John 7:8
VINGT-HUITIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CES PAROLES DE L’ÉVANGILE : « APRÈS CELA, JÉSUS S’AVANÇA DANS LA GALILÉE », JUSQU’À CES AUTRES : « TOUTEFOIS, NUL NE PARLAIT OUVERTEMENT DE LUI, DANS LA CRAINTE DES JUIFS ». (Chap 7,1-13.)LE DIEU HOMME.
Jésus-Christ était en même temps Dieu et homme ; comme Dieu, possédant une puissance infinie ; comme homme, souffrant et donnant à ses membres fidèles l’exemple de ce qu’ils peuvent et doivent faire pour éviter les persécutions des Juifs, il s’était retiré en Galilée, Au moment de la scénophagie, ses parents, hommes charnels, auraient voulu le décider à se rendre à Jérusalem pour l’y voir opérer des miracles et acquérir un renom. Mais l’heure de la gloire n’était pas encore venue pour lui ; elle ne devait sonner qu’après une vie d’humiliations et d’oublis ; aussi ne monta-t-il au temple que vers le milieu de la fête, et en secret, afin de ne pas mériter les éloges des mondains. Ainsi doit-il en être de nous pendant le pèlerinage de cette vie : nous ne devons chercher à être connus et glorifiés de personne ici-bas : la gloire du ciel est la seule à laquelle nous devons tendre. 1. Dans ce chapitre de l’Évangile, mes frères, Notre-Seigneur Jésus-Christ se propose souvent comme homme à notre foi ; car mes paroles et ses actes y tendent sans cesse à nous faire reconnaître en lui le Dieu et l’Homme le Dieu qui nous a créés, l’homme qui nous a recherchés ; le Dieu éternellement avec son Père, l’homme avec nous dans le temps. Il n’aurait point recherché sa créature, s’il n’était devenu semblable à elle. Mais rappelez-vous-le bien ; que vos cœurs en conservent toujours le souvenir : le Christ s’est fait homme sans cesser d’être Dieu. Tout en restant Dieu, il s’est revêtu de l’humanité qu’il avait créée. Aussi, quand sa grandeur divine se cacha sous la faiblesse de l’homme, il n’en conserva pas moins sa puissance suprême, et nous ne devons voir, dans son incarnation, qu’un moyen de nous servir d’exemple au milieu de nos douleurs. Il est, en effet, tombé au pouvoir de ses ennemis, il n’a été mis à mort qu’au moment où il y a consenti. Mais parce qu’il devait s’adjoindre des membres, c’est-à-dire des fidèles qui ne posséderaient pas la même puissance que lui, puisqu’il était Dieu, il se cachait, il se dérobait aux poursuites des Juifs, comme pour éviter la mort, et ainsi donnait-il à entendre que plus tard ses membres s’uniraient à lui, et qu’il serait en chacun d’eux. Car le Christ n’est pas seulement chef : il est aussi corps, et pour être dans sa perfection, il faut qu’il soit tête et corps tout ensemble. Ce que sont ses membres, il l’est donc lui-même ; mais ce qu’il est, ses membres ne le sont pas de prime-abord. Si ses membres n’étaient pas un autre lui-même, dirait-il : « Saul, pourquoi me persécuter a ? » Car ce n’était pas lui en personne que Saul persécutait sur la terre : c’étaient ses membres, c’est-à-dire ses fidèles ; néanmoins, il ne les appelle ni ses saints, ni ses serviteurs, ni enfin, d’une manière plus honorable : ses frères ; en parlant d’eux, il dit : Moi, ou, en d’autres termes mes membres, dont je suis le chef. 2. D’après ce qui précède, le chapitre qu’on vient de lire ne nous offrira aucune difficulté ; car souvent nous y verrons se réaliser dans le chef ce qui devait avoir ensuite lieu dans le corps. « Après cela, Jésus s’avança dans la Galilée, car il ne voulait point aller dans la Judée, parce que les Juifs cherchaient à le faire mourir ». Voilà bien ce que j’ai dit : le Sauveur servait d’exemple à notre fragilité. Il n’avait rien perdu de sa puissance, mais il nous consolait dans notre faiblesse. Car suivant la remarque que j’en ai faite, il devait arriver que quelque fidèle se cacherait pour échapper aux recherches de ses persécuteurs ; et afin qu’on ne pût faire à ce chrétien un crime de sa fuite, le Christ s’est dérobé le premier aux poursuites des Juifs ; il n’est arrivé aux membres que ce qui était d’abord arrivé au chef. « Il ne voulait point aller dans la Judée, parce que les Juifs cherchaient à le faire mourir ». Comme s’il ne pouvait voyager au milieu des Juifs, sans qu’ils le fissent mourir. Il donna, quand il voulut, la preuve du pouvoir qu’il avait de leur échapper ; car, au moment de sa passion, ils cherchèrent à mettre la main sur lui ; alors il leur dit : « Qui cherchez-vous ? » — Ils lui répondirent : Jésus. – Et il leur dit : C’est moi ». Certes, il ne se cachait pas ; il se faisait nettement connaître. À cette réponse, ils ne purent se tenir debout ; mais, « reculant en arrière, ils tombèrent b ». Or, parce qu’il était venu en ce monde pour souffrir, ils se relevèrent, s’emparèrent de sa personne, le traduisirent au tribunal de Pilate et le mirent à mort. Mais quel fut le résultat de leur conduite ? L’Écriture nous le dit quelque part : « La terre fut livrée aux méchants c ». Il abandonna son corps entre les mains des Juifs, afin que le prix de notre rédemption s’en échappât, comme du sein d’une bourse déchirée. 3. « Or, la fête des Juifs, appelée scénophagie, était proche ». Qu’était-ce que la scénophagie ? Ceux qui lisent l’Écriture le savent. En ce jour de fête, les Juifs se faisaient des tentes pareilles à celles qui leur servaient d’abri dans le désert, après la sortie d’Égypte. Ce jour-là était un jour de fête, une grande solennité. Les Juifs la célébraient, comme pour se rappeler le souvenir des bienfaits de leur Dieu, et de fait, ils se préparaient à faire mourir ce même Dieu. Or, en ce jour de fête, (les Juifs en solennisaient plusieurs, et ils donnaient à celui-ci le nom de scénophagie, parce qu’il n’était pas le seul, mais qu’il y en avait encore d’autres ;) « les frères » du Seigneur Christ vinrent lui parler. Vous n’ignorez pas le sens qu’il faut donner au mot « frères » du Seigneur : ces paroles n’ont rien de nouveau pour vous. On donnait le nom de frères du Seigneur aux parents de la vierge Marie. L’Écriture donne habituellement le nom de frères à tous les parents, et à ceux qui étaient presque parents ; nous ne nous exprimons pas de la même manière, parte que cet usage n’est pas entré dans nos mœurs. Parmi nous, en effet, qui est-ce qui s’aviserait de donner le nom de frère à son oncle et au fils de sa sœur ? À des parents de ce degré, l’Écriture le donne pourtant. Effectivement, Abraham et Loth sont appelés frères, quoiqu’Abraham fût l’oncle paternel de Loth d. Il en est de même de Laban et de Jacob, et cependant celui-ci était le neveu de celui-là e. Ainsi, rappelez-vous que les frères du Seigneur n’étaient autres que les parents de Marie ; car elle ne donna jamais le jour à d’autres enfants. De même, en effet, que le sépulcre dans lequel fut déposé le corps du Sauveur ne servit de tombeau à personne, ni avant ni après ; de même, Marie ne conçut aucun homme dans son sein, ni avant ni après Jésus-Christ. 4. Nous venons de dire quels étaient ces frères du Seigneur, Écoutons maintenant ce qu’ils ont dit : « Partez d’ici, et allez en Judée, afin que vos disciples aussi voient les œuvres que vous faites ». Les disciples du Sauveur connaissaient ses œuvres, mais ceux-ci ne les connaissaient pas. Car, en qualité de frères, c’est-à-dire de parents, ils pouvaient bien regarder le Christ comme un de leurs proches ; mais à cause de leur parenté, il leur répugnait de croire en lui. L’Évangile lui-même nous le dit : nous n’oserions le penser de nous-mêmes, mais nous en sommes sûrs pour l’avoir entendu. Ils ajoutent cet avertissement : « On ne fait rien en secret, lorsqu’on cherche à se faire connaître. Si vous faites ces choses, montrez-vous vous-même au monde ». « Car », dit immédiatement l’Évangéliste, « ses frères mêmes ne croyaient point en lui ». Pourquoi ne croyaient-ils pas en lui ? Parce qu’ils recherchaient la gloire de ce monde ; car si les frères du Sauveur semblent lui donner un conseil, c’est qu’ils veulent assurer sa renommée. Vous faites des merveilles, manifestez-les donc au grand jour ; c’est-à-dire, montrez-vous à tous, afin que tous proclament vos louanges. C’était la chair qui parlait à la chair, mais la chair séparée de Dieu, à la chair unie à Dieu : la prudence de la chair parlait au Verbe, qui s’est fait chair et qui a habité parmi nous f ». 5. Que répondit à cela le Seigneur ? « Or, Jésus leur dit : Mon temps n’est point encore venu ; mais votre temps est toujours prêt ». Eh quoi ! le temps du Christ n’était-il pas encore arrivé ? Pourquoi donc le Christ était-il menu, si son temps ne l’était pas encore ? N’avons-nous pas entendu dire à l’Apôtre : « Mais lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils g ? » Si donc le Christ a été envoyé dans la plénitude des temps, il l’a été quand il a dû l’être ; il est venu, quand il a fallu qu’il vînt. Quel est donc le sens de ces paroles : « Mon temps n’est pas encore arrivé ? » Comprenez bien, mes frères, dans quelle intention lui parlaient ces hommes, peu semblaient lui donner des conseils comme à un frère. Ils l’engageaient à acquérir de la gloire ; dominés par je ne sais quel sentiment mondain et terrestre, ils le priaient de ne point rester dans l’obscurité et l’oubli. À des gens qui le conjuraient de penser à la gloire, dire ; « Mon temps n’est pas encore venu », c’était dire : Le temps de ma gloire n’est pas encore arrivé. Voyez combien est profond le sens de ces paroles on lui parlait d’acquérir de la gloire, pour lui, il a voulu que sa pudeur fût précédée par les humiliations il voulu que le chemin pour arriver à l’élévation fût celui de l’humilité. Ceux de ses disciples qui désiraient s’asseoir, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche, recherchaient aussi la gloire : ils considéraient le but, mais ils ne considéraient pas la voie à suivre. Afin qu’ils pussent arriver à la céleste patrie selon les règles de la justice, le Sauveur les ramena au chemin qui y conduit. La patrie est élevée ; humble est la voie. La patrie, c’est la vie du Christ : la voie, c’est sa mort. Le séjour du Christ, voilà la patrie ; sa passion, voilà le chemin qui y mène. Pourquoi prétendre entrer dans la pairie, si l’on refuse d’en suivre le chemin ? Enfin, telle fut sa réponse à ceux qui recherchaient la grandeur : « Pouvez-vous boire le calice que je boirai moi-même h ? » Voilà par quel chemin on arrive l’élévation que vous désirez. Le calice dont il leur parlait était celui des humiliations et des souffrances. 6. Il dit ici dans le même sens : « Mon temps n’est pas encore venu, mais votre temps », c’est-à-dire la gloire mondaine,« est toujours prêt ». Voilà bien le temps dont le Christ, c’est-à-dire le corps du Christ, parle par la bouche du Prophète. « Quand le temps sera venu pour moi, je jugerai les justices i ». Maintenant, c’est le temps, non pas de juger les méchants, mais de les supporter. Que le corps du Christ supporte donc et tolère à présent les iniquités de ceux qui se conduisent mal : qu’il ait aujourd’hui pour lui la justice ; plus tard, il exercera le jugement : c’est par la pratique de la justice qu’on arrive à juger les pécheurs. Voici ce que l’écrivain sacré dit, en un psaume, à ceux qui supportent les iniquités de ce monde : « Le Seigneur ne rejettera point son peuple ». Ce peuple souffre au milieu des méchants, des pécheurs, des blasphémateurs, de ceux qui murmurent et médisent contre lui, qui le persécutent et le font périr, quand ils le peuvent. Oui, il souffre, « mais le Seigneur ne rejettera point son peuple ; il ne délaissera pas son héritage, jusqu’an jour où la justice rendra les jugements j ». « Jusqu’à ce que la justice », qui se trouve aujourd’hui dans ses saints, « rendra ses jugements », au moment où s’accomplira pour eux celle parole, que leur a adressée le Sauveur : « Vous serez assis sur douze trônes, jugeant les douze tribus d’Israël k ». L’Apôtre avait déjà la justice, mais il n’exerçait pas encore le jugement dont il parle, quand il dit : « Ignorez-vous que nous jugerons les anges l ? » Que ce soit donc pour nous maintenant le temps de bien vivre : plus tard, viendra le temps de juger ceux qui auront mal vécu. « Jusqu’au jour où », suivant le Psalmiste, « la justice rendra les jugements ». Ce sera le temps du jugement, dont le Christ a dit, tout à l’heure : « Mon temps n’est pas encore venu ». Ce sera le temps de la gloire, et alors viendra dans la grandeur celui qui est venu dans les abaissements. Celui qui est venu pour être jugé viendra pour rendre ses jugements celui qui est venu pour mourir de la main de gens morts, viendra juger les vivants et les morts. « Il viendra, notre Dieu », dit le Psalmiste ; « il apparaîtra et sortira de son silence m ». Pourquoi : « Il apparaîtra ? » Parce que, quand il est venu, il s’est caché. Alors il ne gardera pas le silence, parce que, quand il est venu, il s’est caché, « il a été conduit à la mort comme une brebis, et pareil à un agneau qui se tait devant celui qui le tond, il n’a pas ouvert la bouche n ». Il viendra et ne se taira pas. « Je me suis tû : me tairai-je toujours o ? » 7. Mais qu’est-ce qui est nécessaire à ceux qui ont la justice ? Ce que nous lisons dans le psaume précité : « Jusqu’au jour où la justice rendra les jugements ; et près d’elle seront ceux qui la possèdent et ont le cœur droit ». Vous désirez peut-être savoir quels hommes ont le cœur droit. Selon le langage de l’Écriture, les hommes au cœur droit sont ceux qui endurent les peines de la vie sans en accuser Dieu. Voyez, mes frères, combien est rare cet oiseau dont je parle. Quand un homme voit fondre sur lui quelque malheur, je ne sais vraiment de quelle manière il court pour accuser plus vite le Seigneur, tandis qu’il ne devrait accuser que lui-même. Quand tu fais un peu de bien, tu t’en vantes ; et quand il t’arrive quelque infortune, tu en accuses Dieu. C’est là le propre d’un cœur tordu, et non la preuve d’un cœur droit. Corrige-toi de cette distorsion et de cette méchanceté de ton cœur, et alors tu agiras d’une manière toute différente. Que faisais-tu précédemment ? Tu attribuais à toi-même le bien qui te venait de Dieu, et tu attribuais à Dieu le mal dont tu étais l’auteur. Si tu changes ton cœur et lui donnes une autre direction, tu loueras le Seigneur dans ses bienfaits, et tu t’accuseras toi-même au milieu de tes maux. Voilà ce que font les hommes d’un cœur droit. Enfin, le Prophète n’avait pas encore ce cœur droit quand le spectacle de la félicité des méchants et les peines des justes le révoltaient ; mais il était corrigé, quand il disait : « Que le Dieu d’Israël est bon pour ceux qui ont le cœur droit ! » Quand je n’avais pas encore le cœur droit, « mes pieds se sont presque égarés, mes pas ont presque chancelé ». Pourquoi ? « Parce que je me suis indigné contre les pécheurs, en voyant la paix des impies p ». J’ai vu, dit-il, les méchants au sein du bonheur, et, en cela, la conduite de Dieu m’a déplu ; car j’aurais voulu que jamais il ne permît aux méchants d’être heureux. Il faut que l’homme le comprenne bien : Jamais Dieu ne permet pareille chose ; et si l’on croit les méchants heureux, c’est parce qu’on ne sait pas en quoi consiste le bonheur. Ayons donc le cœur droit ; le temps de la gloire n’est pas encore venu pour nous. Il faut dire à ceux qui aiment le monde, comme l’aimaient les frères du Seigneur : « Votre temps est toujours prêt, mais le, nôtre n’est pas encore venu ». Ne craignons pas de leur tenir nous-mêmes ce langage. Et parce que nous formons le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ, parce que nous sommes ses membres, parce que nous le reconnaissons avec bonheur pour notre chef, répétons encore une fois ces paroles qu’il a daigné prononcer lui-même à cause de nous. Quand les amateurs de ce monde nous insultent, répondons-leur : « Votre temps est toujours prêt ; le nôtre n’est pas encore venu ». Car l’Apôtre nous a dit : « Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ ». Mais notre temps, quand viendra.-t-il ? « Lorsque Jésus-Christ, qui est notre vie, paraîtra, vous paraîtrez avec lui dans la gloire q ». 8. Que dit ensuite le Sauveur ? « Le monde ne peut vous avoir en haine ». Que veulent dire ces paroles ? Sans doute : le monde ne peut haïr ceux qui l’aiment, les faux témoins ; car vous appelez bien ce qui est mal, et mal ce qui est bien. « Mais pour moi, il me déteste, parce que je rends de lui ce témoignage que ses œuvres sont mauvaises. Quant à vous, montez à cette fête ». Qu’est-ce à dire : « Cette fête ? » Où vous désirez trouver la gloire de ce monde. Qu’est-ce à dire : « cette fête ? » Où vous prétendez vous réjouir d’une joie charnelle, où vous oubliez les joies éternelles. « Moi, je n’y monte point encore, parce que mon temps n’est pas accompli ». Vous cherchez, en ce jour de fête, à acquérir de la gloire humaine ; mais « mon temps », c’est-à-dire le temps de ma gloire, « n’est pas encore venu ». Mon jour de fête ne devancera ni ne dépassera les jours solennels de la loi, mais il durera toujours : ce sera alors vraiment la fête ; ce sera une joie sans fin, une éternité sans limites, une lumière sans ombres. « Et leur ayant ainsi parlé, il demeura en Galilée. Et, quand ses frères furent partis, il monta aussi à la fête, non pas publiquement, mais comme en secret ». Il ne monta donc pas « pour cette fête », parce qu’il ne voulait pas s’attirer une renommée mondaine ; il désirait leur donner un conseil salutaire, apporter un remède à la faiblesse de leurs vues trop humaines, les porter à penser aux fêtes de l’éternité, détourner de ce monde leurs affections, et les reporter vers lieu. Mais pourquoi « monta-t-il comme en secret à la fête ? » Le Seigneur le sait. À non avis, par ce fait, même qu’il est monté anime en secret à la fête, il a voulu nous donner un enseignement ; car la suite nous apprendra qu’il est monté à Jérusalem au milieu même de la fête, c’est-à-dire pendant ces jours de fête, afin de prêcher en public ; mais l’Évangile se sert de ces mots : « comme en secret », pour dire que le Sauveur n’avait pas l’intention de s’attirer les louanges des hommes. Il est évident que le Christ monta en secret à la fête, puisque, ce jour-là, il se cochait ; ce que j’ai dit moi-même est encore chose cachée pour beaucoup. Aussi, puisse-t-on le connaître ! Puisse le voile se soulever, et ce qui nous était inconnu, nous apparaître clairement. 9. Tout ce qui a été dit à l’ancien peuple d’Israël dans les nombreuses pages de la loi le Dieu, tout ce qui se faisait soit dans les sacrifices, soit dans les choses du sacerdoce, soit dans les jours de fête, soit dans les circonstances relatives au culte rendu à Dieu par les Juifs, tout ce qui leur a été dit et commandé n’a été que la figure de ce qui devait avoir lieu plus tard. Et qu’est-ce qui devait avoir lieu ? Ce qui s’est accompli en Jésus-Christ, Voilà pourquoi l’Apôtre a dit : « Toutes les promesses de Dieu ont en lui leur vérité r » : c’est-à-dire, se sont réalisées en lui. Il ajoute, en un autre endroit : « Toutes ces choses qui leur arrivaient, étaient des figures, et elles ont été écrites pour nous instruire, nous qui nous trouvons à la fin des temps s ». Il a dit ailleurs : « Jésus-Christ est la fin de la loi t » ; et encore : « Que personne ne vous condamne pour le manger, ou pour le boire, ou à cause des jours de fête, des nouvelles lunes et des jours de sabbat, puisque toutes ces choses n’ont été que l’ombre de celles qui devaient arriver u ». Si tout cela n’était que l’ombre de l’avenir, ainsi en était-il de la scénophagie. De quoi ce jour de fête pouvait-il être la figure ? Cherchons à le savoir. Je vous ai dit ce qu’était la scénophagie : c’était la fête des tabernacles, instituée en mémoire de ce que le peuple juif, délivré de la captivité d’Égypte, et marchant dans la solitude du désert vers la terre promise, avait habité sous des tentes. Examinons bien ce qu’était cette fête, et remarquons quelle sera aussi notre fête à nous, qui sommes les membres du Christ, si tant est que nous en soyons les membres ; au cas que nous soyons ses membres, c’est l’effet de la grâce, et non pas celui de nos mérites. Reportons donc sur nous notre attention, mes frères : nous avons été conduits hors de l’Égypte, où, comme un autre Pharaon, le démon nous tenait sous sa dépendance : esclaves de nos désirs terrestres, nous y faisions des ouvrages de boue, et dans ce travail, nous souffrions beaucoup ; aussi, le Sauveur s’adressant à nous, comme à des ouvriers qui fout des briques, nous a-t-il dit : « Venez à moi, vous tous qui travaillez et qui êtes chargés v ». Le baptême nous a fait sortir de là et traverser la mer Rouge : elle était vraiment rouge, cette mer, puisque ses eaux ont été sanctifiées par le sang du Christ : tous les ennemis qui nous poursuivaient, la mort nous en a délivrés : en d’autres termes, tous nos péchés ont été effacés. Aujourd’hui, avant d’arriver à la terre de promission, c’est-à-dire au royaume éternel, nous sommes au désert, nous habitons sous des tentes. Ceux qui me comprennent, habitent sous des tentes, et il devait se faire que plusieurs comprendraient. Celui-là habite sous une tente, qui se reconnaît comme voyageur sur la terre celui-là se reconnaît comme étranger ici-bas, qui soupire après la patrie. Or, puisque le corps du Christ se trouve sous les tentes, le Christ y est aussi ; mais alors ce mystère n’était pas connu, il était encore caché, car la lumière était encore voilée par l’ombre, et quand elle parut dans son éclat, les ombres s’effacèrent. Le Christ ne se manifestait pas ; il assistait à la fête de la scénophagie, mais c’était en secret. Aujourd’hui, il n’y a plus de mystère ; aussi reconnaissons-nous que nous voyageons dans la solitude ; et si nous le reconnaissons, nous y sommes véritablement. Qu’est-ce à dire : dans la solitude ? Dans le désert. Pourquoi dans le désert ? Parce que nous sommes, en ce monde, dans une terre où le manque d’eau nous fait souffrir de la soif. Mais puissions-nous avoir soif ! Nous serons abreuvés, car : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés w ». Et, dans cette solitude, notre soif sera étanchée par l’eau sortie de la pierre ; « car la pierre, c’était le Christ ». On l’a frappée de la verge pour en faire sortir de l’eau ; et pour la faire jaillir on a frappé la pierre par deux fois x. Il y eut, en effet, deux bras à la croix. Tout ce qui se faisait autrefois en figure, se réalise donc en nous. Ce que l’Évangéliste a dit du Sauveur a donc un sens caché : « Il monta à la fête, non pas publiquement, mais comme en secret ». Ce mot : « en secret », était une figure, puisque réellement, en ce même jour de fête, le Christ se cachait : et ce jour de fête lui-même signifiait le pèlerinage des membres du Sauveur. 10. « Les Juifs donc le cherchaient à la fête », avant qu’il y montât. Car ses frères y étaient montés les premiers : pour le Christ, il ne s’y rendit point au moment où ils pensaient et désiraient l’y voir. Ainsi accomplissait-il cette parole qu’il leur avait adressée : Je n’irai pas « à cette fête », c’est-à-dire, au jour où vous voudriez m’y voir, au premier ou au second jour. Ensuite, ou, comme s’exprime l’Évangéliste, « au milieu de la fête », il y monta : c’est-à-dire il s’y rendit, quand il ne resta plus à solenniser qu’un nombre de jours égal à celui qu’on avait déjà fêté. Autant qu’il est permis de le supposer, cette fête se célébrait pendant plusieurs jours. 11. « Ils disaient donc Où est-il ? Et il y avait un grand murmure à cause de lui dans la foule ». D’où provenait ce murmure ? De leur désaccord. Et pourquoi ce désaccord ? « Parce que les uns disaient : Il est bon, et les autres répondaient : Non, il séduit le peuple ». Il faut appliquer ces paroles à tous ses membres, car d’eux tous on le dit encore aujourd’hui. Qu’une grâce spirituelle se fasse remarquer en quelqu’un, les uns disent : « Il est bon », les autres s’écrient : « Non, il séduit la foule ». D’où cela vient-il ? De ce que « notre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ y ». Les hommes ne disent-ils pas aussi pendant l’hiver : Cet arbre est mort ? Ce figuier, par exemple, ce poirier ou tout autre arbre fruitier ressemble à un arbre sec, et tant que dure l’hiver, la vie ne se manifeste nullement en eux ; mais en été, on l’y aperçoit, comme au jugement on verra que nous vivons ; notre été, ce sera le moment de la manifestation du Christ. « Dieu, notre Dieu, viendra publiquement, et il ne gardera pas le silence z. Un feu dévorant marchera devant lui » ; et ce feu « consumera ses ennemis aa ». Il réduira en cendres les arbres arides. On reconnaîtra les arbres arides, quand le souverain Juge dira : « J’ai eu faim, et vous ne m’avez pas donné à manger » ; de l’autre côté, c’est-à-dire à la droite, apparaîtront la multitude des fruits et la beauté des feuilles : leur verdeur ne sera autre chose que l’éternité. Aux uns il sera dit comme à du bois sec : « Allez au feu éternel ab. Voilà que la hache est déjà placée à la racine de l’arbre, et tout arbre qui ne porte pas de bon fruit sera coupé et jeté au feu ac ». Que les hommes disent donc de toi, si tu profites en Jésus-Christ, qu’ils disent : « Il séduit la foule ». On en dit autant de Jésus. Christ lui-même et de son corps. Rappelle-toi que le corps du Christ est encore en ce monde, qu’il se trouve encore dans l’aire ; remarque aussi comment le froment y est injurié parla paille : on les foule tous les deux aux pieds ; la paille est écrasée, le froment est débarrassé de son enveloppe. Ce qui a été dit du Seigneur doit, par cela même, être un sujet de consolation pour tout chrétien contre qui se disent les mêmes choses. 12. « Toutefois, nul ne parlait ouvertement « de lui, dans la crainte des Juifs ». Mais quels étaient ceux qui gardaient le silence à son égard, dans la crainte des Juifs ? Évidemment, c’étaient ceux qui avaient dit : « Il est bon » ; et non pas ceux qui avaient dit : « Il séduit la foule ». Les paroles de ceux-ci faisaient un bruit pareil au bruit des feuilles sèches. On entendait clairement ces mots : « Il séduit la foule » ; ces autres : « Il est bon », passaient plus rapides, et comme un simple murmure, Mais aujourd’hui, mes frères, quoique n’ait point encore apparu cette gloire du Christ où nous puiserons l’immortalité, aujourd’hui son Église se dilate à tel point, et, par sa grâce, se répand de telle manière en tous lieux, qu’à peine on entend dire : « Il séduit la foule », et que de toutes parts retentissent hautement ces autres paroles : « Il est bon ».VINGT-NEUVIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CET ENDROIT DE L’Évangile : « ET COMME LA FÊTE ÉTAIT DÉJÀ À DEMI PASSÉE », JUSQU’À CET AUTRE : « CELUI QUI L’A ENVOYÉ, CELUI-LÀ EST VÉRIDIQUE, ET IL N’Y A POINT D’INJUSTICE EN LUI ». (Chap 7,14-18.)SERMON CXXXIII. JÉSUS ACCUSÉ DE MENSONGE ad.
ANALYSE. – Invité par ses parents à se rendre à la fête des tabernacles, le Sauveur répond : « Allez, vous, à cette fête, pour moi je n’y vais point : » Mais lorsque ses frères furent partis, il y alla aussi lui-même. Le langage de Jésus n’est-il pas ici en contradiction avec sa conduite ? Ne peut-on pas voir ici une espèce de mensonge ? S. Augustin expose d’abord plusieurs raisons préjudicielles pour détourner du Fils de Dieu l’accusation de mensonge. Premièrement, dit-il, est-ce mentir que de promettre sincèrement une chose que l’on rie peut ensuite accomplir ? Le seigneur ne connaissait donc pas l’avenir ? dira-t-on. On ne peut admettre qu’il l’ait ignoré, et l’on croirait qu’il a menti ? Quoi ! et c’est la troisième raison, tu veux, accusateur, que j’aie foi à ta parole et tu veux que je me défie de celle du Christ ? Quoi encore, en prenant à la lettre le récit évangélique, ne vois-tu pas que tu estimes le disciple plus digne de foi que le Maître ? Pour ors quatre motifs, condamne d’abord ton accusation. Puis, si tu veux comprendre la vérité, observe que l’on demandait au Sauveur de se mettre en relief en allant le premier à la fête des tabernacles. Comme sa vie eût été plus en danger et que son heure n’était pas encore venue, il attend que les pèlerins soient plus nombreux et qu’il soit lui-même à l’abri d’une surprise. C’est pourquoi il ne se met en route qu’après le départ de sa famille, et sa conduite n’est aucunement en contradiction avec son langage. On pourrait dire aussi qu’il parlait alors en notre nom et pour signifier que nous devons ne point prendre part aux solennités juives. 1. Nous nous proposons, avec le secours du Seigneur, d’examiner le passage évangélique qu’on a lu en dernier lieu. Il renferme une grave question : prenons garde de mettre la vérité en danger et de glorifier le mensonge. Mais la vérité ne saurait périr, ni le mensonge triompher. En quoi donc consiste la question ? Je vous le dirai en peu de mots, et une fois votre attention éveillée, priez pour que nous puissions résoudre le problème. La Scénopégie était une fête des Juifs. Ils l’observaient, je crois, et ils l’observent encore aujourd’hui à l’époque qu’ils nomment les tentes. Alors en effet ils élèvent des tabernacles, et skene, signifiant tabernacle, scénopégie signifie dresser un tabernacle. Cette, époque était donc une fête chez les Juifs, et si l’on disait simplement le jour de la fête, ce n’est pas que la fête rie durât qu’un jour, c’est qu’elle se prolongeait durant plusieurs jours consécutifs. Ainsi on dit le jour ou la fête de Pâques, le jour ou la fête des azymes, quoique cette fête, comme on sait, dure quelques jours. Cette fête de la Scénopégie se célébrait en Judée, et le Seigneur était en Galilée, où il avait été élevé et oit étaient ses parents et ses proches, nommés ses frères dans l’Écriture. « Ses frères lui dirent » donc comme on vient de nous le lire : « Partez d’ici et allez en Judée, afin que vos disciples voient, eux aussi, les œuvres que vous faites. Nul en effet n’agit en secret, lorsqu’il cherche lui-même à paraître en public. Si vous faites tout cela, manifestez-vous devant le monde. » L’Évangéliste fait ensuite cette réflexion. « Car ses frères ne croyaient pas en lui. » Et ne croyant pas en lui, ils lui adressaient ces paroles blessantes. « Jésus leur répondit ; Mon temps n’est pas encore venu, mais votre temps est toujours prêt. Le monde ne saurait vous haïr ; pour moi, il me hait, car je rends de lui ce témoignage, que ses œuvres sont mauvaises. Montez, vous, à cette fête ; pour moi, je n’y monte point, parce que mon temps n’est pas encore accompli. Ce qu’ayant dit, ajoute l’Évangéliste, il demeura en Galilée. Puis, lorsque ses frères furent partis, il monta aussi lui-même à la fête, non pas publiquement, mais comme en secret. » Voilà ce qui renferme notre question, le reste est clair. 2. De quoi donc s’agit-il ici ? Où est l’embarras ? Où est le danger ? Ce qui est à craindre, c’est qu’on n’accuse de mensonge le Seigneur, ou pour parler plus clairement, la Vérité même. Admettre qu’il a menti, c’est accréditer le mensonge auprès de la faiblesse humaine. Or nous avons entendu cette accusation s’élever contre lui, et voici comment on la formule : Jésus adit qu’il ne monterait pas à la fête, et il y est monté. Ainsi donc examinons d’abord, autant que nous le permet le peu de temps dont nous pouvons disposer, si c’est mentir que de promettre une chose et de ne pas la faire. Exemple : je dis à mon ami : Je te verrai demain ; de plus graves obligations sont venues me retenir : je n’ai pas menti. J’étais sincère en faisant ma promesse, et lorsque sont arrivés ces obstacles majeurs qui m’ont empêché de l’accomplir, je n’avais pas non plus l’intention de mentir, c’est le pouvoir qui m’a manqué. Vous le voyez, me semble-t-il, il ne m’a point fallu d’efforts, il m’a suffi d’éveiller l’attention de votre sagesse, pour vous montrer qu’il n’y a pas mensonge à promettre sans exécuter, lorsqu’il se présente des obstacles majeurs : ces obstacles empêchent d’accomplir la promesse, ils ne prouvent pas le mensonge. 3. Mais quelqu’un s’écrie parmi mes auditeurs Peut-on dire du Christ ou qu’il était incapable d’accomplir ce qu’il voulait ou qu’il ignorait l’avenir ? – C’est bien, voilà une bonne idée, une excellente ouverture ; mais, ô mon ami, partage mon embarras. Oserons-nous accuser de mensonge Celui à qui nous n’osons refuser la toute-puissance ? Pour mon propre compte, autant du moins que permet d’apprécier et de juger ma faiblesse, j’aime mieux voir un homme se tromper que de le voir mentir en quoi que ce soit. Car si l’erreur est une faiblesse, le mensonge est une iniquité. « Seigneur, est-il écrit, vous haïssez tous ceux qui commettent l’iniquité. » Et aussitôt après : « Vous perdrez tous ceux qui profèrent le mensonge ae. » Il faut admettre ou que l’iniquité et le mensonge ont la même gravité, ou que perdre signifie plus que haïr. De fait, la peine de mort ne suit pas immédiatement la haine. Mais laissons de côté ta question de savoir s’il est quelquefois nécessaire de mentir. Je ne l’examine pas pour le moment. Elle est obscure, elle a une infinité de replis ; je ne puis les ouvrir tous ni pénétrer au vif. Attendons un autre moment, pour la traiter : peut-être même que le secours divin, sans l’intermédiaire de nos paroles, vous en montrera la vérité à découvert. Saisissez seulement et distinguez bien ce que je veux examiner aujourd’hui et ce que j’ajourne. Faut-il mentir quelquefois ? C’est ce que j’appelle la question difficile, obture, et j’ajourne cette question. Le Christ a-t-il menti ? la Vérité a-t-elle énoncé quelque fausseté ? C’est ce que nous entreprenons de traiter aujourd’hui, déterminés que nous y sommes par la lecture de l’Évangile. 4. Disons d’abord en peu de mots quelle différence il y a entre mentir et se tromper. Se tromper, c’est croire vrai ce que l’on dit, c’est le dire parce qu’on le croit vrai. Si ce que l’on dit alors était vrai, on ne se tromperait pas ; et pour ne pas mentir, il ne suffit point que ce que l’on dit soit vrai, il faut encore qu’on sache qu’il l’est. Se tromper consiste ainsi à croire vrai ce qui est faux, et à ne le dire que parce qu’on le croit vrai ; ce qui vient de la faiblesse humaine sans blesser la conscience. Mais estimer qu’une chose est fausse et la donner comme vraie, c’est mentir. Sachez bien cela, mes frères, distinguez-le avec soin, vous qui êtes nourris au sein de l’Église et instruits des divines Écritures, vous qui ne manquez ni d’éducation, ni de distinction, ni de science ; car il y a parmi vous des esprits instruits, des esprits cultivés, des hommes qui ne sont pas médiocrement versés dans l’une et l’autre littérature. Il y en a aussi qui ne se sont pas occupés des arts libéraux, mais ils ont un plus grand avantage, c’est d’avoir été élevés dans la connaissance de la parole de Dieu. S’il me faut travailler pour expliquer ma pensée, aidez-moi, aidez-moi en écoutant avec attention et en réfléchissant avec prudence. Mais vous ne m’aiderez pas si vous n’êtes aidés vous-même. C’est pourquoi prions les uns pour les autres et attendons ensemble un commun secours. C’est donc se tromper que de croire vrai ce que l’on dit, quoiqu’il soit faux : et c’est mentir due d’affirmer comme vrai ce que l’on croit faux. Peu importe d’ailleurs que ce que l’on dit alors soit faux ou soit vrai. Remarquez bien ceci : oui, que ce que l’on dit soit faux oie soit vrai, il y a mensonge quand on le présente comme vrai tout en le croyant faux, car on a alors intention de tromper. Eh ! que sert au menteur que ce qu’il dit soit vrai, puisqu’il le croit faux et le présente comme vrai ? Sans doute, ce qu’il dit est vrai, considéré en soi, est bien vrai ; mais dans son esprit c’est une fausseté, sa conscience dément ses paroles ; il donne pour vrai autre chose que ce qu’il croit vrai. Cet homme n’est pas simple, il a un cœur double, il ne dit pas ce qu’il pense, et depuis longtemps le cœur double est réprouvé de Dieu. « Leurs lèvres sont trompeuses, ils ont dit le mal dans un cœur et dans un cœur af. » Ne suffirait-il pas d’écrire : « Ils ont mal parlé dans leur cœur ? » Pourquoi ajouter : « Leurs lèvres sont trompeuses ? » En quoi consiste la tromperie ? À montrer autre chose que ce que l’on fait. « Les lèvres trompeuses » n’ont pas un cœur simple ; et le cœur n’étant pas simple, nous lisons : « dans un cœur et dans un cœur », deux fois dans un cœur : c’est le cœur double. 5. Irons-nous donc penser que Jésus-Christ Notre-Seigneur ait menti ? S’il y a moins de mal à se tromper qu’à mentir, oserons-nous accuser d’avoir menti Celui que nous n’osons accuser des être trompé ? Mais il ne se trompe ni ne ment, et c’est de lui que s’entendent et que doivent s’entendre littéralement ces paroles écrites quelque part : On ne dit rien de faux au Roi, et rien de faux ne sortira de sa bouche. Si Roi ne désigne ici qu’un roi ordinaire, il est certain que nous devons à ce roi préférer le Christ, le Roi suprême. Si au contraire il n’est question ici que du Christ, ce qui est plus véritable, car on ne lui dit rien de faux puisqu’il ne se trompe pas, et rien de faux ne sortira de sa bouche puisqu’il ne ment pas, cherchons quel sens il faut donner au passage de l’Évangile que nous étudions et gardons-nous d’invoquer une autorité céleste pour creuser l’abîme du mensonge. Ne répugne-t-il pas de chercher à établir la vérité dans le dessein d’accréditer le mensonge ? Toi qui m’expliques le texte évangélique, que prétends-tu m’apprendre ? que veux-tu m’enseigner ? Tu n’oserais sans doute répondre : Je viens t’enseigner ce qui est faux ; car si tu me faisais cette réponse, à l’instant je détournerais les oreilles, je les fermerais avec des épines et si tu voulais en forcer l’entrée je m’éloignerais tout blessé, plutôt que d’entendre ton explication mensongère de l’Évangile. Dis-moi ce que tu veux m’enseigner, et la question sera résolue, dis-le-moi, je t’en prie : me voici ; j’ai l’oreille ouverte et le cœur préparé, parle. Que vas-tu me dire ? Pas de détours ; que vas-tu m’enseigner ? Quelque doctrine que tu veuilles exposer publiquement, quelles que soient les preuves que tu invoques à son appui, dis-moi seulement, réponds à cette question disjonctive : Est-ce la vérité ou le mensonge que tu veux m’enseigner ? – Que va-t-il répondre pour m’empêcher de m’éloigner, de le quitter sans hésitation, au moment même où déjà il ouvre la bouche et cherche à me parler ? Ne promettra-t-il pas de ne dire que la vérité ? Je l’écoute donc, je suis immobile, j’attends, et j’attends avec la plus grande attention. Et cet homme qui promet de me dire la vérité, ose accuser le Christ de mensonge ? Comment me dira-t-il la vérité, s’il représente le Christ comme un menteur ? Si le Christ ment, puis-je espérer que tu ne mentes pas ? 6. Autre observation. Que dit mon adversaire ? – Que le Christ a menti. – Comment a-t-il menti ? – En disant qu’il n’irait pas à la fête tandis qu’il y est allé. – Je voudrais d’abord sonder ce passage ; peut-être y découvrirais-je que le Christ n’a point menti. Je suis même sûr que le Christ n’a point menti, et en examinant ses paroles je parviendrai à les comprendre, ou bien si je ne les comprends pas, je me promettrai d’y revenir plus tard ; mais je ne dirai jamais que le Christ a menti. Oui, si je ne les comprends pas, j’avouerai mon ignorance : jointe à la piété, elle est préférable à une présomption insensée. Essayons néanmoins d’approfondir ce passage ; il est possible qu’aidés de Celui qui est la Vérité même, nous y découvrions quelque lumière qui nous édifie. Ce que nous découvrirons ne saurait être un mensonge émané de la Vérité ; et si nous voyions là un mensonge, nous pourrions être sûrs de ne rien voir. Quand donc prétends-tu que le Christ a menti ? – Quand il a dit qu’il n’irait pas à la fête et qu’il y est allé. – Où as-tu appris qu’il a dit cela ? Et si je te disais à mon tour, ou plutôt si un autre que moi te disait, car à Dieu ne plaise que je tienne ce langage ! que le Christ n’a point parlé ainsi ? Comment le réfuterais-tu ? Comment lui démontrerais-tu son erreur ? Tu ouvrirais le livre saint, tu chercherais la page, tu la montrerais à, cet homme ; ou plutôt, pour vaincre ses résistances, tu lui donnerais fièrement et brusquement le livre sacré, en lui disant : Tiens, regarde, lis, voilà l’Évangile. Pour moi, je t’en prie, n’y mets pas tant d’animosité, pas tant d’indignation ; parle avec calme, dis d’un ton posé : Voici l’Évangile, examinons. Or l’Évangile, dis-tu à ton adversaire, attribue au Christ ce que tu nies. – Et parce que l’Évangile le dit, tu le croiras ? – Sans doute. – Je m’étonne étrangement que tu croies le Christ, et non pas l’Évangile, coupable de mensonge. – Mais par Évangile n’entends ici ni le livre ni le parchemin, ni l’encre ; recours à l’étymologie grecque : Évangile signifie bon messager ou bonne nouvelle. — Ainsi ce bon messager ne ment pas, c’est Celui qui l’envoie ? Réponds : ce messager, cet Évangéliste, et pour dire son nom, cet écrivain sacré nommé Jean, a-t-il menti ou a-t-il dit vrai en parlant ici du Christ ? Admets ce qu’il te plaît, je suis également prêt à t’entendre. Si Jean a menti, tu ne saurais plus prouver que le Christ a tenu le langage qu’il lui prête. Et s’il a dit vrai, comment la vérité a-t-elle pu jaillir d’une source menteuse ? Quelle est cette source ? Le Christ même, dont Jean n’est que comme le faible ruisseau. Ce ruisseau coule vers moi et tu me dis : Bois en – toute sûreté ; et tout en me faisant craindre la source, tout en prétendant m’y montrer le mensonge, tu répètes : Bois en toute sûreté ? Et qu’y boirai-je ? Qu’a dit Jean ? Que le Christ a menti. Et qui envoie Jean ? Le Christ. Quoi ! le messager dit vrai et Celui qui l’envoie est menteur ? J’ai lu expressément dans l’Évangile : « Jean reposait à table sur la poitrine du Seigneur ag ; » il y buvait sans doute la vérité ; et quelle vérité y a-t-il bue ? Qu’y a-t-il bu, sinon ce qu’il nous a fait entendre : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ; il était en Dieu dès le commencement. Tout a été fait par lui, et sans lui rien n’a été fait. Ce qui a été fait, était en lui la vie, et la vie était la lumière des hommes, et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise : » elle luit, et si à mes yeux il y a encore de l’obscurité, si je ne puis comprendre parfaitement, elle n’en luit pas moins. « Il y eut un homme envoyé de Dieu, dont le nom était Jean. Il vint en témoignage, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui. Il n’était pas la lumière. » Qui n’était pas la lumière ? Jean. Quel Jean ? Jean-Baptiste ; car c’est bien de lui que Jean l’Évangéliste dit qu’« il n’était pas la lumière », tandis que le Seigneur a dit au contraire qu’il était un flambeau ardent et luisant ah. » Mais un flambeau peut s’allumer et s’éteindre. N’y a-t-il donc pas ici une distinction ? Où la prendre ? Dans ces mots : Celui à qui le flambeau rendait témoignage « était la lumière véritable. » Et tu cherches le mensonge dans ce que Jean appelle « la lumière véritable ? » Écoute encore le même Évangéliste nous redisant ce qu’il a vu. « Nous avons vu sa gloire », s’écrie-t-il. Qu’a-t-il vu ? Quelle gloire a-t-il vue ? « Comme la gloire que le Fils unique reçoit de son Père, plein de grâce et de vérité ai. » Vois maintenant, vois si nous ne devons pas étouffer des discussions soulevées par la faiblesse ou par la témérité, nous garder d’attribuer aucun mensonge à-la Vérité, et nous empresser de rendre au Seigneur ce qui lui est dû ? Ah ! pour boire avec sûreté, rendons gloire à Celui qui est la source du vrai. « C’est Dieu qui dit vrai, et tout homme est menteur aj. » Qu’est-ce à dire que le cœur de Dieu est plein, tandis que celui de l’homme est vide : afin donc de se remplir le cœur, que l’homme s’approche de Dieu. « Approchez-vous de lui, et soyez éclairés ak. » Ah ! si le cœur de l’homme est vide parce que la vérité n’est pas en lui ; n’est-il pas juste qu’il cherche à le remplir, qu’il coure vers la fontaine avec autant d’empressement que d’avidité ? Il a soif et il veut boire. Mais toi, que lui dis-tu ? De se défier de cette fontaine, parce que d’elle jaillit le mensonge. N’est-ce pas prétendre qu’elle est empoisonnée ? 7. C’est assez, reprends-tu, je suis réprimé, je suis châtié. Montre-moi enfin comment il n’y a pas mensonge à dire qu’on ne va pas à la fête, tandis qu’on y va ? – Je le ferai, si j’en suis capable : reconnais cependant que si je ne t’ai pas fait voir encore la vérité, je ne t’ai pas rendu un léger service en te préservant de tout jugement téméraire. Parlons ; mais si tu te rappelles les paroles que j’ai citées, je ne ferai qu’exprimer ce que tu comprends sans doute. La réponse à la question est dans le texte même. Effectivement, la fête durait plusieurs jours, et le Sauveur voulait faire entendre qu’il n’irait pas à la fête le jour même où ses parents comptaient qu’il irait, mais le jour où lui-même se disposait à y aller. Aussi considère ce qui suit : « Après avoir ainsi parlé, dit l’Évangéliste, il demeura en Galilée. » Ce jour-là donc il n’alla pas à la fête. Ses frères auraient voulu qu’il y allât le premier ; aussi lui disaient-ils : « Allez d’ici en Judée. » Non pas : Allons d’ici, comme s’ils avaient dû l’accompagner ; ni : Suivez-nous en Judée, comme s’ils avaient voulu marcher en avant ; ils désiraient seulement que Jésus les précédât. Lui au contraire voulait qu’ils y fussent avant lui, et en ne cédant pas à leurs désirs, il avait dessein de cacher sa divinité et de révéler la faiblesse de sa nature humaine, comme il fit en fuyant en Égypte al. Ce n’était point de sa part une preuve d’impuissance, c’était une règle de prudence tracée par la Vérité même. Jésus en effet apprenait par son exemple à ses serviteurs à ne pas dire, quand il est bon de prendre la fuite : Je ne, m’échapperai pas, ce serait honteux. Il devait dire aux siens : « Lorsqu’on vous persécutera dans une ville, fuyez vers une autre ; am » et lui-même donna cet exemple. Il fut pris quand il le voulut, et quand il voulut il naquit. Mais afin de n’être pas prévenu par ses frères, pour leur ôter la pensée d’annoncer son arrivée et empêcher qu’on lui dressât des pièges, « Je ne vais pas à ce jour de fête », dit-il. « Je ne vais pas : » voilà pour cacher sa marche ; « à ce jour : » voilà pour éviter le mensonge. Ainsi il exprime une chose, il en écarte une autre et il en ajourne une troisième : mais il ne dit rien de faux, aucun mensonge ne sort de sa bouche. Après cela, et « lorsque ses frères furent partis : » c’est l’Évangile qui parle, écoute, lis ce passage dont tu te faisais une arme contre moi ; considère si la solution n’est pas dans le texte même, et si j’ai pris ailleurs ma réponse. Afin donc d’empêcher ses frères d’annoncer sa venue, le Seigneur attendit qu’ils partissent les premiers. « Après qu’ils furent partis, alors il alla lui-même à la fête, non pas publiquement, mais comme en secret. » Pourquoi « comme en secret ? » Le Seigneur agit « comme en secret. » Pourquoi « comme en secret ? » Parce que ce n’était pas réellement en secret. Non, il ne cherchait pas véritablement à se cacher, puisqu’il dépendait de lui de n’être saisi que quand il le voudrait. En se cachant de cette manière, il voulait seulement, je le répète, servir de modèle à la faiblesse de ses disciples qui n’avaient pas le pouvoir de se dérober quand ils ne voudraient pas être pris, et leur apprendre à se défier des pièges de leurs ennemis. Aussi se montra-t-il ensuite en public ; il enseignait même au milieu du temple et plusieurs disaient : « Le voici, voici qu’il enseigne. Il est certain que nos princes prétendaient hautement vouloir s’emparer de lui ; le voilà qui parle en public et personne ne met sur lui la main an. » 8. Maintenant considérons-nous nous-mêmes, songeons que nous sommes son corps et que lui c’est nous. Si en effet nous ne faisions pas avec lui une même personne, pourrait-il dire : « Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait ao ? » Pourrait-il dire encore : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ap ? » C’est ainsi que lui c’est nous ; car nous sommes ses membres, nous sommes son corps, il est notre chef aq, et le Christ entier comprend le corps aussi bien que le Chef. Ne pourrait-on pas dire alors qu’il nous avait en vue et qu’en disant : « Je ne vais pas à cette fête », il faisait entendre que nous ne célébrerions pas les fêtes des Juifs ? Ainsi ni le Christ ni l’Évangéliste n’ont menti, et s’il fallait reconnaître quelque mensonge dans l’un d’entre eux, l’Évangéliste me pardonnerait de ne le croire pas plus vrai que là Vérité même, de ne préférer pas l’envoyé à Celui qui l’envoie. Mais, grâces à Dieu, ce qui était obscur est clair maintenant, je crois. Que ne pourra votre piété auprès de Dieu ? J’ai résolu, comme je l’ai pu, la question relative au Christ et à l’Évangéliste. Avec moi, mon ami, attache-toi à la vérité, embrasse la charité sans contester davantage.SERMON CXXXIV. LA VRAIE LIBERTÉ ar.
ANALYSE. – À ceux qui s’attachent à sa parole, Jésus promet la vraie liberté, l’affranchissement du joug du démon et de la tyrannie du péché. Le démon, en effet, ayant mis à mort le Sauveur, sans avoir sur lui aucun droit, a mérité de perdre les droits que le péché lui avait donnés sur nous ; et Jésus-Christ a conquis, en se soumettant à la mort, le droit de rendre libres tous ceux qui s’attachent à lui. 1. Votre charité n’ignore pas que tous nous avons un seul et même Maître et que sous son autorité nous sommes tous condisciples. Pour vous adresser la parole d’un lieu plus élevé, nous ne sommes pas vos maîtres : notre maître à tous est Celui qui habite en chacun de nous. C’est lui qui vient de nous parler dans l’Évangile ; il nous y disait ce que je vous répète ; car c’est de nous qu’il était question et il me disait comme à vous : « Si vous demeurez dans ma parole », non pas dans la mienne, de moi qui vous prêche en ce moment ; mais dans la sienne, de lui qui vient de nous enseigner dans l’Évangile. « Si vous demeurez dans ma parole, dit-il, vous êtes véritablement mes disciples. » Il ne suffit pas pour un disciple d’entendre la parole du maître, il doit s’y attacher. Aussi le Sauveur ne dit-il pas Si vous entendez ma parole, si vous cherchez à la recueillir, si vous y applaudissez ; mais, remarquez bien ; « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes véritablement mes disciples ; et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous délivrera. » Quelle observation faire ici, mes frères ? Il y a peine ou il n’y a pas peine à demeurer dans la parole de Dieu, Si c’est une peine, considère la grandeur de la récompense ; et si ce n’en est pas une, la récompense t’est accordée gratuitement. Ah ! demeurons dans Celui qui demeure en nous. Ne pas demeurer en lui, pour nous c’est tomber ; et pour lui, s’il ne demeure pas en nous, il n’en a pas moins une demeure ; car il sait demeurer en lui-même, puisqu’il n’en sort jamais. L’homme au contraire, après s’être perdu, doit se garder de demeurer en soi ; et si le besoin nous .porte à demeurer en lui, c’est la compassion qui le détermine à demeurer en nous. 2. Maintenant, qu’il nous a montré ce que nous devons faire, examinons quelle récompense nous est offerte. Car si Jésus a commandé, il a aussi promis. Qu’a-t-il commandé ? « Si vous demeurez dans ma parole », a-t-il dit. C’est peu de chose, peu de chose à dire, mais beaucoup à faire. « Si vous demeurez. » Que signifie « Si vous demeurez ? » Si vous bâtissez sur la pierre. O mes frères, qu’il est important, qu’il est important de bâtir sur la pierre ! « Les fleuves se sont débordés, les vents ont soufflé, la pluie est descendue, tout est venu fondre sur cette maison, et elle n’est pas tombée, parce qu’elle était bâtie sur la pierre as. » Qu’est-ce donc que demeurer dans la parole de Dieu, sinon ne céder devant aucune tentation ? Et quelle récompense recevra-t-on ? « Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous délivrera. » – Vous me plaignez parce que vous vous apercevez que ma voix est voilée ; aidez-moi par votre silence. « Vous connaîtrez la vérité : » quelle récompense ! On pourrait dire : Que me sert de connaître la vérité ? « Et la vérité vous délivrera. » Si tu n’aimes pas la vérité, aime la liberté. Le mot délivrer, dans notre langue, peut s’entendre de deux manières : on le prend le plus ordinairement pour exprimer que l’on sauve d’un danger, que l’on tire d’embarras. Mais dans le sens propre délivrer signifie rendre libre. Qu’est-ce que sauver, sinon assurer le salut ? Qu’est-ce que guérir, sinon rendre la santé ? Ainsi délivrer signifie rendre libre, et voilà pourquoi je disais : Si tu n’aimes pas la vérité, aime la liberté. Le mot grec exprime ce sens plus clairement encore, et on ne peut l’entendre autrement. Ce qui le prouve, c’est que les Juifs répondirent au Seigneur. « Nous n’avons été jamais esclaves de « personne ; comment dites-vous : La vérité vous « délivrera ? » la vérité vous rendra libres ? Comment nous dites-vous cela puisque nous n’avons jamais été esclaves de personne ? Vous savez que nous ne sommes assujettis à aucun esclavage ; comment donc nous promettez-vous la liberté ? 3. Ils comprenaient bien, mais ils agirent mal. Comment comprirent-ils ? – « La vérité vous délivrera », ai-je dit ; et considérant que vous n’êtes esclaves d’aucun homme, vous vous êtes écriés : « Jamais nous n’avons été esclaves. » Mais « quiconque » Juif ou Gentil, riche ou pauvre homme privé ou homme public, empereur ou mendiant, « quiconque fait le péché, est esclave du péché. » Oui, « quiconque fait le péché, est « esclave du péché », et si on reconnaît cet esclavage, on saura à qui demander la liberté. Un homme libre est saisi parles barbares, de libre qu’il était il devient esclave. Un riche compatissant l’apprend ; il considère qu’il a de la fortune et il veut le racheter. 2 va trouver les barbares, leur donne de l’argent et rachète l’esclave. Mais l’affranchir complètement, ce serait le délivrer du péché. Qui en délivre ? Est-ce un homme qui en affranchit l’homme ? Cet homme que nous venons de voir sous le joug des barbares a été racheté par son bienfaiteur, et il y a de l’un à l’autre une grande différence : il est possible pourtant que tous deux soient également esclaves de l’iniquité. Je demande à l’esclave racheté : As-tu quelque péché ? – J’en ai, répond-il. – Et toi, rédempteur, en as-tu ? – J’en ai aussi, reprend-il. – Donc ne vous vantez ni l’un ni l’autre, ni toi d’être racheté, ni toi d’avoir racheté ; mais courez tous deux au Libérateur véritable. Ce n’est pas même assez d’appeler esclaves ceux qui sont assujettis au péché ; ils sont morts ; l’iniquité a fait contre eux ce qu’ils craignent de la captivité. S’ils paraissent vivants, s’ensuit-il que le Sauveur n’a pas eu raison de dire : « Laisse les morts ensevelir leurs morts at » Ainsi tous ceux qui sont en état de péché, sont morts, ce sont des esclaves morts : ils sont morts parce qu’ils sont esclaves, et ils sont esclaves parce qu’ils sont morts. 4. Qui peut délivrer de la mort et de l’esclavage, sinon Celui qui est resté libre parmi les morts ? Et quel autre est resté libre parmi les morts, que Celui qui est resté sans péché au milieu des pécheurs ? « Voici venir le prince du monde », dit notre Rédempteur, notre Libérateur ; « voici venir le prince du monde et il ne trouvera rien en moi au. » Il tient captifs ceux qu’il a trompés, ceux qu’il a séduits, ceux qu’il a portés au péché et à la mort. « mais en moi il ne trouvera rien. » Venez, Seigneur, venez ; ô Rédempteur, venez. Soyez reconnu de l’esclave et que devant vous le tyran prenne la fuite. Ah ! soyez mon libérateur.J'étais perdu quand m’a rencontré Celui en qui le démon n’a rien trouvé des œuvres de la chair. Le prince de ce siècle a bien trouvé la chair en lui, et quelle chair ? Une chair mortelle qu’il pouvait saisir, crucifier, mettre à mort. Mais tu t’égares, ô séducteur ; dans le Rédempteur il n’y a aucune faute, tu te méprends. Tu vois dans le Seigneur une chair mortelle, mais ce n’est point une chair de péché ; ce n’en est que la ressemblance. Car « Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à la chair de péché. » C’est une chair véritable, une chair mortelle, mais non pas une chair de péché. Oui « Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à la chair de péché, afin de condamner dans la chair le péché par le péché même. » Oui « Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à la chair de péché : » c’est bien dans la chair, mais non pas dans une chair de péché ; c’est seulement « dans une chair semblable à la chair de péché. » Et pourquoi ? « Afin de condamner dans la chair le péché par le péché même », qui néanmoins n’existait pas en lui ; « afin que la justification de la loi s’accomplit en nous, qui ne marchons point selon la chair, mais selon l’esprit av. » 5. Si pourtant le Christ avait, non pas une chair de péché, mais une chair semblable à la chair de péché, comment a-t-il pu « condamner dans la chair le péché par le péché même ? » – On donne ordinairement à une image le nom de ce qu’elle représente. On connaît ce qui s’appelle homme dans le sens propre ; mais si tu demandes le nom de cette peinture que tu montres sur la muraille, on te répondra aussi que c’est un homme. C’est ainsi que l’Apôtre appelle péché, la chair qui ressemble à la chair de péché et qui doit être sacrifiée pour effacer le péché. Le même Apôtre dit ailleurs : Dieu « a rendu péché pour l’amour de nous Celui qui ne connaissait pas le péché aw. » – « Celui qui ne connaissait point le péché. » Quel est celui-là, sinon Celui quia dit : « Voici venir le prince de ce monde, et il ne trouvera rien en moi ? » – « Il a rendu péché pour l’amour de nous Celui quine connaissait pas, le péché. » Oui, c’est le Christ même, le Christ étranger au péché, que « Dieu a rendu péché pour l’amour de nous. » Que signifie cela, mes frères ? S’il était dit : Dieu a péché contre lui ou l’a fait tomber dans le péché, la chose semblerait intolérable ; comment donc souffrons-nous ces mots Dieu « l’a rendu péché ? » Le Christ est-il le péché même ? Ceux qui connaissent les livres de l’ancien Testament comprennent ce langage. Il n’est par rare en effet, il arrive même fort souvent que les péchés y signifient les sacrifices offerts pour effacer les péchés. Offrait-on, par exemple, un bouc, un bélier, tout autre chose pour le péché ? La victime, quelle qu’elle fût alors, était désignée sous le nom de péché : et le péché était pris dans le sens de sacrifice pour le péché. Aussi la loi dit-elle quelque part que les prêtres doivent mettre la main sur le péché ax. Conséquemment ces mots de l’Apôtre : Dieu « a rendu péché pour l’amour de nous Celui qui ne connaissait pas le péché », veulent dire que le Sauveur s’est fait victime pour nos péchés. Le péché s’est offert, et le péché a été effacé ; le sang du Rédempteur a coulé, et il n’a plus été question des obligations du débiteur. Ce sang n’est-il pas celui qui a été répandu pour la rémission des péchés ? 6. Pourquoi donc, ô mon tyran, cette joie insensée à la vue de la chair mortelle dont était revêtu mon Libérateur ? Vois s’il était coupable, et si tu trouves en lui quelque chose qui t’appartienne, arrête-le. Le Verbe s’est fait chair ay. Qui dit Verbe, dit Créateur : et qui dit chair, dit créature. Qu’y a-t-il là qui t’appartienne, cruel ennemi ? Le Verbe est Dieu ; quant à son âme humaine, quant à sa chair et même à sa chair mortelle, ce sont des créatures de Dieu. Cherches-y le péché. Mais pourquoi le chercher ? La Vérité même a dit : « Voici venir le prince de ce monde, et il ne trouvera rien en moi. » Ce n’est pas la chair qu’il ne trouve pas, c’est son bien, c’est le péché. Tu as séduit des innocents et tu en as fait des coupables ; mais aussi tu as mis à mort l’Innocent, tu l’as mis à mort sans avoir aucun droit sur lui ; rends alors ce dont tu étais le possesseur. Ah ! fallait-il ces transports d’un moment pour avoir découvert dans le Christ une chair mortelle ? Pour toi c’était un piège, et, ce qui faisait ta joie, a fait ta perte. Tu tressaillais en le trouvant, et tu gémis maintenant d’y avoir tout perdu. Pour nous, mes frères, pour nous qui croyons au Christ, demeurons dans sa parole. En y demeurant, nous serons véritablement ses disciples ; car il n’a pas pour disciples que ses douze Apôtres, il a encore tous ceux qui demeurent dans sa parole. Ainsi nous connaîtrons la vérité, et la Vérité, c’est-à-dire le Christ, le Fils de Dieu qui a dit : « Je suis la Vérité az », la Vérité nous délivrera : elle nous rendra libres, elle nous affranchira, non pas du joug des barbares, mais de la tyrannie du démon, non pas de la captivité qui pèse sur le corps, mais de l’iniquité qui enchaîne l’âme. Seul d’ailleurs il peut nous procurer cette liberté. Que nul donc ne se croie libre, s’il ne veut rester esclave. Mais notre âme ne restera point dans l’esclavage, puisque chaque jour lui remet ses dettes.SERMON CXXXV. À PROPOS DE L’AVEUGLE-NÉ ba.
ANALYSE. – Ce discours est la solution de deux difficultés qu’on élève devant saint Augustin à propos de l’histoire de l’aveugle-né. 1° Jésus-Christ disant alors qu’il était obligé de « faire les œuvres de son Père », n’est-ce pas une preuve qu’il est inférieur à son Père ? Non, car d’autres textes prouvent clairement que les œuvres et la nature du Père son aussi les œuvres et la nature du Fils 2° Est-il vrai, comme le dit l’aveugle-né, et dans un sens absolu, que Dieu n’exauce point les pécheurs ? Non ; autrement personne ne devrait prier, car tous les hommes, et les plus saints eux-mêmes, ont des fautes à se reprocher et en demandent pardon en priant. 1. La lecture du saint Évangile vient de nous rappeler que le Seigneur Jésus a ouvert les yeux à un aveugle de naissance. Si nous considérons, mes frères, le châtiment dont nous avons hérité, le monde entier est cet aveugle, et si le Christ est venu lui rendre la vue, c’est que le démon l’avait aveuglé ; en trompant le premier homme, il a fait de nous tous des aveugles-nés. Courons donc à Celui qui nous rendra la vue, courons, croyons, recevons sur nos yeux la boue faite avec sa salive. La salive n’est-elle pas comme le Verbe même, et la terre, comme sa chair ? Lavons-nous la face dans la fontaine de Siloé. Que signifie Siloé ? L’Évangéliste a dû nous le dire : Siloé, selon lui, « signifie envoyé. » Et quel est l’envoyé, sinon Celui qui a dit dans notre Évangile : « Je suis venu faire les œuvres de Celui qui m’a envoyé ? » Voilà le véritable Siloé lavez-vous y la face, recevez son baptême, recouvrez la lumière, et voyez, vous qui ne voyiez pas jusqu’alors. 2. Et d’abord ouvrez les yeux à ces paroles « Je suis venu faire les œuvres de Celui qui m’a envoyé. » Voici un Arien qui se lève : vous voyez bien, dit-il, que le Christ ne fait pas ses propres œuvres, mais les œuvres du Père qui l’a envoyé. – Mais l’Arien ne parlerait pas ainsi, s’il voyait clair, s’il se lavait la face dans Siloé, dans Celui qui a été envoyé. Que dis-tu donc, Arien ? – biais c’est lui-même qui l’affirme, répond-il. – Qu’affirme-t-il ? – « Je suis venu faire les « œuvres de Celui qui m’a envoyé. » – Donc ce ne sont pas les siennes ? – Sans doute. — Pourquoi alors, pourquoi ce Siloé, cet envoyé, ce Fils de Dieu, ce Fils unique que tu regardes avec douleur comme un Fils dégénéré, pourquoi dit-il : « Tout ce qui est à mon Père, est à moi bb ? » Tu prétends qu’il ne faisait pas ses propres œuvres parce qu’il s’est présenté comme faisant « les œuvres de son Père. » Je pourrais répliquer, en m’appuyant sur tes principes, que le Père possédait le bien d’autrui. Comment prouverais-tu en effet que ces mots : « Je suis venu « faire les œuvres de Celui qui m’a envoyé », indiquent que ces œuvres n’étaient pas en même temps celles du Christ ? 3. J’en appelle à vous, Seigneur Jésus, décidez cette question, finissez-en avec cette dispute. Le Sauveur répond : « Tout ce qui est à mon Père, est à moi. » Si c’est à vous, s’ensuit-il donc que ce n’est pas à votre Père ? – Jésus ne dit pas Mon Père m’a donné tout ce qu’il possède, et toutefois ce langage n’aurait t’ait que prouver son égalité avec lui. Il dit : « Tout ce qui est à mon Père, est à moi. » Comment l’expliquer ? Dans ce sens, que tout ce qui est au Père ; est au Fils, comme tout ce qui est au Fils, est au Père. Voici en effet comme il s’exprime dans un autre passage : « Tout ce qui est à moi, est à vous ; et tout ce qui est à vous, est à moi bc. » Ainsi relativement à ce que possèdent le Père et le Fils, la question est tranchée ; ils possèdent paisiblement en commun ; pourquoi susciter des débats ? Quant aux œuvres du Père, le Fils dit aussi qu’elles sont ses œuvres. Elles sont les siennes, puisqu’elles sont celles du Père à qui il disait « Tout ce qui est à moi est à vous ; et tout ce qui « est à vous est à moi. » Ne s’ensuit-il pas en effet que mes œuvres sont les vôtres et que les vôtres sont les miennes ? D’ailleurs, a-t-il dit encore, lui, le Seigneur même, le Fils et le Fils unique de Dieu, la Vérité suprême : qu’a-t-il donc dit ? « Tout ce que fait le Père, le Fils le fait aussi comme lui bd. » Quel trait de lumière ! quelle vérité ! quelle égalité ! Ne suffirait-il pas de dire « Tout ce que fait le Père, le Fils le fait aussi ? » – Non, j’ajoute : « Comme lui. » Pourquoi ajouter : « Comme lui ? » Parce qu’il est des esprits peu intelligents et marchant sans avoir les yeux ouverts, qui aiment à répéter que le Père agit en commandant et le Fils en obéissant, d’où il suit qu’ils n’agissent pas l’un comme l’autre. Mais ces mots : « comme lui », indiquent qu’ils agissent l’un comme l’autre, et que l’un fait ce qui est fait par l’autre. 4. Cependant, réplique-t-on, le Père commande au Fils d’agir. Quelle idée charnelle ! Eh bien ! sans préjudicier aux droits de la vérité, j’accepte. Le Père donc commande et le Fils obéit : s’ensuit-il que le Fils qui obéit n’est pas de même nature que le Père qui commande ? Supposons deux hommes, un père et son fils. L’un commande, c’est un homme ; l’autre obéit, c’est un homme encore ; ils ont tous deux une seule et même nature. Celui qui commande n’a-t-il point communiqué par la génération la nature à son fils ? Et celui qui obéit a-t-il en obéissant perdu cette nature ? Provisoirement donc considère comme deux hommes le Père qui commande et le Fils qui obéit, sans oublier toutefois que l’un et l’autre est Dieu. Mais il y a cette différence que les deux hommes sont deux hommes réellement, tandis que le Père et le Fils ne forment ensemble qu’un seul. Dieu ; ce qui est une propriété merveilleuse et toute divine. Veux-tu donc que j’attribue avec toi l’obéissance au Fils ? Admets d’abord avec moi qu’il est de même nature que son Père. Le Père a engendré un autre lui-même ; son Fils autrement ne serait pas son vrai Fils. Le Père lui dit : « Je vous ai engendré de mon sein avant l’aurore be. » Que signifie « avant l’aurore ? – Avant l’aurore » signifie avant le temps, et par conséquent avant tout ce qui est précédé par quoi que ce soit, avant tout ce qui n’est pas encore, et avant tout ce qui est déjà. Aussi l’Évangile ne dit-il pas : Au commencement Dieu a fait le Verbe, comme il est dit ailleurs : « Au commencement Dieu a fait le ciel et la terre bf. » Il ne dit pas non plus : Au commencement est né le Verbe ; ni : Au commencement Dieu l’a engendré. Que dit-il alors ? « Il était, il était, il était. » À ce mot, il était, crois. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu bg. » A chaque répétition de ce mot, il était, éloigne toute idée de temps, car c’est toujours qu’il était. Ainsi donc, comme Dieu a toujours été et toujours été avec son Fils, comme aussi il peut engendrer en dehors du temps, c’est lui qui a dit à son Fils : « Je vous ai engendré de mon sein avant l’aurore. » Que signifie, de mon sein? Dieu aurait-il un sein ? Lui donnerons-nous une forme et des membres corporels ? Nullement. Si donc il a dit : De mon sein, n’est-ce pas pour nous faire entendre qu’il a engendré de sa propre substance ? Son sein a ainsi produit un autre lui-même ; attendu que si le Fils était d’une autre nature que son Père, il ne serait pas un Fils, mais un monstre véritable. 5. Dans ce sens donc le Fils peut accomplir les œuvres de Celui qui l’a envoyé, et le Père, les œuvres du Fils. Oui, le Père veut et le Fils exécute. Ne puis-je montrer aussi que le Fils veut et que le Père accomplit ? – Comment, dis-tu, le montrerai-je ? – Le voici. « Mon Père, je veux. » Ne pourrais-je à mon tour accuser le Fils de vouloir et le Père d’exécuter ? Que voulez-vous Seigneur ? « Que là où je suis, eux soient aussi avec moi bh. » Nous voilà tirés du danger, nous serons alors où il est ; oui, nous y serons. Qui peut annuler ce vouloir du Tout-Puissant ? Après avoir constaté la volonté de sa puissance, constate maintenant la puissance de sa volonté.« Comme le Père, dit-il ; réveille les morts et les rend à la vie ; ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut bi. » – « Ceux qu’il veut. » Ne dis donc pas que le Fils vivifie ceux que le Père lui commande de vivifier. « Il vivifie ceux qu’il veut. » Ceux par conséquent que le Père veut comme lui ; car la puissance étant la même, la volonté est la même aussi. Ainsi donc n’ayons pas le cœur aveugle et reconnaissons au Père et au Fils une seule et même nature, car le Père est véritablement Père, et le Fils véritablement Fils. Le Père a engendré un autre lui-même, car le Fils n’est pas un Fils dégénéré. 6. Il y a, dans les paroles de l’aveugle-né, je ne sais quoi qui peut inquiéter, peut-être même porter au désespoir quand on ne les comprend pas bien. Après avoir recouvré la vue, il dit entre autres choses : « Nous savons que Dieu n’exauce pas les pécheurs. » Eh ! que deviendrons-nous, si Dieu n’exauce pas les pécheurs ? Si Dieu n’exauce pas les pécheurs, oserons-nous le prier ? – Eh bien ! montrez-moi quelqu’un qui prie, et je vous montre qui l’exauce. Montrez-moi quelqu’un qui prie, examinez le genre humain ; allez des imparfaits aux parfaits, du printemps à l’été, car nous venons de chanter. « C’est vous qui avez fait l’été et le printemps bj ; » c’est-à-dire : C’est vous qui avez fait les hommes qui sont déjà spirituels et ceux qui sont encore charnels ; car le Fils de Dieu dit lui-même : « Vos yeux voient ce qu’il y a en moi d’imparfait ; » ils voient ce qu’il y a d’imparfait dans mon corps. Poursuivons. Ceux qui sont imparfaits ont-ils à espérer quelque chose ? Sûrement, car nous lisons ensuite : « Et tous seront inscrits dans votre livre bk. » Peut-être croyez-vous, mes frères, que les spirituels prient et sont exaucés, parce qu’ils ne sont pas pécheurs. Que deviendront alors les hommes encore charnels ? Que deviendront-ils ? Ils seront donc perdus ? Ils ne prieront plus le Seigneur ? Loin de nous cette pensée ! Voyons le publicain de l’Évangile. Viens, publicain, arrête-toi au milieu de nous, pour empêcher les faibles de perdre tout espoir, montre-nous quelle espérance te soutenait. Ce publicain est monté au temple pour y prier avec le pharisien ; il se prosterne la face contre terre, il reste éloigné du sanctuaire et se frappe la poitrine en disant : « Soyez-moi propice, Seigneur, car je suis pécheur ; » puis il retourne justifié, plutôt que le pharisien bl. En s’écriant : « Soyez-moi propice, car je suis pécheur », disait-il vrai ou faux Puisqu’il disait vrai, il était pécheur ; il fut néanmoins moins exaucé et justifié. Comment donc as-tu pu dire, toi dont les yeux ont été ouverts par le Seigneur : « Nous savons que Dieu n’exauce pas les pécheurs ? » Nous voyons ici qu’il les exauce. Lave donc ton âme, fais pour ton cœur ce que tu as fait pour tes yeux et tu reconnaîtras que Dieu exauce les pécheurs. Tu es dupe d’une imagination vaine ; tu n’es pas encore guéri complètement. Cet aveugle fut excommunié par, la Synagogue ; Jésus l’apprit, vint à lui et lui dit : « Crois-tu au Fils de Dieu ? » – « Qu’est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? » Il voyait donc et ne voyait pas ; il voyait des yeux, mais non du cœur. « Mais tu le vois », répliqua le Seigneur, tu le vois des yeux du corps ; « c’est lui-même qui te parle. – Et se prosternant alors il l’adora. » C’était se purifier l’œil du cœur. 7. Pécheurs, appliquez-vous donc à prier ; confessez vos péchés, priez pour les effacer, priez pour en diminuer le nombre, priez pour obtenir qu’ils disparaissent à mesure que vous progressez : mais gardez-vous de désespérer et priez, tout pécheur que vous êtes. Quel est, hélas ! celui qui n’a point péché ? Commençons par les prêtres. Il est dit aux prêtres : « Offrez d’abord des sacrifices pour vos péchés, et ensuite pour le peuple bm. » Ces sacrifices témoignaient contre les prêtres, et si l’un d’entre eux s’était prétendu juste et exempt de péché, on lui aurait répondu-: Je ne considère point ce que tu dis, mais ce que tu offres ; la victime qui est entre tes mains sert à te confondre. Pourquoi offrir en vue de tes péchés, si tu es sans péché ? Prétends-tu tromper Dieu, même en sacrifiant ? On objectera peut-être que si les prêtres de l’ancien peuple étaient pécheurs, les prêtres du peuple nouveau ne le sont pas. Croyez-moi, mes frères : puisque Dieu l’a voulu, je suis son prêtre, et pourtant je suis pécheur, je frappe avec vous rua poitrine, avec vous je demande pardon, j’espère avec vous que Dieu me fera miséricorde. Mais les saints Apôtres, les premiers chefs du troupeau chrétien, ces premiers pasteurs, membres du Pasteur suprême, n’étaient-ils pas sans péchés ? Non, ils n’étaient pas sans péché, ils avaient réellement des péchés, et si nous le publions ils ne s’irritent point, attendu qu’ils l’avouent eux-mêmes. De moi-même je n’oserais l’avancer ; mais prête d’abord l’oreille à la voix du Seigneur ; il leur disait : « C’est ainsi que vous prierez. » Cette prière prouvera contre eux, comme les sacrifices déposaient contre les prêtres de l’ancienne loi. « C’est ainsi que vous prierez ; » et entre autres demandes prescrites le Seigneur a inséré la suivante : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à qui nous a offensés bn. » Que disent donc les Apôtres ? Ils demandent, chaque jour le pardon de leurs fautes. Coupables, ils se présentent à la prière, ils en sortent absous et y reviennent de nouveau coupables. On n’est pas dans cette vie exempt de péché, puisqu’on en demande pardon toutes les fois qu’on prie. 8. Que dire encore ? Dirai-je qu’ils étaient encore malades quand cette prière leur fut enseignée ? Dirai-je, comme on pourra le faire, qu’au moment où le Seigneur Jésus leur apprit cette prière, ils étaient petits encore, faibles et encore charnels, et non pas du nombre de ces spirituels qui ne commettent point de péché ? Mais ont-ils, mes frères, cessé de prier quand ils sont devenus spirituels ? Le Christ donc aurait dû leur dire qu’ils devaient pour le moment prier de cette manière, puis leur indiquer une autre formule de prière pour l’époque où ils seraient devenus spirituels. Mais non, il n’y a dans l’Église que cette formule donnée parle Sauveur, suivez-la en priant. Portons contre l’objection le dernier coup. Tout en soutenant que ces saints Apôtres étaient spirituels, tu avoueras que jusqu’au moment de la passion du Seigneur ils étaient charnels encore. N’est-il pas vrai qu’ils tremblèrent quand ils le virent suspendu à la croix et qu’ils désespérèrent au moment même où le larron crut en lui ? Pierre osa le suivre quand on le conduisait au supplice, il osa le suivre, arriva jusqu’à la demeure du pontife, entra tout fatigué dans la cour, se tint près du feu où son zèle se, refroidit ; c’était la crainte qui le glaçait près du feu. Questionné par une servante, une première fois il renia le Christ ; interrogé une seconde fois, il le renia encore ; il le renia une troisième fois quand une troisième fois il fut questionné bo. Que Dieu soit béni de ce qu’on cessa de l’interroger ! Combien de temps encore n’eût-il pas continué à renier ? Et ce ne fut qu’après sa résurrection que le Seigneur confirma ses Apôtres et en fit des hommes spirituels. Mais alors n’étaient-ils pas sans péché ? Ces hommes spirituels écrivaient et adressaient aux Églises des lettres toutes spirituelles ; ils étaient sans péché, prétends-tu. Je ne te crois pas sur parole, je les interroge eux-mêmes. Dites-nous donc, saints Apôtres, si vous n’avez plus commis de fautes depuis qu’après sa résurrection le Seigneur vous eut confirmés en vous envoyant du haut du ciel l’Esprit-Saint ? Dites-nous cela, je vous en conjure. Écoutons, mes frères, et les pécheurs ne désespéreront pas, et ils ne cesseront pas de prier pour n’être pas sans péché. Parlez donc. Voici l’un d’entre eux. Lequel ? Celui que le Seigneur aimait spécialement, celui qui reposait sur sa poitrine, et qui y puisait, pour nous les communiquer, les secrets du royaume des cieux. C’est celui-là que j’interroge. Êtes-vous, ou n’êtes-vous pas sans péché ? Voici sa réponse : « Si nous prétendons être sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes et la vérité n’est point en nous. bp » Remarquez : c’est le même Évangéliste Jean qui a dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu bq. » Quels espaces il avait franchis pour arriver jusqu’au Verbe ! Eh bien ! c’est ce grand homme, ce grand homme qui s’était élevé comme l’aigle au-dessus des nues et qui d’un regard serein contemplait le Verbe qui « était au commencement ; » c’est lui qui a dit : « Si nous prétendons être sans péché, nous nous faisons illusion et la vérité n’est point en nous. Mais si nous confessons nos fautes, Dieu est fidèle et juste pour nous les remettre et pour nous purifier de toute iniquité br. » Ainsi donc priez.SERMON CXXXVI. AVEUGLEMENT DES JUIFS bs.
ANALYSE. – En guérissant l’aveugle-né et surtout en ouvrant son âme à la lumière de la vérité, le Sauveur faisait entendre qu’il était venu dissiper l’aveuglement des Juifs. Les Juifs prenaient la loi trop à la lettre et ils n’en connaissaient pas l’impuissance. Il a fallu que Jésus-Christ vînt en enseigner l’esprit et donner la vie aux hommes en se faisant homme comme eux. Heureux qui profite de son enseignement et de ses grâces ! 1. Nous avons entendu, comme à l’ordinaire, cette lecture du saint Évangile ; mais il est bon de ranimer nos souvenirs et de les préserver de l’assoupissement qu’engendre l’oubli. D’ailleurs, ce passage que nous connaissons depuis si longtemps nous a fait autant de plaisir, que s’il eût été nouveau pour nous. Pourquoi vous étonner que le Christ ait fait voir la lumière à l’aveugle-né ? Le Christ est notre Sauveur ; il a accordé à cet homme, comme un bienfait, ce qu’il ne lui avait pas donné en le créant. Se méprenait-il alors en ne lui donnant pas des yeux ? Non, il voulait plus tard lui en donner miraculeusement. – Comment le sais-tu, demanderez-vous ? – Je l’ai appris de lui-même ; il vient de le dire encore et nous l’avons tous entendu. Ses disciples, en effet, lui ayant demandé : « Seigneur, qui a péché, celui-ci ou ses, parents, pour qu’il soit né aveugle ? » il répondit, comme vous venez de l’entendre avec moi : « Ni celui-ci n’a péché, ni ses parents ; mais c’est pour la manifestation en lui des œuvres de Dieu. » Voilà pour quel motif il avait différé de lui donner des yeux. Il ne lui en avait pas donné, parce qu’il devait lui en donner plus tard, parce qu’il savait qu’il lui en donnerait au moment opportun. Ne pensez pas, mes frères, que ses parents aient été sans péché ou qu’il n’ait pas lui-même contracté en naissant le péché originel, pour la rémission duquel on confère aux enfants le baptême destiné à effacer les péchés. Mais sa cécité ne fut l’effet ni du péché de ses parents, ni de son péché propre ; elle devait servir à manifester en lui les œuvres de Dieu. Aussi bien, quoi que nous ayons tous en naissant contracté la souillure originelle, nous rie sommes pas nés aveugles. Et toutefois en y regardant de près, nous sommes des aveugles de naissance. Qui de nous en naissant n’était aveugle, mais aveugle de cœur ? Créateur de l’âme et du corps, le Seigneur Jésus a guéri l’un et l’autre. 2. La foi vous a montré cet homme aveugle d’abord, puis voyant la lumière : vous l’avez vu aussi dans l’erreur. Son erreur consiste premièrement à regarder le Christ comme un prophète, à ignorer qu’il est le Fils de Dieu. Il a fait aussi une réponse certainement fausse lorsqu’il a dit : « Nous savons que Dieu n’exauce pas les pécheurs. » Si Dieu n’exauce pas les pécheurs, quel espoir nous reste-t-il ? Si Dieu n’exauce pas les pécheurs, pourquoi le prions-nous, pourquoi confessons-nous nos péchés en nous frappant la poitrine ? Que faire de ce Publicain qui monta au temple avec le Pharisien et qui se tenant éloigné et les yeux fixés à terre se frappait la poitrine et confessait ses péchés, pendant que le Pharisien vantait et étalait ses mérites ? Le Publicain pourtant, après avoir confessé ses fautes, sortit du temple justifié, plutôt que le Pharisien bt. N’est-ce pas une preuve que Dieu exauce les pécheurs ? Mais l’aveugle en parlant ainsi ne s’était point encore lavé l’œil du cœur à Siloé. Déjà il s’était mis sur les yeux la boue mystérieuse ; mais la grâce n’avait point produit encore son effet dans le cœur. Quand se lava-t-il l’œil du cœur ? Quand après avoir été chassé par les Juifs il fut appelé par le Seigneur. Le Seigneur en effet le rencontra et lui dit : « Crois-tu au Fils de Dieu ? — Quel est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? » Il le voyait des yeux du corps ; le voyait-il des yeux du cœur ? Non ; mais attendez, il le verra bientôt. Jésus lui répondit effectivement : « C’est moi, moi qui te « parle. » Cet homme douta-t-il ? — À l’instant même il se lavait l’âme, puisqu’il communiquait avec Siloé, c’est-à-dire avec l’Envoyé. Et quel est l’Envoyé, sinon le Christ ? Lui-même l’a répété plusieurs fois. « Je fais, disait-il, la volonté de mon Père qui m’a envoyé bu. » C’est ainsi qu’il est Siloé, et en s’approchant de lui, en l’écoutant, en le croyant, en l’adorant, cet aveugle se purifia le cœur et recouvra la vue. 3. Quant à ceux qui l’avaient expulsé, ils restèrent aveugles. On le vit, quand ils reprochèrent au Seigneur d’avoir violé le sabbat en faisant de la boue avec sa salive et en en mettant sur les yeux de l’aveugle. Sans doute l’accusation était manifestement fausse, puisqu’ils reprochaient au Sauveur des guérisons opérées par sa seule parole. Était-ce travailler le jour du sabbat que de dire simplement pour faire ? C’était une évidente calomnie, c’était accuser un simple commandement, accuser une simple parole : eux-mêmes s’abstenaient-ils donc de parler le jour du sabbat ? Je pourrais affirmer qu’ils ne parlent ni le jour du sabbat, ni aucun autre jour, puisqu’ils ont cessé de louer le vrai Dieu. Il est vrai cependant qu’ils calomniaient ouvertement le Sauveur, ainsi que je l’ai déjà observé. Le Seigneur disait à un homme : « Étends la main », cet homme guérissait et on criait à la violation du sabbat bv ! Mais qu’a fait Jésus ? À quel travail s’est-il livré ? Quel fardeau a-t-il porté ? Maintenant qu’il crache à terre, qu’il forme de la boue et qu’il en met sur les yeux d’un aveugle, il travaille à la vérité ; nul ne doit le révoquer en doute, il travaille, il abolit le sabbat, et toutefois il ne se rend point coupable. Pourquoi ai-je dit qu’il abolissait le sabbat : Parce qu’il était la lumière qui venait écarter les ombres. Le sabbat en effet avait été établi parle Seigneur notre Dieu et par le Christ même, uni au Père pour la promulgation de cette loi ; mais il avait été établi comme l’ombre de ce qui devait arriver. « Que personne donc ne vous juge sur le manger ou sur le boire ; ou à cause des jours de fête, ou des néoménies, ou des sabbats, ce qui n’est que l’ombre des choses futures bw. » On voyait arrivé Celui qu’annonçaient ces institutions. Pourquoi se plaire encore dans l’ombre ? Juifs, ouvrez les yeux, voilà le soleil. « Nous savons, dites-vous. » Que savez-vous, ô cœurs aveugles ? Que savez-vous ? – « Que cet homme n’est point de Dieu, puisqu’il viole ainsi le sabbat. » – Le sabbat, malheureux, le sabbat ! Mais il a été publié par ce même Christ que vous prétendez n’être point de Dieu. Et observant le sabbat d’une manière charnelle, vous n’êtes point sanctifiés par la salive du Christ. Voyez dans le sabbat l’empreinte du Messie et vous comprendrez que le sabbat est une prophétie qui l’annonce. Mais vous n’avez pas sur les yeux la boue faite avec la salive du Christ, c’est pourquoi vous n’êtes pas allés à Siloé, pour vous y laver et vous êtes restés aveugles ; ne voyant pas le bonheur de cet aveugle qui a recouvré la vue du corps et de l’esprit. C’est lui qui a reçu sur ses yeux la boue faite avec la salive ; il s’est approché ensuite de Siloé, il s’est lavé, il a cru au Christ, il a vu et il n’est pas resté sous l’arrêt de cette formidable sentence « Je suis venu dans ce monde pour juger ; afin que ceux qui ne voient pas, voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles. » 4. Quelle menace ! J’aime à entendre : « Afin que ceux qui ne voient pas, voient. » Un Sauveur, un médecin doit faire « que ceux qui ne « voient pas, voient. » Mais pourquoi, Seigneur, avez-vous ajouté : « Afin que ceux qui voient, deviennent aveugles ? » Si nous comprenons bien, rien ne nous paraîtra ni plus vrai ni plus juste. Que faut-il entendre par « ceux qui voient ? » – Les Juifs. – Les Juifs voient donc ? – Ils le prétendent, mais en réalité ils ne voient pas. – Que signifie donc « Ils voient ? » – Ils pensent voir, ils croient voir. Car ils croyaient voir, quand ils défendaient la Loi contre le Christ. « Nous savons », disaient-ils ; voilà comment ils voient. « Nous savons » ne signifie-t-il pas : nous voyons ? Pourquoi ajouter : « Que cet homme ne vient pas de Dieu, puisqu’il viole ainsi le sabbat ? » C’est que ces prétendus voyants lisaient la lettre de la Loi, où il était prescrit de lapider quiconque violerait le sabbat bx ; et pour ce motif ils soutenaient que cet homme ne venait pas de Dieu. Mais ces voyants étaient aveugles et ils ne voyaient pas que le Juge futur des vivants et des morts était déjà venu dans le monde pour juger. Quel arrêt rend-il ? Il fait « que ceux qui ne voient pas, « voient ; » c’est-à-dire que ceux qui reconnaissent leur aveuglement soient éclairés ; « et que ceux qui voient deviennent aveugles ; » c’est-à-dire que ceux qui ne confessent pas leur aveuglement soient plus endurcis qu’ils ne l’étaient. Aussi voyez l’accomplissement de ce dernier arrêt. Les défenseurs de la Loi, les commentateurs de la Loi, les docteurs de la Loi, les savants dans la Loi ont crucifié l’Auteur même de la Loi. Quel aveuglement ! Et une partie d’Israël y est tombée. Elle y est tombée, ce qui a fait crucifier le Christ et entrer la plénitude des gentils. Que signifie : « Afin que ceux qui ne voient pas, voient ? » – « Afin que la plénitude des gentils entrât, une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement by. » L’univers entier gisait dans l’aveuglement ; mais le Sauveur est venu « afin que ceux qui ne voient pas, voient, et que ceux qui voient, deviennent aveugles. » Les Juifs l’ont méconnu, les Juifs l’ont crucifié, pour lui il a fait avec son sang un remède pour les aveugles. De plus en plus opiniâtres et aveuglés de plus en plus, ceux qui se vantaient de voir la lumière ont crucifié la Lumière même. Quel aveuglement, d’avoir éteint la Lumière ! Mais cette Lumière, éteinte sur la croix, a éclairé les aveugles. 5. Écoute un ancien aveugle, maintenant éclairé ; reconnais combien ils ont été malheureux de heurter contre la croix pour avoir refusé d’avouer au médecin leur aveuglement. Ils avaient conservé la Loi. Que peut la Loi sans la grâce ? Qu’a pu, malheureux, la Loi sans la grâce ? Que peut la terre, si elle n’est détrempée par la salive, du Christ ? La Loi sans fa grâce peut-elle autre chose que de rendre plus coupables ? Pourquoi ? Parce qu’en écoutant la Loi sans l’accomplir, on est non, seulement pécheur, mais encore prévaricateur. L’hôtesse de l’homme de Dieu vient de perdre son enfant, le prophète envoie son serviteur poser son bâton sur la face de cet enfant, mais il ne revient pas à la vie. Que peut la Loi sans la grâce : Écoutez un ancien aveugle ; c’est aujourd’hui un voyant, un Apôtre : que dit-il ? « Si la Loi avait été donnée avec le pouvoir de communiquer la vie, la justice viendrait vraiment de la Loi. » Remarquez bien, répétons. Qu’a dit l’Apôtre ? « Si la Loi avait été donnée avec le pouvoir de communiquer la vie, la justice viendrait vraiment de la Loi. » Mais si elle ne pouvait communiquer la vie ; à quoi bon la donner ? L’Apôtre le dit en continuant ainsi « Mais l’Écriture a tout renfermé sous le péché, afin que la promesse fût accordée aux croyants par la foi en Jésus-Christ bz. » Afin donc d’accomplir en faveur des croyants, par la foi en Jésus-Christ, les promesses qui assuraient aux hommes la lumière et l’amour, l’Écriture ou la Loi atout compris sous le péché. Que veut dire, « A tout compris sous le péché ? – Je ne connaîtrais pas la concupiscence, si la Loi n’eût dit : Tu ne convoiteras pas ca. » Que veut dire encore : « L’Écriture a tout compris sous le péché ? » — Que la Loi a rendu le pécheur prévaricateur, puisqu’elle n’a pu le guérir. « Elle a tout compris sous le péché. » Dans l’espoir de la grâce, dans l’espoir de la miséricorde. Tu as reçu la Loi et tu as voulu l’accomplir, mais tu n’as pu ; tu es ainsi tombé du haut de ton orgueil, tu as expérimenté ta faiblesse. Cours donc au médecin, lave-toi la face ; appelle le Christ de tes vœux, confesse-le et crois en lui ; ainsi l’Esprit se joindra à la lettre et tu seras guéri. Car si tu ôtes l’Esprit de la lettre, « la lettre te tuera ; » si elle te tue, quel espoir te reste-t-il ? « C’est l’Esprit qui donne la vie cb. » 6. Que le serviteur d’Élisée, que Giézi prenne donc le bâton de son maître, comme Moïse, le serviteur de Dieu, reçut autrefois la Loi. Qu’il prenne le bâton, qu’il le prenne, qu’il coure, qu’il devance son maître, arrive avant lui et mette son bâton sur le visage de l’enfant mort. C’est déjà fait. Giézi a reçu le bâton, il a couru et l’a posé sur la face du mort. Mais à quoi bon ? À quoi bon ce bâton ? « Si la Loi avait été donnée avec le pouvoir de communiquer la vie », le bâton aurait ressuscité l’enfant ; mais « l’Écriture ayant tout compris sous le péché », l’enfant reste mort. Pourquoi « l’Écriture a-t-elle tout compris sous le péché ? – Afin que la promesse fût accomplie en faveur des croyants par la foi en Jésus-Christ. » Vienne donc Élisée. Pour constater la mort, il a envoyé son serviteur avec son bâton ; mais qu’il vienne lui-même, qu’il vienne, qu’il entre dans la demeure de son hôtesse, qu’il monte dans la chambre haute et qu’y rencontrant l’enfant mort il applique sur chacun des membres de ce mort chacun des membres vivants de son propre corps. Il l’a fait aussi ; il a appliqué sa face sur la face de l’enfant, ses yeux sur ses yeux, ses mains sur ses mains, ses pieds sur ses pieds, il s’est comme rétréci, contracté, rapetissé cc. Il s’est comme rétréci, comme diminué. Ainsi : « Celui qui avait la nature divine s’est anéanti en prenant la nature de serviteur cd. » Tout vivant il s’est appliqué sur l’enfant mort : qu’est-ce à dire ? Vous voulez le savoir ? Écoutez l’Apôtre « Dieu a envoyé son Fils. » Mais s’appliquer sur l’enfant mort ? L’Apôtre va le dire, il continue en effet : « Dans une chair semblable à la chair de péché ce. » S’appliquer vivant sur le mort, c’est donc venir à nous, non pas avec une chair de péché, mais avec une chair semblable à la chair de péché. Nous étions morts dans notre chair de péché, le Christ s’est approché de nous avec une chair, semblable à notre chair de péché ; il est mort sans être condamné à mort lui seul était libre parmi les morts ; il est mort parce que tous les hommes étaient condamnés à mort par le péché. Comment les hommes revivraient-ils, si Celui qui était seul sans péché n’était venu comme pour s’appliquer sur eux, avec une chair semblable à la chair de péché ? O Seigneur Jésus, vous qui avez souffert pour nous et non pour vous, vous qui n’avez commis aucune faute et qui en subissez la peine, ah ! c’est pour nous délivrer et de toute faute et de toute peine.
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