aux Juifs, en quoi consistait leur justice ? En ce qu’ils présumaient de leurs forces, et prétendaient être, en quelque sorte, les parfaits observateurs de la loi, sans aucun aide venu d’ailleurs : personne ne peut accomplir la loi sans le secours de la grâce, c’est-à-dire du pain descendu du ciel. « Car », dit en deux mots l’Apôtre, « l’amour est la plénitude de la loi  bb ». L’amour, non de l’argent, mais de Dieu ; non de la terre ou du ciel, mais de Celui qui a fait le ciel et la terre. D’où vient à l’homme cet amour de Dieu ? Saint Paul nous le dit. Écoutons-le : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné bc ». Avant de nous donner le Saint-Esprit, le Sauveur s’est donc présenté à nous comme le pain descendu du ciel, et nous a exhortés à croire en lui. Croire en lui, c’est manger le pain vivant. Celui qui croit, mange : il se nourrit invisiblement, parce qu’il renaît d’une manière invisible ; c’est intérieurement un enfant, un homme nouveau : ce qui le renouvelle, le rassasie par lot même.

2. Les Juifs murmuraient donc contre Jésus ; quelle fut sa réponse ? « Ne murmurez pas entre vous » ; ce qui voulait dire : Je le vois bien, vous n’éprouvez aucun désir pour ce pain ; vous n’avez nulle idée de ce qu’il est ; vous ne cherchez pas à vous le procurer. « Ne murmurez pas entre vous : nul ne peut venir à moi, si le Père, qui l’a envoyé, ne l’attire ». Admirable éloge de la grâce : Nul ne vient sans être attiré. Qui attire-t-il ? Qui n’attire-t-il pas ? Pourquoi attire-t-il celui-ci ? Pourquoi n’attire-t-il pas celui-là ? Autant de questions desquelles tu ne dois pas t’établir juge, si tu ne veux pas te tromper. Je te le dis une fois pour toutes : saisis bien ma pensée. Dieu ne t’attire rias encore ? Prie-le de le faire. Mes frères, que disons-nous ? Si nous sommes attirés vers le Christ, nous croyons donc en lui malgré nous : on nous fait donc violence, et notre volonté reste étrangère à notre acte de foi ? Un homme peut entrer à l’Église, s’approcher de l’autel, recevoir le sacrement, sans aucun consentement de sa part ; mais, pour croire, il faut nécessairement le libre concours de la volonté. Si la foi venait du corps, elle pourrait se trouver en des hommes qui n’y acquiesceraient nullement ; mais elle ne vient pas de là. Écoute l’Apôtre : « On croit par le cœur ». Et il ajoute : « Et l’on confesse par la bouche, pour parvenir au salut bd ». Cette confession procède du fond du cœur, Les hommes qui font leur profession de foi ne sont pas rares : Tu as parfois entendu des hommes qui font leur profession de foi ; mais tu ne connais pas quel est celui qui ne croit pas réellement, et tu ne peux donner le nom de confesseur de la foi à l’homme que tu reconnais comme incroyant ; car la confession consiste à dire ce que pense réellement le cœur : si tu dis le contraire de ce que tu penses intérieurement, tu parles, mais tu ne fais pas de profession de foi. C’est donc par le cœur que l’on croit au Christ : personne ne le fait contre son gré, et, pourtant, il semblerait que celui qui y est attiré, le fait malgré lui, et forcément. Comment résoudre la difficulté que présente ce passage : « Nul ne vient à moi, si le Père, qui m’a envoyé, ne l’attire ? »

3. Quiconque est attiré, dira quelqu’un, marche à contre-cœur. S’il marche à contrecœur, il ne croit pas ; et s’il ne croit pas, il ne marche pas davantage. Ce n’est pas, en effet, par la marche que nous nous approchons du Christ : c’est par la foi ; pour cela, nous n’avons pas de mouvement à imprimer à notre corps : il suffit d’avoir au cœur de la bonne volonté. Voilà pourquoi cette femme, qui toucha la robe du Sauveur, la toucha plus que la foule qui se pressait autour de lui. Aussi Jésus dit-il : « Qui est-ce qui m’a touché ? » Les disciples étonnés lui répondirent : « La multitude vous presse, et vous demandez qui vous a touché ? » Et il répéta : « Quelqu’un m’a touché be ». La femme le louche, la multitude le presse ; que veut donc dire ce mot : « M’a touché », sinon : a cru ? De là vient encore que, après sa résurrection, le Christ s’adressa en ces termes à cette autre femme qui voulait se jeter à ses pieds : « Ne me touche pas, car je ne suis pas encore « monté vers mon Père bf ». À ton avis, je ne suis que ce que tu me vois ; ne me touche pas. Quel est le sens de ces paroles ? Selon ton idée, je ne suis pas autre que ce que je te semble être. Ne t’y trompe pas, il n’en est pas ainsi, c’est-à-dire : « Ne me touche pas, car je ne suis point encore remonté vers mon Père ». Pour toi, je ne suis pas monté vers mon Père, car je ne me suis jamais séparé de lui. Elle ne touchait point le Sauveur, quand il était sur la terre ; comment le toucherait-elle au moment de son retour vers son Père ? C’est ainsi, néanmoins, c’est de cette manière qu’il a voulu être touché ; ainsi l’est-il par tous ceux qui le touchent bien, quoiqu’il monte au ciel, qu’il demeure en son Père, et qu’il lui soit égal.

4. Reporte ton attention sur ces paroles : « Nul ne vient à mol, si mon Père ne l’attire ». Ne t’imagine pas que tu sois attiré malgré toi ; car l’amour entraîne les âmes. Il est des hommes qui pèsent le sens de toutes les paroles, et qui sont loin de comprendre toutes choses, surtout les choses de Dieu ; mais nous n’avons nullement à craindre de les voir nous reprocher ce passage des saintes Écritures qui se trouve dans l’Évangile, et nul d’entre eux ne nous dira Si je suis entraîné, comment pourrai-je avoir une foi parfaitement libre ? Car je le dis : ce n’est pas assez d’être entraînés volontairement, nous le sommes encore avec plaisir. Qu’est-ce, en effet, qu’être entraîné avec plaisir ? « Mets tes délices dans le Seigneur, et il remplira tous les désirs de ton cœur bg ». Le cœur qui éprouve la douceur du pain céleste, ressent un véritable plaisir. Or, s’il est vrai de dire avec le poète : « Chacun est conduit par l’attrait de ses propres penchants 
Virgile, Eglogue, 2
 » ; non par la nécessité, mais par l’attrait du plaisir ; non par le devoir, mais par la jouissance : à plus forte raison devons-nous dire que celui-là est attiré vers le Christ, qui trouve ses délices dans la vérité, la béatitude, la justice, l’éternelle vie ; car le Christ est tout cela. Quand les sens corporels ont leurs plaisirs, les facultés de l’âme en seraient-elles dépourvues ? Et si l’âme n’avait point de jouissances à elle, comment le Psalmiste aurait-il pu dire : « Les enfants des hommes espéreront à l’ombre de vos ailes ; ils seront enivrés de l’abondance de votre maison ; vous les abreuverez au torrent de vos délices ; car, en vous est la source de la vie, et dans votre lumière nous verrons la lumière bi ? » Donne-moi un homme qui aime lieu, et il éprouvera la vérité de ce que je dis : donne-moi un homme rempli du désir et de la faim de ce pain céleste, engagé dans le désert de cette vie et dévoré par la soif de Injustice, soupirant après la fontaine de l’éternelle patrie ; donne-moi un tel homme, et il me comprendra. Mais si je m’adresse à un homme glacé par le froid de l’indifférence, il ne saisira pas mes paroles. Tels étaient les murmurateurs dont parle notre Évangile. « Celui que mon Père attire vient à moi ».

5. Mais pourquoi dire : « Celui que mon Père attire », puisque le Christ attire aussi ? dans quelle intention le Sauveur a-t-il dit : « Celui que mon Père attire ? » Si nous devons être entraînés, soyons-le par celui à qui l’épouse animée par l’amour adressait ces paroles : « Nous courrons sur tes pas à l’odeur de tes parfums bj ». Remarquons bien, mes frères, et, autant que possible, efforçons-nous de comprendre ce que le Sauveur veut nous faire entendre. Le Père attire à son Fils ceux qui croient au Fils, parce qu’ils reconnaissent Dieu pour son Père ; car Dieu le Père s’est engendré un Fils égal à lui ; l’homme qui reconnaît dans sa pensée que le Fils est égal au Père, et qui, sous l’empire de sa foi, sent vivement cette vérité, et la rappelle sans cesse à son esprit, le Père l’attire vers son Fils. Arius n’a vu en Jésus qu’une simple créature ; aussi le Père ne l’a-t-il pas attiré, car celui-là n’a le Père en aucune estime, qui ne reconnaît pas le Fils comme son égal. Que dis-tu, ô Arius ? O hérétique, quel langage tiens-tu ? Qu’est-ce que le Christ ? – Ce n’est pas le vrai Dieu : il n’en est que la créature. – Tu n’es pas attiré par le Père, puisque tu ne reconnais pas son Fils, loin de là ; puisque tu dis positivement qu’il n’a pas de Fils : aussi n’es-tu ni attiré par le Père, ni attiré vers le Fils ; car autre chose est le Fils, autre chose est ce que tu en dis. Au dire de Photin, le Christ n’est qu’un homme : il n’est pas Dieu. Les partisans de cet hérétique, le Père ne les attire pas. Le Père a attiré celui qui a dit : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant ». Vous n’êtes ni un Prophète, ni saint Jean, ni un grand saint, mais « vous êtes le Christ Fils » unique « du Dieu vivant », et son égal. Oui, il a été attiré : il l’a été par le Père ; tu en trouves la preuve dans ces paroles du Sauveur : « Simon, fils de Jona, tu es heureux, car la chair et le sang ne t’ont pas révélé ceci, mais mon Père qui est dans les cieux bk ». Cette révélation du Père n’est autre que son attraction. Tu montres à une brebis une branche de feuillage, et tu l’attires ; offre des noix aux regards d’un enfant, et tu l’attireras : et il est attiré à l’endroit où il court, par l’affection, sans dommage pour son corps, sous l’empire des sentiments de son cœur. S’il est vrai qu’un homme se laisse entraîner vers un objet dont les attraits et les délices sollicitent son affection, suivant cet incontestable adage : « Chacun est conduit par l’attrait de ses propres penchants » ; le Père, en faisant connaître le Christ, n’aurait aucun empire sur les cœurs ? Mais rien n’a plus de force que la vérité pour exciter dans une âme d’ardents désirs. Pour quelle occurrence avoir un meilleur appétit, pourquoi désirer un palais plus apte à juger des saveurs, sinon pour se nourrir et s’abreuver de la sagesse, de la justice, de la vérité, de l’éternité ?

6. Mais où serons-nous rassasiés ? Au ciel, nous le serons mieux, plus véritablement, plus parfaitement que partout ailleurs. Car ici, il nous est plus facile, si nous sommes animés d’une ferme espérance, d’avoir faim que d’être rassasiés ; car « bienheureux ceux « qui ont faim et soif de la justice » sur la terre, « parce qu’ils seront rassasiés » au ciel bl. Aussi, après avoir dit : « Nul ne vient à moi, si le Père, qui m’a envoyé, ne l’attire », il ajoute : « et je le ressusciterai au dernier jour ». Je le mettrai en possession de ce qu’il aime, de ce qu’il espère : il contemplera ce qu’il a cru ici-bas sans le voir ; il se rassasiera de ce dont il a faim, il s’abreuvera de ce dont il a soif. Quand cela ? Au moment de la résurrection des morts, car « je le ressusciterai au dernier jour »

7. « Car il est écrit dans les Prophètes : « Tous seront enseignés de Dieu ». O Juifs, pourquoi me suis-je exprimé ainsi ? Le Père ne vous a pas encore instruits ; comment donc pouvez-vous me reconnaître ? Tous les citoyens de ce royaume seront enseignés de Dieu, et non des hommes. Et si des hommes les instruisent, ce qu’ils comprennent de leurs leçons, leur est donné, leur apparaît, leur est expliqué intérieurement. Que font les hommes en annonçant extérieurement la vérité ? Que fais-je moi-même, en ce moment, en vous adressant la parole ? Je fais retentir à vos oreilles le bruit de mes paroles. Si celui qui se trouve au dedans de vous ne vous les faisait comprendre, à quoi bon vous parler ? À quoi bon vous entretenir ? L’action de l’arboriculteur s’exerce au-dehors de l’arbre ; celle du Créateur se fait sentir à l’intérieur. Celui qui plante et qui arrose, travaille au-dehors ; c’est ce que nous faisons nous-mêmes ; mais a celui qui plante n’est rien, « non plus que celui qui arrose ; c’est Dieu seul qui donne l’accroissement bm ». C’est-à-dire : « Tous seront enseignés de Dieu ». Qu’est-ce à dire : Tous ? « Quiconque a entendu le Père et a eu l’intelligence, vient à moi ». Remarquez bien la manière dont le Père nous attire : il nous instruit, et, par là, il nous délecte, mais il ne nous force pas. Voilà comme il nous attire « Tous seront enseignés de Dieu » ; il lui appartient de les attirer : « Quiconque a entendu le Père et a eu l’intelligence, vient à moi » : il y est attiré, c’est le fait de Dieu.

8. Eh quoi donc, mes frères ? De ce que quiconque a entendu le Père et a eu l’intelligence, vient au Christ, s’ensuit-il que le Christ n’y a contribué en rien par ses instructions ? Si les hommes ont eu pour précepteur Dieu le Père, sans néanmoins le voir, à quoi leur a servi de voir le Fils ? Le Fils parlait, et le Père enseignait. Moi, qui ne suis qu’un homme, qui est-ce que t’instruis ? Qui est-ce, mes frères, sinon l’homme qui entend ma parole ? Or, si n’étant qu’un homme, j’instruis celui qui m’entend parler, le Père enseigne donc aussi quiconque entend son Verbe ; et puisque l’homme qui entend le Verbe reçoit l’enseignement du Père, cherche à savoir ce qu’est le Christ, et tu apprendras qu’il est le Verbe du Père ; car, « au commencement était le Verbe ». On ne peut pas dire : Au commencement, Dieu a créé le Verbe, dans le sens de cette parole : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre bn ». Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas une créature. Apprends à être attiré par le Père vers le Fils : que le Père t’enseigne, et que tu écoutes son Verbe. Mais, diras-tu, quel est ce Verbe du Père que je dois entendre ? « Au commencement était le Verbe » ; il n’a pas été fait alors, « il était : et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Mais comment, pendant le cours de cette vie terrestre, les hommes peuvent-ils entendre un Verbe de cette nature ? Parce que « le Verbe s’est fait chair, et qu’il a habité parmi nous bo ».

9. Le Sauveur explique lui-même ces paroles, et nous montre ce qu’il a voulu nous dire en s’exprimant ainsi : « Quiconque a entendu le Père et a eu l’intelligence, vient à moi ». Car il ajoute aussitôt ce que nous devons en penser : « Non qu’aucun ait vu le Père, si ce n’est celui qui est de Dieu : celui-là a vu le Père ». Que dit-il ? Moi, j’ai vu le Père : vous, vous ne l’avez pas vu ; et, pourtant, il vous est impossible de venir à moi, si vous n’y êtes attirés par le Père. Mais, qu’est-ce qu’être attiré par le Père, si ce n’est être enseigné de lui ? Être enseigné de lui, sinon l’entendre ? L’entendre, sinon entendre son Verbe, c’est-à-dire moi ? Toutefois, parce que je vous dis : « Quiconque a entendu le Père et a eu l’intelligence », n’allez pas vous dire à vous-mêmes : Mais nous n’avons jamais vu le Père ; comment avons-nous pu recevoir ses instructions ? Car, écoutez-moi, je vais vous le dire : « Non qu’aucun ait vu le Père, si ce n’est celui qui est de Dieu ; celui-là a vu le Père ». Je connais le Père, je viens de lui, comme la parole d’un homme vient de cet homme ; parole, néanmoins, qui ne résonnerait pas, qui ne passerait pas, mais qui demeurerait avec celui qui parle et attirerait celui qui écoute.

10. Dans ce qui suit, nous trouvons un avertissement : « En vérité, en vérité, je vous le dis : celui qui croit en moi a la vie éternelle ». Il a voulu par là nous faire connaître qui il était ; car il aurait pu nous dire en deux mots : Celui qui croit en moi, me possède ; car le Christ est, tout à la fois, le vrai Dieu et la vie éternelle. Aussi, dit-il, celui qui croit en moi va en moi, et quiconque va en moi, me possède. Mais, qu’est-ce que me posséder ? C’est posséder la vie éternelle. La vie éternelle s’est revêtue de la mort ; elle a voulu mourir, et, pour cela faire, elle n’a rien trouvé en elle-même ; elle t’en a emprunté le moyen : tu lui as fourni de quoi mourir pour toi. Il s’est revêtu d’un corps humain, mais pas à la manière des autres hommes. Son Père est au ciel : il s’est, ici-bas, choisi une mère ; pour être engendré dans le ciel, il n’a pas eu de mère : pour l’être en ce monde, il n’a pas eu de père. La vie s’est donc revêtue de la mort, afin que la mort trouvât sa destruction dans la vie. Car, dit-il, « celui qui croit en moi possède la vie éternelle », non déjà manifestée à nos regards, mais encore cachée à nos yeux. « Le Verbe » est, en effet, la vie éternelle : « au commencement il était en Dieu, et le Verbe était Dieu, et la vie était la lumière des hommes ». Le Christ, vie éternelle, a donné la vie éternelle au corps humain qu’il a pris ; lest venu en ce monde pour y mourir. Mais il est ressuscité le troisième jour. La mort a péri, comme étouffée entre le Verbe incarné et son corps rendu à la vie.

11. « Je suis », dit le Sauveur, « le pain de vie ». Les interlocuteurs avaient-ils le droit de se montrer si fiers ? « Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et ils sont morts ». Pourquoi donc vous enorgueillir ? « Ils ont mangé la manne, et ils sont morts ». Pourquoi sont-ils morts, même après avoir mangé la manne ? C’est qu’ils croyaient ce qu’ils voyaient, et ce qu’ils ne voyaient pas, ils ne le comprenaient pas non plus. Ils sont donc réellement vos pères, puisque vous leur ressemblez. Mes frères, nous mangeons le pain descendu du ciel ; mais ne mourons-nous pas de la mort visible du corps ? Les Juifs du désert sont donc morts, comme nous mourrons nous-mêmes, il s’agit bien ici, vous le comprenez, de la mort visible et temporelle de notre corps. Mais s’il est question de cet autre genre de mort, vraiment à craindre, dont le Sauveur parle ici aux Juifs, et qu’ont subi leurs pères, je vous assure que Moïse, Aaron, Phinéès et beaucoup de personnages précieux aux yeux de Dieu par leur sainteté, n’en ont pas éprouvé l’amertume ; et, pourtant, ils ont aussi mangé la manne dans le désert. Mais cette nourriture visible, ils en ont compris la signification toute spirituelle, ils l’ont désirée en esprit et reçue de cœur, et leur âme en a été rassasiée. Nous aussi, nous recevons maintenant un aliment visible ; mais autre chose est de recevoir le sacrement, autre chose est d’en recueillir les fruits. Que de chrétiens participent à la victime du sacrifice, sont frappés par la mort, et ne meurent que pour avoir reçu cet aliment céleste ! Voilà pourquoi l’Apôtre ne craint pas de dire : « Il boit et mange sa propre condamnation bp ». Le corps du Sauveur n’a pas été un poison pour Judas ; et cependant il le reçut, et, quand il l’eut reçu, Satan entra en lui, et cela, non point parce qu’il avait reçu un aliment empoisonné, mais parce qu’il était méchant, et qu’il l’avait reçu avec de mauvaises dispositions. Ayez donc soin, mes frères, de manger spirituellement ce pain venu du ciel, et d’apporter à l’autel un cœur innocent : si vous avez tous les jours des fautes à vous reprocher, que, du moins, elles ne soient pas mortelles. Avant de vous approcher de l’autel, faites attention à ce que vous dites « Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons à ceux qui nous doivent bq ». Si tu pardonnes, tu seras pardonné ; marche en toute sécurité, tu as devant toi du pain, et non du poison ; mais vois bien si tu pardonnes, car si tu ne le fais pas, tu mens, et tu mens à celui que tu ne saurais tromper. Tu peux, en effet, mentir à Dieu, mais le tromper, jamais. Il sait ce que tu fais : il est au dedans de Loi, et il te voit, il te regarde, il t’examine, il te juge, et, dès lors, il te condamne ou te récompense. Quant aux Juifs du désert, ils étaient vraiment les pères des interlocuteurs du Christ ; car s’ils étaient méchants, les seconds ne l’étaient pas moins ; s’ils manquaient de foi, les seconds n’en avaient pas davantage ; s’ils murmuraient, les seconds murmuraient aussi. Et l’on peut dire que si jamais le peuple d’Israël a offensé son Dieu, ç’a été en murmurant contre lui. Aussi, pour montrer que ceux à qui il parlait étaient bien les fils des Juifs du désert, le Sauveur commence-t-il par leur dire : Murmurateurs, enfants d’un peuple qui a murmuré, « pourquoi murmurer entre vous ? Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et ils sont morts », non pas que la manne fût chose mauvaise, mais parce qu’ils l’ont mangée en mauvaises dispositions.

12. « C’est ici le pain qui est descendu du ciel ». Ce pain a été figuré par la manne, et aussi par l’autel du Très-Haut. La manne et l’autel étaient des figures : différents en apparence, ils signifiaient une même chose. Écoute les paroles de l’Apôtre : « Car vous ne devez pas ignorer, mes frères, que nos pères ont tous été sous la nuée, qu’ils ont tous passé la mer Rouge, et qu’ils ont tous été baptisés sous la conduite de Moïse dans la nuée et dans la mer, et qu’ils se sont tous nourris du même aliment spirituel ». En fait de nourriture spirituelle, nous avons tous la même : que s’il s’agit de la nourriture matérielle, ils ont eu la manne, et nous, une autre ; si, au contraire, il est question de la nourriture spirituelle, ils ont eu la même que nous. Mais nos pères se sont montrés bien différents des leurs : nous ressemblons à nos frères, et ils sont animés d’un esprit tout opposé. L’Apôtre ajoute : « Et qu’ils ont bu le même breuvage spirituel ». À eux, un breuvage ; à nous, un autre : breuvages d’apparences diverses, mais représentant la même chose par leur vertu mystérieuse. Mais comment était-ce « le même breuvage ? Parce qu’ils buvaient de l’eau de la pierre mystérieuse, eau qui les suivait : et cette pierre « était Jésus-Christ br ». En figure, le Christ était Pierre ; en réalité, il était Verbe et homme. Et comment ont-ils bu de cette eau ? La pierre a été frappée de deux coups de verge bs ; ces deux coups de verge ne sont autres que les deux bras de la croix. « C’est donc ici le pain qui est descendu du ciel, afin que si quelqu’un en mange, il ne meure point ». Mais il faut bien le remarquer, il s’agit ici du sacrement comme vertu, et non du sacrement comme chose visible ; de celui qui le reçoit intérieurement, et non de celui qui le reçoit seulement à l’extérieur ; du chrétien qui en fait l’aliment de son cœur, et non du chrétien qui se borne à une manducation purement physique.

13. « Je suis le pain vivant qui est descendu du ciel ». Il est vivant, précisément parce qu’il est descendu du ciel. La manne était aussi descendue du ciel, mais elle n’était que l’ombre, tandis que le pain est la réalité. « Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement, et le pain que je donnerai pour la vie du monde, c’est ma chair ». Eh quoi ! la chair serait-elle jamais de telle nature qu’on puisse donner à du pain le nom de chair ? On appelle chair ce que ne comporte pas la nature de la chair, et elle le comporte d’autant moins, qu’on appelle de ce nom ce qui ne l’est pas. Les Juifs frémirent d’horreur en entendant ces paroles ; ils se dirent les uns aux autres que c’était exorbitant ; ils prétendirent que c’était impossible. « C’est », dit le Sauveur, « ma chair qui sera donnée pour le salut du monde ». Les fidèles savent ce que c’est que le corps du Christ, s’ils ont soin d’en faire partie. Qu’ils deviennent donc le corps du Christ, s’ils veulent vivre de son Esprit. Il n’y a, pour vivre de l’Esprit du Christ, que son corps. Mes frères, saisissez bien le sens de mes paroles. Dès lorsque tu es un homme, tu as un esprit et un corps. Sous le nom d’esprit, je désigne ce qu’on appelle l’âme, ce qui fait que tu es homme ; car tu es composé d’un corps et d’une âme. Dis-moi lequel des deux fait vivre l’autre ? Ton esprit puise-t-il sa vie en ton corps ? ou ton corps trouve-t-il la sienne en ton esprit ? Tout homme vivant répond à une telle question ; pour celui qui sent ait incapable d’y répondre, je ne sais, à vrai dire, s’il vit. Tout homme vivant répond donc : Il ne saurait y avoir de doute à cet égard : c’est mon esprit qui fait vivre mon corps. Si, maintenant, tu veux toi-même ; ivre de l’Esprit du Christ, sois l’un de ses membres. Serait-ce, en effet, ton esprit qui ferait vivre mon corps ? Certainement non ; mon esprit fait vivre mon corps, ton esprit fait vivre le tien. Pour le corps du Christ, il ne peut vivre que de l’esprit du Christ. Voilà pourquoi, en nous parlant de ce pain, l’apôtre saint Paul s’exprime ainsi : « Nous ne sommes tous qu’un seul pain et un seul corps ». O profond mystère de piété ! ô signe d’unité ! ô lien de charité ! Celui qui veut vivre, sait où il jouira de la vie, où il la puisera. Qu’il s’approche et qu’il croie, qu’il s’incorpore au Christ, il y trouvera la vie ; qu’il ne lui répugne aucunement de s’unir à d’autres membres ; qu’il ne soit lui-même ni un membre pourri, que l’on doive retrancher du reste du corps, ni un membre difforme dont on puisse rougir : qu’il boit beau, bien proportionné, parfaitement sain ; qu’il ne fasse qu’un avec le corps du Christ ; que, puisant sa vie en Dieu, il vive pour Dieu ; qu’il travaille sur la terre, pour régner un jour dans le ciel.

14. « Les Juifs disputaient donc entre eux et disaient : Comment celui-ci peut-il nous donner sa chair à manger ? » Ils disputaient entre eux, sans aucun doute, parce qu’ils ne comprenaient point que c’était un pain de paix et de concorde, et ne voulaient pas davantage s’en nourrir. Car ceux qui mangent ce pain ne se disputent pas entre eux ; la raison en est que « nous sommes tous un même pain et un même corps ». Et, par ce pain, « Dieu unit les hommes et les fait habiter dans une même maison bt ».

15. Ils disputent entre eux et se demandent comment le Seigneur peut donner sa chair à manger ; néanmoins, le Christ ne le leur apprend point encore ; pour le moment, il se contente de leur dire : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez point la vie en vous ». Vous ignorez pourquoi on mange ce pain et comment on le mange : et, pourtant, « si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez point la vie en vous ». Certes, il ne s’adressait pas à des cadavres, mais à des hommes vivants. Aussi, pour ne point leur laisser supposer qu’il parlait de cette vie terrestre, et les empêcher d’élever une contestation à ce sujet, il ajouta : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, a la vie éternelle » ; d’où il suit que celui qui ne mange pas ce pain et ne boit pas ce sang, ne l’a pas ; car, si les hommes peuvent, sans eux, avoir la vie du temps, ils ne peuvent aucunement, sans eux, posséder la vie éternelle. De là, quiconque ne mange point sa chair et ne boit pas son sang, n’a point la vieen soi ; et quiconque mange sa chair et boit son sang, possède la vie. Pour l’un et l’autre de ces deux hommes, le Sauveur parle de la vie éternelle. Il n’en est pas de même de la no4urriture matérielle que nous prenons pour entretenir en nous la vie du corps. Celui qui n’en prend pas ne peut vivre, et celui qui en prend ne peut se promettre de vivre toujours ; car il peut arriver que beaucoup de ceux qui en prennent, meurent accablés par la vieillesse ou la maladie, ou victimes d’un accident quelconque. Bien différents sont la nourriture et le breuvage dont il est ici question, c’est-à-dire le corps et le sang du Seigneur. En effet, si celui qui ne les prend point n’a pas non plus la vie, celui qui les prend possède certainement la vie, et la vie éternelle. Par cet aliment et ce breuvage, le Sauveur veut donc nous désigner l’unité de son corps, l’union de ses membres, qui n’est autre que la sainte Église, composée des prédestinés, des appelés, des justifiés, des saints glorifiés et de tous les fidèles. La prédestination a déjà eu lieu ; la vocation et la justification se sont déjà faites pour les uns, se font maintenant et se feront plus tard pour les autres quant à la glorification, elle n’existe pour nous aujourd’hui qu’en espérance : au ciel elle se réalisera. Le signe sensible de cette mystérieuse chose, c’est-à-dire le sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ réunis ensemble, se trouve préparé sur la table du Seigneur ici tous les jours, ailleurs, à certains intervalles moins rapprochés ; c’est à cette table divine que les chrétiens le reçoivent et y puisent, les uns la vie, les autres la mort. Pour ce dont ce sacrement est le signe, quiconque en devient participant y rencontre non la mort, mais la vie.

16. Les Juifs pouvaient s’imaginer que la vie éternelle étant promise aux hommes qui prendraient cet aliment et ce breuvage, ceux-ci ne subiraient pas même la mort du corps. Le Sauveur daigna prévenir cette erreur. En effet, après ces paroles : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle », il ajoute aussitôt celles-ci : « Et je le ressusciterai au dernier jour ». D’abord sou âme jouira de la vie éternelle, dans le séjour du repos où se réunissent les âmes des saints ; quant à son corps, il entrera aussi en possession de la vie éternelle, car il ressuscitera au dernier jour avec tous les morts.

17. « Car ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est véritablement un breuvage ». Les hommes ne prennent de nourriture et de breuvage que pour apaiser leur faim et étancher leur soif ; mais un pareil effet n’est véritablement produit que par cet aliment et ce breuvage où trouvent l’immortalité et l’incorruptibilité ceux qui le reçoivent ; il ne peut avoir vraiment lieu que dans la société même des saints, où régneront une paix entière et une parfaite union. C’est pourquoi, suivant l’idée qu’en ont eue déjà avant nous les hommes de Dieu, Notre-Seigneur Jésus-Christ nous a parlé de son corps et de son sang en les désignant par des objets à la confection desquels concourent plusieurs autres réunis ensemble ; car le pain se fait par la réunion d’un grand nombre de grains, comme encore le vin se fait avec le jus de plusieurs raisins.

18. Enfin, il indique comment peut se faire ce qu’il dit et ce que c’est que manger son corps et boire son sang. « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et je demeure en lui ». Prendre cette nourriture et boire ce breuvage n’est donc autre chose que demeurer dans le Christ et le posséder en soi-même à titre permanent. Par là même, et sans aucun doute, quand on ne demeure pas dans le Christ, et qu’on ne lui sert point d’habitation, on ne mange point (spirituellement) sa chair, et on ne boit pas non plus son sang, quoiqu’on tienne d’une manière matérielle et visible soins sa dent le sacrement du corps et du sang du Sauveur ; bien plus, en recevant le signe sensible d’une si précieuse chose, il le mange et boit pour sa condamnation, parce qu’il n’a pas craint de s’approcher dès sacrements du Christ avec une âme souillée. Celui-là seul, en effet, s’en approche dignement, qui le fait avec une conscience pure, suivant cette parole de l’Évangile : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu bu ».

19. « Car », dit-il, « comme mon Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que je vis à cause du Père, ainsi celui qui me mange vivra à cause de moi ». Il ne dit pas : Comme je mange mon Père et que je vis à cause de lui, ainsi celui qui me mange vivra à cause de moi. Car, en participant à la nature du Père, le Fils n’en devient point plus parfait, puisqu’il a été engendré son égal ; mais nous, nous devenons meilleurs en entrant en participation du Fils, en nous unissant à son corps et à son sang, mystère désigné par la manducation et l’action de boire dont il a parlé plus haut. Nous vivons donc à cause de lui, puisque nous le mangeons, c’est-à-dire puisque nous recevons de lui la vie éternelle, que nous ne pouvions trouver en nous-mêmes ; pour lui, il vit à cause de son Père qui l’a envoyé, parce qu’il s’est anéanti lui-même et qu’il est devenu obéissant jusqu’à la mort de la croix bv. Si nous interprétons ces paroles « Je vis à cause de mon Père », d’après cet autre passage : « Mon Père est plus grand que moi bw », il en est du Christ comme de nous ; car nous vivons à cause de lui, qui est plus grand que nous ; c’est pour lui la conséquence de sa mission. Il a été envoyé, c’est-à-dire il s’est anéanti lui-même en prenant la forme d’esclave : cette interprétation est juste ; on peut la soutenir, tout en continuant à reconnaître que le Fils est, par nature, égal au Père. Car le Père est plus grand que son Fils considéré comme homme ; mais, en tant que Dieu, le Fils lui est égal ; car il est, en même temps, Dieu et homme, Fils de Dieu et Fils de l’homme, dans une seule personne, qui est Jésus-Christ. Si l’on entend bien dans ce sens les paroles du Sauveur : « Comme mon Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que je vis à cause de mon Père, ainsi celui qui me mange vivra à cause de moi » ; il a voulu dire ceci : L’anéantissement où m’a réduit ma mission a eu pour résultat de me faire vivre à cause de mon Père, c’est-à-dire, de me faire rapporter à lui, comme étant plus grand que moi, toute ma vie ; ainsi, chacun de ceux qui me mangeront vivra à cause de moi, par l’effet de cette participation à ma personne. Je me suis humilié c’est pourquoi je vis à cause du Père ; le chrétien qui me mange s’élève, et, par là, il vit à cause de moi. Que si le Christ a dit : « Je vis à cause de mon Père », parce que le Fils vient du Père et que le Père ne vient pas du Fils, ces paroles ne portent aucune atteinte à l’égalité du Fils par rapport à son Père. De là il suit évidemment qu’en disant : « Ainsi celui qui me mange vivra éternellement », le Sauveur n’a voulu, en aucune manière, nous mettre sur un même pied d’égalité avec lui : il n’a fait allusion qu’au bienfait de sa médiation.

20. « C’est ici le pain qui est descendu du ciel » ; afin qu’en le mangeant, nous trouvions la vie en lui, parce que nous ne pouvons trouver en nous-mêmes le principe de la vie éternelle. « Vos pères », dit-il, « ont mangé la manne et sont morts ; mais celui qui mange ce pain vivra éternellement ». Leurs pères sont morts, cela veut dire : ils ne vivront pas éternellement ; car, évidemment, ceux qui mangent le Christ meurent aussi dans le temps, mais ils vivent pour l’éternité, parce que le Christ est la vie éternelle.

VINGT-SEPTIÈME TRAITÉ

DEPUIS CET ENDROIT : « IL DIT CES PAROLES DANS LA SYNAGOGUE, ENSEIGNANT À CAPHARNAÜM ». JUSQU’À CET AUTRE : « CAR C’ÉTAIT CELUI QUI DEVAIT LE TRAHIR, QUOIQU’IL FÛT L’UN DES DOUZE ». (Chap 6,60-72.)

C’EST L’ESPRIT QUI VIVIFIE.

Les adversaires de Jésus ne furent pas seuls à murmurer de ses paroles : ses disciples en firent autant. Vous ne savez ce qu’est ma chair, ni ce qu’elle sera un jour, leur dit le Sauveur, car vous en jugez d’une façon matérielle et grossière c’est pourquoi vous en jugez faux mes paroles sont spirituelles, et quand je dis qu’il faut manger ma chair, j’entends qu’il faut faire un avec moi. Vous ne croyez pas en moi, voilà pourquoi vous ne me comprenez pas ; et, si vous ne croyez pas en moi, c’est que mon Père ne vous en a pas fait grâce. – Beaucoup s’éloignèrent alors de Jésus ; mais les douze qu’il avait choisis, même Judas malgré son indignité, restèrent avec lui, parce que la foi leur avait donné de saisir le vrai sens de son discours. Puissions-nous entrer dans leurs sentiments et suivre leur exemple !

1. Nous venons d’entendre dans l’Évangile les paroles du Sauveur qui viennent après celles dont nous vous avons précédemment entretenus : nous devons en parler à vos oreilles et à vos cœurs ; notre discours d’aujourd’hui a toute raison d’être, car, en ce jour, nous célébrons la fête du corps du Seigneur, de ce corps qu’il nous a donné, disait-il aux Juifs, pour nous transmettre la vie éternelle. Il a expliqué la manière dont il nous communique ce bienfait que nous recevons de lui ; il nous a dit comment il donne sa chair à manger. Voici ses paroles : « Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang, demeure en moi, et je demeure en lui bx ». Tel est le signe auquel nous reconnaissons que nous avons pris cet aliment et bu ce breuvage c’est que nous demeurons en Jésus-Christ, et qu’il demeure en nous ; c’est que nous habitons en lui, et qu’il habite eu nous ; c’est que nous nous attachons à lui pour ne pas le quitter. Par ces mystérieuses paroles, il nous a donc donné un enseignement : il nous a avertis d’appartenir à son corps, de faire partie de ses membres, de lui obéir comme à notre chef, de manger sa chair, de ne point nous écarter de son unité. Mais la plupart de ceux qui l’entendirent, ne le comprirent pas, et ils se scandalisèrent ; comme ils étaient charnels, ils n’attribuaient qu’un sens charnel aux paroles du Sauveur. Mais l’Apôtre a dit, et c’est la vérité : « Juger des choses selon la chair, c’est mourir ». Le Seigneur nous donne sa chair à manger ; mais, juger des choses selon la chair, c’est mourir ; car il parle de sa chair, comme de la source de la vie éternelle : nous ne devons donc point juger non plus de sa chair d’une manière charnelle, comme faisaient ceux dont il est question dans ce passage.

2. « C’est pourquoi plusieurs », non pas de ses ennemis, mais « de ses disciples, l’ayant entendu, dirent : Cette parole est dure, et qui peut l’écouter ? » Si cette parole parut dure à ses disciples, que parut-elle à ses ennemis ? Et, pourtant, le Sauveur devait s’exprimer ainsi pour ne pas être compris de tous ; car si Dieu nous communique ses secrets, il doit trouver en nous des auditeurs bien disposés, et non pas des adversaires ; pour ceux-ci, ils se raidirent contre ses paroles, aussitôt qu’ils les entendirent tomber des lèvres du Seigneur Jésus. Il leur disait de merveilleuses choses, et, sous le voile de ses paroles, se cachait l’annonce d’une grande grâce ; mais ils n’ajoutèrent aucune foi à ses discours : selon leur manière de voir, ils comprirent donc d’une façon tout humaine que Jésus avait le pouvoir ou l’intention de couper, pour ainsi dire, en morceaux, et de distribuer à ceux qui, croiraient en lui la chair dont le Verbe s’était revêtu. « Cette parole est dure », s’écrièrent – ils, « et qui peut l’écouter ? »

3. « Mais Jésus sachant en lui-même que ses disciples murmuraient ». Ils murmuraient entre eux de manière à ne pas être entendus de lui ; mais il connaissait jusqu’aux plus secrets replis de leur âme : aussi, les entendant en lui-même, il leur répondit : « Cela vous scandalise ? » Parce que je vous ai dit : Je vous donne ma chair à manger et mon sang à boire, mes paroles vous révoltent ? « Que sera-ce donc si vous voyez le Fils de l’homme monter où il était d’abord ? » Qu’est-ce ceci ? Détruisait-il par là la cause de leur émotion ? Faisait-il disparaître à leurs yeux les obscurités qui avaient donné lieu à leur scandale ? Évidemment, oui, s’ils avaient voulu le comprendre. Ils s’étaient imaginés qu’il leur distribuerait son corps, et il disait, lui, qu’il monterait au ciel dans tout son entier : « Lorsque vous verrez le Fils de l’homme monter où il était d’abord ». Oui, vous verrez, même alors, qu’il ne distribue point son corps de la manière que vous vous imaginez : oui, vous comprendrez, même alors, que l’on ne broie pas sa grâce sous les dents.

4. Et Jésus ajouta : « C’est l’esprit qui vivifie ; la chair ne sert de rien ». Avant d’expliquer ces paroles, aussi bien que le Seigneur nous le permettra, il est bon de ne point glisser légèrement sur ce passage : « Lorsque vous verrez le Fils de l’homme monter où il était auparavant ». Car le Christ est Fils de l’homme, il est né de la vierge Marie. Le Fils de l’homme a donc eu un commencement sur la terre ; il a eu ce commencement au moment même où il s’était revêtu d’un corps terrestre. Aussi, le Prophète avait-il dit : « La vérité est sortie du sein de la terre by ». Que veut donc dire le Sauveur, quand il s’exprime ainsi « Lorsque vous verrez le Fils de l’homme monter où il était auparavant ? » Il n’y aurait aucune difficulté, s’il avait dit : Si vous voyiez le Fils de Dieu monter où il était auparavant. Mais il dit : « Lorsque vous verrez le Fils de l’homme monter où il était auparavant ». Le Fils de l’homme, qui a eu un commencement sur la terre, pouvait-il être auparavant dans le ciel ? Il dit : « Où il était auparavant », comme s’il n’y était plus au moment où il parlait. Mais il dit ailleurs : « Personne n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel bz ». Il ne dit pas : « le Fils de l’homme » qui était, mais : « qui est au ciel ». Quand il parlait, il était sur la terre, et il disait qu’il était au ciel. Telles ne sont pas ses paroles : Personne n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de Dieu qui est au ciel. En s’exprimant de la sorte, il veut évidemment nous faire comprendre ce que j’ai déjà expliqué à votre charité dans mon dernier discours, à savoir qu’en Jésus-Christ il y a, non pas deux personnes, mais une seule, qui est tout à la fois Dieu et homme : par là, l’objet de notre foi, c’est la Trinité et non une quaternité. Le Christ est donc un : il est composé du Verbe, d’une âme et d’un corps : il est, en même temps, Fils de Dieu et Fils de l’homme : Fils de Dieu dès toujours, Fils de l’homme dans le temps ; il est un, parce qu’il n’y a en lui qu’une seule personne. Il était dans le ciel, pendant qu’il parlait sur la terre. Fils de l’homme, il était dans le ciel de la même manière que, Fils de Dieu, il était sur la terre : Fils de Dieu, il était ici-bas dans la chair dont il s’était revêtu : Fils de l’homme, il était au ciel par son union de personne avec le Verbe.

5. Mais pourquoi ajoutait-il : « C’est l’esprit qui vivifie : la chair ne sert de rien ? » Disons-lui donc {car il nous permet de lui parler, non dans l’intention de le contredire, mais dans le désir de nous instruire) : O Seigneur, ô bon maître ! Comment se fait-il que « la chair ne serve de rien », quand vous avez dit vous-même : « Quiconque ne mangera pas ma chair et ne boira pas mon sang, n’aura pas la vie en lui ? » La vie ne servirait-elle non plus de rien ? Pourquoi sommes-nous ce que nous sommes, sinon pour avoir la vie éternelle, que vous promettez comme fruit de la manducation de votre chair ? Qu’est-ce donc à dire : « La chair ne sert de rien ? » Elle ne sert de rien, mais dans le sens que les Juifs y attachaient ; car, dans leur idée, il s’agissait, non d’une chair animée, vivante, mais d’une chair morte, comme celle d’un cadavre, que l’on partage par morceaux, ou que l’on vend sur le marché. C’est pourquoi le Sauveur a dit : « La chair ne sert de rien », comme l’Apôtre a dit lui-même : « La science enfle ». Devons-nous, pour cela, détester la science ? Pas du tout. Qu’est-ce à dire : « La science enfle ? » La science seule, sans la charité ; aussi ajoute-t-il : « Mais la charité édifie  ca ». À la science joins donc la charité, et elle te sera profitable, non par elle-même, mais par la vertu qui l’accompagnera. Ainsi en est-il de ce passage : « La chair ne sert de rien ». La chair seule qu’on y joigne l’esprit comme on joint la charité à la science, et alors elle est grandement utile. Car si elle ne pouvait servir de rien, le Verbe ne se serait pas fait chair pour habiter parmi nous. Et si, par la chair, le Christ nous a fait tant de bien, pourrait-on dire qu’elle ne sert de rien ? Mais l’esprit s’en est servi pour opérer notre salut. La chair est devenue un vase : fais attention, non à ce qu’elle était, mais à ce qu’elle contenait. Les Apôtres ont été envoyés dans le monde : leur chair ne nous a-t-elle été d’aucun profit ? Si elle nous a été grandement utile, celle du Seigneur ne nous aurait-elle servi de rien ? Qui est-ce qui nous fait entendre la parole, sinon la voix de la chair ? Qui est-ce qui tient le stylet ? Qui est-ce qui écrit ? Ce sont autant d’œuvres opérées par la chair, mais sous l’action de l’esprit qui s’en sert comme d’un instrument à lui propre. « C’est » donc « l’esprit « qui vivifie, et la chair ne sert de rien ». Ils ont donné au mot de chair un sens tout différent de celui dans lequel je donne la, mienne à manger.

6. Aussi, dit-il, « les paroles que je vous ai adressées, sont esprit et vie ». Nous vous l’avons dit, mes frères, le Sauveur nous a appris que manger sa chair et nous abreuver de son sang, c’est demeurer en lui et lui servant de demeure. Nous demeurons en lui, lorsque nous sommes ses membres ; il demeure en nous, lorsque nous sommes son temple. Pour que nous soyons ses membres, nous nous unissons intimement à lui, et ne faire plus qu’un avec lui, c’est l’effet de la charité seule. Et l’amour de Dieu, d’où nous vient-il ? Interroge l’Apôtre, il te l’apprendra : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné  cb ». « C’est » donc « l’esprit qui « vivifie », car c’est l’esprit qui donne la vie aux membres ; mais il ne peut les rendre vivants qu’à la condition de les trouver unis au corps dont il est la vie. En effet, ô homme, l’esprit qui t’anime et te distingue des brutes, peut-il communiquer la vie à un membre séparé de ton corps ? Par ton esprit, j’entends ton âme : or, ton âme ne vivifie que les membres unis à ton corps ; ôtes-en un, c’en est fait ; il ne puise plus en ton âme le mouvement, parce qu’il ne fait plus un avec ton corps. Je vous parle ainsi, pour vous faire aimer l’union avec le Christ, pour vous faire craindre d’en être séparés. Rien ne doit faire trembler un chrétien comme l’appréhension de se voir retranché du corps du Sauveur ; car s’il en est retranché, il n’est plus du nombre de ses membres ; et, s’il n’est plus un de ses membres, son esprit ne l’anime plus. « Mais », dit l’Apôtre, « celui qui n’a pas l’esprit de Jésus-Christ, n’est point à lui  cc ». « C’est » donc « l’esprit qui vivifie, mais la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai adressées sont esprit et vie ». Qu’est-ce à dire : « Esprit et vie ? » Elles doivent être entendues dans un sens spirituel. Les as-tu comprises en ce sens ? « Elles sont » pour toi « esprit et vie » ; si tu les as comprises d’une manière charnelle, « elles » n’en « sont » pas moins « esprit et vie » ; mais ce n’est pas pour toi.

7. « Mais », ajoute le Sauveur, « il y en a parmi vous qui ne croient pas ». Il ne dit pas : il y en a parmi vous qui ne comprennent pas, mais il fait connaître le motif pour lequel ils ne comprennent point. « Il en est parmi vous qui ne croient pas ». La raison pour laquelle ils ne comprennent pas, c’est qu’ils ne croient pas ; car, dit le Prophète, « si vous ne croyez point, vous ne comprendrez pas cd ». La foi nous unit, l’intelligence nous communique la vie, commençons par nous attacher à Jésus-Christ, et l’intelligence trouvera en nous de quoi vivifier. Celui qui ne s’attache pas à lui, lui résiste, et quiconque lui résiste, ne croit pas à lui. Comment recevoir la vie de celui à qui on résiste ? On met obstacle au rayon de lumière qui doit pénétrer ; on n’en détourne point les feux, mais on lui ferme l’accès de son âme. « Il en est donc qui ne croient pas ». Qu’ils croient et ouvrent leur esprit, qu’ils ouvrent leur esprit, et la lumière les pénétrera. « Car Jésus savait dès le commencement quels seraient ceux qui ne croiraient point et le trahiraient ». Judas en effet se trouvait là. Il y en eut qui furent scandalisés ; mais, pour lui, il resta près de son maître afin de lui tendre des pièges et non pour le comprendre, et, parce qu’il était resté, le Sauveur parla de lui : sans le nommer expressément, il laissa entendre qu’il le connaissait, et, par là, il voulait inspirer de la crainte à tous, quoiqu’un seul dût périr. Après avoir parlé et distingué les croyants d’avec les incroyants, il fit connaître le motif pour lequel quelques-uns ne croyaient pas : « C’est pourquoi », dit-il, « je vous assure que nul ne peut venir à moi, si ce pouvoir ne lui a été donné par mon Père ». Aussi la foi est un don qui nous est accordé, car la foi n’est – pas chose de nulle valeur, et parce qu’elle est précieuse, réjouis-toi de l’avoir reçue, mais n’en conçois aucun orgueil : « Qu’as-tu, en effet, que tu n’aies pas reçu ce ? »

8. « Dès ce moment, plusieurs de ses disciples se retirèrent en arrière et ne marchèrent plus avec lui. Ils se retirèrent en arrière e, non pour suivre le Christ, mais pour suivre le démon. Un jour, le Seigneur Jésus donna à Pierre le nom de Satan, mais parce qu’il voulait prendre le pas sur son maître, et lui conseiller de ne pas mourir, quoique le Christ fût venu en ce monde pour subir la mort et nous empêcher, par là, de périr éternellement. Et il lui dit : « Arrière, « Satan ; retire-toi de moi, parce que tu ne comprends pas ce qui est de Dieu, mais ce qui est des hommes cf » Quoiqu’il l’appelât Satan, il ne le força pas néanmoins à se retirer en arrière pour suivre le démon ; mais il le fit marcher derrière lui, afin qu’en suivant les traces de son maître, il ne devînt pas démon. Pour les disciples, dont il est ici question, ils se retirèrent en arrière, comme ces femmes dont parle l’Apôtre : « Quelques-unes se sont égarées pour suivre Satan cg ». Ils ne marchèrent plus désormais avec le Sauveur ; ils perdirent la vie, en se séparant du corps auquel ils n’avaient peut-être d’ailleurs jamais appartenu : car s’ils portaient le nom de disciples, ils n’en devaient pas moins être rangés au nombre des incroyants ; et ces hommes, qui se retiraient en arrière, n’étaient pas en petit nombre : on en comptait beaucoup. Dieu a voulu qu’il en fût ainsi, pour notre consolation. Parfois, en effet, il arrive qu’un homme dise la vérité, et que, pourtant, ses paroles ne soient pas goûtées, et que ses auditeurs se scandalisent et s’éloignent. Cet homme se repent d’avoir tenu des discours conformes à la vérité ; il se dit eu lui-même : J’aurais dû ne pas m’exprimer ainsi, j’aurais dû m’exprimer autrement. Pareille chose est arrivée au Sauveur : il a parlé, et plusieurs l’ont quitté, et il est resté avec quelques-uns seulement ; mais il ne s’en est nullement ému, car il savait, dès le commencement, quels étaient ceux qui croyaient en lui et ceux qui n’y croyaient pas ; et nous, nous nous troublons en cas pareil. Cherchons donc alors, dans l’exemple du Seigneur Jésus, un adoucissement à notre peine, mais n’oublions pas de montrer une grande prudence, lorsque nous parlons.

9. Le Christ s’adressa aux rares disciples qui lui étaient restés fidèles ; « Jésus dit donc aux douze », c’est-à-dire aux douze qui étaient restés près de lui : « Et vous aussi, voulez-vous vous en aller ? » Judas lui-même ne s’était pas éloigné ; mais le motif pour lequel il était resté, le Sauveur le connaissait déjà : nous avons, depuis, appris à le connaître. Au nom de tous, seul pour plusieurs, représentant dans l’unité de sa personne l’universalité des autres, Pierre prit la parole : « Simon Pierre lui répondit : Seigneur, à qui irons-nous ? » Vous nous éloignerez de vous ; donnez-nous un autre vous-même. « À qui irons-nous ? » Si nous nous éloignons de vous, à qui irons-nous ? « Vous avez les paroles de la « vie éternelle ». Voyez comment, par ta grâce de Dieu, et sous l’inspiration de l’Esprit Saint, Pierre comprit les paroles de son maître. D’où lui en vint l’intelligence, sinon de sa foi?« Vous avez les paroles de la vie éternelle ». Vous avez les paroles de la vie éternelle, puisque vous nous donnez votre corps et votre sang. « Et nous avons cru, et nous avons « connu ». Il ne dit pas : Nous avons connu et nous avons cru, mais : « Nous avons cru et nous avons connu ». Nous avons cru, afin de connaître ; car si nous voulions connaître d’abord, pour croire ensuite, nous ne parviendrions ni à connaître, ni à croire. Qu’avons-nous cru, et qu’avons-nous connu ? « Que vous êtes le Christ, Fils de Dieu », c’est-à-dire, que vous êtes la vie éternelle, et que vous ne donnez dans votre corps et votre sang que ce que vous êtes.

10. Le Seigneur Jésus leur dit donc : « Ne vous ai-je pas choisis au nombre de douze, et l’un de vous est un démon ? » Ne devrait-il pas dire : « J’en ai choisi onze ? » Car le démon a-t-il été aussi choisi, et se trouve-t-il au nombre des élus ? On ne parle d’élus qu’en bonne part ; or, le Sauveur a-t-il pu choisir un homme pour lui faire opérer des merveilles en fait de bonnes œuvres, malgré lui et sans qu’il le sache ? Oui, car si les méchants agissent différemment, c’est le propre de Dieu d’agir ainsi. De même, en effet, que les méchants font mauvais usage des bienfaits de pieu, de même aussi, mais par contre, Dieu emploie-t-il pour le bien les mauvaises actons des méchants. Combien il est avantageux pour nous que les membres de notre corps soient tels que le divin architecte a pu seul les créer ; et pourtant, quel triste usage les effrontés font-ils de leurs yeux ? et les fourbes, de leur langue ? Avec leur langue, les faux témoins commencent par tuer leur âme, et quand ils se sont donné la mort spirituelle, ils s’efforcent de blesser les autres. De ce qu’ils l’emploient à mal faire, il ne s’ensuit nullement que la langue soit une mauvaise chose : c’est l’œuvre de Dieu ; mais cette œuvre, toute bonne qu’elle soit, la méchanceté humaine en tire un mauvais parti. Quel usage font de leurs pieds ceux qui cousent pour commettre le crime ? Et les homicides, à quoi emploient-ils leurs mains ? Et les êtres excellents, sortis des mains de Dieu, qui nous environnent de toutes parts, comme les mauvais chrétiens les détournent de leur destination première ! Avec l’or, on corrompt la justice, on opprime les innocents. Les méchants emploient au mal la lumière du jour. En effet, dans leurs écarts de mœurs, ils vont jusqu’à se servir de cette lumière qui éclaire leurs pas, comme d’un moyen de perpétrer plus sûrement leurs crimes. Dans les démarches qu’il fait pour accomplir ses pernicieux desseins, le pécheur emploie les rayons du soleil à ne se butter à aucun obstacle extérieur, quoiqu’intérieurement il se soit déjà frappé à une pierre d’achoppement et soit tombé ; l’inconvénient qu’il redoute pour son corps, il l’a déjà rencontré dans son cœur. Il serait trop long d’énumérer tous les bienfaits de Dieu ; mais il n’y en a pas un seul dont les méchants ne fassent abus ; et par une raison toute contraire, l’homme de bien fait tourner au bien la méchanceté même des méchants. Et, de fait, y a-t-il un seul être aussi bon que Dieu ? Le Seigneur lui-même ne dit-il pas, en effet : « Dieu seul est bon ch ? » Aussi, meilleur il est, meilleur est l’emploi qu’il fait de nos mauvaises dispositions. Vit-on jamais homme aussi pervers que Judas ? Préférablement à tous les adhérents du divin Maître, choisi même parmi les douze Apôtres, il reçut la mission de garder la bourse commune et de distribuer les aumônes aux pauvres ; mais un tel bienfait, un si grand honneur ne trouva en lui qu’un ingrat ; on lui donna de l’argent, et il perdit la justice ; il était mort, et il livra la vie, et il poursuivit comme un ennemi celui qu’il avait suivi en qualité de disciple. Telle fut l’abominable conduite de Judas voyez le bel usage qu’en fit le Seigneur ! Il se laissa trahir pour nous racheter, et ainsi fit-il contribuer à notre bien le crime de Judas. Combien de martyrs ont été persécutés par Satan ; s’il avait cessé de se montrer persécuteur, nous ne célébrerions point aujourd’hui l’admirable victoire de saint Laurent. Dieu tire donc avantage des œuvres coupables du démon ; quand un méchant fait un mauvais emploi des bienfaits de Dieu, il se fait du mal à lui-même, mais il n’infirme en rien la bonté divine. Un ouvrier se sert d’un méchant ; mais si le grand ouvrier ne s’en servait pas, il ne lui permettrait pas même d’exister. Aussi le Sauveur dit-il : « Je vous ai choisis au nombre de douze, et l’un d’entre vous est un démon ». Il a pu dire encore : « Je vous ai choisis au nombre de douze », par cette raison que le nombre douze est sacré ; et parce que l’un des douze a péri, il ne s’ensuit nullement que ce nombre ait perdu de sa valeur ; car un autre a pris la place de celui qui a péri ci. Le nombre consacré, c’est-à-dire le nombre de douze, est demeuré intact, parce que les douze devaient annoncer un Dieu en trois personnes par tout le monde, c’est-à-dire aux quatre coins du monde ; ils sont donc au nombre de trois fois quatre. Judas s’est tué lui-même, mais il n’a porté aucune atteinte au nombre de douze ; il a abandonné son maître, mais Dieu lui a donné un successeur.

11. Le Sauveur nous a parlé de son corps et de son sang ; il nous a promis qu’en lei recevant, nous recevrions aussi la vie éternelle ; il a voulu nous faire comprendre que ceux qui mangent son corps et boivent sou sang, sont ceux-là mêmes qui demeurent eu lui et lui servent de demeure : ceux qui ne crurent point à ses paroles n’en saisirent pas le sens, à des choses spirituelles ils donnèrent un sens charnel ; aussi s’en scandalisèrent-ils ; et quand ils se furent scandalisés et éloignés de la source de la vie, le Sauveur consola ceux de ses disciples qui étaient restés avec lui. Pour les éprouver, il leur adressa cette question : « Et vous aussi, voulez-vous vous en aller ? » Par la réponse qu’il provoquait, il voulait nous faire connaître leur constante fidélité à sa personne. Comme résultat de ces différentes circonstances, puissions-nous, nos très-chers frères, ne pas nous contenter, à l’exemple d’un grand nombre de mauvais chrétiens, de recevoir le sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ ! Mangeons son corps et buvons son sang de manière à participer à son esprit : par là, nous demeurerons dans le corps du Seigneur en qualité de membres ; son esprit nous animera, et nous ne nous scandaliserons point ; quoique beaucoup d’autres mangent et boivent maintenant avec nous, et dans un sentiment tout charnel, le corps et le sang du Sauveur, se condamnant ainsi, pour la fin de leur vie, à d’éternels supplices. Aujourd’hui les membres du Christ se trouvent mêlés les uns aux autres comme des grains de froment dans une aire. Mais Dieu connaît ceux qui lui appartiennent cj. Si tu connais ce que tu foules aux pieds, si par conséquent, tu sais que, sous tes pieds se trouvent des grains cachés, et qu’en les foulant tu ne les détruis pas, mais que plus tard le vent séparera les mauvais d’avec les bons ; c’est un fait pour nous hors de doute, mes frères, que nous devons tous, nous qui sommes les membres du Christ, et qui demeurons en lui afin de lui servir de demeure, à notre tour, nous devons tous, ici-bas, vivre jusqu’à la fin au milieu des méchants. Et, par ces méchants, je n’entends pas ceux qui blasphèment Jésus-Christ ; car il en est peu, de notre temps, pour l’injurier de bouche : je veux parler de ceux, hélas ! trop nombreux, dont la conduite est un blasphème continue.

12. Mais qu’est-ce que le Sauveur dit par ces paroles : « Celui qui demeure en moi, je demeure moi-même en lui ck ? » Que dit-il, sinon ce qu’entendaient les martyrs : « Celui qui persévérera jusqu’à la fin, sera sauvé cl ? » Comment est resté en lui saint Laurent, dont nous célébrons aujourd’hui la fête ? Il y est resté jusqu’au moment de l’épreuve, de l’interrogatoire du tyran, des menaces les plus effrayantes, jusqu’à la mort. Que dis-je ? Jusqu’au plus douloureux martyre. Car on ne l’a pas fait mourir tout de suite : on lui a fait subir le supplice du feu, on l’a laissé vivre longtemps ; ou plutôt, on ne l’a pas laissé vivre longtemps, mais on l’a forcé à mourir lentement. Dans cette longue agonie, au milieu de ces tourments, il ne ressentit point la douleur, parce qu’ayant mangé le corps et bu le sang du Christ avec des dispositions parfaites, il était comme engraissé de cet aliment et enivré de ce breuvage ; car en lui se trouvait celui qui a dit : « C’est l’esprit qui vivifie ». Son corps subissait les ardeurs du feu, mais l’esprit soutenait son âme : il ne défaillit point, aussi entra-t-il dans le royaume éternel. Le saint martyr Xiste, dont nous avons solennisé la mémoire il y a cinq jours, lui avait dit : « Mon fils, ne t’attrista pas ». (Xiste était l’évêque, et Laurent son diacre.) « Mon fils, ne t’attriste pas : tu me suivras après un triduum ». Il donnait le nom de triduum à l’intervalle qui devait se trouver entre son martyre et celui de saint Laurent, que nous célébrons aujourd’hui. Trois jours, voilà l’intervalle. O consolation ! Il ne dit pas Ne t’attriste pas, mon fils ; la persécution aura un terme, et tu seras en sécurité ; mais ne t’attriste pas : où fait allusion qu’au bienfait de sa médiation.

20. « C’est ici le pain qui est descendu du ciel » ; afin qu’en le mangeant, nous trouvions la vie en lui, parce que nous ne pouvons trouver en nous-mêmes le principe de la vie éternelle. « Vos pères », dit-il, « ont mangé la manne et sont morts ; mais celui qui mange ce pain vivra éternellement ». Leurs pères sont morts, cela veut dire : ils ne vivront pas éternellement ; car, évidemment, ceux qui mangent le Christ meurent aussi dans le temps, mais ils vivent pour l’éternité, parce que le Christ est la vie éternelle.

SERMON CXXXI.

Prononcé en 417 le dimanche, 9 des calendes d’Octobre, au tombeau de Saint Cyprien.

SUR LA GRACE cm.

ANALYSE. – Quelqu’avantageuse que fut la promesse de l’Eucharistie, plusieurs n’y crurent pas. C’est que la grâce est nécessaire pour croire, pour mener une sainte vie et pour persévérer dans le bien. Pourquoi revenir si souvent sur ce sujet ? C’est que plusieurs aujourd’hui le méconnaissent parmi les Chrétiens eux-mêmes. Déjà les Juifs attribuaient à la grâce la rémission des péchés, la guérison des langueurs de l’âme, l’exemption de la corruption et le couronnement des mérites. Et aujourd’hui que le Sauveur à répandu la grâce par tout l’univers, on peut la méconnaître comme la méconnaissaient les Pharisiens ? Mais la cause est jugée, car Rome a parlé.

1. Nous avons entendu le Maître de la vérité, le Rédempteur divin, le Sauveur des hommes recommander à notre amour le sang qui nous a rachetés. Car en nous parlant de son corps et de son sang, il a dit que l’un serait notre nourriture et l’autre notre breuvage. Les fidèles reconnaissent ici le Sacrement des fidèles. Mais qu’y voient les catéchumènes ? Afin donc d’exciter notre ardeur pour une telle nourriture et pour un breuvage si divin, le Sauveur disait : « Si vous ne mangez ma chair et si vous ne buvez mon sang, vous n’aurez pas en vous la vie », et c’est la Vie même qui parlait ainsi de la vie, et pour celui qui accuserait la Vie de mentir, cette vie deviendrait la mort. Ce fut alors que se scandalisèrent, non pas tous les disciples, mais un grand nombre et ceux-ci disaient en eux-mêmes : « Ce langage est dur, qui peut le supporter ? » Mais le Seigneur vit tout en esprit, il entendit le bruit de leurs pensées, et pour leur apprendre qu’il avait entendu leurs murmures intérieurs et les déterminer à y mettre un terme, il répondit avant même qu’ils eussent parlé. Que leur dit-il ? « Cela vous scandalise ? Et si, vous voyez le Fils de l’homme remonter où il était d’abord ? »

Qu’est-ce à dire, Cela vous, scandalise ? Croyez-vous que je vais couper mes membres en morceaux afin de vous les donner ? Et « si vous voyez le Fils de l’homme remonter où il était d’abord ? » Vous comprendrez sûrement, en le voyant remonter tout entier, qu’il n’était pas consumable.C'est ainsi qu’il nous dorme avec son corps et avec son sang une alimentation salutaire et qu’il résout en quelques mots l’importante question de son incorruptibilité. Vous qui mangez, mangez donc réellement ; buvez aussi, vous qui buvez ; ayez faim, ayez soif ; mangez la vie, buvez la vie. Manger ce corps, c’est se nourrir, mais se nourrir sans rien retrancher de ce qui nourrit. Qu’est-ce aussi que boire ce sang, sinon puiser la vie ? Mange la vie, bois la vie : ainsi tu l’acquerras en la laissant tout entière. Mais pour y parvenir, pour trouver la vie dans le corps et le sang du Christ, chacun doit manger et boire véritablement et d’une manière toute spirituelle, ce qu’il reçoit dans le Sacrement d’une manière sensible. Effectivement, nous avons entendu dire au Seigneur : « C’est l’esprit qui vivifie et la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai adressées sont esprit et vie : mais il en est parmi vous, poursuit-il, qui ne croient pas. » C’était ceux qui disaient : « Ce langage est dur ; qui peut le supporter ? » Oui, il est dur, mais pour les durs ; il est incroyable, mais pour les incrédules.

2. Afin de nous apprendre que la foi même est gratuite et non pas méritée, Jésus ajoute « Je vous l’ai déjà dit : Personne ne vient à moi, s’il ne lui est donné par mon Père. » Quand le Seigneur a-t-il dit cela ? En nous rappelant ce qui précède, dans le même Évangile, nous remarquerons qu’il a dit : « Nul ne vient à moi, si le Père, qui m’a envoyé, ne l’attire cn. » Nous ne lisons pas : Ne le mène, mais ne l’attire. C’est une impulsion donnée au cœur et non au corps. Pourquoi donc t’étonner de ce langage ? Croire, c’est venir ; aimer, c’est être attiré. Ne considère pas cette impulsion comme fatigante et désagréable : elle est douce, elle fait plaisir, c’est le plaisir même qui attire. N’attire-t-on pas la brebis quia faim en lui montrant de l’herbe ? Alors sans doute on ne lui fait pas violence, mais on se l’attache en excitant ses désirs. Viens au Christ de la même manière ; ne conçois pas l’idée d’un long trajet ; croire, c’est venir, en quelque lien que tu sois. Il est partout, et pour l’aborder il ne faut pas de vaisseaux, mais seulement de l’amour, il faut le reconnaître toutefois, on ne laisse pas, dans cette espèce de traversée, que de rencontrer des vagues, des tempêtes, des tentations : afin donc de mettre ta foi en sûreté sur la planche de salut, crois au Crucifié ; et porté par la croix, tu ne sombreras point. C’est ainsi, que naviguait sur les flots de ce siècle l’Apôtre qui s’écriait : « À Dieu ne plaise que je me glorifie si ce n’est dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ co ! »

3. Toutefois, ce qui étonne, c’est que de deux hommes qui entendent prêcher le Christ crucifié, l’un dédaigne, et l’autre s’attache à lui. Celui qui dédaigne doit s’imputer son dédain ; mais celui qui s’attache au Christ ne doit rien s’attribuer. Le Maître de la vérité ne lui a-t-il pas dit : « Nul ne vient à moi, s’il ne lui est donné par mon Père ? » Qu’il se réjouisse d’avoir reçu ; qu’à son Bienfaiteur il rende grâces avec un cœur vraiment humble et sans orgueil ; l’orgueil lui ferait perdre ce qu’a obtenu l’humilité. Eh ! ceux mêmes qui suivent la voie de la justice, s’en écartent bientôt s’ils attribuent leur vertu à eux-mêmes et à leurs propres forces, Aussi l’Écriture sainte, pour nous enseigner l’humilité, nous dit par l’Apôtre : « Faites votre salut avec crainte et tremblement. » Redoutant même qu’à ce mot : Faites, on ne vienne à s’attribuer quoi que ce soit. L’Apôtre ajoute aussitôt : Car c’est Dieu qui opère en vous et le vouloir et le faire, selon sa bonne volonté cp. » – C’est Dieu qui opère en vous ; » craignez donc et tremblez, devenez vallées pour recevoir la pluie. Les terrains bas s’en pénètrent, tandis que les hauteurs se dessèchent, et cette pluie est la grâce. Pourquoi s’étonner alors que Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles cq ? Craignez donc et tremblez, c’est-à-dire, soyez humbles. « Ne cherche pas l’élévation, mais crains cr. » Crains, pour être pénétré de la grâce ; ne cherche pas l’élévation, pour éviter d’être à sec.

4. Tu répliques : Je suis maintenant dans la bonne voie ; j’avais besoin d’en être instruit, j’avais besoin d’apprendre, des enseignements de la Loi, ce que je devais faire ; j’ai la liberté, qui m’éloignera du droit chemin ? – En lisant l’Écriture avec attention, tu y verras un homme s’enorgueillir d’abord de richesses spirituelles, que pourtant il avait reçues ; le Seigneur, pour lui inspirer l’humilité, lui enlève dans sa compassion ce qu’il lui avait donné ; et lui, tombé tout-à-coup dans l’indigence, se souvient du passé et publie ainsi les divines miséricordes : « J’ai dit dans mon bonheur : Jamais je ne serai ébranlé. – J’ai dit dans mon bonheur ; » mais c’est moi qui l’ai dit, moi qui ne suis qu’un homme, et « tout homme est menteur cs. » – J’ai donc dit ; « j’ai dit dans mon bonheur ; » ce bonheur était si grand que j’ai osé dire : « Jamais je ne serai ébranlé. » Et puis ? « Dans votre bonté, Seigneur, vous avez joint pour moi la force à la beauté. Mais vous avez détourné la face, et j’ai été dans le trouble ct. » Vous m’avez montré que toute ma richesse venait de la vôtre. Vous m’avez montré à qui je devais demander, à qui faire remonter ce que j’avais reçu, à qui je devais rendre grâces et vers qui je devais courir pour étancher ma soif et pour me fortifier, près de qui enfin je pourrais conserver les forces dont je me sentais pénétré. Car il est dit : « C’est près de vous, Seigneur, que je conserverai mon courage cu ; » c’est vous qui m’enrichissez, et c’est par vous que je ne perdrai pas mes richesses. « Près de vous je garderai ma force ; » et pour m’en convaincre, « vous avez détourné la face et je suis tombé dans la défaillance. »

J’ai défailli, parce que je me suis desséché, et je me suis desséché pour m’être élevé. Terrain sec et aride, dis donc pour obtenir d’être arrosé : « Mon âme est devant vous comme une terre sans eau cv. » Répète : « Mon âme est devant vous comme une terre sans eau. » C’est toi en effet et non pas le Seigneur, qui avais dit d’abord : « Jamais je ne serai ébranlé. » Tu avais dit cela dans ta présomption ; mais ton bonheur ne venait pas de toi, et ne te regardais-tu pas un peu comme en étant l’auteur ?

5. Qu’enseigne donc le Seigneur ? « Servez le Seigneur avec crainte et réjouissez-vous en lui avec tremblement. » C’est le sens de ces paroles de l’Apôtre : « Faites votre salut avec crainte et tremblement ; car c’est Dieu qui produit en vous et le vouloir et le faire. » Pour ce motif donc, « réjouissez-vous avec tremblement, de peur que le Seigneur ne s’irrite. » Je comprends à vos cris que vous devancez ma parole ; vous savez ce que je vais ajouter, vos cris le disent d’avance. Mais comment le savez-vous, sinon par l’enseignement de Celui à qui vous attache la foi ? Il l’enseigne en effet ; écoutez donc ce que vous savez déjà ; je ne vous apprends rien, ma prédication ne fait que vous rappeler ; ou plutôt je ne vous apprends pas puisque vous savez ; je ne vous rappelle pas non plus, puisque vous avez l’idée présente. Ainsi donc répétons ensemble ce que vous connaissez aussi bien que nous. Voici les paroles du Seigneur : « Soumettez-vous à la discipline et tressaillez de joie », mais « avec crainte », afin que toujours humbles vous conserviez ce que vous avez reçu. « De peur que le Seigneur ne « s’irrite ; » sans doute contre les superbes, contre ceux qui s’attribuent ce qu’ils ont, et qui ne rendent point grâces à leur bienfaiteur. « De peur que le Seigneur ne s’irrite et que vous ne vous écartiez de la droite voie. » Est-il dit De peur que le Seigneur ne s’irrite et que vous n’entriez pas dans la droite voie ? Est-il dit : De peur que le Seigneur ne s’irrite et ne vous amène pas ou ne vous admette pas dans la droite voie ? Vous y marchez déjà, pour ne vous en écarter pas, gardez-vous de l’orgueil. « De peur que vous ne vous écartiez de la droite voie, lorsque soudain sa colère éclatera » sur vous. Elle n’ira pas te chercher au loin ; en t’enorgueillissant tu perds ce que tu avais reçu. Et comme si l’homme effrayé de ce langage, s’écriait : Qu’ai-je donc à faire ? l’auteur sacré poursuit : « Heureux ceux qui se confient en lui cw », en lui et non pas en eux-mêmes. C’est la grâce qui nous a sauvés ; elle ne vient pas de nous, elle est un don de Dieu cx.

6. Vous direz peut-être : Pourquoi revenir si souvent sur le même sujet ? Voilà la seconde, la troisième fois, et presque jamais il ne prêche sans en parler. – Ah ! si seulement je n’y étais pas forcé ! Il est en effet des hommes bien ingrats pour le bienfait de la grâce et qui donnent trop à la faiblesse de notre nature blessée. Sans doute le libre arbitre était puissant au moment de la création, mais il perdit sa force en se laissant aller au péché. Car l’homme alors fut blessé à mort, affaibli, laissé presque sans vie sur le chemin ; et il fallut que le Samaritain, c’est-à-dire que le Gardien qui passait, le mit sur sa monture et le conduisit à l’hôtellerie. Comment peut-il s’enfler d’orgueil ? Il est encore en traitement. – Il me suffit, dit-il, d’avoir reçu dans le baptême la rémission de tous mes péchés. – Mais de ce que l’iniquité soit effacée, s’ensuit-il qu’il n’y ait plus d’infirmité ? – J’ai bien reçu, reprend-il ; la rémission de tous mes péchés. – C’est incontestable ; oui tous les péchés sont effacés par le sacrement de baptême, tous sans exception, péchés de paroles, péchés d’action, péchés de pensée, tout est anéanti. Mais c’est là l’huile et le vin répandus, sur le chemin même, dans les plaies du malade. Vous n’avez pas oublié, mes, très-chers frères, comment ce voyageur blessé et laissé à demi-mort par, les larrons, fut soulagé en recevant cette huile et ce vin dans ses blessures cy. C’est le pardon accordé à ses égarements, mais il reste languissant et on le soigne dans l’hôtellerie. Cette hôtellerie n’est-elle pas l’Église ? Elle est aujourd’hui une hôtellerie, parce que notre vie n’est qu’un passage ; elle sera une demeure, une demeure d’où nous ne sortirons plus, lorsque parfaitement guéris nous serons parvenus au royaume des cieux. En attendant soyons heureux d’être soignés dans l’hôtellerie, et convalescents encore, ne nous glorifions pas d’avoir recouvré toute notre santé ; cet orgueil pourrait n’aboutir qu’à nous éloigner de tout remède et de toute guérison.

7 « Bénis le Seigneur, ô mon âme. » Dis à cette âme, dis-lui : Tu es encore dans cette vie chargée encore d’une chair fragile, d’un corps corruptible qui appesantit l’âme cz, obligée encore à prendre le remède de la prière malgré l’entière rémission de tes fautes ; car pour obtenir la guérison de ce qu’il te reste de langueurs tu répètes : « Pardonnez-nous nos offenses da. » Humble vallée plutôt que fière montagne, dis à ton âme : « Bénis le Seigneur, ô mon âme, et garde-toi d’oublier toutes ses faveurs. » Quelles sont-elles ? Dis-le, énumère-les, rends-en grâces. Quelles sont donc ces faveurs ? « Il te pardonne toutes tes iniquités. » Ce qui s’est fait dans le Baptême. Et maintenant ? « Il guérit toutes les langueurs. » Oui, c’est maintenant, je le reconnais. Mais tant que je suis ici, ce corps corruptible appesantit l’âme. Dis donc aussi ce qui suit ? « Il délivre ta vie de la corruption. » Et après cette délivrance qu’a-t-on à attendre encore ? « Lorsque ce corps corruptible sera revêtu d’incorruptibilité, et ce corps mortel d’immortalité, alors s’accomplira cette parole de l’Écriture : La mort a été abîmée dans sa victoire. O mort, où sont tes armes ? O mort, est-il dit encore avec raison, où est ton aiguillon ? db » Tu en cherches la trace, mais sans la trouver. – Que signifie l’aiguillon de la mort ? Que signifie : « O mort, où est ton aiguillon ? » Cela veut dire : Où est le péché ? On le cherche, il n’est plus. « En effet le péché est l’aiguillon de la mort dit expressément l’Apôtre et non pas moi. On répétera donc alors : « O mort, où est ton aiguillon ? » Il n’y aura plus de péché, ni pour surprendre, ni pour attaquer, ni pour blesser ta conscience. On ne dira plus alors : « Pardonnez-nous nos offenses. » Et que dira-t-on ? « Seigneur notre Dieu, donnez-nous la paix, car vous avez tout fait pour nous dc. »

8. Qu’y aura-t-il encore, après qu’on sera affranchi de toute corruption, sinon la couronne de justice ? Oui, ou aura à la recevoir encore, mais pour la porter il ne faut pas de tête enflée. Considère comment ce même Psaume exprime cette vérité. Après avoir dit : « Il délivre ta vie de la corruption ; – il te couronne », ajoute-t-il. Je vois ici l’orgueilleux sur le point de dire : Il me couronne, mais, comme le proclament mes mérites, c’est ma vertu qui l’exige, c’est un paiement et non un don. Prête plutôt l’oreille à la voix du psaume avec lequel tu as dit toi-même : « Tout homme est menteur dd. » Écoute ce que Dieu même t’enseigne : « Il te couronne dans sa miséricorde et sa compassion. » Oui, s’il te couronne, c’est par miséricorde, c’est par compassion. Tu n’étais digne ni d’être appelé, ni d’être justifié après avoir été appelé, ni, après avoir été justifié, d’être admis dans la gloire. « C’est par le choix de la grâce que les restes ont été sauvés. Or, si c’est par la grâce, ce n’est plus par les œuvres, autrement la grâce ne serait plus la grâce de. » – « Car pour celui qui travaille le salaire ne sera point considéré comme une grâce, mais comme une dette ; » C’est bien l’Apôtre qui dit : « Non pas comme une grâce, mais comme une dette ; df » tandis que c’est dans sa miséricorde et sa compassion que Dieu te couronne. Diras-tu que pourtant tu avais des mérites ? Dieu te répondra : Examine-le bien et tu verras que ces mérites sont encore des dons de ma bonté.

9. Voilà en quoi consiste la justice de Dieu… On dit « le salut du Seigneur dg », non pour exprimer le salut dont Dieu jouit, mais pour signifier le salut dont il fait jouir ceux qu’il sauve : ainsi la grâce divine méritée par Jésus-Christ Notre-Seigneur s’appelle la justice de Dieu, non pas la justice qui le rend juste, mais la justice qu’il accorde à ceux qu’il rend justes, d’impies qu’ils étaient. Aujourd’hui toutefois il est des hommes qui se disent chrétiens et qui, pareils aux Juifs d’autrefois, ignorent la justice de Dieu et veulent établir la leur ; oui, aujourd’hui même, dans ces temps oit la grâce se montre à découvert, dans ces temps où elle se révèle après avoir été cachée d’abord, dans ces temps où on la voit sur l’aire après quelle a été voilée dans la toison. Je remarque que peu d’entre vous m’ont compris ; je dois au grand nombre de m’expliquer ; je n’y manquerai pas. Un des anciens justes demanda au Seigneur un signe de sa volonté et lui dit : « Je vous prie, Seigneur, d’imbiber de pluie toute cette toison et de laisser sèche l’aire qui l’entoure. » Ce qui arriva : la toison s’humecta et l’aire resta sèche tout entière. Dès le matin Gédéon pressa la toison au-dessus d’un bassin : c’est la figure de la grâce qui coule dans les humbles ; vous savez aussi ce que fit Notre-Seigneur à ses disciples, un bassin à la main. Gédéon demanda un second signe : « Je désire Seigneur, que la toison soit sèche et l’aire imbibée. » Ce qui arriva aussi dh. Rappelle-toi l’époque de l’ancien Testament. La grâce n’y était-elle pas cachée dans le nuage comme la rosée dans la toison ? Et maintenant, à l’époque du nouveau Testament, considère les Juifs : ils ressemblent à une sèche toison, tandis que l’univers entier, pareil à l’aire de Gédéon, est rempli de la grâce, qui s'.y révèle avec éclat. C’est ce qui nous force à pleurer amèrement ceux de nos frères qui disputent contre la grâce, au moment même où elle se manifeste et se montre à découvert. On pardonne aux Juifs ; mais des Chrétiens ? Pourquoi sont-ils ennemis de la grâce du Christ ? Pourquoi présumer ainsi de vous-mêmes ? Pourquoi cette ingratitude ? Le Christ est-il venu sans motif ? N’avions-nous pas la nature, cette nature que vous trompez en l’exaltant ? N’avions-nous pas aussi la Loi ? Mais « si la justice a été établie par la Loi, dit l’Apôtre, c’est donc en vain que le Christ est mort di ? » Ce que l’Apôtre dit de la Loi, nous l’appliquerons à la nature et nous dirons à ces orgueilleux : Si la justice a été établie par la nature, c’est donc en vain que le Christ est mort ?

10. Ainsi nous remarquons en eux ce qu’on a observé des Juifs. Ils ont du zèle pour Dieu. « Je « leur rends ce témoignage, qu’ils ont du zèle pour Dieu, mais non pas selon là science. » – Qu’est-ce à dire : « Non pas selon là science ? » « C’est qu’ignorant la justice de Dieu et cherchant à établir la leur, ils ne sont pas soumis à la justice de Dieu dj. » Mes frères, prenez pitié d’eux avec moi. Quand vous rencontrerez de ces esprits, gardez-vous de les cacher, n’ayez pas cette compassion funeste ; oui, gardez-vous de les cacher quand vous en rencontrerez. Réfutez leurs contradictions, amenez-nous les quand ils résistent. Déjà effectivement on a envoyé sur ce sujet les actes de deux Conciles au Siège Apostolique, dont on a aussi reçu les réponses. La cause est finie ; puisse ainsi finir l’erreur ! Aussi les avertissons-nous de rentrer en eux-mêmes ; nous prêchons pour leur faire connaître la vérité et nous prions pour obtenir leur changement. Tournons-nous, etc.

SERMON CXXXII. PURETÉ ET SAINTE COMMUNION dk.

ANALYSE. – Après avoir excité les Catéchumènes à faire leur profession de foi et à recevoir le baptême afin d’être initiés à la connaissance de ce que l’Écriture appelle le corps et le sang de Jésus-Christ, S. Augustin rappelle aux fidèles la nécessité de la pureté pour communier. Que tous donc la pratiquent, et ceux qui sont mariés, et ceux qui ne le sont pas encore, et ceux surtout qui en ont fait vœu et qui doivent la garder avec une perfection plus grande. Il termine en disant qu’il voudrait être moins sévère, mais que son devoir ne le lui permet pas.

1. Nous venons de l’entendre pendant la lecture du saint Évangile, c’est en nous promettant la vie éternelle que Jésus-Christ notre Seigneur nous exhorte à manger sa chair et à boire son sang. Vous l’avez tous entendu, mais tous vous ne l’avez pas compris. Vous qui êtes baptisés et vous – qui êtes au nombre des fidèles, vous savez la pensée du Seigneur. Quant à ceux qui sont encore Catéchumènes où Écoutants, ils ont pu entendre ses paroles, mais en ont-ils saisi le sens ? Aussi nous adressons-nous aux uns et aux autres. Ceux qui déjà mangent la chair du Seigneur et boivent son sang, doivent songer à ce qu’ils mangent et à ce qu’ils boivent ; pour ne pas s’exposer, comme s’exprime l’Apôtre, à manger et à boire leur condamnation dl. Pour ceux qui ne communient pas encore, qu’ils s’empressent d’approcher de ce divin banquet où ils sont invités. C’est à cette époque que les maîtres de maison donnent des repas : Jésus en donne chaque jour, et voilà sa table dressée au milieu de cette enceinte. Qui vous empêche, ô Écoutants, de voir cette table et de vous asseoir à ce festin ? Vous vous êtes dit peut-être, durant la lecture de l’Évangile : Quelle idée nous faire de ces mots : « Ma chair est véritablement une nourriture et mon sang véritablement un breuvage ? » Comment se mange la chair et comment se boit le sang du Seigneur ? Que veut-il dire ? – Mais qui t’a fermé l’entrée de ce mystère ? Tu y vois un voile ; ce voile, si tu veux, sera soulevé. Viens à la profession de foi et la question sera résolue pour toi, car ceux qui l’ont faite connaissent ce qu’a voulu dire notre Seigneur Jésus. Quoi ! on t’appelle Catéchumène, on t’appelle Écoutant, et tu es sourd ! Tu as ouvert l’oreille du corps, puisque tu entends le bruit des paroles ; mais tu as fermé encore l’oreille du cœur, puisque tu n’en comprends point le sens. Je parle, mais je n’explique pas. Nous voici à Pâques, fais-toi inscrire pour le Baptême. Si la fête ne suffit pas pour t’exciter, laisse-toi conduire par la curiosité même, par le désir de savoir ce que signifie « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui. » Pour comprendre avec moi le sens de ces mots : frappe et on t’ouvrira. Je te dis : Frappe et on t’ouvrira ; moi aussi je frappe, ouvre-moi ; je fais bruit aux oreilles, mais je frappe au cœur.

2. Mes frères, si nous devons exciter les Catéchumènes à ne point différer de recevoir cette grâce – immense de la régénération ; quel soin devons-nous consacrer à porter les fidèles à profiter de ce qu’ils reçoivent, à ne pas manger, à ne pas boire leur condamnation à cette table divine ! Qu’ils vivent donc bien, pour être préservés de ce malheur. Et vous, exhortez, non par vos paroles, mais par vos mœurs, ceux qui ne sont pas baptisés, à suivre vos exemples sans y trouver la mort. Époux, gardez à vos épouses la foi nuptiale ; faites pour elles, ce que vous exigez pour vous. Mari, tu requiers de ta femme la garde de la chasteté, donne-lui l’exemple et non des paroles. Tu es le chef ; vois où tu marches ; car tu ne dois marcher que par où elle peut te suivre sans danger ; que dis-je ? partout où tu veux qu’elle mette le pied, tu dois mettre le tien. De ce sexe faible tu exiges la force : comme vous éprouvez l’un et l’autre les convoitises de la chair, c’est au plus fort de vaincre le premier. N’est-il pas toutefois déplorable de voir tant d’hommes vaincus par les femmes ? Des femmes gardent la chasteté que des hommes refusent d’observer ; ils mettent même leur honneur d’homme à ne l’observer pas, comme si leur sexe n’était plus fort que pour se laisser plus facilement dompter par l’ennemi. Il y a lutte, il y a combat, il y a bataille. L’homme est plus fort que la femme, dont il est le chef dm. La femme combat, elle triomphe ; et toi tu succombes ! Le corps reste debout et la tête est tombée ! Pour vous, qui n’êtes point mariés encore et qui pourtant vous approchez de la table du Seigneur pour y manger sa chair et y boire son sang, conservez-vous pour vos futures épouses si vous devez en prendre. Ne doivent-elles pas vous trouver telles que vous désirez les trouver vous-mêmes ? Quel est le jeune homme qui ne désire une épouse chaste, qui ne demande l’intégrité la plus parfaite dans la vierge à laquelle il veut s’unir ? Sois ce que tu veux qu’elle soit ; tu la veux pure, sois pur. Ne pourrais-tu ce dont elle est capable ? Si la vertu est impossible, pourquoi la pratique-t-elle ? Et si elle la pratique, n’est-ce pas t’enseigner qu’elle est praticable ? C’est Dieu sans doute qui la dirige pour l’en rendre capable. Souviens-toi cependant qu’à la pratiquer tu auras plus de gloire qu’elle. Pourquoi plus de gloire ? C’est qu’elle est comprimée par la vigilance de ses parents, arrêtée par la pudeur de son faible sexe, retenue enfin par la peur de lois que tu n’as pas à craindre. Voilà pourquoi tu auras réellement plus de gloire à demeurer chaste, la pureté sera en toi la preuve que tu crains Dieu. Elle, en dehors de Dieu, que n’a-t-elle pas à craindre ? Toi, tu n’as d’autre crainte que celle de Dieu ; mais aussi quelle grandeur comparable à celle de ce Dieu que tu crains ? Il faut le craindre en public et le craindre en secret. Si tu sors il te voit, il te voit encore si tu entres ; ta lampe brûle, il te voit ; elle est éteinte, il te voit encore ; il te voit quand tu pénètres dans ton cabinet, il te voit aussi quand tu réfléchis en ton cœur. Crains, crains cet œil qui ne te perd pas de vue, et que la crainte au moins te maintienne chaste ; ou bien, si tu es déterminé à pécher, cherche un endroit où Dieu ne te verra pas, et fais là ce que tu veux.

3. Pour vous qui déjà avez fait le vœu de pureté, châtiez plus sévèrement votre corps, ne laissez pas la convoitise aller même à ce qui est permis ; non content, de vous abstenir de tout contact impur, sachez dédaigner même un regard licite. Quel que soit votre sexe, souvenez-vous que vous menez sur la terre la vie des Anges, puisque les Anges ne se marient point. Après la résurrection nous serons tous comme eux dn ; mais combien vous l’emportez sur les autres, vous qui commencez d’être avant la mort ce qu’ils ne seront qu’après la résurrection ! Soyez fidèles à vos engagements divers, comme Dieu sera fidèle à vous glorifier diversement. Les morts ressuscités sont comparés aux étoiles du ciel. « Une étoile, dit l’Apôtre, diffère en clarté d’une autre étoile. Ainsi en est-il de la résurrection do. » Autre sera l’éclat de la virginité, autre l’éclat de la chasteté conjugale, autre encore l’éclat de la viduité sainte. La gloire sera diverse, mais tous les élus auront la leur. La splendeur n’est pas la même, le ciel est commun.

4. Réfléchissez ainsi à vos devoirs, soyez fidèles à vos obligations diverses et recevez la chair, recevez le sang du Seigneur. Qu’on n’approche point, si l’on n’a pas la conscience en bon état. Que mes paroles vous portent de plus en plus à la componction. Elles portent la joie dans ceux qui savent rendre à leurs épouses ce qu’ils demandent d’elles et dans ceux aussi qui observent avec perfection la continence qu’ils ont vouée à Dieu. Mais il en est d’autres qui s’affligent en m’entendant dire : N’approchez pas de ce pain sacré, vous qui n’êtes pas purs. Je voudrais bien ne pas tenir ce langage : mais que faire ? Aurai-je peur de l’homme pour ne pas annoncer la vérité ? Il faudra donc que ces serviteurs infidèles ne craignant pas le Seigneur, je ne le craigne pas non plus, comme si je ne connaissais pas cette sentence : « Serviteur mauvais et paresseux, tu aurais dû donner et moi j’aurais fait rendre dp. » Ah ! j’ai donné, Seigneur mon Dieu ; oui, devant vous, devant vos Anges et devant votre peuple j’ai distribué vos richesses ; car je redoute vos jugements. J’ai distribué, à vous de faire rentrer. Du reste vous le ferez assez sans que je le dise. Je dirai donc au contraire : J’ai distribué, à vous de toucher, à vous de pardonner. Rendez purs ceux qui étaient impurs. Ainsi, au jour de vos arrêts, nous serons tous dans la joie, et celui qui a donné et celui qui a reçu. Le voulez-vous, mes frères ? Veuillez-le. O impudiques, corrigez-vous pendant que vous êtes en vie. Je puis bien annoncer la parole de Dieu, mais je ne saurais soustraire au jugement et à la condamnation suprême les impurs qui auront persévéré dans leurs infamies.

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