‏ John 6:51-69

VINGT-SIXIÈME TRAITÉ.

DEPUIS L’ENDROIT OÙ IL EST ÉCRIT : « LES JUIFS DONC MURMURAIENT CONTRE LUI, PARCE QU’IL AVAIT DIT : JE SUIS LE PAIN VIVANT DESCENDU DU CIEL », JUSQU’A CET AUTRE : « CELUI QUI MANGE DE CE PAIN, VIVRA ÉTERNELLEMENT ». (Jean, 6, 41-59.)

LA FOI EN JÉSUS-CHRIST.

Parce que les Juifs n’avaient pas soif de la justice, ils ne comprirent point que Jésus était le vrai pain descendu du ciel ; ils murmurèrent donc en entendant ses paroles : en cela rien d’étonnant. Pour croire au Christ, il faut être attiré h. la foi par la grâce divine, qui, en nous instruisant, nous amène, d’une manière efficace, mais librement, au bien par l’organe le Jésus-Christ, Fils de Dieu incarné. Comme il est le pain de vie, croire en lui, c’est avoir la vie éternelle de l’âme. La manne du désert n’a pu la donner aux Israélites, parce qu’ils manquaient de foi : l’Eucharistie ne l’a pas davantage procurée fleurs descendants, pour la même raison, car elle n’est pain de vie que pour les croyants. Celui donc qui mange ce pain dans les sentiments de la foi et de la charité, possède la vie éternelle de l’âme, et le principe de la résurrection de son corps.

1. Nous venons de l’apprendre par la lecture de l’Évangile Notre-Seigneur Jésus-Christ ayant dit qu’il était un pain descendu du ciel, les Juifs éclatèrent en murmures et s’écrièrent : « N’est-il pas ce Jésus, fils de Joseph, dont nous connaissons le père et la mère ? Comment dit-il : Je suis descendu du ciel ? » Les Juifs étaient loin de s’occuper du pain du ciel, et ils ne savaient pas en avoir faim. Par faiblesse, leur cœur ne pouvait ni demander ni recevoir aucune nourriture ; ils avaient des oreilles, et n’entendaient rien ; ils avaient des yeux pour ne rien voir. Car, ce pain de l’homme intérieur exige de l’appétit. Voilà pourquoi il est dit ailleurs : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés a ». Or, l’apôtre saint Paul nous dit que le Christ est notre justice b. Par conséquent, celui qui a faim de ce pain, doit avoir faim de la justice, mais de cette justice qui descend du ciel et que Dieu donne, et non pas de celle que l’homme se fait à lui-même. L’homme se fait parfois de lui-même sa propre justice ; s’il en était autrement, le même Apôtre ne dirait pas, en parlant des Juifs : « Ne connaissant point la justice de Dieu, et s’efforçant d’établir leur propre justice, ils ne se sont point soumis à la justice de Dieu c ». De ce nombre étaient ces autres Juifs, qui n’avaient aucune idée du pain descendu du ciel, parce que, rassasiés de leur propre justice, ils n’éprouvaient aucun désir de la justice de Dieu. Qu’est-ce donc que la justice de Dieu ? Qu’est-ce que celte des hommes ? Par justice de Dieu, il faut entendre ici, non pas cette perfection qui constitue la sainteté de Dieu, mais celle qu’il donne à l’homme, afin de l’établir dans la sainteté par sa grâce. Quant aux Juifs, en quoi consistait leur justice ? En ce qu’ils présumaient de leurs forces, et prétendaient être, en quelque sorte, les parfaits observateurs de la loi, sans aucun aide venu d’ailleurs : personne ne peut accomplir la loi sans le secours de la grâce, c’est-à-dire du pain descendu du ciel. « Car », dit en deux mots l’Apôtre, « l’amour est la plénitude de la loi  d ». L’amour, non de l’argent, mais de Dieu ; non de la terre ou du ciel, mais de Celui qui a fait le ciel et la terre. D’où vient à l’homme cet amour de Dieu ? Saint Paul nous le dit. Écoutons-le : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné e ». Avant de nous donner le Saint-Esprit, le Sauveur s’est donc présenté à nous comme le pain descendu du ciel, et nous a exhortés à croire en lui. Croire en lui, c’est manger le pain vivant. Celui qui croit, mange : il se nourrit invisiblement, parce qu’il renaît d’une manière invisible ; c’est intérieurement un enfant, un homme nouveau : ce qui le renouvelle, le rassasie par lot même.

2. Les Juifs murmuraient donc contre Jésus ; quelle fut sa réponse ? « Ne murmurez pas entre vous » ; ce qui voulait dire : Je le vois bien, vous n’éprouvez aucun désir pour ce pain ; vous n’avez nulle idée de ce qu’il est ; vous ne cherchez pas à vous le procurer. « Ne murmurez pas entre vous : nul ne peut venir à moi, si le Père, qui l’a envoyé, ne l’attire ». Admirable éloge de la grâce : Nul ne vient sans être attiré. Qui attire-t-il ? Qui n’attire-t-il pas ? Pourquoi attire-t-il celui-ci ? Pourquoi n’attire-t-il pas celui-là ? Autant de questions desquelles tu ne dois pas t’établir juge, si tu ne veux pas te tromper. Je te le dis une fois pour toutes : saisis bien ma pensée. Dieu ne t’attire rias encore ? Prie-le de le faire. Mes frères, que disons-nous ? Si nous sommes attirés vers le Christ, nous croyons donc en lui malgré nous : on nous fait donc violence, et notre volonté reste étrangère à notre acte de foi ? Un homme peut entrer à l’Église, s’approcher de l’autel, recevoir le sacrement, sans aucun consentement de sa part ; mais, pour croire, il faut nécessairement le libre concours de la volonté. Si la foi venait du corps, elle pourrait se trouver en des hommes qui n’y acquiesceraient nullement ; mais elle ne vient pas de là. Écoute l’Apôtre : « On croit par le cœur ». Et il ajoute : « Et l’on confesse par la bouche, pour parvenir au salut f ». Cette confession procède du fond du cœur, Les hommes qui font leur profession de foi ne sont pas rares : Tu as parfois entendu des hommes qui font leur profession de foi ; mais tu ne connais pas quel est celui qui ne croit pas réellement, et tu ne peux donner le nom de confesseur de la foi à l’homme que tu reconnais comme incroyant ; car la confession consiste à dire ce que pense réellement le cœur : si tu dis le contraire de ce que tu penses intérieurement, tu parles, mais tu ne fais pas de profession de foi. C’est donc par le cœur que l’on croit au Christ : personne ne le fait contre son gré, et, pourtant, il semblerait que celui qui y est attiré, le fait malgré lui, et forcément. Comment résoudre la difficulté que présente ce passage : « Nul ne vient à moi, si le Père, qui m’a envoyé, ne l’attire ? »

3. Quiconque est attiré, dira quelqu’un, marche à contre-cœur. S’il marche à contrecœur, il ne croit pas ; et s’il ne croit pas, il ne marche pas davantage. Ce n’est pas, en effet, par la marche que nous nous approchons du Christ : c’est par la foi ; pour cela, nous n’avons pas de mouvement à imprimer à notre corps : il suffit d’avoir au cœur de la bonne volonté. Voilà pourquoi cette femme, qui toucha la robe du Sauveur, la toucha plus que la foule qui se pressait autour de lui. Aussi Jésus dit-il : « Qui est-ce qui m’a touché ? » Les disciples étonnés lui répondirent : « La multitude vous presse, et vous demandez qui vous a touché ? » Et il répéta : « Quelqu’un m’a touché g ». La femme le louche, la multitude le presse ; que veut donc dire ce mot : « M’a touché », sinon : a cru ? De là vient encore que, après sa résurrection, le Christ s’adressa en ces termes à cette autre femme qui voulait se jeter à ses pieds : « Ne me touche pas, car je ne suis pas encore « monté vers mon Père h ». À ton avis, je ne suis que ce que tu me vois ; ne me touche pas. Quel est le sens de ces paroles ? Selon ton idée, je ne suis pas autre que ce que je te semble être. Ne t’y trompe pas, il n’en est pas ainsi, c’est-à-dire : « Ne me touche pas, car je ne suis point encore remonté vers mon Père ». Pour toi, je ne suis pas monté vers mon Père, car je ne me suis jamais séparé de lui. Elle ne touchait point le Sauveur, quand il était sur la terre ; comment le toucherait-elle au moment de son retour vers son Père ? C’est ainsi, néanmoins, c’est de cette manière qu’il a voulu être touché ; ainsi l’est-il par tous ceux qui le touchent bien, quoiqu’il monte au ciel, qu’il demeure en son Père, et qu’il lui soit égal.

4. Reporte ton attention sur ces paroles : « Nul ne vient à mol, si mon Père ne l’attire ». Ne t’imagine pas que tu sois attiré malgré toi ; car l’amour entraîne les âmes. Il est des hommes qui pèsent le sens de toutes les paroles, et qui sont loin de comprendre toutes choses, surtout les choses de Dieu ; mais nous n’avons nullement à craindre de les voir nous reprocher ce passage des saintes Écritures qui se trouve dans l’Évangile, et nul d’entre eux ne nous dira Si je suis entraîné, comment pourrai-je avoir une foi parfaitement libre ? Car je le dis : ce n’est pas assez d’être entraînés volontairement, nous le sommes encore avec plaisir. Qu’est-ce, en effet, qu’être entraîné avec plaisir ? « Mets tes délices dans le Seigneur, et il remplira tous les désirs de ton cœur i ». Le cœur qui éprouve la douceur du pain céleste, ressent un véritable plaisir. Or, s’il est vrai de dire avec le poète : « Chacun est conduit par l’attrait de ses propres penchants 
Virgile, Eglogue, 2
 » ; non par la nécessité, mais par l’attrait du plaisir ; non par le devoir, mais par la jouissance : à plus forte raison devons-nous dire que celui-là est attiré vers le Christ, qui trouve ses délices dans la vérité, la béatitude, la justice, l’éternelle vie ; car le Christ est tout cela. Quand les sens corporels ont leurs plaisirs, les facultés de l’âme en seraient-elles dépourvues ? Et si l’âme n’avait point de jouissances à elle, comment le Psalmiste aurait-il pu dire : « Les enfants des hommes espéreront à l’ombre de vos ailes ; ils seront enivrés de l’abondance de votre maison ; vous les abreuverez au torrent de vos délices ; car, en vous est la source de la vie, et dans votre lumière nous verrons la lumière k ? » Donne-moi un homme qui aime lieu, et il éprouvera la vérité de ce que je dis : donne-moi un homme rempli du désir et de la faim de ce pain céleste, engagé dans le désert de cette vie et dévoré par la soif de Injustice, soupirant après la fontaine de l’éternelle patrie ; donne-moi un tel homme, et il me comprendra. Mais si je m’adresse à un homme glacé par le froid de l’indifférence, il ne saisira pas mes paroles. Tels étaient les murmurateurs dont parle notre Évangile. « Celui que mon Père attire vient à moi ».

5. Mais pourquoi dire : « Celui que mon Père attire », puisque le Christ attire aussi ? dans quelle intention le Sauveur a-t-il dit : « Celui que mon Père attire ? » Si nous devons être entraînés, soyons-le par celui à qui l’épouse animée par l’amour adressait ces paroles : « Nous courrons sur tes pas à l’odeur de tes parfums l ». Remarquons bien, mes frères, et, autant que possible, efforçons-nous de comprendre ce que le Sauveur veut nous faire entendre. Le Père attire à son Fils ceux qui croient au Fils, parce qu’ils reconnaissent Dieu pour son Père ; car Dieu le Père s’est engendré un Fils égal à lui ; l’homme qui reconnaît dans sa pensée que le Fils est égal au Père, et qui, sous l’empire de sa foi, sent vivement cette vérité, et la rappelle sans cesse à son esprit, le Père l’attire vers son Fils. Arius n’a vu en Jésus qu’une simple créature ; aussi le Père ne l’a-t-il pas attiré, car celui-là n’a le Père en aucune estime, qui ne reconnaît pas le Fils comme son égal. Que dis-tu, ô Arius ? O hérétique, quel langage tiens-tu ? Qu’est-ce que le Christ ? – Ce n’est pas le vrai Dieu : il n’en est que la créature. – Tu n’es pas attiré par le Père, puisque tu ne reconnais pas son Fils, loin de là ; puisque tu dis positivement qu’il n’a pas de Fils : aussi n’es-tu ni attiré par le Père, ni attiré vers le Fils ; car autre chose est le Fils, autre chose est ce que tu en dis. Au dire de Photin, le Christ n’est qu’un homme : il n’est pas Dieu. Les partisans de cet hérétique, le Père ne les attire pas. Le Père a attiré celui qui a dit : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant ». Vous n’êtes ni un Prophète, ni saint Jean, ni un grand saint, mais « vous êtes le Christ Fils » unique « du Dieu vivant », et son égal. Oui, il a été attiré : il l’a été par le Père ; tu en trouves la preuve dans ces paroles du Sauveur : « Simon, fils de Jona, tu es heureux, car la chair et le sang ne t’ont pas révélé ceci, mais mon Père qui est dans les cieux m ». Cette révélation du Père n’est autre que son attraction. Tu montres à une brebis une branche de feuillage, et tu l’attires ; offre des noix aux regards d’un enfant, et tu l’attireras : et il est attiré à l’endroit où il court, par l’affection, sans dommage pour son corps, sous l’empire des sentiments de son cœur. S’il est vrai qu’un homme se laisse entraîner vers un objet dont les attraits et les délices sollicitent son affection, suivant cet incontestable adage : « Chacun est conduit par l’attrait de ses propres penchants » ; le Père, en faisant connaître le Christ, n’aurait aucun empire sur les cœurs ? Mais rien n’a plus de force que la vérité pour exciter dans une âme d’ardents désirs. Pour quelle occurrence avoir un meilleur appétit, pourquoi désirer un palais plus apte à juger des saveurs, sinon pour se nourrir et s’abreuver de la sagesse, de la justice, de la vérité, de l’éternité ?

6. Mais où serons-nous rassasiés ? Au ciel, nous le serons mieux, plus véritablement, plus parfaitement que partout ailleurs. Car ici, il nous est plus facile, si nous sommes animés d’une ferme espérance, d’avoir faim que d’être rassasiés ; car « bienheureux ceux « qui ont faim et soif de la justice » sur la terre, « parce qu’ils seront rassasiés » au ciel n. Aussi, après avoir dit : « Nul ne vient à moi, si le Père, qui m’a envoyé, ne l’attire », il ajoute : « et je le ressusciterai au dernier jour ». Je le mettrai en possession de ce qu’il aime, de ce qu’il espère : il contemplera ce qu’il a cru ici-bas sans le voir ; il se rassasiera de ce dont il a faim, il s’abreuvera de ce dont il a soif. Quand cela ? Au moment de la résurrection des morts, car « je le ressusciterai au dernier jour »

7. « Car il est écrit dans les Prophètes : « Tous seront enseignés de Dieu ». O Juifs, pourquoi me suis-je exprimé ainsi ? Le Père ne vous a pas encore instruits ; comment donc pouvez-vous me reconnaître ? Tous les citoyens de ce royaume seront enseignés de Dieu, et non des hommes. Et si des hommes les instruisent, ce qu’ils comprennent de leurs leçons, leur est donné, leur apparaît, leur est expliqué intérieurement. Que font les hommes en annonçant extérieurement la vérité ? Que fais-je moi-même, en ce moment, en vous adressant la parole ? Je fais retentir à vos oreilles le bruit de mes paroles. Si celui qui se trouve au dedans de vous ne vous les faisait comprendre, à quoi bon vous parler ? À quoi bon vous entretenir ? L’action de l’arboriculteur s’exerce au-dehors de l’arbre ; celle du Créateur se fait sentir à l’intérieur. Celui qui plante et qui arrose, travaille au-dehors ; c’est ce que nous faisons nous-mêmes ; mais a celui qui plante n’est rien, « non plus que celui qui arrose ; c’est Dieu seul qui donne l’accroissement o ». C’est-à-dire : « Tous seront enseignés de Dieu ». Qu’est-ce à dire : Tous ? « Quiconque a entendu le Père et a eu l’intelligence, vient à moi ». Remarquez bien la manière dont le Père nous attire : il nous instruit, et, par là, il nous délecte, mais il ne nous force pas. Voilà comme il nous attire « Tous seront enseignés de Dieu » ; il lui appartient de les attirer : « Quiconque a entendu le Père et a eu l’intelligence, vient à moi » : il y est attiré, c’est le fait de Dieu.

8. Eh quoi donc, mes frères ? De ce que quiconque a entendu le Père et a eu l’intelligence, vient au Christ, s’ensuit-il que le Christ n’y a contribué en rien par ses instructions ? Si les hommes ont eu pour précepteur Dieu le Père, sans néanmoins le voir, à quoi leur a servi de voir le Fils ? Le Fils parlait, et le Père enseignait. Moi, qui ne suis qu’un homme, qui est-ce que t’instruis ? Qui est-ce, mes frères, sinon l’homme qui entend ma parole ? Or, si n’étant qu’un homme, j’instruis celui qui m’entend parler, le Père enseigne donc aussi quiconque entend son Verbe ; et puisque l’homme qui entend le Verbe reçoit l’enseignement du Père, cherche à savoir ce qu’est le Christ, et tu apprendras qu’il est le Verbe du Père ; car, « au commencement était le Verbe ». On ne peut pas dire : Au commencement, Dieu a créé le Verbe, dans le sens de cette parole : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre p ». Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas une créature. Apprends à être attiré par le Père vers le Fils : que le Père t’enseigne, et que tu écoutes son Verbe. Mais, diras-tu, quel est ce Verbe du Père que je dois entendre ? « Au commencement était le Verbe » ; il n’a pas été fait alors, « il était : et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Mais comment, pendant le cours de cette vie terrestre, les hommes peuvent-ils entendre un Verbe de cette nature ? Parce que « le Verbe s’est fait chair, et qu’il a habité parmi nous q ».

9. Le Sauveur explique lui-même ces paroles, et nous montre ce qu’il a voulu nous dire en s’exprimant ainsi : « Quiconque a entendu le Père et a eu l’intelligence, vient à moi ». Car il ajoute aussitôt ce que nous devons en penser : « Non qu’aucun ait vu le Père, si ce n’est celui qui est de Dieu : celui-là a vu le Père ». Que dit-il ? Moi, j’ai vu le Père : vous, vous ne l’avez pas vu ; et, pourtant, il vous est impossible de venir à moi, si vous n’y êtes attirés par le Père. Mais, qu’est-ce qu’être attiré par le Père, si ce n’est être enseigné de lui ? Être enseigné de lui, sinon l’entendre ? L’entendre, sinon entendre son Verbe, c’est-à-dire moi ? Toutefois, parce que je vous dis : « Quiconque a entendu le Père et a eu l’intelligence », n’allez pas vous dire à vous-mêmes : Mais nous n’avons jamais vu le Père ; comment avons-nous pu recevoir ses instructions ? Car, écoutez-moi, je vais vous le dire : « Non qu’aucun ait vu le Père, si ce n’est celui qui est de Dieu ; celui-là a vu le Père ». Je connais le Père, je viens de lui, comme la parole d’un homme vient de cet homme ; parole, néanmoins, qui ne résonnerait pas, qui ne passerait pas, mais qui demeurerait avec celui qui parle et attirerait celui qui écoute.

10. Dans ce qui suit, nous trouvons un avertissement : « En vérité, en vérité, je vous le dis : celui qui croit en moi a la vie éternelle ». Il a voulu par là nous faire connaître qui il était ; car il aurait pu nous dire en deux mots : Celui qui croit en moi, me possède ; car le Christ est, tout à la fois, le vrai Dieu et la vie éternelle. Aussi, dit-il, celui qui croit en moi va en moi, et quiconque va en moi, me possède. Mais, qu’est-ce que me posséder ? C’est posséder la vie éternelle. La vie éternelle s’est revêtue de la mort ; elle a voulu mourir, et, pour cela faire, elle n’a rien trouvé en elle-même ; elle t’en a emprunté le moyen : tu lui as fourni de quoi mourir pour toi. Il s’est revêtu d’un corps humain, mais pas à la manière des autres hommes. Son Père est au ciel : il s’est, ici-bas, choisi une mère ; pour être engendré dans le ciel, il n’a pas eu de mère : pour l’être en ce monde, il n’a pas eu de père. La vie s’est donc revêtue de la mort, afin que la mort trouvât sa destruction dans la vie. Car, dit-il, « celui qui croit en moi possède la vie éternelle », non déjà manifestée à nos regards, mais encore cachée à nos yeux. « Le Verbe » est, en effet, la vie éternelle : « au commencement il était en Dieu, et le Verbe était Dieu, et la vie était la lumière des hommes ». Le Christ, vie éternelle, a donné la vie éternelle au corps humain qu’il a pris ; lest venu en ce monde pour y mourir. Mais il est ressuscité le troisième jour. La mort a péri, comme étouffée entre le Verbe incarné et son corps rendu à la vie.

11. « Je suis », dit le Sauveur, « le pain de vie ». Les interlocuteurs avaient-ils le droit de se montrer si fiers ? « Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et ils sont morts ». Pourquoi donc vous enorgueillir ? « Ils ont mangé la manne, et ils sont morts ». Pourquoi sont-ils morts, même après avoir mangé la manne ? C’est qu’ils croyaient ce qu’ils voyaient, et ce qu’ils ne voyaient pas, ils ne le comprenaient pas non plus. Ils sont donc réellement vos pères, puisque vous leur ressemblez. Mes frères, nous mangeons le pain descendu du ciel ; mais ne mourons-nous pas de la mort visible du corps ? Les Juifs du désert sont donc morts, comme nous mourrons nous-mêmes, il s’agit bien ici, vous le comprenez, de la mort visible et temporelle de notre corps. Mais s’il est question de cet autre genre de mort, vraiment à craindre, dont le Sauveur parle ici aux Juifs, et qu’ont subi leurs pères, je vous assure que Moïse, Aaron, Phinéès et beaucoup de personnages précieux aux yeux de Dieu par leur sainteté, n’en ont pas éprouvé l’amertume ; et, pourtant, ils ont aussi mangé la manne dans le désert. Mais cette nourriture visible, ils en ont compris la signification toute spirituelle, ils l’ont désirée en esprit et reçue de cœur, et leur âme en a été rassasiée. Nous aussi, nous recevons maintenant un aliment visible ; mais autre chose est de recevoir le sacrement, autre chose est d’en recueillir les fruits. Que de chrétiens participent à la victime du sacrifice, sont frappés par la mort, et ne meurent que pour avoir reçu cet aliment céleste ! Voilà pourquoi l’Apôtre ne craint pas de dire : « Il boit et mange sa propre condamnation r ». Le corps du Sauveur n’a pas été un poison pour Judas ; et cependant il le reçut, et, quand il l’eut reçu, Satan entra en lui, et cela, non point parce qu’il avait reçu un aliment empoisonné, mais parce qu’il était méchant, et qu’il l’avait reçu avec de mauvaises dispositions. Ayez donc soin, mes frères, de manger spirituellement ce pain venu du ciel, et d’apporter à l’autel un cœur innocent : si vous avez tous les jours des fautes à vous reprocher, que, du moins, elles ne soient pas mortelles. Avant de vous approcher de l’autel, faites attention à ce que vous dites « Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons à ceux qui nous doivent s ». Si tu pardonnes, tu seras pardonné ; marche en toute sécurité, tu as devant toi du pain, et non du poison ; mais vois bien si tu pardonnes, car si tu ne le fais pas, tu mens, et tu mens à celui que tu ne saurais tromper. Tu peux, en effet, mentir à Dieu, mais le tromper, jamais. Il sait ce que tu fais : il est au dedans de Loi, et il te voit, il te regarde, il t’examine, il te juge, et, dès lors, il te condamne ou te récompense. Quant aux Juifs du désert, ils étaient vraiment les pères des interlocuteurs du Christ ; car s’ils étaient méchants, les seconds ne l’étaient pas moins ; s’ils manquaient de foi, les seconds n’en avaient pas davantage ; s’ils murmuraient, les seconds murmuraient aussi. Et l’on peut dire que si jamais le peuple d’Israël a offensé son Dieu, ç’a été en murmurant contre lui. Aussi, pour montrer que ceux à qui il parlait étaient bien les fils des Juifs du désert, le Sauveur commence-t-il par leur dire : Murmurateurs, enfants d’un peuple qui a murmuré, « pourquoi murmurer entre vous ? Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et ils sont morts », non pas que la manne fût chose mauvaise, mais parce qu’ils l’ont mangée en mauvaises dispositions.

12. « C’est ici le pain qui est descendu du ciel ». Ce pain a été figuré par la manne, et aussi par l’autel du Très-Haut. La manne et l’autel étaient des figures : différents en apparence, ils signifiaient une même chose. Écoute les paroles de l’Apôtre : « Car vous ne devez pas ignorer, mes frères, que nos pères ont tous été sous la nuée, qu’ils ont tous passé la mer Rouge, et qu’ils ont tous été baptisés sous la conduite de Moïse dans la nuée et dans la mer, et qu’ils se sont tous nourris du même aliment spirituel ». En fait de nourriture spirituelle, nous avons tous la même : que s’il s’agit de la nourriture matérielle, ils ont eu la manne, et nous, une autre ; si, au contraire, il est question de la nourriture spirituelle, ils ont eu la même que nous. Mais nos pères se sont montrés bien différents des leurs : nous ressemblons à nos frères, et ils sont animés d’un esprit tout opposé. L’Apôtre ajoute : « Et qu’ils ont bu le même breuvage spirituel ». À eux, un breuvage ; à nous, un autre : breuvages d’apparences diverses, mais représentant la même chose par leur vertu mystérieuse. Mais comment était-ce « le même breuvage ? Parce qu’ils buvaient de l’eau de la pierre mystérieuse, eau qui les suivait : et cette pierre « était Jésus-Christ t ». En figure, le Christ était Pierre ; en réalité, il était Verbe et homme. Et comment ont-ils bu de cette eau ? La pierre a été frappée de deux coups de verge u ; ces deux coups de verge ne sont autres que les deux bras de la croix. « C’est donc ici le pain qui est descendu du ciel, afin que si quelqu’un en mange, il ne meure point ». Mais il faut bien le remarquer, il s’agit ici du sacrement comme vertu, et non du sacrement comme chose visible ; de celui qui le reçoit intérieurement, et non de celui qui le reçoit seulement à l’extérieur ; du chrétien qui en fait l’aliment de son cœur, et non du chrétien qui se borne à une manducation purement physique.

13. « Je suis le pain vivant qui est descendu du ciel ». Il est vivant, précisément parce qu’il est descendu du ciel. La manne était aussi descendue du ciel, mais elle n’était que l’ombre, tandis que le pain est la réalité. « Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement, et le pain que je donnerai pour la vie du monde, c’est ma chair ». Eh quoi ! la chair serait-elle jamais de telle nature qu’on puisse donner à du pain le nom de chair ? On appelle chair ce que ne comporte pas la nature de la chair, et elle le comporte d’autant moins, qu’on appelle de ce nom ce qui ne l’est pas. Les Juifs frémirent d’horreur en entendant ces paroles ; ils se dirent les uns aux autres que c’était exorbitant ; ils prétendirent que c’était impossible. « C’est », dit le Sauveur, « ma chair qui sera donnée pour le salut du monde ». Les fidèles savent ce que c’est que le corps du Christ, s’ils ont soin d’en faire partie. Qu’ils deviennent donc le corps du Christ, s’ils veulent vivre de son Esprit. Il n’y a, pour vivre de l’Esprit du Christ, que son corps. Mes frères, saisissez bien le sens de mes paroles. Dès lorsque tu es un homme, tu as un esprit et un corps. Sous le nom d’esprit, je désigne ce qu’on appelle l’âme, ce qui fait que tu es homme ; car tu es composé d’un corps et d’une âme. Dis-moi lequel des deux fait vivre l’autre ? Ton esprit puise-t-il sa vie en ton corps ? ou ton corps trouve-t-il la sienne en ton esprit ? Tout homme vivant répond à une telle question ; pour celui qui sent ait incapable d’y répondre, je ne sais, à vrai dire, s’il vit. Tout homme vivant répond donc : Il ne saurait y avoir de doute à cet égard : c’est mon esprit qui fait vivre mon corps. Si, maintenant, tu veux toi-même ; ivre de l’Esprit du Christ, sois l’un de ses membres. Serait-ce, en effet, ton esprit qui ferait vivre mon corps ? Certainement non ; mon esprit fait vivre mon corps, ton esprit fait vivre le tien. Pour le corps du Christ, il ne peut vivre que de l’esprit du Christ. Voilà pourquoi, en nous parlant de ce pain, l’apôtre saint Paul s’exprime ainsi : « Nous ne sommes tous qu’un seul pain et un seul corps ». O profond mystère de piété ! ô signe d’unité ! ô lien de charité ! Celui qui veut vivre, sait où il jouira de la vie, où il la puisera. Qu’il s’approche et qu’il croie, qu’il s’incorpore au Christ, il y trouvera la vie ; qu’il ne lui répugne aucunement de s’unir à d’autres membres ; qu’il ne soit lui-même ni un membre pourri, que l’on doive retrancher du reste du corps, ni un membre difforme dont on puisse rougir : qu’il boit beau, bien proportionné, parfaitement sain ; qu’il ne fasse qu’un avec le corps du Christ ; que, puisant sa vie en Dieu, il vive pour Dieu ; qu’il travaille sur la terre, pour régner un jour dans le ciel.

14. « Les Juifs disputaient donc entre eux et disaient : Comment celui-ci peut-il nous donner sa chair à manger ? » Ils disputaient entre eux, sans aucun doute, parce qu’ils ne comprenaient point que c’était un pain de paix et de concorde, et ne voulaient pas davantage s’en nourrir. Car ceux qui mangent ce pain ne se disputent pas entre eux ; la raison en est que « nous sommes tous un même pain et un même corps ». Et, par ce pain, « Dieu unit les hommes et les fait habiter dans une même maison v ».

15. Ils disputent entre eux et se demandent comment le Seigneur peut donner sa chair à manger ; néanmoins, le Christ ne le leur apprend point encore ; pour le moment, il se contente de leur dire : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez point la vie en vous ». Vous ignorez pourquoi on mange ce pain et comment on le mange : et, pourtant, « si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez point la vie en vous ». Certes, il ne s’adressait pas à des cadavres, mais à des hommes vivants. Aussi, pour ne point leur laisser supposer qu’il parlait de cette vie terrestre, et les empêcher d’élever une contestation à ce sujet, il ajouta : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, a la vie éternelle » ; d’où il suit que celui qui ne mange pas ce pain et ne boit pas ce sang, ne l’a pas ; car, si les hommes peuvent, sans eux, avoir la vie du temps, ils ne peuvent aucunement, sans eux, posséder la vie éternelle. De là, quiconque ne mange point sa chair et ne boit pas son sang, n’a point la vieen soi ; et quiconque mange sa chair et boit son sang, possède la vie. Pour l’un et l’autre de ces deux hommes, le Sauveur parle de la vie éternelle. Il n’en est pas de même de la no4urriture matérielle que nous prenons pour entretenir en nous la vie du corps. Celui qui n’en prend pas ne peut vivre, et celui qui en prend ne peut se promettre de vivre toujours ; car il peut arriver que beaucoup de ceux qui en prennent, meurent accablés par la vieillesse ou la maladie, ou victimes d’un accident quelconque. Bien différents sont la nourriture et le breuvage dont il est ici question, c’est-à-dire le corps et le sang du Seigneur. En effet, si celui qui ne les prend point n’a pas non plus la vie, celui qui les prend possède certainement la vie, et la vie éternelle. Par cet aliment et ce breuvage, le Sauveur veut donc nous désigner l’unité de son corps, l’union de ses membres, qui n’est autre que la sainte Église, composée des prédestinés, des appelés, des justifiés, des saints glorifiés et de tous les fidèles. La prédestination a déjà eu lieu ; la vocation et la justification se sont déjà faites pour les uns, se font maintenant et se feront plus tard pour les autres quant à la glorification, elle n’existe pour nous aujourd’hui qu’en espérance : au ciel elle se réalisera. Le signe sensible de cette mystérieuse chose, c’est-à-dire le sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ réunis ensemble, se trouve préparé sur la table du Seigneur ici tous les jours, ailleurs, à certains intervalles moins rapprochés ; c’est à cette table divine que les chrétiens le reçoivent et y puisent, les uns la vie, les autres la mort. Pour ce dont ce sacrement est le signe, quiconque en devient participant y rencontre non la mort, mais la vie.

16. Les Juifs pouvaient s’imaginer que la vie éternelle étant promise aux hommes qui prendraient cet aliment et ce breuvage, ceux-ci ne subiraient pas même la mort du corps. Le Sauveur daigna prévenir cette erreur. En effet, après ces paroles : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle », il ajoute aussitôt celles-ci : « Et je le ressusciterai au dernier jour ». D’abord sou âme jouira de la vie éternelle, dans le séjour du repos où se réunissent les âmes des saints ; quant à son corps, il entrera aussi en possession de la vie éternelle, car il ressuscitera au dernier jour avec tous les morts.

17. « Car ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est véritablement un breuvage ». Les hommes ne prennent de nourriture et de breuvage que pour apaiser leur faim et étancher leur soif ; mais un pareil effet n’est véritablement produit que par cet aliment et ce breuvage où trouvent l’immortalité et l’incorruptibilité ceux qui le reçoivent ; il ne peut avoir vraiment lieu que dans la société même des saints, où régneront une paix entière et une parfaite union. C’est pourquoi, suivant l’idée qu’en ont eue déjà avant nous les hommes de Dieu, Notre-Seigneur Jésus-Christ nous a parlé de son corps et de son sang en les désignant par des objets à la confection desquels concourent plusieurs autres réunis ensemble ; car le pain se fait par la réunion d’un grand nombre de grains, comme encore le vin se fait avec le jus de plusieurs raisins.

18. Enfin, il indique comment peut se faire ce qu’il dit et ce que c’est que manger son corps et boire son sang. « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et je demeure en lui ». Prendre cette nourriture et boire ce breuvage n’est donc autre chose que demeurer dans le Christ et le posséder en soi-même à titre permanent. Par là même, et sans aucun doute, quand on ne demeure pas dans le Christ, et qu’on ne lui sert point d’habitation, on ne mange point (spirituellement) sa chair, et on ne boit pas non plus son sang, quoiqu’on tienne d’une manière matérielle et visible soins sa dent le sacrement du corps et du sang du Sauveur ; bien plus, en recevant le signe sensible d’une si précieuse chose, il le mange et boit pour sa condamnation, parce qu’il n’a pas craint de s’approcher dès sacrements du Christ avec une âme souillée. Celui-là seul, en effet, s’en approche dignement, qui le fait avec une conscience pure, suivant cette parole de l’Évangile : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu w ».

19. « Car », dit-il, « comme mon Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que je vis à cause du Père, ainsi celui qui me mange vivra à cause de moi ». Il ne dit pas : Comme je mange mon Père et que je vis à cause de lui, ainsi celui qui me mange vivra à cause de moi. Car, en participant à la nature du Père, le Fils n’en devient point plus parfait, puisqu’il a été engendré son égal ; mais nous, nous devenons meilleurs en entrant en participation du Fils, en nous unissant à son corps et à son sang, mystère désigné par la manducation et l’action de boire dont il a parlé plus haut. Nous vivons donc à cause de lui, puisque nous le mangeons, c’est-à-dire puisque nous recevons de lui la vie éternelle, que nous ne pouvions trouver en nous-mêmes ; pour lui, il vit à cause de son Père qui l’a envoyé, parce qu’il s’est anéanti lui-même et qu’il est devenu obéissant jusqu’à la mort de la croix x. Si nous interprétons ces paroles « Je vis à cause de mon Père », d’après cet autre passage : « Mon Père est plus grand que moi y », il en est du Christ comme de nous ; car nous vivons à cause de lui, qui est plus grand que nous ; c’est pour lui la conséquence de sa mission. Il a été envoyé, c’est-à-dire il s’est anéanti lui-même en prenant la forme d’esclave : cette interprétation est juste ; on peut la soutenir, tout en continuant à reconnaître que le Fils est, par nature, égal au Père. Car le Père est plus grand que son Fils considéré comme homme ; mais, en tant que Dieu, le Fils lui est égal ; car il est, en même temps, Dieu et homme, Fils de Dieu et Fils de l’homme, dans une seule personne, qui est Jésus-Christ. Si l’on entend bien dans ce sens les paroles du Sauveur : « Comme mon Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que je vis à cause de mon Père, ainsi celui qui me mange vivra à cause de moi » ; il a voulu dire ceci : L’anéantissement où m’a réduit ma mission a eu pour résultat de me faire vivre à cause de mon Père, c’est-à-dire, de me faire rapporter à lui, comme étant plus grand que moi, toute ma vie ; ainsi, chacun de ceux qui me mangeront vivra à cause de moi, par l’effet de cette participation à ma personne. Je me suis humilié c’est pourquoi je vis à cause du Père ; le chrétien qui me mange s’élève, et, par là, il vit à cause de moi. Que si le Christ a dit : « Je vis à cause de mon Père », parce que le Fils vient du Père et que le Père ne vient pas du Fils, ces paroles ne portent aucune atteinte à l’égalité du Fils par rapport à son Père. De là il suit évidemment qu’en disant : « Ainsi celui qui me mange vivra éternellement », le Sauveur n’a voulu, en aucune manière, nous mettre sur un même pied d’égalité avec lui : il n’a fait allusion qu’au bienfait de sa médiation.

20. « C’est ici le pain qui est descendu du ciel » ; afin qu’en le mangeant, nous trouvions la vie en lui, parce que nous ne pouvons trouver en nous-mêmes le principe de la vie éternelle. « Vos pères », dit-il, « ont mangé la manne et sont morts ; mais celui qui mange ce pain vivra éternellement ». Leurs pères sont morts, cela veut dire : ils ne vivront pas éternellement ; car, évidemment, ceux qui mangent le Christ meurent aussi dans le temps, mais ils vivent pour l’éternité, parce que le Christ est la vie éternelle.

VINGT-SEPTIÈME TRAITÉ

DEPUIS CET ENDROIT : « IL DIT CES PAROLES DANS LA SYNAGOGUE, ENSEIGNANT À CAPHARNAÜM ». JUSQU’À CET AUTRE : « CAR C’ÉTAIT CELUI QUI DEVAIT LE TRAHIR, QUOIQU’IL FÛT L’UN DES DOUZE ». (Chap 6,60-72.)

C’EST L’ESPRIT QUI VIVIFIE.

Les adversaires de Jésus ne furent pas seuls à murmurer de ses paroles : ses disciples en firent autant. Vous ne savez ce qu’est ma chair, ni ce qu’elle sera un jour, leur dit le Sauveur, car vous en jugez d’une façon matérielle et grossière c’est pourquoi vous en jugez faux mes paroles sont spirituelles, et quand je dis qu’il faut manger ma chair, j’entends qu’il faut faire un avec moi. Vous ne croyez pas en moi, voilà pourquoi vous ne me comprenez pas ; et, si vous ne croyez pas en moi, c’est que mon Père ne vous en a pas fait grâce. – Beaucoup s’éloignèrent alors de Jésus ; mais les douze qu’il avait choisis, même Judas malgré son indignité, restèrent avec lui, parce que la foi leur avait donné de saisir le vrai sens de son discours. Puissions-nous entrer dans leurs sentiments et suivre leur exemple !

1. Nous venons d’entendre dans l’Évangile les paroles du Sauveur qui viennent après celles dont nous vous avons précédemment entretenus : nous devons en parler à vos oreilles et à vos cœurs ; notre discours d’aujourd’hui a toute raison d’être, car, en ce jour, nous célébrons la fête du corps du Seigneur, de ce corps qu’il nous a donné, disait-il aux Juifs, pour nous transmettre la vie éternelle. Il a expliqué la manière dont il nous communique ce bienfait que nous recevons de lui ; il nous a dit comment il donne sa chair à manger. Voici ses paroles : « Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang, demeure en moi, et je demeure en lui z ». Tel est le signe auquel nous reconnaissons que nous avons pris cet aliment et bu ce breuvage c’est que nous demeurons en Jésus-Christ, et qu’il demeure en nous ; c’est que nous habitons en lui, et qu’il habite eu nous ; c’est que nous nous attachons à lui pour ne pas le quitter. Par ces mystérieuses paroles, il nous a donc donné un enseignement : il nous a avertis d’appartenir à son corps, de faire partie de ses membres, de lui obéir comme à notre chef, de manger sa chair, de ne point nous écarter de son unité. Mais la plupart de ceux qui l’entendirent, ne le comprirent pas, et ils se scandalisèrent ; comme ils étaient charnels, ils n’attribuaient qu’un sens charnel aux paroles du Sauveur. Mais l’Apôtre a dit, et c’est la vérité : « Juger des choses selon la chair, c’est mourir ». Le Seigneur nous donne sa chair à manger ; mais, juger des choses selon la chair, c’est mourir ; car il parle de sa chair, comme de la source de la vie éternelle : nous ne devons donc point juger non plus de sa chair d’une manière charnelle, comme faisaient ceux dont il est question dans ce passage.

2. « C’est pourquoi plusieurs », non pas de ses ennemis, mais « de ses disciples, l’ayant entendu, dirent : Cette parole est dure, et qui peut l’écouter ? » Si cette parole parut dure à ses disciples, que parut-elle à ses ennemis ? Et, pourtant, le Sauveur devait s’exprimer ainsi pour ne pas être compris de tous ; car si Dieu nous communique ses secrets, il doit trouver en nous des auditeurs bien disposés, et non pas des adversaires ; pour ceux-ci, ils se raidirent contre ses paroles, aussitôt qu’ils les entendirent tomber des lèvres du Seigneur Jésus. Il leur disait de merveilleuses choses, et, sous le voile de ses paroles, se cachait l’annonce d’une grande grâce ; mais ils n’ajoutèrent aucune foi à ses discours : selon leur manière de voir, ils comprirent donc d’une façon tout humaine que Jésus avait le pouvoir ou l’intention de couper, pour ainsi dire, en morceaux, et de distribuer à ceux qui, croiraient en lui la chair dont le Verbe s’était revêtu. « Cette parole est dure », s’écrièrent – ils, « et qui peut l’écouter ? »

3. « Mais Jésus sachant en lui-même que ses disciples murmuraient ». Ils murmuraient entre eux de manière à ne pas être entendus de lui ; mais il connaissait jusqu’aux plus secrets replis de leur âme : aussi, les entendant en lui-même, il leur répondit : « Cela vous scandalise ? » Parce que je vous ai dit : Je vous donne ma chair à manger et mon sang à boire, mes paroles vous révoltent ? « Que sera-ce donc si vous voyez le Fils de l’homme monter où il était d’abord ? » Qu’est-ce ceci ? Détruisait-il par là la cause de leur émotion ? Faisait-il disparaître à leurs yeux les obscurités qui avaient donné lieu à leur scandale ? Évidemment, oui, s’ils avaient voulu le comprendre. Ils s’étaient imaginés qu’il leur distribuerait son corps, et il disait, lui, qu’il monterait au ciel dans tout son entier : « Lorsque vous verrez le Fils de l’homme monter où il était d’abord ». Oui, vous verrez, même alors, qu’il ne distribue point son corps de la manière que vous vous imaginez : oui, vous comprendrez, même alors, que l’on ne broie pas sa grâce sous les dents.

4. Et Jésus ajouta : « C’est l’esprit qui vivifie ; la chair ne sert de rien ». Avant d’expliquer ces paroles, aussi bien que le Seigneur nous le permettra, il est bon de ne point glisser légèrement sur ce passage : « Lorsque vous verrez le Fils de l’homme monter où il était auparavant ». Car le Christ est Fils de l’homme, il est né de la vierge Marie. Le Fils de l’homme a donc eu un commencement sur la terre ; il a eu ce commencement au moment même où il s’était revêtu d’un corps terrestre. Aussi, le Prophète avait-il dit : « La vérité est sortie du sein de la terre aa ». Que veut donc dire le Sauveur, quand il s’exprime ainsi « Lorsque vous verrez le Fils de l’homme monter où il était auparavant ? » Il n’y aurait aucune difficulté, s’il avait dit : Si vous voyiez le Fils de Dieu monter où il était auparavant. Mais il dit : « Lorsque vous verrez le Fils de l’homme monter où il était auparavant ». Le Fils de l’homme, qui a eu un commencement sur la terre, pouvait-il être auparavant dans le ciel ? Il dit : « Où il était auparavant », comme s’il n’y était plus au moment où il parlait. Mais il dit ailleurs : « Personne n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel ab ». Il ne dit pas : « le Fils de l’homme » qui était, mais : « qui est au ciel ». Quand il parlait, il était sur la terre, et il disait qu’il était au ciel. Telles ne sont pas ses paroles : Personne n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de Dieu qui est au ciel. En s’exprimant de la sorte, il veut évidemment nous faire comprendre ce que j’ai déjà expliqué à votre charité dans mon dernier discours, à savoir qu’en Jésus-Christ il y a, non pas deux personnes, mais une seule, qui est tout à la fois Dieu et homme : par là, l’objet de notre foi, c’est la Trinité et non une quaternité. Le Christ est donc un : il est composé du Verbe, d’une âme et d’un corps : il est, en même temps, Fils de Dieu et Fils de l’homme : Fils de Dieu dès toujours, Fils de l’homme dans le temps ; il est un, parce qu’il n’y a en lui qu’une seule personne. Il était dans le ciel, pendant qu’il parlait sur la terre. Fils de l’homme, il était dans le ciel de la même manière que, Fils de Dieu, il était sur la terre : Fils de Dieu, il était ici-bas dans la chair dont il s’était revêtu : Fils de l’homme, il était au ciel par son union de personne avec le Verbe.

5. Mais pourquoi ajoutait-il : « C’est l’esprit qui vivifie : la chair ne sert de rien ? » Disons-lui donc {car il nous permet de lui parler, non dans l’intention de le contredire, mais dans le désir de nous instruire) : O Seigneur, ô bon maître ! Comment se fait-il que « la chair ne serve de rien », quand vous avez dit vous-même : « Quiconque ne mangera pas ma chair et ne boira pas mon sang, n’aura pas la vie en lui ? » La vie ne servirait-elle non plus de rien ? Pourquoi sommes-nous ce que nous sommes, sinon pour avoir la vie éternelle, que vous promettez comme fruit de la manducation de votre chair ? Qu’est-ce donc à dire : « La chair ne sert de rien ? » Elle ne sert de rien, mais dans le sens que les Juifs y attachaient ; car, dans leur idée, il s’agissait, non d’une chair animée, vivante, mais d’une chair morte, comme celle d’un cadavre, que l’on partage par morceaux, ou que l’on vend sur le marché. C’est pourquoi le Sauveur a dit : « La chair ne sert de rien », comme l’Apôtre a dit lui-même : « La science enfle ». Devons-nous, pour cela, détester la science ? Pas du tout. Qu’est-ce à dire : « La science enfle ? » La science seule, sans la charité ; aussi ajoute-t-il : « Mais la charité édifie  ac ». À la science joins donc la charité, et elle te sera profitable, non par elle-même, mais par la vertu qui l’accompagnera. Ainsi en est-il de ce passage : « La chair ne sert de rien ». La chair seule qu’on y joigne l’esprit comme on joint la charité à la science, et alors elle est grandement utile. Car si elle ne pouvait servir de rien, le Verbe ne se serait pas fait chair pour habiter parmi nous. Et si, par la chair, le Christ nous a fait tant de bien, pourrait-on dire qu’elle ne sert de rien ? Mais l’esprit s’en est servi pour opérer notre salut. La chair est devenue un vase : fais attention, non à ce qu’elle était, mais à ce qu’elle contenait. Les Apôtres ont été envoyés dans le monde : leur chair ne nous a-t-elle été d’aucun profit ? Si elle nous a été grandement utile, celle du Seigneur ne nous aurait-elle servi de rien ? Qui est-ce qui nous fait entendre la parole, sinon la voix de la chair ? Qui est-ce qui tient le stylet ? Qui est-ce qui écrit ? Ce sont autant d’œuvres opérées par la chair, mais sous l’action de l’esprit qui s’en sert comme d’un instrument à lui propre. « C’est » donc « l’esprit « qui vivifie, et la chair ne sert de rien ». Ils ont donné au mot de chair un sens tout différent de celui dans lequel je donne la, mienne à manger.

6. Aussi, dit-il, « les paroles que je vous ai adressées, sont esprit et vie ». Nous vous l’avons dit, mes frères, le Sauveur nous a appris que manger sa chair et nous abreuver de son sang, c’est demeurer en lui et lui servant de demeure. Nous demeurons en lui, lorsque nous sommes ses membres ; il demeure en nous, lorsque nous sommes son temple. Pour que nous soyons ses membres, nous nous unissons intimement à lui, et ne faire plus qu’un avec lui, c’est l’effet de la charité seule. Et l’amour de Dieu, d’où nous vient-il ? Interroge l’Apôtre, il te l’apprendra : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné  ad ». « C’est » donc « l’esprit qui « vivifie », car c’est l’esprit qui donne la vie aux membres ; mais il ne peut les rendre vivants qu’à la condition de les trouver unis au corps dont il est la vie. En effet, ô homme, l’esprit qui t’anime et te distingue des brutes, peut-il communiquer la vie à un membre séparé de ton corps ? Par ton esprit, j’entends ton âme : or, ton âme ne vivifie que les membres unis à ton corps ; ôtes-en un, c’en est fait ; il ne puise plus en ton âme le mouvement, parce qu’il ne fait plus un avec ton corps. Je vous parle ainsi, pour vous faire aimer l’union avec le Christ, pour vous faire craindre d’en être séparés. Rien ne doit faire trembler un chrétien comme l’appréhension de se voir retranché du corps du Sauveur ; car s’il en est retranché, il n’est plus du nombre de ses membres ; et, s’il n’est plus un de ses membres, son esprit ne l’anime plus. « Mais », dit l’Apôtre, « celui qui n’a pas l’esprit de Jésus-Christ, n’est point à lui  ae ». « C’est » donc « l’esprit qui vivifie, mais la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai adressées sont esprit et vie ». Qu’est-ce à dire : « Esprit et vie ? » Elles doivent être entendues dans un sens spirituel. Les as-tu comprises en ce sens ? « Elles sont » pour toi « esprit et vie » ; si tu les as comprises d’une manière charnelle, « elles » n’en « sont » pas moins « esprit et vie » ; mais ce n’est pas pour toi.

7. « Mais », ajoute le Sauveur, « il y en a parmi vous qui ne croient pas ». Il ne dit pas : il y en a parmi vous qui ne comprennent pas, mais il fait connaître le motif pour lequel ils ne comprennent point. « Il en est parmi vous qui ne croient pas ». La raison pour laquelle ils ne comprennent pas, c’est qu’ils ne croient pas ; car, dit le Prophète, « si vous ne croyez point, vous ne comprendrez pas af ». La foi nous unit, l’intelligence nous communique la vie, commençons par nous attacher à Jésus-Christ, et l’intelligence trouvera en nous de quoi vivifier. Celui qui ne s’attache pas à lui, lui résiste, et quiconque lui résiste, ne croit pas à lui. Comment recevoir la vie de celui à qui on résiste ? On met obstacle au rayon de lumière qui doit pénétrer ; on n’en détourne point les feux, mais on lui ferme l’accès de son âme. « Il en est donc qui ne croient pas ». Qu’ils croient et ouvrent leur esprit, qu’ils ouvrent leur esprit, et la lumière les pénétrera. « Car Jésus savait dès le commencement quels seraient ceux qui ne croiraient point et le trahiraient ». Judas en effet se trouvait là. Il y en eut qui furent scandalisés ; mais, pour lui, il resta près de son maître afin de lui tendre des pièges et non pour le comprendre, et, parce qu’il était resté, le Sauveur parla de lui : sans le nommer expressément, il laissa entendre qu’il le connaissait, et, par là, il voulait inspirer de la crainte à tous, quoiqu’un seul dût périr. Après avoir parlé et distingué les croyants d’avec les incroyants, il fit connaître le motif pour lequel quelques-uns ne croyaient pas : « C’est pourquoi », dit-il, « je vous assure que nul ne peut venir à moi, si ce pouvoir ne lui a été donné par mon Père ». Aussi la foi est un don qui nous est accordé, car la foi n’est – pas chose de nulle valeur, et parce qu’elle est précieuse, réjouis-toi de l’avoir reçue, mais n’en conçois aucun orgueil : « Qu’as-tu, en effet, que tu n’aies pas reçu ag ? »

8. « Dès ce moment, plusieurs de ses disciples se retirèrent en arrière et ne marchèrent plus avec lui. Ils se retirèrent en arrière e, non pour suivre le Christ, mais pour suivre le démon. Un jour, le Seigneur Jésus donna à Pierre le nom de Satan, mais parce qu’il voulait prendre le pas sur son maître, et lui conseiller de ne pas mourir, quoique le Christ fût venu en ce monde pour subir la mort et nous empêcher, par là, de périr éternellement. Et il lui dit : « Arrière, « Satan ; retire-toi de moi, parce que tu ne comprends pas ce qui est de Dieu, mais ce qui est des hommes ah » Quoiqu’il l’appelât Satan, il ne le força pas néanmoins à se retirer en arrière pour suivre le démon ; mais il le fit marcher derrière lui, afin qu’en suivant les traces de son maître, il ne devînt pas démon. Pour les disciples, dont il est ici question, ils se retirèrent en arrière, comme ces femmes dont parle l’Apôtre : « Quelques-unes se sont égarées pour suivre Satan ai ». Ils ne marchèrent plus désormais avec le Sauveur ; ils perdirent la vie, en se séparant du corps auquel ils n’avaient peut-être d’ailleurs jamais appartenu : car s’ils portaient le nom de disciples, ils n’en devaient pas moins être rangés au nombre des incroyants ; et ces hommes, qui se retiraient en arrière, n’étaient pas en petit nombre : on en comptait beaucoup. Dieu a voulu qu’il en fût ainsi, pour notre consolation. Parfois, en effet, il arrive qu’un homme dise la vérité, et que, pourtant, ses paroles ne soient pas goûtées, et que ses auditeurs se scandalisent et s’éloignent. Cet homme se repent d’avoir tenu des discours conformes à la vérité ; il se dit eu lui-même : J’aurais dû ne pas m’exprimer ainsi, j’aurais dû m’exprimer autrement. Pareille chose est arrivée au Sauveur : il a parlé, et plusieurs l’ont quitté, et il est resté avec quelques-uns seulement ; mais il ne s’en est nullement ému, car il savait, dès le commencement, quels étaient ceux qui croyaient en lui et ceux qui n’y croyaient pas ; et nous, nous nous troublons en cas pareil. Cherchons donc alors, dans l’exemple du Seigneur Jésus, un adoucissement à notre peine, mais n’oublions pas de montrer une grande prudence, lorsque nous parlons.

9. Le Christ s’adressa aux rares disciples qui lui étaient restés fidèles ; « Jésus dit donc aux douze », c’est-à-dire aux douze qui étaient restés près de lui : « Et vous aussi, voulez-vous vous en aller ? » Judas lui-même ne s’était pas éloigné ; mais le motif pour lequel il était resté, le Sauveur le connaissait déjà : nous avons, depuis, appris à le connaître. Au nom de tous, seul pour plusieurs, représentant dans l’unité de sa personne l’universalité des autres, Pierre prit la parole : « Simon Pierre lui répondit : Seigneur, à qui irons-nous ? » Vous nous éloignerez de vous ; donnez-nous un autre vous-même. « À qui irons-nous ? » Si nous nous éloignons de vous, à qui irons-nous ? « Vous avez les paroles de la « vie éternelle ». Voyez comment, par ta grâce de Dieu, et sous l’inspiration de l’Esprit Saint, Pierre comprit les paroles de son maître. D’où lui en vint l’intelligence, sinon de sa foi?« Vous avez les paroles de la vie éternelle ». Vous avez les paroles de la vie éternelle, puisque vous nous donnez votre corps et votre sang. « Et nous avons cru, et nous avons « connu ». Il ne dit pas : Nous avons connu et nous avons cru, mais : « Nous avons cru et nous avons connu ». Nous avons cru, afin de connaître ; car si nous voulions connaître d’abord, pour croire ensuite, nous ne parviendrions ni à connaître, ni à croire. Qu’avons-nous cru, et qu’avons-nous connu ? « Que vous êtes le Christ, Fils de Dieu », c’est-à-dire, que vous êtes la vie éternelle, et que vous ne donnez dans votre corps et votre sang que ce que vous êtes.

10. Le Seigneur Jésus leur dit donc : « Ne vous ai-je pas choisis au nombre de douze, et l’un de vous est un démon ? » Ne devrait-il pas dire : « J’en ai choisi onze ? » Car le démon a-t-il été aussi choisi, et se trouve-t-il au nombre des élus ? On ne parle d’élus qu’en bonne part ; or, le Sauveur a-t-il pu choisir un homme pour lui faire opérer des merveilles en fait de bonnes œuvres, malgré lui et sans qu’il le sache ? Oui, car si les méchants agissent différemment, c’est le propre de Dieu d’agir ainsi. De même, en effet, que les méchants font mauvais usage des bienfaits de pieu, de même aussi, mais par contre, Dieu emploie-t-il pour le bien les mauvaises actons des méchants. Combien il est avantageux pour nous que les membres de notre corps soient tels que le divin architecte a pu seul les créer ; et pourtant, quel triste usage les effrontés font-ils de leurs yeux ? et les fourbes, de leur langue ? Avec leur langue, les faux témoins commencent par tuer leur âme, et quand ils se sont donné la mort spirituelle, ils s’efforcent de blesser les autres. De ce qu’ils l’emploient à mal faire, il ne s’ensuit nullement que la langue soit une mauvaise chose : c’est l’œuvre de Dieu ; mais cette œuvre, toute bonne qu’elle soit, la méchanceté humaine en tire un mauvais parti. Quel usage font de leurs pieds ceux qui cousent pour commettre le crime ? Et les homicides, à quoi emploient-ils leurs mains ? Et les êtres excellents, sortis des mains de Dieu, qui nous environnent de toutes parts, comme les mauvais chrétiens les détournent de leur destination première ! Avec l’or, on corrompt la justice, on opprime les innocents. Les méchants emploient au mal la lumière du jour. En effet, dans leurs écarts de mœurs, ils vont jusqu’à se servir de cette lumière qui éclaire leurs pas, comme d’un moyen de perpétrer plus sûrement leurs crimes. Dans les démarches qu’il fait pour accomplir ses pernicieux desseins, le pécheur emploie les rayons du soleil à ne se butter à aucun obstacle extérieur, quoiqu’intérieurement il se soit déjà frappé à une pierre d’achoppement et soit tombé ; l’inconvénient qu’il redoute pour son corps, il l’a déjà rencontré dans son cœur. Il serait trop long d’énumérer tous les bienfaits de Dieu ; mais il n’y en a pas un seul dont les méchants ne fassent abus ; et par une raison toute contraire, l’homme de bien fait tourner au bien la méchanceté même des méchants. Et, de fait, y a-t-il un seul être aussi bon que Dieu ? Le Seigneur lui-même ne dit-il pas, en effet : « Dieu seul est bon aj ? » Aussi, meilleur il est, meilleur est l’emploi qu’il fait de nos mauvaises dispositions. Vit-on jamais homme aussi pervers que Judas ? Préférablement à tous les adhérents du divin Maître, choisi même parmi les douze Apôtres, il reçut la mission de garder la bourse commune et de distribuer les aumônes aux pauvres ; mais un tel bienfait, un si grand honneur ne trouva en lui qu’un ingrat ; on lui donna de l’argent, et il perdit la justice ; il était mort, et il livra la vie, et il poursuivit comme un ennemi celui qu’il avait suivi en qualité de disciple. Telle fut l’abominable conduite de Judas voyez le bel usage qu’en fit le Seigneur ! Il se laissa trahir pour nous racheter, et ainsi fit-il contribuer à notre bien le crime de Judas. Combien de martyrs ont été persécutés par Satan ; s’il avait cessé de se montrer persécuteur, nous ne célébrerions point aujourd’hui l’admirable victoire de saint Laurent. Dieu tire donc avantage des œuvres coupables du démon ; quand un méchant fait un mauvais emploi des bienfaits de Dieu, il se fait du mal à lui-même, mais il n’infirme en rien la bonté divine. Un ouvrier se sert d’un méchant ; mais si le grand ouvrier ne s’en servait pas, il ne lui permettrait pas même d’exister. Aussi le Sauveur dit-il : « Je vous ai choisis au nombre de douze, et l’un d’entre vous est un démon ». Il a pu dire encore : « Je vous ai choisis au nombre de douze », par cette raison que le nombre douze est sacré ; et parce que l’un des douze a péri, il ne s’ensuit nullement que ce nombre ait perdu de sa valeur ; car un autre a pris la place de celui qui a péri ak. Le nombre consacré, c’est-à-dire le nombre de douze, est demeuré intact, parce que les douze devaient annoncer un Dieu en trois personnes par tout le monde, c’est-à-dire aux quatre coins du monde ; ils sont donc au nombre de trois fois quatre. Judas s’est tué lui-même, mais il n’a porté aucune atteinte au nombre de douze ; il a abandonné son maître, mais Dieu lui a donné un successeur.

11. Le Sauveur nous a parlé de son corps et de son sang ; il nous a promis qu’en lei recevant, nous recevrions aussi la vie éternelle ; il a voulu nous faire comprendre que ceux qui mangent son corps et boivent sou sang, sont ceux-là mêmes qui demeurent eu lui et lui servent de demeure : ceux qui ne crurent point à ses paroles n’en saisirent pas le sens, à des choses spirituelles ils donnèrent un sens charnel ; aussi s’en scandalisèrent-ils ; et quand ils se furent scandalisés et éloignés de la source de la vie, le Sauveur consola ceux de ses disciples qui étaient restés avec lui. Pour les éprouver, il leur adressa cette question : « Et vous aussi, voulez-vous vous en aller ? » Par la réponse qu’il provoquait, il voulait nous faire connaître leur constante fidélité à sa personne. Comme résultat de ces différentes circonstances, puissions-nous, nos très-chers frères, ne pas nous contenter, à l’exemple d’un grand nombre de mauvais chrétiens, de recevoir le sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ ! Mangeons son corps et buvons son sang de manière à participer à son esprit : par là, nous demeurerons dans le corps du Seigneur en qualité de membres ; son esprit nous animera, et nous ne nous scandaliserons point ; quoique beaucoup d’autres mangent et boivent maintenant avec nous, et dans un sentiment tout charnel, le corps et le sang du Sauveur, se condamnant ainsi, pour la fin de leur vie, à d’éternels supplices. Aujourd’hui les membres du Christ se trouvent mêlés les uns aux autres comme des grains de froment dans une aire. Mais Dieu connaît ceux qui lui appartiennent al. Si tu connais ce que tu foules aux pieds, si par conséquent, tu sais que, sous tes pieds se trouvent des grains cachés, et qu’en les foulant tu ne les détruis pas, mais que plus tard le vent séparera les mauvais d’avec les bons ; c’est un fait pour nous hors de doute, mes frères, que nous devons tous, nous qui sommes les membres du Christ, et qui demeurons en lui afin de lui servir de demeure, à notre tour, nous devons tous, ici-bas, vivre jusqu’à la fin au milieu des méchants. Et, par ces méchants, je n’entends pas ceux qui blasphèment Jésus-Christ ; car il en est peu, de notre temps, pour l’injurier de bouche : je veux parler de ceux, hélas ! trop nombreux, dont la conduite est un blasphème continue.

12. Mais qu’est-ce que le Sauveur dit par ces paroles : « Celui qui demeure en moi, je demeure moi-même en lui am ? » Que dit-il, sinon ce qu’entendaient les martyrs : « Celui qui persévérera jusqu’à la fin, sera sauvé an ? » Comment est resté en lui saint Laurent, dont nous célébrons aujourd’hui la fête ? Il y est resté jusqu’au moment de l’épreuve, de l’interrogatoire du tyran, des menaces les plus effrayantes, jusqu’à la mort. Que dis-je ? Jusqu’au plus douloureux martyre. Car on ne l’a pas fait mourir tout de suite : on lui a fait subir le supplice du feu, on l’a laissé vivre longtemps ; ou plutôt, on ne l’a pas laissé vivre longtemps, mais on l’a forcé à mourir lentement. Dans cette longue agonie, au milieu de ces tourments, il ne ressentit point la douleur, parce qu’ayant mangé le corps et bu le sang du Christ avec des dispositions parfaites, il était comme engraissé de cet aliment et enivré de ce breuvage ; car en lui se trouvait celui qui a dit : « C’est l’esprit qui vivifie ». Son corps subissait les ardeurs du feu, mais l’esprit soutenait son âme : il ne défaillit point, aussi entra-t-il dans le royaume éternel. Le saint martyr Xiste, dont nous avons solennisé la mémoire il y a cinq jours, lui avait dit : « Mon fils, ne t’attrista pas ». (Xiste était l’évêque, et Laurent son diacre.) « Mon fils, ne t’attriste pas : tu me suivras après un triduum ». Il donnait le nom de triduum à l’intervalle qui devait se trouver entre son martyre et celui de saint Laurent, que nous célébrons aujourd’hui. Trois jours, voilà l’intervalle. O consolation ! Il ne dit pas Ne t’attriste pas, mon fils ; la persécution aura un terme, et tu seras en sécurité ; mais ne t’attriste pas : où fait allusion qu’au bienfait de sa médiation.

20. « C’est ici le pain qui est descendu du ciel » ; afin qu’en le mangeant, nous trouvions la vie en lui, parce que nous ne pouvons trouver en nous-mêmes le principe de la vie éternelle. « Vos pères », dit-il, « ont mangé la manne et sont morts ; mais celui qui mange ce pain vivra éternellement ». Leurs pères sont morts, cela veut dire : ils ne vivront pas éternellement ; car, évidemment, ceux qui mangent le Christ meurent aussi dans le temps, mais ils vivent pour l’éternité, parce que le Christ est la vie éternelle.

SERMON CXXXI.

Prononcé en 417 le dimanche, 9 des calendes d’Octobre, au tombeau de Saint Cyprien.

SUR LA GRACE ao.

ANALYSE. – Quelqu’avantageuse que fut la promesse de l’Eucharistie, plusieurs n’y crurent pas. C’est que la grâce est nécessaire pour croire, pour mener une sainte vie et pour persévérer dans le bien. Pourquoi revenir si souvent sur ce sujet ? C’est que plusieurs aujourd’hui le méconnaissent parmi les Chrétiens eux-mêmes. Déjà les Juifs attribuaient à la grâce la rémission des péchés, la guérison des langueurs de l’âme, l’exemption de la corruption et le couronnement des mérites. Et aujourd’hui que le Sauveur à répandu la grâce par tout l’univers, on peut la méconnaître comme la méconnaissaient les Pharisiens ? Mais la cause est jugée, car Rome a parlé.

1. Nous avons entendu le Maître de la vérité, le Rédempteur divin, le Sauveur des hommes recommander à notre amour le sang qui nous a rachetés. Car en nous parlant de son corps et de son sang, il a dit que l’un serait notre nourriture et l’autre notre breuvage. Les fidèles reconnaissent ici le Sacrement des fidèles. Mais qu’y voient les catéchumènes ? Afin donc d’exciter notre ardeur pour une telle nourriture et pour un breuvage si divin, le Sauveur disait : « Si vous ne mangez ma chair et si vous ne buvez mon sang, vous n’aurez pas en vous la vie », et c’est la Vie même qui parlait ainsi de la vie, et pour celui qui accuserait la Vie de mentir, cette vie deviendrait la mort. Ce fut alors que se scandalisèrent, non pas tous les disciples, mais un grand nombre et ceux-ci disaient en eux-mêmes : « Ce langage est dur, qui peut le supporter ? » Mais le Seigneur vit tout en esprit, il entendit le bruit de leurs pensées, et pour leur apprendre qu’il avait entendu leurs murmures intérieurs et les déterminer à y mettre un terme, il répondit avant même qu’ils eussent parlé. Que leur dit-il ? « Cela vous scandalise ? Et si, vous voyez le Fils de l’homme remonter où il était d’abord ? »

Qu’est-ce à dire, Cela vous, scandalise ? Croyez-vous que je vais couper mes membres en morceaux afin de vous les donner ? Et « si vous voyez le Fils de l’homme remonter où il était d’abord ? » Vous comprendrez sûrement, en le voyant remonter tout entier, qu’il n’était pas consumable.C'est ainsi qu’il nous dorme avec son corps et avec son sang une alimentation salutaire et qu’il résout en quelques mots l’importante question de son incorruptibilité. Vous qui mangez, mangez donc réellement ; buvez aussi, vous qui buvez ; ayez faim, ayez soif ; mangez la vie, buvez la vie. Manger ce corps, c’est se nourrir, mais se nourrir sans rien retrancher de ce qui nourrit. Qu’est-ce aussi que boire ce sang, sinon puiser la vie ? Mange la vie, bois la vie : ainsi tu l’acquerras en la laissant tout entière. Mais pour y parvenir, pour trouver la vie dans le corps et le sang du Christ, chacun doit manger et boire véritablement et d’une manière toute spirituelle, ce qu’il reçoit dans le Sacrement d’une manière sensible. Effectivement, nous avons entendu dire au Seigneur : « C’est l’esprit qui vivifie et la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai adressées sont esprit et vie : mais il en est parmi vous, poursuit-il, qui ne croient pas. » C’était ceux qui disaient : « Ce langage est dur ; qui peut le supporter ? » Oui, il est dur, mais pour les durs ; il est incroyable, mais pour les incrédules.

2. Afin de nous apprendre que la foi même est gratuite et non pas méritée, Jésus ajoute « Je vous l’ai déjà dit : Personne ne vient à moi, s’il ne lui est donné par mon Père. » Quand le Seigneur a-t-il dit cela ? En nous rappelant ce qui précède, dans le même Évangile, nous remarquerons qu’il a dit : « Nul ne vient à moi, si le Père, qui m’a envoyé, ne l’attire ap. » Nous ne lisons pas : Ne le mène, mais ne l’attire. C’est une impulsion donnée au cœur et non au corps. Pourquoi donc t’étonner de ce langage ? Croire, c’est venir ; aimer, c’est être attiré. Ne considère pas cette impulsion comme fatigante et désagréable : elle est douce, elle fait plaisir, c’est le plaisir même qui attire. N’attire-t-on pas la brebis quia faim en lui montrant de l’herbe ? Alors sans doute on ne lui fait pas violence, mais on se l’attache en excitant ses désirs. Viens au Christ de la même manière ; ne conçois pas l’idée d’un long trajet ; croire, c’est venir, en quelque lien que tu sois. Il est partout, et pour l’aborder il ne faut pas de vaisseaux, mais seulement de l’amour, il faut le reconnaître toutefois, on ne laisse pas, dans cette espèce de traversée, que de rencontrer des vagues, des tempêtes, des tentations : afin donc de mettre ta foi en sûreté sur la planche de salut, crois au Crucifié ; et porté par la croix, tu ne sombreras point. C’est ainsi, que naviguait sur les flots de ce siècle l’Apôtre qui s’écriait : « À Dieu ne plaise que je me glorifie si ce n’est dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ aq ! »

3. Toutefois, ce qui étonne, c’est que de deux hommes qui entendent prêcher le Christ crucifié, l’un dédaigne, et l’autre s’attache à lui. Celui qui dédaigne doit s’imputer son dédain ; mais celui qui s’attache au Christ ne doit rien s’attribuer. Le Maître de la vérité ne lui a-t-il pas dit : « Nul ne vient à moi, s’il ne lui est donné par mon Père ? » Qu’il se réjouisse d’avoir reçu ; qu’à son Bienfaiteur il rende grâces avec un cœur vraiment humble et sans orgueil ; l’orgueil lui ferait perdre ce qu’a obtenu l’humilité. Eh ! ceux mêmes qui suivent la voie de la justice, s’en écartent bientôt s’ils attribuent leur vertu à eux-mêmes et à leurs propres forces, Aussi l’Écriture sainte, pour nous enseigner l’humilité, nous dit par l’Apôtre : « Faites votre salut avec crainte et tremblement. » Redoutant même qu’à ce mot : Faites, on ne vienne à s’attribuer quoi que ce soit. L’Apôtre ajoute aussitôt : Car c’est Dieu qui opère en vous et le vouloir et le faire, selon sa bonne volonté ar. » – C’est Dieu qui opère en vous ; » craignez donc et tremblez, devenez vallées pour recevoir la pluie. Les terrains bas s’en pénètrent, tandis que les hauteurs se dessèchent, et cette pluie est la grâce. Pourquoi s’étonner alors que Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles as ? Craignez donc et tremblez, c’est-à-dire, soyez humbles. « Ne cherche pas l’élévation, mais crains at. » Crains, pour être pénétré de la grâce ; ne cherche pas l’élévation, pour éviter d’être à sec.

4. Tu répliques : Je suis maintenant dans la bonne voie ; j’avais besoin d’en être instruit, j’avais besoin d’apprendre, des enseignements de la Loi, ce que je devais faire ; j’ai la liberté, qui m’éloignera du droit chemin ? – En lisant l’Écriture avec attention, tu y verras un homme s’enorgueillir d’abord de richesses spirituelles, que pourtant il avait reçues ; le Seigneur, pour lui inspirer l’humilité, lui enlève dans sa compassion ce qu’il lui avait donné ; et lui, tombé tout-à-coup dans l’indigence, se souvient du passé et publie ainsi les divines miséricordes : « J’ai dit dans mon bonheur : Jamais je ne serai ébranlé. – J’ai dit dans mon bonheur ; » mais c’est moi qui l’ai dit, moi qui ne suis qu’un homme, et « tout homme est menteur au. » – J’ai donc dit ; « j’ai dit dans mon bonheur ; » ce bonheur était si grand que j’ai osé dire : « Jamais je ne serai ébranlé. » Et puis ? « Dans votre bonté, Seigneur, vous avez joint pour moi la force à la beauté. Mais vous avez détourné la face, et j’ai été dans le trouble av. » Vous m’avez montré que toute ma richesse venait de la vôtre. Vous m’avez montré à qui je devais demander, à qui faire remonter ce que j’avais reçu, à qui je devais rendre grâces et vers qui je devais courir pour étancher ma soif et pour me fortifier, près de qui enfin je pourrais conserver les forces dont je me sentais pénétré. Car il est dit : « C’est près de vous, Seigneur, que je conserverai mon courage aw ; » c’est vous qui m’enrichissez, et c’est par vous que je ne perdrai pas mes richesses. « Près de vous je garderai ma force ; » et pour m’en convaincre, « vous avez détourné la face et je suis tombé dans la défaillance. »

J’ai défailli, parce que je me suis desséché, et je me suis desséché pour m’être élevé. Terrain sec et aride, dis donc pour obtenir d’être arrosé : « Mon âme est devant vous comme une terre sans eau ax. » Répète : « Mon âme est devant vous comme une terre sans eau. » C’est toi en effet et non pas le Seigneur, qui avais dit d’abord : « Jamais je ne serai ébranlé. » Tu avais dit cela dans ta présomption ; mais ton bonheur ne venait pas de toi, et ne te regardais-tu pas un peu comme en étant l’auteur ?

5. Qu’enseigne donc le Seigneur ? « Servez le Seigneur avec crainte et réjouissez-vous en lui avec tremblement. » C’est le sens de ces paroles de l’Apôtre : « Faites votre salut avec crainte et tremblement ; car c’est Dieu qui produit en vous et le vouloir et le faire. » Pour ce motif donc, « réjouissez-vous avec tremblement, de peur que le Seigneur ne s’irrite. » Je comprends à vos cris que vous devancez ma parole ; vous savez ce que je vais ajouter, vos cris le disent d’avance. Mais comment le savez-vous, sinon par l’enseignement de Celui à qui vous attache la foi ? Il l’enseigne en effet ; écoutez donc ce que vous savez déjà ; je ne vous apprends rien, ma prédication ne fait que vous rappeler ; ou plutôt je ne vous apprends pas puisque vous savez ; je ne vous rappelle pas non plus, puisque vous avez l’idée présente. Ainsi donc répétons ensemble ce que vous connaissez aussi bien que nous. Voici les paroles du Seigneur : « Soumettez-vous à la discipline et tressaillez de joie », mais « avec crainte », afin que toujours humbles vous conserviez ce que vous avez reçu. « De peur que le Seigneur ne « s’irrite ; » sans doute contre les superbes, contre ceux qui s’attribuent ce qu’ils ont, et qui ne rendent point grâces à leur bienfaiteur. « De peur que le Seigneur ne s’irrite et que vous ne vous écartiez de la droite voie. » Est-il dit De peur que le Seigneur ne s’irrite et que vous n’entriez pas dans la droite voie ? Est-il dit : De peur que le Seigneur ne s’irrite et ne vous amène pas ou ne vous admette pas dans la droite voie ? Vous y marchez déjà, pour ne vous en écarter pas, gardez-vous de l’orgueil. « De peur que vous ne vous écartiez de la droite voie, lorsque soudain sa colère éclatera » sur vous. Elle n’ira pas te chercher au loin ; en t’enorgueillissant tu perds ce que tu avais reçu. Et comme si l’homme effrayé de ce langage, s’écriait : Qu’ai-je donc à faire ? l’auteur sacré poursuit : « Heureux ceux qui se confient en lui ay », en lui et non pas en eux-mêmes. C’est la grâce qui nous a sauvés ; elle ne vient pas de nous, elle est un don de Dieu az.

6. Vous direz peut-être : Pourquoi revenir si souvent sur le même sujet ? Voilà la seconde, la troisième fois, et presque jamais il ne prêche sans en parler. – Ah ! si seulement je n’y étais pas forcé ! Il est en effet des hommes bien ingrats pour le bienfait de la grâce et qui donnent trop à la faiblesse de notre nature blessée. Sans doute le libre arbitre était puissant au moment de la création, mais il perdit sa force en se laissant aller au péché. Car l’homme alors fut blessé à mort, affaibli, laissé presque sans vie sur le chemin ; et il fallut que le Samaritain, c’est-à-dire que le Gardien qui passait, le mit sur sa monture et le conduisit à l’hôtellerie. Comment peut-il s’enfler d’orgueil ? Il est encore en traitement. – Il me suffit, dit-il, d’avoir reçu dans le baptême la rémission de tous mes péchés. – Mais de ce que l’iniquité soit effacée, s’ensuit-il qu’il n’y ait plus d’infirmité ? – J’ai bien reçu, reprend-il ; la rémission de tous mes péchés. – C’est incontestable ; oui tous les péchés sont effacés par le sacrement de baptême, tous sans exception, péchés de paroles, péchés d’action, péchés de pensée, tout est anéanti. Mais c’est là l’huile et le vin répandus, sur le chemin même, dans les plaies du malade. Vous n’avez pas oublié, mes, très-chers frères, comment ce voyageur blessé et laissé à demi-mort par, les larrons, fut soulagé en recevant cette huile et ce vin dans ses blessures ba. C’est le pardon accordé à ses égarements, mais il reste languissant et on le soigne dans l’hôtellerie. Cette hôtellerie n’est-elle pas l’Église ? Elle est aujourd’hui une hôtellerie, parce que notre vie n’est qu’un passage ; elle sera une demeure, une demeure d’où nous ne sortirons plus, lorsque parfaitement guéris nous serons parvenus au royaume des cieux. En attendant soyons heureux d’être soignés dans l’hôtellerie, et convalescents encore, ne nous glorifions pas d’avoir recouvré toute notre santé ; cet orgueil pourrait n’aboutir qu’à nous éloigner de tout remède et de toute guérison.

7 « Bénis le Seigneur, ô mon âme. » Dis à cette âme, dis-lui : Tu es encore dans cette vie chargée encore d’une chair fragile, d’un corps corruptible qui appesantit l’âme bb, obligée encore à prendre le remède de la prière malgré l’entière rémission de tes fautes ; car pour obtenir la guérison de ce qu’il te reste de langueurs tu répètes : « Pardonnez-nous nos offenses bc. » Humble vallée plutôt que fière montagne, dis à ton âme : « Bénis le Seigneur, ô mon âme, et garde-toi d’oublier toutes ses faveurs. » Quelles sont-elles ? Dis-le, énumère-les, rends-en grâces. Quelles sont donc ces faveurs ? « Il te pardonne toutes tes iniquités. » Ce qui s’est fait dans le Baptême. Et maintenant ? « Il guérit toutes les langueurs. » Oui, c’est maintenant, je le reconnais. Mais tant que je suis ici, ce corps corruptible appesantit l’âme. Dis donc aussi ce qui suit ? « Il délivre ta vie de la corruption. » Et après cette délivrance qu’a-t-on à attendre encore ? « Lorsque ce corps corruptible sera revêtu d’incorruptibilité, et ce corps mortel d’immortalité, alors s’accomplira cette parole de l’Écriture : La mort a été abîmée dans sa victoire. O mort, où sont tes armes ? O mort, est-il dit encore avec raison, où est ton aiguillon ? bd » Tu en cherches la trace, mais sans la trouver. – Que signifie l’aiguillon de la mort ? Que signifie : « O mort, où est ton aiguillon ? » Cela veut dire : Où est le péché ? On le cherche, il n’est plus. « En effet le péché est l’aiguillon de la mort dit expressément l’Apôtre et non pas moi. On répétera donc alors : « O mort, où est ton aiguillon ? » Il n’y aura plus de péché, ni pour surprendre, ni pour attaquer, ni pour blesser ta conscience. On ne dira plus alors : « Pardonnez-nous nos offenses. » Et que dira-t-on ? « Seigneur notre Dieu, donnez-nous la paix, car vous avez tout fait pour nous be. »

8. Qu’y aura-t-il encore, après qu’on sera affranchi de toute corruption, sinon la couronne de justice ? Oui, ou aura à la recevoir encore, mais pour la porter il ne faut pas de tête enflée. Considère comment ce même Psaume exprime cette vérité. Après avoir dit : « Il délivre ta vie de la corruption ; – il te couronne », ajoute-t-il. Je vois ici l’orgueilleux sur le point de dire : Il me couronne, mais, comme le proclament mes mérites, c’est ma vertu qui l’exige, c’est un paiement et non un don. Prête plutôt l’oreille à la voix du psaume avec lequel tu as dit toi-même : « Tout homme est menteur bf. » Écoute ce que Dieu même t’enseigne : « Il te couronne dans sa miséricorde et sa compassion. » Oui, s’il te couronne, c’est par miséricorde, c’est par compassion. Tu n’étais digne ni d’être appelé, ni d’être justifié après avoir été appelé, ni, après avoir été justifié, d’être admis dans la gloire. « C’est par le choix de la grâce que les restes ont été sauvés. Or, si c’est par la grâce, ce n’est plus par les œuvres, autrement la grâce ne serait plus la grâce bg. » – « Car pour celui qui travaille le salaire ne sera point considéré comme une grâce, mais comme une dette ; » C’est bien l’Apôtre qui dit : « Non pas comme une grâce, mais comme une dette ; bh » tandis que c’est dans sa miséricorde et sa compassion que Dieu te couronne. Diras-tu que pourtant tu avais des mérites ? Dieu te répondra : Examine-le bien et tu verras que ces mérites sont encore des dons de ma bonté.

9. Voilà en quoi consiste la justice de Dieu… On dit « le salut du Seigneur bi », non pour exprimer le salut dont Dieu jouit, mais pour signifier le salut dont il fait jouir ceux qu’il sauve : ainsi la grâce divine méritée par Jésus-Christ Notre-Seigneur s’appelle la justice de Dieu, non pas la justice qui le rend juste, mais la justice qu’il accorde à ceux qu’il rend justes, d’impies qu’ils étaient. Aujourd’hui toutefois il est des hommes qui se disent chrétiens et qui, pareils aux Juifs d’autrefois, ignorent la justice de Dieu et veulent établir la leur ; oui, aujourd’hui même, dans ces temps oit la grâce se montre à découvert, dans ces temps où elle se révèle après avoir été cachée d’abord, dans ces temps où on la voit sur l’aire après quelle a été voilée dans la toison. Je remarque que peu d’entre vous m’ont compris ; je dois au grand nombre de m’expliquer ; je n’y manquerai pas. Un des anciens justes demanda au Seigneur un signe de sa volonté et lui dit : « Je vous prie, Seigneur, d’imbiber de pluie toute cette toison et de laisser sèche l’aire qui l’entoure. » Ce qui arriva : la toison s’humecta et l’aire resta sèche tout entière. Dès le matin Gédéon pressa la toison au-dessus d’un bassin : c’est la figure de la grâce qui coule dans les humbles ; vous savez aussi ce que fit Notre-Seigneur à ses disciples, un bassin à la main. Gédéon demanda un second signe : « Je désire Seigneur, que la toison soit sèche et l’aire imbibée. » Ce qui arriva aussi bj. Rappelle-toi l’époque de l’ancien Testament. La grâce n’y était-elle pas cachée dans le nuage comme la rosée dans la toison ? Et maintenant, à l’époque du nouveau Testament, considère les Juifs : ils ressemblent à une sèche toison, tandis que l’univers entier, pareil à l’aire de Gédéon, est rempli de la grâce, qui s'.y révèle avec éclat. C’est ce qui nous force à pleurer amèrement ceux de nos frères qui disputent contre la grâce, au moment même où elle se manifeste et se montre à découvert. On pardonne aux Juifs ; mais des Chrétiens ? Pourquoi sont-ils ennemis de la grâce du Christ ? Pourquoi présumer ainsi de vous-mêmes ? Pourquoi cette ingratitude ? Le Christ est-il venu sans motif ? N’avions-nous pas la nature, cette nature que vous trompez en l’exaltant ? N’avions-nous pas aussi la Loi ? Mais « si la justice a été établie par la Loi, dit l’Apôtre, c’est donc en vain que le Christ est mort bk ? » Ce que l’Apôtre dit de la Loi, nous l’appliquerons à la nature et nous dirons à ces orgueilleux : Si la justice a été établie par la nature, c’est donc en vain que le Christ est mort ?

10. Ainsi nous remarquons en eux ce qu’on a observé des Juifs. Ils ont du zèle pour Dieu. « Je « leur rends ce témoignage, qu’ils ont du zèle pour Dieu, mais non pas selon là science. » – Qu’est-ce à dire : « Non pas selon là science ? » « C’est qu’ignorant la justice de Dieu et cherchant à établir la leur, ils ne sont pas soumis à la justice de Dieu bl. » Mes frères, prenez pitié d’eux avec moi. Quand vous rencontrerez de ces esprits, gardez-vous de les cacher, n’ayez pas cette compassion funeste ; oui, gardez-vous de les cacher quand vous en rencontrerez. Réfutez leurs contradictions, amenez-nous les quand ils résistent. Déjà effectivement on a envoyé sur ce sujet les actes de deux Conciles au Siège Apostolique, dont on a aussi reçu les réponses. La cause est finie ; puisse ainsi finir l’erreur ! Aussi les avertissons-nous de rentrer en eux-mêmes ; nous prêchons pour leur faire connaître la vérité et nous prions pour obtenir leur changement. Tournons-nous, etc.

SERMON CXXXII. PURETÉ ET SAINTE COMMUNION bm.

ANALYSE. – Après avoir excité les Catéchumènes à faire leur profession de foi et à recevoir le baptême afin d’être initiés à la connaissance de ce que l’Écriture appelle le corps et le sang de Jésus-Christ, S. Augustin rappelle aux fidèles la nécessité de la pureté pour communier. Que tous donc la pratiquent, et ceux qui sont mariés, et ceux qui ne le sont pas encore, et ceux surtout qui en ont fait vœu et qui doivent la garder avec une perfection plus grande. Il termine en disant qu’il voudrait être moins sévère, mais que son devoir ne le lui permet pas.

1. Nous venons de l’entendre pendant la lecture du saint Évangile, c’est en nous promettant la vie éternelle que Jésus-Christ notre Seigneur nous exhorte à manger sa chair et à boire son sang. Vous l’avez tous entendu, mais tous vous ne l’avez pas compris. Vous qui êtes baptisés et vous – qui êtes au nombre des fidèles, vous savez la pensée du Seigneur. Quant à ceux qui sont encore Catéchumènes où Écoutants, ils ont pu entendre ses paroles, mais en ont-ils saisi le sens ? Aussi nous adressons-nous aux uns et aux autres. Ceux qui déjà mangent la chair du Seigneur et boivent son sang, doivent songer à ce qu’ils mangent et à ce qu’ils boivent ; pour ne pas s’exposer, comme s’exprime l’Apôtre, à manger et à boire leur condamnation bn. Pour ceux qui ne communient pas encore, qu’ils s’empressent d’approcher de ce divin banquet où ils sont invités. C’est à cette époque que les maîtres de maison donnent des repas : Jésus en donne chaque jour, et voilà sa table dressée au milieu de cette enceinte. Qui vous empêche, ô Écoutants, de voir cette table et de vous asseoir à ce festin ? Vous vous êtes dit peut-être, durant la lecture de l’Évangile : Quelle idée nous faire de ces mots : « Ma chair est véritablement une nourriture et mon sang véritablement un breuvage ? » Comment se mange la chair et comment se boit le sang du Seigneur ? Que veut-il dire ? – Mais qui t’a fermé l’entrée de ce mystère ? Tu y vois un voile ; ce voile, si tu veux, sera soulevé. Viens à la profession de foi et la question sera résolue pour toi, car ceux qui l’ont faite connaissent ce qu’a voulu dire notre Seigneur Jésus. Quoi ! on t’appelle Catéchumène, on t’appelle Écoutant, et tu es sourd ! Tu as ouvert l’oreille du corps, puisque tu entends le bruit des paroles ; mais tu as fermé encore l’oreille du cœur, puisque tu n’en comprends point le sens. Je parle, mais je n’explique pas. Nous voici à Pâques, fais-toi inscrire pour le Baptême. Si la fête ne suffit pas pour t’exciter, laisse-toi conduire par la curiosité même, par le désir de savoir ce que signifie « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui. » Pour comprendre avec moi le sens de ces mots : frappe et on t’ouvrira. Je te dis : Frappe et on t’ouvrira ; moi aussi je frappe, ouvre-moi ; je fais bruit aux oreilles, mais je frappe au cœur.

2. Mes frères, si nous devons exciter les Catéchumènes à ne point différer de recevoir cette grâce – immense de la régénération ; quel soin devons-nous consacrer à porter les fidèles à profiter de ce qu’ils reçoivent, à ne pas manger, à ne pas boire leur condamnation à cette table divine ! Qu’ils vivent donc bien, pour être préservés de ce malheur. Et vous, exhortez, non par vos paroles, mais par vos mœurs, ceux qui ne sont pas baptisés, à suivre vos exemples sans y trouver la mort. Époux, gardez à vos épouses la foi nuptiale ; faites pour elles, ce que vous exigez pour vous. Mari, tu requiers de ta femme la garde de la chasteté, donne-lui l’exemple et non des paroles. Tu es le chef ; vois où tu marches ; car tu ne dois marcher que par où elle peut te suivre sans danger ; que dis-je ? partout où tu veux qu’elle mette le pied, tu dois mettre le tien. De ce sexe faible tu exiges la force : comme vous éprouvez l’un et l’autre les convoitises de la chair, c’est au plus fort de vaincre le premier. N’est-il pas toutefois déplorable de voir tant d’hommes vaincus par les femmes ? Des femmes gardent la chasteté que des hommes refusent d’observer ; ils mettent même leur honneur d’homme à ne l’observer pas, comme si leur sexe n’était plus fort que pour se laisser plus facilement dompter par l’ennemi. Il y a lutte, il y a combat, il y a bataille. L’homme est plus fort que la femme, dont il est le chef bo. La femme combat, elle triomphe ; et toi tu succombes ! Le corps reste debout et la tête est tombée ! Pour vous, qui n’êtes point mariés encore et qui pourtant vous approchez de la table du Seigneur pour y manger sa chair et y boire son sang, conservez-vous pour vos futures épouses si vous devez en prendre. Ne doivent-elles pas vous trouver telles que vous désirez les trouver vous-mêmes ? Quel est le jeune homme qui ne désire une épouse chaste, qui ne demande l’intégrité la plus parfaite dans la vierge à laquelle il veut s’unir ? Sois ce que tu veux qu’elle soit ; tu la veux pure, sois pur. Ne pourrais-tu ce dont elle est capable ? Si la vertu est impossible, pourquoi la pratique-t-elle ? Et si elle la pratique, n’est-ce pas t’enseigner qu’elle est praticable ? C’est Dieu sans doute qui la dirige pour l’en rendre capable. Souviens-toi cependant qu’à la pratiquer tu auras plus de gloire qu’elle. Pourquoi plus de gloire ? C’est qu’elle est comprimée par la vigilance de ses parents, arrêtée par la pudeur de son faible sexe, retenue enfin par la peur de lois que tu n’as pas à craindre. Voilà pourquoi tu auras réellement plus de gloire à demeurer chaste, la pureté sera en toi la preuve que tu crains Dieu. Elle, en dehors de Dieu, que n’a-t-elle pas à craindre ? Toi, tu n’as d’autre crainte que celle de Dieu ; mais aussi quelle grandeur comparable à celle de ce Dieu que tu crains ? Il faut le craindre en public et le craindre en secret. Si tu sors il te voit, il te voit encore si tu entres ; ta lampe brûle, il te voit ; elle est éteinte, il te voit encore ; il te voit quand tu pénètres dans ton cabinet, il te voit aussi quand tu réfléchis en ton cœur. Crains, crains cet œil qui ne te perd pas de vue, et que la crainte au moins te maintienne chaste ; ou bien, si tu es déterminé à pécher, cherche un endroit où Dieu ne te verra pas, et fais là ce que tu veux.

3. Pour vous qui déjà avez fait le vœu de pureté, châtiez plus sévèrement votre corps, ne laissez pas la convoitise aller même à ce qui est permis ; non content, de vous abstenir de tout contact impur, sachez dédaigner même un regard licite. Quel que soit votre sexe, souvenez-vous que vous menez sur la terre la vie des Anges, puisque les Anges ne se marient point. Après la résurrection nous serons tous comme eux bp ; mais combien vous l’emportez sur les autres, vous qui commencez d’être avant la mort ce qu’ils ne seront qu’après la résurrection ! Soyez fidèles à vos engagements divers, comme Dieu sera fidèle à vous glorifier diversement. Les morts ressuscités sont comparés aux étoiles du ciel. « Une étoile, dit l’Apôtre, diffère en clarté d’une autre étoile. Ainsi en est-il de la résurrection bq. » Autre sera l’éclat de la virginité, autre l’éclat de la chasteté conjugale, autre encore l’éclat de la viduité sainte. La gloire sera diverse, mais tous les élus auront la leur. La splendeur n’est pas la même, le ciel est commun.

4. Réfléchissez ainsi à vos devoirs, soyez fidèles à vos obligations diverses et recevez la chair, recevez le sang du Seigneur. Qu’on n’approche point, si l’on n’a pas la conscience en bon état. Que mes paroles vous portent de plus en plus à la componction. Elles portent la joie dans ceux qui savent rendre à leurs épouses ce qu’ils demandent d’elles et dans ceux aussi qui observent avec perfection la continence qu’ils ont vouée à Dieu. Mais il en est d’autres qui s’affligent en m’entendant dire : N’approchez pas de ce pain sacré, vous qui n’êtes pas purs. Je voudrais bien ne pas tenir ce langage : mais que faire ? Aurai-je peur de l’homme pour ne pas annoncer la vérité ? Il faudra donc que ces serviteurs infidèles ne craignant pas le Seigneur, je ne le craigne pas non plus, comme si je ne connaissais pas cette sentence : « Serviteur mauvais et paresseux, tu aurais dû donner et moi j’aurais fait rendre br. » Ah ! j’ai donné, Seigneur mon Dieu ; oui, devant vous, devant vos Anges et devant votre peuple j’ai distribué vos richesses ; car je redoute vos jugements. J’ai distribué, à vous de faire rentrer. Du reste vous le ferez assez sans que je le dise. Je dirai donc au contraire : J’ai distribué, à vous de toucher, à vous de pardonner. Rendez purs ceux qui étaient impurs. Ainsi, au jour de vos arrêts, nous serons tous dans la joie, et celui qui a donné et celui qui a reçu. Le voulez-vous, mes frères ? Veuillez-le. O impudiques, corrigez-vous pendant que vous êtes en vie. Je puis bien annoncer la parole de Dieu, mais je ne saurais soustraire au jugement et à la condamnation suprême les impurs qui auront persévéré dans leurs infamies.

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